visant à favoriser le travail
et la revalorisation du pouvoir d'achat,
(Renvoyée à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales,
à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais
prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
PRÉSENTÉE
par MM. Hervé NOVELLI, Louis GISCARD d'ESTAING, Jean AUCLAIR, Jean-Claude BEAULIEU, Loïc BOUVARD, Bernard BROCHAND, Dominique CAILLAUD, Bernard CARAYON, Philippe COCHET, Bernard DEFLESSELLES, Lucien DEGAUCHY, Jean-Jacques DESCAMPS, Jean-Pierre DOOR, Gérard DUBRAC, Maurice GIRO, Claude GOASGUEN, Jean-Pierre GORGES, Mme Arlette GROSSKOST, MM. Jean-Jacques GUILLET, Daniel MACH, Richard MALLIÉ, Philippe-Armand MARTIN, Mme Nadine MORANO, M. Philippe ROUAULT, Mme Michèle TABAROT, MM. Dominique TIAN et Philippe VITEL
Députés.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Depuis plus de dix ans, la baisse des charges sociales patronales sur les bas salaires constitue, en France, un des principaux volets de la politique de lutte contre le chômage.
Depuis l'adoption des premiers dispositifs de charges patronales en 1993 en passant par les lois Aubry conditionnant ces abattements au passage à 35 heures, et enfin avec l'allègement des charges jusqu'à 1,6 % du SMIC, actuellement en vigueur, c'est près de vingt milliards d'euros que la collectivité mobilise, chaque année, pour cette politique.
Force est de constater que les résultats ne sont pas à la hauteur des espoirs attendus et des montants consacrés. Dans ces conditions, nous ne pouvons que nous interroger sur le bien-fondé de cette politique et sur son éventuelle remise en cause.
En effet, il convient de répondre aux questions suivantes : les exonérations de charges patronales correspondent-elles réellement aux besoins de notre économie ? Les effets pervers provoqués par cette politique, effets de seuil, ralentissement des augmentations salariales, ne pèsent-elles pas sur la croissance et donc sur l'emploi ? Ne pourrait-on pas mieux utiliser l'argent public tout en obtenant de meilleurs résultats pour l'emploi ?
La présente proposition de loi tend à répondre à ces questions et propose un dispositif de sortie des exonérations des charges patronales reposant sur une revalorisation des salaires.
I. - L'abaissement des charges sociales sur les bas salaires, justifié au début des années quatre-vingt-dix est devenu au fil des années inefficace voire contreproductif
L'exonération des charges sociales sur les bas salaires engagée en 1993 répondait à une double exigence : accroître la compétitivité des entreprises françaises et favoriser l'emploi des salariés les moins qualifiés. Elle était le pendant de la politique de désinflation compétitive ayant pour objectif la qualification à l'euro de la France.
Les menaces sur les bas salaires étaient plus de nature européenne que mondiale. Le facteur coût du travail était alors déterminant pour la survie de nombreuses entreprises. Le débat tournait autour, non pas des délocalisations, mais autour de la faillite de nombreuses PME ou même de grandes entreprises, victimes de la récession et de la politique des taux d'intérêt élevés. La menace n'était pas chinoise, indienne ou turque mais irlandaise, espagnole ou italienne. Cette politique visait à donner un peu de marges aux entreprises.
Ce processus a été amorcé avec le plan pour l'emploi du printemps 1993 qui instaurait une exonération totale de cotisations familiales patronales pour les salaires compris entre une fois et 1,1 fois le SMIC et une exonération à hauteur de 50 % pour les salaires compris entre 1,1 et 1,2 fois le SMIC. Avec la loi du 4 août 1995, il a été institué une ristourne dégressive sur les cotisations patronales de sécurité sociale, destinée aux salaires compris entre 1 et 1,2 fois le SMIC. Ce dispositif a été progressivement fusionné avec le précédent, le plafond ayant été, par ailleurs porté à 1,33 fois le SMIC. La loi du 11 juin 1996, dite loi Robien, prévoyait également qu'en contrepartie d'une négociation sur le temps de travail, l'entreprise pouvait bénéficier d'allègements de charges sociales.
Le Gouvernement de Lionel Jospin a, dans un premier temps, adopté des mesures limitant la portée du dispositif de réduction de charges. Ainsi, la loi de finances pour 1998 a abaissé le plafond des exonérations à 1,3 fois le SMIC.
