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N° 2710

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 29 novembre 2005

RAPPORT D'INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA DÉLÉGATION DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE

POUR L'UNION EUROPÉENNE (1),

sur le projet de communication de la Commission
relatif aux lignes directrices concernant les aides d'Etat
à finalité régionale pour la période 2007-2013,

ET PRÉSENTÉ

par MM. Michel DELEBARRE et Didier QUENTIN,

Députés.

________________________________________________________________

(1) La composition de cette Délégation figure au verso de la présente page.

La Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne est composée de : M. Pierre Lequiller, président ; MM. Jean-Pierre Abelin, René André, Mme Elisabeth Guigou, M. Christian Philip, vice-présidents ; MM. François Guillaume, Jean-Claude Lefort, secrétaires ; MM. Alfred Almont, François Calvet, Mme Anne-Marie Comparini, MM. Bernard Deflesselles, Michel Delebarre, Bernard Derosier, Nicolas Dupont-Aignan, Jacques Floch, Pierre Forgues, Mme Arlette Franco, MM. Daniel Garrigue, Michel Herbillon, Marc Laffineur, Jérôme Lambert, Edouard Landrain, Robert Lecou, Pierre Lellouche, Guy Lengagne, Louis-Joseph Manscour, Thierry Mariani, Philippe-Armand Martin, Jacques Myard, Christian Paul, Didier Quentin, André Schneider, Jean-Marie Sermier, Mme Irène Tharin, MM. René-Paul Victoria, Gérard Voisin.

SOMMAIRE

_____

Pages

INTRODUCTION 5

I. UNE ÉVOLUTION CONTRASTEE DU PROJET PAR RAPPORT AUX PROPOSITIONS INITIALES DE LA COMMISSION 7

A. Les propositions initiales de la Commission s'inscrivent dans un contexte restrictif 7

1) Un encadrement visant à limiter le rôle des aides d'Etat à finalité régionale (AFR) 7

a) Les principes régissant l'attribution des AFR 7

b) La tendance à la réduction du niveau des AFR 10

2) Les propositions de la Commission antérieures à l'actuel projet de lignes directrices 12

a) Une réorientation pénalisante des AFR 12

b) Le risque accru de délocalisations 15

c) Le risque d'une incitation au dumping fiscal 16

B. Le projet de lignes directrices : un document comportant de réelles améliorations et des lacunes persistantes 16

1) L'introduction de réelles améliorations 16

a) La délimitation des régions bénéficiaires 16

b) La réduction du différentiel d'intensité des aides 18

c) L'institution d'un régime d'aides aux entreprises des régions assistées 18

2) La persistance de dispositions contestables 19

a) Les modes de calcul inéquitables de la population éligible 20

b) La baisse préoccupante des taux d'aides aux DOM et aux régions ultrapériphériques 24

c) Le maintien de la notion d'équivalent subvention brut (ESB) 25

d) L'absence d'articulation claire entre la réforme des aides à finalité régionale et la réforme des fonds structurels 25

II. LA NECESSITÉ DE MESURES CORRECTRICES 27

A. Une nécessité reposant sur d'impérieuses considérations 27

1) Les aides à finalité régionale doivent rester un instrument destiné à promouvoir la cohésion économique, sociale et territoriale 27

2) La reconnaissance de la dimension territoriale : un élément à prendre en compte dans la mise en œuvre de la stratégie de Lisbonne 29

B. Les voies souhaitables de la prévention de la fracture territoriale 30

1) Le relèvement du filet de sécurité dans le calcul de la population éligible 30

2) Un meilleur ciblage territorial des aides 34

a) Les départements d'outre-mer et les régions ultrapériphériques 34

b) Les régions insulaires et les zones particulièrement enclavées 37

CONCLUSION 39

TRAVAUX DE LA DELEGATION 41

CONCLUSIONS ADOPTEES PAR LA DELEGATION 43

ANNEXE : Liste des personnes entendues par les rapporteurs 45

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Lors de son audition du 16 novembre 2005, M. Jacques Barrot, Vice-président de la Commission, commissaire européen chargé des transports avait déclaré devant la Délégation : « La popularisation de l'Europe est un enjeu essentiel. Les mesures prises à son niveau doivent s'efforcer d'être lisibles ... ».

Or, il est fort à craindre que le projet de communication de la Commission sur les lignes directrices concernant les aides d'Etat à finalité régionale pour la période 2007-2013, n'aille à l'encontre de la déclaration de M. Jacques Barrot.

En effet, il s'agit d'abord d'un sujet qui, tout en revêtant une importance politique incontestable, n'en est pas moins très technique. Car ce document se rapporte aux aides d'Etat qui peuvent être versées en vue du développement régional, en application de l'article 87 du traité instituant la Communauté européenne. En second lieu, force est de constater que la façon dont la Commission a traité ce dossier est loin de faciliter sa compréhension. Même si, par rapport à ses propositions initiales et aux actuelles lignes directrices, le projet qu'elle a présenté le 15 juillet 2005 comporte de réelles améliorations, celles-ci sont jugées très insuffisantes, notamment en France. En l'absence de modification des bases de calcul, notre pays subirait ainsi une baisse de 50 % de la population susceptible d'être couverte par les aides d'Etat à finalité régionale, contre une baisse de 6 % lors de l'entrée en vigueur en 2000 des actuelles lignes directrices.

Certes, la France a approuvé l'objectif de réduction du niveau général des aides d'Etat décidée par plusieurs Conseils européens. Néanmoins, l'opinion publique aura du mal à comprendre que, d'une part, en ce qui concerne la France - mais aussi l'Allemagne, l'Autriche et la Grande-Bretagne - la Commission ait, dans ses propositions initiales, proposé de ramener à 0 % la population couverte, c'est-à-dire, en clair, de supprimer pratiquement toute possibilité pour ces Etats d'accorder des aides. D'autre part, si le taux est passé de 0 % à 18,4 % dans le projet actuel, il n'en demeure pas moins que, sur la base des critères de chômage et de PIB retenus par la Commission, les Etats membres présentant une situation économique comparable voire plus favorable que la France, bénéficient d'un taux de population couverte sensiblement plus important.

Bien que le présent dossier relève d'une compétence exclusive de la Commission et qu'aucun document ne nous ait été transmis en application de l'article 88-4 de la Constitution - les Etats membres étant simplement consultés et le Parlement européen ayant déposé une initiative - il ne nous est pas interdit, bien au contraire, de souligner la nécessité d'introduire des mesures correctrices.

Car les rapporteurs, qui ont déjà eu l'occasion de se pencher sur le projet de réforme des fonds structurels(1), demeurent convaincus que la France et l'Europe sont ici confrontés à l'ardente obligation de poursuivre l'objectif de cohésion économique et sociale consacré par le titre XVII du Traité instituant la Communauté européenne, lequel objectif vise à réduire les écarts de développement entre les régions européennes riches et pauvres.

