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mis en distribution

le 13 octobre 2003

No 799

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 10 avril 2003.

PROPOSITION DE LOI

modifiant l'article L. 1511-6 du code général des collectivités territoriales afin d'autoriser les collectivités territoriales à devenir opératrices en Internet à haut débit.

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles_30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE

par M. Nicolas PERRUCHOT,

Député.

Télécommunications.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La desserte des collectivités territoriales par l'ensemble des technologies de la communication - téléphonie mobile et Internet à haut débit - constitue la clé de leur développement économique et social, au même titre que l'ensemble des infrastructures de transport. L'actuel gouvernement en est bien conscient et a lancé en décembre 2002 un plan d'achèvement de la couverture du territoire en téléphonie mobile pour la fin de 2004. Mais force est de constater qu'une partie notable des collectivités locales n'est toujours pas raccordée au réseau d'Internet à haut débit, pour des raisons tenant à la rentabilité des investissements. Si la plupart des grandes agglomérations sont bien desservies, nombre de petites villes et de communes rurales ne bénéficient pas de cette technologie. Cette dernière est pourtant essentielle pour leur attractivité économique.

Il en résulte une véritable «_fracture numérique_» mise en lumière par le rapport (n° 443) de la délégation de l'Assemblée nationale à l'aménagement du territoire. L'Internet est en effet une industrie qui structure les territoires, en les mettant en réseau, et influe sur leur dynamisme. La desserte du territoire relève théoriquement des entreprises prestataires de services qui, à l'exception de Wanadoo, filiale de France Télécom, sont toutes des opérateurs privés.

Si l'équipement du territoire souffre de retards, c'est en raison de la crise profonde que traverse le marché des télécommunications. L'éclatement de la bulle spéculative a révélé de nombreuses erreurs stratégiques, dont la plus notable a été la surestimation de la demande. Celle-ci s'est limitée aux usages basiques du téléphone portable, provoquant l'échec de l'UMTS avant même que cette technologie dispose des infrastructures nécessaires à sa diffusion. Dans le domaine d'intérêt, nombre de sociétés se sont effondrées parce qu'elles ne proposaient aucun produit correspondant à une demande réelle.

La situation a été aggravée par les prélèvements des Etats pour l'octroi des licences de téléphonie mobile. Les Etats européens ont perçu au total 129 milliards d'euros sur leurs opérateurs pour une technologie mort-née. De ce contexte de crise résulte un constat très simple : les opérateurs, dont la plupart travaillent à la fois dans les secteurs de la téléphonie mobile et d'Internet, ne souhaitent pas investir dans de nouvelles infrastructures dans des zones non rentables, même lorsqu'ils en ont la capacité. Il est donc impossible de compter sur le marché pour achever la couverture de notre territoire en réseau Internet à haut débit.

L'Etat n'échappe pas non plus à un constat de carence. A sa décharge, il était difficile de prévoir la diffusion rapide des technologies de l'information. Il était tentant, dans un contexte budgétaire de rigueur, de s'en remettre au marché pour l'équipement du territoire. L'Etat a donc essentiellement agi sur la législation, conformément à ses obligations communautaires, et a institué l'Autorité de régulation des télécommunications chargée de quatre missions : l'ouverture du marché à la concurrence au bénéfice des consommateurs, la mise en œuvre des règles du service universel, le développement de l'innovation, de l'emploi et de l'investissement et enfin, l'équipement des territoires.

Le constat de relative carence de l'Etat et des opérateurs privés place les collectivités locales en première ligne. Il leur revient en effet d'assurer l'attractivité économique de leur territoire et de fournir divers services administratifs, sociaux ou culturels à leurs administrés. Or, si l'article 22 de la loi n° 96-659 du 26 juillet 1996 de réglementation des télécommunications proclame le principe de libre établissement et d'exploitation de réseaux de télécommunications, les dispositions traditionnelles de notre droit n'en demeurent pas moins applicables, notamment l'interdiction faite aux collectivités locales de créer des services industriels ou commerciaux (Conseil d'Etat, chambre syndicale du commerce en gros de Nevers, 30 mai 1930), sauf en cas de carence de l'initiative privée ou si un intérêt public justifie cette intervention. Les collectivités locales se sont contentées, en 1996, de mettre à la disposition des opérateurs, sans base juridique spécifique, une infrastructure inerte (réseaux dits de fibres noires) qui n'était raccordée à aucun équipement de commutation. Il appartenait au concessionnaire ou au gestionnaire du réseau (France Télécom ou tout autre opérateur privé) d'installer lesdits équipements par lesquels s'effectuent les transmissions. Mais une série de litiges est survenue avec France Télécom lorsque certaines collectivités locales ont fourni des services aux entreprises et aux particuliers. La plupart des collectivités locales ont été condamnées par les tribunaux administratifs.

