graphique

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIEME LEGISLATURE

graphique

 

SESSION ORDINAIRE DE 2003 - 2004

COMPTE RENDU DES DÉBATS

de la

DEUXIÈME RÉUNION DES PRÉSIDENTS

D'ASSEMBLÉE PARLEMENTAIRE DES PAYS MEMBRES

DU DIALOGUE EURO-MÉDITERRANÉE « 5 + 5 »

(Paris - 7 et 8 décembre 2004)

SOMMAIRE

_________

pages

LISTE DES PRÉSIDENTS DE DÉLÉGATION 7

RÉUNION À L'ASSEMBLÉE NATIONALE (7 décembre 2004) 11

RÉUNION AU SÉNAT (8 décembre 2004) 29

* *

*

PRÉSIDENTS DE DÉLÉGATION

LISTE DES PRÉSIDENTS DE DÉLÉGATION

République algérienne démocratique et populaire

- M. Abdelkader BENSALAH, président du Conseil de la Nation

- M. Amar SAADANI, président de l'Assemblée populaire nationale

Royaume d'Espagne

- M. Manuel MARÍN GONZÁLEZ, président du Congrès des députés

- M. Francisco Javier ROJO GARCÍA, président du Sénat

République française

- M. Christian PONCELET, président du Sénat

- M. Jean-Louis DEBRÉ, président de l'Assemblée nationale

République italienne

- M. Pier Ferdinando CASINI, président de la Chambre des députés

- M. Lamberto DINI, vice-président du Sénat

Grande Jamahiria arabe libyenne populaire et socialiste

- M. Ahmed IBRAHIM, vice-président du Congrès général du Peuple

République de Malte

- M. Anton TABONE, président de la Chambre des représentants

Royaume du Maroc

- M. Abdelwahed RADI, président de la Chambre des Représentants

- M. Mustapha OUKACHA, président de la Chambre des Conseillers

République islamique de Mauritanie

- M. Dieng BOUBOU FARBA, président du Majlis Al-Chouyoukh (Sénat)

- M. Rachid OULD SALEH, président de l'Al Jamiya-Al-Wataniya

République portugaise

- M. Joan Bosco MOTA AMARAL, président de l'Assemblée de la République portugaise

République tunisienne

- M. Fouad MEBAZAA, président de la Chambre des députés

RÉUNION A L'ASSEMBLÉE NATIONALE
(7 décembre 2004)

RÉUNION A L'ASSEMBLÉE NATIONALE

(mardi 7 décembre 2004)

Thème : Les migrations de populations

M. Jean-Louis Debré, Président de l'Assemblée nationale, a ouvert la réunion en exprimant le plaisir qu'il éprouvait d'accueillir pour leur deuxième rencontre les présidents des assemblées parlementaires du dialogue « 5+5 », auxquels il a transmis tous les vœux d'amitié des députés français. Il a immédiatement passé la parole au représentant de l'assemblée libyenne, qui avait accueilli la précédente réunion.

M. Ahmed Ibrahim, Secrétaire général adjoint du Congrès général du peuple de la Libye, a présenté ses remerciements vifs et sincères aux deux chambres du parlement français pour leur hospitalité et leur excellente organisation. Il a rappelé que le Congrès général du peuple avait eu le privilège d'adresser la première invitation aux présidents des assemblées parlementaires du dialogue « 5+5 » pour une réunion commune tenue à Tripoli les 24 et 25 février 2003. Cela témoigne combien le Congrès général peut être attaché à la réussite et au renforcement de la coopération entre les assemblées parlementaires du pourtour méditerranéen.

La réunion de Paris marque un jalon important dans cette progression qui doit faire se multiplier les mécanismes de coopération et de consultation, tant au plan populaire qu'au plan institutionnel. Les nations du pourtour méditerranéen appartiennent à une communauté humaine dont les membres sont voués à s'entendre, dans le respect des rapports de bon voisinage et la recherche d'une coexistence pacifique. La justice et l'équité sont les principes qui doivent guider ces relations multilatérales, entretenues sur une base d'égalité et avec l'ambition d'apporter la stabilité et la paix durable à l'ensemble de la région.

Pour arriver à cette fin, les aspirations des peuples doivent pouvoir se réaliser de telle sorte qu'ils connaissent une mondialisation à visage humain. La paix ne peut prévaloir que dans une région débarrassée des armes de destruction massive comme de l'ingérence étrangère, où les Etats prennent en commun leurs responsabilités pour assurer la sécurité collective. Dans cette perspective, le recours à la force, tout comme la simple menace d'y recourir, apparaissent comme des pratiques condamnables, parce qu'elles sont contraires aux conventions internationales et aux droits de l'homme. Leur persistance ne pourrait que faire se multiplier les menaces terroristes.

Le Congrès général du peuple a toujours appelé à une coopération fraternelle entre les nations. Elle passe aujourd'hui par une pleine restauration de la souveraineté du peuple irakien et l'évacuation de son territoire par les forces étrangères qui l'occupent. En Palestine, les pratiques israéliennes sont régulièrement dénoncées comme des violations des droits de l'homme et des conventions internationales. La diplomatie doit œuvrer pour mettre fin à ces humiliations incessantes et répondre aux aspirations du peuple palestinien.

Afin de résoudre ces problèmes, le dialogue « 5+5 » pourrait associer à ses travaux l'Organisation de l'Union africaine. Il serait au demeurant logique et souhaitable qu'une union du Maghreb arabe fasse pendant à l'Union européenne. Dans ce cadre, les assemblées parlementaires devraient coopérer davantage pour mieux servir les intérêts des peuples de la région. Il ne reste qu'à souhaiter un plein succès à la présidence française et à adresser des vœux de réussite à tous.

M. Jean-Louis Debré, Président de l'Assemblée nationale, a déclaré combien il est attaché au rapprochement entre l'Europe et le Maghreb. Les parlementaires en sont les artisans naturels et ne doivent pas laisser à d'autres le soin de contribuer à ce rapprochement. Comme responsables politiques, il leur revient de faire que cette ambition devienne une réalité dans la vie quotidienne des citoyens.

Les relations de l'Europe avec le Maghreb sont le fruit d'une longue histoire commune et d'une longue tradition d'échanges humains, culturels et économiques, d'où l'affrontement n'a pas toujours été absent ; à cet égard, une bonne connaissance du passé doit nous servir pour envisager l'avenir. Les échanges entre l'Europe et le Maghreb ont fait de la Méditerranée une véritable Mare Nostrum et créent aujourd'hui entre les peuples qui la bordent une authentique communauté de destin, reposant sur la diversité constitutive du bassin méditerranéen, mais aussi sur une vue claire du chemin qui reste à parcourir ensemble. Elle inspire à tous la même volonté de faire de cette Méditerranée un espace de solidarité et de paix, où le Maghreb et l'Union européenne doivent jouer un rôle essentiel. Les acteurs politiques en sont et en seront toujours les avocats vigilants, face aux nombreux défis du monde contemporain, qu'il convient de relever ensemble.

A ce stade d'avancement du dialogue « 5+5 », il était important de lui donner une dimension parlementaire, d'enrichir la coopération entre les gouvernements par la coopération entre les parlements et d'approfondir les rapports noués entre les exécutifs par un dialogue nourri et fraternel qui persiste, au-delà des vicissitudes politiques, entre les représentants de la nation tout entière que sont les représentants de tous les députés. C'est pourquoi il a semblé souhaitable de poursuivre l'initiative heureuse que la Libye avait prise en février 2003 de réunir les présidents d'assemblées parlementaires de la Méditerranée occidentale.

M. Jean-Louis Debré a rappelé que les migrations de population étaient le thème inscrit à l'ordre du jour de la réunion. Il s'agit d'une question particulièrement sensible et actuelle. La Méditerranée occidentale a de tous temps été un carrefour de migrations et d'échanges entre les rives nord et sud. Ces migrations et ces échanges ont contribué à forger des civilisations qui se sont enrichies au contact les unes des autres, au point que l'on pourrait dire : que serions-nous aujourd'hui sans les apports que nous nous sommes faits les uns aux autres ? La France a été profondément marquée par les civilisations venues de l'autre rive de la Méditerranée et elle doit à cette influence une part de son identité. Si cette dépendance réciproque n'avait pas existé, les pays du pourtour méditerranéen seraient sans doute très différents de ce qu'ils sont, et probablement beaucoup moins riches.

Pour autant, a ajouté M. Jean-Louis Debré, il est clair que l'environnement a changé : la croissance économique s'est quelque peu et durablement ralentie en Europe et ce ralentissement s'accompagne dans plusieurs des pays du Nord d'un déclin démographique. Certains pays d'émigration en Europe du Sud sont aujourd'hui pays d'immigration. Des pays d'émigration sur la rive méridionale, déjà soumis à une forte pression démographique, sont devenus également pays de transit et font face à leur tour à des mouvements de population difficiles à contrôler en provenance de leurs voisins subsahariens. Enfin, les déséquilibres croissants entre le Nord et le Sud, encore aggravés par la représentation qui en est donnée dans les médias, font naître des frustrations et créent un appel d'air qui favorise dangereusement les migrations illégales et clandestines, sources de drames humains nombreux et connus de tous.

Il faut voir ces problèmes en face et essayer d'y réfléchir. Par leur ampleur et par leur nature, les pressions migratoires telles qu'elles tendent à se développer aujourd'hui pourraient, si l'on n'y prenait garde, devenir facteurs d'instabilité, produire des phénomènes de rejet et des replis identitaires, en mettant finalement en cause ce qui constitue l'objectif commun à tous : l'intégration des populations d'immigrants dans les pays d'accueil.

Quand bien même elle peut se présenter dans des termes variables d'un pays à l'autre, cette question concerne tous les acteurs politiques. Avant d'entamer la discussion, trois points méritent d'être soulignés : les migrations constituent un problème important qu'il convient de traiter ; ce problème a aujourd'hui une dimension régionale et devrait dans ces conditions faire l'objet d'un traitement global ; naturellement, l'objectif ne saurait être d'arrêter les migrations, ce qui ne serait ni possible ni souhaitable, mais, pour en éviter les effets déstabilisants, il importe de chercher à les ordonner voire à les réguler, afin d'en mieux maîtriser les flux et de ne pas mettre en péril la bonne intégration des immigrants dans les pays d'accueil, tout en évitant la réapparition et la répétition des drames humains.

Il s'agit, a conclu le Président de l'Assemblée nationale, par ces quelques réflexions personnelles, de nous inviter tous à regarder en face la question des migrations, pour que les relations de fraternité et d'amitié qui doivent se poursuivre restent aussi empreintes de la franchise indispensable à leur approfondissement.

M. Fouad Mebazaa, Président de la chambre des députés de la République de Tunisie, après avoir remercié le Président Jean-Louis Debré pour son accueil et l'organisation de la réunion, s'est déclaré convaincu que celle-ci aboutira à des résultats positifs qui témoigneront d'une volonté d'assurer une coopération équitable dans tous les domaines et profitable à toutes les parties.

