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N° 1479

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 3 mars 2004

RAPPORT D'INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA DÉLÉGATION DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE

POUR L'UNION EUROPÉENNE (1),

sur l'adhésion de la Bulgarie à l'Union européenne,

ET PRÉSENTÉ

par M. JÉrÔme LAMBERT,

Député.

________________________________________________________________

(1) La composition de cette Délégation figure au verso de la présente page.

La Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne est composée de : M. Pierre Lequiller, président ; MM. Jean-Pierre Abelin, René André, Mme Elisabeth Guigou, M. Christian Philip, vice-présidents ; MM. François Guillaume, Jean-Claude Lefort, secrétaires ; MM. Alfred Almont, François Calvet, Mme Anne-Marie Comparini, MM. Bernard Deflesselles, Michel Delebarre, Bernard Derosier, Nicolas Dupont-Aignan, Jacques Floch, Pierre Forgues, Mme Arlette Franco, MM. Daniel Garrigue, Michel Herbillon, Marc Laffineur, Jérôme Lambert, Edouard Landrain, Robert Lecou, Pierre Lellouche, Guy Lengagne, Louis-Joseph Manscour, Thierry Mariani, Philippe Martin, Jacques Myard, Christian Paul, Didier Quentin, André Schneider, Jean-Marie Sermier, Mme Irène Tharin, MM. René-Paul Victoria, Gérard Voisin.

SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION 5

I. DES PROGRES IMPORTANTS RECONNUS PAR LA COMMISSION EUROPEENNE 7

A. Le respect des critères politiques 7

B. Un bilan macro-économique encourageant 8

C. Une transposition de l'acquis très avancée 10

II. UN VOLONTARISME EUROPEEN MELE D'IMPATIENCE 11

A. Un ancrage européen affirmé 11

B. Des responsables politiques attendant une reconnaissance des efforts consentis 12

1) Kozloduy, symbole de la fermeté de l'engagement communautaire de la Bulgarie 13

2) L'attente d'assurances formelles quant au calendrier d'adhésion 15

C. Une population espérant des avancées économiques et sociales 17

III. UN SOUTIEN FRANÇAIS SUSCEPTIBLE D'ETRE RENFORCE 19

A. La Bulgarie, Etat membre de la francophonie 19

B. Mettre à profit l'opportunité d'assister la Bulgarie dans l'amélioration de ses capacités administratives et judiciaires 21

1) Le renforcement souhaitable de la coopération administrative 21

2) La poursuite nécessaire de la coopération judiciaire et policière 23

C. Une présence économique à dynamiser 25

1) Des investissements français trop faibles 25

2) Des potentialités dans le domaine agricole 26

CONCLUSION 29

TRAVAUX DE LA DELEGATION 31

ANNEXES 33

Annexe 1 : Carte de la Bulgarie 35

Annexe 2 : Liste des personnes entendues par le rapporteur 37

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

« La Bulgarie est un petit pays, qui se trouve à l'une des extrémités de l'Europe. Nous disions toujours « aller en Europe »... »(1).

Comme l'illustre cette citation de l'intellectuel Tzvetan Todorov, né en Bulgarie en 1939 et aujourd'hui directeur de recherches au CNRS, la démarche engagée par la Bulgarie pour adhérer à l'Union européenne aurait pu se heurter, de prime abord, à des obstacles à la fois géographiques et culturels.

Ce pays de huit millions d'habitants, situé à l'extrême Sud-Est de l'Europe, dispose d'accès aisés vers la Mer Noire et la Turquie. En revanche, les communications avec le Sud (Grèce) et l'Ouest (Macédoine et Yougoslavie) sont rendues plus difficiles par des massifs montagneux. Quant aux liaisons terrestres avec le grand voisin du Nord - la Roumanie -, elles se heurtent au franchissement du Danube, qui n'est possible qu'en un seul point par la voie routière (un accord pour la construction d'un second pont a été signé en février 2000, mais tarde à se concrétiser).

L'usage d'une langue slave écrite en alphabet cyrillique et l'appartenance très majoritaire à la confession orthodoxe (85 % de la population) distinguent également la Bulgarie de la plupart des pays membres de l'Union européenne.

Enfin, maintenus « Sous le joug turc »(2) durant plusieurs siècles, les Bulgares n'ont pleinement joui de leur indépendance retrouvée en 1878 que durant quelques décennies, avant de devenir un « satellite » de l'Union soviétique. On aurait donc pu penser qu'ils mettraient peu d'empressement à rejoindre le cadre communautaire.

En réalité, tout comme mon prédécesseur en 2001, M. François Loncle, j'ai pu constater que « la Bulgarie tend de toutes ses forces à l'adhésion à l'Union européenne »(3).

Cette forte volonté, je l'ai perçue aussi bien chez les hommes et femmes politiques rencontrés au cours de mon séjour à Sofia du 25 au 27 novembre 2003, que chez les étudiants bulgares de l'Institut de la francophonie pour l'administration et la gestion (IFAG).

Elle a poussé les autorités bulgares à accomplir d'importants efforts pour satisfaire aux critères d'adhésion. Le dernier rapport régulier établi par la Commission européenne enregistre ainsi de nombreux progrès. En contrepartie, la Bulgarie attend avec impatience et un certain scepticisme la reconnaissance de ce volontarisme européen. Il appartient à la France de soutenir l'ambition des dirigeants bulgares visant à terminer les négociations d'adhésion en 2004, à signer le traité d'adhésion en 2005 et à rejoindre l'Union européenne en 2007.

I. DES PROGRES IMPORTANTS RECONNUS PAR LA COMMISSION EUROPEENNE

Le bilan dressé par la Commission européenne, début novembre 2003, sur les progrès réalisés par la Bulgarie sur la voie de l'adhésion est extrêmement encourageant. Les résultats obtenus ces dernières années, tant en ce qui concerne les critères politiques, économiques et la transposition de l'acquis communautaire, sont très significatifs.

A. Le respect des critères politiques

Les critères politiques définis par le Conseil européen de Copenhague en juin 1993 prévoient que les pays candidats doivent être parvenus à une stabilité des institutions garantissant la démocratie, la primauté du droit, les droits de l'homme, ainsi que le respect des minorités et leur protection.

La Commission européenne constate, depuis plusieurs années, que la Bulgarie satisfait à ces critères.

