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No 116
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DOUZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 24 juillet 2002.
PROPOSITION DE LOI
visant à la reconnaissance de l'Etat
aux
orphelins de déportés.

(Renvoyée à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE
par Mme Martine BILLARD,
MM. Yves COCHET et NoËl MAMÈRE,
Députés.

Anciens combattants et victimes de guerre.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,
Le 10 juillet 1940, le Parlement votait les pleins pouvoirs au maréchal Pétain, qui dirigea donc l'Etat français, sous le joug de l'occupant nazi.
La politique totalitaire et antisémite allait commencer. De nombreux Français furent persécutés, périrent, dans la souffrance et l'humiliation, du fait de leur appartenance à une ethnie religieuse, culturelle ou philosophique; mais également parce qu'ils se battaient pour leurs idéaux, pour voir leur pays enfin libéré. Georges Bernanos dira d'ailleurs des décideurs de cette période : «Seraient-ils mille fois plus honnêtes qu'on le suppose, les hommes de Vichy n'en resteront pas moins jusqu'au bout prisonniers de l'armistice, c'est-à-dire d'une effrayante humiliation nationale.
«On dira qu'ils l'ont crue nécessaire, qu'ils s'y sont eux-mêmes sacrifiés. En ce cas, ils auraient dû poursuivre le sacrifice, consommer l'humiliation, en assumer toute la honte au lieu de tenter d'y associer le pays, les vivants et les morts.
«L'absurde était de prétendre fonder l'union nationale sur la déroute et la popularité du maréchal Pétain sur le sentiment inavouable qui a été en 1940 - hélas! - celui d'un grand nombre de Français qu'on pourrait exprimer ainsi : "C'est embêtant d'être battu mais la guerre est finie. Ouf!" »
Un devoir de mémoire incombe à l'Etat, pour tous ceux qui furent déportés, à cause de la complicité du Gouvernement français de l'époque, séparés de leur famille, de leur pays; traités de façon inhumaine et mourant dans l'indifférence. La collaboration est la période la plus sombre de la France au xxe siècle : «Pardonne, n'oublie pas.» Ces mots sont gravés sur un mur du mémorial de la Déportation sur l'île de la Cité, à Paris, et c'est justement dans le souci de ne pas oublier, ou plutôt de n'oublier personne, qu'a été rédigée cette proposition de loi.
Le 13 juillet 2000, un décret du Premier ministre a mis en place une mesure de réparation pour les orphelins dont les parents ont été victimes de persécutions antisémites. Ce décret est une avancée évidente dans le processus d'indemnisation des victimes de la Shoah. Pris suite à la mission Mattéoli, il crée cependant une iniquité entre les déportés. De nombreux déportés ont partagé cette vie, la clandestinité, la déportation, laissant parfois derrière eux famille et enfants sans ressources. On estime au nombre de 75721 le nombre de juifs déportés (2567 sont revenus vivants). Quant aux non-juifs, environ 60000 à 65000 furent détenus en camp de concentration, dont il semble que plus de la moitié ne revint pas.
Il faut aujourd'hui se souvenir des injustices, des atrocités que l'occupation nazi a engendrées, et tenter d'y remédier en honorant la mémoire des disparus et en réparant le préjudice des familles par la perte de leurs parents déportés. Nous devons accomplir un travail de mémoire; nous sommes redevables d'un devoir de reconnaissance à ceux qui, tout en se battant pour la liberté, pour leur patrie, en résistant contre l'envahisseur, ont péri en déportation, laissant derrière eux parfois des orphelins.
Nombre d'entre eux furent déclarés pupilles de la Nation, mais d'autres, ayant gardé un parent vivant, voient toujours en la perte d'une mère, d'un père enlevés trop tôt, l'oubli d'une reconnaissance nationale, pourtant bien méritée.
Nous vous proposons, Mesdames, Messieurs, d'adopter la présente proposition de loi afin que soient octroyés les avantages attachés à la reconnaissance de la Nation aux orphelins de déportés.

PROPOSITION DE LOI
Article 1er

Toute personne dont la mère ou le père a été déporté de France pour des faits politiques ou de résistance, et a trouvé la mort durant cette déportation ou suite à cette déportation, a droit au titre de reconnaissance de la Nation et aux avantages qui y sont attachés, si cette personne était mineure de vingt et un ans au moment où cette déportation est intervenue, et si elle n'a pas déjà été reconnue comme pupille de la Nation.

Article 2

Une commission nationale d'indemnisation des orphelins de déportés est créée en vue de recevoir et d'examiner les demandes formulées en ce sens.
Cette commission sera composée de neuf membres nommés par décret pour une durée de cinq ans.
Un décret en Conseil d'Etat fixe la composition et les modalités de désignation des membres de la commission visée au premier alinéa.
La commission nationale d'indemnisation des orphelins de déportés est placée sous l'autorité du Premier ministre.

Article 3

La demande d'indemnisation devra comporter toutes les pièces justificatives nécessaires, et notamment les actes d'état civil attestant de la filiation avec le parent décédé ou disparu, ainsi que tous les documents prouvant que la mort ou la disparition est intervenue en déportation ou suite à la déportation.

Article 4

Un décret fixe les modalités d'application de la présente loi.

Article 5

Les charges résultant pour l'Etat et les régimes sociaux de l'application de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par la création d'une taxe additionnelle aux tarifs visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôt, et par un relèvement de ces tarifs.
 
N° 0117 - Proposition de loi sur la reconnaissance de l'Etat aux orphelins de déportés (Mme Martine Billard)


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