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No 214
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DOUZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 24 septembre 2002.
PROPOSITION DE LOI
visant à l'abaissement de la limite d'âge
dans la
fonction publique et le secteur public.

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE
par M. Jean MICHEL,
Député.

Fonctionnaires et agents publics.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,
L'une des spécificités des régimes de retraite des fonctionnaires civils de l'Etat est l'existence d'une obligation légale contraignant les affiliés; à cesser leur activité à un certain âge, alors même qu'ils n'auraient pas effectué une carrière complète qui leur permettrait d'obtenir une pension de retraite à taux plein. L'article 1er de la loi n° 84-834 du 13 septembre 1984 fixe en cela à soixante-cinq ans l'âge limite au-delà duquel les fonctionnaires ne peuvent conserver leur emploi. Lorsque cet âge est atteint, l'administration est tenue de radier des cadres l'intéressé pour, limite d'âge. Hormis les exceptions permettant de travailler au-delà de cet âge, et qui visent les professeurs au Collège de France (limite fixée à soixante-dix ans), le vice-président du Conseil d'Etat, le premier président et le procureur général de la Cour de cassation et de la Cour des comptes (limite fixée à soixante-huit ans), les fonctionnaires sont classés en deux catégories : ceux de catégorie A « services sédentaires  » dont la limite d'âge est de soixante-cinq ans et ceux de catégorie B « services actifs » (emplois exposant les fonctionnaires qui les occupent à des risques particuliers ou à des fatigues exceptionnelles) dont la limite d'âge est fixée en principe à cinquante-cinq ou soixante ans.
De plus, les fonctionnaires peuvent bénéficier notamment de maintien en surnombre. Les lois n° 86-1303 et n° 86-1304 du 23 décembre 1986 ont prévu un dispositif de maintien en surnombre, sur demande, jusqu'à soixante-huit ans pour les magistrats hors hiérarchie de la Cour de cassation, les membres du Conseil d'Etat, les magistrats de la Cour des comptes et les inspecteurs des Finances. De même peuvent bénéficier de ce maintien en surnombre les professeurs des universités, les directeurs de recherche des établissements publics scientifiques et techniques.
La présente proposition de loi a précisément pour objet d'une part d'abaisser la limite d'âge dans la fonction publique, le secteur public et la magistrature de l'ordre judiciaire à soixante ans (I), de l'autre d'abroger le dispositif de maintien en surnombre mis en place par les lois de 1986 ci-dessus mentionnées (II).

I. - L'abaissement de la limite d'âge
dans la fonction publique, le secteur public
et la magistrature de l'ordre judiciaire à soixante ans

Le projet du gouvernement à l'origine de la loi de 1984 relative à la limite d'âge dans la fonction publique et le secteur publie était motivé essentiellement par la nécessité de rajeunir, de renouveler et de moderniser les cadres de la haute fonction publique. En effet, ceux-ci ainsi que la magistrature ne pouvaient rester à l'écart du mouvement général d'abaissement de l'âge de la retraite qui résultait notamment de l'ordonnance n° 82-270 du 26 mars 1982 permettant aux salariés du secteur privé de partir à la retraite dès l'âge de soixante ans. L'actuelle proposition de loi, telle que rédigée ci-dessous va parfaitement dans ce sens, en proposant de retenir pour les fonctionnaires et agents du secteur public l'âge de soixante ans pour leur mise à la retraite. Cette solution a le mérite d'aligner purement et simplement la limite d'âge des salariés du privé et celle des fonctionnaires et agents du secteur public.
La proposition de loi se fonde d'autre part sur une observation; sur une longue période historique, la tendance est plutôt à l'abaissement des limites d'âge des fonctionnaires. La loi du 18 août 1936 avait réparti les corps de fonctionnaires en deux grandes catégories : la catégorie A qui regroupait les services sédentaires et était dotée de cinq échelons et la catégorie B qui regroupait les services actifs et comprenait quatre échelons. Cette répartition a toutefois perdu une grande partie de sa signification à la suite du relèvement uniforme des limites d'âge opéré par la loi du 17 février 1946 et le décret du 9 août 1953. Comme l'observent MM. Bargas et Henry, « à la veille de l'intervention de la loi n° 75-1280 du 30 décembre 1975, qui abaisse à soixante-huit ans pour certains et soixante-cinq ans en principe l'âge limite des fonctionnaires, les différenciations existantes correspondaient moins à des nécessités propres aux emplois occupés qu'à des situations anciennes, datant de l'effort de reconstruction du pays et marquées par les besoins d'une période de croissance économique » (Commentaires des lois n° 84-833 du 13 septembre 1984 relative à la limite d'âge. des magistrats hors hiérarchie de la Cour de cassation, et n° 84-834 du 13 septembre 1984 relative à la limite d'âge dans la fonction publique et le secteur public, RFDA, 1985, p. 98). Il faut attendre la loi du 13 septembre 1984 qui abaisse à soixante-cinq ans la limite d'âge de tous les fonctionnaires. Cet abaissement avait déjà été préconisé dès 1975 par le gouvernement qui s'étant heurté à de puissants intérêts, avait dû finalement accepter un compromis avec la commission des Lois de l'Assemblée nationale.
La loi de 1984 ne fait d'ailleurs que suivre un mouvement amorcé par plusieurs Etats européens. En effet, avant même 1984, la limite d'âge des hauts fonctionnaires y était déjà fixée à soixante-cinq ans pour la plupart d'entre eux et même à soixante ans au Royaume-Uni. La proposition de loi actuelle poursuit cet objectif d'abaissement de la limite d'âge des fonctionnaires et agents publics pour leur mise en retraite. A l'heure actuelle, il est possible de remarquer que la grande majorité des Etats de l'Union européenne ont opté pour une limite d'âge de soixante-cinq ans, comme le montre le tableau suivant :

