Version PDF
Retour vers le dossier législatif

 

N° 2292

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 4 mai 2005.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d'une commission d'enquête
sur les stratégies économique et sociale
de l'
entreprise CORSICA FERRIES France ;
sur l'emploi des fonds publics dont elle a bénéficié ;
et sur la restructuration de la politique de transports
maritimes Corse - Continent,

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire,
à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus
par les articles 30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE

par MM. Alain BOCQUET, Frédéric DUTOIT, Michel VAXÈS, François ASENSI, Gilbert BIESSY, Patrick BRAOUEZEC, Jean-Pierre BRARD, Jacques BRUNHES, Mme Marie-George BUFFET, MM. André CHASSAIGNE, Jacques DESALLANGRE, Mme Jacqueline FRAYSSE, MM. André GERIN, Pierre GOLDBERG, Maxime GREMETZ, Georges HAGE, Mmes Muguette JACQUAINT, Janine JAMBU, MM. Jean-Claude LEFORT, François LIBERTI, Daniel PAUL et Jean-Claude SANDRIER (1)

Députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Des milliers de salariés, des centaines de milliers d'usagers, voyageurs à titre personnel ou professionnel, des centaines d'entreprises sous-traitantes ou prestataires de services sont directement concernés par l'enjeu prioritaire de la desserte aérienne et maritime de la Corse.

Créée en 1976, il y aura bientôt trente ans, la dotation de continuité territoriale témoignait de la reconnaissance d'une spécificité : celle du handicap que représentent l'insularité et l'isolement géographique de la Corse.

L'engagement des opérateurs historiques que sont la CCM, Air France, la Compagnie Méridionale de Navigation (CMN), et la Société Nationale Corse Méditerranée (SNCM) constituait donc, et constitue encore aujourd'hui la condition de l'indispensable prise en compte des exigences du service public : égalité des citoyens insulaires et continentaux, et solidarité des territoires. Mais on est encore très loin du compte, et les évolutions actuelles menacent d'une récession supplémentaire.

Il est donc de la responsabilité directe et première du gouvernement, en relation avec les Assemblées régionales de Corse et de Provence-Alpes-Côte d'Azur, et l'ensemble des partenaires économiques et sociaux, dont les Chambres de Commerce et d'Industrie, d'impulser en toute transparence les décisions nécessaires à son maintien et à son développement.

C'est notamment vrai et urgent en matière de transport maritime, qu'il s'agisse de l'acheminement des voyageurs ou du fret, au départ des différents ports continentaux (Marseille, Nice, Toulon) concernés, et des ports insulaires.

Or l'actualité de ces dernières semaines et derniers mois est marquée par une grande confusion sur la réalité des intentions des décideurs gouvernementaux et économiques : mais aussi par la colère et la détermination des marins et officiers de la marine marchande.

Non seulement ils sont en effet très préoccupés par la situation de la Société Nationale Corse Méditerranée ; mais ils voient les conséquences dramatiques que menace d'ajouter à cela, la création d'un Registre international français (RIF).

« La création de ce RIF va sans aucun doute redynamiser la flotte de commerce française et l'emploi maritime français ; c'est un gage essentiel de compétitivité dans le contexte actuel de mondialisation ».

Cette déclaration péremptoire et trompeuse de M. François Goulard, Secrétaire d'Etat aux Transports et à la Mer, et les perspectives « idylliques » qu'elle promet, sont loin d'être partagées par les intéressés. Il n'est pas établi d'ailleurs que « l'emploi maritime français » signifie l'emploi de marins français !

Car ce texte permettra en substance à un navire français d'embarquer jusqu'à 75 % de marins étrangers, payés selon le principe du pays d'origine.

Ainsi que l'ont immédiatement dénoncé les marins et responsables syndicaux concernés, c'est un « Bolkestein des Mers » que l'on met en place sous prétexte de concurrencer, avec une baisse généralisée des coûts salariaux, les immatriculations de pays comme le Libéria, Panama, l'Italie.

Mais en matière de baisse des salaires et de casse du droit du travail, la France qui est un pays riche et développé trouvera toujours à qui parler et « moins-disant » qu'elle ! De telles dérives sociales ne peuvent que renforcer nos difficultés, celles des salariés et de leurs familles, celles des entreprises et celles des populations et territoires intéressés.

Le Registre international français fait entrer dans le droit français la disparité des traitements sociaux à bord, et ouvre en grand la possibilité aux armateurs, de recourir à des sociétés de location de main-d'œuvre monégasques, britanniques ou suisses.

