ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIEME LÉGISLATURE

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R A P P O R T D' I N F O R M A T I O N

Présenté à la suite de la mission effectuée au Pérou

du 17 au 23 mai 2003

par une délégation du

GROUPE D'AMITIÉ FRANCE- PEROU (1)

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(1) Cette délégation était composée de M. Frédéric de Saint-Sernin, Président, et de MM. Philippe Folliot, Jean Launay et Jean-Luc Reitzer, vice-Présidents

SOMMAIRE

Carte du Pérou 5

Introduction 7

I- PRESENTATION GENERALE DU PEROU 9

A. Aperçu historique 9

B. De Fujimori à l'élection démocratique de Toledo 10

a- Le règne de Fujimori et sa chute 10

b- L'héritage institutionnel d'Alejandro Toledo 12

C. Une économie face à la mondialisation 13

a- Aperçu de l'histoire économique récente du Pérou 13

b- Les réalités de l'économie péruvienne 14

c- Une politique de réformes difficiles 15

D. La politique extérieure péruvienne : multipolarité 15

a- La coopération régionale comme affirmation de l'indépendance de l'Amérique latine 15

b- Un pays demandeur de plus d'Europe 17

c- L'affirmation du rôle de l'ONU 17

E. Des relations franco-péruviennes de plus en plus développées. 18

a- La France, un partenaire politique et culturel de premier plan 18

b- Mais des relations économiques qui demandent à se développer 19

II- PRINCIPAUX ENSEIGNEMENTS DÉGAGÉS PAR
LA MISSION 20

A. Une transition démocratique qui demande à être soutenue 20

a- Les difficultés et les succès de la transition démocratique 20

b- Le rôle du législateur dans la transition démocratique 21

c- La nécessité d'une coopération efficace et concrète 22

B. Une politique de la francophonie exemplaire 24

a- Aperçu historique de la francophonie au Pérou 24

b- Un enseignement du français adapté et original 24

c- Le français comme outil de la démocratie 25

C. La culture au Pérou : atout et enjeu de la démocratie 26

a- Des richesses importantes mais des moyens limités 26

· des réussites incontestables : l'exemple du musée du Seigneur de Sipan 26

· mais des difficultés liées aux moyens limités 27

· les propositions de la commission nationale de la culture 28

b- Culture et aménagement du territoire 29

· la nécessité de développer les infrastructures 29

· le développement d'un tourisme éthique 30

c- La France et l'enjeu culturel au Pérou 30

· IFEA et IRD : le lien entre culture et développement 31

· le projet de Choquequirao : quand le passé peut construire l'avenir 32

ENTRETIENS 35

Entretien avec M. Carlos Ferrero Costa 37

Entretien avec le groupe d'amitié Perou-France 39

Entretien avec les représentants de la francophonie et de la culture organisé a l'alliance francaise 44

Entretien avec M. Valentin Paniagua, ancien president de la republique, M. Victor Garcia Belaunde, vice-president du parti et des representants du parti « Accion popular » 48

Entretien avec le directeur du collège franco-peruvien 51

Entretien avec M. Allan Wagner Tizon, ministre des relations exterieures 52

Entretien avec M. Luis Solari De La Fuente, 55

Entretien avec M. Alejandro Toledo 57

Entretien avec M. Alan Garcia, 59

Entretien avec Mme Lourdes Flores 62

ANNEXES 65

Fiche signalétique du Pérou 66

Programme de la mission 67

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Carte du Pérou

Introduction

Une délégation du groupe d'amitié France-Pérou de l'Assemblée nationale s'est rendue à Lima et dans la région de Chiclayo et de Lambayèque du 17 au 23 mai 2003, à l'invitation de M. Luis Alva Castro, Président du groupe d'amitié Pérou-France du Congreso, le parlement péruvien.

Conduite par M. Frédéric de Saint-Sernin, député (UMP) de Dordogne, Président du groupe d'amitié, elle était en outre composée de M. Philippe Folliot, député (UDF) du Tarn, M. Jean Launay, député (S) du Lot et de M. Jean-Luc Reitzer, député (UMP) du Haut-Rhin vice-Présidents du groupe d'amitié. Ils étaient accompagnés de Mlle Sandrine Espinet, administratrice-adjointe, secrétaire du groupe d'amitié.

Cette mission répondait au souhait de renouer le contact avec le parlement péruvien, après la période Fujimori marquée par un net refroidissement des relations avec l'Assemblée nationale et la non-reconstitution du groupe d'amitié Pérou-France au Congreso. Par ailleurs, la délégation tenait à rencontrer les acteurs politiques, économiques et culturels de la démocratie péruvienne afin de mieux appréhender l'aide que la France pourrait leur apporter.

Le programme élaboré par le Congreso et l'ambassade de France à Lima s'est révélé en tout point remarquable et les membres de la délégation ont été extrêmement touchés par l'accueil chaleureux qu'ils ont reçu à Lima comme à Chiclayo et Lambayèque. Ils tiennent à exprimer leurs remerciements aux membres du groupe d'amitié Pérou-France, et plus particulièrement à M. Luis Alva Castro, Président, ainsi qu'à M. Carlos Ferrero Costa, Président du Congreso.

La délégation tient aussi à remercier les représentants des collectivités locales, de la région de Chiclayo et de la ville de Lambayèque, les responsables de l'Université et du musée du Seigneur de Sipan et du Musée de Sican ainsi que le Préfet pour l'accueil exceptionnel qu'ils lui ont réservé, et pour la qualité et la diversité du programme proposé.

Remerciements qu'ils adressent également à M. Allan Wagner Tizon, Ministre des relations extérieures et à M. Luis Solari de la Fuente, Président du Conseil des ministres ainsi qu'aux représentants des partis politiques, M. Valentin Paniagua, M. Alan Garcia, anciens Présidents de la République et Mme Lourdes Flores.

Enfin la délégation a été particulièrement honorée par l'entretien accordé par M. Alejandro Toledo, Président de la République, et par son accueil et ses mots chaleureux sur la France et la représentation nationale. Cette rencontre restera un moment fort de la mission.

Ils ont apprécié la courtoisie, la disponibilité et l'efficacité de Son Excellence M. Jean-Paul Angelier, Ambassadeur de France et souhaitent l'en remercier ainsi que le personnel de l'Ambassade, en particulier le service culturel et le poste d'expansion économique ainsi que M. Christophe Billaudé qui fut leur interlocuteur pour la préparation de cette mission.

Enfin, les membres de la délégation voudraient remercier M. Philippe Casenave, Conseiller à l'ambassade de France qui les a accompagnés tout au long du séjour et a contribué largement au succès de cette mission.

Cette mission qui s'est déroulée à Lima et dans les régions de Chiclayo et Lambayèque a permis à la délégation de constater les difficultés mais aussi les atouts du Pérou dans une transition démocratique qui demande à être soutenue. Ils ont pu noter le rôle de la France à travers une politique de la francophonie exemplaire. Enfin, tout au long de leur séjour, les membres de la délégation ont pu appréhender l'enjeu que constitue la culture pour le développement durable au Pérou.

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* *

I- PRESENTATION GENERALE DU PEROU

A. Aperçu historique

L'histoire a, au Pérou, un rôle essentiel : l'histoire précolombienne et celle de la domination espagnole pour comprendre les enjeux d'une identité péruvienne ; l'histoire des relations avec les pays voisins pour mieux saisir l'importance de la coopération régionale aujourd'hui dans le monde andin ; enfin l'histoire politique pour mieux comprendre les clés de la transition démocratique.

Dès 3000 avant JC, des traces de peuplement existent au Pérou. Mais les premières civilisations apparaissent vers 300 avant JC avec les Nazcas, puis vers le VIème siècle la civilisation Chimu apparaît sur la côte. Mais toutes les civilisations seront dépassées par la conquête inca vers 1200. Cette société est théocratique et rigoureusement organisée, elle maîtrise les sciences et les techniques. Au XVème siècle, l'empire inca est à son apogée, mais dès le milieu du XVIeme siècle, la conquête espagnole commence. L'arrivée, en 1532, de Pizarro sonne le glas de l'empire inca. Jusqu'au XVIIIeme siècle, les Indiens vont se révolter contre la colonisation espagnole, la dernière révolte indienne conduite par Jose Gabriel Condorcanqui, dit « Tupac Amaru », est réprimée dans le sang en 1780. En 1821, le Pérou se proclame indépendant dans le cadre de la décolonisation de l'Amérique latine. Mais sa souveraineté ne sera reconnue par l'Espagne qu'en 1879, après que le Pérou fût sorti victorieux de la guerre de 1864. Les liens avec l'Espagne sont aujourd'hui privilégiés mais, à Lima, la statue de Pizarro a été déboulonnée cette année. La lecture même de la Conquista est sujette à des débats entre les Péruviens d'origine indienne et les Péruviens issus des grandes familles espagnoles.

Les relations du Pérou indépendant et de ses voisins seront aussi tourmentées. De 1879 à 1884, la guerre du Pacifique oppose le Chili au Pérou et à la Bolivie. Lima est sauvée de la destruction par les Chiliens grâce à l'intervention de la flotte française. Mais le Pérou perd une partie de son territoire au profit du Chili. En 1941, le Pérou fait une guerre éclair contre l'Equateur et gagne. En 1942, le Protocole de Rio est signé entre les deux pays. L'exécution de ce traité est garantie par l 'Argentine, le Brésil, le Chili et les Etats-Unis. Les antagonismes territoriaux avec l'Equateur ne seront résolus que plus de cinquante ans plus tard.

Politiquement, en 1924, l'Alliance populaire révolutionnaire américaine (APRA) est fondée. En 1956, l'Accion popular est créée par M. Belaunde qui sera Président du Pérou de 1963 à 1968 et de 1980 à 1985, alors que l 'APRA détient la majorité parlementaire. Entre 1960 et 1990, ces deux partis dominent la vie politique péruvienne, le premier se situant à gauche et le second à droite de l'échiquier politique. De 1968 à 1980, les généraux détiennent le pouvoir. Sous le pouvoir du Général Velasco Alvarado, l'Etat intervient dans l'économie et le Pérou se rapproche de Cuba et de l'Union soviétique. Mais avec le Général Morales, à la fin de la période, une Assemblée constituante est créée en 1978 sous la pression des démocrates. En 1979, la nouvelle constitution est adoptée et des élections présidentielles libres se déroulent en 1980, dont le vainqueur est le Président Belaunde Terry. Mais cette période est aussi celle du début de la guérilla du sentier lumineux fondé par Abimael Guzman en 1970, et des attentats urbains du Mouvement révolutionnaire Tupac Amaru (MRTA) fondé en 1984. En 1985, Alan Garcia, représentant l'Apra, est élu président. Les troubles sociaux et l'inflation galopante entraînent une poussée du terrorisme. Le pays est au bord de la guerre civile. En 1990, face aux partis traditionnels dépassés par le contexte politique, Alberto Fujimori, candidat indépendant, est élu président ; son rival malheureux s'appelle Mario Vargas Llosas.

B. De Fujimori à l'élection démocratique de Toledo

Alberto Fujimori va détenir le pouvoir de 1990 à 2001, ce qui fait de lui le champion de la longévité dans l'Amérique du sud, si l'on excepte Augusto Pinochet au Chili.

a- Le règne de Fujimori et sa chute

Jusqu'en 1992, Alberto Fujimori mène deux politiques de front : la libéralisation économique et la lutte contre le terrorisme. Les principaux responsables de ce dernier sont arrêtés en 1992. Parallèlement, le conflit frontalier avec l'Equateur est réglé, ce qui permet de rationaliser la lutte contre le terrorisme et aussi de rétablir des liens commerciaux nécessaires à l'économie péruvienne.

Cependant, dès 1992, Fujimori prétexte la lutte contre le terrorisme pour dissoudre le Congreso, destituer cinq cents magistrats et suspendre les garanties constitutionnelles. Une nouvelle Constitution est adoptée par la nouvelle assemblée constituante puis par référendum, Fujimori profitant de sa popularité après les arrestations des chefs des mouvements terroristes. Cette Constitution lui permet de se représenter en 1995. Il est réélu et obtient aussi la majorité parlementaire.

Sur le plan économique, sa politique est positive et permet de combattre l'inflation mais, sur le plan politique, le pouvoir exécutif est concentré et contrôle les pouvoirs législatif et le judiciaire. Il n'y a plus de réels contre-pouvoirs, les médias sont sous contrôle. De nombreux cas d'emprisonnements arbitraires et de tortures sont signalés. Les services secrets contrôlent la diffusion de l'information. En 1997, Tupac Amaru prend des otages à l'ambassade du Japon à Lima. L'intervention réussie du commando militaire péruvien met un arrêt aux actions terroristes. Fort de ce succès, Fujimori annonce qu'il va se présenter aux élections de 2000. Les juges de la commission électorale et du tribunal constitutionnel considérant cette candidature comme inconstitutionnelle, Fujimori passe outre avec une autorisation donnée par l'assemblée législative. En 1998, le conseil national de la magistrature démissionne en bloc.

Le 8 avril 2000, Fujimori sort vainqueur de l'élection. Il a été l'unique candidat du deuxième tour car Alejandro Toledo, le second candidat, a refusé d'y participer considérant que les conditions d'une élection honnête ne sont pas réunies. Mais l'élection de Fujimori est entérinée par l'OEA qui considère que « la fraude électorale n'est pas un coup d'État ». Les Etats-Unis décident « de s'accommoder du président ». Mais dans le pays, les manifestations de l'opposition démocrate se multiplient.

L'affaire Montesinos éclate alors. Une vidéocassette impliquant le chef des services secrets, Vladimiro Montesinos, un proche du président, dans des affaires de corruption est diffusée. Fujimori profite d'un sommet du forum de coopération économique d'Asie-Pacifique pour s'enfuir au Japon, d'où il annonce sa démission le 17 novembre 2000.

