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N° 2521

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 12 septembre 2005.

PROPOSITION DE LOI

tendant à la modernisation de la fonction publique de l'Etat,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration
générale de la République, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais

prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE

par MM. Léonce DEPREZ, Jean-Claude ABRIOUX, Jean AUCLAIR, Mme Brigitte BARÈGES, MM. Jean-Claude BEAULIEU, Bernard BROCHAND, Pierre CARDO, Roland CHASSAIN, Philippe COCHET, Olivier DASSAULT, Jean-Pierre DECOOL, Bernard DEPIERRE, Jean-Jacques DESCAMPS, Dominique DORD, Georges GINESTA, Mme Arlette GROSSKOST, MM. Jean-Jacques GUILLET, Edouard JACQUE, Aimé KERGUERIS, Jacques KOSSOWSKI, Patrick LABAUNE, Edouard LANDRAIN, Jean-Marc LEFRANC, Daniel MACH, Thierry MARIANI, Franck MARLIN, Jean MARSAUDON, Philippe-Armand MARTIN, Alain MARTY, Jean-Marie MORISSET, Etienne MOURRUT, Jean-Marc NUDANT, Bernard POUSSET, Michel RAISON, Jacques REMILLER, Marc REYMANN, Léon VACHET, Mme Liliane VAGINAY et M. Christian VANNESTE
 

Additions de signatures :
MM. Patrick Beaudouin, Yves Bur, Dominique Caillaud, Yannick Favennec, Daniel Fidelin, Maurice Giro, Jean-Pierre Gorges, Emmanuel Hamelin, Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, MM. Robert Lamy, Richard Mallié, Jean-Marie Morisset, Hervé Novelli, Daniel Prévost, Jean-Marc Roubaud, Mme Michèle Tabarot, MM. Dominique Tian et Gérard Voisin
M. Bernard Deflesselles
M. Christian Philip
 

Députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La France est réputée pour la qualité de sa fonction publique.

La fonction publique territoriale et la fonction publique hospitalière ont connu des évolutions qualitatives et quantitatives reconnues répondre aux besoins de la nation et aux progrès de la société.

Mais il faut faire œuvre de clarification et de réforme au niveau de l'Etat.

Selon les calculs de l'Observatoire de l'emploi public, entre 1980 et 2001, le chiffre des effectifs physiques des trois fonctions publiques est passé de 3,9 à 4,7 millions de personnes (agents titulaires et non titulaires hors emplois aidés). En 21 ans, les effectifs ont donc officiellement augmenté de 891 000 unités, soit une progression de 23 % contre 14 % pour l'ensemble de la population active. La période 1990-2001 a été la plus prolifique, avec 498 300 emplois supplémentaires, contre 392 700 entre 1980 et 1990.

Au niveau de l'Etat, le terme d'emploi budgétaire est, à lui seul, une abstraction qui ne correspond jamais aux effectifs réels de la fonction publique. Plus de 60 000 fonctionnaires dépendant d'un ministère sont affectés dans d'autres ministères ou administrations. Les administrations recrutent parfois au-delà des autorisations prévues par la loi de finances et les crédits des rémunérations principales se trouvent utilisés pour financer des vacations ou des contractuels.

Cette situation a conduit à la création de l'Observatoire de l'emploi public, chargé de contrôler les effectifs des trois fonctions publiques. Rattaché à la direction générale de la fonction publique, elle-même directement rattachée aux services du Premier Ministre, l'Observatoire a reçu pour mission de faire périodiquement la lumière sur les effectifs publics au moyen d'un rapport annuel.

Au 31 décembre 2001, la France comptait 5 millions d'agents publics (1).

Dans le budget de l'Etat, le poids de la fonction publique est devenu si écrasant qu'il se situe désormais au cœur de la problématique de la réforme de l'Etat. Plus nombreux et statutairement plus protégés en France que dans tous les autres pays développés (2), les fonctionnaires et agents publics représentent par le poids des charges qu'ils induisent dans le budget de la nation, une priorité dans l'action gouvernementale tendant à rendre la France plus compétitive.

La réduction des charges de fonctionnement est dans toute entreprise une condition du développement des efforts d'investissement qui assurent l'avenir.

