Version PDF
Retour vers le dossier législatif

N° 1238

_______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 19 novembre 2003

RAPPORT D'INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA DÉLÉGATION DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE

POUR L'UNION EUROPÉENNE (1),

sur la politique européenne d'immigration,

ET PRÉSENTÉ

par M. thierry MARIANI,

Député.

________________________________________________________________

(1) La composition de cette Délégation figure au verso de la présente page.

Europe.

La Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne est composée de : M. Pierre Lequiller, président ; MM. Jean-Pierre Abelin, René André, Mme Elisabeth Guigou, M. Christian Philip, vice-présidents ; MM. François Guillaume, Jean-Claude Lefort, secrétaires ; MM. Alfred Almont, François Calvet, Mme Anne-Marie Comparini, MM. Bernard Deflesselles, Michel Delebarre, Bernard Derosier, Nicolas Dupont-Aignan, Jacques Floch, Pierre Forgues, Mme Arlette Franco, MM. Daniel Garrigue, Michel Herbillon, Marc Laffineur, Jérôme Lambert, Edouard Landrain, Robert Lecou, Pierre Lellouche, Guy Lengagne, Louis-Joseph Manscour, Thierry Mariani, Philippe Martin, Jacques Myard, Christian Paul, Didier Quentin, André Schneider, Jean-Marie Sermier, Mme Irène Tharin, MM. René-Paul Victoria, Gérard Voisin.

SOMMAIRE

_____

Pages

INTRODUCTION 9

I. L'« EUROPE FORTERESSE » : MYTHE OU REALITE ? 11

A. L'état des lieux de l'immigration en Europe 12

1) L'Europe, continent d'immigration 12

a) L'évolution du solde migratoire 12

b) Les ressortissants de pays tiers résidant dans l'Union 13

2) La diversification des flux d'origine 14

B. Immigration, emploi et démographie 14

1) L'impact de l'immigration sur le marché du travail 15

2) L'immigration n'est pas une solution au vieillissement de la population 16

II. L'INTEGRATION DES RESSORTISSANTS DE PAYS TIERS 19

A. Un premier bilan contrasté 19

1) La directive relative au regroupement familial 19

a) Trois ans de négociations difficiles 20

(1) Un champ d'application réduit 20

(2) Les conditions requises 21

(3) Les droits accordés 21

b) Une harmonisation très limitée 22

2) La directive relative aux résidents de longue durée 23

a) L'acquisition du statut de résident de longue durée 23

(1) Un délai de résidence de cinq ans 23

(2) L'exclusion des réfugiés du champ de la directive 24

(3) Un statut subordonné à l'intégration dans l'Etat
membre 24

(4) Un permis de séjour d'une durée minimale de cinq ans 25

b) Les droits conférés par le statut 25

(1) L'égalité de traitement avec les nationaux. 25

(2) Le droit à la mobilité 26

B. Vers une politique européenne d'immigration économique ? 26

1) L'entrée et le séjour à des fins d'emploi salarié ou d'exercice d'une activité économique indépendante 27

a) Le contenu de la proposition 27

(1) L'entrée et le séjour en vue d'un emploi salarié 28

(2) L'entrée et le séjour en vue de l'exercice d'une activité économique indépendante 28

b) Une proposition contestée, appelée à être modifiée 29

2) Vers des quotas européens d'immigration ? 29

a) La proposition de la présidence italienne 29

b) L'étude confiée à la Commission européenne 30

c) Les difficultés soulevées par les quotas 31

(1) Des difficultés d'ordre juridique 31

(2) Une efficacité économique contestée 31

(3) Des difficultés d'ordre diplomatique 33

3) La proposition de directive relative à l'entrée et au séjour à des fins d'études ou de formation professionnelle 33

a) Renforcer l'attractivité du système européen d'enseignement supérieur 33

b) La future proposition de directive sur l'entrée et le séjour des chercheurs 35

4) Vers une politique d'intégration européenne 35

III. LA LUTTE CONTRE L'IMMIGRATION CLANDESTINE ET LA POLITIQUE EUROPEENNE DE RETOUR 37

A. La lutte contre l'immigration clandestine 37

1) La proposition de directive relative aux victimes de la traite d'êtres humains 38

a) Un champ d'application contesté 38

b) Les droits accordés aux bénéficiaires 38

c) Le délai de réflexion 39

2) L'obligation de communiquer les données relatives aux personnes transportées 40

a) Les difficultés soulevées 40

b) Les modifications apportées 41

B. La politique européenne de retour 41

1) La difficile négociation d'accords de réadmission 42

a) L'état des négociations 42

b) Une répartition délicate des compétences 43

2) La compensation des déséquilibres financiers résultant de la reconnaissance mutuelle des décisions d'éloignement 44

3) Le développement des vols groupés européens 44

a) Le projet pilote français de rationalisation des mesures d'éloignement par vols groupés 44

b) La proposition de décision présentée par la présidence italienne sur les vols communs 45

4) L'assistance au transit dans le cadre de mesures d'éloignement 46

a) L'assistance au transit par voie aérienne 46

b) L'assistance au transit par voie terrestre 47

IV. LA GESTION DES FRONTIERES EXTERIEURES 49

A. L'introduction de données biométriques dans les documents de voyage 50

1) Les identifiants retenus : empreintes digitales et image faciale 50

2) La perspective d'un système commun d'information sur les visas (VIS) 52

3) Le compostage obligatoire des passeports 53

B. Vers un corps européen de gardes-frontières ? 54

1) Les orientations données par le Conseil européen 54

a) La communication de la Commission sur la gestion intégrée des frontières 54

(1) Un corpus commun de législation 55

(2) Un mécanisme commun de concertation et de coopération opérationnelle 56

(3) Une évaluation commune et intégrée des risques. 56

(4) Un personnel formé à la dimension européenne et des équipements inter-opérationnels. 56

(5) Un partage du fardeau financier entre les Etats membres et l'Union européenne dans la perspective d'un corps européen de gardes-frontières. 57

b) Le plan pour la gestion intégrée des frontières extérieures et les conclusions du Conseil européen de Séville 57

c) Les conclusions des Conseils européens de Thessalonique et de Bruxelles 58

2) Les centres opérationnels, projets pilotes et opérations conjointes 59

a) Les centres opérationnels 59

(1) Le centre pour les frontières terrestres 60

(2) Le centre d'analyse des risques 60

(3) Le centre d'excellence des technologies de détection de Douvres 61

(4) Les centres pour les frontières maritimes 61

b) Les projets pilotes 61

(1) Le tronc commun pour la formation de gardes-frontières européens 61

(2) Le projet pilote des aéroports internationaux 62

c) Les opérations conjointes 62

C. La création d'une Agence européenne des frontières 62

1) Une structure légère mais aux compétences étendues 62

2) Les difficultés soulevées par cette proposition 63

V. LE PARTENARIAT AVEC LES PAYS TIERS 65

A. Les orientations données par le Conseil européen de Tampere 65

1) Intégrer les questions liées aux migrations dans les relations avec les pays tiers 65

2) Migration et développement 66

B. Le programme d'assistance technique et financière en faveur de pays tiers dans le domaine de l'asile et des migrations 66

CONCLUSION 69

TRAVAUX DE LA DELEGATION 71

CONCLUSIONS ADOPTEES PAR LA DELEGATION 73

ANNEXES 77

Annexe 1 : Liste des personnes auditionnées 79

Annexe n° 2 : Communication de M. Thierry Mariani sur la proposition de directive relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée et sur la politique de retour de l'Union européenne 81

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Depuis l'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam, en 1999, la politique d'immigration a cessé de relever de la compétence des seuls Etats membres de l'Union européenne.

L'Europe constitue dans ce domaine, comme dans celui du droit d'asile, à la fois une chance et une obligation. Une chance, parce qu'elle permet de confronter les pratiques nationales, et de sélectionner, sans a priori idéologique, les meilleures : celles qui permettent une immigration maîtrisée, dans le respect de nos valeurs communes. Une obligation, parce que dans un espace européen sans frontières, les disparités entre législations nationales entraînent des déplacements secondaires d'immigrants entre Etats membres, et le contrôle des frontières extérieures appelle une gestion commune.

La politique européenne d'immigration reste cependant méconnue. Les médias en donnent une image souvent déformée, et elle ne retient guère l'attention des parlementaires nationaux. La discussion du projet de loi relatif à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité a donné l'occasion de le constater : l'allongement de la durée de résidence requise pour l'obtention d'une carte de résident permanent, portée de trois à cinq ans, résulte de la directive relative au statut des résidents de longue durée. Elle a pourtant fait l'objet de longs débats en séance publique, alors que ces discussions auraient dû avoir lieu avant, en amont, au moment de la négociation de la directive.

D'où l'urgence, pour le Parlement français, de se saisir de ces questions à ce stade, parce que l'immigration est un sujet qui doit être discuté publiquement, et que le parlement est l'enceinte naturelle de ce débat. La proposition italienne d'introduire des quotas, ou le projet récent de la Commission européenne visant à créer une Agence européenne pour la gestion des frontières, sont des sujets importants, qui doivent être débattus à l'Assemblée nationale. C'est l'objet de ce rapport d'information, qui fait le point sur les textes en discussion et présente une synthèse de l'état d'avancement des travaux. Il complète ainsi, pour le volet immigration, le rapport de la Délégation sur la politique européenne d'asile(1).

Cette « réappropriation » est d'autant plus importante que la politique européenne d'immigration va changer, dans quelque mois à peine, de dimension. Au 1er mai 2004, le programme législatif fixé par le traité d'Amsterdam devrait, en principe, être réalisé, et le passage à la majorité qualifiée deviendra possible, si tous les Etats membres l'acceptent. Ils le feront peut-être, pour anticiper l'extension de la majorité qualifiée prévue par le projet de Constitution européenne - s'il n'est pas modifié sur ce point lors de la Conférence intergouvernementale - et pour éviter que l'élargissement ne paralyse l'action de l'Union dans ce domaine.

Cette extension de la majorité qualifiée constituera un changement radical. Les textes adoptés deviendront plus contraignants, chaque Etat membre ne pouvant plus configurer le texte de telle sorte qu'il n'entraîne aucune modification de son droit national, comme c'est le cas aujourd'hui. Ce passage à la majorité qualifiée est indispensable ; en son absence l'apparition d'un « noyau dur », constitué des Etats membres qui souhaitent coopérer davantage sur ces sujets, est inévitable (la réunion qui s'est tenue à La Baule, les 19 et 20 octobre derniers, entre les ministres de l'intérieur français, italien, espagnol, britannique et allemand, semble le préfigurer).

I.

II. L'« EUROPE FORTERESSE » : MYTHE OU REALITE ?

Les priorités de la politique européenne d'immigration ont été définies lors du Conseil européen de Tampere, en octobre 1999. Elles sont au nombre de trois :

- le traitement équitable des ressortissants de pays tiers, qui exige une politique plus énergique d'intégration ;

- la maîtrise des flux migratoires, avec une politique commune des visas, des mesures contre l'immigration clandestine, une coopération plus étroite en matière de contrôles aux frontières et une politique de retour ;

- le partenariat avec les pays d'origine, afin de réduire les facteurs d'incitation à l'émigration en favorisant le développement économique de ces pays.

Ces trois priorités sont celles de la politique d'immigration du gouvernement français, tant sur le plan européen que national. Le Président de la République les a rappelées lors de la conférence de presse donnée le 20 juin dernier, lors du Conseil européen de Thessalonique : « lutter fermement contre l'immigration clandestine, mieux intégrer les étrangers en situation régulière, et développer un partenariat responsable avec les pays tiers ».

L'action de l'Union en matière d'immigration repose sur cet équilibre, que l'on ne retrouve pourtant pas dans l'image que les médias en donnent. Celle-ci est trop souvent résumée par l'image caricaturale d'une « Europe forteresse ». Les naufrages d'embarcations surchargées d'immigrés clandestins entretiennent ce mythe d'une Europe repliée sur elle-même et inhumaine. Cette impression, au-delà de ces événements dramatiques, correspond-elle à la réalité ?

A. L'état des lieux de l'immigration en Europe

Les statistiques disponibles en matière d'immigration rendent les comparaisons internationales difficiles. La notion d'immigré n'est en effet pas la même d'un pays à l'autre, les chiffres collectés ont un degré de fiabilité variable et les méthodes utilisées divergent (certains Etats disposent d'un registre de population, d'autres établissent leurs statistiques à partir des fichiers des permis de séjour et de travail, etc.). L'Organisation des Nations unies (ONU) a adopté une définition commune du concept de migrant international, mais sa mise en œuvre se heurte à des difficultés importantes.

Le plan d'action pour la collecte et l'analyse des statistiques communautaires dans le domaine des migrations(2) présenté par la Commission européenne est donc particulièrement bienvenu. Il pourrait conduire à l'adoption d'une législation communautaire sur ce sujet.

Les statistiques établies par Eurostat et par l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques)(3) permettent cependant, en dépit de ces réserves, de démontrer que l'idée d'une « Europe forteresse » repliée sur elle-même ne résiste pas à l'analyse.

1) L'Europe, continent d'immigration

a) L'évolution du solde migratoire

L'Europe est devenue aujourd'hui le premier continent d'immigration, avec 1,7 million d'entrées légales en 2000, contre un peu plus d'un million au Canada et aux Etats-Unis réunis(4). Les Etats membres qui étaient traditionnellement des pays d'émigration comme l'Italie, l'Espagne, le Portugal ou l'Irlande, sont désormais des pays d'immigration.

L'excédent migratoire (qui est la différence entre l'immigration et l'émigration) est ainsi devenu, au cours des années quatre-vingt dix, la première source d'augmentation de la population de l'Union : il lui a permis d'augmenter de 0,2 % par an(5), pour un taux global de 0,25 %.

Les évolutions par pays sont cependant contrastées. Certains pays d'Europe du Sud ont connu une augmentation significative de l'immigration à la fin de la décennie quatre-vingt dix (c'est le cas du Portugal, de l'Espagne et de la Grèce). L'immigration s'est également accrue aux Pays-Bas (+ 16,6 %), au Royaume-Uni (+ 13,6 %), en Finlande (+ 15,2 %) et en France (+ 10,3 %). Elle a évolué plus modérément dans d'autres pays européens comme l'Italie et la Belgique, qui avaient connu une forte hausse à la fin de la décennie quatre-vingt dix. A l'inverse, les entrées ont diminué en Allemagne, en Autriche et en Suède.

Il faut ajouter à ces chiffres les flux d'immigration illégale, dont l'estimation est, par définition, délicate. Selon l'Office européen de police (Europol), l'immigration clandestine s'élèverait à 500 000 personnes par an.

b) Les ressortissants de pays tiers résidant dans l'Union

L'Europe est le continent comptant le plus de migrants internationaux (56,1 millions de personnes), suivi par l'Asie (49,7), l'Amérique du Nord (40,8) et l'Afrique (16,2)(6). Au sein de l'Union européenne, les ressortissants de pays tiers représenteraient, selon Eurostat, environ 4 % de la population en l'an 2000.

L'importance des ressortissants étrangers est cependant très variable d'un Etat membre à l'autre. Les ressortissants de pays tiers représentent ainsi environ 9 % de la population résidente en Allemagne et 7 % en Autriche, alors que leur part dans la population totale résidente s'élève à moins de 1 % en Espagne, en Italie, en Irlande et en Finlande(7). En France, la part des ressortissants non communautaires se situe autour de 5,6 %.

2) La diversification des flux d'origine

Les Etats membres ont chacun des liens privilégiés avec certains pays d'origine, pour des raisons géographiques (immigration finlandaise en Suède ou italienne en France) ou historiques (immigrations africaines en France, ou asiatiques et caraïbes au Royaume-Uni). Les immigrations dominantes sont donc très variables d'un Etat membre à l'autre.

