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N° 1769

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 21 juillet 2004.

PROPOSITION DE LOI

portant création d'un contrôleur général des prisons
indépendant,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration
générale de la République, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais
prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE

par Mme Marylise LEBRANCHU, MM. Jean-Marc AYRAULT,
Christophe CARESCHE, Jacques FLOCH,
Jean-Yves LE BOUILLONNEC
et les membres du groupe socialiste (1) et apparentés (2)

Députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Il y a quatre ans, presque jour pour jour, deux commissions parlementaires, l'une formée de députés, l'autre de sénateurs, rendaient leur rapport sur l'état des prisons françaises. A l'unanimité, les deux chambres condamnaient la situation constatée dans des termes dont la sévérité et la solennité en ont fait un véritable événement dans l'histoire de la République. Le Sénat constatait « une humiliation de la République » tandis que l'Assemblée nationale renvoyait « la France face à ses prisons » et à ses responsabilités.

Déposé en 2002 après une vaste concertation avec l'ensemble des professionnels concernés, un important projet de loi réformant l'administration pénitentiaire tirait les leçons des rapports d'enquête parlementaire et engageait la réflexion nécessaire sur le sens et l'efficacité de la peine.

Deux ans plus tard, néanmoins, rien n'a été fait hormis un plan de financement de places de prison, un de plus ; une chape de plomb semble recouvrir à nouveau le problème des prisons de France.

Pourtant, faisant suite au durcissement de la nouvelle politique pénale, les condamnations à des peines de prison ferme s'envolent et la situation dans les prisons s'aggrave : au 1er juin, plus de 64 000 détenus occupent 49 000 places ; certaines maisons d'arrêt pour petites et moyennes peines sont occupées à 300 % ; en 2004, 87 000 entrées sont enregistrées, ce qui représente une augmentation sans précédent de 30 %. Au cours des deux dernières années, le nombre des détentions provisoires s'est accru de 36 %...

Et pour quel résultat ? Une délinquance de plus en plus violente ; des mécanismes d'individualisation et d'adaptation de la peine en panne ; un danger de récidive accru...

De très nombreux parlementaires, toutes tendances confondues, ont récemment décidé d'user du droit que leur a conféré la loi du 15 juin 2000 relative à la protection de la présomption d'innocence et du droit des victimes pour procéder à des visites inopinées dans un ou plusieurs établissements pénitentiaires.

Les députés socialistes ont pu à cette occasion constater « sur pièce et sur place » le blocage complet de l'institution pénitentiaire, malgré le bon vouloir des professionnels de terrain. Faute de moyens et de personnels, prisonniers et surveillants vivent dans une insécurité grandissante ; la promiscuité favorise les situations indignes pour les détenus ; qu'il s'agisse de mineurs ou de majeurs, aucun travail de réinsertion sérieux n'est envisageable. Trop souvent enfin, la loi ne peut être respectée ni dans son esprit ni dans sa lettre.

C'est la raison pour laquelle la mise en place d'un Contrôleur des prisons, apparaît urgente, en attendant la mise à l'ordre du jour prioritaire et le vote d'une véritable loi réformant en profondeur l'ensemble du système pénitentiaire, comme le prévoit la proposition de loi socialiste no 970 sur la peine et le service public pénitentiaire.

Le contrôle extérieur des établissements pénitentiaires est en effet une garantie pour l'administration qui doit, dans la matière si sensible de la privation de liberté, être à l'abri de toute mise en cause. L'instauration d'un contrôleur général des prisons permettra d'atteindre cet objectif et dans un premier temps d'alerter l'opinion et les responsables en cas de dégradation de la situation ; le cas échéant, il saura souligner les progrès ou les méthodes efficaces mises en œuvre. Cette autorité administrative indépendante travaillera en lien avec le Médiateur de la République.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

Après le chapitre V du titre II du livre V du code de procédure pénale, il est inséré, un chapitre VI ainsi rédigé :

« Chapitre VI »

« Le contrôle extérieur des établissements pénitentiaires

« Section 1

« Le contrôleur général des prisons
et les contrôleurs des prisons

« Art. 728-10. - Le contrôleur général des prisons est nommé pour une durée de six ans par décret du Président de la République en Conseil des ministres.

« Il ne reçoit d'instruction d'aucune autorité.

« Il ne peut être mis fin à ses fonctions qu'en cas de démission ou d'empêchement constaté. Son mandat n'est pas renouvelable.

« Art. 728-11. - Le contrôleur général des prisons est assisté de contrôleurs des prisons placés sous sa seule autorité hiérarchique.

« Les contrôleurs des prisons sont nommés par décret du Président de la République sur proposition du contrôleur général.

« Art. 728-12. - Les statuts du contrôleur général des prisons et des contrôleurs des prisons, garantissent leur indépendance, leur impartialité et leur pluridisciplinarité.

« Art. 728-13. - Le contrôle général des prisons porte sur les conditions générales de détention dans les établissements pénitentiaires et sur le respect de la condition juridique des détenus à l'exclusion des litiges d'ordre individuel opposant l'un de ceux-ci à l'administration.

