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N° 1372

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 21 janvier 2004

RAPPORT D'INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA DÉLÉGATION DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE

POUR L'UNION EUROPÉENNE (1),

sur la Charte de l'environnement et le droit européen,

ET PRÉSENTÉ

par M. Bernard DEFLESSELLES,

Député.

________________________________________________________________

(1) La composition de cette Délégation figure au verso de la présente page.

La Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne est composée de : M. Pierre Lequiller, président ; MM. Jean-Pierre Abelin, René André, Mme Elisabeth Guigou, M. Christian Philip, vice-présidents ; MM. François Guillaume, Jean-Claude Lefort, secrétaires ; MM. Alfred Almont, François Calvet, Mme Anne-Marie Comparini, MM. Bernard Deflesselles, Michel Delebarre, Bernard Derosier, Nicolas Dupont-Aignan, Jacques Floch, Pierre Forgues, Mme Arlette Franco, MM. Daniel Garrigue, Michel Herbillon, Marc Laffineur, Jérôme Lambert, Edouard Landrain, Robert Lecou, Pierre Lellouche, Guy Lengagne, Louis-Joseph Manscour, Thierry Mariani, Philippe Martin, Jacques Myard, Christian Paul, Didier Quentin, André Schneider, Jean-Marie Sermier, Mme Irène Tharin, MM. René-Paul Victoria, Gérard Voisin.

SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION 9

I. « L'extension du domaine de la crise » 9

A. Le temps de la commisération 10

B. Le temps du monde fini 11

II. l'implication personnelle du President de la Republique 13

A. Le rejet de la voie jurisprudentielle 14

B. La première traduction concrète d'une proposition souvent formulée 16

III. L'indispensable dimension internationale 18

A. De la Charte de l'environnement à l'alliance mondiale pour le développement durable 18

B. La page n'était pas blanche 19

PREMIERE PARTIE : UN TEXTE ORIGINAL ET EQUILIBRE 21

I. POURQUOI CONSTITUTIONNALISER L'ENVIRONNEMENT ? 23

II. UNE PROCEDURE D'ELABORATION DE LA CHARTE INTEGRANT LE PRINCIPE DE PARTICIPATION AUX DECISIONS PUBLIQUES 27

A. Une ample association de la « société civile » 28

1) La Commission Coppens 28

2) De multipes instances de consultation 29

B. Un texte issu d'une expression populaire ? 30

III. UNE CHARTE « ADOSSEE » A LA CONSTITUTION 33

A. Les diverses solutions envisagées 33

B. Une formule innovante 35

C. L'orthodoxie constitutionnelle française mise à mal 36

IV. UN CONTENU EQUILIBRE 39

A. Un texte participant d'une écologie humaniste 39

1) Un droit pour l'homme 39

2) L'environnement, patrimoine commun des êtres humains 41

3) La promotion du développement durable 44

B. La proclamation conjointe de droits et de devoirs 47

C. De nombreux renvois à des interventions ultérieures du législateur. 50

DEUXIEME PARTIE : LA CHARTE DE L'ENVIRONNEMENT AU PRISME DU DROIT EUROPEEN 55

I. UN DROIT A L'ENVIRONNEMENT CONSACRE DE MANIERE SENSIBLEMENT PLUS ETENDUE QUE DANS LES AUTRES CONSTITUTIONS EUROPEENNES 57

A. Des dispositions de portée normative variable 57

1) Le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et favorable à la santé 57

a) Des contours discutés 57

b) Un droit de la troisième génération 60

2) Un droit encadré par des éléments juridiques plus incertains 61

a) Des considérants non dénués de valeur juridique 61

b) L'importance des principes en droit de l'environnement 63

(1) Une constitutionnalisation nécessaire 64

(2) Un droit procédural 65

(3) Une improbable hiérarchisation a priori 70

B. Une singularité française 71

1) L'environnement visé par les constitutions de la plupart des Etats membres 72

a) Quatre Etats n'ont pas élevé la protection de l'environnement au niveau constitutionnel 76

b) Les pays du Sud de l'Europe sont les plus prolixes 77

2) Les caractères spécifiques de la Charte de l'environnement 78

a) La spécialité 83

b) L'affirmation d'un droit subjectif à l'environnement 83

c) L'universalisme 85

3) Des traités européens en retrait 87

a) Le droit à l'environnement réduit au rôle de principe directeur du droit communautaire 88

b) La protection indirecte de l'environnement par la Cour européenne des droits de l'homme 89

II. L'AFFIRMATION RAISONNEE DU PRINCIPE DE PRECAUTION 91

A. Une définition plus précise du principe pour mettre fin à son mauvais usage 94

1) Distinguer prévention et précaution 94

2) La précaution comme principe d'action 96

a) Une familiarité trompeuse identifiant à tort le principe à une règle d'abstention 96

b) Les réticences des scientifiques et des acteurs économiques 99

3) Les principaux éléments de la définition retenue par la Charte 101

a) L'évaluation du risque 101

(1) Seul le domaine environnemental est expressément mentionné 102

(2) La précaution implique une incertitude scientifique 102

(3) Le dommage doit être susceptible d'affecter l'environnement de manière grave et irréversible 103

b) La gestion du risque 104

(1) Un principe ne visant directement que les autorités publiques 104

(2) L'adoption de mesures provisoires et proportionnées 106

(3) La mise en œuvre concommittante de procédures d'évaluation des risques 109

B. Le principe de précaution en Europe 110

1) Un degré de réception du principe différent selon les Etats 110

a) L'Allemagne 111

b) La Suède 112

c) Les Pays-Bas 112

d) La Belgique 113

e) Le Royaume-Uni 113

2) Un principe général du droit communautaire 115

a) Des éléments de définition fournis par le droit déclaratoire 115

b) Un usage étendu par le juge communautaire 119

III. DES CONSEQUENCES CONTENTIEUSES QUI N'APPARAISSENT PAS EXCESSIVES 123

A. Une contribution à la réparation des dommages englobant le principe pollueur-payeur 125

1) L'absence de mention expresse du « pollueur-payeur » 126

2) L'ambiguïté de la « contribution » 127

B. La conciliation du droit à l'environnement avec les autres droits fondamentaux 128

C. Les propositions communautaires susceptibles d'influencer le droit de la responsabilité 132

1) La proposition de directive sur la responsabilité environnementale 133

2) La proposition de directive relative à la protection de l'environnement par le droit pénal 134

TROISIEME PARTIE : LA CHARTE DE L'ENVIRONNEMENT ET LA PRIMAUTE DU DROIT COMMUNAUTAIRE 137

I. UNE COMPETENCE PARTAGEE 139

A. L'inscription tardive dans le traité d'une compétence communautaire d'attribution 139

B. La compétence étatique restreinte dans les faits 145

1) Une compétence de droit commun et une compétence résiduelle 145

2) Les difficultés rencontrées dans la mise en œuvre du droit communautaire par les Etats membres 147

II. DES CONFLITS DE NORMES ENVISA-GEABLES, MAIS PEU PROBABLES 149

A. La primauté absolue du droit communautaire n'est pas reconnue par les juridictions françaises 150

B. Des procédures internes visant à prévenir les conflits avec de nouvelles normes communautaires 153

C. Des risques de conflits réduits par les conditions encadrant l'intervention des textes nationaux 155

CONCLUSION 159

TRAVAUX DE LA DELEGATION 161

1) Audition de Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de l'écologie et du développement durable, sur l'environnement et le droit communautaire, le mercredi 14 janvier 2004 161

2) Réunion de la Délégation du mercredi 21 janvier 2004 172

ANNEXES 177

Annexe 1 : Liste des personnes entendues par le rapporteur 179

Annexe 2  : Résumé de la communication de la Commission sur le recours au principe de précaution 181

Annexe 3  : Résolution du Conseil européen de Nice sur le recours au principe de précaution (7-10 décembre 2000) 185

Annexe 4 : Projet de protocole relatif au développement durable 191

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

« Notre maison brûle et nous regardons ailleurs. La nature, mutilée, surexploitée, ne parvient plus à se reconstituer, et nous refusons de l'admettre (...). La terre et l'humanité sont en péril et nous en sommes tous responsables. Il est temps, je crois, d'ouvrir les yeux (...). Nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas ! Prenons garde que le XXIe siècle ne devienne pas, pour les générations futures, celui d'un crime de l'humanité contre la vie. »

Prononcé devant l'Assemblée plénière du sommet mondial sur le développement durable, réuni à Johannesburg du 26 août au 4 septembre 2002, ce vibrant plaidoyer du Chef de l'Etat, M. Jacques Chirac, a connu un fort retentissement. Alarmiste et constructif, il reflète l'émergence d'une conscience nouvelle du risque environnemental. Il traduit également l'investissement personnel du Président de la République, qui l'a conduit à proposer aux Français une Charte de l'environnement adossée à la Constitution, dans un domaine qui ne peut être abordé dans le seul cadre national.

I. « L'extension du domaine de la crise »

Dans un ouvrage récent retraçant l'« Histoire de l'environnement européen »(1), Robert Delort et François Walter constatent que « durant le dernier demi-siècle, la place de l'environnement dans les préoccupations des occidentaux s'est transformée, pour passer du statut de vague inquiétude à celui d'enjeu crucial pour la survie de l'humanité. »

A. Le temps de la commisération

Jusqu'à ces dernières décennies, sous l'influence intellectuelle de Bacon et de Descartes, « une idée dominait selon laquelle l'homme, être de raison, jouissait dans le monde d'une position spécifique et impartagée, l'autorisant à soumettre et à domestiquer par tous les moyens la nature »(2). Cette soumission fut d'abord théorique, par la simple connaissance des lois de la nature, mais elle permit aussi une domination pratique car « si l'univers est sur le plan théorique calculable et prévisible, il est sur le plan pratique manipulable et corvéable à merci »(3).

Cela ne signifie pas pour autant que les sociétés du passé se désintéressaient de leur environnement. Une politique urbaine d'amélioration de la salubrité publique a été conduite par des intendants à la veille de la Révolution. La législation actuelle sur les installations classées trouve ses origines dans un décret napoléonien du 15 octobre 1810, visant à exclure des zones urbaines les établissements réputés insalubres ou dangereux, et ses prémisses pourraient même être recherchées jusqu'au XIVe siècle(4).

Toutefois, l'environnement n'était pas encore distingué des préoccupations de police administrative, tenant à la sécurité et à la salubrité publiques. Tout au plus s'accordait-on pour sauvegarder, dans un mouvement où les considérations d'ordre esthétique étaient loin d'être négligeables, quelques sites strictement délimités : à l'initiative de l'Ecole de Barbizon fut ainsi créée une réserve en forêt de Fontainebleau en 1853, un an avant la création du premier parc national aux Etats-Unis (la vallée de Yosemite).

Les équilibres naturels semblaient immuables et Jacques Ellul pouvait écrire au début des années 1970 « lorsqu'il y a trente ans, quelques rares originaux dénonçaient la destruction du cadre naturel (...), les réactions provoquées étaient de commisération »(5).

B. Le temps du monde fini

Une évolution fondamentale s'est produite ces dernières années dans l'appréciation collective et individuelle du risque environnemental et « on semble bien être en présence d'une sorte d'extension du domaine de la crise »(6), imputable à plusieurs causes :

- de façon manifeste, la succession de grandes catastrophes écologiques (Seveso, Bhopal, Tchernobyl, naufrages de l'Amoco Cadiz, de l'Erika et du Prestige, explosion de l'usine AZF...) et la médiatisation des débats scientifiques sur les changements climatiques ou la réduction de la couche d'ozone ont clairement démontré que la menace n'est plus locale mais globale ; elle n'est plus individuelle, elle est devenue collective ;

- une crainte malthusienne saisit, par ailleurs, une humanité n'ayant franchi le cap du milliard d'individus coexistants qu'au début du XIXe siècle et qui assiste à sa croissance exponentielle : deux milliards d'êtres humains au sortir du second conflit mondial, six milliards au seuil des années 1990 et probablement dix milliards à la moitié du XXIe siècle ;

- plus fondamentalement, les progrès scientifiques et techniques suscitent une double interrogation. D'une part, ces progrès donnent à l'humanité, pour la première fois de son histoire, les moyens d'influer durablement sur les milieux naturels, de rendre la terre inhabitable, ce qui conduit à remettre en cause la notion même de progrès et à recadrer les objectifs de la science. Dans son ouvrage sur « La société du risque »(7), rédigé juste après la catastrophe de Tchernobyl, le sociologue allemand Ulrich Beck estime ainsi qu'après une « première modernité », qui prit son essor au XVIIIe siècle et s'achève aujourd'hui, les sociétés occidentales seraient entrées dans une deuxième phase où ce n'est plus la nature qui engendre les risques majeurs, mais la recherche scientifique ; ce n'est donc plus la première qu'il faudrait dominer, mais bien la seconde. D'autre part, la révolution de la vitesse issue des modes de transport modernes et des techniques de communication à distance a transformé notre approche de l'environnement : « Nous n'occupons plus un lieu déterminé de l'espace mais une configuration de lieux simultanés. Cette conquête de l'ubiquité a pour revers un déracinement et une perte de repères, voire d'identité. Voici que l'espace terrestre, au lieu de s'élargir comme jadis, se rétrécit et se replie sur soi »(8). Cette évolution, que Paul Valéry avait résumé par « le temps du monde fini commence », a été parachevée lorsque l'homme, ayant marché sur la Lune, a pris conscience de la spécificité et de la singularité de sa planète et de l'urgence de remédier à « tous les défauts de la terre »(9).

Ce n'est probablement pas un hasard si les premières mesures politiques concrètes de protection de l'environnement ont été entreprises au tournant des années 1970. Sur le plan international, la tenue à l'UNESCO, en 1968, de la conférence intergouvernementale d'experts sur les bases scientifiques de l'utilisation rationnelle et de la conservation des ressources naturelles de la biosphère a débouché sur la première conférence mondiale des Nations unies sur l'environnement, organisée à Stockholm en 1972. En France, un Haut comité de l'environnement est institué en 1970, puis le ministère de la protection de la nature est créé en janvier 1971.

Confortées par l'action des nombreuses associations, dont le rôle a souvent été fondamental pour alerter l'opinion et les élus sur la gravité des menaces, les politiques mises en œuvre ont déjà obtenu quelques succès, prouvant par là-même que les évolutions défavorables n'ont pas nécessairement un caractère irréversible. Le récent rapport de l'Agence européenne pour l'environnement(10) constate ainsi :

« Lorsqu'elles ont été élaborées et mises en œuvre raisonnablement, les politiques environnementales ont, dans de nombreux domaines, entraîné de nettes améliorations et une réduction des pressions sur l'environnement en Europe ».

« On a assisté à une réduction importante des émissions de substances appauvrissant la couche d'ozone, à une diminution des émissions atmosphériques, à une amélioration de la qualité de l'air et à une baisse des rejets dans l'eau par les sources ponctuelles qui a accru leur qualité. La biodiversité a de même profité des mesures visant la protection d'habitats ».

Le cas de la couche d'ozone est particulièrement significatif. Sa dégradation progressive imputable à l'utilisation d'un certain nombre de produits à base de composés chlorés s'est traduite par l'augmentation des rayons ultraviolets, néfastes pour la santé humaine et les écosystèmes. La mise en œuvre de la convention de Vienne et de son protocole de Montréal a permis de faire chuter d'environ 90 % la production des produits incriminés en Europe occidentale. Aujourd'hui, la détérioration de la couche d'ozone semble stabilisée et son rétablissement complet est envisageable vers 2050.

Face aux menaces pesant sur notre environnement, il est donc encore possible d'agir, mais sans plus tarder. C'est bien pourquoi le Président de la République a choisi de constitutionnaliser le droit à l'environnement, pour affirmer symboliquement cette priorité.

II. l'implication personnelle du Président de la République

La Charte de l'environnement constituera sans aucun doute un temps fort du second mandat du Chef de l'Etat et il n'est pas anodin que la préparation de la Charte ait été examinée dès le Conseil des ministres du 5 juin 2002, au sortir des élections législatives ayant suivi sa propre réélection. Comme le souligne le rapport de la Commission Coppens : « la Charte est d'abord une démarche politique, avant d'être juridique, dont la portée est éminemment symbolique ».

On aurait pu attendre que la jurisprudence du Conseil constitutionnel accorde une garantie supra-législative à l'environnement, mais le Président de la République, suivant en cela de nombreuses suggestions formulées par le passé par des hommes politiques de tous bords, a préféré opter pour une consécration solennelle du droit à l'environnement.

A. Le rejet de la voie jurisprudentielle

Le Conseil constitutionnel a déjà pris en compte les considérations environnementales. Ainsi, dans la décision
n° 85-189 DC du 17 juillet 1985, il a admis la possibilité de soumettre à autorisation les divisions de terrain au nom de la « qualité des sites, des milieux naturels et des paysages ». De même, dans sa décision n° 2000-441 DC du 28 décembre 2000, il n'a censuré l'extension de la taxe générale sur les activités polluantes que parce que les dispositions contestées ne prenaient pas en compte la réalité de l'atteinte à l'environnement opérée par les entreprises redevables et n'étaient donc pas adaptées à l'objectif environnemental poursuivi par le législateur.

Toutefois, lorsque l'occasion lui a été fournie d'affirmer spécifiquement l'existence d'un droit constitutionnel à l'environnement, le Conseil s'y est refusé. Invité par une « saisine sauvage » de M. Antoine Waechter à annuler une disposition de la loi relative à la révision générale des valeurs locatives des immeubles retenus pour la détermination des bases d'imposition locales, disposition concernant la construction d'unités touristiques en bordure des lacs de montagne, le Conseil s'est saisi d'office de cette mesure qu'il a annulée pour des raisons de forme, sans reprendre à son compte des arguments de fond revenant à affirmer la valeur constitutionnelle de la protection de l'environnement (décision n° 90-277 DC du 25 juillet 1990)(11).

Pourtant, plusieurs dispositions de nature constitutionnelle pourraient probablement être exploitées pour constitutionnaliser l'environnement. Si le caractère récent des lois les plus générales en ce domaine semble exclure la consécration de la protection de l'environnement comme « principe fondamental reconnu par les lois de la République », certains auteurs(12) estiment que la voie des « principes particulièrement nécessaires à notre temps » aurait pu être explorée, en s'appuyant notamment sur les articles 10,11 et 12 du Préambule de la Constitution de 1946 (respectivement « La nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement » ; « La nation garantit à tous la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs » et « ...la solidarité et l'égalité de tous les Français devant les charges qui résultent des calamités nationales »). D'autres principes constitutionnels ont été évoqués comme fondements éventuels du droit à l'environnement, en particulier les principes de dignité de la personne et de libre épanouissement de la personnalité, consacrés par la décision 94-343/344 DC du 27 juillet 1994(13).

Les cours constitutionnelles italiennes et allemandes ont su tirer partie de dispositions similaires pour consacrer l'environnement. S'appuyant sur l'article 32, alinéa 1, de la Constitution, aux termes duquel « la République protège la santé en tant que droit fondamental de l'individu et intérêt de la collectivité », la Cour constitutionnelle italienne a reconnu le droit à l'environnement. En Allemagne, la Cour de Karlsruhe, par une interprétation extensive de l'article 2 de la Loi fondamentale qui garantit le droit à la vie et au libre épanouissement de la personnalité, a légitimé un certain nombre d'actions publiques en faveur de l'environnement, avant que l'amendement constitutionnel du 27 octobre 1994 insère un article 20a, confiant à l'Etat le soin de protéger les conditions naturelles indispensables à la vie.

Sans attendre une éventuelle évolution comparable de la jurisprudence constitutionnelle française, le Président de la République a engagé le processus visant à l'adoption d'une Charte de l'environnement « adossée à la Constitution ».

B. La première traduction concrète d'une proposition souvent formulée

Faisant suite au souhait exprimé par le Président Georges Pompidou dans une déclaration du 28 février 1970 à Chicago, de « créer et répandre une sorte de morale de l'environnement imposant à l'Etat, aux collectivités, aux individus, le respect de quelques règles élémentaires faute desquelles le monde deviendrait irrespirable »(14) plusieurs hommes politiques, tant de droite que de gauche, ont proposé de constitutionnaliser le droit à l'environnement.

La plupart de ces propositions visaient à modifier le Préambule de la Constitution(15). Cette solution fut notamment préconisée par M. Jean Lecanuet, Garde des sceaux, dans un discours de La Roche-sur-Yon le 23 janvier 1976, par M. Laurent Fabius le 4 mars 1989 à l'occasion du bicentenaire de la Révolution française, par Mme Ségolène Royal lors de la discussion de la réforme constitutionnelle du 4 août 1995 ou par Mme Roselyne Bachelot-Narquin dans une proposition de loi constitutionnelle du 11 février 2000 (n° 2181).

D'autres propositions ont suggéré l'insertion d'un nouvel article dans le texte même de la Constitution. Ainsi, la mission interministérielle pour la célébration du cinquantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme envisageait, en 1998, l'adoption d'un nouvel article prônant que « tout être humain a le droit de vivre dans un environnement de qualité, propre à assurer sa santé physique et mentale, son épanouissement et sa dignité. Il a le devoir individuel et collectif de sauvegarder l'environnement au bénéfice de l'humanité présente et future ». Tout récemment, une proposition de loi constitutionnelle du 20 mai 2003 (n° 867) de Mme Christine Boutin visait à la création d'un article 42 bis pour inscrire le concept de développement durable dans l'exposé des motifs des propositions et projets de loi.

La constitutionnalisation du droit de l'environnement a également été envisagée par le biais d'une redéfinition du domaine de la loi prévu par l'article 34 de la Constitution. Cette solution était retenue, par exemple, dans le rapport d'information de M. Michel Barnier du 11 avril 1990 sur la politique de l'environnement (n° 1227).

Plus proches de la Charte présentement examinée, diverses propositions visaient à inscrire le droit à l'environnement et un certain nombre de principes le prolongeant dans le cadre d'une déclaration des droits nouveaux. C'était le cas d'une proposition de loi constitutionnelle de M. Edgar Faure déposée en 1977 à l'issue des travaux d'une commission spéciale saisie de trois textes signés respectivement par MM. Jean Foyer, Gaston Deferre et par les membres du groupe communiste (nos 2080, 2131 et 2128). Cette démarche a également été adoptée par M. Noël Mamère dans une proposition de loi constitutionnelle de 1997 (n° 514), tendant à rajouter un titre II à la Déclaration des droits de 1789.

On peut noter, enfin, que - sans se prononcer sur la forme - M. Edouard Balladur s'était engagé, lors de la campagne présidentielle de 1995 (discours du 1er avril 1995 au Mont Saint-Michel), à faire inscrire le « droit à un environnement sain » dans la Constitution.

Aucune de ces démarches n'ayant abouti, il revient au Président Jacques Chirac le mérite d'avoir pesé de toute son influence pour que la protection de l'environnement accède enfin au rang de valeur constitutionnelle.

Dès le 3 mai 2001, à Orléans, il annonçait : « Le droit à un environnement protégé et préservé doit être considéré à l'égal des libertés publiques. Il revient à l'Etat d'en affirmer le principe et d'en assurer la garantie. Et je souhaite que cet engagement public et solennel soit inscrit par le Parlement dans une Charte de l'environnement adossée à la Constitution et qui consacrerait les principes fondamentaux, cinq principes fondamentaux afin qu'ils soient admis au nombre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ». Quelques mois plus tard, le 18 mars 2002, dans un discours à Avranches, il précisait : « Je proposerai aux Français d'inscrire le droit à l'environnement dans une Charte adossée à la Constitution, aux côtés des droits de l'homme et des droits économiques et sociaux. (...) La protection de l'environnement deviendra un intérêt supérieur qui s'imposera aux lois ordinaires. Le Conseil constitutionnel, les plus hautes juridictions et toutes les autorités publiques seront alors les garants de l'impératif écologique ». Dès lors, le nouveau Premier ministre, M. Jean-Pierre Raffarin, devait reprendre dans son discours de politique générale, du 3 juillet 2002, cet objectif comme l'une des priorités de l'action gouvernementale.

III. L'indispensable dimension internationale

Le nuage de Tchernobyl ne s'est pas arrêté aux frontières de l'hexagone et il serait illusoire de traiter de la pollution atmosphérique ou de l'effet de serre sans dépasser le strict cadre national. La Charte de l'environnement n'est d'ailleurs perçue par le Chef de l'Etat que comme l'une des facettes de son action dans ce domaine. En conclusion de son discours aux premières assises de la Charte, à Nantes, le 29 janvier 2003, il soulignait ainsi : « Pour renforcer notre diplomatie environnementale, pour obtenir des avancées de la part des autres pays (...) l'adoption de notre Charte constituera un atout essentiel ». Par ailleurs, les principales dispositions de la Charte sont fortement influencées et inspirées par le droit international, notamment par le droit communautaire.

A. De la Charte de l'environnement à l'alliance mondiale pour le développement durable

L'article 10 de la Charte prévoit que cette dernière doit inspirer l'action européenne et internationale de la France.

L'exposé des motifs précise qu'« en adoptant ce texte, la France s'impose à elle-même une exigence de responsabilité et d'éthique et se dote ainsi d'un levier politique pour promouvoir, en Europe et dans le monde, une écologie humaniste, dans une logique d'intérêt commun à tous les peuples et de solidarité avec les générations futures ».

La Charte est donc un élément primordial de l'action pionnière que la France entend mener sur la scène internationale en matière d'environnement, qui a conduit le Chef de l'Etat à proposer aux pays développés et aux pays en développement de conclure, lors du sommet de Johannesburg, « l'alliance mondiale pour le développement durable ». Cette alliance devrait permettre de faire face à plusieurs chantiers prioritaires, au nombre desquels figurent la modification des modes de production et de consommation, la maîtrise et l'humanisation de la mondialisation (notamment grâce à la création d'une Organisation mondiale de l'environnement fédérant les efforts déjà entrepris et assurant le suivi des engagements souscrits), l'éradication de la pauvreté et l'établissement d'un nouveau partenariat Nord-Sud.

B. La page n'était pas blanche

Cette formule employée par le professeur Yves Coppens, Président de la Commission de préparation de la Charte, lors de son audition(16), illustre le renversement des perspectives introduit par l'article 10 précité.

En effet, c'est en grande partie à « une réception du droit international et du droit communautaire qu'est invité à se livrer le constituant français »(17). La Charte, instrument de notre diplomatie environnementale, est dans une large mesure inspirée par les normes internationales.

Depuis la fin des années 1960, le droit international et le droit communautaire ont effectivement investi la question de l'environnement. La première mention explicite de l'environnement (« milieu » dans le texte français) dans un instrument obligatoire se trouve dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, adopté en 1966, dont l'article 12 prévoit que les Etats parties devront prendre pour assurer le plein exercice du droit à la santé les mesures nécessaires pour « l'amélioration de tous les aspects de l'hygiène du milieu (environmental hygiene, dans la version anglaise) et de l'hygiène industrielle ». Les textes internationaux en matière d'environnement n'ont cessé de se développer depuis lors. Même les règles visant à humaniser la conduite de la guerre font une place à cette préoccupation. Ainsi, le protocole I additionnel aux conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux, en date du 10 juin 1977, comporte un article 55 intitulé « Protection de l'environnement naturel », disposant que « La guerre sera conduite en veillant à protéger l'environnement naturel contre les dommages étendus, durables et graves ».

Aujourd'hui, la France est partie à plus de 120 accords internationaux en matière d'environnement, tant bilatéraux que régionaux ou multilatéraux au niveau de l'ONU. Environ 20 autres accords sont signés ou en cours d'approbation(18). Selon les propos de Mme Sandrine Maljean-Dubois, membre du centre d'études et de recherches internationales et communautaires (CERIC) de l'Université d'Aix-Marseille III, 80 % du droit français régissant actuellement le secteur environnemental seraient ainsi issus du droit communautaire (lui-même résultant pour moitié du droit international).

On comprend, dès lors, pourquoi la Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne a tenu à se saisir de cette question et à examiner les relations entre la Charte de l'environnement et le droit européen.

Après avoir présenté les principales caractéristiques de la Charte, ses dispositions seront étudiées au prisme du droit européen (notion regroupant aussi bien le droit communautaire, le droit constitutionnel des Etats membres et le droit issu de la Convention européenne des droits de l'homme), afin de mieux évaluer leur portée, grâce à une approche comparative. La coexistence de règles communautaires et nationales soulevant nécessairement la question de la hiérarchie des normes, les articles du projet de loi constitutionnelle seront examinés, ensuite, au regard du principe de primauté du droit communautaire.

PREMIERE PARTIE :
UN TEXTE ORIGINAL ET EQUILIBRE

Au cours des auditions réalisées par le rapporteur, deux qualificatifs ont fréquemment été employés pour définir le présent projet de loi constitutionnelle : « original » et « équilibré ».

Ce texte, qui vise à réviser pour la dix-huitième fois la Constitution du 4 octobre 1958 - pour la quatorzième fois en moins de douze ans -, comporte de nombreuses particularités, qui ont été relevées aussi bien par MM. Yves Jégouzo et François Loloum, juristes membres de la Commission Coppens, que par des constitutionnalistes tels que MM. Louis Favoreu ou Didier Maus. Les spécificités de cette Charte tiennent aussi bien à la décision même de constitutionnaliser la protection de l'environnement qu'à la procédure retenue pour élaborer le texte et qu'à la forme choisie pour compléter la Constitution de la Ve République.

Le dispositif finalement soumis à l'examen su Parlement prend en compte les diverses préoccupations exprimées lors du processus d'élaboration et les principales parties intéressées (juristes, associations environnementales, entreprises et scientifiques) ont généralement formulé des appréciations positives à l'occasion de leurs auditions.

I. POURQUOI CONSTITUTIONNALISER L'ENVIRONNEMENT ?

La portée symbolique et politique de la réforme a largement été soulignée dans l'introduction du présent rapport. Dans cette optique, il est évident que la consécration constitutionnelle du droit à l'environnement donne une visibilité réelle de la nouvelle priorité de l'action gouvernementale. Néanmoins, la valeur juridique d'une révision constitutionnelle ne peut être ignorée. A cet égard, la Charte de l'environnement suscite une interrogation : en quoi est-il nécessaire d'élever au sommet de la hiérarchie nationale des normes, des règles figurant déjà, pour la plupart, dans notre dispositif législatif ?

Effectivement, dans le cadre du droit actuellement en vigueur, les grands textes protecteurs de l'environnement ou organisant des politiques en cette matière sont des textes législatifs.

Les dispositions de portée générale sont insérées notamment au sein des articles L.110-1 et L.110-2 du code de l'environnement, issus de la loi n° 95-101 du 2 février  1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement (dite « loi Barnier »).

France - Code de l'environnement

Article L. 110-1

I.- Les espaces, ressources et milieux naturels, les sites et paysages, la qualité de l'air, les espèces animales et végétales, la diversité et les équilibres biologiques auxquels ils participent font partie du patrimoine commun de la nation.

II.- Leur protection, leur mise en valeur, leur restauration, leur remise en état et leur gestion sont d'intérêt général et concourent à l'objectif de développement durable qui vise à satisfaire les besoins de développement et la santé des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. Elles s'inspirent, dans le cadre des lois qui en définissent la portée, des principes suivants :

1° Le principe de précaution, selon lequel l'absence de certitude, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l'adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l'environnement à un coût économiquement acceptable ;

2° Le principe d'action préventive et de correction, par priorité à la source, des atteintes à l'environnement, en utilisant les meilleures techniques disponibles à un coût économiquement acceptable ; 

3° Le principe pollueur-payeur, selon lequel les frais résultant des mesures de prévention, de réduction de la pollution et de lutte contre celle-ci doivent être supportés par le pollueur ;

4° Le principe de participation, selon lequel chacun a accès aux informations relatives à l'environnement, y compris celles relatives aux substances et activités dangereuses, et le public est associé au processus d'élaboration des projets ayant une incidence importante sur l'environnement ou l'aménagement du territoire.

Article L.110-2


Les lois et règlements organisent le droit de chacun à un environnement sain et contribuent à assurer un équilibre harmonieux entre les zones urbaines et les zones rurales.
Il est du devoir de chacun de veiller à la sauvegarde et de contribuer à la protection de l'environnement.
Les personnes publiques et privées doivent, dans toutes leurs activités, se conformer aux mêmes exigences.

Ces dispositions reconnaissent d'ores et déjà le droit à chacun à un environnement sain et énumèrent les principes encadrant ce droit : précaution, prévention, correction par priorité à la source, pollueur-payeur, participation... Toutefois, elles ne sont pas pleinement opératoires par elles-mêmes et renvoient à d'autres lois pour organiser le droit à l'environnement et définir la portée des principes.

Le législateur a également eu l'occasion d'adopter de nombreuses dispositions sectorielles (dans les domaines de l'eau, des déchets, du bruit, de l'air, des sols...). L'abondance de ces mesures est parfaitement illustrée par les huit pages de l'annexe 4 de l'avis adopté par le Conseil économique et social le 12 mars 2003, s'efforçant d'établir un classement thématique des principaux textes relatifs au droit de l'environnement.

Même s'il est indéniable que l'exercice de cette compétence législative est encadré par un certain nombre de normes à valeur constitutionnelle(19), la constitutionnalisation de l'environnement est pleinement justifiée par quatre raisons au moins.

1) Tout d'abord, l'invitation que le législateur s'était faite à lui-même d'organiser le droit à l'environnement et de définir la portée des principes est restée lettre morte, à l'exception des multiples dispositions législatives sur l'accès aux informations environnementales(20).

2) Dans son intervention, lors du colloque du 13 mars 2003 sur les enjeux scientifiques et juridiques de la Charte de l'environnement, M. Dominique Perben, Garde des sceaux et ministre de la justice, a souligné qu'en bénéficiant d'une valeur constitutionnelle, ce droit à l'environnement s'élèverait au-dessus du « maquis des textes législatifs nationaux ».

Les politiques environnementales ont été, jusqu'à présent, trop sectorielles, alors que l'environnement exige une approche globalisée, ce qui a favorisé une production législative et réglementaire abondante et parfois inapplicable. L'élévation au niveau constitutionnel de la protection de l'environnement devrait permettre d'introduire davantage de cohérence dans les politiques mises en œuvre.

Cette justification est loin d'être négligeable et il importe de noter que lors de leur audition, les représentants du groupe « Veolia environnement » ont fortement insisté sur cet aspect qui constitue d'ailleurs l'une des singularités de la révision constitutionnelle proposée : pour la première fois, une révision vise à chapeauter un dispositif législatif et non pas à l'initier.

3) Une troisième justification a été invoquée par le Garde des sceaux dans son discours précité : « en s'intégrant dans le bloc de constitutionnalité (...), la Charte encadrera l'activité du législateur. Les lois pourront être sanctionnées par le Conseil constitutionnel ou faire l'objet de réserves d'interprétation ».

C'est sans doute en cela que réside l'intérêt premier de la Charte.

La priorité accordée à l'environnement ne pourra plus être une simple affaire de discours, susceptible d'être remise en question au gré des lois adoptées. De même, à défaut de révision constitutionnelle, il sera impossible de ratifier ou d'approuver un traité international dont une disposition aurait été déclarée contraire aux principes environnementaux introduits par la Constitution.

La présente Charte constitue donc une garantie essentielle pour l'environnement.

Cela ne signifie pas que l'on va donner une valeur absolue au droit de l'environnement. Même si la présente révision constitutionnelle se distingue en consacrant un nouveau droit fondamental, ce droit devra être concilié avec les droits et libertés reconnus plus anciennement par la Déclaration de 1789 ou le Préambule de 1946, comme nous le verrons ultérieurement. Le professeur Louis Favoreu considère d'ailleurs que si le principe de la Charte peut être critiquable, c'est dans la mesure où elle participe à « l'inflation » des droits fondamentaux, restreignant excessivement les capacités d'action politique.

4) Enfin, compte tenu du grand nombre de mesures internationales définissant des objectifs ou - surtout pour les mesures communautaires - imposant de véritables règles, « la comparaison de la part respective des sources internes et externes du droit de l'environnement en faveur de ces dernières fait regretter l'absence du niveau fondamental de l'ordre interne, celui de la Constitution »(21).

II. UNE PROCEDURE D'ELABORATION DE LA CHARTE INTÉGRANT LE PRINCIPE DE PARTICIPATION AUX DÉCISIONS PUBLIQUES

Dans l'histoire constitutionnelle française, la notion de « charte » renvoie à une logique d'octroi, de concession faite librement par le souverain à ses sujets(22). La dénomination de la Charte de l'environnement, qui permet de distinguer aisément la Déclaration de 1789, le Préambule de 1946 et la Charte de 2003, et dont l'origine doit probablement plutôt être rapprochée de la « Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne » du 7 décembre 2000 que des précédents de 1814 et 1830, a d'ailleurs soulevé quelques critiques : « Le recours à la Charte appauvrit cependant la portée de la réforme. Sans doute le mécanisme était-il justifié par cet échange conventionnel d'une reconnaissance de droits contre l'assujettissement à des devoirs. Cela exclut, cependant, de facto, une conception du droit de l'homme à l'environnement antérieure et supérieure à l'Etat, reconnue, déclarée et non concédée. La Charte n'apparaît plus que comme un moyen technique, à la limite de la neutralité, contrairement à une déclaration »(23).

Toutefois, le processus d'élaboration de la Charte est à l'opposé de celui mis en œuvre dans un système d'octroi. Si la Déclaration des droits de 1789 et le Préambule de la Constitution de 1946 ont été discutés et votés par des représentants de la nation, la préparation de la Charte de l'environnement a été organisée de manière à associer les citoyens.

Sans trop forcer le trait, on peut donc considérer que cette préparation est en conformité avec l'article 7 de la Charte, prévoyant que toute personne a le droit de participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement. On ne saurait affirmer, néanmoins, que ce texte est totalement le résultat d'une expression populaire.

A. Une ample association de la « société civile »

Cette association a revêtu diverses modalités. La principale a été, bien entendu, la Commission de préparation de la Charte de l'environnement, dite « Commission Coppens », du nom de son président. Mais plusieurs autres instances ont permis une large consultation publique, accordant, sur un sujet d'une telle importance, du temps pour la réflexion, l'approfondissement et la maturation.

1) La Commission Coppens

Cette commission de dix-huit membres ne comportait que deux politiques et son président, le paléontologue Yves Coppens, professeur au Collège de France, constitue - selon l'expression de Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de l'écologie et du développement durable, - « un OVNI dans le monde politique ».

De composition restreinte (avec les suppléants, 25 personnes au total en ont été membres), cette structure, dont le travail mérite d'être salué, a permis de confronter de façon sereine les préoccupations des scientifiques, des juristes, des chefs d'entreprise, des politiques et des responsables d'associations de protection de l'environnement(24).

Installée par le Premier ministre, le 26 juin 2002, cette commission a tenu au moins une réunion par mois, assistée dans ses travaux par une mission administrative mise à sa disposition par le ministère de l'écologie et du développement durable, et par plusieurs comités permettant d'associer de nombreux experts. Les deux principaux comités ont été un comité juridique présidé par M. Yves Jégouzo et un comité scientifique dirigé par M. Robert Klapisch (d'autres comités, plus éphémères, ont également été constitués sur les problèmes d'éthique ou encore d'évaluation des problèmes environnementaux)(25).

Au total, ce sont près de 500 experts qui ont travaillé pour la préparation de la Charte. Les principales opinions ont d'ailleurs pu s'exprimer lors d'un colloque organisé le 13 mars 2003 sur les enjeux scientifiques et juridiques de la Charte.

Au terme théorique de ses travaux, le 20 mars 2003, la commission a adopté, à l'unanimité des membres présents en fin de réunion, un texte qui n'a pas donné totalement satisfaction à trois membres absents lors du vote (MM. Dominique Bourg, Christian Brodhag et Bernard Rousseau). Conformément à l'esprit de responsabilité qui avait animé l'ensemble des travaux précédents, l'organisation d'une ultime réunion, le 8 avril 2003, a permis de remettre au Gouvernement une proposition de texte faisant l'objet d'un accord unanime pour douze de ses quatorze articles et présentant deux variantes pour les dispositions touchant aux principes de précaution et pollueur-payeur.

2) De multipes instances de consultation

La constitutionnalisation de l'environnement répondant à un souhait largement partagé par les Français(26), il a paru souhaitable d'accumuler les occasions de recueillir leur opinion et leurs propositions.

Un questionnaire a été adressé à plus de 55 000 acteurs régionaux et a donné lieu à un taux de retour relativement important (environ 11 000 réponses).

Par ailleurs, quatorze assises territoriales ont été organisées pour mieux prendre en compte les avis du secteur associatif. Elles ont permis de rassembler, à chaque fois, entre 500 et 800 personnes, soit globalement 8 000 citoyens.

Un site internet, dédié à la Charte, a permis à 1 500 internautes (ce qui est relativement peu) de faire part de leur avis en répondant à un questionnaire mis en ligne.

Les grandes institutions ont également pu participer à cette phase consultative : l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques a tenu une audition publique le 10 avril 2003 et le Conseil économique et social a remis un avis le 12 mars 2003, sur le rapport de M. Claude Martinand.

On peut noter, enfin, qu'après le dépôt du présent projet de loi constitutionnelle, plusieurs journaux se sont associés pour proposer à leurs lecteurs d'envoyer des amendements, qui devraient être transmis aux parlementaires(27).

B. Un texte issu d'une expression populaire ?

Auditionnée par le rapporteur, Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de l'écologie et du développement durable, a estimé que la Charte émanait de la société civile. La volonté populaire s'étant exprimée, il appartiendrait au pouvoir constituant de « mesurer sa responsabilité ».

Plusieurs arguments peuvent néanmoins conduire à relativiser la part prise par la société dans la rédaction du projet de loi constitutionnelle.

Tout d'abord, la tenue des assises territoriales a été réalisée de façon parallèle aux travaux de la Commission Coppens. Les opinions exprimées à cette occasion n'ont donc pas exercé une influence déterminante sur les travaux de cette dernière (même si, à chaque fois, au moins l'un de ses membres était présent). Surtout les assises n'ont pas été en mesure de discuter d'un projet de texte.

Ensuite, il convient de rappeler que le texte soumis au Parlement n'est pas celui élaboré par la Commission Coppens. Le rapport de cette dernière souligne d'ailleurs que son objectif n'était pas de livrer le texte définitif, mais « un texte qui puisse servir de base au travail gouvernemental puis parlementaire ».

Effectivement, le projet de loi issu du travail interministériel classique reprend l'essentiel des propositions de la Commission Coppens, tout en se différenciant au niveau de la structure et de certaines formulations. A cet égard, le professeur Yves Coppens a précisé, à l'occasion de son audition, qu'il n'avait pas été consulté sur la rédaction finalement retenue par le Gouvernement.

