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N° 1603

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 13 mai 2004.

PROPOSITION DE LOI

visant à supprimer les droits de succession,

(Renvoyée à la commission des finances, de l'économie générale et du plan,
à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus
par les articles 30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE

par M. Lionnel LUCA

 

Additions de signatures :
MM. Gérard Hamel et Gérard Lorgeoux
MM. Jean-Claude Beaulieu, Marc Bernier, Bernard Carayon, Louis Cosyns, Olivier Dassault, Jean-Jacques Descamps, Jean-Pierre Door, Claude Gatignol, Thierry Mariani, Jacques Masdeu-Arus, Jean-Marc Nesme, Daniel Prévost et Mme Marie-Jo Zimmermann
MM. Jean-Michel Ferrand, Jean-Claude Flory, Jean-Luc Reitzer et Jacques Remiller
MM. Étienne Blanc, Guy Drut, Daniel Fidelin, Maurice Giro, Jacques Godfrain, Christophe Guilloteau, Aimé Kergueris, Patrick Labaune, Jean Lemière, Mme Henriette Martinez, MM. Christian Ménard, Alain Merly, Didier Quentin, Joël Sarlot et Daniel Spagnou
MM. Bruno Bourg-Broc, Richard Dell’Agnola, Léonce Deprez, Jean-Michel Fourgous, Jean-Paul Garraud, Jean-Jacques Gaultier, Jean-Claude Guibal, Gérard Hamel, Pierre Hellier, Jean-Pierre Le Ridant, Mme Geneviève Lévy, MM. Jacques Myard, Jean-Pierre Nicolas, Bernard Perrut, André Samitier et Michel Terrot
MM. Patrick Balkany, Patrick Beaudouin, Gabriel Biancheri, Philippe Briand, Jacques Briat, Richard Cazenave, RololandChassain, Alain Cortade, Jean-Pierre Decool, Nicolas Dupont-Aignan, Alain Gest, Jean-Pierre Gorges, Pierre Lasbordes, Jean-Claude Lemoine, Jean Marsaudon, Mme Josette Pons, MM. Jean-François Régère, Jérôme Rivière, Mme Michèle Tabarot, MM. Jean Ueberschlag, Léon Vachet, Jean-Sébastien Vialatte, René Paul Victoria, Michel Voisin et Michel Zumkeller
MM. Jacques-Alain Bénisti, Roland Blum, Mme Françoise Branget, MM. Pierre Cardo, Jean-François Chossy, Christian Estrosi, Mme Arlette Franco, MM. Michel Herbillon, Dominique Le Mener, Guy Teissier, Michel Terrot et Philippe Vitel
M. Gilles Bourdouleix, Mme Geneviève Colot, M. Marc Francina, Mme Juliana Rimane, MM. André Santini et Bernard Schreiner
MM. Philippe Cochet, Jean-Claude Decagny, Mme Arlette Grosskost, MM. Jean-Yves Hugon et Gérard Voisin
MM. Jean-Louis Bernard, Dominique Caillaud, Michel Heinrich, Jacques Lafleur et Hervé Novelli
M. André Schneider
M. Christian Vanneste
 MM. Dominique Dord, Franck Gilard, Vincent Rolland et André Thien Ah Koon
Mme Maryvonne Briot
M. Lucien Degauchy

 

Députés.

 

 

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Les droits de succession sont mal acceptés par nos concitoyens, non seulement en raison des circonstances particulières dans lesquelles ils sont perçus, mais aussi en raison du fait que, par rapport à l'impôt sur le revenu, ils sont supportés par une proportion plus importante de contribuables.

En 2002, les droits de mutations liés aux successions ont rapporté 6,291 millions d'euros à l'Etat (1). Selon le ministère des Finances, les coûts de gestion de ce prélèvement représenteraient 1,86 % du montant total des recettes (2).

Les justifications morales de la création et du maintien des droits de succession s'appuient généralement sur l'idée dépassée que l'impôt peut légitimement frapper un enrichissement « non gagné ». Inversement, on peut à juste titre contester le fait qu'après avoir acquis par son travail un bien ou des revenus, sur lesquels les impôts et taxes divers ont été payés par celui qui a enrichi la collectivité, son ou ses héritiers doivent subir un second impôt (celui de l'éternité ?) aussi injuste que lourd, qui s'apparente à une véritable spoliation ou confiscation des fruits du labeur d'une vie entière. Aussi, nombre de citoyens modestes se trouvent dans l'obligation de se séparer d'un bien familial (maison, terre...) pour payer le simple droit d'hériter, comme s'il était condamnable d'être le descendant de sa lignée familiale. Cette « dérive soviétique » de la contribution des citoyens à l'effort de la Nation est une remise en cause d'un article de la Déclaration des Droits de l'Homme et des Citoyens selon lequel chaque citoyen contribue à proportion. Sans entrer ici dans un débat philosophique, force est de constater que, dans leur structure, les droits de succession représentent aujourd'hui un instrument largement inadapté de notre fiscalité. C'est en cela aussi qu'ils sont critiquables et qu'ils appellent une réforme substantielle.

