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N° 2505

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 26 juillet 2005.

PROPOSITION DE LOI
ORGANIQUE

visant à réaffirmer le principe de séparation des pouvoirs
et la présomption d'innocence en précisant
le
devoir de réserve des magistrats,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration
générale de la République, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais
prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE

par M. Jacques MYARD

Député.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L'article 64 de la Constitution consacre l'indépendance de l'autorité judiciaire, dont le Président de la République est garant, et rend inamovibles les magistrats du siège. Libres de toute pression politique ou médiatique éventuelle, ils sont ainsi seuls dépositaires de l'autorité judiciaire qui sanctionne la loi, expression de la souveraineté nationale.

Le principe constitutionnel de l'indépendance de la justice est précisée dans l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature. Son article 4 réaffirme le principe d'inamovibilité des magistrats du siège, et l'article 5 proclame la liberté de parole à l'audience des magistrats du parquet qui restent sous le contrôle de leur hiérarchie placée sous l'autorité du Garde des Sceaux. L'article 11 garantit la protection des magistrats contre les « menaces ou attaques de quelle que nature que ce soit ». Enfin l'article 11-1 limite leur responsabilité aux « fautes personnelles se rattachant au service public de la justice ». En d'autres termes, ils n'ont à rendre compte d'aucune action ou décision autre que de manquements caractérisés aux lois et règlements qui encadrent les procédures judiciaires.

L'indépendance de l'autorité judiciaire dans son ensemble, ainsi que celle des juges à titre individuel, est donc fortement affirmée et garantie par la loi. Elle confère ainsi aux juges un statut professionnel et personnel unique dans la société française, dès lors qu'aucune exclusion, ni mutation, ni sanction ne peut leur être infligée pour les actions et les décisions qui relèvent de leur compétence. Ils jouissent ainsi de la sérénité indispensable à une justice équitable.

Toutefois, cette immunité implique pour ceux qui en disposent une réserve qui empêche tout détournement de ce statut à des fins personnelles, partisanes, ou politiques. Ainsi l'article 10 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 interdit-il « toute délibération politique » au corps judiciaire, de même que « toute manifestation d'hostilité au principe ou à la forme du gouvernement de la République », ou encore « toute démonstration de nature politique incompatible avec la réserve que leur imposent leurs fonctions ». Enfin « est également interdite toute action concertée de nature à arrêter ou entraver le fonctionnement des juridictions », ce qui limite leur droit de grève au nom de la continuité des services assurant une mission régalienne.

Ce devoir de réserve dépasse le principe du secret professionnel qui s'applique à tous les fonctionnaires, et surtout le secret de l'instruction que tout magistrat s'engage à respecter par le serment énoncé à l'article 6 de l'ordonnance du 22 décembre 1958. Toutefois, « la réserve que leur imposent leurs fonctions » (article 10) n'est définie par aucun texte.

Elle implique manifestement une discrétion des magistrats dans leur comportement professionnel et privé, censée empêcher toute manifestation ostentatoire de leurs prérogatives, toute publicité autour de leur personne, et toute intervention de quelle que nature que ce soit dans le débat public au sens large du terme.

Or depuis plusieurs années, on assiste à une médiatisation inquiétante de certaines procédures judiciaires, et des magistrats eux-mêmes. Lorsque ces procédures impliquent des personnalités publiques, leur médiatisation outrancière substitue à l'action judiciaire une condamnation sans appel devant l'opinion publique, au mépris total de la présomption d'innocence qui est pourtant l'un des piliers de la démocratie. Ainsi, toute personnalité publique faisant l'objet d'une simple convocation devant un juge d'instruction, a fortiori lorsqu'elle est mise en examen, est implicitement coupable, et en subit un préjudice irréparable au regard de sa personne, de sa réputation, de sa vie privée et professionnelle.

