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N° 977

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 25 juin 2003.

PROPOSITION DE LOI

tendant à la pérennité et à la transparence du financement
de la
vie syndicale.

(Renvoyée à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales,
à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus
par les articles 30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE

par MM. Yves NICOLIN, Jean-Louis BERNARD, Marc BERNIER, Jean-Michel BERTRAND, Claude BIRRAUX, LoÏc BOUVARD, Dominique CAILLAUD, Roland CHASSAIN, Philippe COCHET, Georges COLOMBIER, Jean-Michel COUVE, Patrick DELNATTE, LÉonce DEPREZ, Dominique DORD, Marc FRANCINA, Alain FERRY, Jean-Pierre GORGES, François GROSDIDIER, Emmanuel HAMELIN, Laurent HÉNART, Jean-Yves HUGON, Edouard JACQUE, Mme Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET, MM. Patrick LABAUNE, Daniel MACH, Damien MESLOT, Thierry MARIANI, HervÉ MARITON, Alain MARLEIX, Dominique PAILLE, Jacques PÉLISSARD, Christophe PRIOU, Jacques REMILLER, FrÉdÉric SOULIER, Philippe VITEL et Michel VOISIN

Addition de signature :
M. Jean-Marc Roubaud
 

Députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Nos concitoyens ont un droit essentiel à la transparence du financement de la vie syndicale. Parallèlement, les organisations syndicales doivent pouvoir bénéficier d'un cadre législatif clair et cohérent. Ayons le courage d'affirmer qu'à l'instar de la démocratie politique, la démocratie sociale a un coût. D'où la nécessité de mettre en place un financement public comparable à celui instauré en 1995 pour la vie politique, basé sur leur influence et mesurée par les élections et leur nombre d'adhérents.

La présente proposition entend instaurer un financement public des syndicats par l'Etat et les personnes physiques, sur le modèle du financement des partis politiques.

En effet, « Tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l'action syndicale. » Que reste-t-il de cette proclamation du Préambule de 1946 repris par notre Constitution, à l'heure où seuls 8 % des salariés français adhèrent à une organisation syndicale, contre 20 % il y a vingt ans ?

Défenseur des intérêts matériels et moraux de leurs membres, partenaires obligatoires dans les négociations avec le patronat et les pouvoirs publics, siégeant dans les instances de représentations élues du personnel, les syndicats participent non seulement à la régulation de la vie sociale mais aussi à la vie politique de notre pays.

Les syndicats sont donc des rouages indispensables au bon fonctionnement de la démocratie. Ce que le législateur a fait pour le financement de la vie politique, il doit le faire pour la vie syndicale. Ceci est d'autant plus nécessaire qu'avec la baisse constante des effectifs, notamment dans le secteur privé, les seules cotisations ne sauraient suffire aux organisations syndicales pour exercer leurs missions. Des ressources externes viennent donc à leur secours.

1° L'origine des ressources externes

Aujourd'hui, elles sont constituées en premier lieu des subventions du Ministère du travail, des affaires sociales et de la solidarité, pour financer des actions de formation des militants et responsables syndicaux, les salariés mandatés ou les conseillers prud'homaux. Chaque syndicat reçoit une enveloppe forfaitaire, à raison de 2 parts pour la CGT, FO et la CFDT, une part pour la CGC et la CFDT, des sommes plus modestes pour la FSU et l'UNSA. L'ensemble représentait ainsi en 2000, 32,47 millions d'euros (213 millions de francs).

Les syndicats perçoivent ensuite des subsides pour leur participation à une multitude d'instances remplissant des missions d'intérêt général (organismes paritaires, comités divers...) sous la forme de remboursements de frais, de mises à disposition de salariés essentiellement issus du secteur public (qu'en d'autres circonstances on dénommerait abus de bien social).