L'intérim est confié à Valentin Paniagua, président de l'assemblée nationale, et Javier Perez de Cuellar, l'ancien Secrétaire général des Nations Unies, dirige le gouvernement provisoire chargé d'organiser les élections présidentielles d'avril 2001. En décembre 2000, le Congreso change le mode d'élection des députés, le système proportionnel avec une circonscription nationale est remplacé par un système reposant sur des circonscriptions géographiques.

Le 3 juin 2001, après le deuxième tour, Alejandro Toledo est élu Président, à la suite d'élections démocratiques et régulières, auxquelles participe l'ancien Président de la République Alan Garcia de retour d'exil. Les élections législatives d'avril ne donnent aucune majorité confortable, bien que le parti du président, Peru posible, arrive en tête.

Répartition des sièges au Congreso après
les élections d'avril 2001  :

GOUVERNEMENT

Peru Posible

41

Frente independante moralizador

10

OPPOSITION

APRA (Alan Garcia)

28

Unidad nacional (Lourdes Flores)

14

UPD (dont Accion popular de Valentin Paniagua)

10

Grupa parlamentaria decentralista independiente

6

Non inscrits

11

b- L'héritage institutionnel d'Alejandro Toledo

Le Président Toledo hérite d'une situation institutionnelle difficile. La Constitution de 1993 est toujours en vigueur. Cependant, le gouvernement Perez de Cuellar a restructuré les commandements de la police et des forces armées et a créé une « commission de la vérité » chargée de faire la lumière sur les violations des droits de l'Homme au Pérou entre 1980 et 2000. Par ailleurs, un projet de création d'une haute autorité chargée de la lutte contre la corruption est aussi en cours.

Politiquement, le président n'a pas de majorité législative et le gouvernement est composé essentiellement de membres de son parti, Peru posible, ce qui entraîne des revendications des autres partis démocratiques représentés au Congreso.

Les institutions démocratiques sont donc à reconstruire pour redonner de la légitimité au pouvoir politique et à ses représentants.

C. Une économie face à la mondialisation

Doté de richesses naturelles importantes, pays à fort potentiel touristique, le Pérou a de nombreux atouts. Il est aussi un Etat à part en Amérique latine  : il fut parmi les plus étatisés et mène aujourd'hui une politique néo-libérale, alors que les pays voisins semblent avoir choisi une troisième voie économique.

a- Aperçu de l'histoire économique récente du Pérou

De 1985 à 1990, sous la présidence d'Alan Garcia, l'économie se détériore rapidement. L'inflation était déjà très forte, elle devient galopante (7481 % en 1990). En refusant de payer la dette extérieure et de négocier avec le FMI ou la banque mondiale, Alan Garcia va isoler le Pérou du système financier international. Les prix, les salaires sont sous le contrôle de l'Etat ainsi que la gestion des mines ou du pétrole. Des barrières douanières sont instaurées.

L'arrivée de Fujimori en 1990 change le contexte économique péruvien. Outre la fin des contrôles de l'Etat, il établit un système rigoureux de création monétaire, met en place une politique fiscale incitative pour les investisseurs. Tout cela est financé par le produit de privatisations massives pour un total de 9,2 milliards de dollars, principalement dans les télécommunications (38 %), l'énergie (22 %), les mines (13 %) et les hydrocarbures (10,7 %). Une partie de ces opérations concernent des concessions. Les conséquences de cette politique sont positives : l'inflation passe de 139,8 % en 1991 à 3,8 % en 2000, et l'aide internationale revient vers le Pérou. Par ailleurs, le déficit public est réduit jusqu'en 1998, la dette publique passe de 73,1 % du PIB en 1987 à 50,5 % du PIB en 2000. Un nouveau système fiscal est adopté. Les bons résultats économiques de Fujimori amènent le FMI, ainsi que la Banque mondiale et le Club de Paris, à ré-échelonner la dette péruvienne. Le Pérou obtient en 1997 de participer au plan Brady.

En 1998, la crise des marchés émergents et les conséquences du phénomène climatique El Niño touchent le Pérou et une de ses ressources principales, la pêche. Mais à son arrivée au pouvoir, le Président Toledo dispose d'une économie considérée comme stable, du moins sur la plan de la macroéconomie. Ces résultats cachent malgré tout des réalités plus fragilisantes pour le nouveau pouvoir.

b- Les réalités de l'économie péruvienne

Le Pérou est un pays riche d'opportunités mais il a de nombreuses faiblesses. D'une part, pays du Tiers-monde, il connaît une structure sociale typique. 20 % des ménages les plus riches reçoivent 51,3 % des revenus alors que les 20 % les plus pauvres n'en perçoivent que 4,4 %. Plus de la moitié de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. D'autre part, si les chiffres globaux sont positifs y compris sur certaines données sociales comme l'éducation, ils masquent le fossé entre Lima et « le désert péruvien ».

Lima rassemble 28 % de la population mais 51 % des fonctionnaires, 24,5 % du PNB, 60 % des revenus des services, 73 % des médecins et 98 % de l'investissement privé. L'agglomération Lima-Callao produit 31 % du PNB pour 30 % de la population, les autres villes rassemblent 40 % de la population pour 25 % du PNB. De cette non-répartition géographique des richesses découlent d'autres faiblesses sur le plan des infrastructures dans la Sierra, du niveau d'éducation et donc un problème de recrutement de la population active. Si sur l'ensemble du Pérou, la majorité de la population travaille dans le secteur tertiaire, dans les Andes, le secteur primaire est sur-représenté.

Parmi les atouts du Pérou, certains pourraient mieux être valorisés. C'est le cas de la pèche car 90 % des produits sont transformés en farine et huile de poissons alors que certaines espèces pourraient être exportées telles quelles, à condition de mettre en place une chaîne du froid et la logistique nécessaire. Le tourisme est le second atout du Pérou et la place qu'il peut et doit jouer dans un développement durable du Pérou sera étudiée ultérieurement.

c- Une politique de réformes difficiles

L'économie péruvienne a besoin de réformes. Mais ces réformes sont difficiles à mener. Le nouveau gouvernement doit tenter de maintenir la rigueur économique de son prédécesseur, mais dans un contexte démocratique. Par ailleurs, le Président Toledo doit tenir les promesses électorales faites à la population et répondre à la demande sociale.

La politique de privatisations et de concessions va donc continuer mais avec les interventions des syndicats qui retrouvent leur rôle après dix ans de dictature. Les mises en concessions semblent s'orienter vers une volonté d'amélioration des infrastructures.

La décentralisation sera aussi une réforme difficile mais nécessaire pour que les plus pauvres puissent voir leur situation s'améliorer et aussi afin que le terrorisme ne reprenne pas.

Enfin il ne faut pas oublier que la situation économique mondiale est plus défavorable que sous Fujimori et que la récession qui menace les pays riches pourrait avoir des conséquences sur un pays comme le Pérou où le tourisme représente la deuxième source de revenus. Le nouveau pouvoir a donc un défi à relever dans un contexte difficile mais comparativement meilleur que celui que connaissent les pays voisins du Pérou.

D. La politique extérieure péruvienne : multipolarité

La fin de l'ère Fujimori est pour le Pérou un retour dans la communauté des Etats démocratiques.

a- La coopération régionale comme affirmation de l'indépendance de l'Amérique latine

La coopération régionale apparaît essentielle pour l'indépendance des pays andins. Le Pérou participe activement à plusieurs organisations continentales comme l'Organisation des Etats américains (OEA) mais aussi régionales. Depuis le retour à la démocratie, le Pérou s'est montré particulièrement actif. Il a pris l'initiative d'une Charte interaméricaine des Droits de l'Homme, adoptée par l'OEA en septembre 2001, ainsi que de la Charte andine pour la paix et la sécurité adoptée le 19 juin 2002 par les ministres des affaires étrangères et de la défense des pays andins. La Communauté andine des Nations (CAN) a pour objectif de devenir une zone de paix.

Pour cette région de l'Amérique latine, l'organisation qui semble la mieux affirmer sa spécificité est la CAN. Elle réussit à réunir des pays qui ont de nombreux antagonismes. L'organisation se veut non seulement économique mais aussi politique. Elle souhaite mettre en place un système d'intégration andin. Elle possède pour cela une structure institutionnelle complète : un Conseil des présidents, un Conseil des ministres des affaires étrangères qui a un certain pouvoir contraignant, grâce à des décisions ayant valeur de normes juridiques et qui doivent être prises par consensus. Ce conseil choisit aussi le secrétaire général, basé à Lima. Il existe également un Parlement andin composé de représentants des parlements des Etats membres dont le rôle est notamment de rechercher l'harmonisation des législations des différents États membres. Le tribunal de justice a une compétence territoriale sur ceux-ci et veille à l'application des règles communautaires.

Sur le plan économique, la CAN a une institution financière spécifique qui a pour mission de faciliter le développement durable et l'intégration régionale, la « corporation andine de développement ». Enfin le fonds latino américain de réserves a pour objet d'aider les pays en cas de problèmes sur la balance des paiements et de permettre une convergence des politiques monétaires.

A la suite du coup d'Etat de Fujimori de 1992, le Pérou avait suspendu l'application de la zone de libre-échange. Il a négocié un aménagement pour pouvoir étaler l'abaissement tarifaire jusqu'en 2005, date à laquelle le Pérou intègrera la zone de libre-échange à part entière. Le Pérou essaye de trouver sa place dans cette organisation, sans pour autant céder sur ses intérêts propres en matière de tarifs et de négociations douanières. Par ailleurs, la CAN a commencé à se rapprocher du Mercosur, ceci face à la mondialisation mais aussi à la création à terme d'une autre zone, qui devrait devenir effective en 2005, la Zone de libre échange des Etats américains (ZLEA), chère aux Etats-Unis.

Dans le cadre de ces organisations, le Pérou comme ses partenaires, demande une présence plus grande de l'Europe.

b- Un pays demandeur de plus d'Europe

Afin de mieux affirmer son indépendance face à leur grand voisin, les pays sud américains ont souhaité un rapprochement avec l'Union européenne. En ce qui concerne le Pérou, celui-ci a pour objectif d'obtenir un accord d'association avec l'Union européenne. D'autre part, même si le nouveau Président a été formé aux Etats-Unis, il est, pour des raisons familiales (son épouse est belge) attaché à resserrer les liens avec le vieux continent. Le Pérou bénéficie déjà du SPG drogue (système de préférences généralisées) mis en place au sommet de Madrid de 2002 et qui lie les préférences commerciales unilatérales à la lutte contre la drogue.

Cependant, les barrages douaniers instaurés par l'Union européenne sont mal perçus par les Péruviens qui considèrent que les discours sur le développement ne peuvent être valables que si les protectionnismes tombent.

Politiquement, le rapprochement avec l'Europe se traduit pour le Pérou par un renforcement de ses relations bilatérales. Le voyage officiel du Président Toledo en octobre 2003 dans plusieurs pays européens dont la France, tend à montrer l'intérêt du pays pour une place plus visible de l'Europe au Pérou.

c- L'affirmation du rôle de l'ONU

Le lien entre l'ONU et le Pérou est d'abord un lien humain. Javier Pérez de Cuellar, ancien Secrétaire général des Nations Unies dans les années 90, au moment de la chute de l'URSS, de la première guerre du golfe, de l'indépendance de la Namibie et de la fin de l'apartheid, est le symbole vivant de cet attachement du Pérou à l'ONU. Président du Conseil et ministre des affaires étrangères du gouvernement transitoire, aujourd'hui ambassadeur du Pérou à Paris, il est un homme clé de la transition démocratique péruvienne et de sa place dans le monde.

Le lien entre l'ONU et le Pérou est aussi fondé sur des réalités et des faits. L'actualité récente a montré que le Pérou était attaché à un monde multipolaire, où les décisions de l'ONU doivent fonder le droit international. Concernant la guerre en Irak, le Pérou s'est aligné sur la position française : sans décision de l'Onu, il a refusé de participer ou de soutenir la guerre menée par les Etats-Unis. Cet attachement à la multipolarité est la suite logique de sa volonté de renforcer l'intégration régionale andine afin de ne pas avoir comme unique pole continental l'OEA.

E. Des relations franco-péruviennes de plus en plus développées.

Les relations entre la France et le Pérou ont été fondées dès le départ sur des moments où la liberté de l'un ou de l'autre pays était menacée. Du sauvetage de Lima du saccage par les Chiliens pendant la guerre du Pacifique au XIXeme siècle à la réception par le Président Chirac et le Président de l'Assemblée nationale d'Alejandro Toledo en novembre 2000 en passant par la reconnaissance (le Pérou sera le premier en Amérique latine) de la France libre en 1943, ces épisodes restent dans la mémoire collective une source d'amitié profonde.

a- La France, un partenaire politique et culturel de premier plan

La position de la France après la rupture de l'ordre constitutionnel au Pérou en 1992 lui permet aujourd'hui d'être considérée comme un partenaire sûr pour la démocratie péruvienne. Sur le plan politique, les relations bilatérales ont repris dès l'installation du gouvernement de transition. Le président Toledo vient en France en novembre 2000 comme candidat, il revient en juillet 2001 comme président élu. M. Josselin, ministre de la coopération, se rend au Pérou en janvier 2001 puis en juillet 2001. Par ailleurs, plusieurs ministres péruviens viennent en France. Après l'élection du Congreso démocratique, les groupes d'amitié du Sénat (France-Amérique latine) en 2001 puis le groupe d'amitié France-Pérou de l'Assemblée nationale lors de cette mission permettent aux relations interparlementaires de reprendre. Il est à noter que le dernier échange entre les groupes d'amitié avait eu lieu en 1991 et que depuis la rupture de l'ordre constitutionnel, aucun échange n'avait eu lieu. La visite de M Muselier en juin 2003 est aussi le signe d'une reprise des liens politiques au plus haut niveau.

