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No 526
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DOUZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 15 janvier 2003.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d'une commission d'enquête concernant les pratiques frauduleuses dans l'attribution des pensions d'invalidité et les dysfonctionnements du Service de santé des armées.

(Renvoyée à la commission de la défense nationale et des forces armées, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles30 et 31 du Règlement.)
PRÉSENTÉE
par M. Dominique PAILLÉ,
Député.

Défense.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,
Depuis 1995, de nombreux médias se sont faits l'écho de dérives qui ont cours au ministère de la Défense, concernant plusieurs services. Ces affaires reposent sur des emplois fictifs, des fausses factures, des devis gonflés... La justice a été saisie et des enquêtes ont été ouvertes. Certaines sont toujours en cours d'instruction. Des services ont fait l'objet d'une réforme.
En ce qui concerne le seul Service de santé des armées, il a été relevé à son encontre un véritable trafic, impliquant civils et militaires. Les malversations dont ces derniers sont accusés ont pour visée l'attribution de pensions d'invalidité pour accident du travail, des congés statutaires et des retraites anticipées pour invalidité.
Ainsi, il a été découvert des pratiques illégales dans certains établissements militaires. Lesdites pensions étaient fondées sur des certificats médicaux de complaisance ou auraient été accordées en échange de faveurs financées sur des fonds publics, ou encore en échange de la réalisation de travaux somptuaires effectués par du personnel civil avec du matériel financé par l'Etat.
Au vu des témoignages qui lui ont été rapportés, Alain Juppé, alors Premier ministre, a reconnu que la «lutte sera difficile mais nécessaire». Le ministère de la Défense a reconnu ces pratiques douteuses qui concerneraient, selon lui, le seul hôpital d'instruction des armées (HIA) Laveran à Marseille. Le Ministère a commandé une enquête administrative interne et a pris l'initiative de dénoncer ces faits à l'autorité judiciaire. La cour de discipline budgétaire et financière a également été saisie de cette affaire, mais a décidé de la classer au vu notamment de la saisine du juge pénal.
Au vu des conclusions de l'enquête administrative alors menée, le médecin-chef de l'HIA Laveran déposait plainte le 21 mars 1996 auprès de la gendarmerie pour détournements.
Le 18 juillet 1996, à la clôture de l'enquête préliminaire, le procureur de la République de Marseille saisissait le ministre de la Défense pour avis. Un avis favorable à l'ouverture d'une information judiciaire a été émis le 19 août 1996. Le 10 septembre 1996, le parquet de Marseille portait à la connaissance du ministère de la Défense l'ouverture de deux informations.
L'une pour trafic d'influence, corruption active et passive, l'autre pour dissipation, détournement de deniers, effets et autres objets par un militaire, destruction de biens publics par une personne chargée d'une mission de service public, détournement de biens dans un dépôt public, abus de confiance, vols, faux et usage de faux.
La première procédure est toujours en cours et aucune mise en examen n'a été prononcée. La seconde a été clôturée par une ordonnance de non-lieu en date du 30 novembre 1999, au motif que les faits étaient couverts par la prescription, cause d'extinction de l'action publique. En ce qui concerne le préjudice de l'Etat, celui-ci ne pourra être déterminé avec précision qu'à partir du moment où les investigations judiciaires en cours auront permis d'établir la matérialité des faits. (Réponse à la question écrite de Dominique Paillé - N° 68757 - JO AN du 11 février 2002 - Page 715.)
Néanmoins, force est de constater qu'aucune sanction n'a été prise et que des centaines de documents ont disparu. Pour avoir dénoncé ces pratiques frauduleuses, des médecins militaires, des officiers et des gendarmes ont fait l'objet de sanctions ou de mutations. Certaines ont été annulées par la justice administrative.
Ces pratiques douteuses ont également justifié, en juillet 2000, le dépôt d'une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête parlementaire (n° 2548) afin de faire toute la lumière sur les conditions d'attribution de ces pensions et rechercher s'il existait des faits similaires sur l'ensemble du territoire.