C'est pourquoi ils formuleront des propositions de conclusions dans ce sens, reprenant les mesures correctrices qu'ils souhaitent préconiser.

Mais, auparavant, il leur apparaît nécessaire d'examiner les avancées et les insuffisances que recèle le projet actuel de la Commission par rapport à ses propositions précédentes.

*

* *

I. UNE ÉVOLUTION CONTRASTEE DU PROJET PAR RAPPORT AUX PROPOSITIONS INITIALES DE LA COMMISSION

A. Les propositions initiales de la Commission s'inscrivent dans un contexte restrictif

1) Un encadrement visant à limiter le rôle des aides d'Etat à finalité régionale (AFR)

a) Les principes régissant l'attribution des AFR

En vertu de l'article 87 du Traité instituant la Communauté européenne, les aides publiques accordées aux entreprises sont incompatibles avec le marché commun, lorsqu'elles faussent ou menacent de fausser la concurrence.

Cependant, des dérogations prévues par l'article 87, paragraphe 3, points a) et c) du Traité autorisent le versement d'aides, dès lors qu'elles ont un effet bénéfique pour le développement régional.

Ces aides publiques, appelées aides à finalité régionale, revêtent deux aspects :

- soit il s'agit d'aides destinées à favoriser le développement économique de régions dans lesquelles le niveau de vie est anormalement bas ou dans lesquelles sévit un grave sous-emploi. Ces régions sont encore qualifiées de régions en retard de développement (article 87, paragraphe 3, point a) du Traité) ;

- soit ce sont des aides destinées à faciliter le développement de certaines activités ou de certaines régions, sous réserve qu'elles n'altèrent pas les conditions des échanges dans une mesure contraire à l'intérêt communautaire (article 87, paragraphe 3, point c) du Traité).

Les aides à finalité régionale se distinguent des autres catégories d'aides publiques - aides à la recherche et au développement, aux petites entreprises ou à la formation - par le fait qu'elles sont réservées à des zones géographiques particulières et ont pour objectif spécifique le développement économique de ces zones à travers le soutien aux investissements et à la création d'emplois.

Mais les aides à finalité régionale sont également distinctes des fonds structurels, puisqu'il s'agit d'aides versées aux entreprises par les Etats membres et leurs collectivités territoriales et non de fonds alloués par l'Union européenne.

Les aides s'appliquent à tous les secteurs d'activité, à l'exception de la production, la transformation et la commercialisation des produits agricoles, de la pêche et de l'industrie charbonnière, secteurs relevant de régimes spécifiques. En outre, certains autres secteurs également régis par des règles spécifiques - tels que les transports - peuvent s'écarter en tout ou partie des lignes directrices.

Les actuelles lignes directrices relatives aux aides d'Etat à finalité régionale, publiées par la Commission le 10 mars 1998, définissent les régions et les aides concernées.

Les régions bénéficiaires

S'agissant des aides versées en application de l'article 87, paragraphe 3, point a) du Traité, les régions visées sont celles dont le PIB par habitant ne dépasse pas 75 % de la moyenne communautaire. Elles correspondent aux régions éligibles à l'objectif 1 au titre des fonds structurels. Dans ce cas, le plafond de l'aide varie de 40 à 65 % du montant de l'investissement, le taux maximum s'appliquant aux régions ultrapériphériques. En ce qui concerne la France, ses quatre départements d'outre-mer relèvent de ces dispositions.

Pour ce qui est des régions non éligibles à l'objectif 1, mais dont les Etats membres souhaitent favoriser le développement économique sans nuire aux échanges communautaires, conformément à l'article 87, paragraphe 3, point c) du Traité, les Etats membres en proposent une liste à la Commission.

Ces régions sont des zones géographiques dont la population s'élève généralement à 100 000 habitants au minimum, sauf pour les îles et autres régions isolées. Eligibles aux fonds structurels, elles présentent des disparités de développement significatives par rapport à la moyenne des régions potentielles.

Les plafonds d'aides, qui sont inférieurs à ceux prévus pour les régions en retard de développement, varient de 10 à 30 % du coût de l'investissement.

Afin de permettre, d'après elle, un contrôle efficace, la Commission fixe un plafond global de couverture des aides dans la Communauté, qui comprend toutes les régions éligibles au titre des deux dérogations prévues à l'article 87, paragraphe 3, points a) et c) du Traité.

Pour la période en cours 2000-2006, ce plafond communautaire est fixé à 42,7 % de la population européenne et se décline en seuils nationaux pour chacun des Etats membres : 100 % : Grèce, Irlande et Portugal ; 79,2 % : Espagne ; 43,6 % : Italie ; 42,2 % : Finlande ; 36,7 % : France ; 34,9 % : Allemagne ; 32 % : Luxembourg ; 30,9 % : Belgique ; 28,7 % : Royaume-Uni ; 27,5 % : Autriche ; 17,1 % : Danemark ; 15,9 % : Suède ; 15 % : Pays-Bas.

Les catégories d'aides à finalité régionale

Il existe trois formes d'aides à finalité régionale : l'aide à l'investissement, l'aide à la création d'emplois et, exceptionnellement, l'aide au fonctionnement.

¬ Aide à l'investissement

D'une durée minimale de cinq ans, il s'agit d'un investissement en capital fixe - qualifié d'initial - se rapportant à la création d'un nouvel établissement, ou à l'extension d'un établissement existant ou en démarrage d'une activité impliquant un changement fondamental dans le produit ou le procédé de production.

¬ Aide à la création d'emplois

A l'exemple de l'aide à l'investissement, l'aide à la création d'emplois est liée au maintien de l'emploi pendant une période minimale de cinq ans et est modulée en fonction de la nature et de l'intensité des problèmes régionaux.

L'aide à la création d'emplois et l'aide à l'investissement peuvent être cumulées dans la limite du plafond fixé pour la région.

¬ Aide au fonctionnement

Les aides régionales destinées à réduire les dépenses courantes de l'entreprise - qualifiées encore d'aides au fonctionnement - sont, en principe, interdites. Mais, exceptionnellement, de telles aides peuvent être attribuées aux régions en retard de développement éligibles aux dérogations prévues par l'article 87-3-point a) du Traité. Par exemple, des aides au fonctionnement non dégressives et limitées dans le temps peuvent être exceptionnellement versées aux régions ultrapériphériques ou à faible densité de population, destinées à :

- compenser en partie les surcoûts de transport dus aux déplacements de marchandises à l'intérieur des frontières nationales ;

- compenser les coûts additionnels imputables à certains facteurs : éloignement, insularité, faible superficie, relief et climat difficiles, dépendance économique vis-à-vis d'un petit nombre de produits.