D'une manière générale, l'éventail des nationalités des migrants s'est considérablement élargi. En Allemagne, par exemple, 5 nationalités différentes représentaient 55 % des entrées de personnes étrangères en 1990, alors qu'en 1999, 9 nationalités différentes représentent la moitié des flux. Il en va de même en France : en 1990, 6 nationalités représentaient plus de la moitié des entrées d'étrangers, alors qu'en 1999 il en faut 9 pour dépasser les 50 %(8).

En Allemagne, les entrées d'immigrants originaires des pays d'Europe centrale et orientale sont majoritaires (l'ex-Yougoslavie, la Pologne, la Russie, la Roumanie, et l'Ukraine représentent ainsi plus de 230 000 entrées en 1999), les flux en provenance de Turquie restant cependant importants (47 100 entrées en 1999). Au Royaume-Uni, les flux en provenance des Etats-Unis, d'Australie, d'Afrique du Sud, de Nouvelle-Zélande, du Canada et du Japon dominent (140 000 entrées en 1999). Les entrées d'immigrants originaires de l'Inde et du Pakistan restent significatives (29 000 en 1999), mais résultent surtout du regroupement familial.

B. Immigration, emploi et démographie

Ces chiffres témoignent d'une réalité que nul (ou presque) ne cherche plus, aujourd'hui, à contester : l'Europe a besoin de l'immigration - d'une immigration maîtrisée, voulue et non subie - pour faire face à des pénuries de main d'œuvre dans certains secteurs. L'impact de l'immigration sur le marché du travail est en effet positif. Pour autant, les « migrations de remplacement » ne permettront pas, à elles seules, de remédier au vieillissement des populations européennes.

1) L'impact de l'immigration sur le marché du travail

Malgré un taux de chômage élevé dans beaucoup d'Etats membres, de nombreux secteurs d'activité ne pourraient fonctionner sans la contribution des immigrés. L'Europe a et aura besoin de l'immigration.

Tous les pays européens n'y auront cependant pas recours dans les mêmes proportions, parce qu'ils ne sont pas en phase du point de vue des cycles migratoires. Certains ne semblent en effet pas être engagés dans la « seconde transition démographique », c'est-à-dire un régime démographique dans lequel la fécondité de l'après baby-boom s'installe durablement sous le seuil de remplacement au lieu de tendre à l'équilibre(9). L'Irlande et la France continuent ainsi à renouveler leurs générations, alors que la Grèce, l'Italie et l'Espagne connaissent un « mouvement de ciseau » entre la fécondité qui baisse et l'immigration qui augmente.

Le Conseil économique et social, dans un rapport récent intitulé Les défis de l'immigration future, préconise ainsi, dans le cas français, une augmentation du solde migratoire de 10 000 personnes par an, à partir du solde initial d'environ 70 000 en 2002(10).

L'analyse menée en 2001-2002 par le Commissariat général du Plan, sous la direction du directeur de l'Institut national d'études démographiques (INED), M. François Héran(11), souligne également les effets positifs de l'immigration. Ce sont les migrants qualifiés, attirés par les conditions de travail américaines, qui contribuent au succès de l'économie des Etats-Unis. Ainsi, l'économiste Richard Freeman rappelle que les titulaires américains du prix Nobel comprennent entre un quart et un tiers d'immigrés selon les disciplines, qu'un tiers des doctorats en sciences sont décernés à des étudiants étrangers et que cette proportion est d'environ 50 % pour les doctorats de mathématiques ou d'informatique(12). La plupart des travaux, quelle que soit la méthode employée, démontrent également que l'emploi de travailleurs immigrants peu ou non qualifiés ne fait ni baisser le salaire moyen, ni augmenter le taux de chômage.

Enfin, selon un rapport de l'Institut français des relations internationales (IFRI) sur le commerce mondial au XXIe siècle(13), l'Europe ne pourra éviter le déclin qu'à condition, entre autres, de mener une politique d'immigration plus ouverte et différenciée selon les Etats membres, qui conduirait à l'entrée de 30 millions d'immigrants sur la période 2000-2020.

2) L'immigration n'est pas une solution au vieillissement de la population

L'immigration ne permettra pas, à elle seule, de répondre au défi constitué par le vieillissement de la population européenne : les immigrés vieillissent aussi, tout comme les nationaux. Le débat suscité par le rapport de la Division des populations des Nations unies sur les « migrations de remplacement »(14) a mis en évidence l'absurdité d'un tel raisonnement. Ce rapport, très médiatisé, estimait que pour maintenir constant le ratio des 15-64 ans sur les 65 ans ou plus constaté en 1995 (il était alors de 4,4), l'Europe dans son ensemble aurait besoin... de 1,4 milliard d'immigrants entre 1995 et 2050 !

Reconnaître la nécessité de recourir à une immigration maîtrisée ne signifie pas que la priorité ne doit pas être accordée au relèvement du taux d'emploi des personnes en âge de travailler. Cela doit être fait notamment en luttant contre le chômage par une politique de formation adaptée, à destination de la population nationale comme des immigrants légaux déjà présents sur notre territoire.

Il ne fait, en tout état de cause, guère de doute que les flux d'immigration vont continuer à s'accroître, et qu'ils seront plus que jamais nécessaires, à condition d'être maîtrisés et de s'accompagner d'une politique d'intégration efficace.

III.

IV. L'INTEGRATION DES RESSORTISSANTS DE PAYS TIERS

L'immigration légale et l'intégration constituent l'une des trois priorités de l'action de l'Union, telles qu'elles ont été définies lors du Conseil européen de Tampere.

Les travaux sur ce point ont progressé, et deux textes importants (sur lesquels la Délégation s'est déjà prononcée(15) ont été adoptés récemment : la directive sur le regroupement familial et celle relative au statut des résidents de longue durée.

La discussion des autres propositions déposées par la Commission est moins avancée. Toutefois, le débat sur la mise en place d'une politique européenne d'immigration économique a été relancé récemment, par la proposition de l'Italie tendant à mettre en place des quotas d'immigration légale au niveau européen.

A. Un premier bilan contrasté

Les deux premiers textes adoptés en matière d'immigration légale présentent un bilan contrasté, tant du point de vue de l'harmonisation des législations que du contenu des droits accordés aux ressortissants de pays tiers.

1) La directive relative au regroupement familial

La directive relative au droit au regroupement familial a été formellement adoptée le 22 septembre 2003, après un accord politique intervenu le 27 février 2003. Cette directive, adoptée après trois ans de négociations difficiles, fixe les conditions d'exercice du droit au regroupement familial pour les ressortissants de pays tiers résidant légalement dans un Etat membre. Les Etats restent libres d'adopter des dispositions plus favorables.

a) Trois ans de négociations difficiles

Le regroupement familial constitue, dans presque tous les Etats membres, le canal principal d'immigration légale. Il favorise l'intégration des étrangers en leur permettant de mener une vie familiale normale. Ce droit est garanti notamment par l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, que la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne a repris en son article 7.

Cette directive, issue d'une première proposition présentée par la Commission européenne le 1er décembre 1999, a pour finalité d'harmoniser les conditions dans lesquelles est exercé le droit au regroupement familial par les ressortissants de pays tiers et d'assurer une sécurité juridique à ses bénéficiaires.

Elle a fait l'objet de négociations difficiles, qui ont conduit la Commission, à la demande du Conseil européen de Laeken (15 décembre 2001), à déposer une proposition modifiée le 5 mai 2002. Les discussions sur ce texte ont en effet révélé de profondes divergences de vues entre Etats membres, sur la définition de la famille, les conditions que doit remplir le regroupant, et les droits accordés, notamment en ce qui concerne l'accès à l'emploi et aux droits sociaux. L'Allemagne et l'Autriche, en particulier, ont souhaité laisser aux Etats membres la possibilité de restreindre l'accès au marché du travail, et ont obtenu que la définition des membres de la famille soit réduite.

(1) Un champ d'application réduit

Les demandeurs d'asile et les bénéficiaires d'une protection temporaire ou d'une forme subsidiaire de protection internationale n'entrent pas dans le champ d'application de la directive. Les réfugiés sont en revanche inclus, et font l'objet d'un chapitre séparé, prévoyant des dispositions plus favorables (ils ne sont pas tenus, par exemple, de prouver qu'ils disposent d'une assurance maladie, d'un logement ou de ressources régulières).

Les membres de la famille visés sont le conjoint(16) et les enfants mineurs de moins de quinze ans (cette condition ayant été ajoutée à la demande de l'Autriche), sous réserve qu'ils soient célibataires. La délégation allemande a obtenu que les enfants de plus de douze ans arrivant seuls puissent être soumis à une condition d'intégration. Les Etats membres peuvent également demander que le regroupant et son conjoint aient atteint l'âge de 21 ans, afin d'éviter les mariages forcés. L'inclusion des ascendants directs et des enfants majeurs à charge est facultative.

(2) Les conditions requises

Les Etats membres peuvent exiger du regroupant qu'il apporte la preuve qu'il dispose :

- d'un logement considéré comme normal pour une famille de taille comparable ;

- d'une assurance maladie, pour lui-même et les membres de sa famille ;

- de ressources stables, régulières et suffisantes, pour prévenir le recours à l'aide sociale.

Les Etats membres peuvent également prévoir que les ressortissants de pays tiers concernés se conforment à des mesures d'intégration, définies par la législation nationale. Toute demande peut être rejetée pour des raisons d'ordre public, de sécurité publique ou de santé publique.

Une période d'attente de deux ans au maximum peut également être exigée avant qu'une demande de regroupement puisse être déposée. A la demande de l'Autriche, elle peut être portée à trois ans si la législation actuelle existant dans un Etat membre tient compte de capacité d'accueil.

(3) Les droits accordés

Les membres de la famille reçoivent un premier titre de séjour d'au moins un an, renouvelable. Ils ont droit, après cinq ans de résidence au maximum, à un titre de séjour indépendant du regroupant. Un titre autonome peut leur être délivré avant l'écoulement de ce délai, en cas de situation particulièrement difficile ou de veuvage, divorce, séparation, ou décès d'ascendants ou descendants directs au premier degré.

Les bénéficiaires du regroupement familial ont droit à l'accès à l'éducation, au marché de l'emploi et à la formation professionnelle. La situation du marché de l'emploi peut cependant leur être opposée, durant un délai d'un an au maximum.

b) Une harmonisation très limitée

La France, sur ce texte comme sur la directive relative au statut des résidents de longue durée, a été fidèle aux orientations du Conseil européen de Tampere. Elle a pris position en faveur de l'égalité de traitement la plus complète possible, conformément à ses principes constitutionnels et à sa tradition républicaine.

La règle de l'unanimité a cependant conduit à un compromis peu satisfaisant, le degré d'harmonisation apporté par le texte restant très faible, en raison des multiples dérogations introduites. Celles-ci nuisent grandement à la lisibilité et à la clarté de la directive et conduisent à une harmonisation « en trompe-l'œil ».

La définition des membres de la famille et le contenu des droits accordés sont également contestés par certaines organisations non gouvernementales et par le Haut commissariat aux réfugiés (HCR) des Nations unies(17). Une coordination d'organisations non gouvernementales, la Coordination européenne pour le droit des étrangers, a d'ailleurs lancé une campagne auprès des parlementaires européens, visant au dépôt d'un recours en annulation de la directive devant la Cour de justice européenne.

2) La directive relative aux résidents de longue durée

Cette proposition de directive a fait l'objet d'un accord politique lors du Conseil « Justice et affaires intérieures » des 5 et 6 juin 2003, mais n'a pas encore été formellement adoptée.

Elle a pour objet d'harmoniser les législations des Etats membres concernant l'octroi du statut de résident de longue durée et de fixer les conditions dans lesquelles ces personnes peuvent séjourner dans un Etat membre autre que celui qui leur a accordé ce statut. Sa négociation a fait apparaître les mêmes clivages que le texte précédent, en particulier sur les droits accordés et sur la possibilité de s'établir dans un second Etat membre.

Certaines de ces dispositions ont fait l'objet d'une transposition anticipée par la loi relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité adoptée le 28 octobre 2003(18).

a) L'acquisition du statut de résident de longue durée

(1) Un délai de résidence de cinq ans

Le statut devrait s'appliquer à tous les ressortissants de pays tiers qui résident légalement et sans interruption sur le territoire d'un Etat membre depuis cinq ans. L'Italie souhaitait porter ce délai à six ans, durée prévue par la loi dite Bossi-Fini, que le Parlement italien a adopté le 30 juillet 2002, mais a finalement accepté le délai prévu. Les périodes d'absence inférieures à six moins consécutifs n'interrompent pas cette durée, à condition de ne pas dépasser un total de dix mois sur la période visée.

La loi relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité, anticipant l'adoption de la directive, reprend ce délai de cinq ans (au lieu de trois actuellement). L'harmonisation des délais est en effet indispensable pour que le statut de résident de longue durée accordé soit reconnu par les autres Etats membres, et ouvre ainsi un droit à la mobilité à l'intérieur de l'Union.

(2) L'exclusion des réfugiés du champ de la directive

Certaines délégations ont refusé que les réfugiés et les personnes bénéficiant d'une protection subsidiaire soient couverts par la directive. A titre de compromis, la Commission européenne s'est engagée à présenter une proposition de directive à cet effet dans un délai d'un an. Ce n'est que sous réserve de cet engagement que la France et d'autres Etats membres (la Belgique, la Finlande, les Pays-Bas et la Suède) ont accepté cette exclusion. Cette catégorie de personnes, en raison de ses besoins de protection, doit en effet bénéficier d'une procédure simplifiée pour l'acquisition du statut de résident de longue durée.

(3) Un statut subordonné à l'intégration dans l'Etat membre

L'acquisition du statut est subordonnée à quatre conditions. Les trois premières sont classiques : la personne concernée doit disposer de ressources stables, régulières et suffisantes, d'une assurance maladie et ne pas constituer une menace pour l'ordre public. Un quatrième critère, facultatif pour les Etats, a été introduit à la demande de certaines délégations, dont la France : l'intégration dans la société de l'Etat membre.

Cette condition, reprise par la loi relative à la maîtrise de l'immigration, permettra de subordonner l'octroi d'un statut de résident de longue durée à l'intégration de la personne concernée, appréciée en particulier au regard de la connaissance suffisante de la langue et des valeurs et principes fondamentaux du pays concerné. Elle constituera, dans le cas français, une incitation majeure au suivi du contrat d'accueil et d'intégration qui va être mis en place progressivement à compter du 1er janvier 2004(19).

(4) Un permis de séjour d'une durée minimale de cinq ans

La proposition initiale de la Commission européenne prévoyait que les résidents de longue durée bénéficieraient d'un permis de séjour d'une validité minimale de dix ans. Certains Etats membres ont souhaité réduire cette durée, qui a été portée à cinq ans. Il s'agit d'une durée minimale, qui n'empêche évidemment pas les Etats membres de conserver, comme la France, une durée supérieure (la carte de résident française est valable dix ans).

b) Les droits conférés par le statut

(1) L'égalité de traitement avec les nationaux.

La proposition initiale prévoyait que les résidents de longue durée bénéficieront des mêmes droits que les nationaux en ce qui concerne l'accès au marché du travail (à l'exception des activités liées à l'exercice de l'autorité publique), l'éducation et la formation professionnelle, y compris les allocations et les bourses d'études, la reconnaissance des diplômes et autres titres professionnels, la sécurité sociale et les prestations offertes au titre de l'aide sociale, les avantages fiscaux, l'accès au logement, la liberté d'association et le libre accès à l'ensemble du territoire de l'Etat membre concerné.

Certains Etats membres, l'Allemagne et l'Autriche en particulier, se sont opposés à ce qu'une égalité de traitement soit reconnue pour certains droits, en particulier l'accès au marché de l'emploi, à la protection sociale, à l'éducation et aux bourses d'études, ainsi que l'accès au logement. La France, soutenue par d'autres délégations, a défendu une égalité de traitement la plus complète possible, conformément aux conclusions du Conseil européen de Tampere. Cette égalité est en effet indispensable à une politique d'intégration efficace.