En premier lieu, l'allongement de l'espérance de vie est sans aucun doute un des éléments les plus significatifs de l'inadaptation de nos droits de mutation à titre gratuit. De fait, l'effectif des plus de 75 ans va passer de 4,2 millions à 8,3 entre 2000 et 2035, et celui des plus de 85 ans de 1,2 à 2,4 millions entraînant une concentration des richesses entre les mains d'une population plus âgée et, d'une certaine manière, un risque de stérilisation d'une partie du patrimoine, notamment immobilier, sous-entretenu, sous-utilisé, voire abandonné (3).

Ensuite, les relations et les solidarités familiales ou sociales ont profondément évolué. On constate notamment le développement d'un phénomène récent, celui d'une solidarité inter-générationnelle entre petits-enfants et grands-parents, lesquels assurent souvent par leur aide le relais de parents qui, du fait de l'allongement de la vie, n'accèdent au patrimoine familial que tardivement. Au demeurant, les liens collatéraux ne sont pas non plus à négliger ; ils peuvent également être un facteur de solidarité familiale, les célibataires âgés pouvant compter sur l'aide des frères et sœurs ou des neveux et nièces.

Enfin, le système se révèle inadapté aux évolutions économiques. Cette inadaptation est manifeste en ce qui concerne la transmission des entreprises. La Commission des communautés européennes soulignait en 1994 que chaque année « plusieurs milliers d'entreprises sont contraintes de cesser leur activité en raison de difficultés insurmontables inhérentes à leur transmission » [...] ; que « le principal obstacle au bon déroulement de la succession est d'ordre fiscal » ; que « 30 % des entreprises européennes vont faire l'objet d'une mutation à titre gratuit avec un risque à chaque fois de disparition de l'entreprise, surtout en ce qui concerne les PME plus fragiles » ; que « le paiement des droits de mutation est susceptible de remettre en question l'équilibre financier de l'entreprise et par conséquent sa survie et que ceci a pour résultat de placer les entreprises européennes dans une situation désavantageuse au regard de la concurrence mondiale ». En fait, derrière le problème des droits de succession se dessine celui de l'attractivité de la France sur laquelle pèse la fiscalité du capital, plus lourde qu'ailleurs. Un rapport du Député Michel Charzat révèle que, pour 93 % des 350 dirigeants de filiales françaises et de groupes internationaux interrogés, le poids des prélèvements fiscaux et sociaux est le premier handicap de la France et davantage encore du fait du cumul d'impositions ; particulièrement celui des droits de mutation à titre gratuit et de l'ISF. L'étude d'Archibald International, citée dans le rapport du Sénateur Marini sur la fiscalité des mutations à titre gratuit, donne un exemple comparatif des coûts fiscaux d'une transmission de patrimoine sur 7 pays dont 6 sont membres de l'Union européenne. La compétitivité de la France y est mise à mal, arrivant presque toujours à la dernière ou l'avant-dernière position.

Dans un rapport d'information du Sénat sur l'expatriation des compétences, des capitaux et des entreprises (4) ; le Sénateur André Ferrand constatait que la perte fiscale résultant des expatriations de contribuables français était évaluée à 550 000 millions de francs (5) (83 846 959 €). Le rapport précise que l'une des causes de l'expatriation est constituée par les droits de succession (6). Il est assez difficile de connaître la perte de revenus découlant directement des droits de succession dans la mesure où la saturation fiscale est en général atteinte par le cumul de l'ISF, de l'impôt sur le revenu et les droits de mutation. Néanmoins, il faut souligner qu'à l'époque de ce rapport, les droits de succession n'avaient pas encore été supprimés en Italie. Or depuis cette date, de nombreux contribuables français se sont expatriés pour éviter à leurs héritiers d'être taxés.

Par conséquent, il est incontestable que le régime actuel d'imposition dans notre pays est pénalisant. Cette pénalisation résulte autant du poids du barème que de l'incohérence de son assiette.