Cette demande a été rejetée par la commission compétente de l'Assemblée nationale au motif que si l'existence d'erreurs ponctuelles n'est pas contestable, les procédures d'appel médical et les voies de recours contentieuses sont suffisantes.
Après analyse, il apparaît aujourd'hui que ce motif de rejet ne correspond pas à l'objet de la commission qui visait à dénoncer et à mettre fin à certaines pratiques frauduleuses avérées.
En effet, il est peu vraisemblable que les bénéficiaires de pensions qui se sont vus ouvrir des droits à tort aillent saisir les instances d'appel. Or, le préjudice pour la sécurité sociale et pour l'administration fiscale est immense. Il en est de même pour les compagnies d'assurance qui ont été spoliées parce qu'elles ont été trompées dans la prise en charge non fondée de remboursements de crédits.
Enfin, cette situation est préjudiciable pour les victimes réelles qui rencontrent des difficultés pour faire valoir leurs droits. Et toute fraude a malheureusement des conséquences négatives sur les comptes de la Nation.
En l'espèce, la perte, à la connaissance des seuls premiers témoignages, a pu être évaluée entre 12 et 15 millions d'euros, voire plus. Ces chiffres comprennent tant l'attribution à tort des pensions, que la non-perception des recettes fiscales ou des cotisations pour la sécurité sociale.
La presse s'est largement faite l'écho de ces dysfonctionnements : Le Canard Enchaîné du 27 juin 2001, Le Point du 13 juillet 2001, Le Populaire du Centre du 19 juillet, La Provence du 1er octobre, L'Express du 28 mars 2002...
Outre la dilapidation et le détournement des deniers publics, c'est tout le fonctionnement du Service de santé des armées qui est mis en cause. Le rapport (n° 335) déposé en octobre 2002 par notre collègue Christian Ménard, député du Finistère, propose une réforme du Service de santé sans revenir sur ces pratiques frauduleuses. Ce rapport n'est qu'un premier pas dans ce labyrinthe où règnent opacité et intrigues.
Pour s'en convaincre, il suffit de prendre deux exemples :
A titre individuel, l'histoire de M. Christophe Adam, rapportée notamment par le journal Sud Ouest dans son édition du 16 novembre 2002, est suffisante. Il ressort des faits la dénonciation d'une incompétence organisée, des intrigues et un harcèlement moral qui l'ont conduit à la démission après avoir été poursuivi pour désertion. Or, il n'est pas le seul dans cette situation. Aujourd'hui, refusant le silence, il a déposé un recours auprès de la Cour européenne des droits de l'homme.
D'une manière générale, la publication récente du livre Service de santé des armées : la face cachée (Édition L'Harmattan) met en exergue un système de corruption dépassant très largement les pratiques du seul hôpital de Marseille. Cet ouvrage renforce la nécessité, pour la représentation nationale, d'exercer pleinement son droit de contrôle sur les dysfonctionnements du Service de santé des armées et d'aller plus loin que le rapport de notre collègue Christian Ménard.
Enfin, il convient de s'interroger pour savoir les raisons pour lesquelles il manquerait 304 praticiens sur 2 429 au sein du Service de santé des armées.
Une réforme s'impose, visant à une restructuration d'une partie des hôpitaux militaires, à concentrer les effectifs sur les terrains de conflit et à ériger une instance de contrôle qui ne soit pas entre les seules mains des médecins militaires, qui sont à la fois juge et partie. Il est de notre devoir de mettre fin à cet Etat dans l'Etat.
C'est pourquoi il vous est proposé de procéder, d'une part, à la création d'une commission d'enquête parlementaire afin d'établir une transparence totale sur les faits mis en lumière, et d'ouvrir, d'autre part, une enquête sur le fonctionnement du Service de santé des armées et proposer une réforme profonde de ce dernier.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
Article unique
Il est créé, dans les conditions prévues aux articles 140 et suivants du Règlement de l'Assemblée nationale, une commission d'enquête de trente membres chargée de faire la transparence sur les conditions d'octroi des pensions d'invalidité pour accident du travail, des congés statutaires et des retraites anticipées pour invalidité par le Service de santé des armées, d'évaluer les dysfonctionnements de ce service et proposer une réforme profonde de ce dernier.

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N° 0526 - Proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête concernant les pratiques frauduleuses dans l'attribution des pensions d'invalidité et les dysfonctionnements du Service de santé des armées (M. Dominique Paillé)


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