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N° 906

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 11 juin 2003.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE  (1)

sur les causes économiques et financières de la disparitition d'AIR LIB

Président

M. Patrick OLLIER

Rapporteur

M. Charles de COURSON

Députés.

--

TOME II

AUDITIONS

(5ème partie)

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Entreprises

TOME SECOND

SOMMAIRE DES AUDITIONS

Les auditions sont présentées dans l'ordre chronologique des séances tenues par la Commission
Début des auditions

Mercredi 7 mai :

- MM. Pierre Chassigneux, président, Hubert du Mesnil, directeur général et Attilio Zanichelli, fondé de pouvoir, d'Aéroports de Paris

- M. François Bachelet, ancien président du directoire d'Air Lib

Mercredi 14 mai :

- M. Jean-Charles Corbet, ancien président d'Air Lib et président d'Holco

Mercredi 21 mai :

- M. Laurent Fabius, ancien ministre de l'économie, des finances et de l'industrie

- M. Bruno Bézard, ancien conseiller pour les affaires économiques et financières au cabinet de M. Lionel Jospin

Suite des auditions

 

Audition conjointe de M. Pierre Chassigneux, président d'Aéroports de Paris (ADP), accompagné de M. Hubert du Mesnil, directeur général d'ADP,
et de M. Attilio Zanichelli, fondé de pouvoir à ADP

Procès-verbal de la séance du 7 mai 2003

Présidence de M. Patrick Ollier, Président,
puis de M. Xavier de Roux, Vice-président

Les témoins sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées et que les auditions se déroulent selon la règle du secret. A l'invitation du Président, les témoins prêtent serment.

M. le Président : La commission d'enquête a souhaité vous entendre car la compagnie Air Liberté a laissé une dette publique très importante dont une partie porte, à l'évidence, préjudice à Aéroports de Paris. Nous souhaiterions donc que vous indiquiez le montant de cette dette, mais surtout que vous nous rappeliez les différentes étapes qui ont conduit à cette situation de telle sorte qu'ensuite Monsieur le Rapporteur et le Président de séance puisse vous poser des questions.

M. Pierre CHASSIGNEUX : Air Lib était le second client d'ADP, très loin après Air France, mais représentait pour la dernière année d'exercice, c'est-à-dire 2002, 5,2 % des mouvements, 5,8 % des passagers transportés, 18 % du trafic d'Orly Sud.

Nous avions de bons rapports dans le passé avec cette compagnie et d'autres, hormis ces problèmes de dettes. C'était une compagnie avec laquelle nous travaillions bien. Il est dans l'habitude d'Aéroports de Paris, vis-à-vis de ses clients français, grandes compagnies françaises et plus petites - je pense notamment à Air France ou à Corsair - quand elles sont en difficulté, de les accompagner plus ou moins. Par exemple, dans les années 94-95, quand Air France était en grave difficulté, la compagnie a obtenu des facilités de paiement. Pour une entreprise, hâter ou non la mort d'un client endetté est toujours un problème, en dehors du contexte particulier français.

En préalable, je voulais dire l'importance d'Air Lib en trafic, les bons rapports que l'on avait en matière de travail entre les personnels et une certaine habitude d'être naturellement plus bienveillant avec des compagnies nationales quand elles ont des problèmes.

J'en viens maintenant à l'historique. Il faut d'abord partir du fait que, quand Air Lib démarre, AOM et Air Liberté ont déjà déposé leur bilan ; on reprend une faillite antérieure d'Air Liberté et donc une accumulation de plans, de relances, etc. L'ensemble de la dette est de 21 millions d'euros. C'est dans ce contexte qu'interviennent deux pièces figurant au dossier que l'on vous remettra, dans lesquelles le directeur général d'Aéroports de Paris, à l'époque M. Duret - c'était avant que nous arrivions, Hubert du Mesnil et moi-même puisque nous arrivons à la tête d'Aéroports de Paris en novembre 2001 - écrit au directeur général de l'aviation civile pour lui faire part de son intention d'exercer le droit de rétention des aéronefs, compte tenu de la dette qui court déjà et qui est simultanée au démarrage d'Holco, du nouvel Air Lib. C'est un courrier du 17 septembre 2001 auquel il est répondu par une lettre en date du 5 octobre 2001 signée de M. Jean-Claude Gayssot, qui était alors ministre de l'équipement et des transports, dans laquelle celui-ci : « Il n'est pas douteux que l'exercice immédiat du droit de rétention constituerait pour le repreneur Air Lib une charge d'exploitation supplémentaire et imprévue de nature à compromettre les perspectives de réalisation des objectifs du plan de redressement arrêtés par le tribunal de commerce de Créteil et par laquelle dans l'attente je vous demande de surseoir provisoirement à l'exercice de ces mesures. »

Il s'agit d'Air Lib, sans être Air Lib, puisque ce sont des dettes antérieures qu'Air Lib reprend. Ensuite, nous sommes dans un système d'impayés croissant et un peu différencié dont la somme totale est de 33 millions d'euros avec un certain échéancier.

Pour la première période - août/septembre 2001 jusqu'à fin octobre - tout est payé. Ensuite, une seconde période va d'octobre 2001 à mars 2002 durant laquelle on est payé mais hors taxe, conformément à une lettre du secrétaire d'état au budget qui donne la possibilité pour les compagnies aériennes, suivant le pourcentage de l'activité qui s'exerce à l'étranger, d'être facturées hors taxe.

M. le Rapporteur : C'est une innovation ?

M. Pierre CHASSIGNEUX : Les spécialistes vont vous répondre.

M. Attilio ZANICHELLI : C'est une règle spéciale qui permet à toute société qui fait plus de 80 % de son chiffre d'affaires à l'étranger d'être exonérée de TVA et d'être facturée hors taxe.

M. le Rapporteur : C'était leur cas ?

M. Attilio ZANICHELLI : La société nous a annoncé qu'elle faisait plus de 80 % de chiffre d'affaires à l'étranger. La lettre de Mme Florence Parly laissait supposer qu'elle entrait dans ce cadre.

M. le Rapporteur : Etes-vous sûr qu'ils faisaient 80 % de leurs vols à l'étranger ?

M. Attilio ZANICHELLI : A titre personnel, je n'en sais rien. Pour Aéroports de Paris, comme pour celui qui facture, il suffit d'avoir l'affirmation de celui qui vous donne l'information ; c'est donc Air Lib qui prenait les risques.

M. Pierre CHASSIGNEUX : Première période, on paye tout TTC ; deuxième période, on paye tout hors taxe jusqu'en mars 2002. Ensuite, troisième période, qui mène de fin mars à fin juin 2002. C'est la première période de cessation de paiement pendant laquelle on nous demande des délais de paiement pour la première échéance. Par un certain nombre d'échanges de lettres, on leur dit que l'on veut bien leur donner un délai de paiement, s'ils commencent à nous payer. Ensuite, il y a des discussions sur des délais trop longs. Cela nous amène à fin juin 2002 où intervient un moratoire du Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI) subordonné à la reprise des paiements à compter du 1er août 2002. Ensuite, seconde période de cessation de paiement, pendant laquelle ils ne payent rien, puis dépôt de bilan.

M. Alain GOURIOU : Vous avez dit moratoire à partir du 1er août, donc à partir du 1er août Air Lib ne paye rien ?

M. Pierre CHASSIGNEUX : Pas tout à fait, il paye un mois.

M. Alain GOURIOU : A partir du mois de septembre, ils ne payent plus ?

M. Pierre CHASSIGNEUX : Oui. Ils ne respectent pas le moratoire.

M. le Président : S'agissant des « instructions » ou en tout cas des demandes faites par le Gouvernement, vous n'avez que cette lettre de M. Gayssot ou y a-t-il d'autres manifestations du Gouvernement par la suite ?

M. Pierre CHASSIGNEUX : Il y a une lettre de M. Mer.

M. le Président : Par la suite, donc, longtemps après, non pas de la période que l'on évoque, c'est-à-dire celle du début ?

M. Pierre CHASSIGNEUX : Au tout début, c'est la seule correspondance.

M. le Président : Jusqu'à la lettre de M. Mer, il n'y a aucune autre initiative de la part du Gouvernement ?

M. Pierre CHASSIGNEUX : Ecrite, non.

M. le Président : Pourquoi, y a-t-il eu des initiatives verbales ?

M. Hubert du MESNIL : On peut rappeler que lorsque le nouveau Gouvernement s'est installé, nous l'avons, bien entendu, informé de la situation dans laquelle nous nous trouvions vis-à-vis d'Air Lib. Il y a eu des contacts oraux et les membres des cabinets, notamment, nous ont indiqué qu'ils avaient besoin de prendre le temps de découvrir le sujet. Nous sommes alors en mai-juin. Pendant cette période, nous sommes en discussion avec Air Lib.

M. le Président : Mai-juin 2002 ? Mais je parlais de la période du début. La lettre de M. Gayssot date du mois d'octobre 2001. Donc, d'octobre 2001 jusqu'à juin 2002, vous n'avez eu aucun autre contact de la part du Gouvernement sur ce que l'on peut appeler un moratoire ?

M. Pierre CHASSIGNEUX : Ils nous payaient et la seule lettre est celle de Mme Parly sur les possibilités de paiement hors taxe. On a été payé jusqu'à fin mars 2002.

Une fois la liquidation judiciaire proclamée, nous avons exercé notre droit de rétention sur la flotte d'Air Lib qui porte sur 58 appareils, mais dont en fait seulement une douzaine sont réellement retenus sur nos plates-formes.

M. le Rapporteur : Nous voudrions vous poser quelques questions un petit peu plus précises. Vous nous avez dit qu'au démarrage, c'est-à-dire de fin juillet 2001 jusqu'aux événements du 11 septembre, ils ont payé normalement. Simplement, vous avez antérieurement évoqué la dette des anciennes compagnies AOM et Air Liberté. Comment cela a-t-il été réglé par le tribunal de commerce ? Y a-t-il eu des négociations ? Avez-vous annulé les 21 millions d'euros de dettes des anciennes compagnies ?

M. Attilio ZANICHELLI : Nous avons produit nos créances au redressement judiciaire et à la liquidation à hauteur des factures émises à l'encontre des anciennes sociétés AOM et Air Liberté.

M. le Rapporteur : Pour ce qui est cette dette passée, Aéroports de Paris a-t'il réussi à recouvrer les fonds ?

M. Attilio ZANICHELLI : Malheureusement non. La seule chose que nous avons faite, c'est d'exercer des droits de rétention sur des avions qui n'étaient pas exploités par la nouvelle société et nous avons 1,7 million d'euros consignés.

M. le Rapporteur : La lettre du 5 octobre 2001 de M. Gayssot qui vous demande de surseoir à la rétention, l'avez-vous appliquée pour l'essentiel, sauf sur quelques avions qui n'étaient pas repris ?

M. Attilio ZANICHELLI : Historiquement, la rétention a été prise sur l'ensemble des avions et ensuite il y a eu une main levée pour les avions qui étaient inclus dans le périmètre de la reprise, puisque la décision du tribunal de commerce prévoyait de céder à la nouvelle société un certain nombre d'avions en exploitation avec continuation des contrats pour ces avions. D'autres avions des anciennes sociétés étaient laissés de côté. Le directeur général d'Aéroports de Paris de l'époque a fait un droit de rétention sur l'ensemble des avions d'AOM et d'Air Liberté pour essayer de récupérer nos créances. La lettre de M. Gayssot précise que, pour faciliter la reprise d'AOM, Air Liberté par Air Lib, il était indispensable de laisser ces avions en exploitation. Donc, le directeur général a fait une main levée pour les avions qui étaient exploités par Air Lib et nous avons maintenu nos droits de rétention pour les avions qui n'étaient plus exploités par Air Lib.

M. le Rapporteur : Si vous aviez maintenu le droit de rétention sur l'ensemble des avions, auriez-vous récupéré plus que le 1,2 million d'euros que vous avez récupéré ?

M. Attilio ZANICHELLI : C'est difficile à dire car l'application de l'article R 244 donne la possibilité quand on applique un droit de rétention à celui qui veut récupérer l'avion de consigner les sommes, mais n'emporte pas récupération par Aéroports de Paris desdites sommes. L'article R 244 permet à quiconque qui veut récupérer un avion frappé de droit de rétention de consigner les sommes auprès de la caisse des dépôts et des consignations. Ensuite, il y a traitement devant les tribunaux. Actuellement, nous n'avons qu'un seul arrêt qui permet à l'exploitant d'aéroport de récupérer les fonds, mais cet arrêt de la Cour de Bergerac de 1987, je crois, peut éventuellement être remis en cause demain.

M. le Rapporteur : Pouvez-vous me donner une évaluation du coût pour Aéroports de Paris du fait que vous ayez appliqué la lettre de M. Gayssot disant : « Faites une main levée », puisque vous aviez déjà utilisé le droit de rétention ?

M. Attilio ZANICHELLI : Je ne peux pas dire que cela a coûté. Si les droits de rétention avaient été maintenus, il est possible qu'à l'époque - encore que c'était au mois de septembre-octobre et il y avait une crise de l'aérien - que certains propriétaires aient eu besoin des dix avions bloqués et consigné les sommes. Ce n'est pas un rapport direct pour Aéroports de Paris.

M. le Rapporteur : Il y a eu une perte, mais elle est très difficilement évaluable ?

M. Attilio ZANICHELLI : Ce n'est pas une perte.

M. le Rapporteur : Une non-rentrée ?

M. Attilio ZANICHELLI : Non, car la consignation se fait normalement à la caisse des dépôts et consignations.

M. le Rapporteur : D'accord, mais elle permet in fine d'avoir un espoir de recouvrer au moins une partie des dettes. Pouvez-vous faire une évaluation ou bien est-ce impossible ? Le fait que vous ayez renoncé à une partie de vos droits pour le passé sur AOM-Air Liberté, pour essayer de favoriser la reprise de ce qui est devenu Air Lib a-t-il eu un coût évaluable ?

M. Hubert du MESNIL : On peut simplement dire que cela nous a privés de la possibilité d'entreprendre des démarches pour récupérer les montants correspondants. Pourrait-on dire, dans le contexte de l'époque, quelles auraient été nos chances de récupérer tout ou partie de ces sommes ? C'est un exercice impossible, notamment parce que l'exercice de ce droit de rétention dépendait d'une sorte de rapport de force entre le propriétaire de l'avion et nous-mêmes et que ce rapport de force dépendait lui-même du contexte commercial de l'époque. Si le propriétaire de l'avion est dans une période où il a des marchés à traiter ou du transport à faire, il est prêt à payer vite pour obtenir son avion et retrouver la liberté de l'utiliser. Si, en revanche, on est dans une période de marasme, ce qui est le cas actuellement, où il y a trop d'avions sur le marché, le propriétaire laisse son avion sur l'aéroport et il n'y a plus de possibilité de récupérer les fonds.

L'exercice de ce droit de rétention est quelque chose de très particulier car la conséquence financière de l'exercice de ce droit dépend d'un contexte économique général.

M. Jean-Pierre GORGES : Sur ce point, je voulais vous demander une précision de nature juridique. La déclaration de cessation des paiements suspend l'exécution de tous les actes de poursuite. A côté de cela, vous avez le droit de rétention. Comment ces deux dispositions cohabitent-elles quand il y a une déclaration de cessation des paiements ? La déclaration de cessation des paiements vous permet-elle de conserver le droit de rétention si vous l'avez exercé avant ? Dans le cas contraire, pouvez-vous toujours l'exercer bien qu'il y ait déclaration de cessation des paiements ? Puisque le droit de rétention ne vous permet que de déboucher sur une vente avec consignation, la déclaration de cessation des paiements a-t-elle un effet sur la consignation ? Et celle-ci n'a-t-elle pour effet de tout reverser dans la masse des créances ?

M. Attilio ZANICHELLI : L'exercice de droit de rétention est un pouvoir de police administrative, mais cela n'a jamais été tranché par les tribunaux. Nous pouvons obtenir la consignation pour libérer l'avion. Ensuite, les fonds sont normalement attribués avec signature éventuelle d'un protocole à Aéroports de Paris en dehors des procédures judiciaires de redressement ou de liquidation.

M. Xavier de ROUX : Y a-t-il un texte particulier ?

M. Attilio ZANICHELLI : Il n'y a que l'article R 244 qui est de nature réglementaire.

M. le Rapporteur : Maintenant, plaçons-nous à la période de la liquidation d'Air Lib. Quel est le montant des créances au moment de la liquidation ?

M. Pierre CHASSIGNEUX : Ce sont les 33 639 773 euros c'est-à-dire la totalité des créances d'Air Lib.

M. le Rapporteur : Pas les 21 millions d'euros qui ne concernent pas Air Lib. Donc, un peu plus de 33 millions d'euros. Cela recouvre-t-il tout, y compris les taxes d'aéroport ou uniquement la partie qui revient dans les caisses d'Aéroports de Paris ?

M. Pierre CHASSIGNEUX : Tout, y compris les taxes d'aéroport.

M. le Rapporteur : Qu'avez-vous fait de ces créances ?

M. Attilio ZANICHELLI : D'une part, puisque la société est actuellement en liquidation, nous avons produit ces 33 millions d'euros au représentant des créanciers, d'autre part, dès la suspension de la licence d'Air Lib, le directeur général d'Aéroports de Paris a pu exercer un droit de rétention sur la totalité de la flotte, c'est-à-dire sur 58 avions. Nous en avons appréhendé 14 qui sont sur nos plates-formes. On vous donnera un tableau avec la liste des avions. Nous avons essayé d'obtenir des propriétaires la consignation, et éventuellement ultérieurement, l'attribution de ces sommes.

M. le Rapporteur : Avez-vous déjà obtenu des consignations de quelques propriétaires ?

M. Attilio ZANICHELLI : Non, mais comme vous le disait le directeur général, actuellement, il y a une telle surcapacité qu'il n'y a pas de véritable besoin d'avions. Quelques propriétaires maintenant se manifestent pour récupérer les avions, proposent des consignations.

M. le Rapporteur : A la suite du 11 septembre, Air Lib, en fin du mois de septembre, ne paye plus. C'est ce que vous nous avez dit tout à l'heure.

M. Pierre CHASSIGNEUX : Non, ils payent.

M. le Rapporteur : J'ai compris que, pendant la première période août-septembre, ils payent, mais à partir d'octobre jusqu'en mars.

M. Hubert du MESNIL : C'est 2002.

M. le Rapporteur : Je suis toujours en 2001. Vous avez dit qu'en août-septembre, la compagnie démarre.

M. Pierre CHASSIGNEUX : Ils nous payent TTC jusqu'à fin octobre 2001 et, ensuite, hors taxe jusqu'à fin mars 2002.

M. le Rapporteur : Ils paient sans délai, normalement ?

M. Attilio ZANICHELLI : Il y a peut-être eu quelques jours de retard.

M. le Rapporteur : Mais ce n'est pas trois mois plus tard ?

M. Attilio ZANICHELLI : Pas du tout.

M. Xavier de ROUX : Ils vous payent hors taxe car ils ont eu un accord avec le ministère des finances ? Ils reçoivent une aide du ministère des finances au niveau de la TVA ?

M. Attilio ZANICHELLI : C'est cela.

M. le Rapporteur : Théoriquement non, c'est la règle des 80/20, c'est-à-dire si l'on fait plus de 80 % à l'international. Les DOM TOM sont-ils assimilés à de l'international dans la règle fiscale ?

Le problème est de savoir si c'est une mesure d'application de la loi, c'est-à-dire une mesure générale et non une mesure spécifique. On posera la question à la DGAC (Direction générale de l'aviation civile). Je suppose que le ministère des finances demande à la DGAC de vérifier s'ils sont en dessus ou en dessus de 80 %. Connaissez-vous la pratique ?

M. Attilio ZANICHELLI : Je crois que c'est un régime déclaratif.

M. Pierre CHASSIGNEUX : Souhaitez-vous que je vous lise la lettre de Mme Parly ?

« Monsieur,

Vous avez appelé mon attention sur le régime applicable en matière de taxe sur la valeur ajoutée aux livraisons de biens ou de prestations de services portant sur des aéronefs.

Vous avez en effet souhaité obtenir la confirmation que la règle des 80 % permettant de bénéficier des exonérations prévues par l'article 262-II- 4°, 5°, 6° et 7° du code général des impôts peut être considérée comme respectée par la société d'exploitation AOM et Air Liberté (Air Lib) sur le fondement d'un calcul utilisant le nombre de kilomètres parcourus pondérés par le nombre de passagers transportés en lieu et place du seul critère tenant au nombre de kilomètres parcourus par les avions exploités par cette compagnie.

Je vous confirme qu'il apparaît possible de considérer que la règle des 80 % exposée à l'article 262-II-4° du code général des impôts est effectivement satisfaite par la compagnie Air Lib à compter de la date de sa constitution (1er août 2001). Par suite, cette société pourra acquérir en exonération de TVA tout bien et toute prestation de service portant sur des aéronefs. Les différentes sociétés du groupe Air Lib pourront également bénéficier d'exonération prévue par l'article 262-II- 4°, 5°, 6° et 7° du code général des impôts dans les mêmes conditions. »

M. le Rapporteur : On est à la troisième période, comme vous l'avez appelée, c'est-à-dire fin mars-fin juin 2002 ; ils payent avec difficulté et vous donnez des délais de paiement, suite au moratoire.

M. Hubert du MESNIL : Nous sommes au printemps 2002. C'est là que pour nous commencent les vraies difficultés. Elles se manifestent de la manière suivante. Nous rencontrons les dirigeants d'Air Lib qui nous demandent des reports de paiement. Ils nous confirment cette demande par lettre et, au même moment, ils arrêtent de nous payer. On est en avril 2002.

Nous leur répondons que nous sommes disposés à examiner leur demande de report de paiement, mais que nous ne le ferons que lorsqu'ils auront repris les paiements. Autrement dit, nous refusons d'entrer dans la discussion sur le report, dès lors qu'ils ont décidé de manière unilatérale de suspendre leurs paiements.

Dans les deux mois suivants avril-mai jusqu'à mi-juin, nous avons eu des échanges de lettres sur ce point. Nous leur demandons de nouvelles propositions de reports de paiement, moins importants, que nous sommes prêts à examiner à condition qu'ils reprennent les paiements. A l'occasion de cet échange de lettres, ils nous informent qu'ils sont en train de discuter avec le CIRI de leur situation.

Dès lors que nos échanges n'ont pas abouti à un accord sur les conditions de paiement et que nous constatons qu'ils n'ont pas repris du tout leurs paiements, nous leur adressons une mise en demeure à la fin du mois de juin.

M. Xavier de ROUX : Lorsqu'une compagnie, quelle qu'elle soit, cesse ses paiements, quelle est la réaction de votre entreprise ?

M. Hubert du MESNIL : Le terme de cessation de paiement a une signification particulière. Nous parlons ici de difficultés de paiement, c'est-à-dire que nous constatons qu'il y a des retards par rapport aux échéances prévues dans nos relations commerciales. Dans ce cas, des contacts s'établissent entre ces clients et l'agent comptable d'ADP. De manière assez régulière, ces contacts donnent lieu à des accords qui, très généralement, débouchent à un report d'un mois. Après, le moment difficile est passé et la vie reprend ses droits.

La pratique courante et commerciale de l'entreprise, qui est placée sous la responsabilité de l'agent comptable, est qu'en cas de difficultés et dès lors que la société fait part de ses difficultés, un accord est trouvé pour obtenir un report.

La spécificité, dans cette affaire, c'est qu'en même temps qu'il y a demande d'échelonnement dans le temps, il y a décision unilatérale de l'entreprise de cesser complètement tout paiement.

M. Xavier de ROUX : C'est pour cette raison que je parlais bien de cessation de paiement.

M. Hubert du MESNIL : C'est pour cette raison que nous avons terminé par une mise en demeure, c'est-à-dire que nous cessons toute discussion sur le report, nous les mettons en demeure de payer, faute de quoi l'agent comptable déclare qu'il exercera les droits d'Aéroports de Paris vis-à-vis de ce client et l'exercice de ces droits est la rétention. Donc, nous avons à nouveau enclenché le processus de droit de rétention à la fin du mois de juin lorsque nous avons constaté qu'au bout de deux mois de discussion avec l'entreprise, il n'y avait pas de possibilité d'accord avec elle.

M. le Rapporteur : Vous avez un comptable public Aéroports de Paris. Les comptes du comptable public sont jugés par la Cour des Comptes, donc, les diligences sont de sa responsabilité. D'après ce que vous savez, qu'a fait l'agent comptable ? A-t-il fait ses diligences ? Je vous pose cette question pour notre information, c'est la Cour des Comptes qui en jugera.

M. Hubert du MESNIL : L'agent comptable m'a alerté de la situation dans laquelle il se trouvait vis-à-vis d'Air Lib sur ces questions de paiement. C'est à la suite des interventions de l'agent comptable que j'ai adressé des lettres.

M. le Rapporteur : Vous avez donc signé la mise en demeure qu'il vous avait adressée ?

M. Hubert du MESNIL: J'ai signé la lettre de mise en demeure sur proposition de l'agent comptable. Toutes les interventions que nous avons faites vis-à-vis d'Air Lib résultent de sollicitations de l'agent comptable qui me tenait régulièrement informé de ses difficultés et des échanges qu'il avait lui-même. Toutes les correspondances que nous avons avec Air Lib montrent bien qu'il y avait de nombreux contacts avec l'agent comptable et que c'est sur la proposition de l'agent comptable que j'ai signé plusieurs lettres à Air Lib jusqu'à la mise en demeure.

M. le Rapporteur : Par rapport aux pratiques habituelles d'Aéroports de Paris à l'égard des mauvais payeurs, y a-t-il eu un traitement normal, ni plus, ni moins, par rapport aux autres compagnies qui ont des difficultés ; vous avez parlé tout à l'heure de Corsair en introduction ou d'autres ? Avez-vous appliqué normalement avec l'agent comptable les diligences normales ?

M. Hubert du MESNIL : Je donne ma réponse personnelle, M. Atillio Zanichelli donnera la sienne au nom de l'agent comptable.

Pendant cette période de deux mois, nous avons eu un comportement normal vis-à-vis d'Air Lib. Je ne dis pas qu'Air Lib a eu un comportement normal. En tout cas, les interpellations régulières que nous avons faites se terminant par la mise en demeure sont une gestion normale. Aurait-on pu ou aurait-on dû aller plus vite ? Je signale que dans le même temps, Air Lib nous signalait qu'il était en discussion avec le CIRI.

Nous savions, par expérience, que l'exercice du droit de rétention est un instrument fort et que quelques mois auparavant, cela avait donné lieu à un rejet par le ministre, tout simplement car cela a pour effet d'arrêter les avions d'Air Lib. Nous avons fait les interventions que nous devions jusqu'à la mise en demeure comprise. On a enclenché le processus de droit de rétention. Il me semble que pendant cette période nous avons eu, vis-à-vis de cette société, un comportement normal. Simplement, il ne fallait pas que cela dure beaucoup plus. C'est une question de durée.

M. le Rapporteur : Le moratoire sur les créances dues par Air Lib à ADP a été accordé le 22 août 2002 par le ministre de l'économie et des finances. Il prévoyait comme condition résolutoire la reprise des paiements par Air Lib de ses échéances courantes à compter du 1er août. Comment cette condition a-t-elle été respectée par Air Lib puisque l'on est fin juin, vous mettez en demeure, vous savez qu'il y a des négociations au CIRI qui débouchent par cette décision du 22 août ?

J'ai cru comprendre, mais je ne suis pas sûr d'avoir bien compris, qu'il n'y a pas eu de respect de cette clause. Est-ce exact ou est-ce plus subtil que cela ?

M. Hubert du MESNIL : Le CIRI s'est réuni à la fin du mois de juillet. La décision nous a été notifiée par une lettre du ministre du 21 août, mais nous avions connaissance de la décision du CIRI dès fin juillet. Air Lib devait reprendre ses paiements immédiatement, c'est-à-dire à compter du 1er août. Nous avons constaté que ce moratoire a été correctement respecté pendant à peu près un mois, c'est-à-dire qu'après le moratoire, nous avons dès les premiers jours d'août notifié à Air Lib que, selon les termes de ce moratoire dont nous avions connaissance, il devait immédiatement reprendre ses paiements courants, donc, nous lui avons envoyé la première facture, c'est-à-dire celle du début du mois d'août puisque, pour le reste, c'était couvert par le moratoire. Nous avons constaté un comportement normal d'Air Lib, conforme à la décision du moratoire pendant environ un mois. C'est à partir du mois de septembre que nous avons constaté que, à nouveau, Air Lib, suspendait ses paiements et ne respectait plus le moratoire.

M. le Rapporteur : C'est-à-dire qu'à compter du 1er septembre 2002, ils ne paient plus du tout ?

M. Hubert du MESNIL : Exactement, nous nous retrouvons dans la même situation qu'avant le moratoire.

M. le Rapporteur : Ils ne paient ni le moratoire, ni les nouvelles créances ?

M. Hubert du MESNIL : Le moratoire, c'était normal. En revanche, ils ne paient plus les factures courantes des semaines qui passent.

M. le Rapporteur : Que faites-vous au mois de septembre ?

M. Hubert du MESNIL : Nous commençons par constater. Comme toujours, on peut se dire qu'il peut y avoir une ou deux semaines de retard, donc, un certain temps est neutralisé. Nous nous retrouvons finalement à la fin du mois de septembre dans le constat que le moratoire n'est plus respecté. C'est à ce moment-là que le Gouvernement demande à Air Lib un plan de restructuration et que des discussions sont engagées avec les pouvoirs publics ; puis, le conseil supérieur de l'aviation marchande se prononce sur la licence. Nous arrivons à la fin octobre, début novembre, la réunion du conseil supérieur a lieu de mémoire le 8 ou le 9 novembre, un deuxième moratoire est décidé. Il nous est demandé de suspendre le recouvrement des créances pour la période du 1er août à début novembre.

M. Xavier de ROUX : Quand vous dites « il nous est demandé », de qui s'agit-il ? Avec qui discutez-vous à ce moment-là ? Vous avez une entreprise qui est en très grande difficulté, qui vous doit de l'argent, une partie moratoriée, la deuxième partie qui n'est pas payée. On part vers un nouveau moratoire. Qui vous dit de continuer à assurer les services pour elle, malgré ces défauts de paiement ?

M. Hubert du MESNIL : Nous sommes informés d'une décision gouvernementale d'un prolongement du premier moratoire et d'un deuxième moratoire sur la période août, septembre, octobre.

M. le Rapporteur : De qui recevez-vous une lettre ? Du CIRI, du ministre des finances, du ministre des transports ?

M. Hubert du MESNIL : Nous avons une lettre du mois de novembre du secrétariat du CIRI et de la comptabilité publique. L'agent comptable reçoit, sous forme d'instruction, une lettre de la direction générale de la comptabilité publique, plus un message du secrétariat du CIRI, en novembre, qui nous indique de la décision prise à la demande du cabinet du Premier ministre.

M. le Rapporteur : Vous avez mis toutes ces pièces dans le dossier que vous nous remettrez ?

M. Hubert du MESNIL : Oui, c'est dans le dossier.

M. le Rapporteur : C'est moins vous qui êtes en cause que l'agent comptable. Donc, l'agent comptable exécute les instructions qu'il a reçues de sa hiérarchie.

M. Hubert du MESNIL : Moi-même, je n'en ai reçu aucune.

M. le Rapporteur : C'est normal puisque juridiquement, vous n'êtes pas compétent pour accorder des échéanciers. Vous êtes dans un système de comptabilité publique et seul, l'agent comptable peut engager sa responsabilité.

M. Hubert du MESNIL : Je n'aurais pas trouvé anormal, en tant que directeur général, de recevoir quelques orientations ou consignes sur la manière de traiter le dossier. On n'est pas simplement sur un problème de trésorerie et de comptabilité courante, on est sur une décision de deuxième moratoire. Ma responsabilité n'est pas complètement nulle dans cette affaire.

M. le Rapporteur : Vous avez un comptable public.

M. Hubert du MESNIL : Je constate simplement que l'agent comptable a reçu toute instruction pour traiter la question.

M. le Rapporteur : Vous êtes comme le maire d'une commune, Monsieur le Directeur, vous ne pouvez pas décider d'accorder à vos contribuables un échéancier. C'est l'agent comptable qui l'accorde.

M. Attilio ZANICHELLI : Effectivement, c'est l'agent comptable. Il est quand même de tradition constante chez les comptables publics de ne pas accorder de délai qui mettrait en cause la trésorerie d'une entreprise ou les bonnes relations entre l'entreprise et ses clients. En général, quand il s'agit de dossiers de ce type, l'agent comptable prend toujours l'attache du directeur général ou de l'ordonnateur d'une manière générale pour savoir si les mesures qu'il entend prendre ne mettraient pas en péril le devenir de l'entreprise publique elle-même. Là, en l'occurrence, Air Lib était le deuxième client d'Aéroports de Paris.

M. le Rapporteur : Donc, vous avez eu copie des lettres d'instruction données au comptable. D'après ces lettres, c'est le directeur de la comptabilité publique qui a donné instruction à l'agent comptable d'Aéroports de Paris et lui-même était couvert par une instruction reçue de son ministre. Vous n'avez pas cette pièce puisque vous avez dit que c'était suite à une décision du Premier ministre.

M. Hubert du MESNIL : Je crois que la lettre du directeur général de la comptabilité publique fait état, de mémoire, d'une nouvelle décision prise au niveau du cabinet du Premier ministre.

M. le Rapporteur : C'est rétroactif à compter du 1er août 2002 ?

M. Hubert du MESNIL : Exactement. Cela crée un deuxième moratoire à partir du 1er août 2002.

M. le Rapporteur : Jusqu'à quand ?

M. Hubert du Mesnil : Jusqu'au mois de novembre compris.

M. le Rapporteur : Après, le paiement devait reprendre normalement ?

M. Hubert du MESNIL : Après, des instructions complémentaires devaient nous être données car cet effacement, sous la forme d'un deuxième moratoire, ne préjuge pas de ce qui se devait se passer après avec les paiements courants. Cela concernait le report du prêt accordé à l'entreprise, mais ne disait pas ce que nous devions faire pour les paiements courants du mois de décembre. C'est la raison pour laquelle, en décembre, n'ayant pas obtenu d'instruction nouvelle sur le traitement des paiements courants, nous étions dans l'attente de savoir ce qu'il fallait faire. Constatant simplement qu'Air Lib ne payait toujours pas, nous commencions à nous inquiéter.

M. le Rapporteur : Vous n'avez pas eu l'idée avec l'agent comptable, puisque vous saviez qu'un prêt du Fonds de développement des entreprises (FDES) allait être versé, de demander le versement direct de la partie correspondant à vos créances ?

M. Hubert du MESNIL : J'ai demandé aux administrations de tutelle de bien vouloir examiner avec nous les conditions dans lesquelles on pouvait faire valoir nos droits. L'affaire s'est terminée un mois et demi après par la décision que vous savez. Aucune mesure n'a été prise en décembre et en janvier jusqu'à la décision de liquidation.

M. le Rapporteur : On est hors deuxième moratoire à compter du 1er décembre, si j'ai bien compris votre exposé.

M. Hubert du MESNIL : On regardera sur la lettre du directeur de la comptabilité publique, mais le deuxième moratoire ne fixait pas, à ma connaissance, de terme, sauf le terme du 9 janvier qui était le terme du prêt accordé par le FDES à l'entreprise. Ce délai était bien fixé. C'est le 9 novembre que le couperet est tombé. Sur le traitement de nos affaires, il n'y avait pas d'instruction ni de délai mettant un terme au deuxième moratoire. Donc, nous sommes en décembre et jusqu'au 9 janvier dans une période où nous vivions d'incertitude.

M. le Rapporteur : Mais ils ne payent toujours rien. Peut-on dire qu'à partir du 1er septembre 2002 vous ne touchez plus rien ?

M. Hubert du MESNIL : Tout à fait.

M. le Rapporteur : Si l'on reprend la période du 1er août 2001 à la cessation d'activité en mars 2003, combien auraient-ils dû payer et combien ont-ils payé ? Vous nous avez dit que le différentiel était de 33,6 millions d'euros. Combien vous ont-ils payé sur cette période ?

M. Attilio ZANICHELLI : Le tableau que l'on va vous fournir vous donne la répartition mois par mois. Globalement, depuis la reprise par Air Lib, le chiffre d'affaires facturé à Air Lib a été de 56 409 757 euros et les recouvrements de 22 769 984 euros.

M. le Rapporteur : Donc, on est à 40/60 et le différentiel correspond aux 33,7 millions d'euros représentant votre créance en mars 2003. Ils ont payé 40 % en début de période, pour l'essentiel.

M. Hubert du MESNIL : Et après plus rien, sauf le fameux mois d'août où ils ont payé un mois.

M. le Rapporteur : Vous avez évoqué un certain nombre de courriers donnant des instructions à l'agent comptable. Pourriez-vous nous dire quelles ont été les relations entre vous-même, Monsieur le Président, vous-même, Monsieur le Directeur ou vos prédécesseurs et les responsables du dossier au niveau de l'Etat, DGAC, cabinet du ministère des transports, cabinet du ministère des finances, etc. Y a-t-il eu beaucoup de contacts ?

M. Hubert du MESNIL : Il faut distinguer deux périodes. Nous sommes arrivés avec le président début novembre 2001. La lettre de M. Gayssot venait d'arriver, nous en avons pris connaissance. Nous avons compris que l'affaire du droit de rétention était suspendue. Nous avons constaté, en même temps, que la nouvelle société fonctionnait sur le plan opérationnel et nous versait les paiements courants. On peut dire qu'à la fin de l'ancien Gouvernement, nous n'avons pas eu l'occasion de prendre d'initiative particulière, ni d'avoir des échanges précis puisqu'il y avait une décision du ministre nous disant « pas de droit de rétention pour la période passée » et il y avait une situation courante normale. Donc, on peut dire que l'on a vécu jusqu'au printemps 2002 - hormis la question de la TVA, mais qui a été traitée de manière purement technique et qui n'a pas nécessité de contact à notre niveau - dans une situation relativement stable.

Ensuite, changement de gouvernement. Comme il se doit, nous alertons les nouveaux responsables, au niveau notamment des deux cabinets du ministre de l'économie et du ministre des transports, en leur disant qu'il y a urgence à traiter du dossier Air Liberté et nous leur signalons que, d'ores et déjà, nous rentrons dans une nouvelle période de difficulté puisqu'il semble que la société a du mal à nous payer. A cette époque, au printemps 2002, le nouveau Gouvernement et les nouvelles équipes s'installent et déclarent, publiquement d'ailleurs, demander le temps de découvrir le dossier pour prendre position. Une décision est prise même de faire faire un audit sur la situation de l'entreprise.

Ensuite, nous passons à l'acte de mise en demeure, fin juin. J'informe la DGAC que je dois prendre l'initiative de passer à la mise en demeure, puisque les discussions sur les reports de paiement n'ont pas abouti. J'informe la DGAC de cette décision de mise en demeure sans commentaire, l'administration faisant savoir, à ce moment-là, qu'elle a engagé des discussions au niveau du CIRI pour traiter le dossier d'Air Lib, la décision politique étant prise à ce moment-là de prendre un peu plus de temps pour tenter une récupération ou une restructuration, un redressement d'Air Lib. Nous avons perçu cela, au mois de juillet, comme la décision politique de prendre davantage de temps pour donner une chance, d'où le moratoire.

Ensuite, l'été passe. On met en œuvre le moratoire sans problème particulier. Nous retombons à nouveau à l'automne où nous reprenons des contacts avec les différentes administrations lorsque nous constatons que le moratoire n'est plus respecté. A ce moment-là, nous avons un certain nombre d'échanges téléphoniques ou oraux avec, d'une part, la DGAC et, d'autre part, le ministère des finances jusqu'à ce qu'en décembre j'écrive, d'une manière plus officielle, aux administrations de tutelle pour leur dire qu'il nous paraissait utile de voir avec elles comment nous pouvions à nouveau faire valoir nos droits, puisque nous constations qu'au-delà du deuxième moratoire, il n'y avait toujours pas de paiement.

M. le Rapporteur : Dans vos comptes 2002, avez-vous passé une provision et, si oui, à hauteur de combien, ce devait être une trentaine de millions à l'époque ?

M. Pierre CHASSIGNEUX : On a tout provisionné.

M. le Rapporteur : Quels sont vos résultats en termes financiers ?

M. Pierre CHASSIGNEUX : 11 millions d'euros à périmètre constant.

M. le Rapporteur : Vous avez gagné 11 millions d'euros après une provision de 30  millions d'euros à peu près ?

M. Pierre CHASSIGNEUX : Tout à fait.

Vous nous avez demandé si nous avions reçu des instructions écrites en matière de moratoire. On a retrouvé les documents qui sont dans le dossier que l'on vous remettra. Il y a tout d'abord un fax du CIRI en date du 12 novembre.

