Version PDF
Retour vers le dossier législatif

N° 906

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 11 juin 2003.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE  (1)

sur les causes économiques et financières de la disparitition d'AIR LIB

Président

M. Patrick OLLIER

Rapporteur

M. Charles de COURSON

Députés.

--

TOME I

RAPPORT

(1ère partie)

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Entreprises

La Commission d'enquête sur les causes économiques et financières de la disparition d'Air Lib est composée de : M. Patrick Ollier, président ; M. Xavier de Roux, Mme Odile Saugues, vice-présidents ; M. Jean-Claude Lefort, M. Christian Philip, secrétaires ; M. Alfred Almont, M. Claude Bartolone, M. Joël Beaugendre, M. Marcel Bonnot, M. Jean-Jacques Descamps, M. Jean Diébold, M. Christian Estrosi, M. Gilbert Gantier, M. Jean-Pierre Gorges, M. Alain Gouriou, Mme Arlette Grosskost, M. Jean-Louis Idiart, M. Jean-Yves Le Bouillonnec, Mme Gabrielle Louis-Carabin, M. Lionnel Luca, M. Louis-Joseph Manscour, M. Jean Marsaudon, M. Philippe Armand Martin (51), M. Jacques Remiller, Mme Chantal Robin-Rodrigo, M. Jean-Marc Roubaud, M. Frédéric Soulier, Mme Christiane Taubira, Mme Catherine Vautrin.

S O M M A I R E

_____

Pages

AVANT-PROPOS 7

INTRODUCTION 13

I.- DÈS L'ORIGINE, UN PROJET À LA VIABILITÉ DOUTEUSE 16

A.- LE PROJET DE REPRISE D'AOM-AIR LIBERTÉ PAR M. CORBET S'EFFECTUE DANS DES CONDITIONS ÉTONNANTES 16

1.- Un salarié d'Air France, responsable syndical et représentant d'une partie des actionnaires d'Air France pouvait-il reprendre un concurrent d'Air France ? 16

a) Les fonctions cumulées par Jean-Charles Corbet n'étaient-elles pas incompatibles avec sa démarche de repreneur ? 16

b) Protéger Air France et préserver l'emploi ? 19

2.- L'affaire de la Canadian Imperial Bank of Commerce (CIBC) World Markets : Jean-Charles Corbet acquiert une crédibilité financière apparente 25

3.- Le recrutement de deux anciens cadres supérieurs d'Air France pour crédibiliser le projet 29

B.- UN PROJET DE REPRISE SURDIMENSIONNÉ ET SOUS-CAPITALISÉ 29

1.- Un plan d'affaires largement surdimensionné pour justifier le maintien de l'emploi 29

a) La mise en redressement judiciaire 29

b) La présentation des principaux plans de reprise 31

c) Le projet de reprise présenté par M. Corbet a bénéficié du soutien quasiment unanime des représentants des salariés 34

2.- Les motivations du tribunal de commerce de Créteil ne dissimulent pas les insuffisances financières patentes du projet de M. Corbet 37

a) Les inquiétudes quant au financement du projet 37

b) Le projet Holco est apparu au tribunal de commerce de Créteil, sous d'importantes réserves, comme une alternative possible à la liquidation 39

c) L'homologation du principe de la transaction passée entre les anciens actionnaires et le repreneur 41

C.- LES ENGAGEMENTS FINANCIERS DE M. CORBET N'ONT PAS ÉTÉ TENUS 43

1.- Les promesses de M. Corbet pour permettre le développement de l'entreprise 43

2.- Aucune des mesures décrites au tribunal de commerce de Créteil n'a été mise en oeuvre 45

a) Une lettre d'évidence de fonds non utilisée 45

b) Des investisseurs introuvables 48

II.- PREMIER ACTE DE GESTION DE M. CORBET : VERSER DES PRIMES CONSIDÉRABLES ET DES HONORAIRES EXORBITANTS 50

A.- DES PRIMES CONSIDÉRABLES POUR L'ÉQUIPE DIRIGEANTE 51

B.- DES HONORAIRES EXORBITANTS POUR LES CONSEILS 53

1.- Le cabinet de Me Léonzi 54

2.- Le cas CIBC World Markets 56

III.- UNE GESTION OPAQUE, DÉFICITAIRE ET SOCIALEMENT CONFLICTUELLE 62

A.- UNE GESTION OPAQUE 63

1.- La mise en place d'Holco et de ses filiales et la répartition des actifs 63

a) Holco 63

b) Les filiales françaises 64

c) Les filiales étrangères 65

d) Les participations de la holding Holco 76

2.- Dès le mois d'octobre 2001, M. Bachelet envisage le dépôt de bilan et se heurte au refus de M. Corbet 79

3.- Le droit d'alerte, seul moyen pour le comité d'entreprise de disposer d'informations 81

B.- DES PROJETS DÉFICITAIRES 83

1.- Le pari perdu d'Air Lib Express 83

a) Le lancement du produit bas tarifs n'a pas été précédé de la nécessaire diminution des coûts d'exploitation, ce qui a rapidement condamné l'expérience 84

b) Une forme illégale d'intéressement du personnel navigant commercial 86

2.- La desserte de l'Algérie et de la Libye 87

a) L'Algérie 87

b) La Libye 88

C.- UN CLIMAT SOCIAL PROFONDÉMENT DÉGRADÉ 89

1.- Les relations des syndicats avec la direction se sont rapidement dégradées 90

2.- Les luttes de pouvoir internes au Comité d'entreprise autour du droit d'alerte 92

2ème partie

IV.- L'APPEL AUX FONDS PUBLICS A PERMIS DE RETARDER D'UN AN LE DÉPÔT DE BILAN D'AIR LIB

A.- UN GIE FISCAL AVORTÉ FAUTE D'INVESTISSEURS

1- Le montage envisagé avec l'accord de l'Etat

2- L'absence persistante d'investisseurs

3- Airbus a finalement choisi un autre acquéreur pour les deux avions

B.- UN PRÊT DU FDES DE 30,5 MILLIONS D'EUROS ACCORDÉ DANS DES CONDITIONS SURPRENANTES

1.- Un prêt sur instruction et sans instruction

2.- Une prolongation du prêt malgré les incertitudes sur le devenir d'Air Lib

C.- UNE ACCUMULATION DE PRÈS DE 100 MILLIONS D'EUROS DE CHARGES PUBLIQUES IMPAYÉES

1. Des difficultés précoces

2.- L'ampleur rapidement prise par les impayés

D.- LE NOUVEL ESPOIR D'UN REPRENEUR RETARDE DE TROIS MOIS LE DÉPÔT DE BILAN

1.- Un plan de restructuration incompatible avec les règles communautaires

2.- IMCA : un bien étrange investisseur

3.- Les ultimes manœuvres dilatoires d'IMCA

4.- Les avions seraient devenus la propriété de M. de Vlieger

CONCLUSION

EXPLICATIONS DE VOTE

LISTE DES ANNEXES

AUDITIONS : voir Tome II


AVANT-PROPOS

Avec la publication du rapport de M. Charles de Courson, s'achèvent les travaux de la commission d'enquête relative aux causes économiques et financières de la disparition d'Air Lib, dont la création avait été autorisée par l'Assemblée nationale, le 18 mars 2003, par l'adoption d'une résolution dont j'ai pris l'initiative.

L'objet de cette commission d'enquête que j'ai eu l'honneur de présider, n'était pas de conduire une mission d'information sur l'histoire et l'avenir du transport aérien français ou sur la menace que représente la concurrence des compagnies à bas coûts, même si ces sujets ont été largement évoqués tout au long de nos travaux.

Le champ d'investigation de la commission était strictement défini dans le temps et dans son objet : rechercher, depuis la reprise de la société décidée le 27 juillet 2001, toutes les causes de la disparition d'Air Lib et s'interroger sur la manière dont les fonds publics ont été mobilisés et dépensés, en pure perte, au moment où cette compagnie était en situation de dépôt de bilan annoncé.

Les comptes rendus des auditions témoignent que notre commission d'enquête a mené ses travaux avec le souci d'obtenir des réponses précises à des questions précises sur des faits déterminés et qu'elle ne s'est pas laissée intimider par aucun tabou, notamment ceux touchant aux salaires, primes, honoraires ou commissions perçus par les uns ou les autres.

Certains témoins ont pu être surpris du caractère quelque peu investigateur de nos auditions et en ressentir quelque émoi. Mais une commission d'enquête se doit d'être menée dans le cadre d'une procédure contradictoire avec le seul souci de la recherche de la vérité. J'ai le sentiment que c'est bien ce que nous avons fait, tous ensemble, chacun dans notre rôle.

Depuis sa réunion constitutive, le 27 mars 2003, la commission d'enquête a procédé à 27 auditions et entendu 45 témoins. Elle s'est fait remettre par le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie et par le ministère de l'équipement, des transports et du logement, toutes les notes et tous les courriers relatifs à Air Lib, et a pu également se faire communiquer un certain nombre de documents et de dossiers par d'autres acteurs de cette affaire.

Elle a pu ainsi convoquer devant elle diverses personnalités, à l'exception de celles qui, du fait de leur nationalité, n'était pas tenues de déférer à ses convocations et n'ont pas cru indispensable de livrer leur témoignage. Nous avons cependant essayé, vainement hélas, de procéder à leurs auditions.

Elle s'est vu opposer à plusieurs reprises le secret professionnel, principe qu'elle a volontiers respecté lorsqu'il reposait sur un texte précis ou qu'il protégeait des intérêts commerciaux, mais dont l'évocation a paru souvent un moyen d'éluder des questions gênantes ce qui nous a conduit à poursuivre nos recherches et à prolonger certaines auditions.

En particulier, lors de sa seconde audition, M. Jean-Charles Corbet, s'est abrité derrière ce principe, alors qu'il n'avait pas eu la même attitude lors de sa première audition, le 14 mai. On peut d'ailleurs parler à ce sujet d'une tactique suspecte qui n'a pas été sans conséquences sur l'intime conviction des membres de notre commission.

D'une manière générale, en dépit de sa promesse de travailler avec la commission d'enquête en toute transparence, M. Jean-Charles Corbet a très nettement mesuré sa coopération et ne nous a pas adressé les informations essentielles qu'il a proposé de donner en audition, annonçant leur transmission par courrier.

S'il a bien voulu délier le cabinet Mazars et Guérard et le cabinet KPMG de leur obligation de secret professionnel afin que leurs représentants puissent être totalement libres de leur expression, de nombreuses demandes de documents n'ont pas été satisfaites.

Les documents les plus éclairants ont donc été obtenus par d'autres voies, en particulier par la mise en œuvre des pouvoirs reconnus au Rapporteur de la commission dans le cadre de ses pouvoirs de contrôle sur pièce et sur place, à l'occasion d'une visite que nous avons faite au cabinet d'expert-comptable de la société Holco.

Le Rapporteur a pu ainsi consulter le grand livre de cette société, les états relatifs aux salaires et primes, les états relatifs aux honoraires versés par la société Holco, ainsi que certaines factures.

Le dernier obstacle rencontré par la commission a été le principe posé par le troisième alinéa du paragraphe I de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires qui dispose : « Il ne peut être créé de commission d'enquête sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours. Si une commission a déjà été créée, sa mission prend fin dès l'ouverture d'une information judiciaire relative aux faits sur lesquels elle est chargée d'enquêter ».

Or, à la date de la constitution de la commission d'enquête, une enquête préliminaire de la brigade financière sur les faits qui intéressent la commission était en cours. Les conclusions de cette enquête ne sont pas encore connues aujourd'hui. Cependant, pour éviter le risque de devoir interrompre ses travaux, la commission a décidé de remettre ses propres conclusions dès à présent, même si d'autres auditions ou investigations complémentaires auraient pu être envisagées pour apporter encore plus de précision à des faits cependant très suffisamment éclairés.

La commission d'enquête s'est intéressée, après le processus de reprise, à l'usage qui a été fait des fonds publics.

A cet égard, elle a été étonnée par la rapidité - trois jours ! - avec laquelle les services de l'Etat ont instruit le dossier d'octroi d'un prêt du FDES qui a abouti au versement de 30,5 millions d'euros de fonds publics en deux versements, en dépit de l'avis défavorable du ministre des finances, qui craignait notamment que l'Etat puisse être accusé de faire du soutien abusif. C'est la détermination du ministre des transports qui a emporté la décision favorable.

Cette décision a été directement à l'origine de l'engagement financier de l'Etat, engagement qui se solde aujourd'hui par une dette publique d'Air Lib de 130 millions d'euros.

La commission a été étonnée aussi que le groupe Holco, à ce moment là, ne mobilise que 5 millions d'euros, soit 20 % de ses ressources disponibles en France ou à l'étranger, en faveur du soutien d'Air Lib alors que la contribution Swissair - 152,5 millions d'euros - qui a abondé Holco, était censée participer au redressement de la compagnie.

On ne peut que s'interroger à propos de ce que M. Jean-Charles Corbet a appelé au cours de sa deuxième audition, des « décisions de gestion » qui ont conduit à répartir une partie de la contribution Swissair entre diverses filiales, notamment étrangères, et à refuser d'utiliser ces moyens lorsque Air Lib a rencontré des difficultés, au nom du risque que le groupe Holco soit accusé de se livrer à du « soutien abusif » !

En second lieu, certains aspects de ce dossier demeurent obscurs et nécessitent des recherches approfondies avec des moyens dont nous ne disposons pas. Cependant, les éléments qui ont pu être portés à notre connaissance sont suffisamment consistants pour nous permettre de conclure. Tout au long du rapport qui vous est présenté, les analyses dont nous disposons nous conduisent à nous interroger sur plusieurs points qui peuvent constituer des infractions à la législation.

- Tout d'abord, la commission s'est posée des questions quant à la sincérité et la bonne foi des engagements pris devant le tribunal de commerce de Créteil. Outre que le plan d'affaires était surdimensionné socialement et économiquement, les garanties financières, qu'il s'agisse de la montée au capital des salariés pour 23 millions d'euros ou de la lettre d'évidence de fonds d'Aurel Leven pour 12 millions d'euros, ont pu être présentées dans le seul but de convaincre le tribunal. Le fait qu'aucun de ces engagements n'ait été respecté par la suite constitue en effet un élément lourd d'interrogation.

- La commission a appris que M. Jean-Charles Corbet était entré en relation avec la banque d'affaire CIBC en se prévalant de sa qualité de président du conseil de surveillance des fonds Concorde alors qu'il nous a été indiqué qu'il n'avait apparemment pas reçu de mandat de la part de ce conseil. Cette présentation est de nature à créer une situation suspecte dont le rapport démontrera la dimension.

- Le contrat conclu avec cette banque - le Rapporteur en apporte la démonstration -, soulève également d'autres interrogations quant à ses clauses et quant au montant des honoraires qui ont été versés en application de ces dernières.

- L'unique actionnaire de la holding s'est attribué une prime d'arrivée d'un montant considérable (855 000 euros) alors que son entreprise était en redressement et devait affronter la crise induite par les attentats du 11 septembre.

- La répartition de la contribution Swissair - 152,5 millions d'euros - entre les différentes filiales de la holding Holco, notamment à l'étranger, et la très faible mobilisation de ces fonds (20 %) en faveur de la société d'exploitation Air Lib au moment où cette dernière rencontrait de très sérieuses difficultés et où il était fait appel aux fonds publics sont aussi une source d'interrogations préoccupantes.

- Tout au long de notre enquête, nous avons également constaté des erreurs de gestion répétées et graves qui pourraient justifier que M. Jean-Charles Corbet fasse l'objet d'un recours en comblement de passif.

- Le fait que M. Jean-Charles Corbet ait refusé de déposer le bilan en décembre 2001 et ait avec obstination poursuivi une exploitation déficitaire est susceptible d'être un motif d'ouvrir une procédure de liquidation judiciaire à son encontre.

- Enfin, les conditions dans lesquelles la société IMCA est devenue propriétaire de la filiale Mermoz du groupe Holco demeurent surprenantes tout comme le dernier épisode de la fausse reprise d'Air Lib par M. de Vlieger.

Pour toutes ces raisons exposées de manière détaillée par ce rapport j'ai décidé, en accord avec le Rapporteur, de transmettre solennellement le rapport de la commission d'enquête, les documents annexes et nos conclusions à Monsieur le Procureur de la République de Paris afin qu'il examine l'opportunité de leur donner les suites civiles ou pénales qu'ils méritent.

Patrick Ollier

Président

INTRODUCTION

L'histoire de la brève existence d'Air Lib fait suite à celle, somme toute courte également et au moins aussi tourmentée, des compagnies AOM et Air Liberté. Les fusions, changements d'actionnaires et tentatives de rationalisation de ce qui devait être le deuxième pôle aérien français se sont en effet multipliés, sans jamais aboutir à la mise en place d'une compagnie véritablement intégrée et performante.

Pour mieux comprendre le poids et la complexité de ce passé, un bref rappel de l'évolution de l'actionnariat des compagnies AOM et Air Liberté s'impose.

La compagnie Air Liberté est née en juillet 1987. AOM Minerve, issue du rapprochement de Minerve et d'Air Outre-Mer, est pour sa part constituée en septembre 1990.

En janvier 1997, British Airways rachète Air Liberté, alors placée en redressement judiciaire, et organise un rapprochement avec TAT. En fait, depuis le 1er avril 1997, Air Liberté exploite le fonds de commerce de TAT EA en location gérance. Ce système maintient les différentes entités sans procéder à leur fusion.

Taitbout Antibes BV, filiale de Marine Wendel, et Swissair vont successivement racheter AOM Minerve et Air Liberté.

La reprise d'AOM Minerve, annoncée dès février 1999, est effective le 25 août 1999. Auparavant détenue par le consortium de réalisation (CDR), la maison mère de la compagnie aérienne (AOM Participations) est cédée à Taitbout Antibes BV à hauteur de 50,38 % et à SAirLines, filiale de Swissair, à hauteur de 49,5 %.

Suite à la reprise d'AOM Minerve, dans un premier temps, Taitbout Antibes BV, agissant en accord avec Swissair, a acquis Participations Aéronautiques, la maison mère d'Air Liberté le 4 mai 2000. Dans un second temps, il était prévu que Taitbout Antibes BV cède le capital de Participations Aéronautiques (société mère d'Air Liberté) à AOM Participations (société mère d'AOM Minerve).

Le rapprochement des trois compagnies (AOM Minerve, Air Liberté et TAT) est finalement opéré par la recapitalisation d'AOM Participations à hauteur de 1,99 milliard de francs effectuée en décembre 2000. Cette augmentation de capital avait deux objets : racheter Participations Aéronautiques à Taitbout Antibes BV, d'une part, et restructurer AOM Participations, d'autre part. AOM Participations était, à l'issue de cette recapitalisation, la maison mère de Participations Aéronautiques et demeurait détenue à hauteur de 50,38 % par Taitbout Antibes BV et de 49,5 % par SAirLines. A compter du 1er janvier 2001, le fonds de commerce d'Air Liberté a été exploité en location gérance par AOM.

Nommé à la tête du directoire d'AOM-Air Liberté en février 2001, M. Marc Rochet est chargé de la restructuration de l'entreprise mais ne dispose pas du temps nécessaire pour opérer l'intégration réelle des anciennes sociétés. De plus, les difficultés financières sont telles que le 15 juin 2001 la société dépose son bilan, les actionnaires majoritaires ayant refusé de la renflouer. Le 19 juin 2001, le tribunal de commerce de Créteil ordonne l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire et, le 27 juillet 2001, autorise la reprise d'AOM-Air Liberté par M. Jean-Charles Corbet.

Même si le nouveau dirigeant de ce qui allait devenir Air Lib n'apportait pas de capital, il bénéficiait aux termes d'un protocole signé avec Swissair, d'une contribution de 1,3 milliard de francs. Cet engagement ne sera pas honoré, 160 millions d'euros seulement (1,05 milliard de francs) étant effectivement versés. Par ailleurs, la crise du transport aérien à la suite des attentats du 11 septembre 2001 a profondément affecté une compagnie qui partait avec de lourds handicaps. Très vite, Air Lib a donc recouru aux fonds publics, par le biais d'un prêt du FDES, pour un montant de 30,5 millions d'euros, et d'un arrêt du paiement de ses charges sociales et publiques.

Ces aides ont eu pour seul effet de différer une issue malheureusement prévisible dès le début de l'année 2002. Le 13 février 2003, Air Lib est en cessation de paiements et, le 17 février, le tribunal de commerce de Créteil prononce sa liquidation.

Le retentissement de la chute d'Air Lib, l'ampleur des fonds publics consacrés à son maintien en vie et le nombre considérable de salariés ayant perdu leur emploi ont conduit l'Assemblée nationale a adopter, le 18 mars 2003, la proposition de résolution déposée par M. Patrick Ollier1 créant une commission d'enquête sur les causes économiques et financières de la disparition d'Air Lib.

Compte tenu du déroulement d'une enquête de police sur ces mêmes faits, la commission a souhaité travailler rapidement, ce qui ne l'a pas empêchée de procéder à de nombreuses auditions, permettant d'entendre l'ensemble des acteurs et témoins de ce dossier.

Ces auditions et l'étude des diverses pièces transmises ont conduit la commission tout d'abord à s'intéresser de près aux conditions dans lesquelles le projet de reprise de Jean-Charles Corbet a été élaboré et présenté au tribunal de commerce de Créteil. La commission a également souhaité faire la lumière, autant que faire se pouvait, sur les primes et honoraires considérables versés par Holco, la holding présidée par Jean-Charles Corbet dans les tout premiers temps de son existence. Les travaux menés ont par ailleurs permis de relever les défaillances multiples de la gestion financière, humaine et commerciale d'Air Lib. Enfin, les conditions de l'octroi de fonds publics importants à une entreprise dont la fragilité était patente ont fait l'objet d'une attention toute particulière, tant en ce qui concerne la décision initiale d'aider Air Lib que s'agissant des prolongations d'un dispositif d'assistance coûteux, alors même que l'espoir d'un redressement de l'entreprise s'amenuisait chaque jour.

I.- DÈS L'ORIGINE, UN PROJET À LA VIABILITÉ DOUTEUSE

La reprise des compagnies AOM et Air Liberté par M. Corbet le 27 juillet 2001 soulève de nombreuses interrogations :

- quelles étaient les motivations personnelles de Jean-Charles Corbet ?

- était-il réellement en « service commandé » comme il a pu l'affirmer et, si oui, au service de qui ?

- les fonds Concorde, fonds regroupant les actions détenues par les pilotes d'Air France dans le capital de cette dernière, ont-ils joué un rôle dans la préparation du projet ?

- ce projet n'était-il pas surdimensionné et sous-capitalisé ?

- pour quelles raisons le tribunal de commerce de Créteil a-t-il cédé les actifs d'AOM-Air Liberté à Holco ?

- pourquoi les engagements pris par Jean-Charles Corbet devant le tribunal de commerce de Créteil en termes de réformes sociales, de financement et de développement des capitaux propres de l'entreprise n'ont-ils pas été tenus ?

A.- LE PROJET DE REPRISE D'AOM-AIR LIBERTÉ PAR M. CORBET S'EFFECTUE DANS DES CONDITIONS ÉTONNANTES

1.- Un salarié d'Air France, responsable syndical et représentant d'une partie des actionnaires d'Air France pouvait-il reprendre un concurrent d'Air France ?

a) Les fonctions cumulées par Jean-Charles Corbet n'étaient-elles pas incompatibles avec sa démarche de repreneur ?

La commission d'enquête n'a pas pour objet de faire le procès d'un homme ni de sonder son âme ; il est cependant difficile d'échapper à des interrogations sur les motivations personnelles d'un homme qui a conduit un projet au nom d'une noble intention de défense de l'emploi, qui a de toute évidence échoué, mais qui est aujourd'hui incontestablement plus riche qu'il y a deux ans.

Il convient avant tout de souligner les conflits d'intérêts majeurs dans la démarche de Jean-Charles Corbet, qui exerçait à Air France plusieurs fonctions importantes :

- en tant que pilote d'Air France, son statut ne lui permettait théoriquement pas de travailler à la reprise d'une entreprise concurrente ;

- en tant que responsable syndical, il avait vocation à défendre les intérêts des pilotes qu'il représentait et n'était pas censé mettre à profit les facilités liées à son mandat syndical pour développer ce projet de reprise ;

- en tant qu'actionnaire d'Air France2, ses intérêts personnels étaient en contradiction avec le projet de reprendre le principal concurrent français d'Air France ;

- enfin, en tant que président du conseil de surveillance du fonds Concorde, représentant donc les pilotes actionnaires d'Air France, il n'était pas satisfaisant qu'il puisse continuer à exercer ses fonctions tout en menant à bien un projet de reprise d'une compagnie concurrente.

S'agissant des motivations personnelles de Jean-Charles Corbet, les témoins ne s'accordent que sur un fait : il est intervenu à la demande de M. Immediato, président de la section Air Liberté du Syndicat national des pilotes de ligne (SNPL).

M. Corbet, pilote de ligne chez Air France, a été le président du syndicat national des pilotes de ligne d'Air France. Le 15 décembre 2000, il a été remplacé à la tête de ce syndicat. S'il n'est pas impossible que cette éviction ait joué un rôle dans le désir de M. Corbet de se lancer dans l'aventure de la reprise d'AOM-Air Liberté, ses motivations initiales étaient, apparemment, celles d'un syndicaliste.