Plusieurs difficultés subsistent néanmoins. Il s'agit de la corruption généralisée, de la traite des êtres humains (particulièrement de femmes et d'enfants) mise en œuvre par une criminalité organisée, et des conditions de fonctionnement de la justice (le rapport régulier note que, dans la pratique, il n'y a aucun avocat de la défense dans presque 50 % des affaires criminelles en première instance). Les autorités bulgares ont conscience de ces problèmes et n'hésitent pas à aborder ces sujets avec beaucoup de franchise. J'aurai l'occasion, dans la suite de ce rapport, d'approfondir chacune de ces questions, tout en montrant que la Bulgarie se donne les moyens de lutter contre les dysfonctionnements actuels.

S'agissant de la protection des minorités, la Bulgarie n'accorde pas de droits constitutionnels spécifiques aux minorités nationales présentes sur son territoire.

La question de l'intégration de la minorité turque (environ 800 000 personnes, soit 10 % de la population) est beaucoup moins sensible depuis l'émergence du parti MDL (Mouvement des droits et des libertés), dont la base électorale est essentiellement constituée par les Turcs de Bulgarie, et la participation de ce dernier à la coalition au pouvoir. Ce parti joue d'ailleurs un rôle important au sein de cette coalition, surtout depuis la défection, début 2003, de onze députés appartenant jusqu'alors au parti majoritaire (le Mouvement national Siméon II).

La situation de la minorité rom (600 000 personnes environ) est plus préoccupante. La plupart de ses membres vivent dans la pauvreté, sont lourdement frappés par le chômage et largement exclus du système de santé. La scolarisation des jeunes roms bulgares est assurée, pour l'essentiel, dans des écoles séparées, héritées du système communiste, et la plupart de ces enfants ne sont plus scolarisés après l'école primaire. La Bulgarie a certes adopté, en 1999, un « programme-cadre pour l'intégration égale des roms dans la société bulgare », mais la Commission européenne considère qu'il n'a pas été correctement mis en œuvre jusqu'ici. Elle constate, néanmoins, qu'un plan d'action pour la mise en œuvre du programme-cadre vient d'être adopté en septembre 2003, accompagné d'une aide budgétaire.

B. Un bilan macro-économique encourageant

La chute de l'URSS a porté un coup très dur à l'économie bulgare. Jusqu'alors, l'attachement sans réserve de la Bulgarie à la ligne soviétique lui avait donné un statut particulier au sein du COMECON, qui s'exprimait par une aide économique d'environ 500 millions de roubles transférables par an, la transmission gratuite de licences, la présence de nombreux experts, ainsi que par l'achat par l'URSS de la quasi-totalité de la production agricole bulgare(4).

La remise en cause de tous ces « privilèges » a été difficile à surmonter et, à l'hiver 1996-1997, l'économie bulgare était au bord de l'effondrement. Un vaste dispositif de redressement a alors été mis en place en collaboration avec le FMI et la Banque mondiale.

Aujourd'hui, la Commission européenne estime que la Bulgarie possède une économie de marché viable, qui devrait être en mesure de faire face à la pression concurrentielle et aux forces du marché à l'intérieur de l'Union à brève échéance.

Pour la quatrième année consécutive, le taux de croissance a été supérieur à 4 % en 2003. L'inflation chute régulièrement et est désormais en dessous du seuil des 4 % (contre 18,7 % en 1998 et plus de 1 000 % en 1997). Le taux de change, fermement adossé à l'euro, s'est stabilisé (1 € = 1,95 lev). La dette extérieure publique ne représente que 56 % du PIB contre 64 % en 2001. Le déficit budgétaire est proche de zéro en 2003 (pour 2004, le FMI et le gouvernement se sont accordés sur un déficit de l'ordre de 0,7 %). La Bulgarie est donc très proche du respect des critères de Maastricht en matière d'inflation, de dette et de déficit budgétaire.

Le taux de chômage demeure élevé (15 %), même s'il est en baisse constante. Près des deux-tiers des chômeurs sont des chômeurs de longue durée et 35,6 % des moins de 25 ans sont sans emploi.

Les institutions internationales ayant aidé la Bulgarie à se redresser la presse de réaliser des réformes structurelles en accélérant les privatisations. Mais, après avoir réussi la privatisation des deux dernières banques publiques, le Gouvernement a dû reporter les opérations concernant Bulgartabac et la compagnie nationale des télécommunications (BTK), du fait, notamment, de problèmes de procédure et de l'intérêt modéré manifesté par les investisseurs étrangers dans un contexte international morose. Néanmoins, 82,3 % des actifs détenus par l'Etat et destinés à la privatisation avaient été privatisés en août 2003.

C. Une transposition de l'acquis très avancée

Selon la Commission européenne, la Bulgarie se trouve en bonne voie d'achever la transposition législative requise de l'acquis communautaire avant la date d'adhésion prévue.

Ouvertes fin février 2000, les négociations ont permis de fermer provisoirement 26 des 30 chapitres de l'acquis. Seuls les chapitres 6 (politique de concurrence), 7 (agriculture), 21 (politique régionale et coordination des instruments structurels) et 29 (dispositions financières et budgétaires) sont encore ouverts, mais les trois derniers sont en attente des perspectives financières définies par la Commission européenne.

Ces résultats n'ont pu être obtenus que grâce à une intense mobilisation politique et administrative. M. Daniel Valtchev, Président de la Commission de l'intégration européenne de l'Assemblée nationale, m'a ainsi indiqué que cette commission a donné son avis sur 130 projets de lois depuis deux ans et demi.

Ces efforts remarquables constituent la manifestation la plus visible du volontarisme européen partagé par une très grande majorité de Bulgares.

II. UN VOLONTARISME EUROPEEN MELE D'IMPATIENCE

L'ancrage européen des Bulgares ne laisse place à aucun doute : il est très frappant, par exemple, de constater l'omniprésence du drapeau de l'Union européenne dans tous les bâtiments officiels. A quelques années de l'adhésion, on peut même percevoir une certaine forme d'impatience, aussi bien chez les responsables politiques, qui attendent que les efforts consentis trouvent une juste reconnaissance, que dans la population, qui espère bénéficier au plus vite des avantages économiques et sociaux annoncés.

A. Un ancrage européen affirmé

Avec l'enthousiasme des néophytes, les autorités bulgares n'hésitent pas, dans certains cas, à en faire plus que le strict nécessaire. Ainsi, par exemple, dans le domaine du recyclage des déchets, elles ont fixé le taux minimal de recyclage des emballages industriels à 25 %, soit un niveau sensiblement supérieur à celui retenu dans les Etats membres. L'entreprise Danone ayant regretté ce choix, la ministre des affaires européennes - Mme Meglena Kouneva - a répliqué que les Bulgares ne souhaitent pas être « les mendiants de l'Europe ».