Le peuple français a donc bien été associé plus largement que d'habitude à la préparation de la nouvelle révision constitutionnelle, mais cette dernière ne peut certainement pas être perçue comme émanant d'une expression populaire. En revanche, il appartiendra au Président de la République de décider, lorsque la Charte aura été adoptée en termes identiques par les deux assemblées, si ce texte doit être soumis ou pas à un référendum(28).

III. UNE CHARTE « ADOSSÉE » À LA CONSTITUTION

Cette figure de style employée par le Président Jacques Chirac dans ses discours d'Orléans et d'Avranches a suscité un certain trouble chez les constitutionnalistes et parmi les membres de la commission de préparation de la Charte. La forme constitutionnelle susceptible de correspondre à un adossement n'allait pas de soi. Il est apparu, en fin de compte, que l'option la mieux adaptée à la volonté présidentielle consistait à compléter le Préambule de la Constitution pour renvoyer à une Charte ayant pleine valeur constitutionnelle, placée au même niveau que les grandes déclarations historiques de 1789 et 1946. Cette formule innovante a donné lieu à quelques critiques, qui ne paraissent pourtant pas pouvoir être retenues.

A. Les diverses solutions envisagées

M. Didier Maus nous a justement fait observer que la difficulté résidait essentiellement dans le fait que la Constitution de 1958 ne comporte pas de réceptacle d'évidence pour la proclamation de nouveaux droits fondamentaux, dans la mesure où le constituant de l'époque n'avait pas souhaité adopter une nouvelle déclaration des droits.

Dès lors, la Commission Coppens, aidée de son comité juridique, a travaillé sur trois hypothèses ayant en commun d'autoriser une référence à l'environnement dans le texte constitutionnel et de permettre le développement des droits et devoirs en matière d'environnement.

La première option, la plus modeste, visait à n'introduire, dans la Constitution, que la reconnaissance d'un droit à l'environnement. La Charte aurait alors été présentée comme l'exposé des motifs de la loi constitutionnelle, dépourvue de valeur normative mais susceptible d'inspirer les juges dans l'interprétation à donner au nouveau droit à l'environnement.

La deuxième solution consistait à donner au texte de la Charte la forme d'une loi organique, à laquelle aurait renvoyé une mention de nature constitutionnelle. Cette option, « qui a eu longtemps la faveur de la Commission »(29), présentait plusieurs avantages. En premier lieu, la loi organique permet de s'écarter du caractère nécessairement concis des dispositions constitutionnelles et, en conséquence, de préciser la portée exacte des principes et d'organiser l'aspect procédural du droit à l'environnement. Par ailleurs, une Charte de l'environnement revêtant la forme d'une loi organique aurait eu une valeur supralégislative et aurait été soumise au contrôle obligatoire du Conseil constitutionnel.

La troisième hypothèse envisagée par la Commission Coppens, la plus ambitieuse, conduisait à l'élaboration d'une Charte ayant pleine valeur constitutionnelle, mentionnée dans le Préambule de la Constitution aux côtés des références à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et au Préambule de 1946.

Forts de ces trois propositions, les membres de la Commission Coppens ont rencontré le Président de la République en janvier 2003, en espérant, comme nous l'a confié M. Yves Coppens, que le Chef de l'Etat ferait part de sa préférence. Ce dernier les a cependant incités à travailler ces trois pistes, tout en insistant sur son attachement au caractère constitutionnel de la Charte.

Compte tenu de cette orientation et de la visibilité politique
- de la « mise en scène »(30) - attendue, le choix de la commission de préparation de la Charte s'est progressivement orienté vers la troisième option(31), la plus innovante du point de vue du droit constitutionnel. Le texte du projet de loi constitutionnelle a poursuivi dans cette voie.

B. Une formule innovante

Le projet de Charte de l'environnement se présente sous la forme de deux articles. Le premier complète le premier alinéa du Préambule de la Constitution, dans lequel le peuple français proclame solennellement son attachement aux droits de l'homme et aux principes de la souveraineté nationale, tels qu'ils sont définis par la Déclaration de 1789 confirmée par le Préambule de la Constitution de 1946, par les mots suivants : « ainsi qu'aux droits et devoirs définis dans la Charte de l'environnement de 2003 ». Le second ajoute au bloc de constitutionnalité une Charte de l'environnement composée de sept considérants et de dix articles reconnaissant certains droits et affirmant certains devoirs et principes d'action.

D'un point de vue formel, la présente révision constitutionnelle devrait donc introduire plusieurs traits originaux :

- c'est la première fois qu'une révision introduira de nouvelles dispositions ne se substituant à aucune autre, sans que cette introduction ne soit liée à des contraintes imputables à la jurisprudence du Conseil constitutionnel ou à un engagement international ;

- comme l'a noté le professeur Louis Favoreu, il s'agira de la première loi constitutionnelle détachée du texte même de la Constitution. Jusqu'à présent, en France, les révisions constitutionnelles visaient à insérer des dispositions, tout en s'efforçant de respecter la numérotation existante. Dans d'autres Etats, comme l'Autriche par exemple, il est fréquent, en revanche, d'adopter des lois constitutionnelles distinctes de la Loi fondamentale. Cette innovation ne bouleversera pas, pour autant, notre système constitutionnel, puisque celui-ci est d'ores et déjà « un texte gigogne »(32) comprenant un Préambule qui renvoie à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et au Préambule de la Constitution de 1946, renvoyant lui-même aux principes particulièrement nécessaires à notre temps et aux principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ;

- enfin, le grand nombre de considérants est fréquemment souligné (sept contre un seul dans la Déclaration de 1789). Sans évoquer, à ce stade, le contenu de ces considérants et leur éventuel usage par le Conseil constitutionnel, on peut indiquer que, selon le professeur Didier Maus, cette partie de la Charte ne s'imposait pas car, à la différence des précédents de 1789 et 1946, elle n'enregistre pas une rupture historique. Le professeur Louis Favoreu a, quant à lui, rappelé qu'il était loisible au constituant de tout faire, mais le caractère novateur de la forme retenue pour la Charte de l'environnement semble heurter de nombreux tenants de l'orthodoxie constitutionnelle « à la française ».

C. L'orthodoxie constitutionnelle française mise à mal

Trois critiques principales sont adressées à l'option formelle retenue par le présent projet de loi constitutionnelle : elle ose toucher au Préambule de la Constitution, elle conduit à proposer un texte trop long et revêt un caractère réducteur en ne reconnaissant certains droits que rapportés à l'environnement.

Le premier point ne mérite guère d'attention. La prétendue « outrecuidance au regard des textes patinés par le temps » d'une démarche permettant de modifier le Préambule de la Constitution serait une limitation difficilement acceptable du pouvoir constituant (d'autant que, dans le cas d'espèce, il n'est pas proposé de toucher directement aux deux textes historiques de 1789 et 1946, comme cela avait été envisagé notamment dans la proposition de loi constitutionnelle de M. Noël Mamère déposée en 1997, précitée) et susceptible, à la limite, d'interdire toute révision d'une disposition après un certain laps de temps.

L'attachement à la tradition sert également de fondement aux observations regrettant la longueur du projet de Charte. On peut comprendre l'intérêt de la concision rédactionnelle, qui atténue les possibilités d'interprétation jurisprudentielle et les risques de contradiction avec les normes internationales actuelles ou futures. Toutefois, la longueur du texte semble aussi être critiquée au titre de la dénonciation du « droit bavard », naguère mise en exergue par une étude du Conseil d'Etat(33) concernant les textes législatifs et réglementaires. Or, si le style du législateur du XIXe siècle suscite une admiration légitime, il importe de tenir compte également des conditions d'élaboration des textes. La sobriété rédactionnelle est plus aisée dans un contexte où le nombre des intervenants est restreint. La démocratisation et l'extension du droit de participation à l'élaboration des décisions publiques impliquent nécessairement une plus grande attention à la diversité des opinions et des exigences. A cet égard, les deux juristes de la Commission Coppens - MM. Yves Jégouzo et François Loloum - nous ont clairement indiqué que la longueur du texte proposé était directement liée à l'obligation de satisfaire les différentes parties ayant participé à la préparation de la Charte. De la même façon, on peut observer que les constitutions les plus récentes (Portugal ou Brésil, par exemple) sont sensiblement plus développées que la Constitution de la Ve République.

S'agissant du caractère réducteur de certains droits proclamés par la Charte, on ne peut nier que le droit d'accéder aux informations, de participer à l'élaboration des décisions ou l'exigence d'éducation et de formation existent dans d'autres domaines que l'environnement. La Commission Coppens avait d'ailleurs conscience de cette difficulté et elle a estimé ne pas devoir proposer l'extension de la saisine du Conseil constitutionnel « dans la mesure où l'intérêt d'une telle réforme constitutionnelle dépasse largement le droit de l'environnement ». Cependant, les dispositions figurant dans la Charte pourront être étendues ultérieurement à d'autres secteurs, qui bénéficient généralement de garanties similaires d'ordre législatif et, surtout, leur élévation au niveau constitutionnel illustre le caractère prioritaire et vital de la protection de l'environnement.

Si l'on aborde, à présent, le contenu du texte soumis à l'examen du Parlement, il est important de souligner que la grande majorité des personnes auditionnées ont porté des appréciations globalement favorables.

IV. UN CONTENU ÉQUILIBRÉ

La ministre de l'écologie et du développement durable, Mme Roselyne Bachelot-Narquin, nous a confié que lors du lancement des travaux de préparation de la Charte, auxquels son ministère a consacré un budget de 1,5 million d'euros, le Président de la République lui avait demandé de parvenir à un « beau texte ». Elle estime que ce résultat est atteint et que certains articles correspondent à un « travail de ciseleur ». Même si les jugements portés sur le texte ne sont pas toujours aussi louangeurs, il faut reconnaître que la plupart des personnalités rencontrées considèrent que « le compromis final est plutôt de bonne qualité »(34).

Il parvient effectivement à établir la balance entre les divers intérêts en cause grâce, notamment, à la volonté d'opter pour une « écologie humaniste », à la proclamation conjointe de droits et de devoirs et aux nombreux renvois à des interventions ultérieures du législateur.

A. Un texte participant d'une écologie humaniste

« Faire le choix de l'écologie humaniste, c'est faire le choix d'une démarche qui met l'homme au centre de tout projet »(35).

1) Un droit pour l'homme

Cette orientation exclut, tout d'abord, l'écologie « profonde » (deep ecology) qui refuse l'anthropocentrisme et revendique le biocentrisme. Si le discours écologique tourne obligatoirement autour de l'idée centrale d'un rééquilibrage nécessaire entre les activités humaines et la nature, ce courant d'idées, lancé au début des années 1970 par le philosophe norvégien Arne Naess mais dont les racines sont bien plus anciennes, et pour partie proches de l'idéologie d'extrême droite(36), pousse ce rééquilibrage à son maximum : la nature disposerait d'une personnalité et posséderait, en elle-même, des droits qui devraient être reconnus à la faune et à la flore (Christopher Stone s'est ainsi illustré en revendiquant un droit des arbres et Peter Singer a réclamé la « Libération animale »).

Il faut constater, néanmoins, que si cette sensibilité s'est développée dans les pays anglo-saxons, elle n'a pas reçu de traduction politique véritable dans notre pays(37). La Charte de l'environnement tranche donc « clairement en faveur des courants dominants, d'ailleurs peu doctrinaires ou dogmatiques, qui considèrent qu'à travers la nature, c'est encore et toujours l'homme qu'il s'agit de protéger »(38). Ce parti pris transparaît dans les considérants de la Charte, qui se réfèrent expressément à l'homme ou à l'humanité dans six alinéas sur sept. En outre, « un équilibre subtil fait alterner le collectif et l'individuel à travers le renvoi à l'humanité, aux sociétés humaines, à l'homme, aux êtres humains ou à la personne »(39).

En revanche, il est significatif qu'aucune mention de la faune ou de la flore ne figure dans le texte de la Charte, si ce n'est au travers du terme générique de « diversité biologique ». D'autres textes constitutionnels ont pourtant retenu une conception plus écocentrée. On peut citer la Constitution du Land de Bavière qui retient que dans l'exercice de leurs droits (notamment la cueillette), les individus sont tenus de traiter la nature et le paysage avec respect. De même, l'article 42, alinéa 2, de la Constitution du Brandebourg dispose que « L'animal et la plante sont respectés en tant qu'êtres vivants. Les espèces et l'habitat nécessaires à leur vie doivent être conservés et protégés ». Sous une forme plus atténuée, celle de la défense du « bien-être animal », cette conception pourrait également trouver place dans le futur traité constitutionnel européen, puisque le nouvel article III-5 bis prévoit que « Lorsqu'ils formulent et mettent en œuvre la politique de l'Union dans les domaines de l'agriculture, de la pêche, des transports, du marché intérieur, de la recherche et développement technologique et de l'espace, l'Union et les Etats membres tiennent pleinement compte des exigences du bien-être des animaux en tant qu'êtres sensibles, tout en respectant les dispositions législatives ou administratives et les usages des Etats membres en matière notamment de rites religieux, de traditions culturelles et de patrimoines régionaux ».

2) L'environnement, patrimoine commun des êtres humains

La notion même de patrimoine commun conforte le rôle central dévolu à l'homme car, comme le note le professeur Laurent Fonbaustier(40), si l'environnement « nous appartient collectivement, c'est que la nature (...) ne saurait être assimilée à une personne (sauf à la penser esclave) » et M. Olivier Godard ajoute : « la patrimonialisation reste inscrite dans une logique de la « nature objet » appropriée par un « sujet humain »(41).

Cette appropriation ne saurait être assimilée au droit de propriété, tel que le définit l'article 544 du code civil, qui confère à son titulaire le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue : « usus, fructus, abusus ». La plénitude des prérogatives attribuées au propriétaire comporte aussi, en effet, « le droit de détruire »(42).

La notion de patrimoine insiste, au contraire, sur l'obligation de conserver et de transmettre puisque, selon la fameuse expression employée par Yves Barel : « On gère un capital pour l'accroître, on gère un patrimoine pour le transmettre »(43), sa vertu la plus précieuse étant « d'être un réservoir de possibles »(44).

La première apparition du terme patrimoine naturel dans un document officiel en France daterait de 1967. Elle figure dans un décret instituant les parcs naturels régionaux, qui stipule qu'un territoire peut être classé dans cette catégorie en raison de la qualité de son patrimoine naturel et culturel. Dans son article premier, la loi n° 76-629 du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature indiquait qu'« il est du devoir de chacun de veiller à la sauvegarde du patrimoine nature dans lequel il vit »(45). En 1978, la commission interministérielle des comptes du patrimoine naturel est mise en place, aboutissant à la publication, en 1986, d'un rapport dont le but est la prise en compte du « patrimoine naturel » par le système de la comptabilité nationale. Enfin, les dispositions en vigueur du premier alinéa de l'article L.110-1 du code de l'environnement prévoient que « les espaces, ressources et milieux naturels, les sites et paysages, la qualité de l'air, les espèces animales et végétales, la diversité et les équilibres biologiques auxquels ils participent font partie du patrimoine commun de la nation ».

La reconnaissance du caractère commun de ces différents biens patrimoniaux ne constituent pas une nouveauté. Les Institutes de Justinien disposaient déjà que « Pour le droit naturel, sont des biens communs tous les éléments suivants : l'air, l'eau courante, la mer et le littoral »(46). Aujourd'hui, les concepts de « biens communs mondiaux » (global commons) ou de « biens publics mondiaux » (global public goods)(47) sont proposés pour désigner des biens tels que l'air, les ressources océaniques, l'eau, les terres arables, les forêts tropicales ou la faune sauvage(48). Il y a là, comme le note M. Olivier Godard(49), à la fois un coup de force et une gageure car, selon la célèbre thèse présentée par Garett Hardin en 1968, c'est le statut de bien commun qui serait la cause de la destruction des richesses naturelles. « La tragédie des biens communs »(50) est illustrée par cet auteur, par une fable mettant en scène une société d'éleveurs de moutons partageant une vaine pâture qui, du fait de la conjugaison des propriétés de non-exclusivité de la ressource en herbe et de rivalité entre les acteurs économiques, est immanquablement conduite à la ruine : la rationalité individuelle des acteurs les conduit, en effet, à exploiter la ressource sans en assurer le renouvellement ou la conservation, bien qu'il s'agisse a priori de l'intérêt de tous. De nombreux auteurs ont néanmoins souligné que la thèse de Hardin confondait les régimes de libre accès et de gestion en commun des ressources naturelles. Or, une communauté d'individus peut s'organiser pour gérer une ressource naturelle(51).

La question est alors de savoir à quel niveau doit être organisée cette gestion. On a déjà indiqué que le code de l'environnement affirme que l'environnement est patrimoine commun de la Nation, ce qui est conforme avec l'affirmation de l'article L.110 du code de l'urbanisme aux termes duquel « Le territoire français est le patrimoine commun de la Nation ». Pourtant, le cadre national a été jugé incompatible avec certaines dispositions communautaires relatives à la protection des oiseaux sauvages. Dans un arrêt du 27 avril 1988, la Cour de justice des Communautés européennes a ainsi jugé que « la protection des espèces migratrices revêt le caractère d'un problème d'environnement typiquement transfrontalier, qui implique des responsabilités communes des Etats membres ». Dès lors, « une protection complète et efficace des oiseaux sauvages à l'intérieur de toute la Communauté (...) rend incompatible avec la directive 79/409/CEE du 2 avril 1979 toute législation nationale qui détermine la protection des oiseaux sauvages en fonction de la notion de patrimoine national » (tel était le cas de l'article 3 de la loi française n° 76-629 du 10 juillet 1976 se limitant à la préservation du « patrimoine biologique national »)(52).

En prévoyant que l'environnement est « le patrimoine commun des êtres humains », le troisième considérant de la Charte témoigne, comme l'indique l'exposé des motifs, de la dimension universelle de la protection de l'environnement et de sa nécessaire gestion à l'échelle de la planète. L'expression retenue n'est pas sans rappeler celle de « patrimoine commun de l'humanité », dont la consécration s'est réalisée au sein des Nations unies, de façon croisée, en droit de la mer et en droit de l'espace(53). C'est néanmoins volontairement que la notion de patrimoine commun des êtres humains a été préférée à celle de patrimoine commun de l'humanité. Dans une réponse à un questionnaire du rapporteur, le ministère de la justice souligne ainsi : « l'expression retenue, qui n'a pas de portée juridique propre, correspond mieux à son objet d'exposé des motifs, alors que l'expression de patrimoine commun de l'humanité est de droit positif ».

3) La promotion du développement durable

Envisagé comme un patrimoine, l'environnement est ainsi assorti d'une exigence de transmission aux générations futures(54). Le choix pour une écologie humaniste s'inscrit donc dans le cadre de la promotion du développement durable. On peut rappeler, à cet égard, les termes du principe 1 de la Déclaration de Rio : « les êtres humains sont au centre des préoccupations relatives au développement durable ».

La première mention du développement durable (sustainable development) dans un document officiel peut être trouvée dans la « stratégie mondiale de la conservation » adoptée en 1980 par l'union internationale pour la conservation de la nature et de ses ressources, organisme placé auprès de l'UNESCO(55). Mais ce concept a véritablement été défini et consacré par le rapport de 1987, intitulé « Notre avenir à tous », de la commission mondiale de l'environnement et du développement de l'ONU, présidée par Mme Gro Harlem Brundtland. Souhaitant concilier la poursuite de la croissance industrielle et la préservation de l'environnement et des ressources, ce rapport définit le développement durable en ces termes : « le développement durable permet de répondre aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à satisfaire leurs propres besoins ». Il s'agit, en quelque sorte, d'une reformulation de la fameuse citation attribuée à Antoine de Saint Exupéry : « Nous n'héritons pas la terre de nos parents, nous l'empruntons à nos enfants ».

Le développement durable est un processus de développement qui doit concilier trois piliers - l'écologique, l'économique et le social -, en établissant un cercle vertueux entre ces trois pôles : c'est un développement économiquement efficace, socialement équitable et écologiquement soutenable.

Le droit français a déjà fait place à cette notion. L'article L.110-1, paragraphe II, du code de l'environnement mentionne ainsi : « l'objectif de développement durable qui vise à satisfaire les besoins de développement et la santé des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs ». La loi n° 99-533 du 25 juin 1999 pour l'aménagement et le développement durable du territoire ou la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains se sont également inscrites dans cette perspective.

L'adoption de la Charte de l'environnement conduira symboliquement à compléter la Constitution par une référence au seul pilier du développement durable qui, jusqu'à présent, n'y est pas inséré. Comme le souligne le rapport de la Commission Coppens, la Charte « complète ainsi le triptyque du développement durable (...) en ajoutant le pilier environnemental. Ainsi, elle créera un nouvel équilibre entre développement économique, progrès social et protection de l'environnement ».

Prise dans sa globalité, la Constitution serait donc le reflet de la définition du développement durable. Pour autant, on peut constater que l'intitulé de la Charte ne fait pas mention de cette notion, alors même que l'avis du Conseil économique et social du 12 mars 2003 jugeait indispensable de « promouvoir une Charte de l'environnement et du développement durable ». Interrogés par le rapporteur sur ce point, MM. Jégouzo et Loloum ont précisé que cette suggestion n'avait pas été retenue car, d'une part, la lettre de mission de la Commission Coppens n'évoquait qu'une Charte de l'environnement et, d'autre part, les débats tenus au sein de cette Commission avaient montré que tous les membres ne s'accordaient pas sur la portée du concept de développement durable.

Ce dernier figure toutefois à deux reprises dans les dispositions de la Charte. L'article 6 dispose : « Les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. A cet effet, elles prennent en compte la protection et la mise en valeur de l'environnement et les concilient avec le développement économique et social ». Cet article est en quelque sorte précisé par le dernier considérant indiquant « qu'afin d'assurer un développement durable, les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins ».

Ces diverses dispositions suggèrent trois observations :

- en premier lieu, le développement durable ne peut pas être assimilé à son seul pilier environnemental et doit donc être concilié avec le développement économique et social ; le développement économique recevant ainsi une reconnaissance constitutionnelle dont il ne disposait pas jusqu'alors ;

- en deuxième lieu, contrairement à la définition fournie par l'article L.110-1, paragraphe II, du code de l'environnement, il n'est plus fait référence expressément à la santé. Il est vrai que la définition législative semble n'envisager la protection de l'environnement que comme une condition de la santé, alors qu'inversement la Charte fait de cette dernière un critère d'un environnement favorable (l'article premier proclame, en effet, « Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et favorable à la santé ») ;

- en dernier lieu, les dispositions de la Charte associent les deux niveaux temporels du développement durable : le futur, évoqué dans le septième considérant mais aussi le présent, que l'on retrouve dans l'article 6 et dans la référence, au sein du considérant, à « la capacité des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins », rejoignant la problématique de l'« alliance mondiale pour le développement durable », proposée par le Chef de l'Etat à Johannesburg, qui invite les pays développés à modifier leurs modes de consommation et qui incite les pays en développement à admettre qu'il n'est d'autre solution que d'inventer un mode de croissance moins polluant.

A cet égard, la dimension internationale du développement durable apparaît clairement et l'on doit souligner que le troisième paragraphe de l'article 3 du projet de traité instituant une Constitution pour l'Europe inscrit également le développement durable parmi les objectifs de l'Union : « L'Union œuvre pour une Europe du développement durable fondé sur une croissance économique équilibrée, une économie sociale de marché hautement compétitive, visant le plein emploi et le progrès social, et un niveau élevé de protection et d'amélioration de la qualité de l'environnement ». Il est également prévu par le quatrième paragraphe dudit article que « l'Union (...) contribue (...) au développement durable de la planète ».

B. La proclamation conjointe de droits et de devoirs

Cette caractéristique est une des options fondatrices de la Charte, affirmée par le Président de la République dès son discours d'Orléans du 3 mai 2001 et confirmée dans le discours du 29 janvier 2003 devant les assises territoriales de Nantes : « nous allons reconnaître les principes fondamentaux d'une écologie soucieuse du devenir de l'homme, avec des droits mais aussi avec des devoirs ». S'il semble que les entreprises, soucieuses de ne pas apparaître comme uniques responsables de la dégradation de l'environnement, tenaient à ce que le droit à l'environnement soit accompagné de devoirs(56), il importe de constater que, selon le rapport de la Commission Coppens, « Les débats au sein de la Commission et de ses comités, les 8 000 participants aux assises comme les 12 000 personnes qui ont répondu au questionnaire ont insisté sur le fait que la reconnaissance d'un nouveau droit à l'environnement ne peut se concevoir sans l'affirmation de nouveaux devoirs à l'égard de cet environnement ».

En conséquence, après que l'article premier du projet de loi constitutionnelle ait complété le Préambule de la Constitution en évoquant les droits et devoirs définis dans la Charte, deux articles de la Charte énoncent des droits (l'article premier pour le droit à l'environnement et l'article 7 relatif aux droits d'accès aux informations et de participation à l'élaboration des décisions), tandis que six autres articles renvoient à la notion de « devoir ». Ce terme n'est expressément utilisé que dans l'article 2 (le devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement) et comme simple rappel dans l'article 8 ; les cinq autres articles concernés (articles 3, 4, 6, 8 et 9) emploient principalement une forme conjuguée du verbe « devoir ».

Ces devoirs s'imposent, pour partie, aux individus et aux personnes morales publiques ou privées (articles 2, 3 et 4) et, pour partie, aux seules autorités publiques (article 6).

Le cas des articles 8 (éducation et formation à l'environnement) et 9 (recherche et innovation) est plus ambigu, mais il ne semble pas que les devoirs visés par ces articles concernent seulement le secteur public.

On peut observer, enfin, que l'article 5 définissant le principe de précaution ne fait pas mention de la notion de devoir, mais il est évident que les autorités publiques chargées de « veiller » à la mise en œuvre de mesures par application dudit principe ont un devoir en ce sens (l'exposé des motifs indiquent d'ailleurs qu'elles « doivent veiller »).

L'introduction de devoirs dans le Préambule de la Constitution et dans la Charte a suscité quelques réticences de la doctrine. Certains s'interrogent sur l'opportunité de faire référence à une notion d'ordre moral(57) ou, dans le même ordre d'idée, se demandent comment le Conseil constitutionnel pourra techniquement faire respecter certains devoirs(58). D'autres, perdant le sens de la mesure, jugent que « quand on se propose d'inscrire dans un texte constitutionnel un devoir de l'homme non pas envers d'autres individus mais envers des entités abstraites, en l'occurrence les générations présentes ou futures, il y a risque de totalitarisme et on voit se profiler des kmers (sic) verts »(59)...

L'article 2 - « Toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement » - devoir décliné, au moins partiellement, par les articles 3 et 4, provoque, en particulier, des critiques manifestement excessives. A l'occasion de son audition par la Commission des lois, M. Guy Carcassonne s'est ainsi élevé contre ces dispositions, qui permettraient d'imposer des sujétions aux individus « comme l'obligation d'effectuer une sorte de service environnemental ou une journée consacrée à la protection de l'environnement, alors que les seules dispositions de cette nature concernent actuellement la défense nationale ». Pourtant, comme l'indique l'exposé des motifs, le devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement devra être apprécié en fonction notamment des activités en cause et, ajoute le ministère de la justice dans sa réponse au questionnaire du rapporteur : « la façon de prendre part pourra également être variable (y compris par le recours à la fiscalité) ». Le ministère précise également que « la simple passivité d'une personne qui, par ailleurs, ne cause aucune atteinte à l'environnement n'a pas à être invoquée directement au regard des dispositions de l'article 2 ».

Cependant, la doctrine n'exprime pas que des critiques à l'encontre de la proclamation de devoirs. M. Didier Maus n'a formulé aucune réticence lors de son audition et M. Michel Prieur rappelle que « l'environnement imposant la solidarité, le droit à l'environnement exige des devoirs que l'ensemble des mesures de police en la matière impose déjà » (60).

Effectivement, le deuxième alinéa de l'article L.110-2 du code de l'environnement dispose déjà qu'« il est du devoir de chacun de veiller à la sauvegarde et de contribuer à la protection de l'environnement ». Plus généralement, la notion de « devoirs » ne constitue pas une innovation dans le droit constitutionnel français. Dans son unique considérant, la Déclaration de 1789 comporte les mots suivants : « afin que cette déclaration constamment présente à tous les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs ». de la même façon, le Préambule de 1946 évoque « le devoir de travailler ».

La notion de « devoirs » en matière d'environnement n'est pas non plus inconnue dans le droit international et communautaire. Elle est très présente dans la Déclaration de Rio de 1992, où les devoirs s'imposent aux Etats. D'autres normes internationales mentionnent explicitement le devoir des individus : la convention d'Aarhus du 25 juin 1998 sur l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement reconnaît, par exemple, que chacun a « le devoir, tant individuellement qu'en association avec d'autres, de protéger et d'améliorer l'environnement ». Enfin, il convient de souligner que l'article II-37 du projet de traité instituant une Constitution pour l'Europe (article figurant actuellement dans la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne) prescrit un devoir d'intégration d'un niveau élevé de protection de l'environnement dans les politiques de l'Union.

En tout état de cause, les contours des droits et devoirs prévus pour la Charte de l'environnement devront être précisés par le législateur.

C. De nombreux renvois à des interventions ultérieures du législateur.

Trois articles de la Charte renvoient expressément à la loi pour définir les conditions d'exercice des principes qu'ils énoncent. Mais l'adoption de la Charte impliquera également d'autres interventions législatives.

Les articles 3 et 4 de la Charte prévoient que la loi devra définir les conditions de mise en œuvre des principes de prévention et de réparation.

L'article 7, relatif aux droits d'accès aux informations et de participation à l'élaboration des décisions publiques, accorde une plus grande marge d'action au législateur, qui devra préciser non seulement les conditions de ces droits, mais aussi leurs limites. Bien entendu, cette intervention ne pourra aboutir à dénaturer ou à rendre ineffectifs les droits constitutionnellement protégés. S'agissant du droit à l'information, on peut d'ores et déjà estimer que la loi conciliera ce droit avec la protection du secret industriel et commercial, conformément à la déclaration interprétative faite par le Gouvernement français lors de l'adoption de la convention d'Aarhus, précitée. De même, si l'on se rapporte au document publié par la Commission Coppens, la loi devra assurer sa conciliation avec le secret de la vie privée, le droit de propriété ou encore avec les intérêts de l'Etat relatifs à la sécurité publique et à la défense nationale.

La mention expresse de la nécessaire intervention du législateur dans les articles 3, 4 et 7 implique, selon les observations faites au rapporteur par le ministère de la justice, que « sans l'intervention du législateur, qui dispose dans ces cas d'un véritable pouvoir d'appréciation, de médiation entre la norme constitutionnelle et les décisions qui pourront en résulter, ces dispositions n'ont certainement pas d'effet direct par elles-mêmes ».

Le ministère ajoute « toutefois, l'intervention de lois postérieures à l'adoption de la Charte ne sera pas toujours strictement nécessaire. En effet, dans la mesure où des lois déjà en vigueur à la date d'entrée en vigueur de la Charte pourront être considérées comme précisant les conditions de mise en œuvre de certains de ses articles, celles-ci donneront, dans cette limite, effet aux dispositions de la Charte. Il est possible de penser, par exemple, à des dispositions de la loi relative aux installations classées, maintenant codifiées au code de l'environnement, qui prévoient des mesures de prévention et la prise en charge de leurs coûts par l'exploitant ».

On peut penser également, pour le droit à l'information, à la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 sur l'accès aux documents administratifs.

Le champ d'intervention du législateur n'est pas borné par les renvois figurant aux articles 3, 4 et 7. La Commission Coppens a souligné que la difficulté d'inscrire dans un texte constitutionnel toutes les conditions et procédures requises pour définir la portée exacte des fondements reconnus par la Charte et en assurer l'application effective, nécessite l'intervention complémentaire du législateur. Le rapport de ladite Commission juge que la priorité porte sur la redéfinition du principe de précaution figurant au troisième alinéa de l'article L.110-1 du code de l'environnement. Il convient de constater, cependant, que l'article 5 de la Charte, proclamant le principe de précaution, se garde de renvoyer au législateur et que ses dispositions sont donc d'application directe ; l'adaptation de l'article L.110-1 précité sera ainsi essentiellement une mise en cohérence de la loi avec les dispositions constitutionnelles. De la même façon, la Commission Coppens préconisait de compléter cet article législatif par une référence au principe portant sur la réparation des dommages à l'environnement.

Il paraît probable, par ailleurs, que la loi devra adapter des règles du droit de l'urbanisme et du code minier et, le cas échéant, assurer la mise en œuvre du principe d'intégration, visé à l'article 6 de la Charte, en disposant que l'étude d'impact accompagnant chaque projet de loi doit viser non seulement les incidences juridiques, économiques, sociales et budgétaires - comme le prévoit actuellement une circulaire du 26 janvier 1998 - mais également l'impact environnemental.

Au total, la Charte devrait renforcer la compétence étendue dont le législateur dispose déjà en matière d'environnement(61). En effet, même si le droit de l'environnement n'appartient pas au domaine expressément réservé à la loi par la Constitution, les grands textes protecteurs de l'environnement ou organisant des politiques en cette matière sont de plus en plus adoptés au niveau législatif, alors que ce domaine a longtemps été dévolu au pouvoir réglementaire.

Dès lors, reprenant une proposition déjà formulée dans le passé (notamment par le rapport d'information de M. Michel Barnier du 11 avril 1990 sur la politique de l'environnement), la Commission Coppens avait suggéré de compléter l'article 34 de la Constitution, afin que la préservation et la mise en valeur de l'environnement et des ressources naturelles relèvent du domaine réservé de la loi. Cette suggestion n'a pas été retenue, puisque - selon les éléments transmis au rapporteur par le ministère de la justice - « au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, chacun sait qu'une telle insertion n'aurait pas pour effet de mettre un terme au départ, souhaitable entre compétence législative et compétence réglementaire en la matière, qui est une matière où la compétence législative est déjà fort importante, dès lors qu'elle concerne nombre de libertés et droits fondamentaux ».

Il convient, à présent, d'étudier de façon plus détaillée, le droit à l'environnement consacré par la Charte et ses principes de mise en œuvre, en comparant ces dispositions avec celles inscrites dans les constitutions des autres Etats membres de l'Union européenne, dans le droit communautaire et dans le droit issu de la Convention européenne des droits de l'homme.

DEUXIÈME PARTIE :
LA CHARTE DE L'ENVIRONNEMENT AU PRISME DU DROIT EUROPEEN

Ce texte est également très ambitieux, puisqu'il « passe en revue la plupart des grandes questions que soulèvent la protection de l'environnement et les principes qui le sous-tendent »(62). Il se distingue en cela des principales normes européennes en matière environnementale.

Deux aspects méritent un examen particulier dans la mesure où ils ont suscité des réticences et des inquiétudes : la reconnaissance du principe de précaution, d'une part, et l'impact des dispositions de la Charte dans le domaine contentieux, d'autre part.

V. UN DROIT À L'ENVIRONNEMENT CONSACRÉ DE MANIERE SENSIBLEMENT PLUS ÉTENDUE QUE DANS LES AUTRES CONSTITUTIONS EUROPÉENNES

La Charte de l'environnement consacre non seulement un nouveau droit fondamental, le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et favorable à la santé, mais plus encore, elle accompagne la reconnaissance de ce droit de considérants explicatifs et justificatifs, ainsi que de règles de mise en œuvre, dont une seule - la précaution - est expressément qualifiée de « principe ». Cette coexistence de dispositions de portée normative variable singularisera la Constitution française en Europe.

A. Des dispositions de portée normative variable

Il aurait pu être demandé au constituant de se contenter d'édicter un droit à un environnement équilibré et favorable à la santé. Mais le projet soumis à son examen se veut plus ambitieux et il élève également au niveau constitutionnel des dispositions dont la valeur juridique est plus difficile à cerner.

1) Le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et favorable à la santé

Les contours de ce nouveau droit fondamental ont suscité d'importantes discussions, mais la pleine valeur normative de ce droit dit de « troisième génération » ne fait aucun doute.

a) Des contours discutés

Le premier alinéa de l'article L.110-2 du code de l'environnement, article d'ordre législatif, prévoit que « Les lois et règlements organisent le droit de chacun à un environnement sain et contribuent à assurer un équilibre harmonieux entre les zones urbaines et les zones rurales ». Le projet de loi constitutionnelle a opté pour une autre rédaction du droit à l'environnement : « Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et favorable à la santé ».

Première remarque, ce droit n'a plus besoin de la médiation des lois et règlements pour être effectif, même si comme on l'a indiqué précédemment, le législateur devra intervenir pour définir les conditions d'exercice des règles déclinant ce droit.

Deuxième observation, la notion même d'« environnement » n'est pas précisément définie. Une simple ébauche est esquissée par le premier considérant, visant « les ressources et les équilibres naturels » et, par le cinquième mentionnant « la diversité biologique ». On pourrait considérer que la définition est fournie par le premier paragraphe de l'article L.110-1 du code de l'environnement, qui prévoit que « les espaces, ressources et milieux naturels, les sites et paysages, la qualité de l'air, les espèces animales et végétales, la diversité et les équilibres biologiques auxquels ils participent font partie du patrimoine commun de la nation ». Néanmoins, cette formulation ne paraît pas couvrir la totalité de ce que le terme « environnement » peut concerner (nous pensons notamment au bruit). En définitive, la définition d'un tel concept apparaît hasardeuse, ne serait-ce que par la difficulté de concilier les approches scientifiques et juridiques, et il semble plus opportun de s'en tenir, comme le fait la Charte, à une énumération des « qualités » que l'environnement doit posséder.

La Charte énonce deux qualités : équilibré et favorable à la santé. Le rapport de la Commission Coppens avait retenu une formulation plus développée - « Toute personne a le droit de vivre et de se développer dans un environnement sain et équilibré qui respecte sa dignité et favorise son bien-être » - mais certains membres de la Commission considéraient que les derniers termes relatifs à la dignité et au bien-être dépassaient le cadre d'une charte de l'environnement et pouvait donner lieu à des contentieux allant bien au-delà de ce domaine.

Le qualificatif « équilibré » recouvre, selon l'exposé des motifs, le maintien de la biodiversité et de l'équilibre des espaces et des milieux naturels, le bon fonctionnement des écosystèmes et un faible niveau de pollution.

L'équilibre a donc essentiellement une connotation biologique et ne saurait être restreint à l'équilibre entre les zones urbaines et rurales visé par le code de l'environnement(63). L'environnement équilibré ne saurait être entendu, non plus, comme un environnement échappant à toute intervention humaine, ce qui n'aurait d'ailleurs guère de sens dans un pays comme la France, façonné par l'homme depuis des millénaires. Il est intéressant de noter, à cet égard, que l'article 2 évoque « l'amélioration » de l'environnement, et que les articles 6 et 9 citent sa « mise en valeur ».

La référence à la santé a donné lieu à de nombreuses discussions et, comme le professeur Yves Coppens l'a indiqué lors de son audition, le débat a été tranché par le Président de la République. Les juristes de la Commission Coppens y étaient plutôt défavorables car, d'une part, le droit de vivre dans un environnement favorable à la santé paraît redondant par rapport à la protection de la santé reconnue déjà par l'alinéa 11 du Préambule de 1946 et, d'autre part, il ne suffit pas de protéger la santé pour protéger l'environnement. Comme l'observe M. Michel Prieur, par exemple, « la disparition de la biodiversité n'a pas de liens directs avec la santé ». M. Dominique Bourg, membre de la Commission Coppens, nous a aussi fait part de ses réserves sur cette référence qui semble évoquer un « environnement thérapeutique ». Quant à M. Bertrand Collomb, autre membre de la Commission Coppens, il nous a dit regretter que le texte ne se contente pas de viser la seule santé publique, ce qui exclurait par là même la santé d'un seul individu. Il est vrai que, selon certains auteurs, il existe une différence importante de formulation entre le Préambule de 1946 et la Charte de l'environnement. Le premier « garantit la protection de la santé », c'est une obligation positive pour l'Etat et la collectivité ; alors que la Charte « édicte un droit individuel, qui implique non seulement des prestations positives, mais aussi des mécanismes administratifs et juridictionnels de réclamation tant à l'encontre de l'Etat que vis-à-vis des tiers »(64). Cependant, il sera indiqué ci-après que la reconnaissance d'un droit à l'environnement favorable à la santé s'inscrit dans le courant dominant du droit européen. De plus, comme le professeur Philippe Kourlisky nous l'a affirmé, il serait absurde de nier l'importance de la santé en matière de développement durable et cette référence renforce la dimension humaniste de la Charte.

b) Un droit de la troisième génération

L'énoncé d'un droit constitutionnel à l'environnement a parfois provoqué un certain scepticisme. En effet, dans le passé, on a souvent rejeté le droit de l'homme à l'environnement comme un droit inconsistant de la troisième génération exprimant des vœux plus que des droits. Le Précis Dalloz sur le « Droit des libertés fondamentales » coordonné par M. Louis Favoreu indique : « sont parfois qualifiés de droits fondamentaux des droits de la troisième génération tels que le droit (...) à l'environnement (...). Ils ne seront pas considérés comme tels ci-dessous, en tant que non justiciables ».

En fait, le droit à l'environnement relève de la catégorie des « droits-créances », c'est-à-dire des droits qui exigent une action positive de la part de l'Etat. Dans cette catégorie se rangent notamment le droit à la protection de la santé, le droit à la protection sociale, le droit à mener une vie familiale normale, le droit à l'instruction et à la culture ou encore le droit à la solidarité nationale et le droit à l'emploi.

Cette énumération suffit pour démontrer que les droits-créances ne sont pas des dispositions simplement programmatiques, puisque le Conseil constitutionnel s'est appuyé sur ces droits pour exercer son contrôle de constitutionnalité. Même si une norme constitutionnelle est imprécise, elle s'impose au législateur(65). Ce dernier disposera cependant d'un pouvoir d'appréciation plus large pour la mettre en œuvre, sans pour autant en dénaturer la portée et la priver de tout effet. Tels devront être les principes qui guideront le législateur lorsqu'il interviendra pour définir les conditions de l'article 3 (prévention) et 4 (réparation) de la Charte, dont on a déjà précisé que, selon le ministère de la justice, ils n'ont pas d'effet direct par eux-mêmes.

On peut souligner, enfin, que la Cour européenne des droits de l'homme a déjà rappelé qu'il n'existe « nulle cloison étanche entre les droits de première et de deuxième génération », raisonnement qui s'applique également pour les droits de troisième génération(66). La valeur juridique du droit à l'environnement est d'ailleurs fortement affirmée par les spécialistes de cette branche du droit : « Il s'agit en réalité d'un droit qui réunit les droits individuels classiques de 1789 et les droits sociaux et collectifs de 1946. Ayant ainsi des titulaires et des débiteurs, à savoir l'Etat et les personnes physiques et morales, ainsi qu'un objet bien défini, le droit de l'homme à l'environnement semble beaucoup plus concret et justiciable que bon nombre de droits et libertés publiques plus anciens mais plus abstraits »(67).

