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N° 1455 - tome 2

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 25 février 2004.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE SUR  (1)
LES CONSÉQUENCES SANITAIRES ET SOCIALES
DE LA CANICULE

Président

M. Claude EVIN,

Rapporteur

M. François d'AUBERT,

Députés.

--

TOME 2

AUDITIONS

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

La commission d'enquête sur les conséquences sanitaires et sociales de la canicule est composée de : M. Claude Evin, Président ; MM. Pierre Lasbordes, Claude Leteurtre, Vice-présidents ; M. Maxime Gremetz, Mme Paulette Guinchard-Kunstler, Secrétaires ; M. François d'Aubert, Rapporteur ; MM. Jean-Paul Bacquet, Gérard Bapt, Patrick Beaudouin, Serge Blisko, Alain Claeys, Georges Colombier, Louis Cosyns, Bernard Depierre, Jacques Domergue, Mme Catherine Génisson, MM. Pierre Hellier, Christian Jeanjean, Mmes Nathalie Kosciusko-Morizet, Marguerite Lamour, MM. Edouard Landrain, Dominique Paillé, Jean-Luc Préel, Jean Roatta, Jean-Marie Rolland, Jean-Marc Roubaud, Xavier de Roux, Pascal Terrasse, Jean-Sébastien Vialatte, Philippe Vitel.

SOMMAIRE DES AUDITIONS

Les auditions sont présentées dans l'ordre chronologique des séances tenues par la commission (la date de l'audition figure ci-dessous entre parenthèses)

Audition de M. Jean-Paul PROUST, Préfet de police de Paris 99

Audition conjointe du général Jacques DEBARNOT, ancien commandant de la brigade de sapeurs-pompiers de Paris, et du commandant Jacques KERDONCUFF, ancien officier de presse de la brigade de sapeurs-pompiers de Paris 3737

Audition conjointe de Mme Anne BOLOT-GITTTLER, directrice adjointe du cabinet du ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, et de M. William DAB, ancien conseiller du ministre et directeur général de la santé 5959

Audition conjointe de M. Edouard COUTY, directeur de la DHOS, et de Mme Danielle TOUPILLIER, conseillère technique à la DHOS 8484

Audition conjointe de Mme Rose-Marie Van LERBERGHE, directrice générale de l'Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP), et de M. Dominique DEROUBAIX, ancien secrétaire général de l'AP-HP 106106

Audition de M. Gilles BRÜCKER, directeur général de l'institut de veille sanitaire (InVS) 129129

Audition conjointe de MM. Jean-Pierre BEYSSON, président directeur général de Météo France, et Jean-Claude COHEN, secrétaire de la commission biométéorologie à Météo France 149149

Audition de M. Jean-François MATTEI, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées 171171

Audition de M. Lucien ABENHAÏM, ancien directeur général de la santé 198198

Audition de M. Patrick PELLOUX, président de l'association des médecins urgentistes hospitaliers de France (AMUHF) 223223

Audition de M. Patrick LAGADEC, directeur de recherche à l'Ecole polytechnique 250250

Audition du Professeur Pierre CARLI, chef de service au SAMU de Paris 267267

Audition de M. Jean de KERVASDOUE, ancien directeur des hôpitaux, professeur d'économie de la santé au Conservatoire national des Arts et Métiers 292292

Audition de responsables des fédérations et syndicats d'établissements d'hébergement pour personnes âgées : Association des directeurs d'établissements d'hébergement pour personnes âgées (ADEHPA), Fédération des établissements hospitaliers et d'assistance privés (FEHAP), Fédération hospitalière de France (FHF), Fédération nationale des associations de directeurs d'établissements et services pour personnes âgées (FNADEPA), Syndicat national des établissements et résidences privés pour personnes âgées (SYNERPA) et Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (UNIOPSS) 305305

Audition conjointe de MM. Cédric GROUCHKA, conseiller technique au cabinet du ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, et Yves COQUIN, directeur adjoint de la DGS 344344

Audition de M. Nicolas SARKOZY, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales 370370

Audition conjointe des responsables des associations d'aide et de soins à domicile : Mme Danièle DUMAS, présidente, et M. Jean VERNET, délégué général de l'Union pour l'aide à domicile en milieu rural (ADMR), et de M. Emmanuel VERNY, directeur général, et Mme Frédérique DECHERF, directrice de communication et des ressources humaines de l'Union nationale des associations de soins et services à domicile (UNASSAD) 391391

Audition conjointe de MM. Jean-Jacques TREGOAT, directeur général de la DGAS, et Jean-Marie PALACH, ancien responsable de la mission Marthe sur la réforme des EPHAD au ministère de la santé, de la famille et des personnes handicapées 412412

Audition de M. Bertrand DELANOË Maire de Paris 433433

Audition de M. Marc PAYET, journaliste au Parisien 455455

Audition conjointe de Mmes Jocelyne WROBEL, Christine NONCIAUX et Annie TOUROLLE, auteurs du rapport de la mission d'expertise sur les effets de la canicule en Côte d'Or 472472

Audition conjointe de MM. Christian de LAVERNEE, Régis GUYOT et Didier MONTCHAMP, responsables du COGIC 500500

Audition conjointe de MM. Denis HEMON et Eric JOUGLA, de l'INSERM 517517

Audition conjointe de Mme Michèle FROMENT-VEDRINE, directrice générale de l'Agence française de sécurité sanitaire environnementale, et de M. Denis ZMIROU, directeur scientifique 533533

Audition conjointe de MM. François FILLON, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, et Hubert FALCO, secrétaire d'Etat aux personnes âgées 544544

Audition du Professeur Jean-Louis SAN MARCO 573573

Audition de M. Jean-Paul PROUST,
Préfet de police de Paris

(Extrait du procès-verbal de la séance du 29 octobre 2003)

Présidence de M. Claude EVIN, Président

M. Jean-Paul PROUST est introduit.

M. le Président : Mes cher(e)s collègues, nous entamons aujourd'hui le cycle de nos auditions en accueillant M. Jean-Paul Proust, préfet de police de Paris.