L'immigration a constitué depuis longtemps un pont historique entre les deux rives de la Méditerranée. Elle a eu un impact positif sur le développement et les échanges. Elle contribue à la croissance économique y compris dans le secteur des hautes technologies, participe à la réduction du déficit démographique dans les Etats d'accueil et favorise les échanges culturels. C'est pourquoi, malgré son récent élargissement à l'Est, l'Union européenne ne peut tourner le dos aux Etats du sud de la Méditerranée. Ces derniers sont pour l'Union européenne des alliés naturels et des partenaires stratégiques.

Cependant, malgré notre héritage commun et nos relations de voisinage, la mondialisation, les mutations internationales et les conflits régionaux ont eu pour conséquence un certain éloignement entre les uns et les autres. Cet éloignement a des répercussions sur la question des migrations. En effet, outre les questions traditionnelles liées aux droits des émigrés et à l'intégration, se posent aujourd'hui dans les Etats d'accueil des questions plus graves. Ainsi se sont fait jour des ressentiments, attisés par un amalgame entre l'immigration et le terrorisme et exacerbés par des lois sécuritaires de plus en plus sévères.

Face à cette situation, le Président de la République de Tunisie, M. Zine El Abidine Ben Ali, a lancé un appel lors de la conférence mondiale contre le racisme qui s'est tenue à Durban en 2001. Il a invité la communauté internationale à lutter contre le racisme, à renforcer les droits des émigrés, ainsi que la tolérance et le dialogue interculturel.

Une approche euro-méditerranéenne complète au sujet de l'émigration est nécessaire. Il convient en effet de s'attaquer à ses causes profondes telles que le chômage, le poids de la dette, la faiblesse de l'investissement et les structures d'enseignement. Dans cette perspective, les relations entre l'Union européenne et l'Union du Maghreb arabe constituent une plate-forme solide.

La paix, la sécurité et la stabilité sont des facteurs essentiels du développement. C'est pourquoi l'élimination des foyers de tension constitue un devoir très important. La paix et la stabilité doivent être recherchés au Moyen-Orient, en aidant le peuple palestinien à obtenir la reconnaissance de ses droits légitimes à l'édification d'un Etat. Il faut également permettre aux pays africains de restaurer la paix et la stabilité.

Les solutions sont moins tributaires des moyens financiers que de l'existence d'une volonté politique, afin d'établir des relations plus équilibrées, d'ordre bilatéral et multilatéral.

M. Amar Saadani, Président de l'assemblée populaire nationale de la République algérienne démocratique et populaire, a remercié les deux chambres du Parlement français pour leur participation au dialogue, ainsi que pour avoir accepté de repousser deux fois la date de la réunion (en raison du Ramadan puis de la tenue d'une conférence de l'Union parlementaire africaine). Il a ensuite jugé qu'il était important de transformer ces réunions en tradition, dans le cadre des calendriers annuels de diplomatie parlementaire. Pour les dix parlements des pays riverains de la Méditerranée, ces réunions offrent en effet l'occasion d'échanger les points de vue sur des sujets euro-méditerranéens.

M. Amar Saadani a rappelé que les migrations étaient aussi anciennes que l'humanité. Aujourd'hui, le problème ne concerne pas que les pays développés, mais aussi les pays d'origine et de transit. Les problèmes liés aux migrations sont multiples : l'immigration illégale pour les pays de la rive nord de la Méditerranée, la « fuite des cerveaux » pour ceux de la rive sud.

La mondialisation aggrave les migrations. Le fossé économique, scientifique et technologique entre le Nord et le Sud explique ces migrations et tant qu'il demeurera, il sera impossible de tarir les flux migratoires. La différence de croissance démographique est le second facteur des migrations.

Les populations migrantes se retrouvent souvent tout en bas de l'échelle sociale dans les pays d'accueil, dans des situations de vulnérabilité. Face à ces situations, les réponses sociales et humaines sont aussi importantes, voire plus, que les réponses juridiques. Il convient de donner un visage plus humain à la mondialisation, afin de réduire les souffrances des immigrants.

L'inquiétude de la communauté internationale face à ces problèmes est croissante ; il est donc naturel que les membres du dialogue « 5+5 » en débattent, dans le cadre d'une coopération étroite entre les gouvernements mais aussi entre les parlements.

La quatrième conférence des ministres des affaires étrangères des pays membres du dialogue « 5+5 », qui s'est tenue en novembre dernier à Oran, a décidé la création d'un groupe de travail chargé de dégager des pistes de réflexion dans le cadre de la revitalisation du processus de Barcelone. La conférence a également encouragé le renforcement de la dimension parlementaire du dialogue, et proposé la tenue d'une réunion des Présidents des commissions des Affaires étrangères des Parlements des dix pays. L'Algérie est prête à accueillir cette réunion dans un délai rapproché, ainsi qu'à proposer un ordre du jour qui pourrait inclure la question des migrations.

M. Pier Ferdinando Casini, Président de la Chambre des députés de la République italienne, après avoir remercié le Président Jean-Louis Debré pour l'organisation de cette réunion et son hospitalité, a souligné l'attachement du Parlement italien au dialogue « 5+5 » et son souhait d'un renforcement de ce dialogue au niveau des gouvernements, des parlements et des sociétés civiles.

Lors du 1er sommet des chefs d'Etat et de gouvernement des pays du dialogue « 5+5 » à Tunis en 2003, un défi ambitieux a été lancé : faire de la Méditerranée un espace de paix, de solidarité et de justice, dans le respect des principes de démocratie, des droits de l'Homme et de l'Etat de droit.

Cet objectif s'inscrit dans une volonté de coopération entre les Etats. Le partenariat euro-méditerranéen existe depuis une dizaine d'années, et intéresse aujourd'hui la Libye. Il existe des perspectives de plus forte intégration régionale.

La question de l'immigration a été approfondie dans les échanges intergouvernementaux. Lors de la conférence ministérielle du dialogue « 5+5 » tenue à Alger en septembre 2004, les représentants des gouvernements ont estimé que la gestion des migrations devrait viser le renforcement des liens d'amitié entre les peuples méditerranéens.

Le dialogue « 5+5 », qui permet de mêler les dimensions bilatérale et multilatérale, constitue une enceinte de choix pour une approche commune des migrations. L'échange au niveau parlementaire permet de saisir le phénomène et d'établir des liens entre les valeurs et les intérêts.

M. Pier Ferdinando Casini a souligné que la mobilité des ressources humaines était un facteur de développement de l'économie mondiale. Elle permet en effet aux pays d'accueil de disposer d'une main d'œuvre supplémentaire et aux pays d'origine de bénéficier des versements d'argent des immigrés. Cependant, des problèmes sociaux, économiques, culturels et de sécurité se posent. Au plan social, les pays d'accueil doivent assumer la responsabilité de l'intégration. Les pays d'origine sont quant à eux privés d'une main d'œuvre qui pourrait contribuer au développement économique. Enfin, malgré la révision des contingents d'entrée légale et les engagements pris, il existe un phénomène très grave d'immigration clandestine. Celle-ci est exploitée par la criminalité organisée, et comporte des risques au plan humanitaire.

Du fait de ces multiples problèmes, une approche globale des migrations est nécessaire. L'Italie a une vocation à comprendre ce phénomène, puisqu'elle a été jusqu'à une période récente un pays d'origine et est aujourd'hui un pays d'accueil. Au plan législatif, trois axes ont été suivis : la programmation des flux migratoires, la lutte contre l'immigration clandestine et l'intégration des étrangers en situation régulière.

Deux millions de ressortissants extra-communautaires travaillent en Italie. En 2003, le nombre d'entrées légales a été de 80 000, tandis que 105 000 personnes ont été expulsées ou reconduites à la frontière. Cette limitation a été rendue possible grâce à la conclusion d'accords bilatéraux avec les pays riverains et à l'esprit de collaboration, tel qu'il se manifeste dans le dialogue « 5+5 ».

Les migrations sont un problème complexe, qui ne peut être résolu par un seul Etat. Le cadre de référence doit être celui de l'Union européenne. Des politiques communes de l'asile et de l'immigration existent depuis 1999. L'Italie souhaite que ces questions ne soient pas l'apanage des Etats de l'Union européenne ayant des frontières extérieures et est favorable à la solidarité et à la responsabilité commune - y compris financière - des Etats. La Constitution européenne prévoit un système intégré de gestion des frontières, ainsi que le passage à la majorité qualifiée et à la codécision (c'est-à-dire le renforcement du rôle du Parlement européen) pour la politique d'immigration. Les parlements nationaux doivent également se préparer à jouer un rôle important. De même, il convient d'éviter que le dialogue « 5+5 » soit l'apanage des gouvernements.

Selon M. Pier Ferdinando Casini, les questions prioritaires en matière de migration devraient être : le renforcement de la prévention de l'immigration clandestine, la collaboration dans les situations d'urgence, la promotion de la formation dans les pays d'origine, l'affectation des versements financiers des immigrés vers le développement économique local et l'intégration des communautés dans le respect de leur identité. L'Italie accomplira sa tâche dans tous ces domaines.

M. Joan Bosco Mota Amaral, Président de l'Assemblée de la République portugaise, a d'abord félicité le Président Jean-Louis Debré pour l'organisation de cette rencontre, puis l'a remercié de son invitation, ainsi que de son hospitalité.

Il a rappelé que cette rencontre parlementaire était la deuxième du genre, la première ayant eu lieu au début de l'année 2003, à la suite d'une initiative de la Libye.

Il a souligné que ces retrouvailles des présidents des assemblées parlementaires sur la rive nord de la Méditerranée, à Paris, reflètent le désir et l'engagement des participants de poursuivre ce dialogue.

La Méditerranée est une grande zone géostratégique, culturelle et politique. Aussi est-il indispensable de réaffirmer, au début du XXIème siècle, l'importance que revêtent des relations étroites entre les rives nord et sud.

Dans cette perspective, les parlements nationaux ont un rôle essentiel à jouer. En effet, les échanges politiques entre les deux bords de la Méditerranée ne peuvent se limiter aux contacts entre gouvernements et diplomates : les parlements doivent jouer leur propre partition dans ce dialogue, car leur contribution est une garantie de coexistence entre les peuples et de réalisation des objectifs, partagés par tous les participants, de paix et de développement.

A cet égard, l'existence de ce forum parlementaire « 5+5 » doit être saluée. Ce dernier permet aux représentants des peuples de se pencher sur des questions concrètes, afin de dégager, ensemble, des solutions pratiques, adaptées aux défis du temps auxquels est confrontée la zone méditerranéenne.

M. Joan Bosco Mota Amaral a estimé que le thème choisi pour cette rencontre, celui des flux migratoires était, de ce point de vue, particulièrement opportun. En effet, le déficit démographique des pays de la rive Nord impose de coopérer avec les pays « exportateurs » de main d'œuvre.