Sur le plan culturel, la coopération scientifique, culturelle et technique a repris. On évoquera ultérieurement le renforcement de l'intérêt pour le français. Hormis des actions classiques, la France a mis en place, en 2002, un fonds de contrepartie (conversion/annulation de créances) de 5 millions d'euros afin de financer des projets de développement durable. La délégation française a pu constater tout au long de sa mission la vivacité et l'efficacité de la France dans ces domaines. Ces éléments seront développés dans la partie consacrée aux enseignements de la mission.

b- Mais des relations économiques qui demandent à se développer

Le relations économiques entre les deux pays sont modestes. Les problèmes politiques ont pesé sur celles-ci. Ainsi en 1995 Air France et le Crédit lyonnais se retirent et la BRGM connaît des problèmes.

Cependant, depuis le retour à la démocratie, un regain d'intérêt pour le Pérou s'est fait jour. Une délégation du MEDEF s'est rendue dans le pays en novembre 2001. La France est aujourd'hui le quinzième fournisseur du Pérou et son vingt deuxième client. Les achats concernent essentiellement les produits alimentaires à 62 % (asperges et conserves de poissons) et des minerais et métaux non ferreux (22 %). La France vend au Pérou des demi-produits industriels (matériaux de construction, tuyaux d'adduction d'eau), des produits chimiques et des automobiles.

La France est présente surtout par des financements liés à des projets (aide alimentaire, humanitaire et reconstruction suite aux séismes comme à villa franca). Cependant la garantie Coface devrait favoriser un développement des investissements français. D'autre part, la France, qui avait été écartée des concessions, devrait pouvoir jouer un rôle sur un programme qui devrait concerner des infrastructures, domaine dans lequel les entreprises françaises sont particulièrement performantes.

II- PRINCIPAUX ENSEIGNEMENTS DÉGAGÉS
PAR LA MISSION

La mission de la délégation du groupe d'amitié France-Pérou a permis de dégager plusieurs enseignements sur la difficulté et l'ambition de la transition démocratique mais aussi sur la place de la France dans l'enjeu que constitue la culture pour le développement du Pérou.

A. Une transition démocratique qui demande à être soutenue

La mission du groupe d'amitié a eu lieu à une période particulière, avant le sommet du groupe de Rio à Cusco, que les enseignants, alors en grève, menaçaient de bloquer. La tension sociale était palpable mais, malgré ce contexte particulier, tous les responsables politiques ont tenu à rencontrer la délégation française afin de partager leur expérience de la transition démocratique.

a- Les difficultés et les succès de la transition démocratique

L'alternance au Pérou, comme le souligne Valentin Paniagua, se fait souvent « entre la démocratie et la dictature ». La transition démocratique doit être réussie car le mécontentement du peuple peut se traduire par un retour du régime autoritaire. Le nouveau pouvoir a essayé par un « accord national » de faire de la démocratie la victoire de toutes les forces démocratiques y compris les églises. Mais cet accord est fragile.

Parmi les difficultés notées par tous les responsables, il apparaît que la plus importante est la conciliation de la rigueur budgétaire et des demandes sociales de la population. Cela explique que l'état de grâce dont avait bénéficié le Président nouvellement élu ait disparu rapidement. En 2002, à Arequipa, la deuxième ville du pays, les privatisations prévues des compagnies d'électricité ont provoqué des scènes d'émeutes et l'état de siège a été décrété. Les salariés du secteur public notamment se sentent délaissés et réclament des augmentations de salaires. Mais il faut constater que tous les responsables, y compris ceux de l'opposition au président, ont admis que le gouvernement ne pouvait donner plus financièrement. D'autre part, les récentes actions terroristes - certes loin de ce que le Pérou a connu autrefois - laisse craindre un retour des extrémismes, profitant de la démocratisation et de la fin de l'État policier autoritaire.

Après dix ans de dictature, le Pérou doit se réformer. Quelques victoires sont déjà acquises. Par la révision de mars 2002 de la Constitution, le Pérou a commencé un processus de décentralisation nécessaire en créant des régions et en organisant des élections régionales. Le rôle de la région est de promouvoir le développement et d'aménager le territoire. Progressivement, des moyens financiers seront transférés aux entités administratives. Les premières élections régionales se sont tenues le 17 novembre 2002, en même temps que les élections municipales. Pour la transition démocratique, ces élections ont constitué un enjeu politique. En effet, elles ont permis l'émergence d'un nouveau personnel politique local, élu sur des intérêts locaux. Les élections municipales ont permis de renouveler les élus de 1998, désignés sous le régime de Fujimori. Quant aux résultats, ils ont démontré, si cela était nécessaire, qu'au Pérou, le parti apriste est la première force politique. Le parti du président a obtenu 12 % des voix, en troisième position derrière les candidats indépendants représentant des intérêt locaux.

La reconnaissance des langues indiennes dans l'enseignement constitue aussi une victoire face à la culture monolithique imposée par le régime autoritaire. Dans le domaine des Droits de l'Homme et du respect des opposants, il est clair que la transition est un succès. Mais à chaque instant, tout semble pouvoir basculer et la peur de « l'homme providentiel » était présente dans tous les entretiens. La délégation française a d'ailleurs pu noter combien l'élection présidentielle française avait été suivie par les Péruviens, dont beaucoup de responsables ont vécu en France en exil. La fragilité de la démocratie, fusse-t-elle ancienne, est apparue comme un lien de plus entre France et Pérou.

b- Le rôle du législateur dans la transition démocratique

Le législateur péruvien joue un rôle essentiel dans un pays où le pouvoir législatif a été soumis de facto au pouvoir autoritaire. Le système péruvien est aujourd'hui monocaméral et les 120 parlementaires du Congreso sont élus pour 5 ans au scrutin de liste à la proportionnelle, dans le cadre du district électoral multiple, la circonscription unique ayant été abolie par la loi organique de décembre 2000.

Le retour du pouvoir de la loi est nécessaire au Pérou et la création de commissions d'enquête au sein du parlement sur les questions de corruption et les questions concernant les droits de l'Homme ou l'insertion des handicapés dans la société péruvienne constitue la preuve d'une volonté du Congreso de retrouver un rôle.

Mais, d'une part, le rôle du législateur est remis en cause par l'absence de majorité législative pour soutenir les projets de réforme présentés par le gouvernement, le morcellement au Congreso soulevant un réel problème de décision. D'autre part, avec la décentralisation et la création d'assemblées législatives locales, l'assemblée nationale, qui profitait de la concentration du pouvoir, devrait voir une partie de ses compétences déléguées aux nouvelles assemblées, notamment en matière scolaire et sur les infrastructures. Enfin, la mise en place, depuis la fin de 2001, d'un système de tables de concertation pour la lutte contre la pauvreté a montré que la société civile et les acteurs locaux souhaitaient participer et être associés à tout processus de décision sur ces questions sensibles.

Les députés membres du groupe Pérou-France ont souligné la difficulté de représenter des circonscriptions étendues et la nécessité de réfléchir sur l'augmentation du nombre de parlementaires pour une meilleure effectivité de leur pouvoir. Ils ont insisté sur la nécessité d'une coopération avec d'autres parlements sur certaines questions techniques.

c- La nécessité d'une coopération efficace et concrète

La délégation française a pu constater lors de ses entretiens que la France est considérée comme une alliée pour la transition démocratique. La coopération administrative et interparlementaire apparaît comme nécessaire.

Les administrations péruviennes, en particulier les administrations judiciaires, ont souffert pendant dix ans d'autoritarisme. Le droit péruvien est un droit de type latin et la France a une certaine expertise de la formation et du conseil dans le domaine de la justice. La création d'une école nationale de l'administration, afin de former les hauts fonctionnaires péruviens, est aussi à l'ordre du jour et la France est impliquée dans sa mise en place. Cependant, la priorité reste la lutte contre la corruption, qui avait atteint des records sous Fujimori. Le législateur tente de trouver des solutions, de responsabiliser les fonctionnaires mais la « bonne gouvernance » ou la notion de « service public » demanderont plus que la coopération administrative, qui doit cependant se développer.

Sur un plan parlementaire, la coopération est demandée sur plusieurs points : les questions touchant à l'organisation du travail parlementaire (travail en commissions, débats, statut du député) ; des questions de fond (par exemple des échanges par internet de sources juridiques sur les handicapés ou la décentralisation ) mais aussi la mise en place d'un outil documentaire efficace pour les députés péruviens, afin de leur permettre de mieux faire leur travail de législateur. Ainsi les élus péruviens ont demandé une coopération pour la mise en place du nouveau centre de documentation, de bases de données équivalentes à celles existant à l'Assemblée nationale (services documentaires et d'études).

Un autre aspect de la coopération demandée par les parlementaires péruviens est la coopération décentralisée institutionnalisée. Depuis l'an 2000, certains projets ont vu le jour. Les actions de coopération touchent les domaines de la jeunesse, l'amélioration de la gestion de l'eau et du réseau ou l'accès à la culture (création de bibliothèques). Les départements les plus impliquées sont l'Isère, la Loire-Atlantique, les Hautes Alpes et les Hautes Pyrénées. Cependant, le projet le plus remarquable reste Villa Franca, la France ayant financé la reconstruction de maisons dans un quartier de la ville de Moquegua, touchée par le tremblement de terre de juin 2001. Ce projet est intéressant car il a associé les populations. Aujourd'hui, il continue sur une coopération décentralisée qui vise à la création d'une maison de la jeunesse et d'une bibliothèque dans le quartier, toujours avec l'implication des habitants.

Ce type de projet est un des nombreux exemples de la politique française dans le domaine de la coopération technique et culturelle, y compris la francophonie.

B. Une politique de la francophonie exemplaire

a- Aperçu historique de la francophonie au Pérou

Le français fut d'abord enseigné dans le privé (écoles des congrégations) avant d'être introduit en 1979 dans le secteur public. L'apprentissage du français a connu des aléas au gré des évolutions politiques. Après la deuxième guerre mondiale, l'élite péruvienne parlait français, la majorité des médecins ont été formés à l'école française et l'Alliance française a, depuis sa création en 1890, aidé au développement de la francophonie. L'inauguration par André Malraux et le Général de Gaulle du collège franco-péruvien de Lima marquant la volonté de faire du Pérou un lieu de francophonie.

Le lien avec la France a été accentué par l'exil de nombreux opposants et hommes de lettres en France, d'Alan Garcia à Mario Vargas Llosas. Mais les années Fujimori sont, sur le plan intérieur, des années noires pour la langue française et les organismes de coopération culturelle et scientifique. La fermeture de l'IRD de 1992 à 1997 et la chute des effectifs à l'Alliance française en sont un des nombreux signes.

Cependant, avec le retour à la démocratie, l'apprentissage du français est en progression très nette.

b- Un enseignement du français adapté et original

Les Alliances françaises au Pérou ont analysé pendant 10 ans de 1992 à 2002 l'évolution des élèves. En 1992, environ 11000 élèves sont inscrits à Lima, en 1999 ils ne sont plus que 8000 et en 2000, dès la chute de Fujimori, les effectifs passent à presque 18000 élèves. Dans les secteurs de l'enseignement traditionnel, les mêmes tendances sont constatées, de même qu'au collège franco-péruvien. La raison, au delà des aspects politiques, en est un enseignement adapté et original.

Les responsables français ont pris en compte, après enquête, les desiderata et les besoins des francophones potentiels. Dans ce pays, où les distances constituent un véritable obstacle, l'enseignement du français a été décentralisé avec la création d'un réseau d'Alliances françaises, d'une part, et par la mise en place d'un programme d'enseignement du français via internet, d'autre part. Dans ce pays où la culture française sembler noyée dans un océan télévisuel anglophone et hispanophone, les établissements français se sont dotés de documentations attractives, de médiathèques, de laboratoires audiovisuels. Enfin, dans ce pays où la plupart des élèves partent finir leurs études à l'étranger, la France a su montrer l'intérêt d'étudier en France, avec des salons spécialisés sur l'enseignement supérieur français, des bourses adaptées et un réseau d'excellence. Ce réseau constitué de plusieurs établissements de divers niveaux d'études vise à constituer une « élite francophone » et à créer une motivation supplémentaire pour les élèves.

Aux cours traditionnels de français général, ont été ajoutés des cours spécialisés, plus professionnels. A chaque instant il s'agit de montrer qu'étudier le français peut être utile pour trouver un emploi, pour accéder à un certain niveau de vie. Le résultat apparaît dans toutes les régions du Pérou (de 1999 à 2002 il y a +50 % d'élèves à Arequipa, +200 % à Cusco, +400 % à Iquitos et +140 % en moyenne sur tout le Pérou).

Il faut souligner le rôle particulier que joue le collège franco-péruvien, seul établissement offrant un cursus complet en langue française avec, là encore, la volonté d'offrir des cours de qualité, diversifiés et, au-delà de la langue, une offre extra-scolaire (activités sportives et culturelles) unique. Lors de la visite de l'Alliance française de Lima et du collège franco-péruvien, la délégation française a constaté le souci de bonne gestion, pour une réelle compétitivité de l'offre francophone.

Mais, au-delà de cette conception qui pourrait sembler « marchande » de la francophonie, le service culturel de l'ambassade de France a fait de l'offre française un véritable outil de démocratie.

c- Le français comme outil de la démocratie

Le premier aspect de ce lien entre français et démocratie est le fait que l'enseignement du français veut être ouvert au plus grand nombre. Pour cela existe une volonté de rétablir un équilibre entre l'offre de français dans le public et dans le privé, ce dernier étant, compte tenu du coût de l'enseignement, réservé de facto à une élite. Il y a, en 2003, 44 collèges publics pour 64 privés qui dispensent des cours de français au Pérou, 17 universités publiques contre 11 privées. Dans le réseau d'excellence, un équilibre est aussi recherché entre les institutions à caractère public et celles à caractère privé. Mais le rééquilibrage dans l'enseignement primaire et secondaire ne pourra être réel qu'avec une réforme du nombre de langues étrangères obligatoires dans le public. Si, dans le privé, deux langues sont d'usage, dans le public une seule langue est obligatoire. La langue française étant souvent plutôt un deuxième choix, il y a automatiquement un déséquilibre en faveur du privé.

Un autre aspect de ce lien entre langue française et démocratie est le fait que le réseau français se veut un outil de formation non seulement linguistique mais aussi juridique. Ainsi, des programmes de coopération institutionnelle pour des professionnels francophones se développent dans les domaines de la réglementation administrative (programme Indecopi).

