N° 2346 ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958 DOUZIÈME LÉGISLATURE Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 25 mai 2005. PROPOSITION DE LOI visant à autoriser les recherches
sur le clonage thérapeutique, (Renvoyée à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales,
à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus
par les articles 30 et 31 du Règlement.) PRÉSENTÉE par M. Roger-Gérard SCHWARTZENBERG Député. EXPOSÉ DES MOTIFS Mesdames, Messieurs, Le 12 février 2004, la revue américaine Science a rendu compte des travaux de chercheurs de l'Université de Séoul, qui sont parvenus à créer des embryons humains par transfert de noyaux de cellules somatiques dans le but d'obtenir des cellules souches à visée thérapeutique, technique souvent appelée « clonage thérapeutique ». Le 20 mai 2005, la même revue a annoncé que cette équipe du Pr Woo Suk Hwang a réussi à cultiver onze lignées de cellules souches obtenues à partir de ces embryons clonés, cellules susceptibles de se différencier en différents tissus. Le 20 mai 2005, également, The Times a annoncé que des scientifiques de l'Université de Newcastle ont, eux aussi, réussi à créer un embryon humain par transfert nucléaire dans ce même but : obtenir des cellules souches à visée thérapeutique. Cette double réussite des chercheurs sud-coréens et britanniques marque une étape décisive vers la médecine régénératrice et les thérapies cellulaires, qui visent à remplacer des cellules déficientes ou insuffisamment nombreuses par des greffes de cellules. Il ouvre la voie au traitement de maladies graves et souvent incurables aujourd'hui : maladies neurodégénératives (Alzheimer, Parkinson, Huntington, sclérose en plaques, sclérose latérale amyotrophique), cardiopathies, hépatites, diabète insulino-dépendant, lésions traumatiques de la moelle épinière, etc. Les cellules souches peuvent provenir d'embryons conçus in vitro dans les centres d'assistance médicale à la procréation qui, ne faisant plus l'objet d'un projet parental, sont conservés depuis par congélation. Mais les cellules prélevées sur ces embryons dits « surnuméraires » ne sont évidemment pas identiques à celles du receveur et peuvent provoquer des phénomènes de rejet. En revanche, le transfert de noyaux de cellules somatiques présente l'avantage d'éviter le rejet immunologique, car, dans cette autogreffe, le receveur est greffé avec ses propres cellules, avec des cellules autologues et non hétérologues. Le transfert nucléaire constitue des lignées cellulaires totalement compatibles avec le système immunitaire du patient donneur du noyau. Cette technique est donc plus efficace puisqu'elle permet d'obtenir des cellules souches génétiquement identiques à celles du patient et, dès lors, des tissus parfaitement histocompatibles, qui ne connaîtront pas de rejet après leur transplantation. Autoriser les recherches sur le clonage thérapeutique Le 22 janvier 2002, les ministres de la Recherche et de la Santé du gouvernement Jospin avaient fait adopter le projet de loi de bioéthique en première lecture par l'Assemblée nationale, à une très large majorité (325 voix contre 21), dépassant les clivages habituels. D'une part, ce texte autorisait les recherches sur les cellules souches issues d'embryons surnuméraires, tout en les soumettant à un strict dispositif d'encadrement. D'autre part, il ouvrait la voie à une légalisation à terme du clonage thérapeutique, en chargeant l'Agence de la biomédecine d'assurer un veille scientifique sur le développement des connaissances et techniques dans ce domaine et de proposer au gouvernement les orientations et mesures qu'il pourrait appeler. Avec le développement des connaissances et techniques dû en particulier aux travaux des biologistes de Séoul et Newcastle, il importe désormais d'autoriser le clonage thérapeutique, comme cela avait été envisagé dès janvier 2002. Depuis, cependant, les ministres de la Recherche et de la Santé du gouvernement Raffarin II ont déposé ou inspiré des amendements, lors de l'examen du projet de loi