Devant les difficultés d'AOM-Air Liberté, dès mars 2001, M. Corbet a indiqué s'être trouvé face à un dilemme : « J'étais dans le dilemme de la défense d'intérêts corporatistes de pilotes d'une section et d'une compagnie aérienne [la section Air France du SNPL] face à la défense générale des pilotes de ligne français. Quand je dis défense générale, nous avions en tête à l'époque et nous en discutions dans les instances nationales du SNPL la problématique des retraites et celle de l'emploi. Les caisses de retraite des personnels navigants ont un régime particulier et la disparition brutale de quelque 650 ou 700 pilotes d'AOM-Air Liberté et quelque 1 500 ou 2 000 navigants commerciaux posait un vrai problème. »

M. Immediato, président du SNPL d'Air Liberté, connaissait personnellement M. Corbet et l'a contacté début mars 2001, pour lui faire part de son inquiétude de voir disparaître Air Liberté et AOM. Les difficultés devenant plus évidentes, M. Immediato a demandé à M. Corbet de procéder à un audit de la situation des compagnies, lequel aurait démontré que le risque d'une liquidation « n'était pas négligeable ». M. Corbet aurait alors cherché à alerter, tant sa direction, que le ministère de tutelle : « Si AOM-Air Liberté disparaissait, on allait être confronté à deux problèmes dans le transport aérien. Le premier était un problème d'emploi avec la pérennité de nos caisses de retraite et avec les difficultés inhérentes. Le deuxième était qu'Air France allait peut-être se retrouver dans une situation difficile avec l'arrivée massive de compagnies à bas coûts. Ces discussions informelles mais importantes ont fait qu'on m'a laissé continuer à surveiller et à regarder ce problème de très près, parce que l'inquiétude était réelle.»

M. Immediato aurait eu l'idée de développer une opération de rachat des entreprises par leurs salariés. Lors de son audition, M. Corbet a appelé RES cette opération. L'expression RES (rachat d'une entreprise par les salariés) renvoie à un dispositif précis d'avantages fiscaux bénéficiant aux salariés dans le cadre du rachat de leur entreprise et le RES ne peut plus être mis en œuvre depuis le 1er janvier 1997. Il faut donc considérer que M. Corbet entendait par RES, non pas le dispositif susmentionné, mais le simple fait de développer l'actionnariat salarial.

Il convient ici de souligner que M. Corbet n'a renoncé à exercer aucune de ses fonctions durant cette période de construction du projet de reprise d'AOM-Air Liberté, ne levant aucune des incompatibilités qui lui étaient opposables. Il est ainsi demeuré pilote de ligne d'Air France, responsable syndical et président du conseil de surveillance du fonds Concorde, ce qui relève d'une étrange conception des règles de la déontologie et de la concurrence.

M. Rochet, ancien dirigeant des compagnies aériennes et qui était opposé au projet de M. Corbet lors du processus de reprise, a déclaré : « C'était un peu idéaliste, c'était presque un rêve de gosse, mais je suis convaincu qu'ils y croyaient profondément. Jean-Charles Corbet est entré dans ce rêve pensant qu'en aplanissant toutes les difficultés sociales, tous les points d'aspérité, il arriverait à redresser l'entreprise avec ses partenaires syndicaux. (...) Je suis convaincu que le projet et son instigateur ont dérivé et qu'ils se sont laissés entraîner dans des promesses, des engagements qui se sont révélés ensuite complètement inapplicables. » Nous verrons que cette interprétation contient une part de vérité mais que d'autres motivations ont pu entrer en ligne de compte.

b) Protéger Air France et préserver l'emploi ?

_ M. Corbet affirme avoir été en « service commandé » et M. Spinetta le nie

Les motivations de M. Corbet ont été, d'après ses dires, de protéger les intérêts d'Air France face aux compagnies à bas coûts et de sauver « quelque 6 000 emplois » : « Il s'agissait, avec cette reprise, de faire en sorte qu'Air France n'ait pas un concurrent, mais qu'Air France ait, à côté d'elle, une entreprise [AOM-Air Liberté] qui lui permette de continuer à se valoriser et à se développer sans avoir une épine dans le pied. »

Il ne fait aucun doute que M. Corbet se sentait investi d'une mission - sauver Air France ! - et que ce messianisme était conforté par l'idée très personnelle qu'il se faisait de son ancienne fonction de président du SNPL. M. Corbet a expliqué : « Pour le président Spinetta- et demandez-lui de vous le confirmer - dans une entreprise de transport aérien, et je partage son point de vue, il y a deux hommes clés : le président de la compagnie aérienne qui gère un environnement et le président du syndicat majoritaire des pilotes. » En tant que président du SNPL, il aurait donc été associé aux décisions stratégiques de la compagnie, non seulement jusqu'en décembre 2000, mais également jusqu'au moment de l'élaboration du projet de reprise au printemps 2001.

Mais au-delà de ces déclarations, il est difficile d'affirmer que M. Corbet aurait reçu un mandat précis de la part du président d'Air France.

En mai 2001, M. Immediato aurait, selon les déclarations de M. Corbet, officiellement demandé à ce dernier de conduire, à ses côtés, un projet de reprise d'AOM-Air Liberté par ses salariés. « C'est à partir de ce moment que je considère avoir été en service commandé (...) Dans ces cas-là, c'est toujours comme cela que cela se passe, on vous dit que vous pouvez y aller, mais que si cela se passe mal, on ne vous a rien dit et que vous serez face à vos responsabilités », a déclaré M. Corbet. Les termes de service commandé, déjà prononcés par M. Corbet devant la presse audiovisuelle, ne sont pas employés par hasard. Il convenait donc de l'interroger sur le sens qu'il donne à ces propos. Il a explicité sa pensée, ne reniant en aucun cas cette expression. Il a même ajouté avoir « accepté de relever cette mission ». Il faut donc considérer que, selon M. Corbet, c'est au service d'Air France et du ministère des transports de l'époque que le pilote a développé son projet de reprise.

Ces propos sont-ils fiables ? Les opinions des salariés d'Air France semblent avoir été partagées s'agissant d'AOM-Air Liberté. Certains préféraient avoir pour concurrent AOM-Air Liberté plutôt que des compagnies à bas coûts étrangères soumises à des réglementations sociales et fiscales bien plus favorables, d'autres considéraient la compagnie comme un concurrent direct.

Lors de sa seconde audition, M. Corbet a ajouté, s'agissant de l'attitude du ministère des transports, que la tutelle était dans une logique d'encouragement de tous les repreneurs. M. Gayssot a indiqué que M. Corbet n'était pas en service commandé de la part du gouvernement. Le ministre a également déclaré n'avoir pas imposé à Air France quelque décision que ce soit concernant la reprise au nom de l'autonomie de gestion de l'entreprise.

Pour sa part, M. Spinetta, président-directeur général d'Air France, a vivement réagi aux termes de « service commandé » prononcés par M. Corbet: « En service commandé de la part de l'entreprise, certainement pas ! » Il a uniquement reconnu ne pas avoir imposé d'ultimatum à M. Corbet : « Dans cette période d'avril-mai à la fin juillet, ai-je demandé alors à M. Corbet de choisir entre le développement de ce projet et ses activités de pilote à Air France ? La réponse est clairement non. Il faisait son travail. La situation était connue, il était venu m'en parler. (...) Lui ai-je demandé à ce moment-là de respecter scrupuleusement l'ensemble de ses obligations ? Non. Nous avons une règle à Air France, que nous avons un peu durcie ces dernières années. Nombre de pilotes d'Air France ont d'autres activités. (...) En règle générale, ils doivent en informer la direction d'Air France et avoir une situation claire, dès lors que le projet a pris forme. Il me semble que cela a été le cas de M. Corbet. »

M. Spinetta l'a ensuite mis en relation avec M. Rochet et M. Lapautre, alors respectivement président du directoire d'AOM-Air Liberté et président du conseil de surveillance d'AOM-Air Liberté. M. Spinetta a par ailleurs déclaré lors de son audition avoir trouvé ce projet de reprise « baroque »: « A l'époque, je l'ai plutôt dissuadé de se lancer dans cette aventure qui me paraissait assez audacieuse, mais il a décidé de donner suite à son projet. »

M. Spinetta a affirmé n'avoir pas spécifiquement soutenu l'une ou l'autre offre de reprise. La compagnie Air France a indiqué aux repreneurs potentiels (trois offres de reprise principales s'étaient fait jour, celles de M. Rochet, M. Corbet et le projet de Fidei, investisseur américain) être prête à envisager un accord de partage de codes pour la desserte des DOM (ce type d'accord permet à une compagnie de vendre les billets d'une autre contre rémunération).

Il semble donc que M. Spinetta ait adopté une attitude relativement souple, n'imposant notamment pas au pilote de choisir immédiatement entre ses fonctions à Air France et ses projets concernant Air Lib. Certains éléments rapportés à la commission d'enquête, essentiellement par M. Corbet, s'agissant de la construction de son plan de reprise, doivent être mis en regard avec les déclarations de M. Spinetta.

S'est posée la question des facilités matérielles éventuellement offertes à M. Corbet par son employeur. Il s'agit de déterminer si M. Corbet a continué à exercer réellement son métier de pilote, d'une part, et s'il a pu s'appuyer sur l'expertise des services d'Air France pour élaborer son projet de reprise, d'autre part.

En ce qui concerne le premier point, interrogé sur les possibilités concrètes de mener à bien un projet de reprise tout en continuant à assumer des fonctions de pilote, M. Spinetta a répondu que M. Corbet avait continué à exercer son métier de commandant de bord sur A 340 à Air France. Du fait des contraintes de leur métier, les pilotes disposent en moyenne de quinze jours par mois pendant lesquels ils ne volent pas et, en tant que représentant syndical, M. Corbet bénéficiait de facilités, c'est-à-dire de quelques jours par mois à consacrer à cette activité syndicale. Dans un courrier en date du 15 mai 2003 adressé au Rapporteur, Jean-Cyril Spinetta indique que l'activité de Jean-Charles Corbet pendant les mois de mai à août 2001 a été comparable à celle d'autres pilotes exerçant un mandat syndical, à l'exception d'un nombre de jours de congés importants (35 jours) essentiellement pris en juillet et août. « A cet égard, la compagnie n'était pas fondée à interroger M. Corbet sur l'utilisation de ces journées de congé. » M. Corbet a, quant a lui, indiqué avoir exécuté le nombre d'heure réglementaire minimum, « soit environ trente heures de vol par mois, dont six décollages et six atterrissages ». Ces déclarations sont corroborées par le courrier de M. Spinetta précité. M. Corbet a donc assuré ses fonctions de pilote à Air France suivant les règles en vigueur avant de prendre des congés.

Pourtant, à l'occasion d'un nouvel échange avec le Rapporteur, M. Corbet a fait cette déclaration trouble et surprenante : « M. le Rapporteur : Si j'ai bien compris, à la première question que je vous ai posée, votre réponse est que vous êtes payé jusqu'au 1er septembre [2001]...

M. Jean-Charles CORBET : ... Par Air France, pour conduire une reprise, tout à fait, si c'est ce que vous voulez dire.

M. le Rapporteur : Avez-vous été payé pour procéder à une reprise ?

M. Jean-Charles CORBET : Vous le voyez comme vous le voulez. J'ai développé dans ma réponse à la question précédente qu'avec l'accord bienveillant de ma direction, j'étais autorisé à conduire une reprise. Je continuais à être payé par Air France dans ce cadre. C'est ce que je vous ai dit tout à l'heure et c'est pour cela que je parle, peut-être improprement, de service commandé. »

A partir du 1er septembre 2001, M. Corbet a pris un congé sabbatique d'une année au terme de laquelle il devait choisir entre une réintégration et une démission. Depuis le 31 août 2002, M. Corbet ne fait plus partie des effectifs d'Air France. A cet égard, il n'aurait pas envoyé de lettre de démission, contrairement à ses déclarations devant la commission, et c'est M. Spinetta qui aurait pris l'initiative de régulariser la situation.

S'agissant des rumeurs d'un appui technique d'Air France, M. Corbet, interrogé par le Rapporteur sur l'attitude de M. Spinetta dans les mois précédant la reprise, a indiqué que son projet avait été développé avec les services d'Air France : « En d'autres termes, quelle a été la position du président Spinetta ? Vous a-t-il encouragé ou découragé, ou bien est-il resté neutre ? Quelles ont été vos relations avec le président Spinetta et la direction générale d'Air France ?

M. Jean-Charles CORBET : Les mots ont une importance lourde. Le mot encouragé ou découragé a un sens précis. Je pense que c'est au président Spinetta qu'il faudrait poser la question sur le mot encouragé ou découragé.

M. le Président : La question lui a été posée.

M. Jean-Charles CORBET : Je ne vais pas répondre à sa place, mais je vais vous dire ce que, moi, je considère. Quelle valeur donner au mot « encouragé » quand le projet de reprise qui doit s'appuyer sur un programme [des vols notamment] est construit avec les services d'Air France ?

M. le Rapporteur : Vous confirmez donc ce point.

M. Jean-Charles CORBET : Oui. »

Il a ensuite ajouté que « cela a été fait avec plusieurs repreneurs ».

M. Spinetta a, lui, indiqué le contraire : « M. le Rapporteur : Pour préciser la question de Mme Saugues, il est rapporté que des responsables d'Air France ont aidé, au moment de la reprise, pour établir les premiers programmes de vols.

M. Jean-Cyril SPINETTA : Sur le recours à des services conseillers d'Air France, non. »

Quoi qu'il en soit, le programme de vols de M. Corbet a été construit de manière à ne pas faire d'AOM-Air Liberté une concurrente directe d'Air France, ce qui apparaît logique compte tenu du différentiel de puissance entre les deux compagnies. « C'est ainsi que, dans le programme, on a abandonné Bordeaux, Marseille, on a établi le principe d'un accord commercial de partage des codes [pour la desserte des DOM] qui mettait Air Lib au départ de Roissy », a précisé M. Corbet. Ce dernier accord va d'ailleurs se révéler très coûteux pour Air Lib, la compagnie étant basée à Orly.

Un accord de partage de codes est une alliance entre compagnies aériennes permettant aux contractants de vendre les billets les uns des autres, ceci afin de proposer davantage de destinations et de faciliter les correspondances. Sont donc alliés les offres de vols et les réseaux commerciaux de plusieurs transporteurs. Une compagnie vendant le billet d'une autre ne perçoit pas le prix du billet mais une commission. Ce type d'accord est très répandu dans le transport aérien.

M. Spinetta a insisté sur le fait que cet accord avait permis à Air Lib de bénéficier de l'assise commerciale d'Air France qui a vendu pour elle de très nombreux billets : « Le nombre de places commercialisées sur les avions d'Air France par Air Lib est infinitésimal, moins de 1 %. Le pourcentage des places commercialisées par Air France sur les avions d'Air Lib est très significatif. Plus de 40 % des places vendues sur les avions d'Air Lib sont vendues à travers l'intervention des services commerciaux d'Air France qui reçoivent une commission pour services rendus, comme tout agent de voyages.»

Mais l'accord entre Air France et Air Lib était impraticable pour cette dernière. Le terme d'ineptie a été prononcé devant la commission d'enquête pour qualifier l'exploitation bi-base (sur les aéroports d'Orly et de Roissy) prévue pour Air Lib. M. Derivery, directeur dans le cabinet KPMG Consulting France qui a remis le 15 juillet 2002 un rapport sur les conditions d'exploitation des différents réseaux de la compagnie aérienne Air Lib à la direction générale de l'aviation civile (DGAC), a expliqué lors de son audition les raisons pour lesquelles l'accord de partage de codes allait se révéler défavorable à Air Lib : « Enfin, s'agissant de la desserte des DOM, Air Lib avait conclu un accord très important de partage de codes avec Air France. Cet accord a aidé la compagnie à survivre, puisqu'il était fortement générateur de trésorerie. Mais la trésorerie ne doit pas être confondue avec le bénéfice. Cet accord était très défavorable par certains aspects et pas forcément seulement en montant pur. Il impliquait en effet pour Air Lib une exploitation sur deux sites. Or, une telle exploitation en transports aériens est très sophistiquée et très coûteuse. De plus, leur flotte n'était pas forcément très fiable, parce que les avions étaient vieux. Les coûts de maintenance étaient très élevés. Souvent, des avions tombaient en panne sur la base de Roissy et devaient être dépannés, ce qui coûtait des sommes très importantes [les services de maintenance étant à Orly]. Donc, notre position était de dire : certes, il y a là quelque chose d'intéressant parce que ça génère du chiffre et de la trésorerie ; maintenant, peut-être que cela détruit de la valeur pour l'entreprise. »

Devant les coûts générés par le partage de codes, Air Lib a, dans une lettre en date du 27 juin 2002, annoncé à Air France qu'elle souhaitait modifier les conditions du partage de codes. Air France aurait eu à sa disposition 80 % des sièges des vols opérés par Air Lib mais aurait dû accepter de prendre en charge 80 % des coûts afférents à ces sièges, a déclaré M. Spinetta. Air France a refusé et Air Lib a annoncé qu'à compter du 8 septembre 2002, elle cesserait de desservir Roissy et concentrerait ses moyens sur Orly. L'accord a été dénoncé de manière définitive en septembre 2002.

En conclusion, entre la thèse de M. Corbet selon laquelle il avait pour but de protéger les intérêts d'Air France dans une stratégie de freinage du développement des compagnies à bas coûts en France et la thèse de M. Spinetta d'une neutralité d'Air France, où est la vérité ?

Des éléments recueillis par la commission d'enquête, on peut estimer que les deux thèses ne sont pas totalement incompatibles. Air France, en s'abstenant de rappeler à Jean-Charles Corbet entre avril et juillet 2001, l'incompatibilité entre ses trois fonctions de salarié d'Air France, d'actionnaire d'Air France et de représentant des pilotes détenant 6 % du capital d'Air France via le fonds Concorde, a apporté un appui implicite à M. Corbet. Avec l'accord de partage des codes et l'aide à la construction des programmes de vol, Air France lui a apporté un appui explicite.

_ Un administrateur d'Air France, conseiller en communication de la direction d'Holco

Enfin doit être évoqué le rôle de M. Christian Paris, pilote de ligne chez Air France, président du conseil de surveillance du fonds commun de placement d'entreprise Concorde par lequel les pilotes d'Air France détiennent une partie du capital de la compagnie, poste auquel il a succédé à M. Corbet, et membre du conseil d'administration à ce titre. M. Paris, ami proche de M. Corbet, aurait très souvent été vu à Air Lib. Certains témoins l'ont même décrit comme étant omniprésent.

Pour beaucoup, le rôle de M. Paris était ambigu et dépassait le simple cadre de visites amicales. Selon certains témoins, il aurait même disposé d'un bureau dans les locaux d'Air Lib. Auditionné par la commission d'enquête, M. Paris a reconnu avoir aidé M. Bachelet (directeur général d'Holco et président du directoire d'Air Lib) dans le domaine de la communication médiatique et de la communication interne, à la demande de M. Bachelet. Il en aurait averti M. Spinetta par oral (à l'automne 2001) : « J'ai prévenu mon président que mon amitié pour Corbet ne se démentirait pas, que je pourrais être amené à donner des conseils à Bachelet ou Corbet sur le strict plan de la communication. Mon président m'a dit que cela ne lui posait pas de problème particulier à deux conditions. (...) D'abord, que tout cela soit sans rémunération. Ensuite que cela n'interfère pas avec l'activité d'Air France, en particulier avec la situation de compétition sur le marché commun. »

M. Paris n'aurait pas conseillé M. Corbet car celui-ci n'était que l'actionnaire d'Air Lib avant le départ de M. Bachelet en décembre 2001. Il a déclaré avoir parfois rédigé la « Lettre du président » mais ne serait intervenu qu'une seule fois auprès de pilotes envisageant de déclencher une grève, se trouvant par hasard aux côtés de M. Corbet avec lequel il s'apprêtait à partir en congés.

M. Spinetta a déclaré n'avoir pas eu la preuve que M. Paris était un conseiller officieux de M. Corbet. M. Paris ne serait pas allé en discuter avec la direction d'Air France. Il ne s'est pas étonné du fait que M. Paris soit demeuré proche de M. Corbet puisque les deux hommes entretenaient une amitié de longue date.

2.- L'affaire de la Canadian Imperial Bank of Commerce (CIBC) World Markets : Jean-Charles Corbet acquiert une crédibilité financière apparente

La CIBC World Markets est la banque d'affaires canadienne ayant assisté M. Corbet dans le montage de son projet de reprise des compagnies AOM et Air Liberté. Cette banque était notamment chargée de trouver des investisseurs susceptibles de financer le projet. La CIBC World Markets est à l'origine de la présentation au tribunal de commerce de Créteil (qui allait décider ou non de la reprise) d'une lettre d'évidence de fonds de 80 millions de francs.

La CIBC avait déjà travaillé avec M. Corbet sur l'ouverture du capital d'Air France aux pilotes et celui-ci a donc mobilisé ses anciens partenaires : « j'avais dans ma « boîte à outils » un certain nombre de contacts et de relations avec des banques d'affaires et des conseils puisque j'avais mené, entre 1998 et 1999, le projet d'ouverture du capital d'Air France aux pilotes d'Air France; dans ce cadre, j'avais fait des appels d'offres à différentes banques d'affaires et cabinets de conseils. Avec l'accord de mes pairs, j'ai utilisé cette boîte à outils pour adjoindre au projet de Jean Immediato un certain nombre de compétences sans lesquelles il était impossible de monter un projet crédible. » M. Corbet « entrevoyait » une possible seconde ouverture du capital d'Air France aux salariés et la CIBC a de nouveau été approchée dans ce cadre. Puis, M. Corbet a été amené à travailler avec la banque d'affaires pour la reprise d'AOM-Air Liberté.

Le contrat signé entre la CIBC World Markets et M. Corbet le 11 juillet 2001 pose plusieurs problèmes.

En premier lieu, c'est en vertu de ce contrat que la banque a perçu une rémunération de 8,335 millions d'euros versée en août et en septembre 2001. Le montant et la justification de la facture soulèvent des interrogations qui seront étudiées dans le II du présent rapport.

En second lieu, le libellé du contrat donne à penser que M. Corbet se serait servi de ses fonctions de président du conseil de surveillance du fonds Concorde, impliquant ce dernier dans son projet de reprise et engageant peut-être sa responsabilité, à l'évidence pour accroître sa crédibilité personnelle face à la banque d'affaires. Rappelons que le fonds commun de placement d'entreprise Concorde a été créé suite à la grève des pilotes de 1998. Dans le cadre d'un dispositif d'échange « salaires contre actions », établi en 1998, il était prévu de stabiliser les barèmes de rémunération des personnels navigants techniques (pilotes de ligne et officiers mécaniciens navigants). En contrepartie, ce personnel devait détenir, à terme, 12 % du capital. Près de 80 % des pilotes ont participé à l'opération et ont souscrit 6,5 % du capital3. L'ensemble des salariés détiennent actuellement 12,7 % du capital d'Air France.

Il convient donc de se demander dans quelle mesure M. Corbet était autorisé à utiliser le fonds Concorde dans son opération de reprise d'AOM-Air Liberté.

Les premières phrases du contrat entre M. Corbet et la CIBC World Markets laissent entendre que M. Corbet aurait contracté avec cette dernière au nom du fonds commun de placement d'entreprise Concorde, en tant que président du conseil de surveillance de ce fonds : « Mon cher Jean-Charles, en réponse à votre demande, et pour faire suite à nos récents entretiens, nous avons le plaisir de vous présenter les conditions dans lesquelles nous sommes intervenus depuis le 2 mai 2001 et nous continuerons d'intervenir à compter de ce jour, à la demande du conseil de surveillance du fonds commun de placement d'entreprise Concorde en qualité de conseil financier de la société Holco ». Dans le même paragraphe du contrat est évoquée la possibilité d'une intervention des porteurs de parts du FCPE Concorde (en tant qu'investisseurs dans Air Liberté-AOM). Sur la dernière page du contrat ont été apposées les signatures de M. Mongeau pour la CIBC World Markets et de M. Corbet pour Holco. Au-dessus de la mention « Pour le compte du conseil de surveillance du FCPE Concorde, Jean-Charles Corbet », ce dernier n'a pas signé. Cependant, il a bien paraphé l'ensemble des feuillets, dont le premier faisant état d'une intervention de la CIBC World Markets « à la demande du conseil de surveillance du fonds commun de placement d'entreprise Concorde ». Ceci est surprenant et met en cause la manière dont M. Corbet a voulu attirer la confiance de ses interlocuteurs.

M. Paris, alors membre du conseil de surveillance du fonds, n'était pas au courant des termes de ce contrat avec la CIBC World Markets et a indiqué que le conseil de surveillance n'avait pas autorisé M. Corbet, alors président, à impliquer le fonds dans son projet de reprise. « Très clairement, aucune réunion du conseil de surveillance, qu'il s'agisse d'une réunion formelle ayant donné lieu à un compte rendu, ou d'une réunion informelle de travail, comme cela nous arrive régulièrement, n'a donné lieu à la moindre évocation de ce sujet [le contrat passé avec la banque d'affaires]. Je suis conscient de parler sous serment, monsieur le Rapporteur. (...) Il est écrit : « à la demande du conseil de surveillance ». Or, le conseil de surveillance n'a jamais rien demandé. » M. Corbet aurait uniquement demandé à pouvoir se prévaloir de sa qualité de président du conseil de surveillance « comme d'une ligne supplémentaire sur sa carte de visite ». Le conseil de surveillance aurait répondu de manière positive, sous certaines limites : « ça ne nous posait pas de problème, à une seule condition, c'est que bien entendu, ça reste sous cet aspect-là, valorisation d'un CV, d'un profil, ça n'engage en aucun cas le conseil de surveillance. »

M. Corbet a présenté les choses différemment. Il a indiqué qu'il était en contact avec la CIBC World Markets en tant que président du conseil de surveillance du fonds Concorde pour une éventuelle seconde ouverture du capital d'Air France. Quand il a souhaité engager la CIBC World Markets pour la reprise, cette banque d'affaires ne travaillant pas pour des particuliers, il a fallu trouver la structure pour laquelle la CIBC World Markets devrait désormais intervenir et il a été décidé que la CIBC World Markets n'interviendrait plus pour le président du conseil de surveillance du fonds Concorde mais pour le président d'Holco, société à créer. C'est pourquoi le contrat en date du 11 juillet 2001 précise que la CIBC World Markets a « le plaisir de vous présenter les conditions dans lesquelles nous sommes intervenus depuis le 2 mai 2001 et nous continuerons d'intervenir à compter de ce jour, à la demande du conseil de surveillance du fonds commun de placement d'entreprise Concorde en qualité de conseiller financier de la société Holco Mais pendant trois mois, d'avril à juin, la CIBC a travaillé sur la reprise pour le compte de M. Corbet, président du conseil de surveillance du fonds Concorde. Or, ce dernier a confirmé n'avoir pas eu de mandat du conseil de surveillance à cet effet. Cependant, il a nié n'avoir pas informé le conseil de surveillance, affirmant qu'il avait été clairement question, au mois d'avril, que les pilotes d'Air France puissent investir une partie de leur capital dans Air Lib.