Avec le retour de la liberté de la presse et des médias en général, le réseau d'information mis en place pour les francophones est utilisé pour des diffusions des valeurs démocratiques auprès de la presse.

C. La culture au Pérou : atout et enjeu de la démocratie

Tout au long de sa mission, la délégation française a pu constater l'importance de la culture au Pérou, domaine qui est devenu un enjeu.

a- Des richesses importantes mais des moyens limités

Il ne s'agit de faire ici un inventaire des très nombreux sites archéologiques, musées, monuments qui existent au Pérou mais de montrer à travers deux exemples de visites faites par la délégation parlementaires les succès de la muséologie péruvienne et ses faiblesses, ce fossé entre des ressources inestimables et des moyens inadaptés.

· des réussites incontestables : l'exemple du musée du Seigneur de Sipan

Au cours de sa mission, la délégation a pu visiter le tout nouveau Musée du Seigneur de Sipan. Ce musée est consacré à la tombe du Seigneur de Sipan, de la civilisation Chimu, pré-inca. Reconstitution de la tombe, ce musée bénéficie d'une présentation remarquable. Il vise à présenter sur plusieurs étages, correspondant chacun à un étage de la tombe, les résultats des recherches des scientifiques. Parallèlement, et afin de mieux saisir le travail des archéologues ayant travaillé sur le lieu à ciel ouvert, des photos et légendes montrent l'évolution de la fouille et les problèmes posés par la protection du site face aux « pilleurs de tombes ». Enfin, une scénographie permet de mieux comprendre le sens des cérémonies de sacrifices de cette civilisation. Cet ensemble s'inscrit dans un projet plus global avec la création d'un centre de recherche et d'une université spécialisée dans les métiers scientifiques et du tourisme. Le directeur du musée, Walter Alva est l'archéologue qui a découvert le lieu, ce qui explique peut-être la volonté de présenter non seulement des pièces magnifiques mais d'expliquer leur sens dans l'histoire pré-colombienne du Pérou et leur lien avec les Péruviens et les traditions contemporaines. La délégation a ainsi pu constater le rôle pédagogique joué par le musée dans cette région. Par ailleurs, le succès du musée pour sa première année de fonctionnement porte à croire qu'il deviendra un des lieux les plus touristiques du Pérou après le Machu Picchu.

L'excellence, à un niveau cependant plus réduit, de la muséologie péruvienne, a aussi pu être constatée au musée archéologique de Lima, notamment dans la salle récemment inaugurée sur les civilisations amazoniennes. Là encore, il s'agit de lier histoire, culture et compréhension des différences culturelles au Pérou. Cependant, la visite de ce musée a été aussi l'occasion de constater les moyens limités dont disposent les péruviens face à ces richesses.

· mais des difficultés liées aux moyens limités

Chaque jour des objets pré-colombiens sont exhumés au Pérou, les recherches archéologiques sont loin d'avoir livré tous leurs secrets mais face à cette richesse deux problèmes se posent : la gestion et la conservation de ces trésors et l'exploitation sur un plan scientifique. En visitant les réserves de poterie et de tissus pré-colombiens du musée de Lima, la délégation française a pu s'entretenir avec le personnel chargé de cette masse d'objets importante.

Deux archéologues spécialisés dans les poteries travaillent au musée mais il leur faudrait des dizaines d'années pour pouvoir analyser toutes les pièces de la réserve. Cela pose un problème évident de gestion. Entreposées sans conditionnement spécial, ces poteries, dont certaines antérieures aux Incas, peuvent disparaître. Il apparaît impossible de tenir une comptabilité exacte des milliers d'objets présents sur les étagères. Pour les tissus (qui enveloppent les momies trouvées dans les tombes), le problème est encore plus grave puisque se posent de réels problèmes de conservation et de protection face à la lumière. Une coopération internationale paraît nécessaire afin que ces trésors ne soient pas perdus mais une gestion nationale rationalisée s'impose.

· les propositions de la commission nationale de la culture

En août 2001, un décret crée une commission nationale de la culture. Cette commission, dépendant de la présidence de la République, a pour objet d'élaborer des propositions pour une politique culturelle nationale dans trois domaines : le patrimoine culturel, la science et la technologie et la création culturelle. En février 2002, cette commission, présidée par l'artiste Victor Delfin, a été chargée de réfléchir à la création au Pérou de structures institutionnelles dédiées à la politique culturelle. La délégation française a pu rencontrer divers membres de cette commission lors de ses visites. Afin d'accomplir cette mission, la commission nationale de la culture a fait, en avril-mai 2002, une consultation nationale auprès de 321 personnes représentant quatre régions et travaillant dans divers domaines culturels.

A partir de cette consultation, une stratégie a été mise en place. Cette stratégie a pour objectif la création d'une administration publique qui favorise la recherche scientifique et la culture dans le pays, une réforme du système éducatif permettant d'insérer, dans tous les niveaux d'enseignement, une valorisation de la culture nationale et régionale, une « réappropriation » de l'identité culturelle par les Péruviens après la dictature, et une amélioration des vecteurs de diffusion de la culture..

Lors des discussions avec les membres de la commission, il est apparu que cette politique culturelle doit s'appuyer sur des réformes plus profondes. La coordination et l'efficacité du système reposent sur une prise de décision au plus près des citoyens et donc une décentralisation effective au Pérou. La mise en place d'une ministère du « développement culturel » et de maisons de la culture en province nécessite l'adoption d'un budget national et régional spécifique dédié à ces questions. La proposition de favoriser les investissements des entreprises privées par des incitations fiscales demande une réforme de la politique fiscale dans le pays.

Sur le plan de l'éducation, les propositions de la commission s'appuient sur une augmentation significative de la part du PIB consacrée à l'éducation, conçue comme un secteur prioritaire et sur la valorisation des formations permettant un développement culturel (formations scientifiques liées au patrimoine archéologique ou études artistiques) mais aussi sur la valorisation de la connaissance des cultures locales, spécifiques. La reconnaissance de cette diversité culturelle péruvienne (cultures pré-colombiennes, amazoniennes, hispaniques, etc...) est rappelée dans plusieurs points.

Le législateur aura un rôle clé car, dans chaque volet, il est nécessaire de créer des normes (droit de l'audiovisuel, règles sur le mécénat, droit fiscal).

b- Culture et aménagement du territoire

La réflexion sur le rôle de la culture au Pérou repose sur le lien entre celle-ci et le développement durable du Pérou. Face à une utilisation des biens culturels jugée « marchande », les Péruviens veulent développer un tourisme éthique, qui donne à la culture un rôle dans le développement durable du Pérou.

· la nécessité de développer les infrastructures

Dans les divers entretiens de la délégation française au cours de ses déplacements, la nécessité de développer les infrastructures a été évoquée. Les problèmes géographiques et climatiques (neige, El niño etc...) et la centralisation de l'Etat ont entraîné l'enclavement de certaines régions, difficilement accessibles par la route ou le train. De plus, le terrorisme a privé certaines régions du Pérou de tout investissement en infrastructures touristiques, malgré un patrimoine culturel riche. Le nouveau pouvoir a pris conscience de la nécessité de développer les transports et la viabilisation (eau, électricité) afin de permettre les investissements touristiques (hôtellerie, restauration etc...) mais aussi afin de donner une chance aux formules de type « chambres chez l'habitant » ou gîtes.

Bien entendu, le grand problème est financier : le projet de la route transaméricaine est lancé mais le chantier en est encore à ses balbutiements. Le projet de décentralisation devrait permettre aux régions d'accélérer le processus mais à condition que la décentralisation économique suive la décentralisation politique.

· le développement d'un tourisme éthique

Dans le rapport de la commission nationale de la culture, le tourisme éthique est décrit comme « un tourisme qui permette aux populations de s'investir et de retirer une satisfaction, une estime, un tourisme qui permette surtout une meilleure redistribution des dividendes de la manne touristique, notamment dans les régions andines et amazoniennes ».

Pendant les années Fujimori, les traditions et les cultures locales ont souvent été exclues et, par là même, les populations. La réappropriation par les populations de leur savoir-faire et la reconnaissance de son intérêt pour les touristes par les agences spécialisées devrait permettre un développement de l'intérêt pour les sites moins connus du Pérou, les régions moins médiatisées. La promotion d'un tourisme différent, en dehors des circuits classiques (Machu Picchu, etc.) est essentielle. Les privatisations de certaines lignes de transport touristiques et le développement d'un tourisme « de masse » dans certains sites posent des problèmes de gestion et de préservation de ces sites. D'ailleurs, pour le site de Sipan par exemple, la volonté est de séparer le site historique du lieu où viennent les touristes, ceci afin de préserver les pyramides en pierre d'adobe, fragiles. A Pachacamac, à côté de Lima, le site n'est accessible qu'en partie et avec des guides professionnels. La préservation de ces trésors est à ce prix.

Les populations devraient être mieux associées et pas seulement au travers des « marchés touristiques ou marchés indiens » mais par leur connaissance du milieu écologique et culturel (en développant un tourisme dit « vert » ou de « randonnées »).

c- La France et l'enjeu culturel au Pérou

La France, dans le cadre de sa politique culturelle et de coopération avec le Pérou, joue un rôle essentiel. Par le travail de deux organismes complémentaires, l'IFEA et l'IRD mais aussi à travers un projet ambitieux et symbolique : Choquequirao.

· IFEA et IRD : le lien entre culture et développement

L'Institut Français d'Etudes Andines (IFEA) est un centre de recherche du Ministère des affaires étrangères à vocation multidisciplinaire et régionale. Il a été créé en 1948. Dès 1962, des postes de chercheurs sont créés, en particulier dans le domaine archéologique. Les recherches faites avec son appui ont une importance primordiale, non seulement pour la connaissance historique mais aussi pour la compréhension du monde andin actuel. Ainsi, les recherches menées par Danielle Lavallée sur les chasseurs et les bergers préhistoriques des Andes permettent de mieux comprendre l'élevage traditionnel andin de camélidés. De même, des études récentes sur les techniques de production de céramiques dans certaines régions des hautes Andes péruviennes permettent de recréer ou de retrouver ces techniques aujourd'hui.

Au delà des recherches, l'IFEA est un lieu de diffusion de connaissances, son édition est importante, en langue française mais aussi en langue espagnole, ce qui permet au plus grand nombre de péruviens d'accéder à ces connaissances sur leur passé. En 2003, un nouveau programme de recherche a été lancé sur les interactions entre la volonté de conservation bio-culturelle dans les parcs nationaux et les populations locales (travaux qui peuvent être rapprochés des propositions de la commission nationale de la culture par ailleurs). La délégation française a pu constater que les thèmes de réflexion de l'IFEA avaient aussi un sens dans la transition démocratique, puisqu'en 2002, plusieurs travaux ont porté sur « la mémoire et la violence politique dans le monde contemporain ».

L'IRD (Institut de recherche et de développement) complète d'une certaine façon les domaines couverts par l'IFEA. Ouvert en 1967, avant de fermer en 1992 en raison de l'instabilité politique et des risques terroristes, l'IRD a réouvert en 1997 au Pérou. Ses activités couvrent deux volets : la recherche (dans des domaines tels que l'hydrologie, la pauvreté etc...) et la formation de personnel.

La recherche se fait dans le cadre de programmes de coopération avec des organismes péruviens. Par exemple, une étude porte sur la structure et la constitution de l'espace agraire (en collaboration avec le centre de recherche de formation d'expertise et de promotion péruvien). Les députés français ont constaté que les études de l'IRD portaient sur des thèmes essentiels pour la construction d'un développement durable et la mise en place d'un réseau d'infrastructures (études des risques sismiques, des fleuves amazoniens ou de l'évolution des glaciers andins).

La formation couvre la participation à l'enseignement supérieur péruvien mais aussi un programme de bourses de thèses pour les chercheurs péruviens afin de soutenir la recherche péruvienne. Cet aspect est primordial car il n'existe pratiquement pas de recherche au Pérou. Le Pérou consacre 0,08 % du PIB à la recherche, dont 42,3 % viennent de fonds privés.

· le projet de Choquequirao : quand le passé peut construire l'avenir

Choquequirao est un site archéologique, comparable au Machu Picchu, qui a été découvert par des chercheurs français. La conversion de créances du Pérou en un fonds de 5 millions d'euros consacrés à des projets de développement durable a amené la mise en avant de ce projet d'avenir.

Ce site se situe dans une région des Andes qui est très difficilement accessible et qui a donc très peu profité de la manne touristique. La mise en valeur de Choquequirao constitue un potentiel de développement important. Plusieurs aspects concernent ce site : d'une part, la recherche et l'excavation, puisque actuellement le site est recouvert en grande partie par la végétation et qu'au fur et à mesure il est élargi. Bien que moins spectaculaire (par la grandeur des pierres par exemple) que le Machu picchu, il semblerait que Choquequirao lui soit largement supérieur en superficie, en qualité et en diversité des monuments trouvés. Il comprend de plus un système de canaux et de fontaines. Le premier point est donc de préserver le site des éventuels pillages et de permettre aux chercheurs de travailler rapidement et efficacement alors que des agences spécialisées sur le chemin de l'inca commencent déjà à inclure le site dans leurs treks.

Le deuxième aspect concerne l'infrastructure. Pour l'instant, le site est accessible par un chemin comparable au « chemin de l'Inca », après plus de quatre jours de marche ou de mulet. Et ceci à partir d'un petit village lui même assez loin de Cuzco et Abancay, Cachora. Il est clair que tout projet de développement devra réfléchir sur le type de transport à mettre en place pour permettre à terme l'accès au site.

Un troisième aspect concerne le lien avec les populations locales. L'exemple de Aguas calientes apparaît comme un contre-exemple de ce qui doit être fait. Le projet doit permettre un développement harmonieux de la zone. Pour l'instant si les randonneurs peuvent accéder assez facilement en voiture à Cachora, la nécessité de prévoir environ une dizaine de jours pour la visite du site (trajet aller-retour, chemin difficile avec descente et remontée de la montagne) a ralenti l'afflux de touristes vers Cachora. La question est de savoir si, avec l'amélioration du chemin ou la mise en place de gîtes d'étapes voire d'un autre moyen de transport comme entre Cusco et Aguas calientes, il n'y a pas un risque de voir se renouveler les mêmes erreurs.