de bioéthique au Sénat en janvier 2003, puis au cours de sa seconde lecture à l'Assemblée nationale en décembre 2003, qui ont profondément modifié le texte initial et interdit toute recherche sur le clonage thérapeutique. Dès lors, la loi de bioéthique du 6 août 2004 interdit, à son article 25, toute recherche sur le clonage thérapeutique. Dorénavant, l'article 25 de la loi du 6 août 2004 dispose : « Est également interdite toute constitution par clonage d'un embryon humain à des fins thérapeutiques. » Cette interdiction, insérée par cette loi à l'article L. 2163-5 du code la santé publique, a été assortie d'une nouvelle disposition pénale, l'article 511-8-1 du code pénal, qui stipule : « Le fait de procéder à la constitution par clonage d'embryons humains à des fins thérapeutiques est puni de sept ans d'emprisonnement et de 100.000 euros d'amende. » Cette interdiction, sous sanction pénale, se fonde sur trois arguments, qui ne sont pas ou plus recevables. · Première objection : créer des embryons, même en vue de développer de nouvelles thérapies, ne serait pas éthiquement admissible, car, dès son commencement, la vie humaine aurait un caractère sacré. Cette objection dépend des convictions spirituelles ou philosophiques de chacun. Pour certains, l'embryon de six jours est déjà un être humain. Pour d'autres, ce n'est qu'une personne humaine potentielle. Pour d'autres enfin, c'est seulement un assemblage de 125 cellules encore indifférenciées. Dans une « République laïque » (article 1er de la Constitution), le législateur ne peut transformer un article de foi en article de loi. Il ne peut privilégier telle conviction philosophique ou religieuse par rapport à telle autre, au risque d'imposer une vision particulière à l'ensemble de la société. Conscient de cet impératif de laïcité, le gouvernement Chirac avait fait voter la loi de 1975 sur l'IVG, bien qu'elle pût heurter les convictions de certains élus de droite. · Deuxième objection : autoriser le clonage thérapeutique risquerait d'ouvrir la voie au clonage reproductif. Car, si leur finalité est essentiellement différente, ils recourent à la même technique initiale : transférer un noyau somatique dans un ovocyte énucléé. Une fois cet embryon créé, il pourrait être implanté dans un utérus pour donner naissance à un bébé clone. Or, le projet de loi voté en janvier 2002 avait d'ores et déjà interdit le clonage reproductif en créant une nouvelle incrimination punie de vingt ans de réclusion, peine portée à trente ans dans la loi du 6 août 2004. · Troisième argument : le risque d'un commerce des ovocytes nécessaires au clonage thérapeutique. En réalité, ce risque n'existe pas en France où la loi impose la gratuité du don. L'article L. 665-13 du code de la santé publique dispose ainsi : « Aucun paiement, quelle en soit la forme, ne peut être alloué à celui qui se prête au prélèvement d'éléments de son corps ou à la collecte de ses produits. » Par ailleurs, en avril 2003, au colloque annuel de la Human Genome Organization, une équipe japonaise a annoncé avoir réussi à produire des ovocytes à partir de cellules souches embryonnaires de souris. Si ces résultats s'avéraient transposables à l'être humain, l'obtention des ovocytes s'en trouverait grandement facilitée. Enfin, postérieurement à la promulgation de sa loi de bioéthique du 6 août 2004, la France a signé le 29 octobre 2004 le traité établissant une Constitution pour l'Europe. A son article II-63, la Charte des droits fondamentaux, intégrée à ce traité, prohibe seulement le clonage reproductif humain, mais n'interdit nullement le clonage thérapeutique. Si, malgré l'échec du référendum du 29 mai 2005, la France ratifie à terme ce traité, celui-ci aura « une autorité supérieure à celle des lois », conformément à l'article 55 de la Constitution française de 1958. Par ailleurs, les dispositions de la loi française du 6 août 2004 interdisant le clonage thérapeutique pourraient être censurées par la Cour de justice de l'Union européenne, qui sera garante de l'application de la Constitution européenne