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N° 2433

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 4 juillet 2005.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d'une commission d'enquête
sur les conditions de la
sauvegarde et du développement
de la filière de production d'
acier en France et en Europe,

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire,
à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus
par les articles 30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE

par MM. Alain BOCQUET, François ASENSI, Gilbert BIESSY, Patrick BRAOUEZEC, Jean-Pierre BRARD, Jacques BRUNHES, Mme Marie-George BUFFET, MM. André CHASSAIGNE, Jacques DESALLANGRE, Frédéric DUTOIT, Mme Jacqueline FRAYSSE, MM. André GERIN, Pierre GOLDBERG, Maxime GREMETZ, Georges HAGE, Mmes Muguette JACQUAINT, Janine JAMBU, MM. Jean-Claude LEFORT, François LIBERTI, Daniel PAUL, Jean-Claude SANDRIER et Michel VAXÈS (1)

Députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le temps de l'acier est-il révolu à l'heure de l'avènement proclamé de la société des services et de l'économie de la connaissance ? Est-ce « être fou », comme le prétend le président d'Arcelor, deuxième groupe sidérurgique mondial, que de vouloir investir en Europe et en France ? N'en déplaise à tous les partisans du repli et du renoncement industriel, les conditions sont réunies en ce début de XXIe siècle, dans un contexte de forte hausse de la demande et des prix, pour engager un plan de relance de la filière acier dans notre pays, en coopération avec les autres états de l'Union.

Loin de l'image archaïque que certains lui prêtent, la sidérurgie française est aujourd'hui un secteur moderne. Les brutales restructurations de la fin des années soixante-dix, si elles ont détruit des capacités et appauvri de nombreux territoires, particulièrement en Lorraine et dans le Nord, n'ont pas fait disparaître tout le potentiel. Aux usines fumantes et poussiéreuses de l'après-guerre, ont fait place des complexes modernes, mobilisant des technologies sophistiquées dans une démarche d'innovation permanente et employant directement plus de 30 000 salariés dans notre pays. Tandis qu'en 2004 la France a perdu 80 000 emplois industriels, la représentation nationale se doit d'instruire au plus vite un dossier qui porte sur la préservation et la création de milliers de postes de travail dans cette branche mais aussi dans les entreprises clientes et sous-traitantes qui lui sont liées. Aciers inox, spéciaux ou plats, ces produits constituent la base indispensable à l'approvisionnement de pans entiers de notre économie, de l'automobile à l'emballage, en passant par le BTP, l'aéronautique et de nombreuses autres spécialités de la métallurgie. La maîtrise de leur fabrication revêt aussi des dimensions stratégiques comme en témoignent les partenariats noués avec la filière nucléaire.

Le marché mondial de l'acier a connu en 2004 l'année la plus faste de son histoire. Plus d'un milliard de tonnes ont été produites, soit 200 millions de tonnes de plus qu'en 1997. Ce résultat est dû en grande partie à la hausse de la demande en Chine, où la production a augmenté de 23 % d'une année sur l'autre. La progression s'annonce durable dans un contexte favorable aux fabricants de matières de base. Les analystes de Morgan Stanley prévoient une augmentation de la production mondiale d'acier de 4,7 % en 2005, puis 3,5 % en 2006 et 1,8 % en 2007. La période de stagnation de la consommation, dont la croissance fut nulle entre 1973 et 1983, est révolue. Les études, qui avaient fixé à 850 millions de tonnes le plafond indépassable de production et justifié ainsi des fermetures de sites en France et en Europe, sont aujourd'hui invalidées. Les fabricants d'acier peinent à approvisionner certains de leurs clients, tout en cherchant à maintenir leurs marchandises à un prix élevé, souvent excessif pour nombre de PME de la métallurgie et de la mécanique. Après avoir souffert de surproduction durant des années, la sidérurgie mondiale se retrouve aujourd'hui en sous-production dans un contexte où les matières premières (coke, charbon, minerai, ferraille) deviennent rares et chères.