La loi n° 99-533 du 25 juin 1999 a donc inséré dans le code général des collectivités territoriales un article L. 1511-6 pour donner une base légale à l'intervention des collectivités locales. Cette intervention était limitée au seul cas de carence du marché, le législateur ayant choisi de ne pas s'écarter du principe de non-interventionnisme économique des collectivités locales. Le dispositif était en outre relativement restrictif puisqu'il imposait d'inclure dans le tarif de location des infrastructures un amortissement sur huit ans de leur coût d'installation. De ce fait, les tarifs proposés aux opérateurs étaient très élevés et dissuadaient les collectivités locales de s'engager dans des investissements qu'elles n'étaient pas assurées de rentabiliser.

La loi n° 2001-624 du 17 juillet 2001 a modifié l'article_L. 1511-6 du code général des collectivités territoriales. Le dispositif autorise désormais les collectivités locales à créer des infrastructures destinées à supporter des réseaux de télécommunications, aussi bien pour des opérateurs que pour des utilisateurs. Le troisième alinéa de l'article L. 1511-6 précité encadre par ailleurs les conditions de mise à disposition desdites infrastructures :

«_Les infrastructures (...) peuvent être mises à la disposition d'opérateurs ou d'utilisateurs par voie conventionnelle, dans des conditions objectives, transparentes et non discriminatoires et à des tarifs assurant la couverture des coûts correspondants, déduction faite des subventions publiques qui, dans certaines zones géographiques, peuvent être consenties selon des modalités fixées par décret en Conseil d'Etat. La mise à disposition d'infrastructures par les collectivités ou établissements publics ne doit pas porter atteinte aux droits de passage dont bénéficient les opérateurs de télécommunications autorisés._»

La législation, en son état actuel, assure la protection des intérêts des opérateurs mais ne répond nullement aux exigences d'aménagement du territoire. Les opérateurs se concentrent en effet sur les grandes zones urbaines. A moins d'un abondement budgétaire massif de l'Etat, le seul moyen de porter la technologie d'Internet sur l'ensemble du territoire est d'autoriser les collectivités locales à être opératrices, à l'image de ce qui existe dans certains pays comme l'Espagne, l'Italie ou la Suède.

Certes, le risque financier est indéniable car l'exploitation d'un système est un véritable métier qui nécessite l'injection constante de capitaux, tant pour le démarrage du réseau que pour son alimentation en données et services. La situation actuelle ne peut pourtant perdurer. Les collectivités locales les moins peuplées n'ont actuellement que deux alternatives : soit admettre de ne jamais recevoir le bas comme le haut débit, ce qui les condamne à terme au déclin économique, soit construire à leurs frais des infrastructures passives sur lesquelles s'installera un unique opérateur. Cela équivaut à subventionner la venue de cet opérateur.

Admettre que les collectivités locales puissent être opératrices permettrait de répondre à la demande des entreprises et surtout, renverserait la logique qui prévaut actuellement, à savoir attendre de l'Etat les subventions. En étant opératrices, les collectivités locales deviendraient le point de départ des réseaux en les adaptant à leurs objectifs économiques et sociaux et à leurs contraintes financières. La couverture du territoire pourrait ainsi être plus rapide.

Il vous est donc proposé, pour l'ensemble de ces raisons, de modifier l'article L.1511-6 du code général des collectivités territoriales.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

Le début du deuxième alinéa de l'article L.1511-6 du code général des collectivités territoriales est ainsi rédigé :

«_Ces collectivités et établissements peuvent exercer..._(le reste sans changement).

Article 2

Après le mot : «_infrastructures_», la fin du dernier alinéa de l'article L.1511-6 précité est ainsi rédigée : «..._ainsi qu'à l'activité d'opérateur mentionnées au premier et au deuxième alinéas sont retracées au sein d'une comptabilité distincte_».

Article 3

Les dépenses résultant de l'application de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par la majoration des taxes prévues aux articles L. 2333-2 et L. 3333-2 du code général des collectivités territoriales.

 

N° 0799 - Proposition de loi : collectivités locales - opératrices internet à haut débit. (M. Nicolas Perruchot)

Imprimé pour l'Assemblée nationale par Jouve

11, bd de Sébastopol, 75001 Paris


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