2) Un droit encadré par des éléments juridiques plus incertains

Des considérants déclaratifs aux dispositions de mise en œuvre du droit à l'environnement, il n'est pas toujours aisé de distinguer les articles ayant valeur de principes, de règles ou d'objectifs.

a) Des considérants non dénués de valeur juridique

Si l'insertion formelle de considérants dans la Charte est parfois discutée, comme cela a déjà été indiqué, leur portée juridique semble certaine, mais peu prévisible.

Depuis la célèbre décision n° 71-44 DC du 16 juillet 1971 du Conseil constitutionnel, qui a rangé la liberté d'association au nombre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, il ne fait plus de doute que les dispositions du Préambule de la Constitution de 1958 et celles auxquelles son premier alinéa renvoie (Déclaration de 1789, Préambule de 1946 et, bientôt, Charte de l'environnement de 2003) font intégralement partie du bloc de constitutionnalité.

Les sept considérants de la Charte peuvent donc être considérés comme un « vivier potentiellement considérable pour un juge constitutionnel confronté à des situations que l'on ne peut aujourd'hui imaginer, selon un processus identique à celui qui a conduit le Conseil constitutionnel à découvrir le principe de dignité dans la condamnation de pratiques dégradant la personne humaine »(68).

Compte tenu de ces conséquences juridiques potentielles, de nombreux juristes ont fait part de leurs doutes sur l'opportunité d'intégrer dans la Charte des considérations d'ordre scientifique tels que « les ressources et les équilibres naturels ont conditionné l'émergence de l'humanité », ou « l'avenir et l'existence même de l'humanité sont indissociables de son milieu naturel ».

Néanmoins, comme le précise l'exposé des motifs du projet de loi constitutionnelle, les considérants ont eux-mêmes la portée d'un exposé des motifs de la Charte. Dès lors, comme le souligne le ministère de la justice dans une réponse au rapporteur : « Ils doivent donc être compris comme exposant notamment les raisons de l'intervention de la Charte, les notions auxquelles elle se réfère et comme constituant un outil d'aide à l'interprétation des articles de cette Charte ». On peut rappeler à ce stade que la rédaction retenue pour le troisième considérant fait référence au « patrimoine commun des êtres humains » et non pas à la notion de « patrimoine commun de l'humanité », qui est de droit positif, afin - toujours selon le ministère de la justice - de correspondre mieux à son objet d'exposé des motifs et, en conséquence, « il n'est pas envisageable de donner au troisième considérant une portée opératoire destinée à l'appréciation de l'intérêt à agir en justice ».

Il convient d'insister sur l'importance du sixième considérant
- « la préservation de l'environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation » - en tant qu'« outil d'aide à l'interprétation ». Tout d'abord, cet alinéa fournit une consécration constitutionnelle à la notion « d'intérêts fondamentaux de la Nation » visée, jusqu'alors, par l'article L.410-1 du nouveau code pénal, qui mentionnait, au nombre des intérêts concernés, « l'équilibre de son milieu naturel et de son environnement ». Ensuite, ce considérant exprime clairement l'idée selon laquelle une conciliation doit être opérée entre la préservation de l'environnement et les autres intérêts fondamentaux de la Nation, à savoir son indépendance, sa sécurité, les moyens de sa défense et de sa diplomatie, la sauvegarde de sa population en France et à l'étranger, les éléments essentiels de son patrimoine scientifique et économique et son patrimoine culturel. Le ministère de la justice ajoute que « cette conciliation pourrait conduire, dans certaines hypothèses et, par exemple, pour les besoins de la défense nationale, à des dérogations ».

b) L'importance des principes en droit de l'environnement

Après avoir proclamé le droit à l'environnement et le devoir de toute personne de prendre part à sa préservation, la Charte regroupe plusieurs articles dont les dispositions, indispensables à la mise en œuvre du droit et du devoir précités, sont - pour la plupart - déjà inscrites au niveau législatif et dans le traité instituant la Communauté européenne sous le qualificatif de « principes ».

L'article L.110-1 du code de l'environnement prévoit ainsi que la protection de l'environnement s'inspire, « dans le cadre des lois qui en définissent la portée, des principes suivants : 1° le principe de précaution (...) ; 2° le principe d'action préventive et de correction par priorité à la source (...) ; 3° le principe pollueur-payeur ; 4° le principe de participation (...) ».

De la même façon, l'article 174 du traité instituant la Communauté européenne prévoit que «  la politique de la Communauté dans le domaine de l'environnement (...) est fondée sur les principes de précaution et d'action préventive, sur le principe de la correction, par priorité, à la source, des atteintes à l'environnement et sur le principe du pollueur-payeur ».

En élevant au niveau constitutionnel la prévention (article 3), la réparation (article 4), la précaution (article 5) et les droits d'accès aux informations et de participation (article 7), la Charte ne fait que prendre en compte l'importance de ces principes pour la mise en œuvre du droit de l'environnement ainsi que le caractère procédural de ce droit. Ces observations conduisent à relativiser fortement les critiques tenant au prétendu manque de hiérarchisation des notions figurant dans la Charte.

(1) Une constitutionnalisation nécessaire

Outre le fait que, dans son discours d'Orléans du 3 mai 2001, le Chef de l'Etat avait explicitement souhaité que la Charte consacre « cinq principes : d'abord, le principe de responsabilité (...), le principe de précaution, le principe d'intégration, le principe de prévention ensuite et le principe de participation », il apparaît opportun d'inscrire ces divers principes dans la Charte car « la consécration d'un droit constitutionnel à l'environnement n'a de sens que s'il est éclairé par des principes dont la fonction consiste justement à orienter l'intervention des pouvoirs publics dans le sens d'une meilleure protection du milieu (...). Autant le droit fondamental renforce la positivité de ces principes, autant ces derniers garantissent sa mise en œuvre »(69).

Les principes sont bien plus présents dans le droit de l'environnement que dans n'importe quelle autre branche du droit. D'abord parce que le législateur énonce volontiers des principes lorsqu'il institue de nouveaux régimes, ensuite, parce qu'ils permettent de structurer un droit qui s'est construit au coup par coup à partir de dispositions éparses et fragmentaires. Enfin, parce qu'ils permettent au droit de s'adapter constamment aux données économiques, politiques ou éthiques.

On aurait pu considérer que les principes pouvaient rester au niveau législatif à partir du moment où le droit à l'environnement est constitutionnalisé. « Mais si ces principes sont étroitement liés au droit à l'environnement, leur contenu et leur mise en valeur sont alors indissociables du droit fondamental auquel ils se rattachent. Dans ce cas, leur valeur et leur portée deviennent constitutionnelle et il n'y a pas de raison de ne pas les insérer dans la Constitution »(70).

On peut penser, en revanche, que les références à l'éducation et à la formation (article 8) ainsi qu'à la recherche et à l'innovation (article 9) ne s'imposaient pas avec la même force. Mais on a déjà indiqué que c'est la volonté de prendre en compte la totalité des sensibilités - notamment celles exprimées lors des assises territoriales - qui a conduit à inscrire ces deux articles dans la Charte. S'agissant de l'éducation, on peut signaler que la convention d'Aarhrus du 25 juin 1998 sur l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement prévoit, dans son article 3-3, que « Chaque partie favorise l'éducation écologique du public et sensibilise celui-ci aux problèmes environnementaux afin, notamment, qu'il sache comment procéder pour avoir accès à l'information, participer au processus décisionnel et saisir la justice en matière d'environnement ». Ainsi, l'éducation et la formation sont-elles liées à la dimension procédurale du droit à l'environnement.

(2) Un droit procédural

Les principes de prévention, de précaution et de réparation étant examinés de façon plus détaillée dans la suite du rapport, il convient d'évoquer, à ce stade, les principes d'accès aux informations et de participation aux décisions consacrés par l'article 7. Cette étude est d'autant plus utile que, pour certains auteurs, le droit à l'environnement est avant tout un droit procédural, « autrement dit, il doit être compris comme le droit à la protection de l'environnement et des procédures permettant d'assurer cette protection doivent être à la disposition de chaque individu »(71).

La primauté de l'aspect procédural du droit à l'environnement ne peut plus être affirmée dans le cadre de la Charte, mais cette caractéristique demeure essentielle ; d'autant plus essentielle que la consécration du principe de précaution implique de renforcer l'information du public et sa meilleure association aux processus décisionnels, pour faciliter l'acceptabilité de mesures prises en situation d'incertitude scientifique.

La constitutionnalisation du droit d'accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement apparaît donc particulièrement opportune. A cet égard, on peut rappeler que le rapport sur le principe de précaution réalisé par le conseil de l'environnement d'Electricité de France signale qu'en l'absence d'une telle réforme « l'association plus étroite à la décision elle-même est susceptible de soulever de délicates questions de principe, au regard du régime constitutionnel actuel »(72).

La formulation retenue par la Charte est désormais plus claire que celle de l'article L.110-1 du code de l'environnement, qui semble limiter la participation à l'accès à l'information en visant « le principe de participation selon lequel chacun doit avoir accès aux informations relatives à l'environnement, y compris celles relatives aux substances et activités dangereuses »(73).

En fait, le dispositif de l'article 7 de la Charte est très largement conditionné par le droit communautaire et le droit international. Le principe 10 de la déclaration de Rio de 1992 prévoit ainsi que « La meilleure façon de traiter les questions d'environnement est d'assurer la participation de tous les citoyens concernés, au niveau qui convient. Au niveau national, chaque individu doit avoir dûment accès aux informations relatives à l'environnement que détiennent les autorités publiques, y compris aux informations relatives aux substances et activités dangereuses dans leurs collectivités, et avoir la possibilité de participer au processus de prise de décision (...) ». Après Rio, ces règles ont été reprises dans plusieurs instruments. Finalement, la convention d'Aarhus du 25 juin 1998 précitée, élaborée au sein de la commission économique des Nations unies pour l'Europe et entrée en vigueur le 30 octobre 2001, a, en quelque sorte, codifié et complété les règles ainsi énoncées. L'approbation de cette convention par la France a été autorisée par la loi n° 2002-285 du 28 février 2002.

Principales dispositions de la convention d'Aarhus du 25 juin 1998 sur l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement(74)


Dans son article « Environnement, droit international, droits fondamentaux » publié dans Les Cahiers du Conseil constitutionnel de 2003 (n° 15), le professeur Alexandre Kiss a ainsi synthétisé les dispositions de la convention d'Aarhus :

« Le dispositif de la convention comporte une partie générale (art. 1 à 3), deux longs articles (art. 4 et 5) et une annexe consacrés à l'accès à l'information, trois articles sur la participation du public (art. 6 à 8) et un à l'accès à la justice (art. 9). Ces dispositions s'ordonnent autour de trois pôles : l'autorité publique, le public et les organes internationaux établis par la convention. L'autorité publique comprend l'administration publique à l'échelon national ou régional ou à un autre niveau, à l'exclusion des organes exerçant des pouvoirs judiciaires ou législatifs. Les institutions de l'Union européenne en font également partie (art. 2, al. 2). Le terme « public » désigne des personnes physiques et morales, ces dernières comprennent les associations, organisations ou groupes (art. 2, al. 4), sans discrimination fondée sur la citoyenneté, la nationalité ou, pour les personnes morales sans discrimination concernant le lieu où elles ont leur siège officiel ou le véritable centre de leurs activités (art. 3, al. 9) (...). Les parties doivent accorder la reconnaissance et l'appui voulus aux associations qui ont pour objet effectif la protection de l'environnement (art. 3, al. 4).

L'information sur l'environnement qui est au cœur de la convention doit être entendue comme comprenant toute information sous forme écrite, visuelle, orale ou électronique, portant sur l'état d'éléments de l'environnement et l'interaction entre ces éléments, ainsi que sur les facteurs qui ont pu ou peuvent avoir des incidences sur ces derniers. L'accès à l'information concerne aussi les analyses et hypothèses économiques utilisées dans le processus décisionnel en matière d'information. les autorités publiques doivent mettre les information sur l'environnement à la disposition du public dans un délai d'un mois, d'une façon transparente, sans que les demandeurs aient besoin de faire valoir un intérêt particulier. Un droit d'un montant raisonnable peut être perçu pour ce service (art. 4 et 5). La communication de l'information demandée peut être refusée pour des causes précises : l'autorité ne dispose pas de l'information, la demande est manifestement mal formulée, elle porte sur des documents qui sont en cours d'élaboration ou concernent des communications internes des autorités publiques. Il en est de même lorsque la divulgation des informations aurait des incidences défavorables sur le secret des délibérations des autorités publiques, sur les relations internationales, la défense nationale ou la sécurité publique, la bonne marche de la justice, lorsqu'elle touche à un secret commercial ou industriel protégé par la loi, à des droits de propriété intellectuelle ou au droit à la vie privée. Une cause possible de refus concerne le milieu sur lequel portent les informations, comme les sites de reproduction d'espèces rares qui ne doivent pas être dérangées. Les motifs de rejet doivent être interprétés de manière restrictive et le rejet doit être notifié dans un délai d'un mois, par écrit et motivé (art. 4).
L'accès ne doit pas être assuré seulement à l'information déjà détenue par les autorités publiques. Celles-ci doivent également mettre en place des mécanismes pour être dûment informées des activités proposées ou en cours qui risquent d'avoir des incidences importantes sur l'environnement (art. 5, al. 2). En cas de menace imminente pour la santé et l'environnement, toutes les informations susceptibles de permettre au public de prendre des mesures de protection doivent être diffusées immédiatement (art. 5, al. 1). Lorsqu'un processus décisionnel touchant à l'environnement est engagé, le public, qui est touché ou risque de l'être par les décisions prises en matière d'environnement, doit être informé de l'activité proposée, de son impact prévisible ainsi que de la procédure envisagée (art. 2, al. 5). Tous les textes importants touchant à l'environnement doivent être publiés : textes législatifs, documents directifs, plans d'action, programmes, ainsi que, une fois par quatre ans au maximum, un rapport national sur l'état de l'environnement (art. 5).

La participation du public doit comporter la possibilité pour celui-ci de soumettre par écrit ou lors d'une audition ou d'une enquête publique toutes observations, informations, analyses ou opinions qu'il estime pertinentes au regard de l'activité proposée. L'annexe I à la convention énumère les activités pour lesquelles la participation du public doit être assurée. Les résultats de la consultation doivent être dûment pris en considération. Une fois que la décision est prise, le public doit en être dûment informé. Toutefois, le public doit également être associé à l'élaboration des plans et des programmes relatifs à l'environnement, après avoir reçu les informations nécessaires (art. 8), ainsi qu'à celles des dispositions réglementaires et autres règles juridiquement contraignantes, d'application générale, qui peuvent avoir un effet important sur l'environnement. A ce dernier point de vue aussi, il doit avoir la possibilité de formuler des observations dont les résultats doivent être pris en considération dans toute la mesure du possible.

Le dernier volet de la procédure prévue par la convention d'Aarhus a trait à l'accès à la justice. Il doit être assuré lorsqu'une personne estime que sa demande d'informations a été ignorée, rejetée abusivement ou insuffisamment prise en compte ; lorsqu'est contestée la légalité de toute décision concernant la participation au processus décisionnel en matière d'environnement et lorsque les actes ou omissions de particuliers ou d'autorités publiques vont à l'encontre des dispositions du droit national de l'environnement. Le recours doit être examiné par une instance judiciaire ou un autre organe indépendant et impartial établi par la loi. La procédure doit être objective, équitable et rapide, pouvant aboutir à une injonction permettant de redresser la situation. Toute décision ainsi rendue doit être accessible au public qui doit pouvoir engager des procédures de recours.
 »

L'Union européenne n'a pas encore ratifié la convention d'Aarhus(75), mais le droit communautaire régit déjà largement ce domaine. La directive 90/313/CEE du Conseil du 7 juin 1990 a ainsi institué le droit de toute personne à recevoir, sur sa demande, des informations relatives à l'environnement sans avoir à justifier d'un droit, motif ou intérêt quelconque(76). Par la suite, plusieurs autres textes de droit dérivé concernant des domaines spécifiques ont conforté les droits d'accès à l'information et de participation aux décisions : on peut notamment citer la directive 96/61/CE du 24 septembre 1996 relative à la prévention et à la réduction intégrée de la pollution ou la directive 97/11/CE du 3 mars 1997 modifiant la directive n° 85/337/CEE concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement. La réglementation des organismes génétiquement modifiés (OGM) accorde également une grande importance à ces droits procéduraux (directive 2001/18/CE du 12 mars 2001 relative à la dissémination volontaire d'organismes génétiquement modifiés dans l'environnement).

La signature de la convention d'Aarhus par l'Union européenne et la perspective de sa prochaine ratification ont abouti, dans un premier temps, à l'adoption de la directive 2003/4/CE du 28 janvier 2003, qui remplacera la directive 90/313/CE précitée à partir du 14 février 2005. Son objectif est de redynamiser le processus d'ouverture au public des données en matière d'environnement : elle prévoit notamment que les Etats membres doivent prendre les mesures nécessaires à une diffusion systématique auprès du public de l'information en matière d'environnement, alors que la directive de 1990 ne vise que la diffusion sur demande. Ce dispositif est complété par la directive 2003/35/CE sur la participation du public au processus décisionnel(77).

Il importe de souligner, par ailleurs, que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme a aussi consacré un droit à l'information dans le domaine de l'environnement. Toutefois, « dans la mesure où ce droit n'est pas admis sur le fondement général de l'article 10 (de la Convention européenne des droits de l'homme, relatif à la liberté d'expression et d'information), mais sur celui d'autres dispositions tels les articles 2 ou 8 de la convention, il n'y aura manquement à la convention que lorsque l'absence d'informations entraîne une violation du droit à la vie, du droit à un procès équitable ou du droit au respect de la vie privée et familiale. Le droit à l'information environnementale n'est donc qu'indirectement garanti. Tout en étant exigeante, la jurisprudence de la Cour de Strasbourg ne possède ainsi qu'un champ d'application limité, contrairement au droit d'accès reconnu par le projet de Charte de l'environnement »(78).

Très influencé par les obligations internationales et communautaires de la France, l'article 7 de la Charte pourrait modifier sensiblement les pratiques de l'administration française. Le professeur Michel Prieur considère qu'il devrait ainsi obliger l'administration à publier les projets de décrets, à fixer des délais pour les commentaires du public et à prendre en considération ses observations.

On doit constater, enfin, que cet article ne fait pas mention du troisième pilier visé par la convention d'Aarhus, à savoir l'accès à la justice.

(3) Une improbable hiérarchisation a priori

Parmi les diverses dispositions accompagnant la proclamation du droit à l'environnement, une seule est expressément qualifiée de principe. Il s'agit du principe de précaution (article 5). La position retenue par les rédacteurs de la Charte est donc en retrait par rapport à celle de certains membres de la Commission Coppens ayant proposé une variante au texte, afin que le terme « principe » soit utilisé également en matière de prévention et de réparation, car « la notion de « principe » marque ainsi la volonté d'ériger le concept véhiculé au rang suprême ».

En l'absence de qualification juridique des autres dispositions, des auteurs les ont présentées comme des objectifs constitutionnels, instruments d'encadrement du pouvoir normatif(79).

D'autres ont dénoncé « un manque total de hiérarchisation des notions, la distinction classique en droit constitutionnel entre objectifs et règles constitutionnels étant absente de la rédaction proposée »(80). Ils ont donc suggéré de procédé à une sorte de « lego constitutionnel », consistant à reprendre les différents blocs du texte pour les remettre en ordre de manière pertinente.

En réponse à cette critique, on peut observer, tout d'abord, qu'elle est loin d'être partagée par tous les juristes, puisque certains ont, au contraire, aperçu « dix articles organisés selon un ordre très cohérent »(81). En outre, comme le rappelle le ministère de la justice dans une note au rapporteur : « Dans la tradition constitutionnelle de la Ve République, la distinction entre « objectif » et « principe » à valeur constitutionnelle est le fait de la jurisprudence constitutionnelle, laquelle est fondée sur la teneur plus ou moins normative, contraignante, des dispositions de la Constitution. Il appartiendra donc au Conseil constitutionnel de préciser la portée normative des énoncés de la Charte ».

B. Une singularité française

Si la France constituait, jusqu'à présent, l'un des rares Etats de l'Union européenne à ne pas viser la protection de l'environnement dans sa Constitution, le texte de la Charte de l'environnement se distingue nettement des dispositions en vigueur chez nos partenaires. La Charte est également plus fouillée que les traités communautaires et que la Convention européenne des droits de l'homme.

1) L'environnement visé par les constitutions de la plupart des Etats membres

Selon les éléments d'information que nous avons pu recueillir(82), dix Etats membres de l'Union européenne sur quinze ont dans leur Constitution des références plus ou moins directes à la protection de l'environnement. Les dispositions pertinentes sont citées dans l'encadré suivant.

Dispositions relatives à l'environnement dans les Constitutions des Etats membres de l'Union européenne

Allemagne(83)
Article 20a : protection des fondements naturels de la vie :

« Assumant ainsi également sa responsabilité pour les générations futures, l'Etat protège les fondements naturels de la vie par l'exercice du pouvoir législatif, dans le cadre de l'ordre constitutionnel, et des pouvoirs exécutif et judiciaire, dans les conditions fixées par la loi et le droit. »

Autriche

L'Autriche ne dispose pas d'un instrument constitutionnel unique. La loi constitutionnelle fédérale du 1er octobre 1920 est notamment complétée par des lois constitutionnelles nouvelles (Verfassunggesetze) non incluses dans la loi de 1920. C'est dans un texte de cette nature de 1984 que l'on peut trouver une mention de l'environnement.

Article premier :

« La République d'Autriche s'engage à assurer la protection complète de l'environnement, (c'est-à-dire notamment) la protection de l'environnement naturel en tant que fondement de la vie du genre humain contre les impacts négatifs. »

Belgique

Article 23 :

« Chacun a le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine. A cette fin, la loi, le décret ou la règle visée à l'article 134 garantissent, en tenant compte des obligations correspondantes, les droits économiques, sociaux et culturels, et déterminent les conditions de leur exercice. Ces droits comprennent notamment :
1) le droit au travail et au libre choix d'une activité professionnelle dans le cadre d'une politique générale de l'emploi, visant entre autres à assurer un niveau d'emploi aussi stable et élevé que possible, le droit à des conditions de travail et à une rémunération équitables, ainsi que le droit d'information, de consultation et de négociation collective ;
2) le droit à la sécurité sociale, à la protection de la santé et à l'aide sociale, médicale et juridique ;
3) le droit à un logement décent ;
4) le droit à la protection d'un environnement sain ;
5) le droit à l'épanouissement culturel et social.
 »

Espagne

Article 45 :

« 1) Chacun a le droit de jouir d'un environnement approprié pour le développement de la personne, et le devoir de le préserver.
2) Les pouvoirs publics veillent à l'utilisation rationnelle de toutes les ressources naturelles, dans le but de protéger et d'améliorer la qualité de la vie, ainsi que de défendre et de restaurer l'environnement, en s'appuyant sur une indispensable solidarité collective.
3) Pour ceux qui violent les dispositions du paragraphe précédent, dans les termes fixés par la loi, on établira des sanctions pénales ou, le cas échéant, administratives, ainsi que l'obligation de réparer le dommage causé.
 »

Article 53 :

« (...)
3)
La reconnaissance, le respect et la protection des principes reconnus au chapitre trois inspireront la législation positive, la pratique judiciaire et l'action des pouvoirs publics. Ils ne pourront être allégués devant la juridiction ordinaire que conformément aux dispositions des lois qui les développeront. »

Finlande

Article 2.2 :

« La démocratie implique le droit pour les individus de participer et d'influer sur le développement de la société et de leur environnement. »

Article 20 :

« La responsabilité à l'égard de la nature et de sa diversité ainsi qu'à l'égard de l'environnement et du patrimoine culturel incombe à tous. L'Etat s'efforce de garantir à chacun le droit à un environnement sain et la possibilité d'influer sur les décisions relatives à son environnement ; »

Grèce
(84)
Article 24 :

« 1. The protection of the natural and cultural environment constitutes a duty of the state and a right of every person. The state is bound to adopt special preventive or repressive measures for the preservation of the environment in the context of the principle of sustainability. Matters pertaining to the protection of forests and forest expanses in general shall be regulated by law. The compilation of a forest register constitutes an obligation of the state. Alteration of the use of forests and forest expanses is prohibited, except where agricultural development or other uses imposed for the public interest prevail for the benefit of the national economy.

2) The master plan of the country and the arrangement, development, urbanisation and expansion of towns and residential areas in general shall be under the regulatory authority and the control of the state, in the aim of serving the functionality and the development of settlements and of securing the best possible living conditions.
The relevant technical choices and considerations are conducted according to the rules of science. The compilation of a national cadaster constitutes an obligation of the state.

3) Pour la reconnaissance d'une région comme zone à urbaniser et en vue de son urbanisme opérationnel, les propriétés qui y sont incluses contribuent obligatoirement tant à la disposition, sans droit à une indemnité de la part de l'organisme impliqué, des terrains nécessaires pour l'ouverture des rues et la création des places et d'autres espaces d'usage ou d'intérêt public en général, qu'aux dépenses pour l'exécution des travaux d'infrastructure urbaine, ainsi qu'il est prévu par la loi.

4) La loi peut prévoir la participation des propriétaires d'une région caractérisée comme zone à urbaniser à la mise en valeur et à l'aménagement général de cette région suivant un plan d'urbanisme dûment approuvé ; ces propriétaires reçoivent en contre-prestation des immeubles ou des parties des propriétés par étage d'une valeur égale dans les terrains finalement destinés à la construction ou dans les bâtiments de cette zone.

5) Les dispositions des paragraphes précédents sont également applicables en cas du réaménagement des agglomérations urbaines déjà existantes. Les terrains libérés par ce réaménagement sont affectés à la création d'espaces d'usage commun ou sont mis en vente pour couvrir les dépenses du réaménagement urbanistique, ainsi qu'il est prévu par la loi.

6) Les monuments et les sites et éléments traditionnels sont placés sous la protection de l'Etat. La loi déterminera les mesures restrictives de la propriété qui sont nécessaires pour la réalisation de cette protection, ainsi que les modalités et la nature de l'indemnisation des propriétaires.
 »

Italie

Article 9 :

« La République suscite le développement de la culture et la recherche scientifique et technique. Elle protège le paysage et le patrimoine historique et artistique de la nation. »

Article 32 :

« La République protège la santé en tant que droit fondamental de l'individu et intérêt de la collectivité, et elle garantit des soins gratuits aux indigents. Nul ne peut être contraint à un traitement sanitaire déterminé si ce n'est en vertu d'une disposition de la loi. La loi ne peut en aucun cas violer les limites imposées par le respect de la personne humaine. »

Article 41 :

« L'initiative économique privée est libre. Elle ne peut s'exercer en contradiction avec l'utilité sociale ou de manière à porter atteinte à la sécurité, à la liberté, à la dignité humaine. La loi détermine les programmes et les contrôles opportuns pour que l'activité économique publique et privée puisse être orientée et coordonnée vers des fins sociales. »

Pays-Bas

Article 21 :

« Les pouvoirs publics veillent à l'habitabilité du pays ainsi qu'à la protection et à l'amélioration du cadre de vie. »

Portugal

Article 9 :

« Les tâches fondamentales de l'Etat sont les suivantes : (...)
d) augmenter le bien-être et la qualité de vie du peuple, promouvoir l'égalité réelle entre les Portugais et l'exercice effectif des droits économiques, sociaux, culturels et environnementaux par la transformation et la modernisation des structures économiques et sociales ;
e) protéger et mettre en valeur le patrimoine culturel du peuple portugais, défendre la nature et l'environnement, préserver les ressources naturelles et assurer un aménagement correct du territoire.
 »

Article 64 : Santé :

« 1. Chacun a droit à la protection de sa santé et le devoir de la préserver et de l'améliorer.

2) Le droit à la protection de la santé est assuré :
a) au moyen d'un service national de santé universel et général qui tendra à la gratuité en tenant compte de la situation économique et sociale des citoyens ;
b) par la création de conditions économiques, sociales, culturelles et environnementales qui puissent garantir, notamment, la protection de l'enfance, de la jeunesse et de la vieillesse, et par l'amélioration systématique des conditions de vie et de travail, ainsi que par la promotion de la culture physique et sportive, scolaire et populaire, et par le développement de l'éducation sanitaire du peuple et d'habitudes de vie saine.

(...)

Article 66 : Environnement et qualité de la vie :

« 1) Toute personne a droit à un environnement humain, sain et écologiquement équilibré, et a le devoir de le défendre.

2) Afin de garantir ce droit, dans le cadre d'un développement durable, il appartient à l'Etat, au travers d'organismes spécialisés et en faisant participer les citoyens :
a) de prévenir et de contrôler la pollution et ses effets, ainsi que les formes d'érosion susceptibles d'occasionner des dommages ;
b) d'organiser et de promouvoir l'aménagement du territoire en vue d'une localisation correcte des activités, d'un développement socio-économique harmonieux et d'une valorisation des paysages ;
c) de créer et d'agrandir des réserves et des parcs naturels et d'agrément, ainsi que de classer et de protéger paysages et sites afin d'assurer la préservation de la nature et la sauvegarde des valeurs culturelles d'intérêt historique ou artistique ;
d) de promouvoir l'exploitation rationnelle des ressources naturelles en sauvegardant leur capacité de renouvellement et la stabilité écologique, dans le respect du principe de solidarité entre générations ;
e) d'encourager, en collaboration avec les collectivités locales, la qualité de l'environnement des communautés rurales et urbaines, notamment au plan de l'architecture et de la protection des zones historiques ;
f) d'insérer des objectifs environnementaux dans les différentes politiques de portée sectorielle ;
g) de faire respecter les valeurs environnementales et de promouvoir l'éducation dans ce domaine ;
h) de garantir que la politique en matière fiscale allie le développement à la protection de l'environnement et à la qualité de la vie.
 »

Suède

Article 2 :

« Le bien-être personnel, économique et culturel du particulier devra constituer l'objectif primordial des activités publiques. Il incombera tout particulièrement à l'autorité publique (...) d'œuvrer en faveur (...) d'un cadre favorable à la vie. »

a) Quatre Etats n'ont pas élevé la protection de l'environnement au niveau constitutionnel

Hormis la France, quatre Etats ne semblent pas avoir inscrit la protection de l'environnement dans leur loi fondamentale.

Le Royaume-Uni ne peut évidemment pas figurer dans cette catégorie puisqu'il ne dispose pas de Constitution écrite. On peut indiquer, néanmoins, que les citoyens britanniques ont divers moyens de contribuer à la défense de l'environnement et de contrôler l'action des pouvoirs publics ou des entreprises sans avoir nécessairement à prouver un préjudice personnel. Ces mécanismes juridiques peuvent être regroupés en trois catégories ; le pouvoir de demander une injonction, le droit à la participation et à l'information - en particulier à l'occasion de la délivrance d'autorisations -, le droit de poursuivre pénalement les infractions à la réglementation environnementale(85). Dès lors, « le droit anglais ne semble pas moins protecteur de l'environnement que celui d'autres Etats dotés d'une Constitution moderne »(86).

Les trois autres Etats membres ne citant pas expressément l'environnement dans leur Constitution écrite sont le Danemark, le Luxembourg et l'Irlande. Ce dernier pays fait bien quelques références aux ressources naturelles, à l'air, aux minéraux et eaux dans l'article 10 de la Constitution, mais ces dispositions ont pour unique objet de définir les droits de propriété. De la même façon, la référence faite au droit à la vie par son article 40 n'a qu'un lien très indirect avec l'environnement. Il importe d'indiquer que ce texte(87) est interprété comme incluant le droit à l'intégrité physique et le droit à la protection de la santé. Effectivement, le droit à un environnement sain à fait l'objet de décisions judiciaires établissant le lien avec le droit fondamental à la santé (affaire Attorney général v. X. de 1992).

b) Les pays du Sud de l'Europe sont les plus prolixes

Contrairement à ce que l'on aurait pu attendre, en s'en tenant à des a priori, les constitutions des pays du Nord de l'Europe ne comportent que peu de développements sur la protection de l'environnement. Le Danemark, on vient de l'indiquer, n'en fait pas mention et les autres Etats se contentent de confier aux pouvoirs publics le soin d'assurer un environnement sain (Finlande), l'amélioration du cadre de vie (Pays-Bas et Suède) ou, de façon plus vague encore, les fondements naturels de la vie (Allemagne). En fait, le pays nordique ayant les dispositions constitutionnelles les plus développées sur l'environnement semble être la Norvège (qui n'appartient pas à l'Union européenne), dont l'article 106 de sa Constitution prévoit :

« Toute personne a droit à un environnement salubre ainsi qu'à un milieu naturel dont soient préservées la capacité de production et la diversité. Les ressources naturelles devraient être utilisées dans une perspective à long terme et englobant tous leurs aspects, afin de garantir ce droit également pour les générations à venir.

Pour sauvegarder leur droit, en vertu du précédent paragraphe, les citoyens doivent être informés sur l'état du milieu naturel ainsi que sur les conséquences des interventions prévues et réalisées sur ledit milieu.

Les autorités de l'Etat prescrivent les dispositions particulières visant à la mise en application de ces principes ».

Ces Etats où la protection de l'environnement constitue l'une des valeurs sociales les plus affirmées (lors de son audition, M. Cédric du Monceau, directeur général du WWF-France, nous a ainsi précisé que 9 % de la population néerlandaise appartenaient à la section nationale de cette association environnementale) n'ont, semble-t-il, pas ressenti la nécessité d'aller au-delà de la simple proclamation du droit à l'environnement et il est intéressant de noter, s'agissant de l'Allemagne, que l'article 20a introduit en 1994 ne se trouve pas dans la première partie de la Loi fondamentale relative aux droits fondamentaux mais dans la deuxième partie consacrée à la Fédération et aux Länder.

En revanche, on peut observer que les Etats du Sud (la Grèce et le Portugal, en particulier) ont consacré de longs développements constitutionnels pour préciser le droit à l'environnement. Ce serait faire preuve de mauvais esprit que de suggérer que la longueur des textes compense une mise en œuvre défaillante. En effet, si l'on se réfère à la dernière étude annuelle sur la mise en œuvre et le contrôle de l'application du droit communautaire de l'environnement(88) établie pour l'année 2002, le nombre des procédures d'infraction ouvertes par la Commission européenne ne varie pas de façon manifeste selon que les Etats soient du Nord ou du Sud de l'Union européenne. On note simplement que le Danemark, pays sans dispositions environnementales d'ordre constitutionnel, est probablement l'Etat dans lequel le nombre d'infractions au droit communautaire de l'environnement est le plus bas.

2) Les caractères spécifiques de la Charte de l'environnement

A ce stade, la comparaison peut être menée avec les constitutions des pays de l'Union européenne, mais aussi, avec celles de pays ayant fortement affirmé le droit à l'environnement.

Autres constitutions ayant consacré le droit à l'environnement

Argentine

Article 41 :

« Tous les habitants ont le droit à un environnement sain, équilibré, apte au développement de l'homme et à ce que les activités productives satisfassent les nécessités présentes sans pour autant compromettre les droits des générations futures, mais elles doivent les préserver. Le dommage à l'environnement entraînera prioritairement l'obligation de sa restauration, conformément à ce que réglera la loi. Les autorités sont chargées de la protection de ce droit, de l'utilisation rationnelle des ressources naturelles, de la préservation du patrimoine naturel et culturel et de la diversité biologique, de l'information et de l'éducation environnementales. Il appartient à l'Etat fédéral d'édicter les dispositions complémentaires nécessaires sans que les normes fédérales puissent empiéter sur les juridictions locales. Est interdite l'introduction dans le territoire de la Nation de déchets réellement ou potentiellement dangereux et de déchets radioactifs ».


Article 43 :

« Toute personne peut intenter une action judiciaire de protection libre d'entrave et rapide, à condition qu'il n'existe aucun moyen d'agir en justice plus apte, contre tout acte ou omission d'autorités publiques ou de particuliers qui, de manière actuelle ou imminente, restreint, altère ou menace, avec illégalité ou arbitraire manifeste, les droits ou garanties reconnus par cette Constitution, un traité ou une loi et y porte atteinte. Le cas échéant, le juge pourra déclarer l'inconstitutionnalité de la disposition sur laquelle se fonde l'acte ou l'omission dommageable. Seront habilités à intenter ladite action contre toute forme de discrimination, aussi bien en ce qui concerne les droits qui protègent l'environnement, la concurrence, les usagers et les consommateurs, et les droits d'incidence collective en général, la victime, le défenseur du peuple et les associations visant à ces objectifs, enregistrées conformément à la loi, laquelle fixera les conditions et formes de leur organisation ».

Brésil

Article 225 :

« Chacun a le droit à un environnement écologique équilibré, bien à l'usage commun du peuple et essentiel à une saine qualité de vie ; le devoir de le défendre et de le préserver au bénéfice des générations présentes et futures incombe à la puissance publique et à la collectivité.

§ premier
. Pour assurer le caractère effectif de ce droit, il appartient à la puissance publique :
I
- de préserver et restaurer les processus écologiques essentiels et de pourvoir à une gestion écologique des espaces et écosystèmes ;
II
- de préserver la diversité et l'intégrité du patrimoine génétique du pays et de surveiller les entités qui se consacrent à la recherche et à la manipulation du matériel génétique ;
III
- de définir, dans toutes les Unités de la Fédération, les espaces territoriaux et leurs éléments constitutifs qui doivent être spécialement protégés. Leur modification ou suppression ne pouvant être autorisées que par la loi ; toute utilisation menaçant les caractéristiques pour lesquelles ces espaces ont été déclarés zone protégée est interdite ;
IV
- d'exiger, selon les formes de la loi, pour toute installation de chantier ou d'activité pouvant entraîner une dégradation significative de l'environnement, une étude préalable sur les incidences écologiques, qui est publiée ;
V
- de contrôler la production, la commercialisation et l'emploi de techniques, de méthodes ou de substances qui comportent un risque pour la vie, la qualité de la vie et l'environnement ;
VI
- de promouvoir l'éducation écologique à tous les niveaux d'enseignement et la prise de conscience du public en ce qui concerne la préservation de l'environnement ;
VII
- de protéger la faune et la flore ; sont interdites, selon les formes de la loi, les pratiques qui mettent en danger leur fonction écologique, provoquent l'extinction d'espèces ou soumettent les animaux à des traitements cruels.

§ 2.
Quiconque exploite des ressources minérales est tenu de restaurer l'environnement dégradé en utilisant la solution technique exigée par l'organe public compétent, selon les formes de la loi.

§ 3
. Les conduites et activités considérées comme lésant l'environnement exposent les auteurs d'infraction, personnes physiques ou morales, aux sanctions pénales et administratives, sans préjudice de l'obligation de réparer les dommages causés.

§ 4.
La forêt amazonienne brésilienne, la forêt littorale atlantique, la Serra do Mar, le Pantanal du Mato Grosso et la zone côtière constituent un patrimoine national ; leur utilisation se fait selon les formes de la loi et dans des conditions garantissant la préservation de l'environnement, y compris en ce qui concerne l'usage des ressources naturelles.

§ 5.
Les terres publiques inoccupées ou récupérées par les Etats à la suite d'actions discriminatoires sont indisponibles dès lors qu'elles sont nécessaires à la protection des écosystèmes naturels.

§ 6.
La localisation des usines qui utilisent des réacteurs nucléaires est définie par une loi fédérale, faute de quoi elles ne peuvent être installées
 ».

Equateur

Article 19-2 :

« Sans préjudice des autres droits nécessaires à un développement moral et matériel complet qui découle de la nature de la personne, l'Etat garantit : [...]
2. Le droit de vivre dans un environnement exempt de contamination. L'Etat a le devoir d'être vigilant de manière qu'il ne soit pas porté atteinte à ce droit, et de veiller à la sauvegarde de la nature. La loi fixera les restrictions à l'exercice de certains droits ou libertés de manière à assurer la protection de l'environnement 
».

Suisse

Article 73. :

« Développement durable. - La Confédération et les cantons œuvrent à l'établissement d'un équilibre durable entre la nature, en particulier sa capacité de renouvellement, et son utilisation par l'être humain ».

Article 74 :

« Protection de l'environnement :
1. La Confédération légifère sur la protection de l'être humain et de son environnement naturel contre les atteintes nuisibles ou incommodantes.
2. Elle veille à prévenir ces atteintes. Les frais de prévention et de réparation sont à la charge de ceux qui les causent.
3. L'exécution des dispositions fédérales incombe aux cantons dans la mesure où elle n'est pas réservée à la Confédération par la loi
 ».

Article 75 :

« Aménagement du territoire. - 1. La Confédération fixe les principes applicables à l'aménagement du territoire. Celui-ci incombe aux cantons et sert une utilisation judicieuse et mesurée du sol et une occupation rationnelle du territoire » (...).

Article 76 :

« Eaux. - 1. Dans les limites de ses compétences, la Confédération pourvoit à l'utilisation rationnelle des ressources en eau, à leur protection et à la lutte contre l'action dommageable de l'eau.
2. Elle fixe les principes applicables à la conservation et à la mise en valeur des ressources en eau, à l'utilisation de l'eau pour la production d'énergie et le refroidissement et à d'autres interventions dans le cycle hydrologique.
3. Elle légifère sur la protection des eaux, sur le maintien de débits résiduels appropriés, sur l'aménagement des cours d'eau, sur la sécurité des barrages et sur les interventions de nature à influencer les précipitations.
4. Les cantons disposent des ressources en eau. Ils peuvent prélever, dans les limites prévues par la législation fédérale, une taxe pour leur utilisation. La Confédération a le droit d'utiliser les eaux pour ses entreprises de transport, auquel cas elle paie une taxe et une indemnité.
5. Avec le concours des cantons concernés, elle statue sur les droits relatifs aux ressources en eau qui intéressent plusieurs Etats et fixe les taxes d'utilisation de ces ressources. Elle statue également sur ces droits lorsque les ressources en eau intéressent plusieurs cantons et que ces derniers ne s'entendent pas.
6. Dans l'accomplissement de ses tâches, elle prend en considération les intérêts des cantons d'où provient l'eau
 ».

Article 77 :

« Forêts. - 1. La Confédération veille à ce que les forêts puissent remplir leurs fonctions protectrice, économique et sociale.
2. Elle fixe les principes applicables à la protection des forêts
 ».