Enfin, les syndicats perçoivent des subventions des Collectivités territoriales, que cependant aucune disposition légale ne prévoit. La jurisprudence administrative les a autorisées à la condition qu'elles présentent un intérêt pour la collectivité territoriale, sur le fondement de l'art. 2121-29 du Code général des collectivités territoriales selon lequel le Conseil municipal règle par ses délibérations, les affaires de la commune. L'analyse vaut également pour les départements et les régions. (CE, 5/12/1941, Rousteau, Lebon, p. 204). Le juge contrôle donc au cas par cas, la présence ou non de l'intérêt communal (départemental ou régional) qui peut motiver de telles subventions aux unions locales syndicales.

2° L'opacité des ressources externes

Ce financement externe de la vie syndicale présente toutefois une grande opacité.

En 1990, un premier rapport de la Cour des comptes faisant suite à un contrôle de la CNAM a soulevé l'ambiguïté des rapports de cet organisme avec l'organisation syndicale cogestionnaire. En septembre 1999, la Cour des comptes a de nouveau dénoncé certaines pratiques de mise à disposition d'agents publics auprès de différentes organisations syndicales. Celles-ci auraient ainsi perçu plus de 180 millions de francs de 1991 à 1994. En janvier 2000, un rapport de l'Inspection Générale des Affaires Sociales daté de septembre 1999, s'est penché sur la gestion de la Caisse de retraite interentreprises (CRI), l'un des plus importants groupes de retraite complémentaire des salariés (ARRCO). Cette enquête effectuée entre février et mai 1999 à mis en lumière « tout un système de financement direct ou indirect des syndicats » et une « gestion opaque » de la caisse de retraite complémentaire : spéculation avec l'argent des retraites, gras salaires et notes de frais mirobolantes pour les dirigeants du groupe, achat de chevaux de concours hippique, gestion de la retraite apparaissant comme une « préoccupation secondaire », contrôle quasi inexistant de l'ARRCO sur l'utilisation des fonds. Selon ce rapport, le CRI aurait versé entre 1995 et 1999, 34,3 millions de francs aux syndicats, en salaires pour certains permanents, présentés dans les comptes comme des
« délégués extérieurs » ou en « convention d'assistance technique » prévoyant des honoraires et des remboursements de frais.

3° La nécessité d'une réforme pour un financement sûr et transparent de la vie syndicale

A 1a suite de ces rapports, diverses propositions de réforme ont été avancées pour rendre le financement des syndicats plus transparent et plus équitable. La CFE-CGC a ainsi proposé qu'aux trois rôles du syndicalisme : revendication, gestion paritaire, participation à la vie économique et au fonctionnement de la démocratie sociale, correspondent trois modes différents financement : cotisation des adhérents, conventions de financement, financement public. Judicieuse mais compliquée à mettre en œuvre, elle n'a pour l'heure pas abouti.

Ce financement public tiendrait compte de critères objectifs que sont les critères de représentativité, c'est-à-dire qu'il sera fonction des résultats obtenus par chaque organisation aux élections des conseillers prud'homaux ou des conseils paritaires de la fonction publique (d'Etat, territoriale et hospitalière).

Une fraction supplémentaire sera attribuée à tout syndicat qui ne bénéficie pas de cette représentativité, à condition qu'il ait perçu des dons de la part d'au moins 10 000 personnes physiques dûment identifiées pour un montant fixé par décret et toujours avec la déductibilité fiscale. Le dons des personnes privées seront eux-mêmes rendus transparents par l'instauration d'un mandataire financier désigné et fonctionnant de manière identique à celui instauré pour le financement politique.

Enfin, la compétence de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques sera élargie à la vérification de la comptabilité des syndicats et au contrôle de leurs associations de financement.

Le système qui est proposé est de nature à garantir, à la fois l'avenir des organisations syndicales, leur indépendance et la saine gestion de notre système social, qui cesserait d'être un enjeu de pouvoir.

Telles sont les raisons pour lesquelles je vous demande, Mesdames et Messieurs, de bien vouloir l'adopter.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

Le titre Ier du livre IV du code du travail est complété par un chapitre IV intitulé :
« Financement des syndicats » et comprenant quatre sections et neuf articles L. 414 à L. 414-8 ainsi rédigés :

Section 1

Financement public

« Art. L. 414. - Il est instauré un financement public des syndicats professionnels par l'Etat exclusivement, dans les conditions prévues au présent article. Des crédits sont inscrits chaque année dans la loi de finances pour être affectés à ce financement.