Récemment encore, on fermait les cokeries en France car les cokes égyptien et chinois étaient prétendument « définitivement abondants et moins chers ». Aujourd'hui, les chinois utilisent leurs réserves à usage interne et il y a pénurie de ce matériau dont les prix sont devenus astronomiques. La situation est si tendue que des extensions de batteries de fours à coke sont en cours à Fos-sur-Mer et que malgré l'arrêt envisagé des hauts fourneaux de Liège, Arcelor maintient en activité les cokeries. Ce renversement de marché a sauvé de la fermeture la cokerie de Carling, longtemps décrite comme condamnée, mais est intervenu trop tard pour la cokerie de Drocourt, dans le Pas-de-Calais, désormais hors service.

Les décisions prises par les firmes sidérurgiques d'externaliser leur approvisionnement aboutissent à une dépendance coûteuse. Il n'y a jamais eu pourtant de fatalité européenne en la matière, comme en témoigne la poursuite de l'exploitation du charbon de la Ruhr en Allemagne. Le précédent du minerai de fer, dont l'extraction a été stoppée en France en 1995, devrait servir de leçon. Le minerai lorrain, et même luxembourgeois, serait aujourd'hui, au regard de l'inflation du marché, largement rentable.

Cette effervescence autour de l'acier appelle vraisemblablement des choix offensifs, passant par une augmentation des investissements pour renforcer les atouts productifs, rénover les équipements, dynamiser la recherche-développement, former un personnel mieux rémunéré et rajeunir la pyramide des âges par des embauches durables. Mais les dirigeants de la sidérurgie refusent de remettre en cause leur politique de rationalisation et d'abandon d'installation. Arcelor a ainsi prévu de ramener le poids de ses activités en Europe de l'Ouest à 50 % de son chiffre d'affaires contre 77 % actuellement. Entre décembre 2003 et juin 2004, Arcelor a réduit ses effectifs dans l'Europe des quinze de 84 640 à 79 217 salariés, dont une baisse de 32 250 à 29 561 salariés en France.

Le groupe né de la fusion d'Usinor avec Arbed et Aceralia accélère même son désengagement avec l'annonce de la vente de trois usines de ronds à béton en Espagne et la cession prochaine de ses produits longs inoxydables (Ugitech) et de ses alliages (Imphy Alloys, IUP), autant d'entreprises qui maîtrisent des technologies de pointe et travaillent pour des secteurs sensibles, comme l'électronique, le spatial ou la défense. Arcelor n'en dispute pas moins la place de leader mondial à Mittal, groupe d'origine indienne, qui, de son côté, n'a pas hésité à acheter des sociétés allemandes mais aussi françaises telles Unimetal devenue Mittal Steel et sa filiale Tréfileurope. Unimetal appartenait au groupe Usinor qui ne lui prédisait plus d'avenir. La reprise par Mittal montre que le scénario de dépérissement n'était pas fatal et que les choix des directions sont contestables.

Arcelor ne préfère-t-il pas parfois fermer une usine plutôt que la vendre ? Ce fût le cas du site de Biache, dans le Pas-de-Calais, pour lequel l'italien Duferco avait exprimé son intérêt. Arcelor a opté néanmoins pour l'arrêt définitif de l'activité, préférant réduire les capacités installées et empêcher un concurrent potentiel de se développer. Depuis, Arcelor a vendu à ce même Duferco une usine à Strasbourg. Quand la firme transalpine investit dans la réfection d'un haut fourneau à Charleroi, acheté en son temps à Usinor, Arcelor annonce la fermeture à terme de ses hauts fourneaux continentaux, à Liège, en Lorraine et en Allemagne. Cependant que de l'autre côté du Rhin, des firmes comme Salzgitter ou Dillinge Hutte n'hésitent pas à moderniser leurs outils. On constate alors que les stratégies méritent d'être interrogées et débattues.