Le compromis adopté le 6 novembre dernier permet aux Etats membres d'introduire des restrictions en matière d'accès à l'emploi, à la formation et à l'éducation (qui peut être subordonné à une connaissance appropriée de la langue, ou à un niveau d'études préalable s'agissant de l'accès aux études universitaires), ainsi qu'en matière d'aide sociale et de protection sociale (l'égalité de traitement pouvant se limiter aux prestations essentielles).

(2) Le droit à la mobilité

C'est sur la question du droit au séjour dans les autres Etats membres que les oppositions ont été les plus importantes.

Certaines délégations, dont la France, estiment que les résidents de longue durée devraient bénéficier de ce droit sans que d'autres conditions supplémentaires (autres que de disposer de ressources suffisantes et d'une assurance maladie) leur soient imposées. La mobilité des résidents de longue durée au sein de l'Union doit en effet être garantie, en application des principes de libre circulation et d'égalité de traitement.

D'autres Etats, l'Allemagne et l'Autriche notamment, ont adopté une approche plus restrictive et veulent que des conditions supplémentaires puissent être imposées par les Etats membres. Ils ont obtenu de pouvoir limiter le nombre de personnes qui peuvent exercer ce droit chaque année, sous réserve que leur législation nationale prévoit déjà un tel système de contingentement.

Le texte ayant fait l'objet d'un accord politique permet également d'imposer des restrictions supplémentaires aux droits accordés à ces personnes dans les autres Etats membres. L'accès au marché du travail peut ainsi être refusé, en opposant la situation du marché de l'emploi.

Le compromis adopté prévoit, comme pour la directive relative au regroupement familial, de nombreuses dérogations qui réduisent l'harmonisation apportée et la lisibilité du texte. Le résultat final est cependant plus satisfaisant que la directive sur le regroupement familial, dans la mesure où le droit à la mobilité dans un autre Etat membre a été préservé.

B. Vers une politique européenne d'immigration économique ?

La Commission européenne souhaite développer une politique européenne d'immigration économique. Elle a présenté ses orientations sur ce sujet dans trois communications, portant respectivement sur la politique communautaire en matière d'immigration(20), la mise au point d'une méthode ouverte de coordination de la politique européenne en matière d'immigration(21), et les relations entre l'immigration, l'intégration et l'emploi(22).

La Commission y affirme que les flux d'immigration vont s'accroître et seront plus que jamais nécessaires pour faire face aux pénuries de main d'œuvre rencontrées dans certains secteurs. Ce postulat inspire et oriente les propositions de directive qu'elle a présentées concernant l'entrée et le séjour à des fins d'emploi et à des fins d'études ou de formation professionnelle.

1) L'entrée et le séjour à des fins d'emploi salarié ou d'exercice d'une activité économique indépendante

a) Le contenu de la proposition

Cette proposition de directive(23) a été déposée le 11 juillet 2001. Elle vise à définir les conditions d'entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers en vue d'un emploi salarié ou de l'exercice d'une activité indépendante (la différence entre les deux situations tenant au fait d'exercer ou non l'activité en question pour le compte et sous la direction d'une autre personne), et à déterminer les règles relatives aux procédures de délivrance des titres de séjour et de travail concernés.

La proposition envisage la création d'une procédure unique pour la délivrance d'un document unique, qui serve à la fois de titre de séjour et de permis de travail. Elle permet aux Etats membres de fixer des plafonds afin de limiter la délivrance des permis, et de prévoir des conditions plus favorables pour certaines professions (universitaires, sportifs, artistes, journalistes, etc.).

(1) L'entrée et le séjour en vue d'un emploi salarié

Le ressortissant d'un pays tiers ainsi que son futur employeur auront la possibilité de présenter aux autorités compétentes de l'Etat membre concerné une demande afin d'obtenir un « permis de séjour-travailleur ».

Pour obtenir ce titre, le demandeur devra démontrer que l'emploi concerné ne peut pas être pourvu à court terme par un citoyen de l'Union ou un ressortissant de pays tiers ayant déjà accès au marché du travail national concerné. L'offre d'emploi devra, à cette fin, être publiée au moins durant quatre semaines par les services d'emploi de plusieurs Etats membres.

Le permis aurait une validité maximale de trois ans, et serait renouvelable pour une période n'excédant pas trois ans. L'Etat membre conserve le droit de le retirer ou de le suspendre pour des raisons d'ordre public ou de sécurité publique.

Le titulaire du permis pourra entrer et séjourner sur le territoire de l'Etat qui lui a délivré le permis, même après une absence temporaire, transiter par d'autres Etats membres et bénéficiera des mêmes conditions de travail que les citoyens de l'Union (rémunération, accès à la formation sociale et à la sécurité sociale, etc.).

La délivrance de permis de séjour particuliers est prévue pour certaines catégories de demandeurs, tels que les travailleurs saisonniers, les travailleurs transfrontaliers, les stagiaires, les jeunes gens « au pair » et les personnes transférées à l'intérieur de leur entreprise.

(2) L'entrée et le séjour en vue de l'exercice d'une activité économique indépendante

Le demandeur d'un « permis de séjour-travailleur indépendant » devra démontrer que l'activité qu'il souhaite développer (sur la base d'un plan d'activité détaillé et de garanties financières) créera effectivement un emploi et qu'elle aura des effets positifs sur le développement économique de l'Etat membre concerné.

Ces permis seront également délivrés pour une durée initiale de trois ans au maximum et seront renouvelables. Ils pourront être retirés pour des raisons d'ordre public ou de sécurité publique.

b) Une proposition contestée, appelée à être modifiée

Les discussions sur ce texte sont bloquées, parce qu'il suscite de très fortes réticences de la part des Etats membres. La plupart des délégations le jugent trop précis : il détaille en effet la procédure d'accès au marché du travail, bien au-delà de l'affirmation des principes généraux qui seuls relèvent du niveau européen. La France, comme la plupart des autres Etats, considère par conséquent que cette proposition, dans sa rédaction actuelle, est contraire au principe de subsidiarité, parce qu'elle conduirait à une politique d'immigration de travail gérée directement par Bruxelles. Elle rejette également la confusion introduite entre les procédures de délivrance des autorisations de travail, des titres de séjour et des visas, alors que la directive n'a pas pour objet d'harmoniser les titres de séjour.

Le Conseil a donc demandé à la Commission d'opérer une refonte complète du texte. Une seconde mouture devrait être présentée en début de présidence irlandaise (soit au premier semestre 2004), sur la base des lignes directrices que le Conseil « Justice et affaires intérieures » devrait définir lors de sa prochaine session. Cependant, la présidence italienne a abordé la question de l'immigration économique, sous l'angle des quotas.

2) Vers des quotas européens d'immigration ?

a) La proposition de la présidence italienne

L'Italie a proposé à ses partenaires, lors du Conseil JAI informel des 12 et 13 septembre derniers, de mettre en place un système de quotas d'immigration légale au niveau européen. Les quotas, fixés par chaque Etat membre, seraient additionnés et inclus dans un « paquet UE », que l'Union utiliserait dans les négociations sur la gestion des flux migratoires avec les pays d'origine et de transit. Ce système favoriserait, selon la présidence italienne, soutenue sur ce point par le commissaire européen M. Antonio Vitorino, la négociation d'accords de réadmission avec les pays tiers, qui avance très difficilement. Il s'agirait donc de quotas à la fois par nationalités et par catégories d'immigrants (niveau d'études, expérience professionnelle, etc.).

b) L'étude confiée à la Commission européenne

Les Etats membres ont accueilli cette proposition avec une certaine réserve, à l'exception de l'Espagne et de l'Autriche. A ce stade, le Conseil a simplement accepté qu'une étude sur l'opportunité d'une telle politique de quotas (les conclusions du Conseil européen de Thessalonique n'emploient même pas le terme de « quotas ») soit confiée à la Commission européenne, sans préjuger en rien de la décision finale.

Cette étude, qui sera menée avec l'appui des Etats membres, devrait être rendue en avril 2004. Elle analysera les politiques de quotas menées par certains Etats membres (Italie, Autriche, Espagne) et dans des pays tiers (Etats-Unis ou systèmes à points australien et canadien).

Le système à points canadien

Le Canada a abandonné les quotas nationaux dans les années 1960 pour adopter une politique de sélection des migrants fondée sur un système de points. Un système similaire existe en Nouvelle-Zélande et au Canada. La loi allemande votée en mars 2002 - mais invalidée en décembre par le Tribunal constitutionnel en raison de ses conditions d'adoption - prévoit également de mettre en place un tel système, conformément aux recommandations de la commission Süssmuth.

Les personnes souhaitant immigrer au Canada en tant que « travailleur qualifié » (il existe d'autres catégories, tels que les « gens d'affaires immigrants » ou au titre du regroupement familial) doivent accumuler suffisamment de points à l'égard de six critères de sélection ou « facteurs d'intégration » : la durée des études et le niveau du diplôme, la maîtrise de deux langues officielles, la durée de l'expérience professionnelle acquise, l'âge, l'existence d'un emploi réservé au Canada, et l'existence de précédents facilitant l'adaptation au Canada (avoir déjà fait des études au Canada ou y avoir des parents, par exemple).

Ces critères sont pondérés, les trois premiers pesant deux fois plus que les autres. Les points accordés permettent d'écarter les candidats inexpérimentés ou trop âgés et peu qualifiés. L'admission est, en définitive, possible si le candidat atteint un score de 67 points sur 100.
Le système donne l'apparence d'un examen, mais il s'agit en définitive d'un concours, dans la mesure où le nombre de places est fixé à l'avance (50 000 spécialistes et entrepreneurs). Le système est critiqué par certains, au motif qu'il existe une forte corrélation entre l'origine nationale et les qualifications requises : il ne serait donc qu'un système de quotas nationaux « déguisé ».

Source : Site officiel citoyenneté et immigration Canada (www.cic.gc.ca) ; François Héran, « Les recherches sur l'immigration et l'insertion : avancées, débats, perspectives », op. cit.

c) Les difficultés soulevées par les quotas

Le Président de la République, M. Jacques Chirac, a exprimé son opposition aux quotas lors de la conférence de presse qui a suivi le Conseil européen de Thessalonique, en juin dernier. Il a ainsi rappelé que « la position de la France, de l'Allemagne et d'un certain nombre d'autres pays est, a priori, hostile au système même des quotas ».

L'introduction de quotas soulèverait en effet des difficultés certaines, tant du point de vue juridique qu'économique et diplomatique.

(1) Des difficultés d'ordre juridique

Des quotas par nationalités paraissent, en premier lieu, difficilement compatibles avec la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui semble exiger un examen individuel des demandes de visa. Cette question, de même que celle de la compatibilité de quotas par catégories ou d'un système à points avec la Constitution française, devrait faire l'objet d'une étude approfondie par le gouvernement français.

(2) Une efficacité économique contestée

Plusieurs des experts auditionnés par le rapporteur, tels que MM. Patrick Weil (CNRS) ou Jean-Pierre Garson (OCDE), ont également souligné la rigidité des quotas, par rapport à des systèmes plus souples, telle que la levée de l'opposabilité de l'emploi par secteur professionnel, en fonction des besoins économiques et de manière pragmatique, avec des autorisations de travail attribuées sur des critères individuels (qualifications, etc.).

En France par exemple, le ministère du travail permet aux entreprises, depuis l'été 1998, de recruter des informaticiens étrangers : cela s'est fait « sans tambour ni trompette »(24), par voie de circulaire invitant l'administration à ne plus opposer la situation de l'emploi aux demandes de recrutement d'informaticiens étrangers. Le nombre d'informaticiens étrangers a ainsi doublé en un an (de 500 à 1000). On peut également citer en ce sens la circulaire du 16 janvier 2002 relative au traitement des demandes d'autorisation de travail des étrangers(25), qui invite les préfectures à considérer positivement les demandes concernant des étrangers présentant un « intérêt technologique ou commercial » pour les entreprises. Doivent notamment être pris en compte à ce titre : « la qualification du demandeur attestée par un haut niveau d'études, une spécialisation particulièrement recherchée » ou « la maîtrise de plusieurs langues étrangères ».

A l'inverse, le système des quotas politise l'immigration, dont les chiffres sont débattus et contestés avant même qu'un immigré n'ait franchi la frontière (l'expérience italienne est, à cet égard, éloquente). Certains auteurs font cependant valoir que la procédure française, dérogatoire et non médiatisée (à l'opposé de l'opération green card lancée par l'Allemagne en février 2000), présente l'inconvénient de rester méconnue et donc de ne pas attirer les meilleurs candidats(26).

Les systèmes de quotas favorisent en outre l'apparition d'une bureaucratie de l'immigration, chargée de répartir les quotas par région, département, etc., alors que ce sont aux entreprises de déterminer leurs besoins, et non à l'Etat.

L'opération Green Card lancée par l'Allemagne

Le gouvernement du chancelier G. Schröder a annoncé, au début de l'année 2000, un plan visant à délivrer 30 000 visas de travail à des informaticiens étrangers (principalement de l'Inde et d'Europe de l'Est), pour faire face aux pénuries de main d'œuvre rencontrées dans ce secteur. Ce chiffre a été ramené à 10 000, en raison des critiques suscitées par cette annonce, compte tenu du taux de chômage allemand. En août 2001, le premier bilan de l'opération était très mitigé, 8 000 informaticiens seulement ayant été recrutés, au lieu des 10 000 attendus. Le bilan s'est amélioré depuis, et, en août 2002, près de 12 000 étrangers ont été recrutés, soit quatre fois plus qu'en France dans le même temps.

Source : François Héran, op. cit. et Carole Deneuve, « Entreprises et recours à l'immigration, in CGP, Immigration, marché du travail, intégration, op. cit.

(3) Des difficultés d'ordre diplomatique

Les quotas par nationalités soulèveraient de délicates questions diplomatiques avec les pays d'origine, qui en rendent la gestion, en pratique, très difficile.

Ces inconvénients doivent être mis en rapport avec les avantages attendus de ce système. Il convient de souligner qu'il ne jouerait que sur une très faible proportion d'immigrants (entre 5 à 10 %), l'essentiel des flux étant constitué par le regroupement familial et par les demandeurs d'asile, qui ne seraient pas concernés. Sa portée resterait donc limitée, aussi bien en tant qu'élément de négociation avec les pays tiers que de gestion de l'immigration légale.

3) La proposition de directive relative à l'entrée et au séjour à des fins d'études ou de formation professionnelle

a) Renforcer l'attractivité du système européen d'enseignement supérieur

Cette proposition de directive(27), déposée par la Commission en octobre 2002, a pour objet d'harmoniser les conditions d'entrée et de séjour des étudiants, des élèves de l'enseignement secondaire et des stagiaires non rémunérés. Elle a pour ambition de renforcer l'attractivité du système européen d'enseignement supérieur et de faire de l'Europe un « pôle d'excellence éducative », conformément aux orientations fixées par la déclaration commune de Bologne des ministres de l'éducation de 29 pays européens du 19 juin 1999.

La proposition distingue quatre catégories de ressortissants de pays tiers : les étudiants, les élèves, les stagiaires non rémunérés et les volontaires (la définition de cette dernière catégorie s'inspirant du « service européen volontaire pour les jeunes » créé par la décision du 20 juillet 1998).

Les principaux critères d'admission sont la disposition de ressources financières suffisantes (couvrant les frais de subsistance, d'études et de retour) et, selon les cas, l'admission dans un établissement d'enseignement, la participation à un programme d'échange d'élèves, la signature d'une convention de formation professionnelle ou la participation à un programme de volontariat. En ce qui concerne les études et la formation professionnelle, une connaissance suffisante de la langue peut également être exigée.

La durée des titres de séjour envisagés est d'un an, renouvelable pour les étudiants et, à titre exceptionnel, pour les stagiaires, mais pas pour les autres catégories.