Article 78 :

« Protection de la nature et du patrimoine. - 1. La protection de la nature et du patrimoine est du ressort des cantons.
2. Dans l'accomplissement de ses tâches, la Confédération prend en considération les objectifs de la protection de la nature et du patrimoine. Elle ménage les paysages, la physionomie des localités, les sites historiques et les monuments naturels et culturels ; elle les conserve dans leur intégralité si l'intérêt public l'exige.
3. Elle peut soutenir les efforts déployés afin de protéger la nature et le patrimoine et
acquérir ou sauvegarder, par voie de contrat ou d'expropriation, les objets présentant un intérêt national.
4. Elle légifère sur la protection de la faune et de la flore et sur le maintien de leur milieu naturel dans sa diversité. Elle protège les espèces menacées d'extinction.
5. Les marais et les sites marécageux d'une beauté particulière qui présentent un intérêt national sont protégés. Il est interdit d'y aménager des installations ou d'en modifier le terrain. Font exception les installations qui servent à la protection de ces espaces ou à la poursuite de leur exploitation à des fins agricoles
 ».


Article 79 :

« Pêche et chasse. - La Confédération fixe les principes applicables à la pratique de la pêche et de la chasse, notamment au maintien de la diversité des espèces de poissons, de mammifères sauvages et d'oiseaux ».

Il convient de noter que la Constitution fédérale des Etats-Unis se contente de mentionner, dans son préambule, parmi les objectifs poursuivis, celui de « développer le bien-être général ». C'est la seule référence de ce texte qui puisse évoquer la protection de l'environnement. En fait, c'est une loi fédérale de 1969 sur la politique nationale de l'environnement qui dispose : « Le Congrès reconnaît que chaque personne devrait jouir d'un environnement sain et que chacun a la responsabilité de contribuer à la préservation et à la conservation de l'environnement ». En revanche, le droit à l'environnement figure dans les constitutions de l'Illinois, de la Pennsylvanie et du Massachussetts.

Au total, selon le professeur Alexandre Kiss, la protection de l'environnement serait prévue, d'une manière ou d'une autre, par la constitution d'une centaine d'Etats. Le professeur Michel Prieur ajoute : « Il est frappant de constater que dans pratiquement tous les pays du monde, lorsque depuis 1970 la constitution a été révisée ou remplacée, on a éprouvé le besoin d'y insérer le nouveau droit de l'homme à l'environnement »(89). Les anciens Länder d'Allemagne de l'Est et les pays d'Europe centrale et orientale ont été très représentatifs de ce mouvement(90).

A partir du corpus que nous avons établi, il est possible de dégager trois caractères spécifiques de la Charte de l'environnement : la spécialité, l'affirmation d'un droit individuel à l'environnement et l'universalisme.

a) La spécialité

Tout comme le projet de Charte, plusieurs constitutions étrangères font référence à la santé (Belgique, Finlande, Italie et Portugal) et à un environnement « équilibré » (Argentine) ou, plus précisément « écologiquement équilibré » (Brésil et Portugal).

Nombre de ces constitutions ne se limitent pas à lier l'environnement à la santé. Dans leur dispositif, la protection de l'environnement englobe également l'aménagement du territoire et le patrimoine culturel (Grèce, Italie, Portugal, Suisse). La Constitution portugaise illustre particulièrement ce cas de figure : l'article 66 relatif à l'environnement et à la qualité de vie, institue un droit à un environnement sain et confie à l'Etat le soin d'organiser et promouvoir l'aménagement du territoire, d'assurer la sauvegarde des valeurs culturelles, d'intérêt historique ou artistique et d'encourager la qualité de l'architecture et la protection des zones historiques.

La Charte de l'environnement n'a pas retenu cette option. La proposition de la Commission Coppens visait, dans le paragraphe 6 de son article 2, l'environnement « patrimoine naturel et culturel commun », mais le texte soumis au Parlement se borne à une approche « naturaliste », sans d'ailleurs définir exactement
- comme on l'a indiqué précédemment - ce qu'elle recouvre exactement(91).

b) L'affirmation d'un droit subjectif à l'environnement

Dans l'Union européenne, seules quatre constitutions consacrent un droit individuel à l'environnement, directement opposable comme le droit à un environnement équilibré et favorable à la santé proclamé par l'article premier de la Charte. Il s'agit des textes constitutionnels belge, espagnol, grec et portugais.

S'agissant de la Belgique, on peut ainsi indiquer que, dans un arrêt Grégoire et consorts (n° 49-440 du 5 octobre 1994), la Cour d'appel de Bruxelles a interdit une activité polluante imputable à un parc de conteneurs, en fondant sa décision sur la reconnaissance constitutionnelle du droit à un environnement sain.

En ce qui concerne la Grèce, il convient de souligner que la réforme constitutionnelle d'avril 2001 a complété l'article 24 de la Constitution pour indiquer expressément que la protection de l'environnement est non seulement une obligation de l'Etat, mais également « un droit pour chacun », ce qui confirme que la Constitution grecque édicte un droit subjectif(92).

Un tel droit se retrouve, hors Union européenne, dans les Constitutions argentines et brésiliennes.

Le cas brésilien est particulièrement intéressant, dans la mesure où le droit à un « environnement écologiquement équilibré » est complété par deux garanties procédurales : l'action populaire environnementale et l'action civile publique environnementale.

L'action populaire est prévue par l'article 5 e-LXXIII de la Constitution brésilienne(93). Cette vieille procédure, qui date de la Constitution de l'empire en 1824, et qui pouvait être déclenchée par toute personne du peuple, sert à protéger constitutionnellement l'environnement depuis 1988. Ainsi, un arrêt de la Cour fédérale de la première région a, sur la base de l'article 225 de la Constitution, ordonné la démolition d'une construction sur une plage, qui portait atteinte à la faune et la flore littorales (décision du 21 mai 1990).

L'action civile publique, instituée par une loi de 1985 et constitutionnalisée en 1988 au sein de l'article 129 de la Constitution, vise à défendre les intérêts collectifs et diffus. Elle est réservée au ministère public, à des organismes publics (administration, collectivités locales...), ainsi qu'aux associations ayant comme objet statutaire la défense de l'environnement ou des consommateurs. Elle se distingue également de l'action populaire en ce qu'elle ne vise pas l'annulation d'un acte administratif, mais la réparation d'un dommage(94).

Les autres constitutions tendent plutôt à renvoyer aux seuls pouvoirs publics pour assurer le droit à l'environnement et à ne pas donner aux citoyens la possibilité de s'en prévaloir devant le juge.

Ainsi, aux Pays-Bas, l'article 21 de la Constitution proclame non pas un droit des citoyens, mais un devoir de l'Etat. Plusieurs ONG ou particuliers ont tenté d'engager des actions en justice en arguant de cet article, mais sans succès. Par exemple, dans une décision du 2 mai 2001, le juge a considéré que Greenpeace Nederland ne pouvait invoquer cet article 21 pour contester la politique de l'Etat en matière de gaz naturel, au motif qu'elle manquerait d'une vision durable. Selon le juge, la requête donnait une définition trop spécifique de l'article précité. Seul un Gouvernement qui, de façon évidente, ne prendrait pas du tout en compte les intérêts environnementaux, pourrait être sanctionné(95).

En Allemagne également, après avoir fait débat, un droit subjectif à la protection de l'environnement n'est pas reconnu(96).

c) L'universalisme

L'universalisme de la Charte se traduit à la fois par l'absence de mesures se rattachant à des préoccupations spécifiques au pays et par l'insertion des principes de mise en œuvre du droit à l'environnement dans le texte constitutionnel.

Sur le premier point, on observe effectivement que plusieurs constitutions comportent des dispositions liées aux circonstances locales. C'est le cas des Pays-Bas, où de nombreuses terres ont été conquises sur la mer, qui se réfèrent à l'« habitabilité du pays ». De même, la mention de la forêt amazonienne dans la Constitution brésilienne n'est pas anodine puisque « la promotion de l'environnement dans la Constitution brésilienne de 1988 servit-elle à renforcer la souveraineté nationale, menacée de l'extérieur par les rumeurs, sans doute exagérées, d'internationalisation de la forêt amazonienne »(97). On peut aussi évoquer l'interdiction des déchets radioactifs en Argentine, la place de l'urbanisation dans la constitution grecque, les articles spécifiques aux eaux et forêts dans le texte suisse, ou encore le renvoi au « patrimoine historique et artistique » en Italie.

La seconde facette de l'universalisme de la Charte de l'environnement apparaît dans l'élévation au niveau constitutionnel des principes d'action (prévention, précaution, réparation, intégration, éducation, participation...), dont on a déjà souligné l'importance pour donner sens au droit à l'environnement. Comme l'a indiqué le ministère de la justice, le but de la Charte est « tout à la fois de fonder les bases constitutionnelles du droit à l'environnement et, par la précision de ses énoncés, de fournir un guide à ses interprètes, au premier rang desquels se trouve le Conseil constitutionnel ».

D'autres pays ont également inscrit certains principes dans leur constitution, mais de façon partielle. On trouve ainsi des mentions de la prévention (Argentine, Portugal, Suisse), de la réparation (Argentine, Brésil, Suisse), du droit à l'information et/ou de la participation (Argentine, Finlande, Norvège) ou de l'éducation (Argentine, Brésil, Portugal). En outre, on constate qu'aucun Etat n'a encore constitutionnalisé le principe de précaution (même si des éléments de ce principe peuvent être décelés, selon certains auteurs(98), dans les V et VII du paragraphe premier de l'article 225 de la Constitution brésilienne).

Les constituants ont généralement préféré renvoyer à la loi pour affirmer les principes de mise en œuvre du droit à l'environnement. Au Portugal, est ainsi intervenue la loi fondamentale sur l'environnement n° 11/87 du 7 avril 1987. En Belgique, le décret de la Région flamande du 5 avril 1995 contenant des dispositions générales concernant la politique de l'environnement prévoit que celle-ci repose notamment sur le principe de précaution, le principe de l'action préventive, le principe que les atteintes à l'environnement doivent être combattues à la source, le principe du pollueur-payeur, qui doivent être incorporés dans l'élaboration et la mise en œuvre de la politique de la Région dans d'autres domaines.

Comme le signale le professeur Yves Jégouzo, « la Charte entend adopter le style universaliste qui est dans la tradition française, la différence étant toutefois qu'en 1789 la France précédait le mouvement alors qu'en 2003, la Charte ne fera que reformuler un corps de règles et principes reconnus par le droit international et le droit communautaire »(99). Cette affirmation doit pourtant être nuancée car la Charte met le droit à l'environnement et ses principes d'action bien plus en avant que les textes internationaux.

3) Des traités européens en retrait

Le premier texte reconnaissant le droit à l'environnement est la Déclaration de Stockholm adoptée par la Conférence sur l'environnement humain de 1972. Ce texte dispose : « L'homme a un droit fondamental à la liberté, à l'égalité et à des conditions de vie satisfaisantes, dans un environnement dont la qualité lui permette de vivre dans la dignité et le bien-être. Il a le devoir solennel de protéger et d'améliorer l'environnement pour les générations présentes et futures ». Ce principe a été confirmé en 1992 dans la Déclaration de Rio (« Les êtres humains (...) ont droit à une vie saine et productive en harmonie avec la nature »), puis à Johannesburg en 2002. Entre temps, deux traités d'application régionale avaient également proclamé le droit à l'environnement (Charte africaine des droits de l'homme et des peuples de 1981, protocole additionnel de San Salvador à la convention américaine relative aux droits de l'homme de 1988).

En ce qui concerne l'Europe, ni les traités communautaires, ni la Convention européenne des droits de l'homme, ne comportent des dispositions affirmant expressément le droit à l'environnement.

a) Le droit à l'environnement réduit au rôle de principe directeur du droit communautaire

Le traité instituant la Communauté européenne ne proclame pas le droit à l'environnement. Néanmoins, l'article 174, paragraphe 2, dispose : « La politique de la Communauté dans le domaine de l'environnement vise un niveau de protection élevé, en tenant compte de la diversité des situations dans les différentes régions de la Communauté. Elle est fondée sur les principes de précaution et d'action préventive, sur le principe de la correction, par priorité à la source, des atteintes à l'environnement et sur le principe du pollueur-payeur ». En outre, l'article 6 prévoit que « les exigences de la protection de l'environnement doivent être intégrées dans la définition et la mise en œuvre des politiques et actions de la Communauté (...) en particulier afin de promouvoir un développement durable ».

Ainsi, même si le droit à l'environnement ne figure pas dans le traité, on y trouve formulé la plupart des principes de mise en œuvre de ce droit. Pour autant, ces dispositions communautaires ne peuvent être situées sur le même plan que celles inscrites dans la Charte de l'environnement : l'article 174 ne fonde pas des règles de droit, mais se contente de préciser les principes sur lesquels la politique de la Communauté est fondée, sans même les définir d'ailleurs.

La Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, dont les dispositions sont intégrées dans le projet de traité instituant une Constitution pour l'Europe, n'a pas non plus consacré un droit à l'environnement. Son article 37 (II-37 dans le projet de traité précité) se contente des termes suivants : « Un niveau élevé de protection de l'environnement et l'amélioration de sa qualité doivent être intégrés dans les politiques de l'Union et assurés conformément au principe du développement durable ».

L'approche communautaire de l'environnement est ainsi essentiellement conçue en terme d'objectifs à poursuivre, ce que confirme, en dernier lieu, le paragraphe 3 de l'article 3 du projet de traité instituant une Constitution pour l'Europe - relatif justement aux objectifs de l'Union - qui prévoit : « L'Union œuvre pour une Europe du développement durable fondé sur (...) un niveau élevé de protection et d'amélioration de la qualité de l'environnement ».

Dès lors, on peut considérer que le droit à l'environnement n'existe dans le droit communautaire qu'en tant que « principe directeur »(100). Toutefois, en 1992, le traité de Maastricht a établi une passerelle entre l'ordre juridique communautaire et la Convention européenne des droits de l'homme, en disposant que « L'Union respecte les droits fondamentaux tels qu'ils sont garantis par la Convention (...) en tant que principes généraux du droit communautaire ». Cette disposition est reprise dans l'article 7 du projet de traité instituant une Constitution pour l'Europe (qui intègre également parmi les principes généraux, les droits fondamentaux tels qu'ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux Etats membres). Or, « bien que le droit à l'environnement ne figure pas dans la Convention européenne des droits de l'homme, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a développé peu à peu une jurisprudence constructive aboutissant à sa protection conventionnelle par ricochet »(101).

b) La protection indirecte de l'environnement par la Cour européenne des droits de l'homme

Le droit à l'environnement ne figure pas dans les droits protégés énumérés dans la Convention et il n'a pas encore été ajouté dans les protocoles (toutefois, le Conseil de l'Europe examine actuellement un projet de Charte relative aux principes généraux pour la protection de l'environnement et le développement durable(102), se référant directement au droit de l'homme à l'environnement). La protection de l'environnement par la CEDH ne peut donc être qu'indirecte.

C'est surtout l'article 8 de la Convention, relatif à la vie privée et familiale, qui est utilisé pour protéger les atteintes à l'environnement. Ainsi, dans un arrêt du 9 décembre 1994 Lopez Ostra c/Espagne, la CEDH a jugé que « des atteintes graves à l'environnement peuvent affecter le bien-être d'une personne et la priver de la jouissance de son domicile de manière à nuire à sa vie privée et familiale sans pour autant mettre en grave danger la personne de l'intéressé ». Dans un autre arrêt célèbre du 19 février 1998, Guerra et autres c/Italie, la CEDH confirmait cette jurisprudence.

L'application de la théorie dite des « obligations positives » a donc permis d'étendre la protection de l'article 8 aux cas où les pollutions et nuisances sont générées par des activités privées (station d'épuration gérée par une société de droit privé dans l'affaire Lopez Ostra et usine chimique dans l'arrêt Guerra). La CEDH avait également condamné la Grande-Bretagne, sur le fondement de l'article 8, à cause des nuisances sonores dues aux vols de nuit sur l'aéroport d'Heathrow, dans un arrêt Hatton du 20 octobre 2001. Ce dernier arrêt précisait notamment que « dans le domaine particulièrement sensible de la protection de l'environnement, la simple référence au bien-être économique du pays n'est pas suffisante pour faire passer les droits d'autrui au second plan ». Cependant, cette affaire ayant été renvoyée en Grande chambre, la CEDH a rendu un nouvel arrêt le 8 juillet 2003, où la violation de l'article 8 n'a finalement pas été retenue (la Grande-Bretagne est sanctionnée pour la seule violation de l'article 13, qui protège le droit à un recours effectif), car « il était légitime pour l'Etat de prendre en compte les intérêts économiques des compagnies aériennes et autres entreprises et aux intérêts du pays dans son ensemble ». La Cour ajoute : « Il ne serait pas indiqué que la Cour adopte en la matière une démarche particulière tenant à un statut spécial qui serait accordé aux droits environnementaux de l'homme ».

Il convient de préciser, par ailleurs, que la CEDH s'est récemment appuyée sur l'article 2 de la Convention - affirmant le droit à la vie - pour assurer la protection de l'environnement. Il s'agit d'un arrêt du 18 juin 2002, Öneryildiz c/Turquie, qui n'est pas définitif, puisque la Turquie a demandé son renvoi en Grande chambre.

Après examen des constitutions nationales et des traités européens, il apparaît clairement que le projet de la Charte de l'environnement fera de la France un modèle sur le plan de la reconnaissance juridique du droit à l'environnement.

Il importe désormais de s'attacher à deux aspects soulevant parfois quelques inquiétudes : la consécration du principe de précaution et les conséquences contentieuses de la Charte.

VI. L'AFFIRMATION RAISONNÉE DU PRINCIPE DE PRECAUTION

La Charte de l'environnement met particulièrement en exergue le principe de précaution, puisque, d'une part, c'est la première fois, à notre connaissance, qu'un texte de valeur constitutionnelle mentionne et définit la précaution et, d'autre part, il s'agit de la seule norme de ce texte expressément qualifiée de « principe ».

Ce statut spécifique n'a pas manqué de susciter d'importants débats depuis le lancement des travaux de préparation de la Charte. Il est d'ailleurs de notoriété publique que le texte présenté a été soumis à l'arbitrage du Chef de l'Etat.

Le principe de précaution semble effectivement, au premier abord, ne pas pouvoir entrer dans le champ juridique : « La norme juridique repose sur la certitude, la prévisibilité, sa fonction première est d'assurer un minimum de sécurité, excluant, dans la mesure du possible, toute idée de risque. Comment le droit pourrait-il saisir ce qu'il a pour objet de combattre ? Nos systèmes juridiques sont tous marqués par le souci d'évité l'incertitude »(103).

Pourtant, le risque a depuis longtemps été encadré par la norme juridique(104) et trois modèles juridiques distincts peuvent être établis(105: un modèle curatif ayant recours au droit de la responsabilité civile ; un modèle préventif faisant appel aux pouvoirs de police de l'administration et un modèle anticipatif illustré par le principe de précaution.

Ce principe de précaution aurait été formalisé en Allemagne à la fin des années 1960, sous le nom de Vorsorgeprinzip. Il faudra encore bien des années pour que ce principe soit intégré dans les normes juridiques extérieures de ce pays(106), mais cette conception a peu à peu imprégné l'ensemble des débats environnementaux. On peut ainsi lire dans un article publié en 1972(107), « maintenant, il faut (...) des mesures défensives et préventives, répressives et impératives, globales et particularisées, des mesures prises également par précaution, avant que le dommage ne se soit produit, car le plus souvent, lorsqu'on s'aperçoit du dommage, il est trop tard, le phénomène est irréversible ». Le professeur Philippe Kourilsky nous a aussi indiqué que, selon lui, l'une des premières applications raisonnées du principe de précaution, sans que le terme ne soit employé à l'époque, avait été réalisée à l'occasion de la conférence d'Asilomar de 1975.

Finalement, à partir du milieu des années 1980, plusieurs textes de droit international ont fait référence expressément à ce principe, à commencer par la déclaration ministérielle de la deuxième conférence internationale sur la protection de la mer du Nord en 1987(108). Il trouva un retentissement particulier grâce à son insertion dans le principe 15 de la Déclaration de Rio de juin 1992, disposant : « Pour protéger l'environnement, des mesures de précaution doivent être largement appliquées par les Etats selon leurs capacités. En cas de dommages graves ou irréversibles, l'absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l'adoption visant à prévenir la dégradation de l'environnement ». Quelques mois auparavant, en février 1992, le traité de Maastricht avait introduit, dans le traité instituant la Communauté européenne le principe de précaution comme l'un des principes fondant la politique de la Communauté dans le domaine de l'environnement.

C'est donc un principe fortement répandu que le législateur français a intégré en droit français, d'abord par la loi du 13 juillet 1992 relative au contrôle de l'utilisation et de la dissémination des organismes génétiquement modifiés puis, de façon plus étendue, par la loi « Barnier » du 2 février 1995, dont les dispositions figurant désormais au sein de l'article L.110-1 du code de l'environnement prévoient : « L'absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l'adoption de mesures efficaces et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l'environnement à un coût économiquement acceptable ». Le champ d'application du principe a ensuite été étendu à la santé publique par la loi du 30 décembre 1996 relative à l'air et à l'utilisation rationnelle de l'énergie, tandis que la loi du 1er juillet 1998 relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme s'inspire du principe de précaution, sans le citer expressément.

Intégré dans l'ordre juridique international, communautaire et national, le principe de précaution demeure une question polémique car son contenu est affecté d'une particulière imprécision, « source de mésinterprétations et de mésusages caractérisés »(109). Répondant, en quelque sorte, au souhait exprimé par un rapport au Premier ministre d'octobre 1999(110), l'article 5 de la Charte de l'environnement tente de fournir une définition plus précise de ce principe, afin de lutter contre les détournements auquel il a pu donner lieu. Il peut être intéressant, à cette occasion, de comparer ce texte avec les dispositions et les interprétations en vigueur en Europe.

A. Une définition plus précise du principe pour mettre fin à son mauvais usage

Le principe de précaution doit être distingué de la prévention et il importe d'affirmer qu'il s'agit avant tout d'un principe d'action. Ces différents éléments apparaissent nettement dans la définition retenue par la Charte de l'environnement.

1) Distinguer prévention et précaution

La prévention forme, tant sur le plan international que dans les ordres juridiques nationaux, le principe phare du droit de l'environnement ; elle en « constitue en quelque sorte sa règle d'or »(111). Elle est mise en œuvre quotidiennement grâce, en particulier, aux mesures de police administrative, outil traditionnel de la prévention. Le législateur français a eu l'occasion de voter des mesures préventives à maintes reprises, dont tout dernièrement la loi n° 2003-699 du 30 juillet 2003, relative à la prévention des risques technologiques et naturels et à la réparation des dommages, De même, au niveau communautaire, le principe de prévention est consacré par l'article 174, paragraphe 2, du traité instituant la Communauté européenne et le droit communautaire dérivé (règlements et directives, pour l'essentiel) a contribué de façon substantielle au développement de différents instruments juridiques de type préventif (on songe, entre autres, à la directive 96/82/CE du 9 décembre 1996, dite « Seveso II », ou à la directive 85/337/CEE concernant l'évaluation de l'incidence de certains projets publics et privés sur l'environnement).

Dès lors, on pourrait se demander ce que la précaution ajoute à la prévention. En fait, « la mesure préventive se distingue, d'une part, de la mesure curative en fonction de la présence ou de l'absence d'un dommage écologique et, d'autre part, de la mesure de précaution en fonction de la connaissance ou de l'ignorance du risque. Elle se situe donc dans la zone intermédiaire qui sépare ces deux pôles, à l'interface des modèles curatif et anticipatif »(112).

Si prévention et précaution représentent bien deux facettes de la prudence, ces deux démarches doivent être clairement distinguées(113). Bruno Latour a d'ailleurs noté que « s'il fallait un synonyme à la prudence, ce n'était pas la peine d'inventer un terme aussi pédant, « faire gaffe » aurait bien suffi »(114). Ce souci a été partagé par la Commission Coppens qui, dans son rapport, précise : « L'obligation de précaution s'applique quand deux conditions cumulatives sont réunies : un risque de dommage grave et difficilement réversible à l'environnement ; l'absence de certitude en l'état des connaissances scientifiques. L'incertitude est liée à l'insuffisance des connaissances elles-mêmes, et non au caractère éventuellement aléatoire du phénomène considéré (par exemple un risque d'inondation), par nature récurrent mais selon une périodicité aléatoire, n'est pas constitutif d'une situation où doit jouer l'approche de précaution ».

Le plus souvent, l'accent est surtout mis sur l'incertitude scientifique qui caractérise la précaution : « La prévention a rapport aux risques avérés dont l'existence est scientifiquement établie et la probabilité plus ou moins bien évaluée. La précaution a affaire à des risques potentiels et qui, pour être vraisemblables, ne sont pas encore scientifiquement établis »(115). On peut néanmoins indiquer que, selon M. Dominique Bourg, on ne part pas circonscrire le principe de précaution en se fondant sur le seul critère de l'incertitude, car l'exigence d'une « certitude scientifique absolue » mentionnée par le principe 15 de la Déclaration de Rio est étrangère à l'idée même de science. Pour cet ancien membre de la Commission Coppens, le trait premier de la précaution est la gestion anticipée des risques différés et extrêmes.

La Charte de l'environnement s'attache à distinguer clairement la prévention et la précaution : « Non seulement ils ne sont pas accolés (le principe de prévention figure à l'article 3), mais le principe de prévention n'est pas formulé comme un principe et est opposable « à toute personne », alors que le principe de précaution est formulé comme un principe et n'est opposable qu'aux autorités publiques »(116). On peut rappeler également que la prévention n'est pas définie par l'article 3, alors que l'article 5 définit la précaution et que cet article 3 renvoie au législateur pour préciser les conditions d'exercice de cette disposition, le dotant ainsi - selon l'exposé des motifs du projet de loi constitutionnelle - d'un « véritable pouvoir d'appréciation ».

Dans le cadre de ce pouvoir d'appréciation, on peut supposer que le législateur devra notamment s'interroger sur l'opportunité de faire référence à la correction par priorité à la source, qui est mentionnée dans l'article L.110-1 du code de l'environnement et qui constitue l'un des principes fondant la politique environnementale de la Communauté européenne, en vertu de l'article 174, paragraphe 2, précité. La correction par priorité à la source, qui signifie que l'intervention doit porter sur l'objet même qui provoque, directement ou indirectement, l'impact sur l'environnement, peut en effet être perçue comme l'une des modalités de la prévention.

2) La précaution comme principe d'action

Comme la question des OGM l'a amplement établi, le principe de précaution est souvent invoqué à tort et à travers, ce qui conduit la communauté scientifique et les acteurs économiques à exprimer quelques réticences à son égard. Pourtant - il convient d'y insister - le principe de précaution n'est pas une règle d'abstention mais, tout au contraire, un principe d'action.

a) Une familiarité trompeuse identifiant à tort le principe à une règle d'abstention

Le principe de précaution a souvent été rapproché de l'adage « dans le doute, abstiens-toi ». Ce rapprochement
- intellectuellement paresseux et oublieux d'un autre adage : « trop de précaution nuit » - a permis le développement d'une conception radicale de la précaution, assimilant ce principe à l'objectif du « risque zéro ».

Cette conception induit une logique d'inaction. « Dans cette perspective, renoncer au nucléaire, abandonner définitivement la culture d'OGM, ramener à zéro les rejets en mer de substances chimiques potentiellement dangereuses seraient des expressions du principe de précaution »(117).

Une telle approche n'a pas grand chose à voir avec la précaution. S'agissant des OGM, le rapport de M. Philippe Kourilsky et de Mme Geneviève Viney a fort bien montré que dans cette affaire, « les dix commandements de la précaution ont été mal appliqués ou totalement ignorés »(118). L'invocation du principe de précaution pour justifier la destruction de cultures a d'ailleurs été nettement réfutée par un jugement du tribunal correctionnel de Montpellier du 15 mars 2001, contenant l'attendu suivant :

« Ainsi, les destructions (des serres expérimentales de la CIRAD) dont se sont rendus coupables les prévenus privent les consommateurs français et européens des garanties que leur donne une recherche publique qu'ils ont fait l'effort de financer afin d'avoir une évaluation réelle des risques liés aux biotechnologies. C'est donc à tort qu'ils invoquent à leur bénéfice un principe de précaution qu'ils mettent en échec par leurs agissements ».

Commentant cette décision de justice, M. Olivier Godard confirme que l'une des premières exigences de ce principe face à des risques potentiels est une obligation de recherche permettant de mieux connaître le risque, y compris en s'engageant de façon mesurée et contrôlée dans les activités génératrices des risques en question. Il ajoute également, de manière ironique : « Un José Bové qui revendiquait le droit d'appliquer le principe de précaution à sa manière, consistant à détruire des instruments de recherche et des cultures expérimentales d'OGM, trouvait en revanche qu'on en faisait trop dans la lutte visant à éradiquer la fièvre aphteuse : « de là à abattre par milliers des ovins suspects sans attendre les analyses biologiques, là, franchement, on en fait trop » (Pons, 2001) »(119).

En fait, la conception radicale du principe de précaution se rattache plutôt au « principe de responsabilité » élaboré par l'allemand Hans Jonas(120), qui se différencie nettement de la précaution : cette dernière « s'appuie sur des connaissances scientifiques partielles, alors que le principe de responsabilité renvoie à « l'heuristique de la peur » qui exige que l'on imagine le pire scénario possible ; la précaution peut s'intégrer à une démarche de débat public, alors que la prise de décision au nom du principe responsabilité est le fait d'une élite « tyrannique » »(121).

De façon plus pragmatique, la conception radicale de la précaution apparaît aussi parfois comme un instrument pour remettre en cause les bases contemporaines de l'organisation économique(122).

b) Les réticences des scientifiques et des acteurs économiques

Apparaissant souvent comme un frein à la recherche scientifique et technologique, comme un instrument de l'altermondialisme ou encore comme un facteur de rigidité par excès de réglementation ou un masque à des intérêts protectionnistes, le principe de précaution est appréhendé, avec une certaine réticence, par les scientifiques et les chefs d'entreprise.

Les scientifiques tendent à le percevoir comme une nouvelle manifestation de la méfiance actuelle à l'égard de la science, qui se traduit, en particulier, par une baisse de popularité des filières scientifiques chez les étudiants. Ce principe participerait donc de la profonde remise en cause de la notion même de connaissance scientifique et de la notion de progrès. Il serait l'un des derniers avatars de la critique de la domination technicienne, initiée par Heidegger dans « Dépassement de la métaphysique » et poursuivie, notamment, par Jacques Ellul(123), dont on a indiqué précédemment qu'il avait été l'un des premiers à réclamer des « mesures de précaution ».

Dans ces conditions, il n'est pas étonnant que l'Académie de médecine ait adopté, le 11 février 2003, un texte appelant « l'attention sur les difficultés qui pourraient naître de l'inscription, dans un texte constitutionnel (...), du principe de précaution, sans que celui-ci soit parfaitement défini et tant qu'il risque de donner lieu - comme c'est souvent le cas actuellement - à des interprétations dommageables pour l'innovation et le développement économique »(124). Un mois plus tard, le 18 mars 2003, l'Académie des sciences a adopté un texte similaire.

Les réticences du milieu médical, que le professeur Maurice Tubiana a bien voulu exposer au rapporteur en acceptant d'être auditionné et en lui transmettant diverses de ses publications sur le sujet(125), ne sont pas récentes. Le rapport précité de 1999 sur « le principe de précaution » observait que « l'institution médicale est généralement réservée par rapport au concept de précaution, avançant, entre autres, que la médecine est nourrie, depuis ses origines hippocratiques, de la notion de précaution ». Il ajoutait également : « On ressent néanmoins une sous-estimation assez générale de la dimension de santé publique au profit de l'acte médical individuel (...). A l'inverse, les techniciens de santé, ceux qui opèrent dans le domaine de l'environnement, sont, en moyenne, plus favorables au principe de précaution ».

Dès lors, l'évolution de l'auteur de ces dernières lignes, le professeur Philippe Kourilsky, aujourd'hui directeur général de l'Institut Pasteur, semble significative de la perception du principe de précaution par les scientifiques. Dans la conclusion de son rapport de 1999, il indiquait : « Nous pensons qu'il n'y a pas lieu de contester le principe de précaution qui répond à une demande sociale évidente, mais qu'il est indispensable de l'organiser ». Or, à l'occasion de son audition, il a jugé ce principe « très décevant » car il reste perçu par le grand public et par une large partie du monde politique comme un principe d'abstention.

De leur côté, les entreprises que le rapporteur a auditionnées (Lafarge, Suez, Veolia) ont insisté sur la rigidité réglementaire supplémentaire que la constitutionnalisation du principe de précaution risque d'apporter, même s'il vise les autorités publiques uniquement, tout en reconnaissant qu'elles ont déjà intégré ce principe dans leur approche environnementale(126).

Confronté aux mésusages du principe de précaution et à de nombreuses réticences, le Gouvernement a pourtant tenu à l'inscrire dans la Charte de l'environnement. Ce choix paraît difficilement pouvoir être remis en cause : qu'on le veuille ou non, ce principe s'est imposé comme une norme essentielle de la gestion du risque environnemental et il aurait été singulier de ne pas l'inscrire aux côtés de la prévention et de la réparation, à partir du moment où la décision avait été prise de constitutionnaliser à la fois le droit à l'environnement et les règles permettant de le mettre en œuvre.

Il a semblé indispensable, néanmoins, de fournir une nouvelle définition du principe s'écartant sur plusieurs points de celle en vigueur dans le code de l'environnement (jugée « emberlificotée » par certains juristes) et qui paraît susceptible de répondre à la demande d'un principe « parfaitement défini » exprimée par l'Académie de médecine.

3) Les principaux éléments de la définition retenue par la Charte

L'examen de la définition du principe de précaution donnée par l'article 5 de la Charte peut être mené en distinguant, selon un schéma classique, ce qui relève de l'évaluation du risque et ce qui ressort de sa gestion.

Définitions du principe de précaution

- Article L.110-1 du code de l'environnement :
« Le principe de précaution selon lequel l'absence de certitude, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l'adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l'environnement à un coût économiquement acceptable ; » (...)

- Article 5 de la Charte de l'environnement :

« Lorsque la réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en l'état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution, à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin d'éviter la réalisation du dommage ainsi qu'à la mise en œuvre de procédures d'évaluation des risques encourus. »

a) L'évaluation du risque

A ce niveau, trois points méritent d'être soulignés :

- seul le risque environnemental est a priori concerné ;

- la précaution implique une incertitude scientifique ;

- le dommage doit être susceptible d'affecter l'environnement de manière grave et irréversible.

(1) Seul le domaine environnemental est expressément mentionné

Sur ce point, la Charte ne se différencie pas du dispositif du code de l'environnement, issu de la loi « Barnier » du 2 février 1995, et ne vise que les dommages à l'environnement.

Il importe cependant d'observer que le Conseil d'Etat a d'ores et déjà étendu le principe de précaution au domaine de la santé publique (arrêts Mme Barbier du 21 avril 1997, Société Pro Nat du 24 février 1999 et Mme Germain du 30 juin 1999), même s'il ne cite pas directement le principe mais les « précautions qui s'imposent en matière de mesure de santé publique ».

(2) La précaution implique une incertitude scientifique

Il a été précisé précédemment que le critère d'incertitude est souvent considéré comme fondamental pour distinguer la précaution de la prévention. Cette incertitude peut porter sur les causes du dommage ou sur son étendue ou sur ces deux aspects à la fois.

L'existence de l'incertitude borne le domaine de la précaution par rapport à la prévention, qui touche à des risques avérés dont seule la réalisation est aléatoire. La seconde borne du domaine de la précaution est l'ignorance. Face à l'ignorance, le principe de précaution est impuissant puisqu'elle n'offre aucune prise à l'action, si ce n'est la recherche scientifique(127).

Par rapport au texte du code de l'environnement, on constate qu'il n'est plus fait mention des connaissances « scientifiques et techniques du moment » et que l'on se réfère seulement à « l'état des connaissances scientifiques ». Selon le ministère de la justice : « Le terme « technique » utilisé dans l'article L.110-1 du code de l'environnement soulève des interrogations quant à son domaine d'application par rapport à « scientifique ». Sa suppression dans la nouvelle rédaction du principe de précaution est sans effet sur le champ des connaissances concernées par l'application de ce principe ».

(3) Le dommage doit être susceptible d'affecter l'environnement de manière grave et irréversible

En la matière, l'article 5 de la Charte reprend un élément figurant déjà dans le code de l'environnement et qui a donné lieu à de nombreux commentaires. Selon certains auteurs, en effet, l'exigence d'un dommage grave « et » irréversible serait excessivement restrictive.

La fixation d'un seuil pour la mise en œuvre de la précaution n'est guère contestée, mais le niveau de ce seuil est discuté.

La plupart des définitions combinent les critères de gravité et d'irréversibilité dont on doit préciser qu'ils se complètent : si un dommage irréversible constitue un dommage grave, la réciproque n'est pas toujours vraie.

Mais il faut observer que la France semble se distinguer en exigeant le cumul des deux caractères. Ainsi, l'article 3, paragraphe 3, de la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques vise un « risque de perturbations graves ou irréversibles ».

Pour autant, le champ d'application du principe de précaution doit être restreint aux dangers les plus sérieux et les mécanismes de la prévention existent pour prendre en charge de dommages graves mais réversibles. On peut souligner que dans le rapport de 1999 sur le principe de précaution, il était affirmé que le cumul des deux critères « paraît acceptable dans le domaine de l'environnement » (une réserve étant formulée pour l'application de ces deux critères dans les domaines de la santé publique et de la sécurité collective).

Lors de son audition, le professeur Philippe Kourilsky, co-auteur du rapport précité, a d'ailleurs qualifié de « logique » cette restriction du champ de la précaution.

En fin de compte, « la détermination des biens les plus précieux à mettre à l'abri des risques en érigeant la muraille de la précaution procède plus de choix politiques que de déductions juridiques »(128).

b) La gestion du risque

A cet égard, la définition retenue par la Charte précise que :

- la précaution relève des autorités publiques ;

- ces dernières doivent adopter des mesures provisoires et proportionnées ;

- parallèlement, elles doivent mettre en œuvre des procédures d'évaluation des risques encourus.

(1) Un principe ne visant directement que les autorités publiques

En matière de précaution, s'il est bien un débat récurrent, c'est celui touchant à la question de savoir si ce principe s'impose aux seuls pouvoirs publics, aux autorités publiques, voire aux personnes privées.

Le rapport Kourilsky-Viney de 1999 estimait que le principe devait s'imposer à tous les « décideurs », c'est-à-dire à toute personne qui a le pouvoir de déclencher ou d'arrêter une activité susceptible de présenter un risque pour autrui, tout en reconnaissant que les autorités politiques et administratives assument un rôle spécifique.

Au sein de la Commission Coppens, en revanche, il semblerait - à la lecture du rapport - que la question ait été restreinte à une application du principe par l'Etat seulement ou par l'ensemble des autorités publiques (notamment les collectivités territoriales).

Le projet de loi constitutionnelle a finalement décidé que le principe de précaution ne concernait directement que les autorités publiques.

L'exclusion de l'application directe aux personnes privées peut, en effet, être justifiée par deux raisons : d'une part, les personnes publiques sont investies de pouvoirs dont les particuliers sont dépourvus et qui leur permettent de faire prévaloir l'intérêt général sur les intérêts particuliers ; d'autre part, les personnes privées ne disposent pas forcément des capacités économiques et scientifiques pour mener à bien les recherches qu'implique la mise en œuvre de la précaution.

On pourrait, sur ce dernier point, remarquer qu'en confiant à l'ensemble des autorités publiques le soin de veiller à la mise en œuvre de la précaution, la Charte vise notamment les collectivités locales qui ne disposent pas non plus nécessairement des moyens utiles à l'évaluation du risque. Ces collectivités locales ont pourtant déjà motivé certaines de leurs décisions passées par le principe de précaution : qu'il s'agisse de la suspension de la consommation de viande de bœuf dans les cantines scolaires ou de l'opposition à l'installation d'antennes de téléphonie mobile.

En tout état de cause, l'exposé des motifs du projet de loi constitutionnelle précise clairement que s'il appartient aux seules autorités publiques de veiller à l'adoption de mesures de précaution, ces mesures pourront être prises soit par ces autorités, soit - à la demande ou sur injonction de ces dernières - par d'autres acteurs (notamment les entreprises). De même, toutes les personnes, publiques ou privées, physiques ou morales, pourront contribuer à la mise en œuvre des procédures d'évaluation des risques.

Dès lors, la rédaction retenue a paru satisfaire la plupart des personnes auditionnées.

De façon évidente, les autorités publiques n'auront la capacité de « veiller » à l'adoption des mesures de précaution que si elles sont informées des risques soulevés par certaines activités privées. De nombreuses dispositions particulières obligent déjà les entreprises à notifier à l'autorité publique toute anomalie constatée dans un produit ou une activité. Ainsi, par exemple, en matière de produits chimiques, tout producteur ou importateur se tient informé de l'évolution des connaissances, de l'impact sur l'homme et l'environnement lié à la dissémination de ces substances et doit informer l'autorité administrative de toutes données nouvelles (article L.521-5 du code de l'environnement et article 6 du décret n° 85-217 du 13 février 1985). Il en est de même en matière d'OGM (article 20 de la directive n° 2001-18 du 12 mars 2001) ou de produits antiparasitaires à usage agricole. En outre, l'article L.211-5 du code de l'environnement impose à toute personne d'informer le préfet ou le maire de tout incident ou accident présentant un danger pour les eaux. « Ainsi se généralise une nouvelle obligation liée au devoir de chacun de préserver l'environnement, consistant à dénoncer aux autorités administratives toute anomalie environnementale »(129). Cette nouvelle obligation est confortée par les articles 2 et 3 de la Charte, qui visent « toute personne » pour préserver l'environnement et prévenir les dommages.

(2) L'adoption de mesures provisoires et proportionnées

La prescription de mesures provisoires et proportionnées est indispensable pour que le principe de précaution corresponde à un principe d'action et non pas à une règle d'abstention.

La référence à des mesures provisoires est nouvelle par rapport à la définition du code de l'environnement, qui se borne à exiger des mesures effectives. La précaution conduisant à mettre en place des mécanismes continus d'évaluation des risques pendant la période d'incertitude scientifique, il importe que les mesures prises tiennent compte des résultats de cette évaluation et soient adaptables et révisables. Des mesures provisoires ne sont donc pas celles auxquelles il conviendrait de mettre fin rapidement, mais celles pouvant évoluer au gré de l'avancée des connaissances. On ne peut cacher, néanmoins, que « révisabilité et réversibilité posent un véritable défi (...) aux administrations publiques »(130).

