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N° 1503

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 11 mars 2004.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d'une commission d'enquête
sur
l'orpaillage en Guyane,

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire,
à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus
par les articles 30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE

par M. Noël MAMÈRE, Mme Martine BILLARD
et M. Yves COCHET

Députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La Guyane française est devenue une zone de non droit. Sur ce territoire grand comme le Portugal, 600 à 800 sites d'orpaillage clandestins sont en train de transformer les forêts primaires situées aux frontières du Brésil et du Surinam en un domaine réservé à des esclavagistes modernes qui emploient clandestinement plus de 10 0000 personnes dans des conditions indignes. Ces entreprises illégales font régner la terreur dans leur environnement comme le démontre un documentaire, « La loi de la jungle », réalisé en 2002 par M. Philippe Lafaix.

Les autorités se sont inquiétées de cet état de fait. En mars 2000, le Premier Ministre, Lionel Jospin, a demandé un rapport à Madame Christiane Taubira députée de Guyane. Ce rapport publié sous le nom de « L'or en Guyane Eclats et Artifices » proposait 28 recommandations précises permettant une évolution de la situation dans un sens positif. La population guyanaise attend toujours la mise en place effective des mesures préconisées. Le groupe de travail chargé de suivre le dossier ne s'est réuni qu'une fois. Près de 2 ans après, la situation continue de se dégrader. Les populations amérindiennes et bushi-nengué sont victimes d'empoisonnement au mercure qui engendre la maladie dite de Minamata. Leur mode de vie traditionnel les y expose d'autant plus. Le mercure est utilisé par les orpailleurs pour amalgamer les paillettes d'or. Après avoir été chauffé avec l'or, le mercure s'évapore et, en refroidissant, retombe et pollue tout l'environnement, principalement les cours d'eau. L'ensemble de la chaîne alimentaire est touché, surtout les poissons carnassiers qui constituent une grande part de l'alimentation des populations amérindiennes. La déforestation induite par l'orpaillage libère également du mercure déjà présent à l'état naturel.

D'autres questions de santé publique sont liées à l'orpaillage : développement ou recrudescence du paludisme, de leishmaniose, tuberculose, dengue. Du point de vue de l'environnement la situation se dégrade sérieusement. La réserve des Nouragues qui est la plus grande réserve naturelle de France, est envahie par des sites d'orpaillage qui sont passés de 3 en 2002 à 12 en 2003, dont certains sont mécanisés.

L'insécurité augmente, comme en témoigne l'attaque de la Compagnie Boulanger aux portes mêmes de Cayenne en Février 2004 où, des individus pour s'emparer d'un butin issu d'une extraction d'or, n'ont pas hésité à assassiner un salarié de ce site aurifère légal devant huit visiteurs. Cet exemple n'est pas isolé. Chaque année, des dizaines d'agressions, de règlements de compte similaires aboutissent à un climat criminogène et aggravent une « délinquance qui porte atteinte à la souveraineté de l'Etat et à l'intégrité de son territoire » selon les propres termes de la Procureur de la République Madame Anne Kayanakis. Malgré quelques « opérations Anaconda » organisées par le Ministère de l'intérieur à destination des médias, peu de résultats concrets ont été obtenus sur le plan du démantèlement réel des réseaux à l'origine de ce vaste trafic qui, sur les fleuves de l'intérieur et dans la forêt, alimente la drogue et la prostitution. Le manque de moyens qui caractérise cette action doit être comparé à ceux utilisés pour défendre le Centre Spatial de Kourou. Cette démission des fonctions régaliennes de l'Etat participe, de fait, au développement de l'orpaillage clandestin.

Plusieurs problèmes essentiels demeurent en suspens :

- La politique de zonage de la Guyane. Il y a un choix à opérer entre le développement d'une activité minière dépendant du cours de l'or au niveau mondial, dont l'activité et la rentabilité est marginale, y compris par rapport aux populations locales et le développement de pôles de poly-activités centrés sur de l'écotourisme et la valorisation durable de la forêt primaire ;

- L'absence de politique minière. De fait, la ressource aurifère est exploitée à court terme sans tenir compte des autres utilisations possibles de l'espace. L'absence de politique de l'Etat, représenté entre autres par la DRIRE, pousse les opérateurs qui ne disposent ni des moyens de formation adéquat ni de budget d'investissement pour se fournir en techniques moins polluantes, à subir la pression des orpailleurs clandestins ce qui favorise l'affaissement des frontières entre orpaillage, légal et « propre », et orpaillage illégal,

- L'inefficacité de la politique de répression. Pas ou peu de moyens aériens (hélicoptères) ; pas de contrôle fluvial, notamment sur les barges flottantes, procédé d'extraction réprouvé par la loi mais couramment utilisé. Et, surtout, aucune enquête judiciaire sur la traçabilité de l'or. Où vont les ressources extraites de l'exploitation minière légale ou illégale ? A-t-on essayé d'identifier l'origine du matériel détruit sur place par les opérations anacondas ? Quels sont les bénéficiaires des ressources financières tirées de cette exploitation qui ne profite pas aux populations de Guyane ? L'exploitation minière ne participe pratiquement pas au développement de la Guyane malgré les taxes professionnelles ou le système d'imposition qui ne reflètent pas la réalité de la production. L'absence de réglementation de la commercialisation et d'analyse des comptes encourage tous les circuits parallèles.

Il est extrêmement grave qu'on ait permis à des orpailleurs clandestins, dont les exactions en Guyane ont été condamnées de façon quasi unanime, de continuer à avoir pignon sur rue sans que les autorités ne réagissent. Dans certains cas, elles en ont été les complices. Aujourd'hui plus encore qu'hier, l'impunité doit cesser en Guyane.

La Guyane attend des réponses sur un secteur d'activité économique qui aujourd'hui constitue plus un danger qu'un atout. La responsabilité de la France est pleinement engagée. Il s'agit pour la représentation nationale de faire toute la lumière sur cette activité opaque dont les conséquences sur les droits humains et la biodiversité mettent en danger la région la plus étendue de notre territoire.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

Conformément aux articles 140 et suivants du Règlement de l'Assemblée nationale, il est créé une commission d'enquête de trente membres chargés :

- de faire la lumière sur la responsabilité des autorités dans la lutte contre l'orpaillage illégal, la sous-traitance, l'état de violence et d'insécurité qu'elle génère ;

- de constater si les recommandations du rapport Taubira ont été réellement mises en œuvre ;

- d'évaluer la réalité des allégations sur les conséquences en terme de santé publique sur les populations dues à la contamination par le mercure dans la production aurifère et ses conséquences sur la biodiversité et la sociodiversité de la Guyane ;

- d'établir les conditions d'une traçabilité des ressources extraites de l'exploitation aurifère pour en déterminer les bénéficiaires réels ;

- d'étudier en particulier le rôle des Ministères de la Défense, et de l'Intérieur et, plus spécifiquement, la mise en œuvre des accords de coopération entre la France, le Surinam, le Brésil.

Composé et imprimé pour l'Assemblée nationale par JOUVE
11, bd de Sébastopol, 75001 PARIS

Prix de vente : 0,75 €
ISBN : 2-11-118288-5
ISSN : 1240 - 8468

En vente au Kiosque de l'Assemblée nationale
4, rue Aristide Briand - 75007 Paris - Tél : 01 40 63 61 21

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N° 1503 - Proposition de résolution - création d'une commission d'enquête sur l'orpaillage en Guyane (M. Noël Mamère)


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