« Leur montant est divisé en trois fractions :

« a) Une première fraction est destinée au financement des organisations syndicales qui, lors des élections prud'homales, ont présenté des listes aux élections professionnelles, dans au moins vingt-cinq conseils. La répartition de l'aide ainsi allouée est effectuée proportionnellement au nombre de suffrages obtenus.

« b) La deuxième fraction de ces crédits est attribuée aux organisations syndicales qui ont obtenu des sièges de titulaires et de suppléants au Conseil supérieur de la fonction publique de l'Etat, au Conseil supérieur de la fonction pub1ique territoriale et au Conseil supérieur de la fonction publique hospitalière. La répartition de l'aide ainsi allouée est effectuée proportionnellement au nombre de sièges obtenus par chacun des syndicats professionnels concernés.

« c) La troisième fraction de ces crédits est attribuée à tout syndicat qui ne bénéficie pas des dispositions précédentes et à condition qu'il ait perçu par l'intermédiaire d'un ou plusieurs mandataires et selon les formalités prévues à l'article L. 414-5 du présent code, des dons de la part d'au moins 1 000 personnes physiques dûment identifiées pour un montant fixé par décret.

« Un décret en Conseil d'Etat précise la répartition des crédits entre ces trois fractions.

« Art. L. 414-1. - Le montant des aides attribuées à chaque syndicat en application de 1'article L. 414 du présent code est retracé dans un rapport annexé au projet de loi de finances de l'année.

« Les dispositions relatives au contrôle financier de la loi du 10 août 1992 relative à l'organisation du contrôle des dépenses engagées ne sont pas applicables à la gestion des crédits visés à l'article L. 414 du présent code.

« Les syndicats bénéficiaires des dispositions de l'article L. 414 ne sont pas soumis au contrôle de la cour des comptes. Les dispositions du décret du 30 octobre 1935 relatif au contrôle des associations, œuvres et entreprises privées subventionnées ne leur sont pas applicables. »

Section 2

Dons des personnes physiques et morales privées

« Art. L. 414-2. - Les syndicats recueillent des fonds par l'intermédiaire d'un mandataire nommément désigné par eux, qui est soit une association de financement, soit une personne physique.

« Les syndicats peuvent recourir à plusieurs intermédiaires sous réserve de respecter les règles de procédure spécifiques fixées par un décret en Conseil d'Etat.

« Tout syndicat contrevenant aux dispositions du présent article est sanctionné par la perte, pour l'année suivante, de son droit à bénéficier des dispositions de l'article L. 414 du présent code.

« Art. L. 414-3. - L'agrément en qualité d'association de financement d'un syndicat est donné par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques et syndicaux mentionnée à l'article L. 52-14 du code électoral, sous réserve de la limitation de l'objet social de l'association au seul financement dudit syndicat et de la conformité de ses statuts aux dispositions des alinéas suivants du présent article. L'agrément est publié au Journal Officiel.

« Les statuts d'une association agréée en qualité d'association de financement d'un syndicat doivent comporter :

« 1° la définition de la circonscription territoriale à l'intérieur de laquelle l'association exerce ses activités ;

« 2° l'engagement d'ouvrir un compte bancaire ou postal unique pour y déposer tous les dons reçus en vue du financement d'un syndicat.

« Art. L. 414-4. - Le syndicat déclare par écrit à la préfecture de son siège le nom de la personne physique ou de l'association de financement, l'une et l'autre dénommées mandataires financiers, qu'il choisit en vue de recueillir des fonds. La déclaration doit être accompagnée de l'accord exprès de la personne physique ou de l'association désignée et doit préciser la circonscription territoriale à l'intérieur de laquelle la personne physique ou l'association excerce ses activités.

« Le mandataire financier est tenu d'ouvrir un compte bancaire ou postal unique pour y déposer tous les dons reçus en vue du financement d'un syndicat.