La fonction publique est une exigence de l'équilibre de la Nation. Il faut donc en tenir compte en ne remplaçant que très partiellement les très nombreux fonctionnaires. Mais la modernisation indispensable de l'Etat impose aujourd'hui de faire évoluer, pour affronter le nouveau siècle, le statut de la fonction publique (3).

En effet, le statut actuel fige toute une catégorie de Français dans un cadre fermé aux exigences de mobilité et de progression des vies personnelles en fonction des mérites.

Bon nombre de nos partenaires ou voisins européens nous montrent la voie.

Ainsi, la Suisse a-t-elle réformé le statut de la fonction publique fédérale par une loi du 24 mars 2000 sur le personnel de la Confédération. Ayant fait l'objet d'une demande de référen-dum, cette loi a été approuvée par les deux tiers des votants, consacrant la victoire des partisans de la réforme sur les défenseurs du statu quo.

La fonction publique de la Confédération suisse a, en réalité, connu une double réforme dans la dernière décennie : celle de l'organisation du gouvernement et de l'administration et celle du statut du personnel. Les deux changements ont obéi aux impératifs d'amélioration de la performance de l'administration publique dans un environnement concurrentiel, et de maîtrise des coûts face à la nécessité de freiner l'augmentation massive de l'endettement public.

Si la Confédération employait 112 000 agents au 1er janvier 2004, contre 140 000 en janvier 1996, c'est surtout l'assouplissement des rapports de service, par rapport à l'ancien statut des fonctionnaires, qui retient doublement l'attention. D'une part, le système antérieur de nomination des agents pour une période administrative de quatre ans a été remplacé par la conclusion d'un contrat de droit public, écrit et individuel. D'autre part, l'employeur peut licencier non seulement en cas d'insuffisance dans les prestations mais aussi pour cause de diminution de la demande en personnel, en raison d'« impératifs économiques ou d'exploitations majeurs » et dans la mesure où il ne lui est pas possible de proposer à l'intéressé « un autre travail pouvant raisonnablement être exigé de lui ». La protection du salarié contre le licenciement reste néanmoins supérieure à celle du secteur privé, en contrepartie de l'acceptation d'une contrainte de mobilité, nul ne pouvant exiger de rester employé au même endroit en cas de suppression de poste. Le délai de licenciement s'étend alors à six mois dès la 11e année de service et la protection contre le licenciement arbitraire est assurée.

La Suède a emprunté une voie semblable au début des années 90. Des réformes d'envergure ont alors été engagées et le nombre de fonctionnaires d'Etat a été réduit de 400 000 à 200 000. Cependant, au-delà des aspects quantitatifs, la réforme de la fonction publique a aussi porté sur le sens même de la nature et des missions des fonctionnaires. Le fonctionnaire est devenu une sorte de super-comparateur de devis, un gestionnaire de centre d'appels d'offres. Il existe, par exemple, une direction chargée de gérer tous les appels d'offres relatifs à tous les modes de transports du pays. Cette administration emploie douze personnes, directeur compris, sous contrat de droit privé.

Aussi, à l'aune des exemples étrangers qui viennent d'être exposés, un point est désormais acquis : la réforme du statut trop ancien de notre fonction publique est possible.

En France, le statut de 1946 et à plus forte raison ceux issus de la réforme de 1983-1984 (loi du 13 juillet 1983 applicable à l'ensemble des fonctionnaires ; loi du 11 janvier 1984 pour la fonction publique de l'Etat ; loi du 26 janvier 1984 pour la fonction publique territoriale ; loi du 9 janvier 1986 pour la fonction publique hospitalière) concernent un nombre considérable d'agents.

Qu'est-ce qui justifie une conception aussi large du fonctionnaire régi par le statut ?

