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N° 1395

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 4 février 2004.

PROPOSITION DE LOI

 

relative à l'aide à la délivrance volontaire en fin de vie.

(Renvoyée à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, à défaut de constitution
d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE

par Mme Henriette MARTINEZ

Députée.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Aujourd'hui, des événements de plus en plus fréquents révèlent que le droit français n'est pas adapté aux cas des personnes qui demandent lucidement une aide à mourir ni aux cas des soignants qui la procurent. Le moment est donc venu de préciser le champ des droits de chacun sur sa fin de vie.

Quels que soient le lieu, les circonstances, les croyances philosophiques ou religieuses, mourir est une épreuve difficile pour la plupart des êtres humains, à plus forte raison, lorsque la mort s'accompagne de souffrances qui atteignent un degré tel qu'elles détruisent celui qui les subit au point d'enlever tout sens à sa fin de vie.

Alors que l'homme conduit sa vie dans la liberté, on est surpris de constater que, parvenu aux limites du supportable, il n'a pas le droit d'obtenir une réponse légale à sa demande de délivrance.

Contrairement aux nouvelles dispositions pénales comme celles de l'Espagne et de la Suisse, contrairement aux nouvelles législations néerlandaise et belge, le code pénal français ne fait aucune distinction entre la mort donnée à autrui par compassion et celle infligée dans la plus noire intention, qualifiée à juste titre d'assassinat et punie de la réclusion criminelle à perpétuité.

La loi du 4 mars 2002, dans sa partie relative aux droits des malades, permet de prendre en charge une partie des situations de souffrances et de détresse. Le droit de demander l'arrêt de soins actifs ou de refuser les soins est un droit acquis. Des décisions d'arrêt de traitement sont d'ailleurs impliquées dans la moitié des décès en réanimation. Les sociétés savantes estiment qu'elles constituent la seule alternative à un acharnement thérapeutique et plaident pour que les décisions initiées par le patient soient collégiales. Dans le cas d'un patient inapte à consentir, un éventuel souhait exprimé ou écrit antérieurement peut être l'un des critères de la décision.

Il est incontestable que les soins palliatifs apportent dans l'accompagnement des mourants une solution appréciable et humaine. Cependant, même en espérant qu'ils puissent atteindre dans les années à venir un développement suffisant pour répondre aux besoins du plus grand nombre des malades, ils ne peuvent pas répondre à toutes les situations et n'apportent pas de solution à ceux qui, atteints de maladies incurables et invalidantes ou en situation pathologique irréversible, formulent le souhait de voir s'arrêter une vie jugée par eux vide de sens.

Entre les soins palliatifs et la possibilité de fixer le terme d'une vie devenue insupportable, il y a non pas contradiction mais souvent complémentarité : tel qui accepte avec reconnaissance des soins palliatifs peut bien, à partir d'un certain moment, souhaiter hâter une fin de vie qu'il ne peut provoquer seul.

Depuis plus de 20 ans, des voix de plus en plus nombreuses s'élèvent pour demander que soit reconnu un droit impossible à exercer dans les conditions actuelles de la législation française.

La dépénalisation voulue par 86 % de nos citoyens et 78 % des médecins généralistes offrirait, d'une part, le mérite de consacrer un droit individuel, un impératif de liberté et, d'autre part, de protéger les tiers intervenants.

Elle condamnerait, dès lors, tout acte d'aide à mourir qui ne serait pas pratiqué à la demande exclusive et réitérée d'un patient ni réalisé dans le respect de conditions rigoureuses.

La présente proposition de loi ne vise en aucun cas à banaliser un acte qui engagera toujours l'éthique et la responsabilité de ses acteurs. Elle a pour but de remédier aux inégalités devant la mort et de fournir aux tribunaux les outils juridiques appropriés.

Elle permet, enfin, de reconnaître à chacun le droit d'aborder la fin de vie dans le respect des principes d'égalité et de liberté qui sont le fondement de notre République.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

La présente loi concerne la demande éclairée présentée par une personne qui veut obtenir qu'il soit mis intentionnellement fin à sa vie, par un tiers.

Article 2

Lorsqu'une personne fait état d'une souffrance ou d'une détresse constante insupportable, non maîtrisable, consécutive à un accident ou à une affection pathologique, ou lorsqu'elle est atteinte d'une maladie dégénérative incurable, elle a le droit d'obtenir une aide active à mourir si elle estime que l'altération de sa dignité et de sa qualité de vie la placent dans une situation telle qu'elle ne désire pas poursuivre son existence.

Article 3

Celui qui apporte cette aide ne commet pas d'infraction s'il s'est préalablement assuré que la personne majeure a formulé sa demande de façon libre, lucide et réitérée et qu'elle se trouve dans une situation médicale non susceptible d'amélioration significative.

Article 4

Avant qu'il soit fait droit à la demande d'aide à mourir, la personne doit avoir reçu, de la part du médecin traitant, assisté d'un ou deux confrères, une information claire et complète sur son état de santé ainsi que sur les possibilités de recours à des soins palliatifs. Ces éléments doivent être consignés dans un document signé des médecins consultés.

La personne doit avoir eu la possibilité de s'entretenir de sa demande avec toutes les personnes qu'elle désire rencontrer.