Les aides notifiées par les Etats membres sont exprimées en Equivalent Subvention Net (ESN). Ce calcul conduit à déduire du montant de l'aide le coût de l'impôt qui lui est lié, dû et payé par l'entreprise. Ce mécanisme permet de tenir compte de la fiscalité qui pèse sur les aides incorporées au résultat des entreprises et de ne pas pénaliser les entreprises investissant dans les pays à forte fiscalité.

b) La tendance à la réduction du niveau des AFR

Cette tendance est le reflet et la conséquence même des principes qui guident la Commission en la matière. Dans la présentation synthétique des actuelles lignes directrices, elle a ainsi déclaré :

« La Commission considère que ces aides justifient les distorsions de concurrence qui leur sont liées à condition qu'elles respectent certains principes : le caractère d'exception et limité dans le temps de cet instrument, la concentration sur les régions les plus désavantagées et le respect indispensable de l'équilibre entre les distorsions de concurrence et les avantages en termes de développement économique qu'engendrent les aides à finalité régionale ».

Il en résulte que, pour la Commission, l'étendue totale des régions éligibles aux aides régionales dans la Communauté doit rester inférieure à celle des régions non aidées et, de ce fait, être inférieure à 50 % de la population de l'Union.

C'était d'ailleurs déjà le cas, antérieurement à la période 2000-2006, puisque le plafond communautaire de la population couverte par les aides atteignait alors 46,4 %, taux qui a été abaissé à 42,7 % pour la période 2000-2006.

Quoi qu'il en soit, la démarche de la Commission a été entérinée par plusieurs Conseils européens, dont les conclusions, comme le montre l'encadré ci-dessous, ont appelé à une réorientation des aides d'Etat.


∙ Points 20 et 21 des conclusions du Conseil européen de Stockholm des 23 et 24 mars 2001


Il importe de réduire le niveau des aides publiques dans l'Union européenne et de rendre le système plus transparent.

A cet effet, les Etats membres doivent faire la preuve, d'ici 2003, que leurs aides publiques sont orientées à la baisse par rapport au PIB, en tenant compte de la nécessité de recibler les aides sur des objectifs horizontaux d'intérêt commun, y compris des objectifs de cohésion.

Point 18 des conclusions du Conseil européen de Barcelone des 15 et 16 mars 2002


En outre, le Conseil européen appelle à nouveau les Etats membres à réduire le niveau global des aides d'Etat en pourcentage du PIB d'ici 2003 et, au-delà, à réorienter ces aides vers des objectifs horizontaux d'intérêt commun tels que la cohésion économique et sociale et à les faire porter sur les segments du marché reconnus comme défaillants ; des aides d'Etat moins nombreuses et mieux ciblées sont un élément clé d'une concurrence réelle.

Point 26 des conclusions du Conseil européen de Bruxelles des 20 et 21 mars 2003


Le Conseil européen demande une nouvelle réduction des aides d'Etat ainsi que la réorientation des aides vers des objectifs horizontaux et se félicite de l'intention qu'a la Commission de continuer à œuvrer à la simplification et à la modernisation des régimes d'aides d'Etat, l'accent étant mis sur les aides qui faussent le plus les échanges.

Point 23 des conclusions du Conseil européen de Bruxelles des 22 et 23 mars 2005


Au-delà d'une politique de concurrence active, le Conseil européen invite les Etats membres à poursuivre sur la voie d'une réduction du niveau général des aides d'Etat, tout en tenant compte des éventuelles défaillances des marchés. Ce mouvement doit s'accompagner d'un redéploiement des aides en faveur du soutien de certains objectifs horizontaux, tels que la recherche et l'innovation et la valorisation du capital humain. La réforme des aides régionales devrait en outre favoriser un niveau élevé d'investissement et permettre une réduction des disparités conformément aux objectifs de Lisbonne.

2) Les propositions de la Commission antérieures à l'actuel projet de lignes directrices

Ces propositions contenues dans un document préparatoire publié en 2004 encouraient, pour l'essentiel, trois séries de critiques :

- une réorientation pénalisante des AFR ;

- le risque accru de délocalisations ;

- le risque d'une incitation au dumping fiscal.

a) Une réorientation pénalisante des AFR

Pour les régions en retard de développement, la Commission ne proposait pas de modifier leur définition. Resteront donc éligibles les régions dont le PIB par habitant sera inférieur à 75 % de la moyenne communautaire, de même que les régions ultrapériphériques.

S'agissant des autres régions aidées, la Commission préconisait l'application de la dérogation aux seules régions qui sortiraient de l'objectif 1, soit en raison de l'effet statistique créé par l'intégration de dix nouveaux Etats membres, soit en raison de leur propre développement économique. Enfin, la Commission proposait que les régions à faible densité de population, c'est-à-dire peuplées de moins de 12,5 habitants par km2 (comme la Laponie), continuent de bénéficier d'aides.

Dans ce contexte, les entreprises établies dans toutes les autres régions ne pourraient plus recevoir d'aides de l'Etat ou des collectivités territoriales, à compter de 2007, ce qui aurait été le cas non seulement de la France mais aussi de l'Allemagne, de l'Autriche et du Royaume-Uni. C'est pourquoi, les autorités de ces quatre Etats membres avaient fait part de leurs réserves à Mme Neelie Kroes, commissaire en charge de la concurrence. On trouvera ci-après le courrier que lui ont adressé les autorités françaises.

La Commission convenait toutefois que les Etats membres devraient avoir la possibilité d'aider des entreprises dans des régions en difficulté. Mais elle estimait que devraient dès lors s'appliquer les règles horizontales relatives aux aides d'Etat, qui seront revues au 1er janvier 2007.

La Commission ajoutait que de nouvelles souplesses pourraient être accordées pour deux catégories d'aides d'Etat qui ne nuisent pas à la libre concurrence : les aides de faible montant - inférieures à 100 000 euros - et les aides ayant des effets limités sur les échanges intracommunautaires.

b) Le risque accru de délocalisations

Tel qu'il était présenté, le projet de réforme de la Commission avait pour effet d'autoriser des aides d'Etat dans la grande majorité des nouveaux Etats membres de l'Union et de les interdire dans les anciens Etats membres. Le taux de couverture de la population européenne serait passé ainsi de 42,7 % de l'Union européenne à 15 à 34,8 % de l'Union européenne à 25.

Il en serait résulté que le différentiel d'aide atteindrait 50 % au sein de l'Union pour des projets similaires, avec une incitation réelle pour les entreprises à s'implanter dans les nouveaux Etats membres. Or, un tel risque de nouvelles délocalisations est important pour notre pays et particulièrement aigu pour les pays limitrophes des nouveaux Etats membres comme l'Allemagne, l'Autriche ou l'Italie.

c) Le risque d'une incitation au dumping fiscal

En proposant de modifier les bases de calcul de l'intensité des aides - c'est-à-dire de leur montant - par la substitution de l'équivalent subvention brut (ESB) à l'équivalent subvention net (ESN), la Commission se privait de la possibilité de prendre en compte les différentiels de fiscalité, ce qui non seulement rendrait plus difficile la comparabilité des aides versées par les Etats membres, mais surtout serait de nature à favoriser le dumping fiscal.