« Art. L. 414-5. - Les dons consentis par des personnes dûment identifiées à une ou plusieurs associations ou personnes physiques mandataires financiers d'un même syndicat ne peuvent excéder un montant fixé par décret.

« Ils doivent être versés par chèque dès lors qu'ils atteignent un montant fixé par décret en Conseil d'Etat.

« L'association de financement ou la personne physique mandataire financier délivre au donateur un reçu. Un décret en Conseil d'Etat précise les mentions obligatoires devant y figurer, ainsi que ses conditions d'établissement et d'utilisation.

« Aucune association de financement ou personne physique mandataire financier d'un syndicat ne peut recevoir, directement ou indirectement des contributions ou aides matérielles d'un Etat étranger ou d'une personne morale de droit étranger sauf s'il s'agit d'unions syndicales.

« Les actes et documents destinés aux tiers et émanant de l'association de financemenent ou de la personne physique mandataire financier qui ont pout objet de provoquer le versement de dons doivent indiquer, selon le cas, la dénomination de l'association, sa date d'agrément et la date de sa déclaration à la préfecture ou le nom de la personne physique mandataire et la date de sa déclaration à la préfecture, ainsi que le nom du syndicat destinataires des sommes collectées. »

Section 3

Obligations comptables
des syndicats bénéficiaires de l'aide publique

« Art. L. 414-6. - Les syndicats bénéficiaires de tout ou partie des dispositions des articles L. 414 et suivants du présent code ont l'obligation de tenir une comptabilité. Celle-ci doit retracer tant leurs propres comptes que ceux de tous les organismes, sociétés ou entreprises dans lesquels soit ils détiennent la moitié du capital ou des sièges de l'organe d'administration, soit ils exercent un pouvoir prépondérant de décision ou de gestion.

« Les comptes précités sont arrêtés chaque année. Ils sont certifiés par deux commissaires aux comptes et déposés dans le premier semestre de l'année suivant celle de l'exercice à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques et syndicaux instituée à l'article L. 52-14 du code électoral qui assure leur publication sommaire au Journal Officiel de la République française.

« Si la Commission constate un manquement aux obligations prévues par le présent article, le syndicat en cause perd le droit, pour l'année suivante, au bénéfice des dispositions des articles L. 414 et suivants du présent code. »

Section 4

Pénalités

« Art. L. 414-7. - Ceux qui auront versé ou accepté des dons en violation des dispositions de la Section 2 du présent chapitre seront punis d'une amende de 3 750 euros et d'un emprisonnement d'un mois à un an ou de l'une de ces deux peines seulement.

« Art. L. 414-8. - L'agrément est retiré, à toute association qui n'a pas respecté les prescriptions prévues par la Section 2 du présent chapitre. »

Article 2

I. - Dans tous les textes législatifs et réglementaires, les mots « Commission des comptes de campagne et des financements politiques » sont remplacés par les mots :
« Commission des comptes de campagne et des financements politiques et syndicaux ».

II. - Après l'article L. 52-18 du code électoral, il est inséré un article L. 52-19 ainsi rédigé :

« Art. L. 52-19. - La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques et syndicaux a également pour mission de vérifier la comptabilité des syndicats professionnels bénéficiaires des dispositions des articles L. 414 et suivants du code du travail et de contrôler leurs associations de financement. »

Article 3

La présente loi s'applique aux départements et territoires d'outre-mer sous réserve de dispositions spécifiques fixées par décret en Conseil d'Etat.

Article 4

Les charges éventuelles résultant pour l'Etat des dispositions de la présente loi sont compensées à due concurrence par la création d'une taxe additionnelle aux tarifs visés aux articles 575 et 575A du code général des impôts.

Imprimé pour l'Assemblée nationale par JOUVE
11, bd de Sébastopol, 75001 PARIS

Prix de vente : 0.75 E

ISBN : 2-11-118120-X

ISSN : 1240 - 8468

En vente au Kiosque de l'Assemblée nationale

4, rue Aristide Briand - 75007 Paris - Tél : 01 40 63 61 21

N° 0977 - Proposition de loi  tendant à la pérennité et à la transparence du financement de la vie syndicale (M. Yves Nicolin)


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