Dans ces conditions, puisqu'il n'était plus question d'une participation des pilotes d'Air France dès le mois de mai, pourquoi le contrat mentionne-t-il, le 11 juillet, la possibilité d'une intervention des porteurs de parts du FCPE Concorde (en tant qu'investisseurs dans Air Liberté-AOM) ?

Cette affaire a d'ailleurs posé des difficultés à M. Paris, qui a pris la succession de M. Corbet à la tête du conseil de surveillance du fonds Concorde en août 2001, comme il a pu en témoigner : « Ce qui a été rapporté par la suite, notamment dans les tracts syndicaux, c'est que M. Corbet avait engagé le nantissement des titres détenus dans les Fonds Concorde pour mener sa reprise, ce qui voulait dire qu'on engageait les titres détenus par les pilotes au titre de l'échange salaire-actions en 1999, qu'on leur faisait prendre un risque financier pour mener une reprise d'entreprise. J'ai fait faire une étude juridique sur le sujet. C'est strictement impossible. J'ai répondu à chaque porteur de parts. J'ai écrit à 2 850 pilotes. »

M. Corbet a-t-il pris seul la responsabilité d'engager le fonds Concorde ? On ne peut manquer de s'interroger sur les suites qui auraient pu être données par la CIBC World Markets à ce contrat si M. Corbet n'avait pas été choisi comme repreneur. L'intégralité des 8,335 millions d'euros n'auraient pas été dus mais la facture aurait été considérable (près de 700 000 dollars d'après le contrat) et il n'est pas évident que M. Corbet aurait pu l'honorer seul. D'après les informations recueillies par le Rapporteur, la CIBC World Markets n'aurait cependant pas recherché la responsabilité du conseil de surveillance du fonds Concorde car M. Corbet n'avait pas signé pour le compte du conseil de surveillance. Pour autant, l'ambiguïté du premier paragraphe du contrat demeure.

Le fait que le contrat ait été rétroactif, puisque signé le 11 juillet alors qu'il s'appliquait depuis le 2 mai, laisse la porte ouverte à une autre hypothèse : il aurait été signé après le 26 juillet 2001 et aurait été antidaté. Le fait que les paiements soient étalés sur août et septembre 2001 plaide en ce sens.

3.- Le recrutement de deux anciens cadres supérieurs d'Air France pour crédibiliser le projet

M. Corbet a eu, semble-t-il, quelques difficultés à recruter des professionnels avertis pour constituer son équipe au printemps 2001. L'exemple de l'un des cadres de Lufthansa a été cité. M. Antinori, pour venir dans une société telle qu'Air Liberté-AOM, risquant de polluer son image pour le reste de sa carrière, selon les termes de Me Léonzi, demandait une prime de 35 millions de francs. Ce montant a été jugé déraisonnable dans le cadre de cette reprise.

Deux anciens salariés d'Air France, MM. Bachelet et Bardi, respectivement anciens président d'Air France Cargo et directeur général d'Air France Cargo, à la retraite, connus dans le secteur du transport aérien, ont ensuite été approchés et recrutés. Ils ont été affectés à des postes clés. M. Bachelet a été nommé directeur général d'Holco et président du directoire de la société d'exploitation AOM-Air Liberté. M. Bardi, quant à lui, occupait les fonctions de secrétaire général d'Holco et était membre du directoire de la société d'exploitation AOM-Air Liberté.

MM. Bachelet et Bardi quitteront l'entreprise respectivement en février et avril 2002.

M. Pascal Perrichon, dit Perri, directeur de cabinet, complète cette équipe.

B.- UN PROJET DE REPRISE SURDIMENSIONNÉ ET SOUS-CAPITALISÉ

La reprise d'AOM-Air Liberté à la barre du tribunal de commerce de Créteil était fondée sur un certain nombre d'engagements pris pour redresser la compagnie. Malgré tout, le projet demeurait fragile.

1.- Un plan d'affaires largement surdimensionné pour justifier le maintien de l'emploi

a) La mise en redressement judiciaire

Suite à leur dépôt de bilan le 15 juin 2001, le tribunal de commerce de Créteil a, par un jugement en date du 19 juin 2001, ouvert une procédure de redressement judiciaire des sociétés Air Liberté-AOM (ancienne AOM Minerve) et Air Liberté.

Le tribunal a constaté que les sociétés SA Air Liberté AOM et SA Air Liberté n'étaient pas en mesure de faire face au passif exigible (5,38 milliards de francs pour AOM et 1,74 milliard de francs pour Air Liberté) avec leur actif disponible (respectivement 1,71 milliard de francs et 334 millions de francs).

Il a prononcé la confusion des patrimoines des entreprises, attendu que « l'ensemble des moyens sont confondus sur le plan matériel et humain », le fonds de commerce de la société Air liberté étant exploité en location gérance depuis le 1er janvier 2001 par SA Air Liberté AOM. Le contrat de location gérance est celui par lequel « le propriétaire ou l'exploitant d'un fonds de commerce en concède totalement ou partiellement la location à un gérant qui l'exploite à ses risques et périls4 ». Un contrat de location gérance permet d'opérer un rapprochement entre deux compagnies sans toutefois aller jusqu'à la fusion. Il n'a pas un caractère irréversible comme la fusion et permet de maintenir des personnels sous leurs statuts antérieurs.

Air Liberté AOM employait alors 4 245 salariés et Air Liberté aucun.

Le tribunal a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard des deux sociétés. Il a estimé qu'il ressortait des débats que des solutions étaient envisageables. Aussi, il a permis aux organes de la procédure de les explorer en prononçant un redressement judiciaire, « mais en limitant toutefois à trois mois la période d'observation, compte tenu de l'importance du passif et de moyens de trésorerie limités pour faire face aux dépenses postérieures à l'ouverture de la procédure. »

Des jugements similaires du même jour ont concerné les entreprises suivantes :

- SA Air Liberté Industrie qui a une activité de maintenance aéronautique et emploie 248 salariés ;

- SA TAT European Airlines (aucun salarié), dont le fonds de commerce était exploité en location gérance par Air Liberté depuis le 1er avril 1997 ;

- SARL Hotavia Restauration Services. Cette entreprise fournit des prestations de restauration et emploie 188 salariés ;

- SA Minerve Antilles Guyane, exerçant une activité d'assistance en escale (aux Antilles et à la Réunion) et employant 94 salariés.

Ces quatre entreprises exerçant la quasi-totalité de leur activité en lien avec Air Liberté AOM, il était opportun que leur sort soit lié à celui de cette dernière.

b) La présentation des principaux plans de reprise

Par un jugement en date du 27 juillet 2001, le tribunal de commerce de Créteil a autorisé la reprise des sociétés en redressement judiciaire par Jean-Charles Corbet.

Seize candidats à la reprise se sont présentés le 19 juin, dont notamment la SAS Participations aériennes (appuyée sur la société financière Fidei 5), M. Jean-Charles Corbet et M. Marc Rochet (soutenu, sur le plan financier, par MAAF Assurances).

Le 19 juin 2001, les différentes parties ont été convoquées et ont comparu en Chambre du Conseil. L'offre de M. Marc Rochet, déposée hors délai, n'a pu être examinée à cette occasion.

Comme l'a alors indiqué le ministère public, deux propositions semblaient pouvoir être retenues : celle d'Holco, société à créer par M. Jean-Charles Corbet, et celle de Fidei.

Swissair, l'un des deux actionnaires de référence des compagnies, s'était engagé à apporter un concours financier au repreneur qui serait choisi par le tribunal. M. Corbet avait fondé son plan de reprise sur une contribution de deux milliards de francs mais elle sera en fait fixée à 1,3 milliard de francs.

Fidei proposait une reprise d'une partie du personnel, correspondant à 2 200 postes équivalents temps plein. Le périmètre de la reprise comprenait les sociétés : Air Liberté-AOM, Air Liberté, Air Liberté Industrie, TAT European Airlines et Minerve Antilles Guyane. La société qui devait être créée, Participations aériennes, aurait également repris les participations détenues dans les sociétés suivantes : Service Assistance Piste (SAP), Services Avions Assistance Sol (SAAS), Logitair (traitement des recettes) et Air Lib Finances (financement des avions).

En ce qui concerne le statut du personnel, Fidei exigeait que, sur la base du plan présenté par la direction de l'époque, pour chaque catégorie professionnelle, un statut unique se substitue aux anciens statuts des personnels émanant des différentes sociétés constituant Air Liberté-AOM.

Du point de vue financier, la société Participations aériennes serait dotée dès la reprise d'un financement sous la forme d'un prêt participatif d'au moins un milliard de francs (pouvant aller jusqu'à 1,15 milliard de francs), s'ajoutant à une capitalisation à hauteur de 100 millions de francs.

Le prix de cession hors taxes proposé était d'un million de francs.

S'agissant de l'offre de Fidei, le ministère public a noté que « cette proposition bien structurée présente la petite faiblesse de ne pas avoir une adhésion parfaite et totale de tous les salariés, cependant les aspects financiers sont à retenir. »

On s'apercevra qu'en fait l'accord des salariés a prévalu sur la solidité des aspects financiers.

Le projet de M. Jean-Charles Corbet prévoyait, pour sa part, la reprise d'un effectif total de 2 532 personnes. Le périmètre de la reprise proposé comprenait les sociétés Air Liberté-AOM, Air Liberté, Air Liberté Industrie, Minerve Antilles Guyane, Hotavia Restauration Services et TAT European Airlines. Le prix de cession proposé était de un franc.

Comme le notait le tribunal, en ce qui concerne le volet financier : « Hormis la participation financière des actionnaires actuels à hauteur de 2 milliards de francs, le projet Holco ne démontre aucune évidence d'une solidité financière propre destinée à faire face aux futures pertes d'exploitation non budgétées et qui pourraient cependant se faire jour. »

Le ministère public a souligné que l'offre Holco « a l'avantage d'avoir l'appui de l'ensemble des salariés, et bien que faible sur le plan financier, le projet d'entreprise paraît sérieux et peut faire prospérer ce groupe. »

En chambre du conseil, le 19 juillet 2001, l'offre de reprise de M. Corbet a été modifiée. M. Corbet a déclaré vouloir également reprendre les actions des sociétés SR Technics France, Service Assistance Piste (SAP), Services Avions Assistance Sol (SAAS), Logitair, Alyzair (traitement des données de vol) et Air Lib Finances. Le nombre des salariés repris a été relevé à 2 930. Le prix de cession a été maintenu à un franc symbolique.

Une nouvelle audience a été organisée par le tribunal de commerce de Créteil afin de permettre à tous les repreneurs de présenter ou d'améliorer leur plans (M. Rousselin, président du tribunal de commerce de Créteil, l'a expliqué : « Cela permettait à tous les partenaires de mettre à profit cette semaine pour améliorer leurs propositions et cela permettait à M. Rochet de présenter sa proposition dans les mêmes conditions que les autres»). Lors de l'audience du 26 juillet, les éléments précités ont de nouveau été étudiés et précisés. Me Léonzi, avocat d'Holco, a ainsi déclaré qu'« Holco acceptait en l'état le montant de la contribution proposée par Swissair à hauteur de 1,3 milliard de francs [contre les deux milliards prévus dans le plan présenté le 19 juillet] tout en précisant que cette somme ne correspond pas à la nécessité des besoins de financement de l'entreprise sur les 17 mois. » Par ailleurs, le nombre de salariés repris a une nouvelle fois été modifié et a été ramené à 2 706 (contre 2 930 précédemment) et la flotte a été réduite de cinq appareils.

L'offre de M. Marc Rochet a été présentée lors de cette audience du 26 juillet 2001. La reprise proposée portait sur les sociétés : Air Liberté-AOM, Air Liberté, Air Liberté Industrie, TAT European Airlines et Minerve Antilles Guyane. M. Rochet reprenait également les actions détenues dans les sociétés Air Liberté Finances et Air Liberté Voyages. Les effectifs repris s'élevaient au total à 2 600 et le prix de reprise était de trois francs. La société repreneuse, AOM-Liberté, devait être dotée d'un capital de 200 millions de francs.

M. Rochet a déclaré lors de son audition par la commission d'enquête avoir voulu, en présentant un plan de reprise, « démontrer par écrit ce qu'il fallait faire pour sauver l'entreprise».

Le ministère public a indiqué que cette offre présentait un double problème, quant à sa recevabilité juridique et quant à son opportunité : « ses avantages sont le soutien de Swissair quasi entier, mais elle ne recueille le soutien que d'une faible partie du personnel, son financement propre apparaît léger. Il reste également une condition suspensive d'un accord avec les salariés et enfin le management apparaît comme devant être changé pour créer une nouvelle dynamique d'entreprise. »

Les relations de M. Rochet avec les syndicats constituaient une difficulté évidente. Qualifiant ces rapports, M. Fourier, délégué syndical CGT, a indiqué : « Les rapports étaient donc francs dans l'hostilité générale. » En outre, deux problèmes majeurs se posaient s'agissant de la recevabilité de l'offre de M. Rochet : étant le dirigeant qui avait mené l'entreprise au dépôt de bilan, il n'était pas certain qu'il puisse la reprendre à la barre d'un tribunal et, avant tout, le fait d'avoir assorti le plan de reprise d'une condition suspensive tenant à la renégociation des statuts des personnels excluait cette offre de la reprise.

M. Rousselin, président du tribunal de commerce de Créteil, a apporté les précisions suivantes lors de son audition: « Contrairement à ce que permet la loi, M. Rochet a assorti sa proposition d'une condition suspensive, c'est-à-dire qu'il entendait que sa proposition ne soit prise en compte que pour autant que l'ensemble du personnel accepte de passer un accord d'entreprise remettant les accords des uns et des autres sur un pied d'égalité. La loi ne permet pas qu'un tribunal, quel qu'il soit, puisse arrêter un plan de cession avec des conditions suspensives. C'est impossible. »

Lors de cette audience, le ministère public a également noté que l'offre Fidei, « semble être une solution ; le plan semble économiquement viable, l'équipe est jeune et dynamique. Le prix de cession de un million de francs n'est pas négligeable. Elle a l'inconvénient de ne pas recueillir l'adhésion totale du personnel. »

Enfin, en ce qui concerne l'offre d'Holco, le ministère public a conclu qu'« elle apparaît comme l'offre la plus aboutie. Elle est l'œuvre de personnes issues du milieu du transport aérien et M. Corbet est en mesure de regrouper le personnel autour de lui. »

c) Le projet de reprise présenté par M. Corbet a bénéficié du soutien quasiment unanime des représentants des salariés

Le projet de reprise de M. Corbet était le plus acceptable socialement. Aux 2 706 emplois repris dans le cadre des six sociétés mises en redressement judiciaire le 19 juin 2001, il fallait ajouter, compte tenu de la reprise des actions détenues dans plusieurs sociétés, d'après le jugement du 27 juillet, un effectif de 540 salariés, soit un total de 3 246. A titre de comparaison, en prenant en compte les participations financières reprises dans les deux principaux projets concurrents, on obtenait un total de 3 000 emplois repris pour M. Rochet et 2 218 salariés pour le projet Participations aériennes/Fidei. Cette dernière offre se situait donc largement en retrait.

Il apparaît clairement dans le jugement du 27 juillet 2001 que le soutien manifeste des salariés pour le projet de M. Corbet a joué un rôle déterminant dans l'attribution de la reprise.

On rappellera que lors de la délibération du comité d'entreprise du 26 juillet 2001, le projet Fidei a fait l'objet de vingt abstentions, le projet de M. Marc Rochet a recueilli dix votes favorables et dix abstentions, tandis que 17 membres ont voté pour le projet Holco (et trois abstentions ont été recensées).

M. Monnin, alors co-secrétaire CFDT du comité d'entreprise d'AOM Air Liberté, a déclaré au tribunal de commerce, d'après le jugement du 27 juillet : « Ce projet [le projet Holco] est le seul qui ait répondu à notre besoin de transparence, l'analyse qui a été faite sur le volet social est particulièrement cohérente. »

M. Fourier, délégué syndical CGT, porte aujourd'hui un regard nuancé sur les éléments ayant amené les syndicats à soutenir M. Corbet : « M. Corbet, lui, nous a fait aussi une très belle danse du ventre. Il nous a dit qu'il apportait les meilleures garanties sociales, il nous a fait des promesses sur les statuts ; il nous a dit qu'il faudrait faire des efforts de productivité - il y a des papiers qui en attestent -, mais qu'il ne toucherait pas à certaines choses etc. Je crois - je vais faire un peu d'humour - qu'il n'est pas un ancien syndicaliste pour rien et qu'il a su nous séduire. Je crois que c'est en grande partie sur ce discours que, au bout d'un moment, nous avons choisi le projet Corbet. Je ne suis pas sûr que cela soit sur des critères purement économiques, purement financiers et purement en raison de la solidité du projet Corbet. C'est en tout cas mon sentiment aujourd'hui. »

Les aspects sociaux de la reprise ont joué un rôle déterminant. Le tribunal de commerce a indiqué, au sujet du volet social, « le projet Corbet/Holco apparaît nettement comme celui qui a mieux répondu aux préoccupations du personnel, en cherchant à traiter celles-ci avec une volonté d'apaisement, ajoutée à une capacité d'anticipation en vue de réduire les risques de conflits dans l'immédiat et plus tard, et motiver les salariés grâce à la mise en place d'une politique d'intéressement et de participation au capital du personnel à hauteur de 34 % (...) »

Plusieurs acteurs ont dit s'être interrogés sur le surdimensionnement de l'offre de reprise de M. Corbet. M. Ricono, ancien directeur de cabinet du ministre de l'équipement, du transport et du logement, M. Gayssot, a pu en témoigner : « C'est vrai que nous avons eu des interrogations quant au dimensionnement de la voilure par rapport au business plan. Mais il convient d'avoir en mémoire aussi qu'à l'époque, nous étions dans une situation de croissance très forte du transport aérien, de l'ordre de 4 à 6 % par an. Toutefois, après le 11 septembre, c'est-à-dire un mois et demi après la reprise effective, le transport aérien a baissé de 10 %. Les réglages, qui n'étaient peut-être pas auparavant les plus performants, sont devenus catastrophiques. » Cette appréciation doit être nuancée. L'année 2001, dans son ensemble, a été une année de repli notable du transport aérien. L'environnement était dégradé, dès avant le 11 septembre. Les causes des pertes étaient nombreuses. Le projet de rapport Secaphi-Alpha sur la situation d'Air Lib pour l'exercice clos le 31 mars 2002 et au 30 septembre 2002, remis au comité d'entreprise de la compagnie le 13 février 2003, cite la baisse des taux de profit du fait de l'intensification de la concurrence, l'augmentation des cours du pétrole et la multiplication des opérations de croissance externes lourdes à gérer. « En Europe, la situation n'était pas (...) brillante, la croissance du trafic était limitée à 1,4 % sur les neufs premiers mois. », est-il indiqué.

La commission d'enquête a interrogé de nombreuses personnalités du transport aérien et leurs réponses se rejoignaient sur la question du surdimensionnement de l'offre de M. Corbet.

M. Rochet est catégorique : « Les principales faiblesses de l'offre d'Holco, je dis bien Holco et non M. Corbet, sont au nombre de trois. Premièrement, il a surdimensionné de façon assez significative, sans doute dans un esprit de surenchère sociale, ses moyens matériels et humains afin que son offre soit la plus attractive possible. Dès le départ, il était évident, pour ceux qui étaient fortement impliqués dans ce dossier, qu'il gardait trop d'avions et trop de personnels. »

M. Spinetta, président-directeur général d'Air France a établi un diagnostic similaire : « Dernier élément, il me semble qu'ils ont été quelque peu ambitieux dans le plan de reprise, en termes de maintien d'activité. Ce plan de reprise aurait eu plus de chance de réussite s'ils avaient accepté, en juillet 2001, une contraction d'effectifs plus vigoureuse et le maintien de moins d'avions dans la flotte. »

Enfin, M. Paris, ami de M. Corbet, pilote d'Air France et membre du conseil d'administration de la compagnie, a donné son sentiment sur le plan d'affaires : « Je n'ai pas donné mon avis à M. Corbet mais si vous me le demandez, je vais vous le donner. Je pense que le business plan était trop optimiste ; qu'à vouloir faire du social à tout prix, on en perd le sens des réalités. La priorité, c'était de sauver un socle à partir duquel on pourrait reconstruire. »

Plusieurs syndicats ont témoigné de l'inactivité de plusieurs pilotes sur de longues périodes. M. Lafosse-Marin, délégué syndical de l'Union des navigants de l'aviation civile (UNAC), a ainsi déclaré : « Pour emporter la décision du tribunal, Jean-Charles Corbet avait enjolivé son plan de reprise, notamment au niveau social (...)

M. le Rapporteur : Combien y avait-il de pilotes ?

M. Hugues LAFOSSE-MARIN : Sur Fokker 100, ils étaient une centaine et M. Corbet en a repris 21 alors que cet avion n'existait plus. Ces 21 pilotes sont restés chez eux, pendant une petite année, faute de recevoir une formation, tout en étant rémunérés. Nous avons alerté la direction par le biais du comité d'entreprise, dont j'étais élu, lui faisant remarquer que la masse salariale était en train de partir en fumée. Nous n'avons obtenu aucune réponse. » En ce qui concerne les effectifs sur A 340, il a indiqué l'existence d'un sureffectif de 40 pilotes : « Il s'agissait de pilotes qui étaient obligés de repartir au bout de 3 mois au simulateur pour s'entraîner à atterrir. »

M. Corbet a répondu aux interrogations de la manière suivante: « A l'origine, le business plan n'était pas surcapacitaire. La problématique du long courrier était que l'on s'appuyait sur des avions anciens, des DC10, qui n'avaient pas forcément été entretenus d'une manière rigoureuse, si bien que le taux d'incidents sur ces avions était très élevé. Le business plan, en accord avec Air France, puisque nous travaillions en partage de codes, prévoyait au départ de Roissy et d'Orly, une desserte de chacune des îles tous les jours. Pour pouvoir assurer ce programme, avec des avions neufs, on aurait pu se contenter de cinq ou six avions mais il nous en fallait pratiquement treize. C'est en ce sens qu'Air France, au départ, disait qu'il y avait une surcapacité de sièges offerts. A l'utilisation, ce n'était pas le cas car on ne pouvait pas faire voler les avions « au taquet ». Pour être dans des normes et des ratios industriels normaux, il faut qu'un avion long-courrier vole un minimum de cinq mille heures par an. Or, quand on pouvait faire voler les DC 10 d'Air Lib 3 200 heures, on était satisfait... Le business plan s'est construit comme cela. »

Cette explication ne répond pas à la question du surdimensionnement en personnel du projet de reprise.

2.- Les motivations du tribunal de commerce de Créteil ne dissimulent pas les insuffisances financières patentes du projet de M. Corbet

a) Les inquiétudes quant au financement du projet

Les insuffisances financières du projet n'ont pas échappé au tribunal qui relève, dans sa décision du 27 juillet 2001 : « La situation est encore plus délicate sur ce point pour ce qui concerne le projet Corbet/Holco, dont les besoins de financement, fixés dans son dernier business plan à hauteur de 2 milliards de francs, devraient être financés par une contribution des actionnaires pour 1,8 milliard de francs et un apport en fonds propres estimé à 250 millions de francs au total à verser à concurrence de 100 millions par les investisseurs et 150 millions par l'actionnariat salarié. En termes de fonds propres apportés par les investisseurs, Corbet/Holco a obtenu une mise à disposition d'un montant de 80 millions de francs par la société Independant Travel Support Fund. (...) En tout état de cause, le projet Holco souffre d'avoir une assise financière insuffisante, sous réserve du concours des actionnaires de référence. Il lui reste à réunir une somme que l'on peut évaluer à 400 millions de francs. »

Sur le plan financier, selon le tribunal, « le cas de Participations financières est radicalement différent. Il s'agit d'un projet assez bien conçu tant sur le plan industriel que sur le plan financier, qui apparaît en plus comme celui qui a le mérite de proposer le meilleur prix de cession ». Toutefois, « l'objection déguisée, voire l'indifférence qui apparaît à travers le comportement des représentants du personnel vis-à-vis de ce projet ne sont pas de bon augure pour prendre le risque de leur attribuer le groupe AOM Air Liberté par voie de cession ».