« Comme vous le savez, le secrétaire général du CIRI coordonne la mise en œuvre du moratoire décidé en juillet dernier au profit de la société Air Lib. Ce moratoire porte sur les dates échues au 31 juillet 2002. Il a été accordé, sous réserve que la société reprenne ses paiements courants à compter du 2 août 2002. Cette dernière condition n'est pas remplie, à ce jour, par Air Lib.

Je vous informe qu'il a été décidé de ne pas mettre en recouvrement jusqu'au 15 novembre les sommes dues par Air Lib, tant au titre du moratoire accordé à la société qu'au titre des échéances courantes intervenues depuis le 2 août dernier ».

Nous sommes le 12 novembre et il y a une lettre du 27 novembre 2002 du directeur général de la comptabilité publique à l'agent comptable.

« Situation de la société Air Lib.

En application des décisions arrêtées par le Premier ministre à la suite de la réunion interministérielle du 13 novembre dont vous trouverez le compte rendu en annexe, je vous confirme que le ministre de l'économie et des finances et de l'industrie a décidé :

1 - de proroger de deux mois supplémentaires, jusqu'au 9 janvier 2003, par un avenant à la convention de prêt le concours de 30,5 millions d'euros du FDES mis en place le 9 janvier 2002 en faveur de la société d'exploitation AOM Air Liberté et d'en informer la commission européenne.

2 - de prolonger, également jusqu'au 9 janvier 2003, le moratoire couvrant les charges sociales et fiscales et autres créances publiques échues au 31 juillet 2002 et placer sous moratoire les charges sociales et fiscales et autres créances publiques courantes du 1er août 2002 au 9 janvier 2003. »

M. le Rapporteur : Monsieur le Président, la somme de 33,7 millions d'euros qui vous est due, comprenait-elle également la somme de ce qui était due à l'Etat ?

M. Pierre CHASSIGNEUX : C'est uniquement le report.

M. le Rapporteur : Savez-vous combien représentent les taxes qui remontent sur le budget de l'Etat ?

M. Attilio ZANICHELLI : Les seules taxes que nous recouvrions, c'est la taxe aéroport que l'on recouvre directement.

M. Alain GOURIOU : Vous nous avez parlé des créances par conséquent Air Lib pour Aéroports de Paris. Avez-vous aussi connaissance des créances que pourraient avoir d'autres prestataires présents sur la plate-forme des Aéroports de Paris et qui assurent un certain nombre de fournitures à Air Lib ? Je pense en particulier à ce qui est la restauration, les différents services qui ne sont pas forcément inclus dans ADP ?

M. Hubert du MESNIL : Nous ne connaissons bien que ce qu'Air Lib nous doit, mais nous savons qu'Air Lib avait d'autres prestataires de service sur la plate-forme. Nous n'avons pas entendu dire qu'Air Lib avait pratiqué le même comportement avec les autres prestataires. Je ne dis pas qu'il n'y a pas eu de difficulté. Nous n'avons pas eu connaissance de blocage complet des paiements à d'autres prestataires qu'à nous-mêmes. Autrement dit, il nous semble que ce traitement était réservé au secteur public.

M. le Rapporteur : Peut-on dire qu'au fond ils payaient tous leurs créanciers privés car s'ils ne les payaient pas le lendemain ils n'étaient plus livrés ? C'est ce qui nous a été indiqué par exemple pour le kérosène, mais ce doit être, je suppose, vrai également pour les livraisons des plateaux-repas. Donc, Air Lib continue à fonctionner et il n'y a que vous et l'Etat qui ne font pas payer les taxes qui alimentent le BANA et les redevances et taxes qui alimentent Aéroports de Paris. C'est bien cela ?

M. Hubert de MESNIL : Oui, tout à fait.

M. Alain GOURIOU : J'ai connaissance que, sur d'autres aéroports, des prestataires de services n'ont pas été payés, mais cela ne nous concerne pas directement. Donc, selon vous, ils payaient leurs fournisseurs carburants, services, restauration ...

M. Hubert du MESNIL : Nous n'avons pas eu connaissance de situation de blocage, sauf un cas que l'on peut donner de façon anecdotique. Quand il y a eu le fameux week-end de neige du 4 et 5 janvier, nous sommes intervenus pour la raison suivante : la société Air Lib demandait à un prestataire de services d'intervenir pour son compte pour enlever la neige et traiter les avions en question et la société a dit « oui » à condition que ce soit payé d'avance. Air Lib n'ayant pas la possibilité de payer d'avance nous a demandé de le dépanner car ses avions étaient cloués au sol, aucun prestataire n'ayant accepté d'intervenir pour lui tant qu'il n'était pas payé.

M. le Rapporteur : Qu'avez-vous fait ?

M. Hubert du MESNIL : Nous avons dépanné Air Lib.

M. le Rapporteur : C'est-à-dire que vous avez payé ?

M. Hubert du MESNIL : Nous n'avons pas été payés, mais nous avons dépanné Air Lib pensant qu'il était de notre devoir, dans cette situation de crise, d'oublier pendant quelques heures nos relations commerciales et de montrer notre sens du service public.

M. le Rapporteur : Vous avez payé une société privée qui est venue déneiger ?

M. Hubert du MESNIL : Nous l'avons fait nous-mêmes.

M. le Rapporteur : Et avez-vous facturé ?

M. Hubert du MESNIL : Je ne peux pas vous dire, je ne sais pas. C'est quelque chose de très ponctuel. C'était passer un coup de brosse, si je puis dire, sur des avions bloqués, sauf que le blocage avait des conséquences sur l'aéroport. Cela traduit bien la tension et la méfiance entre la société et ses prestataires.

M. Pierre CHASSIGNEUX : On vous remet tous ces documents. Simplement, on vous enverra un complément concernant les deux derniers documents dont je vous ai donné lecture, qui ne figurent pas dans le dossier.

M. le Rapporteur : Vous nous avez dit tout à l'heure que vous aviez provisionné à 100 %, 30 millions d'euros à l'époque fin 2002, qui sont devenus 33,7 millions d'euros. Avez-vous un espoir de recouvrer quelque chose ?

M. Pierre CHASSIGNEUX : Très faible. Si, demain, le transport aérien change complètement d'allure, c'est certain que les propriétaires des 12 ou 13 avions que nous avons, dont vous aurez la liste où il y a évidemment des avions anciens style DC10, mais des avions plus récents comme A340, vont vouloir les récupérer et, donc, paieront en partie. Mais le droit de rétention de chaque avion correspond à la dette de chaque avion, ce n'est pas la dette de la compagnie.

M. le Rapporteur : Et il y a le contentieux car une partie des avions a été transférée avec un contentieux.

M. Alain GOURIOU : La rétention de ces avions entraîne un certain nombre de frais pour votre entreprise.

M. Pierre CHASSIGNEUX : Une immobilisation de terrain.

M. Hubert du MESNIL : C'est pour cette raison que si l'on faisait les comptes réels de cette rétention, on peut se demander si elle ne deviendrait pas négative. Pour l'instant, une bonne dizaine d'avions sont bloqués à Orly.

M. Xavier de ROUX : Vous les entretenez, je pense ?

M. Hubert du MESNIL : Ils sont sous cocon, neutralisés.

M. Pierre CHASSIGNEUX : Sous béton ! On facture quand ils récupèrent les droits de stationnement pour la durée.

M. le Rapporteur : Les droits de stationnement sont élevés, donc, ils s'accumulent. Avez-vous comparé quelle est la valeur de ces avions par rapport à l'accumulation des taxes de stationnement ?

M. Attilio ZANICHELLI : Quand un avion est demandé, il n'y a aucune mesure entre l'intérêt pour le propriétaire de consigner les sommes et d'exploiter son avion car l'exploitation de l'avion lui rapporte beaucoup plus que le montant des redevances et droits de stationnement.

M. le Rapporteur : Oui, mais maintenant il n'y a plus personne, donc, le problème est de savoir quelle est la valeur des avions au regard des coûts d'immobilisation ; pendant ce temps-là, vous ne pouvez pas les louer et vous ne toucherez jamais de droit de stationnement, puisque la compagnie a déposé le bilan.

M. Attilio ZANICHELLI : Quand un propriétaire ou un exploitant a besoin de l'avion et qu'il accepte de consigner les sommes, il consigne les sommes, redevances dues par l'avion, y compris les droits de stationnement, entre le moment où il a été bloqué et le moment où le directeur général donne une mainlevée.

M. le Rapporteur : Sur les avions des propriétaires, avez-vous déjà eu des utilisateurs de ces avions ?

M. Attilio ZANICHELLI : Aujourd'hui, non.

M. Xavier de ROUX : Messieurs, je vous remercie.

Audition de M. François Bachelet,
président du directoire et directeur général d'Air Lib d'août 2001 à février 2002

Procès-verbal de la séance du 7 mai 2003

Présidence de M. Xavier de Roux, vice-Président

Le témoin est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées et que les auditions se déroulent selon la règle du secret. A l'invitation du Président, le témoin prête serment.

M. Xavier de ROUX : Vous avez été président du directoire et directeur général d'Air Lib du mois d'août 2001 au 15 février 2002. Auparavant, vous étiez à la retraite après une longue carrière à la compagnie Air France où vous avez occupé notamment les fonctions de directeur général d'Air France Cargo.

Votre passage à la direction d'Air Lib a donc été assez bref et nous imaginons facilement que cette brièveté n'est pas sans rapport avec les difficultés que la compagnie a rencontrées.

Nous souhaiterions que vous nous exposiez, en une dizaine de minutes, les raisons qui vous ont conduit à accepter ces responsabilités et votre explication de la mauvaise situation dans laquelle se trouvait Air Lib au début de l'année 2002. Ces mauvais résultats étaient-ils, selon vous essentiellement imputables aux conséquences du 11 septembre et à la défaillance du groupe Swissair ou bien à des raisons internes à l'entreprise ?

M. François BACHELET : Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, je vais répondre aux trois questions que vous m'avez posées en préambule.

Tout d'abord pourquoi j'ai accepté cette mission. C'est un ensemble de raisons parmi lesquelles, sans les hiérarchiser, d'abord un challenge technique. Pour quelqu'un qui a travaillé toute sa vie dans le transport aérien, le fait de se voir proposer la présidence d'une compagnie aérienne n'est pas neutre à la fois pour le plaisir que l'on y prend et comme une espèce de « cherry on the cake », si vous me permettez cet anglicisme.

Deuxièmement, un challenge social. A l'époque, c'était une somme d'entreprises qui avaient traversé beaucoup de difficultés, incroyables d'ailleurs, quand on les connaît dans le détail. J'estimais qu'il n'était pas neutre de pouvoir participer au sauvetage d'une partie de ces emplois, puisque c'était un des buts de l'opération.

Troisièmement, la connaissance d'un certain nombre de membres de l'équipe, au premier rang desquels M.  Bardi que je connaissais très bien pour avoir beaucoup travaillé avec lui, et notamment pour avoir apprécié sa très grande droiture intellectuelle, sa grande compétence sur le plan financier et organisationnel, qui étaient deux éléments du travail qui nous attendait, tout à fait importants.

Ce sont des raisons dont aucune n'est fondamentale. J'ajoute que ce n'était pas à mon initiative ; je n'ai pas fait les démarches d'approche ou sollicité cette fonction en quoi que ce soit.

Sur la raison qui est l'objet même de la commission, tel que j'ai pu le lire et selon la délibération de l'Assemblée qui crée cette commission, trois points techniques méritent d'être soulignés. Ce sont les raisons financières, les raisons techniques et les autres raisons qui ont pu expliquer les difficultés qu'a subies Air Lib.

En préambule, je voudrais dire que l'affaire n'était pas certaine. Il est bien rare que, dans le monde des affaires, on se lance de façon certaine vers le succès. Rien n'est garanti à l'avance. Par conséquent, il y avait intrinsèquement, dans le projet, un risque d'échec. Toutefois, nous étions un certain nombre à estimer - et j'en faisais partie - que le business plan auquel j'avais participé dans sa dernière mouture était plausible, techniquement viable. Par conséquent, l'affaire n'était pas une folie ou un fantasme de grandeur. L'entreprise était en difficulté sur le plan de son organisation rémanente. C'était, permettez-moi l'expression, mais je n'en trouve pas beaucoup d'autres qui l'illustrent, un « foutoir ». Les dossiers personnels des employés étaient tous faux. Quand il s'est agi d'établir des listes, sur des critères négociés, pour déterminer les 1 400 licenciements du plan social, cela a été extrêmement difficile car il a fallu reconstituer les dossiers personnels des employés, de façon à pouvoir leur appliquer les critères de sélection.

Dès le début, Swissair a mis un certain nombre de difficultés à verser les fonds selon le calendrier qui avait été établi au préalable dans un concordat. A la fin septembre - je n'ai plus le jour précis en tête - mais avant le 1er octobre, il nous a fait savoir qu'il ne verserait pas l'échéance prévue à la fin du mois de 200 millions de francs. Je vais m'exprimer en francs car, à l'époque, les sommes étaient dites en francs.

M. Jean-Yves LE BOUILLONNEC : Pourriez-vous dater avec précision les différentes phases de votre exposé ?

M. François BACHELET : A ce moment là, on est au mois d'août, c'est-à-dire entre le jugement du 27 juillet du tribunal de commerce et le 20 ou 25 août, date à partir de laquelle les différentes filiales d'Holco sont constituées. Ma fonction ne commence qu'à la fin août en tant que président du directoire. Il n'y avait pas de directoire avant.

Une équipe informelle gérait cet ensemble difficile. On a retrouvé les membres de cette équipe dans des fonctions définies ultérieurement. Mes fonctions précises ne commencent qu'à ce moment-là et s'achèvent le 31 décembre 2001. J'ai démissionné le 15 décembre et, le 31 décembre, l'entreprise n'a plus été organisée sous forme de directoire, donc, je n'étais plus président d'un directoire qui n'existait plus.

A la fin septembre, autour du 25 septembre, Swissair nous fait savoir, par différents moyens, qu'il ne serait pas en mesure de verser l'échéance de 100 millions qui était prévue à la fin du mois et, très rapidement, nous avons su ensuite que les échéances ultérieures ne le seraient pas non plus. Ce qui nous laissait devant un déficit de trésorerie anticipé d'environ 400 millions.

Sur ce plan, un point de détail, le plan de reprise que nous avions élaboré, dans sa forme initiale, le business plan, supposait nécessaire le versement par Swissair de 1,8 milliard. Si vous examinez les avatars ultérieurs de l'entreprise, vous retrouverez ces chiffres. Comme on dit, les faits sont têtus. Il fallait bien 1,8 milliard de trésorerie initiale pour réamorcer la pompe de l'entreprise et cela, nonobstant les difficultés du transport aérien qui sont survenues ultérieurement. Le concordat a porté sur 1,2 milliard. C'était un peu court. Sur ce 1,2 milliard, 400 millions n'ont pas été versés. C'est la cause première de l'échec de l'entreprise qui n'avait pas les fonds propres pour continuer d'exercer. Cette cause est financière, intrinsèque.

La seconde cause est technique et extérieure. Elle tient à l'influence qui est banale, connue du public sur le transport aérien mondial, de l'attentat du 11 septembre à New York, avec l'impact considérable qu'il a eu sur cette industrie, a fortiori sur une entreprise fragile d'emblée qui a subi l'impact en trafic - mais cela est rattrapable. Ce qui est considérable en revanche, c'est que cela nous privait pratiquement de la possibilité de trouver des investisseurs venant prendre le relais, sur le plan des fonds propres qui nous faisaient cruellement défaut, car il était peu vraisemblable que des investisseurs « normaux », qui ont des capitaux et qui cherchent à les placer dans une industrie pour voir ces capitaux prospérer, apparaissent au moment où l'arrivée de fonds nouveaux était nécessaire, c'est-à-dire à partir de fin novembre, pour assurer la trésorerie de l'entreprise.

Voilà les réponses aux trois questions initiales que vous m'avez posées.

M. le Rapporteur : Maintenant, j'ai une douzaine de questions à vous poser.

Pourriez-vous expliquer à la commission dans quelles conditions vous avez été approché par M. Corbet, quelle était votre position puisque vous étiez à la retraite ?

M. François BACHELET : Administrativement, je n'exerçais plus d'activité salariée.

M. le Rapporteur : Quelle était votre situation ? Vous étiez retraité d'Air France. Qui vous a approché ? Quelles étaient vos motivations ? Sur ce point, vous avez répondu. Pourriez-vous nous expliquer comment a été recrutée l'équipe qui a pris en main le groupe Holco et notamment, puisque c'était la composante essentielle, la société d'exploitation Air Lib ?

M. François BACHELET : J'ai été approché par un consultant dont j'avais utilisé les services du temps où j'étais directeur général d'Air France Cargo, notamment pour m'assister dans la présentation d'un dossier d'investissement aéronautique au conseil d'administration. Il s'agit de M. Moreau. M. Moreau avait lui-même été un des consultants du syndicat national des pilotes de ligne (SNPL) au moment où le SNPL négociait - là, je parle par ouï dire, sur ce point précis, je ne suis pas acteur - l'accord intervenu après la grève de la Coupe du monde qui a défrayé la chronique, l'accord ou les conséquences techniques et financières de cet accord.

Ce M. Moreau m'a approché au printemps 2001 en me disant, en substance : « Nous avons un projet de reprise d'AOM-Air Liberté. L'équipe a besoin, c'est l'avis de notre banque-conseil, pour être considérée de façon sérieuse, d'être complétée par un dirigeant pouvant exciper d'une expérience managériale dans le transport aérien. » Ce ne sont sans doute pas les termes précis qu'il a employés, mais voilà ce que cela voulait dire. C'est à ce moment-là que j'ai été contacté et que je suis entré dans l'équipe de façon progressive. Toute cette équipe, dans laquelle figurait Alain Bardi, qui lui-même avait été contacté par M. Moreau, a travaillé de façon bénévole pendant des semaines sur un rythme absolument échevelé. C'était une ambiance de comité de salut public en quelque sorte, quelque chose d'inouï, mais assez passionnant, du reste.

Quant aux autres membres de l'équipe, je ne peux pas vous dire. Il y avait un responsable de la fonction sociale qui a beaucoup contribué à négocier ou à aplanir, à donner les contours de la négociation avec le comité d'entreprise qui pesait dans l'élaboration de ce dossier. Il y avait un avocat -je crois que vous l'avez auditionné - Yves Léonzi, qui est un personnage central dans cette affaire par sa compétence et sa connaissance du milieu des affaires. Il y avait la banque-conseil, je ne sais pas qui l'a amenée, CIBC. Il y avait l'équipe du cabinet d'avocats et c'est à peu près tout. Il n'y avait pas grand monde dans cette équipe, au départ.

L'une des difficultés, de niveau second, de cette entreprise a été précisément de constituer une équipe complète car il n'est pas facile d'attirer des gens compétents du milieu du transport aérien dans une entreprise aussi sulfureuse, aussi difficile à appréhender. Pour un jeune de talent, débarquer à Air Lib, c'était prendre un risque.

M. Jean-Jacques DESCAMPS : Il y avait des gens d'Air France dans cette équipe ?

M. François BACHELET. Ex-Air France, mais pas d'Air France.

M. le Rapporteur : C'était une équipe de quatre/cinq personnes, plus le cabinet Léonzi, plus la CIBC. Vous avez dit que l'affaire commence au printemps 2001, c'est-à-dire en mars/avril ?

M. François BACHELET : Fin mars j'imagine, mais je n'y étais pas encore.

Je suis arrivé en dernier. Pour des professionnels du transport aérien, la liste était un peu légère. Il fallait la compléter par quelqu'un -c'était l'avis de la banque et je pense qu'ils avaient raison - dont on pouvait dire qu'il avait travaillé pendant 35 ans au transport aérien et qu'il savait de quoi il parlait.

M. le Rapporteur : Quelle était pour vous, telle que vous l'avez vécue dans cette période de « salut public », la motivation du principal d'entre eux, M. Corbet ?

M. François BACHELET : Il vaut mieux le lui demander.

M. le Rapporteur : On le lui demandera, mais selon vous, qu'est-ce qui le motive ?

M. François BACHELET : C'est essentiellement social. Les choses se sont complexifiées par la suite, mais on pouvait reconnaître là son origine syndicale et, par conséquent, la fibre sociale qui lui a insufflé l'idée de sauver une entreprise de transport aérien. Cela lui tenait à cœur et je crois que cela lui tient toujours à cœur.

M. le Rapporteur : Vous arrivez le « petit dernier » si je puis dire. Etes-vous un peu étonné de cette ambiance ? Vous avez utilisé le terme de « comité de salut public ».

M. François BACHELET : Bien sûr, j'ai été étonné, mais peu de temps. On s'y fait très vite. J'étais tranquillement redevenu étudiant en histoire et je suis arrivé dans une ambiance où l'on dormait sur place. C'étaient des séances de nuit, de jour. C'était un peu exaltant, aussi. On oublie donc très vite cette ambiance car on entre dans le jeu.

A ce titre, les fondamentaux restaient présents. Mon travail était essentiellement sur le business plan. Je l'ai fait refaire. Certains aspects me paraissaient relever un peu du domaine de l'irréalisme. Je n'ai pas réussi à convaincre l'équipe de la nécessité de faire un business plan portant sur deux entreprises. Le futur actionnaire n'a jamais voulu accepter la constitution de deux entreprises séparées, même en amendant leur objet social. L'idée était de fusionner les deux en une seule entreprise. Cela m'a toujours paru un danger et je continue de penser que j'avais raison.

M. le Rapporteur : Etiez-vous le seul à dire qu'il fallait maintenir AOM ?

M. François BACHELET : Non, je n'étais pas le seul.

M. le Rapporteur : Vous étiez divisés, donc, il y a eu un débat.

M. François BACHELET : M. Bardi et moi, étions partisans d'un business plan portant sur la constitution de deux entreprises.

M. le Rapporteur : C'est-à-dire AOM d'une part et Air Liberté d'autre part ?

M. François BACHELET : On aurait pu les appeler ainsi, mais l'une aurait été dédiée au moyen courrier, l'autre au long courrier.

M. le Rapporteur : Vous avez vécu chez Air France, dans laquelle ce n'est pas le happening, ce n'est pas le « comité de salut public ». Quand vous arrivez, n'êtes-vous pas inquiet ? Vous avez dit tout à l'heure qu'il faut prendre des risques. Mais pour vous, M. Corbet avait-il les qualités pour être un manager ? Il n'avait aucune expérience.

M. François BACHELET : Non, il n'avait pas les qualités pour être un manager, puisque l'on a fait appel à moi et qu'il en était entièrement d'accord. Oui, il avait des capacités entières et il l'a démontré pour être le dirigeant de l'affaire. Il manquait un échelon intermédiaire plus de nature technique, même pour des négociations syndicales.

M. Alain GOURIOU : Etiez-vous au courant du fait que M. Corbet, à partir du moment où vous étiez vous-même présent, c'est-à-dire à partir du mois de mai, appartenait toujours à Air France ?

M. Corbet était-il vraiment très présent pendant toute cette période un peu effervescente que vous avez décrite du mois de mai jusqu'à fin août ?

M. François BACHELET : Et au-delà. Bien sûr, il était présent à 100 %. Quant à son statut particulier vis-à-vis d'Air France, honnêtement, je ne le connais pas. Je sais qu'il n'exerçait plus son métier de pilote.

M. le Rapporteur : Saviez-vous qu'il était toujours pilote jusqu'à fin août ?

M. François BACHELET : Il était pilote tant qu'il avait sa licence.

M. le Rapporteur : Non ! Il était toujours salarié d'Air France, comme pilote.

M. François BACHELET : Je ne sais pas. Cela ne m'intéressait pas beaucoup de le savoir. Je savais que cela entraînait un certain nombre de polémiques au sein du SNPL à Air France - j'ai des oreilles, j'ai Internet - ,mais franchement, j'avais autre chose à faire que de m'intéresser au statut personnel de M. Corbet, sauf si cela m'avait gêné.

M. le Rapporteur : On vous pose cette question parce que vous dites : « On couchait là, on travaillait 18 heures par jour. » Avez-vous vu le futur président Corbet vous quitter de temps en temps en disant qu'il devait faire un Paris-New York et qu'il revenait dans deux jours ou était-il toujours là ?

M. François BACHELET : D'après mon souvenir, non, mais je ne suis pas certain de ce que je vous avance.

M. le Rapporteur : Donc, vous n'en êtes pas sûr. Parce que vous nous décrivez un comité de salut public ; dans ce cas, on ne part pas trois jours pour faire un long courrier.

M. Gilbert GANTIER : Vous avez dit que la banque CIBC était la banque conseil. Qui l'avait choisie et à quelle date ? Ce n'est pas une génération spontanée, nous savons que cela n'existe pas dans ce domaine. Il y a donc quelqu'un qui est allé voir la banque, qui l'a choisie et l'a chargée d'étudier le problème, d'établir un certain nombre de questionnaires. Vous avez dit que la « banque-conseil  nous demandait de. »

M. François BACHELET : Je ne peux pas vous répondre de façon certaine sur la question de savoir qui a amené la banque. C'était fait quand je suis arrivé. Je ne me suis pas trop posé la question.

M. Gilbert GANTIER : Avant vous, qui y avait-il, par qui cela a-t-il été fait ?

M. François BACHELET : Par ceux qui étaient déjà dans l'équipe. Je pense que les accointances de Jean-Charles Corbet avec le milieu bancaire ne sont pas très importantes. Je serais enclin à penser que c'est plutôt du côté de M. Moreau, éventuellement le cabinet Léonzi, que l'on pourrait trouver la réponse à votre question, mais je ne l'ai pas fait, donc, je n'en sais rien. J'avance une hypothèse.

La banque CIBC intervenait en tant que banque-conseil, donc, elle n'investissait pas dans l'affaire. Son rôle n'était que d'apporter sa caution technique sur le montage financier, et notamment la lettre d'évidence de fonds que notre dossier de reprise comprenait, c'était aussi d'expliquer au tribunal de commerce le côté, somme toute banal, du dossier de reprise sur le plan technique bancaire, donc, d'apporter sa caution technique dans cette affaire et bien entendu, comme toute banque-conseil, de rechercher des investisseurs.

M. le Rapporteur : D'après ce que vous avez vu, qui étaient les personnes qui représentaient la CIBC ? Il y avait une, deux personnes ?

M. François BACHELET : Il y avait le patron pour l'Europe.

M. le Rapporteur : David Mongeau ?

M. François BACHELET : C'est cela, David Mongeau, un Canadien qui était le patron pour l'Europe ou des investissements pour l'Europe de la CIBC, plus une équipe de deux ou trois personnes - elle a varié dans le temps - qui faisait des calculs.

M. le Rapporteur : Etaient-ils là à temps plein ?

M. François BACHELET : Ils étaient là à temps plein pendant 15 jours/trois semaines, puis ils disparaissaient, puis ils revenaient. Ils n'ont pas été pendant cinq mois à temps plein permanent.

M. le Rapporteur : Quelle était votre appréciation sur le rôle de CIBC ?

M. François BACHELET : Une banque-conseil était nécessaire. Je n'ai pas été consulté sur le point de savoir s'il aurait mieux valu faire appel au Crédit Lyonnais ou à la Chase Manhattan. Lorsque l'on m'a appris que CIBC était une des premières banques mondiales dans ce type d'opération d'acquisition/fusion, j'ai pensé qu'ils étaient compétents. Les propos que nous tenait l'équipe et M. Mongeau étaient techniquement tout à fait recevables.

M. le Rapporteur : Vous êtes un homme d'affaires. Vous avez décrit tout à l'heure que vous arriviez dans une certaine ambiance.

M. François BACHELET : Cela n'a pas duré.

M. le Rapporteur : Oui, mais vous n'aviez jamais travaillé ainsi chez Air France !

M. François BACHELET : J'ai connu des « charrettes » à Air France, mais pas aussi longues !

M. le Rapporteur : Vous posez-vous la question de savoir quelles sont les motivations de cette banque d'affaires, qui est une grande banque d'affaires canadienne ?

M. François BACHELET : C'est très simple et banal. Elles sont de deux ordres.

Premièrement, la commission. Vous savez qu'une banque d'affaires qui fabrique un dosier de fusion/acquisition est intéressée sur le montant des flux financiers.

Deuxièmement, la perspective d'autres commissions au moment où l'on amène des actionnaires, avec un risque relativement faible puisqu'il n'y a pas d'investissement de la banque. Toutes les banques d'affaires font cela.

M. le Rapporteur : Avez-vous participé à la négociation du contrat ?

M. François BACHELET : Non.

M. le Rapporteur : Avez-vous vu le contrat ?

M. François BACHELET : J'en ai vu des parties, notamment le montant de la commission que l'on a contribué à faire baisser, mais elle restée très importante.

M. le Rapporteur : D'après vos souvenirs, combien était-ce ?

M. François BACHELET : C'était une proportion du flux financier, donc, je ne me rappelle plus de combien, mais cela devait tourner autour de 70 à 80 millions de francs de l'époque.

M. le Rapporteur : Vous qui êtes un homme d'affaires, cela vous a paru un peu élevé?

M. François BACHELET : Cela m'a paru très élevé, mais j'ai appris ensuite que c'étaient les usages. On a négocié autour de 50 millions de francs. C'était inférieur au taux contractuel et habituel. Encore une fois, ces banques fonctionnent sur une proportion des flux financiers qu'elles sont amenées à gérer ou cogérer. C'est vraiment l'usage du marché.

M. le Rapporteur : Ont-ils, à votre connaissance, apporté un quelconque financier, investisseur ?

M. François BACHELET : Ils ont amené la lettre d'évidence de fonds. Quant aux investisseurs, comme je vous l'ai expliqué, le tapis leur a été retiré de sous les pieds.

M. le Rapporteur : Vous abordez la lettre d'évidence de fonds d'Aurel Leven amenée par CIBC. A votre connaissance, Aurel Leven a-t-il apporté ce qu'il avait promis d'apporter ?

M. François BACHELET : Tout à fait, ils l'ont signée, donc, on avait la lettre d'évidence des fonds. Cela dépendait de nous. Nous sollicitions ou non le déblocage de ces fonds. Le coût du déblocage était tel que l'on a décidé de ne pas utiliser ces fonds que l'on aurait pu apporter dans la trésorerie. Quand j'ai découvert que, même si l'on n'utilisait pas ces fonds, on devait des sommes considérables à cette entreprise, M. Corbet a décidé de ne pas payer. Il les a menacés d'un procès. Il a transigé autour d'une somme ridiculement faible. Eu égard à ce qui était prévu, ce sont quelques dizaines de milliers de francs.

M. le Rapporteur : Donc, cela a été, au regard du tribunal, un moyen de crédibiliser le plan de reprise alors que l'on savait qu'au fond, Aurel Leven, ce n'était pas sérieux.

M. François BACHELET : C'était très sérieux. C'était sans doute trop coûteux à utiliser. Mais votre propos est juste, je l'adopte, c'est-à-dire que, oui, cela faisait partie du dossier de présentation au tribunal. Dans ce dossier, le fait d'apporter l'évidence au tribunal que des financiers extérieurs apportent des fonds fait partie des arguments que les uns et les autres peuvent amener. Nous étions les seuls à produire une lettre d'évidence de fonds par rapport à nos concurrents. Maintenant, le fait de ne pas avoir utilisé ces fonds était une mesure de gestion.

M. Alain GOURIOU : Ne pensez-vous pas qu'il y a quand même un peu d'insincérité dans cette présentation puisque vous présentez cette lettre en sachant pertinemment que vous ne l'utiliserez pas et que vous ne pouvez même pas l'utiliser, étant donné l'énormité des commissions que cette utilisation supposerait ?

M. François BACHELET : Il y aurait eu insincérité si l'on avait assuré qu'on utiliserait ces fonds, mais comme personne ne nous l'a jamais demandé et, qu'après tout, rien ne nous interdisait de lever ces fonds ou de renégocier les conditions le moment venu, je ne vous suis pas sur le chef d'insincérité. C'était, c'est vrai, une espèce d'artifice de présentation.

Les autres dossiers auraient bien voulu pouvoir amener le même type d'artifice ; dans ce type de présentation, pas grand monde est dupe.

M. le Rapporteur : Mais Auren Leven était le seul apporteur de capitaux, capitaux qu'il n'a jamais apportés pour la raison que vous avez indiquée.

M. François BACHELET : Oui, car nous ne les avons pas levés.

M. le Rapporteur : Concernant la reprise, confirmez-vous l'existence de fortes tensions avec les administrateurs judiciaires et, si oui, pourriez-vous nous préciser quelle était leur nature et cela perturbait-il la gestion de la mise en œuvre du business plan d'Air Lib ?

M. François BACHELET : Je réponds par la fin de votre question, cela n'a pas du tout perturbé la mise en œuvre du business plan. Il y a eu des tensions bien entendu, mais qui sont inhérentes au fonctionnement. Les administrateurs n'ont pas les mêmes objectifs que les gérants de l'entreprise. Pendant les trois ou quatre premières semaines d'existence, après la reprise, nous n'avions pas de compte en banque. Nous étions obligés de passer par des chèques ou des virements des administrateurs judiciaires pour payer les frais courants de fonctionnement de l'entreprise, le kérosène, les chambres d'hôtel pour les équipages, la paie, etc. Comme les administrateurs judiciaires ont pour objectif de maximiser ce qui va revenir aux créanciers lésés par une faillite, ils cherchent à en retenir le plus possible. Dans cette mesure-là, oui, il y a eu tension, mais il n'y a jamais eu de désaccord. Nous parlions très librement avec eux. Ils étaient dans nos locaux.

M. Gilbert GANTIER : Vous venez de dire : « Nous n'avions pas de compte en banque. » Qui est le « nous » et pourquoi ? Air Lib était constitué déjà à ce moment-là.

M. François BACHELET : Non, pas encore en tant que filiale d'Holco. Justement, nous n'existions pas légalement, donc, nous n'avions pas de compte en banque.

M. le Rapporteur : Pourriez-vous nous préciser, puisque vous avez été au cœur du dispositif, dans quel délai ont été mises en œuvre les structures juridiques, c'est-à-dire la holding Holco, la société d'exploitation dont vous avez assuré la présidence du directoire et les 11 filiales, dont la société d'exploitation, de la maison mère Holco ?

M. François BACHELET : Pour l'essentiel dans le courant du mois d'août.

M. le Rapporteur : Après le jugement du tribunal, les structures n'avaient pas été dessinées ?

M. François BACHELET : Elles étaient dessinées, mais elles n'étaient pas créées juridiquement. Je ne pense pas qu'il aurait été possible de le faire avant le jugement. Cela faisait partie du dossier présenté au tribunal. Le schéma d'organisation de l'entreprise était connu, ainsi que le nom des responsables. Il a fallu constituer juridiquement tout cela. Mais même une fois cela constitué, les banques françaises étaient frileuses, on a eu du mal à faire fonctionner des comptes en banque.

M. le Rapporteur : Vous n'avez jamais eu de banquiers ?

M. François BACHELET : Si, plusieurs.

M. le Rapporteur : Ils ne vous ont jamais prêté un sou !

M. François BACHELET : Non ! Quand je parle de « banquiers », je parle de gestionnaires de comptes bancaires, c'est-à-dire le fait de stocker de l'argent quelque part et d'émettre des titres de paiement pour payer des fournisseurs. On n'a jamais eu de bailleurs de fonds, d'investisseurs. On a failli en avoir un après.

M. le Rapporteur : On va en parler tout à l'heure. Donc, on arrive au mois de juillet, décision du tribunal et courant août, on monte les structures juridiques.

Vous avez été associé à la création de la maison mère de la société Holco, puisque vous étiez président du directoire de la filiale d'Holco. Savez-vous comment cela s'est passé, comment on a fixé les rémunérations, comment s'est faite la mise en place des instances chargées de diriger la maison mère, la filiale, etc. ?

M. François BACHELET : Pour la filiale Air Lib, je peux être précis. Pour les instances, ou du moins la holding, c'est très simple, au départ, nous étions trois, le Président Corbet, Alain Bardi et moi. En effet, nous avons délibéré sur deux points. Nous n'avons pas délibéré sur la rémunération du président, cela ne nous regardait pas. En revanche, nous avons participé à la discussion relative aux émoluments d'Alain Bardi et de moi-même ainsi qu'à ce que l'on appelle les « success fee » des différents membres de l'équipe, c'est-à-dire en élargissant à ceux qui ne faisaient pas partie du personnel de la holding Holco mais qui, avaient contribué, depuis le début, de façon bénévole, à la mise au point du dossier de reprise.

En ce qui me concerne - c'était d'ailleurs dans la presse et je pense que vous avez accès aux dossiers fiscaux puisque j'ai déclaré tout cela - j'ai touché à l'époque un success fee de 2,5 millions francs et une rémunération mensuelle qui était équivalente à celle que j'avais à Air France quand j'ai quitté la compagnie, c'est-à-dire 100 000 francs par mois soit 1,2 million de francs par an.

M. le Rapporteur : Vous fixez cela d'après vos souvenirs dès le mois d'août ?

M. François BACHELET : Fin août, au moment où se constituent les filiales.

M. le Rapporteur : Vous avez deux casquettes. Vous êtes directeur général de la société holding. C'est dans ce cadre que vous avez au mois d'août une «  golden Hello » de 380 122 euros plus une rémunération de 100 000 francs par mois qui vous est payée par la holding.

M. François BACHELET : Bien sûr, je suis salarié de la holding.

M. le Rapporteur : Vous avez une deuxième casquette de président du directoire de la filiale d'exploitation. Cela s'est fait tout seul ?

M. François BACHELET : Je suis, en quelque sorte, détaché comme président du directoire de la filiale dans le cadre de mes fonctions.

M. le Rapporteur : Vous n'êtes pas rémunéré par la filiale. C'est uniquement par la holding ?

M. François BACHELET : Tout à fait.

M. le Rapporteur : Quand on vous approche en avril-mai 2001, vous avait-t-on déjà parlé de rémunération ?

M. François BACHELET : Non ! Cela va peut-être vous paraître incroyable, mais cela fait partie de l'ambiance dont je vous ai parlé : une ambiance de gens qui se connaissaient pour la majeure partie d'entre eux, qui, pour beaucoup, devaient penser que l'affaire ne se ferait pas et que le tribunal de commerce déclarerait la liquidation de l'entreprise.

M. le Rapporteur : Avez-vous été surpris de la décision du tribunal de commerce ? Que pensiez-vous la veille ?

M. François BACHELET : Il y a eu un monde de rumeurs totalement contradictoires pendant toute la période. Jusqu'une heure avant la décision du tribunal, tout se disait, tout circulait. Je pense sincèrement que c'était sur le fil du rasoir.

M. le Rapporteur : Si vous aviez dû faire un pari une heure avant la décision du tribunal, quelle aurait été la probabilité pour que vous soyez gagnant ?

M. François BACHELET : 50/50. Ce qui a été déterminant vraisemblablement - mais je n'ai pas eu de confidences des juges - a été le fait que le personnel représenté par son comité d'entreprise ait déclaré être à peu près en accord avec la reprise par Holco, un peu aussi par opposition de cette reprise par son ancien président Marc Rochet. Il y a là du subjectif, bien entendu.

M. le Rapporteur : Vous êtes maintenant président du directoire dans le déroulement de l'histoire. Jean-Charles Corbet ne vous avait pas demandé conseil en disant : « Tu es mon directeur général, je te donne un success fee de 380 000 euros et j'envisage de m'en verser un de 856 000 euros ».

M. François BACHELET : J'ai découvert le chiffre dans la presse.

M. le Rapporteur : Vous ne le saviez pas, il ne vous en a jamais parlé, alors que vous étiez son directeur général ? Cela vous a étonné ?

M. Jean-Jacques DESCAMPS : C'était un success fee correspondant au fait que vous estimiez avoir gagné ?

M. François BACHELET : Oui bien sûr, sinon, il n'y avait rien.

M. Jean-Jacques Descamps : Vous n'aviez pas connaissance de l'ensemble de la masse financière que représentait ce success fee ?

M. François BACHELET : On l'a dit au comité d'entreprise qui nous a posé la question. Le chiffre a été publié, du reste.

M. Jean-Jacques DESCAMPS : Sur quelle règle a-t-il été basé ?

M. François BACHELET : Le chiffre global est une addition.

M. Jean-Jacques DESCAMPS : C'était une addition et non un total que l'on se répartissait ?

M. François BACHELET : Non pas du tout, c'est un résultat.

M. le Rapporteur : Vous avez eu 380 000 euros, 2,5 millions de francs. Ce n'est pas une petite somme. Vous aviez travaillé gratuitement pendant trois mois.

M. François BACHELET : Deux mois et demi.

M. le Rapporteur : Peut-être pas forcément à plein temps, mais parfois 15 heures par jour. Vous n'avez jamais gagné cela à Air France.

M. François BACHELET : En une seule fois, non.

M. le Rapporteur : C'est vous qui l'avez demandé en disant : « On a travaillé comme des "dingues", je demande 2,5 millions de francs » et il vous a dit d'accord ?