Après ces propos introductifs, le Président de l'Assemblée de la République portugaise a souligné que l'immigration pose de graves problèmes, aussi bien pour les pays d'accueil, que pour les pays d'origine.

Elle se traduit d'abord par le départ de travailleurs dynamiques, qui peut s'accompagner d'une véritable fuite des cerveaux. Le Portugal a d'ailleurs vécu cette expérience : nombre de ses travailleurs ont émigré, pendant des décennies, en France, principalement, mais aussi dans d'autres pays européens, comme en Amérique et en Afrique.

S'agissant de l'Hexagone, la communauté portugaise qui y réside est la plus importante parmi toutes celles établies à l'étranger. D'autre part, les descendants d'immigrés portugais de la deuxième et de la troisième génération sont parfaitement intégrés à la société française.

Cette expérience historique permet au Portugal de comprendre tous les enjeux du phénomène des migrations, tout comme le fait qu'à l'inverse, ce pays a été amené à accueillir de nombreux citoyens venus d'autres pays.

Plusieurs centaines de milliers de personnes se sont en effet installées au Portugal, originaires des pays du sud de la Méditerranée, des pays lusophones et de l'Europe de l'Est. A titre d'exemple, le Portugal compte des ressortissants ukrainiens, qui ont manifesté, ces derniers jours, leur intérêt pour la situation politique de leur pays d'origine, en portant une écharpe orange.

Le Président de l'Assemblée de la République portugaise a défini ensuite trois grandes orientations politiques concernant les questions d'immigration.

En premier lieu, il convient d'organiser l'immigration légale, qui confère des responsabilités au pays d'accueil. Ce dernier doit favoriser l'intégration des immigrés, notamment en encourageant l'apprentissage de sa langue.

Cependant, l'intégration ne doit pas se faire au détriment du respect de l'identité culturelle des immigrés. L'Europe doit relever, dans ce domaine, un immense défi, qui consiste à réussir la transformation de sociétés homogènes en sociétés pluriethniques et multiculturelles. Seul l'avenir nous dira si l'Europe a été en mesure de réussir cette mutation.

Par ailleurs, l'immigration clandestine doit être combattue vigoureusement. Celle-ci est à l'origine d'un trafic des personnes, qui peut confiner à l'esclavage. Dans ce but, le développement économique de la rive sud de la Méditerranée doit être assuré, ce qui implique de dynamiser le processus de Barcelone. Les parlements nationaux doivent se faire l'écho de cette nécessité, afin que les Etats membres de l'Union européenne s'investissent pleinement dans la revitalisation du dialogue euro-méditerranéen.

En dernier lieu, la société civile doit participer à la réalisation de l'objectif de coopération entre les peuples de Méditerranée. Pour leur part, les chefs d'entreprise doivent contribuer à la relance économique de la zone. D'autre part, les échanges culturels doivent, eux aussi, être renforcés, afin que les peuples des deux rives se connaissent, se respectent et s'estiment davantage.

Le dialogue « 5+5 » exige donc un engagement de tous les acteurs. Il s'agit, en fait, d'organiser la coexistence entre les différents mondes de la Méditerranée et de promouvoir le respect des uns et des autres. C'est pourquoi les parlements nationaux doivent s'investir dans ce grand dessein d'épanouissement économique et social des peuples.

M. Manuel Marín Gonzalez, Président du Congrès des députés espagnols, a remercié le Président Jean-Louis Debré pour son accueil.

Puis il a souhaité répondre, du point de vue d'un Espagnol et d'un Européen, à certaines questions soulevées par ses collègues, notamment ceux de la rive Sud de la Méditerranée.

Il a toutefois estimé indispensable de lever, au préalable, une ambiguïté terminologique : l'immigration n'est pas un « problème », mais un « phénomène » aux multiples dimensions.

Ce phénomène est très ancien et touche au cœur de l'histoire de nos peuples. Dans l'Antiquité, il a pu avoir des conséquences négatives, qui se sont traduites par des guerres.

Mais aujourd'hui, les sociétés méditerranéennes vivent différemment l'immigration. Ces dernières sont en effet devenues des sociétés globales, soumises à l'emprise des réseaux de communication. C'est ainsi que désormais, tout incident relevant des questions d'immigration est évoqué à la télévision : par exemple, un bateau qui chavire au large des côtes espagnoles alors qu'il transporte des Marocains.

La perception du citoyen de cette question a donc évolué avec l'apparition de ce nouveau contexte.

Par ailleurs, les migrations reflètent des problèmes d'inégalités, tout comme elles traduisent des enjeux liés aux tensions politiques et au non-respect des droits de l'Homme. En outre, elles revêtent une dimension morale, politique et pénale, qui rendent le sujet encore plus complexe. S'agissant des aspects pénaux du sujet, l'immigration est liée aux problématiques posées par les trafics internationaux, comme la prostitution organisée de femmes et d'enfants, et la criminalité transfrontalière.

La situation de l'Espagne se caractérise par la présence d'une importante main-d'œuvre immigrée sur son territoire, ce qui créée parfois des tensions dans ses relations avec les pays exportateurs de main d'œuvre, notamment arabes. Actuellement, les immigrés représentent entre 5 à 6 % de la population active espagnole, ce qui est nouveau pour le pays, même si ce chiffre est à comparer avec la moyenne communautaire - de l'ordre de 8 à 9 %.

Le Président du Congrès des députés espagnol a ensuite évoqué les trois différents modèles de pays d'accueil des immigrés, en liant ce thème avec le débat en cours aux Cortes concernant la régularisation des immigrés clandestins. Ce débat difficile porte sur l'avenir d'une population très particulière, exposée aux trois « D » (dirty, difficult et dangerous), une expression anglaise désignant les immigrés qui occupent des emplois non pourvus par les nationaux, en raison du caractère « sale, difficile et dangereux » des conditions de travail.

S'agissant des différents modèles des pays d'accueil, il existe un modèle hollandais, un modèle communautaire et un modèle français.

En ce qui concerne le modèle hollandais, ce dernier repose sur des dispositifs d'apprentissage de la langue et de financement, par les municipalités, d'actions d'intégration en faveur des immigrés, impliquant notamment l'octroi de bourses d'études. Ce modèle a fait preuve d'une certaine efficacité, sans empêcher toutefois l'émergence de tensions, comme l'a montré l'actualité récente.

S'agissant du modèle français, vue d'Espagne, la crise des otages détenus en Irak aurait pu créer un sentiment de crispation à l'égard de la population musulmane. Or le contraire s'est produit : les représentants de cette communauté ont défendu avec fermeté les valeurs de la République. Cet exemple est intéressant, car il illustre comment les valeurs de liberté peuvent primer sur la solidarité culturelle.

Quant à l'Espagne, elle a connu un véritable traumatisme avec les attentats meurtriers du 11 mars. Le 12 mars, les Espagnols apprenaient que les terroristes présumés étaient d'origine marocaine. Là encore, un contexte potentiellement dangereux a été maîtrisé, car les autorités ont adopté une attitude responsable. Ainsi, aucun trouble n'a été constaté dans les jours ayant suivi les attaques terroristes. Pourtant, l'Espagne connaît des tensions récurrentes avec les populations immigrées, qui se répètent notamment avec le passage, sur son territoire, des Maghrébins qui reviennent, l'été, dans leur pays d'origine.

L'exemple de la France, avec la crise des otages irakiens, et celui de l'Espagne, avec les lendemains du 11 mars, démontrent que, face à des situations susceptibles de nourrir les tensions communautaires, une attitude claire des responsables politiques permet d'écarter les risques de dérapage. Les citoyens de ces deux pays ont compris, sans ambiguïté, qu'ils étaient confrontés à un problème posé, non pas par une religion ou une communauté particulière, mais par le terrorisme international.

S'agissant de la fuite des cerveaux, l'Espagne a connu l'expérience du retour de personnes immigrées, qui ont ensuite créé des petites et moyennes entreprises. Il s'agit d'un phénomène très positif, dont l'importance économique doit être rappelée aux partenaires de la rive sud de la Méditerranée.

En effet, l'exemple espagnol souligne, avec éclat, l'impact que l'immigration peut avoir sur les relations économiques traditionnelles entre les pays. Celui-ci provient des devises renvoyées par les immigrés à leur patrie d'origine, qui deviennent alors une source de revenus considérable pour ces pays. Dans le cas des pays du pourtour Sud de la Méditerranée, les sommes rapatriées peuvent représenter d'importants investissements. Certaines études indiquent que ces flux financiers s'élèvent jusqu'à 65 % du budget de l'Etat marocain.

Dans ces conditions, le Président du Congrès des députés espagnol a estimé que les débats récurrents sur la gestion des contingents de tomates marocaines importées perdent, au regard des enjeux posés par ces retours financiers, quelque peu de leur importance. Certes, la tomate, tout comme l'huile d'olive, sont des productions sensibles, mais, il convient de ne pas négliger d'autres flux bien plus essentiels.

Le transfert de ressources industrielles d'une rive à l'autre de la Méditerranée apparaît par ailleurs comme un point critique, si on le compare aux échanges de même type dans d'autres régions du monde. Comment expliquer que Volkswagen, Renault ou Fiat choisissent le Mexique, l'Argentine ou le Brésil pour implanter de nouvelles usines, alors que le Maghreb est si proche ? Les maquiladoras, ateliers d'assemblage industriel, connaissent au Mexique une expansion extraordinaire parce que les investisseurs étrangers trouvent sur place pour leurs capitaux un rendement annuel de l'ordre de 14 %, contre seulement 2 % en Algérie ou au Maroc.

M. Manuel Marín Gonzalez a estimé que les Européens avaient des responsabilités manifestes dans ces transferts déficients d'industries, de compétences et de savoir-faire, mais que, pour y remédier, des réformes structurelles étaient également nécessaires dans les pays du Sud, réformes profondes qui n'ont pas encore commencé. Il est donc de la responsabilité de ces pays de s'atteler à cette tâche, de façon qu'ils puissent devenir à leur tour des pays d'immigration pour des citoyens du Nord. Car les flux de personnes supplantent, par leur importance humaine, tous les échanges industriels ou agricoles.

M. Anton Tabone, Président de la Chambre des représentants de Malte, a souligné que les participants étaient unanimes à considérer que les migrations, tant régulières que clandestines, constituaient un thème important et sensible. Ce sujet recouvre en effet d'immenses souffrances individuelles, puisque certains migrants vont parfois jusqu'à payer de leur vie une tentative de passage. L'immigration illégale a crû en effet de manière importante ces dernières années. Il est difficile d'y faire face, mais, faute d'action rapide, la stabilité de la région pourrait être menacée.

Il serait de courte vue d'abandonner aux Etats périphériques le soin de traiter la question. Tout au contraire, cette responsabilité doit s'exercer de manière collective tant et si bien que chacun prenne sa part du fardeau. Malte a été exposée ces dernières années à des flux de transit d'immigrants arrivés par bateau, qui ont pris une dimension catastrophique eu égard à la petitesse de l'île, entamant lourdement ses ressources financières et sa capacité d'accueil. En 2002, trois mille personnes avaient immigré clandestinement dans l'archipel. Au cours du seul été 2004, elles étaient déjà deux mille.