Si l'on fait observer aux Bulgares que lors de la crise irakienne, ils ont choisi de soutenir la ligne des Etats-Unis plutôt que la position défendue par la France et l'Allemagne - la Bulgarie figure notamment parmi les signataires de la « lettre de Vilnius » du 8 février 2003 et, en tant que membre non permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, elle s'est rangée du côté américain - ils observent immédiatement qu'ils ont toujours su coordonner leur position avec celle de l'Union européenne lorsque cette dernière avait réussi à élaborer une position commune. Ce fut le cas, en particulier, en matière de poursuites judiciaires intentées par la Cour pénale internationale contre des citoyens américains, en ce qui concerne les organismes génétiquement modifiés ou encore s'agissant du Protocole de Kyoto.

De la même façon, Mme Meglena Kouneva, ministre des affaires européennes, m'a clairement affirmé que la Bulgarie était favorable au renforcement de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et de la politique de défense commune. Mais, en attendant la concrétisation de ces politiques communautaires, la Bulgarie a signé le protocole d'adhésion à l'OTAN en mars 2003, qu'elle devrait rejoindre au printemps 2004 à l'issue du processus de ratification. Cette adhésion n'est en rien critiquable, surtout de la part d'un représentant d'un pays membre de l'OTAN. Toutefois, la diplomatie bulgare s'est focalisée sur l'adhésion à l'Alliance atlantique, sans aucun débat préalable sur les besoins d'un pays qui ne fait face à aucune menace extérieure directe. Il pourrait être souhaitable qu'un tel débat ait lieu avant que ne soit prise une décision définitive concernant l'implantation d'une base américaine (et non pas une base de l'OTAN) à Bourgas, au bord de la Mer Noire. Cette décision, qui ne relève d'ailleurs pas exclusivement des autorités bulgares, puisque les Etats-Unis hésitent entre ce site et celui de Constantza en Roumanie, ne devrait pas être inspirée par des considérations à caractère exclusivement économique, liées à la sauvegarde des infrastructures pétrolières existant à Bourgas.

En tout état de cause, il est évident que l'implantation de cette base ne serait pas de nature à remettre en question l'adhésion à l'Union européenne, où d'autres Etats membres accueillent également des militaires américains.

B. Des responsables politiques attendant une reconnaissance des efforts consentis

Si les stéréotypes nationaux ont toujours un aspect caricatural, il faut bien reconnaître que le caractère pessimiste généralement prêté aux Bulgares(5) trouve à s'exprimer dans cette phase de préadhésion. Le moindre propos, la moindre nuance susceptibles de laisser supposer que l'adhésion pourrait être retardée sont immédiatement repris et amplifiés démesurément. Ce fut le cas, par exemple, au cours de mon séjour à Sofia, lorsque la presse bulgare a donné un large écho à une prévision sans fondement du directeur du programme européen du Centre d'études stratégiques et internationales de Washington (!!!), estimant que la date la plus réaliste pour le prochain élargissement est 2010 et non pas 2007. D'une façon identique, le dernier rapport régulier de la Commission européenne a été accueilli avec une relative circonspection en Bulgarie, alors que ce document a une tonalité très favorable à l'adhésion de ce pays.

Dans ces conditions, on peut comprendre que les responsables politiques bulgares désirent obtenir au plus vite des assurances formelles sur le calendrier d'adhésion, d'autant qu'ils ont le sentiment profond d'avoir dû s'imposer des « sacrifices » pour satisfaire aux obligations communautaires. Dans le contexte national, ces sacrifices font essentiellement référence à la fermeture de certains réacteurs de la centrale nucléaire de Kozloduy.

1) Kozloduy, symbole de la fermeté de l'engagement communautaire de la Bulgarie

Située à environ 200 km au Nord-Est de Sofia, la centrale nucléaire de Kozloduy comportait, jusqu'à ces derniers temps, six réacteurs en activité, appartenant à trois générations technologiques successives.

A la demande de l'Union européenne et sur la base d'un protocole d'accord signé en 1999, les autorités bulgares ont accepté de fermer les deux plus anciens réacteurs (les tranches 1 et 2) en décembre 2002. De plus, pour permettre la clôture du chapitre « énergie » des négociations, le Gouvernement actuel s'est engagé à arrêter en 2006 les tranches 3 et 4.

Cette dernière décision a donné lieu à un débat national très polémique.

Ce débat a d'abord porté sur la réalité du danger représenté par ces deux réacteurs. Si la Commission européenne estime qu'ils « ne répondent pas, de par leur conception, à un grand nombre d'exigences de sûreté, l'absence de confinement n'étant pas le moindre de leurs défauts », les opposants à leur fermeture ont fait observer que 130 millions d'euros ont été investis depuis dix ans pour moderniser ces installations et que des inspections récentes ont conclu positivement sur la sûreté de la centrale de Kozloduy. On doit d'ailleurs signaler qu'une mission d'experts envoyée par l'Union européenne, en novembre 2003, a fait des déclarations jugeant globalement positive l'évaluation technique de la sûreté nucléaire bulgare, mais son rapport ne devrait être officiellement rendu qu'en mars 2004.

La polémique a également une forte connotation économique. Cette centrale produit près de la moitié de l'électricité du pays et la fermeture de quatre tranches sur six impose de réhabiliter une centrale thermique fournissant de l'électricité à un coût de revient deux fois supérieur à celui de la filière nucléaire. Par ailleurs, Kozloduy constitue une source d'emplois et d'exportations non négligeable. Ainsi, en 2001, avant la fermeture des deux premières tranches, la Bulgarie avait exporté de l'électricité vers la Turquie, la Grèce et la Yougoslavie pour un montant de 285 millions d'euros.

Plus profondément encore, la question de Kozloduy revêt un aspect symbolique. D'une part, parce que de nombreux Bulgares voient dans cette centrale un motif de fierté nationale, une preuve de la maîtrise technologique atteinte par leur pays (on peut rappeler qu'en janvier 2003, la Cour suprême de Bulgarie avait tenté de s'opposer à l'action du Gouvernement). D'autre part, il existe un certain sentiment d'injustice par rapport au traitement accordé par la Commission européenne à la Slovaquie ou à la Lituanie, qui possèdent des installations nucléaires similaires dont le fonctionnement a été autorisé au-delà de l'échéance de 2006 imposée à la Bulgarie.

