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No 142
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DOUZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 24 juillet 2002.
PROPOSITION DE LOI
abrogeant le délit de présentation sous un jour favorable
des
infractions liées aux stupéfiants.

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles30 et 31 du Règlement.)

présentée
par MM. Noël MAMÈRE, Yves COCHET et
Mme Martine BILLARD
Députés.

Elections et référendums.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,
Le Comité national d'éthique évoquait dès décembre 1994 le rapport entre loi et morale :
« Beaucoup de gens sont tentés une fois ou l'autre de goûter à un produit illicite, soit qu'ils trouvent une volupté supplémentaire dans la transgression, soit qu'ils contestent le bien-fondé de la loi. (...) »
« Un citoyen qui, en conscience, estime la sanction injustifiée, voire juge la loi désuète, peut chercher à mettre en _uvre avec d'autres, les moyens permettant de faire apparaître le bien-fondé de cette critique et d'aboutir à une modification de la loi.»
« Inversement, la société se doit d'écouter le témoignage de ceux qui souffrent de maux liés à la consommation de drogues illicites, ou qui cherchent comment gérer la toxicodépendance de façon humainement acceptable. La toxicodépendance existe. Les personnes dépendantes d'une substance ne sont pas des citoyens de seconde zone, mais des citoyens à part entière qui comme les autres ont droit à la parole.»
« C'est avec ces personnes, et non contre elles, que la question de l'usage peut être négociée, en sorte que cet usage ne soit pas offensant pour l'ensemble de la société, et qu'en même temps les personnes dépendantes soient aidées plutôt que réprimées. »
Depuis lors, les entraves apportées au plein exercice de la liberté d'expression et du droit à l'information par l'article L. 630 du code de la santé publique ont fait l'objet de critiques répétées.
Répondent ainsi de cinq ans d'emprisonnement et de cinq cent mille francs (500000 F) d'amende :
- Le citoyen qui par un simple emblème affiche son opposition ;
- Le responsable associatif qui dès avant la publication des rapports publics en devance les conclusions ;
- Le membre du parti politique qui appelle au rassemblement pacifique;
- L'entrepreneur de presse qui manque à l'article L. 630.
En outre, l'article L. 630 du code de la santé publique condamne sans procès :
- Le service Minitel d'information;
- Le journaliste ainsi contraint à l'autocensure.

I. - DÉPÉNALISER LE DÉBAT

L'article L. 630 du code de la santé publique n'a certes jamais censuré ni le rapport de Monique Pelletier, ni le rapport du Comité national d'éthique, ni le rapport de la commission Henrion, ni aucune des évaluations gouvernementales. Malheureusement, les voix indépendantes qui s'élèvent contre la loi du 31 décembre 1970 sont trop souvent réduites au silence.
Chacune des composantes de l'opinion publique a pourtant le droit de s'associer aux réflexions sur la toxicomanie et de commenter le bilan de la politique sanitaire. La société civile, réclamant hier la réduction des risques, a su montrer que l'approche raisonnée du problème et le choix d'un discours adapté à la réalité sont les plus efficaces.

II. - FAVORISER LA PRÉVENTION

Le poids de l'article L. 630 du code de la santé publique perturbe la fiabilité des sondages et instruments de mesures, et accroît la carence en informations.
Il gène encore la prévention sur les interactions entre les drogues et autres substances, les mises en garde contre les produits frelatés, et interdit tout conseil d'usage.

III. - METTRE EN CONFORMITÉ LA LOI ET LA CONSTITUTION

Les imperfections de rédaction de l'article L. 630 éclairent ces dérives. L'article L. 630 du code de la santé publique réprime quatre groupes d'agissements. Parmi ceux-ci, trois motifs d'inconstitutionnalité peuvent être relevés.
La présentation sous un jour favorable des infractions relatives aux stupéfiants.
Aux termes de l'article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958, la loi fixe les règles concernant la détermination des crimes et délits.
La jurisprudence du Conseil constitutionnel précise que le législateur a l'obligation de définir les éléments constitutifs des infractions en des termes clairs et précis excluant tout risque d'arbitraire.
Loin d'exclure tout risque d'arbitraire, cette disposition de l'article L. 630 du code de la santé publique érige la partialité au rang de règle.
A ce titre, la conformité avec la loi constitutionnelle n'est pas assurée.
Aux termes de l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, en matière de liberté d'expression, seuls les abus peuvent être réprimés.
Or, l'anathème jeté sur la présentation sous un jour favorable n'exclut pas seulement l'excès d'opinion favorable aux délits relatifs aux stupéfiants, mais l'expression même de toute opinion en ce sens.
Loin de ne réprimer que l'abus d'une opinion, l'article L.630 du code de la santé publique provoque la censure pure et simple.
A ce titre, la conformité avec la loi constitutionnelle n'est pas assurée.
La provocation à l'usage de stupéfiants, alors même que cette provocation n'aura pas été suivie d'effet.
Aux termes de l'article 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, seule la manifestation d'opinions ayant troublé l'ordre public établi par la loi est constitutionnellement répréhensible.
A ce titre, la conformité avec la loi constitutionnelle n'est pas assurée.
La provocation aux délits relatifs aux stupéfiants, lorsque cette provocation a été suivie d'effet.
La provocation suivie d'effet est une infraction qui se trouve toujours en concours idéal avec les faits réprimés par l'article 23 de la loi du 29 juillet 1881 modifié par la loi n° 72-546 du 1er juillet 1972 et par la loi n° 85-1317 du 13 décembre 1985. Ce texte punit comme complices ceux qui auront directement provoqué l'auteur ou les auteurs à commettre une infraction, si la provocation a été suivie d'effets.
Cette qualification punit les complices de peines toujours plus fortes que celles prévues par l'article L. 630 du code de la santé publique (sauf en matière d'usage de stupéfiants).
Son maintien au titre de l'article L. 630 du code de la santé publique est donc dénué d'intérêt.
La provocation à l'usage de substances présentées comme ayant les effets de substances ou plantes classées comme stupéfiants.
Ces agissements peuvent d'ores et déjà être suffisamment réprimés par la qualification de publicité mensongère, prévue par l'article 44 de la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973, et par la qualification d'escroquerie prévue par l'article 313-1 du nouveau code pénal.
Leur maintien au titre de l'article L. 630 du code de la santé publique est donc dénué d'intérêt.

Tel est l'objet de la présente proposition de loi que nous vous demandons de bien vouloir adopter.PROPOSITION DE LOI
Article unique
L'article L. 630 du code de la santé publique est abrogé.

 
N° 0142 - Proposition de loi sur le délit de présentation et les infractions liées aux stupéfiants (M. Noël Mamère)


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