M. François BACHELET : On a participé à une réunion dans laquelle étaient fixés les success fees de tous les participants - hors le président, hors l'actionnaire - que ce soit le cabinet Léonzi, le consultant en matière sociale, le consultant Moreau dont j'ai parlé, la banque, M. Bardi ou moi-même, celui qui est devenu un des commissaires aux comptes qui nous assistait sur le plan financier, et d'autres que j'oublie peut-être. Donc, ces success fees de tous ces gens ont été établis en fonction de leur contribution au succès du dossier et de ce qui se pratique dans l'industrie dans des dossiers de ce genre.

M. le Rapporteur : Vous avez demandé 3 millions d'euros et vous avez eu 2,5 millions d'euros ou bien avez-vous demandé 2,5 millions de francs et vous les avez eus ?

M. François BACHELET : J'ai eu ce que je demandais. C'était relativement inférieur à ce que demandaient d'autres membres de l'équipe, ce qui a été discuté.

M. le Rapporteur : Cela ne vous paraît-il pas curieux d'arriver dans une entreprise qui n'a pas un sou de capitaux propres, qui est dans une situation socialement très difficile - il faut licencier 1 400 personnes. Vous disiez vous-même que vous étiez conscient lorsque vous vous êtes embarqué dans cette aventure que vous pouviez peut-être gagner, mais que ce n'était pas sûr. Cela ne vous paraît-il pas curieux d'arriver et de commencer par dire : « On va se récompenser ». Si cela avait été deux ans plus tard, après avoir réussi, avec une entreprise gagnant 30 millions par an, vous auriez pu dire alors que vous en aviez « bavé ». Là, le succès était uniquement le fait que le tribunal de commerce vous ait choisi. Vous aviez réussi à convaincre le tribunal de commerce de vous choisir, mais tout restait à faire.

M. François BACHELET : Je comprends très bien que vous posiez la question, mais il ne faut pas faire d'anachronisme, c'est-à-dire qu'il faut replacer ces considérations au moment où se font les débats. Nous aurions eu ce débat au mois de novembre, deux mois plus tard, sans doute ces sommes n'auraient pas été versées et n'auraient pas été demandées. A l'époque, le business plan s'est déroulé comme nous l'avions à peu près prévu. N'oubliez pas que cette entreprise devait retrouver son équilibre en 2003, tout du moins tel que nous estimions les choses dans le business plan. Nous avions une trésorerie florissante. On était fondé de penser, dans le contexte du mois d'août, que l'on pourrait trouver des investisseurs et que, par conséquent, les questions de fonds propres ne se posaient pas. Voilà le contexte de l'époque.

M. le Rapporteur : Pourriez-vous nous décrire vos fonctions au sein d'Air Lib et d'Holco ? Comment étaient réparties les tâches entre M. Corbet, vous-même et les autres membres de l'équipe ?

M. François BACHELET : Pour ce qui est d'Holco, mes fonctions étaient, en pratique, cantonnées aux fonctions commerciales d'Holco, cela veut dire la négociation d'un certain nombre de contrats entre Holco et sa filiale Air Lib, je pense notamment aux locations d'avions. Pendant que j'étais au directoire d'Air Lib, on n'a pas payé de locations pour les avions dont Holco était propriétaire. On continuait de payer, bien entendu, les loyers des avions qui étaient précédemment déjà loués à des tiers, mais pour ceux dont Holco était propriétaire, nous n'avons pas payé le loyer pendant la période. Le rôle commercial d'Holco était extrêmement limité. L'essentiel du rôle de la holding était de trouver un investisseur.

Si vous me permettez une rapide parenthèse - car je n'étais que collatéral dans ce dossier-là - très rapidement, on a estimé qu'il ne serait pas idiot d'intéresser les collectivités locales des DOM au devenir du transport aérien long courrier d'Air Liberté et d'AOM pour deux raisons principales. La première est que la clientèle de ces îles a horreur du monopole d'Air France, ce que l'on peut comprendre. La deuxième est qu'il y a un réel fonds de commerce de ces deux entreprises dans les DOM français. Il nous paraissait que nous avions là un fonds de commerce utilisable et que, si l'on était convaincant, les collectivités locales pourraient drainer des capitaux qui investiraient dans la nouvelle entreprise que nous voulions créer. L'essentiel du travail au départ de Jean-Charles Corbet a été de rencontrer ces collectivités locales, le secrétaire d'état au tourisme pour monter ce dossier. On a fini par proposer aux collectivités locales de participer au conseil de surveillance, en leur disant, c'était un peu un thème accrocheur : ce sera votre compagnie. Vous contribuerez à sa gestion. Vous saurez ce qui se passe de l'intérieur. Et ainsi, peut-être arrêtera-t-on de dire n'importe quoi sur la réalité ou la non-réalité des tarifs pratiqués.

M. le Rapporteur : Cette idée a-t-elle débouché ?

M. François BACHELET : Elle n'a pas débouché concrètement. Je ne sais pas pourquoi du reste, je suis parti après, mais cette idée a beaucoup avancé. J'ai rencontré - car cela m'intéressait sur le plan commercial et du point de vue du développement d'Air Lib, de son programme, du type d'avion, etc. - des collaborateurs, des responsables politiques des DOM qui n'ont jamais déclaré qu'ils n'étaient pas intéressés par le dossier. Mais effectivement, cela n'a pas débouché concrètement.

M. le Rapporteur : Vous avez participé à la constitution de la société. Quand la délocalisation des avions à l'étranger est-elle intervenue ? Quelle était sa justification ? Etait-ce sous la période sous revue, c'est-à-dire la période pendant laquelle vous avez été président du directoire, puisque vous nous avez dit, qu'au début, c'était la propriété de la holding et que vous avez refusé de payer un loyer, vous les avez mis à disposition gratuitement de la société d'exploitation ? Comment évoluait, après, la localisation des avions qui n'ont plus été sur la holding mais qui ont été mis sur la coopérative Mermoz, située au Pays-Bas, et semble-t-il aussi dans une de ses filiales qui était en Irlande ? Pouvez-vous nous préciser un petit peu si vous avez joué un rôle dans cette affaire ?

M. François BACHELET : Aucun. Dans la mesure où l'on m'assurait que ces avions étaient mis à ma disposition dans les conditions financières que je vous ai indiquées et sans restriction d'exploitation, pour moi, le dossier était neutre ou transparent, il ne m'intéressait pas ou du moins je n'avais pas le temps de m'y intéresser. Je n'ai pas été associé à la création de ces filiales, mais lorsque je l'ai apprise, j'ai posé des questions, notamment au commissaire aux comptes. On m'a répondu et j'ai compris à ce moment-là le bien-fondé de la création de la coopérative Mermoz qui était destinée à abriter une opération complexe centrée sur un GIE fiscal autour de l'achat de deux A340 par un tiers qui serait revendu, pas cher, à Air Lib. Cela m'a paru quelque chose de complètement irréaliste, du ressort de la magie financière. C'est celui qui prête à celui qui prête et à un moment donné il y en a quand même un qui a perdu ce qu'il a prêté. Je n'ai jamais beaucoup adhéré à ce dossier, en tout cas comme source de financement.

Je sais, par ailleurs, que pour monter des opérations d'achat d'avion, il ne suffit pas d'avoir des clients. Il faut avoir un background financier et une assise financière suffisante pour que l'avionneur daigne s'intéresser à votre cas.

M. le Rapporteur : Et sur Mermoz Irlande, vous saviez des choses ? Vous étiez directeur général de la holding et vous ne saviez pas qu'elle était l'organisation juridique du groupe ?

M. François BACHELET : Non. Cela peut vous surprendre, mais je ne connaissais pas les constitutions. Je ne les connaissais pas car on ne m'en parlait pas, non pas parce que j'ai souhaité ne pas le savoir. Quand j'apprenais des choses, je posais des questions dans la mesure où cela interférait avec mes fonctions à Air Lib.

M. le Rapporteur : A qui posiez-vous des questions ?

M. François BACHELET : A M. Corbet.

M. le Rapporteur : M. Corbet était-il bien au courant d'après les réponses qu'il vous faisait ?

M. François BACHELET : Il était au courant.

M. Gilbert GANTIER : Pour Mermoz Irlande, par exemple, vous dites que vous étiez présent mais pas au courant. Il devait quand même bien y avoir quelqu'un pour prendre la décision ; on ne peut pas créer une société ex nihilo, sans qu'il n'y ait un responsable. On le faisait donc en dehors de vous et quelqu'un avait le pouvoir de le faire, sans vous en parler.

M. François BACHELET : Ce quelqu'un possédait 99,99 % du capital. C'était le propriétaire.

M. Gilbert GANTIER : La signature, c'était vous quand même.

M. François BACHELET : Non. Par délégation, seulement dans certains cas, mais la signature appartenait à M. Corbet.

Tout à l'heure, M. le Président m'a posé la question du partage respectif des rôles. Je ne crois pas avoir répondu complètement à la question. A Holco, mon rôle a été « commercial » dans la mesure où il a consisté à régler les rapports contractuels entre Holco et certaines de ses filiales. J'ajoute la filiale maintenance derrière dont je ne me suis pas occupé personnellement, mais dont M. Bardi s'est largement occupé. Une fois que j'ai eu réglé ces problèmes de flotte du point de vue de leur impact financier et de mise à disposition, - il faut aussi récupérer le contexte de l'époque - une fois que le plan social a été « digéré », j'avais de très grosses difficultés commerciales. Imaginez ce que pouvait être la suspicion du marché français vis-à-vis d'une entreprise qui avait déposé son bilan, qui avait arrêté son activité en plein milieu des grandes vacances, laissant des passagers au sol ; vous vous souvenez du scandale provoqué. Il y avait une grande suspicion des agences de voyages qui ne voulaient plus prendre de risque, des banques, des fournisseurs de carburant qui demandaient à être payés à l'avance, des fournisseurs de tous ordres. Pour héberger des passagers à Orly, des passagers en retard et à qui l'on voulait faire servir un sandwich, il fallait payer cash d'avance.

Je mets au premier plan des préoccupations du patron de compagnie aérienne la relation avec l'administration de tutelle. Celle-ci m'appelle un jour en me disant : Votre certificat de navigation se termine ce soir. Il a fallu une séance de nuit... On m'a donné un certificat de trois jours pour me permettre de perfectionner le dossier. Ensuite, ce certificat a été prolongé. Sur le simple plan opérationnel, avec un certificat de trois jours, vous ne pouvez pas faire de planning de vos navigants.

M. Gilbert GANTIER : C'était à quel moment ?

M. François BACHELET : Au mois d'août. Ensuite, il a fallu renégocier la licence, c'est-à-dire donner à la DGAC un dossier financier, économique permettant de justifier qu'elle pouvait, à bon droit, prolonger la licence d'exploitation d'Air Lib, ce qui n'était pas évident. Le commercial, je vous en ai parlé. Constitution d'une équipe : je vous l'ai dit rapidement, il y avait une grosse difficulté à recruter. Il n'y avait pas de directeur des ressources humaines. La moitié de l'équipe d'administration de l'entreprise était partie. Le responsable paie était parti. On a peu à peu remis en place une structure commerciale. J'ai embauché un ancien d'Air France que je connaissais, Guy Lebrault, comme directeur commercial car il connaissait bien le marché algérien, il avait été représentant en Algérie pendant quatre ans et on avait en tête l'ouverture d'Alger. En outre, c'était un très bon administrateur. Il a mis en place une structure commerciale. On a redémarré le marketing. Il fallait tout redémarrer dans cette entreprise.

Sur le plan de la maintenance, l'administration de tutelle était extrêmement tatillonne, et on la comprend. Il ne s'agissait pas que l'on puisse la montrer du doigt en lui disant ensuite qu'elle avait fait preuve de laxisme si un accident survenait. C'était très difficile. Socialement, imaginez des entreprises chahutées dont on avait arrêté le processus de fusion, dont les personnels n'étaient pas sûrs de leur statut. C'est vous dire que, finalement pendant ces mois-là, je n'avais pas de temps à consacrer à autre chose que la gestion de l'entreprise de transport aérien. 100 % de mon temps y était consacré. Je m'occupais très peu du reste de l'environnement. Mon interférence avec la holding concernait les appels de fonds. On avait besoin de trésorerie, donc, on avait des réunions fréquentes pour monter des plans de trésorerie et justifier des « descentes » de fonds de la holding vers la filiale qui en avait besoin pour payer ses échéances. L'essentiel de mes rapports avec la holding, était d'ordre financier.

M. le Rapporteur : On a parlé des honoraires versés à CIBC. Y avez-vous joué un petit rôle en tant que directeur général ?

M. François BACHELET : Non. J'ai exprimé ma surprise, mais je n'étais pas le seul. M. Corbet est monté en ligne pour négocier à la baisse la commission de CIBC.

M. Gilbert GANTIER : A-t-il obtenu une baisse ?

M. François BACHELET : Les chiffres restent très importants. De mémoire, c'étaient 20 millions sur 70.

M. le Rapporteur : Il a gagné grosso modo 2 millions de dollars. Cela aurait dû être 9,3 et on est descendu à 7,3.

M. François BACHELET : C'était environ 50 millions de francs de mémoire.

M. le Rapporteur : Avez-vous eu des relations avec la banque Arjil ?

M. François BACHELET : Aucune.

M. le Rapporteur : Mermoz a payé 9,14 millions d'euros au cabinet Plegler et Blach pour le compte d'Holco SAS, donc, de la holding dont vous étiez directeur général, en vue d'assurer le financement d'actions judiciaires contre Swissair. Etiez-vous au courant de cette affaire ? Y avez-vous joué un rôle ?

M. François BACHELET : J'ai fait partie, au moins une fois, d'une délégation qui s'est déplacée à Zurich pour rencontrer le liquidateur judiciaire de Swissair. L'affaire est d'importance. Elle est spécifique au dossier reprise d'Air Lib. Me Yves Léonzi, si vous l'avez auditionné, a dû vous en parler plus savamment que moi car c'est lui qui a trouvé le biais. L'articulation est la suivante.

Lorsque la compagnie aérienne Swissair a déposé son bilan dans les conditions que vous savez, le tribunal suisse n'a pas déclaré en liquidation l'ensemble des sociétés du groupe Swissair. Or, dans le concordat que nous avons signé avec Swissair pour le versement de l'indemnité libératoire, toutes les composantes du groupe Swissair étaient solidaires. C'était seulement le cas pour Air Lib. Dans les autres compagnies, ce n'était pas le cas. Il ne s'en est pas rendu compte tout de suite, mais lorsqu'il s'en est rendu compte, il s'est dit que c'était intéressant. Swissair n'est peut-être plus responsable de ses dettes passées ayant été déclarée en faillite, mais les autres composantes du groupe, qui ne sont pas liquidées, sont solidaires. C'est l'essence du dossier qui est lourd et suffisamment important pour que des banques à l'époque aient approché Holco, pour nous offrir de racheter la créance sur Swissair.

M. le Rapporteur : Vous vous souvenez de la somme ?

M. François BACHELET : C'était de l'ordre de 300 millions de francs.

M. le Rapporteur : Vous avez 400 et ils voulaient racheter 300.

M. François BACHELET : Oui, je ne vous parle pas du précepte de 2 millions de francs qui était demandé.

M. le Rapporteur : On est à quelle époque ?

M. François BACHELET : En novembre, à peu près.

M. le Rapporteur : Donc, vous êtes encore directeur général.

M. François BACHELET : Oui. Je suis allé à Zurich.

M. le Rapporteur : Aviez-vous déjà vu dans votre vie d'homme d'affaires une entreprise verser 9,14 millions d'euros à un cabinet d'avocats payés cash pour assurer sa défense aussi longtemps qu'il faudra ?

M. François BACHELET : Je ne l'ai jamais vu, mais je n'ai jamais eu à traiter ce genre de dossier, donc, je ne suis pas compétent pour vous répondre. Cela semble en effet important, mais je manque de références.

M. le Rapporteur : En tant que directeur général, vous n'avez pas dit : Quelle somme !

M. François BACHELET : Je préférerais avoir cela dans ma trésorerie.

M. le Rapporteur : Et s'ils nous défendent mal, comment va-t-on récupérer, on versera au fur et à mesure, sur présentation ?

M. François BACHELET : Je ne l'ai pas su d'emblée. D'une façon générale, mon rôle était d'attirer vers la trésorerie d'Air Lib un maximum de finances qui étaient sur les comptes d'Holco.

M. le Rapporteur : Pendant la période, avez-vous vu le cabinet Plegler en tant que directeur général, vous avez eu des comptes rendus ?

M. François BACHELET : Dans la réalité de mon travail, j'étais vraiment à 100 % accaparé par la gestion de la compagnie d'exploitation, donc, je ne m'occupais pas de ces dossiers qui étaient un peu le domaine réservé du président et de Me Léonzi.

M. le Rapporteur : A partir d'octobre, novembre, la compagnie cesse de payer toute une partie de ses redevances aéroportuaires, de ses taxes. Vous étiez directeur général, donc, vous étiez au courant ?

M. François BACHELET : Là, c'est moi.

M. le Rapporteur : C'est vous qui avez dit : « On ne peut plus, on ne paye plus. »

M. François BACHELET : Vous faites allusion à Aéroports de Paris (ADP) d'une part et à un certain nombre de charges sociales et fiscales. Les deux dossiers sont très largement séparés.

Pour ce qui est d'ADP, il y a eu un dossier âpre que nous avons découvert de façon assez peu courtoise de la part d'ADP, que l'on rencontrait de façon courtoise par contre et opérationnelle régulièrement, dans la mesure où l'on a appris leur désaccord avec notre position quand ils ont commencé à nous saisir des avions opérationnels. On a provoqué une réunion technique. On a vu le président Cousquer et son état-major. Ils nous ont dit qu'on leur devait de l'argent. En effet, on a découvert qu'ils prétendaient que nous leur devions des redevances assujetties au matricule des avions pour des périodes antérieures au dépôt de bilan d'AOM-Air Liberté. On leur a dit de s'adresser au liquidateur judiciaire et que l'on n'était pas concerné. ADP a eu un raisonnement juridiquement fondé disant : tout ce que l'on connaît, ce sont les matricules des avions. Si vous ne nous payez pas les redevances dues pour ces avions, ces avions ne voleront pas. Il est vrai que ce n'est pas Air Lib qui nous les doit , mais le propriétaire des avions. Mais vous nous payez d'abord, ainsi les avions peuvent voler et, ensuite, vous vous retournez vers le bailleur de ces aéronefs qui vous remboursera. Cela a été une partie de bras de fer assez importante. Ils nous ont fait une ou deux saisies d'avions. J'ai sollicité l'appui de l'autorité de tutelle et cela s'est mal fini pour le directeur général d'ADP.

M. le Rapporteur : Cela s'est mal fini, c'est-à-dire ?

M. François BACHELET : Il a été prié de quitter ses fonctions.

M. le Rapporteur : A cause de cela ?

M. François BACHELET : Vraisemblablement. Il a contrevenu à une directive de son ministre. Je n'étais pas dans le bureau quand cela s'est produit.

M. Gilbert Gantier: C'est en novembre-décembre.

M. François BACHELET : On est, certes, à une période critique sur le plan de la trésorerie. Mais là, ce n'était pas pour faire de la trésorerie. On était naïvement, candidement indigné que l'on ose nous prélever des sommes pour des actions antérieures au dépôt de bilan précédant la reprise.

M. le Rapporteur : Avez-vous eu copie de la lettre du ministre au président d'Aéroports de Paris lui demandant de ne plus saisir vos avions ?

M. François BACHELET : Je ne pense pas qu'il ait écrit.

M. le Rapporteur : Si, il a écrit.

M. François BACHELET : Je n'ai pas eu de copie.

Ce n'est pas pour faire de la trésorerie, mais pour défendre bec et ongles et de bonne foi, même si c'est à tort, comme je l'ai su après une analyse juridique. Ils sont fondés juridiquement, même si l'on peut penser qu'ils auraient pu nous proposer des transactions, des étalements dans le temps. Par contre, pour de la trésorerie, on a négocié avec les ASSEDIC.

M. le Rapporteur : Vous payez jusqu'à fin octobre TTC et après, il y un problème fiscal. Pourriez-vous nous dire un petit mot sur l'aspect fiscal ?

M. François BACHELET : Je n'ai pas traité ces dossiers. Je ne sais pas ce qui nous amenait à leur payer cela hors taxe plutôt que TTC.

M. le Rapporteur : C'était le critère des 80 %. 80 % du trafic est-il à l'extérieur ou non ?

M. François BACHELET : Tout dépend si l'on parle en passagers-kilomètres. En passagers-kilomètres, ce doit être vrai. En nombre de passagers, c'est certainement faux. Sur les autres, c'est un problème banal auquel ont recours nombre d'entreprises ou du moins essayent-elles. Il s'agit de négocier avec l'administration un report de paiement de charges. On est allé négocier à Nantes en leur disant : on est en difficulté de trésorerie aujourd'hui. Voilà la réactualisation de notre business plan. Cela doit se passer fin novembre, début décembre, dans la mesure, où à ce moment-là on a mis au point un plan d'adaptation à la conjoncture pour la continuité de l'exploitation. Je vous en reparlerai tout à l'heure. Vraisemblablement, vous allez me demander pourquoi j'ai quitté cette magnifique entreprise.

M. le Rapporteur : Nous allons y venir.

M. François BACHELET : On a essayé de faire feu de tout bois et de trouver auprès de l'administration une oreille compatissante qui accepte de reporter de six mois le paiement d'un certain nombre de charges sociales. On a dû faire la même chose avec la DGAC.

M. le Rapporteur : On est en octobre, novembre ? Vous avez cessé à partir d'octobre de payer vos cotisations sociales ?

M. François BACHELET : On a l'autorisation de l'administration.

M. le Rapporteur : C'est-à-dire de l'URSSAF et ASSEDIC ?

M. François BACHELET : URSSAF oui et ASSEDIC sans doute. Je n'ai plus le détail en tête, mais si l'on a cessé le paiement, c'est avec leur autorisation et sur la base d'un business plan promettant la reprise des paiements et le remboursement au mois de juillet 2002.

M. le Rapporteur : Donc, il y a suspension jusqu'en juillet 2002 du paiement des cotisations sociales, mais avec reprise à compter de juillet 2002. C'est signé, y a-t-il un accord ?

M. François BACHELET : Oui. C'est difficile de le faire de façon sauvage !

M. le Rapporteur : Sur cette période qui va de juillet 2001 jusqu'à votre démission, sur laquelle on va revenir, en février 2002, le 15 février puisque vous quittez l'entreprise.

M. François BACHELET : Je quitte administrativement l'entreprise, mais je cesse mes fonctions de président du directoire le 31 décembre.

M. le Rapporteur : Quelles ont été, d'après ce que vous avez su, les influences des autorités politiques sur le dossier Air Liberté ? A votre connaissance, y a-t-il eu des pressions sur le tribunal pour essayer d'aboutir à telle ou telle solution ?

M. François BACHELET : A ma connaissance, non, et cela me paraît peu vraisemblable.

M. le Rapporteur : Vous nous avez parlé d'une intervention sur le problème des avions. Y en a-t-il eu d'autres ?

M. François BACHELET : Il y en a eu d'autres, dans l'autre sens. Vers le 15 octobre, j'ai estimé que l'affaire n'était plus viable. Je l'ai écrit au cabinet du ministre en lui disant qu'il me paraissait invraisemblable que l'on puisse trouver des fonds propres supplémentaires pour faire face à la carence de Swissair et que, dans le contexte du transport aérien tel qu'on le vivait, le business plan sans financement était irréaliste. Je suggérais, de façon non étudiée, l'arrêt de l'activité. On avait encore de la trésorerie, donc, on ne pouvait pas déposer le bilan, mais on pouvait très bien décider d'arrêter l'activité et d'abonder un plan social avec le reste de trésorerie pour distribuer au personnel ce qui aurait été sauvé du désastre de Swissair.

M. le Rapporteur : Pourriez-vous nous communiquer cette lettre ?

M. François BACHELET : Non, je ne l'ai pas.

M. le Rapporteur : Vous en avez bien une copie ?

M. François BACHELET : Je n'ai pas copie de cette lettre. Je me souviens de l'avoir écrite car cela me semblait être de mon devoir d'éclairer le cabinet.

M. le Rapporteur : Vous n'avez pas gardé un double de votre lettre ? A qui était-elle adressée ? A M. Gayssot ? A l'aviation civile, au DGAC ?

M. François BACHELET : Au directeur du cabinet, M. Ricono.

M. le Rapporteur : Il ne nous en a pas parlé.

M. François BACHELET : Il ne l'avait peut-être pas en mémoire. Il avait beaucoup de papiers à traiter.

M. le Rapporteur : Vous l'avez faite en liaison avec M. Corbet ou de votre propre chef ?

M. François BACHELET : Bien sûr, j'ai prévenu M. Corbet et la DGAC.

M. le Rapporteur : C'était cosigné de M. Corbet ?

M. François BACHELET : Non, pas du tout. J'ai simplement dit à M. Corbet que j'avais écrit cela car j'estimais que, dorénavant, cette entreprise n'était plus viable.

M. le Rapporteur : Il vous a répondu ? Il vous a appelé ? Il n'a pas demandé à vous voir ?

M. François BACHELET : Non. Après, je n'ai plus jamais eu de contact avec le directeur du cabinet.

M. le Rapporteur : Maintenant, on approche de l'échéance de votre départ puisque juridiquement vous partez le 15 février 2002, mais en fait vous avez quitté fin décembre.

M. François BACHELET : J'ai démissionné le 15 décembre. Ma lettre de démission à M. Corbet est du 15 décembre.

M. le Rapporteur : Avez-vous gardé un double de votre lettre de démission ?

M. François BACHELET : Peut-être, oui.

M. le Rapporteur : Pourriez-vous nous la transmettre ?

M. François BACHELET : Si je la retrouve, je vous l'envoie.

M. le Rapporteur : Pourriez-vous nous dire, par écrit, un peu d'après vos souvenirs, ce que vous avez mis dans votre lettre du 15 octobre adressée au directeur du cabinet du ministre des transports et s'il y a eu une réponse ?

M. François BACHELET : Il n'y a pas eu de réponse, je suis formel, ni écrite, ni orale. Je peux vous donner la teneur de cette lettre.

M. le Rapporteur : Oui, par écrit, pour notre dossier. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi vous démissionnez le 15 décembre ?

M. François BACHELET : En substance, je viens de vous le dire. A partir de mi-octobre, lorsque je prends cette position vis-à-vis de l'administration car j'estimais devoir le faire, les réunions formelles ou informelles avec le conseil de surveillance se sont multipliées pour décider du bien-fondé ou non du dépôt de bilan. On a commencé à préparer le dépôt de bilan sur le plan comptable et on a fait toutes les opérations préalables. Il y avait des « happenings » permanents dans ce domaine. On me promettait, pour les jours à venir, un chèque.

M. Gilbert Gantier : Un chèque de qui ?

M. François BACHELET : Ce n'était jamais précisé, des investisseurs, mettons Khalifa.

M. le Rapporteur : On ne vous a jamais dit de qui il pouvait s'agir ? Car il faut quelqu'un pour signer un chèque. Vous êtes un homme d'affaires, vous n'êtes pas tout à fait naïf.

M. François BACHELET : Je demandais. De toute façon, l'actionnaire descendait des fonds pour la continuation, à court terme, de l'entreprise. Je disais attention, voilà le plan de trésorerie, voilà quand on va commencer à ne pas pouvoir assurer la paie, mais c'était avec du préavis. Si je fais référence à des réunions du mois de novembre, ce n'était pas avant la fin décembre que nous devenions « sécants ». Ma principale préoccupation était de pouvoir assurer la paie d'un mois avant d'interrompre l'activité ou de déposer le bilan. Ce n'est pas parfait comme comportement mais, en même temps, je me le remémore et je me l'explique, on a toujours le sentiment de dire que l'on va laisser une dernière chance. C'est ce phénomène du dernier coup. Le 15 décembre, j'ai dit que cela suffisait, je m'en vais.

M. le Rapporteur : Votre départ s'est-il mal passé avec lui ?

M. François BACHELET : Absolument pas. Nous étions en désaccord sur l'opportunité de continuer ou pas l'exploitation de ces entreprises. Je comprenais les motivations de M. Corbet qui étaient de dire que, tant qu'il reste un souffle de vie, on n'a pas le droit de « débrancher », il y a 3 000 personnes à la clé. C'étaient des réalités que l'on touchait du doigt. Il y avait à la fois la tentation technique d'arrêter et la tentation de dire que l'on essaie encore un petit peu.

Il faut dire aussi que la transformation de la structure juridique de l'entreprise a été faite lorsque M. Corbet a compris que j'avais la prérogative, sans avoir besoin de son accord, de déposer le bilan. Vite, on a supprimé le président du directoire pour éviter qu'il ne lui vienne une idée saugrenue. J'avais pris rendez-vous avec le tribunal de commerce le 2 ou 3 janvier. Donc, on a transformé la structure juridique de l'entreprise pour être bien sûr qu'un président de directoire ne prendrait pas des initiatives.

M. le Rapporteur : Quand a-t-on supprimé le directoire et le conseil de surveillance ?

M. François BACHELET : Dans la deuxième quinzaine de décembre, formellement.

M. le Rapporteur : Vous auriez pu anticiper...

M. François BACHELET : Je ne pouvais pas déposer le bilan tant que j'avais de la trésorerie. Tant qu'une entreprise n'a pas de dette, peut payer ses fournisseurs, elle n'a pas le droit de déposer le bilan. J'aurais pu arrêter l'entreprise.

M. le Rapporteur : Juridiquement, on peut déposer le bilan, ce n'est pas parce que l'on a encore de l'argent dans les caisses.

M. François BACHELET : On peut arrêter l'activité.

M. Jean-Yves LE BOUILLONNEC : Il faut justifier de cessation irrémédiable.

M. le Rapporteur : Il était prévu, puisque M. Bachelet nous dit que toutes les prévisions lui montraient qu'ils ne passaient pas janvier.

Mme Arlette GROSSKOST : La définition de la cessation de paiement, c'est lorsque le passif exigible est supérieur à l'actif disponible.

M. François BACHELET : Ce n'était pas le cas.

M. le Rapporteur : On savait qu'un mois et demi plus tard c'était le cas. Donc, on peut à ce moment-là prendre rendez-vous avec le président du tribunal.

M. François BACHELET : C'est ce que j'ai fait.

M. le Rapporteur : C'est possible, certains le font.

Mme Arlette GROSSKOST : Le passif était largement supérieur. Les créances dues sur l'Etat et autres ne sont-elles pas des passifs exigibles ?

M. François BACHELET : Les créances dues sur l'Etat sont nées ultérieurement.

Elles n'étaient pas exigibles et les créances sur l'Etat en 2001 se résumaient à deux mois de cotisations URSSAF et ASSEDIC.

M. le Rapporteur : Donc, vous pouvez nous confirmer que vous aviez pris rendez-vous avec le président Rousselin ?

M. François BACHELET : Oui.

M. le Rapporteur : Il faudrait réinterroger le président Rousselin. Il faut que nous relisions ses déclarations car, de mémoire, il ne nous a pas parlé de cet épisode. Pouvez-vous aussi nous le mettre par écrit en essayant de retrouver la date qui était déjà fixée, puisque vous nous avez dit que c'était le 2 ou 3 janvier ?

M. François BACHELET : C'était au tout début de l'année 2002 pour acter ce que j'estimais devenir nécessaire.

M. le Rapporteur : Avez-vous écrit que vous souhaitiez un rendez-vous ou était-ce oral ?

M. François BACHELET : Cela n'a pas été écrit. Je vais récolter mes souvenirs et vous les mettre par écrit.

M. le Rapporteur : Quelle appréciation portez-vous sur les qualités de manager de M. Corbet ? On a commencé un peu à en parler en début d'entretien.

M. François BACHELET : J'étais le manager de l'opération. Je n'avais pas à apprécier ses qualités de manager. J'avais été très clair en disant que je n'étais pas là pour être la doublure, mais pour exercer la réalité de la présidence du directoire, ce que j'ai fait. Donc, je n'avais pas d'interférence sur le plan du management avec Jean-Charles Corbet. Je l'ai vu avec énergie et efficacité faire ce « labourage », si j'ose dire, du terreau des collectivités locales dans les DOM pour essayer de les intéresser à leur implication dans l'entreprise.

M. le Rapporteur : Il est intéressant de labourer pour semer et récolter, mais d'après ce que vous nous avez dit, il n'y a jamais eu de récoltes.

M. François BACHELET : Vous êtes sans doute beaucoup mieux placé que moi pour savoir que ces démarches sont extrêmement lentes. Mobiliser l'intérêt et le financement de collectivités locales, lorsque l'on n'est pas soi-même du sérail, c'est difficile.

M. le Rapporteur : Cela dépend. Il y a quelques exceptions. Connaissez-vous Christian Paris ? Pouvez-vous nous dire quel rôle il a joué durant cette période qui commence à votre arrivée dans l'équipe informelle, donc, en avril mai 2001 jusqu'à votre départ en décembre 2001 ?

M. François BACHELET : Tout le monde connaît Christian Paris, on l'a vu beaucoup à la télévision, en grand uniforme de la flotte. Je l'ai vu apparaître fin août, pas avant. Christian Paris est un ami d'études de Jean-Charles Corbet. Il s'agit donc de deux hommes qui se connaissent très bien. Il avait la réputation d'être compétent en matière de communication. Une de mes surprises - car je n'avais vraiment aucune expérience professionnelle dans ce domaine -a été la gestion de la communication avec les médias où l'on a très vite fait de déraper, de dire des bêtises sous la pression. J'ai été estomaqué par cela. J'ai dû commettre des interviews imprécises. Cela l'avait frappé et il m'en a parlé. Je lui ai demandé s'il pouvait nous aider à mettre en place une structure de communication qui ensuite a englobé la communication interne à l'entreprise qui était assez largement défaillante aussi, en tout cas qu'il fallait restructurer, à qui il fallait donner une structure. Il y avait une équipe au sein d'Air Lib dont c'était le métier. Lui, était un peu le mentor technique. Il nous disait ce qu'il fallait éviter de faire, ordonner, c'était les conseils de quelqu'un ayant une expérience personnelle. Je l'ai sollicité à titre bénévole, personnellement, pour qu'il le fasse. Il l'a fait de façon discontinue car il est commandant de bord et l'est toujours à Air France et il a d'autres fonctions dans cette entreprise, donc, il passait, de temps en temps, sans rendez-vous. Ou, au téléphone, on pouvait disserter et discuter de l'opportunité de présenter de telle ou telle manière. Son aide était technique et, me concernant, bienvenue.

M. le Rapporteur : Vous nous avez dit que vous étiez à la retraite d'Air France. Depuis combien de temps étiez-vous à la retraite quand on vient vous solliciter ?

M. François BACHELET : Depuis le 1er août 2000.

M. le Rapporteur : Donc, cela faisait un peu moins d'un an. N'y avait-il pas un problème juridique, vu la proximité entre votre départ à la retraite, à reprendre une activité ? Il n'y a pas de clause dans le statut d'Air France ?

M. François BACHELET : Si, une clause de non-concurrence. Avant d'accepter, j'ai pris contact avec le président Spinetta.

M. le Rapporteur : Que vous a-t-il dit ?

M. François BACHELET : Qu'il n'y avait pas de problème.

M. le Rapporteur : Vous a-t-il encouragé, a-t-il été neutre, vous a-t-il découragé ?

M. François BACHELET : Connaissez-vous le président Spinetta ? C'est un personnage un peu énigmatique. S'il avait voulu me dire non, il l'aurait dit de façon très claire. Il m'a clairement laissé entendre que cela ne le gênait pas, et il ne demandait pas à ce que je lui rende compte, que je n'étais pas un homme de main ou un sous-marin. Il m'a dit que cela ne posait pas de problème.

M. le Rapporteur : Cela s'est fait par écrit ?

M. François BACHELET : Oui, il y a eu des écrits qui sont dans le dossier de reprise. Dans la mesure où Air France, en la personne du président Spinetta et du directeur général d'Air France, M. Gourgeon, ont accepté le principe, que nous avons dû négocier âprement par la suite, d'un accord de code share avec Air Lib pour pouvoir nous permettre de développer. Une grosse aide...

M. le Rapporteur : Oui mais vous concernant, vous avez saisi par écrit et pas simplement par un entretien ?

M. François BACHELET : C'était au téléphone.

Mme Arlette Grosskost : La levée de la clause de non-concurrence a-t-elle été faite par écrit ?

M. François BACHELET : Elle ne s'appliquait pas. On n'était pas une entreprise concurrente d'Air France. La preuve est qu'il y avait un accord de code share.

M. le Rapporteur : Dans le statut d'Air France, un retraité a le droit de retravailler, sans accord de sa maison mère ?

M. François BACHELET : Le statut d'Air France prévoit le cas du salarié d'Air France qui désire exercer une activité supplémentaire. C'est prévu par le statut.

M. le Rapporteur : Oui, mais le retraité ?

M. François BACHELET : Je ne connais pas de clause.

M. le Rapporteur : Vous avez eu un entretien téléphonique ?

M. François BACHELET : Oui, tout à fait. J'avais été un de ses proches collaborateurs et au moins par courtoisie je me devais de le faire et je voulais m'assurer que, pour des raisons que j'aurais ignorées, ce n'était pas une entreprise qui, à ses yeux, était nuisible à Air France. Je m'en suis assuré. Il m'a dit qu'il n'y avait pas de problème.

M. Gilbert GANTIER : Sur les relations entre Air Lib et Air France, un certain nombre de questions se posent. Vous avez dit que vous étiez à la retraite, que vous avez téléphoné à M. Spinetta qui vous a autorisé à exercer les fonctions qui ont été les vôtres. On parlait, il y a un instant, de Christian Paris qui était, en quelque sorte, le directeur des relations publiques.

M. François BACHELET : Absolument pas.

M. Gilbert GANTIER : Il donnait des conseils bénévolement ?

M. François BACHELET : A titre bénévole et sporadique, sur son temps libre.

M. Gilbert GANTIER : Il était, et il est toujours salarié d'Air France. D'un point de vue déontologique, cela vous paraît normal ?

M. le Rapporteur : Je poserais peut-être encore plus précisément la question. M. Paris était pilote salarié d'Air France, administrateur d'Air France et il l'est toujours, et président du Fonds Concorde d'une partie des actionnaires pilotes d'Air France. Nous avons posé la question à M. Paris en lui demandant s'il avait saisi sa hiérarchie, c'est-à-dire son président ou son directeur général, d'une autorisation pour dire qu'il était conseillé informel en demandant s'il n'y avait pas d'inconvénient. Vous en a-t-il parlé ?

M. François BACHELET : Non, pas de cela. Pas du tout.

M. le Rapporteur : Vous êtes aussi un ancien d'Air France, donc, vous connaissiez le statut et les clauses du statut d'Air France. Cela ne vous choque pas de solliciter un administrateur d'Air France pour avoir des conseils sur la gestion ?

M. François BACHELET : Vous avez l'air de sous-entendre qu'Air Lib était une entreprise concurrente d'Air France. Je prétends que c'est tout à fait le contraire. Le rôle de M. Paris dans cette affaire se limitait à des conseils personnels pour gérer la pratique de la communication dans cette entreprise. De toute façon, nous aurions communiqué. Il ne nous disait pas ce qu'il fallait dire, il nous disait comment le dire.

M. le Rapporteur : Subtil distinguo.

M. François BACHELET : C'est d'importance.

M. Gilbert GANTIER : Vous venez de dire qu'Air Lib n'était pas concurrent d'Air France. Mais tout à l'heure, vous avez dit que, quand Air Lib voulait exploiter des lignes vers les Caraïbes, par exemple, ce marché s'ouvrait car les gens des Caraïbes ne voulaient plus supporter le monopole d'Air France. Donc, il y avait là une action contre les intérêts d'Air France. Quand vous êtes monopoleur sur une ligne, allez-vous aider quelqu'un qui va vous empêcher de continuer à exercer votre monopole ?

M. François BACHELET : Le dossier du monopole sur les Antilles est un vieux dossier. Je vais le résumer d'une façon sophistiquée. Pendant longtemps, Air France s'est demandé ce qui fait que Lufthansa fonctionne mieux que lui et dans beaucoup de domaines. Une des conclusions était qu'ils avaient la chance de ne pas avoir de domaine réservé ex-colonial ou néo-colonial car cela vous endort sur le plan de la concurrence, cela vous met en dehors du réflexe managérial classique et c'est un peu l'or des espagnols, en quelque sorte. Ils en sont morts. Un président de la classe et de la dimension de M. Spinetta pouvait très bien comprendre que c'était, au contraire, l'intérêt d'Air France que de voir des concurrents de sa même nature, c'est-à-dire pas des massacreurs de tarifs - que nous n'étions pas, ne serait-ce que parce que nous n'avions pas les moyens de le faire, mais aussi parce que ce n'était pas notre philosophie - donc, de voir Air Lib, qui exploitait déjà ces lignes, pouvoir les exploiter aussi au départ de Charles de Gaulle. Et c'est là que s'exerçait l'accord de code share avec Air France qui nous aidait beaucoup car nous n'avions pas le réseau commercial nous permettant de remplir des avions au départ de Charles de Gaulle.