La proposition accorde aux étudiants le droit de travailler, le nombre maximum d'heures travaillées devant se situer entre dix et vingt heures par semaine. Les Etats membres conserveraient la possibilité de refuser l'accès au marché du travail durant la première année. La question du changement de statut éventuel est abordée dans la proposition de directive relative aux conditions de séjour et d'entrée aux fins d'emploi. Un droit de mobilité dans un autre Etat membre est accordé aux étudiants, pour poursuivre une partie de leur programme d'études ou le compléter par un autre programme.

Les discussions sur ce texte ne sont pas encore très avancées. La Délégation réexaminera ce texte lorsque les négociations auront progressé et que les positions des Etats membres seront connues.

b) La future proposition de directive sur l'entrée et le séjour des chercheurs

La proposition de directive relative à l'entrée et au séjour à des fins d'études devrait être prochainement complétée par une proposition de directive relative à l'entrée et au séjour des chercheurs (doctorants et post-doctorants). La présidence italienne organise un séminaire à Rome en décembre 2003 sur ce sujet.

Cette proposition à venir s'inscrit dans le cadre de la « stratégie de Lisbonne » (2000), visant à créer un « espace européen de la recherche » et à renforcer la compétitivité de l'économie européenne. Le nombre de chercheurs nécessaires pour atteindre l'objectif de 3 % du PIB consacré aux investissements dans la recherche est estimé à 700 000, ce qui rendra indispensable, selon la Commission, d'attirer des chercheurs étrangers. Les organismes publics et privés devraient être visés. Un droit à la mobilité dans un autre Etat membre devrait être reconnu, pour une période n'excédant pas trois mois.

4) Vers une politique d'intégration européenne

Le développement d'une politique d'intégration au niveau européen a fait l'objet d'une communication de la Commission européenne(28), en juin dernier, dont les orientations ont été partiellement reprises par les chefs d'Etat et de gouvernement lors du Conseil européen de Thessalonique des 19 et 20 juin 2003.

La Commission y souligne que l'adoption des propositions qu'elle a déposées, notamment sur le regroupement familial et le statut des résidents de longue durée, faciliteront l'intégration des ressortissants de pays tiers. Mais elle y suggère également d'explorer d'autres voies, tel que l'approfondissement de la notion de « citoyenneté civile », définie comme l'octroi aux immigrants de droits et d'obligations fondamentaux qu'ils acquerront graduellement et qui leur assureront dans l'Etat d'accueil le même traitement qu'aux ressortissants de cet Etat, sans être naturalisés.

La Commission recense également les différents domaines sur lesquels une politique d'intégration efficace doit porter, comme l'accès au marché du travail, à l'éducation, au logement, aux services sociaux et de santé, ou à la vie associative et sportive. Elle suggère de développer les échanges d'informations et de bonnes pratiques sur ce sujet.

Cette politique, qui ne s'est pas encore traduite par des propositions concrètes, doit respecter le principe de subsidiarité : les Etats membres resteront responsables au premier chef en matière d'intégration. La base juridique nouvelle figurant dans le projet de Constitution européenne (art. III-168, 4) ne dote d'ailleurs l'Union que d'une compétence d'appui, à l'exclusion de toute mesure d'harmonisation. Cette nouvelle disposition devrait cependant permettre à l'Union de développer son action en la matière.

V. LA LUTTE CONTRE L'IMMIGRATION CLANDESTINE ET LA POLITIQUE EUROPEENNE DE RETOUR

La lutte contre l'immigration illégale est également l'une des priorités de la politique européenne d'immigration. Le Conseil européen, à Tampere (octobre 1999), à Laeken (décembre 2001), à Séville (juin 2002) et à Thessalonique (juin 2003) notamment, a confirmé l'importance qu'il attache à cet objectif. La régularité des naufrages tragiques sur les côtes italiennes ou espagnoles contribue également à placer l'action dans ce domaine au sommet de l'agenda politique de l'Union. La réaction de la présidence italienne, au lendemain du drame qui s'est produit en octobre dernier au large de l'île de Lampedusa, en est emblématique.

Un plan global de lutte contre l'immigration clandestine et la traite des êtres humains dans l'Union européenne(29) a été adopté en juin 2002, lors du Conseil européen de Séville.

A. La lutte contre l'immigration clandestine

Plusieurs textes importants ont déjà été adoptés en matière de lutte contre l'immigration clandestine. La directive du 28 juin 2001 relative aux amendes infligées aux transporteurs coupables d'un manquement à leur obligation de contrôle des documents de voyage, de même que la directive du 28 novembre 2002 définissant l'aide à l'entrée, au transit et au séjour irréguliers (issue d'une initiative française), ont ainsi été transposées en droit français par la loi relative à la maîtrise de l'immigration.

Deux autres propositions sont en cours de discussion : la proposition de directive relative aux victimes de la traite d'êtres humains, et l'initiative de l'Espagne concernant l'obligation pour les transporteurs de communiquer les données relatives aux personnes transportées.

1) La proposition de directive relative aux victimes de la traite d'êtres humains

Cette proposition de directive(30) vise à renforcer les instruments de lutte contre la traite des êtres humains et les filières de passeurs, en instituant un titre de séjour de courte durée destiné aux victimes de l'aide à l'immigration illégale ou de la traite des êtres humains, pour les inciter à coopérer avec les autorités policières et judiciaires.

Ce texte soulevait, pour la France et pour plusieurs autres Etats membres, certaines difficultés, relatives à son champ d'application, aux droits accordés aux bénéficiaires et au « délai de réflexion » prévu. Le Conseil « Justice et affaires intérieures » est parvenu à un accord politique, en dépit de ces divergences, le 6 novembre 2003.

a) Un champ d'application contesté

Le champ d'application de la proposition visait aussi bien les victimes de la traite des êtres humains que les personnes ayant eu recours à l'aide à l'immigration irrégulière (en d'autres termes, à des filières de passeurs), qui ne sont pas nécessairement des « victimes » et ne devraient donc pas être incluses. Elles ne le sont d'ailleurs pas dans le système français actuel, qui résulte de la loi sur la sécurité intérieure du 13 mars 2003.

b) Les droits accordés aux bénéficiaires

Des divergences sont apparues au sujet de la nature du titre de séjour. La Commission souhaite en effet créer une nouvelle catégorie de titre de séjour, alors que la France ne veut pas remettre en cause le système mis en place par la loi sur la sécurité intérieure, qui prévoit la délivrance d'une autorisation provisoire de séjour (APS). Dans le texte ayant fait l'objet d'un accord politique, le terme « titre de séjour » (d'une durée minimale de six mois) reste employé, un considérant rappelant le caractère conditionnel et temporaire du droit au séjour accordé.

Certaines délégations (l'Allemagne et l'Autriche notamment) ont, par ailleurs, remis en cause les autres droits accordés aux bénéficiaires de la directive, notamment en matière d'accès à l'emploi et à la formation professionnelle. La France a fait valoir, en sens inverse, que ces droits sont les gages d'une véritable réinsertion des victimes et permettent d'éviter qu'elles ne retombent dans les réseaux mafieux, et qu'il faut accorder aux victimes une contrepartie intéressante pour les inciter à coopérer. Notre position n'a malheureusement pas prévalu : les Etats membres resteront libres de déterminer les conditions dans lesquelles les bénéficiaires auront accès au marché du travail, à la formation professionnelle et à l'enseignement.

c) Le délai de réflexion

Des difficultés sont également apparues au sujet du délai de réflexion accordé aux victimes : la Commission européenne souhaitait fixer un délai minimum de 30 jours, contre l'avis de plusieurs Etats membres. La dernière version du texte ne prévoit pas de délai minimum.

La prise en compte de la collaboration de la personne concernée lors de l'examen d'une demande ultérieure d'un autre titre de séjour (le premier étant arrivé à échéance) a aussi fait l'objet d'appréciations divergentes. Elle ne sera pas obligatoire.

La valeur ajoutée du texte est réduite, l'harmonisation apportée restant minimale en ce qui concerne les droits accordés aux bénéficiaires. La règle de l'unanimité ne permettait cependant pas d'aller plus loin, compte tenu de l'opposition de certains Etats membres.

2) L'obligation de communiquer les données relatives aux personnes transportées

Cette initiative déposée par l'Espagne(31) imposerait aux transporteurs :

- de transmettre aux autorités de contrôle aux frontières, à la fin de l'embarquement, des informations relatives aux étrangers qu'ils vont transporter vers un Etat membre (état civil du passager, numéro de son passeport et point de passage frontalier utilisé) ;

- de communiquer, à la demande des autorités compétentes, les renseignements relatifs aux étrangers qui ne sont pas repartis à la date prévue sur leur billet de voyage.

Les Etats membres devraient prévoir des sanctions dont le montant soit maximal ne pourrait être inférieur à 5 000 euros, soit minimal ne saurait être inférieur à 3 000 euros.

a) Les difficultés soulevées

Cette proposition soulève des difficultés certaines.

La première est d'ordre opérationnel : les personnes qui ne sont pas reparties peuvent avoir utilisé un autre moyen de transport.

La deuxième concerne la protection des données personnelles, le texte initial n'apportant pas de garanties suffisantes sur ce point. Cette difficulté n'est pas sans rappeler celles rencontrées au sujet du transfert des données passagers de l'Union européenne vers les Etats-Unis (dit « PNR », Passenger Name Record).

En troisième lieu, la France souhaiterait que seul le transport aérien soit visé, pour des raisons pratiques : l'inclusion du transport maritime ou ferroviaire conduirait à imposer ces obligations sur des liaisons intérieures à l'espace communautaire, pour lesquelles l'intérêt d'une telle obligation est limité, les volumes de passagers très importants (22 millions de passagers, par exemple, empruntent la liaison maritime transmanche) et les transporteurs moins bien équipés que les compagnies aériennes s'agissant de la gestion des informations relatives à leurs passagers.

b) Les modifications apportées

La France, soutenue par de nombreuses délégations, a obtenu l'insertion de dispositions assurant la protection des données personnelles. La durée de conservation des données et le droit d'accès et de rectification des données ont ainsi été précisés, et une référence à la directive relative à la protection des données personnelles a été ajoutée. L'obligation de transmettre la liste des étrangers qui ne seraient pas repartis à la date prévue devrait également être supprimée.

Deux difficultés subsistent cependant. La première a trait au champ d'application du texte, que la France souhaiterait limiter au transport aérien ; la deuxième concerne les personnes visées, le texte se référant désormais à la communication des listes de « passagers », sans se limiter aux ressortissants de pays tiers. Il convient, sur ce point, de respecter le principe de proportionnalité entre les contraintes imposées aux transporteurs et les finalités poursuivies.

B. La politique européenne de retour

Une politique d'immigration crédible requiert un éloignement effectif des personnes séjournant irrégulièrement sur le territoire des Etats membres. La Commission européenne a déposé un Livre vert sur ce sujet, en avril 2002, qui a été suivi par un plan d'action du Conseil, en novembre 2002. Ces documents ont fait l'objet d'un examen détaillé dans le rapport d'information sur la politique européenne d'asile(32).

C'est dans ce cadre que s'inscrivent la négociation d'accords de réadmission avec les pays tiers, la proposition de directive relative à la compensation des déséquilibres financiers entraînés par la reconnaissance mutuelle des décisions d'éloignement, le développement des vols groupés européens et les textes relatifs à l'assistance au transit.

1) La difficile négociation d'accords de réadmission

a) L'état des négociations

Les accords de réadmission des personnes constituent l'un des axes de développement d'une politique extérieure dans le domaine de la justice et des affaires intérieures. Le Conseil européen a rappelé à plusieurs reprises (à Tampere, en octobre 1999, à Laeken en décembre 2001, à Séville en juin 2002 et à Thessalonique en juin 2003) la priorité que constituent ces accords.

Onze mandats de négociation ont été confiés à la Commission. Quatre l'ont été en 2000, avec le Maroc, la Russie, le Pakistan, et le Sri Lanka ; deux en 2001, avec Hong Kong et Macao ; cinq en 2002, avec l'Ukraine, la Chine, la Turquie, l'Algérie et l'Albanie. Des accords de réadmission seront également négociés avec les Etats ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique) dans le cadre de l'accord de Cotonou (article 13), conclu en 2000.

Les négociations, qui sont menées par le commissaire européen chargé des relations extérieures, et non par le commissaire chargé de la justice et des affaires intérieures, avancent difficilement. A ce jour, seuls quatre accords ont été signés, avec Hong Kong, Macao, le Sri Lanka et, le 5 novembre dernier, avec l'Albanie. Les deux premiers accords devraient concerner très peu de personnes. Les négociations progressent très lentement avec l'Ukraine et le Pakistan, et semblent s'enliser avec la Russie (qui veut établir un lien avec la suppression des visas), la Turquie et l'Algérie. Elles paraissent plus proches du but avec le Maroc. En ce qui concerne la Chine, l'accord dit « ADS » (« Approved Destination Status »), relatif au tourisme, qui a été signé lors du sommet UE-Chine en octobre dernier, comporte une clause de réadmission. Elle ne concerne cependant que les touristes chinois entrés dans le cadre de l'accord « ADS », et ne constitue donc pas l'accord global recherché.

b) Une répartition délicate des compétences

Des difficultés sont apparues au sujet du partage des compétences entre les Etats membres et la Communauté. Dès lors qu'un mandat de négociation a été donné à la Commission européenne, les Etats membres ne peuvent ni engager, ni poursuivre des négociations pour conclure des accords bilatéraux. Cette situation pose problème, compte tenu du peu de résultats obtenus jusqu'ici par la Commission. Une procédure d'infraction contre l'Allemagne a d'ailleurs été lancée par la Commission européenne en septembre 2003, parce que Berlin aurait négocié et signé avec la Chine un accord « ADS » comportant une clause de réadmission, alors que la Commission négociait un tel accord avec la Chine.

Certains Etats membres, la France et l'Allemagne en particulier, souhaiteraient pouvoir recouvrer leur compétence, au-delà d'un certain délai (deux ans, par exemple), si les négociations menées par la Commission n'ont pas abouti. Cette position a été réaffirmée par les ministres de l'intérieur français, allemand, anglais, italien et espagnol, lors du sommet de La Baule le 20 octobre dernier.

La Commission européenne souligne, pour justifier la lenteur des négociations, que les mandats qui lui ont été confiés sont plus ambitieux que la plupart des accords (quand il ne s'agit pas de simples arrangements) bilatéraux conclus par les Etats membres. Ils incluent en effet également la réadmission des ressortissants de pays tiers, sans se limiter à leurs nationaux. La Commission demande donc qu'un lien soit établi entre ces négociations et d'autres dossiers, pour disposer d'un véritable « effet de levier communautaire » et de mesures incitatives. Certains Etats membres avaient également évoqué, lors de la préparation du Conseil européen de Séville, la mise en place de sanctions des pays tiers refusant de coopérer. La France, notamment, s'y était opposée. C'est dans ce contexte que s'inscrit la proposition de la présidence italienne relative aux quotas.

2) La compensation des déséquilibres financiers résultant de la reconnaissance mutuelle des décisions d'éloignement

Cette proposition de décision vise à compléter la directive (issue d'une initiative française, déposée en juillet 2000) du 28 mai 2001 relative à la reconnaissance mutuelle des décisions d'éloignement des ressortissants de pays tiers. Cette directive permet l'éloignement d'office d'un étranger ayant fait l'objet d'une décision d'éloignement prise par un autre Etat membre et a été transposée en droit français par la loi relative à la maîtrise de l'immigration.

L'application de la directive du 28 mai 2001 peut entraîner des déséquilibres financiers, lorsque les décisions d'éloignement ne peuvent être exécutées aux frais des ressortissants des pays tiers concernés. Cette proposition crée le mécanisme nécessaire à la compensation bilatérale de ces déséquilibres. Le principe retenu est que c'est à l'Etat membre d'émission de rembourser les frais réels encourus par l'Etat membre qui exécute la décision d'éloignement.