Pour autant, comme l'a clairement indiqué le Premier ministre bulgare, la Bulgarie doit s'en tenir aux engagements souscrits et fermer en 2006 les tranches 3 et 4.

La principale question qui se pose désormais a trait aux compensations financières accordées par l'Union européenne au titre du dédommagement des conséquences économiques, environnementales et sociales de la fermeture des réacteurs. La Commission et la Bulgarie ont mis en place un groupe de travail chargé de procéder à cette évaluation, qui devra concilier des positions de départ très éloignées. M. Milko Kovatchev, ministre de l'énergie, m'a ainsi précisé qu'il estimait à 1,7 milliard d'euros le montant des compensations, tandis que M. Dimitri Kourkoulas, chef de la délégation de la Commission européenne, juge que cette évaluation ne tient compte ni des coûts de production, ni des coûts de fermeture des réacteurs qui auraient été supportés obligatoirement par la Bulgarie si l'exploitation des deux réacteurs avait été poursuivie jusqu'en 2010-2012, dates limites fixées lors de leur conception. Dans son rapport régulier, la Commission européenne ajoute qu'Euratom a consenti un prêt de 212,5 millions d'euros pour moderniser les deux derniers réacteurs (les tranches 5 et 6)(6).

En acceptant de fermer les tranches 3 et 4 contre l'opinion d'une large majorité de Bulgares, le Gouvernement a fait preuve d'un grand courage politique, d'autant plus que cette fermeture contribue à l'augmentation des tarifs de l'électricité supportée par les consommateurs (d'autres facteurs jouent en ce sens, en particulier la nécessité de rendre attrayante la privatisation de ce secteur et la pression exercée par les institutions financières internationales pour assurer la récupération des coûts de revient). Après avoir subi une hausse de 20 % en 2003, ces tarifs devraient encore croître de 24 % en 2004.

2) L'attente d'assurances formelles quant au calendrier d'adhésion

Les personnalités politiques bulgares rencontrées lors de mon séjour à Sofia ont toutes formulées le même souhait : conclure les négociations et signer le traité d'adhésion au plus vite. Plus précisément, la Bulgarie voudrait clore les négociations avant le renouvellement de la Commission européenne et signer le traité début 2005(7).

Dès lors, les autorités bulgares espéraient que le Conseil européen de Bruxelles, qui devait se tenir peu après, le 12 décembre 2003, fixerait un calendrier très clair de la fin du processus d'adhésion de leur pays. Elles laissaient même entendre qu'en vertu du principe d'évaluation individuelle des mérites de chaque pays, il pourrait être envisagé de permettre à la Bulgarie de signer le traité quelques mois avant la Roumanie, sans que ce geste ne puisse apparaître comme une marque de défiance à l'égard de ce voisin. Il m'a été assuré, au contraire, que la Bulgarie était favorable à l'adhésion conjointe des deux pays en 2007, car la Roumanie représente un marché économique important pour les entreprises bulgares et car la Bulgarie profitera de sa situation géographique entre la Roumanie et la Grèce.

Les conclusions du Conseil européen de Bruxelles ont donc été accueillies avec une certaine satisfaction en Bulgarie. Le « caractère irréversible du processus d'élargissement » y a été souligné et - surtout - il a été clairement précisé que l'adhésion pourrait avoir lieu au mois de janvier 2007, ce qui constitue une nouveauté. Toutefois, la fin des négociations en 2004 et la signature du traité d'adhésion « dès que possible en 2005 » sont toujours conditionnées, aussi bien pour la Bulgarie que pour la Roumanie, à des « progrès supplémentaires sur le terrain », notamment en ce qui concerne les capacités administratives et judiciaires.

L'empressement bulgare est néanmoins compréhensible. Un calendrier précis serait tout d'abord apparu comme une forme de légitimation de l'action accomplie ces dernières années. Par ailleurs, il aurait également constitué une assurance, alors que plusieurs événements prévus pour 2004 sont sources de préoccupations pour la Bulgarie : l'adhésion de dix nouveaux Etats membres pourrait mobiliser plus de moyens financiers que les estimations initiales, irriter les opinions publiques européennes et conduire certains nouveaux adhérents à s'opposer à tout nouvel élargissement ; la réforme de la politique agricole commune pourrait susciter des réactions négatives à l'encontre de l'adhésion de deux pays ayant une vocation agricole ; enfin, les discussions du « paquet financier » 2007-2013 pourraient également faire se lever de nouveaux obstacles à la poursuite de l'élargissement.

Ces craintes ne reposent sur aucun élément concret mais elles traduisent bien le profond désir des gouvernants bulgares d'adhérer rapidement à l'Union européenne. Ce désir est largement partagé par une population en quête d'une amélioration de ses conditions de vie.

C. Une population espérant des avancées économiques et sociales

La Bulgarie est dans la situation paradoxale d'une bonne performance macro-économique globale, accompagnée d'une stagnation du pouvoir d'achat de la population. Le produit national brut par habitant ne correspond qu'à 26 % de la moyenne communautaire et l'on estime que 40 % des Bulgares vivent en dessous du seuil de pauvreté fixé à 109 leva par mois (soit 55 euros). Le revenu moyen est d'environ 100 euros par mois et le salaire mensuel d'un enseignant du secondaire est de 130 euros. Un élément positif mérite d'être signalé : 90 % de la population est propriétaire de son logement.

Le bref séjour que j'ai effectué à Sofia m'a néanmoins permis d'entrevoir que le niveau de vie réel devait être quelque peu supérieur - tout au moins en zones urbaines - à ces chiffres officiels. Il m'a été confirmé que nombre de Bulgares parviennent à améliorer leur quotidien grâce à divers moyens plus ou moins légaux : la solidarité familiale permettant aux citadins d'aller s'approvisionner durant le week-end chez des parents cultivant une parcelle de terre ; l'envoi de ressources par les émigrés ayant choisi de s'installer à l'étranger (en grande partie en Grèce) pour bénéficier de salaires beaucoup plus élevés ; le fort développement de l'économie informelle que le Gouvernement s'emploie à combattre en imposant l'enregistrement obligatoire des contrats de travail et en calculant les charges sociales sur la base du salaire minimum (en quelques mois, plusieurs centaines de milliers d'emplois sont ainsi sortis de l'illégalité) ; enfin, nul ne conteste en Bulgarie que la corruption permet à de nombreuses personnes de se procurer des ressources supplémentaires.