Favoriser dumping social et déréglementations, c'est contribuer au travail de sape du service public, et à l'objectif non avoué, de démantèlement d'une entreprise comme la SNCM dont, faut-il le rappeler, l'Etat est actionnaire majoritaire.

D'aucuns n'attendent que cette occasion pour s'imposer et s'emparer des parts les plus juteuses du « marché » !

Dans le Livre Blanc pour l'avenir des transports maritimes Corse-continent qu'elle a publié en janvier 2005, la compagnie Corsica Ferries France ne fait pas mystère d'être partie prenante de cette liquidation, et s'abrite derrière le règlement européen libéral de 1992 préconisant « l'ouverture des lignes de cabotage aux pavillons de la Communauté européenne », et derrière les « orientations communautaires de 1997 ».

« L'objectif de ceux-ci, peut-on lire dans ce Livre Blanc, était notamment grâce à la concurrence, de lutter contre les abus des monopoles »... de service public, bien entendu !

Corsica Ferries a donc lancé sa première ligne depuis Nice dès 1996, puis plusieurs ferries battant pavillon italien dès 1999. Elle a ouvert en décembre 2000 la ligne de Toulon et développé une « nouvelle génération » de ferries : les Méga Express.

Elle a pour cela largement tiré avantage de la mise en place du service de base, service complémentaire et de l'aide au passager transporté, alors qu'à l'opposé d'une telle politique publique, il aurait fallu des dispositions évitant cette guerre concurrentielle et le gaspillage des fonds publics. Les mesures instaurées n'ont abouti qu'à tailler des croupières dans le service public, que ce soit pour le transport des voyageurs ou celui du fret. Et ce, sans que les usagers, les entreprises ou l'activité économique et le développement de la Corse en perçoivent les retombées, au contraire.

Filiale de la holding Lozali basée en Suisse et rattachée à la banque du Gottardo, recourant à la flotte Lota Maritime dont l'essentiel est affrété avec des contrats exclusifs sur trois sociétés italiennes, Corsica Ferries tire un réel profit du trafic avec la Corse, à rapprocher des trente millions d'euros que son directeur général affirme y dépenser.

Les chiffres connus font état de l'emploi de trente marins résidant en Corse, sur les douze navires de la compagnie ; très loin par conséquent des 623 marins que fait travailler la SNCM, auxquels s'ajoutent 193 sédentaires résidant en Corse, et plus de 50 millions d'euros de dépenses réalisées dans l'île, hors taxe sur les transports.

On estime à 23 millions d'euros la masse salariale versée en Corse par la SNCM, auxquels s'ajoutent 78 % de la taxe d'apprentissage qui lui incombe. Tout cela sans compter les partenariats tissés avec une centaine d'hôtels et résidences de tourisme, et un carnet de commandes ouvert à quelques 130 entreprises ou prestataires de services insulaires, pour un volume d'achat dépassant les 19 millions d'euros.

Beaucoup de questions se posent en regard de ces chiffres qui situent l'effort de la SNCM, sur l'apport d'une compagnie comme Corsica Ferries à l'économie corse ; sur son statut au sein du groupe auquel elle appartient ; sur ses moyens en fonds publics et leur emploi ; sur l'encadrement social et les salaires des personnels navigants et non navigants ; sur les stratégies de navigation de l'entreprise, par exemple sur une question aussi essentielle que l'environnement après le scandale du Méga Express pris en flagrant délit de dégazage au large du cap Corse, voici moins d'un an.

La création de la SNCM et la convention qui l'accompagnait en 1976, instauraient une dotation de continuité territoriale, ligne spécifique au budget de la Nation qu'il faut préserver. Ces décisions qui visaient à compenser le handicap de l'insularité et à créer un service public de qualité, sûr, efficace et régulier douze mois sur douze, demeurent plus que jamais d'actualité mais sont largement menacées.

La question de la dotation de continuité territoriale devrait d'ailleurs faire l'objet d'un examen global. Car un des problèmes essentiels que pose en effet cette enveloppe, est lié à la notion de franco de port qui ne joue pas comme elle le devrait en faveur de la population corse, victime de la cherté de la vie et quotidiennement pénalisée depuis des années, dans ses achats de consommation courante ou encore par l'envolée du prix des carburants.