Il en était tout à fait autrement lorsqu'au hasard d'une conversation certains irréalistes d'Air Lib s'étaient dit qu'il serait intéressant d'ouvrir des lignes sur l'Afrique occidentale, francophone où Air France a été aussi en monopole et l'est encore à certains égards. Là, « bec et ongles », il n'était pas question qu'Air Lib mette le bout du nez dans un secteur hautement rentable pour l'entreprise Air France. Mais c'était différent pour les Caraïbes qui ne sont pas un marché rentable pour Air France, qui sont au contraire un secteur détrimental à un développement puissant d'Air France sur le marché international.

M. le Rapporteur : Vous avez donc été cinq mois officiellement dans la structure Holco et dans la société d'exploitation comme directeur général, d'une part, et comme président du directoire, d'autre part. Vous avez touché 3 millions en cinq mois. Vous ne trouvez pas que c'est très élevé ?

M. François BACHELET : Si, mais ce n'était pas prévu de durer peu à ce stade. A mon âge, je n'envisageais pas une carrière de 20 ans, mais certainement pas de cinq mois.

M. le Rapporteur : Vous n'aviez jamais été aussi bien rémunéré de votre vie ?

M. François BACHELET : C'est vrai.

M. le Rapporteur : Je connais un peu Air France puisque je l'ai contrôlé.

M. François BACHELET : Sur le plan de la rémunération, j'avais la même qu'à Air France.

M. le Rapporteur : Avant de partir, avez-vous envoyé une lettre à M. Corbet pour lui expliquer que ne pas déposer le bilan, comme vous vouliez le faire, était une énorme erreur, puisque c'était votre position.

M. François BACHELET : Ce que j'ai écrit à M. Corbet -  et nous avons écrit, M. Bardi et moi la même lettre - c'est qu'il nous paraissait dorénavant complètement impossible de pouvoir acquérir les fonds propres - et je parlais de vrais fonds propres, non pas de dettes qu'il faut rembourser - nécessaire à la survie de ces entreprises et que par conséquent on remettait notre démission de membres du directoire.

M. le Rapporteur : Vous pourriez nous remettre cette lettre ?

M. François BACHELET : Oui, je l'ai.

M. le Rapporteur : Y a-t-il d'autres documents dont il vous semblerait qu'il soit intéressant que la commission en prenne connaissance ?

M. François BACHELET : L'essentiel est documenté dans le dossier qu'a le liquidateur actuellement, c'est-à-dire les comptes rendus des réunions du directoire et du conseil de surveillance.

M. le Rapporteur : Avez-vous gardé un exemplaire de ces documents ?

M. François BACHELET : Non, mais ils sont enregistrés. C'est dans un livre, c'est officiel. Le liquidateur l'a eu en sa possession.

M. le Rapporteur : Pourriez-vous nous remettre ces documents ?

M. François BACHELET : Oui, je l'ai noté.

M. le Rapporteur : Y a-t-il d'autres éléments que vous voudriez indiquer à la commission ? Il me reste à vous remercier.

Audition de M. Jean-Charles Corbet1
président de la société Holco et ex-président d'Air Lib

Procès-verbal de la séance du mercredi 14 mai 2003

Présidence de M. Patrick Ollier, Président

Le témoin est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, le témoin prête serment.

M. le Président : Nous accueillons aujourd'hui M. Jean-Charles Corbet, président de la société Holco et ancien président de la société Air Lib.

Nous procédons à votre audition après avoir entendu des témoignages de sources diverses, dans un contexte d'auditions fermées à la presse, de délégués syndicaux, de fonctionnaires, d'administrateurs judiciaires, d'avocats, d'experts-comptables, de managers du transport aérien. Au total, depuis le 1er avril, nous avons procédé à trente-cinq auditions qui nous ont permis d'avoir une vision générale du problème qui nous préoccupe.

Jusqu'à présent, nous avons travaillé à huis clos car nous estimions que ces témoins auraient plus de facilité à communiquer des informations et n'avaient pas de fonctions qui justifiaient que leurs propos fussent portés immédiatement à la connaissance du public. Un compte rendu écrit de chacune de ces auditions a été établi et notre commission délibérera, le moment venu, pour décider s'il y a lieu de publier tout ou partie de ces auditions en annexe à notre rapport.

Vous connaissez le thème de notre commission d'enquête qui porte sur la manière dont les fonds publics ont été utilisés à partir d'une certaine période dans l'intérêt des salariés de la société et du bon fonctionnement de l'entreprise et les conditions dans lesquelles le bilan a été déposé.

Nous avons donc décidé d'ouvrir votre audition à la presse car vos responsabilités et le fait que vous ayez eu déjà l'occasion de vous exprimer largement dans les médias font de vous une personnalité publique. Nous appliquerons d'ailleurs le même principe aux auditions de personnalités qui ont exercé des responsabilités ministérielles. Ainsi MM. Fabius, Gayssot, Bussereau et probablement Mer seront auditionnés dans des conditions identiques.

La disparition de votre société est un événement exceptionnellement grave puisqu'elle frappe plus de 3 000 salariés dont la reconversion n'est pas facile compte tenu de la spécificité de leurs métiers et de la crise générale du transport aérien.

Elle signifie aussi sans doute la fin d'une aventure, celle du développement d'un deuxième pôle aérien. Elle a également des conséquences lourdes en termes d'aménagement du territoire et la desserte des collectivités d'Outre-Mer.

L'Etat, pour sa part, n'a pas ménagé sa peine ni ses moyens pour tenter de sauver cette entreprise. Sur le plan financier, l'octroi d'un prêt du FDES et différents moratoires de paiement de charges publiques accordés à la société que vous dirigiez s'élèvent environ à 130 millions d'euros, soit près de 800 millions de francs, ce qui justifie l'objet de notre commission d'enquête.

Nous connaissons votre analyse des causes de cet échec car nous vous avons écouté et nous vous avons lu. Selon vous, elles seraient essentiellement imputables aux conséquences des attentats du 11 septembre et à la défaillance de la compagnie Swissair qui s'était engagée à verser au repreneur d'AOM-Air Liberté une contribution de 198 millions d'euros mais Swissair n'en a effectivement versé que 160, ce qui représentait un déficit d'environ 38 millions d'euros.

Tout en étant tout à fait conscients que ces deux éléments ont pesé lourdement sur la situation de la compagnie, nous voudrions examiner avec vous les autres raisons qui peuvent expliquer ce dénouement.

Si, au terme de cette audition, nous ne vous avions pas posé toutes les questions que nous souhaitons, je vous proposerais de revenir.

Je vais vous poser une première question qui va probablement vous permettre de développer, en une dizaine de minutes, la manière dont vous avez appréhendé le problème de la reprise et de la création d'Air Lib, reprise décidée par le tribunal le 27 juillet 2001.

Ma question porte sur l'une de vos déclarations. Le 23 février 2003, lors du magazine télévisé « Capital », vous avez déclaré à propos de votre projet de reprise des actifs d'AOM-Air Liberté, que vous étiez en «service commandé». Pourquoi avez-vous utilisé cette expression ? Pouvez-vous préciser exactement ce que vous entendiez par là et au bénéfice de qui vous étiez en service commandé ou de quoi ? Plus largement, pouvez-vous à ce propos nous indiquer quelles ont été vos motivations personnelles au moment de la reprise ?

M. Jean-Charles CORBET : Monsieur le Président, merci de me recevoir aujourd'hui dans le cadre de cette commission d'enquête parlementaire.

Avant de commencer, je ferai un propos liminaire très rapide. J'ai été surpris d'apprendre, hier à peine, que mon audition se passerait dans ces conditions, mais après tout, vous l'avez rappelé, je suis un homme public et en tant que tel j'estime intéressant de m'expliquer publiquement devant la chaîne parlementaire, pour apporter le témoignage de l'ancien président d'Air Lib, puisque c'est l'objet même de ma convocation.

Je voudrais aussi faire une petite remarque à propos de la sérénité des débats dont vous avez parlé. Je reprends un article du Figaro paru vendredi qui vous prête ce commentaire à propos de mon audition - « ce sera chaud » - et la présentation faite hier par LCP annonçant que mon audition sera diffusée en direct sur la chaîne parlementaire, de manière à faire monter la pression sur mes épaules. Je tenais à le dire à votre commission. Ce sont des procédés qui ne contribuent pas à la sérénité. Malgré cette pression, je fais confiance à la représentation parlementaire pour faire un travail de commission, et non pas de tribunal, un travail de commission inquisitoire et non pas de tribunal accusatoire.

M. le Président : Je vais vous interrompre tout de suite pour que les choses soient claires. J'admets toutes les déclarations et vous avez le droit de dire ce que vous voulez et nous, nous avons le devoir de l'entendre et de l'enregistrer.

Vous ne pouvez pas dire que vous avez été averti hier seulement des conditions de l'audition. Vous avez été prévenu il y a dix jours par la convocation qui vous a été adressée, vous avez eu au téléphone mon collaborateur ici présent et le cabinet Léonzi a été prévenu il y a dix jours des conditions dans lesquelles l'audition aurait lieu. Vous ne pouvez donc pas dire que vous avez été prévenu hier pour aujourd'hui.

S'agissant de la presse, laissons lui le soin de dire ce qu'elle entend. Pour ma part, je fais état d'une de vos déclarations que vous avez faites dans un magazine télévisé et non d'échos de presse.

S'agissant de la chaîne parlementaire, elle est libre de choisir les conditions dans lesquelles elle filme les débats, sans que j'aie à en juger. Je voulais faire cette mise au point pour que les choses soient claires car je ne tiens pas à ce qu'une quelconque suspicion pèse sur qui que ce soit, au début de cette audition.

M. Jean-Charles CORBET : De manière à ce qu'il n'y ait aucune suspicion et aucun malentendu, je dirai que vous m'avez écouté mais que vous ne m'avez pas entendu. Je ne dis pas ne pas avoir été au courant de la présence de la presse mais de celle de LCP et du mode de transmission par LCP de mon audition.

Vous m'avez demandé ce que j'entendais par l'expression « service commandé ». Je vais essayer de répondre en dix minutes, si je suis trop long vous m'interromprez et nous aurons la possibilité éventuellement d'autres échanges. Je crois qu'il est important de pouvoir expliquer à tout un chacun la chronologie et l'ensemble des raisons.

Le dossier d'AOM-Air Liberté, remonte, en ce qui me concerne, à l'année 1999. J'étais à l'époque président du syndicat national des pilotes de ligne (SNPL) section Air France. A ce titre, ce syndicat faisait, en liaison avec la direction, de la veille concurrentielle. En 1999 déjà, nous voyions poindre à l'horizon les compagnies dites « low cost », c'est-à-dire les compagnies à bas tarifs, qui commençaient à s'installer d'une manière importante sur le territoire britannique et à faire une concurrence forte à British Airways, qui était notre modèle à Air France à l'époque.

AOM et Air Liberté, à l'époque, n'appartenaient pas au même groupe puisqu'Air Liberté appartenait à British Airways et qu'AOM avait appartenu au Crédit lyonnais, puis au CDR, puis à Swissair. Donc mes premières préoccupations, en tant qu'observateur, remontent à cette époque.

Puis à la mi-2000, British Airways a vendu Air Liberté parce qu'elle connaissait un échec dans sa stratégie d'implantation en France. Elle avait voulu également avoir un « hub » en France pour concurrencer Air France, puisqu'elle était limitée à Heathrow. L'idée d'acheter Air Liberté pour se développer à partir de la France pouvait être une bonne idée et Air France avait bien entendu fait ce qu'il fallait pour empêcher un développement de British Airways via Air Liberté.

L'année 2000 est également importante car c'est l'année du développement par Air France de Sky Team. Cela posait un problème à British Airways du fait de son alliance Star avec Continental. Air France s'est proposé de racheter Air Liberté, pour deux raisons : la première, extrêmement importante pour Air France, était que cette acquisition lui aurait permis de mieux maîtriser son marché domestique ; la deuxième était que British Airways, qui éventuellement pouvait rejoindre Sky Team, devait avoir une bonne raison pour entreprendre des discussions avec un tiers ; à défaut, d'après son contrat avec Continental, elle prenait un risque juridique assez lourd. Grâce au projet de rachat d'Air Liberté par Air France, British Airways pouvait entrer en contact avec Air France.

Donc la vente par British Airways à Air France d'Air Liberté pouvait être ce prétexte. A ce titre, en tant que responsable syndical, j'ai eu un certain nombre de discussions confidentielles avec le président d'Air France qui, bien entendu, m'a averti de l'intention d'Air France d'acheter Air Liberté, parce que cela pouvait avoir des incidences pour les pilotes d'Air France. Le projet d'Air France était crédible, intéressant pour l'entreprise et le responsable syndical que j'étais a décidé d'accompagner la démarche d'Air France en approuvant l'achat d'Air Liberté par Air France.

De mon côté, j'avais sondé - d'une manière discrète pour ne pas gêner les intérêts d'Air France - mes collègues syndicaux d'Air Liberté. D'après eux, c'était quelque chose qui pouvait se faire.

Cet achat ne s'est pas fait pour des raisons qui ne sont pas très nettes à mes yeux. Factuellement, la DGCCRF imposait à Air France de rendre environ 120 % des créneaux récupérés chez Air Liberté ; pour Air France l'opération n'était plus intéressante au titre de la protection de son marché domestique. Mais il y a eu également un certain nombre de pressions exercées par MM. Couvelaire et Seillière, qui ont fait qu'Air Liberté est partie dans le giron de Swissair.

Air France n'est pas resté les deux pieds dans le même sabot. Ce qui avait été envisagé pour l'achat d'Air Liberté a été consacré à deux choses : la filialisation de deux compagnies aériennes - Regional Airlines et Brit Air - qui n'étaient que des franchises, et la création du « hub » de Clermont-Ferrand pour se préparer à la concurrence du nouveau pôle AOM-Air Liberté et concurrencer Swissair.

Cette démarche d'Air France a été efficace au-delà de ce qu'Air France imaginait à savoir qu'il lui faudrait de deux ans à deux ans et demi pour mettre Swissair en difficulté. En fait, dès le mois de mars 2001, les compagnies AOM-Air Liberté se sont trouvées en difficulté, ce qui a enclenché le processus de leur cession qui a commencé par une conciliation, puis un dépôt de bilan avec l'évocation et la possibilité d'un plan de continuation, puis une cession après liquidation judiciaire.

En tant que syndicaliste à cette époque, ma position était difficile. D'un côté, je devais prendre en compte la défense des intérêts des pilotes d'Air France pour lesquels la disparition d'AOM-Air Liberté était un plus. Cela permettait à Air France d'asseoir son trafic domestique, éventuellement d'en permettre le développement et la disparition d'un concurrent qui, au moins sur le papier, était dangereux au départ.

D'un autre côté, si j'étais délégué syndical et président du syndicat à Air France, j'étais également membre d'un syndicat national qui a des instances et pour lesquelles l'intérêt des pilotes français en général était également une priorité. J'étais dans le dilemme de la défense d'intérêts corporatistes de pilotes d'une section et d'une compagnie aérienne face à la défense générale des pilotes de ligne français.

Quand je dis défense générale, nous avions en tête à l'époque et nous en discutions dans les instances nationales du SNPL la problématique des retraites et celle de l'emploi. Les caisses de retraite des personnels navigants ont un régime particulier et la disparition brutale de quelque 650 ou 700 pilotes d'AOM Air Liberté et quelque 1 500 ou 2 000 navigants commerciaux posait un vrai problème.

Par ailleurs, Air France avait une stratégie sur deux ans et demi et n'était pas prête à une arrivée massive, en 2001, de compagnies comme EasyJet ou Ryanair.

Début mars 2001, mon collègue Jean Immediato, président de la section syndicale d'Air Liberté, qui n'était pas fusionnée avec AOM, les deux compagnies marchant en parallèle, est venu me voir pour me dire, à l'issue d'un conseil national, qu'ils avaient un vrai problème avec Air Liberté. Ils avaient le sentiment que les compagnies allaient disparaître, que les Suisses, qui les avaient acquises par portage, allaient trouver un moyen de les liquider au mieux de leurs intérêts.

J'ai renvoyé mon collègue dans ses buts en lui disant qu'il aurait fallu se poser la question en 2000 et qu'Air France avait développé une bonne stratégie. Je lui ai demandé ce que je pouvais faire, en lui disant par ailleurs qu'il n'avait pas de preuve formelle que ces compagnies allaient être liquidées et qu'il ne devait pas être défaitiste.

Jean Immediato m'a écouté et a essayé de regarder de son côté. Moi, du mien, j'ai jeté un œil sur les dossiers que nous avions au SNPL et j'ai discuté avec les membres de la direction d'Air France pour évoquer la possibilité d'une disparition d'AOM Air Liberté et la problématique que cela pourrait entraîner.

Le 9 mars, M. Rochet qui avait été mandaté par Swissair pour venir au chevet d'AOM-Air Liberté, a demandé la nomination de conciliateurs pour les entreprises AOM et Air Liberté. Aux yeux de mon collègue Immediato c'était un clignotant rouge qui s'allumait. Il me dit qu'il y avait là un véritable risque. Je lui ai demandé quelle était exactement sa demande et ce que je pouvais faire personnellement. C'était difficile dans ma position. Il me demandait, dans un premier temps, de faire un audit de situation plus précis des compagnies. Un audit de situation demande des moyens. J'ai utilisé, en en parlant à mes instances syndicales, nos moyens pour réaliser cet audit. A la fin du mois de mars, l'étude que j'avais faite montrait que le risque d'une liquidation n'était pas négligeable.

J'en ai alors parlé au président d'Air France, mais pas lors d'un rendez-vous formellement demandé dans ce but. Je le rencontrais très fréquemment dans le cadre de mes fonctions syndicales. J'en ai discuté également avec le ministre de l'époque et son cabinet, en disant qu'il y avait un vrai risque. Si AOM-Air Liberté disparaissait, on allait être confronté à deux problèmes dans le transport aérien. Le premier était un problème d'emploi avec la pérennité de nos caisses de retraite et avec les difficultés inhérentes. Le deuxième était qu'Air France allait peut-être se retrouver dans une situation difficile avec l'arrivée massive de compagnies à bas coûts.

Ces discussions informelles mais importantes ont fait qu'on m'a laissé continuer à surveiller et à regarder ce problème de très près, parce que l'inquiétude était réelle. Le président de la compagnie Air France avait un devoir de veille concurrentielle et d'anticiper tout problème futur. Le ministre de l'époque avait le devoir de regarder en termes de transport aérien français les conséquences que cela pourrait avoir.

A la mi-avril, Jean Immediato m'a demandé d'aller beaucoup plus loin. Ses propres réflexions avaient suivi leur chemin. On a discuté à partir des éléments que je pouvais lui apporter. Il avait la conviction - que j'étais prêt à partager mais que je ne partageais pas encore tout à fait à l'époque - qu'AOM-Air Liberté allait disparaître. Il a eu l'idée, à ce moment-là, de proposer, dans l'hypothèse d'une disparition d'AOM-Air Liberté, d'essayer de monter un projet de reprise de l'entreprise par les salariés, c'est-à-dire un RES.

Un RES n'est pas quelque chose de facile à monter. On en a débattu au conseil national. Après en avoir parlé entre représentants syndicaux des différentes compagnies aériennes, l'idée est apparue acceptable. Elle demandait un certain nombre de moyens parce qu'un RES, c'est une reprise, ce qui suppose un plan d'entreprise, un travail financier pour lequel il faut s'adjoindre des compétences, etc. J'ai continué à faire rapport à mon président d'entreprise et à la tutelle qui a également été avertie par M. Immediato de ce projet de RES. Ma conviction était qu'en cas de disparition d'Air Lib ou de dépôt de bilan, il n'y aurait pas de projet de reprise crédible. L'idée d'un projet alternatif pour éviter la disparition était quelque chose que je n'écartais pas et pour lequel j'ai commencé à m'impliquer d'une manière un peu plus importante.

A cette époque, j'avais dans ma « boîte à outils » un certain nombre de contacts et de relations avec des banques d'affaires et des conseils puisque j'avais mené, entre 1998 et 1999, le projet d'ouverture du capital d'Air France aux pilotes d'Air France ; dans ce cadre, j'avais fait des appels d'offres à différentes banques d'affaires et cabinets de conseils.

Avec l'accord de mes pairs, j'ai utilisé cette boîte à outils pour adjoindre au projet de Jean Immediato un certain nombre de compétences sans lesquelles il était impossible de monter un projet crédible. Au tout début du mois de mai, M. Immédiato m'a demandé officiellement de conduire à ses côtés le projet de reprise d'AOM Air Liberté par les salariés.

C'est à partir de ce moment que je considère avoir été en service commandé. Je me suis décidé après deux discussions. La première s'est déroulée avec mon président d'entreprise auquel j'ai dit que le risque d'une liquidation était réel et auquel j'ai demandé s'il me laissait conduire aux côtés de Jean Immediato un projet de RES. Le statut d'Air France empêche que l'on puisse conduire ce genre de projet sans l'autorisation de sa structure. L'autre discussion s'est déroulée avec ma tutelle à laquelle j'ai expliqué qu'il était important d'avoir un projet alternatif « au cas où ». Dans ces cas-là, c'est toujours comme cela que cela se passe, on vous dit que vous pouvez y aller, mais que si cela se passe mal, on ne vous a rien dit et que vous serez face à vos responsabilités.

Ayant pour ce qui me concerne le sens d'un certain nombre de choses - l'intérêt d'Air France face aux « low costs » et la disparition de quelque 6 000 emplois qui me prenait aux tripes - j'ai accepté de relever cette mission et je l'ai intégrée dans un projet beaucoup plus global. C'est à ce titre que j'ai parlé de service commandé. Je n'ai pas de lettre de mission car cela ne se fait jamais comme ça. Je l'ai fait par conviction personnelle et parce qu'autour de moi, les gens qui avaient conscience de la gravité de la situation pensaient qu'on pouvait le faire.

Ensuite, tout s'est déroulé de la manière prévue par Jean Immediato, c'est-à-dire : dépôt de bilan de l'entreprise qui était en location gérance, changement de tribunal et puis processus judiciaire qui a conduit à ce que mon projet de reprise a été choisi par le tribunal de commerce.

M. le Rapporteur : Comment avez-vous pu concilier votre appartenance au personnel d'Air France comme pilote de ligne jusqu'au 1er septembre 2001 tout en montant, pendant cinq mois, votre projet de reprise ? Pourriez-vous nous préciser, puisque vos déclarations sont restées imprécises, quelles ont été vos relations avec le président ou la direction générale d'Air France pendant cette période ?

M. Jean-Charles CORBET : Un pilote a une obligation réglementaire, qui est de maintenir sa licence en état de vol. Pour cela, il doit effectuer un certain nombre d'heures de vol tous les mois ainsi qu'un certain nombre de décollages et d'atterrissages. Cela pose des problèmes aux cadres navigants qui ont des activités extra-pilotage lourdes et à tous les délégués syndicaux qui ont parfois des activités également très lourdes.

Avant de répondre à votre question, j'illustrerai cela en évoquant la période 1998-1999, quand j'ai participé avec la direction d'Air France à l'élaboration de l'accord global pluriannuel. Nous y passions à peu près quarante à cinquante heures par semaine. Malgré tout, je devais continuer à voler. Les cadres de direction technique ou les représentants syndicaux ont la possibilité de demander, un mois à l'avance, au responsable de l'élaboration de la planification, d'adapter celle-ci en fonction du travail syndical. C'est ainsi que cela s'est passé pour moi pour la période 1998-1999 et également au moment de la reprise. Pendant cette période, j'ai volé au minimum réglementaire, soit environ trente heures de vol par mois dont six décollages et six atterrissages la nuit ou le week-end.

Voilà comment cela s'est passé. Mes relations avec la direction d'Air France consistaient à informer la planification, qui en référait à l'encadrement. Pendant cette période, j'ai continué à avoir des relations normales avec la direction d'Air France et également avec le président Spinetta.

M. le Rapporteur : Vous ne répondez pas aux deux questions que je vous ai posées. La première était la suivante : pour les mois d'avril, mai, juin, juillet, août, vous nous avez expliqué que vous avez constitué une équipe. Cela vous prenait énormément de temps. Alors que vous êtes salarié d'Air France, avez-vous fait le travail normal d'un pilote pendant ces quatre ou cinq mois ou avez-vous été déchargé pour partie de vos obligations ?

M. Jean-Charles CORBET : J'ai fait le travail d'un délégué syndical. Donc j'ai été déchargé car, dans le cadre de ce RES et de ce mandat syndical, j'ai monté le projet de reprise. Air France était au courant et l'avait accepté puisque je travaillais pour éviter le risque que j'ai développé dans ma réponse à la question précédente.

M. le Rapporteur : Oui, mais vous n'étiez pas délégué syndical d'AOM et d'Air Liberté, mais délégué syndical d'Air France. Ma question est très précise. Vous étiez salarié d'Air France.

M. Jean-Charles CORBET : Oui.

M. le Rapporteur : Pendant quatre mois, voire cinq mois -  puisque vous avez été payé normalement jusqu'au 1er septembre - vous a-t-on fait une retenue sur salaire ?

M. Jean-Charles CORBET : J'ai été payé jusqu'à la fin du mois d'août. Les pilotes sont payés avec un mois de retard. J'ai été payé jusqu'à mon activité fin août.

M. le Rapporteur : Le président Spinetta nous a déclaré qu'il vous avait rémunéré jusqu'au 31 août 2001.

M. Jean-Charles CORBET : En septembre, c'était le paiement du mois d'août. On est payé avec un mois de retard. Mon activité s'est arrêtée à Air France à la fin du mois d'août.

M. le Rapporteur : Il nous a déclaré que vous avez cessé d'être rémunéré à compter du 1er septembre.

M. Jean-Charles CORBET : Je vous répète, vous ne voulez pas l'entendre, que les pilotes sont payés avec un mois de retard. Il m'a rémunéré en septembre, sinon cela signifiait qu'il ne m'aurait pas rémunéré en septembre pour mon activité d'août.

M. le Rapporteur : Mais vous étiez encore salarié d'Air France.

M. Jean-Charles CORBET : Oui.

M. le Rapporteur : Si j'ai bien compris, à la première question que je vous ai posée, votre réponse est que vous êtes payé jusqu'au 1er septembre...

M. Jean-Charles CORBET : ... Par Air France, pour conduire une reprise, tout à fait, si c'est ce que vous voulez dire.

M. le Rapporteur : Avez-vous été payé pour procéder à une reprise ?

M. Jean-Charles CORBET : Vous le voyez comme vous le voulez. J'ai développé dans ma réponse à la question précédente qu'avec l'accord bienveillant de ma direction, j'étais autorisé à conduire une reprise. Je continuais à être payé par Air France dans ce cadre. C'est ce que je vous ai dit tout à l'heure et c'est pour cela que je parle, peut-être improprement, de service commandé.

M. le Rapporteur : C'est la deuxième question que je vous ai posée et vous n'y avez toujours pas répondu. Quelles ont été vos relations avec M. Spinetta et/ou la direction générale d'Air France entre le mois de mars jusqu'à la fin du mois d'août ? En d'autres termes, quelle a été la position du président Spinetta ? Vous a-t-il encouragé ou découragé, ou bien est-il resté neutre ? Quelles ont été vos relations avec le président Spinetta et la direction générale d'Air France ?

M. Jean-Charles CORBET : Les mots ont une importance lourde. Le mot encouragé ou découragé a un sens précis. Je pense que c'est au président Spinetta qu'il faudrait poser la question sur le mot encouragé ou découragé.

M. le Président : La question lui a été posée.

M. Jean-Charles CORBET : Je ne vais pas répondre à sa place, mais je vais vous dire ce que, moi, je considère. Quelle valeur donner au mot « encouragé » quand le projet de reprise qui doit s'appuyer sur un programme est construit avec les services d'Air France ?

M. le Rapporteur : Vous confirmez donc ce point.

M. Jean-Charles CORBET : Oui.

M. le Rapporteur : Pouvez-vous nous donner le nom de ceux de la direction d'Air France qui vous ont aidé à élaborer le programme ?

M. Jean-Charles CORBET : Je vous l'indiquerai par écrit car cette audition est publique. Cela pose un problème de confidentialité.

M. le Président : Vous nous transmettrez les noms par écrit. Toutefois, confirmez-vous ce que le Rapporteur a dit ?

M. Jean-Charles CORBET : Oui, je le confirme, mais cela a été fait avec plusieurs repreneurs.

M. le Rapporteur : S'agissant de vos relations avec le président ou la direction générale d'Air France, combien de fois avez-vous vu M. Spinetta et quelle a été sa position à l'égard de vos projets qui ont évolué d'un RES vers une reprise par vous-même ? Combien de fois avez-vous rencontré M. Spinetta ou des responsables de la direction générale d'Air France et quelle a été leur position ? En effet, vous nous avez dit que vous aviez eu deux motivations principales dans ce projet qui était, je vous cite, "de protéger Air France contre le low cost et de protéger l'emploi". Vous n'êtes pas le dirigeant d'Air France, vous n'êtes pas membre de la direction d'Air France. Vous déclarez que vous avez assumé une fonction de protection d'Air France. L'avez-vous fait en accord avec le président Spinetta et encouragé par ce dernier et la direction générale d'Air France ? C'est un point très important.

M. Jean-Charles CORBET : Il et important, pour répondre à votre question, que vous sachiez comment le président Spinetta conçoit la position d'un président d'entreprise vis-à-vis de son syndicat majoritaire, puisque je ne suis pas membre de la direction d'Air France. Pour le président Spinetta - et demandez-lui de vous le confirmer - dans une entreprise de transport aérien, et je partage son point de vue, il y a deux hommes clés : le président de la compagnie aérienne qui gère un environnement et le président du syndicat majoritaire des pilotes.

A partir de là, tout problème lourd pour la compagnie aérienne qui impose au président de trouver un consensus à l'intérieur de l'entreprise, qu'il s'agisse d'un problème entre l'entreprise et son environnement économique ou son environnement social, se traduit par des discussions serrées avec le président du syndicat majoritaire.

C'est à ce titre que le président Spinetta me demandait régulièrement de le rencontrer sur des problèmes stratégiques. Dans la période que vous indiquez, nous avons continué à avoir les mêmes relations à propos de la stratégie d'Air France par rapport à la non-disparition d'AOM-Air Liberté et à propos d'une reprise par les salariés ; puisqu'il s'agissait de cela au départ.

Les compagnies AOM et Air Liberté, tant qu'elles ont été des concurrentes directes, frontales, avec Air France, se sont égarées et ont été mises en difficulté. Il importait donc, et c'était l'objet des relations que nous avons eues, de s'assurer que la reprise telle qu'elle était conçue ne se ferait pas frontalement contre Air France, mais en parallèle avec Air France, de manière à ce que l'intérêt du transport aérien ne soit pas antagoniste avec l'intérêt d'Air France, parce que le président Spinetta est quelqu'un qui est aussi conscient du social.

Dans ce cadre-là, durant ces mois, j'ai eu un certain nombre de discussions avec le président de l'entreprise et certains de ces cadres dont je vous donnerai les noms. Nous avons fait un travail pour l'élaboration d'un programme qui soit en même temps bon pour le transport aérien français et qui ne soit pas antagoniste pour Air France, dont j'étais le deuxième homme clé. C'était aussi mon intérêt, puisque l'intérêt d'Air France, c'était l'intérêt des pilotes.

M. le Rapporteur : Vous n'avez toujours pas répondu à ma question : pendant cette période de quatre mois, vous vous intéressez à l'affaire, vous essayez de monter un RES, puis une autre solution de reprise et, en définitive, vous êtes choisi le 27 juillet comme le repreneur. Le président Spinetta et/ou des membres de la direction générale d'Air France vous ont-ils encouragé ou découragé sur telle ou telle solution, ou sont-ils restés neutres ?

M. Jean-Charles CORBET : Il y a eu encouragement pour que mon projet ne soit pas antagoniste avec Air France. C'est ainsi que, dans le programme, on a abandonné Bordeaux, Marseille, on a établi le principe d'un accord commercial de partage des codes qui mettait Air Lib au départ de Roissy parce que les modules d'Air France étaient trop gros au départ de Roissy et qu'il était préférable d'aller pour Air France à Orly, etc. Il y a donc eu encouragement à ce niveau.

Le président d'Air France me disait qu'avec un RES, j'allais rester président du syndicat national d'Air France. Au départ, c'était cela qui était dans mon esprit.

M. le Rapporteur : Il me semble, et pouvez-vous le confirmer, que par rapport aux éléments de réponse que nous vous donnez, il n'y a jamais d'écrit entre vous et Air France.

M. Jean-Charles CORBET : Si, il y a eu des écrits.

M. le Rapporteur : Des écrits d'encouragement disant que l'on était prêt à mettre à votre disposition les services d'Air France pour élaborer le programme. Y a-t-il eu un texte sur un accord de partage des codes ?

M. Jean-Charles CORBET : Il y a un texte sur le deuxième point.

M. le Rapporteur : Vous ne voulez pas répondre !

M. Jean-Charles CORBET : Mais si ! Je vous ai répondu qu'on avait travaillé avec les services d'Air France. Je vous l'ai dit !

M. le Rapporteur : En termes clairs, cela signifie que vous avez été encouragé puisque le président Spinetta a mis les services d'Air France à votre disposition pendant cette période.

M. Jean-Charles CORBET : Cela, c'est votre appréciation.

M. le Rapporteur : C'est la question que je vous pose.

M. Jean-Charles CORBET : Je réponds factuellement, on a travaillé avec les services d'Air France. A partir de là, vous en déduisez que j'ai été encouragé, mais c'est votre appréciation. Pour moi, on a fait quelque chose qui s'inscrivait dans un processus normal.

M. le Rapporteur : Si je suis le président d'Air France et que je mets à votre disposition pour reprendre un concurrent tout ou partie des moyens de ma compagnie, cela ne veut pas dire que je suis hostile à votre projet de reprise.

M. Jean-Charles CORBET : Tout à fait.

M. le Rapporteur : Vous le confirmez.

M. Jean-Charles CORBET : Le président n'y a jamais été hostile. Si le président d'Air France avait été hostile, il avait les statuts d'Air France à sa disposition. Il m'aurait dit « En application des statuts du personnel navigant technique d'Air France, vous n'avez plus mon autorisation ». C'était aussi simple que cela.

M. le Rapporteur : Certes, mais je vous ai posé la question tout à l'heure : la situation dans laquelle vous vous êtes mis pendant cette période était-elle conforme au statut d'Air France et conforme à votre statut d'administrateur ?

M. Jean-Charles CORBET : Je n'ai jamais été administrateur d'Air France.

M. le Rapporteur : C'était donc en tant que salarié. Saviez-vous que votre situation n'était pas conforme aux statuts ?

M. Jean-Charles CORBET : Bien sûr.

M. le Rapporteur : Avez-vous demandé au président de vous mettre immédiatement en disponibilité pour qu'il n'y ait pas d'incompatibilité entre votre situation de salarié sous statut et les négociations ? Avez-vous eu cette idée ?

M. Jean-Charles CORBET : Non, je n'ai pas eu cette idée. Je n'y ai pas pensé et le président d'Air France non plus.

M. le Président : Le Rapporteur et la commission souhaitent avoir de plus amples informations, car les déclarations recueillies lors d'autres auditions ne sont pas forcément concordantes. L'avez-vous compris ?

M. Jean-Charles CORBET : Oui.

M. le Président : Je voudrais revenir au 27 juillet 2001 qui est la date de la décision du tribunal de commerce de Créteil.

Vous présentez alors un plan de reprise et vous arrivez à convaincre le tribunal de commerce lequel décide de vous retenir parmi plusieurs repreneurs. Je voudrais savoir dans quelles conditions ce plan d'entreprise a été mis en oeuvre, proposé et présenté. En effet, je dispose d'un mémorandum interne en date du 5 mars 2002 consacré au lancement d'Air Lib Express dans lequel il est précisé « les coefficients de remplissage de ces derniers mois démontrent que nous étions en surcapacité sur des lignes essentielles (...) ».

D'après des informations recueillies tout au long de nos auditions, il apparaît que le plan d'entreprise était surdimensionné. Cette déclaration postérieure, ainsi que d'autres en comité d'entreprise d'ailleurs, tend à le confirmer. Le tribunal de commerce indique, dans son délibéré du 27 juillet 2001, qu'hormis la participation financière des actionnaires actuels à hauteur de 1,3 milliard, le projet Holco repose sur l'apport de 80 millions de francs par « capital risqueur » et de 150 millions de francs par la montée en capital des salariés de l'entreprise. Il sera toutefois nécessaire que ces apports de fonds soient réalisés pour que la société soit mieux assise financièrement.

Le tribunal de commerce vous écoute, entend votre plaidoyer pour un plan que vous défendez avec coeur et passion, et fonde son jugement sur ces trois éléments objectifs.

Mais ces différents investisseurs, à l'évidence, ne sont jamais intervenus. Par ailleurs, le tribunal, fondant son jugement sur ces assurances, décide de vous attribuer la reprise, car il considère que ces assurances financières viennent compléter un plan d'affaires qui apparaît comme séduisant.

Aujourd'hui, à la lumière de ce que vous avez pu vivre considérez-vous toujours que le plan d'affaires était conforme à la réalité du marché et l'avez-vous présenté en toute bonne foi ? D'autre part, puisque vous avez su convaincre le tribunal en proposant diverses participations financières, avez-vous fait ce à quoi vous vous étiez engagé à ce moment-là ?

M. Jean-Charles CORBET : Je voudrais déjà relever ce qui me semble être une inexactitude. Pour cela, il faut reprendre le jugement du tribunal de commerce de Créteil du 27 juillet. Non, le tribunal de commerce de Créteil n'a pas trouvé le business plan séduisant. Il en a relevé les difficultés, il a souligné les problèmes, mais il l'a fait pour tous les repreneurs. Il a dit que tous les repreneurs avaient des problèmes au niveau du financement. Je vous ferai parvenir le jugement si vous ne l'avez pas.

M. le Président : Nous avons le jugement et l'avons parfaitement lu. Mais il y a des différences conséquentes et importantes entre vos propositions et celles des autres repreneurs.

M. Jean-Charles CORBET : Le tribunal de commerce, et c'est dans le jugement, a fondé son jugement sur deux éléments : la quasi-unanimité des salariés des entreprises AOM et Air Liberté en faveur du projet Holco et l'objectif de la loi de 1985 qui est la protection de l'emploi.

En fait, le tribunal de commerce a relevé les points faibles de l'ensemble des plans. Malgré cela, au regard de l'objectif de la loi de 1985 relatif à la protection de l'emploi et du fait que les salariés d'AOM Air Liberté appuyaient ce plan, il a attribué la reprise des actifs des entreprises AOM et Air Liberté à Holco. C'est un point de détail qui a son importance.

Comment a été construit le business plan ? Je vous l'ai dit, il a été élaboré avec les services d'Air France dans le but d'éviter une concurrence frontale avec Air France sur la problématique du long courrier. Vous dites que le plan était surcapacitaire ; je soutiens qu'il n'était pas surcapacitaire au regard des objectifs initiaux du business plan.

M. le Président : Je cite le mémorandum interne du 5 mars 2002. Ce n'est pas moi qui l'ai écrit.

M. Jean-Charles CORBET : Le 5 mars 2002, c'est après le 11 septembre. A l'origine, le business plan n'était pas surcapacitaire. La problématique du long courrier était que l'on s'appuyait sur des avions anciens, des DC10, qui n'avaient pas forcément été entretenus d'une manière rigoureuse, si bien que le taux d'incidents sur ces avions était très élevé. Le business plan, en accord avec Air France, puisque nous travaillions en partage de codes, prévoyait au départ de Roissy et d'Orly, une desserte de chacune des îles tous les jours. Pour pouvoir assurer ce programme, avec des avions neufs, on aurait pu se contenter de cinq ou six avions mais il nous en fallait pratiquement treize. C'est en ce sens qu'Air France, au départ, disait qu'il y avait une surcapacité de sièges offerts. A l'utilisation, ce n'était pas le cas car on ne pouvait pas faire voler les avions « au taquet ». Pour être dans des normes et des ratios industriels normaux, il faut qu'un avion long-courrier vole un minimum de cinq mille heures par an. Or, quand on pouvait faire voler les DC 10 d'Air Lib 3 200 heures, on était satisfait...

Le business plan s'est construit comme cela. Et puis, après le 11 septembre, il y a eu une forte réduction de la demande sur les Antilles. A la fin de l'année 2001 et au cours de l'année 2002, on a constaté que le partage des codes avec Air France ne marchait pas au départ de Roissy. Malgré des engagements pris au départ qui n'ont pas été tenus, nous n'avions pas pu bénéficier du « hub » de Roissy pour les Antilles, c'est-à-dire avoir des accords qui permettent à un passager de faire Rome/Charles-de-Gaulle/Pointe-à-Pitre/Fort-de-France ou La Réunion. Nos avions au départ de Roissy avaient des taux de remplissage extrêmement faibles. Les horaires étaient tels en vol retour que les avions se remplissaient mal. On s'est retrouvés en surcapacité, ce qui nous a fait prendre la décision d'arrêter les vols au départ de Roissy.