Ce texte n'a pas soulevé de difficultés particulières, en dehors de quelques aspects d'ordre technique (tels que la limitation du nombre des membres de l'escorte ou les méthodes de calcul des coûts), et a fait l'objet d'un accord politique lors du Conseil « Justice et affaires intérieures » du 6 novembre 2003.

3) Le développement des vols groupés européens

a) Le projet pilote français de rationalisation des mesures d'éloignement par vols groupés

La France s'est proposée d'être chef de file d'un projet visant à rationaliser les mesures d'éloignement au moyen de vols groupés. Des réunions d'experts ont été organisées dans ce cadre, afin d'échanger des informations sur les législations et les pratiques en vigueur dans les Etats membres. Ces échanges ont permis la signature d'un protocole d'accord entre la France et l'Allemagne, harmonisant les règles de sécurité applicables lors de l'organisation de vols communs.

Ce protocole a été suivi par l'adoption d'« orientations communes sur les mesures de sécurité à prendre pour les opérations communes d'éloignement par voie aérienne », élaborées par un groupe d'experts réunis sous l'égide de la Commission. Ces orientations communes visent à harmoniser les règles de sécurité à respecter lors de l'organisation conjointe de vols communautaires, dans le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il est ainsi précisé, par exemple, que les personnes renvoyées doivent être « dans un état de santé approprié », permettant un retour sans risque. Le document prévoit également qu'au moins un médecin devrait être présent lors du vol et encadre les mesures de coercition pouvant être utilisées.

La France a déjà organisé, dans ce cadre, plusieurs éloignements en coopération, avec les Pays-Bas (novembre 2002, à destination de la Bulgarie), le Royaume-Uni (mai 2003, vers l'Afghanistan), l'Allemagne (mars 2003, vers la Côte d'Ivoire et le Sénégal) et l'Espagne (mars 2003, à destination de la Roumanie).

b) La proposition de décision présentée par la présidence italienne sur les vols communs

Ce projet pilote français a été complété, en août 2003, par une initiative italienne, visant à préciser les modalités d'organisation de vols communs par une décision du Conseil. Ce projet de décision invite simplement les Etats membres à coordonner leur action en la matière. Il n'a d'ailleurs pas été jugé législatif par le Conseil d'Etat, et la Délégation n'en est par conséquent pas saisie au titre de l'article 88-4 de la Constitution.

Au cours des discussions, il a été proposé que les « orientations communes » précitées soient annexées au texte, sans acquérir pour autant une valeur contraignante. Le Conseil « Justice et affaires intérieures » est parvenu à un accord politique sur ce texte le 6 novembre dernier.

4) L'assistance au transit dans le cadre de mesures d'éloignement

a) L'assistance au transit par voie aérienne

L'Allemagne a présenté, en juin 2002, une proposition de directive relative à l'assistance au transit dans le cadre de mesures d'éloignement aérien. Cette proposition a pour objet d'harmoniser les mesures d'assistance pouvant être prises par les autorités compétentes lorsqu'un éloignement avec ou sans escorte doit transiter par un aéroport d'un autre Etat membre.

Elle impose aux Etats membres de vérifier en priorité si l'éloignement par un vol direct n'est pas envisageable, afin d'éviter les difficultés pouvant naître du transit. Le texte prévoit également plusieurs motifs de refus d'assistance. Un Etat membre pourra ainsi refuser le transit notamment :

- si la personne concernée risque un traitement inhumain ou dégradant, la torture ou la peine de mort ou que sa vie serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ;

- si la personne concernée est accusée d'infractions pénales graves, ou si elle constitue une menace pour l'ordre public de l'Etat requis, ou bien pour des raisons pratiques.

Les mesures d'assistance prévues comprennent l'accueil à l'avion et l'escorte jusqu'au vol de correspondance, l'attente dans un local fermé si nécessaire, l'usage de l'autorité publique pour empêcher d'éventuels actes de résistance, des soins médicaux d'urgence et le ravitaillement de la personne concernée et de l'escorte si nécessaire.

Ce texte, qui a été modifié sur plusieurs points au cours des discussions, ne pose plus de difficultés majeures aux Etats membres. Les questions restant en débat, relatives à l'accord explicite ou implicite de l'Etat requis et au remboursement des frais encourus par l'Etat requérant, ont en effet reçu une solution satisfaisante.

b) L'assistance au transit par voie terrestre

La proposition de directive concernant l'assistance au transit à travers le territoire d'un ou de plusieurs Etats membres dans le cadre des mesures d'éloignement, déposée par la présidence italienne, vient compléter la proposition allemande sur le transit par voie aérienne. Elle présente cependant un intérêt très limité pour la France : compte tenu de sa situation géographique, son assistance serait souvent sollicitée, alors qu'elle n'a pas besoin, pour sa part, d'avoir recours au transit par voie terrestre à travers le territoire d'autres Etats membres. Cette position, partagée par de nombreuses autres délégations, a conduit le Conseil à s'orienter vers l'adoption de simples conclusions, sans valeur contraignante, rendant cette proposition caduque.

VI.

VII. LA GESTION DES FRONTIERES EXTERIEURES

Les Etats membres doivent renforcer leur coopération en ce qui concerne le contrôle de nos frontières extérieures, en particulier dans la perspective de l'élargissement, qui ne doit pas se traduire par une diminution de l'efficacité de ces contrôles.

L'impact de l'élargissement sur ce point ne doit pas être négligé. La réunification de l'Europe déplacera les frontières extérieures orientales de l'Union, et augmentera leur longueur d'environ 3000 kilomètres. Le contrôle de cette frontière orientale sera transféré à certains des nouveaux Etats membres (Hongrie, Pologne, Slovaquie et Etats baltes) et, d'une manière générale, tous les futurs Etats membres, à l'exception de la République tchèque, auront la responsabilité du contrôle d'une frontière extérieure de l'Union.

Chaque pays candidat a été invité, durant les négociations d'adhésion, à présenter un « Plan d'action Schengen », indiquant le calendrier et la nature des mesures qui seront mises en œuvre pour permettre la suppression du contrôle des personnes aux futures frontières intérieures. Selon le rapport global de suivi de la Commission européenne sur le degré de préparation à l'adhésion à l'Union rendu public le 5 novembre 2003, la mise en œuvre de ces plans d'action par la Hongrie, Malte, la Pologne et la Slovaquie n'est pas encore satisfaisante en ce qui concerne le contrôle des frontières extérieures.

La Commission souligne, par exemple, que la Pologne - qui contrôlera la plus longue frontière terrestre de l'Union élargie (1 258 kilomètres) - devra consentir des « efforts considérables » après l'adhésion, pour renforcer l'efficacité de ses contrôles. La principale faiblesse relevée reste l'insuffisance des effectifs des gardes-frontières, en dépit de l'engagement pris d'engager 5 300 nouveaux agents d'ici 2006. La professionnalisation des gardes-frontières (les contrôles étaient, jusqu'à une période récente, effectués par l'armée régulière), grâce à la mise en place d'un système de formation adéquat, semble en revanche progresser rapidement.

Pour faire face à ces insuffisances, un programme d'aide d'un montant global de 963 millions d'euros sur trois ans a été créé, pour renforcer l'infrastructure et l'équipement nécessaires à l'application de l'acquis de Schengen. Sept des futurs Etats membres devraient en bénéficier.

Il convient également de rappeler que l'entrée dans l'Union européenne ne s'accompagnera pas d'une suppression immédiate des contrôles aux frontières intérieures. Une décision distincte du Conseil, fondée sur la capacité de chaque nouvel Etat membre à appliquer l'acquis de Schengen, devra être prise sur ce point, après l'adhésion.

La perspective de l'élargissement a fait progresser l'idée d'une gestion intégrée des contrôles aux frontières extérieures, fondée sur un principe de solidarité, que le projet de Constitution européenne envisage de consacrer (art. III-169). Celle-ci pourrait conduire, à long terme, sur la création d'un « corps européen de gardes-frontières », évoquée par certains, notamment au sein de la Convention européenne. L'Agence européenne des frontières proposée par la Commission européenne en constitue peut-être l'une des premières étapes. A plus court terme, d'autres textes importants sont en cours de discussion, concernant l'introduction de données biométriques dans les documents de voyage ou le compostage obligatoire des passeports.

A. L'introduction de données biométriques dans les documents de voyage

1) Les identifiants retenus : empreintes digitales et image faciale

L'introduction d'éléments d'identification biométriques dans les visas et les titres de séjour des ressortissants de pays tiers a pour objet de renforcer la sécurité de ces documents et de lutter contre leur falsification. Le ministre de l'intérieur français a été très actif sur ce sujet, et une déclaration franco-allemande a été présentée lors du Conseil « Justice et affaires intérieures » du 27 février 2003, sur l'utilisation de la biométrie dans les visas, les titres de séjour, les passeports et les autres documents de voyage.

Ces efforts ont conduit la Commission européenne à déposer, en septembre dernier, deux propositions de règlement visant à introduire des éléments d'identification biométriques dans les visas et les titres de séjour(33) (sous la forme d'une vignette). La Commission a retenu l'image de face (portrait électronique à haute résolution) en tant qu'élément biométrique principal, et l'empreinte digitale (deux doigts posés) comme second élément.

Le choix de ce second élément n'était pas évident ; il existe en effet diverses techniques (empreintes digitales, iris de l'œil, géométrie palmaire, etc.), et les discussions sur ce sujet sont en cours dans plusieurs enceintes (Organisation de l'aviation civile internationale (OACI), G8, en plus de l'Union européenne)(34). L'Allemagne était plutôt favorable à l'iris, tandis que la France privilégie l'empreinte digitale, parce qu'il s'agit d'une technique expérimentée, fiable, et qu'actuellement le brevet mondial pour la technique de l'iris est détenu par une société américaine (Iridium). Ce sont les arguments que la Commission européenne a retenus.

Ces deux propositions ramènent, en outre, de 2007 à 2005 la date butoir fixée pour la mise en œuvre de l'insertion de la photographie (ce qui nécessitera un effort important pour l'équipement des préfectures et des postes frontières et consulaires).

Le choix de ces éléments biométriques est d'autant plus important que les mêmes seront vraisemblablement retenus, dans un souci de cohérence, pour le système d'information visas (VIS) qui devrait, à terme, être mis en place, et pour la sécurisation des passeports (pour laquelle une approche commune doit être définie pour répondre à la demande américaine imposant l'intégration d'éléments biométriques, à compter du 26 octobre 2004, dans le passeport des ressortissants de pays qui sont exemptés de visas). Les enjeux industriels et financiers ne sont donc pas négligeables.

2) La perspective d'un système commun d'information sur les visas (VIS)

Le Conseil européen de Laeken, en décembre 2001, a souhaité qu'un système commun d'information sur les visas (Visa Information System, VIS) soit mis en place. Ce système aura notamment pour objectifs de faciliter la lutte contre la fraude en améliorant l'échange d'informations entre Etat membres concernant les demandes de visas et le traitement qui leur a été réservé, contribuer à l'identification des personnes en situation irrégulière dépourvues de documents et à simplifier leur retour, ainsi qu'à prévenir le « visa shopping » (consistant pour les candidats à déposer des demandes multiples, pour profiter du pays ayant les critères les plus souples).

Le Conseil européen de Séville des 21 et 22 juin 2002 a réaffirmé l'importance que revêt la création de ce système. Des lignes directrices ont été adoptées par le Conseil le 13 juin 2002, qui ont permis à la Commission de lancer une étude de faisabilité, dont la version définitive a été présentée en mai 2003. Le VIS devrait se composer d'un système central d'information sur les visas (C-VIS), complété par des systèmes d'information sur les visas (N-VIS) dans chaque Etat membre. Son coût pourrait varier entre 130 millions d'euros et près de 200 millions, selon l'architecture et les fonctionnalités retenues.

Des orientations politiques concernant l'architecture, les fonctionnalités (compte tenu notamment des aspects financiers) et le choix des identificateurs biométriques devraient être définies par le Conseil d'ici la fin de l'année 2003. Le VIS devrait, pour réaliser des économies budgétaires importantes, développer des synergies importantes avec le système d'information Schengen de seconde génération (SIS II).

A plus long terme, la création de bureaux communs chargés de délivrer les visas de l'Union européenne est envisagée par la Commission européenne. Elle permettrait, selon elle, des synergies importantes en termes d'équipements techniques et de personnel. Cette question devrait faire l'objet d'un examen approfondi.

3) Le compostage obligatoire des passeports

La France a également demandé que le compostage obligatoire des passeports lors du franchissement des frontières extérieures des Etats membres soit établi. C'est en effet le seul moyen de vérifier que les ressortissants de pays tiers non soumis à visa n'ont pas dépassé le délai de trois mois autorisé pour les séjours touristiques. Les pratiques des Etats membres sont en effet divergentes sur ce point, en raison de l'ambiguïté des dispositions de l'acquis Schengen sur ce point.

La Commission européenne a répondu à cette demande française en déposant, le 5 novembre, une proposition de règlement(35), qui obligera les autorités compétentes à composter systématiquement les documents de voyage des ressortissants de pays tiers.

Ce projet est complété par deux autres propositions de règlement(36) visant à « fluidifier » le contrôle des voyageurs, afin d'éviter que l'obligation de compostage n'entraîne des difficultés pratiques (notamment une trop longue attente aux points de passage des frontières). Ces deux propositions ont ainsi pour objet de faciliter le « petit trafic frontalier », c'est-à-dire le passage de frontières par des ressortissants de pays tiers résidant dans les zones frontalières et se rendant régulièrement, pour des raisons légitimes, dans un pays de l'Union sans représenter de menace pour la sécurité.

Le premier projet de règlement vise à faciliter la circulation locale aux frontières terrestres entre les Etats membres et les pays tiers voisins, tandis que le deuxième étend ces mécanismes aux frontières entre deux Etats membres qui n'ont pas encore aboli les contrôles des personnes à leurs frontières communes. Ces propositions envisagent, à cette fin, des facilitations d'ordre pratique, tels que des points de passage spéciaux, des couloirs réservés pour les frontaliers ou l'introduction d'un visa spécial, délivré aux fins spécifiques de ce petit trafic frontalier.

B. Vers un corps européen de gardes-frontières ?

La perspective d'un corps européen de gardes-frontières est évoquée depuis la fin de l'année 2001, et a fait l'objet d'un nombre important de travaux préparatoires, sous l'égide du Conseil européen. Ces travaux se sont traduits par la mise en place de centres opérationnels et de projets pilotes, et par la proposition de règlement, déposée par la Commission le 11 novembre 2003, visant à créer une Agence européenne de gestion des frontières.

1) Les orientations données par le Conseil européen

La Commission européenne, dans une communication du 7 mai 2002, intitulée « vers une gestion extérieure des frontières extérieures des Etats membres », a défini les principales orientations permettant de mettre en place une gestion intégrée des frontières extérieures. Le Conseil a repris certaines de ces suggestions dans le « plan pour la gestion intégrée des frontières extérieures des Etats membres de l'Union » adopté en juin 2002.

a) La communication de la Commission sur la gestion intégrée des frontières

Dans cette communication(37), la Commission européenne propose de mettre en place une gestion intégrée des frontières de l'Union européenne, qui soit véritablement communautaire et non plus une simple juxtaposition de systèmes nationaux. La Commission suggère, à cette fin, la création d'un corps européen de gardes-frontières.

Pour atteindre, à terme, cet objectif, la Commission préconise de structurer la politique commune de gestion intégrée des frontières extérieures autour de cinq composantes : un corpus commun de législation ; un mécanisme commun de concertation et de coopération opérationnelle ; une évaluation commune et intégrée des risques ; un personnel formé à la dimension européenne et des équipements inter-opérationnels ; un partage du fardeau financier entre les Etats membres et l'Union européenne dans la perspective d'un corps européen de gardes-frontières.