Les orientations industrielles ne sauraient être déterminées par des critères de gestion réduits à des indicateurs de création de valeur financière formatés selon les attentes des actionnaires et des fonds spéculatifs. Chez Arcelor, l'objectif prioritaire semble pourtant de séduire les analystes boursiers en affichant des ambitions de géant mondial qui n'hésite pas à gagner des parts de marché par des opérations de croissance externe au détriment de la croissance interne.

Tout est mis en œuvre pour générer du cash : les « économies » réalisées avec la fusion Usinor-Aceralia-Arbed atteignaient 405 millions d'euros au 31 décembre 2003, soit 100 millions d'euros de plus que prévu. Arcelor serre aussi ses coûts salariaux pour amortir les conséquences de son expansion internationale par acquisitions, notamment au Brésil où le groupe a pris le contrôle, au début de l'été 2004, de la Companhia Siderurgica de Tubarao en dépensant 578 millions d'euros. Les marchés boursiers, dont Arcelor est encore plus dépendant après une augmentation de capital de 1,1 milliard d'euros en juillet 2004 exigent une résorption sévère de l'endettement. En 2004, la dette a été ramenée de 4,5 milliards à 2,5 milliards d'euros. Et les analystes financiers demandent de nouveaux tours de vis : « Le groupe doit poursuivre son effort pour atteindre un taux d'endettement de 30 % pour rester profitable en bas de cycle », estime un conseiller d'une banque d'affaire.

Les actionnaires influents attendent d'Arcelor qu'il réalise désormais régulièrement des performances identiques à celles de 2004, année durant laquelle le groupe aura dégagé un résultat net record de 2,3 milliards d'euros. Pour le seul premier trimestre 2005, le bénéfice a atteint 934 millions d'euros. Pour les dix ans à venir, la direction d'Arcelor a prévu d'accumuler 11 milliards d'euros de ressources qui lui permettraient, explique-t-elle, de « réfléchir à des fusions à grande échelle ». Or, ces contraintes de rentabilité se traduisent par des restructurations régulières entraînant des centaines de suppressions d'emplois en France et en Europe. Le numéro un de la Sidérurgie entend se recentrer sur ses sites côtiers - Dunkerque, Fos, Aviles en Espagne notamment - au détriment de ses implantations continentales - avec la fermeture annoncée des hauts fourneaux de Hayange et des aciéries de Sérémange et de Rombas en Moselle, ainsi que d'autres installations à Liège en Belgique et à Brême et Einsenhütenstadt en Allemagne.

La direction d'Arcelor a programmé la suppression de 1 000 postes au Luxembourg dans les produits longs, de 600 emplois d'ici 2006 à Sollac Lorraine, avec la fermeture à l'horizon 2009-2010 de la filière à chaud où travaillent 1 100 salariés. Dans les aciers plats, des plans de « rationalisation » sont en cours à Montataire dans l'Oise - 440 emplois en moins - et à Mardyck API dans le Nord, qui font suite à la fermeture du site de Biache, dans le Pas-de-Calais, intervenue en prélude à la fusion.

Les capacités de production d'inox en France sont radicalement réduites avec l'arrêt de l'usine de l'Ardoise dans le Gard et la fermeture de l'aciérie d'Isbergues dans le Pas-de-Calais dont l'activité sera transférée sur un nouveau complexe construit en Belgique. Pour amortir le choc social à Isbergues, Arcelor a délocalisé vers le Pas-de-Calais une unité de distribution, Ugine ALZ, implantée en Ile-de-France à Gonesse, supprimant 135 emplois. Fin 2003, 350 suppressions d'emploi sur 1 400 ont été annoncées sur le site d'Imphy dans la Nièvre.

Le désengagement d'Arcelor se traduit également par des cessions d'entreprises accompagnées de licenciements collectifs. Ainsi par exemple, l'usine Tubeurop de Vincey dans les Vosges, vendue au groupe basque Condesa, stoppe sa production de tubes à froid et divise son effectif par deux le ramenant à une cinquantaine de personnes. Les 223 salariés de l'Aciérie de l'Atlantique, à Bayonne, cédée en juin 2004 à l'espagnol Siderurgica Anon, sont également menacés par une réorganisation. Les autres producteurs d'acier présents en France, Vallourec, Ascométal-Lucchini, Riva ou Mittal Steel, ne sont pas en reste pour rationaliser drastiquement leurs équipement et leur main d'œuvre.