M. le Président : Les chiffres que vous évoquez sont conformes, mais le soutien commercial d'Air France apparaît à ce moment-là comme considérable, lors de la première période. Sur l'ensemble de la première saison de novembre 2001 à mars 2002 sur les deux destinations des Antilles et de La Réunion, les ventes sous code d'Air France représentaient, certains mois, jusqu'à 50 % du trafic transporté par Air Lib sur ces destinations. C'était donc une sorte de survie artificielle qui a été acceptée par Air France à ce moment-là. Quand vous dites qu'à partir de mars 2002, il y a eu un problème, il s'agissait d'Air Lib Express. C'est à partir de là qu'Air France aurait changé de stratégie par rapport à Air Lib.

M. Jean-Charles CORBET : Sur le domestique, on n'avait pas d'accord commercial avec Air France.

M. le Président : C'est la raison pour laquelle Air France, quand vous avez lancé Air Lib Express, aurait changé d'attitude. C'est ce qui a été indiqué par des cadres d'Air France.

M. Jean-Charles CORBET : Merci, moi ils ne me l'ont jamais dit. C'est une information que je soupçonnais, mais on ne me l'a jamais confirmée.

M. le Président : Pourriez-vous revenir aux questions que je vous ai posées ? J'ai parlé tout à l'heure des « capitaux risqueurs » et des 150 millions correspondant au capital salarié. Dans quelles conditions avez-vous présenté ces soutiens financiers et comment avez-vous mis en oeuvre ces soutiens qui faisaient partie des conditions de l'acceptation du tribunal ?

M. Jean-Charles CORBET : S'agissant des soutiens financiers, il ne faut pas écraser la chronologie mais reprendre l'ensemble du processus qui a conduit à la reprise. Plusieurs dates sont importantes : le 19 juin, le 9 juillet et le 27 juillet.

La reprise au niveau judiciaire a commencé par un travail sur une reprise en continuation d'activité. Au mois d'avril, les Suisses avaient annoncé la possibilité de trouver un repreneur et de se dégager de la problématique française. Ils l'avaient annoncé et cela avait d'ailleurs été médiatisé. Ils étaient prêts à apporter 2 milliards de francs à un repreneur qui permettrait la continuation des entreprises AOM et Air Liberté.

En fait, à partir du projet initial - le RES, voie dans laquelle on s'était engagés - nous avons discuté avec les conciliateurs, avec les Suisses, puisque nous les avons rencontrés deux fois, pour examiner dans quelles conditions une reprise pourrait être faite en continuation d'activité. Ce travail était fait par la banque d'affaires et devait déboucher sur un plan en continuation.

A partir du moment où il y a eu dépôt de bilan, on a changé de logique, mais on pouvait rester dans le cadre d'une cession en continuation. J'ai le souvenir d'une audience au tribunal de commerce au cours de laquelle Me Léonzi a dit au président du tribunal qu'en France, ce n'était pas la loi coutumière du canton de Zurich qui prévalait, mais la décision du tribunal de commerce ; en effet, les Suisses entendaient choisir eux-mêmes leur repreneur. Les Suisses avaient dit qu'ils ne laisseraient pas l'entreprise à qui n'apporterait pas lui-même une centaine de millions de francs. C'était leur logique et c'était leur demande qu'on pouvait comprendre.

A partir du moment où cela été annoncé, fixé et dit en audience, il a fallu présenter cet apport de 100 millions de francs. Fidei avait présenté un projet qui s'appelait « Participations aériennes » qui, par le biais d'un fonds d'investissement américain, prétendait avoir la possibilité d'apporter 100 millions. On a mandaté la banque d'affaires pour trouver rapidement un investisseur susceptible d'apporter ces 100 millions.

M. le Président : A qui vous référez-vous quand vous dites « on » ?

M. Jean-Charles CORBET : L'équipe de reprise que je conduisais. J'ai le défaut de mettre en avant le collectif et de ne jamais mettre en avant l'individu que je suis. J'ai souvent tendance à dire « on », mais, c'est moi, Jean-Charles Corbet, qui assume.

Nous avons demandé à CIBC de faire ce travail de recherche d'investisseurs. Dans ces cas-là, les seuls investisseurs susceptibles de monter rapidement dans ce genre de processus sont les investisseurs en capital risque.

Aurel Leven, qui a été trouvé par CIBC, a apporté le 27 juillet, c'est-à-dire le jour de l'audience, une lettre d'évidence de fonds de 80 millions. Seul le projet de Holco comportait une lettre d'évidence de fonds. Aucun des autres repreneurs ne disposait de lettre d'évidence de fonds. Le tribunal de commerce n'a pas considéré qu'il s'agissait d'un point capital, mais en a tenu compte malgré tout.

Ce qui s'est passé ensuite, car votre question porte plus sur la raison pour laquelle on n'a pas mis en oeuvre ces 80 millions de francs...

M. le Président : Oui et non. Le tribunal indique que le projet Holco repose sur l'apport de 80 millions de francs. Le tribunal a pris sa décision par rapport à un certain nombre d'éléments dont le business plan et une partie financière. A partir de juillet 2001 jusqu'au début 2003, Air Lib a été à la recherche d'investisseurs. Lors de la reprise, ces investisseurs ont été annoncés clairement ainsi que ces 80 millions de francs d'Aurel Leven. Vous avez dit que cette lettre d'évidence de fonds avait été apportée au moment du jugement. Je suppose que cette lettre a été négociée et que vous en connaissiez les conditions au moment où elle a été apportée. Dans quelles conditions a-t-elle été négociée et pourquoi n'a-t-elle pas été utilisée au moment où vous avez rencontré les pires difficultés pour la survie de votre entreprise ? Vous avez été amené à faire appel aux fonds publics plutôt qu'à cette lettre d'évidence de crédit.

M. Jean-Charles CORBET : Elle a été négociée par la banque d'affaires qui avait un mandat pour cela. Elle a été négociée dans un cadre relativement précis. Le cadre dans lequel s'intégrait ce capital risque, était un cadre où l'apport de Swissair devait être de 1,8 milliard. C'était une des clauses du contrat avec Aurel Leven. La particularité de ce montage était qu'Aurel Leven mettait 80 millions à disposition de Holco, sous réserve que le jour de la mise à disposition, Holco ait créé un fonds d'investissement en déposant 35 millions de francs, avec des intérêts qui étaient, de mémoire, de 9,8 % par an sur cinq ans. Ceci faisait qu'au bout de cinq ans, on devait payer 42 millions de francs supplémentaires. C'était quelque chose de très cher.

Cela pouvait se concevoir si la contribution de Swissair avait été de 1,8 milliard. Quand le 11 septembre est arrivé et que, trente jours plus tard, il y a eu la défaillance de Swissair, j'ai pris la décision de ne pas mettre en oeuvre ce fonds d'investissement. En effet, cela ne m'amenait que 45 millions de francs et cela mettait en danger, à court terme, la trésorerie d'Holco. Donc j'ai fait le choix de ne pas créer ce fonds d'investissement.

M. le Président : Nous savons que vous ne l'avez pas utilisé. Le 27 juillet, vous avez présenté cette lettre au tribunal de commerce, ce qui a crédibilisé votre projet de reprise. Vous avez eu raison de ne pas utiliser cette lettre, mais lorsque vous l'avez présentée au tribunal, connaissiez-vous les conditions de sa mise en œuvre ? Si oui, pourquoi l'avez-vous proposée alors que vous saviez que vous ne l'utiliseriez pas ? Et si vous ne connaissiez pas ces conditions, est-ce que cela ne jette pas un doute sur le sérieux de votre projet ?

M. Jean-Charles CORBET : Si vous voulez me faire dire qu'il y a eu tromperie du tribunal, je dis très clairement non. En juillet, la lettre d'évidence de fonds a été présentée dans un cadre précis. Il fallait présenter une lettre d'évidence de fonds, d'où la nécessité d'aller chercher un « capital risqueur » onéreux, mais avec une contrepartie des Suisses de 1,8 milliard. Le tribunal a pris sa décision en juillet et je pense qu'il ignorait les événements du 11 septembre.

M. le Président : Il n'ignorait pas la lettre d'évidence de fonds.

M. Jean-Charles CORBET : Non, il ne l'ignorait pas. Je suis en train de vous dire qu'en juillet, on pouvait payer grâce aux 1,8 milliard de Swissair, ce « capital risqueur » mais que les conditions environnementales en septembre faisaient que cela devenait trop cher, d'une part à cause de la défaillance de Swissair et, d'autre part, parce que l'environnement avait changé.

A partir de là, j'ai pris une décision de gestion ; je ne pouvais pas faire autrement. Il n'y avait pas, entre juillet et septembre, de volonté de ma part de ne pas respecter un engagement.

M. le Président : Le coût de cette lettre d'évidence de fonds était identique, en juillet et en septembre.

M. Jean-Charles CORBET : Oui, mais la contribution de Swissair n'était plus que de 1 milliard en septembre au lieu des 1,8 milliard promis. C'est quand même nettement différent.

M. le Rapporteur : Sur la négociation avec Aurel Leven pour obtenir ces 80 millions qui conditionnaient, d'une part, l'intervention de Swissair et, d'autre part, la décision du tribunal de commerce, est-il exact, comme cela nous a été déclaré, que vous deviez verser une commission à Aurel Leven de 3,8 millions d'euros ?

M. Jean-Charles CORBET : Oui, c'est exact. Cela faisait partie du mandat que CIBC avait négocié avec Aurel Leven.

M. le Rapporteur : Vous avez versé à CIBC, au titre de cet accord, 320 000 dollars. Au regard du montant de 12,2 millions d'euros de la lettre, ce n'était pas disproportionné. Ce qui nous a étonnés, c'est quand nous avons appris que vous vous étiez engagé à verser 3,2 millions d'euros de commission à cette banque, puisque Aurel Leven, est une banque. C'était un prêt. Pourriez-vous expliquer à la commission si vous les avez versés et comment vous êtes arrivé à un compromis, plusieurs mois plus tard, de 390 000 euros ?

M. Jean-Charles CORBET : Le processus Aurel Leven a été négocié par la banque d'affaires.

M. le Rapporteur : Mais c'est vous qui la pilotiez.

M. Jean-Charles CORBET : Non, je ne pilotais pas la banque d'affaires, je lui ai donné un mandat. C'est ainsi que cela se passe. J'ai donné un mandat et à partir de là, en juillet, on m'a fait une proposition.

En septembre, le calcul montrait qu'à l'évidence ce qui était acceptable en juillet ne l'était plus en septembre. J'ai rencontré les gens d'Aurel Leven, M. Cohen je crois, pour leur dire que le cadre avait changé et que je ne pouvais plus entrer dans cette logique de création d'un fonds pour mettre en oeuvre ce qu'ils avaient proposé. Nous sommes entrés dans une logique contentieuse avec Aurel Leven, dans laquelle j'ai fait intervenir la CIBC. Nous avons négocié avec les conseils d'Aurel Leven et mes conseils. Au bout du compte, alors que nous devions payer à Aurel Leven, selon le mandat, 3,9 millions d'euros, nous n'avons payé que 390 000 euros.

M. le Rapporteur : Ne pensez-vous pas a posteriori que cela pose un problème de constater que, grâce à un prêt qui vous a coûté les 390 000 euros que vous avez versés à Aurel Leven et les 320 000 dollars versés à la CIBC, vous avez réussi à obtenir l'appui de Swissair et à emporter la décision du tribunal de commerce de Créteil. Ne pensez-vous pas qu'il y a là un problème ?

M. Jean-Charles CORBET : Je pense que vous refaites l'histoire selon votre vision.

M. le Rapporteur : Vous avez accepté en juillet des conditions draconiennes : 3,9 millions de commission, un taux d'intérêt de 9,8 % et un dépôt de 35 millions. Du fait que vous deviez mettre en dépôt 35 millions, le prêt n'était pas de 80 millions, mais de 45 millions. Ne pensez-vous pas que c'est un élément qui démontre que cette banque ne prenait aucun risque ?

M. Jean-Charles CORBET : Si je ne l'avais pas pensé, j'aurais monté le fonds.

M. le Rapporteur : D'accord, mais vous avez signé quand même un contrat. In fine, vous ne vous en êtes pas servi, mais entre-temps cela avait convaincu Swissair et le tribunal de commerce.

M. Jean-Charles CORBET : C'était ça ou le risque de la disparition d'AOM Air Liberté.

M. le Président : Que voulez-vous dire par « ça ou le risque » ?

M. Jean-Charles CORBET : Apporter un capital risqueur et une lettre d'évidence de fonds étaient des « figures imposées » par les Suisses. J'ai présenté cet investisseur mais dans un cadre où la contribution de Swissair serait de 1,8 milliard. Mais avec 1,5 milliard on passait de l'acceptable à l'inacceptable.

Pour aller dans votre sens, M. le Rapporteur, au moment du contentieux, on a même fait valoir à Aurel Leven qu'on allait peut-être examiner, au niveau du pénal, s'il ne s'agissait pas d'un prêt usuraire.

M. Jean-Jacques DESCAMPS : Vous nous avez dit tout à l'heure que vous aviez bâti ce business plan avec les encouragements d'Air France et de « la tutelle », qui est le ministère, je suppose. Dans un business plan, il y a l'aspect opérationnel pour lequel vous avez fait remarquer qu'à l'époque, il pouvait être considéré comme crédible compte tenu de l'intérêt qu'il apportait aux salariés, d'une part, et à Air France, d'autre part.

Mais il y a aussi un volet financier dont on parle maintenant, lequel prévoit des financements qui, par nature, ont toutes les chances d'être mobilisés. Dans ce volet financier, il y avait trois parties : Swissair, le capital risque et la partie personnel. Nous venons de parler de la partie capital risque.

S'agissant de la partie personnel, aviez-vous un accord formel du personnel pour apporter les 34 % ? Ce qui m'inquiète, c'est que j'ai l'impression que le volet financier n'a pas été validé comme le volet opérationnel, en particulier par les gens qui vous ont encouragé.

M. Jean-Charles CORBET : Pour expliquer le volet financier du business plan, il faut savoir comment fonctionne une compagnie aérienne. Une compagnie aérienne est une compagnie de service. Vous mettez des passagers dans des avions avec des services autour et vous les transportez. Vous avez donc, d'un côté, des recettes qui sont les billets payés et, de l'autre, des dépenses. Une compagnie aérienne devient rentable à partir du moment où les recettes dégagées par les billets achetés couvrent les dépenses faites pour transporter les voyageurs.

La problématique d'AOM Air Liberté, au moment de la reprise, était qu'il fallait remplir les avions entre 102 à 110 % pour que la compagnie soit à l'équilibre. A partir de là, il fallait redimensionner la compagnie, relancer son produit, se positionner sur un marché. Il n'était pas envisageable d'affronter Air France, d'où le travail pour venir en complément d'Air France. Il s'agissait aussi de définir à quel moment il était possible de relancer l'activité commerciale et le produit pour atteindre l'équilibre.

En attendant ce moment, tous les mois qui passaient se traduisaient par des déficits d'exploitation, d'où l'importance de l'aspect financier du business plan. En juillet 2001, l'aspect financier du business plan démontrait que nous avions besoin de 2 milliards de francs. En juillet 2001, les pertes mensuelles étaient d'environ 60 millions d'euros par mois. Passer d'une perte de 60 millions d'euros par mois à l'équilibre, supposait que le déficit diminue d'un mois sur l'autre. On arrivait à 2 milliards de francs. Tel était l'aspect financier du business plan. Entre le jugement de reprise et les calculs initiaux, il manquait 500 millions de francs.

Cela a été relevé par le tribunal de commerce de Créteil au moment de l'audience, et c'est là-dessus qu'on s'était engagé, on savait que l'insuffisance était là, mais l'exercice imposé consistait à dire que l'on avait la charge et le devoir de trouver des investisseurs normaux.

C'est ce qui a été fait. On est partis en sachant qu'il fallait trouver 500 millions de francs et en sachant que ces 500 millions nous permettraient de tenir à peu près un an et demi.

M. Jean-Jacques DESCAMPS : Si j'ai bien compris, vous avez présenté au tribunal de commerce un projet dans lequel le financement était hypothétique pour une part correspondant à environ 500 millions de francs. Dans cette part, il y avait théoriquement un accord du personnel pour en combler une partie, l'accord de Swissair était acquis, et il y avait des capitaux risqueurs à trouver.

M. Jean-Charles CORBET : Non, des capitaux normaux. C'est ainsi que cela a été effectivement fait. Après le 11 septembre, il n'y avait plus d'investisseur dans l'aérien.

M. Jean-Jacques DESCAMPS : A cette époque, il n'était pas question du 11 septembre et pourtant le financement devait être prévu.

M. Jean-Charles CORBET : Oui.

M. le Président : Votre réponse s'agissant des 150 millions de l'actionnariat salarié m'a laissé sur ma faim. Le tribunal a pris sa décision en fonction du business plan et des apports financiers ; il s'agissait d'un tout, même s'il appréciait les difficultés de ce tout. Si on vous a choisi par rapport à un tout, chacune des parties de ce tout devait être respectée.

Or, s'agissant du soutien financier, on s'aperçoit que les 80 millions dont vous faites état quand vous présentez la lettre d'évidence de fonds, vous n'avez pas jugé opportun de les tirer pour les raisons que vous avez indiquées, mais ces raisons vous les connaissiez auparavant. Par ailleurs, les 150 millions qui devaient venir de l'actionnariat salarié n'ont pas été apportés à l'entreprise.

M. Jean-Charles CORBET : Comme chaque mot est important, M. le Président, permettez-moi de reprendre votre propos. Non, les conditions d'Aurel Leven n'étaient pas connues initialement. Je le répète, l'accord avec Aurel Leven supposait que Swissair apporterait 1,8 milliard ; cela figurait dans l'accord. Donc, cela n'était pas connu initialement. Je veux être précis : dans l'accord avec Aurel Leven, une des conditions de la création du fonds était le versement par Swissair de 1,8 milliard.

L'actionnariat salarié est quelque chose qui revêtait une grande importance à mes yeux. J'avais participé à l'ouverture du capital aux pilotes d'Air France, donc c'était quelque chose qui me tenait à cœur. En effet, j'estime, et d'ailleurs c'était dans mon projet d'offre, que quand vous êtes propriétaire de quelque chose, vous en prenez soin et vous évitez les gaspillages. J'avais donc proposé pour cette nouvelle entreprise ce qui avait été également initié à Air France, à savoir la mise en place d'un actionnariat salarié qui permette aux salariés de l'entreprise de s'approprier leur outil de travail, de le faire leur de manière à aller vers l'objectif recherché au final d'une réduction des coûts, laquelle peut être obtenue de deux manières : un échange salaires contre actions, ce qui avait été fait à Air France, ou une participation, un intéressement, qui aurait permis de diminuer les coûts.

Pour cela, il faut être deux. Il faut la volonté de celui qui propose l'actionnariat salarié et il faut l'acceptation de ceux à qui on propose l'actionnariat salarié.

Vous avez parlé tout à l'heure d'accord formel. Non, je n'ai pas eu d'accord formel. Dans le cadre syndical actuel, un repreneur ne peut pas signer d'accord formel avec des organisations syndicales. Cela n'est pas possible. La seule chose qu'il peut faire, c'est obtenir des accords de principe. En l'occurrence, j'avais obtenu un accord de principe de l'ensemble des organisations syndicales sur un projet de réduction des coûts qui pourrait passer par de l'actionnariat salarié, parce qu'avant la reprise, il existait déjà une dissension entre les syndicats des entreprises AOM et Air Liberté sur cette notion d'actionnariat salarié. C'était une dissension normale.

M. le Président : Je comprends bien cela, mais le tribunal a décidé, en son âme et conscience, de vous attribuer cette reprise, au bénéfice d'un certain nombre d'éléments dont 150 millions venant de l'actionnariat salarié. Comment en avez-vous engagé la mise en oeuvre et si vous n'avez pas pu l'engager, pourquoi l'avez-vous proposé ?

M. Jean-Charles CORBET : J'y viens. C'est ce que j'étais en train de commencer à vous expliquer, monsieur le Président. Les explications doivent à chaque fois s'inscrire dans une chronologie sans laquelle on risque de commettre des contresens. Je vous redis qu'en amont, je n'avais pas d'accord formel, mais un accord de principe car il existait des dissensions entre les différents syndicats sur cette notion de montée au capital.

Comment ont été valorisés les 150 millions, car c'était en fait une valorisation qui partait d'une baisse acceptée pour une durée de cinq ans de la masse salariale, notamment celle des pilotes, une baisse acceptée dans son principe puisque les syndicats de PNC n'y étaient pas hostiles pour peu qu'elle s'intègre à partir de leurs primes ?

Le projet était de baisser la masse salariale des pilotes et des navigants commerciaux, ce qui permettrait à l'entreprise d'être plus compétitive et d'intéresser les personnels au sol par des choses comme l'intéressement en fonction de la productivité, de la présence, etc. Pour mettre en place cette logique -  c'était ma volonté et c'est toujours resté ma volonté - il fallait, à partir du moment où la reprise était faite, conclure des accords syndicaux.

Ces engagements sont synallagmatiques c'est-à-dire qu'ils ne peuvent pas être unilatéraux. La première difficulté rencontrée l'a été avec les syndicats de pilotes qui ont refusé de discuter l'échange salaires contre actions, tant qu'on n'harmonisait pas les salaires des pilotes vers le haut.

M. le Président : Vous n'aviez pas d'accord formel des pilotes, mais un accord de principe.

M. Jean-Charles CORBET : J'avais une plate-forme d'engagement.

M. le Président : Vous avez présenté cela au tribunal comme étant un accord de principe, en précisant bien qu'il n'y avait pas d'accord formel.

M. Jean-Charles CORBET : J'ai présenté au tribunal la plate-forme d'engagement telle qu'elle était.

M. le Président : Pourquoi, dans le jugement du 27 juillet, y a-t-il un paragraphe qui précise : "Le financement de la participation au capital du personnel pourra désormais être couvert à due concurrence de 150 millions de francs par les pilotes d'avion d'Air Liberté dans le cadre des dispositions contenues dans l'engagement signé à l'unanimité par leurs représentants syndicaux en date du 25 juillet 2001." Vous venez de me dire à l'instant que vous n'aviez pas d'engagement formel.

M. Jean-Charles CORBET : C'était un engagement de principe. Le tribunal a déclaré cela, mais il faudrait poser la question au président du tribunal de commerce. Cet engagement de principe était un engagement fort. Par la suite, les syndicats...

M. le Président : Tellement fort que le tribunal l'a pris comme tel et tellement fort qu'il n'a jamais été suivi d'effets, parce qu'en vérité, il n'y avait pas d'accord.

M. Jean-Charles CORBET : La question que vous me posez est de savoir si j'ai été moi-même abusé par cet engagement. J'y ai cru. Pour moi, c'était un engagement fort. Dès la reprise, lorsqu'il a fallu le mettre en œuvre, je me suis heurté à cette...

M. le Président : J'entends bien ce que vous dites et je comprends bien que vous ayez pu être abusé par l'engagement des pilotes de même que vous avez pu aussi être contourné dans vos intentions par la lettre que vous aviez obtenue de la banque Aurel Leven. Vous avez présenté tout cela au tribunal comme étant un plan solide de financement pour qu'il vous accorde la reprise de l'entreprise.

M. Jean-Charles CORBET : Me permettez-vous de terminer sur l'accord de 34 % ? C'était un accord qui devait engager l'ensemble des parties prenantes. Dès la reprise, confronté à cette problématique, pour moi, il n'était pas question d'en rester là. Nous sommes entrés dans des discussions avec les syndicats pour leur dire que nous avions une problématique, celle de notre compétitivité face à la concurrence des low cost.

M. le Président : Excusez-moi, ce qui m'intéresse, c'est ce que le tribunal a écrit, dans son jugement : "engagement signé à l'unanimité par les représentants syndicaux en date du 25 juillet". Vous dites que ce n'est pas un engagement formel, mais un engagement de principe. Le tribunal, quant à lui, l'a pris pour un engagement formel, comme il a pris pour un engagement formel, la lettre d'évidence de fonds de 80 millions. C'est ce qui a justifié sa décision. Les négociations que vous avez eues avec les syndicats ne m'intéressent pas en l'occurrence. Ce qui m'intéresse, c'est la manière dont vous avez présenté au tribunal de commerce un plan fondé sur un accord.

M. Jean-Charles CORBET : Je me permets d'insister parce que cet accord a été mis en oeuvre.

M. le Président : Les 34 % et l'appel des 150 millions ?

M. le Président : C'est ce que je suis en train de vous dire.

M. le Président : Expliquez-nous alors dans quelles conditions il a été mis en œuvre.

M. Jean-Charles CORBET : La difficulté a été de négocier avec les syndicats l'entrée dans cette logique. Cela ne pouvait être fait qu'à partir du moment où le comité d'entreprise d'Air Lib acceptait que les syndicats d'Air Lib entrent dans cette logique. On a mis plus d'un an à Air Lib avant d'avoir un nouveau comité d'entreprise puisque les syndicats se battaient entre eux pour ne pas mettre un terme à la représentativité des anciens comités d'entreprise. A partir du moment où le nouveau comité d'entreprise a été élu, la commission économique du comité d'entreprise, après discussion avec le comité d'entreprise, est entrée dans cette logique et nous avons commencé les discussions sur l'ouverture du capital aux salariés. Malheureusement, ces discussions se sont arrêtées le 7 février 2003 avant que nous ayons pu les conduire à leur terme. Ce n'est pas parce que cet accord n'avait pas pu être mis en œuvre dès le lendemain de la reprise qu'il était pour autant question de l'abandonner. Allant au bout de mes convictions, les travaux ont commencé ; c'est Pierre-Yves Lagarde qui, pour la direction d'Air Lib, avec la commission économique du comité d'entreprise, a lancé ces travaux. Il y a eu trois ou quatre réunions pour commencer à travailler sur la mise en œuvre de cet accord.

M. le Président : Nous avons les comptes rendus des auditions des différents syndicats. Vous jugerez vous-même de ce qu'ils ont dit à ce sujet.

Je comprends qu'après le 11 septembre, vous ayez pu changer d'attitude. Vous avez dit qu'un propriétaire prenait soin de l'objet dont il est propriétaire. Si vous avez jugé opportun de ne pas utiliser la lettre d'évidence de fonds après le 11 septembre, pourquoi avez-vous jugé opportun de verser, entre les salaires et les honoraires servis à l'ensemble des banques ou cabinets conseils, près de 55 millions de francs, somme qui ne porte que sur le mois d'août ?

Que vous vous soyez servi un salaire de 150 000 francs par mois, cela me paraît normal. Vous vous êtes servi fin septembre, c'est-à-dire après le 11 septembre, en tant que président « propriétaire » d'Holco, ce qu'on appelle un « golden hello » d'environ 5,6 millions de francs. Je comprends le souci que vous avez d'être économe de l'argent de votre société mais pourquoi, au moment où le 11 septembre frappe durement l'entreprise, jugez-vous opportun de vous servir ce « golden hello » ? Cela nous a surpris.

M. Jean-Charles CORBET : Je suis devant la commission d'enquête parlementaire sur les causes économiques et financières de la disparition d'Air Lib. Je voudrais être sûr de comprendre le lien entre cela et la disparition d'Air Lib.

Au moment de la reprise, mon intention n'était pas de rester chez Air Lib, mais de sauver la compagnie dans un cadre donné et nullement de m'investir comme dirigeant opérationnel de cette compagnie. De plus, le tribunal de Créteil l'avait relevé lors de la première audience, il fallait des dirigeants opérationnels de l'aérien. J'ai cherché un certain nombre de dirigeants opérationnels. Le premier, qui était un dirigeant crédible, demandait environ 35 millions de « golden hello ». On l'a écarté. Cela n'était pas possible dans le cadre de notre projet. Le tribunal de commerce de Créteil le savait puisque les frais de reprise sont transmis au tribunal. Tout cela s'intégrait pour 100 millions de francs dans les frais de reprise.

Ensuite, j'ai fait venir deux anciens dirigeants opérationnels d'Air France qui m'ont demandé la même chose.

S'agissant de mon propre « golden hello », il convient de l'apprécier en fonction de ce qui s'est passé pour moi au mois de septembre. Avant le mois de septembre, j'étais dans une logique où je cherchais des investisseurs, je transmettais l'entreprise à ces investisseurs et je revenais à Air France. C'était ma logique. Après le 11 septembre, il devenait impossible de trouver des investisseurs. Je ne pouvais plus rester dans cette logique et les risques pour Air France d'avoir un salarié d'Air France puisque j'étais en disponibilité d'Air France, les risques juridiques vis-à-vis de la commission de Bruxelles d'avoir un lien entre le dirigeant d'Air Lib et Air France étaient trop importants. Il fallait que je quitte Air France, c'est-à-dire vingt ans d'Air France, avec un poste de commandant de bord, avec un salaire conséquent, une retraite qui allait derrière. Tout cela je devais l'abandonner du jour au lendemain.

Si vous faites le calcul de ce qu'aurait été mon indemnité de licenciement d'Air France - c'est-à-dire une indemnité nette, autour de deux ans de salaire - et si vous le comparez à ce « golden hello », après impôt, vous arrivez à quelque chose d'identique.

C'était une prise de risques considérable de quitter Air France, surtout après le 11 septembre mais je l'assumais.

Combien le dirigeant d'une petite ou moyenne entreprise de taille conséquente de 3 500 salariés est-il payé aujourd'hui en France ? Si vous consultez des revues comme Le Point ou Le Nouvel Observateur, cela tourne autour de 35 à 50 000 euros. Si vous considérez le salaire qui était le mien à Air France et le travail qui était devenu le mien, mon nouveau salaire n'était pas disproportionné.

M. le Président : Je ne dis pas que votre salaire était disproportionné. Je dis simplement que vous étiez libre de vous attribuer ou pas ce « golden hello ». Tout à l'heure vous avez argumenté sur le fait que le 11 septembre était une catastrophe pour l'entreprise. Je m'interroge sur le fait que vous ayez jugé opportun de prendre cette décision. Vous étiez en situation de congé sabbatique et vous auriez très bien pu revenir à Air France.

M. le Rapporteur : Le président de la compagnie Air France nous a confirmé que vous pouviez parfaitement revenir à Air France puisque vous étiez, pendant un an, en congé sabbatique à compter du 1er septembre 2001. Nous sommes en septembre 2001, l'on vous a confié la reprise le 27 juillet et au mois d'août vous créez la société Holco qui n'existait pas encore.

M. Jean-Charles CORBET : Elle a été créée le 19 juillet et enregistrée au K-bis le 29 juillet.

M. le Rapporteur : L'une des premières décisions que vous prenez, alors que vous avez mis 40 000 euros pour créer cette société est de fixer ce « golden hello ». Comme vous êtes l'actionnaire unique, c'est vous qui vous attribuez à vous-même 855 904 euros et un salaire mensuel de 26 500 euros. Ne pensez-vous pas qu'en faisant cela, vous donniez le sentiment, car nous sommes quelques jours après le 11 septembre, que vous ne croyez pas à la reprise que vous venez de faire ? Car si vous y croyez, cela veut dire que votre patrimoine va passer de 40 000 euros à quelques dizaines de millions d'euros peut-être. Or vous venez de nous dire que vous avez calculé ce « golden hello », comme l'équivalent de l'indemnité de licenciement que vous auriez touchée si vous aviez été licencié par Air France. Quel était votre salaire à Air France ?

M. Jean-Charles CORBET : 120 000 francs bruts.

M. le Rapporteur : C'est-à-dire grosso modo 1,3 million de francs par an, soit 150 ou 160 000 euros. Confirmez-vous ce chiffre de salaire brut annuel ?

M. Jean-Charles CORBET : L'indemnité de licenciement, c'est du net. Vous devez multiplier cela par deux pour l'avoir en net.

M. le Rapporteur : Vous vous attribuez une indemnité de 855 000, soit grosso modo cinq fois votre rémunération annuelle plus votre rémunération de 26 651 euros. Vous dites que c'est en net. Non. C'est en net dans l'hypothèse où vous êtes l'objet d'un licenciement économique, mais qui parlait de vous licencier d'Air France dans un cadre économique ? Vous étiez commandant de bord et vous aviez vingt ans d'ancienneté à Air France. Comment justifiez-vous du niveau de ce que vous vous êtes versé et de la date à laquelle vous l'avez versé puisque c'est votre première décision ?

S'agissant des deux autres personnes que vous avez recrutées, il y avait le président du directoire qui était à la retraite depuis deux ans. Vous avez récompensé également la CIBC et le cabinet Léonzi. Dans une situation aussi difficile, il est assez extraordinaire que vous preniez ces décisions. Nous voudrions comprendre pourquoi vous avez fait cela. Quelle a été votre motivation ? Car si vous vouliez crédibiliser votre projet, il fallait au contraire « serrer les boulons » et être le dernier servi.

M. Jean-Charles CORBET : Si je n'y avais pas cru, monsieur le Rapporteur, je n'aurais pas créé la SAS Holco. Je me serais présenté comme le repreneur et alors les fonds seraient sur mon compte en banque.

M. le Rapporteur : Mais qu'avez-vous risqué dans cette affaire ?

M. Jean-Charles CORBET : M. le Président a dit qu'il n'y aurait pas de procès d'intention. J'ai l'impression d'être devant non pas une commission d'enquête mais un tribunal à charge. Votre façon d'intervenir, monsieur le Rapporteur, est celle d'un juge.

M. le Président : Monsieur Corbet, je vous prierai de ne pas porter d'appréciation sur l'attitude du Rapporteur. Nous sommes là pour poser des questions et vous êtes là pour y répondre. Nous jugeons opportun de poser ces questions dans l'intérêt des salariés de l'entreprise et parce que les contribuables sont aussi concernés. Un apport de 130 millions d'euros est venu de l'Etat pour pallier les conséquences d'un certain nombre de dysfonctionnements de l'entreprise ayant conduit à son dépôt de bilan.

Nous voulons savoir dans quelles conditions de loyauté le projet a été déposé au tribunal. Nous voulons ensuite savoir comment le fonctionnement a permis à l'entreprise d'être opérationnelle en fonction de l'intérêt des salariés et de l'actionnaire unique que vous étiez. Enfin nous voulons savoir pourquoi on a fait appel à ces 130 millions de crédit d'Etat plutôt que d'agir d'une autre manière. Toutes les questions que nous posons sont utiles à la connaissance de cette vérité. Je vous demande de répondre au Rapporteur.

M. Jean-Charles CORBET : J'y réponds, mais la manière de répondre m'appartient, comme la manière de poser les questions vous appartient. Je réponds comme je pense pouvoir répondre. Excusez-moi, mais chacun a sa personnalité, la mienne est ainsi faite. Je vous demande de me pardonner, mais je suis tel quel avec mes défauts. M. de Courson me dit «Vous n'y croyez pas sinon vous n'auriez pas fait cela». Si, j'y croyais.

M. le Rapporteur : Monsieur Corbet, ce n'est pas ce que j'ai dit. J'ai demandé si en vous octroyant, dès votre arrivée, une telle somme, vous aviez conscience que vous vous décrédibilisiez vis-à-vis de l'extérieur ? Vous l'avez dit vous-même, vous avez calculé cette somme comme si c'était une indemnité de licenciement. Cela veut donc dire que vous vous êtes constitué un « parachute » et que vous ne risquiez rien. Vous nous avez dit, tout à l'heure, que vos deux motivations étaient de sauver l'emploi et de protéger les intérêts d'Air France, mais au regard de cet octroi que vous vous faites à la fin septembre, on se demande si ces deux motivations étaient encore crédibles.

M. Jean-Charles CORBET : Bien sûr que je ne risquais rien. C'est là que je vous reprends. Je vous répète qu'à partir du mois de septembre, je devais quitter Air France. Selon le président Spinetta, me dites-vous, j'aurais pu revenir. La réponse est non : je devais quitter Air France pour des problèmes d'ordre communautaire. Un salarié d'Air France, même avec un lien de mise en disponibilité, présentait un risque. Il fallait que je quitte Air France.

M. le Président : Le président Spinetta ne vous a jamais écrit pour vous demander de démissionner d'Air France. Il a mis fin à vos fonctions le 1er septembre 2002. Comme le congé sabbatique se terminait, vous avez quitté de fait Air France en 2002. Mais là nous sommes en septembre 2001.

M. Jean-Charles CORBET : En septembre - et je crois que cela a été public -, j'ai annoncé au président d'Air France que je ne reviendrai pas à Air France, que les liens étaient rompus avec Air France, qu'il ne pouvait pas en être autrement. C'est lui qui m'a dit d'attendre, car on ne savait pas ce qui pouvait se passer.

M. le Rapporteur : Il nous a déclaré que vous n'aviez pas envoyé de lettre de démission entre le 1er septembre 2001 et le 1er septembre 2002. Pouvez-vous nous le confirmer ou nous l'infirmer, auquel cas nous produire la lettre par laquelle vous avez démissionné d'Air France pendant cette période ? Ce sont les écrits qui engagent.

M. Jean-Charles CORBET : J'ai écrit au président d'Air France et à sa DRH pour leur indiquer que je ne reviendrai pas à Air France.

M. le Rapporteur : A quelle date ?

M. Jean-Charles CORBET : En septembre ou en octobre. J'essaierai de vous retrouver cette lettre.

Quant au risque que je prenais, il était d'accepter d'aller dans une nouvelle aventure, ce que j'ai fait et ce que je vis aujourd'hui. Quant à la hauteur de ces calculs, quand vous retirez les charges et la fiscalité, vous arrivez à ce que je considérais être du même ordre que ce que j'aurais reçu si j'avais quitté Air France dans le cadre d'une mission ou d'un départ en mission. Peut-être ai-je mal fait, mais cela a été fait ainsi.

M. le Président : Nous comprenons vos explications. Ne pensez pas qu'il y ait, de la part de ceux qui vous interrogent, une volonté particulière. Nous avons du mal à comprendre que vous puissiez aujourd'hui arguer du fait que vous ayez pris un risque justifiant le versement de ce « golden hello » de 5,6 millions de francs, le président Spinetta nous ayant expliqué que vous aviez un lien avec Air France jusqu'en septembre 2002 du fait de votre congé sabbatique et que vous n'aviez jamais démissionné.

Pour que les choses soient bien claires, par rapport aux salariés de l'entreprise, vous étiez le seul actionnaire, donc décideur en l'occurrence. Les premières décisions prises ont été, dès le mois d'août, de verser des honoraires et des salaires.

M. le Rapporteur : Nous aimerions éclaircir les conditions dans lesquelles vous avez eu recours aux services d'une banque canadienne, la CIBC, pour la mise au point de votre projet de reprise. Sur ce sujet, je vous poserai au moins trois questions.

S'agissant de la première, le contrat avec la CIBC est signé par vous-même pour le compte du conseil de surveillance du fonds commun de placement Concorde. C'est ce qui figure en dernière page de ce contrat. Je fais lecture du préambule de ce courrier aux membres de la commission.

«11 juillet 2001

Cher Jean-Charles,

Re : Projet parachute - proposition de services

En réponse à votre demande et pour faire suite à nos récents entretiens, nous avons le plaisir de vous présenter les conditions dans lesquelles nous sommes intervenus depuis le 2 mai 2001 et nous continuerons d'intervenir à compter de ce jour, à la demande du conseil de surveillance du fonds commun de placement d'entreprise Concorde en qualité de conseiller financier de la société Holco.»

Cette signature et ce préambule ont été faits en votre qualité de président du conseil de surveillance du fonds commun de placement d'entreprise Concorde. Je rappelle que ce fonds est celui dans lequel nombre de pilotes d'Air France, qui avaient souscrit des actions d'Air France, ont mis ces actions en commun pour avoir un représentant au conseil d'administration d'Air France. Ma question est très précise. Y a-t-il eu une délibération du conseil de surveillance de ce fonds qui vous ait autorisé à signer ce contrat ? Que se serait-il passé, si le 27 juillet, le tribunal de commerce de Créteil n'avait pas retenu votre projet de reprise ? Qui aurait payé ?

M. Jean-Charles CORBET : Je voudrais savoir à quel document vous faites référence car, à ma connaissance, le 11 juillet, je n'ai pas signé de lettre d'engagement de cette nature.

M. le Rapporteur : Cette pièce est signée de votre main. J'ai cité le début et la fin, c'est-à-dire votre signature, avant de revenir sur le contenu de ce courrier et la facture, que je tiens à votre disposition. Ce contrat a donné lieu au paiement de 7,315 millions de dollars, versés en une fois au mois d'août.

(L'huissier apporte la pièce à M. Corbet.)

M. le Président : Le document est signé pour le compte du conseil de surveillance du FCPE Concorde, Jean-Charles Corbet, Holco. Votre signature est en page 9.