Etat européen

Limite d'âge

Etat européen

Limite d'âge

Allemagne

65 (ou 60 ans pour certaines catégories)

Irlande

65 (5 années de service requis)

Belgique

65 (20 années de service requis)

Italie

65 (20 années de service requis)

Danemark

67 (possible 70)

Luxembourg

65 (10 années de service requis)

Espagne

65 (9 ans de service)

Pays-Bas

65

France

65

Portugal

70 (5 années de service requis)

Grèce

65 (15 années de service requis)

Royaume-Uni

60

La proposition de loi présentée ci-dessous s'inscrit dans un mouvement de diminution de la limite d'âge des fonctionnaires et permet à la France de rejoindre le Royaume-Uni qui a depuis longtemps fixé cette dernière à soixante ans.
Conscient que certains fonctionnaires peuvent ne pas avoir à soixante ans le nombre d'annuités nécessaires pour l'obtention d'une pension de retraite à taux plein (fixé aujourd'hui à trente sept annuités et demie), il est proposé de permettre leur maintien en fonction jusqu'à atteindra ce seuil plafond. En contrepartie, la réforme visée par la proposition de loi vise à abroger le dispositif de maintien en surnombre pour certains hauts fonctionnaires et magistrats,

II. - L'abrogation du dispositif de maintien en surnombre pour certains hauts fonctionnaires et magistrats

Afin d'éviter des départs massifs contraires à l'intérêt du service, la législation ultérieure a ouvert à certains hauts fonctionnaires dont la limite a été ramenée à soixante-cinq ans par la loi du 13 septembre 1984 le droit d'être maintenus en activité en surnombre jusqu'à soixante-huit ans, Or, comme l'avait souligné M. Sapin, lors de l'examen en commission de la proposition de loi et de la proposition de loi organique visant à instaurer cette dérogation au principe de la limite d'âge, le maintien en surnombre était plus une revendication corporatiste qu'une solution au problème de l'encombrement du Conseil d'Etat, de la Cour de cassation et de la Cour des comptes. De plus, la raison tirée de l'encombrement des juridictions se justifie difficilement pour les hauts fonctionnaires appartenant aux corps d'inspection. Il avait également observé que ces règles particulières instituées en matière de retraite risquaient de méconnaître le principe d'égalité devant la loi.
Le dispositif du maintien en surnombre rend même incohérent l'économie globale du dispositif mis en place par la loi de 1984, dans la mesure où il retarde le renouvellement des effectifs et maintient une certaine « gérontocratie ».
C'est pour l'ensemble de ces motifs que la limite d'âge dans la fonction publique et le secteur public est abaissée à soixante ans et le dispositif de maintien en surnombre pour certains hauts fonctionnaires supprimé par la présente proposition de loi.
L'article 1er réforme l'article 1er de la loi n° 84-834 du 13 septembre 1984 en fixant la limite d'âge des fonctionnaires civils de l'Etat et celle du vice-président du Conseil d'Etat, du premier président et du procureur général de la Cour des comptes à soixante ans. Il réforme également l'article 7 de la loi n° 84-834 du 13 septembre 1984 en fixant la limite d'âge à soixante ans pour certains agents publics appartenant au secteur public de l'Etat. La dérogation à la limite d'âge prévue par l'ancienne législation pour certains fonctionnaires et magistrats étant supprimée, il on résulte que le dernier alinéa de l'article 7 ne présente plus aucun intérêt.
Le présent article réserve en outre la possibilité pour les fonctionnaires n'ayant pas à l'âge de soixante ans le nombre d'annuités liquidables pour l'obtention d'une pension à taux plein, de rester en fonction jusqu'à l'obtention de ce nombre fixé dans l'état actuel de la législation à trente-sept annuités et demie.
Il modifie les limites d'âge fixées à titre transitoire pour les fonctionnaires civils de l'Etat par l'article 2 de la loi n° 84-834 du 13 septembre 1984.
Il réforme l'article L. 952-10 du code de l'éducation en fixant la limite d'âge des professeurs de l'enseignement supérieur, des personnels enseignants relevant du ministre chargé de l'Enseignement supérieur des directeurs de recherche des établissements publics à caractère scientifique et technologique et des personnels titulaires de l'enseignement supérieur assimilés aux professeurs d'université à soixante ans et abaisse la limite d'âge des professeurs au Collège de France à soixante-cinq ans.
Le présent article réserve en outre la possibilité pour les professeurs de l'enseignement supérieur, les personnels enseignants relevant du ministre chargé de l'Enseignement supérieur, les directeurs de recherche des établissements publics à caractère scientifique et technologique et les personnels titulaires de l'enseignement supérieur assimilés aux professeurs d'université n'ayant pas à l'âge de soixante ans le nombre d'annuités liquidables pour l'obtention d'une pension à taux plein, de rester en fonction jusqu'à l'obtention de ce nombre fixé dans l'état actuel de la législation à trente-sept annuités et demie.
Il modifie les limites d'âge fixées à titre transitoire pour leu professeurs de l'enseignement supérieur, des directeurs de recherche des établissements publics à caractère scientifique et technologique et des personnels titulaires de l'enseignement supérieur assimilés aux professeurs d'université par l'article 5 de la loi n° 84-834 du 13 septembre 1984.
L'article 2 abroge les dispositions de la loi n° 86-1304 du 23 décembre 1986.