Supposées provisoires, les mesures de précaution ont une fâcheuse tendance à s'installer durablement dans le paysage réglementaire, même après qu'il a été établi qu'elles ne se justifient pas ou plus. Lors de leurs auditions, les professeurs Maurice Tubiana et Philippe Kourilsky ont ainsi chacun évoqué le cas de la norme de concentration de nitrates dans l'eau destinée à la consommation humaine. Décidée au début des années 1950 en fonction d'hypothèses scientifiques sur la transformation des nitrates en nitrites - provoquant une maladie chez les nourrissons - ces normes n'ont pas été révisées quand ces hypothèses ont été scientifiquement invalidées. Des milliards d'euros sont aujourd'hui dépensés - notamment en Bretagne - pour ajuster l'offre d'eau potable à cette norme, alors même que les scientifiques affirment que la consommation de nitrates est inoffensive chez l'homme sans limite de dose(131). Le professeur Tubiana s'est également interrogé sur l'opportunité de poursuivre le remplacement des canalisations d'eau en plomb, décidé par une directive européenne et dont le coût pour la France est estimé à plus de 23 milliards d'euros, alors que les risques de contamination microbienne liés aux nouvelles canalisations en PVC seraient au moins aussi graves que les dangers imputés aux canalisations en plomb.

Il est évident que la capacité des autorités publiques à savoir adapter leurs mesures de précaution à l'évolution des connaissances sera une condition essentielle de l'acceptabilité du principe de précaution pour les secteurs les plus réticents aujourd'hui.

La mention de mesures proportionnées figurait déjà dans la loi Barnier de 1995, mais elle était assortie d'un renvoi à « un coût économiquement acceptable », qui n'est pas repris dans la Charte.

Cette préoccupation économique, en vertu de laquelle le coût de la mesure de précaution doit être mis en rapport avec la gravité du risque et la capacité financière des opérateurs, se retrouve dans le droit international. Ainsi, la convention précitée sur les changements climatiques prévoit que le principe de précaution devrait se limiter à l'adoption « des mesures [qui] requièrent un bon rapport coût-efficacité, de manière à garantir les avantages globaux au coût le plus bas possible ». Cependant, la plupart des définitions données au principe de précaution en droit international ignorent les restrictions afférentes aux coûts économiquement acceptables.

En effet, une telle référence soulève des difficultés : elle laisse entier le problème de savoir quels coûts sont économiquement acceptables et pour qui le sont-ils ; ensuite, l'incertitude inhérente à la précaution accroît le risque que les intérêts écologiques soient systématiquement galvaudés par rapport aux intérêts concurrents, puisqu'on ne connaît qu'approximativement la gravité du dommage pressenti.

L'article 5 de la Charte de l'environnement n'en fait pas mention, ce qui n'est pas neutre. Pour autant, il faut observer également que l'article 6 prévoit que les politiques publiques doivent concilier la protection de l'environnement avec le développement économique et social. Il ne semble donc pas que toute préoccupation économique devra être écartée, lors du choix des mesures de précaution. Le rapport de 1999 précité juge d'ailleurs que la prise en considération des coûts économiques ne peut être évitée, même dans le domaine de la santé et de la sécurité(132). Faute de cette prise en compte, il ne serait pas possible de faire face à la diversité des risques envisageables.

La proportionnalité des mesures de précaution comporte donc bien un volet économique, mais elle renvoie surtout à la gravité du risque. Elle signifie d'abord que l'interdiction totale n'est pas nécessairement la réponse proportionnée à un risque incertain : les autorités politiques ne seront pas tenues « d'ouvrir le parapluie » car elles disposent d'autres instruments que l'interdiction (renforcement des contrôles, fixation de seuils provisoires, recommandations visant certaines populations à risques...). De ce point de vue, il faut noter que dans son arrêt du 22 août 2002, Société SFR, le Conseil d'Etat a clairement indiqué que des mesures de précaution ne peuvent avoir pour seule justification le besoin de rassurer la population.

La proportionnalité implique, ensuite, un examen comparatif des avantages et des charges correspondant aux actions envisagées : dans le domaine de la santé, l'exemple de la décision de suspendre la vaccination contre l'hépatite B, soupçonnée de provoquer des scléroses en plaques, est ainsi souvent présentée comme un exemple caractéristique de mesure de précaution non proportionnée. Dans de nombreux cas, les premières et seules mesures à prendre au titre de la précaution ne dépassent pas l'organisation d'une veille scientifique.

On peut remarquer, enfin, que, selon l'article 5, les mesures provisoires et proportionnées doivent permettre « d'éviter » la réalisation du dommage. Ce terme semble mettre à la charge des autorités publiques une obligation de résultat, qui peut apparaître irréaliste et excessive. Dans bien des cas, les mesures de précaution ne pourront certainement que restreindre l'étendue des dommages. La loi Barnier de 1995 emploie le terme « prévenir », dont on a déjà signalé l'inadéquation compte tenu de la confusion introduite entre les deux principes de précaution et de prévention ; la Commission Coppens a proposé de « parer » au risque, mais la formulation la plus précise semble être celle évoquée par le rapport Kourilsky-Viney, visant à « réduire » (le risque) à un niveau acceptable et, si possible, de l'éliminer ».

(3) La mise en œuvre concommittante de procédures d'évaluation des risques

Le principe de précaution bien compris n'est pas un frein à la recherche, il est - au contraire - un aiguillon de cette dernière, invitée à approfondir son analyse du risque pour réduire l'incertitude scientifique et permettre d'adapter les mesures prises par les autorités publiques.

La constitutionnalisation du principe de précaution devrait donc autoriser un accroissement de la recherche environnementale. On peut d'ailleurs se réjouir du fait que le budget du ministère de l'écologie et du développement durable enregistre, pour 2004, « un effort accru en matière de recherche et d'expertise environnementale »(133). Pour autant, l'article 9 du projet de loi constitutionnelle - prescrivant à la recherche et l'innovation d'apporter leur concours à la préservation de l'environnement - ne saurait être interprété comme imposant un effort particulier sur ce domaine de la recherche. Mais une politique de la recherche qui exclurait les questions environnementales serait manifestement contraire à la Constitution.

La formulation de l'article 5 de la Charte visant des « procédures d'évaluation des risques » a parfois suscité quelques réserves, car la proposition de la Commission Coppens se référait à des « programmes de recherches », terminologie jugée plus explicite. Toutefois, selon le ministère de la justice, l'expression choisie en définitive est plus large que celle écartée, qualifiée de « notion administrative ». Il est vrai que les procédures d'évaluation englobent aussi bien les activités de recherches que les activités d'expertise.

L'expertise scientifique est un point clé du principe de précaution et elle est très éloignée en situation d'incertitude de l'expertise habituelle où un expert dit le vrai. Depuis la loi
n° 98-535 du 1er juillet 1998 relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme, la France s'est dotée de trois organismes compétents dans le domaine sanitaire (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, Agence française de sécurité sanitaire des aliments et Institut national de veille sanitaire). Le dispositif a été complété par l'institution, par la loi n° 2001-398 du 9 mai 2001, d'une Agence française de sécurité sanitaire environnementale. On ne doit pas oublier non plus l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, dont le Président - M. Claude Birraux - a rappelé, lors de l'audition publique du 10 avril 2003 sur la Charte de l'environnement, l'influence sur l'activité du législateur. Ce réseau d'expertise devra probablement être complété. De même, il conviendra d'élaborer un véritable statut de l'expert, précisant notamment les exigences relatives à son indépendance, à sa compétence et à sa responsabilité.

B. Le principe de précaution en Europe

Si aucune autre constitution européenne ne consacre le principe de précaution, il n'en est pas moins bien établi dans le droit de plusieurs de nos partenaires de l'Union européenne. Il sera indiqué, ensuite, qu'en droit communautaire, le principe de précaution a acquis valeur de principe général.

1) Un degré de réception du principe différent selon les Etats

En France, les juridictions judiciaires paraissent, jusqu'à présent, ignorer à peu près complètement le principe de précaution. En revanche, le juge administratif y a eu recours à plusieurs reprises depuis l'arrêt du Conseil d'Etat Rossi du 4 janvier 1995 et, surtout, depuis l'arrêt Greenpeace-France du 25 septembre 1998 où le Conseil d'Etat a prononcé le sursis à exécution d'un arrêté ayant permis l'inscription de trois variétés de maïs transgénique au catalogue officiel des espèces et variétés de plantes cultivées en France. Parmi les « moyens sérieux » justifiant le sursis à exécution, le Conseil d'Etat a retenu le principe de précaution, alors même que le Commissaire du Gouvernement l'avait invité, dans ses conclusions, à ne pas lui reconnaître la valeur d'une règle de droit d'application directe et immédiate. On a déjà indiqué, par ailleurs, que le juge administratif français applique également le principe de précaution dans le domaine de la santé publique.

Les autres Etats membres de l'Union européenne n'ont pas toujours aussi bien accueilli le principe de précaution, comme nous allons le voir à travers cinq exemples(134).

a) L'Allemagne

Formalisée pour la première fois dans ce pays, le « Vorsorgeprinzip » est inscrit dans plusieurs textes législatifs, notamment les lois fédérales du 15 juillet 1985 sur l'énergie nucléaire, du 14 mai 1990 sur la protection contre les effets nocifs sur l'environnement produits par la pollution de l'air, les pluies, les vibrations et les phénomènes similaires, et la loi fédérale du 16 décembre 1993 sur les biotechnologies.

L'insertion de ce principe dans les textes normatifs a permis à la jurisprudence de forger un véritable principe juridique, en particulier dans le domaine nucléaire où la loi dispose que l'autorisation ne peut être accordée que si « les précautions requises selon l'état de la science et de la technologie sont prises contre les dommages qui peuvent être causés par la construction ou l'exploitation de l'installation. »

Ainsi, dans un important arrêt du 8 août 1978 portant sur l'exploitation du surgénérateur de Kalkar, la Cour constitutionnelle a confirmé l'obligation pesant sur l'administration d'adopter des mesures de précaution tant contre les dangers identifiés que contre les risques non encore identifiés. Cependant, la Cour a également défini un niveau de « risque résiduel » que la population doit accepter, car « exiger de la législation qu'elle exclut de façon certaine toute atteinte à un droit fondamental rendrait impossible l'octroi d'une autorisation par les autorités administratives ».

Le juge allemand concède au pouvoir exécutif une marge d'appréciation relativement importante des risques et juge que le contrôle juridictionnel doit se limiter à vérifier que la décision litigieuse repose sur une information suffisante et sur des suppositions non arbitraires(135).

b) La Suède

Le principe de précaution est bien établi en droit suédois, mais les autorités sont assez réticentes à le mettre en œuvre.

Par ailleurs, la Suède a développé ce que l'on peut considérer comme une excroissance du principe avec l'institution, en 1986, d'une administration spéciale chargée de contrôler les produits chimiques et de mettre en œuvre le principe de substitution obligeant les producteurs ou importateurs de produits chimiques à produire ou importer les substances moins dangereuses dès que celles-ci sont disponibles sur le marché(136).

c) Les Pays-Bas

Dans ce pays, il n'existe pas de loi imposant aux autorités publiques de mettre en œuvre le principe de précaution, même si la législation comporte quelques éléments implicites. Ainsi, la loi cadre sur la gestion de l'environnement, entrée en vigueur en 1980, prévoit que « toute personne qui a connaissance, ou qui pourrait raisonnablement supposer, que ses actes ou l'omission d'agir pourraient engendrer des conséquences négatives pour l'environnement, est obligée de renoncer à ses actes, dans la mesure où cette exigence est raisonnable, afin d'éviter ces conséquences, ou, dans le mesure où il n'est pas possible d'éviter ces conséquences, de les limiter le plus possible ou de les annuler ».

En outre, plusieurs textes non normatifs font mention explicitement du principe de précaution : le mémorandum sur le changement climatique de 1991 ou encore le plan national de la politique environnementale de 2001.

Il est même envisagé de l'inscrire dans la législation nationale, mais - selon notre ambassade aux Pays-Bas - le Gouvernement devrait attendre préalablement l'entrée en vigueur de la directive européenne sur la responsabilité environnementale.

Cela n'empêche pas les requérants d'invoquer, de plus en plus souvent, le principe de précaution devant les tribunaux et les juges n'hésitent pas à l'utiliser, en particulier dans les litiges touchant à l'aménagement de la Waddenzee.

Toutefois, l'interprétation donnée à ce principe varie d'un tribunal à l'autre et, dans une affaire du 27 mars 2002 concernant la directive « habitats », la justice néerlandaise a posé une question préjuducielle à la Cour de justice des Communautés européennes, afin qu'elle donne son interprétation de ce principe.

d) La Belgique

Le premier texte législatif national à reconnaître le principe de précaution a été la loi fédérale du 20 janvier 1999 relative à la protection de l'environnement marin dans les eaux soumises à la juridiction belge. Auparavant, il figurait déjà dans le décret du 5 avril 1995 de la Région flamande contenant des dispositions générales concernant la politique de l'environnement(137) (en revanche, les réglementations de Wallonie et de Bruxelles-capitale l'ignorent).

En tout état de cause, le Conseil d'Etat a étendu le champ d'application du principe à l'ensemble de la Belgique dans son arrêt Venter, du 20 août 1999, jugeant que les droits constitutionnels à la protection de la santé et à un environnement sain englobent ce principe.

e) Le Royaume-Uni

Le principe de précaution est un principe directeur des politiques relatives à l'environnement selon le « Livre blanc » anglais sur l'environnement, où l'aspect économique des mesures à prendre est fondamental.

Toutefois, la jurisprudence semble réticente à l'égard de ce principe. Dans une célèbre affaire Duddridge, où l'enfouissement d'un câble électrique à haute tension devant une école était contesté en raison du risque de leucémie pour la population scolaire, les juges anglais ont refusé, dans deux décisions du 3 octobre 1994 et du 6 octobre 1995, de faire application du principe de précaution car ni le « Livre blanc », ni le traité instituant la Communauté européenne n'en permettent une application directe en Angleterre : le premier parce qu'il ne remet pas en cause le pouvoir discrétionnaire du ministre, le second parce que l'actuel article 174 du traité ne peut - selon la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes Peralta du 14 juillet 1994 - fournir de critère pour l'action des Etats membres dans le domaine de l'environnement. On doit néanmoins indiquer que, selon le professeur Nicolas de Sadeleer, « la solution aurait dû être différente si un acte de droit communautaire dérivé appliquant le principe de précaution avait été mis en cause par les requérants, ce qui n'était pas le cas en espèce. Dans ce cas, le juge aurait dû en tenir compte dans son interprétation des règles de droit national transposant la règle communautaire. »

Le principe de précaution aux Etats-Unis

L'approche comparative du principe de précaution peut utilement être complétée en évoquant - hors de l'Union européenne - le cas des Etats-Unis.

Le rapport Kourilsky-Viney fait observer que la notion de principe de précaution, entendue comme une forme exacerbée du contrôle a priori, pénètre difficilement aux Etats-Unis, où l'administration se manifeste surtout en cas d'accident, mais alors de façon efficace et brutale selon une logique de sanction destinée à entretenir le sens de la responsabilité des acteurs économiques. La culture du contrôle a priori en cours en Europe ne correspond donc pas à la culture américaine du contrôle a posteriori.

Néanmoins, diverses dispositions de lois fédérales peuvent être considérées comme imposant une démarche de précaution : le Clean air act de 1970, le National environmental policy act de la même année, le Federal water pollution control act tel qu'amendé en 1972... Le terme même de « précaution » apparaît explicitement en 1980 dans la loi sur l'exploitation des nodules des grands fonds marins.

La jurisprudence américaine est parfois même citée comme figurant parmi les précurseurs en ce domaine. Dans un fameux arrêt Tennessee Valley authority v. Hill de 1978, la Cour suprême a prononcé une interruption des travaux de construction d'un barrage susceptible de provoquer l'extinction d'une espèce de poisson protégée.

Dès lors, selon James Cameron(138) - un des fondateurs du principe de précaution - « aucun pays (...) n'a adopté aussi complètement l'essence du principe de précaution dans sa loi interne [durant les années 1960 et 1970] que les Etats-Unis ».

Cependant, une différence non négligeable subsiste entre les Etats-Unis et l'Europe. Le droit américain reconnaît une « approche » précautionneuse mais ne la généralise pas : les cas particuliers de réglementations apparemment précautionneuses ne donnent pas lieu à une quelconque obligation de mettre en pratique cette approche dans d'autres cas comparables.

Par ailleurs, l'Administration fédérale actuelle développe une opposition systématique au principe de précaution dans les négociations internationales : refus du protocole de Kyoto sur le changement climatique, opposition à toute référence à ce principe lors du sommet de Johannesburg ou encore dénonciation de son aspect protectionniste dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce (OMC).

2) Un principe général du droit communautaire

Consacré par le traité instituant la Communauté européenne, sans pour autant y être défini, le principe de précaution trouve « un terrain de prédilection »(139) dans la jurisprudence communautaire.

a) Des éléments de définition fournis par le droit déclaratoire

Il fallut attendre le traité de Maastricht (1992) pour que le principe de précaution rejoigne les autres principes du droit de l'environnement consacrés dans l'Acte unique européen de 1986 (pollueur-payeur, action préventive, correction par priorité à la source) au plus haut niveau des normes communautaires, dans ce qui est désormais l'article 174, paragraphe 2, du traité instituant la Communauté européenne.

Son insertion dans cet article figurant dans le titre XIX « Environnement » pourrait laisser supposer qu'il ne vise que l'environnement. Pourtant son champ d'application doit être apprécié au regard de plusieurs autres dispositions du traité :

- l'article 6 prévoit que « les exigences de la protection de l'environnement doivent être intégrées dans la définition et la mise en œuvre des politiques et actions de la Communauté ». Par ce truchement, le principe de précaution s'inscrit en droit dans tout acte susceptible de faire courir un risque même éventuel aux personnes et aux choses ;

- les articles 152, paragraphe 1, et 153 ajoutent l'obligation d'atteindre un haut niveau de protection dans les domaines de la santé et de la consommation ;

- enfin, en vertu de l'article 95, paragraphe 2, « la Commission dans ses propositions (...) prend pour base un niveau élevé de protection en tenant compte notamment de toute nouvelle évolution basée sur des faits scientifiques ».

Derrière l'ensemble de ces formulations apparaît en filigrane le principe de précaution, mais celui-ci n'est jamais défini. Aussi, depuis quelques années, les institutions communautaires ont-elles largement eu recours au « droit déclaratoire » pour tracer les lignes directrices de sa mise en œuvre.

Ce fut d'abord un document de la Commission européenne du 17 octobre 1998 intitulé justement « Lignes directrices sur l'application du principe de précaution », qui constituait un document de travail et n'a pas été publié.

Le Conseil ayant adopté le 15 avril 1999 une résolution demandant à la Commission « de se laisser, à l'avenir, guider davantage encore par le principe de précaution (...) et d'élaborer, de manière prioritaire, des lignes d'application de ce principe », celle-ci a publié, le 2 février 2000, une communication sur le recours au principe de précaution(140). Cette dernière a donné lieu à l'adoption d'une résolution du Conseil au Sommet de Nice du 7 décembre 2000(141) et d'une résolution du Parlement européen du 14 décembre 2000, tandis que le Comité économique et social rendait un avis le 12 juillet 2000(142).

La résolution du Conseil de Nice, qui pas plus que la communication de la Commission, n'a de force juridique, considère qu'« il y a lieu de recourir au principe de précaution dès lors que la possibilité d'effets nocifs sur la santé ou l'environnement est identifiée et qu'une évaluation scientifique préliminaire sur la base des données disponibles, ne permet pas de conclure avec certitude sur le niveau de risque ».

On peut ainsi constater que le champ d'application de la précaution est expressément élargi à la santé. Par ailleurs, le Conseil n'exige pas un risque de dommage « grave et irréversible » et se contente d'évoquer « la possibilité d'effets nocifs » (la communication de la Commission se référant à des « effets potentiellement négatifs »).

Les autres points forts de la résolution du Conseil sont les suivants :

1) Le principe de précaution s'applique à l'action des autorités publiques, ce qui vise aussi bien les institutions communautaires que les Etats membres. Cette résolution propose donc d'étendre l'applicabilité du principe aux Etats membres, alors qu'en droit, l'article 174 du traité ne vise que les institutions communautaires. Par ailleurs, elle confie la mise en œuvre du principe de précaution aux seules autorités publiques. A cet égard, dans la conclusion de sa communication, la Commission avait tenu à réitérer l'importance majeure qu'elle attribue à la distinction entre la décision d'agir ou de ne pas agir et les mesures résultant du recours au principe, le premier terme ayant « une nature éminemment politique ».

Cette position a été complétée par un arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 11 septembre 2002, Pfizer animal health SA, qui a clairement précisé que la prise d'une mesure de précaution relève de l'autorité politique et non pas des scientifiques, car « une légitimité scientifique ne suffit pas pour justifier l'exercice de l'autorité publique » .

2) L'évaluation du risque doit être réalisée sous la responsabilité de l'autorité publique, et être conduite de façon pluridisciplinaire, contradictoire, indépendante, transparente .

3) Les mesures de gestion du risque doivent être prises par les autorités publiques, dans le cadre d'un dialogue avec les responsables chargés de l'évaluation du risque, sur la base d'une appréciation politique du niveau de protection recherché et dans le respect d'un certain nombre de principes :

- proportionnalité des mesures prises au regard des risques à court et long terme ;

- non-discrimination ;

- cohérence avec les situations similaires ;

- mise en œuvre d'une démarche comparative (examen des avantages et des charges résultant de l'action ou de l'absence d'action, en tenant compte des coûts sociaux et environnementaux ainsi que de l'analyse économique et de l'acceptabilité sociale) et caractère prioritaire des exigences liées à la protection de la santé publique. Il importe effectivement de rappeler que le juge communautaire a fréquemment affirmé que « les exigences liées à la protection de la santé publique doivent incontestablement se voir reconnaître un caractère prépondérant par rapport aux considérations économiques » ;

- réexamen périodique des décisions prises ;

- obligation de recherche scientifique pour réduire le niveau d'incertitude, incombant à des acteurs déterminés au cas par cas en respectant « un équilibre satisfaisant entre pouvoirs publics, instances scientifiques et opérateurs économiques » ;

- la transparence doit être la règle au niveau de chaque étape du recours au principe de précaution : la société civile doit être associée en amont, une communication appropriée étant également assurée sur l'évaluation scientifique menée et sur les mesures de gestion du risque adoptées.

Reconnu par le traité, précisé par le droit déclaratoire, le principe de précaution ne trouve cependant guère de résonance dans le droit dérivé (règlements et directives) où il a rarement été consacré de manière expresse. En fait, dans le domaine de l'environnement, « les actes de droit dérivé réglementant l'évaluation des risques reposent, dans leur grande majorité, sur des exigences relativement strictes en termes de connaissance scientifique qui écartent dans une large mesure le recours au principe de précaution »(143).

Néanmoins, dans le secteur de la biotechnologie, le droit dérivé n'hésite pas à faire référence au principe de précaution. Ce fut le cas des directives 90/219/CEE et 90/220/CEE du 23 avril 1990 relatives, respectivement, à l'utilisation confinée et à la dissémination volontaire d'OGM. Cette dernière a été remplacée par la directive 2001/18/CE du 12 mars 2001, qui mentionne également le principe de précaution dans ses articles premier et 4.

Il convient de remarquer, enfin, que la récente proposition de règlement concernant l'enregistrement, l'évaluation et l'autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH)(144) repose expressément sur le principe de précaution (article premier).

b) Un usage étendu par le juge communautaire

Si la Cour européenne des droits de l'homme manifeste une réticence à l'égard du principe de précaution(145) (qui ne figure pas dans les dispositions de la Convention), le juge communautaire n'hésite pas à y recourir.

Dès 1990, la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) a fait référence au principe de précaution en matière de sécurité alimentaire(146). Elle l'a également utilisé pour la protection des ressources halieutiques(147), la protection de la couche d'ozone(148) ou dans des affaires relatives à la composition des cosmétiques(149), aux OGM(150)...

La Cour, sans citer le principe de précaution dans son arrêt, s'en est également inspirée dans ses décisions relatives aux périodes de chasse des oiseaux sauvages. Dans l'arrêt du 19 janvier 1994, Association pour la protection des animaux sauvages et préfet de Maine-et-Loire et préfet de la Loire Atlantique, elle a jugé qu'à défaut de données scientifiques et techniques appropriées à chaque cas particulier, il convenait d'adopter une date unique pour la fermeture de la chasse, laquelle devait correspondre à celle fixée pour l'espèce qui migre le plus tôt et non pas à celle de la période de maximum d'activités migratoires(151).

Des arrêts particulièrement importants sont intervenus dans le domaine de la crise dite de la « vache folle », à la suite des mesures d'embargo prononcées contre l'importation de la viande bovine en provenance du Royaume-Uni. Les deux décisions rendues le 5 mai 1998(152) ont reconnu sans ambiguïté l'applicabilité directe du principe de précaution, qui plus est dans un secteur - le droit à la santé - qui n'est pas mentionné par l'article 174 du traité.

L'extension du champ d'application du principe de précaution sera consacrée par le juge dans l'arrêt Artegodan GmbH et autres du 26 novembre 1992 où le Tribunal de première instance considère que « le principe de précaution peut être défini comme un principe général du droit communautaire » (cette formulation a été confirmée par un jugement du même tribunal du 28 janvier 2003, Laboratoires Servier).

Un résumé commode de la position du juge communautaire à l'égard du principe de précaution peut être trouvé dans un très récent arrêt du Tribunal de première instance du 21 octobre 2003, Solvay pharmaceuticals BV, aux termes duquel : « le principe de précaution constitue un principe général du droit communautaire imposant aux autorités concernées de prendre, dans le cadre précis de l'exercice des compétences qui leur sont attribuées par la réglementation pertinente, des mesures appropriées en vue de prévenir certains risques potentiels pour la santé publique, la sécurité et l'environnement, en faisant prévaloir les exigences liées à la protection de ces intérêts sur les intérêts économiques. Dans la mesure où les institutions communautaires sont responsables, dans l'ensemble de leurs domaines de compétence, de la protection de la santé publique, de la sécurité et de l'environnement, le principe de précaution peut être considéré comme un principe autonome découlant des dispositions du traité (...). Selon une jurisprudence bien établie, dans le domaine de la santé publique, le principe de précaution implique que, lorsque des incertitudes subsistent quant à l'existence ou à la portée de risques pour la santé des personnes, les institutions peuvent prendre des mesures de précaution sans avoir à attendre que la réalité et la gravité de ces risques soient pleinement démontrées (...).

Pourtant, si la CJCE a amplement développé le contrôle de légalité des actes de droit communautaire dérivé à l'aune du principe de précaution, ce contrôle se limite à la sanction des erreurs manifestes d'appréciation. Le juge vérifie que le principe n'a pas été omis par l'autorité publique chargée de le mettre en œuvre, mais
- sauf erreur manifeste - il n'étend pas son contrôle à l'analyse du risque faite par cette autorité. « Le juge communautaire ne peut en effet substituer son appréciation des éléments factuels [d'ordre scientifique et technique hautement complexes] à celle des institutions à qui, seules, le traité a conféré cette tâche »(153).

Cette limitation du contrôle juridictionnel revient de facto à accorder aux autorités communautaires une importante marge d'appréciation quant à la mise en œuvre du principe de précaution. Pour être censurés par le juge, les actes des institutions devraient être adoptés d'une « manière inappropriée et déraisonnable ».

Cette jurisprudence constitue l'un des éléments susceptibles d'atténuer les craintes exprimées quant aux conséquences contentieuses éventuelles de la Charte de l'environnement.

VII. DES CONSEQUENCES CONTENTIEUSES QUI N'APPARAISSENT PAS EXCESSIVES

La Charte de l'environnement, plus particulièrement l'inscription du principe de précaution dans cette Charte, fait craindre à certains une « catastrophe juridique majeure » ou tout au moins « de graves dérives contentieuses ».

Il est incontestable que la dynamique initiée par la Charte aura des répercussions contentieuses. D'ailleurs quelle signification aurait la consécration constitutionnelle d'un nouveau droit fondamental, si ce dernier ne devait pas être utilisé devant le juge ?

S'agit-il pour autant d'une « révolution juridique » ? Cette expression a certes été employée par M. Dominique Perben, Garde des Sceaux, lors du colloque du 13 mars 2003 sur les enjeux scientifiques et juridiques de la Charte de l'environnement, mais il a immédiatement ajouté qu'il s'agit d'une « révolution sereine », d'une « révolution tranquille ». Cette réforme s'inscrit, en effet, dans la continuité de l'évolution récente du droit de l'environnement et elle ne devrait pleinement faire sentir ses conséquences qu'à long terme grâce à un renforcement progressif du poids spécifique accordé aux préoccupations environnementales

L'impact contentieux de la Charte devrait se traduire à la fois sur le contentieux de la légalité et sur celui de la responsabilité. Ce dernier domaine est évidemment celui qui suscite le plus d'inquiétudes.

Dans le cadre du présent rapport d'information consacré à la Charte et le droit européen, il ne nous appartient pas de développer les évolutions probables du contentieux au plan national, qui ont d'ailleurs largement été analysées par Mme Geneviève Virey dans le rapport de 1999 sur le principe de précaution. On se bornera à rappeler quelques observations importantes :

- s'agissant du contrôle de légalité, le contrôle exercé par le juge - aussi bien national que communautaire - lorsque le principe de précaution est invoqué est un contrôle limité à l'erreur manifeste d'appréciation, ce qui laisse aux autorités publiques une marge d'appréciation importante. Il importe d'ailleurs de souligner qu'il ne suffit pas de « brandir » le principe de précaution pour que le juge s'en saisisse : dans son récent arrêt du 5 novembre 2003, Association pour la protection des animaux sauvages et association vie et nature pour une écologie radicale, le Conseil d'Etat - saisi d'un moyen tiré de la méconnaissance du principe de précaution et visant à l'annulation d'un arrêté relatif aux dates d'ouverture de la chasse aux oiseaux sauvages - a considéré que ce moyen n'était « pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien fondé » ;

- dans le domaine de la responsabilité - où le principe de précaution est, en fait, rarement évoqué - il convient de souligner que la responsabilité pénale des décideurs ne peut être fondée - en vertu du principe de légalité réaffirmé par l'article 111-3 du nouveau code pénal - que sur une incrimination prévue et définie par la loi. Le manquement à la précaution ne pourrait donc être pénalement sanctionné que s'il entrait dans la définition d'une infraction prévue soit par le code pénal, soit par une loi spéciale. Or tel n'est pas le cas dans le droit en vigueur. La Charte de l'environnement ne changera rien à cette situation, comme le souligne le ministère de la justice : « S'agissant du droit pénal, il convient de relever, tout d'abord, qu'un texte constitutionnel n'est pas un texte d'incrimination pénale. Ensuite, compte tenu de leurs places respectives dans la hiérarchie des normes, la loi ordinaire ne peut renvoyer (implicitement, comme ce serait le cas en l'espèce, ni même explicitement) à la loi constitutionnelle la définition d'éléments qui conditionneraient sa mise en œuvre à telle ou telle matière. Enfin, l'article 223-1 du code pénal [mise en danger de la vie d'autrui], de même que l'article 121-3 [délits non intentionnels] du même code, comme tout texte pénal, est d'interprétation stricte. Or, il fait référence à la violation d'une « obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement » : il n'est pas possible d'assimiler une disposition de la Constitution à « la loi » au sens de cet article ;

- en matière de responsabilité civile, il est fréquemment reproché au principe de précaution de renverser la charge de la preuve, mais, comme le note le rapport de 1999 précité, c'est exactement dans ce but qu'a été élaborée, par le juge et la loi, la théorie du risque, qui va même plus loin que le principe de précaution en supprimant l'exigence de la faute et, par conséquent, celle de sa preuve.

Il importe enfin de souligner que, comme dans le contentieux de la légalité, le principe de précaution sera au moins aussi fréquemment invoqué pour justifier l'action administrative et, par conséquent, pour écarter la responsabilité de la puissance publique, que pour l'attaquer.

Après ces quelques rappels, il convient de s'attacher à trois aspects de la question contentieuse qui peuvent être éclairés par le droit européen. Tout d'abord, on constate que le principe pollueur-payeur inscrit dans le traité instituant la Communauté européenne n'est pas repris dans la Charte. Ensuite, divers exemples européens permettent d'établir que le droit à l'environnement doit être concilié avec d'autres droits fondamentaux. Enfin, il apparaît utile de donner des éléments d'information sur deux textes communautaires, relatifs à la responsabilité environnementale et à la protection de l'environnement par le droit pénal, susceptibles d'influer fortement sur le régime de responsabilité applicable en France.

A. Une contribution à la réparation des dommages englobant le principe pollueur-payeur

En disposant que « Toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu'elle cause à l'environnement dans les conditions définies par la loi », l'article 4 de la Charte de l'environnement reconnaît, selon l'exposé des motifs, « une responsabilité en matière d'environnement plus exigeante que celle fondée sur le principe pollueur-payeur » dont l'absence de mention explicite dans le texte proposé doit être soulignée. Par ailleurs, plusieurs personnes auditionnées ont soulevé l'ambiguïté de la notion de « contribution ».

1) L'absence de mention expresse du « pollueur-payeur »

Formulé pour la première fois dans une recommandation du Conseil de l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) de 1972, le principe pollueur-payeur est désormais l'un des plus connus du droit de l'environnement, mais son contenu est difficile à appréhender tant il a connu d'évolution ces dernières décennies(154).

Au départ, le principe signifiait essentiellement que le pollueur devait supporter le coût des mesures de prévention et de lutte contre la pollution. Cela n'impliquait pas forcément que le pollueur devait effectivement « payer » : la mise en œuvre du pollueur-payeur entraînait surtout la réduction ou l'élimination de certaines subventions publiques destinées à encourager la réduction de la pollution ; l'objectif essentiel étant de prévenir les distorsions de concurrence résultant du décalage dans les aides selon les pays.

Peu à peu, le principe pollueur-payeur a connu un glissement de sens, l'amenant à recouvrir différentes fonctions : une fonction initiale d'harmonisation du marché, mais aussi une fonction redistributive (conduisant à rétrocéder aux pouvoirs publics, sous forme de taxes, une partie des bénéfices que les pollueurs tirent de leurs activités), une fonction préventive (visant à inciter le pollueur à réduire de lui-même la pollution dont il est l'auteur) et, enfin, une fonction curative (imposant la prise en charge du dommage par le pollueur). Cette dernière fonction correspond à la définition principale du principe aux Etats-Unis où la réparation des dommages est mise en œuvre par l'Agence de protection de l'environnement, qui dispose d'un instrument de mutualisation - le « Superfund » - lui permettant de mettre en cause la responsabilité des exploitants d'activités ayant causé une pollution.

Ces différentes fonctions sont cumulatives et la loi belge du 20 janvier 1999 visant la protection du milieu marin dans les espaces marins sous juridiction de la Belgique peut ainsi disposer que « le principe du pollueur-payeur implique que les coûts de prévention, de réduction et de lutte contre la pollution et les coûts de réparation des dommages sont à la charge du pollueur ».

La loi française fait également référence à ce principe, mais dans sa conception préventive uniquement. L'article L.110-1 du code de l'environnement vise ainsi « le principe du pollueur-payeur selon lequel les frais résultant des mesures de prévention, de réduction de la pollution et de lutte contre celle-ci doivent être supportés par le pollueur ».

Quant à l'article 174, paragraphe 2, du traité instituant la Communauté européenne, s'il vise expressément ce principe parmi ceux fondant la politique environnementale de la Communauté, il ne le définit pas.

Compte tenu des ambiguïtés de la formule « pollueur-payeur », la majorité des membres de la Commission Coppens avait souhaité ne pas le mentionner dans la Charte, afin d'éviter toute assimilation avec un « droit à polluer ».

Le projet de loi constitutionnelle l'écarte également. Ce choix a rarement été contesté par les personnes auditionnées, qui considèrent généralement que les articles 3 (prévention) et 4 (réparation) de la Charte sont plus explicites, tout en recouvrant les deux aspects essentiels du principe. Seuls les représentants de l'association France nature environnement ont véritablement regretté cette option.

En fait, s'il n'est pas cité, le principe demeure sous-jacent, comme l'exprimait d'ailleurs le Chef de l'Etat dès son discours d'Orléans du 3 mai 2001, en souhaitant la consécration du « principe de responsabilité » (...) « selon la règle pollueur-payeur ». Comme nous le verrons ci-après, cette règle constitue le fondement de l'importante proposition de directive sur la responsabilité environnementale.

2) L'ambiguïté de la « contribution »

Plusieurs interlocuteurs du rapporteur ont tenu à souligner, lors de leur audition, que la formulation « contribuer à la réparation » paraît réductrice et implique une réparation partielle.

M. Michel Prieur juge ce terme « anormalement favorable aux entreprises »(155).

Plusieurs observations peuvent néanmoins être faites pour répondre à ces critiques.

- en premier lieu, l'article 4 vise « toute personne » et pas seulement les entreprises. Tous les individus sont susceptibles de provoquer une pollution et ne disposent pas nécessairement des moyens financiers pour la réparer. Une notion de solidarité doit donc être introduite ;

- en second lieu, envisager la « contribution » comme partielle ne permet de percevoir qu'une seule facette de cette notion : une contribution peut être partielle ou totale ;

- en tout état de cause, l'article 4 renvoie au législateur pour définir les conditions de mise en œuvre de la responsabilité. Le terme « contribuer » pourra alors recevoir une définition plus précise, qui ne devra pas exclure - selon l'exposé des motifs - « la nécessaire solidarité nationale ».

B. La conciliation du droit à l'environnement avec les autres droits fondamentaux

Même si la protection et la mise en valeur de l'environnement doivent être intégrées dans l'ensemble des politiques publiques, le droit à l'environnement n'est pas absolu et il devra être concilié avec les autres droits fondamentaux.

Le « principe d'intégration » n'est pas cité dans le texte de la Charte mais l'exposé des motifs reconnaît que « l'exigence d'intégration » du développement durable dans l'ensemble des politiques publiques est exprimée par l'article 6, aux termes duquel : « Les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. A cet effet, elles prennent en compte la protection et la mise en valeur de l'environnement et les concilient avec le développement économique et social ».

Ce dispositif s'inscrit dans la lignée des grands textes internationaux sur le droit de l'environnement. Le principe 4 de la Déclaration de Rio dispose ainsi : « Pour parvenir à un développement durable, la protection de l'environnement doit faire partie intégrante du processus de développement et ne peut être considérée isolément ». De même, l'article 6 du traité instituant la Communauté européenne prévoit, depuis le traité d'Amsterdam, que : « Les exigences de la protection de l'environnement doivent être intégrées dans la définition et la mise en œuvre des politiques et actions de la Communauté (...), en particulier afin de promouvoir le développement durable ». Ce principe d'intégration est rappelé par l'article 37 de la Charte européenne des droits fondamentaux, qui constitue l'article II-37 du projet de traité instituant une Constitution pour l'Europe. La Commission européenne propose d'ailleurs que ce projet soit complété par un protocole sur le développement durable, qui préciserait les modalités du principe d'intégration visé par l'article II-37(156).

Toutefois, l'exigence d'intégration ne signifie pas que la protection de l'environnement doit être une considération ayant la préséance sur les autres intérêts : « omniprésence n'étant pas priorité »(157).

De la même façon, le droit à l'environnement ne va pas prévaloir sur les autres droits fondamentaux. Au nom du principe d'indivisibilité des droits, il n'y a ni concurrence, ni hiérarchie entre ces droits, mais complémentarité. C'est ce qu'oublient assez souvent les détracteurs de la Charte, qui se focalisent sur ses seules dispositions, en perdant de vue qu'elle doit être appréciée dans un cadre juridique bien plus élargi.

Dès lors, si la Charte peut susciter la tentation de multiplier les arguments d'ordre environnemental dans les saisines du Conseil constitutionnel ou devant les autres juridictions nationales, il n'y a pas lieu de craindre d'importants bouleversements. D'abord, parce que le texte même de la Charte prévoit - comme cela a été indiqué précédemment - la conciliation de la protection de l'environnement avec, d'une part, le développement économique et social (article 6) et, d'autre part, les autres intérêts fondamentaux de la Nation (sixième considérant)(158). Ensuite, parce que le juge a l'habitude de mettre en œuvre un contrôle de proportionnalité qui laissera subsister les protections s'attachant au droit de propriété, à la liberté du commerce et de l'industrie, à l'égalité devant les charges publiques ou encore, par exemple, à la liberté de circuler.

Ce contrôle de proportionnalité entre le droit à l'environnement et les autres droits fondamentaux est déjà effectué chez certains de nos partenaires européens et au niveau communautaire.

Le Conseil d'Etat grec (qui est également juge constitutionnel) a rendu de nombreux arrêts à propos de la protection de l'environnement et il a même été considéré que ce domaine est le plus familier de la jurisprudence constitutionnelle de cette haute juridiction. Dans l'exercice de la conciliation entre les droits fondamentaux, il a parfois fait prévaloir le droit à l'environnement (notamment sur la liberté religieuse, en interdisant la construction d'une église dans un parc municipal), mais il a aussi donné plus de poids au droit à la santé en acceptant l'installation d'une station de traitement biologique des déchets liquides sur un site boisé protégé(159).

La jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes comporte aussi de nombreux exemples de conciliation impliquant le droit à l'environnement. On en citera deux touchant respectivement à la libre circulation des marchandises et au droit à la sécurité des personnes.

Dans son arrêt « Bouteilles danoises » (CJCE, 20 septembre 1988, Commission c. Danemark), la Cour a eu l'occasion, pour la première fois, de mettre en balance le principe de libre circulation des marchandises avec le principe de protection de l'environnement en tant qu'exigence impérative d'intérêt général. Elle a jugé que l'obligation imposée par les autorités danoises de consigner et de réutiliser des emballages pour boissons était un élément indispensable pour atteindre le but poursuivi de protection de l'environnement, alors même que cette obligation restreignait les importations de produits emballés à l'étranger. En revanche, la CJCE a considéré que le régime d'agrément auquel les emballages devaient également être soumis pour pouvoir être commercialisés au Danemark - dispositif justifié par la nécessité de protéger l'environnement - était disproportionné par rapport à la liberté de circulation des marchandises.

Dans l'affaire Leybucht (CJCE, 29 novembre 1996, Commission c. RFA), le juge communautaire a dû trancher un conflit entre une application stricte de la directive sur la protection de l'habitat des oiseaux sauvages et le droit à la sauvegarde de la vie humaine, invoqué par les autorités allemandes pour justifier de travaux d'aménagements destinés à protéger contre les inondations les populations des villages proches d'une réserve naturelle et autorisant également des aménagements d'ordre socio-économique (essor de l'agriculture, création d'aires de détente...). La CJCE a établi une double hiérarchie des valeurs. D'une part, la sauvegarde de la vie humaine doit l'emporter sur les intérêts écologiques, dans la mesure où il s'agit d'une valeur fondamentale, alors que, d'autre part, les intérêts socio-économiques ne devaient pas vider de sa substance le régime de protection écologique.

Il convient de rappeler, à l'inverse, que la Cour européenne des droits de l'homme vient, dans un arrêt Hatton en Grande chambre du 8 juillet 2003, précité, de faire prévaloir les intérêts économiques sur la protection de l'environnement des voisins d'un aéroport.