Il reste que, pour la province de la Convencion essentiellement agricole, la mise en valeur de Choquequirao « le berceau d'or » en inca, serait une clé de son développement durable : la proximité des eaux thermales de Cconoc, la localisation de Cachora, au pied du glacier Pumasillo, le fait que les sites de Cusco, Machu Picchu et Choquequirao soient géographiquement situés dans la même partie des Andes, tout cela peut permettre d'avoir un projet réellement régional sur la Convencion.

En 1834, le français Eugène de Sartiges découvre Choquequirao. Aujourd'hui, le retour des Français au « nouveau Machu Picchu » rappelle que l'avenir du Pérou se construira grâce à son passé, comme l'avait rappelé à Lima, en septembre 1964, le Général de Gaulle « La France, terre d'histoire et de civilisation salue le Pérou, héritier de nobles traditions et tourné vers le renouveau...La France offre au Pérou de coopérer plus étroitement encore avec elle pour la liberté, l'égalité et la fraternité des hommes ».

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ENTRETIENS

Entretien avec M. Carlos Ferrero Costa

Président du Congreso (parlement péruvien)

M. Carlos Ferrero a rappelé le rôle de la France dans la lutte contre Fujimori et notamment le soutien apporté à M. Toledo.

M. de Saint Sernin a remercié le président et l'a interrogé sur les travaux du parlement et sur le choix du Pérou qui est passé d'un parlement bicaméral à un parlement monocaméral. M. Ferrero a rappelé qu'au Pérou, la population n'est pas favorable au bicaméralisme. De plus, le coût d'une deuxième chambre serait trop important pour un pays comme le Pérou. M. Ferrero a questionné les parlementaires français sur les rôles respectifs entre le parlement européen et les parlements nationaux.

Les députés français ont précisé que la perception de l'Europe était différente selon les pays. Dans des pays à tradition fédérale ou des pays où les régions ont de larges pouvoirs comme l'Allemagne ou l'Italie, les abandons de souveraineté ou de compétences sont mieux acceptés que dans un pays comme la France ou le parlement national a toujours eu un pouvoir législatif exclusif.

M. Ferrero a demandé quelles étaient aujourd'hui les relations entre la France et ses anciennes colonies et si, notamment, les investissements français étaient importants dans ces pays. Les parlementaires ont précisé en effet l'importance de ces États issus des anciennes colonies, notamment en Afrique, dans la politique de coopération de la France, ceci en raison de l'histoire mais aussi de la francophonie de ces pays. L'Amérique latine est bien sûr proche culturellement d'un pays comme la France mais il n'y a pas cette histoire particulière qui rapproche la France de ses anciennes colonies.

M. Ferrero a félicité la France pour ses investissements, y compris en Amérique latine, dans le domaine de l'eau. Le travail des entreprises françaises est particulièrement apprécié. Au Pérou, les gens ont modifié leurs habitudes, en consommant beaucoup d'eau en bouteille et ce, depuis une dizaine d'années. La France, qui s'est beaucoup impliquée dans les investissements dans le domaine de l'eau, a sûrement  une vision comme celle de Pasteur autrefois, une vision d'avenir.

En conclusion, M. Ferrero a remercié les députés français de leur visite qui revêt une grande importance pour la transition politique péruvienne.

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Entretien avec le groupe d'amitié Perou-France

Sous la présidence de M. Luis ALVA CASTRO,

Président du groupe d'amitié

Les personnes présentes lors de cet entretien étaient M. Luis Alva (Apra), Mme Judith de la Mata (Apra), M. Kuennen Franceza (Unidad nacional), M. Javier Diez Canseco (UPD), Mme Celina Palomino (Peru posible) et Mme Rosa Yanarico (Peru posible).

Après avoir souhaité la bienvenue aux députés français, M. Alva Castro a présenté le programme du dimanche en circonscription en précisant que ce déplacement dans la région de Chiclayo avait été l'occasion d'un contact avec la population, la culture et l'histoire péruviennes.

M. de Saint Sernin a remercié le président et a rappelé que pour pratiquement tous les membres de la délégation, il s'agissait d'un premier voyage en Amérique latine. Il a souligné que cette mission avait pour objet de permettre un renforcement des relations entre parlementaires français et péruviens. En tant que « « vieille démocratie », la France doit échanger avec les pays qui ont connu récemment la transition démocratique. Les députés français sont intéressés par un échange sur les travaux au Congreso péruvien et sur les besoins du Pérou en matière de coopération interparlementaire ; par exemple. M. de saint Sernin a rappelé l'actualité commune avec le Pérou en matière de réforme de la décentralisation.

Mme de la Mata a tenu en tant que députée du groupe apriste à remercier la France pour son rôle joué pour la démocratie péruvienne. Elle a rendu hommage « au pays de la Liberté qui a été là pour le Pérou dans les moments difficiles ». M. Kuennen Franceza a souligné que la France pouvait partager son expérience démocratique avec le Pérou et « lui montrer le chemin vers une démocratie plus forte ».

M. Canseco a félicité la France pour sa position pendant la crise irakienne en faveur des Nations Unies. Une motion a été votée par les parlementaires péruviens dans le même sens que la position de la France. Par ailleurs, il a souligné l'intérêt des parlementaires péruviens pour les questions de décentralisation et de représentation locale. Après dix ans de régime corrompu et autoritaire, le peuple péruvien souhaite décentraliser le pouvoir pour qu'il soit plus proche des populations. Les maires au Pérou ne peuvent être parlementaires. Mais la division des fonctions entre les régions, les villes et les ministères ne sont pas claires. M. Alva Castro a précisé que dans la délégation française trois députés étaient aussi maires ou maires-adjoints.

M. Canseco a précisé que la représentation nationale n'était pas satisfaisante avec 120 députés pour 27 millions d'habitants. Pour les parlementaires représentant des circonscriptions étendues, le travail est difficile face aux demandes de la population. M. de saint Sernin a rappelé que la démocratie se construit chaque jour.

M. Folliot a souligné que des similitudes existaient entre les deux pays sur deux points : une tradition centralisatrice, « jacobine » avec une nécessité de poursuivre la décentralisation et, corrélativement, la nécessité de mieux aménager le territoire car Paris comme Lima centralise trop de pouvoirs et de richesses. Les députés de la délégation française sont majoritairement de zones rurales et sont donc sensibles aux échanges d'expérience sur les questions de territoire et de ruralité.

M. Launay a mis en relief l'atout que pouvaient constituer les richesses historiques et culturelles du Pérou pour son développement touristique et économique. D'autre part, quand un pays s'approprie son passé et essaye de construire un développement durable grâce à ses richesses, cela contribue à un enracinement de la démocratie. En ce qui concerne la décentralisation, la France compte 36000 communes qui vont d'une population de 50 habitants à Paris, la moyenne étant inférieure à 500 habitants. Le fait que les élus nationaux puissent aussi être des élus locaux est très important car il permet de garder le lien avec la population. Mais le débat est ouvert en France sur ce sujet.

M. Reitzer a expliqué que la visite du nouveau musée de Sipan montrait combien les Péruviens étaient héritiers de grandes civilisations, et ceci bien avant les Incas. Ces références historiques dans le quotidien des Péruviens sont le signe que, en dépit des difficultés, le Pérou a des chances de construire un bel avenir. Il a souligné que la gentillesse du peuple péruvien mais aussi son attachement à la Patrie l'avaient beaucoup touché. Lors de la remise de la médaille de l'Université de Sipan, il a pu constater la ferveur avec laquelle les représentants péruviens et le public des invités avaient interprété l'hymne national. Cet attachement à la patrie et la volonté d'indépendance et de libre-arbitre du Pérou démontrent que ce pays a beaucoup de valeurs communes avec la France que l'on doit faire fructifier. Personnellement, M. Reitzer a constaté que la présence d'une deuxième chambre au parlement permet en France de modérer le tempérament impulsif qui peut exister dans l'instant à l'Assemblée. Le Sénat peut examiner les textes avec plus de recul et donc plus de sérénité et souvent améliorer la loi. Le cumul des mandats est important et doit être défendu. Mais un problème existe en France sur le recrutement du personnel politique. La majorité est issue de la haute fonction publique ou de l'enseignement. Il n'y a pas assez de représentants du monde économique, d'ingénieurs, de techniciens. M. Folliot, qui travaillait dans le privé, a dû démissionner de ses fonctions. S'il n'est pas réélu, contrairement aux personnes de la fonction publique, il ne retrouvera pas son emploi. Cette question de la prédominance de la haute fonction publique dans les postes de responsabilité politique est identique à gauche comme à droite. C'est un vrai problème dans la vie politique française.

M. Alva Castro a tenu à présenter les deux députées présentes, toutes deux issues des régions les plus pauvres du Pérou : la région de Ayacucho, secouée par le terrorisme du Sentier lumineux pendant de nombreuses années, et la région de Puno, région essentiellement rurale où le développement durable est une problématique essentielle.

Mme Yanarico, députée de Puno, a tenu à souligner que les deux députées présentes étaient les deux seules députées d'origine indienne. La question de la représentation de toutes les couches de la population est importante au Pérou. Le Congreso est une vrai instance démocratique, tous les projets sont travaillés en coordination avec tous les groupes parlementaires. La décentralisation devrait permettre de chercher la croissance et de résoudre les problèmes spécifiques à une région. Mais dans certaines régions, le Pérou est un pays d'extrême pauvreté et les échanges d'assistance technique doivent se mettre en place et se développer. L'expérience de la France en matière de développement durable ou d'aménagement du territoire est essentielle.

Mme Celina Palomino, députée d'Ayacucho, a souligné qu'elle était élue d'un département d'une extrême pauvreté, dans le trapèze andin. Beaucoup d'enfants doivent marcher tous les matins pour se rendre à l'école, ces pauvres sont isolés. Etre députée de cette région, c'est essayer de faire qu'on n'oublie pas cette population. Etant aussi membre de la délégation péruvienne au parlement andin, elle échange les expériences. Ayacucho a souffert de violences, de violation des droits de l'Homme. La coopération internationale doit arriver à ces départements oubliés, qui en ont besoin. Mme Palomino a remis aux députés français un dossier sur plusieurs projets de coopération (concernant essentiellement l'eau et les infrastructures).

M Alva Castro a remercié les intervenants et a souligné combien sur la décentralisation, les échanges franco-péruviens pouvaient être importants. Au Pérou, il y a 182 provinces et 1800 districts. Le projet de décentralisation tend à créer des circonscriptions plus petites et à faire élire les autorités communales. La grande question au niveau des régions est comment la décentralisation politique peut être accompagnée d'une décentralisation économique et financière, puisque l'essentiel des richesses est très centralisé sur la région de Lima. Pour le groupe d'amitié Pérou-France, il y a une nouvelle expérience à mettre en route avec des échanges législatifs et personnels entre les parlementaires des deux pays.

M. Canseco a souhaité que les échanges franco-péruviens interparlementaires se développent aussi sur trois autres thèmes : le centre de recherche parlementaire qui est en train de se mettre en place avec la création de bases de données pour faciliter le travail des députés ; le deuxième thème est celui des handicapés. M. Alta seco, en tant que président de la commission d'enquête sur les handicapés, souhaite développer les relations avec les parlementaires étrangers qui travaillent sur cette question. Au Pérou, 31 % de la population souffre d'un handicap dont 13 % sans aucun accès à un mécanisme social. Il s'agit d'un problème complexe car, dans de nombreux protocoles de coopération, cette thématique n'est pas introduite. Le troisième thème concerne la lutte contre la corruption. M. de Saint Sernin a expliqué qu'il existe en France un « Ministère » des personnes handicapées et que le Président de la République avait annoncé que la lutte pour une meilleure vie des handicapés, la lutte contre le cancer et la lutte contre les accidents de la route seraient ses priorités. En ce qui concerne la lutte contre la corruption, la situation en France n'est pas similaire à celle du Pérou mais, malgré tout, il y a eu un débat sur l'indépendance de la justice vis-à-vis du politique.

M. Launay a demandé à M. Canseco de préciser la structure et les besoins du centre de documentation du Congreso. M. Canseco a expliqué qu'il y avait actuellement une bibliothèque et un centre cybernétique mais le centre de documentation répond à un besoin des députés : pouvoir disposer de dossiers législatifs de base pour pouvoir mieux analyser, discuter et voter les textes techniques qui leur sont présentés. Ce travail de fond est impossible à faire matériellement pour le député et son assistant. En conclusion, les députés français ont suggéré la mise en place d'un programme de formation et d'échange entre le centre de documentation du Congreso et les services documentaires à l'Assemblée nationale (documentation, affaires européennes et affaires internationales).

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Entretien avec les représentants de la francophonie et de la culture organisé a l'alliance francaise

Sous la présidence de M.Patrick Flot,

Conseiller de coopération et d'action culturelle de l'Ambassade de France

Il s'agit essentiellement des débats. Les présentations faites par les intervenants de leur rôle respectif et de leurs activités figurent dans la sous-partie consacrée à la francophonie et au rôle culturel de la France

Les personnes présentes à cet entretien étaient  : Mme Ivana Suito, doyenne du Collège des traducteurs, Mme Olinda Vilchez, Présidente de l'Association des professeurs de français, M. Patrick Flot, Conseiller de coopération et d'action culturelle à l'Ambassade de France, M. Patrick Clanet, Directeur de l'Alliance Française de Lima, M. René Marocco, directeur de l'Institut de recherche et de Développement (IRD), M. Jean Joinville Vacher, directeur de l'Institut français d'études andines (IFEA), M. Raynald Belay, attaché de coopération universitaire, Mme Michèle Van den Eynden, attachée de coopération linguistique, Mme Nathalie Berthy, attachée de coopération, Mme Josiane Cueff, attachée culturelle, Mme Erica Escobar, responsable du programme d'apprentissage du français via internet.