PROPOSITION DE LOI
Article 1er

I. - L'article 1er de la loi n° 84-834 du 13 septembre 1984 relative à la limite d'âge dans la fonction publique et le secteur public est ainsi rédigé :
« Sous réserve des reculs de limite d'âge pouvant résulter des textes applicables à ressemble des agents de l'Etat, la limite d'âge des fonctionnaires civils de l'Etat ainsi que du vice-président du Conseil d'Etat, du premier président et du procureur général de la Cour des comptes est fixée à soixante ans lorsqu'elle était, avant l'intervention de la présente loi, fixée à un âge supérieur ».
II. - L'article 2 de la loi du 13 septembre 1984 précitée est ainsi rédigé :
« A titre transitoire, la limite d'âge des personnels visés à l'article 1er ci-dessus est fixée à :
« - soixante-cinq ans jusqu'au 31 décembre 2001;
« - soixante-quatre ans du 1er janvier au 31 décembre 2002;
« - soixante-trois ans du 1er janvier au 31 décembre 2003;
« - soixante-deux ans du 1er janvier au 31 décembre 2004;
« - soixante et un ans du 1er janvier au 31 décembre 2005. »
III. - L'article 3 de la loi du 13 septembre 1984 précitée, abrogé par l'ordonnance n° 2000-549 du 15 juin 2000, est ainsi rétabli :
« Art. 3. - Il est inséré dans le code de l'éducation un article L. 952-10 ainsi rédigé :
« Sous réserve des reculs de limite d'âge pouvant résulter des textes applicables à l'ensemble des agents de l'Etat, la limite d'âge des professeurs de l'enseignement supérieur, des directeurs de recherche des établissements publics à caractères scientifique et technologique relevant de la loi n° 82-610 du 15 juillet 1982 d'orientation et de programmation pour la recherche et le développement technologique de la France et des personnels titulaires de l'enseignement supérieur assimilés aux professeurs d'université pour les élections à l'instance nationale mentionnée à l'article L. 952-6 est fixée à soixante ans. Toutefois, la limite d'âge des professeurs au Collège de France reste fixée à soixante-cinq ans.
« Lorsqu'ils atteignent la limite d'âge, les professeurs de l'enseignement supérieur et les personnels titulaires de l'enseignement supérieur assimilés aux professeurs d'université pour les élections à l'instance nationale mentionnée à l'article L. 952-6 sont sur leur demande, maintenus en activité, en surnombre, jusqu'au 31 août suivant la date à laquelle ils atteignent l'âge de soixante ans.
« Par dérogation à l'alinéa précédent, les professeurs de l'enseignement supérieur et les personnels titulaires de l'enseignement supérieur assimilés aux professeurs d'université pour les élections à l'instance nationale mentionnée à l'article L. 952-6 sont maintenus en activité sur leur demande et peuvent rester en fonction jusqu'à atteindre la limite des trente-sept annuités et demie nécessaires à l'obtention d'une retraite à taux plein. »
IV. - L'article 5 de la loi du 13 septembre 1984 précitée est ainsi rédigé :
« A titre transitoire, la limite d'âge des professeurs de l'enseignement supérieur, des directeurs de recherche et des personnels assimilés visés à l'article 3 ci-dessus est fixée à :
« - soixante-cinq ans jusqu'au 31 décembre 2001;
« - soixante-quatre ans du 1er janvier au 31 décembre 2002;