On constate en effet depuis une vingtaine d'années un accroissement spectaculaire de la part des droits de mutation à titre gratuit dans les recettes fiscales de l'Etat : elles sont passées entre 1980 et 2002 de 1 à plus de 7 milliards d'euros en monnaie courante et de 1 à 3 % du total des recettes fiscales du budget de l'Etat. De plus, ces prélèvements sont socialement « ciblés ». Ainsi que le soulignait M. Didier Migaud, Député, « les droits de succession et de donation constituent un impôt frappant essentiellement les contribuables détenant des patrimoines de moyenne importance et n'ayant pas su ou pu organiser sa transmission ». Et pourtant, on ne saurait attribuer ces résultats à un enrichissement des Français. L'accroissement du rendement des droits de mutation a une cause plus insidieuse : c'est la non-indexation des seuils du barème des droits.

Par exemple, le seuil de 50 000 F soit 7 600 euros en-deçà duquel le taux est de 5 % était déjà en vigueur en 1959 ; en tenant compte de la dépréciation monétaire depuis cette époque le seuil de cette tranche devrait aujourd'hui s'élever à 416 000 F soit 63 500 euros.

De même, les abattements n'ont fait l'objet d'aucune mesure d'indexation telles qu'elles sont régulièrement pratiquées en matière d'impôt sur le revenu. Par exemple l'abattement de 100 000 F institué en 1959 et applicable en ligne directe et entre époux équivaudrait en francs actuels à 833 000 F. Il a connu une revalorisation en 1990 à 300 000 F (soit 46 000 €) et une autre à 500 000 F entre époux (soit 76 000 €) en 2000.

A cela s'ajoute l'incohérence de l'assiette qui résulte tant d'un régime de discriminations familiales injustifié que de son inadaptation aux transmissions démembrées et de l'insuffisance des régimes particuliers concernant la transmission des entreprises.

On chercherait vainement une justification cohérente des discriminations qui frappent les bénéficiaires selon leur degré de parenté avec le défunt ou le donateur, surtaxant ainsi les collatéraux et les non-parents. Une anecdote en illustre l'absurdité et la malfaisance : celle d'un marchand de cycles niçois qui décide début 1996 de prendre sa retraite et, désirant trouver un successeur, propose de faire donation de son affaire à un chômeur passionné de bicyclette. L'opération a cependant tourné court lorsque le candidat à la reprise a découvert que les droits qui frappent les donations effectuées au profit de non-parents étaient de 60 %. Dans cette affaire, tout le monde y a perdu : l'Etat qui a perdu d'une part les droits frappant une mutation qu'une taxation modérée aurait permise, d'autre part les impôts sur les bénéfices du repreneur ; la ville de Nice qui a perdu la taxe professionnelle afférente à l'entreprise, les caisses d'assurances chômage qui ont perdu le bénéfice d'une radiation du repreneur. Un sondage effectué en 1994 auprès de 225 experts comptables pour le Conseil des impôts révélait que, pour 85 % des sondés, le tarif des droits de donation aux collatéraux était susceptible d'entamer gravement pour 51 %, moyennement pour 34 %, la transmission à titre gratuit des entreprises. Le rapport Hollande soulignait en 1988 « le caractère excessivement pénalisant de l'imposition des collatéraux et des non-parents, notamment pour les patrimoines de faible et de moyenne importance. » Le rapport Archibald International (cité par le Rapport Marini p. 72, dénonce l'incohérence de la progressivité visant les collatéraux.

 

Fraction de part nette taxable

Tarif applicable

    Entre frères et sœurs :
    
- n'excédant pas 23 000 €
    
- supérieure à 23 000 €
    
Entre parents jusqu'au 4e degré inclusivement
    
Entre parents au-delà du 4e degré et entre non-parents


35 %
45 %
55 %
60 %

Pour ce qui est des problèmes posés aux transmissions d'entreprises par le cumul ISF-droits de mutation, il s'agit incontestablement là d'un des points noirs de notre fiscalité. M. Gérard Mulliez (Phildar, Auchan, Kyabi, Leroy-Merlin) affirme que « L'ISF cumulé aux droits de succession sur les entreprises [est] un mécanisme destructeur qui oblige à ponctionner en moyenne 30 à 40 % du bénéfice par an ». Le rapport d'Archibald International souligne que le cumul ISF - droits de mutation contraint souvent les héritiers à vendre l'entreprise pour pouvoir acquitter les droits et qu'il en résulte « une hémorragie d'entreprises résultant de leur cession par les héritiers à des groupes étrangers et qui se traduit le plus souvent par des licenciements, des délocalisations et même des fermetures d'établissements portant gravement préjudice au tissu économique français ». Ce cumul est une incitation permanente à la délocalisation, à l'émigration des patrimoines. Selon M. Bernard Monassier, cette émigration existe sans conteste (7), confirmée par les professionnels de la fiscalité qui, depuis sept à huit ans, ont perdu chacun cinq à vingt clients représentant des patrimoines de 20 à 150 millions d'euros. Lui-même chiffre entre trois et cinq le nombre de ses clients qui, chaque année, depuis 1997, ont quitté le territoire français, représentant une sortie annuelle de capitaux de l'ordre de 300 à 700 millions d'euros.