« Le contrôleur général peut connaître de toute question connexe à ses constatations.

« Il est informé de tout dysfonctionnement grave par les agents de l'administration pénitentiaire ainsi que par les personnes qui, sans être agents de celle-ci, interviennent dans les établissements pénitentiaires.

« Aucune restriction, aucun contrôle ne peut être exercé par l'administration sur les correspondances que lui adressent les personnes détenues.

« Il procède à l'évaluation des politiques publiques mises en œuvre par l'administration pénitentiaire.

« Art. 728-14. - Le contrôleur général des prisons ou les contrôleurs placés sous ses ordres peut, à tout moment, visiter tout établissement pénitentiaire.

« Cette visite leur ouvre accès à toutes les parties d'un établissement pénitentiaire, sans restriction aucune.

« Au cours d'une visite, ils doivent procéder au constat de tout dysfonctionnement qu'ils auraient perçu.

« Art. 728-15. - Le contrôleur général des prisons ou les contrôleurs placés sous ses ordres peut procéder à l'audition de toute personne, quelle qu'elle soit, spontanément pour les besoins du contrôle ou à la demande de celle-ci, dans des conditions assurant la confidentialité des déclarations.

« Art. 728-16. - Le contrôleur général des prisons ou les contrôleurs placés sous ses ordres peuvent, à tout moment, demander au directeur de l'administration pénitentiaire ou à tout chef de service déconcentré de l'administration pénitentiaire la communication de tous documents ou dossiers, quels qu'ils soient, utiles à l'exécution de leur mission. Il ne peut leur être opposé de secret autre que médical.

« Le médiateur de la République transmet au contrôleur général des prisons les rapports qu'il établit dans l'exercice de ses fonctions lorsqu'ils concernent le service public pénitentiaire.

« Art. 728-17. - Le contrôleur général des prisons peut demander à l'autorité administrative compétente la suite donnée aux constats qu'il a antérieurement effectués.

« Il peut formuler des observations écrites jointes à toute procédure, quelle qu'en soit la nature, diligentée consécutivement au contrôle d'un établissement pénitentiaire. Il peut encore présenter des observations orales devant la juridiction pénale éventuellement saisie.

« Art. 728-18. - Sans préjudice de l'application des dispositions de l'article 40 du code de procédure pénale, le contrôleur général informe l'autorité administrative compétente de toute faute disciplinaire que son contrôle aurait révélée.

« Il est habilité à saisir de tout manquement aux prescriptions déontologiques la commission nationale de déontologie de la sécurité instituée par la loi no 2000-494 du 6 juin 2000.

« Art. 728-19. - Le contrôleur général des prisons remet pour observations au garde des sceaux les rapports qu'il établit à l'issue des contrôles qu'il effectue dans les établissements pénitentiaires. Il formule toutes les recommandations qu'il juge utile à une bonne exécution du service public pénitentiaire.

« Il peut publier ces rapports, accompagnés des observations du Garde des sceaux, sous réserve de ne porter atteinte ni aux secrets protégés par la loi ni à la sécurité de l'établissement concerné.

« Art. 728-20. - Le contrôleur général établit un rapport annuel d'activité ainsi que sur l'état général des établissements pénitentiaires, qu'il remet au Président de la République et au Premier ministre ainsi qu'aux présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat.

« A cette occasion, il peut proposer toute modification de la législation ou de la réglementation dont ses contrôles lui auraient révélé l'utilité et formuler les recommandations qu'il estime nécessaires à l'exécution du service public pénitentiaire.

« Après avoir ainsi communiqué son rapport, le contrôleur général procède à sa publication. Il peut, à cette occasion, user de tout moyen de communication qu'il considère utile à la diffusion du contenu de ce rapport.

« Art. 728-21. - Le contrôleur général des prisons peut, sur des thèmes utiles à la conduite de sa mission, faire effectuer toute étude ou recherche dont le résultat est consigné dans un rapport remis au Garde des sceaux.

« Il peut publier ce rapport.

« Art. 728-22. - Le contrôleur général des prisons dispose de crédits inscrits au budget du ministère de la justice. Il a, pour l'emploi de ces crédits, la qualité d'ordonnateur principal. Les dispositions de la loi du 10 août 1922 relative au contrôle financier ne sont pas applicables à la gestion des crédits du contrôleur général des prisons.

« Le contrôleur général des prisons présente ses comptes au contrôle de la Cour des comptes.

« Art. 728-23. - Un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions d'application de la présente section.

« Section 2

« La médiation dans les établissements pénitentiaires

« Art. 728-24. - Le médiateur de la République connaît des litiges d'ordre individuel entre les détenus et les administrations de l'Etat, des collectivités publiques territoriales, des établissements publics et de tout organisme investi d'une mission de service public. Il désigne dans chaque direction régionale des services pénitentiaires des délégués affectés à cette mission.

« Art. 728-25. - Dès leur incarcération, les personnes détenues reçoivent une information complète sur l'institution du médiateur de la République ainsi que sur les modalités de dépôt d'une réclamation individuelle, conformément aux dispositions de la loi no 73-6 du 3 janvier 1973 complétée et modifiée.

