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le 25 avril 2007


N° 3657

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 2 février 2007.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d’une commission d’enquête sur les causes de la surmortalité dans les ruchers français,

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire,
à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais
prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE

PAR MM. Jacques REMILLER, Patrick BEAUDOUIN, MME Véronique BESSE, MM. Jérôme BIGNON, Jean-Marie BINETRUY, Loïc BOUVARD, MME Françoise BRANGET, MM. Richard CAZENAVE, Jean-Michel COUVE, Patrick DELNATTE, Michel DIEFENBACHER, Nicolas DUPONT-AIGNAN, René GALY-DEJEAN, Claude GATIGNOL, Maurice GIRO, Jean-Claude GUIBAL, Christophe GUILLOTEAU, Emmanuel HAMELIN, Pierre HÉRIAUD, Olivier JARDÉ, Lionnel LUCA, Christian MÉNARD, Alain MERLY, Denis MERVILLE, Pierre MOREL-A-L'HUISSIER, Alain MOYNE-BRESSAND, MME Bérengère POLETTI, MM. Michel RAISON, Fréderic REISS, François ROCHEBLOINE, Jean-Marc ROUBAUD, Martial SADDIER, Guy TEISSIER, MME Irène THARIN et M. Alain VENOT,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

« Si l’abeille venait à disparaître, l’homme n’aurait plus que quelques années à vivre » disait Albert Einstein ; or, la surmortalité des abeilles continue...

Depuis dix ans, l’apiculture en Europe et en France vit la plus grave crise de son histoire. En France, 1 500 apiculteurs cessent leur activité, chaque année, depuis vingt ans. Alors que la moyenne d’âge s’élève pour atteindre aujourd’hui 65 ans, 5 000 emplois liés à l’apiculture sont directement menacés. Avec 33 000 tonnes produites (environ 30 kg par ruche), la production a chuté de 10 000 tonnes depuis dix ans, soit une baisse de 1 000 tonnes par an.

Lors du 16e congrès national de l’apiculture française qui s’est tenu à Bourg-en-Bresse du 13 au 15 ctobre 2006, l’unité abeille de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) a indiqué que les mortalités d’abeilles pendant l’hiver 2005 ont été très importantes (sur les 18 ruchers enquêtés, on constate 74 % de mortalités en moyenne – soit 74 % des ruches n’ont pas passé l’hiver).

Pourtant, dès 2003, les pouvoirs publics ont réagi. Le rappel chronologique qui suit le démontre :

– le 21 janvier 2003, le ministre de l’agriculture Hervé Gaymard demande la mise en place des ZOR (zones d’observation régionale). Ce dispositif visait à comparer les mortalités d’abeilles sur des zones traitées avec du Gaucho et du Régent et des zones sans ce type de traitement. Le projet n’a pu être mené à son terme. Aucune conclusion n’a pu en être tirée.

– le 24 février 2004, le ministre de l’agriculture, Hervé Gaymard, décide (1) de suspendre la commercialisation des spécialités agricoles à base de Fipronil, dont Régent TS avec application au 1er mai. Hervé Gaymard demande à l’AFSSA une expertise sur le Fipronil et la santé humaine ;

– le 25 mai 2004, le ministre décide également de suspendre l’utilisation du Gaucho ;

– le 4 avril 2005, le Conseil d'État annule la décision du ministre sur le retrait des autorisations de vente des spécialités à base de Fipronil pour non-respect de la procédure contradictoire et absence d’allégation d'une urgence qui aurait pu justifier le raccourcissement de la procédure de prise de décision ;

– le 5 avril 2005, l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) et l’Agence française de sécurité sanitaire environnementale (AFSSE) publient un rapport d’évaluation des risques pour la santé liés à l’emploi du Fipronil. On peut y lire que « L’analyse de l’ensemble des données a conduit le groupe d’experts à considérer qu’il n’y a pas actuellement d’éléments indiquant que l’exposition au Fipronil constitue un risque pour la santé de l’homme, dans les conditions d’emploi préconisées pour chaque type de produits » ;