M. Jean-Charles CORBET : Je vous demande de bien regarder cette page 9. David Mongeau signe au-dessus de son nom. Au-dessus de la mention « Pour le compte du conseil de surveillance FCPE Concorde Jean-Charles Corbet », il n'y a pas de signature. Au-dessus de la mention « Holco Jean-Charles Corbet », il y a ma signature. Je n'ai pas signé pour le compte des fonds communs de placement Concorde.

M. le Rapporteur : Il y a votre signature, puisque vous avez signé « Pour le compte du conseil de surveillance du FCPE Concorde Jean-Charles Corbet » et « Holco Jean-Charles Corbet ».

M. Jean-Charles CORBET : Non, pas du tout. On signe les documents au-dessus des titres. J'ai refusé de signer ce document pour le compte des FCPE Concorde.

Il y a trois intitulés : « David Mongeau, managing director », « Pour le compte du conseil de surveillance, Jean-Charles Corbet », et « Pour Holco, Jean-Charles Corbet ». Dans les nombreux documents que j'ai signés pour Holco et Air Lib, il y avait deux signatures. Je devais même parapher deux fois, c'est la forme. J'ai refusé de signer ce document au titre de Jean-Charles Corbet, président du conseil de surveillance des FCPE Concorde. C'est formel.

M. le Rapporteur : Qu'en est-il de la lettre qui vous est adressée ?

M. Jean-Charles CORBET : Je vais vous expliquer. Mais je tenais à ce que les membres de la commission comprennent bien cela, car c'est important. J'ai refusé d'apposer ma signature au-dessus de la mention « Jean-Charles Corbet, pour le compte du conseil de surveillance du fonds Concorde ».

M. le Président : Pourquoi, dans ce cas, avez-vous accepté, quelle que soit la forme, de signer ce document dès lors que, dans le premier paragraphe, il est fait état de « Cher Jean-Charles ». Est-ce bien de vous qu'il s'agit ?

M. Jean-Charles CORBET : Oui.

M. le Président : Je continue. «En réponse à votre demande, pour faire suite à nos entretiens, nous avons le plaisir de vous présenter les conditions dans lesquelles nous sommes intervenus depuis le 2 mai 2001 et que nous continuerons à intervenir à compter de ce jour, à la demande du conseil de surveillance du fonds commun de placement d'entreprise Concorde en qualité de conseiller financier de la société Holco.»

Pourquoi n'avez-vous pas dénoncé cette première page si vous ne la reconnaissez pas et pourquoi l'avoir paraphée en bas ?

M. Jean-Charles CORBET : Il est écrit qu'à compter du 2 mai, j'ai demandé à CIBC de ne plus considérer Jean-Charles Corbet comme président du fonds Concorde, mais comme président d'Holco.

M. le Rapporteur : Mais ce courrier est en date du 11 juillet !

M. Jean-Charles CORBET : Si vous me le permettez, je vais développer ce point. Pour cela, il faut reprendre toute la problématique CIBC.

M. le Rapporteur : Ce n'est pas le seul document dont nous disposons. Le site Internet de la banque CIBC indique qu'elle est intervenue dans la reprise d'AOM Air Liberté auprès de « former head of the Air France pilots investment fund ». A ma connaissance, vous n'avez jamais demandé à la CIBC de ne pas faire état de cela.

M. Jean-Charles CORBET : Je vais essayer de vous expliquer cela, en étant le plus bref possible, mais c'est néanmoins relativement long et complexe. Je reviens sur la chronologie que je vous ai exposée en introduction de cette audition.

A partir de mai, il est apparu que Jean Immediato, président du SNPL Air Liberté, n'avait pas les mandats nécessaires pour pouvoir engager le SNPL dans une RES qui englobait tous les salariés. A partir de ce moment, il est devenu difficile pour le délégué syndical d'Air France de considérer qu'on pourrait rentrer dans une RES qui impliquerait les salariés d'AOM Air Liberté, qui pouvait impliquer les salariés d'Air France.

CIBC est une banque d'affaires que je connaissais bien en amont. Je les avais rencontrés peu après la décision d'ouverture du capital aux pilotes d'Air France, quand j'avais fait des appels d'offres pour rencontrer des banques d'affaires. Pourquoi mon choix s'est-il porté sur CIBC ? Après la première ouverture de capital aux pilotes d'Air France, j'entrevoyais qu'il y en aurait une deuxième.

L'idée était la suivante : essayons de trouver un bras de levier avec notre première participation à Air France pour prendre une participation conséquence dans l'entreprise Air France du futur. On s'appuyait sur ce travail avec l'expertise que l'US-Alpa avait faite au moment de l'ouverture du capital aux pilotes d'Air France et qui avait amené, par exemple, les pilotes d'US Air à avoir plus de 30 % du capital de leur entreprise.

La banque CIBC avait été approchée à ce niveau-là. J'avais travaillé avec CIBC, à plusieurs reprises, dans cette logique Air France. Lorsqu'on a lancé le travail de banque d'affaires avec CIBC, avant le mois de mai, lorsque M. Immediato a souligné qu'il fallait une RES laquelle nécessitait la validation des business plans, etc., j'ai demandé à CIBC si cela l'intéressait éventuellement de participer à la construction de ce qui pourrait être une RES nouvelle en France et dans laquelle, moi président du conseil de surveillance des fonds Concorde, je pouvais avoir un intérêt transport aérien, ce que CIBC a accepté au départ.

M. le Président : Vous venez de dire « moi président du conseil de surveillance (...) pouvait avoir un intérêt (...) ». Aviez-vous cet intérêt parce que vous étiez mandaté par le conseil de surveillance dont vous étiez président ou était-ce un intérêt personnel dans lequel vous utilisiez la fonction de président du Fonds Concorde ?

M. Jean-Charles CORBET : Dans le cas d'un fonds comme le Fonds Concorde qui comporte un conseil de surveillance, il y a d'une part, des rendez-vous formels avec des motions très formelles, d'autre part des discussions informelles où, en tant que pilote actionnaire et pilote salarié, on peut apprécier l'opportunité d'un travail qui déboucherait ou pas sur quelque chose. C'était pareil pour l'ouverture du capital d'Air France.

M. le Président : Je comprends bien cela. Cela signifie que vous aviez un mandat car vous étiez intéressé en tant que président.

M. Jean-Charles CORBET : En tant que Fonds Concorde, le conseil de surveillance était entré dans cette discussion.

M. le Président : Nous avons, sur ce point précis, des positions prises par des personnes auditionnées qui dénient totalement l'autorisation qui vous aurait été donnée d'utiliser ne serait-ce que le nom ou le principe même de votre présidence du conseil de surveillance. Il nous a été indiqué par ces personnes que vous aviez demandé, à l'époque, d'utiliser le nom du fonds Concorde pour ajouter une ligne à votre carte de visite. Leur accord vous avait été donné dans ces conditions, mais vous n'aviez pas été autorisé à aller plus loin.

M. le Rapporteur : Vous n'avez toujours pas répondu à deux questions précises. Avez-vous été mandaté par le conseil de surveillance du Fonds commun de placement Concorde ?

M. Jean-Charles CORBET : Je n'ai pas reçu un mandat suite à une délibération, selon lequel le Fonds Concorde allait investir dans AOM Air Liberté.

M. le Rapporteur : Je ne vous ai pas posé cette question. Je vous ai posé la question suivante : avez-vous eu un mandat du conseil de surveillance du Fonds Concorde pour signer ce contrat et l'avez-vous montré aux quatre membres ? Y a-t-il eu une délibération ?

M. Jean-Charles CORBET : J'y viens. Pour répondre à cela, je tiens à suivre la chronologie.

En avril, CIBC, qui dans son organisation interne ne peut pas travailler avec un particulier, travaillait avec nous, le Fonds Concorde, d'une manière prospective. Au mois de mai, ce mandat n'était plus possible. Le conseil de surveillance du Fonds Concorde ne m'avait pas interdit d'utiliser ma position et les contacts formels que j'avais pu avoir auparavant. A partir du mois de mai, la RES devenait quelque chose de difficile, je ne pouvais plus intervenir et continuer une relation avec CIBC en tant que président du Fonds Concorde.

Vers la mi-juin, j'ai demandé à David Mongeau de faire en sorte que, vis-à-vis de CIBC, cela ne soit plus le Fonds Concorde qui intervienne, mais une société à créer qui serait Holco. On ne connaissait pas Holco à l'époque. Ce n'est que le 11 juillet que la création d'Holco avait été décidée. Mais CIBC ne pouvait plus intervenir pour Jean-Charles Corbet, président du Fonds Concorde. C'est la raison pour laquelle le 11 juillet, en fonction de cet accord antérieur, David Mongeau écrit, afin de laisser des traces vis-à-vis de son organisme, qu'à la demande du président des Fonds Concorde, il intervient désormais pour Holco.

La réponse à votre question est non, puisque, à partir de mi-juin, je n'intervenais plus pour le Fonds Concorde. Ce mandat Holco n'a pas été soumis au Fonds Concorde puisque c'est un mandat Holco.

M. le Rapporteur : Mais pourquoi cite-t-on votre qualité de président du conseil de surveillance ? Quand on lit ce document, on comprend que vous l'avez signé en tant que président du fonds commun de placement d'entreprise.

D'ailleurs, la société Holco n'existe pas, elle est en cours de formation. Ceci commence, selon vos informations, en avril. En effet, dans le contrat, il est précisé qu'ils ont travaillé au moins trois mois pour vous. Pendant plusieurs mois, en fait, vous vous êtes présenté dans cette affaire comme le président du conseil de surveillance. Or vous nous confirmez bien que vous n'avez jamais été mandaté à cette fin.

M. Jean-Charles CORBET : Du mois d'avril jusqu'au 1er mai, on était dans le cadre de quelle chose qui pouvait être un RES avec une participation du Fonds Concorde.

M. le Rapporteur : Le Fonds Concorde, ce sont des actionnaires d'Air France. Vous êtes en train de discuter d'une éventuelle reprise sous forme de RES. N'y a-t-il pas une confusion des genres entre votre casquette de président du conseil de surveillance et votre action en tant que futur repreneur d'AOM Air Liberté ?

M. Jean-Charles CORBET : La réponse, très clairement pour moi, est non.

M. le Rapporteur : S'il n'y a pas confusion, pourquoi la mention « pour le compte de etc. » figure-t-elle dans le contrat, alors qu'elle amène une totale ambiguïté. L'un des membres du conseil de surveillance nous a dit que jamais vous ne leur aviez jamais montré ce document.

M. Jean-Charles CORBET : Je ne leur ai pas montré.

M. le Rapporteur : Trouvez-vous normal, en tant que président du conseil de surveillance, de ne pas montrer à vos quatre autres collègues ces documents, alors que vous citez votre qualité de président ? Ne pensez-vous pas que vous engagiez le conseil de surveillance ?

M. Jean-Charles CORBET : A partir du mois de mai, pour mes collègues, ce n'était plus un projet du conseil de surveillance. Je le leur ai très clairement dit.

A partir du mois d'avril, il s'agit d'un projet qui, dans le cadre d'une RES par les salariés d'AOM Air Liberté, peut être monté avec le soutien des pilotes d'Air France. C'est quelque chose qui peut être envisagé.

M. le Rapporteur : Pourquoi ne pas en avoir parlé au conseil de surveillance ?

M. Jean-Charles CORBET : J'en ai parlé au conseil de surveillance.

M. le Rapporteur : Apparemment non, puisque nous avons un témoignage d'un des membres qui indique que jamais vous ne leur avez montré ce contrat.

M. Jean-Charles CORBET : On est au mois d'avril. Ce contrat est du mois de juillet. Au mois d'avril, je ne peux pas leur montrer quelque chose qui est signé au mois de juillet, monsieur le Rapporteur !

M. le Rapporteur : C'est un contrat rétroactif.

M. Jean-Charles CORBET : Mais qui est signé en juillet.

M. le Rapporteur : Certes, mais il dit que la CIBC intervient à compter du 2 mai. Donc entre le 2 mai et le 11 juillet, en avez-vous parlé au conseil de surveillance puisque vous l'avez réuni plusieurs fois, d'après les déclarations d'un membre du conseil de surveillance ?

M. Jean-Charles CORBET : Tous les membres du conseil de surveillance, tous les syndiqués d'Air France ont discuté avec moi du mois d'avril jusqu'à la reprise sur ce projet de reprise. Je n'étais pas dans ma bulle !

M. le Rapporteur : C'est une chose de discuter ; c'en est une autre de montrer les conventions.

M. Jean-Charles CORBET : Comment puis-je montrer en avril une convention signée en juillet ?

M. le Président : Personne ne vous parle d'avril, monsieur Corbet.

M. Jean-Charles CORBET : Au mois d'avril, on était dans le cadre d'un projet qui pouvait être fait avec le SNPL Air France, les pilotes d'Air France et ceux d'Air Lib. A compter du mois de mai, ce cadre n'était plus possible. Par conséquent, je l'ai dit à mes collègues du conseil de surveillance. Dès lors qu'on ne pouvait plus être dans le cadre initial, le conseil de surveillance et les syndiqués d'Air France se sont dissociés du projet.

M. le Rapporteur : A qui s'applique ce « on » ?

M. Jean-Charles CORBET : Aux quatre membres du conseil de surveillance. Je leur ai dit que je ne pouvais plus intervenir dans ce projet de reprise au titre du conseil de surveillance. C'était très clair. Avec la CIBC, j'ai utilisé ma position de président du Fonds au mois d'avril. En mai, que je doive rompre avec CIBC ou pas, n'intéressait pas le conseil de surveillance.

M. le Rapporteur : Que se serait-il passé si, le 27 juillet, votre solution n'avait pas été retenue par le tribunal de commerce ? Qui aurait payé ?

M. Jean-Charles CORBET : Je pense que j'aurais dû dédommager moi-même la CIBC sur mes fonds propres.

M. le Rapporteur : Ne pensez-vous pas que CIBC se serait retourné vers le conseil de surveillance du Fonds Concorde ?

M. Jean-Charles CORBET : Non, j'en suis certain. Je vous propose de faire réaliser une analyse juridique de ce contrat.

M. le Président : La personne que nous avons interrogée nous a précisé, très clairement, qu'elle n'était pas informée des discussions entre vous et la CIBC, quelle que soit la forme juridique qu'aient pu prendre ces discussions. En effet, on s'aperçoit que tout était très informel dans la manière dont vous avez pris les décisions.

Le premier paragraphe qu'évoque le Rapporteur est essentiel. Il s'agit bien du 11 juillet et non pas du mois d'avril. Si le conseil de surveillance prétend ne pas être au courant aujourd'hui, c'est parce qu'il ne l'était pas le 11 juillet.

Je vous lis le paragraphe. La CIBC explique qu'elle est intervenue à la demande du conseil de surveillance du Fonds commun de placement d'entreprise Concorde en qualité de conseiller financier de la société Holco «dans le cadre d'une éventuelle réorganisation ou acquisition de tout ou partie des actifs AOM Participations SA et de ses affiliés, par Holco ou tout groupe ou consortium dont ferait partie Holco ou des porteurs de parts du FCPE Concorde agissant seuls ou conjointement avec un ou plusieurs tiers (le groupe d'investisseurs) et collectivement avec Holco (les acquéreurs).»

Vous avez paraphé cette page en bas et vous avez signé, en partie, car vous auriez peut-être dû mettre deux signatures, cette lettre à la fin de la neuvième page. Si vous n'étiez pas d'accord avec ce qui était écrit, pourquoi avez-vous accepté de signer ce document ? Le document aurait pu être modifié à la convenance du signataire. Or vous l'avez signé et paraphé. Par conséquent, vous êtes engagé en tant que tel au nom de ce que vous prétendiez représenter qui s'appelle le Fonds Concorde.

Mme Arlette GROSSKOST : Vous dites que vous auriez été tenu de par vos deniers personnels. Il me semble que nous sommes totalement dans le cadre du mandat apparent. Je pense que votre argument n'est pas tout à fait fiable.

M. le Président : Mme Grosskost est spécialiste en droit des affaires.

Mme Odile SAUGUES : Je voudrais faire une remarque. Je constate que M. Corbet n'a pas d'avocat à ses côtés, alors que l'on semble en avoir de ce côté-là de la commission.

M. Jean-Charles CORBET : Je vous remercie, Mme la vice-Présidente.

Je reprends ce qui est écrit formellement. «En réponse à votre demande, « Jean-Charles Corbet a demandé à CIBC, à partir du 2 mai, de bien vouloir considérer qu'elle interviendrait uniquement pour Holco. » Nous avons le plaisir de vous présenter les conditions dans lesquelles nous sommes intervenus depuis le 2 mai 2001.»

Par conséquent, le mandat, qu'il soit apparent ou pas, Madame, est un mandat qui commence au 2 mai. « (...) et nous continuerons d'intervenir à compter de ce jour », le 11 juillet, « à la demande du conseil de surveillance du FCPE Concorde » - puisque en tant que président du conseil de surveillance, j'ai demandé que CIBC n'intervienne plus et qu'il n'y ait plus de lien entre CIBC et le conseil de surveillance du fonds commun de placement - « en qualité de conseil financier de la société Holco. » A partir du 2 mai, CIBC intervient pour Holco et uniquement Holco.

M. le Président : Qui n'existe pas.

M. Jean-Charles CORBET : Le 11 juillet, les statuts d'Holco ont été déposés. Le temps que les formalités soient réalisées, Holco apparaît au K-bis aux alentours du 20 juillet. Mais Holco est créé dès le 11 juillet.

M. le Rapporteur : Mais que se passe-t-il entre le 2 mai et la date d'existence juridique de Holco ?

M. Jean-Charles CORBET : La lettre est en date du 11 juillet. A compter du 2 mai, j'ai demandé à CIBC de ne plus intervenir pour le Fonds Concorde. Comme CIBC ne peut pas intervenir pour une personne physique, on va créer une SAS, une personnalité morale, qui s'est appelée Holco. Cela peut vous paraître bizarre, anormal, etc., mais c'est la réalité. J'ai indiqué à CIBC, à partir du 2 mai, que je ne pouvais plus apparaître comme président du Fonds Concorde dans ce projet de reprise. Par conséquent, le travail que vous serez amené à faire sera fait pour une entité à créer. J'essaierai de vous retrouver la date précise de dépôt de Holco.

Nous avons continué à discuter avec la CIBC et David Mongeau, et à faire un travail qui était en devenir et sur lequel on a négocié les engagements de la CIBC. David Mongeau et la CIBC travaillant encore pour une personne physique, ce qui était un risque pour eux, le 11 juillet, ce mandat a été écrit par CIBC qui m'a demandé de le signer. Je l'ai accepté mais j'ai signé, moi Jean-Charles Corbet, pour Holco en précisant bien que je ne voulais plus être Jean-Charles Corbet, président du Fonds Concorde. C'est cela qui a été fait.

M. le Président : Nous avons du mal à comprendre l'environnement général dans lequel les accords ont été passés où il apparaît, dans des réunions informelles, des interventions qui se font dans un cadre de confiance, qu'on le veuille ou pas. Le fait d'intervenir en tant que président du conseil de surveillance vous apporte un crédit supplémentaire auprès de la banque.

M. Jean-Charles CORBET : Mais qui s'arrête le 2 mai.

M. le Président : Il est naturel que nous essayons de comprendre ce document, difficile à décrypter, qui fait apparaître une personne agissant avec plusieurs casquettes.

M. Jean-Charles CORBET : Peut-être n'est-ce pas suffisamment clair, mais je redemanderai, pour ce qui me concerne, une étude juridique plus précise sur le sujet. En l'état, cela me paraissait acceptable.

Mme Arlette GROSSKOST : Pour compléter, je pense que le mandat en tant que tel a été repris intégralement dans l'acte de reprise des engagements de votre société qui était en voie de constitution. Il doit donc être écrit, en tout cas dans le compte rendu de votre première assemblée générale, que vous avez repris ce mandat expressément à votre nom.

M. Jean-Charles CORBET : Oui, je l'ai repris. Je l'ai même signé avant la création formelle, puisque elle est du 29 juillet et que le document est signé le 11 juillet.

M. le Rapporteur : J'ai une troisième question à vous poser sur le montant de ce que vous avez versé. La société holding Holco, dont vous étiez le président, a versé 8,334 millions de dollars en trois versements : le 21 août, le 31 août et le solde, le 5 septembre.

Dans cette facture, il y a quatre composantes dont les deux premières sont les dépenses engagées pour 75 000 dollars et les honoraires de conseil pour 250 000 dollars.

Restent deux éléments :

- des honoraires pour avoir trouvé Aurel Leven et les 12,2 millions d'euros, pour lesquels vous avez versé 320 000 dollars.

- Les « advisory fees » pour 6,670 millions de dollars.

Quand on examine ce dernier poste dans le détail, et nous avons interrogé votre conseil Me Léonzi, il nous a fourni, sur le calcul de ces 6,670 millions de dollars, une note qui remonte au 12 juillet 2002 que nous n'arrivons pas à comprendre. Quand nous l'avons interrogé, ce n'était pas très clair car, en plus, il y a eu un débat sur la manière d'appliquer le contrat.

(Lecture.) «La somme de 6,670 millions de dollars correspond à la réduction du montant total dû contractuellement», qui était de 8 272 080 dollars, soit environ 1,6 million de dollars d'écart. «Cette somme de 8 272 080 dollars correspond elle-même à la rémunération due au titre des honoraires calculés sur la réduction du passif figurant au bilan de Swissair arrêté au 31 décembre 2000 à la somme de 4,7 milliards de francs français. La reprise des actifs sans passif ( plan de cession après dépôt) a ainsi donné lieu à l'application des 3 % prévus contractuellement de ce chef, soit une somme de 6 272 080 dollars. A cette somme, doivent être ajoutées les sommes que Swissair s'était engagé à verser aux termes du protocole d'accord pour un montant de 1,500 milliard. 1 % était dû contractuellement, soit 2 millions de dollars. Après demande de réduction formulée par Jean-Charles Corbet début août, CIBC a accepté de réduire le montant total contractuellement dû - 6,2 plus 2 soit 8,2 - à 6,2, soit en francs français a accepté de réduire ses honoraires de 62 millions de francs à 50 millions de francs.»

Ce sont des sommes énormes. Pourriez-vous nous expliquer le fondement de ces 6,67 millions qui auraient dû être 8,272 millions de dollars ?

M. Jean-Charles CORBET : Vous dites que ce sont des sommes énormes. Dans l'absolu, oui, mais dans la réalité, ce sont les sommes normales perçues par les banques d'affaires qui interviennent sur ce genre de reprise. Replaçons-nous dans le contexte du projet de reprise. Certes, dès le mois d'avril, la CIBC commence à travailler en prospective, mais on est dans le cadre où AOM Air Liberté est en conciliation, c'est-à-dire dans le cadre d'une continuation potentielle d'AOM Air Liberté après renégociation d'une diminution de passif avec les actionnaires de référence et un travail avec des investisseurs pour la fourniture de capitaux.

Dans ce cadre, les banques d'affaires travaillent toutes de la même manière, c'est-à-dire sur la base de commissions forfaitaires mensuelles. Pour la CIBC, de mémoire, ce forfait se situait aux alentours de 100 000 dollars par mois avec un forfait minimum de 250 000 dollars.

M. le Rapporteur : Mais ce n'est pas là-dessus que porte la question.

M. Jean-Charles CORBET : Ensuite, il y avait un « success fee » qui est un pourcentage en fonction de ce que la banque d'affaires peut diminuer ou négocier avec les actionnaires précédents en réduction de passif et ce qu'elle peut apporter en matière d'investisseurs. On était dans ce cadre-là.

Au 1er mai, puis le 19 juin, on était toujours dans le cadre d'un plan de continuation des entreprises. Le 11 juillet, nous étions toujours dans ce schéma. Qui dit plan de continuation dit travail de réduction du passif et d'apport en investissement. La CIBC, qui est une banque d'affaires anglo-saxonne, a travaillé en demandant 1 % de ces apports tant au niveau de la réduction de passif que de l'apport de fonds nouveaux.

Comment ont-ils fait leur calcul après la reprise ? Après la reprise, on avait un accord contractuel signé. Ils ont repris le passif d'AOM-Air Liberté au 31 décembre 2000 qui était de 4,7 milliards ; ils ont pris l'apport en capital de Swissair de 1,3 milliard. Un pour cent de cela donne une somme dont je n'ai plus le montant en tête. Le calcul est donné par la facture.

Après la reprise, dans la mesure où nous n'étions plus dans un plan de continuation mais dans un plan de cession, j'ai demandé à CIBC de bien vouloir considérer que la partie réduction de passif était un élément qui pouvait être diminué. Nous avons discuté. Malheureusement, c'est ainsi que fonctionnent les banques d'affaires, si un accord signé indique tel pourcentage, c'est ce pourcentage qu'il faut appliquer. Malgré tout, après négociation, CIBC a accepté de réduire sa commission pour la partie 1 % des apports.

M. le Rapporteur : Je ne comprends pas votre réponse pour la raison suivante. Swissair avait publiquement annoncé que, quel que soit le repreneur, elle verserait une somme de tant en contrepartie d'un engagement à ce qu'il n'y ait pas de recours sur le passé. Ceci, en plus, a été accepté par le tribunal. Par conséquent, CIBC n'a rien négocié du tout en la matière. Là-dessus, ils vous ont demandé de verser 1 % de cette somme, c'est-à-dire 2 millions de dollars. C'est l'inverse de ce que vous dites.

Quant à la première partie, les 3 % sur la réduction de passif, il n'y a pas eu de réduction de passif puisque le tribunal a choisi la solution d'une cession d'actifs. Par conséquent, il n'y avait aucun fondement à une somme considérable de 8,272 millions de dollars.

M. Jean-Charles CORBET : Je n'ai pas été clair. Je vais donc recommencer, M. le Rapporteur. Nous sommes au moment de la signature de cet accord contractuel qui a été pris, même s'il est signé le 11 juillet, à compter de mi-juin. Nous sommes dans un travail en continuation. Que Swissair ait fait des annonces publiques, c'est une chose. Nous avons eu des réunions avec Swissair, de même que CIBC. Swissair voulait choisir son repreneur.

M. le Rapporteur : Certes, mais ils avaient publiquement annoncé le montant qui avait été repris dans la presse.

M. Jean-Charles CORBET : La preuve en est que cela n'a pas été 2 milliards. Ce n'était pas une annonce formelle.

M. le Rapporteur : Vous n'étiez pas le seul concerné par la reprise. Donc c'était un montant global.

M. Jean-Charles CORBET : C'était un montant global, mais qui aurait dû être collecté par la banque d'affaires qui devait valider et mener les travaux. Si cela avait été 2 milliards, rassurez-vous, elle aurait pris 1 % de ce montant.

M. le Rapporteur : Mais vous, c'était uniquement la partie AOM-Air Liberté.

M. Jean-Charles CORBET : Non, on est en amont dans un travail avec une banque d'affaires avec laquelle on négocie. Quand on signe avec une banque d'affaires, on prend des engagements en amont et on négocie des accords. Si on considère le 1 % de réduction de passif de 4,7 milliards, c'est quelque chose qui était dans la normalité.

M. le Président : Le problème n'est pas là, mais dans la démarche telle qu'elle a été entreprise et son résultat. Si les autres repreneurs ont entrepris la même démarche que vous, ils ont dû payer les mêmes honoraires que vous.

M. Jean-Charles CORBET : Je pense que les autres repreneurs ont dû travailler avec des banques d'affaires. N'ayant pas été choisis au titre de la reprise, je ne sais pas ce qu'ils ont payé, mais ils ont dû probablement payer des « retainers » convenus avec ces banques.

M. le Président : Nous relevons l'importance de cette somme de 8 millions d'euros et le risque que vous avez pris, car vous avez vous-même indiqué que si vous n'aviez pas été retenu, vous auriez payé la facture sur vos fonds propres. Nous apprécions votre ardeur. Mais un point nous étonne dans cette affaire. Il y avait des investisseurs à trouver. Vous parlez du paiement de la facture par rapport à Swissair, or Swissair n'est pas un investisseur qui a été trouvé, puisque ceci résulte de la décision prise par le tribunal de commerce. Quel investisseur la CIBC a-t-elle trouvé pour vous permettre de faire le tour de table d'Air Liberté ?

M. Jean-Charles CORBET : Pendant tout ce travail qui a duré du mandat du 2 mai jusqu'à la reprise, CIBC travaillait avec une délégation qui était présente à Paris, avec une antenne à Londres et avec quelqu'un qui coordonnait à Toronto. CIBC avait approché un certain nombre d'investisseurs parmi lesquels, de mémoire, on retrouvait entre autres Bombardier, Air Canada, le Club Méditerranée et Preussag qui s'était déclaré publiquement.

M. le Président : Avez-vous eu des contacts avec ces différentes sociétés à partir du 27 juillet ?

M. Jean-Charles CORBET : C'étaient des contacts de la banque d'affaires.

M. le Président : Mais vous, en tant que société Holco, avez-vous eu des contacts avec ces investisseurs potentiels ?

M. Jean-Charles CORBET : Non. C'est le travail usuel des banques d'affaires.

M. le Président : Avez-vous vu ces investisseurs venir au tour de table de votre société ?

M. Jean-Charles CORBET : J'ai vu les lettres d'intérêt adressées à CIBC. CIBC a continué de travailler pour Air Lib jusqu'à sa liquidation. Je vous fournirai, après accord de CIBC, la liste de tous les contacts pris formellement depuis la reprise, et particulièrement à la fin, avec des investisseurs.

M. le Président : Je comprends cela, mais dans un contrat normal, il est prévu qu'on est payé au résultat et non pas au forfait. Or il s'avère que la manière dont la rétribution a été déterminée est une sorte de mélange des deux et que le résultat attendu n'a pas été au rendez-vous.

Notre problème est de savoir comment on peut lancer un plan de reprise d'une société comme Air Liberté, s'engager au niveau du tribunal de commerce pour mettre en oeuvre ce plan, avec des éléments aussi imprécis, pour ne pas dire improbables, que ceux dont vous faites état. J'en reviens au jour où vous avez dit au tribunal que vous étiez candidat en fonction de tous ces éléments et que le tribunal vous a fait confiance car ces éléments étaient considérés comme crédibles. Or il s'avère que tous ces éléments ne sont pas devenus réalité. Notre question est de savoir pourquoi.

M. Marcel BONNOT : Une juridiction, quelle qu'elle soit, n'a pas le droit de pécher par légèreté. Je ne dis pas qu'elle l'ait fait, mais en tout cas, vous avez pris des engagements financiers importants. Il ne semble pas qu'en corollaire, il y ait eu quelque garantie que ce soit.

J'ai cru comprendre aussi qu'en cours d'exécution du plan, vous changez de structure. Les recherches que vous faites pour trouver ces apports financiers auxquels vous vous êtes engagé n'arrivent pas. Mais le commissaire à l'exécution du plan vous interpelle-t-il, car il a une impérieuse obligation à cet égard ?

M. le Rapporteur : Pour compléter, je voudrais dire que rien n'a été payé au-delà des dates que j'ai indiquées. Nous n'avons pas trouvé dans votre comptabilité un quelconque versement. C'est quand même étrange car, dans quel cadre juridique agissait CIBC, à partir de septembre 2001. Vous avez mentionné qu'ils avaient continué à travailler pendant des mois. N'avez-vous jamais rémunéré CIBC pour cette période de travail ?

M. Jean-Charles CORBET : C'est un usage normal des affaires. CIBC acceptant de devenir la banque d'affaires d'Air Lib et s'étant rétribuée dans le cadre d'un contrat, comme c'est l'usage, a continué à accompagner Air Lib et Holco pour essayer d'apporter pour Air Lib des investisseurs. Cela paraît étonnant, mais c'est l'usage. Les banques d'affaires travaillent ainsi.

M. le Président : Mme Grosskost va compléter la question de M. Bonnot pour que vous puissiez répondre globalement.

Mme Arlette GROSSKOST : Qu'a fait le commissaire à l'exécution du plan ?

M. Jean-Charles CORBET : La reprise étant faite, CIBC n'a fait qu'appliquer le chapitre 5 de son accord contractuel et a continué à nous accompagner pour chercher des investisseurs. Il y a eu des contacts au cours du mois de septembre, peut-être même avant le 11 septembre mais je n'en suis pas sûr, avec Bank of Scotland. Arrive le 11 septembre qui a été catastrophique au titre de la recherche d'investisseurs.

Mme Arlette GROSSKOST : Qu'a fait le commissaire au plan ?

M. Jean-Charles CORBET : J'y viens. C'est très difficile de répondre formellement, mais le commissaire n'a rien fait. Je ne pense pas que cette réponse peut vous satisfaire.

M. le Président : S'il n'a rien fait, la réponse est claire.

M. Alain GOURIOU : Sur le travail que CIBC a continué d'effectuer après le paiement de ses honoraires, incluez-vous également un travail fait par CIBC auprès d'un investisseur néerlandais, lequel a failli investir des fonds dans l'entreprise lors de la dernière phase de liquidation d'Air Lib ?

M. Jean-Charles CORBET : CIBC est intervenu et a fait tout le travail de constitution de la « dataroom ». Mais CIBC est également intervenu lors de notre contentieux avec Aurel Leven, investisseur que CIBC avait trouvé, pour que nous puissions trouver un accord amiable. Je crois que CIBC, sur la partie que nous lui avions rémunérée au titre d'Aurel Leven, a également contribué à une partie significative pour dédommager Aurel Leven.

CIBC a fait son travail normalement, parce que c'est l'usage. Cette banque nous a accompagnés tout au long de ces dix-huit mois et était présente à nos côtés quand IMCA est venu demander nos comptes et nos résultats. C'est CIBC qui a fait ce travail de constitution de la « dataroom ».

M. le Président : Je vous propose une dernière question, puis de revenir pour une prochaine séance, compte tenu de la longueur de l'audition.

Je voudrais vous rappeler qu'en page 13 du compte rendu du comité d'entreprise d'Air Lib du 29 avril 2002, vous avez indiqué la chose suivante : «Je me suis investi à titre personnel, avant la reprise, pour faire travailler un certain nombre d'interlocuteurs bénévolement jusqu'à la reprise.»

Considérez-vous que ce l'on vient d'évoquer constitue une intervention bénévole ?

M. Jean-Charles CORBET : Les mots exprimés en comité d'entreprise le sont dans un certain contexte. Quand j'ai dit «bénévolement, avant la reprise», cela veut dire qu'ils n'ont pas touché de rémunération jusqu'après la reprise.

Pour CIBC en particulier, j'avais donné à David Mongeau l'assurance que je lui apporterais au moins le paiement de ses frais engagés, à titre personnel. Pour ce faire, j'aurais vendu des actions d'Air France. Il l'a accepté.

Pour ce qui concerne les autres cabinets, ils ont pris leur risque en disant que si cela ne se faisait pas, ils auraient vécu une belle aventure et que, de toute façon, ils seraient payés en « success fees ».

M. le Président : Ce travail n'a en rien été bénévole puisqu'il a été payé, et largement, en août. Bon an mal an, tout ce cumul d'honoraires et de salaires représente environ 28 millions d'euros sur la période. Certes, une partie étant versée en salaires, une autre en honoraires, je fais une confusion mais c'est global. Nous aborderons le fait, lors de votre prochaine audition, que ce sont 30 millions d'euros que vous demandez à l'Etat.

Est-ce une erreur de votre part quand vous évoquez, devant votre comité d'entreprise, le fait que les gens aient travaillé bénévolement ? Au final, on s'aperçoit que ce n'est pas le cas.

M. Jean-Charles CORBET : Que veut dire bénévolement ?

M. le Président : C'est vous qui avez utilisé ce mot !

M. Jean-Charles CORBET : Il faut savoir si on situe ce mot bénévolement à l'instant T ou à l'instant T+1. Le mot est impropre, je vous l'accorde.

M. le Rapporteur : Je voudrais aller plus loin dans cette question. En mars ou avril, vous avez constitué votre équipe, composée de Me Léonzi, la CIBC, vous-même et les deux personnes d'Air France que vous avez recrutées dont l'une était à la retraite depuis près de deux ans. A ce moment-là, leur avez-vous dit que si l'affaire réussissait, leurs gains seraient de tant ?

M. Jean-Charles CORBET : Ce n'est pas tout à fait ainsi que cela s'est fait, mais le résultat a été celui-là.

M. le Rapporteur : Donc c'était bénévole. Merci.

M. Jean-Charles CORBET : Attendez, je veux terminer. Tout d'abord, l'équipe n'était pas constituée que de ceux que vous avez cités, d'autres sont intervenus : les personnes qui ont élaboré le business plan, l'ont modélisé et mis en machine avec les équipes d'Air France, les cabinets belges qui ont examiné la possibilité d'un antagonisme avec Air France au titre de la concurrence, etc.

A tous ceux-là, je leur ai dit que je pourrai les payer seulement en cas de reprise et de réussite. Je vous signale que, dans le business plan proposé au tribunal de commerce, il y a une ligne « frais de reprise » pour 100 millions de francs, ligne que le tribunal a avalisée.

M. le Rapporteur : Vous rendez-vous compte de ce que vous dites ? Vous nous dites que vous avez fait travailler des équipes d'Air France, avec l'accord de la direction si j'ai bien compris...

M. Jean-Charles CORBET : Non, des gens qui ont travaillé avec les équipes d'Air France.

M. le Rapporteur : Ce n'est pas ce que vous avez dit. Vous nous avez dit que ce sont des équipes d'Air France qui vous ont aidé à élaborer les premiers programmes. Elles étaient payées. C'est leur direction qui les a autorisés à le faire. Il n'y a rien de bénévole dans ce que vous avez indiqué.

M. Jean-Charles CORBET : Il fallait qu'il y ait des équipes du repreneur. Ce ne sont pas les équipes d'Air France qui ont fait seules le programme du repreneur.

M. le Président : Nous comprenons cela. Nous essayons de mieux appréhender l'ambiance et surtout de voir le processus décisionnel.

Je voudrais rester sur cette ligne. Je comprends bien qu'il y ait eu des réunions informelles au cours desquelles on prend des décisions définitives, irréversibles et essentielles. C'est surprenant dans la méthode, mais on peut l'imaginer. On comprend bien qu'un document soit signé d'une part par la même personne, mais pas d'autre part, et que pourtant ce document implique un certain nombre d'engagements.

Ce qui m'interpelle, c'est que page 9 de ce compte rendu du comité d'entreprise du 29 avril 2002, vous avez précisé que CIBC avait été rémunéré pour quatre mois et demi de travail. Me Léonzi, de son coté, indique n'avoir eu que trois semaines pour établir le plan de reprise. Comment peut-on avoir, d'un côté, une banque d'affaires qui coûte si cher et qui travaille pendant quatre mois et demi et, d'un autre, votre avocat qui n'a eu que trois semaines pour préparer le plan ? N'y a-t-il pas eu un travail d'équipe ?

M. Jean-Charles CORBET : Il faudrait poser la question à Me Léonzi. Quand il veut dire trois semaines, cela correspond à la rédaction du document entre fin mai et début juin.

M. le Président : Donc, il ne s'agit pas de l'élaboration du plan, mais plutôt de sa rédaction.

M. Jean-Charles CORBET : Je ne peux pas répondre à sa place.

M. Gilbert GANTIER : J'ai suivi le débat avec attention. J'aurai une question de déontologie à poser à M. Corbet. Vous avez quitté Air France le 1er septembre 2001. Or, lors de toute la période que nous venons de passer en détail, vous avez trois activités.

J'ai beaucoup d'admiration pour le temps que vous avez pu consacrer à ces trois activités : une activité syndicale d'Air France, une activité de pilote, une activité d'homme d'affaires qui négocie avec des banques, des investisseurs, des syndicats.

D'un point de vue déontologique, est-il conforme d'exercer à la fois toutes ces fonctions ? Vous avez même indiqué tout à l'heure, ce qui m'a étonné, que dans l'administration d'une entreprise, il y a deux hommes clés : le président de la compagnie et le président du syndicat le plus important. C'est ce que j'appellerai une sorte de cogestion, qui n'existe pas dans notre droit et qui me paraît étonnante.

Comment, d'un point de vue déontologique, vous est-il apparu possible d'être à la fois salarié d'une compagnie, président d'un syndicat très important et de mener ces négociations complexes avec des banques d'affaires, des avocats ?

Par ailleurs, cela ne vous posait-il pas de problèmes du fait qu'Air Liberté, puis Air Lib, devait être en concurrence avec Air France sur certaines lignes ? Je reprends un exemple. Serait-il normal qu'un homme très important de Renault Automobiles mène des négociations avec Peugeot en disant que l'on va faire ceci ou cela ? D'un point de vue déontologique, cela me parait étonnant.

J'aimerais savoir, d'une part, comme vous avez pu organiser votre temps entre ces trois activités et d'autre part, si cette situation vous a paru normale. Lors d'une précédente audition, nous avons entendu M. Paris qui est administrateur d'Air France. Il nous a indiqué que vous aviez des liens d'amitié très étroits et qu'il vous donnait des conseils au point de vue de la communication. Je suis très étonné de ce continuel mélange des genres.