Article 5

La volonté de la personne qui demande une aide active à mourir doit être exprimée par écrit, ou oralement à deux reprises, espacées d'au moins trois jours, devant deux témoins, dont l'un au moins n'a pas d'intérêt matériel à sa disparition. Cette demande est révocable à tout moment.

Article 6

Dans le cas où une personne est dans l'incapacité physique de demander une aide active à mourir, mais qu'elle a rédigé, depuis moins de cinq ans, une déclaration de volonté anticipée, cette dernière doit recevoir application, sans conséquence pénale ou professionnelle pour celui qui la met en œuvre.

Article 7

Toute personne majeure peut, pour le cas où elle ne pourrait plus manifester sa volonté, consigner par écrit, dans une déclaration, sa volonté qu'on lui apporte une aide active à mourir si le médecin constate :

1° qu'elle est atteinte d'une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable ;

2° qu'elle est inconsciente ;

3° que cette situation est irréversible selon l'état actuel de la science.

La déclaration peut désigner une ou plusieurs personnes de confiance majeures, classées par ordre de préférence, qui mettent le médecin traitant au courant de la volonté du patient.

La déclaration doit être exprimée par écrit, datée et signée par le déclarant et par deux personnes majeures, dont l'une au moins n'a pas d'intérêt, matériel ou moral, au décès du déclarant.

Elle est révocable à tout moment.

Article 8

Si la personne est physiquement dans l'impossibilité de rédiger et de signer, sa déclaration peut être consignée par écrit par une personne majeure de son choix, en présence de deux témoins majeurs, dont l'un au moins n'aura pas d'intérêt matériel ou moral à son décès.

Un certificat médical constatant l'impossibilité physique ci-dessus qualifiée est joint à la déclaration.

Article 9

Dans le cas prévu à l'article 6, sans préjudice des conditions complémentaires que le médecin désirerait mettre à son intervention, il doit préalablement :

- consulter un autre médecin quant à l'irréversibilité de la situation médicale du patient, en l'informant des raisons de cette consultation. Le médecin consulté prend connaissance du dossier médical et examine le patient. Il rédige un rapport de ses constatations. Le médecin consulté doit être indépendant à l'égard du patient ainsi que du médecin traitant et être compétent quant à la pathologie concernée,

- s'il existe une équipe soignante en contact régulier avec le patient, s'entretenir avec celle-ci,

- si la déclaration désigne une personne de confiance, s'entretenir avec elle de la volonté du patient, ainsi qu'avec les proches connus du médecin ou désignés par la personne de confiance.

Article 10

La personne qui a pratiqué une aide active à mourir le déclare, dans les quatre jours ouvrables, à une commission de contrôle et d'évaluation dont la composition sera fixée par décret.

La forme et le contenu de la déclaration seront également fixés par décret.

Article 11

La commission examine les déclarations d'aide active à mourir qui lui sont transmises. Elle vérifie si l'acte a été effectué selon les conditions et la procédure prévues par la présente loi et son décret d'application. Elle peut demander au médecin traitant de lui communiquer tous les éléments du dossier médical.

La commission émet un avis dans les deux mois de sa saisine. Lorsque, par un avis pris à la majorité, elle estime que les conditions prévues à la présente loi n'ont pas été respectées, son président envoie le dossier au procureur de la République compétent.

Article 12

L'article L. 221-1 du code pénal est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Toutefois, l'aide active à mourir pratiquée à la demande de la personne concernée, dans les conditions et dans le respect de la procédure prévues par la loi, n'est pas un meurtre pénalement punissable ».

Article 13

L'article L. 221-5 du code pénal est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Toutefois, l'aide active à mourir pratiquée à la demande de la personne concernée, dans les conditions et dans le respect des procédures prévues par la loi, n'est pas un empoisonnement pénalement punissable ».

Article 14

Tout médecin ou autre professionnel de la santé peut opposer la clause de conscience à une demande d'aide active à mourir.

Si le médecin consulté refuse d'apporter une aide active à mourir, il est tenu d'en informer sans délai le patient ou la personne de confiance désignée dans la déclaration. Dans le cas où ce refus est justifié par un motif médical, celui-ci est consigné dans le dossier médical du patient.

Le médecin qui refuse d'apporter une aide active à mourir est tenu, à la demande du patient ou de la personne de confiance, de transmettre immédiatement le dossier médical du patient au médecin désigné par ce dernier ou par la personne de confiance.

Article 15

La personne décédée à la suite d'une euthanasie dans le respect des conditions imposées par la présente loi est réputée décédée de mort naturelle pour ce qui concerne l'exécution des contrats auxquels elle était partie, en particulier les contrats d'assurance. Les dispositions de l'article 909 du Code civil sont applicables aux médecins et membres de l'équipe soignante.

Composé et imprimé pour l'Assemblée nationale par JOUVE
11, bd de Sébastopol, 75001 PARIS

Prix de vente : 0,75 €
ISBN : 2-11-118219-2
ISSN : 1240 - 8468

En vente au Kiosque de l'Assemblée nationale
4, rue Aristide Briand - 75007 Paris - Tél : 01 40 63 61 21

N° 1395 - Proposition de loi de Mme Henriette Martinez relative à l'aide à la délivrance volontaire en fin de vie


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