Compte tenu du contrôle de proportionnalité entre les différents droits, il est donc peu crédible de supposer que le Conseil constitutionnel, en particulier, puisse remettre en cause de manière fréquente les choix du législateur en invoquant le nouveau droit fondamental à l'environnement. Ce risque est d'autant moins probable que le juge constitutionnel français a toujours fait preuve de prudence en ne se reconnaissant pas un pouvoir d'appréciation de même nature que celui du Parlement et qu'il avait jusqu'alors refusé de qualifier le principe de précaution d'« objectif de valeur constitutionnelle »(160).

La Charte de l'environnement conduira sûrement à un renforcement du poids spécifique accordé aux préoccupations environnementales dans le contrôle opéré par le Conseil constitutionnel sur la conciliation réalisée par le législateur entre différentes exigences constitutionnelles, mais ce renforcement ne devrait nullement mettre à mal notre système juridique, enrichi au contraire d'un nouveau droit fondamental.

Pour que la conciliation entre les divers droits soit réalisée dans les meilleures conditions, il conviendra probablement d'assurer une meilleure formation des magistrats dans un domaine aussi technique que celui de l'environnement. A cet égard, on doit se féliciter que le projet de loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité traduise une volonté de spécialiser les juridictions en matière de pollution et de santé publique.

Ainsi, l'article 9 de ce projet de loi étend la compétence des tribunaux du littoral spécialisés en matière d'infractions de pollution maritime, tandis que l'article 8 élargit la compétence des « pôles santé publique » (confiés actuellement aux tribunaux de grande instance de Paris et de Marseille) aux produits et substances réglementés auxquels l'homme est durablement exposé (amiante, mercure, ...).

C. Les propositions communautaires susceptibles d'influencer le droit de la responsabilité

L'engagement communautaire en faveur de la protection de l'environnement se manifeste actuellement à travers deux textes encore en discussion : la proposition de directive sur la responsabilité environnementale en vue de la prévention et la réparation des dommages environnementaux(161) et la proposition de directive relative à la protection de l'environnement par le droit pénal(162).

Ces deux textes font d'ailleurs écho à deux conventions adoptées par le Conseil de l'Europe - la convention de Lugano du 21 juin 1993 sur la responsabilité civile des dommages résultant d'activités dangereuses pour l'environnement et la convention de Strasbourg du 4 novembre 1998 sur la protection de l'environnement par le droit pénal - qui ne sont pas encore entrées en vigueur(163).

1) La proposition de directive sur la responsabilité environnementale

Ce texte important a été pris en compte lors des travaux d'élaboration de la Charte.

Le Livre blanc sur la responsabilité environnementale, présenté le 9 février 2000 par la Commission européenne, visait à étudier les possibilités de mise en œuvre du principe pollueur-payeur dans la politique communautaire environnementale. Il préconisait une directive-cadre pour encadrer juridiquement un régime communautaire de responsabilité environnementale.

Le dispositif proposé initialement par la Commission(164) se caractérisait par :

- un champ d'application excluant les dommages corporels et les dommages aux biens, pour ne prendre en compte que les « dommages environnementaux » (dommages à la biodiversité, dommages affectant les eaux et les sols), exceptés ceux régis par des conventions internationales (notamment les dommages dus à la pollution des hydrocarbures transportés par mer et les dommages dus à l'énergie nucléaire) ;

- un double système de responsabilité pour les pollueurs, distinguant les activités professionnelles dangereuses assujetties à une responsabilité sans faute pour l'ensemble des dommages environnementaux, et les autres activités professionnelles soumises uniquement à un régime de responsabilité pour faute en cas de dommage à la seule biodiversité (ce régime de responsabilité pour faute étant également applicable aux activités dangereuses bénéficiant d'une autorisation) ;

- une responsabilité non plafonnée pour les pollueurs (à la différence de ce qui existe, par exemple, pour les pollutions maritimes par hydrocarbures) ;

- l'absence d'un régime d'assurance obligatoire pour les pollueurs potentiels ;

- le rôle essentiel des pouvoirs publics dans la mise en œuvre de la responsabilité des pollueurs, puisqu'ils sont tenus d'obliger l'exploitant à prendre les mesures préventives nécessaires et, en ce qui concerne la réparation, doivent contraindre l'exploitant à réparer ou agir par eux-mêmes (étant précisé que la réparation mentionnée dans cette proposition vise le remise en état des milieux et non pas une réparation financière). Cette dernière obligation est susceptible de faire supporter aux pouvoirs publics - au moins temporairement - une partie de la charge financière de la réparation.

En l'état, cette proposition a suscité de vives critiques et les discussions se poursuivent dans le cadre d'une procédure de codécision, le Parlement européen s'étant prononcé en deuxième lecture, le 17 décembre 2003. On peut indiquer que le Conseil « Environnement » du 13 juin 2003 était parvenu à une position commune, à laquelle trois délégations (Allemagne, Autriche, Irlande) n'ont pu se rallier.

Les débats en cours portent surtout sur l'atténuation de responsabilité accordée, d'une part, aux exploitants autorisés et, d'autre part, pour les dommages imputables à des activités qui n'étaient pas considérées comme néfastes au regard des connaissances scientifiques et techniques lorsque ces activités se sont exercées. Ils concernent également le problème de l'assurance obligatoire des exploitants, ainsi que la question de la responsabilité subsidiaire de l'Etat.

2) La proposition de directive relative à la protection de l'environnement par le droit pénal

Ayant constaté que les Etats membres ne prévoient pas tous des sanctions pénales en réponse aux violations les plus graves du droit communautaire de l'environnement, la Commission européenne a proposé une directive fixant une norme minimale de protection de l'environnement par le droit pénal.

Elle ne s'applique qu'aux activités exercées en violation de la législation communautaire sur l'environnement et/ou des normes adoptées par les Etats membres pour se conformer à cette législation.

La proposition s'applique aux activités polluantes qui causent généralement ou risquent de causer des dommages substantiels à l'environnement. Lorsqu'ils sont commis intentionnellement ou par négligence grave, ces actes doivent être qualifiés d'infractions pénales. Seules les obligations dont la violation entraîne d'importantes dégradations de l'environnement ont été retenues.

La proposition ne prévoit pas de dispositions relatives aux poursuites pénales et aux questions de procédure pénale. C'est aux autorités judiciaires des Etats membres de décider si les infractions commises doivent être poursuivies.

En ce qui concerne les personnes physiques, la directive oblige les Etats membres à prévoir des sanctions pénales effectives, dissuasives et proportionnées. Pour protéger efficacement l'environnement, il est également prévu de sanctionner les actes de complicité (participation et incitation) dans la réalisation des infractions. Dans les cas les plus graves, les Etats membres devraient prévoir une peine d'emprisonnement. Ils disposeront alors d'une certaine marge d'appréciation dans la détermination de la gravité de ces actes.

S'agissant des personnes morales, il est jugé primordial que celles-ci puissent être reconnues responsables et que des sanctions leur soient appliquées dans toute la Communauté. Dans certains cas, les Etats membres auront la possibilité de prévoir des sanctions autres que pénales, pour autant que celles-ci restent effectives, proportionnées et dissuasives. Par exemple, ils pourront imposer des amendes à caractère non pénal, un placement sous contrôle judiciaire, la liquidation judiciaire ou l'interdiction d'accès à l'aide et aux subventions publiques.

Toutefois, le Danemark a pris l'initiative de proposer une décision-cadre sur ce même sujet(165), approuvée par le Conseil le 27 janvier 2003 et fondée sur des dispositions du titre VI du traité sur l'Union européenne relatives à la coopération judiciaire pénale.

La majorité des Etats membres a considéré, en effet, que la Commission européenne était sortie des compétences attribuées à la Communauté en proposant la directive précitée. Cette décision-cadre, qui devrait être applicable le 27 janvier 2005 au plus tard, vise à sanctionner les infractions au plan national, plutôt que de pénaliser les dommages à l'environnement dans le contexte de la non-observance de la législation communautaire.

La Commission, estimant que la base juridique retenue par le Conseil est inadéquate et que le législateur communautaire doit avoir la capacité juridique d'obliger les Etats membres à prévoir des sanctions pénales pour assurer le respect des normes communautaires, a décidé de saisir la Cour de justice des Communautés européennes pour obtenir l'annulation de la décision-cadre.

Ces deux exemples de directives encore en examen montrent que le droit communautaire est en évolution continuelle, tandis que la nature constitutionnelle de la Charte lui assure une certaine stabilité. Dès lors, il importe que les dispositions inscrites dans cette Charte ne soient pas contraires au droit communautaire actuel et soient susceptibles d'être conformes à l'évolution future de ce dernier, en raison de la règle de primauté du droit communautaire.

TROISIEME PARTIE :
LA CHARTE DE L'ENVIRONNEMENT ET
LA PRIMAUTE DU DROIT COMMUNAUTAIRE

Lors de l'élaboration de la Charte de l'environnement, il a été tenu compte des engagements pris par la France dans le cadre communautaire et international, dont on a souligné, en introduction, l'importance quantitative. Il importe, en effet, de ne pas mettre l'ordre constitutionnel français en décalage, voire en conflit, avec ces engagements.

Cette difficulté pose un problème spécifique s'agissant du droit communautaire, puisque depuis le célèbre arrêt du 15 juillet 1964 Costa, la CJCE affirme la primauté du droit communautaire sur le droit national. Cette primauté s'applique à l'égard d'un « texte interne quel qu'il soit ». Elle s'impose même, selon le juge communautaire, en cas « d'invocations d'atteintes portées soit aux droits fondamentaux tels qu'ils sont formulés par la constitution d'un Etat membre, soit aux principes d'une structure constitutionnelle nationale » (CJCE, 13 décembre 1970, Internationale Handelsgesellschaft). De fait, la jurisprudence communautaire n'a pas hésité à faire prévaloir le droit communautaire sur le droit constitutionnel des Etats membres (CJCE, 11 janvier 2000, Kreil), dans une affaire où le juge a considéré que la directive sur l'égalité de traitement entre hommes et femmes s'opposait à l'application d'un article de la Loi fondamentale allemande comme excluant d'une manière générale les femmes des emplois militaires comportant l'utilisation d'armes.

Même si les juridictions françaises ne reconnaissent pas la primauté du droit communautaire sur les dispositions de la Constitution, des contradictions entre le droit constitutionnel de l'environnement et le droit communautaire « poseraient néanmoins de sérieux problèmes »(166), puisque la France pourrait voir sa responsabilité engagée devant la CJCE si l'application de normes constitutionnelles la conduisait à manquer à ses obligations communautaires.

Aussi, la Charte a-t-elle été rédigée de façon à prendre en compte, notamment, le traité instituant la Communauté européenne, le projet de traité instituant une Constitution pour l'Europe, les principales directives communautaires environnementales déjà en vigueur et la proposition de directive étudiée précédemment sur la responsabilité environnementale.

Après avoir rappelé que l'environnement constitue une compétence partagée entre la Communauté européenne et les Etats membres, il sera indiqué que des conflits de normes entre la Charte de l'environnement et le droit communautaire sont peu probables, mais que des divergences futures ne peuvent être écartées entre l'ordre juridique national et le droit communautaire, ce qui ne soulève pas un problème majeur.

VIII. UNE COMPETENCE PARTAGEE

En vertu du principe de subsidiarité, la Communauté européenne ne dispose, dans le domaine de l'environnement, que d'une compétence d'attribution, laissant aux Etats membres, en principe, de nombreuses possibilités d'intervention.

A. L'inscription tardive dans le traité d'une compétence communautaire d'attribution

La compétence environnementale de l'Europe a été reconnue progressivement. Mais elle dispose désormais de pouvoirs qui lui permettent d'être à l'origine de l'essentiel des dispositions nationales en ce domaine.

Le traité de Rome signé le 25 mars 1957 ne contenait aucune disposition spécifique à l'environnement et n'autorisait donc l'adoption de mesures communautaires de caractère environnemental que de manière indirecte, en utilisant des bases juridiques se réclamant soit de l'harmonisation des législations nationales, soit de l'ajustement des compétences de la Communauté à ses objectifs.

C'est ainsi que les premières initiatives du législateur communautaire intervinrent dès 1967 (directive 67/548/CEE du 27 juin 1967 relative à la classification, l'étiquetage et l'emballage de substances dangereuses).

La CJCE consacra ses interventions en énonçant que « la protection de l'environnement (...) est un des objectifs essentiels de la Communauté » (CJCE, 7 février 1985, Association de défense des brûleurs d'huiles usagées).

Finalement, l'Acte unique européen de 1986 institua un cadre juridique pour une action communautaire en matière d'environnement, en insérant ce qui constitue aujourd'hui le titre XIX du traité en vigueur (articles 174 à 176).

Le traité d'Amsterdam compléta ce dispositif en mettant en exergue le principe d'intégration de l'environnement dans les autres politiques (article 6 du traité en vigueur). Ce principe permet de relativiser le caractère limité de la compétence communautaire car, de cette manière, un nombre significatif de mesures intéressant l'environnement peuvent être adoptées sur la base de fondements qui lui sont en principe étrangers, tels que la politique agricole commune, la politique commerciale ou la politique des transports, par exemple.

Par ailleurs, l'article 95 du traité - article issu de l'Acte unique européen - prévoit également une intervention communautaire en matière d'environnement grâce à des mesures ayant pour objet principal l'établissement et le fonctionnement du marché intérieur (lorsque la Communauté européenne intervient sur ce fondement juridique, elle dispose d'une compétence exclusive).

La Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, adoptée en décembre 2000 - et qui ne dispose pas d'une valeur normative en l'état pour les pays membres de l'Union -, n'ajoute rien aux textes existants de caractère obligatoire, puisque son article 37 est directement inspiré des principales dispositions inscrites dans le traité instituant la Communauté européenne.

L'insertion de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne au sein du projet de traité instituant une Constitution pour l'Europe ne devrait donc avoir qu'un impact juridique limité dans le domaine de l'environnement (alors que, dans d'autres domaines, les citoyens pourront faire valoir devant le juge certaines dispositions de cette Charte). On peut penser également que l'inscription du développement durable parmi les objectifs de l'Union visés à l'article 3 de ce traité ne modifiera pas non plus fondamentalement le cadre juridique dans ce domaine.

Principales dispositions des traités communautaires en matière d'environnement

- Traité instituant la Communauté européenne :

Première partie : Les principes

Article 2

La Communauté a pour mission, par l'établissement d'un marché commun, d'une Union économique et monétaire et par la mise en œuvre des politiques ou des actions communes visées aux articles 3 et 4, de promouvoir dans l'ensemble de la Communauté un développement harmonieux, équilibré et durable des activités économiques, un niveau d'emploi et de protection sociale élevé, l'égalité entre les hommes et les femmes, une croissance durable et non inflationniste, un haut degré de compétitivité et de convergence des performances économiques, un niveau élevé de protection et d'amélioration de la qualité de l'environnement, le relèvement du niveau et de la qualité de vie, la cohésion économique et sociale et la solidarité entre les Etats membres.

Article 3

1. Aux fins énoncées à l'article 2, l'action de la Communauté comporte, dans les conditions et selon les rythmes prévus par le présent traité :
(...)
1) une politique dans le domaine de l'environnement ;
(...)

Article 6

Les exigences de la protection de l'environnement doivent être intégrées dans la définition et la mise en œuvre des politiques et actions de la Communauté visées à l'article 3, en particulier afin de promouvoir le développement durable.

Deuxième partie, Titre I
Chapitre II : L'interdiction des restrictions quantitatives entre les Etats membres

Article 30

Les dispositions des articles 28 et 29 ne font pas obstacle aux interdictions ou restrictions d'importation, d'exportation ou de transit, justifiées par des raisons de moralité publique, d'ordre public, de sécurité publique, de protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou de préservation des végétaux, de protection des trésors nationaux ayant une valeur artistique, historique ou archéologique ou de protection de la propriété industrielle et commerciale. Toutefois, ces interdictions ou restrictions ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée dans le commerce entre les Etats membres.

Troisième partie, Titre VI
Chapitre III : Le rapprochement des législations

Article 95

1. Par dérogation à l'article 94 et sauf si le présent traité en dispose autrement, les dispositions suivantes s'appliquent pour la réalisation des objectifs énoncés à l'article 14. Le Conseil, statuant conformément à la procédure visée à l'article 251 et après consultation du Comité économique et social, arrête les mesures relatives au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres qui ont pour objet l'établissement et le fonctionnement du marché intérieur.
(...)

3. La Commission, dans ses propositions prévues au paragraphe 1 en matière de santé, de sécurité, de protection de l'environnement et de protection des consommateurs, prend pour base un niveau de protection élevé en tenant compte notamment de toute nouvelle évolution basée sur des faits scientifiques. Dans le cadre de leurs compétences respectives, le Parlement européen et le Conseil s'efforcent également d'atteindre cet objectif.

4. Si, après l'adoption par le Conseil ou par la Commission d'une mesure d'harmonisation, un Etat membre estime nécessaire de maintenir des dispositions nationales justifiées par des exigences importantes visées à l'article 30 ou relatives à la protection de l'environnement ou du milieu de travail, il les notifie à la Commission, en indiquant les raisons de leur maintien.

5. En outre, sans préjudice du paragraphe 4, si, après l'adoption par le Conseil ou par la Commission d'une mesure d'harmonisation, un Etat membre estime nécessaire d'introduire des dispositions nationales basées sur des preuves scientifiques nouvelles relatives à la protection de l'environnement ou du milieu de travail en raison d'un problème spécifique de cet Etat membre, qui surgit après l'adoption de la mesure d'harmonisation, il notifie à la Commission les mesures envisagées ainsi que les raisons de leur adoption.
(...)

Troisième partie, Titre XIX : Environnement

Article 174

1. La politique de la Communauté dans le domaine de l'environnement contribue à la poursuite des objectifs suivants :
- la préservation, la protection et l'amélioration de la qualité de l'environnement,
- la préservation de la santé des personnes,
- l'utilisation prudente et rationnelle des ressources naturelles,
- la promotion, sur le plan international, de mesures destinées à faire face aux problèmes régionaux ou planétaires de l'environnement.

2. La politique de la Communauté dans le domaine de l'environnement vise un niveau de protection élevé, en tenant compte de la diversité des situations dans les différentes régions de la Communauté. Elle est fondée sur les principes de précaution et d'action préventive, sur le principe de la correction, par priorité à la source, des atteintes à l'environnement et sur le principe du pollueur-payeur.
Dans ce contexte, les mesures d'harmonisation répondant aux exigences en matière de protection de l'environnement comportent, dans les cas appropriés, une clause de sauvegarde autorisant les Etats membres à prendre, pour des motifs environnementaux non économiques, des mesures provisoires soumises à une procédure communautaire de contrôle.

3. Dans l'élaboration de sa politique dans le domaine de l'environnement, la Communauté tient compte :
- des données scientifiques et techniques disponibles,-
- des conditions de l'environnement dans les diverses régions de la Communauté,
- des avantages et des charges qui peuvent résulter de l'action ou de l'absence d'action,
- du développement économique et social de la Communauté dans son ensemble et du développement équilibré de ses régions.

4.Dans le cadre de leurs compétences respectives, la Communauté et les Etats membres coopèrent avec les pays tiers et les organisations internationales compétentes. Les modalités de la coopération de la Communauté peuvent faire l'objet d'accords entre celle-ci et les tierces parties concernées, qui sont négociés et conclu conformément à l'article 300.
L'alinéa précédent ne préjuge pas la compétence des Etats membres pour négocier dans les instances internationales et conclure des accords internationaux.

Article 175

1. Le Conseil, statuant conformément à la procédure visée à l'article 251 et après consultation du Comité économique et social et du Comité des régions, décide des actions à entreprendre par la Communauté en vue de réaliser les objectifs visés à l'article 174.

2. Par dérogation à la procédure de décision prévue au paragraphe 1 et sans préjudice de l'article 95, le Conseil, statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission, après consultation du Parlement européen, du Comité économique et social et du Comité des régions, arrête :
a) des dispositions essentiellement de nature fiscale ;
b) les mesures affectant :
- l'aménagement du territoire,
- la gestion quantitative des ressources hydrauliques ou touchant directement ou indirectement la disponibilité desdites ressources,
- l'affectation des sols, à l'exception de la gestion des déchets.
c) les mesures affectant sensiblement le choix d'un Etat membre entre différentes sources d'énergie et la structure générale de son approvisionnement énergétique.
Le Conseil, statuant selon les conditions prévues au premier alinéa, peut définir les questions visées au présent paragraphe au sujet desquelles des décisions doivent être prises à la majorité qualifiée.

3. Dans d'autres domaines, des programmes d'action à caractère général fixant les objectifs prioritaires à atteindre sont arrêtés par le Conseil, statuant conformément à la procédure visée à l'article 251 et après consultation du Comité économique et social et du Comité des régions.
Le Conseil, statuant selon les conditions prévues au paragraphe 1 ou au paragraphe 2, selon le cas, arrête les mesures nécessaires à la mise en œuvre de ces programmes.

4. Sans préjudice de certaines mesures ayant un caractère communautaire, les Etats membres assurent le financement et l'exécution de la politique en matière d'environnement.

5. Sans préjudice du principe du pollueur-payeur, lorsqu'une mesure fondée sur le paragraphe 1 implique des coûts jugés disproportionnés pour les pouvoirs publics d'un Etat membre, le Conseil prévoit, dans l'acte portant adoption de cette mesure, les dispositions appropriées sous forme :
- de dérogations temporaires, et/ou
- d'un soutien financier du Fonds de cohésion créé conformément à l'article 161.


Article 176

Les mesures de protection arrêtées en vertu de l'article 175 ne font pas obstacle au maintien et à l'établissement, par chaque Etat membre, de mesures de protection renforcées. Ces mesures doivent être compatibles avec le présent traité. Elles sont notifiées à la Commission.

- Projet de traité instituant une Constitution pour l'Europe :

Article 3 : Les objectifs de l'Union

(...)

3. L'Union œuvre pour une Europe du développement durable fondé sur une croissance économique équilibrée, une économie sociale de marché hautement compétitive, visant le plein emploi et le progrès social, et un niveau élevé de protection et d'amélioration de la qualité de l'environnement. Elle promeut le progrès scientifique et technique.
(...)

Article II-37 : Protection de l'environnement

Un niveau élevé de protection de l'environnement et l'amélioration de sa qualité doivent être intégrés dans les politiques de l'Union et assurés conformément au principe du développement durable.

S'appuyant sur la compétence spécifique conférée par le titre XIX du traité et sur la compétence accessoire accordée par l'article 95 dudit traité, les institutions communautaires(167) ont développé un droit dérivé (règlements, directives...) couvrant de nombreux secteurs et s'efforçant, désormais, d'adapter également une approche dite « intégrée » pour appréhender l'ensemble des phénomènes environnementaux et leur interdépendance.

Ce droit dérivé, qui selon la nature des actes concernés, s'applique directement dans les Etats membres ou doit faire l'objet d'une transposition en droit interne, comporte également différents aspects du droit fondamental à l'environnement qui ne sont pas inscrits dans le traité. Il en est ainsi, en particulier, pour le droit d'accès à l'information ou le droit de participer au processus de décision.

B. La compétence étatique restreinte dans les faits

L'action normative environnementale des Etats membres consiste surtout à appliquer le droit communautaire, ce qui d'ailleurs ne se réalise pas sans quelques difficultés.

1) Une compétence de droit commun et une compétence résiduelle

Si, en vertu du principe de subsidiarité, les Etats membres conservent une compétence de droit commun, qui leur permet de prendre des mesures environnementales lorsque la Communauté n'est pas intervenue en invoquant le fait que ces mesures peuvent être réalisées de façon plus satisfaisante au niveau européen, il faut bien reconnaître que les politiques environnementales visent, dans de nombreux cas, des questions qui ne peuvent être abordées correctement qu'à un niveau international. La qualité de l'air ou la lutte pour la prévention des pollutions marines en sont des illustrations évidentes. Dans ces conditions, l'action environnementale des Etats membres consiste, pour l'essentiel, à mettre en œuvre les décisions prises à l'échelon communautaire.

En la matière, les Etats membres disposent d'ailleurs d'une compétence résiduelle, en vertu, d'une part, d'une clause de protection renforcée prévue par l'article 176 du traité et visant donc des mesures prises par la Communauté sur un fondement de protection de l'environnement et, d'autre part, d'une clause de sauvegarde prévue par l'article 95 du traité et visant dès lors des mesures communautaires touchant indirectement à la protection de l'environnement au nom de l'harmonisation des législations pour le bon fonctionnement du marché intérieur.

· La clause de protection renforcée

L'article 176 du traité accorde aux Etats membres la possibilité de maintenir ou d'établir, individuellement, des mesures plus strictes qu'une mesure communautaire de protection de l'environnement.

Ces mesures renforcées doivent être de nature et de sens compatibles avec ceux de la mesure communautaire, mais aussi compatibles avec le traité (ce qui vise tout particulièrement la libre circulation des marchandises).

· La clause de sauvegarde

Dans ce cas de figure, deux mécanismes sont à la disposition des Etats membres pour que des mesures nationales constituent des exceptions aux mesures adoptées par la Communauté.

Tout d'abord, l'article 95, paragraphe 4, donne la faculté de « maintenir » des dispositions nationales justifiées par des exigences importantes relatives à la protection de l'environnement. « La formulation utilisée demeure bien floue et offre un vaste champ d'interprétations, tant aux instances communautaires qu'étatiques »(168).

Ensuite, l'article 95, paragraphe 5, autorise les Etats non seulement à maintenir mais également à « introduire » des dispositions nationales nouvelles postérieures à la mesure communautaire d'harmonisation. Ces dispositions nationales nouvelles ne peuvent être édictées que sur la base de preuves scientifiques nouvelles liées à la protection de l'environnement. Par ailleurs, le problème surgissant doit être spécifique à l'Etat membre : cette particularité peut résulter notamment de la densité de la population, ou encore du degré d'industrialisation d'une région ; l'émergence d'un problème identique dans deux Etats membres n'anéantit pas forcément la spécificité de la situation.

Tant le maintien des dispositions nationales justifiées par des exigences importantes relatives à la protection de l'environnement que l'introduction de dispositions basées sur des preuves scientifiques nouvelles en raison d'un problème spécifique ne peuvent faire échec à l'objet principal de la mesure communautaire, touchant à l'établissement et au fonctionnement du marché intérieur. Dès lors, la disposition nationale ne peut être un moyen de discrimination arbitraire ou une restriction déguisée dans le commerce entre Etats membres ou constituer une entrave au fonctionnement du marché intérieur.

L'exercice de la compétence résiduelle des Etats membres est ainsi strictement encadré.

2) Les difficultés rencontrées dans la mise en œuvre du droit communautaire par les Etats membres

Comme l'indique le dernier document de la Commission européenne sur la mise en œuvre et le contrôle de l'application du droit communautaire de l'environnement(169) : « La mise en œuvre correcte, et en temps utile, du droit communautaire de l'environnement ainsi que le contrôle approprié de son application par les Etats membres posent problème ».

Ainsi, le secteur de l'environnement a représenté, en 2002, plus du tiers des cas d'infractions examinés par la Commission.

Les graphiques suivants illustrent les disparités existant entre les différents Etats dans l'application du droit communautaire dérivé touchant à l'environnement.

Cas de non-communication(170)

Cas de non-conformite(171)

Mauvaise application horizontale(172)

Source : Commission européenne.

On peut regretter, à la vue de ces graphiques, les performances plus que moyennes de la France, qui correspondent d'ailleurs aux mauvais résultats globaux de notre pays en ce qui concerne la transposition des directives, que notre collègue, M. Christian Philip, a analysés dans un récent rapport d'information de la Délégation(173).

Lors de son audition par la Délégation, le 14 janvier 2004, Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de l'écologie et du développement durable, a précisé, qu'à ce jour, 14 directives environnementales étaient en retard de transposition, dont 6 depuis plus de deux ans.

IX. DES CONFLITS DE NORMES ENVISAGEABLES, MAIS PEU PROBABLES

L'attention portée par les rédacteurs de la Charte au respect des engagements communautaires permet de considérer qu'il n'existe pas de contrariété ou d'incompatibilité manifeste entre les nouvelles normes constitutionnelles françaises et le droit communautaire ayant une valeur normative (le traité instituant la Communauté européenne et le droit dérivé).

Il importe de souligner qu'aucun juriste auditionné par le rapporteur n'a relevé de problème véritable en la matière. On peut même indiquer que les deux responsables de la Direction générale « Environnement » de la Commission européenne, rencontrés au cours des auditions, ont estimé que la Charte s'inscrivait tout à fait dans la perspective du projet de traité instituant une Constitution pour l'Europe et ils ont ajouté que la définition du développement durable fournie par le dernier considérant de la Charte était bien plus claire que celle inscrite dans ledit projet de traité.

La compatibilité entre le droit communautaire et la Charte est effectivement peu douteuse dans la mesure où le projet français reprend les grands principes directeurs du droit de l'environnement inscrits dans le traité et mis en œuvre par le droit dérivé.

Pour autant, le droit communautaire est extrêmement évolutif et il est impossible d'assurer aujourd'hui que les dispositions de la Charte seront définitivement en conformité avec ce droit. Des conflits ne peuvent donc pas être exclus dans le futur puisque le droit français ne reconnaît pas la primauté absolue du droit communautaire. Toutefois, les procédures encadrant l'adoption des textes communautaires, ainsi que les modalités d'intervention des actes nationaux dans le domaine de l'environnement peuvent raisonnablement laisser supposer que ces conflits auront peu d'occasion de se déclencher.

A. La primauté absolue du droit communautaire n'est pas reconnue par les juridictions françaises

On retrouve ici une problématique abordée il y a plusieurs années par la Délégation dans un rapport d'information de M. Pierre Mazeaud sur les rapports entre le droit communautaire dérivé et les constitutions nationales(174).

Certains de nos partenaires européens ont écarté toute possibilité de conflits de normes en inscrivant expressément dans leur constitution la primauté du droit communautaire ou en reconnaissant cette primauté par la voie jurisprudentielle.

Ainsi l'article 94 de la Constitution des Pays-Bas dispose que « les dispositions légales en vigueur dans le Royaume ne sont pas appliquées si leur application n'est pas compatible avec des dispositions de traités ou de décisions d'organisations de droit international public qui engagent chacun ».

Une semblable primauté du droit international est également reconnue par l'article 28 de la Constitution grecque, ainsi que par l'article 29 de la Constitution irlandaise. Ce dernier article prévoit qu'« aucune disposition de la présente Constitution n'invalide les règles, actes ou mesures adoptés par l'Etat et rendus nécessaires par ses obligations de membre des Communautés, ni n'empêche les règles, actes ou mesures adoptés par les Communautés, ou leurs institutions, d'avoir force de loi dans l'Etat ».

En Belgique, la primauté du droit communautaire est affirmée depuis un arrêt de la Cour de cassation du 27 mai 1971, Le Ski. De la même façon, le Conseil d'Etat luxembourgeois a considéré que le droit communautaire jouit de la primauté en raison de sa nature propre (arrêt du 21 novembre 1984, Pasicrisie luxembourgeoise).

S'agissant de la France, la Constitution ne comportait pas de référence propre au droit communautaire jusqu'à la révision constitutionnelle du 25 juin 1992, qui y a inséré un nouveau titre, « Des Communautés européennes et de l'Union européenne », comprenant quatre articles (articles 88-1 à 88-4). Ces dispositions autorisent les transferts de compétences nécessaires à l'établissement de l'union économique et monétaire européenne, à la détermination des règles relatives à la libre circulation des personnes, ainsi qu'au droit de vote accordé aux citoyens de l'Union résidant en France. Les actes communautaires n'entrant pas dans le champ de ces politiques voient leur place dans la hiérarchie des normes déterminées en application du titre VI de la Constitution intitulé « Des traités et accords internationaux ». Or, au sein de ce titre VI, l'article 55 ne reconnaît la supériorité des traités que par rapport à la loi et non par rapport à la Constitution elle-même.

« Si la Constitution française ne comporte aucune disposition reconnaissant la primauté de la règle internationale sur la Constitution elle-même, elle ne consacre pas pour autant expressément la suprématie de la norme constitutionnelle sur la norme internationale »(175). Les autorités gouvernementales, suivant en cela une grande partie de la doctrine, ont toujours affirmé néanmoins, que les traités occupent dans la hiérarchie des normes juridiques françaises un rang inférieur à celui de la Constitution. Cette affirmation découle surtout du texte de l'article 54 de la Constitution, prévoyant que « si le Conseil constitutionnel (...) a déclaré qu'un engagement international comporte une clause contraire à la Constitution, l'autorisation de ratifier ou d'approuver l'engagement international en cause ne peut intervenir qu'après révision de la Constitution ». Rien n'imposant de réviser la Constitution, la primauté de cette dernière en droit interne serait ainsi consacrée, puisqu'en l'absence de révision l'engagement international ne produirait jamais d'effet.

Cette position a été clairement adoptée, depuis peu de temps, par le Conseil d'Etat et la Cour de cassation. Dans un arrêt d'Assemblée du 30 octobre 1998, Sarran, le Conseil d'Etat a considéré que la suprématie conférée aux engagements internationaux par l'article 55 de la Constitution ne s'applique pas, dans l'ordre interne, aux dispositions de nature constitutionnelle. Cet arrêt ne portait pas sur le droit communautaire, mais dans une décision du 3 décembre 2001, Syndicat national de l'industrie pharmaceutique et autres, la Haute juridiction administrative a expressément considéré que le principe de primauté communautaire - qualifié de principe général de l'ordre juridique communautaire - « ne saurait conduire, dans l'ordre interne, à remettre en cause la suprématie de la Constitution ».

Entre temps, après avoir esquissé une position semblable à l'arrêt Sarran dans une décision Levacher du 17 février 1999, la Cour de cassation avait franchi le pas dans sa décision en Assemblée plénière du 2 juin 2000, Fraisse.

Le Conseil d'Etat et la Cour de cassation n'ont pas procédé à la confrontation entre un traité et la Constitution et fait prévaloir une disposition constitutionnelle sur une norme internationale au motif que celle-ci serait incompatible avec celle-là ; ils se sont bornés à constater que, dans les cas d'espèce, la Constitution formait un écran entre l'acte administratif attaqué (se contentant de faire application d'une loi reprenant les dispositions de la Constitution) et les traités invoqués(176).

Cette jurisprudence n'exclut pas que la responsabilité de la France soit recherchée sur le plan international du fait de la présence dans la Constitution d'une disposition qui serait considérée comme non conforme aux conventions internationales portant sur les droits fondamentaux. De fait, les décisions des deux juridictions font soigneusement la distinction entre l'ordre interne et l'ordre international. Dans l'ordre communautaire, en particulier, un Etat ne saurait utilement se prévaloir de la Constitution pour se soustraire à ses engagements(177).

Il conviendra donc de s'attacher à l'avenir, à éviter toute contrariété entre le droit communautaire et la norme constitutionnelle française. Des procédures susceptibles de restreindre ce risque sont déjà mises en œuvre à l'occasion de l'introduction des normes de droit communautaire en droit interne.

B. Des procédures internes visant à prévenir les conflits avec de nouvelles normes communautaires

Le système juridique français connaît des procédures de prévention des conflits permettant, a priori, d'exclure (ou tout au moins de limiter fortement) les possibilités d'introduction en droit français de normes communautaires incompatibles avec les dispositions constitutionnelles de la Charte de l'environnement(178). Ces procédures concernent aussi bien les traités communautaires que le droit dérivé.

S'agissant des traités, leur contrôle de constitutionnalité peut intervenir selon deux procédures différentes ouvertes par les articles 54 et 61 de la Constitution. La voie de l'article 54 permet au Président de la République, au Premier ministre, aux Présidents des deux assemblées ou à soixante députés ou sénateurs, de saisir le Conseil constitutionnel d'un traité avant sa ratification ou son approbation. Si l'incompatibilité d'un nouveau traité communautaire avec les dispositions de la Charte était ainsi constatée par le Conseil, la ratification du traité ne pourrait intervenir qu'après révision de la Constitution(179). Le Conseil constitutionnel a également admis(180) qu'il pouvait être saisi par soixante députés et sénateurs d'un recours, dans le cadre de l'article 61, dirigé contre la loi votée par le Parlement autorisant la ratification ou l'approbation d'un engagement international et qu'il était habilité à cette occasion à vérifier la conformité dudit engagement à la Constitution (sous la réserve classique que la loi autorisant la ratification du traité n'ait pas été adoptée par voie de référendum).

Pour le droit dérivé, les procédures des articles 54 et 61 sont exclues puisqu'elles ne s'appliquent qu'aux textes internationaux soumis à ratification ou à approbation, ce qui ne correspond ni aux règlements communautaires qui n'appellent aucune mesure complémentaire, ni aux directives qui réclament une « transposition »(181). Toutefois, plusieurs dispositifs techniques permettent d'anticiper les effets de l'application d'une norme de droit dérivé en cours d'élaboration.

Tout d'abord, une étude d'impact juridique est théoriquement menée par les services du Gouvernement dès la transmission par la Représentation permanente d'une proposition de la Commission européenne. Chaque ministère responsable doit veiller, à ce stade, à prendre en compte les effets des dispositions envisagées sur le droit interne.

Ensuite, le Conseil d'Etat, qui a en charge la détermination du caractère législatif ou réglementaire des propositions communautaires dans le cadre de la procédure prévue par l'article 88-4 de la Constitution peut, à cette occasion, déceler une difficulté avec les dispositions de la Constitution.

Ce dispositif a encore été renforcé par la récente circulaire du Premier ministre du 30 janvier 2003, qui autorise le Secrétariat général du Gouvernement, sur demande du SGCI, à saisir le Conseil d'Etat lors d'une négociation pour bénéficier de son conseil juridique sur des textes dont la transposition en droit interne pourrait soulever notamment des difficultés de nature constitutionnelle.

Enfin, intervenant au titre de l'article 88-4 précité, les délégations parlementaires pour l'Union européenne peuvent, lorsqu'elles se prononcent sur les propositions communautaires comportant des dispositions de nature législative, alerter sur les risques de contrariété avec nos dispositions constitutionnelles (ce qui peut inciter le Gouvernement à saisir le Conseil d'Etat de cette question, s'il ne l'avait pas déjà fait).

Les mesures préventives d'un éventuel conflit entre de futurs textes communautaires et les dispositions de la Charte sont donc bien établies. Elles ne peuvent pas garantir une absence complète de conflits dans un tel cas de figure(182), mais ce risque demeure très limité.

De la même façon, le risque de conflits entre une disposition nationale future découlant des dispositions de la Charte et le droit communautaire est restreint, compte tenu des conditions encadrant l'intervention des textes nationaux relatifs à l'environnement.

C. Des risques de conflits réduits par les conditions encadrant l'intervention des textes nationaux

Conformément à sa jurisprudence formulée dans la décision n° 74-54 DC du 15 janvier 1979, le Conseil constitutionnel considère qu'une loi contraire à un engagement international n'est pas pour autant contraire à la Constitution et que, dans ces conditions, il ne lui appartient pas « lorsqu'il est saisi en application de l'article 61 de la Constitution, d'examiner la conformité d'une loi aux stipulations d'un traité ou d'un accord international ». Dès lors, on peut concevoir qu'une loi déclarée conforme à la Constitution (et, en particulier, aux dispositions de la Charte de l'environnement) par le Conseil constitutionnel puisse ne pas être conforme au droit communautaire(183).

Ce risque est surtout évoqué en relation avec le principe de précaution, qui est non seulement défini dans la Constitution, mais qui, en outre, semble - pour certains - pouvoir n'être mis en œuvre que de façon restrictive par rapport au droit communautaire du fait de l'exigence d'un dommage grave « et » irréversible.

On doit d'abord relever que « le Conseil constitutionnel sera incité à délivrer une interprétation de la Charte de l'environnement, et notamment du principe de précaution, qui ne soit pas contraire aux engagements communautaires et internationaux de la France. Car même si le juge constitutionnel refuse toujours de procéder lui-même à un contrôle de conventionnalité des lois, il a, à plusieurs reprises, choisi une interprétation de la Constitution qui permette d'intégrer en fait les contraintes des normes internationales dans son contrôle »(184).

Ensuite, l'examen des cas où les textes nationaux - législatifs ou réglementaires - touchant à l'environnement pourront intervenir en concurrence avec le droit communautaire conduit à limiter les hypothèses de conflits.

Comme cela a été indiqué précédemment, la compétence étatique est, en fin de compte, assez restreinte dans les faits et trois cas peuvent être envisagés.

· Premier cas : le texte national intervient dans le cadre de la compétence de droit commun de l'Etat

Cela signifie justement que la Communauté européenne n'est pas intervenue dans le domaine concerné et n'a donc pas estimé, en application du principe de subsidiarité, qu'il serait réglementé de façon plus satisfaisante au niveau communautaire. Dès lors, le risque de conflit des normes est peu important.

En fait, le risque principal serait une incompatibilité avec le texte même du traité instituant la Communauté européenne, ce qui est peu probable en raison de l'inspiration commune de ce traité et de la Charte. De plus, s'agissant du principe de précaution, on doit rappeler que le traité n'en donne aucune définition et qu'en vertu de l'arrêt Peralta du 14 juillet 1994 de la CJCE, la référence à ce principe au sein de l'article 174 du traité ne saurait fournir un critère pour l'action des Etats membres dans le domaine de l'environnement (cet article ne vise que les institutions communautaires).

· Deuxième cas : le texte national est adopté au titre de la clause de « protection renforcée »

Dans ce cas de figure, la France serait amenée à maintenir ou à établir une mesure plus stricte qu'une mesure prise par la Communauté au titre de ses compétences environnementales (article 176 du traité).

Si la mesure communautaire a été adoptée au nom du principe de précaution, le texte national assurant une protection renforcée viserait donc à mettre en œuvre une précaution supérieure.

Il en résulte que la critique adressée à la rédaction de l'article 5 de la Charte visant un dommage grave « et » irréversible ne peut pas concerner ce cas d'espèce : l'exigence sur la nature du dommage semblant plus restrictive en droit français, elle ne saurait fonder une mesure de précaution plus stricte que celle préconisée par la Communauté.

La disposition nationale pourrait en revanche résulter d'une appréciation différente de la proportionnalité de la mesure de gestion du risque amenant les autorités françaises à préconiser des mesures plus sévères. Cette analyse sera soumise à un contrôle du juge limité à l'erreur manifeste (mais un obstacle à la libre circulation des marchandises pourrait être sanctionné).

· Troisième cas : le texte national met en œuvre la « clause de sauvegarde »

La Communauté ayant adopté une mesure d'harmonisation en application de l'article 95 du traité (établissement et fonctionnement du marché intérieur), la clause de sauvegarde mise en œuvre par les autorités françaises devrait consister soit à maintenir un texte national justifié par des exigences importantes relatives à la protection de l'environnement (article 95, paragraphe 4), soit à introduire une disposition édictée sur la base de preuves scientifiques nouvelles (article 95, paragraphe 5).