Il est donc indispensable que soient mis à jour et fournis, les éléments d'appréciation de l'utilisation de cette dotation de quelques 173 millions d'euros gérée par l'Office des Transports Corses (OTC), afin de voir notamment comment il est possible de répondre à la revendication légitime, de baisse des prix en Corse, d'homogénéité des prix avec ceux déjà élevés pratiqués sur le continent, à l'heure du blocage des salaires et des reculs de pouvoir d'achat.

Les dérégulations rampantes opérées sous prétexte de « compétitivité », de « libre concurrence » ; les exigences de l'Europe libérale, Europe des marchés, pèsent lourd. La plus totale transparence est donc nécessaire dans l'examen urgent de la situation à laquelle nous en sommes arrivés ; et dans l'analyse entre autres priorités, des stratégies et ramifications de la société Corsica Ferries. Et ici nous ne confondons pas les intérêts des dirigeants et des salariés de cette entreprise, car nous considérons que la logique de dumping social et fiscal mise en œuvre, ne peut à un moment donné, que se retourner contre ces derniers.

« La Compagnie privée que l'on nomme communément Corsica Ferries, interrogeaient les sénateurs communistes dès décembre dernier, connaît de réelles difficultés financières (pertes de 7,9 millions d'euros), avec des pertes égales aux trois quarts de son capital, et une absence de fonds propres : 11 millions d'euros alors que la SNCM dispose de dix fois plus.

« Une entreprise au bord de la faillite (une parmi la quinzaine de sociétés de la holding Lozali), véritable nébuleuse basée en Suisse quant à elle, reprendrait la totalité du service dit complémentaire lié au trafic touristique le plus rentable (c'est-à-dire les passagers), et se retrouverait de fait, en situation de monopole privé mais subventionné par l'aide au passager transporté, sur les dessertes de Marseille, Toulon et Nice. Autrement dit l'argent public irait au renflouement de cette compagnies privée. Enjeu : 30 millions d'euros sur trois ans rien que pour les lignes de Nice et de Toulon ».

Tourship Group basée au Luxembourg, Lozali basée en Suisse et Lota Maritime basée à Bastia sont trois holdings entre lesquelles s'établit Corsica Ferries France. La presse rapporte que Tourship Group a été menacée de liquidation judiciaire par le tribunal de Luxembourg en 1999 pour non présentation des comptes, et que Lota Maritime a été condamnée par le tribunal de commerce de Bastia pour retard dans le dépôt de ses comptes 2003. Par ailleurs, des audits économiques conduits par cabinet spécialisé ont relevé, à propos de Corsica Ferries France, beaucoup de flou, d'interrogations ou d'incertitudes tant sur la partie maritime de ses résultats que sur ses fonds propres.

Mis en perspective avec : l'enjeu des transports maritimes Corse-continent ; l'avenir et les missions de la SNCM ; les problématiques du développement de la Corse ; l'hypothèse dangereuse d'une compagnie maritime régionale se substituant à la compagnie nationale, l'ensemble de ces éléments conclut à la nécessité de faire un point précis de la situation économique et sociale de Corsica Ferries ; de son statut à l'intérieur du groupe auquel elle appartient ; du montant et de l'emploi des fonds publics dont elle a bénéficié ; de la politique de financement public du transport maritime Corse-continent et de l'utilisation de la dotation de continuité territoriale.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

En application des articles 140 et suivants du Règlement, est créée une Commission d'enquête de trente membres chargée de faire le point : de l'utilisation de l'enveloppe de continuité territoriale ; des stratégies et politiques économique et sociale de l'entreprise Corsica Ferries France ; de son statut au sein des holdings auxquelles elle est liée ; de l'emploi des fonds publics dont elle a pu bénéficier ; des enjeux de développement d'un service public de transports maritimes Corse-continent qu'elle contribue à troubler à l'heure où des milliers d'emplois directs et indirects sont menacés.

Composé et imprimé pour l'Assemblée nationale par JOUVE
11, bd de Sébastopol, 75001 PARIS

Prix de vente : 0,75 €
ISBN : 2-11-119164-7
ISSN : 1240 - 8468

En vente à la Boutique de l'Assemblée nationale
4, rue Aristide Briand - 75007 Paris - Tél : 01 40 63 61 21

-------------

N° 2292 - Proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur les stratégies économique et sociale de l'entreprise CORSICA FERRIES France ; sur l'emploi des fonds publics dont elle a bénéficié ; et sur la restructuration de la politique de transports maritimes Corse - Continent (M. Jean-Marie Le Guen)

1 () Constitutant le groupe des député-e-s communistes et républicains.


© Assemblée nationale