Différentes instances ont déjà examiné la question : le quatrième forum parlementaire euro-méditerranéen, tenu à Bari en juin 2002, a adopté une résolution appelant à un renforcement de l'observation et de la surveillance des frontières, joint à un mécanisme d'alerte précoce ; en février 2003, une rencontre ministérielle informelle a abordé à Malte la question des migrations de transit, la Commission européenne s'y étant également fait représenter ; une réunion s'est aussi tenue à Alger en septembre 2004 dans le cadre du processus de Barcelone ; ce mois-ci, les ministres de la Défense concernés se réunissent à Paris pour définir ensemble un plan d'action ; l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a aussi préconisé une coopération intergouvernementale élargie, à laquelle les ONG pourraient être associées.

M. Anton Tabone a souligné, d'une part, que, malgré la volonté politique affichée, les résultats sont maigres jusqu'à aujourd'hui, et, d'autre part, que l'approfondissement des relations interparlementaires devrait aller de pair avec un renforcement effectif de la coopération entre gouvernements. Dans un cadre élargi, la coopération interparlementaire régionale pourrait au demeurant associer l'Union européenne, notamment le Parlement européen, l'Union interparlementaire, le Parlement panafricain ou encore l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, pour définir des stratégies régionales en matière d'immigration.

Comme représentants nationaux, les parlementaires ont beaucoup à apporter pour mieux faire respecter la lettre des professions de foi dans le multilatéralisme, qui devraient amener l'Union européenne à considérer sa nouvelle politique de voisinage comme un vrai défi.

M. Abdelwahed Radi, Président de la Chambre des représentants du Maroc, a tenu à remercier le président Debré de la qualité de l'accueil et de l'hospitalité manifestée aux membres de toutes les délégations.

Il a souligné que la rencontre constituait une occasion de dialogue qui devait permettre aux uns et aux autres de mieux se connaître, se comprendre et s'apprécier. Les pays de la région partagent l'ambition de faire de la Méditerranée une zone de paix, de stabilité, de prospérité, de culture et de dialogue entre les civilisations. Cette ambition se heurte cependant à de nombreuses difficultés.

D'abord, la Méditerranée a été pendant des siècles un théâtre de confrontation plutôt que de coopération. Mais les conditions paraissent réunies au XXIème siècle pour inverser définitivement la situation. L'exemple de l'Europe, unie aujourd'hui après avoir été si longtemps la proie aux confrontations, prouve qu'une évolution semblable est possible pour les relations entre l'Europe et la Méditerranée, si elles acceptent de construire patiemment ensemble cette zone de coopération et de prospérité.

L'immigration constitue un autre des obstacles à surmonter. Il faudrait reprendre sur ce point les déclarations précédentes, notamment celles des présidents Debré et Marín González, qui valent tant pour l'état des lieux qu'elles ont dressé, que pour les causes qu'elles ont assignées à l'immigration, les conséquences qu'elles lui ont reconnues et les solutions qu'elles ont esquissées. Il ne fait guère de doute que le fond du problème a trait aux disparités profondes entre les deux rives de la Méditerranée.

Les pays du Nord exercent une force d'attraction objective parce que les revenus des travailleurs y sont dix fois supérieurs, ce dont tout le monde est conscient dans le Sud. Or il existe dans le Nord une demande informelle de main-d'œuvre clandestine, car il est expédient pour certaines d'entreprises d'employer à bon compte des immigrants irréguliers en échappant aux charges sociales. Mais il règne aussi au nord de la Méditerranée un climat de prospérité, de tolérance, de bien-être et de liberté qui constitue également un puissant facteur d'attraction.

Une pression centrifuge s'exerce sur les pays du Sud pour des raisons à peu près inverses. Le niveau de vie y est bas et le chômage est très élevé dans tous les secteurs, touchant toutes les couches de la population, les diplômés comme les manœuvres ou les analphabètes. Chacun est à la recherche d'un emploi. De ce fait, l'immigration ne se limite pas aux flux Sud/Nord, puisque 300 000 Marocains travaillent déjà en Libye, soit à peu près autant qu'en Espagne. Ces mouvements témoignent de la volonté tenace des individus à trouver des solutions à leurs difficultés d'existence.

M. Abdelwahed Radi a observé que les revenus salariés n'apparaissaient eux-mêmes pas suffisants pour garantir un niveau de vie décent. Le sous-équipement en infrastructures complique énormément l'existence, notamment dans les campagnes très enclavées, où les besoins d'eau potable, d'instruction et de soins ne sont pas satisfaits comme ils devraient l'être. Voilà autant de phénomènes qui poussent les gens à émigrer, car ils ne quittent pas leur pays le cœur léger mais bien pour résoudre des problèmes pressants.

Pour répondre à cette situation, les pays du Nord s'efforcent d'édicter une réglementation qui freine l'immigration. Dans le Sud, les autorités usent des moyens civils et militaires à leur disposition pour empêcher les départs, ce qui leur revient au demeurant très cher. Pourtant, la réglementation, les interdictions et les contrôles s'avèrent insuffisants notamment faute de ressources. Le Maroc, comme le Maghreb en général, est ainsi devenu un pays de transit par sa frontière sud dans le Sahara. Pour faire face, une politique commune est nécessaire, car un pays seul ne peut suffire à la tâche. Il est donc plus que jamais nécessaire de coordonner les actions des différents Etats.

M. Abdelwahed Radi a souligné qu'au-delà du triple volet réglementation-contrôle-interdiction, il fallait organiser une circulation humaine réglée sur une base rationnelle et objective, en fonction des besoins qui s'expriment dans le Nord. Ces besoins d'accueil doivent permettre d'établir des règles de sélection pour former des gens plus susceptibles de réussir ainsi ultérieurement leur émigration. Le triple volet répressif ne s'avère tenable que pour une phase transitoire. A long terme, la solution passe par le développement des pays du Sud, leur démocratisation, la diffusion du bien-être et l'élévation du niveau de vie, seuls éléments à même de couper durablement aux citoyens leur envie de partir.

Tout le Maghreb s'est engagé dans cette voie. Au Maroc, dix milliards de dollars seront employés l'an prochain à moderniser le pays, mais il serait possible d'en dire autant pour l'Algérie ou pour les autres pays de la région. Il revient aux pays du Nord d'encourager ce processus par des investissements directs et des transferts de technologie, même si cela requiert encore sur place des améliorations dans les secteurs de la banque, de la justice et de l'administration.

De leur côté, les pays du Sud doivent accélérer la construction politique du Maghreb, ne serait-ce que pour cesser de se retrouver opposés seuls à vingt-cinq dans leurs relations avec l'Union européenne. Les cinq pays du Sud représentés ici constituent un groupe homogène et solidaire qui devrait être capable, en faisant l'union, de dialoguer avec les pays du Nord de manière plus efficace et plus approfondie.

Telle est la voie de la réussite, à l'exclusion de toute autre. Puisqu'il n'y a pas de recette au développement, il faudra procéder par tâtonnements, en commençant peut-être par créer des structures d'accueil pour les entrepreneurs du Nord. Voilà comment il pourrait être possible de sortir vite de la situation actuelle.

Le Président Abdelwahed Radi a conclu en précisant qu'il n'avait pas pu être présent à Tripoli lorsque s'était décidée la tenue au Maroc de la troisième réunion des présidents d'assemblées parlementaires, mais que les participants pouvaient être assurés d'être bien accueillis à Rabat en 2005.

M. Ahmed Ibrahim, vice-président du Congrès général du Peuple de la Grande Jamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste, a souhaité commenter certains des propos de M. Manuel Marín González, Président du Congrès des députés du Royaume d'Espagne. A cet égard, il a estimé que le dialogue « 5+5 » n'était pas un dialogue euro-méditerranéen. La Libye est un pays africain, membre de l'Union du Maghreb arabe. La référence au dialogue euro-méditerranéen renvoie aux relations entre l'Union européenne et l'Union du Maghreb arabe.

Le phénomène migratoire est ancien ; il perdure en raison de situations personnelles difficiles. De simples mesures administratives ne sauraient y mettre fin. Un débat constructif, permettant de poser les termes, est nécessaire. Dans cette perspective, M. Ahmed Ibrahim a salué la proposition algérienne d'organiser une réunion d'étude consacrée à ce thème.

Les facteurs des migrations sont d'ordre économique, politique et culturel. Le phénomène s'est accru en raison de l'écart important de développement entre les deux rives de la Méditerranée. L'objectif doit être de fixer les populations dans leur pays d'origine, ce qui ne sera possible que si tous les citoyens des pays du Sud ont accès à une vie décente. Certains de ces pays connaissent une pauvreté extrême, l'instabilité et l'insécurité ou des catastrophes climatiques comme la désertification, des facteurs contre lesquels il convient de lutter.

La Libye compte une population modeste. Elle ne connaît pas de phénomène d'émigration qui menace les pays du Nord. Elle est un pays de transit pour les migrants d'Afrique Subsaharienne. Elle a donc besoin de l'aide des Etats membres du dialogue « 5+5 » pour contrer ce phénomène. Le besoin de paix et de stabilité est commun à tous ces Etats.

M. Abdelkader Bensalah, Président du Conseil de la Nation de la République algérienne démocratique et populaire, a souhaité réagir aux différentes contributions. Il s'est déclaré en accord avec certaines analyses mais a estimé que d'autres manquaient de précision. Après avoir remarqué que les débats avaient été particulièrement francs, M. Bensalah a souligné l'importance de cette réunion, bien qu'elle ait été à son sens abordée tardivement.

Les migrations sont un sujet sensible. Il convient de consolider les progrès intervenus dans ce domaine. Il faut également éviter les généralisations à propos des liens douteux entre immigration et terrorisme. Le terrorisme est un phénomène minoritaire, dont l'Algérie a beaucoup souffert. Il y a 15 ans, elle avait demandé un dialogue entre pays méditerranéens sur ce sujet, mais s'était vu répondre qu'il s'agissait d'un problème exclusivement national. Ce n'est que lorsque d'autres Etats de la région ont été touchés que les choses ont évolué.

L'Algérie a signé des accords bilatéraux régulant les migrations avec la plupart des pays méditerranéens. Les situations nationales sont diverses : certains sont des Etats de transit, d'autres connaissent des migrations temporaires pouvant devenir permanentes. Toutes les situations doivent être traitées.

Des milliers de migrants entrent en Algérie chaque année, certains en transit, d'autres pour s'installer. Les mesures policières ne sont pas adéquates et ne doivent pas être la seule réaction. La solution à terme doit être de fixer les migrants dans leur pays d'origine. Dans cette perspective, une partie des financements de la lutte contre l'immigration devrait être consacrée à la création d'emplois dans les pays d'origine. La coopération, y compris en matière d'éducation, est également une nécessité.