M. de Saint Sernin a remercié le service culturel de l'ambassade pour l'organisation de cette réunion autour des questions de coopération et d'action culturelle.

M. Clanet a signalé que, pendant dix ans, la présence de la France a été en chute libre en raison des mauvaises relations qu'elle avait avec le régime de Fujimori. L'enveloppe des diverses coopérations a été divisée par quatre. Depuis le retour de la démocratie, l'enveloppe augmente et depuis quatre ans, on assiste à une relance du français au Pérou. Cependant, une grande différence existe entre le secteur public et le secteur privé. L'enseignement péruvien prévoit une seule langue obligatoire ; le résultat étant que, dans le secteur public, le français est retiré de nombreux collèges. Dans le secteur privé, deux langues sont enseignées et le français a une position plus favorable. En ce qui concerne l'Alliance française, le nombre d'étudiants est passé de 4000 à 11000 en quatre ans. Cela est le résultat d'une enquête menée auprès des Péruviens sur les raisons du choix du français. A partir de cette enquête, l'offre a été adaptée. Une approche globale a été mise en place en association avec l'ambassade de France. Cette adaptation va de la durée du cours à une plus grande diversification des produits proposés. Par exemple, l'Alliance française de Lima est la première dans le monde à proposer des cours via internet.

M. Folliot demande combien de personnes apprennent le français dans le secteur privé, quelles sont les couches sociales qui apprennent le français et quel est le choix des élites. M. Flot explique que le principe de base est de toucher les élites c'est-à-dire, au Pérou, essentiellement des élèves qui sont dans le secteur privé. Depuis trois ans, il existe au niveau des collèges un réseau d'excellence qui offre, via l'Alliance française, une assistance pédagogique et organise des olympiades du français avec des prix intéressants (voyage en France pour les championnats du monde d'athlétisme en 2003). Depuis deux ans, le ministère de l'éducation péruvien a réintroduit dans le secteur public des classes pilotes avec le français (la France a aidé à la formation des professeurs). Il s'agit de rééquilibrer la présence de la langue française dans le privé et le public et de permettre ainsi que les couches sociales les plus défavorisées puissent aussi apprendre le français.

Mme Vilchez signale qu'il y a au Pérou plus de 500 professeurs de français. L'association des professeurs de français a été créée en 1999, elle comprend les professeurs du secteur public et privé, de la maternelle à l'université. Elle organisera en juin le Congrès des professeurs de français avec 29 délégations et des invités spéciaux. Ce Congrès sera un moment phare pour le français au Pérou car les Péruviens y travaillent depuis 6 années.

M. de Saint Sernin s'interroge sur les raisons du choix de la langue française par les familles : la culture française est-elle la raison principale ou d'autres éléments entrent-ils en ligne de compte ? M. Flot précise que l'enseignement a été raccourci car jugé long et difficile ; il y a eu aussi une individualisation de la formation. La France a toujours une dimension culturelle mais elle l'a modernisée, par exemple en transformant la bibliothèque de l'Alliance française en médiathèque. De même, la création d'un poste d'assistant universitaire à l'Ambassade et la présence d'Edufrance au Pérou amènent aussi le choix du français car les parents voient que leur enfant pourra, le cas échéant, aller étudier en France.

M. de Saint Sernin demande des précisions sur les bourses. M. Folliot demande si l'offre française peut lutter avec l'offre espagnole ou américaine. M. Belay précise qu'en France les étrangers ont les mêmes droits que les Français en matière de coûts universitaires. Au Pérou, les coûts sont très élevés : de 5 à 8000 $ dans le public pour atteindre 20000 $ dans le privé. En France, un troisième cycle universitaire est relativement peu cher. De plus, la qualité de l'enseignement français a conduit une grande partie de l'élite intellectuelle à se former en France dans les années 70. Bien sûr, les Péruviens qui viennent étudier en Europe vont en Espagne à 60 %, mais la France arrive en troisième position après le Royaume-Uni. La France a augmenté le nombre de ses bourses. Il y a trois ans, il y avait 3 bourses dites « de partenariat ». Aujourd'hui, il y en a 15. Il existe aussi des bourses plus spécialisées, comme les bourses destinées aux étudiants en médecine qui sont complétées par un programme de formation continue en milieu hospitalier. Afin d'informer les étudiants péruviens des possibilités françaises, l'ambassade de France organise chaque année un salon de l'offre en matière d'enseignement supérieur, qui a reçu cette année plus de 6000 visiteurs.

M. Launay demande si l'égalité des chances est réelle sur l'ensemble du territoire et si, par rapport à l'existence de richesses archéologiques, il existe des politiques de développement durable. M.Clanet explique que la valorisation du patrimoine est un axe privilégié. L'exemple de Choquequirao est essentiel. Une mission technique française est venue l'an dernier sur le thème du tourisme alternatif au Machu picchu.

M Vacher présente l'IFEA (voir partie consacrée à la francophonie) et ses publications en espagnol. M. Folliot s'interroge sur le fait que les publications ne soient qu'en espagnol et sur l'image de la France et de la langue française. M. Vacher explique que, dans le cadre des échanges et des bourses, les francophones sont bien entendu prioritaires et leurs travaux sont publiés en français et en espagnol. Mais, afin que l'école scientifique française soit connue, il faut des publications en langue espagnole, accessibles à tous les chercheurs du continent sud-américain. L'IFEA est un centre de recherche fondamentale, contrairement à l'IRD qui a des programmes appliqués..

M. Marocco, directeur de l'IRD, présente les travaux de son institut (voir partie sur la francophonie et la culture). M. Folliot l'interroge sur le nombre de personnels dont dispose l'IRD et sur le lien qui existe avec le secteur économique. M. Marocco explique qu'outre 4 à 6 personnes en mission, l'IRD a deux recrutés locaux. Le lien avec les secteurs économiques est constant. D'une part, les domaines sur lesquels travaille l'IRD sont essentiels pour l'économie des pays sud américains (eau, minéraux, pétrole), d'autre part, l'IRD a acquis une qualité d'expertise auprès des organismes français travaillant dans ces domaines (BRGM) et même auprès des organisations internationales (banque mondiale, BID depuis 1998). Cependant, les entreprises françaises sont encore peu présentes au Pérou.

M. Launay explique que lors de la rencontre avec les parlementaires péruviens, les demandes de coopération décentralisée ont porté essentiellement sur la région d'Ayacucho. Il demande à M. Marocco son analyse à ce sujet. Celui-ci. explique que, dans cette région, la question de l'eau est essentielle. Bien entendu, elle est reliée au développement agricole, aux questions d'irrigation, mais aussi au problème d'assainissement et d'accès à l'eau potable. L'IRD a travaillé au Mexique sur des procédés d'assainissement de l'eau peu coûteux par moyens biologiques. Les entreprises s'investissent peu dans ces régions et la demande de coopération est donc importante.

Mme Berthy présente les grands projets de coopération décentralisée existant qui recoupent aussi des demandes liées à l'eau. Elle souligne qu'au Pérou, les populations s'investissent beaucoup dans les coopérations décentralisées. En conclusion, après une démonstration du programme de français via internet (une demande compte tenu des distances au Pérou), le Directeur de l'Alliance française de Lima précise que si, aujourd'hui, l'Alliance française a un tel succès, c'est grâce à des choix, y compris en matière financière. En 1999, l'Alliance avait perdu 70 % de son effectif et avait 200000 $ de dettes. Aujourd'hui, grâce à des actions adaptées (concours, diversité etc...) elle fonctionne quasiment en autofinancement, avec une subvention de 12000$ par an. Elle a un statut d'association de droit local et reste la plus ancienne Alliance française du monde, créée en 1890.

Entretien avec M. Valentin Paniagua, ancien president de la republique, M. Victor Garcia Belaunde, vice-president du parti et des representants du parti « Accion popular »

M. Belaunde remercie la délégation française de sa présence à Lima. M. Paniagua rappelle combien la visite du Général de Gaulle a été importante ainsi que la contribution de la France au développement culturel du Pérou. Dans ce domaine, le projet de Choquequirao sera exceptionnel, puisque ce site sera l'équivalent du Machu Picchu.

M. Belaunde souligne le travail fait par Son Exc. M. Antoine Blanca, ancien ambassadeur de France au Pérou pour la démocratie pendant la période de Fujimori. Il rappelle que le parti Accion popular joue un rôle dans la vie péruvienne depuis plus de 50 ans et qu'il représente un pôle de valeurs permanentes. Aujourd'hui, il convient de développer cette troisième voie entre socialisme et néo-libéralisme et de rechercher de nouvelles valeurs telles que l'honnêteté, la vérité et l'humilité.

M. Paniagua, qui a été Président de la république par intérim entre la fin du Fujimorisme et l'élection du nouveau Président Toledo, souligne que la politique de Fujimori a été une politique anti-partis. L'Accion popular a toujours essayé, à travers sa vie militante, de lutter contre les gouvernements dictatoriaux. La déportation du Président Belaunde en fut la conséquence. Aujourd'hui, avec le retour de la démocratie, on assiste à un développement et un renforcement des partis politiques. Un projet de loi sur les partis politiques est en débat. Avec un meilleur contrôle mais aussi une coopération mutuelle entre le pouvoir et les partis, le Pérou ira vers plus de démocratie. En effet, l'histoire du Pérou est une histoire de destruction, le but ultime étant de détruire l'adversaire politique. La création d'un système de partis avec une alternance au pouvoir sera le signe de la démocratie recouvrée. Mais un danger existe encore de la part des paramilitaires. En effet, aujourd'hui on peut être élu président sur un programme et en faire un tout à fait différent. Cela pose la question de la confiance que la population peut retirer au système de partis.

M de Saint Sernin demande où en sont les forces politiques au Pérou. M. Belaunde explique que les régions montagneuses ont voté massivement pour Toledo. Cependant, 30 % de la population (les jeunes) font confiance à Paniagua. Cela est important dans un pays qui compte plus de 60 % de la population en dessous de 40 ans. Il faut donc éviter de faire passer un faux message à ces jeunes, car cela crée de la frustration.

M. Paniagua rappelle que le président Belaunde s'est caractérisé par sa recherche de consensus. On a retrouvé cette méthode consensuelle quand M. Perez de Cuellar était ministre des affaires étrangères. Le Pérou doit apprendre à faire de la politique non un conflit permanent mais un espace de concertation. Cela signifie qu'il ne faut pas seulement contrôler la majorité mais qu'il faut un consensus minimal sur un programme minimal. Il faut de la légitimité populaire et de la bonne gouvernance, ce qui semble manquer à M. Toledo aujourd'hui. La préoccupation éducative était importante sous la présidence Belaunde car 5,2 % du PIB y étaient consacrés. Par comparaison, sous les militaires, 2 % du PIB allaient à l'éducation. Il faut aussi re-constitutionnaliser, réformer le pouvoir judiciaire et recréer la confiance entre le Congreso et le peuple. Le développement des infrastructures est aussi très important, car les ressources sont dispersées. Au Pérou, l'agriculture, étant trop étendue dans le pays, représente 4,27 % de l'économie. En France il y a peu de fleuves mais ils sont importants, au Pérou il y en a beaucoup mais petits et mal placés. La seule grandeur au Pérou est l'homme qui a su construire avec les pierres les terrasses ou les systèmes d'irrigation en pierre selon les anciennes méthodes. M. Belaunde explique que ses idées sont bien perçues par la population et lorsqu'on regarde les sondages sur « pour qui voteriez vous si les élections avaient lieu demain ? », 56 % affirment qu'ils voteraient pour Paniagua.

M. Folliot remercie les présidents pour leur présentation et rappelle qu'il s'agit d'une première visite de députés au Pérou dans ce cadre. En tant que député UDF, il se félicite que le premier parti rencontré au Pérou soit le parti du centre, Accion popular. La France et le Pérou, malgré leurs différences, ont beaucoup de points communs. Bien sûr, leur histoire est riche mais les problèmes sont identiques. Comme en France, le Pérou souffre d'un centralisme fort. Par ailleurs, la France a joué un rôle important dans la construction européenne et le Pérou de même dans la coopération andine. Ensemble, Français et Péruviens partagent une vision du monde multipolaire. La recherche du consensus est aussi au centre des préoccupations de l'UDF. Un autre point commun est que dans les sondages sur les partis politiques, l'UDF a la meilleure image. De même, il est important en France comme au Pérou qu'il n'y ait pas un bipartisme mais plusieurs familles de pensées qui puissent s'exprimer.

M. Belaunde souligne que, pour que le Pérou se développe , il faudrait régler en premier le problème de la dette. En effet, la dette externe et le poids qu'elle fait peser sur les économies de pays comme le Pérou rendent tous les efforts de réformes impossibles, malgré une politique adaptée. Depuis le jubilé catholique en 2000, de nombreux mouvements se coordonnent pour essayer d'attaquer ce problème à ses racines et d'obtenir une réduction de la dette des PVD. Il a demandé aux députés français comment ils percevaient ce problème.

M. Reitzer rappelle que le Président Chirac, lors de nombreuses conférences internationales et au G8, a souligné l'importance de contrôler les prix sur les matières premières et sur la dette publique. Lors de ses visites officielles, on assiste souvent à une réduction voire une annulation totale de la dette des pays les plus pauvres vis-à-vis de la France. Mais le succès ne peut venir que d'une coordination au niveau international. Force est de constater que certains pays riches, dont les Etats-Unis notamment, refusent cette politique de réduction de la dette, car la dette externe est pour eux un moyen de pression sur certains pays. En particulier, au moment de certains choix comme la guerre en Irak par exemple.

M. Paniagua indique que le terrorisme a aussi terni l'image du Pérou. Aujourd'hui, il est toujours présent mais moins violent et le tourisme redémarre. Pour en revenir aux questions économiques, le protectionnisme instauré par certains pays bloque aussi le développement des pays pauvres. La question de la force militaire est aussi un blocage. 10 % des impôts au Pérou vont aux forces militaires. En conclusion, si l'on ne veut pas de retour au gouvernement militaire, il faut avoir le courage de faire une réforme agraire qui lutte réellement contre la misère et faire tomber le protectionnisme qui bloque les produits agricoles du Pérou.