Une note de la directrice des transports aériens, Mme Bénadon, au directeur de cabinet du ministre de l'équipement, des transports et du logement en date du 31 juillet 2001, rappelle que « dans le cadre du plan soumis au conseil supérieur de l'aviation marchande (CSAM)6,  celuici avait estimé, conformément à l'analyse des promoteurs du projet que, pour financer l'ensemble des coûts de restructuration, les pertes prévues et les investissements, les fonds propres ou quasi fonds propres devaient être portés le plus rapidement possible à 2,375 milliards de francs dont au moins 1,5 milliard de francs libérés en numéraire préalablement au début de l'exploitation. Les ajustements finalement apportés au plan doivent, sans doute, permettre de retenir des garanties financiers un peu moins élevées.» La somme devant être réunie avant le début de l'exploitation demeurait la même, soit 1,5 milliard de francs. Or, seuls le 1,3 milliard de franc proposé par Swissair et les 80 millions de francs de la lettre d'évidence de fonds d'Aurel Leven pouvaient être mobilisés rapidement. Au-delà de la période de reprise de l'activité, il est souligné dans la note précitée : « En ce qui concerne la mise en place de ressources propres nécessaires au bon fonctionnement de l'entreprise, il y a lieu d'être à ce stade beaucoup plus circonspect. »

Les personnes auditionnées ont également indiqué avoir eu conscience des difficultés soulevées par l'insuffisance de financements sûrs.

M. Monnin, alors co-secrétaire CFDT du comité d'entreprise d'AOM Air Liberté, a reconnu la faiblesse du projet Holco sur le plan financier : « Aucune des offres ne présentait d'investisseurs, celle de M. Corbet pas plus que les autres, et aucun appui financier n'était crédible. Le seul élément, c'est que M. Corbet se présentait avec l'appui d'une grande banque canadienne - que nous ne connaissons pas - qui nous a présenté une lettre d'évidence de fonds à hauteur de 80 millions de francs. » et a ajouté : « En ce qui concerne les garanties, il convient d'être clair, une lettre d'évidence de fonds n'est pas une garantie. Il n'y avait donc aucune garantie financière dans ce plan et le tribunal de commerce a d'ailleurs fait remarquer qu'aucun des plans ne répondait à des conditions favorables en termes de financement. Nous avons donc pris position en toute connaissance de cause ; le travail restait à faire après le rachat. La condition sine qua non à la réussite du plan était de trouver ensuite des investisseurs. »

M. Rochet a indiqué n'avoir jamais cru au plan de financement présenté par M Corbet: « compte tenu du surdimensionnement, en raison des coûts qui n'étaient pas revus à la baisse par un effet de restructuration sociale, son offre était financièrement insuffisante en termes de capitalisation.»

b) Le projet Holco est apparu au tribunal de commerce de Créteil, sous d'importantes réserves, comme une alternative possible à la liquidation

Soulignant que « l'esprit comme la lettre de la loi du 25 janvier 19857 imposent au tribunal de rechercher non seulement les solutions à caractère financier, mais aussi celles permettant de sauvegarder le maximum d'emplois » et que l'accord quasi unanime du personnel pour le projet Holco constituait un élément déterminant, le tribunal de commerce a décidé d'arrêter un plan de cession globale au profit de la société Holco, pour le prix symbolique de quatre francs.

Interrogé par le Rapporteur sur les motivations du jugement, M.  Rousselin, président du tribunal de commerce de Créteil, a indiqué : « Dans cette affaire, aucune des propositions - c'est écrit dans le jugement - ne disposait des moyens financiers suffisants pour permettre la reprise de l'entreprise. Le tribunal, dans un contexte ordinaire, aurait dû prononcer la liquidation judiciaire, ce qui est expressément indiqué dans le jugement. Mais il se trouve que les actionnaires ont proposé en chambre du conseil - c'est également dans le jugement, je peux donc en parler - deux milliards de francs pour permettre le redressement de cette entreprise. Le tribunal a donc considéré que l'esprit de la loi de 1985 était respecté. Cette loi, je le rappelle - on peut en discuter, mais cela relève de la compétence du législateur - prévoit, par ordre de priorité, de préserver les emplois, d'assurer la sauvegarde de l'entreprise et éventuellement de payer les créanciers8. Malheureusement, en matière de procédures collectives, c'est toujours le mieux-disant social qui, dans la mesure où les choses sont correctes, a la préférence, car c'est l'esprit et la lettre de la loi actuelle. (...)

La seule alternative se limitait d'ailleurs à cela : soit décider de la cession à la société Holco, soit prononcer la liquidation judiciaire immédiate de l'entreprise. »

Commentant la décision du tribunal, M. Rochet a souligné : « La décision du tribunal de commerce était très favorable. Si on lit le jugement, par ailleurs classique sur ces points-là, tous les actifs appartenant à la société étaient repris par Holco pour 1 franc symbolique. C'était des DC 10, des MD 83. J'avais mené l'acquisition de la plupart d'entre eux au nom d'AOM dans la version 1991-1995. Les échéances avaient été remboursées année après année. Même s'il ne s'agissait plus d'avions d'une très grande valeur, on parle quand même de plusieurs dizaines de millions d'euros. En outre, il n'y avait reprise d'aucune dette, ce qui bonifiait encore les investissements réalisés. »

La rumeur selon laquelle la décision du tribunal aurait fait suite à des pressions politiques n'a pas été confirmée. Les témoins auditionnés par la commission d'enquête ont nié l'existence de pressions des pouvoirs publics sur le tribunal de commerce pour le choix du repreneur, ainsi M. Rousselin a déclaré : « M. le Rapporteur : Je vais vous poser une question concernant les conditions dans lesquelles vous avez délibéré en juillet 2001 : avez-vous subi des pressions, vous-même monsieur le Président ou les juges qui ont été amenés à décider ?

M. Christian ROUSSELIN : Non. La réponse du tribunal a été longuement débattue. Je le dis très solennellement : le tribunal n'a été l'objet d'aucune pression de qui que ce soit. »

M. Gayssot a déclaré à la commission d'enquête : « Je veux ici déclarer avec toute la solennité possible que le choix a été celui du tribunal de commerce sans la moindre intervention du ministre pour l'orienter. L'on a parlé de mes liens d'amitié et même familiaux avec le dirigeant d'Holco. Tout cela est contre-vérité. Il n'existe ni lien familial ni lien politique entre nous. » Il a ajouté avoir été satisfait que le tribunal de commerce choisisse un repreneur et que « contrairement à ce qui s'est dit, je n'ai pas sauté au plafond à l'annonce de la décision, car si je connaissais les capacités de leader syndical de M. Corbet, je ne connaissais rien de ses capacités de gestionnaire. J'aurais préféré une solution de fusion des propositions, car il était indiscutable que M. Rochet était un dirigeant d'entreprise, ce qui n'était pas le cas de M. Corbet. »

M. Ricono, ancien directeur de cabinet du ministre de l'équipement, du transport et du logement M. Gayssot, a souligné que la décision que le tribunal allait prendre le 27 juillet 2001 était une inconnue : « Jusqu'à la décision du tribunal de commerce de Créteil, je n'avais aucune idée de la décision qu'il allait prendre. Nous n'avons jamais eu l'idée d'intervenir auprès du procureur de la République. »

M. Amar, ancien conseiller technique de M. Gayssot, a reconnu que tous les repreneurs potentiels avaient été reçus sans que le cabinet ait exprimé une quelconque préférence. M. Ricono a également précisé que des mariages de compétences avaient été imaginés et M. Gayssot a confirmé ces propos.

On notera par ailleurs que le tribunal de commerce a prononcé l'inaliénabilité des fonds de commerce des sociétés Air Liberté AOM, Air Liberté Indutrie, Minerve Antilles Guyane, Hotavia Restauration Services et de l'ensemble des avions appartenant à ces sociétés pendant deux ans, sauf autorisation du Tribunal.

c) L'homologation du principe de la transaction passée entre les anciens actionnaires et le repreneur

Le tribunal a, dès le jugement du 27 juillet 2001, homologué le principe d'une transaction entre les anciens actionnaires (Swissair et Taitbout Antibes BV) et le repreneur. En contrepartie de l'effort financier qui serait consenti, le repreneur renonçait à toute poursuite contre l'ensemble des personnes physiques ou morales composant les groupes Swissair et Taitbout Antibes BV (filiale de Marine Wendel). Les actionnaires ont renoncé mutuellement à toute réclamation l'un contre l'autre. Les poursuites auxquelles il est fait référence ici concernent les modalités de la gestion des compagnies aériennes avant la cession.

Durant la phase de reprise d'AOM-Air Liberté, les anciens actionnaires se sont mutuellement rejetés la responsabilité de l'échec de la compagnie et le rôle de Marine Wendel, la maison mère de Taitbout Antibes BV (se voulant actionnaire majoritaire non gestionnaire), a été vivement critiqué.

Il convient de préciser qu'au moment de la reprise par M. Corbet d'Air Liberté-AOM, AOM Participations (maison mère des compagnies aériennes) était détenue à hauteur de 50,38 % par Taitbout Antibes BV  et de 49,5 % par SAirLines. Taitbout Antibes BV est une entreprise française, filiale de Marine Wendel, et SAirLines est filiale de Swissair, groupe suisse.

D'après la législation européenne en vigueur à l'époque du rachat d'AOM en 1999 et d'Air Liberté en 2000 par Swissair et Taitbout Antibes BV (Règlement 2407/92 du 23 juillet 1992), une entreprise de transport aérien ne pouvait obtenir de licence d'exploitation dans l'Union européenne que lorsqu'elle était directement ou indirectement détenue en majorité par des citoyens de l'UE9. Depuis juin 2002, la réglementation concernant la Suisse a changé et les capitaux helvétiques sont désormais assimilés à des capitaux communautaires.

Si Taitbout Antibes BV (actionnaire majoritaire) déclarait n'avoir pas géré les compagnies aériennes, c'était donc à Swissair, groupe suisse non communautaire, qu'était revenue cette tâche.

Swissair souhaitait, par sa contribution, aider au redressement de la compagnie. Le protocole des 31 juillet et 1er août 2001, homologué par le tribunal de commerce de Créteil, visait à écarter les poursuites relatives aux rôles et à la gestion des anciens actionnaires, en contrepartie d'une participation financière importante.

Aux termes de ce protocole, Swissair s'engageait à :

- apporter au repreneur une contribution financière de 1,3 milliard de francs (composée d'une contribution de 1,25 milliard de francs et d'une concession complémentaire de 50 millions de francs à titre de participation aux coûts engendrés par le plan de redressement) ;

- prendre en charge les billets émis par Air Liberté à la date du 19 juin 2001 et non utilisés, c'est-à-dire les billets émis avant la cession des actifs à Holco et pour lesquels Air Lib a dû assurer le transport des passagers après la cession, à concurrence d'un montant maximum de 200 millions de francs ;

- réduire le loyer mensuel des Airbus A 340 loués à la société Flightlease, filiale de SAirGroup, d'un million de dollars à 750 000 dollars par avion pour la durée des contrats restant à courir. Cet effort représentait une économie globale de 530 millions de francs ;

- prendre en charge la cellule de reclassement dans la limite de 28,6 millions de francs ;

- permettre au repreneur de bénéficier, à sa charge, des polices d'assurances du groupe Swissair jusqu'au 31 octobre 2001.

C.- LES ENGAGEMENTS FINANCIERS DE M. CORBET N'ONT PAS ÉTÉ TENUS

Les engagements pris par M. Corbet devant le tribunal de commerce de Créteil en termes de refondation sociale et de développement des capitaux propres de l'entreprise n'ont pas été tenus. On peut même s'interroger sur la bonne foi ou le sérieux de l'équipe qui les a endossés devant le tribunal de commerce.

1.- Les promesses de M. Corbet pour permettre le développement de l'entreprise

Il était indiqué dans le projet de reprise qu'un accord signé avec les représentants du personnel prévoyait que 34 % du capital de la société Holco seraient détenus par les salariés. Le reste du capital devait être détenu par les principaux cadres des directoires des sociétés reprises et par un groupe d'investisseurs et de partenaires industriels. Le plan de reprise indiquait : « Jusqu'à 34% du capital seront réservés aux salariés du groupe, leur adhésion au projet de reconstruction de l'entreprise, leur mobilisation autour de son développement et de l'amélioration de ses performances apparaissant essentielles au repreneur.10 »

Les besoins de financement de l'entreprise étaient fixés à 2 milliards de francs dans le business plan. Il était prévu que ces 2 milliards de francs soient financés par :

- la contribution des anciens actionnaires (Swissair) à hauteur de 1,8 milliard de francs (Swissair ne s'engagera finalement qu'à verser une contribution d'un montant de 1,3 milliard de francs) ;

- l'apport en fonds propres de 100 millions de francs par les investisseurs ;

- l'apport de 150 millions de francs par l'actionnariat salarié.

La participation des salariés pouvait être couverte par les pilotes d'Air Liberté, d'après les dispositions d'un accord approuvé à l'unanimité par leurs représentants syndicaux le 25 juillet 2001, est-il indiqué dans le jugement du 27 juillet 2001. Cet accord n'aurait été qu'un accord de principe selon M. Corbet. Interrogé par la commission d'enquête, M. Monnin, secrétaire du comité d'entreprise et délégué syndical de la CFDT, a indiqué qu'il s'agissait d'un accord visant à réduire de 10 % les salaires des pilotes contre une montée au capital à hauteur de 34 %. La « charte » signée n'aurait, selon lui, pas été mise en œuvre car aucune des parties n'aurait respecté ses engagements.

Pour M. Corbet, la première difficulté rencontrée a été le fait des syndicats de pilotes qui auraient refusé de débattre d'un échange salaire-actions tant que les salaires n'étaient pas harmonisés à la hausse. Des discussions auraient ensuite été engagées avec le comité d'entreprise élu le 25 juin 2002 mais n'auraient pas pu aboutir avant la mise en liquidation d'Air Lib, le 17 février 2003. Telles seraient les causes du non respect de l'engagement pris devant le tribunal de commerce d'ouvrir le capital d'Air Lib aux salariés.

Des investisseurs devaient être trouvés pour permettre d'accroître l'apport en fonds propres. Dans le document présenté au tribunal de commerce de Créteil le 26 juillet 2001, il est affirmé : « Le solde du capital sera détenu par un groupe d'investisseurs et de partenaires industriels notamment parmi ceux déjà approchés par la banque CIBC. (...) Un premier type d'investisseurs en capital-risque, déjà réunis en l'état par Aurel Leven pour couvrir l'évidence de fonds à hauteur de 80 millions de francs, sera rapidement remplacé par des investisseurs à long terme.11 » Malgré ce ton très affirmatif, il faut souligner, d'une part, que Holco n'a pas usé du droit de tirage auquel la société pouvait pourtant prétendre avec la fameuse lettre d'évidence de fonds et, d'autre part, qu'aucun investisseur n'a renforcé les fonds propres de l'entreprise jusqu'à la mise en liquidation intervenue le 17 février 2003.

Cette absence d'investisseurs est, selon M. Spinetta, la principale cause de la chute d'Air Lib : « Le véritable échec sur cette affaire, au-delà du 11 septembre, a été le fait qu'aucun investisseur français, européen ou non européen, n'a manifesté le souci de prendre un risque économique et d'exposer des capitaux. »

2.- Aucune des mesures décrites au tribunal de commerce de Créteil n'a été mise en oeuvre

a) Une lettre d'évidence de fonds non utilisée

La lettre d'évidence de fonds produite par Aurel Leven, qui avait réuni des investisseurs au sein de l'Independant Travel Support Company n'a jamais permis l'apport de trésorerie envisagé. Holco a fait le choix de ne pas utiliser son droit de tirage.

Me Léonzi a expliqué ainsi la nécessité de produire une lettre d'évidence de fonds devant le tribunal : « Le chapitre Aurel Leven est un élément qui est lié à la particularité des reprises des entreprises en difficulté. Lorsqu'un repreneur se présente à la barre du tribunal, il doit normalement faire état d'une lettre d'évidence de fonds d'un montant significatif, généralement 20 % du prix de cession qui est proposé. La cession étant réalisée pour 1 euro, il aurait été stupide de demander quoi que ce soit. En revanche, venir se présenter uniquement avec des engagements d'investisseurs potentiels et l'argent des Suisses me semblait vis-à-vis du tribunal pouvoir poser une difficulté pour la couverture des premiers frais ». La lettre devait crédibiliser le projet de reprise de M. Corbet aux yeux du tribunal de commerce.

M. Corbet a précisé que cette lettre d'évidence de fonds répondait à une exigence de l'ancien actionnaire Swissair qui demandait que le repreneur apporte lui-même une somme de 100 millions de francs.

Me Léonzi aurait découvert les conditions d'utilisation des fonds mis à disposition par Aurel Leven tardivement : « Postérieurement à la reprise, au mois d'août, puis au mois de septembre, sollicité en ma qualité de conseil, je me suis aperçu que le montage était une usine à gaz. En fait, pour obtenir 80 millions, il fallait pratiquement en séquestrer 150. Exerçant mon devoir de conseil, j'ai indiqué aux entreprises qu'il était plus qu'hasardeux de donner suite à ce tirage, ce qui fait que ce droit n'a jamais été exercé, mais la lettre a été fournie. »

M. Corbet a, lui, indiqué que le droit à tirage n'a pas été exercé car ses conditions de mise en œuvre, si elles étaient acceptables avant le 11 septembre avec un versement de Swissair à hauteur de 1,8 milliard de francs, n'étaient plus praticables après le 11 septembre et la défaillance de Swissair. Il a indiqué, interrogé par le Président : « Je suppose que cette lettre d'évidence de crédit a été négociée et que vous en connaissiez les conditions au moment où elle a été apportée. Dans quelles conditions a-t-elle été négociée et pourquoi n'a-t-elle pas été utilisée au moment où vous avez rencontré les pires difficultés pour la survie de votre entreprise ? Vous avez été amené à faire appel aux fonds publics plutôt qu'à cette lettre d'évidence de crédit.

M. Jean-Charles CORBET : Elle a été négociée par la banque d'affaires qui avait le mandat pour cela [la CIBC World Markets, qui avait elle-même mandaté l'intermédiaire financier Aurel Leven]. Elle a été négociée dans un cadre relativement précis. Le cadre dans lequel s'intégrait ce capital risque, était un cadre où l'apport de Swissair devait être de 1,8 milliard. C'était une des clauses du contrat avec Aurel Leven. La particularité de ce montage était qu'Aurel Leven mettait 80 millions à disposition de Holco, sous réserve que le jour de la mise à disposition, Holco ait créé un fonds d'investissement en déposant 35 millions de francs, avec des intérêts qui étaient, de mémoire, de 9,8 % par an sur cinq ans. Ceci faisait qu'au bout de cinq ans, on devait payer 42 millions de francs supplémentaires. C'était quelque chose de très cher. Cela pouvait se concevoir si la contribution de Swissair avait été de 1,8 milliard. Quand le 11 septembre est arrivé et que, trente jours plus tard, il y a eu la défaillance de Swissair, j'ai pris la décision de ne pas mettre en oeuvre ce fonds d'investissement. En effet, cela ne m'amenait que 45 millions de francs et cela mettait en danger, à court terme, la trésorerie d'Holco. »

Il faut bien considérer que le rôle d'Aurel Leven a été celui d'un intermédiaire financier. Aurel Leven a été chargé par la CIBC World Markets de rechercher des investisseurs prêts à apporter des fonds rapidement dans un projet risqué. Ce n'était donc pas Aurel Leven qui mettait les fonds à disposition mais ces investisseurs.

En outre, la déclaration de M. Corbet indique qu'il a pris la décision de ne pas recourir à la lettre d'évidence de fonds après le 11 septembre et la défaillance de Swissair début octobre.

Or, par la suite, nous avons appris avec surprise que M. Corbet avait négocié une clause de non utilisation des fonds avant la présentation de la lettre au tribunal.

D'après les informations recueillies par le Rapporteur, si le contrat entre la CIBC World Markets et Aurel Leven en date du 25 juillet 2001 prévoyait bien la faculté pour Holco de ne pas utiliser les fonds (contre une rémunération des investisseurs fixée à 3,86 millions d'euros), ce choix devait intervenir avant le 1er septembre, les investisseurs ne pouvant maintenir à la disposition d'Holco les fonds au-delà de cette date. Le simple fait que M. Corbet ait négocié une clause de non utilisation des fonds invite à s'interroger sur sa sincérité lors de la présentation de la lettre d'évidence de fonds devant le tribunal de commerce. D'après un courrier de la direction d'Aurel Leven adressé à la commission d'enquête, « ce n'est qu'à la fin du mois d'août que la société Holco a fait connaître à CIBC son souhait de ne pas souscrire à l'émission obligataire ». C'est donc avant le 11 septembre 2001 que la décision de ne pas utiliser la lettre d'évidence de fonds aurait été prise.

Par ailleurs, l'une des conditions du contrat est bien l'engagement de Swissair de verser une contribution allant « jusqu'à 1,8 milliard de francs », mais le montant exact de la contribution n'est pas indiqué. La contribution de Swissair s'étant « limitée » à 1,3 milliard de francs, Holco a, dans une lettre à Aurel Leven en date du 24 septembre 2001, indiqué que ce montant ne correspondant pas aux termes du contrat, Holco était dégagé de toute obligation contractuelle envers Aurel Leven et les investisseurs. Holco proposait aux investisseurs une indemnisation à hauteur de 10 millions de francs. Un accord définitif sur le montant de l'indemnisation est en fait intervenu très tardivement, soit le 15 octobre 2002, Holco n'ayant pas versé les 10 millions de francs proposés malgré l'accord des parties et des poursuites ayant été engagées, a indiqué la direction d'Aurel Leven. Le montant transactionnel de l'indemnisation a été relevé.

Me Léonzi a affirmé que la présentation de la lettre d'évidence de fonds était, au moment du jugement, justifiée : « Il n'est pas dans mes habitudes professionnelles de pratiquer l'escroquerie à jugement. Si une pièce ne doit pas être produite ou si elle semble polluée et viciée, on ne la présente pas. La lettre d'évidence de fonds transmise par CIBC, je crois, le matin de l'audience en chambre du conseil, n'était pas un élément essentiel de l'offre ; cet élément n'était pas compris dans l'offre. Mais, effectivement, ce document a été présenté au tribunal et visé comme toutes les autres pièces dans les attendus du jugement. »

M.  Corbet a également tenu à souligner que présenter cette lettre devant le tribunal ne constituait en aucun cas une tromperie: « M. le Président : (...) Mais lorsque vous l'avez présentée [la lettre d'évidence de fonds] au tribunal, connaissiez-vous les conditions de sa mise en œuvre ? Si oui, pourquoi l'avez-vous proposée alors que vous saviez que vous ne l'utiliseriez pas ? Et si vous ne connaissiez pas ces conditions, est-ce que cela ne jette pas un doute sur le sérieux de votre projet ?

M. Jean-Charles CORBET : Si vous voulez me faire dire qu'il y a eu tromperie du tribunal, je dis très clairement non. »

Il faut ici préciser que cette lettre constituait le seul apport, en termes de financement, du plan de reprise de M. Corbet. Il n'est donc pas possible d'affirmer que cette lettre n'était pas un élément important de l'offre.

b) Des investisseurs introuvables

La CIBC World Markets, chargée de rechercher des investisseurs, n'a jamais mené sa mission à bien. Plusieurs noms ont été cités au cours des auditions (Bombardier, Air Canada, Preussag et le Club Méditerranée).

Pour autant, aucune de ces entreprises n'a investi dans Air Lib.

L'impact du 11 septembre doit être pris en compte. Il est en effet certain que les investisseurs sont devenus plus réticents à développer des projets dans le secteur aérien. Dans les semaines suivant le 11 septembre, le trafic a diminué de 50 % aux Etats-Unis. Le trafic passager d'Air France, qui a mieux supporté le choc que les autres compagnies européennes, a diminué de 7 %12.

A cet égard, la situation financière d'Air Lib a connu une profonde dégradation avec la défaillance de Swissair avant le paiement intégral des sommes dues au titre du protocole homologué par le tribunal de commerce de Créteil le 1er août 2001.

La mise à disposition des fonds devait intervenir suivant un échéancier à définir entre les parties, le premier versement devant être opéré au plus tard le jour de la prise de possession des sociétés. Les versements ont été opérés durant le mois d'août et tout début septembre. Un premier versement direct aux administrateurs est intervenu le 7 août 2001 pour un montant de 7,622 millions d'euros. Trois versements ont suivi, ceux-ci à destination d'Holco, les 20 et 31 août 2001 et le 3 septembre 2001, dont les montants s'élevaient respectivement à 45,735 millions d'euros, 15,245 millions d'euros et 91,469 millions d'euros. Holco a donc perçu dans un délai d'un mois suivant sa constitution un total de 152,449 millions d'euros, soit presque un milliard de francs sur le 1,250 milliard dû (étant tenu compte des 50 millions de francs versés directement aux administrateurs).

A la suite du 11 septembre 2001, la défaillance de SAirGroup et SAirLines, du groupe Swissair, fin septembre 2001 a entraîné le non paiement des sommes restant dues.

La créance de Holco sur Swissair s'élève donc à 38,11 millions d'euros (250 millions de francs). Dans le bilan d'Holco pour l'exercice clos le 31 mars 2002, les amortissements et provisions représentent 45,07 millions d'euros, ce montant résultant avant tout de la provision pour dépréciation de la créance détenue sur Swissair à hauteur de 38,11 millions d'euros. Par ailleurs, Swissair n'a pas non plus réglé les sommes de garantie des billets émis et non utilisés au jour de la cession et qu'Air Lib prenait à sa charge, ce pour un total de 24,82 millions d'euros au 31 mars 2002, d'après les informations transmises par Me Léonzi. Au total, la créance détenue sur Swissair s'élève donc à 62,93 millions d'euros.