B. Le projet de lignes directrices : un document comportant de réelles améliorations et des lacunes persistantes

1) L'introduction de réelles améliorations

Ces améliorations touchent, en particulier, à la délimitation des régions bénéficiaires, à la réduction du différentiel d'intensité des aides et à l'institution d'un régime d'aide à la création d'entreprises.

a) La délimitation des régions bénéficiaires

Dans sa nouvelle communication, la Commission européenne rappelle ses objectifs, à savoir concentrer les aides à finalité régionale sur les régions les plus défavorisées des 25 Etats membres de l'Union européenne. Mais elle mentionne également les régions les plus défavorisées au sein de chacun des Etats membres de l'Union, ce qui ouvre la porte au maintien des aides à finalité régionale dans les pays plus riches de l'Union.

Deux catégories de régions pourront donc bénéficier des aides à finalité régionale :

- les régions éligibles à l'article 87, paragraphe 3, point c) du Traité, qui sont les régions dont le produit intérieur brut par habitant est inférieur à 75 % de la moyenne communautaire, mais aussi les DOM et les régions touchées par l'effet statistique (c'est-à-dire celles dont le PIB dépasse 75 % de la moyenne communautaire par le simple effet statistique de l'élargissement), jusqu'en 2009, ce qui n'apparaissait pas dans les premières propositions ;

- les autres régions défavorisées, qui seront sélectionnées par les Etats membres et la Commission selon des critères prenant en compte le produit intérieur brut par habitant et le taux de chômage et qui bénéficieront des dispositions de l'article 87, paragraphe 3, point c).

Principale nouveauté par rapport à ses propositions initiales, la Commission admet que chaque Etat membre ne devra pas perdre plus de 50 % de sa population couverte par les aides à finalité régionale pour la période 2000-2006 - ce qui est appelé le filet de sécurité -, si bien que 43,1 % de la population de l'Union à 25 pourra être couverte par le dispositif. La France aurait donc un taux de couverture de 18,4 % de sa population, soit 2,9 % de population couverte au titre de l'article 87, paragraphe 3, point a) s'appliquant aux quatre départements d'outre-mer et 15,5 % pour le reste du territoire. Dans le premier projet de la Commission, l'ensemble du territoire métropolitain était exclu de tout bénéfice des aides à finalité régionale. Le taux de couverture du territoire métropolitain passerait donc de 0 dans la proposition initiale à 15,5 % de la population.

Si une telle évolution marque un progrès significatif, celui-ci n'en demeure pas moins relatif et insatisfaisant, dissimulant le fait, sur lequel on aura l'occasion de revenir, que la France est l'un des Etats membres qui a enregistré la plus forte baisse de son taux de couverture.

En second lieu, les rapporteurs se réjouiront que, comme ils l'ont proposé dans leur rapport sur la réforme des fonds structurels(2), le projet de communication de la Commission prévoit des dispositions transitoires destinées à atténuer le poids de l'élargissement.

Ces dispositions concernent les régions dont le PIB par habitant dépasse 75 % de la moyenne de l'Union européenne à 25 Etats membres tout en étant inférieur à 75 % de la moyenne de l'Union européenne à 15 Etats membres(3).

Afin d'éviter que les progrès effectués par ces régions - dites à « effet statistique » - ne soient compromis par le choc d'un changement trop rapide, la Commission considère qu'elles devraient pouvoir continuer de bénéficier à titre temporaire de la dérogation établie à l'article 87, paragraphe 3, point a, pour une période transitoire jusqu'au 31 décembre 2009.

En 2009, la Commission réexaminera leur situation sur la base de la moyenne sur trois ans des données du PIB les plus récentes fournies par Eurostat. Si la prospérité relative de l'une quelconque de ces régions devient inférieur à 75 % de la moyenne du PIB par habitant de l'Union européenne, ces régions continueront de bénéficier de la dérogation établie à l'article 87, paragraphe 3, point a. Sinon, elles pourront bénéficier d'aides au titre de la dérogation établie à l'article 87, paragraphe 3, point c jusqu'à fin 2013.

b) La réduction du différentiel d'intensité des aides

Ce différentiel, qui atteignait 50 % dans les propositions initiales de la Commission, est ramené à 15 % dans les régions relevant de l'article 87, paragraphe 3, point c), autres que les régions à effet statistique.

Mais, afin de prévenir le risque de délocalisations, la Commission propose que l'écart de taux des aides entre deux régions frontalières ne dépasse pas 20 %.

c) L'institution d'un régime d'aides aux entreprises des régions assistées

Il s'agit d'une nouvelle forme d'aides destinées à encourager la création d'entreprises dans des régions visées par les dérogations prévues à l'article 87, paragraphe 3, points a) et c) du Traité.

Le plafond des aides sera fixé, selon les cas, à 2 millions ou 3 millions d'euros.

Elles devront couvrir les dépenses réellement exposées dans les phases d'établissement et d'expansion des petites entreprises, au cours des cinq premières années suivant leur constitution sans devoir se limiter strictement aux investissements.

La Commission précise toutefois qu'elle décidera ultérieurement si cette aide doit figurer dans les lignes directrices concernant les aides régionales ou dans les règles sur les aides horizontales.

Pour autant, bien qu'elles aient salué cette initiative, les autorités françaises, considèrent que la question du soutien à la création d'entreprises n'est pas spécifique aux zones éligibles aux aides à finalité régionale, mais à l'ensemble du territoire de l'Union. C'est pourquoi, elles estiment que cette nouvelle aide trouverait naturellement sa place au sein du règlement PME.

Quant aux autorités allemandes, elles se réjouissent également de la proposition de la Commission. Toutefois, elles jugent qu'elle devrait plutôt être intégrée dans le cadre non pas des aides à finalité régionale mais dans celui de la révision des autres aides horizontales.

2) La persistance de dispositions contestables

Ces dispositions touchent, pour l'essentiel :

- aux modes de calcul inéquitables de la population éligible ;

- à la baisse préoccupante des taux d'aides aux DOM et aux régions ultrapériphériques ;

- au maintien de la notion d'équivalent subvention brut (ESB) ;

- à l'absence d'articulation claire entre la réforme des aides à finalité régionale et celle des fonds structurels.

a) Les modes de calcul inéquitables de la population éligible

Le projet de la Commission prévoit un taux de couverture de population éligible à 43,1 % de la population de l'Union européenne élargie, soit un taux voisin de celui applicable depuis 1999 à l'Union européenne à 15 Etats membres (42,7 %). Or, pour ce qui la concerne, la France voit toutefois sa couverture de population fortement réduite puisqu'elle passe, s'agissant de l'article 87, paragraphe 3, point c), de 37 % - c'est-à-dire y compris l'outre-mer -à 18,4 %, soit une diminution de 50 %.

