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N° 2500

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 13 juillet 2005.

PROPOSITION DE LOI

visant à rendre inamnistiables les crimes contre l'humanité,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration
générale de la République, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais
prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE

par MM. Lionnel LUCA, Patrick BALKANY, Patrick BEAUDOUIN, Jean-Claude BEAULIEU, Jacques-Alain BÉNISTI, Jean-Louis BERNARD, Marc BERNIER, André BERTHOL, Jean-Michel BERTRAND, Mme Véronique BESSE, MM. Gabriel BIANCHERI, Roland BLUM, Gilles BOURDOULEIX, Philippe BRIAND, Bernard BROCHAND, Bernard CARAYON, Richard CAZENAVE, Roland CHASSAIN, Philippe COCHET, Mme Geneviève COLOT, MM. Jean-Yves COUSIN, Jean-Michel COUVE, Charles COVA, Olivier DASSAULT, Christian DECOCQ, Bernard DEFLESSELLES, Lucien DEGAUCHY, Stéphane DEMILLY, Jean-Jacques DESCAMPS, Philippe DUBOURG, Jean-Michel FERRAND, André FLAJOLET, Jean-Claude FLORY, Philippe FOLLIOT, Mme Arlette FRANCO, MM. Georges GINESTA, Charles-Ange GINESY, Louis GISCARD-D'ESTAING, Claude GOASGUEN, Jacques GODFRAIN, Mme Arlette GROSSKOST, MM. Louis GUÉDON, Jean-Claude GUIBAL, Jean-Jacques GUILLET, Christophe GUILLOTEAU, Pierre HELLIER, Michel HERBILLON, Francis HILLMEYER, Edouard JACQUE, Christian JEANJEAN, Mme Maryse JOISSAINS-MASINI, MM. Patrick LABAUNE, Yvan LACHAUD, Robert LAMY, Jean-Marc LEFRANC, Jean-Louis LÉONARD, Mme Geneviève LEVY, MM. Alain MADELIN, Richard MALLIÉ, Thierry MARIANI, Jean MARSAUDON, Philippe-Armand MARTIN,
Mme Henriette MARTINEZ, MM. Jacques MASDEU-ARUS, Christian MÉNARD, Alain MERLY, Damien MESLOT, Pierre MICAUX, Georges MOTHRON, Étienne MOURRUT, Jacques MYARD, Jean-Marc NESME, Jean-Pierre NICOLAS, Jean-Marc NUDANT, Étienne PINTE, Mme Bérengère POLETTI, MM. Bernard POUSSET, Jean PRORIOL, Didier QUENTIN, Michel RAISON, Jean-Luc REITZER, Jacques REMILLER, Marc REYMANN, Jean-Marc ROUBAUD, Rudy SALLES, Michel SORDI, Daniel SPAGNOU, Mme Hélène TANGUY, MM. Michel TERROT, Rodolphe THOMAS, Léon VACHET, Christian VANNESTE, François VANNSON, Francis VERCAMER, François-Xavier VILLAIN, Philippe VITEL, Michel VOISIN, Laurent WAUQUIEZ et Gérard WEBER

Députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Pendant les huit années de Guerre d'Indochine, les forces de l'Union française ont déploré 76 000 morts au combat parmi lesquels 2 000 officiers. Elles ont perdu 37 000 prisonniers dont 16 000 Vietnamiens. Sur ces 37 000 prisonniers, 10 750 seulement ont été libérés. Parmi ces libérés, figurait Jean-Jacques Beucler (Président du Comité d'Entente des Anciens d'Indochine, ancien Ministre, ancien Officier et prisonnier du Camp N° 1 au Tonkin) qui démasqua publiquement, lors d'un colloque à la Sorbonne, le Professeur Georges Boudarel. De juin 1952 à février 1954, Georges Boudarel a en effet été commissaire politique du Viêt-minh, et c'est à ce titre qu'il fut chargé de la rééducation idéologique des militaires français prisonniers dans des camps de brousse.

En effet, après la défaite de Diên Biên Phu, sur les 4 436 hommes blessés durant la bataille, 858 ont été évacués par la Croix Rouge. Les 3 578 autres soldats, jugés aptes à la captivité, selon les critères viêt-minh, ont été transportés vers des camps de concentration. Les 400 prisonniers valides ont dû rejoindre à pied leur camp situé à près de 600 kilomètres. Le « Convoi 42 » a perdu 83 hommes au cours de la longue marche. 250 hommes reposent à jamais dans les fondrières de l'effroyable « Camp 42 ». Moins de 70 recouvrent la liberté en septembre 1954.