Les lois Aubry ont, en revanche, lié les exonérations de cotisations avec la réduction du temps de travail. Elles s'appliquent de manière dégressive jusqu'à 1,6 fois le SMIC. Les exonérations de charges patronales sont utilisées pour compenser le coût généré par les 35 heures. D'offensive, la politique de baisses des cotisations devient défensive. Elle vise à corriger les effets pervers de la politique autoritaire de la réduction du temps de travail.
Afin d'atténuer les absurdités provoquées par les lois Aubry, la loi du 17 janvier 2003 a organisé l'unification des différents SMIC nés de l'application des 35 heures. Afin d'atténuer le coût de cette unification pour les entreprises, un effort en termes d'allègements de charges sociales a été mené, effort concentré sur les bas salaires.
Le bilan de dix ans de réduction de charges sociales n'est pas négatif ; loin de là. Selon les études menées par la Direction de la prévision (2004), les exonérations de charges sociales auraient de 1994 à 2004 permis de sauver de 300 000 à 500 000 emplois. Cette politique a permis de surmonter la récession de 1993 et le passage à l'euro ; elle a permis de limiter autant que possible le surcoût manifeste des 35 heures.
Mais aujourd'hui, la situation économique n'est plus la même.
En dix ans, l'économie mondiale a profondément évolué. L'Union Européenne s'est élargie à dix nouveaux États, la Chine est devenue la quatrième puissance commerciale, l'Inde est également en pleine phase de développement, la croissance du commerce mondial s'est amplifiée.
Force est de constater que la France ne tire pas profit de la mondialisation et ne bénéficie pas des retombées positives de la croissance mondiale à la différence du Royaume-Uni, de l'Irlande, de l'Espagne ou des pays scandinaves. Au contraire, elle subit cette croissance.
Aujourd'hui, il est vain de lutter sur les coûts du travail. Dans une économie de plus en plus ouverte et de plus en plus mondialisée, l'entrepreneur, confronté à la nécessité de réduire de manière importante son coût salarial, trouvera toujours un meilleur avantage à transférer sa production dans des pays à bas salaire à des niveaux sans commune mesure avec ceux pratiqués en France, même allégés d'une partie des charges sociales. Il ne faut pas s'apitoyer sur cette évolution. Premièrement, la France n'a pas les moyens de s'y opposer, deuxièmement, nous devons nous réjouir du décollage économique d'un grand nombre d'États, troisièmement, l'économie est le contraire de l'immobilisme. La France ne produit pas les mêmes biens qu'au XIXe siècle et elle n'a pas vocation à rester bloquée sur les biens du XXe siècle.
Il ne faut pas de toute façon exagérer la portée des délocalisations. Les secteurs concernés, le textile en particulier, avaient déjà connu des vagues de délocalisation dans les années quatre-vingts. Des études récentes concluent à un effet limité des délocalisations sur le marché du travail, de l'ordre de 24 000 chômeurs supplémentaires par an, soit moins de 0,1 point de taux de chômage, l'impact réel des délocalisations. La dynamique de moyen terme de l'internationalisation des échanges est celle du rattrapage salarial : celui-ci peut être rapide (pays d'Europe de l'Est) ou au contraire plus lent (Inde et Chine) suivant la vitesse du processus de convergence en cours et l'importance du « réservoir » de main-d'œuvre disponible. Le coût du travail ne constituerait donc plus aujourd'hui, selon le ministère de l'Emploi et de la Cohésion sociale, une source majeure de déséquilibre pour les entreprises, susceptible d'alimenter l'élévation du chômage structurel. Il n'en reste pas moins évoqué par beaucoup de chefs d'entreprise comme l'un des principaux freins à la création d'emploi.
La politique sur les bas salaires génère plusieurs effets pervers :
· Elle contribue à positionner notre économie sur des activités en déclin ;
· Elle grève lourdement les finances publiques ;
· Elle freine les augmentations de salaires et l'ascenseur social.
1. Une politique qui pousse l'économie vers le bas
La politique d'exonération de charges sur les bas salaires avait pour objectif de réduire le coût du travail en faveur des salariés les moins qualifiés. In fine, cela revient à freiner les gains de productivité.