Les juges ainsi médiatisés se voient érigés, grâce à la notoriété des personnes sur lesquelles ils enquêtent, au rang de vedettes dans ces véritables feuilletons de « télé-réalité ». Cette médiatisation crée une image artificielle du juge, détournant la discrétion qu'implique son statut pour en faire une sorte de justicier, ou encore une autorité morale qui prétend éclairer l'opinion sur toutes les questions qui traversent la société.

Cette tentation moralisatrice se protège derrière le principe de liberté d'expression qui fait partie des libertés fondamentales. L'avis du Conseil supérieur de la Magistrature du 27 mai 1998 estime ainsi que les magistrats peuvent « par voie de presse ou par tout autre moyen, à titre individuel ou syndical, exprimer son opinion sur tous les sujets, y compris ceux qui concernent la justice », sous réserve de « la préservation de la dignité et de l'autorité de la fonction, du secret de l'instruction, et de la présomption d'innocence ».

Dans cet avis, le Conseil supérieur de la Magistrature n'estime pas en outre pouvoir préciser davantage les modalités du devoir de réserve des magistrats « sans méconnaître l'obligation rigoureuse d'impartialité auquel il est lui-même soumis », remettant à l'autorité politique du Ministre de la Justice l'opportunité des actions disciplinaires. Or le Garde des Sceaux a également le devoir de respecter et garantir l'indépendance de la justice.

C'est pourquoi un statu quo s'est installé autour de la question du droit de réserve - y compris pour les magistrats du parquet - et de plus en plus nombreux sont ceux qui interviennent ouvertement dans le débat public, sur tous les sujets, et même concernant des procédures instruites par leurs collègues, perturbant ainsi le fonctionnement de l'institution judiciaire.

Le principe de séparation des pouvoirs interdit au Président de la République ainsi qu'aux membres du gouvernement et au Garde des Sceaux, tout commentaire sur le traitement des affaires judiciaires en cours. Ce même principe doit alors s'appliquer aux magistrats en leur interdisant toute prise de position susceptible d'influencer la procédure législative, les décisions du gouvernement, ou l'expression du suffrage populaire. Un retour aux seules missions régaliennes de la justice - poursuivre et sanctionner les violations de la loi - redonnera au service public de la justice la sérénité qui permettra aux magistrats de faire leur travail dans les meilleures conditions, sans porter atteinte au principe de séparation des pouvoirs ni à la présomption d'innocence.

Telles sont les raisons de la proposition de loi organique qu'il vous est demandé d'adopter :

PROPOSITION DE LOI ORGANIQUE

Article unique

L'article 10 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature est complété par quatre alinéas ainsi rédigés :

« Est également strictement interdite toute déclaration publique ou par voie de presse susceptible d'avoir une influence sur le débat public, la procédure législative, la politique des autorités publiques, l'expression du suffrage populaire, ou sur la conduite d'une procédure judiciaire en cours quelle que soit la juridiction compétente.

« Le Parquet auprès de chaque juridiction est seul habilité à communiquer à la presse les informations qu'il juge utiles sur les affaires judiciaires en cours. Dans ce cas, il veille tout particulièrement à préserver le secret de l'instruction et le principe de présomption d'innocence.

« En cas de manquement aux principes ci-dessus, tout magistrat est suspendu, après avis du Conseil supérieur de la Magistrature saisi par le Garde des Sceaux Ministre de la Justice, par le Président de la Juridiction compétente, sans préjudice des sanctions disciplinaires prévues à l'article 45, ou des poursuites judiciaires dont il peut faire l'objet.

« Le Conseil supérieur de la Magistrature rend son avis dans un délai de 72 heures. »

Composé et imprimé pour l'Assemblée nationale par JOUVE
11, bd de Sébastopol, 75001 PARIS

Prix de vente : 0,75 €
ISBN : 2-11-119374-7
ISSN : 1240 - 8468

En vente à la Boutique de l'Assemblée nationale
4, rue Aristide Briand - 75007 Paris - Tél : 01 40 63 61 21

N° 2505 - Proposition de loi organique de M. Jacques Myard visant à réaffirmer le principe de séparation des pouvoirs et la présomption d'innocence en précisant le devoir de réserve des magistrats


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