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N° 1955

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 24 novembre 2004.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d'une commission d'enquête
relative aux
délocalisations fiscales,

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire,
à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus
par les articles 30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE

par Mme Martine BILLARD, MM. Gérard CHARASSE,
Yves COCHET et Noël MAMÈRE

Députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

En juillet 2004, la direction de l'entreprise Colgate-Palmolive a annoncé en comité central d'entreprise que serait créée en début d'année 2005 une société chapeautant l'ensemble des usines européennes qui deviendront des sous-traitants, ou « centres de coûts » n'ayant aucune vision sur leur avenir, sur les investissements et sur les profits de l'activité de l'entreprise. En France, le site de Compiègne de Colgate-Palmolive est ainsi concerné. La maison-mère, ou « centre de profits », qu'il est prévu d'installer à Genève bénéficiera de la fiscalité suisse beaucoup plus avantageuse. Alors que le taux de l'impôt sur les sociétés en France est de 33,33 %, il est de 6,44 % en Suisse (auquel s'ajoute une part cantonale, négociable).

Ce phénomène de délocalisation fiscale s'observe dans d'autres entreprises importantes situées en France ou dans les pays européens, qui décident de concentrer les bénéfices là où l'impôt sur les sociétés est le plus faible. En Europe, il s'agit principalement de la Suisse, du Luxembourg et de l'Irlande. En centralisant les achats de matières premières pour les facturer ensuite aux filiales à un prix défini hors des contraintes concurrentielles, l'entreprise principale peut soustraire à ses filiales (« centres de coûts ») une part de la valeur ajoutée, c'est-à-dire de la base soumise à l'impôt. Hormis le manque à gagner fiscal pour les pouvoirs publics, cette démarche de « transfer pricing » s'accompagne d'une réduction des coûts de production visant les fonctions de direction principale et une partie des fonctions-support (comme l'informatique et l'administration générale).

Les sociétés et groupes industriels multinationaux des secteurs détergents, cosmétiques et produits d'hygiène connaissent une contagion quant à la mise en place de telles stratégies de « transfer pricing » : non seulement Colgate-Palmolive, mais aussi Procter, Lever, L'Oréal, Bourjois ou Henkel. Le phénomène s'étend également à d'autres branches d'activité. En France, les groupes Lever, Henkel et Colgate-Palmolive ont perdu entre 30 % et 50 % de leur effectif en personnel entre 1997 et 2004. Les plans sociaux se sont succédé : on en a dénombré trente en huit ans chez Henkel, alors que la marge nette était doublée. Chez Lever et Colgate-Palmolive, le chiffre d'affaires a augmenté respectivement de 19 % et 15 % entre 1997 et 2004, pour une marge nette augmentant de 7 % à 14 % sur la même période. Les groupes multinationaux annoncent néanmoins, pour les années à venir, vouloir réaliser des marges brutes d'environ 60 % et des marges nettes supérieures à 15 % ; ce qui signifie, notamment, économiser sur les taxes et les impôts, ainsi que sur les plans sociaux. La direction de Colgate-Palmolive ne cache pas vouloir financer son développement avec les économies d'impôts ainsi réalisées.

Les risques de ces délocalisations fiscales sont multiples : baisse des rentrées fiscales tant au niveau national que local ; disparition des revenus de la participation pour les salariés ; réduction des instances représentatives du personnel et de leurs prérogatives. Dans le cas du groupe Colgate-Palmolive-France, selon des estimations syndicales, qui recoupent les éléments donnés par la direction de l'entreprise au CCE du 2 septembre 2004, la contribution fiscale au titre de l'impôt sur les sociétés passerait de 41 millions d'euros à 8 millions d'euros. Celle au titre de la taxe professionnelle passerait de 16 millions d'euros à 8 millions d'euros. Quant à la participation des salariés qui s'élevait à 8,7 millions d'euros en 2003, elle serait réduite à néant en 2005.

L'optique du gouvernement actuel évoquant des allègements fiscaux et sociaux pour l'implantation d'entreprises qui relocaliseraient des emplois dans les zones économiques dévastées du territoire national, est particulièrement défensive et régressive puisqu'il s'agirait d'entériner la perte pour l'Etat et les autres comptes publics, des recettes fiscales et sociales.

Sous le bénéfice de ces observations, nous vous demandons, Mesdames et Messieurs, d'adopter la proposition de résolution suivante.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

En aplication des articles 140 et suivants du Règlement de l'Assemblée nationale, est créée une commission d'enquête de trente membres chargée :

- d'évaluer les conséquences sur l'emploi et sur la fiscalité française de la stratégie de délocalisation fiscale du groupe Colgate-Palmolive et d'autres groupes industriels selon des procédures similaires, notamment le manque à gagner de l'Etat quant à l'impôt sur les sociétés, et celui des collectivités territoriales où sont situés les sites industriels transformés en sous-traitants quant à la taxe professionnelle,

- d'apprécier le bien-fondé juridique de cette stratégie d'optimisation fiscale dès lors que la réalité économique de l'entreprise ne change pas, et d'envisager de rendre obligatoire pour les entreprises le dépôt de dossiers de « transfer pricing » devant la direction générale des impôts, afin que cette dernière émette à chaque fois un avis et signe une convention avec l'entreprise concernée,

- de proposer les éléments d'une harmonisation fiscale à mettre en œuvre au niveau des pays européens, membres de l'Union européenne, ou partenaires de l'Union européenne comme la Suisse,

- d'avancer des propositions afin que soit donnée la possibilité aux comités d'entreprise européens d'avoir recours à des experts juridiques, économiques et financiers,

- et d'avancer des propositions afin de permettre la mise en place d'une commission de contrôle informatique sur chaque site impliqué dans de telles procédures de « transfer pricing », afin de savoir qu'elles sont les informations stockées et transmises, tout projet informatique devant être validé par le CCE et le Comité d'entreprise européen.

Composé et imprimé pour l'Assemblée nationale par JOUVE
11, bd de Sébastopol, 75001 PARIS

Prix de vente : 0,75 €
ISBN : 2-11-118874-3
ISSN : 1240 - 8468

En vente au Kiosque de l'Assemblée nationale
4, rue Aristide Briand - 75007 Paris - Tél : 01 40 63 61 21

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N° 1955 - Proposition de loi tendant à la création d'une commission d'enquête relative aux délocalisations fiscales


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