Un ralentissement de la productivité a été constaté dans les années quatre-vingt-dix au moment même où les entreprises américaines ont amélioré la leur. L'écart en matière de gains de productivité entre la France et les États-Unis est de plus d'un point sur les dix dernières années. Or, ce sont les pays qui ont les gains de productivité les plus élevés, les États-Unis, le Royaume-Uni ou les pays scandinaves qui obtiennent les résultats les meilleurs en terme de croissance, d'emploi et de pouvoir d'achat.
Cette moindre productivité qui s'explique également par l'instauration des 35 heures a aussi pour conséquences une dégradation de notre solde commercial. En 2005, la balance commerciale a enregistré un déficit record de 25 milliards d'euros. Certes, le montant des exportations progresse mais moins vite que le commerce mondial ; certes, il y a eu un alourdissement de la facture pétrolière mais elle n'explique pas tout. La France perd des parts de marché sur tous les secteurs et en particulier dans les secteurs à forte intensité technologique comme, par exemple, dans l'industrie du médicament.
Les entreprises françaises sont absentes des secteurs en forte croissance (informatique, biotechnologies...). Les exportations sont concentrées sur des secteurs de plus en plus concurrentiels comme l'automobile où la bataille des prix fait rage. Pour gagner à l'exportation, il faut être « price maker » et non « price taker ». L'espace commercial de la France se limite trop souvent à l'Europe qui n'est pas malheureusement la zone la plus dynamique. Nos entreprises sont trop rares à exporter en Asie ou aux États-Unis.
Face aux défis qui se posent à notre économie, la question des exonérations sur les bas salaires est subsidiaire.
Les économies développées doivent pour le rester se positionner dans les domaines de la connaissance et du savoir, dans les domaines de la conception, de la recherche...
La France a pris du retard dans ces domaines.
En matière de recherche développement, la France fait pâle figure. Les entreprises françaises ne sont citées qu'à 7 reprises parmi les 100 entreprises qui dépensent le plus pour la recherche. Dans les secteurs de pointes, la France ne compte que deux représentants avec Sanofi-Avantis et Alcatel.
Faute d'avoir donné la priorité à la recherche, à l'innovation, la France vit sous la dictature des coûts. Une recherche efficace offre des marges de manœuvre, des espaces.
2. Complexité et coûts croissants pour les finances publiques
Au fil des rafistolages, des alternances, la politique d'allègement des charges sociales est devenue complexe voire peu lisible.
Il y a, en effet, plusieurs dispositifs qui cohabitent :
· La ristourne dite Juppé ;
· L'allègement Robien ;
· L'allègement Aubry I et II ;
· L'allègement Fillon ;
· Des allègements spécifiques destinés à des zones géographiques.
Ces exonérations sont également une source de complexité sans nom pour les finances publiques. Depuis leur adoption, chaque année, les mécanismes de compensation des pertes pour les régimes sociaux ont été modifiés. Ces allègements ont donné lieu à des débudgétisations, des rebudgétisations, à la création de comptes spéciaux. Ils ont opacifié les relations entre les caisses de sécurité sociale et l'État.
La politique d'exonération des charges sociales sur les bas salaires a accaparé, année après année, une part croissante des recettes des pouvoirs publics.
Évolution des moyens consacrés aux exonérations de charges,
en tenant compte des reports destinés aux allègements généraux en 2005
Ces vingt milliards d'euros pourraient certainement être mieux utilisés. Face au problème de l'emploi des jeunes ou face au problème du chômage de longue durée, la solution passe par un effort accru en matière de formation, d'insertion. Un effort en faveur de l'offre, de la recherche développement devrait être également réalisé.
3. Une économie entravée par la faiblesse des salaires
La croissance française repose essentiellement sur la consommation, l'investissement étant étalé autour de 10 % du PIB ; le commerce extérieur jouant négativement du fait de son caractère déficitaire. Mais, la consommation est un moteur très incertain en raison de la faible progression de la masse salariale. La hausse de 2 % constatée en 2005 est imputable à l'endettement croissant des ménages et à la baisse du taux d'épargne.
Les Français ont accru leur encours d'emprunts par trois en dix ans. Le taux d'endettement des ménages a atteint 62 % du revenu disponible soit un record au premier trimestre 2005. Le taux d'épargne a perdu deux points en trois ans.