Une telle baisse est considérable, dépassant de très loin non seulement celle de 6 % que la France a enregistrée en 2000 lors de l'entrée en vigueur des actuelles lignes directrices. Mais, en outre, elle est très largement supérieure à celle qu'ont pu subir les trois autres Etats membres - Allemagne, Autriche, Royaume-Uni - dont, comme la France, la population éligible au titre de l'article 87, paragraphe 3, point c) avait été ramenée à 0 % par les propositions initiales de la Commission.

Le tableau ci-dessous montre en effet que pour chacun de ces trois Etats membres, la réduction serait moindre : Allemagne
(- 14,3 %) ; Autriche (- 16,7 %) et Royaume-Uni (- 18 %).

Couverture de population AFR 2007/2013 proposée par la
Commission, par ordre décroissant (4)

ETATS

Total (%)

Régions c) (%)

Régions a) (%)

Effet statistique

Estonie

100

0

100

0

Grèce

(100) 100

0

36.6

55.5

Lettonie

100

0

100

0

Lituanie

100

0

100

0

Hongrie

100

0

72.2

27.8

Malte

100

0

100

0

Pologne

100

0

100

0

Slovénie

100

0

100

0

Slovaquie

88.9

0

88.9

0

Rép. tchèque

88.6

0

88.6

0

Portugal

(100) 76.7

2.8

70.1

3.8

Espagne

(79,2) 59.6

17.7

36.2

5.8

Irlande

(100) 50

50

0

0

Chypre

50

50

0

0

Finlande

(42,2) 34.8

34.8

0

0

Italie

(43,6) 34.1

3.9

29

1

Allemagne

(34,9) 29.9

11.2

12.5

6.1

Belgique

(30,9) 25.6

13.2

0

12.4

Royaume Uni

(28,7) 23.5

18.9

4

0.6

21° POSITION

Autriche

(27,5) 22.9

19.5

3.4

0

France

(36,7) 18.4

15.5

2.9

0

Luxembourg

(32) 16

16

0

0

Suède

(15,9) 15.4

15.4

0

0

Danemark

(17,1) 8.6

8.6

0

0

Pays bas

(15) 7.5

7.5

0

0

Source : Eurostat.

PIB/habitant UE 25

UE25

21170,1

Lituanie

4187,3

Lettonie

4303,3

Slovaquie

4773,4

Pologne

5296,8

Estonie

5487,3

Hongrie

6782,6

Rép. tchèque

7684,5

Malte

10757,4

Slovénie

11788,2

Portugal

12389,4

Grèce

12893,6

Chypre

15484,6

Espagne

17229,5

15° POSITION

Italie

22055,0

France

24933,1

Belgique

25278,2

Allemagne

25548,6

Finlande

26972,5

Autriche

27001,4

Pays bas

27569,2

Royaume Uni

28033,1

Suède

28777,6

Irlande

32598,9

Danemark

34063,4

Luxembourg

51110,5

Source : Eurostat.

Chômage UE 25

Pays

%

Pologne

19.6

Slovaquie

17.6

Lituanie

12.4

Espagne

11.3

Lettonie

10.5

Estonie

10

Allemagne

9.7

9° POSITION

Grèce

9.3

France

9.3

Finlande

9

Italie

8.7

Belgique

8.2

Rép. tchèque

7.8

Malte

7.6

Slovénie

6.7

Portugal

6.3

Hongrie

5.9

Suède

5.7

Royaume Uni

5.6

Danemark

5.4

Irlande

4.8

Autriche

4.2

Chypre

4.1

Pays bas

3.7

Luxembourg

3.7

Source : Eurostat.

Il est clair que la couverture proposée ne tient pas suffisamment compte des difficultés de développement économique rencontrées par les régions françaises. Les tableaux précédents montrent ainsi que la France se classe en 21ème position sur les 25 Etats membres en pourcentage de la population couverte, alors qu'elle est le 9ème Etat dont le taux de chômage est le plus élevé et le 15ème en termes de PIB par habitant (par ordre croissant).

Cette situation résulte de la conjugaison de la méthode de répartition de la population éligible au titre de l'article 87, paragraphe 3, point c s'appuyant sur les disparités entre régions au sein de chaque Etat membre et de la spécificité française en matière de découpage territorial statistique.

En effet, les unités statistiques territoriales de la France sont plus étendues que celles retenues par la plupart des autres Etats membres.

C'est ainsi, par exemple, qu'en France, le NUTS 2 (Nomenclature des unités territoriales statistiques), qui correspond à l'échelon régional, peut concerner dans certains cas 7 à 8 départements. En revanche, au Royaume-Uni, la zone équivalente pourra représenter l'équivalent d'un arrondissement en France.

De fait, bien que les régions françaises rencontrent des difficultés économiques similaires à celles des autres Etats membres, ces difficultés sont toutefois dissimulées pour ce qui les concerne, en raison de la pondération intervenant au niveau de chaque unité territoriale, comme l'illustre le tableau ci-dessous.

*

(*) NUTS : Nomenclature des Unités territoriales Statistiques.

b) La baisse préoccupante des taux d'aides aux DOM et aux régions ultrapériphériques

En ce qui concerne la France, les territoires éligibles à l'article 87, paragraphe 3, point a) - c'est-à-dire les régions en retard de développement - sont constituées des départements d'outre-mer, lesquels sont tous, par ailleurs, des régions ultrapériphériques.

Or, la baisse des taux proposés pour ces départements est, à l'évidence, préoccupante, puisque, dans certains cas, ces taux peuvent être inférieurs de 15 points aux taux d'aides actuels.

Certes, pour tenir compte des handicaps spécifiques à ces régions, la Commission propose d'accepter le versement, sans justificatif, d'aides au fonctionnement à hauteur de 10 % du chiffre d'affaires des entreprises. Cette proposition positive demeure toutefois insuffisante et ne paraît pas de nature à compenser complètement la baisse des taux proposés.

On mesure ainsi les risques inhérents à l'application trop mécanique de la politique de réduction du niveau général des aides d'Etat recommandée par plusieurs Conseils européens.

Or, les entreprises dans les départements d'outre-mer français ne constituent pas de véritables risques pour la concurrence intra-communautaire. En territoire éloigné, insulaire, avec un tissu économique essentiellement constitué de petites entreprises, les DOM ont une économie spécifique et se trouvent dans des conditions de concurrence non pas par rapport à l'Union européenne, mais plutôt par rapport à leur environnement régional. Les intensités de taux d'aide doivent donc être considérées différemment dans les DOM, où elles sont une condition de survie pour ces économies et non un ajustement concurrentiel.