C'est avec SAirGroup et SAirLines (ainsi que Flightlease pour laquelle les deux sociétés précitées se sont portées fort) que Holco avait contracté. Pour autant, ces sociétés agissaient, d'après le protocole transactionnel signé le 1er août 2001, « tant pour elles-mêmes que pour le compte des personnes morales appartenant au groupe Swissair ». Certaines sociétés du groupe Swissair (Crossair, Flightlease LTD et Swissport) n'ont pas été placées en redressement judiciaire en octobre 2001 et poursuivent leurs activités. Crossair a depuis modifié sa dénomination sociale et est devenue, le 1er juillet 2002, Swiss international airlines. En conséquence, considérant que les sociétés du groupe Swissair ayant survécu devaient payer à Holco le solde dû, de nombreuses actions en justice sont en cours. Air Lib et Holco ont assigné les sociétés du groupe Swissair afin d'obtenir le paiement de la dette de Swissair ainsi qu'une indemnisation des sociétés Holco et Air Lib pour le préjudice d'image commerciale, économique et financier subi.

Me Lafont a indiqué: « Une cinquantaine de procédures ont été introduites, non seulement en France, mais aussi dans les pays avoisinants, Belgique, Suisse, Italie et Espagne, pour bloquer la billetterie pendante. Au moment de la liquidation judiciaire au mois de février de cette année, entre 350 et 400 millions de francs étaient bloqués, mais non attribués. Il s'agissait de saisies conservatoires effectuées auprès de tous les gens pouvant détenir des fonds pour le compte de Swiss ou Swissair. Il a été jugé par un tribunal français que la compagnie Swiss était l'héritière de Swissair et devait donc, nonobstant la procédure collective atteignant le groupe Swissair en Suisse, prendre en charge les dotations. »

II.- PREMIER ACTE DE GESTION DE M. CORBET : VERSER DES PRIMES CONSIDÉRABLES ET DES HONORAIRES EXORBITANTS

Le premier acte d'Holco a été de récompenser financièrement l'équipe des repreneurs ainsi que les cabinets d'avocats et de conseil impliqués dans la reprise.

En tant que telle, la rémunération des heures passées à travailler sur le dossier n'appelle pas de commentaires particuliers. En revanche, les montants des rémunérations de résultat soulèvent de nombreuses interrogations, tant pour les dirigeants d'Holco que pour le cabinet d'avocats de Me Léonzi et la banque d'affaires CIBC World Markets.

En outre, les montants en question n'ont été révélés que tardivement. En effet, le rapport du cabinet Mazars et Guérard Approche de la situation financière du groupe Holco remis au comité interministériel de restructuration industrielle en juillet 2002 a été le premier document à porter à la connaissance des pouvoirs publics les rémunérations et honoraires perçus. La version officieuse du rapport fournit les données nominatives tandis que la version finale a été expurgée et ne contient que des données agrégées.

Quelques chiffres résument le problème :

- au cours du seul mois d'août 2001, ce sont 9,6 millions d'euros qui ont été versés en primes et honoraires ;

- du 1er août 2001 au 31 décembre 2002 (17 mois), le total des honoraires versés par Holco atteint 17,728 millions d'euros, auxquels il faut ajouter le paiement, par Mermoz pour le compte d'Holco, de 9,14 millions d'euros au cabinet Plegler et Blach, cette opération ayant été comptabilisée au 31 mars 2002, et le total des salaires et primes versés aux dirigeants d'Holco s'est élevé à 2,685 millions d'euros.

Ainsi, du 1er août 2001 au 31 décembre 2002, les dirigeants d'Holco, leurs avocats et leurs banques conseils ont touché près de 29,55 millions d'euros, soit une somme proche des 30,5 millions d'euros qui seront prêtés par l'Etat à Air Lib en janvier 2002.

A.- DES PRIMES CONSIDÉRABLES POUR L'ÉQUIPE DIRIGEANTE

Les pièces comptables d'Holco SAS consultées par le Rapporteur et le Président indiquent qu'entre le 1er août 2001 et le 31 décembre 2002, les rémunérations des dirigeants d'Holco se sont élevées à 2,685 millions d'euros, soit 2,437 millions d'euros nets imposables.

Elles ont été réparties, pour l'essentiel entre quatre personnes, de la manière suivante :

_ Jean-Charles Corbet, président : 1 337 127 euros bruts dont une prime d'arrivée (« golden hello ») de 855 904 euros, soit 1 234 269 euros nets, auxquels se sont ajoutés 87 473 euros de notes de frais.

Les comptes d'Holco font apparaître que c'est postérieurement au 11 septembre 2001, le 28 septembre 2001, que 785 112 euros ont été versés à M. Corbet. Les très sérieuses difficultés auxquelles allait devoir faire face la compagnie ne faisaient alors plus aucun doute et la défaillance de Swissair, quelques jours plus tard, devait être certaine à cette date. Le Rapporteur ne peut donc que s'interroger sur la date à laquelle est intervenu ce versement.

_ François Bachelet, directeur général : 491 989 euros bruts dont une prime d'arrivée de 380 122 euros, soit 448 995 euros nets, auxquels se sont ajoutés 38 113 euros d'indemnités de licenciement, six mois après l'arrivée de cet ancien cadre d'Air France qui avait interrompu sa retraite pour participer à partir du mois de mai 2001 à l'élaboration du projet de reprise.

A propos de sa « golden hello », M. Bachelet a indiqué : « J'ai eu ce que je demandais. C'était relativement inférieur à ce que demandaient d'autres membres de l'équipe, ce qui a été discuté » puis « Nous aurions eu ce débat au mois de novembre, deux mois plus tard, sans doute ces sommes n'auraient pas été versées et n'auraient pas été demandées. » M. Bachelet ne semble pas avoir connaissance de la date de versement de la prime de M. Corbet.

_ Alain Bardi, secrétaire général : 522 648 euros bruts dont une prime d'arrivée de 380 122 euros, soit 474 385 euros nets, auxquels s'est ajoutée une indemnité de licenciement de 38 113 euros, versée en avril 2002.

Les primes accordées à MM. Bachelet et Bardi ont, elles, été versées au mois d'août 2001.

_ Pascal Perrichon, dit Perri, directeur de cabinet : 219 867 euros bruts, dont une prime de 50 648 euros, soit 185 287 euros nets, auxquels se sont ajoutés 18 353 euros de notes de frais.

M. Perri exerçait les fonctions de directeur de cabinet de Jean-Charles Corbet et de directeur de la communication et des relations extérieures. Il est encore salarié d'Holco dont il dirige l'une des filiales, Logitair.

Deux autres personnes ont été payées directement par Holco, mais pour des sommes sensiblement inférieures :

_ Louis-Antoine Repaci, responsable à la direction (du 1er mai 2002 au 31 décembre 2002) : 60 667 euros bruts, soit 50 300 euros nets.

_ Francis Gisselmann, directeur général (du 1er avril 2002 au 31 août 2002) : 53 355 euros bruts, soit 44 548 euros nets.

Les personnes auditionnées ont été interrogées sur le montant des primes versées. Me Léonzi, pour justifier les sommes perçues par les dirigeants, a indiqué que peu de professionnels étaient prêts à venir diriger Air Lib. Et les primes d'arrivée accordées ne lui ont pas semblé anormalement élevées : « Il n'y avait pas d'autres professionnels de l'aérien qui aient été trouvés en dehors de MM. Bachelet et Bardi. Ils ont exigé des « golden hello ». Encore une fois, je n'ai participé ni aux négociations, ni eu un mot à formuler. J'en ai eu connaissance. Ces sommes m'ont-elles paru exorbitantes par rapport aux fonctions ? La réponse est non. S'agissant de M. Corbet, sa rémunération de base, de mémoire, 30 000 euros, donc environ 150 000 francs, était inférieure à son salaire de pilote à Air France.»

La rémunération de M. Rochet aurait été bien supérieure à celle de M. Corbet d'après lui.

Pourtant, M. Rochet, ancien dirigeant d'Air Liberté-AOM, a estimé au contraire la rémunération globale de M. Corbet entre août 2001 et mars 2002 (1,005 millions d'euros d'après le rapport Mazars et Guérard remis au comité interministériel de restructuration industrielle en juillet 2002) en décalage avec les usages de la profession : « Je ne peux pas porter un jugement sur un document que je n'ai pas. S'il a effectivement touché ces rémunérations pour cette période, cela me semble totalement disproportionné avec ce qui se pratique dans notre milieu. »

M. Corbet s'est expliqué sur le montant de sa prime, versée après le 11 septembre : elle correspondait aux indemnités qu'il aurait touchées s'il avait été licencié d'Air France ! En effet, son objectif de départ n'était pas de s'investir comme dirigeant opérationnel d'Air Lib mais bien de sauver la compagnie puis de retourner à Air France ; cependant, après le 11 septembre, transmettre Air Lib à un investisseur dans le secteur du transport aérien devenait impossible et cela « condamnait » M. Corbet à demeurer dirigeant d'Air Lib, et donc à renoncer à exercer la fin de sa carrière à Air France. Cette golden hello aurait compensé un préjudice matériel et le risque pris.

Cette explication n'a pas convaincu la commission d'enquête parce que M. Corbet était à l'époque en congé sabbatique et qu'aucun pilote n'a jamais été licencié à Air France.

Bien entendu, d'autres entreprises de cette importance accordent à leurs cadres dirigeants les plus performants des avantages comparables, voire supérieurs. Mais, dans le cas d'Air Lib, ces avantages ont été versés alors que le redressement de l'entreprise n'était pas acquis - et pour cause !

B.- DES HONORAIRES EXORBITANTS POUR LES CONSEILS

Les honoraires versés par Holco SAS tels qu'ils apparaissent sur la DAS2 (déclaration à l'administration fiscale des honoraires versés sur une année) représentent une somme très élevée : 14,327 millions d'euros en 2001 et 3,401 millions d'euros en 2002. De telles dépenses, alors que la société Air Lib a été reprise à la barre d'un tribunal de commerce sont difficilement justifiables.

En 2001, ces sommes ont été pour l'essentiel réparties ainsi :

- CIBC World Markets (Londres): 8 334 140 euros;

- Cabinet Léonzi (Paris) : 3 337 365 euros ;

- Hoche Sela, société d'avocats (Paris) : 553 362 euros.

En 2002, la ventilation des principaux versements a été la suivante :

- Cabinet Léonzi : 1 783 791 euros ;

- Banque Arjil et associés (Paris) : 300 000 euros.

En cumulé sur 2001 et 2002, les principaux bénéficiaires sont donc :

- la CIBC World Markets (8,334 millions d'euros) ;

- le Cabinet Léonzi (5,121 millions d'euros).

1.- Le cabinet de Me Léonzi

Me Léonzi a fondé son cabinet en août 1995. Lorsque Me Léonzi a été contacté par M. Corbet, cinq collaborateurs travaillaient dans ce cabinet, contre quinze aujourd'hui. Il intervenait en qualité de conseil d'Holco et d'Air Lib. Cette mission a, selon les déclarations de Me Léonzi, représenté 80 % de l'activité de son cabinet et 85 % de son chiffre d'affaires. « Pendant ces deux ans, Air Lib m'a occupé sept jours sur sept, environ 17 heures par jour, certains jours beaucoup plus », a tenu à préciser Me Léonzi.

Me Léonzi a déclaré avoir touché une prime de résultat, suite à la reprise, d'un montant de 1,6 million d'euros.

M. Marty, du cabinet Mazars, est l'un des experts comptables ayant participé à la mission dont les conclusions constituent le second rapport Mazars et Guérard rendu au comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI) le 15 juillet 2002. Interrogé sur le montant des honoraires versés à Me Léonzi, il a souligné que le montant de la prime de résultat versée suite à la reprise peut soulever des interrogations. En revanche, l'activité intense du cabinet aurait justifié les rémunérations courantes.

« Au-delà du « success fee » sur lequel on peut s'interroger à la fois quant au montant et au fondement - mais c'est une pratique relativement habituelle dans ce type d'intervention -, les montants facturés tout au long de la période, au titre des prestations effectuées par Me Léonzi qui intervenait dans un vaste champ des relations juridiques du groupe Holco avec ses partenaires, nous sont apparus comme compréhensibles. » De nombreux témoins ont pu, il est vrai, témoigner de l'activisme juridique de Me Léonzi, lequel allait parfois au-delà de sa mission, n'hésitant pas à participer aux comités d'entreprise.

Cependant, il faut souligner que M. Marty a également déclaré ne pas se souvenir du montant exact de la prime perçue par Me Léonzi mais il l'estimait de mémoire à quelques centaines de milliers d'euros. Or, d'après les déclarations de Me Léonzi, elle a atteint un montant bien plus élevé, soit 1,6 million d'euros.

Afin de porter une appréciation sur les rémunérations « courantes », il est nécessaire d'étudier les factures émises par le cabinet Léonzi. Les factures consultées par la commission d'enquête sont pour le moins sibyllines. En effet, aucun nombre d'heures de travail justifiant le montant de ces factures n'est fourni. Le nombre des collaborateurs ayant travaillé n'est pas indiqué. Comment apprécier dans ces conditions le fondement de ces factures? Le cabinet Mazars a indiqué que la présentation de telles factures par les avocats était malheureusement fréquente. Au moins un collaborateur de Me Léonzi travaillait avec ce dernier pour Holco et Air Lib.

Le Rapporteur ne peut manquer de s'interroger sur les montants en question. Rappelons qu'entre le 1er août 2001 et le 31 décembre 2002, le cabinet Léonzi a perçu 5,12 millions d'euros d'honoraires.

Il convient également de souligner que ce sont les tout premiers fonds versés par Swissair en vertu de la transaction homologuée par le tribunal de commerce de Créteil qui ont permis l'octroi de telles rémunérations.

Me Léonzi n'a pas considéré cet ordre des priorités comme étant anormal : « L'ensemble des conseils qui ont participé à la reprise avait passé un accord avec Jean-Charles Corbet prévoyant qu'ils seraient rémunérés pour la partie antérieure de leurs activités. Concernant mon cabinet, il s'agissait d'une somme extrêmement importante, de l'ordre de 4 millions de francs au moment de la reprise. Une reprise d'une entreprise de cette taille-là, cela implique, pour une structure comme la mienne, six personnes qui travaillent de 7 heures du matin à 2 heures, voire 4 heures du matin, parce que les services des ministères que nous rencontrions sur les aspects réglementaires ne nous recevaient qu'après leur journée de travail. Tout le monde était logé à la même enseigne : s'il y avait une reprise, comme cela est l'usage, l'ensemble des intervenants serait payé par un honoraire de résultats. Les honoraires n'étaient pas une surprise pour qui que ce soit, puisque les « start cost » font partie des business plan qui ont été remis au tribunal de commerce. Les gens avaient travaillé pendant trois, quatre ou cinq mois et commençaient à avoir des difficultés de trésorerie - j'imagine CIBC un peu moins que nous - mais en ce qui concerne ma structure, elle en avait beaucoup au mois de juillet et au mois d'août. Les gens qui avaient fait travailler leurs structures, qui avaient négligé leurs autres clients, étaient pressés de toucher leurs honoraires. Aussi, effectivement, les premiers fonds qui sont venus des Suisses, de mémoire, 600 millions de francs sur Holco (en sus des 50 premiers millions versés entre les mains des administrateurs), en dehors des dotations en capital, ont servi à payer les honoraires des conseils. »

Il est cependant permis de penser que l'argent versé pour redresser la compagnie aérienne pouvait à l'époque trouver d'autres usages.

2.- Le cas CIBC World Markets

M. Corbet a contracté avec la CIBC World Markets. Cette dernière avait pour mission de fournir l'assistance et les conseils permettant d'obtenir des informations relatives aux plans de restructuration et aux évaluations des concurrents, d'élaborer un plan de financement, d'approcher des investisseurs en capital et d'autres établissements financiers et d'engager des discussions avec les actionnaires de l'époque et des tiers intéressés par AOM. Il est précisé que les obligations de CIBC World Markets sont des obligations de moyens et non des obligations de résultat.

Me Léonzi n'a pas caché ses interrogations sur le contrat passé entre la CIBC et M. Corbet : « Est-ce que j'ai connaissance du contrat CIBC ? La réponse est « bien évidemment » dans la mesure où postérieurement à la reprise, ce contrat a toujours fait partie des points de questionnement, que ce soit de la part des commissaires aux comptes ou de l'ensemble des intervenants. »

La première source de difficulté est le fait que la CIBC World Markets déclare intervenir au nom du conseil de surveillance du fonds Concorde, comme il est expliqué dans la première partie du rapport.

Me Léonzi a ensuite tenu à préciser qu'il ne lui appartenait pas de superviser l'ensemble des contrats et des actes qui pouvaient être passés. Il a notamment déclaré ne pas être intervenu en tant que conseiller juridique pour ce contrat CIBC World Markets.

La seconde interrogation a trait au montant des rémunérations versées à la CIBC World Markets, soit au total 8,335 millions d'euros. Me Léonzi n'a pas participé à la rédaction de ce contrat, a-t-il déclaré, et n'a pas signé ce contrat. En revanche, il a pu « en tant que professionnel du droit » le commenter : « La rémunération de CIBC, telle que je l'ai comprise, devait être une rémunération forfaitaire par rapport à une reprise qui était envisagée initialement comme une reprise in bonis de la société. Le chapitre de la recherche d'investisseurs faisait partie du contrat, mais à ma connaissance - je parle de mémoire -, ne devait donner lieu ni à rémunération particulière sur la recherche du contrat, ni a fortiori à obligation de résultat. Le contrat était d'abord un contrat concernant la reprise d'Air Lib, avec des honoraires calculés sur la réduction du passif et sur la hauteur de la contribution spontanée de Swissair, avec un certain nombre de sous-postes. Voilà la connaissance que j'en ai, et encore une fois, lorsque j'évoque la CIBC auprès de vous, c'est effectivement parce que je l'ai rencontrée, que j'ai lu le contrat, mais je n'ai pas participé à sa rédaction. Mais bien évidemment, je connais le contrat, parce que tous les tiers intéressés ont eu à lire ce contrat et à tenter de le comprendre. »

Ayant « tenté » de comprendre ce contrat, Me Léonzi a produit, le 12 juillet, une note d'explication destinée au cabinet Mazars et Guérard qui était mandaté par le CIRI pour réaliser une approche de la situation financière du groupe Holco. Me Léonzi a lui-même décrit cette note comme « une note de scribe » retranscrivant « la loi des marchands ». Les experts du cabinet Mazars ont indiqué que les échanges qu'ils avaient eus avec Me Léonzi à propos de la facture de la CIBC World Markets ne leur avaient pas permis de porter une appréciation sur cette facture et notamment de déterminer si cette facture était fondée ou non. Interrogés sur le caractère satisfaisant ou non des réponses apportées par Me Léonzi dans sa note en date du 12 juillet 2002, les experts du cabinet Mazars ont répondu :

« M. Luc MARTY : Elles permettent de comprendre un certain nombre d'éléments de calcul des mentions portées sur la facture. Elles ne répondent pas totalement -et là c'est une appréciation personnelle- à l'interrogation qui prévaut sur les montants. »

En conséquence, le cabinet n'a pas commenté dans son rapport les sommes versées à la CIBC World Markets :

« M. le Rapporteur : Pourquoi ne l'avez-vous pas écrit dans votre rapport [faisant référence aux éléments d'explication obtenus et qualifiés de partiels]?

M. Luc MARTY : Parce que nous ne disposions pas de suffisamment d'informations pour pouvoir apprécier si ces versements étaient effectivement fondés ou pas. »

La facture de la CIBC World Markets comprend quatre éléments : la rémunération de base, la rémunération de résultat - composée des « advisory fees » et des « financing placement fees » - et le remboursement des frais et débours.

La rémunération de base, d'un montant de 250 000 US dollars, correspond au tarif mensuel de la CIBC World Markets (100 000 dollars) multiplié par trois (pour les mois de mai, juin et juillet) et forfaitisé à 250 000 dollars.

Les frais exposés par la banque d'affaires s'élèvent à 75 000 dollars.

Les « financing placement fees », rémunération pour avoir trouvé un investisseur au moment de la reprise, s'élèvent à 320 000 dollars. D'après Me Léonzi, cette rubrique correspond à ce qui était dû à la CIBC World Markets pour sa recherche ayant permis que des investisseurs, réunis par l'intermédiaire d'Aurel Leven qui avait été mandaté par la CIBC, apportent devant le tribunal de commerce de Créteil le 27 juillet 2001 une lettre d'évidence de fonds de 80 millions de francs. Cette lettre d'évidence de fonds répondait, d'après M. Corbet, à une exigence de Swissair qui avait voulu que le repreneur prouve pouvoir disposer de 100 millions de francs : « Les Suisses avaient dit qu'ils ne laisseraient pas l'entreprise à qui n'apporterait pas lui-même une centaine de millions de francs. C'était leur logique et c'était leur demande qu'on pouvait comprendre. A partir du moment où cela été annoncé, fixé et dit en audience, il a fallu présenter cet apport de 100 millions de francs. Fidei avait présenté un projet qui s'appelait « Participations aériennes » qui, par le biais d'un fonds d'investissement américain, prétendait avoir la possibilité d'apporter 100 millions. On a mandaté la banque d'affaires pour trouver rapidement un investisseur susceptible d'apporter ces 100 millions. »

Les 320 000 euros correspondent à « la rémunération calculée sur l'opération Aurel Leven, dont l'assiette est de 80 millions de francs (3 % contractuels) », écrit Me Léonzi. Cette part de la facture peut donc être expliquée. Il faut rappeler que le droit de tirage n'a jamais été exercé.

La dernière composante - la plus élevée - d'un montant de 6,67 millions de dollars est quant à elle plus énigmatique. Ces honoraires « advisory fees » seraient calculés sur deux éléments :

- 3 % liés à la reprise des sociétés sans passif (résultante de la procédure judiciaire suivante : plan de cession après dépôt de bilan). Le passif figurant au bilan de Swissair étant de 4,7 milliards de francs, l'application des 3 % prévus par le contrat donnerait d'après Me Léonzi le résultat suivant : 6,272 millions de dollars. Or, 3 % de 4,7 milliards de francs représentent la somme de 141 millions de francs, soit 21,5 millions d'euros. Appliquant le raisonnement de Me Léonzi, le montant calculé (21,5 millions d'euros) est supérieur au triple de celui facturé (6,272 millions de dollars). Il est évident que l'explication donnée par Me Léonzi n'est pas la bonne. La lecture, peu aisée, du contrat semble plutôt indiquer que Holco devait payer 1 % « du montant de tout passif pris en charge (...) ou toutes les dettes dont la partie cédant ses actions ou ses actifs ou AOM ou ses affiliés seraient déchargées. » Il faut comprendre que Holco devait payer pour la réduction de passif, opération n'ayant aucun lien avec les travaux de la CIBC World Markets. En effet, dans le cas d'un plan de cession d'entreprise suite à un dépôt de bilan, le cessionnaire (ici Holco) ne reprend pas le passif, sauf volonté contraire de sa part13. Me Léonzi l'a reconnu lors de son audition: « Ce serait un non sens d'obtenir une rémunération pour une réduction de passif obtenue à la barre du tribunal, puisque de par la loi c'est l'effet même d'une déclaration de cessation des paiements. » puis « Est-ce que cette assiette à un sens dans un cadre de reprise après dépôt de bilan ? Ma réponse en tant qu'avocat est très claire. Cela n'a aucun sens. »

- un pourcentage de la contribution versée par Swissair, soit 1 % de 1,5 milliard de francs, soit deux millions de dollars.

Au total, les honoraires s'élevaient à 8,2 millions de dollars et ont été réduits, à la demande de M. Corbet, à 6,67 millions de dollars. « Après la reprise, dans la mesure où nous n'étions plus dans un plan de continuation mais dans un plan de cession, j'ai demandé à CIBC de bien vouloir considérer que la partie réduction de passif était un élément qui pouvait être diminué », a indiqué M. Corbet. Me Léonzi a témoigné en ce sens : « Et la seule explication qui m'ait été donnée et que j'ai retransmise, c'est que ce contrat n'a aucun sens dans le cadre d'une reprise à la barre d'un tribunal d'une entreprise en redressement (par voie de cession d'actifs) et n'a de sens que dans le contexte qui m'a été indiqué, à savoir accord sur la chose et sur le prix à un moment où la reprise était envisagée in bonis dans le cadre de la conciliation. »

L'argument avancé, tant par M. Corbet que par son avocat Me Léonzi, est que lors de la négociation du contrat, il n'était pas question de reprendre l'entreprise après un dépôt de bilan. Il s'agissait de reprendre des entreprises en activité. A ce titre, une banque d'affaires pouvait négocier une réduction du passif pris en charge. Mais qui peut croire que la situation du groupe Air Liberté-AOM n'était pas déjà catastrophique en avril ou mai 2001 ? Il semble évident à tous les observateurs de ce dossier qu'une reprise autre qu'à la suite d'un dépôt de bilan n'a jamais pu être sérieusement envisagée. Il convient également de rappeler le caractère rétroactif du contrat passé entre M. Corbet et la banque d'affaires puisque celui-ci, daté du 11 juillet 2001, soit plusieurs semaines après le dépôt de bilan d'AOM-Air Liberté, s'appliquait à compter du 2 mai 2001. Le Rapporteur se demande donc si la date réelle de signature du contrat n'est pas postérieure à la date du jugement du tribunal de commerce de Créteil attribuant le bénéfice de la reprise à M. Corbet.

Il semble aberrant que la banque d'affaires ait pu toucher un pourcentage, tant de la réduction du passif que de la contribution Swissair, puisque ces deux éléments auraient bénéficié à tout repreneur. Sur ce point Me Léonzi a au contraire indiqué que Swissair avait voulu, en quelque sorte, choisir le repreneur auquel serait versée la contribution et, qu'ainsi, la rémunération de la CIBC sur la base de cette contribution était justifiée : « M. le Rapporteur : Mais le milliard et demi de Swissair était public. CIBC n'a eu aucun travail. Ce que je ne comprends pas, c'est quel est le lien entre l'action qu'a eue CIBC et l'assiette ?