Dans la première hypothèse - le maintien d'un texte déjà en vigueur -, on peut penser que le risque de non-conformité entre les deux ordres juridiques aurait été examiné à l'occasion des négociations précédant l'adoption de la mesure communautaire d'harmonisation.

Quant à la seconde hypothèse, elle ne pourrait se produire que dans de rares circonstances, puisque l'Etat doit faire valoir à la fois des preuves scientifiques (et non pas seulement des incertitudes) nouvelles et une situation spécifique.

Au terme de cette analyse, on peut donc estimer que des conflits de normes auront peu d'occasion de survenir tant en cas d'évolution du droit communautaire qu'en cas d'adoption de mesures nationales visant à assurer la protection de l'environnement.

CONCLUSION

Une étude récente sur « Les parlementaires et l'environnement »(185) concluait que « la comparaison des attitudes des élus avec celles du grand public a toujours fait apparaître un décalage important de même sens : les parlementaires interrogés manifestent une attitude moins favorable à la défense de l'environnement que le public ».

L'adoption de la Charte de l'environnement pourrait constituer, pour l'ensemble du monde politique, l'occasion de manifester une prise de conscience de l'importance fondamentale de la protection de l'environnement, importance clairement exprimée par le Chef de l'Etat.

Le présent rapport a également montré que cette adoption doterait la France du texte constitutionnel affirmant le plus nettement en Europe le droit fondamental à l'environnement, sans pour autant faire naître de véritables risques d'excès contentieux ou de conflits avec les normes communautaires.

Il a été indiqué, enfin, que l'adoption de la Charte amènerait le législateur à intervenir pour préciser ses conditions de mise en œuvre et adapter le droit en vigueur. Plusieurs personnes auditionnées, en particulier les scientifiques, ont souhaité que la loi puisse aussi créer un « comité consultatif national de l'environnement » ou un « institut de veille environnementale » susceptible de fournir aux pouvoirs publics une aide à la décision. Cette suggestion mériterait d'être étudiée.

{texte de la conclusion...}

TRAVAUX DE LA DELEGATION

1) Audition de Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de l'écologie et du développement durable, sur l'environnement et le droit communautaire, le mercredi 14 janvier 2004

Le Président Pierre Lequiller a remercié Mme Roselyne Bachelot-Narquin d'avoir accepté de venir évoquer devant la Délégation les problèmes de l'environnement, qui, au niveau européen, relèvent d'une compétence partagée et suscitent de fortes attentes chez nos concitoyens. Il a rappelé, qu'au sein de la Délégation, le rapporteur était plus spécialement en charge de ce dossier, et il a souhaité aborder deux débats en cours, celui de la Charte de l'environnement, qui devrait faire de la France un modèle en Europe, et celui de la chasse, sur lequel la ministre est intervenue l'an dernier auprès de la Commission européenne.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de l'écologie et du développement durable, a indiqué que lors de son premier Conseil des ministres « Environnement », en mai 2002 à Palma de Majorque, elle avait été accueillie par un collègue européen soulignant que les ministres français de l'environnement étaient toujours les derniers arrivés et les premiers partis. Cette boutade lui a fait percevoir que les difficultés de compréhension entre la France et ses autres partenaires européens sur les questions environnementales étaient largement imputables à une insuffisance d'attention de notre part. Elle en a tiré la leçon qu'il fallait mettre trois principes au cœur de son action : en premier lieu, la connaissance, seule capable de dénouer des questions passionnelles ; ensuite, la participation, car la démarche environnementale ne peut aboutir sans une prise de conscience collective ; enfin, la nécessité de mener une activité intense sur la scène européenne et au niveau international, en entretenant des relations privilégiées avec les différents acteurs. Cette politique est souvent ingrate, peu médiatisée, et « chronophage », mais elle est indispensable.

Il convient de rappeler, en effet, qu'environ 80 % de notre législation nationale touchant à l'environnement est d'origine communautaire. Cela ne constitue pas une contrainte, mais au contraire une chance, à condition de se donner les moyens de peser sur la prise des décisions, car, si l'environnement concerne les individus dans leur vie quotidienne et au niveau local, les principaux problèmes ne peuvent être résolus que par une approche internationale.

L'Europe se doit d'être exemplaire pour tenir sa place dans les enceintes internationales. La croissance ne peut être que durable, puisque de nombreux exemples, MetalEurope en particulier, prouvent qu'une action visant à privilégier, soit-disant, l'emploi conduit à l'échec. L'Europe a déjà prouvé qu'elle savait montrer la voie dans le cas des négociations sur les changements climatiques.

Le bilan européen pour l'année 2003 en matière d'environnement peut être établi en s'intéressant à la fois aux travaux de la Convention sur l'avenir de l'Europe, du Conseil européen de printemps et des divers Conseils des ministres « Environnement ».

La Convention sur l'avenir de l'Europe a permis de consacrer le développement durable au plus haut niveau juridique des normes communautaires, puisque l'article 3 du projet de traité instituant une Constitution pour l'Europe inscrit le développement durable parmi les objectifs de l'Union européenne et rappelle également l'exigence d'intégration des considérations environnementales dans les autres politiques. A l'instar du projet de Charte de l'environnement au niveau national, ce projet de Constitution européenne permettra à terme d'influer sur les modes de consommation et de production. Cette action sera confortée par la mise en œuvre de la stratégie européenne de développement durable, qui complète une stratégie similaire initiée en France.

Le Conseil européen de printemps a appelé les Etats membres à respecter les objectifs du protocole de Kyoto concernant l'émission de gaz à effet de serre, à promouvoir des sources d'énergie respectueuses de l'environnement, à revoir les modalités d'attribution des subventions pour tenir compte des considérations écologiques et à gérer de façon responsable les ressources naturelles.

En ce qui concerne les Conseils des ministres « Environnement », quatre points méritent d'être mis en évidence : l'adoption de conclusions sur une stratégie marine européenne ; l'obtention d'un accord politique sur la directive relative à la responsabilité environnementale, fondée sur le principe pollueur-payeur ; l'adoption d'une directive établissant un système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre, permettant de constituer le premier marché régional de cette nature et, enfin, la proposition de règlement concernant l'enregistrement, l'évaluation et l'autorisation des substances chimiques (REACH). Ces Conseils ont permis à la ministre d'alerter ses collègues sur le dossier des inondations, en vue d'obtenir un réseau européen d'échanges, sur les effets de la canicule, et sur la sécurité maritime, afin de mettre en place notamment une plus forte pénalisation des dégazages en mer, ainsi qu'un accroissement des ressources et des indemnisations du FIPOL. Elle est également intervenue pour souligner les difficultés de mise en œuvre rencontrées par Natura 2000, spécialement en ce qui concerne la directive de 1979 sur les oiseaux sauvages.

L'année 2004 sera d'abord marquée par l'élargissement à dix nouveaux Etats membres. Ces pays ont transposé l'essentiel de l'acquis communautaire dans le secteur environnemental, mais il importe de les accompagner pour que l'Europe de l'environnement soit tirée vers le haut. La France peut jouer un grand rôle en la matière en participant à des jumelages concernant particulièrement les questions de l'eau et des déchets. La ministre a indiqué qu'elle s'attachait à nouer des liens avec ses nouveaux collègues et qu'elle s'était récemment rendue en Hongrie. Il paraît indispensable, en outre, d'établir un dialogue renouvelé avec les nouveaux voisins de l'Union européenne élargie.

L'élargissement impose également de mener une réflexion sur la gouvernance européenne. Une réunion de juillet 2003 entre les vingt-cinq ministres de l'environnement a effectivement démontré qu'il n'était pas facile de discuter en aussi grand nombre. En tout état de cause, il est souhaitable que le Conseil « Environnement » demeure une formation à part entière et ne soit pas transformé en une formation spécifique du Conseil « Affaires générales ». Le Conseil européen de printemps devra affirmer la nécessité d'une stratégie de développement durable forte, synthétisant les piliers économique, social et environnemental.

L'année 2004 sera marquée, ensuite, par le renouvellement du Parlement européen et de la Commission européenne. Dans cette période, il est donc indispensable de se concentrer sur les dossiers essentiels : le plan d'action sur les technologies environnementales, visant à promouvoir celles émettant peu ou pas de gaz à effet de serre ; le règlement REACH, sur lequel la Commission européenne devra apporter des précisions en termes économiques, sanitaires et environnementaux ; la révision de la directive relative aux eaux de baignade, qui doit permettre de rehausser les exigences sanitaires en demeurant dans des limites financières raisonnables ; la mise en œuvre de dispositifs d'application du protocole de Kyoto et, enfin, la prise en compte des exigences environnementales dans les réformes de la politique agricole commune, des fonds structurels et dans l'application de l'«éco-conditionnalité ».

La ministre a ensuite abordé la question de la transposition des directives relatives à l'environnement, en soulignant que vingt-six directives étaient actuellement en cours de transposition, dont quatorze en retard de transposition et six depuis plus de deux ans. Elle a précisé que, parmi les directives en cours de transposition, six nécessitaient des mesures législatives. Elle a noté que les retards sont parfois davantage liés à l'engorgement du calendrier parlementaire qu'à un manque d'engagement du ministère de l'écologie dans ce domaine.

La ministre a, par ailleurs, indiqué que, s'agissant de l'environnement, neuf procédures concernant la France étaient actuellement en cours devant la Cour de justice, dont trois pour retard de transposition. La France a fait l'objet de quatre avis motivés pouvant aboutir à des astreintes financières, en application de l'article 228 du Traité.

Pour remédier à cette situation, il convient à la fois d'améliorer l'organisation du travail ministériel et interministériel et de sensibiliser plus efficacement l'ensemble des acteurs. Les efforts engagés dans ce domaine devraient permettre la transposition de onze directives en 2004. Par ailleurs, deux procédures d'avis motivés ont pu être récemment classées.

Le renforcement du dialogue avec la Commission européenne constitue une autre priorité. La Commission s'écarte actuellement de l'approche juridique qu'elle privilégiait jusqu'à présent pour développer une démarche plus incitative, ce qui va dans le bon sens. La ministre a, à cet égard, évoqué la visite qu'elle a effectuée, en juillet dernier, avec plusieurs parlementaires, auprès de Mme Margot Wallström, Commissaire européen en charge de l'environnement, sur la fixation des périodes de chasse. Le déplacement a démontré l'esprit d'ouverture de la Commission européenne à ce sujet. Le problème des dates de chasse est un problème franco-français, l'Europe servant plutôt dans cette affaire de bouc émissaire.

Sur le plan national, la prise en compte de la dimension européenne du développement durable implique une mobilisation renouvelée. Il faut s'efforcer de renforcer le dialogue citoyen dans ce domaine. Les parlementaires ont un rôle majeur à jouer à cet égard. Il convient également d'associer au maximum les entreprises et le monde de la recherche. Le drame causé par la légionellose survenu dans le Nord de la France illustre cette nécessité.

La France est au cœur de la démarche européenne en matière d'environnement, ce qui implique l'établissement de liens étroits avec les ministres de l'environnement des autres Etats membres. La ministre a évoqué, en particulier, les relations de travail très suivies établies avec ses homologues allemands et britanniques. Elle a précisé qu'elle tiendrait, début février prochain, à Nantes, une réunion de travail avec M. Jürgen Trittin, ministre allemand de l'environnement.

Un débat a suivi l'exposé de la ministre.

M. Bernard Deflesselles, rapporteur, a estimé que l'image de la France s'était redressée en Europe dans le domaine de l'environnement. Après avoir rappelé, à titre d'exemple, qu'un pays comme le Danemark n'avait, dans sa Constitution, aucune disposition sur l'environnement, il a considéré que la France, avec l'adoption prochaine de la Charte de l'environnement, deviendrait un modèle en Europe et jugé souhaitable de le faire savoir. Il a ensuite demandé à la ministre des précisions sur la mise en œuvre du protocole de Kyoto.

M. Edouard Landrain a évoqué la perception négative qu'ont les citoyens à la fois de l'Europe et des écologistes, qui peuvent donner l'impression de se mêler de tout sans raisons. La directive « oiseaux » et ses difficultés d'application irritent les chasseurs, et Natura 2000 mécontente les agriculteurs. Il a alors demandé à la ministre si 2004 serait l'année de l'apaisement.

S'agissant de la pollution marine, il a rappelé que la commission d'enquête parlementaire sur le naufrage du Prestige avait souligné les carences européennes en matière d'équipements de remorquage et de dépollution. Au cas où un accident majeur viendrait à se produire dans une mer fermée comme la Méditerranée, les conséquences pour l'environnement seraient irréversibles et dangereuses. Il est encore temps de prendre des mesures, et mieux vaut prévenir que guérir.

M. Guy Lengagne, chargé avec M. Didier Quentin de suivre au sein de la Délégation pour l'Union européenne les questions de sécurité maritime, a fait part de son étonnement face à la faible implication du ministère de l'écologie et du développement durable dans la gestion de ce dossier, traité par des spécialistes du monde maritime et des transports. L'Union européenne, à travers les prises de position de Mme Loyola de Palacio, Commissaire européen en charge des transports et de l'énergie, manifeste sa volonté d'aller plus loin que ne le préconise l'Organisation maritime internationale (OMI) où siègent des pays qui n'ont pas intérêt à l'adoption d'une réglementation plus contraignante. L'idée serait donc de favoriser l'adoption de mesures strictement européennes, à l'instar de ce qu'ont décidé les Etats-Unis en matière de législation sur les navires à double coque. Il est dommage que le Gouvernement français ne souhaite pas s'engager dans cette voie, préférant en rester aux règles fixées dans le cadre de l'OMI. M. Guy Lengagne a ensuite souligné la nécessité d'observer attentivement ce qui se passe en Mer Baltique et qui concerne désormais directement l'Union européenne élargie. Il a enfin plaidé pour que le Gouvernement ne remette pas en cause la « loi littoral » dont il est à l'origine.

M. Jérôme Lambert s'est déclaré en accord avec les préoccupations précédemment formulées quant aux difficultés d'application du protocole de Kyoto. Il s'est en revanche démarqué de la position exprimée par ses collègues sur la directive « oiseaux », et a interrogé la ministre sur une éventuelle modification de ce texte si « brillamment » négocié par le Gouvernement de 1979. De même, il s'est interrogé sur une éventuelle volonté de remettre en cause le réseau Natura 2000. Il a ensuite évoqué les conséquences sur l'environnement de la réforme de la politique agricole commune (PAC), qui devrait mieux prendre en compte les aspects environnementaux, notamment dans les nouveaux pays membres où la modernisation agricole peut présenter des dangers pour l'environnement. M. Jérôme Lambert a également abordé les enjeux du dossier nucléaire et de la problématique de lutte contre l'effet de serre.

M. Jacques Myard a considéré que l'Europe se trouvait aujourd'hui dans une crise profonde qui va nécessiter des réformes. Plus l'Europe s'élargit, plus elle va devoir s'amaigrir. Certes, l'Union reste l'échelon pertinent pour un certain nombre de questions (pollution nucléaire et pollution marine notamment) ; en revanche, il est d'autres domaines où le « détricotage » s'impose. Par exemple, une directive de 1992 fait obligation aux collectivités territoriales de traiter les eaux usées et les eaux pluviales dans des réseaux séparatifs. Or cela est inutile - mais excessivement coûteux - dans la mesure où ces eaux doivent à la sortie être traitées de la même manière. Il a dès lors interrogé la ministre sur les initiatives que le Gouvernement entendait prendre pour faire abroger des textes sans aucun sens, dépassés par la technologie et pourtant toujours en vigueur.

M. Didier Quentin a souhaité connaître l'appréciation de la ministre sur l'intégration de l'acquis communautaire par les nouveaux Etats membres de l'Union européenne en matière de sécurité maritime. Il a estimé que les propositions de la Commission européenne en matière d'eaux de baignade étaient assez contestables. Il s'est déclaré opposé à une remise en cause de la « loi littoral », et favorable à une relance des schémas de mise en valeur de la mer, afin d'assurer un équilibre entre la protection de l'environnement et le développement économique.

Il a, par ailleurs, interrogé la ministre sur la possibilité de prolonger l'utilisation de fonds structurels par la France en matière de protection de l'environnement, après l'élargissement. Il s'est déclaré favorable à une coopération, en matière de protection de l'environnement, entre l'Europe et d'autres Etats, notamment la Chine et le Japon. Enfin, il a demandé si la lutte contre le pesticide « Régent » pouvait revêtir une dimension européenne.

La ministre a apporté les éléments de réponse suivants :

- le protocole de Kyoto a défini un objectif de réduction de 8 % des gaz à effet de serre à échéance de 2012. La France est préparée à cette échéance, grâce aux choix énergétiques effectués par tous les gouvernements successifs. Toutefois, si le secteur industriel a fortement réduit les gaz à effet de serre, le secteur des transports doit encore fournir des efforts. On ne peut que noter avec satisfaction les décisions du dernier comité interministériel de l'aménagement du territoire, qui favorisent le transport ferroviaire au détriment du transport routier ;

- il convient d'envisager avec optimisme la possibilité d'une ratification du protocole de Kyoto par la Russie. La Russie n'a pas signé le protocole, jusqu'à présent, pour des raisons de politique intérieure, mais elle demeure très attentive aux initiatives de l'Union européenne. Il convient donc d'éviter toute maladresse à son égard ;

- la France est favorable à une prise en compte des crédits de projets sur les mécanismes de développement propre, sans attendre l'entrée en vigueur du protocole de Kyoto. La fixation d'un plafond doit demeurer de la responsabilité des Etats membres. La France souhaite que les projets en matière de nucléaire ne soient pas exclus, mais que les projets touchant aux OGM soient écartés ;

- il revient au Conseil « Transports » de se saisir en priorité du dossier de la sécurité maritime. Bien entendu, en France, le ministère de l'écologie et du développement durable est étroitement associé aux travaux du ministère de l'équipement et du secrétariat d'Etat aux transports sur les aspects les plus sensibles, qu'il s'agisse de la prévention des accidents, de la signalisation ou de l'aide à la navigation. Ainsi, si le ministère de l'écologie n'intervient pas directement dans les négociations européennes relatives à la sécurité maritime, il est très présent en amont ;

- le Gouvernement français s'est fortement engagé pour renforcer la sécurité maritime. Lors de la rencontre franco-espagnole de Malaga entre MM. Chirac et Aznar, après le naufrage du Prestige, des mesures significatives ont été prises, notamment pour accroître le contrôle des navires et écarter de nos côtes les pétroliers à simple coque. Quatre mesures sont prévues pour 2004 : l'affrètement par la Marine nationale de deux nouveaux remorqueurs d'intervention de très forte puissance, qui vont renforcer le dispositif actuel en permettant des redéploiements vers le Golfe de Gascogne et la Méditerranée ; la mise en service d'un système performant d'information sur le trafic, « Trafic 2000 », qui couvrira l'Atlantique et la Manche ; la généralisation d'un numéro unique d'appel des CROSS (centres régionaux opérationnels de surveillance et de sauvetage) par téléphone mobile, expérimenté avec succès lors de l'été 2003 ; la réforme du permis de plaisance en mer, pour mettre la formation et la vigilance en mer au niveau d'exigence de celui de la sécurité routière ;

- au sujet de la Méditerranée, les décrets d'application de la loi n° 2003-346 du 15 avril 2003 concernant la zone de protection écologique en Méditerranée viennent d'être publiés. La question écologique ne se pose pas de la même manière en Méditerranée et en Atlantique et un dommage dans cette mer y serait, selon les spécialistes, plus facilement maîtrisable ;

- par ailleurs, une stratégie marine européenne a pour objectifs généraux de promouvoir l'utilisation durable des mers et la conservation des écosystèmes marins - des objectifs très ambitieux, conformes aux engagements de la Commission européenne en matière de développement durable et en phase avec la stratégie du ministère de l'écologie. Cette stratégie repose sur une approche fondée à la fois sur la protection des écosystèmes et sur les concepts d'état de conservation favorable et de bon état écologique - qui se trouvent au cœur de la directive « habitat » et de la directive-cadre sur l'eau ;

- s'agissant des eaux de baignade, la France propose la réalisation d'une étude épidémiologique européenne, dont les résultats permettront d'ici une décennie de fixer les exigences sanitaires pour la période postérieure à 2015, exigences qui devront être conformes aux recommandations de l'Organisation mondiale de la santé. Il convient de rappeler que, depuis la mise en œuvre de la directive de 1975, le pourcentage des eaux de baignade conforme aux normes européennes est passé en France de moins de 70 % en 1976 à 89,7 % en 2002, ce chiffre étant de 87,5 % pour les eaux de mer et de 92,5 % pour les eaux douces. Ces données traduisent une amélioration notable, même si l'effort doit encore être poursuivi, selon un financement proportionné au but recherché ;

- concernant la troisième série de questions, relatives au patrimoine naturel, à la biodiversité, à Natura 2000 et à la directive « oiseaux », la ministre a rappelé que, comme l'a confirmé sa rencontre du 8 juillet dernier avec Mme Margot Wallström, Commissaire européen chargée de l'environnement - rencontre à laquelle furent associés des parlementaires de toutes tendances politiques -, la fixation des dates de chasse relevait de la responsabilité des Etats membres. Par conséquent, ces dates ne sauraient être uniformes, ne serait-ce qu'en raison de la diversité du patrimoine faunistique entre le Sud et le Nord de l'Europe. La ministre a indiqué à la Commissaire son souhait d'aboutir à des solutions partagées pour mettre fin à la longue série de contentieux touchant à l'application des directives « habitat » et « oiseaux ». Ont été abordées, lors de cette rencontre, les questions concernant le guide interprétatif, l'utilisation des dérogations, les disparités entre pays voisins, la mise en réseau des connaissances et les nécessités d'une adaptation de la réglementation communautaire en fonction de l'évolution de ces connaissances. Un programme de travail a été élaboré à la suite de cette réunion et plusieurs points ont été adoptés. En premier lieu, la mise en réseau des observateurs au niveau européen, à partir du modèle français (c'est-à-dire l'Observatoire national de la faune sauvage et de ses habitats, salué par la Commission européenne et ayant permis d'obtenir, pour la première fois, le vote à l'unanimité par le Conseil national de la chasse des dates d'ouverture de la chasse). En deuxième lieu, l'organisation d'une réunion sur le guide interprétatif associant les principaux acteurs. Troisièmement, la préparation de la ratification par l'Union européenne de l'accord AEWA (sur la conservation des oiseaux d'eau migrateurs d'Afrique et d'Eurasie), la réglementation communautaire ne pouvant suffire pour protéger ce type d'espèces. Enfin, l'établissement du bilan d'application de la directive « oiseaux », à l'occasion de son vingt-cinquième anniversaire ;

- s'agissant toujours de la directive « oiseaux », le retard de la France est important pour la désignation des ZPS (zones de protection spéciale). Un effort récent a permis de porter les désignations de 119 à 148 sites, donnant ainsi un signe à la Commission européenne de la volonté de la France de remédier à cette situation et d'exécuter l'arrêt du 26 novembre 2001 la condamnant pour insuffisance de désignation. Une vingtaine d'autres désignations devraient pouvoir être établies dans les prochaines semaines. Par ailleurs, les recommandations du rapport du sénateur M. Jean-François Le Grand ont été mises en application et un groupe de travail a été institué en ce domaine avec les principaux interlocuteurs concernés pour dresser un état qualitatif de la contribution française et préparer les futures désignations ;

- au sujet du Marais poitevin, le dialogue avec les parties concernées (agriculteurs, professionnels du tourisme, collectivités locales ...) a permis de répondre aux griefs formulés par la Commission européenne : au-delà des 1 000 hectares de ZPS prévus par la Commission, ont été désignés 3 000 autres hectares, de même, d'ailleurs, que les outils de protection de cette ZPS. En outre, des consignes ont été données aux préfets pour que soient relancées les procédures de concertation de Natura 2000, qui sont un outil remarquable de protection de l'environnement - à condition de n'exclure personne et de ne pas procéder de façon « fantasmatique » -, même si se pose le problème crucial du financement de ce dispositif ;

- à cet égard, le Gouvernement a salué l'initiative de la Commission, tendant à lancer, à la fin de 2001, un groupe de travail sur la question du financement de Natura 2000. La France a estimé que le rapport d'experts sur cette question n'a pas fourni une évaluation fiable et précise des besoins de financement et demandé qu'une évaluation plus solide soit faite sur le fondement de critères harmonisés et pertinents. Elle soutient l'intégration de Natura 2000 dans les outils financiers existants, qui doivent être combinés avec un dispositif complémentaire, tel que le programme LIFE Nature. A ce titre, les politiques sectorielles directement concernées - que sont la politique agricole commune, la politique structurelle et, à plus long terme, la politique commune de la pêche - devront être améliorées et assouplies pour permettre un financement approprié aux besoins du réseau Natura 2000 et laisser une marge de manœuvre suffisante aux Etats membres, dans le cadre du respect du principe de subsidiarité. Les orientations proposées dans le rapport final de financement de Natura 2000 vont dans le sens déjà retenu par la France pour la mise en œuvre de ce dispositif à travers le plan de développement rural, dans une logique d'intégration des politiques agricole et environnementale. D'ailleurs, la Commission européenne envisage de transmettre, dès 2004, une communication au Conseil et au Parlement européen sur la question du financement de Natura 2000 ;

- le projet de loi sur l'eau regroupait initialement des questions qui sont désormais traitées de manière séparée : la directive-cadre sur l'eau trouve sa transposition dans le texte que le Sénat a approuvé la semaine dernière en première lecture ; la lutte contre les inondations est abordée dans la loi du 30 juillet 2003 sur les risques technologiques et naturels. Pour le reste, les services d'annonce des crues doivent encore se transformer en services de prévision des crues. L'action législative va ainsi de pair avec la réforme de l'Etat. Le dialogue avec les comités de bassin, longtemps ignorés des pouvoirs publics, paraît garantir le succès de la loi sur l'eau en impliquant d'avance ceux qui seront chargés de son application, le bassin hydrographique restant le cadre d'action privilégié de cette coopération décentralisée ;

- il est difficile de remettre en cause une directive et l'expérience a rappelé à ceux qui l'ont tenté que le mieux est parfois l'ennemi du bien.

2) Réunion de la Délégation du mercredi 21 janvier 2004

La Délégation s'est réunie, le mercredi 21 janvier 2004, pour examiner le présent rapport d'information.

L'exposé du rapporteur a été suivi d'un débat.

Le Président Pierre Lequiller a félicité M. Bernard Deflesselles pour la qualité et la clarté de son rapport, précisant aussi bien les principales dispositions de la Charte elle-même que ses liens avec le droit européen. L'intérêt de l'analyse comparative développée par le rapport est à souligner. Cette démarche de droit comparé - initiée notamment par le rapport de M. Robert Lecou sur le service minimum dans les services publics en Europe - devrait être intensifiée à l'avenir dans les travaux de la Délégation.

L'état des lieux effectué par le rapport est excellent et le conforte dans son opinion favorable sur le projet de loi constitutionnelle. En adoptant ce projet, la France se trouvera, dans ce domaine, à l'avant-garde des pays européens.

M. Jacques Myard, après avoir souligné la qualité du rapport, a estimé que sa clarté même confirmait les interrogations que suscite la Charte de l'environnement. La matière de l'environnement est encore mouvante et il convient par conséquent de ne pas faire de « zèle ». On ne peut qu'être en faveur de l'environnement, mais cela ne doit pas constituer une préoccupation unique.

Le projet constitutionnel soulèvera plus de problèmes qu'il n'en résoudra. Le décalage, observé par certains, entre l'opinion publique et les parlementaires à propos de l'environnement, vient de ce que, dans ce domaine, il y a une part de romantisme. Ce romantisme ne doit pas entrer dans la Constitution. Beaucoup de points contenus dans le projet de Charte sont déjà traités par le droit existant, par exemple le principe « pollueur-payeur » auquel répond déjà l'article 1384 du code civil sur la responsabilité du fait des choses. Le projet de Charte contient des principes politiques très généraux, qui vont induire un accroissement considérable du contentieux, favorisant une dérive à l'américaine. Son contenu en forme de pétition de principe s'apparente à la disposition du projet de loi sur l'air qui avait été préparé par Mme Corinne Lepage, ministre de l'environnement, et qui prévoyait que « Tout être a droit à respirer un air pur », cette formulation ayant été heureusement rejetée par l'Assemblée. Les articles premier, sur le droit à l'environnement, et 5, relatif au principe de précaution, du projet de Charte sont particulièrement dangereux. On ne sait pas où cela peut conduire.

M. Jacques Myard a estimé, par ailleurs, que, si l'Europe avait effectivement un rôle à jouer en matière d'environnement, à condition néanmoins de ne pas traiter de questions relevant de la subsidiarité, il faut éviter à tout prix l'inflation des procédures de nature à paralyser l'action publique. Il a jugé en conclusion que le sujet n'était pas mûr et qu'il était urgent d'attendre.

M. Marc Laffineur a, lui aussi, salué la qualité du travail accompli par le rapporteur. Il a considéré que les arguments avancés par M. Jacques Myard à l'encontre du projet de Charte pouvaient être retournés. Il est en effet temps de dire quelle est notre conception de l'environnement et comment on va gérer notre planète dans l'avenir. Il faut répondre aux préoccupations des Français et des Européens dans ce domaine. Aucun texte ne résoudra tous les problèmes et il y aura toujours des contentieux. Mais ne pas faire de texte serait nier les difficultés. En adoptant le projet de loi constitutionnelle relatif à la Charte de l'environnement, la France aura une position ambitieuse en la matière et les autres pays pourront s'y référer. Il s'agit d'un texte équilibré, qui permettra de mieux assurer la prise en compte de l'environnement dans le développement économique.

M. Michel Herbillon a félicité en particulier le rapporteur pour la précision de l'état des lieux dressé par le rapport. Il a estimé qu'il était urgent d'agir. Refuser d'introduire maintenant le droit à l'environnement dans la Constitution ressemblerait à l'attitude de ceux qui, en 1788, ne voyaient pas l'intérêt de reconnaître les droits civils et politiques. Cela équivaudrait aussi à ce qu'aurait été, en 1945, un refus de l'introduction des droits économiques et sociaux dans le Préambule de la Constitution. Un texte ne résoudra pas tous les problèmes, mais il faut consolider juridiquement la prise en compte de l'environnement et répondre à l'attente de nos compatriotes. Il a demandé au rapporteur si les dispositions relatives à l'environnement contenues dans les Constitutions des autres Etats membres avaient une nature normative. Il a souhaité, par ailleurs, savoir si l'adoption de la Charte de l'environnement par la France serait de nature à constituer un modèle pour nos partenaires.

M. Jérôme Lambert, après avoir salué le travail du rapporteur, a fait observer que si, selon l'étude citée, nos concitoyens sont plus soucieux du respect de l'environnement que les responsables politiques -, ces derniers sont garants de l'intérêt général alors que, souvent, à l'occasion d'une dégradation de l'environnement qui les touche directement, nos concitoyens considèrent principalement leur intérêt particulier. Il a indiqué, par ailleurs, que la Charte, dans sa rédaction actuelle, apparaissait discutable sur plusieurs points et pouvait donner lieu à des interprétations maximalistes. Ainsi, l'article premier, selon lequel « Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et favorable à sa santé », devrait, au regard de l'intérêt général, faire l'objet d'une nouvelle rédaction non susceptible de susciter des demandes irréalistes. Les dispositions de l'article 2 devraient également être revues. Il s'est par ailleurs montré réservé sur certaines prises de position du rapport, telles que « l'affirmation raisonnée du principe de précaution » ou l'évocation de « conséquences contentieuses qui n'apparaissent pas excessives ». Il a précisé qu'il s'abstiendrait sur les conclusions du rapporteur.

M. Christian Philip a demandé au rapporteur si le juge communautaire avait fait du principe de précaution un principe général du droit. Il l'a également interrogé sur le fait de savoir pourquoi n'avait pas été prévu dans la Charte un renvoi au droit communautaire.

M. Edouard Landrain a estimé qu'au regard des aspirations des nouvelles générations, il était nécessaire d'accorder une attention particulière à la protection de l'environnement. De même est-il souhaitable, comme le fait la Charte, de rassembler dans un texte unique les règles générales applicables en la matière, et ce, même si ce texte est encore susceptible d'améliorations et ne manquera pas de donner lieu à de nouvelles jurisprudences. Il a demandé au rapporteur si les dispositions relatives à l'environnement consacrées dans les Constitutions d'autres pays de l'Union européenne avaient un impact concret, si elles avaient soulevé des problèmes de compatibilité avec les normes communautaires, et dans quelle mesure nous pourrons, en France, éventuellement nous inspirer de ces précédents.

En réponse, M. Bernard Deflesselles a indiqué avoir procédé à un examen objectif de la Charte de l'environnement, afin de mettre en évidence ses points positifs, mais aussi les doutes et les interrogations qu'elle peut susciter. Le rapport présente ainsi l'état du droit existant, sans anticiper sur le débat constitutionnel. La Charte, en encadrant le droit de l'environnement, déjà très dense, lui donnera une cohérence. Elle ne devrait pas, selon les juristes auditionnés, générer un contentieux aussi abondant que certains semblent le craindre. Compte tenu des nombreux renvois auxquels elle procède, il appartiendra avant tout au législateur de la mettre en œuvre. Il a considéré, comme M. Michel Herbillon, qu'il est urgent d'agir, et de donner à la France, grâce à l'adoption de la Charte, un rôle moteur dans ce domaine. La commission de préparation de la Charte, présidée avec talent par M. Yves Coppens, a bénéficié de la diversité des expériences de ses membres, et a élaboré un texte équilibré. Il pourra naturellement être discuté et amendé par le Parlement, lors de l'examen du projet de loi constitutionnelle.

A la suite de ce débat, la Délégation a autorisé la publication du rapport d'information.

ANNEXES

Annexe 1 :
Liste des personnes entendues par le rapporteurAnnexe-1

- Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de l'écologie et du développement durable (12 novembre 2003) ;

- M. Dominique Perben, Garde des sceaux, ministre de la justice (18 novembre 2003) ;

- M. Yves Jégouzo, ancien membre de la Commission Coppens, conseiller d'Etat en service extraordinaire (23 octobre 2003) ;

- M. François Loloum, ancien membre de la Commission Coppens, maître des requêtes au Conseil d'Etat (23 octobre 2003) ;

- M. Thierry Chambolle, directeur délégué à l'innovation de Suez (29 octobre 2003) ;

- M. Cédric du Monceau, directeur général du WWF-France (29 octobre 2003) ;

- M. Bernard Rousseau, ancien membre de la Commission Coppens, président de France nature environnement, et M. Pierre Boyer (29 octobre 2003) ;

- M. Louis Favoreu, président honoraire de l'Université Aix-Marseille (30 octobre 2003) ;

- M. Maurice Tubiana, président honoraire de l'Académie nationale de médecine (12 novembre 2003) ;

- Mme Sandrine Maljean-Dubois, chargée de recherche au CNRS (18 novembre 2003) ;

- M. Yves Coppens, ancien président de la Commission de préparation de la Charte de l'environnement, professeur au Collège de France (19 novembre 2003) ;

- M. Michel Prieur, professeur à l'université de Limoges (19 novembre 2003) ;

- M. Dominique Bourg, représentant de la Fondation Nicolas Hulot, ancien membre de la Commission Coppens, professeur à l'université de Troyes (3 décembre 2003) ;

- M. Bertrand Collomb, président directeur général du groupe Lafarge, ancien membre de la Commission Coppens (3 décembre 2003) ;

- M. Jean-Pierre Tardieu, directeur de l'Institut Veolia environnement, et M. Gérard Jeanpierre, de la direction juridique de Veolia (10 décembre 2003) ;

- M. Didier Maus, président de l'Association française des constitutionnalistes (17 décembre 2003) ;

- M. Philippe Kourilsky, directeur général de l'Institut Pasteur (7 janvier 2004) ;

- Mme Anne Bergenfelt, membre du cabinet de Mme Margot Wallström, commissaire européen en charge de l'environnement, et M. Georges Kremlis, chef d'unité à la Direction générale de l'environnement à la Commission européenne (13 janvier 2004).

Annexe 2  :
Résumé de la communication de la Commission sur
le recours au principe de précaution
(COM [2000] 1 final du 2 février 2000)

Annexe-1

1. Quand et comment utiliser le principe de précaution, tant dans l'Union européenne que sur la scène internationale, est une question qui suscite de nombreux débats et donne lieu à des prises de position diverses, et parfois contradictoires. De ce fait, les décideurs sont confrontés à un dilemme permanent, celui d'établir un équilibre entre les libertés et les droits des personnes, des secteurs d'activité et des organisations, d'une part, et la nécessité de réduire le risque d'effets négatifs sur l'environnement et la santé humaine, animale ou végétale, d'autre part. Par conséquent, trouver l'équilibre adéquat permettant de prendre des décisions proportionnées, non discriminatoires, transparentes et cohérentes requiert un processus de prise de décision structuré, fondé sur des données scientifiques détaillées et autres informations objectives.

2. Les objectifs de la présente communication sont au nombre de quatre  :

·_présenter dans ses grandes lignes l'approche que la Commission entend suivre dans l'application du principe de précaution ;

·_mettre au point des lignes directrices de la Commission pour l'application de ce principe ;

·_établir un accord sur la manière d'évaluer, d'apprécier, de gérer et de communiquer les risques que la science n'est pas en mesure d'évaluer pleinement ;

·_éviter tout recours injustifié au principe de précaution en tant que forme déguisée de protectionnisme.

La communication vise également à donner une impulsion au débat en cours sur le principe de précaution à la fois au sein de la Communauté et au niveau international.

3. Le principe de précaution n'est pas défini dans le traité, qui ne le prescrit qu'une seule fois - pour protéger l'environnement. Mais, dans la pratique, son champ d'application est beaucoup plus vaste, plus particulièrement lorsqu'une évaluation scientifique objective et préliminaire indique qu'il est raisonnable de craindre que les effets potentiellement dangereux pour l'environnement ou la santé humaine, animale ou végétale soient incompatibles avec le niveau élevé de protection choisi pour la Communauté.

La Commission considère qu'à l'instar des autres membres de l'OMC, la Communauté dispose du droit de fixer le niveau de protection, notamment en matière d'environnement et de santé humaine, animale et végétale, qu'elle estime approprié. L'application du principe de précaution est un élément essentiel de sa politique, et les choix qu'elle effectue à cette fin continueront d'influer sur les positions qu'elle défend au niveau international quant à la manière d'appliquer ce principe.

4. Le principe de précaution devrait être considéré dans le cadre d'une approche structurée de l'analyse du risque, fondée sur trois éléments  : l'évaluation du risque, la gestion du risque et la communication du risque. Il est particulièrement pertinent dans le cadre de la gestion du risque.

Le principe de précaution, que les décideurs utilisent essentiellement dans le cadre de la gestion du risque, ne doit pas être confondu avec l'élément de prudence que les scientifiques appliquent dans l'évaluation des données scientifiques.

Le recours au principe de précaution présuppose que les effets potentiellement dangereux d'un phénomène, d'un produit ou d'un procédé ont été identifiés et que l'évaluation scientifique ne permet pas de déterminer le risque avec suffisamment de certitude.

La mise en œuvre d'une approche fondée sur le principe de précaution devrait commencer par une évaluation scientifique aussi complète que possible et, si possible, déterminant à chaque stade le degré d'incertitude scientifique.

5. Les décideurs doivent être conscients du degré d'incertitude lié aux résultats de l'évaluation des informations scientifiques disponibles. Juger ce qui est un niveau « acceptable » de risque pour la société est une responsabilité éminemment politique. Les décideurs confrontés à un risque inacceptable, à une incertitude scientifique et aux préoccupations du public ont le devoir de trouver des réponses. Par conséquent, tous ces facteurs doivent être pris en considération.

Dans certains cas, la bonne réponse pourrait consister à ne pas agir ou du moins à ne pas prendre une mesure juridique contraignante. Une vaste gamme d'initiatives sont disponibles en cas d'action, depuis une mesure légalement contraignante jusqu'à un projet de recherche ou une recommandation.

La procédure de décision devrait être transparente et associer dès le début et dans toute la mesure du possible la totalité des parties intéressées.

6. Si une action est jugée nécessaire, les mesures basées sur le principe de précaution devraient notamment   :

·_Etre proportionnées au niveau de protection recherché ;

·_Ne pas introduire de discrimination dans leur application ;

·_Etre cohérentes avec des mesures similaires déjà adoptées ;

·_Etre basées sur un examen des avantages et des charges potentiels de l'action ou de l'absence d'action (y compris, le cas échéant et dans la mesure du possible, une analyse de rentabilité économique) ;

·_Etre réexaminées à la lumière des nouvelles données scientifiques ;

·_Etre capables d'attribuer la responsabilité de produire les preuves scientifiques nécessaires pour permettre une évaluation plus complète du risque.

La proportionnalité signifie l'adaptation des mesures au niveau choisi de protection. Le risque peut rarement être ramené à zéro, mais une évaluation incomplète du risque peut limiter considérablement le nombre d'options disponibles pour les gestionnaires du risque. Une interdiction totale peut ne pas être dans tous les cas une réponse proportionnée à un risque potentiel. Cependant, dans certains cas, elle peut être la seule réponse possible à un risque donné.

La non-discrimination signifie que des situations comparables ne devraient pas être traitées différemment et que des situations différentes ne devraient pas être traitées de la même manière, à moins qu'un tel traitement soit objectivement justifié.

La cohérence signifie que les mesures devraient être d'une portée et d'une nature comparable avec les mesures déjà prises dans des domaines équivalents où toutes les données scientifiques sont disponibles.

L'examen des avantages et des charges signifie qu'il faut établir une comparaison entre le coût global pour la Communauté de l'action envisagée et de l'absence d'action, tant à court qu'à long terme. Il ne s'agit pas d'une simple analyse de rentabilité économique : sa portée est beaucoup plus vaste et inclut des considérations d'ordre non-économique, telles que l'efficacité d'options possibles et leur acceptabilité par la population. Dans la mise en œuvre d'un tel examen, il faudrait tenir compte du principe général et de la jurisprudence de la Cour qui donnent la priorité à la protection de la santé par rapport aux considérations économiques.

L'examen à la lumière des nouvelles données scientifiques signifie que les mesures basées sur le principe de précaution devraient être maintenues aussi longtemps que les informations scientifiques sont incomplètes ou non concluantes et que le risque est toujours réputé trop élevé pour le faire supporter à la société, compte tenu du niveau approprié de protection. Les mesures devraient être réexaminées périodiquement à la lumière du progrès scientifique, et modifiées selon les besoins.

L'attribution de la responsabilité de fournir les preuves scientifiques est déjà une conséquence fréquente de ces mesures. Les pays qui imposent une autorisation préalable (autorisation de mise sur le marché) pour les produits réputés a priori dangereux renversent la charge de la preuve en les traitant comme des produits dangereux à moins et jusqu'à ce que les entreprises réalisent les travaux scientifiques nécessaires pour démontrer qu'ils ne le sont pas.