– les 6, 15 et 19 avril 2005, le ministre de l’agriculture, Dominique Bussereau prend trois arrêtés interdisant toute commercialisation des produits phytosanitaires à base de Fipronil ;

– le 8 septembre 2006 : Dominique Bussereau déclare : « malgré l’interdiction des produits phytosanitaires incriminés dans l’hécatombe des abeilles, la mortalité de ces dernières est tout à fait anormale (déclaration recueillie par le journal La Vendée agricole du 8 septembre 2006) ;

– janvier 2007 : L’étude multifactorielle prospective 2002/2005 de l’AFSSA dont les conclusions viennent d’être connues (2) montre que les causes de la surmortalité des abeilles sont d’origine multifactorielle. On ne peut invoquer une cause unique. Parmi les causes majeures : des parasites (Varroa et Nosema Ceranae) et le manque de biodiversité (avec notamment des manques de nourriture de qualité pour les abeilles : pollen). L’AFSSA indique que 125 colonies d’abeilles ont été observées dans cinq départements avec quatre visites par rucher par an pendant trois ans (de 2003 à 2005).

À ce stade, il convient d’ailleurs d’observer que le 4 mai 2006, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA) a rendu publiques les conclusions du rapport de réexamen de l’évaluation des risques pesticides du Fipronil.

Deux conclusions méritent d’être soulignées.

1. – Les experts européens confirment de manière très nette les conclusions du rapport de l’AFSSA sur l’absence de risque du Fipronil pour la santé humaine : « Aucun potentiel génotoxique ou cancérogène n’a été mis en évidence. Le mécanisme d’induction des tumeurs thyroïdiennes a été discuté par les experts et considéré comme étant une réaction spécifique aux rats et non significative pour les humains. Aucune toxicité au niveau de la reproduction ou du développement n’a été observée. Les études neurotoxiques spécifiques ne révèlent aucun élément histopathologique dans le système nerveux ». Le Fipronil étant néanmoins toxique en cas d’inhalation, d’ingestion ou d’exposition cutanée intensive, le rapport propose la classification T (toxique), rejoignant en cela de nombreux produits de la pharmacopée actuelle.

2. – Selon les experts européens, l’usage du Fipronil lié au traitement des semences de maïs et de tournesol ne représente pas de risque pour les abeilles butineuses : « Aucun effet néfaste concernant les mortalités d’abeilles et leur survie n’a été observé dans l’ensemble des études effectuées sous tunnel. » En outre, les experts ont noté qu’«  il n’y avait aucune évidence probante permettant d’attribuer les incidents [de mortalité d’abeilles] à l’usage du Fipronil, hormis un seul cas, qui est attribué à une mauvaise qualité d’enrobage de tournesol ».

Conclusion : en 2004, le ministère prend une décision dans le flou scientifique en souhaitant appliquer le principe de précaution en attendant les conclusions des scientifiques (AFSSA, EFFSA). Et aujourd’hui, les conclusions dédouanent les produits incriminés deux ans après leur suspension (Gaucho et Régent).

À ce sujet, l’interview donnée par Hervé Gaymard à VSD, le 18 novembre 2004, est éclairante sur la pression médiatique d’alors : « Dans l’affaire du Régent et du Gaucho, il y a eu un emballement médiatique qui n’était sans doute pas étranger aux élections régionales de 2004. Mais le problème, c’est que des études scientifiques disent aujourd’hui que cette mortalité des abeilles ne serait pas due qu’aux pesticides incriminés, et là, pas un mot dans aucun journal de vingt heures. Il y a bien deux poids, deux mesures… Pourquoi ces nouvelles études seraient-elles moins fiables que les autres qui m’ont conduit à interdire les deux pesticides ? Et je peux vous révéler qu’elles montrent que la surmortalité des abeilles est aussi constatée dans des départements où ces produits n’ont pas été utilisés ».

Par conséquent, il importe de faire la lumière :

1. – Sur l’incohérence de la gestion technique et scientifique du dépérissement des abeilles en France. Ainsi, à la suite des premières alertes des apiculteurs en 1994, le ministre de l’agriculture de l’époque Jean Glavany a mis en place le CST (comité scientifique et technique) avec pour mission d’effectuer une étude technique et bibliographique des différents facteurs (étude multifactorielle) pour expliquer la surmortalité des abeilles.