M. Yves LEONZI : Non, là aussi, on se fait une fausse idée de ce qu'a pu être la reprise. L'offre publique faite par voie de presse en disant « je donne 2 milliards et vient les chercher qui veut », ce n'était pas du tout ça. (...) Je reprends mon propos qui est très ferme. La volonté de Swissair était de choisir son repreneur et de faire bénéficier de ces 2 milliards un repreneur choisi par elle. Est-ce choquant ? Pas du tout. (...) Donc, les Suisses - et CIBC a participé à ce travail-là - ont organisé eux aussi des grands oraux avec ou sans les administrateurs, où chaque repreneur devait exposer ce qu'il comptait faire avec 1 milliard, 2 milliards, etc ; afin que Swissair émette un avis. » Les informations recueillies par le Rapporteur accréditent la thèse selon laquelle la CIBC aurait effectivement réalisé un travail auprès de Swissair.

Le montant de la facture n'a pas seulement alerté la commission d'enquête et a, semble-t-il, également interpellé Me Léonzi et l'ensemble des conseillers travaillant avec M. Corbet, comme l'a indiqué Me Léonzi : « Ai-je été au courant que CIBC a été payée en même temps que tous les autres conseils ? Oui. Est-ce que j'ai été au courant des montants ? Oui. Est-ce que le montant m'a surpris ? Oui, énormément. Je ne suis pas commissaire aux comptes et je ne suis pas expert-comptable ; je n'ai pas à valider antérieurement ou en continu un paiement. En ma qualité d'avocat j'ai posé une question s'agissant des montants évoqués. Il m'a été indiqué - et je crois que c'est pour la première fois que j'ai vu la pièce que vous évoquez - que les montants étaient des montants contractuels. Nous avons fait part, chacun pour ce qui nous concerne, d'étonnement et de réserves par rapport à ces montants. Si l'application du contrat était automatique, le montant correspondant à ce qui était éventuellement contractuellement dû, était supérieur au montant effectivement payé [M. Corbet a en effet fait abaisser le montant de la facture]. J'ai eu connaissance d'une discussion qui est intervenue entre Jean-Charles Corbet et les représentants de la CIBC pour forfaitiser un montant qui a été au final versé à la CIBC. » Puis Me Léonzi fait cette déclaration contradictoire avec ce paragraphe : « Donc, oui, j'ai été, dans ces conditions-là, avisé des éléments. Ce montant est-il choquant, parce que c'est une autre question que vous pouvez me poser en qualité de professionnel ? Par rapport aux montants habituellement pratiqués par les banques d'affaires, surtout nord-américaines, non, pas du tout ! » Le montant de la facture aurait donc semblé anormalement élevé mais le dernier passage invite à penser qu'il aurait été conforme aux tarifs des banques d'affaires nord-américaines.

Il faut ici préciser que la facture de 8,335 millions d'euros a été acquittée très rapidement en trois versements datés des 21 août 2001 (345 811 euros), 31 août 2001 (4,95 millions d'euros) et 5 septembre 2001 (3,03 millions d'euros). La banque aurait néanmoins continué à travailler pour Holco sans percevoir d'autre rémunération. M. Corbet a rappelé qu'il est d'usage que les banques d'affaires continuent à accompagner un client après avoir été rémunérées dans le cadre d'un contrat. D'après Me Léonzi, suite aux attentats du 11 septembre 2001, la CIBC aurait interrompu ses travaux en décembre 2001. « Je parle sous toute réserve, parce que je fais appel à ma mémoire et j'ai peur de commettre des impairs. CIBC a interrompu son travail en voyant qu'elle ne pouvait pas venir en aide à Air Lib sur les activités de recherche d'une banque de proximité. Je crois que son travail de recherche d'une banque de proximité et de possibilité de financement a été interrompu, en décembre 2001. »

La CIBC serait de nouveau intervenue à l'été 2002 puis dans le cadre de la conciliation confiée à Me Lafont le 14 novembre 2002 par le tribunal de commerce de Créteil devant les difficultés rencontrées par la compagnie.

Me Léonzi affirme que trois personnes de la CIBC étaient basées à Paris pour aider M. Corbet.

Les investisseurs approchés par la CIBC World Markets dont Me Léonzi déclare avoir entendu parler étaient Bombardier et Air Canada. Preussag était également intéressé et le Club Méditerranée avait annoncé à l'ensemble des repreneurs qu'il était prêt à participer « pour une fraction symbolique » au capital. Le Club Méditerranée était surtout intéressé, selon Me Léonzi, par l'activité charter d'Air Lib.

Aucun de ces investisseurs n'est allé au-delà et n'a investi dans Air Lib.

III.- UNE GESTION OPAQUE, DÉFICITAIRE ET SOCIALEMENT CONFLICTUELLE

La manière dont la compagnie Air Lib a été gérée explique pour une large part les difficultés rencontrées par la compagnie. Les témoins interrogés ont tous reconnu que M. Corbet n'était pas un gestionnaire et qu'il a tenté de s'entourer de personnes dont les qualités étaient reconnues en ce domaine. Ces dernières ont quitté la compagnie dès décembre 2001 et les observateurs considèrent qu'il devenait dans ces conditions impossible de gérer Air Lib. La gestion de la société a été non seulement défaillante mais également opaque et a soulevé six principales interrogations :

- quelles étaient les vraies raisons de la création de filiales à l'étranger?

- la dispersion des actifs repris répond-elle à un objectif de redressement de la compagnie aérienne ?

- dans quelle mesure la capitalisation d'Holco Lux, à hauteur d'un million d'euros, auquel s'ajoutent quatre millions d'avances d'actionnaire, et de Mermoz, à hauteur de 12,196 millions d'euros était-elle justifiée ? A cet égard, quelle a été l'utilisation faite par Mermoz de cette somme considérable, présentée comme devant permettre d'assurer la maintenance des avions ?

- pour quelles raisons le dépôt de bilan préconisé dès octobre 2001 par M. Bachelet, président du directoire d'Air Lib, n'a-t-il pas été mis en œuvre ?

- dans quelle mesure la gestion économique et commerciale de M. Corbet a-t-elle accéléré la chute d'Air Lib ?

- enfin, comment expliquer que l'ancien syndicaliste ait pu, en quelques mois, dégrader le climat social de l'entreprise ?

A.- UNE GESTION OPAQUE

La gestion de Holco et de ses filiales a été source de nombreuses interrogations. Très peu d'informations étaient disponibles et M. Corbet semblait prendre seul les décisions. Ainsi, M. Bachelet, pourtant directeur général d'Holco, a déclaré avoir été tenu à l'écart de la vie des filiales étrangères.

1.- La mise en place d'Holco et de ses filiales et la répartition des actifs

En préambule, une déclaration de Me Léonzi, intervenant lors du comité d'entreprise du 29 avril 2002, peut être citée : « Aujourd'hui il faut trouver des montages dynamiques pour permettre la création d'une vraie entreprise avec plusieurs pôles d'activité, en les cloisonnant pour éviter qu'un problème d'une entité affecte les autres. C'est une option de gestion que nous revendiquons. »

a) Holco

Holco a été immatriculé au registre du commerce et des sociétés le 23 juillet 2001. L'entreprise, dont le siège est situé à Paris et dont le capital s'élève à 40 000 euros, est détenue à 99,99 % par M. Corbet. Holco est la maison mère de la société d'exploitation AOM-Air Liberté, baptisée Air Lib en septembre 2001, et des autres sociétés reprises le 27 juillet 2001.

Le patrimoine immobilier d'Holco doit être détaillé.

La société dispose aujourd'hui seulement d'un crédit-bail sur un immeuble situé à Tours d'après M. Corbet. Le contrat de crédit bail s'achèvera le 30 juin 2003.

S'agissant d'un immeuble situé à Rungis (ancien siège social d'AOM), M. Corbet a indiqué que les actes de cession n'étaient pas encore signés et que les administrateurs judiciaires étaient donc encore en charge du dossier. Ils auraient refusé de céder le bien à M. Corbet. Le contrat de crédit bail viendra à échéance le 31 décembre 2006. Le jugement du tribunal de commerce de Créteil en date du 27 juillet 2001 indique, quant au périmètre de la reprise, que la cession comprend l'ensemble des immobilisations corporelles et incorporelles rattachées aux fonds repris, notamment les « droits aux baux ou crédit-bail des locaux appartenant à des tiers dans lesquels sont exploités les fonds [de commerce] repris ». En conséquence, le périmètre de la reprise ne comprenait pas les crédits baux dans lesquels les fonds de commerce repris n'étaient pas exploités. L'immeuble de Rungis n'aurait, semble-t-il, pas à être intégré au périmètre des actifs repris.

Les déclarations de M. Corbet ne recouvrent pas les indications fournies par le rapport Mazars et Guérard de juillet 2002 sur la situation financière du groupe Holco. Ce rapport fait également état d'un contrat de crédit-bail sur l'immeuble de Rungis. Il n'est pas indiqué que les actes de cession concernant ce dernier immeuble n'ont pas été signés alors que le rapport a pris soin d'indiquer les opérations non encore menées à leur terme.

b) Les filiales françaises

La SAS Holco s'étant vu attribuer le bénéfice de la reprise, il restait à organiser les filiales souvent nombreuses dans les compagnies aériennes.

Le projet de reprise présenté par M. Corbet prévoyait explicitement la possibilité de substituer à Holco toute entité créée pour les besoins de la reprise. Or, le 27 juillet 2001, le tribunal de commerce a omis de statuer sur ce point pourtant essentiel pour la mise en place de la société.

Statuant à la demande de la SAS Holco, le 13 septembre 2001, le tribunal de commerce de Créteil a procédé à une rectification accordant à la société Holco le bénéfice « d'une faculté de substitution au profit de toute entité créée pour les besoins de la reprise sous réserve de leur contrôle par le repreneur dans les conditions des articles 355-1 et 355-2 de la loi du 24 juillet 1966 et notamment au profit des sociétés Minerve Antilles Guyane SN, Hotavia Restauration Services SN, Air Liberté Technics et Société d'exploitation AOM Air Liberté. »

Cette décision autorise donc la création de filiales pouvant se substituer à la SAS Holco. Aucune condition restrictive n'est posée, si ce n'est l'obligation que les filiales soient contrôlées par le repreneur.

Du fait des délais d'établissement des actes de cession des sociétés reprises, la société Holco a du signer le 24 octobre 2001 un contrat de location gérance des différents fonds de commerce (pour un franc par mois et par fonds de commerce). Ce contrat prenait effet, rétroactivement, à compter du 1er août 2001. Les actes de cession n'ont été établis que les 19 et 21 décembre 2001.

L'organigramme de la société a évolué considérablement, laissant apparaître au final 11 filiales. Holco était la seule structure préexistant à la reprise. Le 24 août 2001, la société d'exploitation AOM Air Liberté, dite Air Lib à compter du 20 septembre 2001, était immatriculée au registre du commerce et des sociétés. Peu après ont été immatriculées les sociétés Air Lib Technics (le 30 août 2001), Hotavia Restauration Services (le 30 août 2001 également) et Minerve Antilles Guyane (le 17 septembre 2001). Ces sociétés ont racheté le fonds de commerce de sociétés leur préexistant. Ainsi, Air Lib Technics a, dans un premier temps, repris les fonds de commerce de Air Liberté Industrie et de TAT European Airlines puis, dans un second temps, celui de la société SR Technics France. Hotavia Restauration Services et Minerve Antilles Guyane ont, quant à elle, repris les fonds de commerce des sociétés du même nom Hotavia Restauration Services et Minerve Antilles Guyane.

Par ailleurs, dans le cadre de la reprise, Holco devenait également propriétaire des titres des sociétés Alyzair (créée en 1995) à hauteur de 60 % ; Logitair (créée en 1992) à hauteur de 100 % ; SAAS (Service avions assistance sol, créée en 1996) à hauteur de 50,04 % ; SAP (Service assistance piste, créée en 1992) à hauteur de 51 % et Air Liberté Finances (créée en 1992) à hauteur de 100 %. D'après les informations recueillies, ce sont les participations des sociétés les plus directement liées à l'activité et présentant un intérêt économique réel qui ont été reprises. Certaines filiales, dont les liens avec l'activité de la compagnie aérienne semblaient trop distendus, ont été écartées. Pourtant, les membres du cabinet Mazars et Guérard auditionnés ont indiqué que la société Alyzair n'avait plus d'activité lors de leurs travaux en juillet 2002.

A l'issue de ces opérations, Holco comprenait neuf filiales.

Par la suite, lorsque le produit Air Lib Express a été développé, la société d'exploitation AOM-Air Liberté, dite Air Lib, a vu ses activités réparties entre deux entités : la société Air Lib Express, immatriculée le 1er octobre 2002, et la société d'exploitation Air Lib, immatriculée le 2 décembre 2002. Ces deux sociétés sont des filiales à 100 % de la société d'exploitation AOM-Air Liberté.

c) Les filiales étrangères

Les filiales étrangères ont été créées plus tardivement que les premières filiales françaises.

Holco Lux

Holco Lux, détenue à 100 % par Holco, a été inscrite au registre du commerce et des sociétés de Luxembourg le 28 décembre 2001. Elle a bénéficié des fonds versés par Swissair à Holco à hauteur de cinq millions d'euros (dont un million d'euros pour sa dotation en capital et quatre millions d'euros apportés à son compte-courant). D'après le rapport Mazars et Guérard remis au comité interministériel de restructuration industrielle le 15 juillet 2002, la société Holco Lux a pour objet d'être « la structure d'accueil d'opérations de croissance externe du groupe dans les domaines connexes de l'aérien ». Cet objet indéterminé n'a pas manqué de susciter quelques inquiétudes parmi les salariés de la compagnie aérienne qui n'ont pas été informés rapidement de l'existence de cette filiale. M. Fourier, délégué syndical CGT a ainsi déclaré : « Nous avons découvert que cette filiale était destinée, je cite : « à prendre des participations sous quelque forme que ce soit dans des entreprises ou sociétés luxembourgeoises ou étrangères au Luxembourg ». C'est un peu surprenant, surtout dans le cadre d'une entreprise qui allait quand même très mal. Je vous rappelle que, dès décembre 2001, c'est-à-dire 5 mois après la reprise, Air Lib mettait déjà à l'ordre du jour du comité d'entreprise : « possible dépôt de bilan ». » Il a ajouté: « Holco Lux a pris une participation dans une société qui s'appelait I.P. Bus qui, semble-t-il, était destinée à la formation des pilotes. Cela a fait l'objet d'ailleurs d'une question en comité d'entreprise par ma collègue Sylvie Guillou-Faure. Quand on a appris la possibilité pour Holco Lux de faire de la formation de pilotes, Sylvie Guillou-Faure a posé la question en disant : « Si l'on comprend bien, vous pourriez, à un moment donné, fermer la compagnie aérienne et garder votre filiale de formation des pilotes qui pourra être utilisée par n'importe quelle autre compagnie aérienne ». Effectivement, la réponse de la direction avait été claire. Ils avaient dit : « Oui, juridiquement, c'est tout à fait possible qu'à un moment donné, on ne garde que cette filiale ou telle ou telle filiale et que la compagnie aérienne ait disparu ». Pour cette raison, dès le début, nous les avons suspectés de vouloir mettre sinon de l'argent, en tout cas de l'activité de côté pour assurer un avenir à cette holding au-delà de la compagnie aérienne. »

D'après le rapport précité, un projet d'investissement dans l'institut de formation des pilotes n'a pas été retenu. En revanche, Holco Lux aurait prêté 614 000 euros à une société Newco qui a pour objectif d'investir « dans des sociétés à fort développement ». Un projet IP Bus aurait notamment été développé, qui consiste, cette fois d'après une note d'information du cabinet Secaphi-Alpha sur les comptes d'Holco en date du 5 mars 2003 et destinée au comité d'entreprise, à « développer des formations à distance en entreprise par l'utilisation de transmissions satellites » pour les pilotes. Cet élément n'est pas éclairant sur les activités exactes d'Holco Lux. En outre, quelle a été l'utilisation faite des quatre millions d'euros restant dans Holco Lux ? M. Corbet n'a pas souhaité répondre à cette question lors de son audition, se réfugiant derrière le secret des affaires :

« M. Jean-Charles CORBET : Pour ce qui concerne Holco Lux, c'est un peu la même démarche : c'est une structure de participation. Elle était prévue pour permettre à terme la filialisation des structures de formation pour les personnels navigants techniques d'Air Lib.

M. le Rapporteur : Vous dites qu'elle était destinée, mais est-ce qu'elle a l'a fait ? Quelle utilisation avez-vous fait de la filiale Holco Lux après l'avoir dotée de cinq millions d'euros ?

M. Jean-Charles CORBET : C'est ce qu'elle a commencé à faire, monsieur le Rapporteur.

M. le Rapporteur : Pouvez-vous être plus précis ?

M. Jean-Charles CORBET : Non.

M. le Rapporteur : Pourquoi ?

M. Jean-Charles CORBET : Je vous l'écrirai.

M. le Rapporteur : Pourquoi l'avez-vous dotée de cinq millions d'euros ?

M. Jean-Charles CORBET : Et pourquoi pas ?

M. le Rapporteur : La question est : pourquoi un ? Pourquoi pas deux ou dix ?

M. Jean-Charles CORBET : Parce que cinq ! C'est un arbitrage de gestion qui ne se discute pas, monsieur de Courson. Je suis étonné de votre question. Vous êtes quelqu'un qui a l'habitude des structures financières, du monde des affaires. Cette question, je ne la comprends pas.

M. le Rapporteur : C'est la première fois qu'un témoin répond ainsi à la question qu'on lui pose. Pourquoi avoir doté une filiale à hauteur de cinq millions dans un but qui, d'après ce que vous avez indiqué, n'a pas été réalisé puisque votre idée initiale était la formation des pilotes ? Quand je vous pose la question « Pourquoi cinq millions ? Pourquoi pas un million, pourquoi pas vingt millions ? », vous me dites que c'est une réponse de gestion qui n'appartient qu'à vous-même et que vous n'avez pas à répondre à la commission. Cette réponse est étrange.

M. Jean-Charles CORBET : Ce n'est pas ce que je vous dis. Je vous dis : c'est cinq. Je ne sais pas pourquoi ce n'est pas un ou six ou vingt. D'abord la capitalisation était de un million....

M. le Rapporteur : ...un plus quatre !

M. Jean-Charles CORBET : Un plus quatre de fonds propres qui sont sur un compte courant Holco Lux. Mais vous savez qu'entre la société d'en haut et la société d'en bas, rien n'est irréversible. Donc, c'était cinq composé de cette manière : capitalisation de un million, compte courant de quatre millions.

M. le Rapporteur : Qu'avez-vous fait de ces cinq millions dans la filiale ? Vous étiez le président d'Holco Lux !

M. Jean-Charles CORBET : Oui.

M. le Rapporteur : Vous savez donc ce qui s'est passé en tant que président d'Holco Lux ? Qu'avez-vous fait des cinq millions ?

M. Jean-Charles CORBET : Je vous rappelle que nous sommes dans un cadre public et que j'ai à respecter le cadre confidentiel du secret des affaires. Je vous répondrai par écrit.

M. le Rapporteur : Vous étiez l'unique actionnaire, monsieur Corbet, de Holco Lux ?

M. Jean-Charles CORBET : Non. Holco était l'unique actionnaire, pas Jean-Charles Corbet.

M. le Rapporteur : Mais vous êtes l'unique propriétaire de la maison mère ?

M. Jean-Charles CORBET : Je suis l'unique actionnaire de la SAS Holco ; Holco était l'unique actionnaire d'Holco Lux. »

Il faut ici rappeler quel était l'objet de la contribution Swissair, tel qu'il a été défini par le tribunal de commerce de Créteil dans son jugement en date du 27 juillet 2001 : « Le groupe Swissair consent au repreneur ci-dessus désigné une contribution volontaire d'un montant de 1,3 milliard de francs, comprenant le cas échéant les prêts participatifs, pour financer la restructuration, l'activité et la reprise des actifs faisant l'objet du présent plan de cession. »

Les cinq millions d'euros versés à Holco Lux et prélevés sur les fonds Swissair respectent-ils les conditions posées par le tribunal ? Leur objet est-il de financer la restructuration, l'activité et la reprise des actifs ? Il est permis d'en douter.

Mermoz

Une deuxième filiale, Mermoz, a été créée le 29 octobre 2001.

Mermoz, propriété à 100 % de Holco, était la structure d'accueil d'une partie de la flotte à compter du 1er août 2001 (les actes de cession des avions ont été signés le 17 décembre 2001 avec effet rétroactif). Onze avions lui ont été cédés, dont quatre FOKKER 28-2000 en cours de cession ou en pièces détachées. Lui sont donc restés sept avions : un ATR 42-300, cinq DC 10-30 et un MD 83.

Sur la délocalisation des avions de la compagnie à l'étranger pour des raisons fiscales, semble-t-il, M. Rochet, ancien dirigeant d'AOM-Air Liberté, s'est exprimé en ces termes : « On peut reprocher beaucoup de choses aux directions précédentes en termes de management, d'option commerciale, de choix sociaux, mais je peux témoigner qu'à aucun moment les actifs, essentiellement d'ailleurs constitués autour d'AOM première version, dont vous avez fait l'historique, ne sont sortis du groupe. Lorsque je dis le groupe, ils pouvaient très bien être positionnés autour d'AOM participations, d'AOM compagnie aérienne, d'Air Liberté, d'Air Liberté Finances, mais ils sont restés à l'intérieur du périmètre et en France. »

Interrogés sur la question de la location des avions par des filiales à une compagnie aérienne du même groupe, les experts du cabinet KMPG consulting France ont souligné le caractère commun de ce type d'organisation : « le fait qu'il y ait des gens qui achètent les avions et qui les louent à des compagnies d'exploitation est courant. Air France maintenance a fait la même chose. Si vous regardez le nombre d'entreprises positionnées au Luxembourg et qui y positionnent leurs avions, c'est assez classique. »

M. Spinetta, président-directeur général d'Air France, a lui aussi indiqué que cette pratique est répandue : « en soi, cela ne me parait pas être une pratique scandaleuse. Nous le faisons également sur autorisation de la direction générale des impôts qui en est informée. Les décisions sont prises par le conseil d'administration d'Air France sur avis positif de la direction générale des impôts. (...) Certes, nous avons quelques avions logés dans des structures en Irlande ou ailleurs, mais dans des conditions de transparence et de connaissance de la tutelle qui sont totales.»

En principe, Mermoz louait ces avions à Air Lib, mais M. Bachelet, président du directoire de la compagnie jusqu'au 31 décembre 2001, a expliqué avoir toujours refusé qu'Air Lib paie pour utiliser ces avions.

Mermoz a elle aussi bénéficié des fonds Swissair mais dans des proportions plus importantes qu'Holco Lux. La société a été dotée d'un capital de 12,28 millions d'euros (la comptabilité d'Holco fait apparaître la somme légèrement inférieure de 12,196 millions d'euros) intégralement libéré le 24 janvier 2002, d'après une note de synthèse sur la création des sociétés Mermoz et Mermoz Aviation Ireland fournie par Me Léonzi.

Selon la note précitée, ce capital était « destiné à couvrir les frais de maintenance liés à l'utilisation des avions avant la reprise dans la mesure où le cabinet Bureau Francis Lefebvre a recommandé que seuls les frais liés à l'utilisation postérieure à la reprise soient laissés à la charge de l'utilisateur, Air Lib. »

D'après le rapport Mazars et Guérard, le partage entre la maintenance à la charge d'Air Lib et celle à la charge de Mermoz n'apparaissait pas être aussi clair puisque Air Lib semblait avoir reconstitué une partie des réserves de maintenance dues par Mermoz (le montant est évalué entre trois et quatre millions d'euros). Les experts du cabinet Mazars et Guérard auditionnés ont indiqué que la justification de la capitalisation qui leur avait été donnée était celle des charges de maintenance. Le calcul de la somme n'a pas été vérifié par le cabinet car cela n'entrait pas dans le cadre de sa mission pour le CIRI.

« M. le Rapporteur : Dans la mesure où, dans votre mission, il y avait un essai de réflexion sur les comptes consolidés, l'une des tâches d'un auditeur est de vérifier que les provisions sont correctement calculées.

M. Pierre SARDET : Ce n'était pas un audit, mais nous avons pensé qu'il était souhaitable de donner cette information au ministère, sans pouvoir la qualifier précisément. Si, en revanche, vous me demandez, en tant que technicien, si nous aurions adopté le même traitement comptable, je n'en suis pas certain. »

Plusieurs points doivent être soulignés. La note de Sécaphi-Alpha en date du 5 mars 2003 destinée au comité d'entreprise a indiqué que des incertitudes pesaient sur l'utilisation des sommes versées à Mermoz.

Le montant de douze millions d'euros a semblé disproportionné aux personnes auditionnées. M. Rochet a commenté le montant : « Holco a reçu des avions nets de dette pour 1 franc, mais sans les provisions correspondantes. Je ne suis donc pas choqué, sur le plan comptable, que l'on recrée progressivement les provisions suffisantes pour aller jusqu'au terme des heures de vols encore possibles et ensuite payer les travaux d'entretien. J'ai des ordres de grandeur en tête, mais je suis prêt à étudier la question plus précisément. En tout cas, je vois mal, pour la flotte qui était effectivement de l'ordre de grandeur que vous avez mentionné, comment on peut recréer 12 millions de provisions. Cela me semble irréaliste.

M. le Rapporteur : Cela vous paraît-il excessif ?

M. Marc ROCHET : Ah oui ! Dans un rapport minimum de 1 à 2, voire de 1 à 3. »

S'il est normal qu'un propriétaire mette de côté les sommes nécessaires à la maintenance des avions, dans le cas d'une compagnie en grande difficulté comme Air Lib, il aurait été préférable de constituer progressivement les provisions. Rien ne justifiait d'avancer de telles sommes dès le mois d'octobre 2001, quelques semaines après le 11 septembre 2001.