Face à ces restructurations incessantes, le gouvernement demeure passif ou complaisant et n'affirme aucune vision conquérante. L'industrie sidérurgique bénéficie pourtant d'importantes aides publiques allouées au nom de l'emploi, de l'aménagement du territoire ou encore de la recherche. Ce soutien accordé en vertu de l'intérêt général justifie un droit de regard, de contrôle et d'intervention. En outre, l'Etat dispose encore de leviers financiers pour soutenir des projets créateurs d'emplois et d'activités, via notamment une politique de crédits sélectifs et bonifiés.

Mais le gouvernement n'exige aucun compte et ne répond pas aux inquiétudes exprimées par les syndicats qui s'interrogent sur l'avenir de la sidérurgie en France, et particulièrement sur le sort de la fabrication d'inox dans l'hexagone menacée, selon eux, de disparition pure et simple. Ils s'alarment des retards technologiques dans les infrastructures françaises alors même que les investissements sont affectés en priorité au Brésil et à l'Asie. Comment un groupe comme Arcelor peut-il espérer prospérer sainement à l'international en se détournant de son assise productive et technologique européenne, celle là même qui lui confère sa réputation de fiabilité et de réactivité ? Peut-on se satisfaire de programmes de recherche-développement qui, à l'exemple des projets de Sollac en Lorraine, sont revus à la baisse et concentrés sur l'innovation produits au détriment de la modernisation des procédés de fabrication ? Les syndicats et leurs conseillers économiques proposent pourtant d'explorer d'autres pistes susceptibles d'ouvrir des horizons productifs nouveaux.

Au demeurant, comment les sites français peuvent-ils prospérer alors que le PDG d'Arcelor a annoncé un gel des embauches jusqu'en 2010 et que 1 500 départs en retraite sont prévus en France entre 2005 et 2006 ? Comment assurer un développement industriel pérenne en recourant massivement à l'intérim et en détériorant les conditions de travail par un accroissement de la flexibilité ? La logique purement financière des directions d'entreprises ne contredit-elle pas les ambitions de qualité affichées ?

Les représentants des salariés demandent aux élus politiques de se saisir de la question de la filière acier avec détermination, non pas pour se cantonner à un rôle de « chambre d'enregistrement » mais pour faire émerger des solutions alternatives aux destructions de capacités et d'emplois.

Le 24 février 2005, le Parlement européen a adopté une résolution sur les perspectives de la sidérurgie dans laquelle il invite « la Commission et les Etats membres à promouvoir des initiatives tendant à conjurer le démantèlement de la sidérurgie européenne et ses conséquences en pertes d'emplois qualifiés, notamment dans les pôles d'excellence où beaucoup a été investi en faveur de l'innovation ».

C'est dans le même état d'esprit et avec une volonté constructive que les députés communistes et républicains déposent cette proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur les conditions de la sauvegarde et du développement de la filière de production d'acier en France et en Europe.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

En application des articles 140 et suivants du Règlement, est créée une commission d'enquête de trente membres chargée d'investiguer sur les conditions de la sauvegarde et du développement de la filière de production d'acier en France et en Europe.

Composé et imprimé pour l'Assemblée nationale par JOUVE
11, bd de Sébastopol, 75001 PARIS

Prix de vente : 0,75 €
ISBN : 2-11-119310-0
ISSN : 1240 - 8468

En vente à la Boutique de l'Assemblée nationale
4, rue Aristide Briand - 75007 Paris - Tél : 01 40 63 61 21

N° 2433 - Proposition de résolution de M. Alain Bocquet tendant à la création d'une commission d'enquête sur les conditions de la sauvegarde et du développement de la filière de production d'acier en France et en Europe

1 () Constituant le groupe des député-e-s communistes et républicains.


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