(1) Un corpus commun de législation

Sa mise en place suppose, selon la Commission, les mesures suivantes :

- refondre le manuel commun des frontières extérieures ;

- introduire dans le manuel commun certaines « bonnes pratiques » et les rendre ainsi obligatoires ;

- réaliser un mémento pratique utilisable par les gardes-frontières et disponible aussi sur un support électronique ;

- dégager des principes et adopter des mesures communes en matière de « petit trafic frontalier » ;

- fixer les compétences qui pourraient, le cas échéant, être données à un corps européen de gardes-frontières ;

- prévoir un encadrement juridique pour l'exercice d'une véritable fonction d'inspection aux frontières extérieures ;

- prévoir, au-delà de l'apport national, le financement de cette politique commune.

(2) Un mécanisme commun de concertation et de coopération opérationnelle

Ce mécanisme reposerait sur deux instruments :

- une instance commune de praticiens des frontières extérieures chargée d'effectuer l'évaluation commune et intégrée des risques, de coordonner et piloter des actions opérationnelles de terrain, notamment en situation de crise, et d'assurer une plus grande convergence entre les politiques nationales dans le domaine des personnels et des équipements ; 

- un échange et un traitement permanent d'informations et de renseignements qui ne serait pas une base de données ou un réseau informatique, ni la création d'une structure administrative. Il s'agit d'une procédure de sécurité ou d'un code de conduite qui, selon la nature des informations et des risques identifiés, aurait pour finalité d'établir des liens et échanges directs entre les autorités concernées par la sécurité des frontières extérieures.

(3) Une évaluation commune et intégrée des risques

Il serait souhaitable que l'Instance commune de praticiens des frontières extérieures soit chargée de structurer l'activité et d'évaluer les besoins opérationnels immédiats.

Le caractère pluridisciplinaire de l'instance commune devrait en outre lui permettre d'établir toutes les synergies nécessaires avec Europol et les instances de coopération policière.

(4) Un personnel formé à la dimension européenne et des équipements inter-opérationnels

La Commission propose un tronc commun pour la formation des gardes-frontières et de l'encadrement intermédiaire, et l'organisation régulière de stages de perfectionnement. Il est également important d'assurer une formation des gardes-frontières pour le respect des droits et de la protection des demandeurs d'asile.

Une convergence des politiques nationales devrait aussi être recherchée en matière d'équipements des services de gardes-frontières, d'infrastructures fixes, d'équipements mobiles et de télécommunication.

(5) Un partage du fardeau financier entre les Etats membres et l'Union européenne dans la perspective d'un corps européen de gardes-frontières

Ce partage financier devrait aussi à terme être complété par un partage du fardeau en forces opérationnelles, grâce à la création d'un corps européen de gardes-frontières, une fois surmontées les difficultés constitutionnelles des Etats membres. En un premier temps, il pourrait exercer de réelles missions de surveillance aux frontières extérieures par des équipes mixtes composées de diverses nationalités.

b) Le plan pour la gestion intégrée des frontières extérieures et les conclusions du Conseil européen de Séville

Les conclusions du Conseil européen de Séville des 21 et 22 juin 2002 sont en retrait par rapport aux propositions de la Commission, en particulier en ce qui concerne la création d'un corps européen de gardes-frontières. L'Autriche, la Suède et le Royaume-Uni, entre autres, ont en effet marqué une vive opposition à ce projet.

La plupart des autres mesures proposées par la Commission ont cependant été reprises dans le plan global de gestion des frontières extérieures(38), annexé aux conclusions du Conseil européen de Séville. Ce plan a été élaboré à partir de la communication de la Commission, d'une étude de faisabilité menée sous la direction de l'Italie concernant la création d'une police européenne des frontières(39), ainsi que de l'étude sur la police et la sécurité des frontières réalisée par trois autres Etats membres dans le cadre du programme de coopération OISIN(40).

Le Conseil européen de Séville a souhaité la mise en place sans délai, dans le cadre du Conseil des ministres, de l'instance commune de praticiens des frontières extérieures, composée des chefs des services de contrôle aux frontières des Etats membres et chargée de coordonner les mesures figurant dans ce plan. Cette instance, créée à partir d'un comité spécialisé sur ces questions, le Comité stratégique pour l'immigration, les frontières et l'asile (CSIFA +), a commencé à fonctionner à l'automne 2002.

Le Conseil européen a également demandé la mise en œuvre de certaines des mesures prévues par le plan :

- avant la fin de 2002, la réalisation d'opérations conjointes aux frontières extérieures, le lancement immédiat de projets pilotes ouverts à tous les Etats membres intéressés et la création d'un réseau d'officiers de liaison d'immigration des Etats membres ;

- avant juin 2003, l'élaboration d'un modèle commun d'analyse des risques afin d'aboutir à une évaluation commune et intégrée des risques, la définition d'un tronc commun pour la formation des gardes-frontières, la consolidation de la réglementation européenne en matière de frontières, et la réalisation d'une étude sur le partage des charges entre les Etats membres et l'Union concernant la gestion des frontières extérieures.

La formulation retenue par le Plan au sujet d'un corps européen de gardes-frontières est très prudente. L'« éventuelle décision de créer un corps européen de gardes-frontières, composé d'équipes communes, qui aurait pour rôle d'appuyer les services nationaux des Etats membres, sans toutefois les remplacer » y est simplement évoquée.

c) Les conclusions des Conseils européens de Thessalonique et de Bruxelles

Le Conseil européen de Thessalonique des 19 et 20 juin 2003 a souligné la coordination opérationnelle opérée par l'instance commune des praticiens des frontières extérieures et a invité la Commission à examiner si un nouveau mécanisme institutionnel comprenant la « création d'une éventuelle structure opérationnelle communautaire » n'est pas nécessaire pour renforcer cette coopération opérationnelle.

Le Conseil européen de Bruxelles des 16 et 17 octobre 2003 est allé plus loin, se félicitant que la Commission envisage de présenter une proposition en vue de la création d'une Agence pour la gestion des frontières. Il souhaite que le Conseil dégage un accord politique sur les éléments principaux de ce dossier d'ici la fin de l'année 2003.

Le Conseil a aussi pris note de l'étude de faisabilité relative au contrôle des frontières maritimes réalisée, à la demande de la Commission, par la société française CIVI.POL Conseil(41). Cette étude recommande une série de mesures, autour de cinq axes prioritaires : l'identification des itinéraires de l'immigration clandestine, la coopération avec les pays tiers d'origine et de transit, la mise en œuvre de structures opérationnelles efficaces pour coordonner l'action des Etats membres, la définition des meilleures techniques applicables, la légalité des contrôles aux frontières maritimes. Cette étude s'est traduite par l'adoption d'un programme de mesures de lutte contre l'immigration clandestine par voie maritime dans les Etats membres de l'Union européenne(42).

2) Les centres opérationnels, projets pilotes et opérations conjointes

En application du « plan pour la gestion intégrée des frontières extérieures des Etats membres de l'Union », plusieurs centres opérationnels ou projets pilotes ont été mis en place et des opérations conjointes organisées, pour renforcer le contrôle de nos frontières. Ils ont fait l'objet d'une évaluation par la présidence grecque en juin 2003(43).

a) Les centres opérationnels

Un centre opérationnel pour les frontières terrestres a été mis en place à Berlin. Un centre d'analyse des risques a également été créé à Helsinki, ainsi qu'un centre d'excellence des technologies de détection, situé à Douvres.

(1) Le centre pour les frontières terrestres

Installé à Berlin, ce centre est chargé de tester, de coordonner et d'évaluer la coopération opérationnelle en matière de contrôle des frontières terrestres.

L'Autriche, le Danemark, la Finlande, la France, l'Allemagne, la Grèce, l'Italie, les Pays-Bas, le Portugal, l'Espagne, la Suède et le Royaume-Uni, ainsi que la Norvège en tant que pays associé à l'espace Schengen, participent activement à ses activités. Les pays adhérents, la République tchèque, l'Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne et la Slovénie notamment, y participent en tant qu'observateurs.

Ce centre a organisé, à ce jour, six opérations conjointes aux frontières entre la Pologne et l'Allemagne, la Slovaquie et l'Autriche, la République tchèque et l'Allemagne et la Slovénie et l'Italie. Il a également élaboré vingt protocoles d'échanges de fonctionnaires en six points des frontières extérieures.

(2) Le centre d'analyse des risques

Le centre d'analyse des risques, créé à Helsinki en avril 2003, a pour mission de fournir des analyses des risques périodiques, sur le fondement d'un « modèle commun d'analyse des risques », appelé « CIRAM ». Deux analyses des risques, qui couvriront l'ensemble des frontières extérieures, seront réalisées chaque année.

Ce centre comprend des experts détachés à titre permanent par la Finlande, l'Autriche, l'Allemagne, l'Italie, les Pays-Bas et la Norvège. Un groupe de soutien est constitué d'observateurs des Etats membres (Autriche, Belgique, Danemark, Allemagne, France, Italie, Pays-Bas, Norvège, Espagne, Suède, Portugal), de la Commission et d'Europol.

(3) Le centre d'excellence des technologies de détection de Douvres

L'objectif de ce projet est de développer le recours aux technologies de détection modernes pour lutter contre l'immigration clandestine.

Le projet proposé initialement par le Royaume-Uni visait à tirer parti de l'expérience technologique qu'il a acquise et de l'expertise similaire des autres Etats membres, pour mener des opérations ciblées aux frontières extérieures, gérées à partir d'un centre virtuel situé à Douvres. Des équipes mobiles constituées de fonctionnaires des Etats participants pourraient ainsi être déployées à bref délai en tout lieu le long des frontières extérieures, sous la supervision du centre.

Des divergences sont cependant apparues concernant l'envergure du projet. Le Royaume-Uni a donc modifié le profil du centre et projette d'utiliser les technologies de détection à l'appui d'autres projets ayant été approuvés, par exemple le centre allemand pour les frontières terrestres.

(4) Les centres pour les frontières maritimes

Deux centres visant à coordonner la surveillance des frontières maritimes devraient être prochainement créés par l'Espagne (à Madrid) et par la Grèce (au Pirée). Ils pourront organiser des opérations conjointes et des échanges de personnel.

b) Les projets pilotes

Des projets pilotes, destinés à progresser vers une formation commune des gardes-frontières, ont aussi été créés.

(1) Le tronc commun pour la formation de gardes-frontières européens

Le tronc commun pour la formation des gardes-frontières européens, codirigé par la Suède et l'Autriche, vise à élaborer des normes minimales pour la formation des gardes-frontières. Les Etats membres pourraient ainsi exercer leurs contrôles aux frontières selon des procédures uniformisées.

(2) Le projet pilote des aéroports internationaux

Le projet-pilote des aéroports internationaux a pour objet l'harmonisation de l'organisation des services de police aux frontières et pourrait déboucher sur la création à Rome d'un « centre des opérations aériennes ».

La France gère, pour sa part, le projet de rationalisation des mesures d'éloignement par vols groupés, précité, et le projet de coordination pour les enquêtes sur les crimes et délits liés à l'immigration illégale et à la criminalité transfrontalière.

c) Les opérations conjointes

Plusieurs opérations conjointes ont également été organisées, concernant le contrôle des frontières maritimes (Ulysses, Triton, Rio IV, Orca), terrestres et aériennes (Rio III : opération VISA).

A titre d'exemple, l'opération Ulysses, conduite par l'Espagne en janvier et en mai 2003, a coordonné l'action de plusieurs Etats membres visant à contrôler les eaux territoriales de l'océan Atlantique, au large des Iles Canaries. Au total, quinze navires, avec 454 immigrants clandestins à leur bord, auraient été interceptés.

C. La création d'une Agence européenne des frontières

La multiplication des opérations conjointes et des centres et projets pilotes appelle une coordination accrue. La mise en place d'une structure communautaire permanente, qui serait en mesure d'exécuter les tâches quotidiennes de gestion et de coordination et de fournir une assistance en cas d'urgence, s'est donc imposée.

1) Une structure légère mais aux compétences étendues

La Commission a déposé, le 11 novembre 2003, une proposition de règlement visant à créer une « Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures ». La Commission envisage une structure relativement légère - du moins à ce stade - d'une trentaine de personnes, avec un budget se montant à six millions d'euros en 2005 et 10 millions en 2006.

Cette Agence aurait pour tâches principales :

- de coordonner la coopération opérationnelle entre Etats membres en matière de contrôle et de surveillance des frontières extérieures ;

- de prêter assistance aux Etats membres pour la formation de leurs gardes-frontières nationaux, en fournissant une formation au niveau européen pour les formateurs de gardes-frontières ;

- d'assister les Etats membres confrontés à une situation exigeant une assistance opérationnelle et technique renforcée à leurs frontières extérieures ;

- de coordonner la coopération des Etats membres en matière d'éloignement.

Les Etats membres seraient tenus de soumettre à cette Agence leurs projets pilotes et leurs propositions d'opérations conjointes, pour évaluation et approbation. Le personnel de l'Agence ne sera doté d'aucun pouvoir répressif et n'effectuera donc pas lui-même de contrôles aux frontières extérieures.

2) Les difficultés soulevées par cette proposition

Ce texte n'a pas commencé à être discuté dans les groupes de travail du Conseil, et fera l'objet d'un examen approfondi par la Délégation pour l'Union européenne lorsqu'il lui sera officiellement transmis au titre de l'article 88-4 de la Constitution.

Quelques remarques peuvent cependant déjà être formulées à ce stade, à la lecture de cette proposition. La première a trait au contrôle politique de cette Agence. Un contrôle politique - et, en particulier, parlementaire - adéquat de cette Agence devra être mis en place, afin de tenir compte des spécificités du domaine concerné, tant du point de vue des responsabilités de la puissance publique que des libertés individuelles. Les orientations politiques et la définition de la stratégie de l'Agence devraient par conséquent relever du Conseil « Justice et affaires intérieures ». La deuxième est relative aux compétences des Etats membres, notamment en matière d'éloignement et d'organisation d'opérations conjointes, qui devront être préservées. Les compétences de l'Agence dans ces domaines ne sauraient donc être exclusives.

VIII. LE PARTENARIAT AVEC LES PAYS TIERS

La coopération avec les pays tiers constitue le troisième axe de la politique européenne d'immigration, dont le Conseil européen a souligné à plusieurs reprises l'importance. L'Union a adopté une approche globale des migrations sur ce point, intégrant les aspects politiques, les droits de l'homme et les questions de développement.

A. Les orientations données par le Conseil européen de Tampere

1) Intégrer les questions liées aux migrations dans les relations avec les pays tiers

La Commission européenne a présenté une communication sur ce sujet en décembre 2002, dans laquelle elle préconise d'intégrer les questions liées aux migrations dans les relations de l'Union européenne avec les pays tiers.

Elle y examine, en particulier, comment les politiques et instruments de l'Union européenne, dont la politique de développement, peuvent contribuer à éradiquer les causes profondes des flux migratoires. Elle rappelle qu'une aide communautaire directe (935 millions d'euros pour la période 2000-2006) a été programmée pour aider les pays tiers à surmonter les problèmes soulevés par les migrations légales et illégales. Elle considère, d'une manière générale, que l'intégration des problèmes de migration dans l'action extérieure de la Communauté doit encourager les pays tiers à coopérer, plutôt que pénaliser (comme certains pays l'avaient envisagé à la veille du Conseil européen de Séville) ceux qui ne souhaitent pas coopérer ou qui ne sont pas en mesure de le faire.

2) Migration et développement

Quelles sont les conséquences de l'émigration pour les pays d'origine des migrants ? Les aspects négatifs de cette « fuite des cerveaux » pour les pays émetteurs sont souvent évoqués. Les travaux économiques menés sur ce sujet conduisent à nuancer cette affirmation, même si un tel risque ne saurait être négligé.

L'émigration hautement qualifiée, si elle diminue le « capital humain » sur place, entraînent des transferts financiers vers le pays d'origine qui soutiennent la formation sur place et, à travers elle, la croissance du pays. Une étude corrélant la croissance économique de soixante pays en développement avec l'évolution de l'émigration qualifiée démontre ainsi que le niveau d'éducation s'élève avec le démarrage de « l'exode des cerveaux »(44).