La culture de la corruption n'est pas propre à ce pays. Ce qui peut-être le distingue, ce sont les sommes peu élevées qui suffisent pour « acheter » la bienveillance du corrompu. Le rapport régulier de la Commission européenne note que « les autorités douanières, les personnes dont l'activité est liée au système judiciaire, les membres de la police et du secteur de la santé sont perçus comme faisant partie des groupes les plus corrompus ». Dès lors, le sentiment de la corruption, sinon la corruption elle-même, est omniprésent.

Le Gouvernement se mobilise pour lutter contre ce fléau. Une stratégie nationale et un plan d'action ont été mis en œuvre. Dans le secteur de la police, M. Boyko Kotzev, vice-ministre de l'intérieur, m'a indiqué que son ministère poursuivait trois objectifs : la mise en place d'une police des polices, l'application d'une « tolérance zéro » à l'encontre des personnels corrompus et la transparence totale sur ces actions. De son côté, le vice-ministre de la justice, M. Sevdalin Bozhikov, m'a présenté les diverses réformes visant à renforcer la qualité du recrutement des magistrats (jusqu'en septembre dernier, date du premier concours organisé, ce recrutement s'effectuait au seul choix du président du tribunal) et de leur formation.

Les relations entre la police et la justice étant des plus délicates, les deux ministères s'efforcent de développer un corps d'investigateurs policiers reprenant la plupart des fonctions jusqu'alors assumées par des investigateurs dépendants du système judiciaire, dont la probité est fortement contestée.

Ces conditions de vie ne provoquent aucune manifestation apparente de contestation de la part de la population. Il est, au contraire, frappant de constater sa passivité stoïque, nourrie de fatalisme et de découragement, sur le plan social (ni la hausse sensible des tarifs de l'électricité et du chauffage, ni la réforme des retraites n'ont provoqué la moindre réaction collective). Plusieurs indices démographiques témoignent, néanmoins, d'un malaise certain : le nombre de naissances vivantes pour 1 000 habitants est le plus faible (8,4) de ceux enregistrés en Europe parmi les pays membres de l'Union européenne, ou en passe d'y adhérer(8) et près d'un million de personnes (sur une population totale de huit millions d'habitants) ont choisi de quitter la Bulgarie au cours de ces dix dernières années(9).

Il est donc compréhensible que de nombreux Bulgares placent beaucoup d'espoirs dans l'adhésion à l'Union européenne. Ces espoirs ne doivent pas être déçus. Il y va de l'intérêt de la Bulgarie et de l'Union européenne. Il est certain que la France a un rôle à jouer pour favoriser la réussite du processus d'adhésion.

III. UN SOUTIEN FRANÇAIS SUSCEPTIBLE D'ETRE RENFORCE

Même si cela peut surprendre a priori, il convient de souligner que la Bulgarie a souhaité rejoindre la francophonie, ce qui illustre une proximité culturelle entre nos deux pays. Ces liens devraient être utilisés pour aider la Bulgarie à se préparer à l'adhésion et pour développer les investissements français dans ce pays.

A. La Bulgarie, Etat membre de la francophonie

Sur sa demande, la Bulgarie a adhéré à la francophonie lors du sommet de l'Ile Maurice en 1993. Comme l'explique le professeur Ivailo Znepolski, ministre de la culture à cette date(10), ce projet francophone était conçu comme un élément de démocratisation intérieure : il s'agissait de porter un coup au monopole culturel qui avait prévalu jusqu'à la chute du mur de Berlin. Dès l'origine, l'entrée dans la communauté francophone a également été envisagée comme un élément d'intégration à l'espace européen.

Plusieurs actions ont concrétisé la participation bulgare à la francophonie : la création de la Maison des sciences de l'homme et de la société de Sofia, qui collabore activement avec la Maison des sciences de l'homme (MSH) et l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) de Paris ; le financement à l'aide d'« Eurimages » et des mécanismes français de soutien aux petites cinématographies nationales de près de la moitié des films bulgares de long métrage, ou encore l'accueil en France de plus de 2 500 étudiants bulgares.

Une réalisation particulièrement remarquable est l'Institut de la francophonie pour l'administration et la gestion (IFAG). Cette école, implantée à Sofia, a été créée en 1996 pour former des gestionnaires au niveau du troisième cycle (les 65 à 70 diplômés par promotion reçoivent un DESS délivré par l'université de Nantes). Les étudiants, encadrés par un corps d'une vingtaine de professeurs issus de la francophonie (Canada, Belgique, Bulgarie, France et Roumanie), trouvent aisément un emploi à l'issue de l'année passée à l'IFAG. Il importe de noter que la grande majorité s'établissent localement et ne cherchent pas à s'exiler. Il faut souligner, enfin, que cette école a une vocation régionale : elle se veut un creuset où des jeunes de six nationalités (Albanais, Bulgares, Macédoniens, Moldaves, Roumains et Serbes) peuvent apprendre à se connaître et tisser des liens qui aideront à surmonter les traditionnelles oppositions entre ces peuples. Dans un proche avenir, le recrutement pourrait également s'étendre à d'autres Etats voisins (Croatie, Slovaquie, Slovénie...).

Si les institutions de la francophonie ont choisi de privilégier l'enseignement supérieur - orientation opportune pour faire contrepoids à l'« American University » - la présence culturelle française repose, par ailleurs, sur l'Institut français de Sofia, le réseau de huit alliances françaises de province et le lycée français « Victor Hugo » de Sofia. En outre, environ 11 000 lycéens bulgares fréquentent des classes bilingues dans 59 établissements, où l'enseignement est assuré par des professeurs ayant généralement eu la possibilité de pratiquer le français à l'occasion de missions de coopération dans les pays du Maghreb ou du Moyen-Orient, avant l'effondrement du régime communiste. La qualité de l'enseignement délivré permet aux élèves de 23 de ces établissements d'être dispensés du test linguistique pour accéder aux universités françaises.

L'importance de la francophonie en Bulgarie ne doit pas pour autant être exagérée. Les autorités locales n'y prêtent qu'un intérêt modéré et, au niveau européen, le pays est surtout tourné vers l'Allemagne, ce qui apparaît clairement quand on compare le nombre de jumelages attribués respectivement à ce dernier pays et à la France (en 2003, sur 16 jumelages, 7 ont été remportés par l'Allemagne et 2 par la France). Néanmoins, l'intérêt certain dont les Bulgares font preuve à notre endroit devrait être pleinement exploité à la fois pour accompagner la Bulgarie dans sa préparation à l'adhésion et pour développer l'influence culturelle et économique de la France.