et de sa Charte des droits fondamentaux. En effet, comme le rappelle désormais expressément l'article I-6 de la Constitution européenne, le droit de l'Union européenne prime le droit des Etats membres. Prohiber le transfert nucléaire, comme le fait la loi du 6 août 2004, est préjudiciable au droit des malades à être soignés. Ceux-ci ont le droit de voir les recherches progresser et développer de nouvelles thérapeutiques réellement efficaces, susceptibles de leur apporter des chances de guérison. En outre, cette prohibition, qui méconnaît les droits des malades, entrave les chercheurs français qui se voient interdire des recherches que peuvent mener leurs collègues de plusieurs autres pays et vont donc se trouver distancés durablement dans la compétition scientifique internationale. Pour cette double raison, le Comité consultatif national d'éthique s'est prononcé pour la légalisation du clonage thérapeutique dès son avis du 18 janvier 2001. L'Académie des sciences a fait de même dans son rapport du 23 janvier 2003. La présente proposition de loi vise donc à abroger l'article 511-18-1 du code pénal et l'article L. 2163-5 du code de la santé publique, insérés dans ces codes par l'article 25 de la loi de bioéthique du 6 août 2004, qui interdisent sous sanction pénale les recherches sur le clonage thérapeutique et à remplacer l'article L. 2163-5 du code de la santé publique par une autre rédaction autorisant ces recherches en les soumettant au respect d'un strict dispositif d'encadrement. Un strict dispositif d'encadrement Ce dispositif sera le même que celui établi par le projet de loi de bioéthique voté en première lecture par les députés le 22 janvier 2002, dispositif qui a été maintenu dans la loi du 6 août 2004 et inséré par celle-ci à l'article L. 2151 -5 du code de la santé publique. Ce dispositif d'encadrement, prévu pour les recherches sur les cellules souches issues d'embryons surnuméraires, s'appliquera également aux recherches sur le clonage thérapeutique. Il imposera le respect des conditions suivantes : - Une telle recherche ne peut être entreprise que si son protocole a fait l'objet d'une autorisation par l'Agence de la biomédecine, après avis de son conseil d'orientation. - La décision d'autorisation est délivrée en fonction de la pertinence scientifique du projet de recherche, de ses conditions de mise en œuvre au regard des principes éthiques et de son intérêt pour la santé publique. - La décision de l'Agence, assortie de l'avis de son conseil d'orientation, est communiquée aux ministres chargés de la recherche et de la santé qui peuvent, lorsque la décision autorise un protocole, interdire ou suspendre la réalisation de ce protocole lorsque sa pertinence scientifique n'est pas établie ou lorsque le respect des principes éthiques n'est pas assuré. - A l'inverse, ces ministres peuvent, en cas de refus d'un protocole par l'Agence, demander à celle-ci, dans l'intérêt de la santé publique ou de la recherche scientifique, de procéder dans délai un de trente jours à un nouvel examen du dossier ayant servi de fondement à la décision. - Les embryons sur lesquels une recherche a été conduite ne peuvent être transférés à des fins de gestation, le clonage reproductif étant interdit et passible de trente ans de réclusion criminelle. Ce dispositif de régulation, très précis permettra d'évaluer et d'encadrer très rigoureusement les recherches sur le clonage thérapeutique. - Enfin, il importe d'ajourer à ces dispositions que les recherches sur le clonage thérapeutique ne pourront être menées que sur des embryons n'ayant pas atteint le stade de la différenciation tissulaire, intervenant vers le 6e ou le 7e jour. A ce stade, le blastocyte comporte seulement 125 à 250 cellules encore indifférenciées. Poser de nouveau en principe l'autorisation
des recherches sur les cellules souches