Interrogé sur la capitalisation de Mermoz, M. Corbet a, une nouvelle fois, estimé ne pas pouvoir répondre à la commission d'enquête :

« M. le Rapporteur : Pourriez-vous nous expliquer pourquoi - vous nous avez fourni des explications qui nous paraissent incomplètes -vous avez doté de 12,2 millions d'euros la filiale coopérative Mermoz ?

M. Jean-Charles CORBET : Là encore, je crois que cela a été expliqué à Mazars. Je vous invite à relire le rapport Mazars et vous aurez la réponse. »

Si la capitalisation de Mermoz à hauteur de 12,196 millions d'euros était liée aux charges de maintenance des avions, comment expliquer dans ce cas que Mermoz ait versé, pour le compte d'Holco, 9,14 millions d'euros à un cabinet Plegler et Blach, ainsi que le démontre le grand livre des comptes d'Holco pour l'exercice clos le 31 mars 2002. Le paiement de cette somme apparaît dans les comptes à la date du 31 mars 2002, date de clôture de l'exercice mais cette inscription ne constituerait qu'une régularisation a posteriori des écritures comptables. D'après les renseignements fournis au Rapporteur, cette somme aurait été payée antérieurement. La date précise n'a pas pu être déterminée. Pourtant, le cabinet Mazars et Guérard, interrogé, a indiqué ne pas avoir eu connaissance de ce mouvement financier en juillet 2002.

Une nouvelle justification de l'apport de 12,196 millions d'euros à Mermoz apparaît donc, qui serait une facture d'un cabinet d'avocats. Interrogé par la commission d'enquête, Me Léonzi a indiqué avoir eu connaissance de ce contrat : « j'ai vu le contrat qui est un contrat de paiement d'honoraires forfaitaires, avec un engagement qui doit survivre aux malheurs éventuels de tout ou partie des structures Holco-Air Lib. » Le paiement d'une provision sur un suivi est, d'après lui, inhabituel, mais le montant engagé (9,14 millions d'euros) pour recouvrir une créance de 60 millions d'euros ne lui a pas « posé de difficultés particulières ». Les commissaires aux comptes ont d'ailleurs validé les comptes. Le fait que ce soit une filiale d'Holco qui avance l'argent pour le compte de sa maison mère est, selon Me Léonzi, une pratique tout à fait habituelle. Il convient également de souligner que le comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI) avait été informé par les dirigeants d'Holco de la destination des actifs de Mermoz : « Mermoz détenait une quinzaine de millions d'euros d'actifs. Je vous cite, sous le contrôle de Philippe Leroy, les termes mêmes des dirigeants d'Holco SAS et de leurs conseils : ces sommes sont destinées à financer le contentieux à l'encontre de Swissair et à aller les chercher jusqu'au bout de la Terre», a indiqué Jean-Baptiste Massignon, secrétaire général du CIRI.

Il s'agissait donc pour les avocats d'être rémunérés pour l'ensemble des poursuites à venir contre Swissair. Pour autant, ces poursuites constituent également une bonne partie de l'activité du cabinet de Me Léonzi, qui n'intervient pas à titre gracieux dans cette affaire, comme il l'a expliqué : « Je pourrais vous fournir un certain nombre de précisions sur cette créance puisque mon cabinet coordonne les différentes actions à travers l'Europe sur le recouvrement des 60 millions d'euros dus à titre contractuel, indépendamment des indemnités réclamées à l'ensemble des personnes morales ayant composé le groupe Swissair. »

Me Léonzi a indiqué de quelle manière il serait vraisemblablement rémunéré pour l'ensemble de ses actions contre Swissair (occupant trois collaborateurs de son cabinet et coûtant environ 1,5 million de francs par mois d'honoraires d'avocats à travers toute l'Europe, d'après ses déclarations) : « Le président Corbet va faire jouer le mécanisme Plegler et Holco va être servi par Plegler du montant correspondant à la rémunération des factures.

M. le Rapporteur : Vous serez donc rémunéré via les 9,14 millions d'euros.

M. Yves LEONZI : Je serai rémunéré par Holco, parce que je n'accepterai pas de paiement de qui que ce soit d'autre. »

On ne peut que souligner le caractère extrêmement élevé de la somme en question et, légitimement, s'interroger sur le fait que cette somme ait été payée ou provisionnée dans son intégralité avant même que la créance sur Swissair ne soit recouvrée (les procédures sont toujours en cours aujourd'hui). M. Corbet a apporté peu de précisions à la commission d'enquête :

« M. le Rapporteur : Nous avons découvert que la filiale coopérative Mermoz, votre filiale en Hollande, a versé 9,1 millions d'euros pour le compte de Holco, pour le compte de la holding, à un cabinet d'avocats suisse, Plegler et Blach, à charge pour ce cabinet de suivre le dossier de recouvrement de la contribution non payée par Swissair qui était de l'ordre de 38 millions d'euros, puisqu'ils devaient vous verser 1,3 milliard et qu'ils ont versé 1,05 milliard.

M. Jean-Charles CORBET : La dette de Swissair est de 60 millions d'euros, monsieur.

M. le Rapporteur : Oui, mais il y avait deux parties : la partie qu'ils devaient verser en cash à la société holding était de 1,3 milliard d'après la décision du tribunal de commerce de Créteil et vous avez touché 1,05 milliard. Cela fait une différence de 250 millions de francs, soit 38 millions d'euros.

Pouvez-vous nous confirmer que vous avez bien versé ces 9,1 millions d'euros ? Pourriez-vous nous expliquer comment vous pouvez verser à un cabinet d'avocats situé en Suisse, 9,1 millions d'euros en réglant par avance les honoraires sans aucune clause d'intéressement. C'est-à-dire que si le cabinet ne réussit à recouvrer que zéro, ils auront toujours ces 9,1 millions, et s'ils réussissent à recouvrer une dizaine de millions, vous auriez payé autant pour recouvrer.

Pourquoi avez-vous signé ce contrat ? Pourriez-vous donner à la commission ce contrat que nous avons demandé et que nous n'avons pas encore reçu.

M. Jean-Charles CORBET : D'abord, ce que vous venez de dire est erroné : ce n'est pas un cabinet suisse.

M. le Rapporteur : Vous l'avez versé en Suisse d'après ce que l'on nous a indiqué.

M. Jean-Charles CORBET : Vous voyez que l'on vous indique des choses inexactes.

M. le Rapporteur : Nous sommes là justement pour que vous nous expliquiez.

M. Jean-Charles CORBET : Je vous réponds que nous sommes dans une procédure contre les Suisses, procédure extrêmement complexe. Il n'est absolument pas question que je dévoile publiquement ma stratégie. Ces éléments dont vous parlez sont aujourd'hui chez un expert judiciaire qui va les transmettre au tribunal de commerce de Paris. Dès lors que son rapport sera fait, je vous invite à le lui demander.

M. le Rapporteur : Ce n'est pas le débat, monsieur le président.

M. Jean-Charles CORBET : Mais c'est ma réponse.

M. le Rapporteur : Le débat est que j'ai trouvé cette somme dans votre comptabilité. Et donc, je vous pose la question : votre filiale Mermoz a payé 9,1 millions. A qui ? Il y a quand même un versement ! Je l'ai trouvé. On m'a indiqué que cela a été versé à un cabinet appelé Plegler et Blach.

Pouvez-vous dire à la commission ce qu'est ce cabinet et quel est le fondement du versement de 9,1 millions d'euros. Nous sommes au début 2002, au moment où vous avez demandé 30,5 millions à l'Etat et où vous espérez avoir en plus, via le GIE fiscal, à peu près aussi 30 millions. Pouvez-vous nous expliquer cela ?

M. Jean-Charles CORBET : Je vous répondrai par écrit. De manière très schématique, c'est une assurance - vie complète qui permet que, aujourd'hui, nous puissions continuer à poursuivre les Suisses partout dans le monde. Nous avons aujourd'hui des procédures contre les Suisses en Pologne, en Belgique, en Italie, en France, au Luxembourg.

C'est une provision qui nous permet d'avoir la certitude que quoi qu'il arrive, nous irons au bout de la procédure.

M. le Rapporteur : Vous faites payer cette somme par la filiale. Pourquoi cette somme a-t-elle été payée par la filiale ?

M. Jean-Charles CORBET : Non, je ne peux pas vous l'expliquer.

M. le Rapporteur : Pourquoi n'est-ce pas la holding qui l'a payé ?

M. Jean-Charles CORBET : Je ne peux pas vous l'expliquer, je vous l'expliquerai par écrit.

M. le Président : Vous comprenez, monsieur Corbet, que quelles que soient les explications que vous donnez ou que vous ne donnez pas, l'interrogation de la commission est de savoir pourquoi, au moment où vous demandez 30 millions de prêt à l'Etat, vous honorez une facture de 9,1 millions d'euros à un cabinet dont vous ne voulez pas donner le nom et pour des raisons que vous ne voulez pas dire.

Nous verrons ce que vous nous répondrez ultérieurement. Mais comprenez que l'on se pose des questions.

M. Jean-Charles CORBET : Je comprends que vous vous posiez des questions. Le 5 janvier -je vérifierai- dans le débat que nous avons eu avec le CIRI ce jour-là, dans l'arbitrage des 5 millions, nous avons indiqué au CIRI que nous gardions une somme en provision pour poursuivre les Suisses jusqu'au bout du monde.

M. le Rapporteur : Aviez-vous donné le montant au CIRI ?

M. Jean-Charles CORBET : Oui. J'ai indiqué au CIRI que cela représenterait environ 10 millions d'euros.

M. le Rapporteur : Avez-vous eu un accord écrit ?

M. Jean-Charles CORBET : Je n'avais pas à avoir d'accord écrit du CIRI ! Le CIRI a arbitré et nous a imposé la descente de 5 millions d'euros en compte courant bloqué.

M. le Rapporteur : Cela n'explique pas que, simultanément, vous versiez 9 millions. Nous n'avons pas trouvé trace de cela. Je vous serai donc reconnaissant de nous confirmer par écrit que vous avez informé le CIRI - vous nous avez dit que oui -, que vous avez indiqué le montant et à qui vous le versiez et à quel usage ?

M. Jean-Charles CORBET : Je vous indiquerai tout cela.

M. le Rapporteur : Dernière question : quel est ce cabinet ?

M. Jean-Charles CORBET : Je vous l'indiquerai par écrit.

M. le Rapporteur : Parce que vous ne le savez pas ?

M. Jean-Charles CORBET : Bien sûr que si, mais je suis en train de vous dire qu'il s'agit de choses confidentielles alors que nous sommes dans un débat public. Aujourd'hui, cela fait partie d'une enquête judiciaire à qui nous avons indiqué tout cela. Je vous l'indiquerai et je vous donnerai éventuellement le rapport. »14

Il convient une nouvelle fois de rappeler que le tribunal de commerce de Créteil avait précisé dans son jugement sur la reprise que l'objet de la contribution versée par Swissair était de financer la restructuration, l'activité et la reprise des actifs. De nouveau, l'on doit constater que la destination réelle des fonds s'éloigne de celle posée par le tribunal.

Le total des fonds versés à Holco Lux et à Mermoz sur la contribution Swissair atteint 15,3 millions d'euros, compte tenu des mouvements de trésorerie ultérieurs des filiales vers Holco. Le 1er mars 2002, Mermoz a reversé un million d'euros à Holco. Une des conditions du versement de la seconde tranche du prêt du FDES qui a été accordé à Air Lib en janvier 2002 était en effet qu'Holco fasse « descendre » de la trésorerie vers Air Lib (5 millions d'euros). Holco a donc fait revenir une partie des fonds disponibles dans ses filiales étrangères. Le 6 janvier 2003, Mermoz a à nouveau effectué un virement d'un montant de 700 000 euros au profit d'Holco. Postérieurement à la mise en liquidation judiciaire d'Air Lib le 17 février 2003, Holco Lux a versé 200 000 euros à Holco.

Mermoz Aviation Ireland

Une filiale de Mermoz, Mermoz Aviation Ireland a ensuite été créée à partir d'une société de droit irlandais inactive depuis sa formation en 2000. D'après la note de Me Léonzi précitée, les parts de cette société ont été transférées à Mermoz le 28 mai 2002 puis le nom de la société a changé pour devenir Mermoz Aviation Ireland et, le 20 décembre 2002, cette dernière a bénéficié d'un apport en capital de la part de Mermoz composé :

- de la propriété des avions et

- du bénéfice des conventions de location des avions depuis le 1er août 2001.

Les avions sont donc devenus la propriété de Mermoz Aviation Ireland qui est elle-même détenue à 100% par Mermoz.

d) Les participations de la holding Holco

Les participations de la holding Holco étaient les suivantes avant la mise en liquidation judiciaire d'Air Lib le 17 février 2003 :

PARTICIPATIONS DE LA HOLDING HOLCO

graphique

Mermoz Aviation

Irlande

(gestion de la flotte)

graphique

graphique

SE AOM-Air Liberté

(« Air Lib »)

(transport aérien)

15 millions d'euros

* Antilles et Réunion

2.- Dès le mois d'octobre 2001, M. Bachelet envisage le dépôt de bilan et se heurte au refus de M. Corbet

M. Bachelet, président du directoire d'Air Lib, s'est très rapidement rendu à l'évidence de l'impossibilité de poursuivre l'exploitation de la compagnie.

D'après ses déclarations à la commission d'enquête : « Vers le 15 octobre [2001], j'ai estimé que l'affaire n'était plus viable. Je l'ai écrit au cabinet du ministre en lui disant qu'il me paraissait invraisemblable que l'on puisse trouver des fonds propres supplémentaires pour faire face à la carence de Swissair et que, dans le contexte du transport aérien tel qu'on le vivait, le business plan sans financement était irréaliste. Je suggérais, de façon non étudiée, l'arrêt de l'activité. On avait encore de la trésorerie, donc, on ne pouvait pas déposer le bilan, mais on pouvait très bien décider d'arrêter l'activité et d'abonder un plan social avec le reste de trésorerie pour distribuer au personnel ce qui aurait été sauvé du désastre de Swissair. »

M. Bachelet a transmis par écrit à la commission d'enquête les principaux éléments qui figuraient dans sa lettre au directeur de cabinet du ministre du transport, M. Ricono, car il n'a pas été en mesure de fournir une copie de cette lettre. La situation financière d'Air Lib laissait présager une trésorerie nulle fin décembre 2001. Les désagréments pour les passagers en cas d'arrêt de l'exploitation à cette date étaient jugés trop grands, il fallait donc trouver une alternative. M. Bachelet proposait donc un arrêt de l'exploitation dès la fin d'octobre 2001. La proximité avec les événements du 11 septembre et la faillite de Swissair permettait d'attribuer à ces deux facteurs le plus grand rôle dans la faillite de la compagnie et la trésorerie disponible pouvait abonder un plan social. M. Ricono n'aurait pas cherché à joindre M. Bachelet par la suite, d'après les déclarations de ce dernier. M. Amar, alors conseiller technique du ministre du transport, a simplement indiqué lors de son audition : « A partir de octobre-novembre, lorsque nous sommes au coeur de la crise, nous nous apercevons, et Air Lib nous le fait savoir, que l'imminence d'une situation critique est proche. »

M. Bachelet a expliqué que le dépôt de bilan avait commencé à être préparé par le conseil de surveillance d'Air Lib. Des promesses selon lesquelles un investisseur allait soutenir Air Lib lui auraient été faites, sans qu'aucune opération aboutisse, et, le 18 décembre 2001, MM. Bachelet et Bardi (l'autre membre du directoire) ont signé un délibéré du directoire d'après lequel les besoins de financement structurels de l'entreprise s'élèvent à 800 millions de francs, dont 400 millions de francs en fonds propres ou quasi fonds propres. Le directoire estime qu'à la fin du mois de décembre 2001, la situation de l'entreprise sera irrémédiablement compromise et que le plan de relance ne pourra pas être mis en œuvre. « Le directoire continuera dans ces conditions la mise en œuvre du plan de relance et préparera, dans la confidentialité la déclaration de cessation des paiements avant le 31 décembre 2001. » M. Bachelet a indiqué avoir pris rendez-vous au tribunal de commerce de Créteil pour le début du mois de janvier.

Devant le comité d'entreprise, M. Bachelet tenait un tout autre langage : « Nous ne sommes donc ni en cessation de paiement, ni face à une situation irrémédiablement compromise. Le dépôt de bilan n'est donc pas à l'ordre du jour. » (Réunion extraordinaire du comité d'entreprise du 18 décembre 2001 dont l'ordre du jour était le suivant: « Information et consultation éventuelle du comité d'entreprise sur la marche générale de l'entreprise et conséquences éventuelles, pouvant entraîner la nécessité d'un dépôt de bilan. »). Les réunions extraordinaires des 31 décembre 2001 et 2 janvier 2002 prévoyaient également à l'ordre du jour une « éventuelle consultation du comité d'entreprise sur un éventuel dépôt de bilan ».

M. Bachelet a déclaré avoir démissionné en décembre 2001 et cessé ses fonctions le 31 décembre 2001 mais la comptabilité d'Holco fait apparaître son licenciement le 15 février 2002.

La réaction de M. Corbet a été radicale. Afin que le directoire ne puisse pas déposer le bilan, la structure juridique de l'entreprise a été modifiée : le directoire a été supprimé et Air Lib est devenue une société anonyme avec un conseil d'administration.

M. Corbet a expliqué que la trésorerie permettait de faire vivre Air Lib quelques semaines et que, juridiquement, les actes de cession des actifs n'étant pas signés, un dépôt de bilan dans ces conditions était compliqué. Il a ajouté lors de sa seconde audition devant la commission d'enquête : « En comité d'entreprise [le 31 décembre 2001], j'explique donc que si nous n'obtenons pas de quasi fonds propres et un prêt de restructuration et si nous ne parvenons pas à diminuer les coûts de l'ordre de 50 millions d'euros, nous sommes alors dans une situation de dépôt de bilan. »

S'agissant de la modification de la structure juridique de l'entreprise, du fait du départ de M. Bachelet, il était urgent de remplacer le mandataire social par lui-même. M. Bachelet livre un autre éclairage sur le comportement de M. Corbet : « Il faut dire aussi que la transformation de la structure juridique de l'entreprise a été faite lorsque M. Corbet a compris que j'avais la prérogative, sans avoir besoin de son accord, de déposer le bilan. Vite, on a supprimé le président du directoire pour éviter qu'il ne lui vienne une idée saugrenue. J'avais pris rendez-vous avec le tribunal de commerce le 2 ou 3 janvier. Donc, on a transformé la structure juridique de l'entreprise pour être bien sûr qu'un président de directoire ne prendrait pas des initiatives. »

3.- Le droit d'alerte, seul moyen pour le comité d'entreprise de disposer d'informations

Le degré de non information du comité d'entreprise d'Air Lib doit être souligné. Pour obtenir des éléments de réponse, il allait devoir déclencher un droit d'alerte, procédure qui en dit long sur la dégradation des relations sociales au sein de l'entreprise. Le droit d'alerte vise à provoquer une discussion avec les dirigeants. « Lorsque le comité d'entreprise a connaissance de faits de nature à affecter de manière préoccupante la situation économique de l'entreprise, il peut demander à l'employeur de lui fournir des explications. Cette demande est inscrite de droit à l'ordre du jour de la prochaine séance du comité d'entreprise», dispose l'article L. 432-5 du code du travail relatif au droit d'alerte.

M. Petit, délégué syndical ALTER, a déclaré : « Je vous livre encore un élément : vous lirez dans le procès verbal du 29 avril 2002 la réponse qu'il fait quand on lui demande ce qu'il ferait si demain Air Lib rencontrait des difficultés. Il répond clairement : « Non, je n'investirai pas ce que j'ai mis dans Holco dans Air Lib ». C'est-à-dire que dès le 29 avril 2002, il y a quasiment un an, M. Corbet avait déjà fait la séparation des pouvoirs et celle des intérêts. Il avait bien séparé Air Lib d'Holco. » Il est évident que de tels échanges ont nourri les angoisses et les soupçons des syndicats.

A cet égard, trois syndicats (Unac, Spac et CFTC) ont même cherché à faire saisir les actions détenues par Holco dans ses filiales à l'étranger (Holco Lux et Mermoz). Le 9 juillet 2002, les syndicats ont été déboutés après l'examen au fond de leur demande.

La mise en œuvre du droit d'alerte a été extrêmement difficile du fait des obstacles posés par la direction. Mais, le 12 avril 2002, l'inscription de la discussion de la procédure d'alerte à l'ordre du jour d'une réunion du comité d'entreprise n'ayant pu être obtenue, une ordonnance en référé du tribunal de grande instance de Créteil fixe l'ordre du jour du comité d'entreprise pour le mois d'avril. Cet ordre du jour prévoit notamment une discussion et un vote sur le déclenchement de la procédure de droit d'alerte.

Le 9 avril, M. Bonan, expert-comptable, est mandaté par le comité d'entreprise pour l'assister. Lors de son audition, M. Bonan a indiqué avoir eu les plus grandes difficultés à se procurer des documents. Les rares qui lui auraient été montrés constituaient des pièces comptables inutilisables. Il aurait à cette occasion constaté le grand retard dans la tenue des compte d'Air Lib. Plusieurs témoins auditionnés ont également indiqué à la commission d'enquête que la gestion comptable d'Air Lib posait problème. Me Lafont, mandataire puis conciliateur, a admis que les comptes étaient en retard jusqu'au mois d'octobre 2002, soit quelques semaines avant la liquidation. M. Marty, du cabinet Mazars et Guérard a estimé : « Les comptes permettaient d'avoir une certaine information, mais ils n'étaient pas suffisamment à jour, compte tenu de la complexité des opérations traduites que représente l'exploitation d'une compagnie aérienne, pour être considérés comme suffisamment utilisables pour pouvoir réaliser nos travaux. »

Quant à Holco, M. Corbet aurait indiqué à M. Bonan qu'il ne disposerait d'aucun document puisque M. Bonan était mandaté par le comité d'entreprise d'Air Lib. Des courriers de l'inspecteur du travail des transports à la direction d'Air Lib confirment les propos de M. Bonan et l'inspecteur a, à de nombreuses reprises (les 30 mai, 5 juin et 25 juin 2002), engagé M. Corbet à résoudre ces difficultés. Ces courriers fermes n'ont pas suffi. Pourtant, l'employeur ne peut se soustraire aux demandes d'explications du comité d'entreprise dans le cadre du droit d'alerte car ce serait un délit d'entrave passible de sanctions pénales.

Le 9 juillet, Air Lib est condamné en référé par le tribunal de grande instance de Créteil à communiquer, sous astreinte, des pièces comptables à M. Bonan. Pour autant, ce dernier, malgré la décision de justice, n'aurait pas davantage disposé des documents par la suite. L'astreinte a été liquidée le 2 décembre 2002.

Me Lafont, mandataire puis conciliateur pour Air Lib, a indiqué à la commission d'enquête : « M. Bonan est la source d'information dont je me défierais le plus ; elle est tendancieuse et mal informée. » Mais, au-delà de M. Bonan, les faits et les décisions de justice sont là pour démontrer la mauvaise volonté de la direction d'Air Lib à communiquer des pièces comptables aux représentants des salariés.

B.- DES PROJETS DÉFICITAIRES

1.- Le pari perdu d'Air Lib Express

Le produit Air Lib Express consistait à commercialiser sur les lignes intérieures des billets à des tarifs très avantageux, proches de ceux des compagnies dites bas coûts. La mise en place du projet bas tarifs peut être analysée comme une réponse à la concurrence croissante d'Air France sur le moyen courrier. En effet, la compagnie avait développé le système de la Navette et un programme de fidélisation qui privaient Air Lib des clients à « haute contribution », les plus recherchés. Le projet bas tarifs représentait l'ultime tentative pour sauver une part importante de l'activité d'Air Lib (près d'un tiers de l'activité) en s'implantant dans le secteur touristique15.

Le rapport KPMG Consulting France, Audit des conditions d'exploitation des différents réseaux d'une compagnie aérienne, remis à la direction générale de l'aviation civile le 15 juillet 2002, dresse un panorama du potentiel commercial européen des compagnies « bas coûts ». Ces dernières ont transporté 4% des passagers européens en 2000, contre 25 % aux Etats-Unis et, d'après le rapport, leur part de marché devrait atteindre 15 à 20 % en 201016.

Les effets du 11 septembre ont très certainement incité Air Lib a modifier sa stratégie commerciale. Air Lib a dû réagir rapidement pour trouver un positionnement propre sur le marché du transport aérien. Des essais ont donc été menés en novembre 2001 sur les produits bas tarifs et Air Lib Express a été lancé le 31 mars 2002 vers six destinations (Nice, Toulouse, Toulon, Lourdes, Perpignan et Marseille).

Air Lib Express ne correspond pas au modèle des compagnies « bas coûts » (flotte homogène utilisée au maximum, desserte d'aéroports secondaires, distribution directe privilégiée, localisation dans les pays anglo-saxons) et doit donc être considéré comme un produit « bas tarifs ». Il était envisagé, à moyen terme, d'appliquer les bas tarifs aux lignes moyen-courrier internationales et de développer des synergies avec d'autres compagnies17.

a) Le lancement du produit bas tarifs n'a pas été précédé de la nécessaire diminution des coûts d'exploitation, ce qui a rapidement condamné l'expérience

Dès juillet 2002, les experts sont réservés sur le sort d'Air Lib Express et préconisent un abaissement important des coûts d'exploitation.

Les difficultés liées à la concurrence du TGV sur la ligne Paris-Marseille ont été soulignées et le prix de vente moyen du coupon de vol (le « prix moyen coupon » sur une ligne est la référence permettant de synthétiser les très nombreux tarifs souvent pratiqués pour un même vol) y a été jugé « dangereusement faible »18. Une éventuelle fermeture de la ligne est évoquée. Pour trois autres lignes, le prix moyen coupon apparaît préoccupant pour le cabinet KPMG Consulting France (Orly-Toulouse, Orly-Perpignan, Orly-Lourdes).