Au mois de décembre, il est à noter que la consommation a reculé de 1 % ce qui démontre la fragilité de la reprise française. Cette fragilité est liée à la stagnation des salaires depuis plus de cinq ans qui s'explique en grande partie par les 35 heures.
De 1998 à 2001, les salaires ont progressé en moyenne de 1,2 % par an. En 2002, la hausse n'a été que de 0,2 %. En 2003, ils ont baissé de 0,3 % avant de réaugmenter de 0,4 % en 2004.
En comparaison, de 1996 à 2004, la consommation a augmenté de 22 % en Suède, de 32 % en Espagne et de 35 % au Royaume-Uni. Cette augmentation de la consommation repose, dans ces pays, sur une augmentation des salaires rendue possible par d'importants gains de productivité.
La réduction du temps de travail a donc eu un double impact, un impact sur l'offre en la rigidifiant à l'extrême, en renchérissant son coût et ne facilitant pas sa mutation ; un impact sur la demande en gelant les salaires. La France est donc à la fois confrontée à une crise de l'offre et à une crise de demande au moment où la croissance s'accélère, croissance qui exige des capacités d'adaptation rapide.
Enfin, les exonérations de charges créent des effets de seuil qui ne favorisent pas la promotion des salariés rémunérés au SMIC. Il y a des barrières de rémunération qui s'établissent au sein des entreprises. Le passage des seuils induit de tels coûts qu'il est dissuasif. De ce fait, année après année, il y a de plus en plus de salariés français rémunérés au SMIC ou dans la limite de 1,6 fois le SMIC. Leur revalorisation salariale est limitée à celle prévue de manière législative. La politique d'exonération conduit à réduire le champ de la négociation salariale à l'intérieur des branches et à l'intérieur des entreprises.
La politique de réduction des charges sur les bas salaires a donc un aspect négatif en matière de promotion sociale.
II. - Une réponse simple : donner du pouvoir d'achat en basculant les exonérations de charges patronales sur les charges salariales tout en favorisant le travail
Tout conduit, aujourd'hui, à sortir par le haut du dispositif d'allègement des charges sociales. Il faut tout à la fois revaloriser le travail, libérer les initiatives et faciliter l'augmentation du pouvoir d'achat.
Cette proposition de loi vise à faciliter le recours aux heures supplémentaires sans que cela pénalise les entreprises, tout en augmentant les salaires.
Aujourd'hui, le régime des heures supplémentaires à partir de la 36e heure supporte une majoration pour l'employeur de 10 % pour les entreprises de moins de 20 salariés et de 25 % pour les autres. Pour ces entreprises de moins de 20 salariés, nous pourrions mettre en place un dispositif d'exonération salariale pour les heures supplémentaires. Cette exonération qui procurerait en elle-même un gain de pouvoir d'achat d'au moins 20 % pour les salariés se substituerait à la majoration actuelle de 10 %.
La présente proposition de loi repose sur un dispositif à trois coups gagnants : pour les employeurs (qui ne payeraient plus la majoration des heures supplémentaires), pour les salariés et pour l'État car la prise en charge par celui-ci de cet allègement proviendrait d'une partie du coût actuellement consenti pour les allègements de charges patronales (de l'ordre de 500 millions d'euros si la mesure s'applique à l'ensemble des entreprises de moins de 20 salariés).
Passer ainsi d'une mesure inefficace à un gain de pouvoir d'achat tout en sortant concrètement des inconvénients liés aux 35 heures par la disparition des majorations des heures supplémentaires, serait une voie qui pourrait réconcilier la nécessité de revaloriser le travail tout en tenant compte de la réalité économique.
Concrètement, cette proposition de loi repose donc sur un système en trois points :
· suppression de la majoration des heures supplémentaires pour les PME ;
· augmentation du montant des heures supplémentaires de 20 % avec la suppression des charges salariales payées par le salarié ;
· compensation pour les régimes sociaux de l'exonération des charges salariales et assurée par une diminution des exonérations de charges patronales prévues par les lois sur la réduction du temps de travail.
Telles sont les considérations pour lesquelles je vous demande, Madame, Monsieur, de bien vouloir adopter la présente proposition de loi.
PROPOSITION DE LOI
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