La Commission a d'ailleurs reconnu dans sa communication du 26 mai 2004 sur « un partenariat renforcé pour les régions ultrapériphériques », la nécessité d'une meilleure insertion de celles-ci dans leurs zones géographiques. Il n'est donc pas cohérent d'inciter les DOM à coopérer avec des entreprises de pays voisins aux coûts salariaux incomparablement plus bas, tout en diminuant parallèlement de façon drastique le soutien apporté à leurs entreprises, qui est un outil essentiel pour rétablir des conditions de compétitivité régionale faussées.

c) Le maintien de la notion d'équivalent subvention brut (ESB)

La Commission n'est pas revenue sur sa proposition consistant à appliquer les taux maximum en aides exprimées en montants bruts, contrairement à la réglementation actuelle qui, grâce à la formule de l'équivalent subvention net, tient compte des différents régimes d'impositions.

La Commission estime en effet devoir se conformer à un arrêt du Tribunal de Première instance du 15 juin 2002, Alzetta, par lequel ce dernier a notamment jugé que :

« La Commission n'est pas habilitée, dans le système de contrôle des aides d'Etat institué par le Traité, à prendre en considération les charges fiscales grevant le montant des aides financières allouées, aux fins de l'appréciation de leur compatibilité avec le Traité ».

En outre, la Commission considère que « l'utilisation des ESB, qui servent également à calculer l'intensité d'autres formes d'aides d'Etat sera de nature à simplifier et à rendre plus transparent le système de contrôle des aides d'Etat et tiendra également compte de la part accrue des aides de ce genre qui sont accordées sous forme d'exonérations fiscales ».

Quoi qu'il en soit, il est à craindre que l'application de l'ESB n'entraîne inévitablement l'augmentation des écarts entre les aides auxquelles peuvent prétendre les entreprises non sur la base de critères de cohésion mais celle de la fiscalité de chaque pays, alors même que d'importantes disparités fiscales existent entre les Etats membres.

d) L'absence d'articulation claire entre la réforme des aides à finalité régionale et la réforme des fonds structurels

On ne peut qu'être frappé par l'absence dans le projet de communication de la Commission d'une disposition analogue à celle qui figure dans les lignes directrices actuelles publiées en 1998 :

« Dans un souci de cohérence entre les décisions de la Commission prises dans le cadre de la politique de concurrence et les décisions concernant les régions éligibles aux fonds structurels, la période de validité des cartes s'aligne, en principe, sur le calendrier des interventions des fonds structurels. »

Certes, on observera que s'il est souhaitable, au plan de la logique, qu'une cohérence soit assurée entre les deux réformes, aucune disposition juridique n'y contraint la Commission en raison de la spécificité respective des deux instruments. Dans le cas des fonds structurels, le cadre repose sur des règlements adoptés par les Etats membres et le Parlement européen. En revanche, la réforme des aides à finalité régionale relève d'une compétence exclusive de la Commission.

Néanmoins, faute de cohérence, il est à craindre que certaines régions ne soient confrontées à de sérieuses contradictions. Par exemple, le zonage sera supprimé dans les régions relevant de l'Objectif 2, alors qu'un zonage réduit sera maintenu en faveur des régions éligibles à l'article 37, paragraphe 3, point c).

II. LA NECESSITÉ DE MESURES CORRECTRICES

L'enjeu est de taille : car il s'agit certes de remédier à des situations contraires à l'équité. Mais d'abord et surtout, c'est une idée-force de la construction européenne qu'il importe de sauvegarder, celle qui est fondée sur la recherche d'une conciliation efficace et harmonieuse entre les exigences de la concurrence et celles de la cohésion économique, sociale et territoriale.

A. Une nécessité reposant sur d'impérieuses considérations

1) Les aides à finalité régionale doivent rester un instrument destiné à promouvoir la cohésion économique, sociale et territoriale

Il n'est pas inutile de rappeler les termes de l'article 158 du Traité instituant la Communauté européenne : « Afin de promouvoir un développement harmonieux de la Communauté, celle-ci développe et poursuit son action tendant au renforcement de sa cohésion économique et sociale ».

Un tel rappel est d'autant plus opportun que, comme les rapporteurs ont déjà eu l'occasion de le souligner(5), l'élargissement a pour effet de révéler dans toute leur ampleur les inégalités de développement et de niveau de vie au sein de l'Union européenne, ce qui précisément imposera à l'Union de mettre en œuvre une politique régionale ambitieuse et dynamique au service de la cohésion économique, sociale et territoriale.

Mais, à l'heure où dans ce contexte la politique régionale est appelée à devenir une priorité de l'Union - puisqu'elle devrait constituer, à partir de 2007, le plus gros chapitre du budget communautaire si les perspectives financières sont adoptées  - il y a toutefois lieu de se déclarer très préoccupé par certaines orientations prises ou envisagées en matière d'aides d'Etat, lesquelles ne concourent pas précisément à la poursuite de cet objectif prioritaire. Certaines déclarations(6) ont, en effet, pu laisser penser que les aides à finalité régionale n'auraient plus aucun rôle à jouer. Au demeurant, pouvaient en apporter une confirmation les propositions initiales de la Commission qui avaient ramené à 0 % le taux de la population éligible à l'article 87, paragraphe 3, point c) en France, en Allemagne, en Autriche et au Royaume-Uni.

On se félicitera, en contrepoint de cette évolution, que la Commission ait annoncé son projet de créer un Fonds d'ajustement à la globalisation, dont l'objet pourrait être de venir en aide aux personnes touchées par les délocalisations.

Bien que les modalités exactes de son fonctionnement ne soient pas encore connues, cette mesure vient toutefois corriger - fût-ce très partiellement - le silence du projet de lignes directrices sur la question des délocalisations.

Quoi qu'il en soit, les rapporteurs estiment que la promotion de l'objectif de cohésion dans les futures lignes directrices passe par une meilleure prise en compte de la spécificité des régions défavorisées.

Dans cette perspective, il leur apparaît souhaitable de reprendre une proposition qu'ils ont formulée dans leur travail sur la réforme des fonds structurels(7).

Elle consisterait à établir une distinction entre certaines parties du territoire européen, qui souffrent de handicaps importants empêchant une convergence avec la moyenne européenne et d'autres régions qui sont parvenues à croître, tout en ayant besoin d'améliorer leur compétitivité. Chaque situation ferait ainsi l'objet d'un traitement différent, grâce à la graduation des plafonds des aides à finalité régionale dans le premier cas et de ceux des aides à finalité horizontale dans le second cas.

Corrélativement, ces mesures imposeraient de revenir sur des dispositions proposées par la Commission, qui vont à l'encontre de cette recherche de la compétitivité des différents territoires de l'Union européenne.

Il en est ainsi de la diminution généralisée des plafonds d'aides ou encore de la substitution de l'équivalent subvention brut à l'équivalent subvention net, cette dernière disposition favorisant plutôt la concurrence fiscale dommageable et le risque de délocalisations.