Le système actuel est plus indolore pour les personnes qui ont les moyens financiers de recourir aux services de fiscalistes aguerris.

Certes, on ne saurait nier que quelques progrès, bien qu'insuffisants ont déjà été réalisés notamment avec la loi no 2003-721 du 1er août 2003 pour l'initiative économique dont l'article 43 décide que, à compter du 1er janvier 2004, l'exonération de moitié des droits de mutation à titre gratuit accordée sous certaines conditions en cas de transmission par décès de titres de sociétés ou d'entreprises individuelles est étendue à la donation en pleine propriété des mêmes biens. D'autre part, la loi de finances pour 2004 a refondu le barème de l'usufruit en même temps que son article 19 a introduit des réductions de 35 % et de 10 % des droits de succession liquidés s'agissant de donations en nue-propriété et de 50 et 30 % pour les autres donations.

Devant un tel constat, une réforme profonde s'impose alors même que la plupart des pays de l'OCDE réforment ou même suppriment leur impôt sur les successions, comme c'est notamment le cas du Canada et de l'Italie. En effet, depuis le 25 octobre 2001, les droits de donation et de succession ont été purement et simplement abrogés en Italie compte tenu de l'inadaptation de cet impôt au regard de l'évolution de la structure de détention de la richesse et des moyens de production, dans la mesure où les entreprises individuelles sont particulièrement nombreuses dans ce pays. Cette mesure a également permis de favoriser le retour des capitaux en Italie. De même, la Suisse attire de plus en plus d'entrepreneurs, notamment grâce à des droits de mutation à titre gratuit qui sont dans l'ensemble très faibles lorsqu'ils ne sont pas nuls, comme dans le canton de Genève qui vient de supprimer cet impôt suite à un référendum.

Aussi bien pour les raisons morales ou d'ordre économique qui viennent d'être exposées que par souci de justice sociale, il est impératif de supprimer les droits de succession dans notre pays.

Tel est, Mesdames, Messieurs, l'objet de la présente proposition de loi que nous vous demandons de bien vouloir adopter.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

I. - Les articles 764 à 775 bis inclus du code général des impôts sont abrogés.

II. - Les articles 788 à 789 B inclus du code général des impôts sont abrogés.

III. - Les articles 800 à 808 inclus du code général des impôts sont abrogés.

Article 2

Les pertes de recettes éventuelles qui résulteraient pour l'Etat de l'application de la présente loi compensées à due concurrence par la création d'une taxe additionnelle aux tarifs visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

Composé et imprimé pour l'Assemblée nationale par JOUVE
11, bd de Sébastopol, 75001 PARIS

Prix de vente : 0,75 €
ISBN : 2-11-118360-1
ISSN : 1240 - 8468

En vente au Kiosque de l'Assemblée nationale
4, rue Aristide Briand - 75007 Paris - Tél : 01 40 63 61 21

N° 1603 - Proposition de loi de M. Lionnel Luca visant à supprimer les droits de succession

1 () Ministère de l'Economie des Finances et de l'Industrie, Rapport annuel de performance 2002, Direction générale des impôts, p. 130.

2 () Ministère de l'Economie des Finances et de l'Industrie, Rapport annuel de performance 2002, op. cit., p. 94.

3 () Vers une dépopulation de l'Europe, Géopolitique, no 74, juin 2001, p. 5-6.

4 () A. FERRAND, Rapport d'information no 386, session ordinaire, 2000/2001.

5 () A. FERRAND, op. cit., p. 103.

6 () A. FERRAND, op. cit., p. 110.

7 () L'administration fiscale prétend fréquemment que ce mouvement de délocalisation des fortunes serait loin d'être établi, au regard notamment des mouvements de déclaration d'ISF. Rien dans les statistiques ne permet de soutenir l'existence d'un tel phénomène. On répondra que cette apparente lacune tient au fait que la plupart des fortunes délocalisées sont, en raison de leur nature essentiellement constituées d'actifs professionnels exonérés d'ISF. A ce titre elles ne peuvent entrer dans les statistiques du ministère des Finances.


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