Débattue à la fin du XIXe siècle, cette question - toujours d'actualité - vit s'opposer deux thèses principales :

- la première était développée par quelques juristes publicistes (Berthélémy, Nézard) pour qui il aurait fallu distinguer entre les fonctionnaires d'autorité, investis d'une portion de la puissance publique et, à ce titre, soumis à un statut légal dérogatoire au droit commun, et les agents chargés de la seule gestion des intérêts collectifs, qui n'exercent pas une mission liée à la souveraineté de l'Etat et qui, par conséquent, devraient être employés dans les mêmes conditions que les salariés de droit privé ;

- la seconde, qui s'est majoritairement imposée en France, et en particulier dans la jurisprudence du Conseil d'Etat, reposait sur la conviction que ce qui fait le fonctionnaire, ce n'est pas la nature des actes accomplis et la participation à l'exercice de la puissance publique, mais « la participation permanente et normale au fonctionnement du service public » (Duguit). C'est cette définition qu'on retrouve dans les statuts actuels.

Une conception non française de la fonction publique statutaire d'Etat limitée aux activités régaliennes de l'Etat, est aujourd'hui assez courante en Europe : elle est, par exemple, celle de l'Allemagne depuis 1949, de l'Italie aussi, depuis une réforme entamée il y a dix ans, et elle correspond à la conception communautaire restrictive de « l'emploi dans l'administration publique ».

Tout en voulant maintenir à la fonction publique d'Etat la considération qu'elle mérite en France, il est temps que le législateur français adapte cette fonction publique d'Etat à une conception plus moderne et plus proche de la fonction publique exprimée dans les pays voisins européens.

Pour ce faire, il est nécessaire de poser le principe général du recrutement sous contrat des agents du secteur public de l'Etat, à l'exception de ceux exerçant une mission liée à la souveraineté de l'Etat. Dans le même esprit, est-il opportun de prévoir que les fonctionnaires en activité au service de l'Etat à la date d'entrée en vigueur de la présente loi pourront choisir de renoncer à leur statut actuel pour conclure un contrat avec les administrations ; ce droit d'option leur est ouvert pendant deux ans à l'issue desquels le défaut d'option vaudra maintien de leur statut actuel. Sera ainsi consacré l'acte I de la modernisation du statut général de la fonction publique d'Etat.

Tel est l'objet de la présente proposition de loi.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

Les personnels civils des administrations de l'Etat, mentionnés à l'article 2 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, sont recrutés par contrat écrit à l'exception de ceux exerçant une mission liée à la souveraineté de l'Etat.

Un décret en Conseil d'Etat précise les modalités d'application du présent article.

Article 2

Les agents des services et établissements de l'Etat à caractère industriel ou commercial sont recrutés par contrat.

Un décret en Conseil d'Etat précise les modalités d'application du présent article.

Article 3

Dès la promulgation de la présente loi, le ministre chargé de la fonction publique de l'Etat engage des négociations avec les partenaires sociaux afin de définir, pour chaque administration, service ou établissement concerné par les deux articles précédents, les clauses et modalités du contrat de travail.

A défaut d'accord dans les six mois, les dispositions nécessaires sont prises par voie réglementaire.

Article 4

A la date d'entrée en vigueur de la présente loi, les fonctionnaires civils des administrations de l'Etat, tels que définis au premier alinéa de l'article premier, et les agents mentionnés à l'article 2 peuvent, pendant deux ans, opter pour le bénéfice des dispositions nouvelles de la présente loi. A défaut de leur choix express, le statut général leur sera appliqué jusqu'à leur départ définitif de la fonction publique de l'Etat.

Article 5

Sont maintenues en vigueur :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat.

Article 6

La présente loi entre en vigueur le 1er juillet 2006.

Composé et imprimé pour l'Assemblée nationale par JOUVE

11, bd de Sébastopol, 75001 PARIS

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N° 2521 - Proposition de loi tendant à la modernisation de la fonction publique de l'Etat (M. Léonce Deprez)

1 () Philippe Raynaud, L'emploi public entre 1980 et 2001, annexe 2, rapport de l'Observatoire de l'emploi public 2003 p. 17 des annexes.

2 () Commission des Comptes de la Sécurité Sociale, rapport de septembre 2003.

3 () La perspective de retraite infinançable a conduit un Inspecteur Général des Finances, Jean Choussat, à lancer un cri d'alarme en 1997 et à proposer une idée réaliste : profiter des départs à la retraite des fonctionnaires des classes nées en 1945 pour réduire les effectifs de la fonction publique d'Etat.


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