« - soixante-trois ans du 1er janvier au 31 décembre 2003;
« - soixante-deux ans du 1er janvier au 31 décembre 2004;
« - soixante et un ans du 1er janvier au 31 décembre 2005. »
V. - L'article 7 de la loi du 13 septembre 1984 précitée est ainsi rédigé :
« Nonobstant toute disposition contraire, est fixée à soixante ans la limite d'âge des présidents de conseil d'administration, directeurs généraux, directeurs ou membres de directoire des sociétés, entreprises et établissements du secteur publie visés à l'article 1er de la loi n° 83-675 du 26 juillet 1983 relative à la démocratisation du secteur public, même si le nombre de leurs salariés est inférieur à 200.
« La même limite d'âge s'applique dans les établissements publics de l'Etat, quelle que soit leur nature, et dans les autres sociétés dans lesquelles l'Etat, les collectivités ou personnes publiques ou la Caisse des dépôts et consignations, ou les personnes morales visées au premier alinéa ci-dessus détiennent ensemble plus de la moitié du capital et dans lesquelles les nominations aux fonctions, énoncées au premier alinéa sont prononcées, approuvées ou agrées par décret. Cette limite est également applicable dans les sociétés d'économie mixte qui sont concessionnaires d'autoroutes en vertu de l'article 4 de la loi n° 55-435 du 18 avril 1955 portant statut des autoroutes et dans lesquelles l'Etat détient directement ou indirectement plus de la moitié du capital social.
« La limite d'âge de soixante ans s'applique à la date de l'expiration d'un délai de deux mois à compter de la publication de la présente loi aux présidents de conseil d'administration, aux directeurs généraux, directeurs et membres de directoire en fonction dans les sociétés, entreprises et établissements mentionnés aux deux alinéas précédents.
« Les dispositions des précédents alinéas prendront effet en ce qui concerne les présidents des conseils d'administration de la Caisse nationale des allocations familiales, de la Caisse nationale d'assurance maladie et de la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés, lors du premier renouvellement de ces conseils effectué en application de la loi n° 82-1061 du 17 décembre 1982 relative à la composition des conseils d'administration des organismes du régime général de la sécurité sociale.
« Par dérogation aux alinéas précédents, les personnels mentionnés ci-dessus n'ayant pas à l'âge de soixante ans acquis le nombre d'annuités liquidables pour l'obtention d'une pension à taux plein, peuvent rester en fonction jusqu'à atteindre le seuil maximal fixé, en l'état actuel de la législation, à trente-sept annuités et demie. »

Article 2

La loi n° 86-1304 du 23 décembre 1986 relative à la limite d'âge et aux modalités de recrutement de certains fonctionnaires civils d'Etat est abrogée.

Article 3

Les charges qui incomberaient à l'Etat et aux régimes sociaux sont compensés, à due concurrence, par une augmentation des tarifs visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts, et par la création d'une taxe additionnelle à ces mêmes tarifs.

214 - Proposition de loi de M. Jean MICHEL : abaissement de la limite d'âge dans la fonction publique et le secteur public


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