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Entretien avec le directeur du collège franco-peruvien

Il s'agit d'éléments donnés lors de la visite du Collège franco-péruvien.

En 1953 a été posée la première pierre du collège franco-péruvien par André Malraux, alors Ministre de la culture. En 1964, le Général de Gaulle inaugure le « colegio franco-peruano ». Cet établissement est le seul au Pérou à dispenser un enseignement entièrement en français. Il compte aujourd'hui 800 élèves, dont 34 % sont des Français. Au début, le financement a été fait par du foncier et aujourd'hui il y a un autofinancement du collège. Pour les enfants entrant dès la maternelle, il existe des tarifs dégressifs, sorte de prime à la fidélité.

M. Folliot interroge le Directeur sur la concurrence au Pérou avec les autres langues. Le Directeur explique qu'il existe une forte concurrence avec les langues italienne, allemande, espagnole et anglaise, mais la France est la seule à proposer une école où Français et Péruviens sont dans les mêmes classes. Par ailleurs, les tarifs appliqués sont différents (250 $ pour l'école française et 600 $ pour l'école anglaise). Le collège franco-péruvien est de loin le moins cher des écoles étrangères à Lima. Par ailleurs, 30 % du personnel est payé par la France (personnel expatrié). En outre, l'école se différencie car elle propose des classes de mise à niveau pour les enfants qui ne maîtrisent pas la langue française, cette possibilité étant aussi proposée aux parents à tarif préférentiel.

Les activités périscolaires occupent une place importante dans le collège franco-péruvien. Ce sont pour la plupart des activités originales qui n'existent pas à l'extérieur sous la même forme.

Parmi les travaux récents il y a le préau, financé par les parents (tombola, vente de gâteaux) à 85 % et à 15 % par l'établissement. Le collège est repeint chaque année et 17 ouvriers travaillent en permanence à l'entretien des espaces communs. En quelque sorte, le collège franco-péruvien applique des méthodes de marketing, il faut faire ses preuves chaque année mais cela amène de bons résultats.

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Entretien avec M. Allan Wagner Tizon,
ministre des relations exterieures

M. Wagner Tizon souligne la satisfaction qu'il éprouve pour cette visite de députés français. L'amitié franco-péruvienne est une réalité qui a été confirmée pendant les moments difficiles de l'histoire péruvienne récente. Le Président Toledo a pu apprécier l'aide de la France dans sa lutte pour la démocratie. Certains Etats ont montré leurs limites dans l'appui aux démocrates péruviens, mais la France a toujours été fidèle. L'ancien ambassadeur au Pérou, Son Exc. M. Blanca a été pratiquement « un des leurs » (les opposants démocrates à Fujimori) pendant les moments les plus difficiles. Sur l'affaire irakienne et le rôle de l'ONU, la France comme le Pérou a montré son attachement à un système multipolaire. Lors de la réunion de l'Union européenne à Athènes, les représentants des pays latins étaient présents, preuve d'une volonté de rapprochement.

Mais dans le domaine économique, beaucoup reste à faire. Le Pérou sort de 4 ans de récession, avec une destruction des bases démocratiques et du système de production. Il est difficile de répondre à toutes les demandes, qu'elles portent sur la question des droits de l'homme et des commissions d'enquête, sur ce qui s'est passé sous la dictature ou qu'il s'agisse de la demande sociale de résultats concrets. Le Pérou considère la France non seulement comme une amie mais comme une alliée. La visite du Président Toledo en octobre à Paris sera un moment fort de cette relation. Il tient particulièrement à être reçu à l'Assemblée nationale, dont le groupe d'amitié a su soutenir les démocrates péruviens. La prochaine visite de M Muselier est aussi le signe de cette solidarité.

M. de Saint Sernin remercie le Ministre pour sa présentation et le félicite pour la restauration de la démocratie au Pérou. Le groupe d'amitié France-Pérou a su tisser des relations fortes et souhaite renforcer les relations entre l'Assemblée nationale et le Congreso. La délégation compte deux membres de la commission des affaires étrangères. Bien entendu, la France, dans le domaine de la politique extérieure, a un tropisme particulier pour l'Afrique mais l'Amérique latine est culturellement, comme les diverses rencontres qui ont déjà eu lieu, notamment à Chiclayo, l'ont montré, très proche de la France. Le grand problème est la faiblesse des relations économiques. En tant que parlementaires, il convient d'essayer de renforcer non seulement les liens politiques mais aussi économiques. Le Pérou est au cœur des préoccupations de l'Assemblée nationale, comme cette mission, qui est la deuxième cette année dans un pays étranger d'un groupe d'amitié, le prouve. Pour la première fois, une telle délégation se rend au Pérou. M. de Saint Sernin interroge le ministre sur les cadres supranationaux existant en Amérique latine et sur le rôle du Pérou.

M. Wagner Tizon souligne que le rôle de l'ambassade de France à Lima est exemplaire et que le projet de Choquequirao est le résultat d'une coopération efficace. En ce qui concerne la Communauté Andine 1, pour le Pérou, l'intégration est une variable stratégique : il s'agit de se poser dans le monde à partir de la CAN (communauté andine). Ses succès sont surtout économiques, en particulier grâce au rapprochement avec le Mercosur2 (zone de libre échange ). Dans le domaine de la construction d'infrastructures, la CAN joue aussi un rôle important et grâce à la coopération, le Pérou peut être mieux relié au cœur du continent (avec le Brésil notamment). Aujourd'hui, il faut consolider l'intégration pour que la CAN ne soit pas qu'une zone de « libre commerce ». Le renforcement des liens avec le Mercosur est essentiel pour créer un nouvel espace sud américain. Le Pérou a la présidence du groupe de Rio3 qui va se réunir à Cuzco prochainement. Le renforcement de la coopération politique sud américaine sera un moyen de développer et renforcer les démocraties. De même, les relations de la France avec le Pérou doivent être rattachées aux coopérations régionales, en gardant à l'esprit que le Pérou peut être comme une porte pour l'Amérique latine.

Dans le cadre de l'Union européenne, le Pérou souhaite un accord d'association et un appui au libre-échange. Depuis 2002 existe un accord de coopération renforcé. Mais avec le Pérou, c'est l'Amérique latine qui s'associe à l'Union. La France peut avoir un rôle important dans ce processus.

Un autre point important est la lutte contre la corruption. Il est nécessaire d'amener Fujimori à comparaître devant les tribunaux péruviens. Son extradition est demandée au Japon, mais cela est très complexe et l'aide de pays comme la France, qui pourraient faire pression sur le Japon, serait précieuse. Il y a aujourd'hui une prise de conscience internationale de la nécessité de faire passer la justice, même pour les anciens chefs d'Etat qui ont été des dictateurs. M. de Saint Sernin suggère que, pour l'affaire Fujimori, la notion de crime contre l'humanité soit invoquée, ce qui permettrait à la communauté internationale de faire pression au nom du droit international pénal. Sur le plan économique, il faut constater que les arguments des paysans sud-américains et européens sont recevables. Il y a là un problème de niveau de prix des matières premières ou des ressources agricoles, mais, au devant de la discrimination économique, doit être l'homme. Il faut humaniser les concepts économiques. Sur la question de l'intégration régionale, M. de Saint Sernin prend l'exemple de la Guyane qu'il connaît bien. Cette parcelle de France pourrait participer à la CAN et au Mercosur, mais il faudrait définir les modalités de cette association.

M. Wagner Tizon souligne que le Pérou n'est pas un grand pays exportateur de produits agricoles et que la question de la concurrence concerne le marché intérieur, car le paysan péruvien n'est pas assez concurrentiel, il ne reçoit pas de subsides de l'Etat. Le Pérou exporte aujourd'hui essentiellement des asperges et des agrumes, qui sont issues d'une agriculture moderne et intensive. Pour la Guyane, elle entre dans la réflexion des pays sud-américains sur leurs infrastructures. Les pays sud-américains sont intéressés par une coopération plus forte avec la Guyane française. Mais cela dépendra de ses possibilités.

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Entretien avec M. Luis Solari De La Fuente,

Président du conseil des ministres

M. de Saint Sernin remercie le Président du conseil des ministres de recevoir la délégation française malgré une actualité sociale et politique très chargée au Pérou. M. Launay précise que c'est la deuxième fois qu'il vient au Pérou et qu'il a pu noter les changements et constater à travers les rencontres que tous les interlocuteurs ont conscience de la fragilité de la démocratie péruvienne.

M. Solari de la Fuente souligne que la France est un pays décentralisé et qu'il est plus facile d'y appliquer la justice que dans un pays centralisé comme le Pérou. M. Folliot rappelle que la France reste encore un pays de centralisme même si aujourd'hui la poussée décentralisatrice est forte. La notion d'aménagement du territoire est essentielle avec la création de métropoles régionales d'équilibre. Dans ce cadre, la France joue un rôle moteur en Europe. Mais de tels pôles d'équilibre peuvent aussi émerger en Amérique latine.

M. Solari de la Fuente explique qu'en 1989, la chute du mur de Berlin a amené la naissance d'une nouvelle époque. Avec le 11 septembre et la guerre en Irak, c'est la notion même de monde multipolaire qui semble être remise en cause par certains. Mais la place géostratégique d'un Etat reste essentielle. Avec la France, les relations stratégiques se sont développées parallèlement à l'amitié. Cela donne une place importante pour le Pérou dans ce monde nouveau. Les accords d'association doivent permettre de renforcer ces relations privilégiées entre le Pérou et la France, le Pérou et l'Union européenne. Stratégiquement, pour le Pérou, la Communauté andine est plus importante que le Mercosur. La création d'une grande commission franco-péruvienne cette année est importante. Elle tiendra sa première réunion en octobre à Paris sur des sujets multidisciplinaires.

Pour conclure, un des points importants sur lesquels la France pourrait apporter son soutien au Pérou est la réforme de l'administration. La formation de l'administration péruvienne et surtout des cadres de la fonction publique pose problème. Le Pérou essaye de mettre en place une collaboration avec l'Ecole nationale d'Administration française mais aussi de monter des projets de coopération inter-administration, ce qui peut aussi être le cas de l'administration du parlement.

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Entretien avec M. Alejandro Toledo

Président de la République du Pérou

En présence de Mme Rosa Yanarico, députée de Puno, membre du groupe d'amitié Pérou-France

Le Président de la République souhaite la bienvenue aux parlementaires français et rappelle avec émotion sa visite à l'Assemblée nationale, à l'initiative du groupe d'amitié, alors qu'il tentait de lutter pour l'avènement de la démocratie dans son pays. Il se félicite de l'accueil qu'il lui avait été fait par le président Raymond Forni et le Président Jacques Chirac qui l'avait également reçu. Il constate que, dans ces moments difficiles où on reconnaît ses vrais amis, la France, et en particulier l'Assemblée nationale, a su être aux côtés des démocrates. Pour toutes ces raisons, il considère comme un honneur de recevoir des députés français, membres du groupe d'amitié.

Il a exprimé sa joie de voir la ligue Pérou-France renouer des liens avec son homologue et il a souligné que ce groupe comprend aussi des députés représentant les endroits les plus reculés du pays, comme la députée Rosa Yanarico. Mais il rappelle qu'il n'est pas objectif, étant lui même originaire du Pérou profond.

Il insiste sur les points importants de sa visite en octobre et en particulier sur ses rencontres avec le président Chirac mais aussi avec le nouveau Président de l'Assemblée, Jean-Louis Debré et le groupe d'amitié. Pour lui, ces rencontres seront symboliques car, au moment où beaucoup fermaient leurs portes, pour des raisons souvent plus économiques que politiques, le Président français et l'Assemblée ont accentué leur soutien à la démocratie péruvienne.

L'intérêt des visites parlementaires est qu'au-delà de la mission politique ou administrative, des relations d'Etat à Etat, elles permettent souvent de se dire plus que ne le font les diplomates. Bien sûr, il y a des changements, de la coopération, des transactions mais rien ne peut remplacer les contacts humains. Aucun développement économique réel ne peut avoir lieu sans ces contacts humains directs. C'est pour cette raison, souligne le Président qu'il investit du temps dans ce type de contact, comme aujourd'hui.

M. de Saint Sernin remercie le Président au nom de la délégation pour sa disponibilité malgré les évènements dans le pays et la réunion proche du Groupe de Rio à Cuzco, qui est si importante pour le Pérou.

Le président Toledo, après avoir interrogé la délégation sur son séjour à Chiclayo et la visite du musée du seigneur de Sipan, constate qu'un effort reste à faire sur le plan économique. D'une part, la pauvreté ne peut disparaître du jour au lendemain. L'éducation est importante car elle permet de véhiculer la culture, cette culture péruvienne si riche. Il rappelle qu'il est le premier président de la République indigène élu depuis 500 ans. Il ne s'agit pas uniquement de sauver les cultures pré-colombiennes mais aussi les cultures amazoniennes. Dans le cadre des projets de coopération de la CAN, il est convenu de reconstruire le Chemin des Incas de Quito à l'Argentine. Au delà de l'aspect culturel, il y a un intérêt touristique et de tourisme durable important. Par la culture, le Pérou peut aussi accéder au développement. Le projet de Choquequirao s'inscrit aussi dans ce type de réflexion.

Concernant les relations avec la France, des résultats concrets arrivent avec une augmentation sensible des investissements. Mais le Président a souligné pour conclure que sur la France il n'était pas objectif, son épouse étant elle-même francophone.

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Entretien avec M. Alan Garcia,

président de l'Apra, ancien Président de la République

M. de Saint Sernin remercie M. Alan Garcia et l'interroge sur la structure des partis politiques et sur sa perception de l'avenir du Pérou.