M. Jean-Charles CORBET : Sur l'organisation de mon temps, je suis quelqu'un qui peut, sur des périodes relativement longues, ne dormir que deux heures par nuit. C'est une de mes déformations professionnelles. Je peux rester, pendant un mois, un mois et demi, voire deux mois, à ne dormir que deux heures par nuit. C'est ce qui s'est passé pendant la reprise.

Au titre de la déontologie, quand j'avais des courriers, je m'astreignais à me reposer avant. La déontologie, pour moi, n'avait qu'un but qui était double : le transport aérien français et ses emplois, d'une part ; l'intérêt d'Air France qui est une compagnie toujours chère à mon coeur, pour laquelle j'ai donné beaucoup et que j'ai quittée le coeur serré, d'autre part.

Il s'agissait, avec cette reprise, de faire en sorte qu'Air France n'ait pas un concurrent, mais qu'Air France ait, à côté d'elle, une entreprise qui lui permette de continuer à se valoriser et à se développer sans avoir une épine dans le pied.

C'est la raison pour laquelle j'ai pu parler de service commandé parce que pour moi, la vie d'Air France n'était pas possible, en 2001, si on avait eu une arrivée massive d'EasyJet et de Ryanair, ce qui aujourd'hui n'est plus le cas. Ces deux années gagnées font qu'Air France est tranquille pour un an ou deux.

La déontologie, pour moi, était de pouvoir conduire un projet, sans m'en cacher de ma direction et de ma tutelle, qui avait pour but la défense de l'emploi, le transport aérien et faire en sorte qu'Air France ne prenne pas de plein fouet des problèmes en 2001.

M. le Président : J'entends bien que la déontologie soit de soutenir Air France. Toutefois, il y a confusion de déontologie en la matière : soutenir Air France, d'un coté, et faire vivre Air Lib de l'autre. C'est certainement un exercice très difficile.

M. Gilbert GANTIER : Plusieurs fois, vous avez fait référence à « ma tutelle ». Pouvez-vous être plus précis ?

M. Jean-Charles CORBET : La tutelle d'une compagnie aérienne, c'est le ministère des transports.

M. Gilbert GANTIER : Vous n'étiez pas président d'Air France.

M. Jean-Charles CORBET : Disons « la tutelle » plutôt que « ma tutelle ».

M. Louis-Joseph MANSCOUR : J'ai écouté avec beaucoup d'attention vos propos. Vous avez dit que votre objectif premier était de protéger Air France et les salariés d'Air Lib, ce qui est tout à fait louable. Toutefois, j'ai le sentiment que vous avez sacrifié, sur l'autel de vos intérêts particuliers, les intérêts d'Air France et ceux des salariés d'Air Lib. N'avez-vous pas également ce sentiment ?

M. Jean-Charles CORBET : Je vous répondrai très laconiquement. Je ne crois pas. Je crois que l'engagement, qui était le mien, est exactement l'inverse de ce que vous dites. C'est mon sentiment mais je comprends que vous ne le partagiez pas.

Mme Odile SAUGUES : A propos du déroulement de cette audition, je voudrais vous dire le sentiment que j'ai. On a constaté que la progression était très lente. De ce fait, il était difficile de poser les questions que l'on souhaitait dans le temps imparti. J'ai bien compris qu'il y aura une autre audition. Cette progression est lente parce que les questions que vous posez, M. le Président et M. Le Rapporteur, sont renouvelées parce qu'au-delà des réponses apportées par M. Corbet, vous portez des jugements sur le fond. C'est votre droit, mais j'ai l'impression qu'il y a une sorte « d'acharnement » qui n'a pas lieu d'être dans cette commission. D'une part, notre commission n'est pas un tribunal. D'autre part, ceci nous fait perdre beaucoup du temps, sachant que votre jugement, M. le Président et M. le Rapporteur, sera porté dans le rapport que vous ferez, ce qui est tout à fait normal. Si, à chaque réponse apportée par M. Corbet et qui vous semble imprécise, ce qui est le cas, vous portez un jugement de valeur, ce ne seront pas deux auditions mais beaucoup plus qu'il faudra programmer pour que nous puissions, à notre tour, poser nos questions, qui ne sont peut-être pas du même ordre, mais sont tout aussi intéressantes pour l'éclairage que nous souhaitons avoir sur la fin d'Air Lib.

M. le Président : Madame Saugues, je constate, et c'est votre problème, qu'à l'issue de quatre heures d'audition, vous posez votre première question. Vous aviez loisir d'en poser tout au long de l'audition, mais vous n'avez pas jugé opportun de le faire.

Mme Odile SAUGUES : Mes questions portent au-delà de la période à laquelle nous sommes arrivés aujourd'hui !

M. le Président : Il vous reviendra de participer aux autres auditions. C'est votre problème d'y participer ou pas.

Par ailleurs, je constate que, juste au moment où je vais lever la séance, vous en profitez pour faire ce que je considère comme un dégagement d'ordre politique au nom de l'opposition, dans le cadre d'une commission d'enquête parlementaire, où il n'y pas de dichotomie à faire entre opposition et majorité puisque nous sommes tous membres de la commission d'enquête. Le député qui vient d'intervenir est également membre de l'opposition et a porté un jugement diamétralement opposé au vôtre. Mettez-vous d'accord entre vous si vous voulez faire des interventions d'ordre politique.

Je remercie M. Corbet d'avoir répondu à nos questions. C'est vrai que nous l'avons poussé à la précision, car nous voulons obtenir des réponses précises à des questions précises. Nous sommes arrivés au terme des questions relatives à la décision du tribunal de commerce. La suite du processus sera abordée dans une audition ultérieure.

Si vous en êtes d'accord, M. Corbet, nous pourrions vous entendre à nouveau le 21 mai à 16 heures 15.

M. Jean-Charles CORBET : Ça ne sera pas possible en ce qui me concerne.

M. le Président : Nous reprendrons contact avec vous.

Audition de M. Laurent Fabius,
ancien ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie

Procès-verbal de la séance du mercredi 21 mai 2003

Présidence de M. Patrick Ollier, Président

Le témoin est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, le témoin prête serment.

M. le Président : Nous accueillons aujourd'hui M. Laurent Fabius, ancien Premier ministre et ancien ministre de l'économie et des finances du gouvernement précédent.

Nous avons souhaité entendre votre témoignage car vous étiez en charge du ministère de l'économie et des finances lorsque le gouvernement a pris, en janvier 2002, la décision d'octroyer un prêt du FDES à la compagnie Air Lib qui traversait alors de graves difficultés. Cet après-midi, nous entendrons, dans les mêmes conditions, MM. Francis Mer et Gilles de Robien, puis la semaine suivante, MM. Dominique Bussereau et Jean-Claude Gayssot. Ainsi nous aurons entendu le témoignage de tous les ministres qui étaient en charge ou qui sont en charge aujourd'hui de ce dossier d'Air Lib. Enfin, nous avons souhaité entendre à nouveau M. Jean-Charles Corbet.

Nous avons eu l'occasion, dans cette commission d'enquête, d'entendre les différents acteurs concernés par ce dossier, notamment le secrétaire général du CIRI et l'ancien directeur de cabinet de M. Gayssot qui nous ont exposé en détail comment et pourquoi le précédent gouvernement avait décidé de se porter au secours d'Air Lib et comment le dossier avait été constitué.

Nous avons pu constater que les positions initiales des différentes administrations n'étaient pas forcément concordantes à l'époque et qu'il avait fallu un arbitrage du Premier ministre pour qu'un prêt du FDES soit accordé. En un exposé d'une dizaine de minutes, pouvez-vous nous expliquer comment vous avez reçu ce dossier, lorsque vous en avez entendu parler pour la première fois ? Ensuite, votre audition se poursuivra sous forme d'un échange de questions et réponses.

M. Laurent FABIUS : J'ai mobilisé mes souvenirs et essayé de retrouver les documents de l'époque, car ce dossier Air Lib, quoi que très important, n'est que l'un des éléments dont j'ai pu être saisi lors de mes fonctions. Pour ne pas commettre d'inexactitudes, je me suis référé aux pièces qui peuvent exister.

Mon analyse à l'époque, selon les éléments du dossier, était que les difficultés financières d'Air Lib avaient principalement deux séries de causes : des causes structurelles et des causes liées à la conjoncture.

Concernant les causes liées à la conjoncture, il s'agissait de la désaffection très importante des voyageurs après les événements dramatiques du 11 septembre, et le non-remboursement par Swissair à Air Lib de la totalité de sa créance. Quant aux causes structurelles, il s'agissait d'une compétition très forte sur les lignes intérieures qui s'explique par le TGV, les compagnies à bas coûts et, d'après ce qui était indiqué par les documents et les analyses, le coût salarial des pilotes qui était important.

Ces deux séries de causes expliquaient, pour l'essentiel, les difficultés financières d'Air Lib. Lorsque le dossier a été examiné et par rapport à un objectif légitime qui était de permettre à Air Lib de vivre durablement, de préserver ses emplois et de maintenir un second pôle aérien français, notre analyse - et la mienne en particulier - a été qu'il était nécessaire de remplir deux conditions.

La première était d'essayer d'aider Air Lib à passer le cap conjoncturel difficile que la compagnie connaissait. C'est dans ce cadre conjoncturel que, dans le respect des règles existantes, un certain nombre de dispositions fiscales ont été mises en oeuvre :

- un réaménagement du régime de TVA ;

- un moratoire fiscal et social, comme cela est pratiqué dans un tel cas ;

- une autorisation de la mise en place d'un GIE fiscal ou d'intérêt économique.

Ces dispositions avaient pour but d'aider la société à passer le cap conjoncturel. En outre, à l'automne 2001, juste après le 11 septembre, j'ai présenté un plan général de soutien à l'économie qui comportait un volet d'aides particulier à l'ensemble du secteur aérien touchant notamment les assurances. Cet ensemble de dispositions devait aider Air Lib à passer un cap conjoncturel difficile.

Cela ne pouvait être efficace que si l'on poussait parallèlement l'entreprise à engager toute une série de restructurations qui s'avéraient nécessaires. Il fallait mener des négociations de modération salariale avec les pilotes. Vous vous rappelez sans doute que ce volet avait été tout à fait important dans le redressement d'Air France à partir de 1998. Puis, il fallait mieux valoriser les activités rentables de la compagnie, c'est-à-dire la desserte des DOM-TOM.

Mon analyse était que ces deux conditions, l'aide conjoncturelle et la restructuration, devaient être respectées si l'on voulait permettre à l'entreprise de poursuivre son activité et d'intéresser des investisseurs.

Malheureusement, au début de l'année 2002, j'ai eu le sentiment que l'Etat, de son côté, faisait des efforts financiers pour aider l'entreprise à passer un cap conjoncturellement difficile, mais qu'en revanche, la société ne mettait pas en place les réformes structurelles nécessaires. Si ce déséquilibre devait être maintenu, cela signifiait que toute aide financière de l'Etat risquait de devenir non seulement inutile, mais à la limite contre-productive. En effet, elle permettrait sans doute à l'entreprise de vivre provisoirement, mais comme il n'y avait pas de restructuration, l'entreprise se viderait progressivement de sa substance.

En janvier, je suis intervenu en ce sens, auprès du Premier ministre, lors de la décision d'octroi d'une première tranche de prêt FDES à l'entreprise et, en février, lors de l'octroi de la seconde tranche.

Quelle a été la position du gouvernement ? Les ministres donnent leur position, l'arbitrage revenant naturellement au Premier ministre. Le diagnostic d'ensemble, c'est-à-dire les difficultés conjoncturelles et la nécessité de la restructuration, était partagé par l'ensemble des ministres concernés. Mais les ministères, en fonction de leurs tâches, peuvent avoir des sensibilités différentes sur un dossier car chacun en défend un aspect particulier. Dans le cas présent, les ministères pouvaient avoir des sensibilités différentes sur le calendrier et, à certains égards, sur des aspects de fond, ce qui est habituel et légitime.

Le ministère des transports insistait en particulier sur la nécessité de donner plus de temps à l'entreprise pour passer le cap conjoncturel. Il s'appuyait, à mon souvenir, sur des éléments liés au secteur des transports, c'est-à-dire la perception d'un climat social qui était délicat pour faire aboutir une négociation avec les pilotes, la reprise dans le transport aérien, les problèmes de concurrence sur les lignes intérieures liés à la politique d'attribution des créneaux horaires, car si Air Lib disparaissait, des créneaux horaires se libéraient.

Du côté du ministère des DOM-TOM, il y avait la nécessité de mobiliser les élus sur ce dossier et l'insistance sur la desserte territoriale. Le Premier ministre, compte tenu des arguments que j'ai développés et ceux qu'ont développés mes collègues, a choisi de donner un délai supplémentaire au processus. Toutefois, ce délai a été très encadré pour permettre à l'Etat d'obtenir d'Air Lib des engagements écrits sur ses intentions. A cet égard, le ministère de l'économie et des finances, comme c'est sa fonction, a joué un rôle particulier car, jusqu'alors, il n'y avait pas eu d'engagement écrit.

Ceci a abouti à trois novations : d'une part, le prêt FDES était limité à six mois, soit jusqu'au 9 juillet 2002. Ceci offrait un délai suffisant à l'entreprise tout en créant une clause de rendez-vous ferme avec l'Etat, pour limiter, au-delà de cette date, les engagements pris par l'Etat vis-à-vis de la compagnie.

Après le 9 juillet, j'ai cru comprendre que le prêt avait été renouvelé, mais en tout état de cause, ma position, qui a été suivie par le Premier ministre, a été la suivante : l'Etat accordait un prêt, mais sur six mois car il fallait des éléments de garantie.

Par ailleurs, quand on examine le dossier et les documents, on constate qu'il a été exigé, à la demande du ministère des finances, que Holco, qui est la holding de M. Corbet, soit contrainte de reverser à Air Lib les dotations qu'elle avait reçues de Swissair. C'était un point essentiel, sinon c'était la matière qui, en quelque sorte, s'échappait. Enfin, la société s'engageait à se restructurer et à chercher de nouveaux actionnaires. Ce sont les trois points qui devaient permettre d'avancer dans ce dossier.

Telle était la situation au printemps 2002. J'ajoute que j'ai fait en sorte d'impliquer au maximum l'administration, en l'occurrence le CIRI que vous avez, je crois, reçu. L'une des personnes qui suivait le dossier au CIRI est maintenant directeur adjoint au cabinet du ministre. Il était souhaitable que le CIRI suive ce dossier, du fait de la compétence de cette administration pour ce type de problème. Puis n'oublions pas que, compte tenu de l'échéance électorale, il était important que la continuité de l'Etat soit assurée, ce qui a été le cas certainement puisque les personnes qui suivaient ce dossier à la direction du Trésor ont aujourd'hui des fonctions importantes dans le ministère. Voilà en quelques mots quelle était ma position à l'époque.

Pour conclure, je dirai ceci. Quand on examine les documents, on constate que l'administration des finances a été réticente à verser des fonds. Certes, on peut dire que c'est la position générale de l'administration des finances, mais il y avait là une analyse spécifique en ce sens que le versement ne pouvait être subordonné qu'à certaines conditions. J'ai d'ailleurs eu l'occasion d'écrire au Premier ministre pour définir ma position.

J'ai insisté en particulier sur la nécessité de lever l'opacité de la holding Holco. A l'article 9, me semble-t-il, de la convention de prêt, il a été prévu de mobiliser les disponibilités d'Holco au bénéfice d'Air Lib et enfin, ultérieurement dans la pratique, l'affaire a été suivie pour éviter qu'il y ait des dérives, dans la mesure où l'administration du Trésor ou le CIRI nous alertait.

M. le Président : Je vous remercie pour cet exposé qui confirme nos informations. Nous sommes, dans cette commission d'enquête, soucieux de savoir la raison pour laquelle l'Etat a accordé un prêt de 30,5 millions à l'époque. Le but de notre commission d'enquête est de savoir si tout ceci a été utile à la société et si celle-ci a bien utilisé ces fonds publics.

M. Laurent FABIUS : Pour ma part, je ne peux naturellement répondre que pour la partie couverte par mon mandat.

M. le Président : Bien entendu. C'est sur ce point que nous souhaitons vous poser quelques questions, car il ne nous a pas échappé que votre ministère avait eu une position très claire. C'est ce que je souhaitais vous voir confirmer. Le problème pour nous est de savoir quel ministre a pris telle position et ensuite pourquoi il a été décidé quelque chose de différent.

Nous avons les documents auxquels vous avez fait allusion. En particulier une note, en date du 5 janvier 2002, signée par le directeur du Trésor et qui vous est adressée sur laquelle il inscrit de sa main, après sa signature, la mention suivante : « J'attire l'attention du ministre sur plusieurs points. Les ressources du CST sont insuffisantes pour répondre aux demandes d'Air Lib. Deuxièmement, nous sommes face à une entreprise qui n'a ni actionnaire, sauf M. Corbet à titre personnel, ni banquier même pour l'exploitation courante, ni ressources si ce n'est une créance sur Swissair. Les pertes d'exploitation s'élèvent à plus ou moins 100 millions d'euros depuis août 2001. (...) »

Par rapport à la situation de cette entreprise, la conclusion du directeur du Trésor, de même que la vôtre, était plutôt négative. Les conditions dans lesquelles, six mois avant votre décision, le tribunal de commerce a choisi M. Corbet comme repreneur étaient claires.

Ce dossier comportait un business plan surdimensionné qui n'a pas été respecté, un plan de redressement qui n'a pas été mis en oeuvre, des soutiens financiers annoncés avec une lettre d'évidence de fonds de 80 millions et l'accès à l'actionnariat pour les salariés d'un montant de 150 millions d'euros qui n'ont pas été mobilisés. Comme il n'y avait ni banque, ni actionnaire, le directeur du Trésor était fondé de vous faire cette observation manuscrite.

Sur cette même note, vous avez écrit de votre main : «Sur instruction du Premier ministre et malgré mes réserves expresses, prêt FDES de 16,5 millions.» Vous confirmez bien que vous étiez réticent à l'octroi de ce prêt, puisque vous l'avez écrit vous-même. Mais ce que nous voudrions comprendre, c'est pourquoi, malgré la réticence du ministre compétent en matière d'économie et de finances, ce prêt a été accordé quelque temps après.

M. Laurent FABIUS : Je suis amené à redire ce que je disais au début, mais en étant si possible encore plus précis. Vous devez certainement avoir, puisque vous avez la note du directeur du Trésor, mes annotations et les bleus de Matignon. Ces bleus de Matignon répondent à votre observation puisqu'il y a eu, d'après le dossier tel que je l'ai reconstitué, une ou plusieurs réunions à Matignon qui ont décrit les positions des différents ministres à partir desquelles l'arbitrage a été opéré.

Je peux vous redonner ma position, mais en vous renvoyant à ces bleus de Matignon, car c'est ce qui vaut décision. Quand je dis « sur instruction du Premier ministre », c'est parce que cela a été décidé et acté par le bleu de Matignon.

La position qui était la mienne était de dire que les difficultés d'Air Lib avaient pour origine des causes conjoncturelles et des causes structurelles. S'il y avait un effort à faire, cet effort devait être soumis à des conditions dont une restructuration, etc. Puis d'autres ministères, comme le ministère des transports et celui des DOM-TOM, ont fait valoir, comme c'est parfaitement légitime de leur part, des arguments liés, pour les DOM-TOM, à la nécessité de ne pas avoir de rupture de desserte, pour les transports, des arguments que j'ai énoncés tout à l'heure.

Dès lors, le Premier ministre, dont c'est le rôle, a arbitré. Mon administration et moi-même avons fait en sorte que ce prêt soit le plus encadré possible. Nous l'avons fait en lui donnant une durée courte, six mois, et en écrivant que le prêt devait être remboursé le 9 juillet 2002. Vous interrogerez sans doute mon successeur sur la raison pour laquelle ce prêt n'a pas été remboursé. Mais à l'époque, nous avions pris des garanties juridiques. Je ne sais pas d'ailleurs si le prêt a été renouvelé, auquel cas il y a certainement eu un avenant signé par mon successeur.

Néanmoins, à ce stade, j'ai fait en sorte que le prêt soit d'une durée courte et qu'il soit prévu expressément un remboursement. Vous noterez aussi que, dans le préambule de la convention du 9 janvier 2002, il était précisé que ce prêt se plaçait dans le cadre d'une restructuration de l'entreprise. Je cite : « Le plan de restructuration, tel qu'envisagé par la direction de la société citée, comprendra les mesures de réorientation de la politique commerciale et de réorganisation de l'entreprise permettant un retour à l'équilibre d'exploitation en 2003 et l'arrivée d'investisseurs privés et publics dans le prolongement entamé avant les événements du 11 septembre 2001. »

On ne peut être plus précis que cela dans une convention de ce type. C'était le deuxième verrou qui avait été mis.

Troisièmement, il était précisé que « ce prêt se plaçait dans l'attente du paiement des créances dues par l'ensemble des personnes morales composant le groupe Swissair. » D'autre part, il était prévu, à la demande du ministère des finances, un « nantissement du fonds de commerce comme garantie ».

Pour être complet, j'ai adressé à nouveau une lettre au Premier ministre au mois de février pour s'assurer que Holco, société holding de M. Corbet, ne gardait pas des réserves de son côté, au lieu de les apporter à ses filiales opérationnelles. A la demande du ministère des finances, nous avons obtenu « un engagement de la société Holco d'affecter ses ressources en trésorerie et dans les limites de celles-ci pour financer en tant que de besoin l'exploitation d'Air Lib. »

Quand vous additionnez tous ces éléments, cela montre que nous n'avons pas fait un chèque en blanc, loin de là, à Air Lib. A la fin 2001, M. Corbet semblait prendre des engagements oraux vis-à-vis du ministère des transports. Début 2002, grâce à l'action conjointe des administrations, nous avons obtenu que ces engagements soient écrits et qu'ils soient associés à la convention de prêt. Les responsabilités étaient donc clairement établies et devaient aboutir, si nécessaire, le 9 juillet 2002, date de dénouement du prêt.

Le 9 juillet 2002, une situation nouvelle se présentait :

- soit le gouvernement obtenait le remboursement de la créance,

- soit il vérifiait qu'un plan de restructuration permettant un retour à l'équilibre d'exploitation en 2003 existait et que la trésorerie de Holco finançait bien l'exploitation d'Air Lib.

Ce sont quelques éléments en complément de mon propos liminaire.

M. le Président : Vos propos confirment ce que vous avez écrit et les conditions dans lesquelles ce prêt a été accordé. Je n'ai pas lu tout à l'heure la quatrième mention du directeur du Trésor qui est également importante, parce qu'elle répond aux conditions juridiques que vous avez souhaité obtenir. En effet, je rappelle que le tribunal de commerce avait obtenu également des conditions dont aucune n'a été respectée, ce qui motive notre inquiétude. L'engagement des fonds publics a été fondé sur des conditions qui, hélas, n'ont pas plus été respectées.

Le directeur du Trésor rajoutait en quatrième alinéa : « Il n'y a aucune perspective de remboursement des concours. » Je comprends très bien votre réticence, monsieur le Premier ministre. Même si on estimait qu'il était important de soutenir les lignes pour les DOM ou l'activité de la société, à l'évidence les analyses de l'époque montraient qu'il y avait peu de perspectives crédibles de voir cette société survivre aux difficultés qu'elle rencontrait.

Vous avez écrit au Premier ministre, le 15 février 2002, un courrier dans lequel vous dites au dernier alinéa : « (...) Dans de telles conditions, il semble que, sauf mesures draconiennes prises par Air Lib, le versement d'une deuxième tranche de prêt ne ferait que repousser artificiellement la cessation de paiement de l'entreprise. » Nous sommes d'accord sur ce point. Si vous l'avez écrit, c'est que vous le pensiez sincèrement. Ce sont ces éléments que nous souhaitions vous entendre confirmer.

M. Laurent FABIUS : Je vous confirme que je suis bien l'auteur des lettres que...j'ai signées.

Nous pouvons lire ces lettres dans leur intégralité. J'ai écrit deux lettres, comme cela se fait couramment dans de tels cas. Lors d'une réunion interministérielle, chaque administration prend position et, parfois, les ministres écrivent au Premier ministre pour lui donner leur position. Ensuite l'arbitrage appartient au Premier ministre.

J'ai donc écrit ma position. La première lettre, en date du 8 janvier 2002, est adressée à M. Jospin. (Lecture.) « Vous m'avez demandé de préparer un prêt FDES de 30,5 millions d'euros à la compagnie Air Lib. Je souhaite de nouveau vous faire part de mes plus vives réserves sur une nouvelle initiative de soutien, comme je l'avais fait la semaine dernière, lors de la réunion que vous avez organisée avec Jean-Claude Gayssot et Christian Paul. D'après mes informations, l'entreprise n'a pas les moyens de survivre durablement dans sa configuration actuelle. Son actionnariat est fragile. Malgré les annonces de ses dirigeants, elle n'a aucune perspective sérieuse de nouveaux investisseurs ou prêteurs. Son management est beaucoup trop instable pour que l'Etat dispose réellement d'interlocuteurs crédibles, particulièrement en matière financière. Sa stratégie est mouvante et ses revirements récents en faveur de compagnies low costs sont particulièrement aléatoires, avec des personnels qui n'ont toujours pas appliqué les engagements de réduction salariale pris l'an dernier. A l'automne, j'ai annoncé avec Jean-Claude Gayssot, un plan de soutien au secteur aérien. Je viens d'ailleurs de notifier à Bruxelles un prolongement du dispositif en faveur de l'assurance aviation. En outre, Air Lib a plus spécifiquement bénéficié de mesures fiscales exceptionnelles, changement de régime TVA, moratoire de dettes fiscales et sociales, octroi d'un GIE fiscal, si l'ensemble des parties parvient à s'entendre. Aller au-delà de ces mesures fortes, qui doivent transformer l'entreprise en forme de commandite publique sans bénéfice aucun sur long terme. Il ne faut pas qu'un soutien excessif de l'Etat, au regard des ajustements nécessaires, fasse perdurer les déficits récurrents et vide progressivement l'entreprise de ses derniers actifs pourtant bien utiles lorsque la compagnie devra repartir sur des bases fondamentalement nouvelles.»

C'était donc, de la part d'un ministre des finances attentif aux deniers publics, une position nette adressée au Premier ministre avant son arbitrage : la situation financière est très difficile, attention à ne pas dépenser l'argent du contribuable en vain. N'oublions pas que dans la dernière phrase, il est dit que l'on peut repartir sur des bases fondamentalement nouvelles, mais cela suppose un certain nombre de conditions. Ensuite, il y a la réunion à laquelle il a été fait allusion. Les ministres font valoir leur point de vue, puis le Premier ministre donne son accord pour octroyer un prêt, mais en y mettant des conditions, notamment celles proposées par le ministre des finances.

Le prêt comporte une première tranche de 16,5 millions d'euros, puis une seconde tranche au mois de février.

M. le Président : Il nous a été dit que ce prêt a été attribué en deux tranches du fait que les fonds mobilisables ne permettaient pas de verser tout en une tranche. Est-ce exact ?

M. Laurent FABIUS : Certes, il faut que les fonds soient disponibles. A cette époque, un certain nombre de prêts FDES ont été attribués. D'ailleurs, je crois comprendre que mon successeur en a attribué après, notamment à Air Littoral me semble-t-il.

Je réécris, le 15 février 2002, au Premier ministre concernant l'octroi de la deuxième tranche. « La compagnie Air Lib a bénéficié, en janvier 2002, du versement d'une première tranche de 16,5 millions d'euros d'un prêt du FDES d'un montant total prévu de 30,5 millions. Avant de verser la deuxième tranche de 14 millions, je souhaitais attirer votre attention sur la situation inquiétante de l'entreprise. L'analyse que le CIRI a menée depuis un mois avec l'aide du cabinet d'audit (...) confirme largement les craintes que nous pouvions avoir au début. Il semble même que le diagnostic soit de nouveau assombri. Le GIE fiscal qui devait se mettre en place n'a toujours pas été finalisé, malgré les autorisations de mes services. Même avec des hypothèses optimistes concernant les recettes tirées de ce GIE, l'entreprise serait en cessation de paiement dès la mi-avril. A moyen terme, le plan d'affaires transmis à ce stade par l'entreprise n'offre aucune perspective de rétablissement financier. Ce bilan a été dressé par mes services. Le CIRI a également relevé que la maison mère de l'entreprise n'avait toujours pas versé à Air Lib toutes les dotations perçues. Dans de telles conditions, il semble que, sauf mesures draconiennes prises par Air Lib, le versement d'une deuxième tranche du prêt ne ferait que repousser artificiellement (...).»

A l'issue de cela, nous avons serré encore plus le dispositif, en conformité avec le rôle d'alerte du ministère des finances. L'ensemble de ces dispositifs devait permettre à la fois, s'il y avait une perspective de redémarrage, d'octroyer une deuxième tranche, tout en préservant les intérêts de l'Etat, le dénouement juridique devant avoir lieu en juillet, avec toutes les garanties que, dès lors, nous avions entre les mains.

M. le Président : Dans l'analyse qui est faite et qui rejoint totalement les inquiétudes de la commission, vous confirmez donc ces inquiétudes.

Vous avez annoté, de votre main, la note du 8 janvier, avec les mots suivants : « Accord sur les conditions du prêt ». C'était la veille de la décision d'attribution du prêt. Les conditions ont été étudiées et vous avez donné votre accord.

Nous avons interrogé MM. Massignon, responsable du CIRI, et Leroy, son adjoint. Tout à l'heure, vous avez indiqué que la personne en charge du dossier était aujourd'hui le directeur adjoint du cabinet de M. Mer. Ce n'est pas l'information que nous avons car il semblerait que la personne qui a géré le dossier était M. Philippe Leroy et son chef de service, M. Massignon, le secrétaire général du CIRI.

Lors de leur audition, M. Massignon et M. Leroy nous ont appris qu'ils avaient rencontré M. Corbet, pour la première fois, le samedi 5 janvier. Autrement dit, l'organisme instructeur a reçu pour la première fois le patron de la société en question le 5 janvier 2002, c'est-à-dire quarante-huit heures avant l'obtention du prêt, si l'on considère le week-end. Ils ont dû mettre en place ce prêt avec une très grande célérité, sur instruction gouvernementale et sans posséder d'éléments financiers sur la société. Jusqu'au 5 janvier, ils n'ont eu connaissance du dossier d'Air Lib que par voie de presse et lors de leur rencontre avec M. Corbet, ils ont eu de sa part un exposé de la situation qui est relaté dans la note en date du 8 janvier. Ils n'ont eu ce jour-là aucun document probant. Cela nous a beaucoup surpris de voir qu'un service aussi sérieux que le CIRI avait instruit un dossier dans des conditions que je qualifierai de légères.

M. Laurent FABIUS : Je ne sais pas ce que les fonctionnaires du CIRI ont eu entre les mains. Puisque vous avez fait allusion à tel ou tel responsable, vous avez cité M. Leroy. Je vois que lors des réunions de Matignon, lorsqu'il a été débattu de ce dossier, deux personnes représentaient le ministère de l'économie et des finances : M. Leroy que vous avez cité et M. François Pérol qui est aujourd'hui directeur adjoint du cabinet de M. Mer. Vous l'interrogerez sans doute également, car il devait avoir une bonne connaissance de ce dossier. De plus, cela assure la continuité de l'Etat.

Par ailleurs, le CIRI est une cellule de fonctionnaires très compétents, le ministre ne regarde pas systématiquement comment elle fonctionne. Ce que je sais pour avoir été en charge de l'économie et de l'industrie, c'est que le CIRI travaille beaucoup en urgence. Nous le savons tous d'ailleurs comme élus locaux. Il est certain qu'il doit disposer du maximum d'informations. Mais ne partons pas de l'idée que parce qu'un dossier, aussi important soit-il, a été examiné en quelques jours, qu'il ne l'a pas été à fond. Néanmoins, je ne peux pas vous dire quels étaient les documents dont disposait le CIRI. Il faudrait le lui demander.

M. le Président : C'est ce que nous avons fait. Mais cela confirme tout ce que vous dites. Nous avons eu une longue audition de MM. Leroy et Massignon. Mais M. Pérol ne figure pas comme personne ayant traité le dossier.

M. Laurent FABIUS : Je vous lis le bleu de Matignon : « Compte rendu de la réunion interministérielle tenue le 11 février 2002 à 17 heures 30 à Matignon. Sujet : situation de la compagnie Air Lib. Représentant du ministère de l'Economie et des Finances : MM. Pérol et Leroy. » Comme M. Pérol figure devant M. Leroy, je suppose que c'était son supérieur hiérarchique.

M. le Président : M. Pérol était effectivement supérieur administratif de M. Leroy, mais la personne qui a géré le dossier, est M. Leroy. M. Pérol, dans sa fonction de supérieur, n'avait que la connaissance qui lui était rapportée. Il ne participait pas aux réunions du CIRI lors de l'instruction du dossier. M. Massignon, qui est le secrétaire général du CIRI, a bien confirmé, lors de son audition, que s'il était usuel qu'ils agissent dans des délais très réduits, dans le cas d'Air Lib, cela avait été exceptionnel.

M. Laurent FABIUS : Tous ces fonctionnaires, que je ne connais pas individuellement, sont très compétents.

M. le Président : Certes, il faut être compétent pour étudier un dossier sans pièces, en quarante-huit heures.

M. Laurent FABIUS : Non, dans ce cas-là, il faudrait plutôt être incompétent.

M. le Président : Dans ce cas-là, cela dépend de l'autorité qui lui est supérieure.

M. Laurent FABIUS : Non, cela dépend de la réalité de la matière.

M. le Président : Vous qui avez exercé de très hautes fonctions, considérez-vous normal qu'une affaire aussi importante, qui se traduit par un prêt de 30 millions d'euros, puisse faire l'objet de la mise en place d'un dossier d'une manière aussi aléatoire ? M. Massignon a bien confirmé qu'il n'avait eu aucun dossier financier.

M. Laurent FABIUS : Il faut regarder cela à deux niveaux, celui des techniciens et celui des décideurs. Au niveau des techniciens, il faut voir quel type de dossier ils avaient en leur possession, si cela est coutumier ou exceptionnel. Au niveau des décisions, j'ai constaté, en lisant les procès-verbaux des réunions interministérielles, que les éléments principaux de la décision étaient connus et que le ministère des finances, en tout cas, a fait valoir ses objections.

M. le Président : Je suis heureux que vous ayez confirmé tout cela.

M. Xavier de ROUX : Je voudrais revenir sur la réunion interministérielle du 7 janvier. Vous prenez, lors de cette réunion, une position claire et nette. Vous rappelez que la société est en cessation de paiement, que les moratoires ne sont pas payés et vous dites que vous estimez que la viabilité interne de la compagnie est extrêmement problématique, en raison de la situation générale du transport aérien et d'un ensemble de difficultés spécifiques à la compagnie. Selon vous, il n'y avait quasiment plus rien à faire.

M. Laurent FABIUS : Non, pas tout à fait. A chaque fois, je dis attention la situation est très difficile, mais si l'on veut repartir, on le fera sur des bases nouvelles. En aucun cas, je ne dis que tout est terminé. Il faut tenir compte d'un certain nombre de paramètres, car ce n'est, légitimement, pas uniquement le ministère des finances qui dirige le pays, et puis il y a l'arbitrage du Premier ministre.

M. Xavier de ROUX : Je voudrais justement en venir à cette question de l'arbitrage. Vous allez très loin quand vous dites que « le besoin d'apports financiers nécessaire à son rétablissement est très sensiblement supérieur au montant de la créance auprès de Swissair -dont il sera tenu compte dans l'arbitrage. Une autre solution qui présente toutefois le même risque de soutien abusif pourrait être de faire intervenir le FDES (...) » Vous expliquez que cela peut constituer un soutien abusif, c'est-à-dire mettre en jeu la responsabilité de l'Etat.

Puis on en arrive à l'arbitrage du Premier ministre, lequel se fonde essentiellement sur les créances Swissair et sur le fait que, pour la société, cela se traduirait par un dépôt de bilan. Or nous sommes en cessation de paiement laquelle entraîne de droit le dépôt de bilan. C'est la conséquence juridique immédiate dès lors qu'elle a été constatée. Derrière ces apparences juridiques, il y a quand même la vraie raison qui est le pourquoi de l'arbitrage qui est une décision politique. Quelles ont été les motivations majeures qui ont poussé le gouvernement à prendre la position politique qui a été la sienne ?

M. Laurent FABIUS : Je ferai deux observations. D'une part, chaque ministère ayant fait valoir ses observations, le Premier ministre prend une décision. Il la prend en connaissance de cause, notamment sur le plan financier, mais en estimant qu'il y a une chance, même si elle n'est pas très large, d'un redémarrage et qu'il faut la tenter. C'est l'arbitrage politique qui tient compte de la nécessité de préserver une concurrence en matière des transports, d'assurer une bonne desserte de l'outre-mer, de préserver l'emploi, etc. C'est soupeser les avantages et inconvénients de chaque décision.

La deuxième observation, c'est qu'au moment où nous plaçons cette conversation, en janvier ou février 2002, on pouvait dire qu'il y avait diverses hypothèses, du pour et du contre, que la situation était difficile ; en revanche, je serais curieux de savoir ce qui a motivé le gouvernement de l'époque à octroyer un nouveau prêt en juillet 2002, alors que l'on n'était plus confronté à des hypothèses, que la situation s'était dégradée.

M. Jean-Jacques DESCAMPS : Nous sommes au coeur du débat. Il y a eu un arbitrage du Premier ministre, à partir d'une appréciation très négative de vos services et de vous-même. Si l'arbitrage a été pris en ce sens, vous estimez avoir fait le maximum en habillant le prêt d'un certain nombre de conditions auxquelles probablement vos services ou vous-même ne croyiez pas : le fonds de commerce ne vaut rien, les actionnaires nouveaux sont impossibles à trouver. Tout cela nous a été confirmé. M. Corbet était lui-même d'accord pour dire qu'après le 11 septembre, il n'y avait plus aucune possibilité de trouver d'actionnaires nouveaux. En raison d'un phénomène cumulatif, les pertes continuaient de s'accroître. Sans compter que les pilotes n'étaient pas prêts à accepter une transaction, puisqu'il nous a rapportés également que les négociations avaient échoué.

Pouvez-vous nous dire si la simulation a été faite des conséquences d'un arbitrage dans l'autre sens et quelles étaient les conséquences de cette simulation ? M. de Roux vient de le dire, s'il y a cessation de paiement, il y a dépôt de bilan lequel entraîne des conséquences qu'il convient de tirer notamment sur le plan social, de la communication et des DOM-TOM ? Pouvez-vous nous indiquer si ce n'est pas cela qui a fait prendre cet arbitrage, c'est-à-dire éviter toutes les conséquences sociales et de communication d'une telle décision, notamment en période électorale ? En effet, deux élections importantes - présidentielle et législative - se profilent. En fait, n'a-t-on pas plutôt pris en considération le fait qu'il valait mieux gagner du temps et que, de toute façon, il faudrait reprendre le problème en juillet ?

M. Christian PHILIP : Je souhaiterais compléter la question de mon collègue. On sait que les conditions sont difficiles, que le remboursement au bout des six mois peut être problématique. Quelle procédure met-on en place pour suivre les conditions dans lesquelles la compagnie pourra fonctionner pour ne pas se trouver dans l'obligation, six mois après, de signer de nouveau un chèque ?

M. Laurent FABIUS : Sur le plan général, monsieur Descamps, vous avez défini les conditions générales d'un arbitrage. Vous avez à prendre en compte des données financières, sociales, d'aménagement du territoire, industrielles, en l'occurrence la concurrence. C'est compte tenu de tout cela que vous prenez votre décision. Vous soulevez également, sûrement avec un peu de piment, la question des élections à venir.

Je prolonge votre raisonnement. Si on dit que c'est en raison des élections à venir que cette décision de prêt a été prise, pourquoi le gouvernement suivant, au mois de juillet, prend la même décision alors que les élections sont terminées ? Il doit donc y avoir d'autres éléments sur le fond, surtout qu'en juillet, la situation est beaucoup plus grave. Eliminons donc dans les deux cas l'argument électoral.

Je pense que l'on peut faire confiance aux hommes qui dirigent le pays, quelles que soient leurs orientations politiques, pour avoir une vision plus large. Certes, il y avait un arbitrage fondamental à prendre, mais la question sous-jacente était de savoir si cela permettait, dans cette situation très difficile, de donner une chance à la société de s'en sortir. C'est ainsi que se pose le problème. Selon certains, c'était possible, tandis que d'autres étaient plus réservés. C'est entre ces deux zones que se détermine l'arbitrage. Mais l'arbitrage qui a été rendu avait pour but d'essayer de sortir l'entreprise de sa situation difficile, mais avec une série de garanties.