« Art. 728-26. - Le médiateur de la République, ou ses délégués, peut, à tout moment, opérer une visite dans les établissements pénitentiaires.

« Art. 728-27. - Le médiateur de la République ou ses délégués peut entendre l'auteur d'une réclamation ou toute autre personne dont l'audition est utile à leurs investigations.

« Art. 728-28. - Un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions d'application de la présente section. »

Article 2

Les charges éventuelles qui résulteraient pour l'Etat de l'application de la présente loi sont compensées par l'augmentation à due concurrence des tarifs visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

Composé et imprimé pour l'Assemblée nationale par JOUVE
11, bd de Sébastopol, 75001 PARIS

Prix de vente : 0,75 €
ISBN : 2-11-118494-2
ISSN : 1240 - 8468

En vente au Kiosque de l'Assemblée nationale
4, rue Aristide Briand - 75007 Paris - Tél : 01 40 63 61 21

N° 1769 - Proposition de loi de Mme Marylise Lebranchu portant création d'un contrôleur général des prisons indépendant

1  () Ce groupe est composé de : Mmes Patricia Adam, Sylvie Andrieux-Bacquet, MM. Jean-Marie Aubron, Jean-Marc Ayrault, Jean-Paul Bacquet, Jean-Pierre Balligand, Gérard Bapt, Claude Bartolone, Jacques Bascou, Christian Bataille, Jean-Claude Bateux, Jean-Claude Beauchaud, Eric Besson, Jean-Louis Bianco, Jean-Pierre Blazy, Serge Blisko, Patrick Bloche, Jean-Claude Bois, Daniel Boisserie, Maxime Bono, Augustin Bonrepaux, Jean-Michel Boucheron, Pierre Bourguignon, Mme Danielle Bousquet, MM. François Brottes, Jean-Christophe Cambadélis, Thierry Carcenac, Christophe Caresche, Mme Martine Carrillon-Couvreur, MM. Laurent Cathala, Jean-Paul Chanteguet, Michel Charzat, Alain Claeys, Mme Marie-Françoise Clergeau, MM. Gilles Cocquempot, Pierre Cohen, Mme Claude Darciaux, M. Michel Dasseux, Mme Martine David, MM. Marcel Dehoux, Michel Delebarre, Jean Delobel, Bernard Derosier, Michel Destot, Marc Dolez, François Dosé, René Dosière, Julien Dray, Tony Dreyfus, Pierre Ducout, Jean-Pierre Dufau, William Dumas, Jean-Louis Dumont, Jean-Paul Dupré, Yves Durand, Mme Odette Duriez, MM. Henri Emmanuelli, Claude Evin, Laurent Fabius, Albert Facon, Jacques Floch, Pierre Forgues, Michel Françaix, Jean Gaubert, Mmes Nathalie Gautier, Catherine Génisson, MM. Jean Glavany, Gaëtan Gorce, Alain Gouriou, Mmes Elisabeth Guigou, Paulette Guinchard-Kunstler, M. David Habib, Mme Danièle Hoffman-Rispal, MM. François Hollande, Jean-Louis Idiart, Mme Françoise Imbert, MM. Serge Janquin, Armand Jung, Jean-Pierre Kucheida, Mme Conchita Lacuey, MM. Jérôme Lambert, François Lamy, Jack Lang, Jean Launay, Jean-Yves Le Bouillonnec, Mme Marylise Lebranchu, MM. Gilbert Le Bris, Jean-Yves Le Déaut, Jean-Yves Le Drian, Michel Lefait, Jean Le Garrec, Jean-Marie Le Guen, Patrick Lemasle, Guy Lengagne, Mme Annick Lepetit, MM. Bruno Le Roux, Jean-Claude Leroy, Michel Liebgott, Mme Martine Lignières-Cassou, MM. François Loncle, Victorin Lurel, Bernard Madrelle, Louis-Joseph Manscour, Philippe Martin (Gers), Christophe Masse, Didier Mathus, Kléber Mesquida, Jean Michel, Didier Migaud, Mme Hélène Mignon, MM. Arnaud Montebourg, Henri Nayrou, Alain Néri, Mme Marie-Renée Oget, MM. Michel Pajon, Christian Paul, Christophe Payet, Germinal Peiro, Jean-Claude Perez, Mmes Marie-Françoise Pérol-Dumont, Geneviève Perrin-Gaillard, MM. Jean-Jack Queyranne, Paul Quilès, Alain Rodet, Bernard Roman, René Rouquet, Patrick Roy, Mme Ségolène Royal, M. Michel Sainte-Marie, Mme Odile Saugues, MM.  Henri Sicre, Dominique Strauss-Kahn, Pascal Terrasse, Philippe Tourtelier, Daniel Vaillant, André Vallini, Manuel Valls, Michel Vergnier, Alain Vidalies, Jean-Claude Viollet, Philippe Vuilque.

2 () MM. Jean-Pierre Defontaine, Paul Giacobbi, Joël Giraud, François Huwart, Simon Renucci, Mme Chantal Robin-Rodrigo, M. Roger-Gérard Schwartzenberg, Mme Christiane Taubira.


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