M. Garcia rappelle que l'Apra est un mouvement historique qui a été créé à Paris en 1925. Aujourd'hui, c'est dans la région du nord que la parti est le plus fort. L'Apra était perçue comme une troisième voie entre le communisme et la capitalisme américain ; c'est un mouvement réaliste révolutionnaire dont le principal objectif est de lutter contre l'impérialisme américain. Mais l'Apra est un parti non prolétaire, qui recoupe toutes les classes sociales et qui a 80 ans. Au Pérou, la droite n'a pas eu un mouvement idéologique, elle a souvent utilisé l'armée. De 1930 à 1945 l'Apra a été le défenseur de la démocratie. Economiquement, dans les années 30, le Pérou était organisé en exploitations puis dans les années 70, il y a eu la vague industrielle et l'urbanisation. La fin des années 70 et les années 80 ont été celles de la crise et de la chute de la croissance. En 1990, la mondialisation a commencé. L'Apra a toujours été au côté des mouvements sociaux au Pérou. Dans les années 70 a commencé au Pérou la création d'emplois informels, l'auto-création d'emplois. Le parti aprista n'a pas compris cette révolution. Aujourd'hui, 70 % de la population active a un emploi informel. Il faut rappeler qu'au Pérou, l'entrée dans la mondialisation s'est faite de façon inhumaine sous le règne de Fujimori.

L'Apra est un parti professionnel, organisé et qui obtient donc de bons résultats aux élections. Ainsi il y a trois ans, l'Apra a obtenu 11 % des voix; il y a deux ans, elle en obtenait 47 %. Mais la question est de savoir à quoi sert le pouvoir face à une population qui réagit avec force, peut-être même avec imprudence après dix ans de dictature. Le gouvernement est aujourd'hui en dessous de 14 % de popularité et on peut légitimement se demander comment le pays va évoluer dans les trois ans à venir. De plus, le Sentier lumineux se manifeste à nouveau et on peut craindre des répressions des manifestations par la police assez fortes, notamment si elles ont lieu à Cuzco.

La démocratie est un acquis essentiel mais la population est manipulée et la classe politique dans son ensemble discréditée. Bien sûr, la première pulsion est de soutenir Toledo mais, en même temps, il convient de se différencier face au danger, réel, du retour d'un homme providentiel. Les sondages montrent une montée de Fujimori dans les sondages. M. Garcia rappelle que personnellement il sait ce qu'est un coup d'Etat et que s'il est là aujourd'hui, c'est grâce à la France, à François Mitterrand et à Edouard Balladur.

La situation est dramatique car M. Toledo a beaucoup promis. Fujimori avait un régime autoritaire qui fonctionnait sur la peur de la « guillotine financière ». Aujourd'hui, c'est le Président qui a peur, pas la population. Les gens l'ont compris, cela signifie qu'il ne peut plus faire rêver.

M. Launay souligne que, néanmoins, la situation économique et l'inflation se sont largement améliorées. M. Garcia explique que cette bonne situation économique a été héritée de Fujimori.

M. Launay rappelle le rôle de Pierre Forgues, ancien président du groupe d'amitié, lors de l'exil d'Alan Garcia. Il insiste sur l'importance, pour un parti tel que l'Apra, d'être une force de proposition. En France, la démocratie aussi a connu lors des dernières élections présidentielles de grandes difficultés mais le rôle des partis tels que le PS ou l'UMP est de savoir faire les propositions adéquates.

M. Garcia explique que, lors de l'élection de M. Toledo, il lui a proposé d'être son ministre de l'agriculture afin que le gouvernement soit un gouvernement d'union nationale. Mais le Président a refusé. L'agriculture représente 7 % du PIB mais 32 % de la population active dont 90 % des plus pauvres. Il faut reconstruire le marché intérieur à partir de l'agriculture. Le ministre des finances préfère les lois du marché. Mais il faut reconnaître que le président Toledo a eu de bons résultats sur le bâtiment. Cependant la relation émotionnelle entre le gouvernement et la population est cassée. Si l'Apra avait le pouvoir demain, il est difficile de prévoir ce qui pourrait être fait de miraculeux tant la pression sociale est devenue importante. Les agriculteurs seront en grève dès lundi.

Pour tenir jusqu'en 2006, il faudrait repartir de l'agriculture, augmenter le pouvoir d'achat comme l'a fait Pierre Mauroy en 1981-83. Fujimori avait attiré les capitaux car il n'y avait aucun impôt mais cela a été peu créateur d'emplois en réalité. Il faudrait investir deux milliards de dollars et créer ainsi 2000 emplois dans l'agriculture. Au Pérou, on a épuisé les ressources et signé des accords avec les Etats-Unis. Le président Toledo a promis 200 000 emplois mais rien n'a été fait. Mais, parallèlement à l'agriculture, il faut donner aussi des moyens à l'éducation qui est un problème central de la société péruvienne. A Cuzco « le Pérou sera la vedette du monde » certes, mais le monde verra aussi les revendications et les manifestations anti-Toledo. Le parti apriste est fort, il agit comme un pare-choc face aux vagues qui pourraient emporter les partis démocratiques.

M. de Saint Sernin demande si les conditions sont remplies pour un coup d'Etat. M. Garcia considère que, même si aujourd'hui les militaires sont mal perçus, ils peuvent refaire leur crédibilité en sortant celui qui est considéré comme pire par la population. Là est le danger.

M. Folliot interroge M Garcia sur la crise en cours et les propositions du gouvernement pour la résoudre. M. Garcia explique que le gouvernement en offrant 30 $ aux professeurs fait son maximum mais que cela est perçu comme injuste malgré tout, car ils demandent 60 $. Certains demandent un coup d'Etat mais l'Apra, quoi qu'il en soit, sera derrière Toledo contre cette éventualité. M. Garcia explique qu'il a rencontré M. Paniagua et Mme Flores qui, bien que de partis différents, ont la même conception quant à la nécessité de sauvegarder la démocratie coûte que coûte. Ensemble, ils peuvent proposer un gouvernement de salut public mais M. Toledo ne veut pas. Si on voulait prendre un point de comparaison avec l'histoire de France, le Pérou est actuellement dans la même situation que la France en 1940 avant Vichy.

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Entretien avec Mme Lourdes Flores

Présidente de Unidad nacional

Mme Flores explique qu'elle a régulièrement des contacts avec les ambassadeurs des pays de l'Union européenne. Elle interroge la délégation sur les relations entre les groupes d'amitié.

M. de Saint Sernin rappelle que sous Fujimori il n'y avait plus de groupe d'amitié et que cette mission a pour objet principal de tisser des liens personnels entre parlementaires français et péruviens et de développer les relations entre les deux assemblées.

Mme Flores souligne qu'elle a été elle-même parlementaire pendant dix ans, sous le système bicaméral et monocaméral. Elle avait notamment proposé un système législatif à la française avec en particulier l'article 38, qui permettrait au Pérou d'éclaircir les domaines respectifs de l'exécutif et du législatif.

M. de Saint Sernin l'interroge sur la vie politique au Pérou. Mme Flores explique la crise par trois raisons : d'une part, par un excès de promesses pendant la campagne électorale qui amène la population à demander des comptes au gouvernement ; d'autre part, par une absence de prévision budgétaire qui entraîne des budgets inadaptés à la réalité économique du pays ; enfin, par le fait que bien que le Pérou soit, comparativement, un des pays sud-américains qui résiste le mieux à la crise, la sensation de bien-être n'y existe pas ; les gens ne ressentent pas dans leur vie quotidienne ce plus dont dispose le pays.

La stratégie politique de Unidad nacional est la suivante : il faut favoriser la liberté économique en faisant des propositions à caractère fiscal. Lors des dernières élections locales, Unidad nacional a gagné, avec 156 maires et 15 représentants à Lima. Cela représente deux millions de votes. Par ailleurs, le mouvement mène une politique d'alliance avec des partis similaires, en particulier européens. Unidad nacional réunit trois partis et un bloc indépendant. Il s'agit d'une alliance électorale, avec un groupe commun au parlement. Parmi ces partis, le parti populaire chrétien est le mieux organisé. L'alliance comprend aussi le parti solidarité nationale, qui est le parti du maire de Lima. Le modèle de l'Unidad nacional est le PPE espagnol pour son esprit d'ouverture.

M. de Saint Sernin souligne que le parti auquel il appartient, l'UMP, est aussi une alliance de plusieurs partis dont le RPR et une partie de l'UDF.

Mme Flores explique qu'au Pérou, il y a trois grandes écoles de pensées politiques : l'école du Président Belaunde, représentée par le parti Accion popular, l'école d'Haya de la Torres, représentée par les apristes et l'école de Marti qui correspond à Unidad nacional. Mais aujourd'hui, il y a une tendance à la fragmentation et une multiplication de petits partis, sans référent fort. L'organisation politique péruvienne a toujours évolué vers l'avènement de « caudillos ». Ainsi on a régulièrement les militaires, puis la représentation aristocratique, puis une dictature « civile ». Au Pérou, la vie des périodes démocratiques est assez courte. Par exemple aujourd'hui, deux ans après l'élection démocratique, chacun spécule déjà sur l'inefficacité du gouvernement. Le risque du retour de l'homme providentiel existe mais ce serait préjudiciable. Concernant la démocratisation de la vie politique, Mme Flores souligne qu'elle est certes la présidente de l'alliance mais pas la présidente de son parti, et qu'elle sera candidate en août à ce dernier poste.

Actuellement au Pérou, une réflexion a lieu sur la réforme constitutionnelle. En effet, en 1993 la constitution a été modifiée afin de permettre la réélection de Fujimori. Progressivement, l'Etat de droit a été détruit à travers le pouvoir de la loi. La justice a été transformée en une autocratie de la loi. Aujourd'hui, avec le retour à la démocratie, il est impossible de garder une telle constitution. Mais pour la réviser complètement, il faudrait un référendum et le rejet populaire de Toledo risque de se transformer en rejet de la constitution démocratique. C'est pourquoi certains envisagent seulement une révision partielle pour revenir à la constitution de 1989.

Pour conclure, Mme Flores revient sur les élections présidentielles en France et sur le choc que cela a provoqué dans le monde. Elle souligne que cela démontre le danger de la fragmentation et de la multiplication de partis sans référent fort.

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ANNEXES

Fiche signalétique du Pérou

En ligne sur le site du Ministère des Affaires étrangères

 

Programme de la mission

Samedi 17 mai

19h10  :

Arrivée de la délégation, accueil par le service du Protocole du Congreso péruvien et par Son Exc. M. Angelier, ambassadeur de France au Pérou

Dimanche 18 mai

07h50 :

Arrivée à Chiclayo, accueil par M. Luis Alva Castro, président du groupe d'amitié Pérou-France.

09h30 :

Visite du Musée du seigneur de Sipan avec Walter Alva, archéologue, découvreur de la tombe de Sipan, directeur du Musée

10h30 :

Rencontre avec l'exécutif régional et remise de la médaille de l'Université du Seigneur de Sipan aux députés français.

12h00 :

Déjeuner offert par le maire de Lambayèque,

15h00  :

Visite du musée de Sican avec son directeur

17h00  :

Visite de la ville de Chiclayo, cérémonie du drapeau

19h45  :

Départ pour Lima

20h50 :

Arrivée à Lima

Lundi 19 mai

10h30 :

visite du Congreso péruvien et salut en salle de séances

11h00 :

entretien avec M. Carlos Ferrero Costa, Président du Congreso

11h30 :

réunion de travail avec le groupe d'amitié Pérou-France

13h00 :

déjeuner offert par le président du groupe d'amitié Pérou- France

15h00 :

rencontre "culture francophonie" à l'Alliance française de Lima

18h00 :

entretien avec M. Valentin Paniagua, ancien Président de la république du Pérou, ancien Président du Congreso, président de l'Accion popular et M. Victor Garcia Belaunde, vice-président de l'Accion popular, en présence des responsables du groupe politique

20h00 :

dîner offert par la délégation du groupe d'amitié France-Pérou

mardi 20 mai

9h00 :

visite du Musée archéologique, rencontre avec les responsables des réserves de tissus et de poterie pré-colombiennes

11h30 :

Visite du collège franco-péruvien

13h30 :

Déjeuner offert par Son Exc. M. Angelier, à la résidence de France, avec des interlocuteurs du monde de la culture et de l'enseignement

16h00 :

entretien avec M. Allan Wagner Tizon, Ministre des relations extérieures et visite du ministère

17h30 :

entretien avec M. Luis Solari de la Fuente, Président du Conseil des Ministres

19h00 :

rencontre avec des membres de la Commission nationale de la culture

mercredi 21 mai

11h00 :

entretien avec M. Alejandro Toledo, Président de la République du Pérou et visite du Palais de la Présidence

13h30 :

déjeuner de travail avec la Chambre de commerce franco-péruvienne

15h30 :

entretien avec M. Alan Garcia Perez, ancien Président de la République, président de l'Apra

19h30 :

réception à la résidence de France

jeudi 22 mai

matinée

visite du site archéologique de Pachacamac, à côté de Lima, puis visite du centre ville de Lima

17h00 :

entretien avec Mme Lourdes Flores Nano, présidente de Unidad nacional

vendredi 23 mai

10h20 :

départ de Lima

samedi 24 mai

08h05 :

arrivée à Paris

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Rapport DIAN 73-2003 : Groupe d'amitié France Pérou (mai 2003)

1 Créé en 1969 par l'accord de Carthagène, le Pacte andin a été relancé en avril 1996 sous le nom de « communauté andine ». Il comprend la Bolivie, la Colombie, l'Equateur, le Venezuela et le Pérou.

2 le marché commun du sud de l'Amérique est entré en vigueur le 1er janvier 1995. Il regroupe l'Argentine, le Brésil, le Paraguay et l'Uruguay. le Chili et la Bolivie sont membres associés.

3 Créé en 1986, il avait d'abord une vocation politique puis sa vocation économique s'est développée. Il regroupe l'Argentine, la Bolivie, le Chili, la Colombie, l'Equateur, le Mexique, le Panama, le Paraguay, le Pérou, l'Uruguay et le Venezuela ainsi que, par roulement, deux Etats des Caraïbes et Amérique centrale.


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