2) La reconnaissance de la dimension territoriale : un élément à prendre en compte dans la mise en œuvre de la stratégie de Lisbonne

Une telle proposition ne constitue pas en soi une innovation, car elle ne fait qu'appliquer un principe énoncé à l'article 159 du Traité instituant la Communauté européenne, selon lequel la politique économique des Etats membres et celle de la Communauté doivent prendre en compte la dimension régionale. Cet article dispose en effet :

« Les Etats membres conduisent leur politique économique en vue également d'atteindre les objectifs visés à l'article 158(8). La formulation et la mise en œuvre des politiques et actions de la Communauté ainsi que la mise en œuvre du marché intérieur prennent en compte les objectifs visés à l'article 158 et participent à leur réalisation ».

Malheureusement, la stratégie de Lisbonne a négligé pareille dimension, en étant restée à un niveau macro-économique.

Or, il n'est pas à exclure que la réussite de cette stratégie puisse être fortement altérée, dans le cas où ne serait pas encouragée la compétitivité de toutes les régions, ou en tout cas celle du plus grand nombre d'entre elles.

C'est d'ailleurs pourquoi, dans les conclusions qu'elle a adoptées le 16 février 2005 sur le rapport d'information de MM. Michel Delebarre et Daniel Garrigue sur le suivi de la stratégie de Lisbonne, la Délégation « souligne le rôle essentiel des différentes collectivités dans la mise en œuvre des objectifs de la stratégie de Lisbonne et regrette que la Commission n'ait pas prévu un mécanisme de consultation de ces dernières avant l'échéance du printemps 2005. En outre, souhaite que dans chaque plan d'action national, l'effort de cohérence entre l'Etat et les collectivités soit bien recherché, avec une mention particulière pour les régions qui sont en déclin démographique ».

Les collectivités territoriales ont un rôle d'autant plus important à jouer qu'elles versent la majorité des aides à finalité régionale. Ce souhait d'une participation accrue des collectivités territoriales est parfaitement conforme à l'objet même des aides à finalité régionale, lesquelles ont une base territoriale. En outre, elles présentent l'avantage, par rapport aux aides horizontales, qui concernent un domaine spécifique, de pouvoir être utilisées au profit de très nombreux secteurs.

Aussi importera-t-il que, pour l'établissement des régions éligibles proposées par les Etats membres à la Commission, les collectivités territoriales, notamment en France, soient pleinement consultées.

Toutefois, comme les autorités françaises et britanniques, on regrettera que le délai de trois mois imparti par la Commission aux Etats membres pour lui faire parvenir la carte du zonage retenue soit trop bref.

B. Les voies souhaitables de la prévention de la fracture territoriale

Cet objectif de prévention passe, selon les rapporteurs, par deux catégories de mesures :

- le relèvement du filet de sécurité pris en compte dans le calcul de la population éligible ;

- un meilleur ciblage territorial des aides.

1) Le relèvement du filet de sécurité dans le calcul de la population éligible

L'introduction de ce filet de sécurité destiné à empêcher qu'un Etat membre ne perde plus de 50 % de sa part de population couverte pendant la période 2000-2006, a certes permis la France et à d'autres Etats membres (Allemagne, Autriche, Royaume-Uni) de corriger la situation inéquitable à laquelle ils étaient confrontés du fait des propositions initiales de la Commission, lesquelles auraient eu pour effet de ramener à 0 % le taux de couverture de leur population éligible.

Pour autant, la situation de la France, comparée à des Etats dont le niveau de développement économique est similaire - par exemple le Royaume-Uni ou l'Allemagne -, demeure très insatisfaisante.

C'est pourquoi la demande exprimée par les autorités françaises dans une lettre du 6 octobre 2005 qu'elles ont adressée à Mme Neelie Kroes, en vue d'un relèvement du filet de sécurité mérite, aux yeux des rapporteurs, d'être soutenue sans réserve.

Dans cette lettre qu'on trouvera ci-après, le Gouvernement propose la fixation du filet de sécurité au même niveau que celui retenu par la Commission lors de la précédente réforme, en limitant ainsi à 25 % la diminution maximale de la population couverte par Etat membre. Si une telle mesure était retenue, le taux de couverture de la population française éligible passerait de 18,4 % à 27,6 % environ.

Pour le Gouvernement, « Cette mesure aurait pour effet d'aboutir à un niveau de population couverte pour la France comparable à celui des Etats membres connaissant des situations économiques similaires, sans pour autant modifier les grands principes du projet de lignes directrices. En outre, elle n'introduirait qu'une faible augmentation de la population couverte au niveau communautaire qui passerait de 43,1 % à 44,7 %. ».

On se réjouira que la Commission du développement régional du Parlement européen ait, lors de l'examen du rapport de M. Milõs Koterec, le 23 novembre 2005, fait écho aux préoccupations des autorités françaises. En effet, une majorité de cette commission s'est déclarée favorable à un relèvement du filet de sécurité, sans toutefois s'être prononcée sur un taux précis. D'après les renseignements qui ont été communiqués aux rapporteurs, un amendement fixant un taux pourrait être déposé en vue de la discussion en séance plénière, le 15 décembre 2005.

2) Un meilleur ciblage territorial des aides

L'objectif de cohésion commande que les futures lignes directrices aient une meilleure approche de la spécificité géographique, économique et sociale de certaines régions.

Parmi elles, on citera :

- les départements d'outre-mer et les régions ultrapériphériques ;

- les régions insulaires et les zones très enclavées.

a) Les départements d'outre-mer et les régions ultrapériphériques

La lettre ci-après du 7 novembre 2005 que M. François Baroin, ministre de l'outre-mer, et ses collègues espagnol et portugais ont adressée à Mme Neelie Kroes, rappelle parfaitement les conséquences défavorables résultant pour ces régions de la diminution des taux d'aide.

Il apparaît souhaitable que la Commission procède au réexamen de leur situation, afin que soit une réalité leur meilleure insertion dans leurs zones géographiques préconisée par la communication de la Commission du 26 mai 2004 sur « un partenariat renforcé pour les régions ultrapériphériques ».

b) Les régions insulaires et les zones particulièrement enclavées

Au nom de l'équité et de l'objectif de cohésion, il serait souhaitable que puissent être allouées des aides au fonctionnement pour couvrir les surcoûts de transport supportés par les entreprises dans toutes les îles et les zones particulièrement enclavées éligibles à l'article 87, paragraphe 3, point c) dans les mêmes conditions que celles prévues pour les zones à faible densité de population. En effet, ces régions sont, d'une manière générale, confrontées aux mêmes difficultés.

CONCLUSION

A l'heure où la construction européenne est à la recherche d'un nouvel élan, il n'est pas exagéré de voir dans cette réforme des aides à finalité régionale, un test de la capacité de l'Europe à restaurer le lien entre les Européens et leurs institutions.