Tous les prisonniers ont souffert des marches forcées, des privations de nourriture, et de l'absence de soins, ce qui a favorisé l'apparition de maladies : paludisme, dysenterie, tuberculose, dénutrition, affection neuropsychiatriques... qui ont souvent entraîné leur mort. Ces hommes n'ont pas bénéficié de l'application de la Convention de Genève, puisqu'aux yeux des soldats viêt-minh, ils n'étaient pas des prisonniers de guerre, mais les « instruments aveugles » du colonialisme et du capitalisme.

Le 7 février 1953, Georges Boudarel, alors professeur d'histoire, prit en main le camp 113 situé au Nord Tonkin dans la région de Ha-Giang. Avec une cruauté perverse, il appliqua sur ses compatriotes la méthode d'avilissement par la faim, la déchéance physique, l'endoctrinement politique et la délation entre détenus. Durant l'année de son intervention au camp 113, sur 320 prisonniers français, 278 ont péri.

Profitant de la loi d'amnistie de 1966, il n'eut aucun mal à obtenir le rétablissement de ses droits universitaires.

Quelques années plus tard, se préoccupant de sa retraite, il demanda la validation de ses « loyaux services » du 19 décembre 1950 au 30 septembre 1967, en indiquant pour la période 1951-1954 : « Voyage d'études en Extrême-Orient » et pour celle de 1955 à 1958 : « professeur de français à l'école de pédagogie de Hanoi ».

En 1991, Wladislas Sobanski, sergent des Troupes Coloniales, dépose avec l'ANAPI (Association Nationale des Anciens Prisonniers et Internés d'Indochine) représentée par son président, le Général Yves de Sesmaisons, une plainte pour « crime contre l'humanité » à l'encontre de Georges Boudarel, avec constitution de partie civile entre les mains du Doyen des Juges d'Instruction de Paris contre Georges Boudarel « du chef de crimes contre l'humanité ». Ils dénoncent les agissements de ce dernier qui, en tant que commissaire politique adjoint au commandant du camp 113 en 1953, s'était rendu responsable de la persécution et de la mort de nombreux prisonniers français.

Au vu de cette plainte, le Procureur de la République de Paris prend des réquisitions de refus d'informer fondées sur l'article 30 de la loi n° 66-409 du 18 juin 1966, portant amnistie. Le juge d'instruction émet une ordonnance estimant que les actes énoncés par les parties civiles, à les supposer établis, sont constitutifs de crimes contre l'humanité, selon l'article C-6 du statut du tribunal Militaire International de Nuremberg, annexé à l'accord de Londres du 8 août 1945, et à ce titre imprescriptibles. Il décide donc, contrairement aux décisions du Parquet, d'informer sur la plainte aux fins d'établir si les comportements reprochés à Georges Boudarel par les parties civiles pouvaient être qualifiés de crimes contre l'humanité.

Statuant sur l'appel interjeté le 13 septembre 1991 par le Ministère Public, un arrêt de la Chambre d'Accusation de la Cour d'Appel de Paris qualifie, à l'appui de cette plainte, les faits susceptibles d'être reprochés à Georges Boudarel de crimes contre l'humanité, mais admet que la loi d'Amnistie du 18 juin 1966 leur est applicable et que, par l'effet de cette amnistie, l'action publique est éteinte de sorte qu'il n'y a pas lieu d'informer. Elle confirme ainsi la bonne foi des plaignants.

Il en résulte que ces faits ont été tenus pour amnistiés, sans que la Cour de Cassation se pose la question de savoir s'ils pouvaient, en égard à leur nature, être englobés dans une amnistie. C'est ainsi que Georges Boudarel, tortionnaire de soldats français prisonniers du Viêt-minh, a échappé aux poursuites engagées contre lui sur plainte avec constitution de partie civile de ses victimes, du chef de crimes contre l'humanité.

Il n'est pas question de rouvrir le débat auquel a donné lieu cette affaire qui a été jugée définitivement, et ce, d'autant plus que Georges Boudarel est décédé en 2003. Toutefois, pour l'avenir, il importe, par cohérence avec le principe d'imprescriptibilité posé à l'alinéa premier de l'article 213-5 du code pénal, de préciser que les crimes contre l'humanité sont inamnistiables.

Au-delà de cet exemple, cette précision serait également applicable à tous les conflits contemporains.

Tel est, Mesdames, Messieurs, l'objet de la présente proposition de loi que nous vous demandons de bien vouloir adopter.

PROPOSITION DE LOI

Article unique

L'article 213-5 du code pénal est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Ces crimes sont inamnistiables. »

Composé et imprimé pour l'Assemblée nationale par JOUVE
11, bd de Sébastopol, 75001 PARIS

Prix de vente : 0,75 €
ISBN : 2-11-119364-X
ISSN : 1240 - 8468

En vente à la Boutique de l'Assemblée nationale
4, rue Aristide Briand - 75007 Paris - Tél : 01 40 63 61 21

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N° 2500 - Proposition de loi visant à rendre inamnistiables les crimes contre l'humanité (M. Lionnel Luca)


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