B. Le programme d'assistance technique et financière en faveur de pays tiers dans le domaine de l'asile et des migrations

C'est dans ce cadre que s'inscrit la proposition de règlement établissant un programme d'assistance technique et financière en faveur des pays tiers dans le domaine de l'asile et de l'immigration(45).

Ce texte établit un programme pluriannuel pour la période allant de 2004 à 2008, qui sera particulièrement destiné aux pays tiers qui travaillent activement à la préparation ou à la mise en œuvre d'un accord de réadmission avec la Communauté européenne. La dotation globale de ce programme est de 250 millions d'euros. La Commission préconise notamment, dans les pays tiers concernés, l'élaboration d'une réglementation relative à l'immigration légale et la promotion d'une immigration légale prenant en compte la situation démographique, économique et sociale dans les pays hôtes. Le programme favorisera également l'établissement d'une politique efficace et préventive en matière de lutte contre les migrations illégales, incluant notamment la lutte contre le trafic et la traite des êtres humains, ainsi que la réadmission des personnes entrées ou séjournant illégalement sur le territoire de l'Union européenne.

CONCLUSION

Le projet de Constitution européenne permettra, s'il est adopté, de renforcer la politique européenne d'immigration. Outre l'extension du vote à la majorité qualifiée, qui représenterait une avancée déterminante, il affirme un principe de solidarité et de partage équitable des responsabilités entre les Etats membres, y compris sur le plan financier.

Une disposition nouvelle permettrait également la mise en place progressive d'un système commun de gestion des frontières extérieures, ce qui pourrait permettre la création, à terme, d'un « corps européen de gardes-frontières », souhaitée par certains Etats membres et évoquée par de nombreux membres de la Convention européenne. Une compétence d'appui serait également conférée à l'Union en matière d'intégration des ressortissants de pays tiers, à l'exclusion de toute mesure d'harmonisation des législations.

Les objectifs de cette politique, tels qu'ils ont été définis par le Conseil européen de Tampere, seront également « constitutionnalisés ». Ces objectifs font de la politique européenne d'immigration une politique équilibrée, fondée sur le traitement équitable et l'intégration des ressortissants de pays tiers, la maîtrise de l'immigration et le partenariat avec les pays tiers.

TRAVAUX DE LA DELEGATION

La Délégation s'est réunie le mercredi 19 novembre 2003, sous la présidence de M. Pierre Lequiller, Président, pour examiner le présent rapport d'information.

Au terme de son exposé, le rapporteur a présenté un projet de conclusions qu'il a proposé à la Délégation d'adopter.

M. Jérôme Lambert s'est interrogé sur l'utilité réelle de la mesure envisagée par l'Union, à la demande de la France, tendant au compostage obligatoire des passeports lors du franchissement des frontières extérieures des Etats membres. Il a souligné le risque que comportait une telle mesure d'aboutir à un résultat inverse à celui recherché, en incitant plutôt les personnes qui auraient dépassé le temps de séjour prévu à rester durablement sur le territoire de l'Union. Il a par ailleurs souhaité connaître la situation des autres pays de l'Union en ce qui concerne le taux de retour des immigrés clandestins. Il a émis des doutes quant à l'appréciation selon laquelle la proposition de directive relative à l'entrée et au séjour à des fins d'emploi salarié serait trop détaillée et, par conséquent, contraire au principe de subsidiarité.

Il s'est interrogé sur l'utilité et le caractère réaliste de la proposition de directive concernant l'obligation pour les transporteurs de communiquer les données relatives aux personnes transportées, même si son champ d'application était limité au transport aérien, comme le préconisent les conclusions proposées par le rapporteur.

Il a considéré que l'allongement de la durée de résidence requise pour l'obtention d'une carte de résident permanent, portée de trois à cinq ans par la loi sur la maîtrise de l'immigration, ne résultait pas de la directive relative au statut des résidents de longue durée, les Etats membres ayant toujours la possibilité de prévoir des dispositions plus favorables.

Le rapporteur a estimé qu'il convenait d'être effectivement attentif aux effets pervers que pouvait comporter l'obligation de compostage des passeports. En ce qui concerne la proposition de directive concernant l'obligation pour les transporteurs de communiquer les données relatives aux personnes transportées, il a précisé que l'obligation de transmettre la liste des personnes qui ne sont pas reparties à la date prévue a été supprimée.

Il a indiqué que si l'allongement de trois à cinq ans de la durée de résidence requise pour l'obtention d'une carte de résident permanent ne résultait effectivement pas directement du texte de la directive relative au statut des résidents de longue durée, il n'en restait pas moins que cet allongement était indispensable pour la reconnaissance de la carte de résident dans les autres pays de l'Union.

Il a précisé que le taux de retour des immigrés clandestins n'était guère meilleur dans les autres pays de l'Union par rapport à ce qu'il est pour la France.

Il a enfin souligné qu'à partir du 1er mai 2004, la politique d'immigration allait changer de dimension, dans la mesure où elle pourra passer à la majorité qualifiée - si tous les Etats membres l'acceptent. Il a estimé que l'opinion française était peu consciente du caractère de plus en plus européen de la politique d'immigration et d'asile, alors même qu'il s'agit d'un domaine pour lequel la compétence de l'Union est récente et dont les résultats sont encourageants.

Le Président Pierre Lequiller a remercié le rapporteur pour la qualité et l'exhaustivité de son analyse. Il a indiqué que la règle de la majorité qualifiée pour les sujets relatifs au contrôle des frontières, à l'immigration et à l'asile, proposée par la Convention, faisait encore l'objet de discussions au sein de la Conférence intergouvernementale.

A l'issue de ce débat, la Délégation a approuvé la proposition de décision sur la compensation des déséquilibres financiers résultant de la reconnaissance mutuelle des décisions d'éloignement (E 2225), ainsi que la proposition de règlement établissant un programme d'assistance technique et financière en faveur des pays tiers dans le domaine de l'asile et des migrations (E 2323), et a adopté les conclusions dont le texte figure ci-après.

CONCLUSIONS ADOPTEES PAR LA DELEGATION

La Délégation,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,


Vu la proposition de directive relative à l'entrée et au séjour à des fins d'emploi salarié ou d'exercice d'une activité économique indépendante (COM (2001) 386 final / E 1813),


Vu la proposition de directive relative au titre de court séjour délivré aux ressortissants de pays tiers victimes de la traite des êtres humains ou ayant fait l'objet d'une aide à l'immigration clandestine et qui coopèrent avec les autorités compétentes (COM (2002) 71 final / E 1954),

Vu l'initiative du Royaume d'Espagne en vue de l'adoption de la directive du Conseil concernant l'obligation pour les transporteurs de communiquer les données relatives aux personnes transportées (7161/03/ E 2250),

Vu la proposition de règlement du Conseil modifiant le règlement (CE) n° 1683/95 établissant un modèle type de visa et la proposition de règlement du Conseil modifiant le règlement (CE) n° 1030/2002 établissant un modèle uniforme de titre de séjour pour les ressortissants de pays tiers (COM (2003) 558 final / E 2403)


I. En ce qui concerne la proposition de directive relative à l'entrée et au séjour à des fins d'emploi salarié ou d'exercice d'une activité économique indépendante :


1. Estime cette proposition de directive, trop détaillée, contraire au principe de subsidiarité, et souhaite le dépôt d'une proposition modifiée.

2. Considère que l'Union européenne aura besoin de l'immigration pour faire face aux pénuries de main d'œuvre rencontrées dans certains secteurs, la priorité devant cependant être accordée aux politiques visant à relever le taux d'emploi de la population en âge de travailler, notamment par une politique de formation adaptée.

3. Approuve le principe d'une étude visant à évaluer l'efficacité des politiques de quotas en matière d'immigration, sous réserve qu'elle ne préjuge pas de la décision finale sur l'utilisation éventuelle de tels quotas par l'Union européenne.


II. En ce qui concerne la proposition de directive relative au titre de court séjour délivré aux ressortissants de pays tiers victimes de la traite des êtres humains ou ayant fait l'objet d'une aide à l'immigration clandestine et qui coopèrent avec les autorités compétentes :


1. Se félicite que le champ d'application de la proposition de directive ait été limité aux victimes de la traite.

2. Regrette que les droits accordés aux bénéficiaires n'aient fait l'objet que d'une harmonisation réduite, les Etats membres restant libres de déterminer les conditions dans lesquelles ces victimes auront accès au marché de l'emploi, à la formation professionnelle et à l'éducation.

III. En ce qui concerne la proposition de directive concernant l'obligation pour les transporteurs de communiquer les données relatives aux personnes transportées :


1. Se réjouit que des dispositions garantissant la protection des données personnelles aient été incluses dans cette proposition.
2. Souhaite que le champ d'application de ce texte se limite au transport aérien et aux ressortissants de pays tiers, afin de respecter le principe de proportionnalité entre les contraintes imposées et les finalités poursuivies.

IV. En ce qui concerne les propositions de règlement concernant l'introduction d'éléments d'identification biométriques dans les visas et les titres de séjour des ressortissants de pays tiers :

1. Se félicite du dépôt de ces propositions de règlement, qui renforceront l'efficacité de la lutte contre la fraude documentaire, et du choix des deux éléments d'identification biométriques retenus (l'image de face et les empreintes digitales).

ANNEXES

Annexe 1 :
Liste des personnes auditionnées

I. A Bruxelles

- M. Jean-Louis DE BROUWER, chef de l'unité « Immigration et Asile », Direction générale Justice et affaires intérieures, Commission européenne.

- M. Daniel LECRUBIER, responsable du secteur Justice et affaires intérieures à la représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne, M. Gilbert ELKAIM, conseiller asile et immigration à la représentation permanente.

- M. Peter VON BETHLENFALVY, chef du bureau de l'Organisation internationale des migrations à Bruxelles, M. Laurent DE BOECK, Mme Cécile RIALLANT, Organisation internationale des migrations.

II. A Paris

- M. François BARRY MARTIN-DELONGCHAMPS, directeur des Français à l'étranger et des étrangers en France, M. Eric LUBIN, sous-directeur de l'asile et de l'immigration, ministère des affaires étrangères.

- M. Pierre DEBUE, directeur central de la police aux frontières, M. Jean-Paul MILLAND, contrôleur général, sous-directeur des affaires juridiques et internationales, ministère de l'intérieur.

- M. Patrick DELAGE, préfet, secrétaire général adjoint, M. Jean-Michel THILLIER, conseiller chargé de la police aux frontières et de l'immigration illégale, Mme Ghislaine TERRIER, conseiller chargé de l'asile et de l'immigration légale, SGCI.

- M. Stéphane FRATACCI, directeur des libertés publiques et des affaires juridiques, ministère de l'intérieur.

- M. Jean GAEREMYNCK, conseiller d'Etat, directeur de la population et des migrations, ministère des affaires sociales, du travail et de la solidarité.

- M. Jean-Pierre GARSON, chef de la division des économies non membres et des migrations internationales de l'OCDE.

- M. Michel GEVREY, membre du Comité économique et social, vice-président de la Commission spéciale du Plan, Mme Marie-Christine MARTIN, conseiller chargé des relations avec le Parlement, Conseil économique et social.

- M. Laurent GIOVANNONI, coordinateur du service de défense des étrangers reconduits, Mme Caroline INTRAND, service de défense des étrangers reconduits, CIMADE.

- M. François JULIEN-LAFERRIÈRE, professeur à l'Université Paris-Sud, Institut d'études de droit public, membre du réseau Odysseus.

- M. Henri LABAYLE, professeur à l'Université de Pau, Doyen de la Faculté de droit de Bayonne, membre du réseau Odysseus.

- Mme Claire RODIER, chargée d'études, Mme Claudia CHARLES, chargée d'études, Groupe d'information et de soutien aux travailleurs immigrés (GISTI).

- M. Maxime TANDONNET, inspecteur général de l'administration, ministère de l'intérieur.

- M. Patrick WEIL, directeur de recherche au CNRS.

- Mme Catherine WIHTOL DE WENDEN, directeur de recherche au CNRS (CERI), docteur en science politique.

Annexe n° 2 :
Communication de M. Thierry Mariani du 28 mai 2003 sur la proposition de directive relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée et sur la politique de retour de l'Union européenne

Au cours de la réunion de la Délégation du mercredi 28 mai 2003, M. Thierry Mariani, rapporteur, a rappelé que la politique d'immigration a cessé de relever de la compétence des seuls Etats membres depuis l'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam, en 1999. La politique communautaire d'immigration repose sur trois priorités, définies par le Conseil européen de Tampere d'octobre 1999 :

- le partenariat avec les pays d'origine, afin de réduire les facteurs d'incitation à l'émigration en favorisant le développement économique de ces pays ;

- le traitement équitable des ressortissants de pays tiers, qui exige une politique plus énergique d'intégration ayant pour ambition de leur offrir des droits et obligations comparables à ceux des citoyens de l'Union dans la vie économique, sociale et culturelle ;

- la gestion des flux migratoires, avec une politique commune des visas, des mesures contre l'immigration clandestine, une coopération plus étroite en matière de contrôles aux frontières et une politique de retour.

Le Conseil européen de Séville de juin 2002 y a ajouté la perspective, à terme, d'une police européenne des frontières.

Cette politique fera l'objet d'une présentation globale dans le rapport d'information qui sera présenté à la Délégation au début du mois de juillet. Il est cependant apparu nécessaire, pour tenir compte de la session du conseil « Justice et affaires intérieures » des 5 et 6 juin prochains, d'examiner avant cette date deux textes qui sont à l'ordre du jour de ce conseil.

Le premier concerne le traitement équitable des ressortissants de pays tiers. Il s'agit de la proposition de directive relative au statut des résidents de longue durée (document E 1741). C'est le plus important. Le deuxième relève de la politique de retour de l'Union. C'est le projet de directive du Conseil relative à l'assistance au transit dans le cadre de mesures d'éloignement par voie aérienne (document E 2072).

La proposition de directive relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée a pour objet d'harmoniser les législations des Etats membres concernant l'octroi du statut de résident de longue durée et de fixer les conditions dans lesquelles ces personnes peuvent séjourner dans un Etat membre autre que celui qui leur a accordé ce statut. Elle a été présentée par la Commission européenne en mars 2001 et doit être examinée, pour la troisième fois, par le conseil « Justice et affaires intérieures » lors de sa prochaine session. Les divergences entre Etats membres restent cependant très importantes et un accord politique semble peu probable à ce stade, en dépit du calendrier fixé par le Conseil européen de Séville (qui impose l'adoption de cette directive au plus tard en juin 2003). Ce texte devrait conduire à modifier certaines dispositions de l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers. Quelques-unes de ces modifications sont d'ailleurs anticipées par le projet de loi relatif à la maîtrise de l'immigration et au séjour des étrangers en France.

La première partie de la proposition traite des conditions d'acquisition du statut. Le statut devrait s'appliquer à tous les ressortissants de pays tiers qui résident légalement et sans interruption sur le territoire d'un Etat membre depuis cinq ans. L'Italie souhaite cependant porter ce délai à six ans, durée prévue par la loi dite Bossi-Fini que le Parlement italien a adoptée le 30 juillet 2002. Le projet de loi qu'a présenté le ministre de l'intérieur français reprend ce délai de cinq ans (au lieu de trois actuellement), afin d'anticiper l'adoption de cette directive. La proposition prévoit que les périodes d'absence inférieures à six mois consécutifs n'interrompent pas cette durée, à condition de ne pas dépasser un total de dix mois sur la période visée.

Certaines délégations ont refusé que les réfugiés et les personnes bénéficiant d'une protection subsidiaire soient couverts par la directive. A titre de compromis, la Commission européenne s'est engagée à présenter une proposition de directive à cet effet dans un délai d'un an. Ce n'est que sous réserve de cet engagement que la France et d'autres Etats membres (la Belgique, la Finlande, les Pays-Bas et la Suède) ont accepté cette exclusion. M. Thierry Mariani a proposé à la Délégation d'apporter son soutien à cette position : cette catégorie de personnes, en raison de ses besoins de protection, doit en effet bénéficier d'une procédure simplifiée pour l'acquisition du statut de résident de longue durée.