Beaucoup d'arguments du présent débat sont de grande valeur mais le temps est trop limité pour poser le diagnostic et trouver les solutions.

M. Rachid Ould Saleh, Président de l'Al Jamiya-Al-Wataniya de la République islamique de Mauritanie, a souligné son attachement au dialogue comme moyen de compréhension et comme solution aux problèmes économiques, sociaux et de sécurité. Le dialogue « 5+5 » est un moyen efficace de compréhension entre l'Union du Maghreb arabe et l'Union européenne. Les 5 Etats membres de l'Union européenne participant à ce dialogue sont très actifs au sein de l'Union européenne. M. Rachid Ould Saleh a souhaité qu'ils soient les « ambassadeurs » de l'Union du Maghreb arabe auprès de l'Union européenne.

Le dialogue pourrait contribuer à un monde plus juste et plus équitable et permettre de résoudre tous les problèmes, y compris ceux liés aux migrations. En particulier, il pourrait permettre de lutter contre leurs causes : le chômage, les problèmes économiques, le fossé Nord-Sud et la « fuite des cerveaux ».

Le Président Jean-Louis Debré a fait la synthèse des débats.

Il a observé que les participants avaient tous souligné l'importance du dialogue « 5+5 », qu'il convient de conforter. Par ailleurs, ils ont reconnu l'importance du phénomène des migrations, au sujet duquel ils ont établi un diagnostic partagé.

Il ressort en effet des échanges de cet après-midi que l'immigration constitue à la fois un atout et un risque, aussi bien pour les pays d'accueil que pour les pays d'origine.

S'agissant des pays d'accueil, l'immigration peut être une réponse au déficit démographique. En outre, celle-ci favorise le brassage culturel, qui est source de richesse. D'autre part, ce phénomène permet au pays d'origine de surmonter les problèmes posés par la pression démographique. De plus, pour ces pays, l'immigration permet également d'apporter des recettes. Les envois de devises effectués par les immigrés vers leur pays d'origine peuvent ainsi financer des investissements utiles à l'économie locale.

Mais, au-delà de ces atouts, l'immigration présente aussi des risques.

Pour le pays d'accueil, si ce phénomène n'est pas organisé et maîtrisé, il peut contribuer à nourrir le racisme et la xénophobie. De surcroît, lorsqu'ils revêtent des aspects déstabilisateurs sur le plan économique et social, les flux migratoires peuvent alimenter le terrorisme. Enfin, l'immigration illégale clandestine peut contribuer à remettre en cause la présence des étrangers en situation régulière sur le territoire du pays d'accueil.

Quant aux risques pour les pays d'origine, l'immigration peut être le vecteur d'une fuite des cerveaux et des jeunes talents. Elle appauvrit alors le pays d'origine, si les départs sont définitifs. De plus, une immigration trop importante peut perturber les équilibres démographiques des pays d'origine et avoir un impact sur les relations avec les pays développés accueillant les immigrés.

Le Président Jean-Louis Debré a estimé que, de ce constat, naît un impératif. Si l'immigration ne peut être arrêtée, cela n'étant ni souhaitable ni possible, elle doit être contrôlée, voire régulée. Cette exigence impose de développer une approche à la fois juridique, économique, sécuritaire et sociale, dont l'objectif ultime est de tout mettre en œuvre pour faciliter l'installation légale des migrants, ainsi que leur intégration.

La coordination de ces différentes approches par les Etats riverains méditerranéens peut être réglée par des accords bilatéraux. Toutefois, dans ce domaine si particulier, le bilatéralisme étant insuffisant, la coopération régionale doit être encouragée. Les limites de l'approche bilatérale apparaissent d'autant plus évidentes, que beaucoup des pays d'émigration sont devenus également des pays de transit.

Ainsi, l'organisation des flux migratoires doit être intégrée dans un cadre régional, qui s'adosse à une politique européenne globale de la question. Cette dernière ne doit pas seulement traiter les phénomènes migratoires comme un problème sécuritaire, mais doit impérativement s'attacher à combler les déséquilibres économiques entre les pays européens et les pays du sud de la Méditerranée. L'Union européenne doit donc consentir à de nouveaux efforts pour aider, activer et organiser le développement de cette zone, en appuyant notamment les politiques d'investissements, dans les infrastructures par exemple, destinées à stabiliser la population. Sans développement économique, il ne peut y avoir de lutte efficace contre l'immigration illégale.

Le rôle des parlements nationaux est, dans cette perspective, essentiel : ceux-ci doivent impérativement sensibiliser les gouvernements sur les enjeux de ce phénomène. Ils doivent faire part de leur diagnostic et de leurs propositions sur ce sujet.

C'est pourquoi le Président Jean-Louis Debré a souhaité que se poursuivent les rencontres parlementaires du dialogue « 5+5 », à des intervalles réguliers. Ces réunions permettront aux parlements nationaux de vérifier s'ils partagent le même diagnostic et peuvent élaborer, ensemble, des propositions destinées aux gouvernements et visant à redistribuer les richesses entre les deux bords de la Méditerranée.

Le Président Jean-Louis Debré a conclu cette rencontre en faisant part de son bonheur d'avoir accueilli ses Collègues.

RÉUNION AU SÉNAT
(8 décembre 2004)

RÉUNION AU SENAT

(mercredi 8 décembre 2004)

Thème : Coopération décentralisée et coopération interparlementaire

La séance est ouverte à 10 h 30 sous la présidence de M. Christian Poncelet, Président du Sénat.

M. Le Président Je voudrais tout d'abord vous dire la joie et la fierté que je ressens à accueillir la deuxième conférence des Présidents d'Assemblées parlementaires de la Méditerranée occidentale, après la première réunion tenue en 2003, en Libye.

C'est pour le Sénat aujourd'hui, comme pour l'Assemblée nationale hier, un grand honneur que d'être les premiers à accueillir notre cénacle sur la rive nord de la Méditerranée.

Si je mets de côté la réunion de tous les Sénats du monde, que j'avais organisée, ici même, en 2000, c'est la première fois que nous réunissons autant de Présidents d'Assemblées parlementaires venant d'horizons si variés.

Quatorze ans après le lancement du Dialogue dit « 5 + 5 » et presque dix ans après la mise en place du processus euro-méditerranéen, plus large, il me semble plus que jamais nécessaire de poursuivre dans la voie que nous avons tracée ensemble, la voie du dialogue informel et sans tabous, de nature à rapprocher les deux rives de la Méditerranée, cette « mare nostrum » dont nous sommes tous enfants.

Notre dialogue est encore plus utile et profitable dans un monde chaque jour plus tourmenté, où l'instabilité le dispute à l'insécurité.

Après le récent élargissement de l'Union européenne à dix nouveaux États membres - qui devraient bientôt faire d'autres émules -, il est d'autant plus souhaitable d'affirmer et d'afficher la priorité méditerranéenne. Notre Méditerranée, si chargée d'histoire et de promesses, doit donner l'exemple de l'unité sans céder à l'uniformité. Nous devons être solidaires car la géographie comme l'histoire nous y invitent.

Cette solidarité entre les deux rives de notre mer doit commencer sur chacune des rives. Grâce à l'Union européenne, l'Europe est aujourd'hui en paix et s'attache à promouvoir cette valeur fondamentale, ce bien premier de l'Homme, ce but ultime de tout responsable politique. Sur la rive sud, il y a encore beaucoup à faire. Sans nous ingérer, ni vouloir à tout prix exporter notre modèle, nous appelons sincèrement de nos vœux l'émergence d'un Maghreb uni, économiquement intégré.

C'est justement l'un des mérites de ce genre de réunions que de faire se rencontrer des pays qui, bien que voisins, ne se parlent pas toujours si facilement...

Le thème retenu aujourd'hui est volontairement concret voire terre-à-terre, car la diplomatie parlementaire, pour laquelle je n'ai cessé de militer depuis que je suis Président du Sénat, sans se désintéresser de la grande politique, veille à ne pas concurrencer la diplomatie traditionnelle. Avec la coopération décentralisée et la coopération interparlementaire, aucun risque ! Nous sommes dans le concret, et, surtout, dans notre rôle.

La coopération décentralisée, qui s'établit entre les collectivités locales de pays différents, concerne toutes les catégories de collectivités locales. En France, par exemple, nos régions, nos départements et nos communes entrent de plus en plus en relations avec leurs homologues d'autres pays. Cette coopération répond directement et simplement à des besoins pratiques, exprimés au plus près du terrain. C'est une coopération avant tout humaine, plus accessible parfois aux populations que la coopération d'État à État, qui est nécessaire mais pas toujours suffisante, et, en tout cas, plus distante. A l'instar de la diplomatie parlementaire, elle est complémentaire et non concurrente de la coopération entre États, surtout à un moment où l'État est contraint à la rigueur budgétaire...

La coopération interparlementaire, c'est la coopération établie entre deux assemblées parlementaires de pays différents. Le Sénat de la République française a développé, depuis une dizaine d'années, des relations régulières et parfois institutionnalisées, avec des assemblées étrangères, qu'elles appartiennent à un régime bicaméral ou non. Cette coopération interparlementaire, qui a accompagné la mondialisation à l'oeuvre depuis les années 90, n'a aucune raison de s'arrêter. Elle s'intéresse à tous les domaines de la vie parlementaire et va bien au-delà.

Ce qui m'amène aux rapports entre la coopération interparlementaire et la coopération décentralisée : la première doit pouvoir faciliter la seconde, les assemblées parlementaires de deux pays jouant un rôle d'interface et favorisant le rapprochement entre leurs collectivités locales. Le Sénat français, assemblée parlementaire à part entière mais aussi représentant des collectivités locales, s'attache à promouvoir les coopérations entre collectivités locales françaises et étrangères. Nos deux Services des Relations internationales et des Collectivités territoriales y veillent ensemble.

Dans nos pays, la coopération décentralisée est soutenue. On dénombre ainsi 38 coopérations entre régions françaises et régions appartenant aux neuf pays du Dialogue « 5 + 5 ». Pour les départements - plus nombreux en France -, ce nombre passe à 50 et s'élève même à plus de 1 000 s'agissant des communes (il est vrai que nous en avons 36 500...). Pour l'instant, cette coopération décentralisée intéresse davantage nos voisins européens que les pays du Maghreb, avec lesquels justement je souhaite qu'elle s'intensifie. Cette réunion devrait y contribuer.

Je voudrais redire tout le prix qu'attache la France au dialogue entre les pays de la Méditerranée occidentale. Ce dialogue, parce qu'il est informel et nous permet de mieux nous connaître, dans un climat de confiance et d'amitié, empêchera que ne se creuse un fossé entre le Nord et le Sud, l'Islam et la Chrétienté. Si nous tombons dans le piège, que certains nous tendent, du conflit entre l'Orient et l'Occident, nous courons à notre perte. Sans transiger avec nos valeurs, nous devons nous entendre entre responsables modérés pour garantir la tolérance dans la sécurité. Je suis sûr que ce type de réunion y contribue, même modestement.