B. Mettre à profit l'opportunité d'assister la Bulgarie dans l'amélioration de ses capacités administratives et judiciaires

La Commission européenne et le Conseil de Bruxelles de décembre 2003 ont particulièrement relevé les défaillances subsistant dans les dispositifs administratifs et judiciaires du pays.

Dans ces deux domaines, la France dispose de compétences dont la Bulgarie est tout à fait disposée à s'inspirer pour peu qu'on s'en donne les moyens.

1) Le renforcement souhaitable de la coopération administrative

Les inquiétudes des instances communautaires se manifestent plus spécialement en matière de gestion des fonds européens de préadhésion(11), dont une gestion décentralisée étendue est prévue pour 2004 s'agissant des programmes Phare et ISPA (la responsabilité de la gestion de Sapard étant déjà conférée à la Bulgarie depuis plusieurs années) et qui, à la suite de l'adhésion de dix nouveaux Etats membres en mai prochain, vont connaître une croissance sensible dans les trois prochaines années (+ 20 % en 2004, + 30 % en 2005 et + 40 % en 2006), pour atteindre un total annuel de 500 millions d'euros en 2006.

Le programme ISPA a pris plus de dix-huit mois de retard sur le calendrier initial. Les fonds Phare ne sont pas utilisés pleinement et la coordination interministérielle sur ce point - comme sur bien d'autres - reste défaillante.

Ces dysfonctionnements peuvent être largement expliqués par les conditions régissant, jusqu'à ces derniers mois, le recrutement et le fonctionnement de l'administration. En l'absence de concours, les personnels recrutés ne disposent pas nécessairement des qualifications attendues et les autorités hésitent à assurer leur perfectionnement dans la mesure où ils pourraient être tentés par les rémunérations supérieures du secteur privé. Ces personnels n'ont, par ailleurs, que peu de garanties sur la stabilité de leur emploi : à la fin de 2002, 33 % seulement des effectifs de l'administration publique possédaient le statut de fonctionnaire et ce dernier n'empêche pas les révocations, notamment à l'occasion des changements politiques.

Tout au moins faut-il souligner que, selon le chef de la délégation de la Commission européenne à Sofia, les lenteurs enregistrées dans la gestion des fonds de préadhésion ne semblent pas s'accompagner de détournements liés à la corruption.

En janvier 2003, le Gouvernement a adopté un programme et un plan d'action pour la mise en œuvre de la stratégie de modernisation de l'administration publique. Dans ce cadre, la loi sur la fonction publique a été modifiée en octobre 2003. Elle prévoit de nouvelles conditions pour le recrutement (exigences en termes d'expérience professionnelle et concours obligatoire), de meilleures perspectives, de carrières basées sur le mérite, l'introduction d'un système de salaire lié à la performance, le droit à la formation (y compris des mécanismes pour son financement), la révision du code de conduite et des procédures pour la prévention des conflits d'intérêts.

Cette nouvelle culture administrative ne sera probablement assimilée que progressivement, mais la France peut contribuer à son acquisition.

Depuis l'automne dernier, un conseiller français a été envoyé auprès du Premier ministre bulgare pour suivre les questions européennes et la coordination interministérielle.

Il subsiste pourtant d'importantes marges pour le renforcement de notre action de coopération administrative. S'agissant des jumelages institutionnels Phare, la France n'en a remporté que 15 (sur une soixantaine) depuis le début de l'exercice en 1998. Le récent séjour officiel en France du Président bulgare, M. Gueorgui Parvanov, et la visite, début décembre 2003, de Mme Noëlle Lenoir en Bulgarie, pourraient faciliter la conclusion de nouveaux jumelages.

Des efforts complémentaires devraient aussi être consentis par notre pays, par exemple en accordant plus qu'une bourse annuelle pour une formation longue au sein de l'ENA ou en soutenant le développement d'une filière « administration publique » dans le cadre de l'IFAG.

2) La poursuite nécessaire de la coopération judiciaire et policière

Il est bien connu en France que la Bulgarie est un pays d'origine et de transit de la traite des femmes et de la prostitution. Ces activités reflètent la forte implantation de la criminalité organisée, dont la visibilité est accrue, depuis quelques mois, par la multiplication des règlements de compte mafieux.

Conscientes de la sensibilité de cette question auprès des gouvernants et des opinions publiques de l'Union européenne, les autorités bulgares ont engagé diverses réformes visant à restructurer leurs systèmes policiers et judiciaires, qui avaient été ébranlés par les mesures adoptées au début des années quatre-vingt-dix, par réaction au régime antérieur, privilégiant la défense des droits individuels, jusqu'au point d'enlever à la police et à la justice la plus grande partie de leurs moyens répressifs et facilitant, par-là même, l'usage de la corruption.

Dans le domaine policier, on peut évoquer les réformes suivantes :

- la professionnalisation de la police des frontières, dont le rôle sera essentiel après l'adhésion, puisque la Bulgarie sera aux marges de l'Union européenne ;

- la signature, en juin 2003, d'un accord de coopération avec Europol ;

- le souhait de transférer progressivement l'essentiel des compétences d'enquête criminelle à un nouveau corps de policiers relevant du ministère de l'Intérieur, au détriment des investigateurs actuels dépendant des autorités judiciaires, dont l'incompétence et la vénalité sont dénoncées au sein même du ministère de la Justice et dont les attributions posent de nombreux problèmes de coordination ou d'absence de suite dans le déroulement des enquêtes ;

- l'adoption, en février 2003, de la stratégie nationale de lutte contre la drogue pour la période 2003-2008 ;

- le retrait, pour une durée de un à deux ans, des passeports des ressortissants bulgares ayant commis des infractions à l'étranger.

En matière judiciaire, il est prévu d'élaborer de nouveaux codes pénal et de procédure pénale, dont les dispositions actuelles ont été adoptées sous le régime communiste. Plus généralement, le Gouvernement souhaiterait mettre en œuvre une réforme d'ensemble de la justice, visant à améliorer, d'une part, le recrutement, la formation et l'évaluation professionnelle des magistrats ainsi que des auxiliaires de justice et, d'autre part, la transparence du système judiciaire.

Cette réforme de la justice se heurte, cependant, à l'opposition déterminée de la haute magistrature (en particulier du Procureur général, du Conseil supérieur de la magistrature et du Conseil constitutionnel) nommée, pour la plupart des magistrats concernés, par le précédent Gouvernement et fortement politisée.