J'en viens à la question de M. Philip. Dans les conventions de prêt, nous avons inscrit la condition importante de la mobilisation des sommes disponibles pour Air Lib. Par ailleurs, ce dossier avait été confié au CIRI, organisme très vigilant. Mais en ce qui concerne le ministre lui-même et son cabinet, jusqu'à la fin de mes fonctions, je n'ai pas été alerté par le Trésor d'un non-respect par Holco de ses engagements.

M. le Président : N'avez-vous pas été informé qu'Air Lib ne payait par ses charges sociales ?

M. Laurent FABIUS : Nous n'avons pas été saisis du non-respect des engagements.

M. le Président : A l'époque, Air Lib ne payait pas ses charges sociales.

M. Laurent FABIUS : Un moratoire fiscal et social avait été décidé. Nous n'avons pas été alertés qu'Holco n'aurait pas respecté ses engagements.

M. Xavier de ROUX : Nous avons entendu les représentants d'ADP, entreprise qui dispose des services d'un comptable public. Celui-ci a reçu des instructions de sa hiérarchie, donc du Trésor, pour ne pas recouvrer les sommes dues à ADP. Etiez-vous informé de cela ?

M. Laurent FABIUS : Je ne peux pas vous donner de précisions sur ce point.

M. Jean-Jacques DESCAMPS : Pouvez-vous nous dire s'il vous a été communiqué, de façon précise, les conséquences du dépôt de bilan de la société Air Lib au cas où vous n'accepteriez pas l'arbitrage ?

M. Laurent FABIUS : A mon souvenir, je n'ai pas eu de document écrit recensant les conséquences d'un dépôt de bilan. Mais ce que vous avez dit sur les grands chapitres était clair dans l'esprit des uns et des autres. Vous avez affaire là au Premier ministre, au ministre des DOM-TOM, des transports, des finances, des affaires sociales. Ils savent ce que signifie un dépôt de bilan. Au-delà de l'aspect social, il y avait des conséquences sur l'Outre-Mer et des problèmes de la concurrence qu'il ne faut pas évacuer. En effet, dès lors qu'Air Lib n'a plus d'activités, il y a une attribution de ses « slots », mais à qui et comment ? C'est un point qui a son importance.

M. le Président : Je vous confirme que M. Massignon est secrétaire général du CIRI depuis mai 2001.

M. Laurent FABIUS : Il conviendra de retrouver la fonction exacte de M. Pérol qui est, paraît-il, un fonctionnaire très compétent.

M. le Président : Nous avons auditionné M. Massignon avec M. Philippe Leroy qui était et est toujours secrétaire général adjoint du CIRI.

Mme Odile SAUGUES : Monsieur le Premier ministre, pouvez-vous nous dire quelques mots d'appréciation sur la gestion du dossier d'Air Lib par le gouvernement qui a pris la suite de celui de Lionel Jospin ?

M. Laurent FABIUS : Je peux vous dire ce qu'était la réalité de la gestion précédente, mais pour ce qui est du gouvernement suivant, je ne le peux pas. Et puis d'ailleurs vous allez recevoir M. Mer. Ce que l'on peut dire, c'est que les éléments pour sauvegarder les intérêts de l'Etat avaient été rassemblés autant que faire se peut, dans une affaire aussi compliquée.

En juillet, la situation était encore plus difficile et, de ce fait, mes successeurs ont dû être attentifs à la possibilité ou non de trouver une solution pour l'entreprise. Il serait intéressant de voir le degré de réalité de ces solutions hollandaises et autres dont il avait été fait état. Il serait intéressant aussi d'examiner, du point de vue du Trésor public, ce que les décisions prises ou non aux différentes périodes, notamment au mois de juillet, ont signifié pour le Trésor public.

M. le Président : Madame Saugues, je comprends que vous posiez cette question à M. le Premier ministre, mais il était en fonction avant juillet et non pas après. Vous pourrez poser la question utilement au ministre compétent, M. Mer, dont vous avez demandé l'audition et que nous rencontrerons cet après-midi. M. Fabius n'a pas compétence pour dire comment les décisions ont été prises par M. Mer. Nous sommes en commission d'enquête et non pas en débat politique.

Mme Odile SAUGUES : Monsieur le Président, permettez quand même...

M. le Président : Excusez-moi, M. Fabius n'est pas auditionné par la commission pour porter des jugements sur autrui, mais pour nous expliquer la manière dont il a vécu ce dossier et la manière dont il a pris des décisions.

Mme Odile SAUGUES : Dites-nous carrément que nous devons être les muets du sérail !

(Protestations.)

M. le Président : Pas du tout, Madame, mais ne transformons pas une commission d'enquête en débat d'appréciation politique.

M. Laurent FABIUS : Je vais essayer de répondre à votre question. Pour un ministre en général qui avait à se prononcer à la fin de sa période d'exercice, quels étaient les problèmes ?

M. le Président : Les élections législatives ont eu lieu le 16 juin. Le prêt arrivait à échéance le 9 juillet, c'est-à-dire environ trois semaines après. Il s'agissait, non pas d'octroyer un nouveau prêt, mais de le renouveler.

M. Laurent FABIUS : Je ferai deux observations. Juridiquement, s'il y a eu un prêt, cela ne peut être qu'un avenant.

D'autre part, comme citoyen, je sais à quel point le nouveau gouvernement a dit être attentif au problème de l'emploi. Si on peut décider un certain nombre de choses en quelques jours, on le peut a fortiori en plusieurs semaines.

M. Frédéric SOULIER : Vous avez parlé tout à l'heure de l'opacité de Holco. Pouvez-vous nous éclairer ?

(Rires.)

M. Laurent FABIUS : Je n'ai pas eu à connaître directement de Holco. La procédure est la suivante : les services prennent les contacts, étudient l'affaire avec leurs conseils. En effet, la convention n'a pas été élaborée par le ministère des finances, mais en collaboration avec des cabinets conseils qui travaillent sur ces dossiers.

Je reprends ma lettre du mois de 15 février 2002 au Premier ministre. Je me cite moi-même : « (...) le CIRI ayant relevé que la maison mère de l'entreprise Holco n'avait toujours pas versé à Air Lib toutes les dotations perçues de Swissair. » Au niveau du ministre, quel qu'il soit, il n'y a pas de réunions pour discuter du montage. On nous demande simplement quelles sont les grandes positions qu'il faut prendre. J'ai dit que financièrement, il ne fallait pas engager les intérêts de l'Etat et que c'était une affaire difficile. Si la décision prise est de la soutenir, il conviendra alors de prendre des garanties. Je n'ai pas d'autre connaissance.

M. le Président : J'ai, sous les yeux, la note qui vous a été faite le 8 janvier où toutes les conditions d'obtention du prêt sont très claires. Vous avez souhaité que la société mère apporte un capital en soutien.

M. Laurent FABIUS : C'est ce qui m'avait été recommandé par le Trésor.

M. le Président : A juste titre, dans le cadre de la convention de prêt. Or d'après nos informations, ce n'est pas une question mais une réflexion, à l'époque, ce qu'on appelle le système Holco, c'est la mise en place d'un certain nombre de sociétés dont certaines sont au Luxembourg et aux Pays-Bas. Cela nous a beaucoup surpris. Même si l'on nous rapporte que c'est habituel, à notre connaissance, nous ne voyons pas d'autre schéma identique dans ce domaine.

A l'époque où vous avez octroyé ce prêt, il nous paraissait logique de demander à la société de faire elle-même le plus grand effort possible avant de faire appel aux fonds publics. D'ailleurs, c'est un peu ce qui ressort de vos notes personnelles.

Or à l'époque, à notre connaissance, le système Holco disposait de 24,4 millions d'euros sur lesquels 5 seulement ont été mobilisés à votre demande, c'est-à-dire 20 %. Tout le reste était dans le cadre de ces sociétés, soit 12,1 millions aux Pays-Bas, 7,2 millions pour la Holco SAS qui a fait l'effort d'en donner 5. Quant à la troisième société, Holco Lux au Luxembourg qui avait 5 millions également, elle n'a rien donné. Nous sommes en droit de nous interroger sur le fait que l'Etat apporte 30,5 millions d'euros de fonds publics, alors que le système de sociétés ne fait l'effort que d'apporter, pour secourir Air Lib, que 20 % des avoirs dont l'actionnaire unique, M. Corbet, disposait à l'époque. Cela nous a interpellés.

M. Laurent FABIUS : Je peux faire deux observations. La première, c'est que, dans ma lettre du 28 février 2002, et à cause de cela, nous obtenons « un engagement de la société Holco d'affecter ses ressources en trésorerie dans les limites de celles-ci pour financer en tant que de besoin l'exploitation d'Air Lib ».

M. le Président : Ce sont les 5 millions dont je vous parlais.

M. Laurent FABIUS : Ensuite, comment ceci est-il appliqué ? Je n'ai pas été saisi par le CIRI sur le fait qu'il y avait des fonds qui n'étaient pas affectés à Air Lib, ce qui est le sens de votre question. Cette question pourrait être prolongée. Puisque le renouvellement du prêt venait en juillet, il était nécessaire de bien vérifier alors que la trésorerie de Holco finançait bien l'exploitation d'Air Lib. J'imagine que cela a été fait.

M. le Président : Nous avons des informations qui nous conduisent à constater qu'une société, Holco SAS qui est basée en France, n'a versé que 5 millions d'euros.

M. Laurent FABIUS : Il faudrait vérifier ce qui a été versé et sinon pourquoi.

M. le Président : Cela a été vérifié. La créance venant de Swissair a été ensuite répartie dans le cadre de plusieurs sociétés créées en juillet, au moment de la reprise, par M. Corbet dont 12 millions et quelques aux Pays-Bas pour le compte de la société Mermoz, et 5 millions d'euros au Luxembourg pour le compte de la société Holco Lux.

A cette époque, vous aviez demandé que les fonds soient mobilisés, mais nous avons constaté que sur les 24,4 millions d'euros qui constituent les avoirs de l'ensemble des sociétés, seuls 5 millions, qui étaient sur Holco SAS en France, ont été mobilisés pour répondre à votre demande, c'est-à-dire 20 % de la totalité. Nous nous demandons si cet effort était réellement suffisant.

M. Laurent FABIUS : La seule chose que je peux répondre à votre observation, c'est qu'il conviendra de vérifier dans quelles conditions il a été contrôlé que les fonds de Holco étaient, dans leur globalité, affectés à Air Lib. Cela a-t-il été contrôlé rapidement ? Au premier semestre 2002 ou au deuxième ? Je n'ai pas d'éléments d'information.

Mme Arlette GROSSKOST : Vous nous avez expliqué que le prêt FDES en deux tranches avait été accordé avec pour garantie une convention de trésorerie entre la société Holco et la société d'exploitation Air Lib, le nantissement du fonds de commerce qui appartenait à Holco puisqu'il y avait une gérance libre entre les deux sociétés, et un audit réalisé entre la mise en place des deux tranches par un cabinet d'experts-comptables, lequel se devait de vérifier la cohérence du plan de trésorerie à douze mois. Ledit cabinet, que nous avons auditionné, a reconnu haut et fort que la comptabilité était pour le moins très peu fiable. Ceci avait d'ailleurs été écrit dans leur rapport. Outre plusieurs de ces garanties juridiques, il y avait la cession de créance de Swissair.

Mais, un autre élément important relevant de votre compétence était la mise en place du GIE fiscal. Ce n'est pas un outil que l'on utilise fréquemment. Pour ma part, je me pose la question de savoir comment a été autorisée la mise en place d'un GIE fiscal alors que, pertinemment, il n'y avait pas les membres qui pouvaient en bénéficier ?

M. Laurent FABIUS : Air Lib a envisagé de monter un GIE fiscal pour financer l'acquisition de deux avions Airbus 340, auparavant destinés au groupe Swissair. Des simulations ont été présentées à mes services aux termes desquels ce GIE aurait pu apporter à Air Lib une quinzaine de millions d'euros de trésorerie par appareil.

A partir de là, nous avons agi dans trois directions. Tout d'abord, j'ai donné un accord de principe à l'opération en indiquant néanmoins au président, M. Corbet, « qu'une décision d'agrément précisant notamment les conditions auxquelles est subordonné son octroi ne pourra vous être adressée que lorsque les modalités financières du montage seront définies avec précision et que les éléments juridiques et financiers requis me seront parvenus ».

Par ailleurs, des réunions se sont tenues au ministère des transports avec Air Lib, Airbus et un investisseur pressenti qui était Crédit Agricole Indosuez, durant lesquelles les services du ministère des finances ont apporté leur soutien technique et ont répondu aux interrogations fiscales.

Enfin, comme il a été constaté que le montage tardait à se mettre en place et qu'aucun dossier concret ne parvenait à mes services, nous avons demandé à Air Lib, lors de l'octroi de la deuxième tranche de prêt du 28 février 2002, de produire une lettre de son conseil fiscal, qui était Arjil et Associés Bank, confirmant que le montage permettait de dégager environ 30 millions d'euros, avant la fin du mois de mars 2002. Là encore, si Air Lib n'a pas respecté ses engagements, ce qui est à vérifier, l'Etat aurait pu et dû en tirer les conséquences, le 9 juillet 2002, lors de l'échéance du prêt.

M. le Président : M. Massignon, lors de son audition, a confirmé qu'il était informé que les sommes détenues par Holco SAS ou ses filiales n'avaient pas été reversées à AOM Air Liberté.

M. Laurent FABIUS : A quel moment ?

M. le Président : Toujours en février, pour la deuxième partie du prêt. La commission se demande pourquoi M. Corbet, puisqu'il était en système d'alerte rouge, tout en demandant à l'Etat de l'aider, n'apportait pas les éléments de preuve qu'il pouvait, avec ses propres sociétés, faire au moins autant que l'Etat.

M. Jean-Jacques DESCAMPS : Tout reposait sur la personne de M. Corbet. L'avez-vous rencontré personnellement ou quelqu'un de votre cabinet ?

M. Laurent FABIUS : Pour ma part, je ne l'ai pas rencontré, mais il est possible que des responsables de mon cabinet l'aient rencontré. Les personnes qui suivaient ce dossier, à la fois dans l'administration et au cabinet, étaient très compétentes. Vous avez raison sur le point suivant : il est nécessaire, quand on a à traiter de telles affaires, de prendre nombre de précautions, des garanties, etc., mais il faut aussi tenir compte des hommes et des femmes responsables. Je ne peux pas porter de jugement sur quelqu'un que je ne connais pas, mais dans une entreprise, le responsable aussi compte beaucoup.

M. le Président : Je vous remercie.

Audition de M. Bruno Bezard
Ancien conseiller pour les affaires économiques et financières au cabinet de M. Lionel Jospin

Procès-verbal de la séance du mercredi 21 mai 2003

Présidence de M. Patrick Ollier, Président

Le témoin est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, le témoin prête serment.

M. le Président : Vous avez été conseiller pour les affaires économiques et financières au cabinet de M. Lionel Jospin, du 3 juillet 2001 au 6 mai 2002. A ce titre, vous vous êtes occupé du dossier de la compagnie Air Lib.

Nous souhaiterions que vous nous exposiez dans quelles conditions vous avez pris connaissance de ce dossier, quelles ont été vos réactions à l'époque et les positions des différents ministres concernés, avant d'en arriver au bleu de Matignon et aux réunions décisionnelles.

M. Bruno BEZARD : Avant de m'efforcer de répondre aux questions que vous souhaiterez me poser, je voudrais d'une part vous apporter un certain nombre de précisions sur la nature de mes fonctions et le mode d'organisation du cabinet du Premier ministre à l'époque, d'autre part, vous indiquer les éléments de chronologie que j'ai pu reconstituer et la position des différents acteurs sur la période considérée.

J'ai été nommé conseiller économique et financier du Premier ministre au début de juillet 2001. Mes principales attributions portaient notamment sur les questions financières internationales, en particulier les négociations à l'Organisation mondiale du commerce (OMC), le Fonds monétaire international (FMI), l'aide au développement, sur l'industrie financière française, notamment les banques et les assurances, sur les négociations financières européennes, et sur le soutien aux petites et moyennes entreprises (PME).

Outre ces attributions relativement traditionnelles, il va de soi que mon principal dossier à l'époque aura été la préparation du passage à l'euro et la gestion de la période d'introduction de la nouvelle monnaie, à partir du 1er janvier 2002. Bien qu'ils aient, par construction, une composante financière ou budgétaire, les dossiers d'entreprises individuelles, qu'il s'agisse d'Air France, de la SNCF, de Renault, de France Telecom, n'étaient pas, à Matignon, suivis par le conseiller économique et financier et la cellule qu'il dirige, mais par le conseiller en charge du secteur considéré, typiquement, le responsable de la cellule équipement et transport pour les deux premiers exemples cités, les deux autres exemples correspondant à des entreprises qui sont, dans la nouvelle organisation, suivis par le responsable de la cellule industrielle.

Naturellement les dossiers importants remontent ensuite dans la hiérarchie, comme dans tout cabinet, et sont évoqués avec le directeur-adjoint et le directeur de cabinet. C'est ainsi, et je tiens à vous le préciser très clairement, que le dossier Air Lib a été traité, comme beaucoup d'autres relevant des transports, du logement et de l'équipement, non pas par la cellule économie et finances que je dirigeais, mais par la cellule équipement et transport du cabinet du Premier ministre.

J'ai toutefois eu à connaître de ce dossier, très précisément entre le 12 décembre 2001 et le 7 janvier 2002. Je précise que, sauf erreur de ma part, je n'ai pas eu, en revanche, à connaître de ce dossier avant le 12 décembre 2001 et après le 7 janvier 2002. Ce cadrage chronologique me paraît important.

J'ai tout d'abord participé à une réunion informelle, chez le conseiller pour l'équipement et les transports, le 12 décembre, ma collègue ayant souhaité que j'assure l'interface avec le ministère des finances, ce qui est également une fonction traditionnelle à Matignon du conseiller économie et finances.

J'ai ensuite assisté, le 3 janvier, à 18 heures, à une réunion de ministres, sous la présidence du Premier ministre, qui a abouti à la décision de principe de ce soutien public à l'entreprise. J'ai enfin coprésidé, le lundi 7 janvier à 9 heures, une réunion interministérielle avec ma collègue en charge du dossier, afin de formaliser et de mettre en oeuvre la décision prise par le gouvernement.

Cette précision apportée, venons-en au fond. J'ignore si ce sera utile à votre commission, mais je souhaiterais rappeler les positions en présence à l'époque. Je vous prie, par avance, de m'excuser si ces informations sont redondantes avec les informations dont votre commission dispose probablement déjà.

Typiquement, comme c'est assez fréquemment le cas dans de telles circonstances, deux ministères s'opposaient : le ministère sectoriel, en l'occurrence le ministère des transports, qui plaidait pour un soutien de l'Etat jugé indispensable pour des raisons sociales et politiques, et se montrant relativement optimiste sur la viabilité ultérieure de l'entreprise, et le ministère des finances qui faisait un diagnostic plus pessimiste et qui refusait le principe d'une telle aide. Dans ce cas particulier, un autre ministère, le ministère des DOM-TOM, était concerné et plaidait également pour une intervention de l'Etat.

Les deux mécanismes envisagés étaient un groupement d'intérêt économique (GIE) fiscal et un soutien financier direct. Je ne suis pas en mesure de vous en dire plus sur le GIE fiscal car je n'ai pas eu en charge cette question qui relevait de mon collègue chargé des dossiers fiscaux. En revanche, je peux être beaucoup plus précis, pour la période chronologique que j'ai encadrée, sur le soutien financier.

Le ministère de l'équipement avait indiqué que l'une des raisons des difficultés rencontrées par l'entreprise était l'absence de recouvrement d'une créance que cette entreprise avait sur Swissair pour un montant de 400 millions de francs. Nous avions alors demandé, avec Elisabeth Borne qui était conseillère pour l'équipement et le transport, que soit étudiée une solution de marché de rachat de créance. C'est une technique qui nous semblait pouvoir permettre, moyennant une décote représentative du coût de portage et du risque de non-recouvrement, de rendre liquide, pour l'entreprise concernée, sa créance.

Cette solution n'a été jugée praticable ni par le ministère de l'équipement, ni par le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie. In fine, lorsque la décision a été prise d'un soutien financier, contre l'avis du ministère des finances, ce dernier a recommandé comme solution technique un prêt du Fonds de développement économique et social (FDES) de 30,5 millions d'euros, tout en indiquant naturellement qu'il s'agissait de la moins mauvaise réponse technique à une orientation qu'il continuait de désapprouver. Voilà donc très précisément la façon dont, pour la période limitée dans le temps où j'ai eu à connaître de ce dossier, la chronologie et le jeu des acteurs se sont déroulés. Je vous remercie de votre attention et je suis à votre disposition pour répondre le plus précisément possible à vos questions.

M. le Président : Si nous avons souhaité vous auditionner, c'est parce que vous étiez en charge des affaires économiques et financières. Je sais la manière dont fonctionne le cabinet à Matignon où je suis moi-même resté cinq ans. Je suppose qu'il fonctionne de la même manière, quel que soit le Premier ministre.

Cela étant, vous couvriez le ministère de M. Fabius et vous aviez forcément des informations sur le dossier, alors que Mme Borne, qui présidait la réunion, était conseillère pour l'urbanisme, l'équipement et le logement.

C'est donc au titre de votre compétence en matière économique et financière que nous avons souhaité vous auditionner. Ce que nous souhaitons savoir, c'est comment la décision a été prise et pourquoi.

J'ai, sous les yeux, le « bleu » de Matignon. Concernant le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, il est indiqué page 2 : « Il rappelle (le représentant) que la caisse des dépôts et consignations ainsi que l'agence française de développement se sont montrés hostiles à tout octroi de prêt, en faisant valoir qu'une telle intervention n'était pas compatible avec leur objet social et qu'elle serait susceptible de constituer un soutien abusif. ». Par ailleurs, M. Fabius avait exprimé ses réticences par une note manuscrite sur une note du directeur du Trésor. Le directeur du Trésor lui-même, par une note manuscrite précisait qu'il n'y avait aucune chance que l'on puisse rentrer dans les fonds. Dans le paragraphe qui suit celui que j'ai cité à l'isntant, il a précisé : « Une autre solution qui présente toutefois le même risque de soutien abusif pourrait être de faire intervenir le FDES. Si le Premier ministre devait arbitrer en faveur d'une aide à cette compagnie au-delà de ce qui a déjà fait l'objet d'un accord, il propose, tout en confirmant ses réserves de principe, de recourir à cette solution. Cette intervention serait soumise à un ensemble de conditions. (...) »

Les questions que nous avons posées à M. Fabius ont fait l'objet d'une réponse très claire.

Pourquoi, avec une réticence aussi évidente du ministre - qu'il a lui-même confirmée tout à l'heure à plusieurs reprises - et de la direction du Trésor - qui précise qu'il n'y a aucune chance de voir rembourser ce prêt - a-t-on pris la décision d'octroyer 30,5 millions d'euros, en deux temps, alors que la société ne faisait qu'un effort de 5 millions d'euros sur les 24,4 millions d'euros regroupés à l'époque dans trois sociétés différentes - une en Hollande, une au Luxembourg et une en France ? Lorsque M. Corbet se tourne vers l'Etat pour demander une aide de 30,5 millions, celui-ci ne fait, par rapport à ses capacités financières, qu'un effort de 5 millions. Cela nous a beaucoup interpellés.

Je continue ma lecture : « Le cabinet du Premier ministre rappelle que le Premier ministre a conclu la réunion des ministres en constatant les divergences exprimées sur la viabilité à terme de la compagnie, mais en soulignant que le problème devait être analysé à la lumière de la situation d'urgence issue du non-paiement des 400 millions de francs par Swissair, sur laquelle le ministre des transports, de l'équipement et du logement a attiré son attention. »

Ensuite, on lit : « Postérieurement à la réunion, le Premier ministre confirme le schéma d'aide suivant », c'est-à-dire le GIE, l'intervention du FDES et un certain nombre de conditions. C'est là que l'on en revient aux 5 millions d'euros versés sur les 24 mobilisables, possédés par les différentes filiales. Au moment où vous avez pris cette décision, étiez-vous informé de tout cela ? Quelles sont les raisons qui ont poussé le Premier ministre à passer outre les avertissements du ministre des finances et surtout pourquoi le Premier ministre confirme-t-il cette décision postérieurement à la réunion ?

Autre question : est-ce M. Jospin lui-même qui a confirmé ou bien est-ce le système décisionnel, par délégation au conseiller, qui a permis de prendre cette décision ?

M. Bruno BEZARD : Je voudrais revenir sur un point. Comme vous avez passé un certain temps à Matignon, vous devez savoir qu'il y a un système décisionnel avec des conseillers, une hiérarchie et un Premier ministre. J'y reviendrai par la suite.

Deuxième remarque, vous avez indiqué que j'avais présidé différentes réunions interministérielles. A ma connaissance, je n'ai coprésidé qu'une réunion interministérielle. Par conséquent, le pluriel me paraît abusif.

M. le Président : Je n'ai pas dit que vous aviez présidé, mais participé à cette réunion et en tant que chargé des affaires économiques et financières, vous deviez être informé de ce dossier, en dehors du fait que nous n'avez pas présidé la fameuse réunion présidée par Mme Borne.

M. Bruno BEZARD : J'ai coprésidé avec Elisabeth Borne, comme le « bleu » en témoigne, la réunion interministérielle du 7 janvier et je vous dis très clairement que ce dossier n'était pas traité par la cellule économique et financière, car les dossiers d'entreprises individuelles sont traités par la cellule sectorielle.

En revanche, comme c'est l'attribution traditionnelle du conseiller économique et financier, j'ai eu à faire l'interface, dans la période qui est sous revue, entre Bercy et Matignon. A ce titre, ce point peut vous intéresser.

M. le Président : Cela m'intéresse d'autant plus que vous avez été en charge pendant la période limitée du 12 décembre au 7 janvier. Or il se trouve que la décision a été prise au cours de cette réunion du 7 janvier et que le Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI) a confirmé que, pendant cette période, il a instruit le dossier en quatre jours. M. Massignon nous a indiqué avoir reçu M. Corbet le 5 janvier pour une décision prise le 7 janvier, soit quarante-huit heures avant le bleu de Matignon.

M. Bruno BEZARD : Je voudrais vous donner une dernière précision. La décision n'a pas été prise le 7 janvier, mais elle a été prise par le Premier ministre le 3 janvier, lors d'une réunion de ministres. Le 3 janvier, c'était la décision de principe et le choix de l'instrument prêt FDES. Le terme prêt FDES a été employé, pour la première fois, le 3 janvier dans le bureau du Premier ministre. Ce compte rendu que vous avez là rend compte d'une réunion interministérielle de formalisation d'une décision de principe prise dans le cadre plus solennel d'une réunion de ministres.

M. le Président : Vous allez dans le sens qui est le mien, car il ne m'a pas échappé qu'il y avait eu cette réunion du 3 janvier au cours de laquelle une décision de principe a été prise par le Premier ministre. Mais ce qui nous surprend, c'est que le CIRI, qui est chargé d'instruire le dossier - et M. Fabius a confirmé tout cela -, ne rencontre M. Corbet que le 5 janvier, c'est-à-dire deux jours après, et que l'on prend une décision sur ce principe et cette organisation sans qu'aucun dossier ait été instruit par l'organisme instructeur, en l'occurrence le CIRI.

M. Massignon nous a expliqué qu'il rencontre M. Corbet, pour la première fois, le 5 janvier. Il supposait que M. Corbet viendrait avec un dossier financier, mais il a été surpris de voir qu'il n'en avait pas. Lorsque nous avons demandé à M. Massignon s'il avait eu des comptes, il nous a confirmé qu'il n'avait eu à sa disposition aucun compte, et que l'instruction avait été menée avec une célérité remarquable par les services de l'Etat, en environ 48 heures, et que le prêt avait été libéré le 9 janvier, après la décision du 7 janvier.

Cette procédure a été extrêmement rapide. Nous vous demandons comment une décision aussi importante d'attribution de fonds publics a pu être prise au vu d'un dossier qui n'était pas encore instruit le 3 janvier et qui n'avait pas été très «nourri» par M. Corbet, entre le 3 et 9 janvier, date à laquelle le prêt a été libéré ?

M. Bruno BEZARD : Je ne peux pas vous répondre sur la façon dont le dossier a été instruit à la direction du Trésor. Mais il se trouve que je connais l'un des acteurs que vous avez cités, Jean-Baptiste Massignon, en qui j'ai toute confiance. Je pense que, par construction, ce qu'il vous dit est rigoureusement exact.

Je ne sais pas non plus dans quelles conditions le dossier a été instruit par ceux qui avaient la charge du dossier à Matignon. En revanche, je peux vous dire que le principe du prêt FDES a été décidé le 3 janvier à 18 heures.

M. le Président : Je vous remercie de nous confirmer tout cela. Notre interrogation ne porte pas sur la date, mais sur le fait qu'à cette date, il n'y avait pas de dossier. Ceci est confirmé par l'audition de M. Massignon, puisqu'il a rencontré M. Corbet deux jours après.

Le 7 janvier, vous êtes co-président avec Mme Borne de cette réunion dont les détails ne figurent pas dans le « bleu ». Vous dites que c'est le GIE fiscal. Or dans les auditions auxquelles nous avons procédé, nous a été indiqué par tous ceux qui avaient eu connaissance de ce dossier que le gouvernement a donné l'autorisation de créer un GIE fiscal. Toutefois nulle part, il n'a été apporté l'élément essentiel du GIE fiscal. En effet, pour créer un GIE, il faut avoir un accord de l'administration de l'Etat, des avions à acheter, en l'occurrence deux Airbus à l'époque et, enfin, des investisseurs.

Or les investisseurs ne sont jamais arrivés. Tous les rapports que nous avons pu lire des différents cabinets montrent que la banque Arjil, qui avait été sollicitée la première fois, s'est désistée très rapidement. Après que l'Etat a validé l'obtention d'un prêt de 30,5 millions sur des conditions bien établies, les vérifications, faites ou pas, n'ont pas permis que les engagements pris soient respectés. C'est la raison pour laquelle nous voudrions savoir comment la décision a été prise, malgré les réticences très fortes du ministre des finances.

M. Bruno BEZARD : Comme je vous l'ai indiqué, je n'ai pas d'autre information à vous donner sur le GIE fiscal. En revanche, je n'ai pas répondu à une de vos questions qui était la manière dont cette décision avait pu être prise en dépit des réticences du ministre des finances. Ma réponse est de dire que les positions du ministère des finances ne l'emportent pas toujours.

M. Xavier de ROUX : Vous avez indiqué, tout à l'heure, qu'il n'y avait pas de rationalité économique et que cette décision avait été prise pour des raisons sociales et politiques. Quelles étaient ces raisons ?

M. Bruno BEZARD : Ce que j'ai dit exactement, c'est que le ministère des transports était favorable à un soutien de l'Etat, qu'il avait une vision plus optimiste que le ministère des finances sur la viabilité ultérieure de l'entreprise, et qu'il considérait « pour des raisons sociales et politiques », etc. Je n'ai pas dit que la décision avait été prise pour des raisons sociales et politiques.

M. Xavier de ROUX : Vous avez coprésidé cette réunion au cours de laquelle l'arbitrage formel a été fait, et c'est au cours de cette réunion qu'une motivation est formulée quant à cette décision qui devient une décision du Premier ministre. Vous avez indiqué tout à l'heure que cet arbitrage avait été rendu pour des raisons sociales et politiques. J'aimerais savoir quelles étaient, dans l'esprit de l'arbitre, les raisons sociales et politiques ?

M. Bruno BEZARD : J'apporterai deux précisions. La décision a été prise au cours d'une réunion présidée par le Premier ministre et non pas lors de cette réunion. Par ailleurs, je n'ai pas indiqué que la décision avait été prise pour des raisons sociales et politiques, mais j'ai retracé la position du ministre des transports.

Quant à la motivation, elle figure à la première page du « bleu » de la réunion du 7 janvier 2002. Ce sont globalement les arguments qui ont été développés à l'époque par ceux qui étaient favorables au principe d'un soutien public, c'est-à-dire sur le plan social, les emplois de l'entreprise, sur le plan économique, l'aéroport d'Orly et les liaisons avec l'Outre-Mer.

Mme Arlette GROSSKOST : Je me permets de revenir sur l'accord du prêt FDES, puisque vous avez participé à sa mise en place. M. Fabius, que nous avons auditionné tout à l'heure, a évoqué les garanties accordées dans le cadre de ce prêt FDES, lequel comportait une contrepartie, sous forme de garanties. Pourriez-vous nous les rappeler, d'autant que vous parlez de rachat de créance de Swissair qui n'a pas été fait alors qu'il nous a semblé que le CIRI, dans son audition, avait fait état d'une cession de créance ?

M. Bruno BEZARD : S'agissant de la fixation des conditions précises dont le prêt FDES était assorti, cela a eu lieu postérieurement à la période pendant laquelle je me suis occupé du dossier, c'est-à-dire après le 7 janvier. Je n'ai pas le détail précis de ces conditions. Ce dont je me souviens en revanche, c'est que le ministre des finances, lors de la réunion chez le Premier ministre, a clairement indiqué que si soutien il devait y avoir, le prêt FDES était la moins mauvaise solution, mais qu'il devait être assorti de conditions drastiques.

Sur le deuxième point de votre question, j'ai mentionné que nous avions envisagé, au cabinet du Premier ministre, une autre solution. Très honnêtement, je ne sais pas si, avec le recul, elle aurait été préférable aujourd'hui. On partait du principe qu'il y avait un problème de trésorerie lié au non-recouvrement évident d'une créance importante. Sur le marché, il existe des techniques de mobilisation des créances qui, normalement, permettent au prix d'une décote, le rachat, la liquéfaction ou la titrisation de cette créance.

A l'époque, nous avions suggéré aux deux ministères concernés, plutôt que d'envisager un prêt direct de l'Etat, de recourir à ce type de solution, moyennant une décote importante, puisque la perspective de recouvrement était faible et que le coût de portage pouvait être élevé. Lors de la réunion informelle à laquelle je faisais allusion, le 12 décembre, nous avons suggéré cette solution ; les deux ministères nous ont indiqué qu'elle n'était pas mobilisable.

M. le Président : Ce sont également les informations que nous avons sur ce point.

M. Jean-Jacques DESCAMPS : Je prolonge la question de M. de Roux. Vous avez indiqué avoir été concerné par ce problème à compter du 12 décembre, ce qui signifie que vous-même avez eu connaissance de ce problème seulement à partir de ce moment-là.

Entre le 12 décembre et le 3 janvier, date de la réunion des ministres, le cabinet à Matignon n'est pas resté inactif. Il doit y avoir eu, au niveau du cabinet, des réunions sous l'autorité du directeur de cabinet. Le Premier ministre n'a pas pris sa décision le 3 janvier, sans avoir eu une préparation de sa réunion interministérielle par son propre cabinet.

Vous avez donc dû faire une simulation pour évaluer les conséquences du non octroi de ce prêt. A votre avis, quelle a été la raison majeure qui a fait que le Premier ministre, contre l'avis du ministre des finances, a pris sa décision ?

M. Bruno BEZARD : S'agissant de réunions au niveau du directeur de cabinet, je ne me souviens pas avoir participé personnellement à une réunion chez le directeur de cabinet ou chez le directeur de cabinet-adjoint. En revanche, j'ai eu une réunion informelle avec la cellule transports et les deux cabinets, la réunion chez le Premier ministre et la réunion de formalisation du 7 janvier.

S'agissant d'une éventuelle simulation des conséquences d'un non-soutien public. En ce qui me concerne, ce n'était pas de ma responsabilité. J'ignore si la cellule équipement et transport l'a fait, mais je suis sensible à votre question parce que j'ai déjà eu l'occasion, y compris dans un passé récent, de participer au traitement de grandes crises financières. C'est le type de travaux que l'on effectue systématiquement.

Mme Chantal ROBIN-RODRIGO : Monsieur le Président, permettez-moi de vous reprendre par rapport à ce que vous avez dit tout à l'heure, à savoir que M. Fabius indiquait qu'il n'y avait aucune chance d'obtenir le remboursement. Je vais minimiser vos propos. Jamais M. Fabius n'a dit cela.

M. le Président : Excusez-moi, j'ai fait mention du quatrième point de la notation manuscrite du directeur du Trésor sur la note adressée à M. Fabius.

Mme Chantal ROBIN-RODRIGO : Effectivement M. Fabius a porté toute réserve quant à l'attribution de ce prêt, mais jamais à aucun moment, il n'a dit dans son audition que ce prêt n'avait aucune chance d'être remboursé.

M. le Président : C'est bien le directeur du Trésor qui l'a écrit à la main sur une note adressée à M. Fabius, note sur laquelle M. Fabius lui-même souligne qu'il est réticent à l'attribution du prêt et que, malgré sa réticence, il se doit de l'accorder. Je vous confirme que ce n'est pas M. Fabius, mais le directeur du Trésor qui a dit cela.

Mme Chantal ROBIN-RODRIGO : Très bien.

Mme Chantal ROBIN-RODRIGO : Monsieur Bézard, vous connaissez M. Massignon, secrétaire général du CIRI. Connaissez-vous également M. Pérol ?

M. Bruno BEZARD : Tout à fait. Je le connais même très bien.

M. Xavier de ROUX : Le CIRI avait-il pour mission d'alerter, après la passation de ce prêt, les services du ministère des Finances sur des conditions requises et qui n'ont pas été respectées ?

M. Bruno BEZARD : Effectivement, le CIRI avait, par construction, mission d'informer le ministre.

M. le Président : Quelles étaient les fonctions de M. Pérol ?

M. Bruno BEZARD : Sauf erreur de ma part, il était sous-directeur B de la direction du Trésor, c'est-à-dire en charge de l'épargne, des marchés financiers et du CIRI.

M. le Président : Il supervisait le CIRI, mais n'en était pas le responsable direct qui était M. Massignon, secrétaire général ?

M. Bruno BEZARD : J'ai l'impression que vous voulez m'entraîner dans des questions de personnes, ce qui me met un peu mal à l'aise.

M. le Président : Je ne veux vous entraîner nulle part. M. Fabius nous a indiqué tout à l'heure qu'il lui semblait que le responsable du CIRI était M. Pérol. Or nous n'avons vu le nom de M. Pérol figurer nulle part. Lorsque nous avons auditionné M. Massignon en sa qualité de secrétaire général du CIRI, il nous a été indiqué qu'il assumait ces fonctions depuis le mois de mai 2001. M. Pérol était son supérieur hiérarchique à la direction du Trésor.

M. Bruno BEZARD : La direction du Trésor, comme tout ministère, a des lignes hiérarchiques. Chaque bureau est placé sous l'autorité d'un sous-directeur, lui-même placé sous l'autorité d'un chef de service, lui-même placé sous l'autorité d'un directeur. Ensuite on peut jouer sur les mots. Mais il convient de voir quel est le degré de reporting vers le haut.

M. le Président : Nous sommes tout à fait d'accord, et c'est pourquoi nous avons interrogé M. Massignon, secrétaire général du CIRI et M. Philippe Leroy, son secrétaire général-adjoint en charge personnellement du dossier. Toute la discussion vient du fait que M. Fabius a indiqué que M. Pérol était en charge du dossier, alors qu'il est en fait sous-directeur de la sous-direction B.

Dans le « bleu », il est indiqué, postérieurement à la réunion : « Confirmation d'un accord pour la mise en place du GIE fiscal pour l'acquisition de deux Airbus. » Tout à l'heure, j'ai évoqué la banque Arjil qui a été sollicitée par les sociétés intéressées pour être conseil dans le montage du GIE. La banque Arjil devait notamment apporter des conseils pour le financement du GIE. Or elle s'est retirée du schéma, et il n'y a jamais eu d'investisseurs pour financer l'achat des avions.

Sur la décision prise postérieurement à la réunion, sur quelles garanties l'accord administratif pour ce GIE a-t-il été fondé en ce qui concerne les investisseurs ? Cela constitue en effet une pièce essentielle du dispositif décisionnel de l'attribution des fonds publics. Or nulle part, il n'est fait état d'investisseurs. De son côté, Airbus a vendu par la suite les deux avions, en l'absence d'investisseurs, à la compagnie Air Tahiti Nui, car personne ne pouvait les payer du côté d'Air Lib. A votre connaissance, y avait-il des garanties apportées pour ces investissements ?

M. Bruno BEZARD : Je suis confus de me répéter et de vous décevoir, mais je n'étais en charge ni de l'instruction, ni de la décision de ce GIE fiscal. Par conséquent, je n'en sais rien.

M. le Président : A Matignon, où j'ai passé un certain temps, les gens se parlent d'un bureau à l'autre. Il y a des échanges, en particulier je suppose sur un dossier aussi important.

M. Bruno BEZARD : Je suis sous serment. Je suis formel, il n'y a pas eu d'échanges sur cette question.

M. le Président : Je vous remercie d'avoir répondu avec autant de précision aux questions posées.

Suite des auditions

1 Ce compte rendu d'audition a été transmis au témoin le 23 mai 2003.


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