Messieurs les Présidents, je vous cède maintenant la parole.

M. Abdelkader Bensalah, président du Conseil de la Nation (République algérienne populaire et démocratique). Je tiens tout d'abord à vous exprimer à vous même ainsi qu'au Président de l'Assemblée Nationale mes plus vifs remerciements pour la qualité de votre accueil et la chaleur de votre hospitalité. Je suis persuadé que cette seconde journée sera aussi féconde que celle d'hier. Faute de temps, je ne parlerai pas de la coopération parlementaire.

La coopération décentralisée intéresse l'Algérie et plus spécifiquement le Conseil de la Nation qui, du fait de son mode d'élection, est dans une certaine mesure le représentant et le porte parole des élus locaux. La coopération décentralisée le concerne donc directement.

Embryonnaire il y a quelques années, la coopération décentralisée constitue désormais une dimension fondamentale et un complément indispensable de la coopération intergouvernementale dont elle élargit la base et le champ d'intervention. Elle lui confère, de ce fait, davantage de pertinence et d'efficacité. Coopération de proximité, elle est plus apte à identifier les besoins, cibler les actions pour y répondre et mobiliser les moyens de les réaliser.

En impliquant les entités régionales, les collectivités locales, ainsi que les sociétés civiles et les organisations non gouvernementales, la coopération décentralisée, qui consolide et diversifie les relations entre nos pays, contribuera grandement au rapprochement de nos peuples.

Le groupe « cinq plus cinq » réunit des pays proches géographiquement et qui entretiennent des rapports anciens et denses. Cette proximité et cette densité offrent des opportunités exceptionnelles à la promotion de la coopération entre régions, villes, communes, ONG et sociétés civiles.

Là où elle a pu exploiter ces opportunités, la coopération décentralisée a inscrit à son actif quelques succès remarquables et particulièrement prometteurs. Le nombre d'actions engagées reste cependant en deçà des possibilités et des besoins de nos pays.

En Algérie, seules quelques villes et régions se sont lancées dans ce type de coopération avec leurs homologues françaises. On est loin de ce que réalisent d'autres pays du Maghreb tant avec la France qu'avec l'Espagne, l'Italie et le Portugal.

Les difficultés qu'a connu mon pays durant les années 90 expliquent en partie ce retard ; d'autres causes sont plus profondes.

Il peut exister des contraintes institutionnelles. Le plus ou moins haut degré de décentralisation ou d'autonomie des entités locales ou régionales est de nature à favoriser ou à freiner leur implication dans la coopération internationale. Peut-être faudrait-il réfléchir sur les ajustements institutionnels à apporter pour lever les entraves à cette coopération en s'inspirant des nombreuses expériences réussies.

Tant les gouvernements que les institutions nationales élues doivent définir un cadre adéquat à la coopération décentralisée, sensibiliser les entités locales sur ses modalités et sur les perspectives qu'elle offre.

Par ailleurs, outre la mobilisation naturelle de ses moyens propres, disponibles au niveau local, la coopération décentralisée devrait bénéficier davantage de l'aide publique au développement ainsi que des programmes MEDA.

Le Conseil de la Nation, qui souhaite promouvoir et organiser la coopération décentralisée, a besoin de profiter de l'expérience de nos partenaires.

(Applaudissements)

M. Francisco Javier Rojo García, président du Sénat (Royaume d'Espagne). Je me félicite de cette rencontre à l'Assemblée nationale et au Sénat : tous les contacts entre responsables politiques facilitent le rapprochement entre des peuples qui ont un avenir commun. Hier nous avons pu le constater à propos de l'immigration. L'Espagne voudrait servir de pont entre l'Amérique latine, l'Afrique du nord et l'Europe. L'Union européenne, qui est en marche vers une citoyenneté commune, a besoin du rapprochement des deux rives de la Méditerranée, d'un métissage des cultures où les notions de race, de religion, d'origine géographique ou ethnique n'ont pas place. Comme l'a rappelé hier le président Marín González, depuis l'arrivée de nombreux immigrants, les enfants espagnols, qui sont les citoyens de l'avenir, vivent dans un paysage humain plus riche où l'intolérance n'a pas lieu d'être. Construire un mur mettrait tout le monde en péril. Est-il utopique de vouloir organiser le dialogue entre les civilisations ? L'utopie, c'est souvent la défense de causes justes. Cela peut consister à descendre dans la rue pour dénoncer le terrorisme qui menace tout le monde. Le terrorisme de l'Eta a été combattu depuis trente ans avec les armes de l'État de droit. En tant qu'Espagnol et basque, je remercie le gouvernement français du soutien qu'il nous a apporté : la disparition du terrorisme sera une victoire commune, européenne. L'horrible attentat du 11 mars à Madrid nous a rapprochés du Maroc, de l'Indonésie et des États-Unis. A chaque fois des gens sont tués, quel qu'en soit le nombre. Le terrorisme n'a pas de justification mais il faut reconnaître qu'il peut se nourrir de la pauvreté et du désespoir. Il faut extirper ses racines, en rendant l'espoir aux populations et en empêchant l'injustice de se répandre. Alors, les droits de l'homme, l'égalité entre les sexes ne seront plus lettre morte. Nous sommes fiers du travail mené en commun pour combattre le terrorisme. L'Espagne veut accroître l'aide à la coopération et au développement : nous sommes un pays de taille moyenne, aux moyens limités, mais notre détermination politique est grande. Il est difficile de distinguer la part qui revient à chacun dans l'aide au développement : parlement, administrations, ONG, universités, syndicats. L'Espagne est très décentralisée : les municipalités et les autonomies sont aussi très actives. Peut-être faut-il donner plus d'efficacité à toutes ces actions.

Dans le cadre du dialogue « 5+5 », la diplomatie parlementaire tisse des liens d'amitié, aide au rapprochement des peuples. Nous représentons les citoyens, nous avons la responsabilité morale de frayer la voie à l'espoir et à la paix.

Merci encore pour cette rencontre. J'espère que tous ensemble nous aiderons à régler les très graves problèmes qui se posent à l'humanité entière.

(Applaudissements)

M. Lamberto Dini, vice-président du Sénat (Italie). Depuis un certain temps, la dimension parlementaire a acquis un rôle particulier dans la politique étrangère.

Le renforcement des Parlements sur tous les continents manifeste l'affirmation des principes démocratiques dans le monde. Le rôle accru des Parlements dans les relations entre les États - ce qu'on appelle la diplomatie parlementaire - reflète le développement de la démocratie dans les relations internationales.

L'Europe est le théâtre privilégié de cette évolution.

Par la Constitution européenne, signée à Rome le 29 octobre par les vingt-cinq États de l'Union et dont nos Parlements ont commencé le processus de ratification, le réseau des assemblées parlementaires nationales et européennes est placé au centre du système institutionnel. La Constitution européenne renforce le rôle du Parlement européen, qui devient enfin un co-législateur de l'Union à part entière ; elle renforce également le rôle des Parlements nationaux, appelés à s'engager de plus en plus dans la coopération interparlementaire - au premier chef par la COSAC - comme dans la définition des actes normatifs de l'Union en vérifiant le respect du principe de subsidiarité.

Les institutions du partenariat euro-méditerranéen connaissent la même évolution dans un sens parlementaire.

L'Assemblée parlementaire euro-méditerranéenne, dont la création avait été décidée à Naples l'année dernière, a tenu sa réunion constitutive à Athènes en mars et tiendra sa première réunion opérationnelle, au Caire, au mois de mars de l'année prochaine. Le Président de l'Assemblée euro-méditerranéenne - le Président de l'Assemblée du Peuple égyptienne, M. Sorour - a présenté aux deux dernières conférences ministérielles euro-méditerranéennes les résultats des premiers travaux de ce nouvel organisme, dont les commissions se sont déjà réunies ces derniers mois.

Dix ans après le démarrage du processus de Barcelone, la parlementarisation du partenariat traduit la volonté de nos pays d'atteindre les objectifs qui avaient alors été fixés, à partir de la constitution d'une zone de libre échange autour de la Méditerranée.

Doter le dialogue « 5+5 » d'un volet parlementaire revient à donner une structure permanente au rapport entre nos pays. Cette structuration donnera un exemple de multilatéralisme actif et coopératif, capable d'impliquer tous les pays riverains de la Méditerranée.

Si les Parlements oeuvrent au rapprochement de nos gouvernements en les incitant à dialoguer sereinement par l'application de notre méthode commune parlementaire, les institutions qui structurent nos sociétés tissent chaque jour des liens qui rapprochent nos peuples.

La coopération décentralisée en Italie est un élément essentiel de l'aide au développement. La législation de notre pays confie aux Régions et aux collectivités locales un rôle particulier dans le développement de la coopération avec les pays de la rive Sud de la Méditerranée.

Nombre de Régions italiennes interviennent dans les pays du Maghreb ; les liens historiques entre nos peuples donnent naissance spontanément à un flux d'initiatives.

Adoptée à la fin de la précédente législature, la réforme constitutionnelle a donné aux Régions une compétence dans le domaine des relations internationales, qui trouve un champ d'application privilégié dans les interventions de la coopération décentralisée.

Le Parlement, le Sénat en ce moment, examine une révision organique de la loi sur la coopération au développement afin de faciliter et de rendre plus efficace l'intervention des Régions dans les activités de coopération.

Le but est de renforcer le réseau d'institutions démocratiques et représentatives pour resserrer les liens entre nos pays.

C'est ainsi que, dans le respect des traditions et de l'héritage séculaire de nos civilisations, notre convivialité autour de la mer Méditerranée pourra s'épanouir : sans chercher à imposer une domination ni à exporter un modèle, mais en sachant que nous sommes tous en train d'édifier un avenir commun et meilleur pour nos peuples.

(Applaudissements)

M. Ahmed Ibrahim, vice-président du Congrès Général du Peuple (Grande Jamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste). Au nom de Dieu miséricordieux, je veux à mon tour remercier l'Assemblée nationale et le Sénat d'avoir organisé cette rencontre. La coopération décentralisée garantit la pérennité de la coopération entre nos pays des deux rives de la Méditerranée. Dans la Jamahiriya, le pouvoir appartient au peuple : il l'exerce au sein des assemblées populaires et au Congrès général du peuple. Nos comités populaires ont signé des accords de coopération avec les collectivités d'autres pays, arabes ou européens. La coopération décentralisée, qui ne s'est jamais trouvée en contradiction avec la coopération entre États, porte en particulier sur les domaines de l'éducation, de la santé, des transports, de la jeunesse et des sports. Elle devrait se renforcer dans le cadre du dialogue « 5+5 ». Nous appelons aussi au renforcement de la coopération interparlementaire dans la perspective de la diplomatie parlementaire.

La Jamahiriya souhaite réactiver le dialogue « 5+5 » et approfondir les relations entre les diverses catégories de la population, en particulier les jeunes et les femmes, pour donner une dimension populaire à la coopération entre les pays des deux rives.