Lorsqu'il n'y a pas de procédure d'autorisation préalable, il peut appartenir à l'utilisateur ou aux pouvoirs publics de démontrer la nature d'un danger et le niveau de risque d'un produit ou d'un procédé. Dans de tels cas, une mesure de précaution spécifique pourrait être prise pour placer la charge de la preuve sur le producteur, le fabricant ou l'importateur mais ceci ne peut devenir une règle générale.

Annexe 3  :
Résolution du Conseil européen de Nice sur le recours au principe de précaution (7-10 décembre 2000)

Annexe-1

Le Conseil,

A. considérant que le traité CE prévoit dans ses principes que l'action de la Communauté doit viser un niveau élevé de protection de la santé humaine, des consommateurs et de l'environnement et que ces objectifs doivent être intégrés dans les politiques et actions de l'Union européenne ;

B. considérant que le traité reconnaît, dans son Article 174, paragraphe 2, que le principe de précaution fait partie des principes à prendre en compte dans la politique de la Communauté dans le domaine de l'environnement ; considérant que ce principe est également applicable à la santé humaine, aussi que dans les domaines zoo et phytosanitaires ;

C. considérant qu'il pourrait être utile d'examiner, le moment venu et dans les enceintes appropriées, la nécessité et la possibilité d'ancrer formellement le principe de précaution, conformément à la jurisprudence de la cour de Justice des Communautés Européennes, également dans d'autres dispositions du traité en lien en particulier avec la santé et la protection des consommateurs ;

D. rappelant que la reconnaissance de ce principe se place dans une perspective de développement durable ;

E. rappelant que ce principe est inscrit dans différents textes internationaux, notamment dans la Déclaration de Rio de 1992, dans la Convention sur les changements climatiques de 1992, dans la Convention sur la diversité biologique de 1992, et dans le Protocole sur la Biosécurité de 2000 et dans plusieurs Conventions sur la protection du milieu marin ;

F. soulignant l'importance des travaux en cours à ce propos dans le cadre du Codex Alimentarius ;

G. considérant que le principe de précaution ne doit pas être utilisé pour prendre des mesures de restriction déguisée au commerce ;

H. considérant les objectifs généraux inscrits au préambule de l'Accord instituant l'OMC, notamment ceux de développement durable, de protection et de préservation de l'environnement ; considérant les exceptions générales prévues à l'article XX du GATT et à l'article XIV du GATS, de même que l'accord sur l'application des mesures sanitaires et phytosanitaires (SPS) en son article 5.7 qui fixe des prescriptions quant à la démarche à suivre en cas de risque et de preuves scientifiques insuffisantes ; considérant par ailleurs l'accord sur les obstacles techniques au commerce (OTC), qui permet de prendre en considération les risques pour la santé et la sécurité humaine, la vie végétale ou animale, et pour l'environnement, que la non-application de mesures pourrait engendrer ;

I. considérant que l'Union Européenne attache une grande importance à l'aide aux pays en développement afin qu'ils participent aux accords SPS et OTC, compte tenu des difficultés particulières qu'ils rencontrent à cet égard ;

J. rappelant les recommandations issues des groupes spéciaux de l'OMC, en particulier de l'organe d'appel sur le cas « hormones », relatives au droit des membres de l'OMC « d'établir leur propre niveau approprié de protection sanitaire, lequel peut être plus élevé que celui qu'impliquent les normes, directives et recommandations existantes », ainsi que de prendre en considération les avis minoritaires des experts ;

K. conscient que les autorités publiques ont la responsabilité d'assurer un haut niveau de protection de la santé et de l'environnement et qu'elles doivent répondre aux préoccupations accrues du public en ce qui concerne les risques auxquels il est potentiellement exposé ;

1. se félicite de l'initiative de la Commission de présenter une communication sur le recours au principe de précaution, dont il partage les grandes orientations ;

2. estime que le principe de précaution s'applique aux politiques et actions de la Communauté et de ses Etats membres et qu'il concerne l'action des autorités publiques, tant au niveau des institutions communautaires qu'à celui des Etats membres ; que ces autorités publiques doivent s'efforcer de le faire pleinement reconnaître dans les enceintes internationales pertinentes ;

3. constate que le principe de précaution s'affirme progressivement en tant que principe de droit international dans les domaines de la protection de la santé et de l'environnement ;

4. considère que les règles de l'OMC permettent a priori une prise en compte du principe de précaution ;

5. considère qu'au regard du droit international, la Communauté et les Etats membres ont le droit d'établir le niveau de protection qu'ils estiment approprié dans le cadre de la gestion du risque ; qu'ils peuvent, pour atteindre cet objectif, prendre des mesures appropriées au titre du principe de précaution ; et qu'il n'est pas toujours possible de définir à l'avance le niveau de protection approprié pour toutes les situations ;

6. estime nécessaire de définir les lignes directrices du recours au principe de précaution pour en clarifier les modalités d'application ;

7. considère qu'il y a lieu de recourir au principe de précaution dès lors que la possibilité d'effets nocifs sur la santé ou l'environnement est identifiée et qu'une évaluation scientifique préliminaire sur la base des données disponibles, ne permet pas de conclure avec certitude sur le niveau de risque ;

8. considère que l'évaluation scientifique du risque doit suivre une démarche logique, s'efforçant d'identifier le danger, caractériser le danger, évaluer l'exposition et caractériser le risque, en se référant aux procédures existantes reconnues aux niveaux communautaire et international, et considère qu'en raison de l'insuffisance des données et de la nature du danger ou de son caractère urgent, il n'est parfois pas possible de mener jusqu'à leur terme et de manière systématique ces étapes ;

9. considère que, pour procéder à l'évaluation des risques, l'autorité publique doit se doter d'un cadre de recherche approprié, en s'appuyant notamment sur des comités scientifiques et sur les travaux scientifiques pertinents menés au niveau national et international ; qu'elle est responsable de l'organisation de l'évaluation du risque, qui doit être conduite de façon pluridisciplinaire, contradictoire, indépendante et transparente ;

10. estime que l'évaluation du risque doit également faire ressortir les avis minoritaires éventuels. Ceux-ci doivent pouvoir s'exprimer et être portés à la connaissance des acteurs concernés, en particulier dans la mesure où ils mettent en évidence l'absence de certitude scientifique ;

11. affirme qu'il doit y avoir une séparation fonctionnelle entre les responsables chargés de l'évaluation scientifique du risque et ceux chargés de la gestion du risque, tout en reconnaissant la nécessité de développer un dialogue constant entre ceux-ci ;

12. considère que les mesures de gestion du risque doivent être prises par les autorités publiques responsables sur la base d'une appréciation politique du niveau de protection recherché ;

13. considère que, lors du choix des mesures à prendre pour la gestion du risque, tout l'éventail des mesures permettant d'atteindre le niveau de protection recherché doit être envisagé ;

14. estime que toutes les étapes doivent être conduites de manière transparente, notamment celles de l'évaluation et de la gestion du risque, y compris le suivi des mesures décidées ;

15. estime que la société civile doit être associée et qu'une attention particulière doit être accordée à la consultation de toutes les parties intéressées à un stade aussi précoce que possible ;

16. estime qu'une communication appropriée doit être assurée sur les avis scientifiques et sur les mesures de gestion du risque ;

17. considère que les mesures prises doivent respecter le principe de proportionnalité en tenant compte des risques à court et à long terme et en visant le niveau élevé de protection recherché ;

18. considère que les mesures ne doivent pas aboutir à des discriminations arbitraires ou injustifiées dans leur application ; lorsqu'il existe plusieurs possibilités d'atteindre le même niveau de protection de la santé ou de l'environnement, les mesures les moins restrictives pour les échanges doivent être recherchées ;

19. considère que les mesures devraient être cohérentes avec les mesures déjà prises dans des situations similaires ou utilisant des approches similaires, compte tenu des développements scientifiques les plus récents et de l'évolution du niveau de protection recherché ;

20. insiste sur le fait que les mesures adoptées présupposent l'examen des avantages et des charges résultant de l'action ou de l'absence d'action. Cet examen doit tenir compte des coûts sociaux et environnementaux, ainsi que de l'acceptabilité par la population des différentes options possibles et comprendre, lorsque cela est réalisable, une analyse économique, étant entendu que les exigences liées à la protection de la santé publique, y compris les effets de l'environnement sur la santé publique, doivent se voir reconnaître un caractère prioritaire ;

21. estime que les décisions prises au titre du principe de précaution doivent être réexaminées en fonction de l'évolution des connaissances scientifiques. A cette fin, le suivi des effets de ces décisions doit être assuré et des recherches complémentaires doivent être menées pour réduire le niveau d'incertitude ;

22. estime que, lors de la définition des mesures prises au titre du principe de précaution et dans le cadre de leur suivi, l'autorité compétente a la possibilité de déterminer, au cas par cas, sur la base de règles claires définies au niveau approprié, à qui il incombe de fournir les éléments scientifiques nécessaires en vue d'une évaluation plus complète du risque ; Une telle obligation peut varier selon les cas et doit viser à établir un équilibre satisfaisant entre les pouvoirs publics, les instances scientifiques et les opérateurs économiques, en tenant compte en particulier des obligations qui pèsent sur les opérateurs économiques du fait de leurs activités.

23. s'engage à mettre en œuvre les principes figurant dans la présente résolution ;

24. invite la Commission  :

· à appliquer de façon systématique ses lignes directrices sur les conditions du recours au principe de précaution, en tenant compte des spécificités des différents secteurs où elles sont susceptibles d'être mises en œuvre ;

· à intégrer le principe de précaution, chaque fois que cela est nécessaire, dans l'élaboration de ses propositions législatives et dans l'ensemble de ses actions ;

25. invite les Etats membres et la Commission  :

· à attacher une importance particulière au développement de l'expertise scientifique et à la coordination institutionnelle nécessaire ;

· à faire en sorte que le principe de précaution soit pleinement reconnu dans les enceintes internationales pertinentes en matière de santé, d'environnement et de commerce international, en particulier sur la base des principes proposés par la présente résolution, à promouvoir cet objectif et à assurer sa meilleure prise en compte, notamment auprès de l'OMC, tout en contribuant à sa clarification ;

· assurer la plus grande information possible du public et des différents acteurs sur l'état des connaissances scientifiques, les enjeux et les risques auxquels ils sont exposés ainsi que leur environnement ;

· à œuvrer activement pour obtenir l'engagement des partenaires internationaux à trouver un terrain d'entente pour l'application du principe ;

· à assurer la plus large diffusion de la présente résolution.

Annexe 4 :
Projet de protocole relatif au développement durable

Annexe-1

Ce texte, proposé par la Commission européenne, vise à compléter le projet de traité instituant une Constitution pour l'Europe.

LES HAUTES PARTIES CONTRACTANTES,

DESIREUSES de garantir que l'Union œuvre pour le développement durable de l'Europe et contribue au développement durable de la planète, comme le prévoit l'article 3, paragraphes 2 et 4 respectivement, de la Constitution ;

RESOLUES à créer les conditions nécessaires pour mener à bien ces objectifs fondamentaux de l'Union, et à établir un système pour contrôler la réalisation de ceux-ci,

SONT CONVENUES des dispositions suivantes, qui seront annexées à la Constitution :

1. Le développement durable est le développement qui satisfait les besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de satisfaire leurs propres besoins.

L'Union contribue au développement durable de la planète.

2. Le développement durable est un principe et un objectif fondamental de l'Union.

3. Toutes les institutions veillent à ce que toutes les propositions politiques importantes et tous les actes législatifs s'accordent avec le développement durable.

4. Avant de proposer une initiative politique importante ou un acte législatif, la Commission procède à de larges consultations sur les aspects de ses propositions liés au développement durable, sauf en cas d'urgence ou de confidentialité particulière. Le Parlement européen et le Conseil veillent à ce qu'une procédure semblable soit suivie pour les amendements importants qu'ils proposent.

5. Afin de réaliser l'objectif exposé aux paragraphes 1 et 2, toutes les propositions importantes et tous les actes législatifs de l'Union, ainsi que les amendements importants qui les concernent, doivent :

a) être précédés par une évaluation des incidences sur le développement durable couvrant leurs répercussions économiques, sociales et environnementales potentielles ;

b) contenir une déclaration détaillée expliquant leur motivation en vue de justifier leur conformité avec le développement durable ; les raisons évoquées doivent être établies par des indicateurs qualitatifs ou, si possible, quantitatifs ;

c) se baser sur le principe de l'évaluation coordonnée et la prise en compte de leurs conséquences économiques, sociales et environnementales ;

d) équilibrer de manière appropriée les incidences à court terme et à long terme en tenant compte des besoins des générations futures ;

e) envisager comment la mesure peut promouvoir et favoriser le développement durable, c'est-à-dire les avantages et les inconvénients possibles de l'action ou du défaut d'action.

6. Le Parlement européen, le Conseil et la Commission peuvent conclure un accord interinstitutionnel en vue de fixer les modalités de l'évaluation des incidences.

*

* *

1 () PUF, 2001.

2 () Laurent Fonbaustier, « Environnement et pacte écologique. Remarques sur la philosophie d'un nouveau « droit à » », Les Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 15, 2003.

3 () Luc Ferry, « Développement durable, monde de la technique et société du risque », Communication présentée devant l'Académie des sciences morales et politiques, le 7 janvier 2002.

4 ()  Pierre Lunel, Pierre Braun, Pierre Flandin-Blety, Pascal Texier, « Pour une histoire du droit de l'environnement », Revue juridique de l'environnement, 1-1986.

5 () Jacques Ellul, « Plaidoyer contre la « défense de l'environnement » », France catholique, janvier 1972.

6 () Rapport du séminaire « Risques » du Commissariat général au Plan, « La décision publique face aux risques », La documentation Française, 2001.

7 () Ulrich Beck, « La société du risque : sur la voie d'une autre modernité », traduction française, Aubier-Alto, 2001.

8 () Frank Lestringant, « Le monde ouvert », dans « L'Europe de la Renaissance. 1470-1560 », Editions du temps, 2002.

9 () Bernard Deflesselles, « Tous les défauts de la terre », 1997.

10 () « L'environnement en Europe : troisième évaluation », 2003.

11 () Ferdinand Mélin-Soucramanien et Joseph Pini, « Constitution et droit de l'environnement », Juris-classeur environnement, Fascicule 152.

12 () Philippe Billet, « La constitutionnalisation du droit de l'homme à l'environnement. Regard critique sur le projet de loi constitutionnelle relatif à la Charte de l'environnement. », Revue juridique de l'environnement, n° spécial, 2003.

13 () Ferdinand Mélin-Sacramanien et Joseph Pini, précité.

14 () Michel Prieur, « L'importance de la réforme constitutionnelle », Revue juridique de l'environnement, numéro spécial, 2003.

15 () Yves Jégouzo, « Quelques réflexions sur le projet de Charte de l'environnement », Les Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 15, 2003.

16 () Voir, en annexe, la liste des personnes auditionnées par le Rapporteur.

17 () Bernard Mathieu, « Observations sur la portée normative de la Charte de l'environnement », Les Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 15, 2003.

18 () Avis adopté par le Conseil économique et social au cours de sa séance du 12 mars 2003, annexe 2.

19 () Ferdinand Mélin-Soucramanien et Joseph Pini, précité.

20 () Michel Prieur, « Vers un droit de l'environnement renouvelé », Les Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 15, 2003.

21 () Ferdinand Mélin-Soucramanien et Joseph Pini, « L'émergence d'un droit constitutionnel de l'environnement en France », Les Cahiers du CNFPT, n° 38, 1993.

22 () Marcel Morabito, « Histoire constitutionnelle de la France (1789-1958) », Montchrestien.

23 () Philippe Billet, article précité.

24 () Le professeur Yves Coppens a indiqué, lors de son audition, que la faible représentation du monde rural avait parfois été critiquée par les participants aux assises territoriales.

25 () Exposé introductif de M. Yves Coppens à l'occasion de l'audition publique organisée par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, Rapports de l'Assemblée nationale n° 869 et du Sénat n° 306.

26 () Selon un sondage IPSOS réalisé du 17 au 28 août 2001 pour Terre sauvage WWF, 89 % des personnes interrogées espéraient que la protection de l'environnement soit inscrite dans la Constitution française.

27 () La Croix, 26 août 2003 (en collaboration avec Terre sauvage et Phosphore).

28 () Plusieurs personnalités auditionnées ont fait valoir, à cet égard, que si la Charte était finalement soumise au Congrès, il serait souhaitable de modifier le deuxième alinéa de l'article 2 pour substituer à la référence : « peuple français » celle de : « représentants de la nation ».

29 () Yves Jégouzo, « La genèse de la Charte constitutionnelle de l'environnement », précité.

30 () Yves Jégouzo, « Quelques réflexions sur le projet de Charte de l'environnement », Les Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 15, 2003.

31 () La première option était manifestement trop restrictive au regard de l'attente politique. Quant à la seconde, elle avait pour principal inconvénient d'imposer une adoption de la Charte en deux temps, ce qui aurait nuit à la lisibilité de la réforme.

32 () Audition de M. Guy Carcassonne le 3 décembre 2003 par la Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, compte rendu n° 10.

33 () Etudes et documents du Conseil d'Etat, « De la sécurité juridique », 1991.

34 () Audition de M. Thierry Chambolle, du groupe Suez.

35 () Discours d'Orléans du 3 mai 2001 du Président de la République.

36 () Luc Ferry, « Le nouvel ordre écologique », 1992.

37 () Dominique Allan Michaud, « La pensée politique des écologistes », La documentation Française, 1996.

38 () Laurent Fonbaustier, précité.

39 () Michel Prieur, « Vers un droit de l'environnement renouvelé », précité.

40 () Article précité.

41 () Olivier Godard, « Environnement, modes de coordination et systèmes de légitimité : analyse de la catégorie de patrimoine naturel », Revue économique, 41(2), 1990.

42 () Martine Rèmond-Gouilloud, « Du droit de détruire », PUF, 1989.

43 () Yves Barel, « La société du vide », Le Seuil ; 1984.

44 () François Ost, « La nature hors la loi », La Découverte, 1995.

45 () Après une adaptation, en 1995, cette disposition se retrouve désormais au deuxième alinéa de l'article L.110-2 du code de l'environnement, qui ne fait plus référence au patrimoine naturel mais à l'environnement.

46 () Cité par Paulo Affonso Leme Machado, « L'environnement et la Constitution brésilienne », Les Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 15, 2003.

47 () A noter que la France et la Suède viennent de créer un groupe de travail international sur les biens publics mondiaux, dirigé par M. Yves Thibault de Silguy (décret n° 2003-311 du 22 août 2003).

48 () Daniel Compagnon, « La conservation de la biodiversité, improbable bien public mondial », contribution au colloque sur « Les biens publics mondiaux » organisé par l'Association française de sciences politiques.

49 () Olivier Godard, « Jeux de nature : quand le débat sur l'efficacité des politiques publiques contient la question de leur légitimité », 1989.

50 () Garett Hardin, « The tragedy of the commons », Science n° 162, décembre 1968.

51 () Franck-Dominique Vivien, « Le patrimoine naturel : jeux et enjeux entre nature et société », contribution aux troisièmes journées d'étude sur les « approches économiques et pluridisciplinaires du patrimoine », organisées par l'Université de Reims, 2003.

52 () CJCE, Commission des Communautés européennes contre République française, affaire 252/85.

53 () Résolution 2749 (XXV) du 17 décembre 1970 et article 136 de la convention de Montego Bay adoptée le 30 avril 1982, s'agissant du droit de la mer, et accord sur la Lune annexé à la résolution 34/68 du 5 décembre 1979, en ce qui concerne le droit de l'espace.

54 () On peut signaler que, selon M. Olivier Godard,, « Derrière l'image d'Epinal d'une transmission patrimoniale qui n'aurait d'autre but que de préserver les possibilités de choix des générations futures, on trouve une manière de perpétuation de la génération présente » (...) car « vouloir choisir aujourd'hui ce qui constituera un patrimoine demain pour les générations futures relève d'une prétention exorbitante à maîtriser le temps ». « La logique patrimoniale a finalement autant, sinon plus, à voir avec la création de l'irrévocable qu'avec la lutte contre l'irréversible »... (Olivier Godard, article précité de la Revue économique, 1990).

55 () Christian Garnier, « L'histoire socio-politique du développement durable », communication présentée devant l'Académie des sciences morales et politiques le 14 janvier 2002.

56 () Michel Prieur, « Vers un droit de l'environnement renouvelé », précité.

57 () Intervention de M. Dominique Chagnollaud lors de son audition par la Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République le 3 décembre 2003, compte rendu n° 10.

58 () Philippe Billet, article précité.

59 () Jean-Pierre Marguenaud, « Droit de l'homme à l'environnement et Cour européenne des droits de l'homme », Revue juridique de l'environnement, n° spécial, 2003.

60 () Michel Prieur, « L'environnement entre dans la Constitution », Droit de l'environnement, n° 106, 2003.

61 () Ferdinand Mélin-Soucramanien et Joseph Pini, « Constitution et droit de l'environnement », précité.

62 () Yves Jégouzo, « Quelques réflexions sur le projet de Charte de l'environnement », précité.

63 () Cette approche territoriale de l'équilibre est éclairée par l'article L.121-1 du code de l'urbanisme, prévoyant que « les schémas de cohérence territoriale, les plans locaux d'urbanisme et les cartes communales déterminent les conditions permettant d'assurer l'équilibre entre le renouvellement urbain, un développement urbain maîtrisé, le développement de l'espace rural, d'une part, et la préservation des espaces affectés aux activités agricoles et forestières et la protection des espaces naturels et des paysages, d'autre part ».

64 () Michel Prieur, « L'importance de la réforme constitutionnelle », Revue juridique de l'environnement, n° spécial, 2003.

65 () Rappelons, encore une fois, que l'article premier de la Charte ne renvoie pas au législateur pour préciser les conditions d'exercice du droit à un environnement équilibré et favorable à la santé.

66 () CEDH, 9 octobre 1979, Airey c/Irlande, cité par Marie-Anne Cohendet, « Les effets de la réforme », Revue juridique de l'environnement, n° spécial, 2003.

67 () Michel Prieur, « La Charte, l'environnement et la Constitution », AJDA, 3 mars 2003.

68 () Bertrand Mathieu, article précité.

69 () Nicolas de Sadeleer, « Les principes de pollueur-payeur, de prévention et de précaution. Essai sur la genèse et la portée juridique de quelques principes du droit de l'environnement », p. 337, Bruylant/AUF, 1999.

70 () Michel Prieur, « L'environnement entre dans la Constitution », précité.

71 () Alexandre Kiss, « Les origines du droit à l'environnement : le droit international », Revue juridique de l'environnement, n° spécial, 2003.

72 () Conseil de l'environnement d'EDF, « Le principe de précaution », Cahiers juridiques de l'électricité et du gaz, octobre 2001.

73 () Néanmoins, le titre II du Livre premier dudit code de l'environnement traite du débat public, des études d'impact, des enquêtes publiques et de la liberté d'accès aux informations.

74 () La convention a été publiée par le décret n° 2002-1187 du 12 septembre 2002.

75 () La Commission européenne a présenté récemment une proposition de décision approuvant la convention d'Aarhus et autorisant l'Union européenne à la ratifier (COM[2003] 625).

76 () A noter que dans une décision récente du 26 juin 2003 (affaire C-233/00), la Cour de justice des Communautés européennes a condamné la France pour avoir limité la portée de l'obligation de communication d'informations prescrite par cette directive. La Cour a notamment reproché à la France d'avoir limité l'obligation de communication aux documents administratifs au sens de la loi du 17 juillet 1978, d'avoir prévu parmi les motifs de refus de communication le fait qu'elle serait susceptible de porter atteinte de façon générale aux secrets protégés par la loi et de n'avoir pas prévu, dans l'hypothèse d'une décision implicite de rejet d'une demande d'information, que les autorités publiques sont tenues de fournir d'office et au plus tard dans les deux mois les motifs de ce rejet.

77 () La Commission européenne vient également d'adresser, le 24 octobre 2003, au Conseil et au Parlement européen une proposition de règlement sur l'application par les institutions communautaires des dispositions de la convention d'Aarhus (COM [2003] 622) et une proposition de directive sur l'accès à la justice (COM [2003] 624).

78 () Sandrine Maljean-Dubois, « Le projet de Charte française de l'environnement au regard du droit européen et international », article non publié, communiqué au rapporteur par l'auteur.

79 () Bertrand Mathieu, article précité.

80 () Audition de M. Guy Carcassonne par la Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, le 3 décembre 2003, compte rendu n° 10.

81 () Yves Jégouzo, « La genèse de la Charte constitutionnelle de l'environnement », précité.

82 () La plupart des extraits constitutionnels fournis ci-après ont pu être recueillis, soit dans une réponse écrite de la ministre de l'écologie et du développement durable faite au sénateur Jacques Oudin (Journal officiel, Sénat, 31 juillet 2003), soit dans un document établi par M. Henri Smets et publié par la Revue juridique de l'environnement, n° spécial, 2003.

83 () Seules les constitutions fédérales sont prises en compte pour l'Allemagne et l'Autriche.

84 () Il convient de signaler que le texte de l'article 24 de la Constitution grecque de 1975 publié dans la réponse écrite précitée de la ministre de l'écologie et du développement durable ne prend pas en compte la révision constitutionnelle intervenue en 2001, qui a notamment modifié les deux premiers alinéas de cet article. En l'absence de traduction française officielle de ces dispositions, elles sont citées en anglais.

85 () Andrew J. Waite, « Constitutional rights to the environment in the United Kingdom », Revue juridique de l'environnement, n° 4, 1994.

86 () Henri Smets, « Une Charte des droits fondamentaux sans droit à l'environnement », Revue européenne de droit de l'environnement, mars 2002.

87 () Article 40-3-2° : « En particulier, l'Etat protégera de son mieux contre les attaques injustes la vie, la personne, l'honneur et les droits de propriété de tout citoyen et, en cas d'injustice, il les défendra ».

88 () SEC (2003) 804.

89 () Michel Prieur, « Droit de l'environnement », Précis Dalloz, 1996.

90 () A titre d'exemple, on peut citer l'article 35 de la Charte des droits et libertés fondamentales de Tchéquie :

« Article 35 :

1) Chacun a droit à un environnement favorable.

2) Chacun a droit à des informations promptes et complètes sur l'état de l'environnement et des ressources naturelles.

3) Nul ne peut, en exerçant ses droits, menacer ni endommager l'environnement, les ressources naturelles, le patrimoine génétique de la nature et les monuments culturels au-delà de la limite fixée par la loi ».

91 () La question se pose notamment pour les paysages, non mentionnés dans la Charte, mais figurant au paragraphe I de l'article L.110-1 du code de l'environnement, qui participe également d'une approche « naturaliste ».

92 () Glykeria Sioutis, « Le droit de l'homme à l'environnement en Grèce », Revue juridique de l'environnement, n° 4, 1994.

93 () « Tout citoyen peut légitimement intenter une action populaire aux fins d'annulation d'un acte portant atteinte au patrimoine public, à celui d'une entité à laquelle l'Etat participe, à la moralité publique, à l'environnement, au patrimoine historique et culturel ; l'auteur de l'action est dispensé des frais de justice et des dépens, sauf mauvaise foi avérée ».

94 () Gilberto d'Avila Rufino, « Le droit de l'homme à l'environnement dans la Constitution de 1988 du Brésil », Revue juridique de l'environnement, n° 4, 1994, et Paulo Affonso Leme Machado, « L'environnement et la Constitution brésilienne », précité.

95 () Le rapporteur tient à remercier l'Ambassade de France aux Pays-Bas de lui avoir transmis ces éléments d'information.

96 () Michael Bothe, « Le droit à la protection de l'environnement en droit constitutionnel allemand », Revue juridique de l'environnement, n° 4, 1994.

97 () Jacqueline Morand-Deviller, « La Constitution et l'environnement », Les Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 15, 2003.

98 () Paulo Affonso Leme Machado, précité. On peut néanmoins contester cette affirmation. Les dispositions visées semblent plutôt se rapprocher de la prévention en visant des risques certains.

99 () Yves Jégouzo, « Quelques réflexions sur le projet de Charte de l'environnement », précité.

100 () Henri Smet, « Une charte des droits fondamentaux sans droit à l'environnement », précité.

101 () Sandrine Maljean-Dubois, article non publié, précité.

102 () CO-DBP (2003)2.

103 () Jean-Pierre Théron, « Le risque technologique saisi par le droit », dans « La maîtrise de l'agroalimentaire face aux défis technologiques », Presses de l'Université des sciences sociales de Toulouse, 2003.

104 () Dans son arrêt Cames de 1895, le Conseil d'Etat a fondé sur le risque la responsabilité de l'Etat employeur en matière d'accident du travail. Trois ans plus tard, la loi du 9 avril 1898 sur les accidents du travail donnait un fondement législatif à la responsabilité pour risque, dégagée de toute faute.

105 () Nicolas de Sadeleer, ouvrage précité.

106 () La loi fédérale sur la protection contre les émissions (Bundes-immissionschutzgesetz) adoptée le 15 mars 1974, exige « des mesures de précaution contre les effets préjudiciables pour l'environnement (...), en particulier des mesures pour limiter les émissions selon la meilleure technologie possible ».

107 () Jacques Ellul, précité dans l'introduction du présent rapport.

108 () On peut également citer, entre autres, la convention d'Helsinki du 17 mars 1992 sur la protection et l'utilisation des cours d'eau transfrontières et des lacs internationaux ; la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques signée à New-York le 9 mai 1992 ; la convention du 5 juin 1992 sur la diversité biologique, le traité de Paris de septembre 1992 pour la protection de l'environnement de l'Atlantique du nord-est (OSPAR), la convention d'Espoo de 1992 relative aux études d'impacts environnementaux dans un contexte transfrontière, la convention de 1992 pour la protection de l'environnement de la mer Baltique, l'accord de New York du 4 août 1995 aux fins de l'application des dispositions de la convention des Nations unies sur le droit de la mer du 10 décembre 1982 relatives à la conservation et à la gestion des stocks de poissons dont les déplacements s'effectuent tant à l'intérieur qu'au-delà des zones économiques exclusives (stocks chevauchants) et des stocks de poissons grands migrateurs, le traité de Charleville-Mézières du 26 avril 1994 sur la protection de l'Escaut et de la meuse, la convention de Sofia du 29 juin 1994 sur la coopération et l'utilisation durable du Danube, la charte européenne de l'énergie adoptée à Lisbonne le 17 décembre 1994, le protocole de Barcelone du 10 juin 1995 relatif à la protection de la mer Méditerranée contre la pollution d'origine tellurique, la convention de Rotterdam du 22 janvier 1998 sur la protection du Rhin, ou encore le protocole de Carthagène du 29 janvier 2000 sur la prévention des risques engendrés par les biotechnologies.

109 () Dominique Bourg et Kerry Whiteside, « Le principe de précaution : un principe problématique mais nécessaire », article non publié. Le rapporteur remercie M. Dominique Bourg de lui avoir transmis ce document.

110 () Philippe Kourilsky et Geneviève Viney, « Le principe de précaution », La documentation Française, 2000.

111 () Nicolas de Sadeleer, ouvrage précité.

112 () Nicolas de Sadeleer, ouvrage précité.

113 () A cet égard, la définition du principe de précaution donnée par le code de l'environnement n'est pas assez claire en disposant que les mesures de précaution doivent « prévenir » les dommages.

114 () Bruno Latour, « Prenons garde au principe de précaution », Le Monde, janvier 2000.

115 () Catherine et Raphaël Larrère, « Les OGM entre hostilité de principe et principe de précaution », Le courrier de l'environnement, n° 43, 2001.

116 () Sandrine Maljean-Dubois, article non publié, précité.

117 () Conseil de l'environnement d'EDF, précité.

118 () Ce rapport de 1999 a, en effet, dégagé un certain nombre de principes de procédures susceptibles d'encadrer la réflexion et l'action et les a présentés sous la forme des dix commandements suivants :

1. Tout risque doit être défini, évalué et gradué.

2. L'analyse des risques doit comparer les différents scénarios d'action et d'inaction.

3. Toute analyse de risque doit comporter une analyse économique qui doit déboucher sur une étude coût/bénéfice (au sens large) préalable à la prise de décision.

4. Les structures d'évaluation des risques doivent être indépendantes mais coordonnées.

5. Les décisions doivent, autant qu'il est possible, être révisables et les solutions adoptées réversibles et proportionnées.

6. Sortir de l'incertitude impose une obligation de recherche.

7. Les circuits de décision et les dispositifs sécuritaires doivent être non seulement appropriés, mais cohérents et efficaces.

8. Les circuits de décision et les dispositifs sécuritaires doivent être fiables.

9. Les évaluations, les décisions et leur suivi, ainsi que les dispositifs qui y contribuent, doivent être transparents, ce qui impose l'étiquetage et la traçabilité.

10. Le public doit être informé au mieux et son degré de participation ajusté par le pouvoir politique.

119 () Olivier Godard, « Le principe de précaution entre débats et gestion des crises », Laboratoire d'économétrie de l'Ecole polytechnique, Cahier n° 2001-010.

120 () Hans Jonas, « Le principe de responsabilité », publié en Allemagne en 1979, traduction française Editions du Cerf, 1990.

121 () Dominique Bourg et Kerry Whiteside, précité.

122 () Cette approche de combat de l'utilisation de la précaution est parfaitement illustrée par la conclusion d'un article de Marie-France Delhoste, « Le principe de précaution, un concept miné par ses contradictions internes et le principe Alara », Droit prospectif, RRJ, 2003-3 :

« Le principe de précaution semble donc pouvoir être interprété de deux façons. La première consiste à privilégier la croissance économique en s'efforçant de maintenir un environnement « supportable » et, lorsqu'il y a lieu de « réparer » les atteintes, de veiller à alléger autant que possible le montant des dépenses. (...) La seconde consiste en une remise en cause du modèle économique par l'application beaucoup plus restrictive du principe de précaution. Or, si les atteintes à l'environnement et aux populations ne cessent de s'étaler sous nos yeux, la priorité demeure accordée à l'objectif de croissance. Entre le mythe d'une croissance économique devant assurer aux hommes le bonheur par l'amélioration des conditions d'existence et l'« utopie » d'une terre où la vie, riche de sa diversité, puisse demeurer, le choix ne s'impose-t-il pas ? »...

123 () Dans son article précité de 1972, Jacques Ellul affirme ainsi : « S'intéresser à la protection de l'environnement et à l'écologie sans mettre en question le progrès technique, la société technicienne, la passion de l'efficacité, c'est engager une opération non seulement inutile, mais fondamentalement nocive ».

124 () L'Académie de médecine a adopté, le 6 janvier 2004, un nouveau texte visant spécifiquement le projet de loi constitutionnelle et maintenant ses profondes réserves.

125 () En particulier, « Du bon usage du principe de précaution », Environnement - Risques et santé, volume 2, n° 5, 2003.

126 () Voir, par exemple, le rapport précité du Conseil de l'environnement d'EDF, qui détaille la démarche de précaution adoptée par cette entreprise dans ses différents champs d'activité.

127 () Olivier Godard, « Risques et précautions : paysage intellectuel », Après-demain, n° 444-445, 2002.

128 () Nicolas de Sadeleer, ouvrage précité.

129 () Michel Prieur, « Vers un droit de l'environnement renouvelé », précité.

130 () Philippe Kourilsky et Geneviève Viney, précité.

131 () M. Apfelbaum, « Nitrates : une norme aux pieds d'argile », La Recherche, 2001.

132 () Dans sa communication de février 2000 sur le recours au principe de précaution, qui sera examinée postérieurement, la Commission européenne rappelle toutefois la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes qui donne la priorité à la protection de la santé par rapport aux considérations économiques.

133 () Avis sur le projet de loi de finances pour 2004, présenté par M. Christophe Priou au nom de la Commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire de l'Assemblée nationale (n° 1112).

134 () Ces informations de droit comparé proviennent, pour l'essentiel, de l'ouvrage précité de Nicolas de Sadeleer et d'un article de Philippe Ch.-A. Guillot, « Essai de définition juridique du principe de précaution », dans « Approche juridico-économique du principe de précaution », Université de Rouen, 2003.

135 () Arrêt du tribunal administratif d'appel de Hambourg, du 27 janvier 1995, ayant précisé la portée du principe de précaution applicable aux biotechnologies.

136 () Ce principe de substitution se retrouve également dans le droit communautaire (directives n° 89/391/CEE du 12 juin 1989 ; n° 90/394/CEE du 28 juin 1990 ou encore n° 98/8CE) du 16 février 1998.

137 () Se fondant sur cette réglementation, le Président du tribunal de première instance d'Anvers a ordonné, le 2 février 1999, la cessation du redémarrage de l'exploitation d'un incinérateur de déchets ménagers.

138 () Citation reprise par Dominique Bourg et Kerry Whiteside, précité.

139 () Nicolas de Sadeleer, « Le statut juridique du principe de précaution en droit communautaire : du slogan à la règle », Cahiers de droit européen, 2001.

140 () COM (2000) 1 final. Son résumé constitue l'annexe II du présent rapport d'information.

141 () Annexe III du présent rapport d'information.

142 () JOCE, n° C 268/6, 19 septembre 2000.

143 () Nicolas de Sadeleer, article précité.

144 () COM (2003) 644 final.

145 () CEDH, 26 août 1997, Balmer-Schafroth c. Suisse.

146 () CJCE, 13 novembre 1990, Fedesa (affaire C-331/88).

147 () CJCE, 24 novembre 1993, Armand Mondiet c. armement Islais (affaire C-405/92).

148 () CJCE, 14 juillet 1998, Safety Hi-Tech Srl c. S&T. (affaire C-284/95).

149 () CJCE, 4 juillet 2000, Bergaderm (affaire C-352/98).

150 () CJCE, 21 mars 2000, Association Greenpeace France (affaire C-6/99).

151 () Les représentants de la Commission européenne auditionnés par le rapporteur considèrent que, dans le domaine de la détermination des périodes de chasse, c'est le principe de prévention qui est mis en œuvre et non pas celui de précaution (sauf, peut-être, pour certaines chasses traditionnelles telle que la chasse aux gluaux). Il est vrai que le juge communautaire n'est pas très clair sur les principes guidant son action en la matière. Ainsi, dans ses conclusions du 6 mai 2003 sur l'affaire C-182/02 (concernant une demande de décision préjudicielle du Conseil d'Etat français sur la notion de « dérogations » mentionnée par la directive de 1979), l'avocat général assimilait les deux principes : « La pratique actuelle tend (...) à appliquer le principe de précaution (ou de prudence et d'action préventive, au sens de la terminologie utilisée par l'article 174 CE, paragraphe 2) (...) ».

152 () Affaires C-180/96 et C-157/96.

153 () Arrêt Pfizer, précité.

154 () Voir, en particulier, le document publié le 10 octobre 2003 par l'OCDE sur « Le principe pollueur-payeur et le commerce international ».

155 () Michel Prieur, « Vers un droit de l'environnement renouvelé », précité.

156 () Voir l'Annexe IV au présent rapport d'information.

157 () Patrick Thieffry, « Politique communautaire de l'environnement », Juris-classeur environnement, Fascicule 120.

158 () On peut rappeler ici que, selon le ministère de la justice, cette conciliation pourrait conduire à des dérogations, notamment pour les besoins de la défense nationale.

159 () Marie-Anne Cohendet, précité.

160 () Décision n° 2001-446 DC sur la loi relative à l'IVG et à la contraception.

161 () COM (2002) 17 final du 23 janvier 2002.

162 () COM (2001) 139 final.

163 () La convention de Lugano n'a obtenu aucune ratification, à ce jour, tandis que la convention de Strasbourg n'a été ratifiée que par l'Estonie.

164 () Une communication sur ce document a été faite par le rapporteur devant la Délégation pour l'Union européenne le 20 mai 2003 (rapport d'information n° 866).

165 () Décision-cadre n° 2003/80/JAI.

166 () Yves Jégouzo, « La genèse de la Charte constitutionnelle de l'environnement », précité.

167 () Dans la majeure partie des cas, les actes communautaires touchant à l'environnement doivent être adoptés dans le cadre de la procédure de co-décision visée par l'article 251 du traité, qui permet d'associer pleinement la Commission, le Conseil et le Parlement européen.

168 () Philippe Icard, « Le principe de précaution : exception à l'application du droit communautaire ? », Revue trimestrielle de droit européen, n° 38, 2002.

169 () SEC (2003) 804.

170 () La non-communication signifie que l'Etat membre a omis d'adopter les mesures de transposition de la directive et d'en informer la Commission dans les délais prescrits.

171 () En cas de non-conformité, les mesures de transposition prises par l'Etat membre ne sont pas conformes à la directive.

172 () On entend par manquement horizontal le fait de ne pas transposer certaines obligations dérivées ou secondaires contenues dans les directives, telles que l'obligation d'établir des plans, de classer des sites ou de désigner des zones, d'adopter des programmes, de fournir des données de suivi, de publier des rapports, etc.

173 () Christian Philip, « Premier rapport annuel sur la transposition des directives », rapport d'information n° 1009.

174 () Rapport d'information n° 2630, déposé le 11 mars 1996.

175 () « Rapport français pour la conférence des Cours ayant compétence constitutionnelle des Etats membres de l'Union européenne ». Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 4, 1997.

176 () Christine Maugüe, « Le Conseil constitutionnel et le droit supranational », Pouvoirs, n° 105, 2003 ».

177 ()Christine Maugüe, « L'arrêt Sarran, entre apparence et réalité », Les Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 7, 1999.

178 () Il pourrait s'agir notamment d'une loi française transposant une directive en reprenant à l'identique les dispositions de celle-ci et qui serait déclarée contraire à la Charte dans le cadre d'une saisine au titre de l'article 61 de la Constitution

179 () C'est à ce contrôle préalable qu'ont été soumis les traités de Maastricht et d'Amsterdam et, dans chaque cas, une révision constitutionnelle est intervenue.

180 () Décision n° 80-116 DC du 17 juillet 1980.

181 () Henri Labayle, « Le contrôle de la constitutionnalité du droit dérivé de l'Union européenne. L'entraide judiciaire européenne au Palais Royal », Revue française du droit administratif, 2003.

182 () A titre d'illustration, on peut rappeler que la directive n° 95/46/CE du 24 octobre 1995 relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, avait fait l'objet d'un avis de l'Assemblée générale du Conseil d'Etat soulevant des problèmes de constitutionnalité dès le stade de la négociation et qui n'a pas été pris en compte.

183 () ou qu'un acte réglementaire d'application d'une loi déclarée conforme à la Constitution soit en contrariété avec le droit communautaire.

184 () Marie-Anne Cohendet, précité.

185 () Daniel Boy, Cahiers du PROSES (Programme "sciences, environnement et société" de l'IEP Paris), n° 7, 2003.

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