L'acquisition du statut est subordonné à quatre conditions. Les trois premières sont classiques : la personne concernée doit disposer de ressources stables, régulières et suffisantes, d'une assurance maladie et ne pas constituer une menace pour l'ordre public. Un quatrième critère, facultatif pour les Etats membres, a été introduit à la demande de certaines délégations, dont la France : l'intégration dans la société de l'Etat membre. Cette condition, reprise par le projet de loi relatif à la maîtrise de l'immigration, permettra de subordonner l'octroi d'un statut de résident de longue durée à l'intégration de la personne concernée, appréciée en tenant compte de différents critères, tels que la connaissance de la langue, le suivi d'une formation professionnelle ou encore la participation à la vie locale et associative. Elle constituera, dans le cas français, une incitation majeure au suivi du contrat d'accueil et d'intégration qui va être mis en place progressivement à compter du 1er janvier 2005.

La proposition initiale de la Commission européenne prévoyait que les résidents de longue durée bénéficieraient d'un permis de séjour d'une validité minimale de dix ans. Certains Etats membres ont souhaité réduire cette durée, qui a été portée à cinq ans. Il s'agit d'une durée minimale, qui n'empêche évidemment pas les Etats membres de conserver, comme la France, une durée supérieure (la carte de résident française est valable dix ans).

S'agissant des droits conférés par le statut, la proposition prévoit que les résidents de longue durée bénéficieront des mêmes droits que les nationaux en ce qui concerne l'accès au marché du travail (à l'exception des activités liées à l'exercice de l'autorité publique), l'éducation et la formation professionnelle, y compris les allocations et les bourses d'études, la reconnaissance des diplômes et autres titres professionnels, la sécurité sociale et les prestations offertes au titre de l'aide sociale, les avantages fiscaux, l'accès au logement, la liberté d'association et le libre accès à l'ensemble du territoire de l'Etat membre concerné. Certains Etats membres, l'Allemagne et l'Autriche en particulier, s'opposent cependant à ce qu'une égalité de traitement soit reconnue pour certains droits, en particulier l'accès au marché de l'emploi, à la protection sociale, à l'éducation et aux bourses d'études, ainsi que l'accès au logement. La France fait partie des pays qui défendent une égalité de traitement la plus complète possible, conformément à ses principes constitutionnels, à sa tradition d'accueil et aux conclusions du Conseil européen de Tampere. Cette égalité est en effet indispensable à une politique d'intégration efficace. Sur ce point essentiel, le rapporteur a également souhaité que la Délégation apporte son soutien au gouvernement français.

C'est sur la question du droit au séjour dans les autres Etats membres que les oppositions sont les plus importantes. Certaines délégations, dont la France, estiment que les résidents de longue durée devraient se voir reconnus ce droit sans que d'autres conditions supplémentaires (autres que de disposer de ressources suffisantes et d'une assurance maladie) leur soient imposées. D'autres Etats, l'Allemagne et l'Autriche notamment, ont une approche plus restrictive et veulent que des conditions supplémentaires puissent être imposées par les Etats membres. Ils proposent notamment qu'un régime de contingentement ou des restrictions à l'accès au marché du travail soient prévus. M. Thierry Mariani a suggéré que la Délégation prenne position en faveur d'une mobilité effective des résidents de longue durée au sein de l'Union, en application des principes de libre circulation et d'égalité de traitement.

Les Etats qui souhaitent restreindre la mobilité des résidents de longue durée veulent également imposer des restrictions supplémentaires aux droits accordés à ces personnes dans les autres Etats membres. La proposition prévoit, pour l'instant, qu'ils bénéficient de l'ensemble des droits accordés dans le premier Etat membre, à l'exception de l'aide sociale et des bourses d'études. L'Allemagne et l'Italie, notamment, voudraient introduire d'autres restrictions, en particulier en ce qui concerne l'accès au marché du travail. La France y est opposée.

Une politique d'immigration et d'asile cohérente suppose un éloignement effectif des personnes séjournant irrégulièrement sur le territoire des Etats membres. La Commission européenne a déposé un Livre vert sur ce sujet, en avril 2002, qui a été suivi par un plan d'action du Conseil, en novembre 2002. Ces documents ont fait l'objet d'un examen détaillé dans le rapport d'information sur la politique européenne d'asile présenté à la Délégation en avril dernier. Le projet de directive relative à l'assistance au transit dans le cadre de mesures d'éloignement aérien, proposé par l'Allemagne en juin 2002, s'inscrit dans ce cadre. Il a pour objet de renforcer d'harmoniser les mesures d'assistance pouvant être prises par les autorités compétentes lorsqu'un éloignement avec ou sans escorte doit transiter par un aéroport d'un autre Etat membre.

Il impose aux Etats membres de vérifier en priorité si l'éloignement par un vol direct n'est pas envisageable, afin d'éviter les difficultés pouvant naître du transit. Le texte prévoit également plusieurs motifs de refus d'assistance. Un Etat membre pourra ainsi refuser le transit notamment :

- si la personne concernée risque un traitement inhumain ou dégradant, la torture ou la peine de mort ou que sa vie serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ;

- si la personne concernée est accusée d'infractions pénales graves ou si elle constitue une menace pour l'ordre public de l'Etat requis ;

- ou pour des raisons pratiques.

Les mesures d'assistance prévues comprennent notamment l'accueil à l'avion et l'escorte jusqu'au vol de correspondance, l'attente dans un local fermé si nécessaire, l'usage de l'autorité publique pour empêcher d'éventuels actes de résistance, des soins médicaux d'urgence et le ravitaillement de la personne concernée et de l'escorte si nécessaire.

Ce texte, qui a été modifié sur plusieurs points au cours des discussions, ne pose plus de difficultés majeures aux Etats membres. Les questions restant en débat, relatives à l'accord explicite ou implicite de l'Etat requis et au remboursement des frais encourus par l'Etat requérant, ont en effet reçu une solution satisfaisante.

La Délégation a approuvé ce projet de texte.

M. Thierry Mariani a ensuite présenté un projet de conclusions portant sur la proposition de directive relative au statut des ressortissants de longue durée, compte tenu des importantes questions de principe soulevées par ce texte.

M. Jérôme Lambert s'est interrogé, en ce qui concerne le premier point des conclusions, sur l'opportunité de porter le délai de résidence nécessaire pour l'octroi du statut de trois à cinq ans. Il a souligné que l'allongement de la durée durant laquelle le permis de séjour est renouvelé tous les ans ne favorisera pas l'intégration. Les personnes concernées sont en effet placées durant cette période dans une situation de précarité, en particulier en ce qui concerne l'accès à l'emploi.

M. Thierry Mariani a précisé que la durée de la carte française de résident restera de dix ans et que la France, tout en s'inscrivant clairement dans un contexte d'harmonisation européenne, défend une position plus avancée et plus généreuse à l'égard des personnes ayant fait la preuve de leur volonté d'intégration que la plupart de ses partenaires. Elle cherche en effet à assurer l'égalité de traitement la plus complète possible, dans un objectif d'intégration.

A l'issue de ce débat, la Délégation a adopté les conclusions suivantes :

« La Délégation pour l'Union européenne,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition de directive du Conseil relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée [COM (2001 127 final /E 1741)],

I. En ce qui concerne l'acquisition du statut de résident de longue durée :

1. souhaite que l'octroi du statut soit subordonné à une durée de résidence légale et ininterrompue de cinq ans ;

2. n'accepte l'exclusion des réfugiés et des personnes bénéficiant d'une protection subsidiaire du champ d'application de la proposition que compte tenu de l'engagement pris par la Commission de déposer une proposition sur ce sujet dans un délai d'un an ;

3. se félicite que la délivrance du statut puisse être subordonnée par les Etats membres à des conditions d'intégration.

II. En ce qui concerne les droits accordés au titre du statut :

4. recommande que les résidents de longue durée bénéficient d'une égalité de traitement la plus complète possible, dans le premier Etat membre ayant délivré le statut comme dans les autres ;

5. souhaite que la mobilité des résidents de longue durée au sein de l'Union soit effective et qu'aucune condition supplémentaire ne soit imposée sur ce point. »

1 () Délégation pour l'Union européenne de l'Assemblée nationale, rapport d'information n° 817 de M. Thierry Mariani, Quelle politique d'asile pour l'Europe ?, mai 2003.

2 () Communication de la Commission en vue de la présentation d'un Plan d'action pour la collecte et l'analyse des statistiques communautaires dans le domaine des migrations (COM [2003] 179 final), 15 avril 2003.

3 () OCDE- SOPEMI, Tendances des migrations internationales, 2002.

4 () Source : OCDE-SOPEMI.

5 () David Thorogood et Karin Winqvist, « Migrations de femmes et d'hommes en provenance et à destination de l'Union européenne », Eurostat, Statistiques en bref, thème 3, 2/2003.

6 () Organisation internationale des migrations, World Migration 2003, Table 2.2.

7 () David Thorogood et Karin Winqvist, op. cit.

8 () Michel Gevrey, Les défis de l'immigration future, Conseil économique et social, 2003 (à partir du rapport 2001 du SOPEMI).

9 () François Héran, « Les recherches sur l'immigration et l'insertion : avancées, débats, perspectives », in Commissariat général du Plan, Immigration, marché du travail, intégration, La documentation Française, 2002.

10 () Michel Gevrey, Les défis de l'immigration future, Conseil économique et social, 2003.

11 () Commissariat général du Plan, op. cit.

12 () Richard B. Freeman, « L'immigration et le modèle économique américain : la main d'œuvre qualifiée et non qualifiée originaire de l'immigration dans les années 1990 aux Etats-Unis », in Commissariat général du Plan, op. cit.

13 () Philippe Colombani (dir.), IFRI, Le commerce mondial au 21e siècle. Scénarios pour l'Union européenne, mai 2003.

14 () United Nations, Population Division, Replacement Migration : Is it a Solution to Declining and Ageing Populations ? New York, 2000 (ESA/P/WP.160).

15 () Cf. rapport d'information de M. Alain Barrau, 27 avril 2000, p. 79 s., pour la directive relative au regroupement familial, et la communication du rapporteur présentée lors de la réunion de la Délégation du 28 mai 2003, en annexe au présent rapport, sur la directive relative au statut des résidents de longue durée.

16 () En cas de mariage polygame, le regroupement familial n'est pas autorisé si le regroupant a déjà un conjoint vivant avec lui sur le territoire d'un Etat membre.

17 () UNHCR, « Le HCR exprime son mécontentement quant aux nouvelles directives de l'Union européenne sur la réunification familiale », communiqué de presse du 23 septembre 2003.

18 () Cette loi devrait être prochainement promulguée, le Conseil constitutionnel, saisi par plus de soixante députés et par plus de soixante sénateurs, ayant rendu sa décision le 20 novembre dernier (déc. n° 2003-484 DC).

19 () Ce contrat d'intégration fait déjà l'objet d'une expérimentation depuis le 1er juillet 2003, dans douze départements pilotes.

20 () Communication sur une politique communautaire en matière d'immigration
(COM [2000] 757 final), 22 novembre 2000.

21 () Communication sur une méthode ouverte de coordination de la politique communautaire en matière d'immigration (COM [2001] 387 final), 11 juillet 2001.

22 () Communication de la Commission au Conseil, au Parlement européen, au Comité économique et social européen et au Comité des régions sur l'immigration, l'intégration et l'emploi, COM [2003] 336 final, 3 juin 2003.

23 () Proposition de directive du Conseil relative aux conditions d'entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers à des fins d'emploi ou d'une activité économique indépendante (COM [2001] 386 final), 11 juillet 2001.

24 () Patrick Weil, « Populations en mouvement, Etat inerte ? », in Roger Fauroux, Bernard Spitz, Notre Etat, Robert Laffont, p. 413 s.

25 () Circulaire DPM/DMI 2 n° 2002-26 du 16 janvier 2002.

26 () François Héran, op. cit.

27 () Proposition de directive du Conseil relative aux conditions d'entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers aux fins d'études, de formation professionnelle ou de volontariat (COM [2002] 548 final), 7 octobre 2002.

28 () Communication de la Commission au Conseil, au Parlement européen, au Comité économique et social européen et au Comité des régions sur l'immigration, l'intégration et l'emploi, COM [2003] 336 final, 3 juin 2003.

29 () Plan global de lutte contre l'immigration clandestine et la traite des êtres humains dans l'Union européenne, JOCE C 142/23, 14 juin 2002.

30 () Proposition de directive relative au titre de court séjour délivré aux ressortissants de pays tiers victimes de la traite des êtres humains ou ayant fait l'objet d'une aide à l'immigration clandestine et qui coopèrent avec les autorités compétentes (COM [2002] 71 final/E 1954).

31 () Initiative du Royaume d'Espagne en vue de l'adoption de la directive du Conseil concernant l'obligation pour les transporteurs de communiquer les données relatives aux personnes transportées (7161/03 - E 2250)

32 () Délégation pour l'Union européenne de l'Assemblée nationale, rapport d'information n° 817 de M. Thierry Mariani, Quelle politique d'asile pour l'Europe ?, mai 2003.

33 () Proposition de règlement du Conseil modifiant le règlement (CE) n° 1683/95 établissant un modèle type de visa et proposition de règlement du Conseil modifiant le règlement (CE) n° 1030/2002 établissant un modèle uniforme de titre de séjour pour les ressortissants de pays tiers (COM [2003] 558 final - E 2403).

34 () Cf., sur ce sujet, le rapport de M. Christian Cabal, Méthodes scientifiques d'identification des personnes à partir de données biométriques et techniques de mise en œuvre, Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, rapport n° 938 (Assemblée nationale) et n° 355 (Sénat).

35 () Proposition de règlement du Conseil établissant l'obligation pour les autorités compétentes des Etats membres de procéder au compostage systématique des documents de voyage des ressortissants de pays tiers au moment du franchissement des frontières extérieures des Etats membres, et modifiant à cette fin la convention d'application de l'accord de Schengen et le manuel commun, 6 novembre 2003 (COM [2003] 664 final).

36 () Proposition de règlement du Conseil portant création d'un régime propre au petit trafic frontalier aux frontières terrestres extérieures des Etats membres ; proposition de règlement du Conseil portant création d'un régime propre au petit trafic frontalier aux frontières terrestres extérieures temporaires entre les Etats membres, 14 août 2003 (COM [2003] 502 final).

37 () Communication de la Commission européenne au Conseil et au Parlement européen sur une gestion intégrée des frontières extérieures des Etats membres de l'Union européenne, 7 mai 2002, COM [2002] 233 final.

38 () Plan pour la gestion des frontières extérieures des Etats membres de l'Union européenne, 14 juin 2002, 10019/02.

39 () Feasibility Study for the Setting Up of a European Border Police, Rome, mai 2002.

40 () Le programme Oisin, créé en 1997, a pour objet de prévenir, détecter et combattre le terrorisme et la criminalité en améliorant la coopération entre les services répressifs des Etats membres.

41 () CIVI.POL Conseil, Etude de faisabilité relative au contrôle des frontières maritimes, juillet 2003, 11490/03.

42 () Programme de mesures de lutte contre l'immigration clandestine par voie maritime dans les Etats membres de l'Union européenne, 13 novembre 2003, 13791/1/03.

43 () Rapport sur la mise en œuvre des programmes, des centres ad hoc, des projets pilotes et des opérations conjointes, 11 juin 2003, 10058/1/03.

44 () Michel Beine, Frédéric Docquier et Hillel Rapoport, « Brain Drain and Growth in LDCs : Winners and Losers », Center for Research on Economic Development and Policy Reform, Working Papers Series, n° 129, Stanford University, mars 2002.

45 () Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant un programme d'assistance technique et financière en faveur de pays tiers dans le domaine de l'asile et des migrations (COM [2003] 355 final/E 2323).

© Assemblée nationale