Je renouvelle l'expression de ma gratitude à la France, et aujourd'hui au Sénat, pour avoir organisé cette rencontre et je souhaite plein succès à cette réunion de travail.

(Applaudissements)

M. Anton Tabone président de la Chambre des représentants (République de Malte). Je remercie le Président Poncelet de nous accueillir. Je me souviens encore de sa déclaration à la Troisième conférence interparlementaire sur la sécurité et la coopération, qui s'est tenue à Marseille en 2000 : « la coopération décentralisée joue un rôle crucial dans l'établissement d'une paix durable en Méditerranée ». La même année, une résolution du Parlement invitait le Conseil et la Commission à mettre en place la coopération décentralisée, « ce qui permettra aux acteurs de la société civile de part et d'autre de la Méditerranée de se rencontrer, de former des projets, notamment dans le cadre des programmes Meda, et de renforcer la démocratie ». Je félicite la France et les autres pays qui ont contribué à développer la coopération décentralisée, particulièrement en Afrique. Cette forme de coopération, apparue dans les années 80, rapproche les acteurs économiques et sociaux et leur donne un pouvoir de décision. Elle peut prendre différentes formes, correspondant à la variété des situations. Son approfondissement aidera à moderniser les systèmes de gouvernements locaux et régionaux et à promouvoir la bonne gouvernance, à faire respecter les droits de l'homme et la démocratie. Il conviendrait de réunir plus régulièrement les commissions de nos parlements, pour travailler en commun sur des sujets sensibles : migrations, environnement, pêche, tourisme, santé, éducation, égalité des sexes, etc. La coopération décentralisée doit être au cœur de la coopération interparlementaire. Elle a un grand rôle à jouer pour atteindre les objectifs de développement du Millénaire. La mondialisation oblige les parlements à œuvrer pour la démocratie, la paix, la justice et la prospérité au sein de la communauté mondiale. Le renforcement de la coopération interparlementaire facilitera une meilleure compréhension de nos valeurs, le rapprochement entre les peuples et l'échange entre les cultures. Malte, avec l'UIP, milite pour la mise en place d'une assemblée interparlementaire des pays de la Méditerranée. Il existe déjà un forum interparlementaire ; la Méditerranée a besoin de cette assemblée !

(Applaudissements)

M. Mustapha Oukacha, président de la Chambre des conseillers (Royaume du Maroc). Au nom de Dieu miséricordieux, je remercie les présidents Debré et Poncelet d'avoir veillé au succès de cette réunion.

Nous avons besoin de nous retrouver pour dialoguer. Hier, nous avons parlé de l'immigration : chacun s'est exprimé franchement, sans se contenter de présenter la position officielle de son gouvernement. Il existe différentes formes de coopération interparlementaire. Depuis vingt ans, l'UIP n'était plus en mesure de la superviser ; des initiatives régionales ont donc été lancées. Chaque région ayant ses spécificités, on est passé d'une coopération centralisée à une coopération décentralisée où les instances régionales décident des actions dans les domaines relevant de leur compétence. Les présidents des assemblées parlementaires de la Méditerranée occidentale, après s'être réunis à Tripoli, sont venus à Paris discuter ensemble de questions intéressant leurs peuples. Bien des sujets peuvent être abordés dans le cadre du dialogue « 5+5 » : répondre aux besoins du développement liés à l'évolution technologique, à l'éducation, à la préservation du patrimoine culturel ; renforcer la coopération économique, afin d'exploiter au mieux nos ressources humaines et naturelles ; garantir la prospérité économique des pays pour freiner l'émigration ; améliorer les conditions de vie des populations en leur donnant une formation qui les rende plus compétitives ; diffuser les valeurs de la démocratie, du respect des droits de l'homme, pour garantir la paix et la stabilité. Tous les efforts doivent être déployés par les partis politiques et les organisations de la société civile dans le respect des règles de droit. L'initiative parlementaire régionale permet de rapprocher les programmes de coopération interparlementaire au plus près de la région.

Au Maroc, le processus de décentralisation est lancé. Il faudrait envisager, dans le cadre du dialogue « 5+5 », des procédures de suivi. Hier, M. Radi, président de la Chambre des représentants, vous a invité à tenir votre troisième réunion au Maroc afin de consolider une initiative qui donne l'espoir de la stabilité, de la coopération et du bon voisinage entre les deux rives de la Méditerranée. Dès aujourd'hui, je vous souhaite la bienvenue à Rabat !

(Applaudissements)

M. Dieng Boubou Farba, président du Sénat (République islamique de Mauritanie). Je tiens d'abord à remercier nos hôtes pour leur excellent accueil.

Le Maghreb est, historiquement, un carrefour de civilisations où se sont affrontés les européens et les musulmans mais où s'est aussi produit un mélange des peuples, ce qui pousse les riverains à s'entendre. Le monde n'est plus qu'un village planétaire : les conflits qui se nourrissent de la pauvreté font courir des risques à toute l'humanité. Il faut donc mobiliser toutes les bonnes volontés pour aider au développement et à la coopération. Le développement de la démocratie a permis que dans les pays du Maghreb et dans d'autres pays d'Afrique émerge une société civile plus ouverte, capable de soutenir la coopération institutionnelle et de mener un combat contre la corruption. Cela incite à promouvoir la coopération décentralisée, coopération de proximité : c'est un problème de volonté politique. Que les parlements jouent leur rôle : exprimant la volonté du peuple qu'ils représentent, ils sont les mieux placés pour convaincre les gouvernements de mener certaines actions. Pour jouer ce rôle, nous devons dynamiser les structures capables de nous rapprocher : groupes d'amitié, rencontres pour échanger des expériences, etc. Au cours de réunions régulières, nous pourrons aborder les problèmes avec pragmatisme, en mettant en avant ce qui est facteur de progrès et de rapprochement. Un dialogue fraternel aidera à lancer la dynamique de coopération. Les collectivités territoriales et les ONG, qui peuvent aussi apporter leur aide au développement, ne seront efficaces que grâce au soutien permanent des parlements. Je souhaite qu'un groupe restreint, aidé d'experts, soit chargé de préparer des lignes d'action qu'il nous présentera lors des prochaines réunions.

(Applaudissements)

M. João Bosco Mota Amaral, président de l'Assemblée de la République (Portugal). Ayant prévu de parler de la coopération interparlementaire, ce que j'ai entendu m'incite à souligner, à partir de l'expérience portugaise très positive avec les pays lusophones comme le Brésil ou Timor, à quel point la coopération décentralisée entre collectivités territoriales est une nécessité d'évidence : ce n'est pas l'État seul qui intervient, mais la société dans ses diverses composantes.

Traditionnellement, les relations internationales sont de la compétence des chefs d'État et de leurs ministres des affaires étrangères. Or, sans empiéter sur cette compétence, les parlements s'y sont progressivement intéressés en lui donnant une dimension supplémentaire : le dialogue entre parlementaires est plus franc qu'entre diplomates ; ils peuvent s'exprimer plus librement sur les droits de l'homme ou sur l'immigration, qui en relève. Les parlements des pays riverains de la Méditerranée peuvent développer leurs relations par l'intermédiaire des groupes d'amitié. Inutile de créer des structures nouvelles : améliorons l'efficacité de celles qui existent déjà. L'assemblée parlementaire euro-méditerranéenne, dans la suite du processus de Barcelone, est l'organe du dialogue, de la solidarité méditerranéenne. Les présidents des assemblées des pays « 5+5 » devront se rencontrer au moins une fois par an pour préparer les réunions et en assurer le suivi. Épargnons-nous la complication supplémentaire d'un organisme interparlementaire.

La réunion de Paris aura été profitable. Nos pays sont tous libres. Nous allons célébrer l'anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme : il est de notre responsabilité de la faire respecter.

Je me réjouis de me rendre l'an prochain au Maroc à l'invitation du président Radi.

(Applaudissements)

M. Fouad Mebazaâ, président de la Chambre des députés (Tunisie). Après avoir abordé, hier, la question de l'émigration, nous allons nous pencher, aujourd'hui, sur la question non moins importante de la coopération décentralisée et de la coopération parlementaire.

L'espace euro-méditerranéen fait partie intégrante du monde de plus en plus réduit, du fait de la globalisation, aux dimensions d'un village caractérisé par des regroupements et des alliances imbriqués les uns dans les autres.

D'où la nécessité de rapprocher plus étroitement les pays des deux rives de la Méditerranée et ceux de l'Union européenne, dans le cadre d'un partenariat juste et équitable.

D'où, également, cette fécondation culturelle mutuelle qui a estompé les différences qualitatives entre les cultures des pays méditerranéens, à quoi s'ajoute le facteur économique et social qui commande d'affronter la concurrence, dans le cadre d'un partenariat équilibré pour bâtir le développement de l'ensemble des pays de la région.

Sur cette base s'est édifié un partenariat décentralisé entre les villes et les régions, dont il convient de citer notamment les réunions périodiques des villes euro-méditerranéennes « Eurocités », les réunions des conseils de la Méditerranée qui, depuis juillet 2000, regroupent les municipalités des pays membres du Partenariat euro-méditerranéen et du programme Euromedsys.

Dans le cadre du renforcement de leurs relations de coopération et d'amitié avec les pays de l'espace euro-méditerranéen, des conseils régionaux et municipaux de Tunisie, ont tissé des liens avec leurs homologues dans les autres pays.

Cette idée, née d'une lecture des mutations rapides qui s'opèrent dans le monde et d'une analyse prospective des impacts de la mondialisation, s'est concrétisée en particulier par la signature des Accords d'association avec l'Union européenne.

Fidèle à sa politique d'interaction dynamique avec son environnement, la Tunisie a accordé à l'espace maghrébin une large place dans ses préoccupations, dans le but de construire l'Union du Maghreb Arabe et d'en renforcer le processus.

Par ailleurs, et compte tenu de l'intérêt croissant que revêt la coopération décentralisée, il est apparu nécessaire de consolider les activités de l'ensemble des structures de coopération, au sein de l'espace euro-méditerranéen, et de les faire participer au dialogue méditerranéen sur les questions relatives notamment à la sécurité et au développement.

Nous sommes convaincus qu'il serait utile d'organiser une conférence de toutes les structures concernées par la coopération décentralisée dans l'espace euro-méditerranéen, dont les recommandations seraient soumises aux ministres des Affaires étrangères.

Dans le même ordre d'idées, nous considérons que, dans la conjoncture actuelle, il faut mettre à contribution les acteurs de la coopération décentralisée et faire participer toutes les institutions de la société civile, aux côtés des décideurs, à la réalisation de l'oeuvre de développement et à l'instauration de la sécurité, de la stabilité et de la paix.

Parmi les autres formes de coopération qui secondent les efforts des gouvernements, il y a lieu de citer la coopération parlementaire, eu égard à la place qu'occupent les parlements en tant que fondements de la démocratie et à leur implication, de plus en plus efficace, dans les relations internationales.