Car cette réforme peut et doit être l'occasion pour les Etats membres de construire une Europe reposant sur un développement harmonieux et optimal des territoires.

Idée encore neuve, un tel projet nécessitera des choix clairs en faveur d'une politique volontariste de l'aménagement des territoires.

Il y a là un pari sur l'avenir que l'Europe doit gagner. Dans cette perspective, il n'est pas inutile de rappeler que le projet de Traité portant « Constitution pour l'Europe » fixait la « cohésion territoriale » comme l'une des exigences de l'Union européenne.

*

* *

{texte de la conclusion...}

TRAVAUX DE LA DELEGATION

La Délégation s'est réunie le mardi 29 novembre 2005, sous la présidence de M. Pierre Lequiller, Président, pour examiner le présent rapport d'information.

L'exposé des rapporteurs a été suivi d'une discussion.

M. Christian Philip a demandé des précisions sur le champ d'application des lignes directrice aux secteurs concernés, notamment la situation des transports.

M. Michel Delebarre, rapporteur, a répondu qu'ils en étaient exclus. Il a ensuite fait part de son inquiétude sur l'accord qui semble se dessiner entre la présidence et la Commission sur les futures perspectives financières 2007-2013. Celui-ci prévoirait une baisse des fonds structurels, selon des modalités reconnaissant la priorité aux régions des nouveaux Etats membres. On peut craindre que le fonds d'ajustement à globalisation ne soit alors présenté comme une contrepartie à la réduction des fonds structurels pour les anciens Etats membres et même comme ce qu'il a qualifié de leurre.

M. Didier Quentin, rapporteur, tout en partageant l'inquiétude exprimée par M. Michel Delebarre, a insisté sur la nécessité de clarifier la question de l'établissement par l'INSEE des unités statistiques territoriales.

Le Président Pierre Lequiller a indiqué qu'il transmettrait l'ensemble des conclusions des rapporteurs et de ces éléments au Gouvernement.

La Délégation a ensuite adopté, dans le texte proposé par les rapporteurs, les conclusions dont le texte figure ci-après.

CONCLUSIONS ADOPTEES PAR LA DELEGATION

La Délégation,

Vu l'article 87, paragraphe 3, points a) et c) du Traité instituant la Communauté européenne relatif aux aides d'Etat à finalité régionale,

Vu le Titre XVII du traité instituant la Communauté européenne relatif à la cohésion économique et sociale,

Vu l'article 299, paragraphe 2, du Traité instituant la Communauté européenne relatif aux départements français d'outre-mer et aux régions ultrapériphériques,

Vu le projet de communication de la Commission relatif aux lignes directrices concernant les aides d'Etat à finalité régionale pour la période 2007-2013,

1. Considère que les aides d'Etat à finalité régionale doivent rester un instrument destiné à promouvoir la cohésion économique, sociale et territoriale au sein de l'Union européenne ;

2. Souhaite que la dimension territoriale soit pleinement reconnue dans la mise en œuvre de la stratégie de Lisbonne, afin que le nombre le plus élevé possible de régions puissent satisfaire à l'exigence de compétitivité ;

3. Estime, dès lors, nécessaire que la Commission puisse, dans l'élaboration des lignes directrices pour la période 2007-2013, procéder aux mesures correctrices suivantes :

a) limiter à 25 % - au lieu de 50 % - la diminution maximale de la population couverte par l'Etat membre, en vue de remédier aux situations inéquitables auxquelles certains Etats membres risquent d'être confrontés ;

b) réexaminer les taux d'aide envisagés pour les départements d'outre-mer et les régions ultrapériphériques, la baisse préoccupante de ces taux risquant d'entraver leur insertion dans leurs zones géographiques ;

c) prévoir la possibilité du versement à toutes les îles et aux zones particulièrement enclavées, d'aides au fonctionnement pour couvrir les surcoûts de transport auxquels les entreprises sont exposées dans ces régions.

ANNEXE :
Liste des personnes entendues par les rapporteurs

Les rapporteurs tiennent à renouveler leurs plus vifs remerciements aux personnalités qui ont bien voulu accepter de s'entretenir avec eux.

I. A PARIS

¬ DATAR (Délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale)

- M. Jean-Benoît ALBERTINI, adjoint au délégué à l'aménagement du territoire et à l'action régionale ;

- M. Jean-Pierre BOVE, chargé de mission aux affaires européennes.

¬ SGAE (Secrétariat général aux affaires européennes)

- M. Yves DUJARDIN, adjoint au chef du secteur MICA (Marché intérieur, concurrence, aides d'Etat, armement, consommateurs).

¬ Départements ministériels

. Aménagement du territoire :

- M. Mickaël TRABBIA, conseiller technique auprès du ministre.

. Economie, finances, industrie :

- Mme Marie-Laure LECLERCQ, chargée de mission à la Direction générale des entreprises, Bureau Europe.

. Intérieur :

- M. Jean-Christophe MORAUD, sous-directeur des finances locales et de l'action économique à la Direction générale des collectivités locales (DGCL) ;

- Mme Magalie DEBATTE, chef du bureau des interventions économiques et de l'aménagement du territoire de la DGCL.

. Outre-mer :

- M. Philippe LEYSSENE, directeur des affaires économiques, sociales et culturelles ;

- M. Christos FLORIDIS, chargé de mission auprès de la chef du département des affaires européennes.

. Association française du Conseil des communes et régions d'Europe

- M. Christophe MOREUX, responsable du service de la politique territoriale.

II. A BRUXELLES

- M. Paul-Bertrand BARETS, attaché financier à la Représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne.Annexe-1

1 () MM. Michel Delebarre et Didier Quentin, La cohésion territoriale à l'épreuve de l'élargissement, rapport n° 2374.

2 () MM. Michel Delebarre et Didier Quentin, La cohésion territoriale à l'épreuve de l'élargissement, p. 42.

3 () La Commission précise que, en pratique, 75 % de la moyenne du PIB de l'Union européenne à 15 Etats membres correspond à 82,2 % du PIB de l'Union européenne à 25 Etats membres.

4 () Pour les Etats membres de l'UE-15, le chiffre indiqué entre parenthèses est celui du taux de couverture applicable au titre des lignes directrices de la période 2000-2006.

5 () MM. Michel Delebarre et Didier Quentin, La cohésion territoriale à l'épreuve de l'élargissement, rapport n° 2374,

6 () Il en est ainsi de propos tenus par Mme Neelie Kroes, commissaire européenne à la concurrence, le 26 janvier 2005 : « Je parle d'une aide publique, à la fois moins importante et meilleure, qui se concentre sur le capital-risque, la recherche, l'innovation et les PME ».

7 () MM. Michel Delebarre et Didier Quentin, La cohésion territoriale à l'épreuve de l'élargissement, rapport n° 2374, p. 42.

8 () Celui-ci est relatif à l'objectif de cohésion économique et social.

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