issues d'embryons surnuméraires Cette proposition de loi a aussi un second objet : revenir à la rédaction initiale du projet de loi de bioéthique, votée en première lecture où l'Assemblée nationale le 22 janvier 2002, pour les recherches sur les cellules souches provenant d'embryons surnuméraires devenus sans projet parental. Alors que le texte voté par les députés à une très large majorité en janvier 2002 posait en principe l'autorisation des recherches sur les cellules souches issues d'embryons surnuméraires, la loi du 6 août 2004 pose en principe leur interdiction. Elle dispose en effet, à son article 25, inséré à l'article 2151-5 du code de la santé publique : « La recherche sur l'embryon est interdite. « Par dérogation au premier alinéa, et pour une période limitée à cinq ans à compter de la publication du décret en Conseil d'Etat prévu à l'article L. 2151-8, les recherches peuvent être autorisées sur l'embryon et les cellules embryonnaires lorsqu'elles sont susceptibles de permettre des progrès thérapeutiques majeurs. » De 2002 à 2004, l'on est donc passé d'une autorisation de principe à une interdiction de principe, qui ne peut être surmontée qu'à titre dérogatoire et transitoire. L'autorisation était le principe, elle est devenue l'exception. Cette inversion de régime par la loi du 6 août 2004, ce renversement de perspective marquent un recul, préjudiciable à la fois à la recherche française et surtout aux droits des malades en attente de thérapies nouvelles. La présente proposition de loi a donc un double objet. D'une part, autoriser les recherches sur le clonage thérapeutique en les soumettant à un strict dispositif d'encadrement, c'est-à-dire au respect des mêmes conditions que celles prévues pour les recherches sur les cellules souches issues d'embryons surnuméraires. D'autre part, poser de nouveau en principe l'autorisation des recherches sur les cellules souches issues d'embryons surnuméraires, qui sont actuellement interdites par l'article 25 de la loi du 6 août 2004, inséré à l'article L. 2152-5 du code de la santé publique, et ne peuvent être actuellement autorisées que « par dérogation » et « pour une période limitée à cinq ans ». Il importe d'abroger ces deux interdictions, résultant de la loi du 6 août 2004. En effet, d'une part, celles-ci entravent les chercheurs français, qui ne peuvent mener les mêmes recherches que leurs collègues de plusieurs autres pays et risquent donc d'être durablement distancés par ceux-ci dans la compétition scientifique internationale. D'autre part - et surtout - ces dispositions pénalisent les malades, atteints d'affections graves et souvent incurables aujourd'hui, qui sont en attente de thérapies nouvelles pouvant résulter de ces recherches. PROPOSITION DE LOI Article 1er L'article 511-18-1 du code pénal est abrogé. Article 2 L'article L. 2163-5 du code de la santé publique est abrogé. Article 3 L'article L. 2151-5 du code de la santé publique est ainsi modifié. 1° Le premier alinéa est ainsi rédigé : « La recherche sur l'embryon humain est autorisée sous réserve du respect des conditions énumérées aux troisième à neuvième alinéas. » ; 2° Au troisième alinéa, les mots : « Par dérogation au premier alinéa, et pour une période limitée à cinq ans à compter de la publication du décret en Conseil d'Etat prévu à l'article L. 2151-8, » sont supprimés ; 3° Au quatrième alinéa, la première phrase est ainsi rédigée : « Une recherche peut être conduite sur les embryons conçus in vitro dans le cadre d'une assistance médicale à la procréation qui ne font plus l'objet d'un projet parental. » ; 4° Il est complété par deux alinéas ainsi rédigés : « La constitution par clonage d'embryons humains à des fins thérapeutiques et les recherches sur les embryons ainsi constitués sont autorisées sous réserve du respect des mêmes conditions que celles énoncées aux troisième à septième alinéas pour les recherches menées sur les embryons conçus in vitro dans le cadre d'une assistance médicale à la procréation qui ne font plus l'objet d'un projet parental. « Ces recherches ne peuvent être menées que sur des embryons n'ayant pas atteint le stade de la différenciation tissulaire. » Composé et imprimé pour l'Assemblée nationale par JOUVE
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