Si ces aspects de politique intérieure parviennent à être surmontés - et il faut noter qu'en avril 2003, une déclaration associant la majorité et les partis d'opposition a proclamé la nécessité d'une réforme judiciaire, ce qui a contribué à l'adoption de modifications constitutionnelles en septembre dernier - la Bulgarie devrait pouvoir compter sur le soutien de la France pour l'aider dans la lutte contre la criminalité.

A la suite des rencontres successives entre nos ministres de l'intérieur respectifs en janvier et février 2003, un protocole a été signé en vue d'améliorer la coopération des services de police. La police judiciaire française a déjà envoyé des représentants en Bulgarie pour conseiller son homologue et la police des frontières. Des experts bulgares ont également été reçus en France. Ces contacts entre nos services ont permis de démanteler plusieurs réseaux criminels, spécialement en ce qui concerne la prostitution. M. Boyko Kotzev, vice-ministre de l'intérieur, m'a fait part de son souhait de développer ces échanges, d'en accroître la durée et de les étendre aux domaines du trafic de stupéfiants et de la falsification de la monnaie et des cartes de crédit.

On peut signaler également que la France a obtenu le jumelage relatif à l'Académie de police, et qu'elle s'apprête à faire un don d'un montant de 2,5 millions d'euros en droits de tirage spéciaux sur le Club de Paris pour l'achat, par la Bulgarie, de matériels de sécurité.

S'agissant de la justice, la France pourrait demander à participer, avec l'Espagne, au jumelage lié à l'élaboration du code pénal et du code de procédure pénale. Il pourrait être opportun, par ailleurs, de soutenir la mise en place de l'école supérieure de la magistrature, créée en 2002, mais qui rencontre des difficultés pour commencer ses activités.

C. Une présence économique à dynamiser

Même si la Commission européenne reconnaît que la Bulgarie possède une économie de marché viable, qui devrait être en mesure de faire face à la pression concurrentielle et aux forces du marché à l'intérieur de l'Union à brève échéance, il est certain que l'adhésion est tout autant source d'espoirs que d'inquiétudes quant à ses conséquences économiques et sociales. Cette phase sera plus aisément franchie si les autres Etats membres investissent dans ce pays. La France a une carte particulière à jouer compte tenu de la faiblesse actuelle de nos investissements en Bulgarie et de l'importance potentielle de l'agriculture dans l'économie bulgare.

1) Des investissements français trop faibles

Apparaissant comme un petit marché, moins connue que sa voisine roumaine, la Bulgarie attire assez peu, jusqu'à présent, les investisseurs français.

Si les échanges commerciaux ont doublé en quatre ans, la France n'est que le cinquième partenaire économique et commercial de la Bulgarie (derrière la Russie, l'Allemagne, l'Italie et la Grèce). Pire encore, la France n'est que le treizième investisseur étranger, essentiellement parce qu'elle n'a que peu participé aux premières privatisations. Une soixantaine de sociétés françaises sont représentées sous forme de filiales ou de sociétés mixtes.

Cette présence discrète de notre pays est illustrée par la modestie de la communauté française : entre 450 et 500 personnes.

Il suffirait pourtant de quelques efforts pour conforter notre présence et quelques signes récents sont d'ailleurs encourageants. La France était ainsi le pays le mieux représenté lors de la dernière foire de Plovdiv. La visite en France du Président Gueorgui Parvanov a donné l'occasion de signer un texte sur les investissements des PME françaises en Bulgarie et d'affirmer l'intérêt de la France pour le développement de l'énergie nucléaire bulgare (dans le domaine de l'énergie, on peut également signaler que BNP-Paribas est en charge de la privatisation des sociétés de distribution de l'électricité).

Le secteur du tourisme pourrait offrir également d'intéressantes perspectives, en particulier sur le littoral de la Mer Noire.

Les hommes d'affaires français que j'ai pu rencontrer à Sofia estiment qu'il manque une « grosse locomotive » susceptible d'entraîner d'autres investisseurs sur un marché dont la visibilité sera accrue après l'entrée de dix nouveaux Etats de la région dans l'Union européenne.

2) Des potentialités dans le domaine agricole

L'agriculture bulgare souffre aujourd'hui du morcellement des terres, imputable aux conditions dans lesquelles celles-ci ont été restituées à leurs anciens propriétaires lors de la chute du régime communiste. Outre le fait que de nombreuses parcelles sont inexploitées puisque leurs propriétaires résident désormais en zone urbaine, la fragmentation est telle que sur les 768 800 exploitations agricoles bulgares, 99 % sont des exploitations familiales d'une surface inférieure à 1,2 hectare.

Dès lors, la quasi-totalité de ces exploitations sont d'une taille insuffisante pour permettre des cultures autres que vivrières et on peut s'attendre à ce que le processus de remembrement et de modernisation conduise à la cessation d'activités de nombre d'entre elles. Dans un pays où l'agriculture occupe 10 à 12 % des actifs à temps plein (mais près de 25 % si l'on tient compte de la multiactivité), les années suivant l'adhésion à l'Union européenne peuvent donc se révéler délicates à négocier.

La Bulgarie possède néanmoins un fort potentiel agricole. Dès à présent, dans un contexte structurel peu favorable, elle constitue
- après la Hongrie - le deuxième pays d'Europe centrale et orientale exportateur de produits agricoles et l'on m'a rappelé qu'avant la première guerre mondiale, elle était le premier pays européen producteur de céréales par habitant. Disposant de terres riches, que les faibles moyens mis en œuvre durant le régime communiste ont épargné contre les méfaits d'une agriculture extensive et des pesticides, la Bulgarie peut développer une production biologique sur plus de 80 % de sa surface agricole. Les autorités souhaitent s'orienter vers ce marché, comme le prouve l'organisation d'une conférence sur l'agriculture biologique à Plovdiv en novembre 2003.

Dans l'immédiat, les priorités sont le remembrement, ce qui suppose l'achèvement du cadastre, et la mise aux normes européennes des unités de l'industrie agro-alimentaire. Le responsable français de la société Danone en Bulgarie nous a ainsi précisé que 85 % de la production laitière ne satisfait pas aux normes microbiennes imposées par l'Europe.

Reconnue pour son savoir-faire agricole, la France pourrait intensifier se coopération dans ce domaine. En réponse à une demande bulgare, la nomination d'un expert français auprès du ministre de l'agriculture vient d'être acceptée. Deux projets relatifs à la modernisation du secteur des semences et à l'introduction de la race « mouton charollais » sont également prévus. Les compétences françaises en matière de remembrement pourraient être davantage utilisées.