Or, le CST a décidé de concentrer exclusivement ses travaux sur les effets de l’imidaclopride (Gaucho) et du Fipronil (Régent), ce qui limite scientifiquement l’approche.

Qui plus est, les produits ont été évalués dans le cadre d’une directive dont ils ne relèvent pas et les études retenues par le CST proviennent, en large majorité, d’un laboratoire qui n’est pas conforme aux BPL (bonnes pratiques de laboratoire), ce qui aurait dû suffire pour ne pas retenir ces études là. La méthode d’analyse n’a fait, à ce jour, l’objet d’aucune publication scientifique nationale ou internationale avec comité de lecture d’experts permettant de s’assurer de sa fiabilité.

En outre, la dernière étude de l’AFSSA sur la mortalité des abeilles n’a toujours pas été officiellement rendue publique. Celle-ci circule ici ou là dans les milieux apicoles. Elle vient même d’être diffusée sur le site internet d’un journal national. Or, elle n’est pas encore officiellement publiée à la date de rédaction du présent document. Pourquoi faire attendre la publication officielle alors qu’il en va de l’avenir même de l’apiculture ? Des décisions majeures pour la profession doivent être prises. L’apiculture ne peut supporter plus longtemps ce statu quo. Des produits comme le Gaucho et le Régent ont été suspendus, mais l’hécatombe des butineuses continue toujours. Les chercheurs de l’unité abeilles de l’AFSSA (MM. Aubert et Faucon) ont montré qu’il n’y a pas de cause unique à la surmortalité des abeilles. C’est en écoutant ces scientifiques dont le travail est dirigé par la directrice de l’AFSSA, Pascale Briand, et en prenant en compte les causes multifactorielles que l’apiculture pourra sortir de la crise.

Les résultats de l’AFSSA viennent compléter les conclusions apportées par des chercheurs dans d’autres pays confrontés aux problèmes de dépérissement des abeilles (Belgique, Espagne, Allemagne).

2. – Sur la manière dont les budgets de recherche pour l’apiculture ont été attribués et gérés en France notamment par le programme d’orientation apicole.

Les problèmes rencontrés par l’apiculture soulignent l’absence de recherche continue dans ce domaine. Il est étonnant, par exemple, que la filière n’ait pas un institut technique apicole qui, pour son bon fonctionnement comme pour le bien des apiculteurs et du consommateur, devrait être strictement indépendant. Une telle structure a pourtant existé jusqu’en 1988 sous le nom d’ITAPI mais a été dissoute.

Les abeilles jouent un rôle majeur pour l’environnement. 80 % des cultures de la planète dépendent de la pollinisation. Si les butineuses sont aussi importantes pour la biodiversité comme le montrent les chercheurs et les apiculteurs, la question de la surmortalité des abeilles doit être abordée par une commission d’enquête.

Telles sont les principales questions auxquelles devra répondre la commission d’enquête. Au demeurant, pourquoi une commission d’enquête ? Pour y voir clair. Pour établir le degré de responsabilité des différents facteurs intervenant dans la surmortalité des abeilles et pour définir les éléments indispensables (techniques, scientifiques, budgétaires et matériels) d’une ambitieuse politique nationale de l’apiculture.

Aussi, nous vous demandons, Mesdames, Messieurs, de bien vouloir adopter la proposition de résolution suivante.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

En application des articles 140 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale, est créée une commission d’enquête de trente membres chargée :

– d’évaluer les décisions prises depuis dix ans pour enrayer la surmortalité constatée dans les ruchers français ;

– de juger de la bonne utilisation des fonds européens par la filière apicole ;

– d’établir le degré de responsabilité des différents facteurs intervenant dans la surmortalité des abeilles ;

– et de définir les outils indispensables d’une politique nationale ambitieuse pour l’apiculture et la sauvegarde des abeilles.

1 () JO n° 49 du 27 février 2004, page 4064.

2 () mais non encore publiées.


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