Les parlements nationaux et les autres structures parlementaires, qu'elles soient régionales ou internationales, doivent approfondir leurs relations de travail, sous diverses formes, qu'il s'agisse d'échanges, de visites ou de colloques régionaux et internationaux.

Les parlements jouent, aujourd'hui, un rôle actif dans les relations internationales, compte tenu de la liberté d'expression dont bénéficient largement les parlementaires et du fait qu'ils expriment la volonté des peuples souverains, surtout lorsqu'il s'agit de renforcer la sécurité et la stabilité et de consolider le développement.

La Chambre des députés tunisienne a apporté sa contribution à la sécurité, au développement et à la paix dans le monde, en participant aux grandes manifestations parlementaires, internationales et régionales, organisées par les différentes unions et structures parlementaires, ainsi que par les Nations unies.

La Chambre a participé à la création de l'Assemblée parlementaire euro-méditerranéenne, dont elle a suivi toutes les phases de sa mise en place, ainsi qu'à toutes les réunions et rencontres organisées dans le cadre de l'espace euro-méditerranéen.

Nous devons intensifier nos efforts à l'intérieur de cet espace parlementaire et œuvrer à la concrétisation de la déclaration de Barcelone, de manière à répondre aux aspirations des peuples de la région.

Je voudrais citer, ici, les efforts consentis par les parlementaires de notre espace pour impulser les négociations entre les Palestiniens et les Israéliens et contribuer à la recherche d'une solution équitable du conflit arabo-israélien.

De même, il est de notre devoir de contribuer, aux côtés des gouvernements, au rétablissement de la sécurité et de la stabilité en Irak et à sa reconstruction et de participer à l'instauration de la sécurité et de la stabilité dans le continent africain, afin que la paix règne dans le monde et que l'ensemble des peuples se consacrent à l'édification et à l'effort de développement.

Pour terminer, je voudrais réitérer mes remerciements à MM. Debré et Poncelet pour leur accueil chaleureux et pour leurs efforts en vue d'assurer le succès de notre importante réunion.

(Applaudissements)

M. le Président. Je vais donner maintenant la parole à des sénateurs concernés par le dialogue « 5+5 ».

Mme Monique Cerisier-ben Guiga (groupe d'amitié France-Tunisie). Je voudrais simplement citer un exemple de coopération décentralisée que je connais bien, celle que mène depuis dix ans le département de l'Hérault avec la ville gouvernorat de Médenine-Djerba en Tunisie. Tout a commencé avec l'intervention d'une association d'aide aux handicapés puis, la mayonnaise ayant pris, d'autres domaines de coopération ont été explorés : développement agricole et touristique avec l'amélioration de l'artisanat et de la distribution d'eau dans une petite ville, formation de jeunes aux techniques de l'enduit à la chaux, pour la réhabilitation de l'habitat traditionnel, aussi bien dans le sud de la France que dans la région de Djerba, jusqu'à des grands projets comme une plate-forme industrielle des technologies de l'eau, qui intéresse l'arc méditerranéen. On voit ainsi toute la gamme des actions, depuis les micro-projets jusqu'au grand projet industriel.

M. Jacques Blanc (groupe d'amitié France-Maroc). Je me souviens que le Comité des régions d'Europe avait voulu financer une politique de voisinage en demandant de l'inclure dans les programmes Meda et Interreg. Les régions peuvent aider à créer des réseaux. J'ai ainsi mis en place un Institut des régions méditerranéennes pour le développement durable, auquel participent universités et organismes de recherche, comme par exemple un institut de médecine tropicale.

M. Jean Faure. Il y a trois ans, à l'initiative du président Poncelet, le Sénat s'est doté d'une délégation à la coopération décentralisée qui a pour but de  faire l'inventaire des actions menées par les collectivités locales françaises dans chaque pays, d'assurer la coordination entre ambassades, postes de développement économique et collectivités pour éviter les doublons et d'encourager nos collectivités locales et le ministère des affaires étrangères à s'intéresser aux pays délaissés.

M. André Dulait (groupe d'amitié France-Libye). Nous avons lancé des actions de coopération entre la région Provence-Alpes-Côte d'Azur et la région de Benghazi. Il s'est créé une association mixte franco-libyenne où sont représentés tous les partis, quelques parlementaires, des représentants des forces économiques et des associations de femmes, car les femmes ont un grand rôle à jouer au Maghreb.

M. François Zocchetto (groupe d'amitié France-Italie). La France et l'Italie se ressemblent beaucoup par leur organisation institutionnelle (bicamérisme), leur scrutin, leur organisation territoriale. Notre coopération porte sur le domaine législatif, qu'il s'agisse de l'élaboration de la loi - nous nous efforçons d'adopter des législations homogènes - ou de son application - nous nous rencontrons régulièrement pour assurer une coordination dans le domaine judiciaire. L'Italie nous inspire pour la décentralisation : nous sommes allés sur place étudier le fonctionnement des régions autonomes. Je pense que les relations interparlementaires anciennes et solides entre la France et l'Italie peuvent inspirer d'autres pays. Ce qui compte, c'est le travail législatif.

M. Robert Del Picchia (représentant du Sénat à l'assemblée parlementaire euro-méditerranéenne). Dans la suite du processus de Barcelone, un groupe de travail, dont M. Radi était vice-président, a réfléchi à la façon de concrétiser le projet Euro-méditerranéen : il a retenu l'idée d'une assemblée parlementaire, dont les statuts ont été rédigés avec l'aide du parlement européen et des parlements nationaux. Cette assemblée, créée à Athènes en mars 2004, poursuivra ses travaux au Caire au mois de mars prochain.

M. le Président. Je retiens la suggestion d'une réunion plénière par an...

M. João Bosco Mota Amaral. ...alternativement sur la rive nord et sur la rive sud...

M. le Président. et je suggère que les présidents des commissions des affaires étrangères se réunissent à mi-parcours.

M. Abdelkader Bensalah. Je signale que lors de leur dernière réunion, les ministres des affaires étrangères du groupe « 5+5 » avaient souhaité que les présidents des commissions des Affaires étrangères se réunissent l'an prochain. Évitons que les réunions se chevauchent.

M. Al Choumi, député (Grande Jamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste). N'oublions pas que M. Radi nous a invités à tenir notre prochaine réunion, en 2005, au Maroc. Hier, aux représentants de l'Algérie demandant que l'on consacre une réunion au problème de l'immigration, il a été répondu que cela posait des problèmes techniques et philosophiques. Il y a effectivement des attitudes différentes. La démocratie directe, où le pouvoir est l'émanation du peuple, obéit à une autre philosophie. On essaie de nous imposer des modèles politiques qui sont en crise. Il n'y a pas de consultation électorale neutre ou impartiale, même si des observateurs internationaux sont envoyés pour en vérifier la régularité. L'exemple de l'Ukraine est le dernier en date. Le pouvoir émane du peuple ; il n'est pas la propriété des députés.

Je remercie à nouveau l'Assemblée nationale et le Sénat d'avoir organisé cette rencontre qui nous conforte dans notre souhait de poursuivre le dialogue dans le cadre du groupe « 5+5 ».

M. le Président. Les élus, désignés démocratiquement, représentent le peuple dont l'avis peut-être par ailleurs sollicité, sur des sujets sensibles, par la voie du referendum, local ou national.

M. Abbou (député, président du groupe d'amitié Algérie-France). Nous avons décidé, au sein de ce groupe créé il y a un an, de relancer la coopération entre villes et villages. Nous voulons aller au-delà des échanges rituels auxquels donnent lieu les jumelages, pour mettre en commun les expériences et les outils de la coopération. Nous avons été impressionnés par les pépinières d'entreprises qui ont été créées en France. Nous y voyons une bonne base pour la coopération.

Je veux témoigner d'un exemple de coopération entre chercheurs et universités d'Algérie et de France. J'appartiens à un réseau travaillant sur les problèmes d'appropriation de la technologie pour le développement local, le réseau Magtech. Des universitaires de Mauritanie, de Tunisie, du Maroc, de l'Algérie et de la France y participent. Personnellement, je bénéficie d'un soutien logistique en France, pour poursuivre mes recherches, alors que je suis député algérien. On peut envisager d'autres projets qui contribuent au développement de la démocratie, en obligeant les administrations centrales à changer et en suscitant les réformes institutionnelles qui profiteront à tout le bassin méditerranéen.

M. le Président. C'est un exemple éclairant qui nous incite à persévérer. Dans ma collectivité, nous organisons des jumelages d'établissements scolaires pour préparer l'avenir.

M. Claude Domeizel (groupe d'amitié France-Algérie). Je viens d'accéder à la présidence de ce groupe. Je connais les relations anciennes entre nos deux pays et, comme élu du sud-est, je sais que l'Algérie nous est proche : Marseille est plus proche d'Alger que de Paris... Nous allons nous efforcer de renforcer les liens, aujourd'hui quelque peu distendus, entre nos deux pays.

M. Lamberto Dini. Pour la prochaine réunion qui va se tenir au Maroc, je souhaite que l'ordre du jour soit communiqué suffisamment à l'avance.

M. le Président. D'où ma proposition d'une réunion intermédiaire des présidents des commissions des Affaires étrangères, entre les réunions plénières.

M. Al Choumi. Je rappelle qu'à Tripoli nous avons décidé de nous réunir une fois par an et que le communiqué final, en son paragraphe 12, a retenu la France, le Maroc et l'Italie comme pays d'accueil des réunions à venir. En outre, il a été décidé hier, à l'Assemblée nationale, de convoquer en Algérie une réunion restreinte sur les migrations.

M. Abdelwahed Radi. Je crains qu'une réunion régulière des présidents de commissions n'alourdisse par trop le fonctionnement : tenons-nous en à la réunion annuelle des présidents des assemblées nationales. En revanche on pourrait constituer une troïka avec des représentants des trois premiers pays d'accueil (Libye, France et Maroc) pour préparer, suffisamment à l'avance, l'ordre du jour de la prochaine réunion.

M. le Président. C'est en effet plus simple.

M. Abdelkader Bensalah. Hier, nous avons reconnu que le dialogue est plus avancé entre les gouvernements qu'entre les parlements. Les ministres des affaires étrangères en ont discuté lors de leur dernière rencontre. Je ne pense pas qu'il y ait de contradiction entre la réunion des présidents et celle des présidents de commissions. Je suis convaincu que nous aboutirons à la complémentarité entre l'action de l'exécutif et celle du législatif.

M. le Président. Donc nous retenons le principe d'une réunion plénière annuelle des présidents des assemblées, d'une réunion de la troïka pour préparer la suivante et d'une réunion intermédiaire des présidents des commissions des affaires étrangères.

M. Abdelwahed Radi. Je suis d'accord, à condition que la réunion des présidents de commissions, convoquée sur son ordre du jour propre, soit indépendante de celle des présidents d'assemblées.

Il en est ainsi décidé.

La séance est levée à midi vingt.

------------

2e réunion des présidents d'assemblée parlementaire des pays membres du dialogue euro-méditerranée « 5+5 »


© Assemblée nationale