Il serait souhaitable, par ailleurs, que des entreprises françaises se développent localement. Les prix et la qualité des terres constituent des arguments de poids pour les attirer. A cet égard, il faut noter que la Bulgarie a accepté d'exclure du champ d'application du régime transitoire concernant l'acquisition de terrains par des ressortissants de l'Union européenne, régime transitoire négocié lors de la clôture du chapitre « libre circulation des capitaux », le cas des agriculteurs indépendants désireux de s'établir en Bulgarie. En outre, même si la Constitution bulgare interdit aux étrangers d'acquérir des terres agricoles, le code de commerce permet de contourner aisément cet obstacle par la création de sociétés de droit bulgare.

CONCLUSION

CONCLUSION

Après de brèves tensions dans nos relations bilatérales à la suite des propos malheureux du Président de la République, selon lesquels la Bulgarie (et la Roumanie) avaient « manqué l'occasion de se taire » en se rangeant aux côtés des Etats-Unis dans la crise irakienne, la France a su de nouveau manifester son soutien à l'adhésion de la Bulgarie à l'Union européenne à l'occasion de diverses rencontres officielles, en particulier lors de la visite du Président bulgare en novembre 2003.

Ce soutien est d'autant plus justifié que la Bulgarie a su accomplir en peu de temps des efforts considérables pour être prête à intégrer l'Union européenne.

Il nous appartient désormais de conforter ces efforts en renforçant notre coopération administrative et judiciaire et en œuvrant pour que l'Union européenne donne au plus vite à la Bulgarie un calendrier précis quant à la fin des négociations, à la signature du traité d'adhésion et à l'adhésion elle-même.

Alors, le continent européen se rapprochera encore plus de la conjonction d'une unité de lieu et d'une unité de temps(12).

TRAVAUX DE LA DELEGATION

La Délégation s'est réunie, le mercredi 3 mars 2004, sous la présidence de M. Pierre Lequiller, Président, pour examiner le présent rapport d'information.

Après l'exposé du rapporteur, M. Christian Philip a exprimé son accord avec la conclusion favorable, qu'il a présentée. Il a toutefois fait deux observations. En premier lieu, la Bulgarie craint que son destin européen soit lié à celui de la Roumanie et que donc, tout problème affectant ce dernier pays ne retarde sa propre adhésion. En second lieu, la position à adopter à l'égard de la Bulgarie ne peut pas ignorer le fait que l'Union s'apprête à accueillir des pays dans lesquels subsistent certains problèmes.

ANNEXES

Annexe 1 :
Carte de la Bulgarie

Annexe 2 :
Liste des personnes entendues par le rapporteur

25 novembre 2003 :

- M. Jean-Yves Le Louarn, directeur de l'Institut de la francophonie pour l'administration et la gestion (IFAG) ;

- Plusieurs étudiants bulgares de l'IFAG.

26 novembre 2003 :

- Mme Meglena Plougchieva, vice-ministre de l'agriculture ;

- M. Boyko Kotzev, vice-ministre de l'intérieur ;

- M. Sevdalin Bozhikov, vice-ministre de la justice ;

- Mme Meglena Kouneva, ministre des affaires européennes ;

- Des représentants du club d'affaires France-Bulgarie, présidé par M. Patrick Favre ;

- M. Stoyan Mitev, responsable de l'entreprise Object Builder Software (OBS) ;

- M. Milko Kovatchev, ministre de l'énergie ;

- M. Atanas Paparizov, vice-président de la commission de la politique économique de l'Assemblée nationale et M. Christian Viguenin, chef du département des relations internationales au conseil suprême du parti socialiste bulgare (PSB) ;

- M. Thomas Eymond-Laritaz, conseiller du Premier ministre.

27 novembre 2003 :

- Mme Christina Christova, ministre du travail et de la politique sociale ;

- M. Dimitri Kourkoulas, chef de la délégation de la Commission européenne ;

- M. Daniel Valtchev, président de la Commission de l'intégration européenne à l'Assemblée nationale et Mme Irina Bokova, députée membre de cette commission.

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Le rapporteur remercie M. Jean-Loup Kuhn-Delforge, ambassadeur de France à Sofia, ainsi que tous les membres de l'ambassade de France pour leur concours au bon déroulement de cette mission.Annexe-1

1 () « Devoirs et délices ; une vie de passeur », Entretiens avec Catherine Portevin, Seuil, 2002.

2 () Roman d'Ivan Vazov, traduction française, 1897.

3 () Rapport d'information de la Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne sur le processus d'adhésion à l'Union européenne de la Bulgarie, déposé le 22 novembre 2001 (n° 3417).

4 () François Fejtö, « La fin des démocraties populaires », Seuil, 1992.

5 () Tzvetan Todorov observe ainsi : « les Bulgares ont, je crois, une image assez négative d'eux-mêmes », ouvrage précité.

6 () Pour garder la maîtrise de la filière nucléaire, la Bulgarie souhaiterait également remettre en service et développer un réacteur de recherche situé à Belene, qui avait été fermé depuis plusieurs années.

7 () Il importe de préciser que les prochaines élections législatives doivent avoir lieu en juin 2005, ce qui constitue certainement un facteur explicatif de la position des gouvernants actuels.

8 () Bulletin quotidien Europe n° 1315, 17 janvier 2004.

9 () A cet égard, il convient de rappeler que la Bulgarie a accepté un régime transitoire concernant la libre-circulation des travailleurs. Durant une période minimale de deux ans à compter de l'adhésion, durée qui pourra être étendue à sept ans maximum, des restrictions seront appliquées à la circulation des travailleurs bulgares.

10 () Revue de l'Institut français de Sofia, 3-2003.

11 () La Communauté européenne finance trois instruments de préadhésion en vue d'aider les pays d'Europe centrale et orientale à préparer leur intégration dans l'Union européenne : le programme Phare (122,9 millions d'euros en 2003 pour la Bulgarie, auxquels s'ajoutent des aides supplémentaires pour la fermeture anticipée de quatre réacteurs de la centrale nucléaire de Kozloduy), le programme Sapard, qui fournit des aides au développement agricole et rural (56,1 millions d'euros en 2003) et l'ISPA, qui finance des projets d'infrastructure dans les domaines de l'environnement et des transports (110 millions d'euros en 2003).

12 () Michel Foucher (dir.), « Fragments d'Europe : atlas de l'Europe médiane et orientale », Fayard, 1993.

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