L'ensemble des charges devaient être abaissées pour se rapprocher des standards des compagnies « bas coûts » dont les coûts d'exploitation sont inférieurs de 30 % à 40 % à ceux des compagnies classiques. A cet égard, le rapport KPMG Consulting France préconisait notamment de favoriser les ventes directes (Internet, centres d'appels), sans qu'il soit pour autant jugé possible d'atteindre les standards des compagnies « bas coûts ». En outre, Air Lib prenait le risque de la désaffection des agences de voyage pour les autres produits Air Lib. Il apparaissait également nécessaire d'accroître l'utilisation des avions et de limiter le nombre des personnels navigants à bord.

Le Rapporteur ne peut manquer de s'interroger sur le sérieux des équipes ayant mis en place Air Lib Express. Il apparaît très nettement qu'Air Lib n'était pas structuré pour de telles offres et proposait des prix d'appel trop faibles pour espérer rentabiliser l'activité sans procéder à une refonte globale des modes d'exploitation.

M. Lafosse-Marin, délégué syndical UNAC (Union des navigants de l'aviation civile) d'Air Lib, a, comme plusieurs témoins auditionnés, indiqué qu'Air Lib n'était certainement pas structuré pour le bas tarif : « Quant au moyen courrier, nous avons attendu cinq mois avant d'instaurer le low-cost ; les avions se sont alors remplis. Remplir un avion n'est pas un problème, gagner de l'argent est plus difficile ; or vous ne pouvez pas gagner de l'argent en lançant des prix d'appel à 29 euros. L'heure de vol d'un MD83 étant de 40 000 francs, avec de tels tarifs, il faut remplir l'avion à plus de 100 % pour faire des bénéfices. Par ailleurs, si vous prenez les exemples de ce qui se fait de mieux en low-cost en Europe, à savoir par des compagnies comme Easy Jet et Ryanair, vous constatez que les ratios de personnel sont de l'ordre de quatre personnels navigants pour un personnel sol. Le low-cost suppose en effet des économies de personnel au sol, via la sous-traitance notamment. Nous, nous étions à un rapport de un pour un. Or on ne peut pas faire du low-cost avec un tel ratio. »

Contrairement à ce qu'affirme M. Corbet, les difficultés structurelles n'ont pas été résorbées après l'été comme le montre le projet de rapport Secaphi-Alpha. Si les taux de remplissage sur Air Lib Express apparaissaient satisfaisants (76 %), le prix moyen des billets était trop faible pour permettre la survie de l'activité. Le rapport souligne que « le PMC [prix moyen coupon] de l'activité express est proche de celui de Ryanair (56 euros) mais nettement inférieur à celui d'Easy Jet (85 euros). Or, celui d'Easy Jet devrait servir de référence dans la mesure où, contrairement à Ryanair, Easy Jet dessert des aéroports majeurs à taxes aéroportuaires élevées. »19

Me Hubert Lafont, mandataire puis conciliateur, n'a pas porté la même appréciation puisqu'il a affirmé : « A titre indicatif, fin septembre, les vols « bas coûts » ne perdaient en court courrier que deux ou trois millions d'euros, ce qui était négligeable au regard de 103 millions sur les Antilles. Il y avait donc une tendance à la remontée des recettes qui faisait que l'on devait parvenir à l'équilibre ». M. Corbet a également avancé cet argument.

Or, les chiffres fournis dans le rapport remis au comité d'entreprise, pour l'ensemble de l'activité Air Lib Express et pour la ligne Orly-Figari (ligne dégageant des résultats positifs), ne corroborent pas cette appréciation de Me Lafont. Pour le mois de septembre 2002, les pertes se sont élevées à 4,61 millions d'euros, ce chiffre tenant compte des bons résultats de la ligne Orly-Figari20. Les pertes ont été, pour chaque ligne, systématiquement supérieures à 20 % du chiffre d'affaires. « Plus grave, les résultats ne s'améliorent que peu au cours de la période et les mois d'été sont restés médiocres », est-il précisé21.

En conclusion, « compte tenu de l'ampleur des pertes, la réalisation d'économies conséquentes ne sera pas suffisante. Une remise à plat du produit et des destinations desservies est impérative. »22

b) Une forme illégale d'intéressement du personnel navigant commercial

L'activité Air Lib Express semble avoir été lancée dans l'improvisation. Le cas des rémunérations des personnels navigants commerciaux est, à cet égard, éclairant.

La direction avait mis en œuvre un moyen de faire baisser les coûts des vols qui consistait à faire effectuer le nettoyage des avions à l'arrivée par les personnels navigants commerciaux plutôt que de recourir à des intervenants extérieurs. En échange de ce surcroît de travail, les personnels voyaient leur rémunération augmenter. En effet, ils pouvaient se partager les recettes des ventes à bord de produits achetés par la compagnie. La compagnie ne payait pas de charges sur cette partie de la rémunération et la tentation était grande, pour les salariés concernés, de ne pas déclarer ces revenus.

M. et Mme Termignon, délégués syndicaux du Syndicat national du personnel navigant commercial, ont fait part de la confusion dans laquelle les questions relatives aux commissions du personnel navigant commercial ont été traitées :

« M. le Rapporteur : Vous faites tous deux partie du personnel navigant commercial. Pouvez-vous nous confirmer les propos de vos collègues de la CFTC, selon lesquels il existait des pratiques assez étranges : le personnel navigant était autorisé à vendre des boissons, des sandwichs, achetés par la compagnie, le personnel navigant commercial se partageant le fruit de la vente pour améliorer sa rémunération. Avez-vous constaté ces faits ?

M. Philippe TERMIGNON : Chez Air Lib, les choses se sont toujours faites rapidement et un peu à contresens. (...) Nous ignorions les méthodes de services qui seraient pratiquées dans l'avion. La problématique des ventes a été évoquée deux jours avant son lancement. C'est là que la direction a décidé que l'on commencerait ainsi et que l'on verrait par la suite. C'est un chantier resté inabouti. Il aurait fallu trouver une solution, mettre cela aux normes. C'est un chantier qui n'a pas été entrepris.

M. le Rapporteur : Concrètement, en tant que personnel navigant commercial pouvant vendre des produits achetés par la compagnie, que faisiez-vous de la recette ?

Mme Sofia TERMIGNON : Elle était partagée entre tous les membres de l'équipage, hors le personnel navigant technique, c'est-à-dire les pilotes.

M. le Rapporteur : En qualité de représentants du personnel, n'avez-vous pas fait remarquer qu'il s'agissait de travail au noir ...? Et que l'on courait à la catastrophe ?

Mme Sofia TERMIGNON : Si, si.

M. le Rapporteur : La direction n'a-t-elle pas réagi ?

Mme Sofia TERMIGNON : Le sujet a été débattu dans le cadre de deux comités d'entreprise avec une solution : on attendait une autorisation de Bercy. »

Cette rémunération ne portait pas sur des sommes négligeables, comme l'a démontré M. Duhayer, délégué syndical CFTC et ancien responsable du personnel navigant commercial : « Cela peut faire sourire, mais sachez tout de même que chaque personne concernée percevait au noir entre 4 000 et 6 000 francs par mois ; 300 ou 400 personnes touchant entre 4 000 et 6 000 francs par mois pendant huit ou neuf mois, voyez combien cela peut faire ! »

M. Corbet a, lors de son audition, confirmé l'existence de cette rémunération et a indiqué que son directeur financier était chargé de négocier avec les services fiscaux un accord spécifique. Cependant, lui-même n'a pas pu préciser dans le détail les modalités de la régularisation envisagée.

2.- La desserte de l'Algérie et de la Libye

La mise en œuvre des liaisons vers l'Algérie et la Libye ont révélé des failles importantes dans la gestion commerciale de la compagnie.

a) L'Algérie

La réouverture de la ligne Paris-Alger le 21 janvier 2002 a marqué une nouvelle étape dans le développement d'Air Lib. Le marché en cause était important et seule Air Algérie était présente sur la desserte de l'Algérie.

La position des autorités françaises a été résumée par Mme Bénadon, directrice des transports aériens : « Il faut savoir qu'aucun transporteur français ne desservait l'Algérie, en tout cas la ligne Paris-Alger, depuis le détournement de l'avion d'Air France à la fin de 1994. Les autorités françaises étaient donc satisfaites d'avoir un transporteur français à mettre en regard du pavillon algérien qui assurait 95 ou 99 % du trafic. En outre, je le répète, les perspectives de rentabilité étaient infiniment meilleures que sur d'autres destinations. »

Pour desservir cette nouvelle destination, Air Lib s'est associée à Khalifa Airways par deux type de contrats : un contrat relatif à l'assistance technique sur les aéroports d'Alger et d'Oran, d'une part, et un contrat commercial, d'autre part. Ce dernier contrat appelle plusieurs observations. Comme le soulignait le rapport KPMG Consulting France 23, Air Lib prenait ainsi le risque de s'appuyer sur un concurrent potentiel. Un bureau de représentation propre à Air Lib venait alors à peine d'être ouvert en juillet 2002 afin de ne plus dépendre uniquement de Khalifa Airways. Plusieurs personnes auditionnées ont indiqué que le rapatriement des produits des ventes constituait un problème réel, comme M. Fourier, délégué syndical CGT : « Il a été évoqué également la difficulté de rapatrier les fonds, les recettes faites en Algérie dans ces agences [les agence de Khalifa Airways]. »

Les résultats de la desserte de l'Algérie ont été positifs. Pour autant, cette activité de niche ne représentait que 5 % du chiffre d'affaires de l'exercice 2001/2002  Lib (soit 3,5 millions d'euros entre janvier 2002 et le 31 mars 2002) et ne pouvait pas, à elle seule, redresser la compagnie. Et, de toute évidence, le système de commercialisation était insatisfaisant.

b) La Libye

Suite à l'avis favorable du conseil supérieur de l'aviation marchande (CSAM) en date du 27 mars 2002, Air Lib a pu desservir la Libye à l'automne 2002. Air Lib avait indiqué au CSAM que, d'un point de vue commercial, les contacts pris auprès d'un certain nombre d'entreprises impliquées dans les échanges avec la Libye permettaient d'anticiper un accueil favorable. Le marché touristique vers la Libye aurait également été en pleine croissance. 6 000 passagers devaient être transportés dès la première année, puis 15 000 et 16 000 les années suivantes. M. Spinetta, président-directeur général d'Air France, porte, lui, un jugement très prudent sur l'intérêt commercial de la ligne Paris-Tripoli : « Honnêtement, nous n'avons manifesté aucun intérêt pour ces dessertes qui sont, d'ailleurs, d'un intérêt économique assez modeste. »

La ligne a été fermée après quelques semaines d'exploitation. Les raisons pour lesquelles cette ligne a été ouverte, ce contre la volonté des personnels navigants, ne sont pas claires. La réponse sommaire de Me Lafont, mandataire et conciliateur de la compagnie, démontre le manque de transparence auquel s'est heurtée la commission d'enquête sur ce sujet : « M. Xavier DE ROUX : M. Corbet avait dû faire une étude avant d'ouvrir une ligne. Pourquoi a-t-il ouvert une ligne dans de telles conditions ?

M. Hubert LAFONT : Parce qu'il n'y avait plus de ligne depuis 1983 ou 1984 qui desservait l'Europe du nord-ouest à partir de la Libye. La Grande-Bretagne et la France étaient autrefois desservies par UTA. Le seul moyen d'aller en Libye consistait à passer par l'Italie et Malte. »

Le Président a pu par lui-même constater qu'il était impossible de se procurer des billets d'Air Lib à Tripoli car aucune agence de la compagnie n'était présente sur place. Par ailleurs, les témoins auditionnés ont rapporté que les vols étaient vides.

Le Rapporteur ne peut que souligner la défaillance totale de la gestion pour l'organisation de la desserte de la Libye.

C.- UN CLIMAT SOCIAL PROFONDÉMENT DÉGRADÉ

Les qualités de leader syndical de M. Corbet ont contribué à son succès devant le tribunal de commerce de Créteil dans la mesure où, comme nous l'avons vu, elles lui ont permis de conquérir les suffrages des représentants du personnel. Elles pouvaient aussi impulser une nouvelle dynamique de groupe dans une entreprise minée par d'innombrables clivages. Force est de constater que la nouvelle équipe n'a pas su insuffler un esprit nouveau dans l'entreprise.

Il convient en préambule de souligner que des accusations délictueuses graves ont été portées devant la commission d'enquête. Il n'appartenait pas à la commission d'enquête de vérifier le fondement de ces accusations mais le simple fait que de tels propos aient pu être tenus dans ce cadre a démontré la profonde dégradation du climat social.

1.- Les relations des syndicats avec la direction se sont rapidement dégradées

Le projet de reprise de M. Corbet, décrit dans le jugement du tribunal de commerce de Créteil du 27 juillet 2001, prévoyait plusieurs mesures relatives au personnel.

La première partie du plan d'entreprise présenté le 26 juillet 2001 au tribunal de commerce de Créteil par M. Corbet était intitulée « L'indispensable refondation sociale ». Il est écrit dans ce document 24 : « Rebâtir une cohésion sociale à partir de l'homogénéisation des conditions d'emploi de tous les personnels en lissant les disparités actuelles est, pour ce qui concerne l'équité de traitement, plus qu'une ardente obligation, une absolue nécessité. »

L'harmonisation des statuts est clairement présentée comme un objectif prioritaire : « Faire cohabiter sur des postes identiques, dans de telles circonstances, des personnels aux statuts et aux conditions d'emploi différents relève d'une impossibilité absolue. (...) Dès lors, faire de l'harmonisation des conditions d'emploi (conditions de travail et conditions de rémunérations) un fil conducteur de cette première phase [il est ici question des phases de redressement de la compagnie] est un choix de management. »25 Suivent des éléments de démonstration détaillés démontrant la complexité des conditions d'emploi ainsi que les axes de la refondation pour chaque catégorie de personnel (personnel au sol, personnel navigant commercial et personnel navigant technique).

Me Lafont, désigné mandataire puis conciliateur par le tribunal de commerce de Créteil a, dans son exposé préliminaire, décrit les problèmes sérieux posés par l'existence de trop nombreux statuts :

« La deuxième difficulté est provenue du fait que, comme je l'indiquais précédemment, la société cédante, AOM-Air Liberté, résultait du rapprochement dans des conditions mal gérées de cinq ou six compagnies, ce qui amenait à constater l'existence de cinq ou six catégories de personnels, régis par des conventions collectives et des normes de salaires différentes et répondant à des organisations sociales différentes. A titre d'exemple, le comité d'entreprise de la nouvelle société qui avait repris 2 700 salariés en direct de l'ancienne, avait comme représentation sociale près d'une centaine de personnes car il y avait des sections syndicales pour chacune des anciennes compagnies. C'est ainsi qu'il y avait, par exemple, quatre ou cinq représentations CGT, avec un titulaire et un suppléant pour chacune, et qui ne se présentaient pas sous un front uni, mais avec des positions différentes et des langages différents. M. Corbet a donc eu de très grandes difficultés à gérer cet ensemble. J'ajoute qu'en ce qui concerne le statut proprement dit des personnels, il pouvait très bien se trouver que dans le même avion, le pilote, le co-pilote, le personnel navigant et commercial obéissaient chacun à des conventions collectives différentes. Ainsi en était-il du système des repos compensateurs ou des congés. »

M. Rochet a lui aussi souligné ce problème : « Nous étions face à un enchevêtrement social absolu. De mémoire, je peux citer le chiffre de 140 accords collectifs particuliers. »

D'après les informations transmises au rapporteur, seule la catégorie des personnels au sol a vu ses statuts harmonisés.

« M. le Rapporteur : Quelles mesures ont été prises ? La baisse de 10 % des salaires des pilotes contre 34 % des actions pour l'ensemble des salariés ? Le blocage des rémunérations du personnel navigant commercial ? L'harmonisation des statuts ? Pouvez-vous nous dire ce qui a été mis en œuvre ?

M. Gilles NICOLI : L'harmonisation des statuts, au niveau du personnel au sol. Le dernier accord a été signé pour une application au 1er août 2002. »

En ce qui concerne le personnel navigant commercial (hôtesses et stewards), les délégués syndicaux du Syndicat national du personnel navigant commercial (SNPNC), ont expliqué que seule une harmonisation par défaut avait eu lieu. En effet, les anciens salariés d'Air Liberté se sont simplement vus appliquer les accords des anciens salariés d'AOM, ce quinze mois après le début de la location gérance du fonds de commerce d'Air Liberté par AOM le 1er janvier 2001. Le 1er avril 2002, les accords des anciens salariés d'AOM ont donc été étendus au personnel issu d'Air Liberté. Un nouveau statut unique n'a pas été créé.

L'ensemble des témoignages recueillis s'accorde sur le fait que les tensions sociales qui avaient marqué la vie de l'entreprise sont réapparues dès l'automne 2001, soit quelques semaines seulement après la reprise d'AOM-Air Liberté par M. Corbet. Le terme d'autoritaire a été prononcé à plusieurs reprises devant la commission d'enquête pour qualifier M. Corbet.

Les déclarations de M. Fourier, délégué syndical CGT, attestent de l'amertume des acteurs sociaux: « De toute façon, les relations avec l'équipe Corbet se sont dégradées extrêmement rapidement, ne serait-ce que par la gestion du plan social de 2001. Nous avons vu qu'il nous faisait faire le « sale boulot ». On nous avait promis des choses claires, c'est-à-dire du dialogue social, des négociations et cela n'arrivait pas. Les relations se sont vraiment dégradées dès novembre-décembre 2001. »

M. Rousselin, président du tribunal de commerce de Créteil apporte un éclairage intéressant, car extérieur à l'entreprise : « Les conflits se sont apparemment vite institués entre les différents représentants du personnel et de la direction, c'est la raison pour laquelle Me Lafont avait été désigné comme mandataire ad hoc [dès le 9 janvier 2002]. La situation était devenue extrêmement difficile, d'une violence rare. Cela arrive dans les conflits sociaux, mais là on était dans des schémas extrêmement violents, de la part d'élus, de représentants du personnel, y compris apparemment entre eux d'ailleurs, car nous avons été abreuvés de tracts en tous genres. »

Me Lafont nommé notamment pour résoudre les difficultés sociales interviendra également en tant que conciliateur à partir du 14 novembre 2002 afin de faire aboutir les négociations entre l'Etat, Air Lib, Holco et IMCA, investisseur potentiel.

Les conflits ont parfois pu dégénérer et être tranchés devant le juge. Ainsi, Air Lib a engagé une dizaine d'actions contre des représentants syndicaux ou des syndicats. Air Lib a demandé l'annulation des désignations de sept personnes en qualité de délégués syndicaux et contesté la représentativité et l'existence légale de deux syndicats. Le tribunal d'instance de Longjumeau a, par une décision en date du 21 novembre 2002 relative à l'ensemble de ces affaires, soit déclaré les recours irrecevables ou sans objet, soit débouté Air Lib. Ces mises en cause ont été vécues par les personnes en question comme le moyen de les éloigner temporairement de la vie sociale de l'entreprise en mobilisant leurs efforts sur des procédures judiciaires.

Le climat régnant dans l'entreprise fin 2002 était de toute évidence déplorable.

2.- Les luttes de pouvoir internes au Comité d'entreprise autour du droit d'alerte

Les tensions entre les syndicats d'Air Lib ont pu être constatées par la commission d'enquête qui a souhaité débuter ses travaux par l'audition des représentants de six syndicats. La situation a longtemps été complexe du fait de l'histoire de la société. Des représentants de chacune des entités agglomérées au fil du temps étaient élus, ce qui ne facilitait certainement pas les débats. En outre, et c'est une caractéristique des entreprises de transport aérien, les trois catégories de personnel (personnel au sol, personnel navigant technique et personnel navigant commercial) devaient être représentées. Le syndicat majoritaire au sein du comité d'entreprise depuis le 25 juin 2002 est la CFDT. Le secrétaire du comité d'entreprise, M. Monnin, avait, dès la reprise, affiché son soutien envers les projets de M. Corbet. Son syndicat demeure aujourd'hui le moins sévère dans son appréciation des actions menées par le dirigeant d'Holco.

Air Lib a été condamnée, sous astreinte, le 9 juillet 2002, à communiquer à l'expert comptable mandaté par le comité d'entreprise dans le cadre de la procédure d'alerte le 29 avril 2002 les pièces comptables nécessaires à l'exercice de sa mission. L'astreinte a été liquidée le 2 décembre 2002.

Peu avant la liquidation de l'astreinte, soit le 25 novembre 2002, M. Bonan était démis de ses fonctions par le nouveau comité d'entreprise et aucun expert-comptable ne l'a ensuite remplacé. Les difficultés à retrouver un expert-comptable prêt à prendre la relève d'un collègue évincé ont été évoquées. Quoi qu'il en soit, la procédure d'alerte n'a jamais pu aller à son terme.

La CFDT a laissé s'éteindre la procédure mise en œuvre par une majorité différente. Ce syndicat n'avait d'ailleurs, dès l'origine, pas approuvé la mise en œuvre de la procédure de droit d'alerte.

Ces éléments témoignent de la dureté des conflits au sein de cette entreprise minée par des luttes catégorielle et de l'échec patent de Jean-Charles Corbet dans sa mission d'apaisement social revendiquée devant le tribunal de commerce de Créteil comme préalable à tout redressement de la compagnie.

Suite du rapport

N° 0906 - Rapport de la  commission d'enquête sur les causes économiques et financières de la disparitition d'Air Lib (MM. Patrick Ollier etCharles de Courson) (tome I)

1 N° 684.

2 En application de l'accord salaires contre actions, M. Corbet a acheté des actions d'Air France à raison de 40.000 francs par mois. Il a été interrogé sur ce point au cours de son audition du 27 mai.

3 Rapport n° 654 de M. de Courson, fait au nom de la Commission des finances, de l'économie générale et du plan, sur le projet de loi relatif aux entreprises de transport aérien et notamment à la société Air France, page 49.

4 Article L. 144-1 du code de commerce.

5 Elle-même détenue à 100 % par LUK  FIDEI, société de droit américain, détenue à 100 % par Leucadia National Corp, société d'investissement cotée à la bourse de New York.

6 Le CSAM expertise, parallèlement à la procédure judiciaire, les dossiers de reprise des compagnies aériennes. L'avis du CSAM est requis pour s'assurer de la recevabilité des plans au regard de la réglementation aérienne. Les avis sont transmis au ministre puis au tribunal de commerce.

7 Loi n° 85-98 du 25 janvier 1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises.

8 L'article L.620-1 du code de commerce (titre II du Livre VI intitulé « Des difficultés des entreprises ») dispose en son premier alinéa: « Il est institué une procédure de redressement judiciaire destinée à permettre la sauvegarde de l'entreprise, le maintien de l'activité et de l'emploi et l'apurement du passif. »

9 D'après l'article 4 du règlement (CEE) n° 2407/92 du 23 juillet 1992, un Etat ne délivre de licence d'exploitation à une entreprise que si elle est détenue et continue à être détenue, soit directement, soit par participation majoritaire, par des Etats membres et/ou des ressortissants d'Etats membres. Elle doit à tout moment être effectivement contrôlée par ces Etats ou ces ressortissants.

10 Récapitulatif et améliorations de l'offre présentée par la société Holco en vue de l'audience du 26 juillet 2001, page 16.

11 Récapitulatif et améliorations de l'offre présentée par la société Holco en vue de l'audience du 26 juillet 2001, page 17.

12 Secaphi-Alpha, Air Lib. Projet de rapport sur la situation de l'entreprise pour l'exercice clos le 31 mars 2002 et au 30 septembre 2002, page 81.

13 Dans le cadre d'un plan de cession suite à un dépôt de bilan, l'un des objectifs du plan de cession est l'apurement du passif. C'est le prix de cession, fixé souverainement par le tribunal (dans les limites de la proposition faite par le repreneur), qui permet de payer les créanciers. Dans le cas d'AOM-Air Liberté, le prix de cession avait été fixé à trois francs. Le repreneur n'a pas ensuite, en règle générale, à prendre en charge le passif de l'entreprise, sauf volonté contraire de sa part. A titre dérogatoire, seules les sûretés immobilières ou mobilières qui garantissent le remboursement d'un crédit qui a permis de financer l'acquisition d'un bien inclus dans le plan de cession bénéficient d'un régime favorable : le repreneur doit en effet assurer le remboursement des échéances dues à compter de la reprise. Le repreneur ne peut échapper à cette charge qu'avec l'accord des créanciers concernés.

14 Contrairement à ses engagements, à la date d'adoption du présent rapport, M. Corbet n'a communiqué aucun des documents promis lors de son audition.

15 Secaphi-Alpha, Air Lib. Projet de rapport sur la situation de l'entreprise pour l'exercice clos le 31/03/2002 et au 30/09/2002, page 21.

16 KPMG Consulting France, Audit des conditions d'exploitation des différents réseaux d'une compagnie aérienne, 15 juillet 2002, page 74.

17 Idem, page 78.

18 Idem, page 80.

19 Secaphi-Alpha, Air Lib. Projet de rapport sur la situation de l'entreprise pour l'exercice clos le 31/03/2002 et au 30/09/2002, page 24.

20 Idem, page23.

21 Idem, page 28.

22 Idem, page 28.

23 KPMG Consulting France, Audit des conditions d'exploitation des différents réseaux d'une compagnie aérienne, 15 juillet 2002, page116.

24 Récapitulatif et améliorations de l'offre présentée par la société Holco en vue de l'audience du 26 juillet 2001, page 12.

25 Récapitulatif et améliorations de l'offre présentée par la société Holco en vue de l'audience du 26 juillet 2001, page 20.


© Assemblée nationale