Monsieur le préfet, je vous souhaite la bienvenue devant cette commission.

Au-delà des travaux qu'a pu mener la mission d'information sur la crise sanitaire et sociale déclenchée par la canicule, au mois de septembre, et du rapport volumineux et intéressant qui en a résulté, l'un des objectifs de la commission d'enquête est de faire toute la lumière sur le déroulement des événements du mois d'août dernier et de cerner les éventuels dysfonctionnements qui peuvent expliquer le manque de réactivité des pouvoirs publics face à la canicule.

La mission d'information, faute de temps, n'a pu clairement analyser le rôle des services du ministère de l'intérieur. J'avais personnellement demandé qu'elle puisse vous auditionner, ce qui n'a pu être le cas pour des raisons de calendrier et d'emploi du temps. Vous comprendrez aisément que, compte tenu des très nombreux décès survenus dans la capitale, nous ayons souhaité vous entendre dès le début de nos réunions. C'est en effet un éclairage qui nous a manqué lors des travaux de la mission d'information, que de pouvoir apprécier la mobilisation de l'ensemble des services de la sécurité civile.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, M. Proust prête serment.

M. Jean-Paul PROUST : M. le Président, mesdames et messieurs les députés, le mois d'août a été marqué par un événement sans précédent puisque la canicule a entraîné, dans la majeure partie du territoire hexagonal, une surmortalité qui a frappé, en premier lieu, les personnes âgées. Ce drame nous interpelle tous au-delà de nos responsabilités, au-delà de nos fonctions. C'est une crise, mais avant tout un véritable drame de société auquel les personnels de la préfecture de police de Paris ont fait face avec - je crois pouvoir le dire - courage et abnégation.

Je souhaite vous exposer ce qu'ont été le rôle et la mission de la préfecture de police et des services qui lui sont rattachés, durant cette période. Ensuite, je vous dirai quelques mots sur les dispositions que j'ai décidé de mettre en oeuvre pour être mieux préparé à faire face à de telles situations de crise dans l'avenir.

Avant toute chose, il m'appartient de rappeler - et ce point est important - que la préfecture de police, les services de police et la brigade des sapeurs-pompiers de Paris placée sous l'autorité du préfet de police, n'ont en charge ni la veille sanitaire, ni la régulation hospitalière. La préfecture de police ne dispose pas non plus de moyens de recensement du nombre de décès dans la capitale, du moins en temps réel.

La brigade des sapeurs-pompiers de Paris, dont la compétence territoriale s'étend au-delà de Paris sur les trois départements de la petite couronne (Val-de-Marne, Hauts-de-Seine et Seine-Saint-Denis), a pour mission de porter aide et assistance, par un secours immédiat, aux personnes qui ont composé le 18, qu'elles se trouvent sur la voie publique ou à leur domicile. Sa mission est, après avoir pris les premières mesures d'urgence, y compris médicales, de transporter ces victimes dans les services d'urgence hospitalière si cela est nécessaire et sans savoir, le plus souvent, ce qu'il advient des victimes transportées.

J'ajoute que ni les sapeurs-pompiers ni les services de police n'ont connaissance des décès intervenus dans les maisons de retraite ou à l'hôpital. Leur échappe également la majorité des décès intervenus à domicile, qui sont constatés le plus souvent par les médecins de ville. Leur terrain habituel d'intervention est la voie publique. Ainsi, tous les rapports quotidiens qu'adresse et qu'adressait la brigade des sapeurs-pompiers de Paris à mon cabinet, mentionnent uniquement le bilan des interventions de secours à victimes sur la voie publique, en précisant dans le commentaire qu'il n'y avait rien de particulier à signaler.

C'est pour cette raison que, contrairement à ce qui a pu être indiqué, la brigade des sapeurs-pompiers de Paris n'avait pas - pas plus d'ailleurs que les services de police - les moyens d'appréhender l'ampleur du phénomène de surmortalité, du moins avant le 12 août. En ne transportant qu'environ 15 % des personnes qui sont adressées aux urgences hospitalières et en ne disposant d'aucune information particulière sur l'activité des hôpitaux ou des maisons de retraite, la brigade des sapeurs-pompiers n'a qu'une vision partielle, empêchant toute communication d'informations fiables quant au nombre de morts et, plus encore, sur le lien pathologique entre les décès et la canicule.

Je précise qu'en temps ordinaire, on dénombre sur le ressort de Paris et des trois départements de la petite couronne, une moyenne de 95 décès par jour. La brigade a connaissance d'une moyenne de 9 ou 10 décès par jour environ, lesquels sont généralement intervenus sur la voie publique par accident, crise cardiaque ou autre. C'est le chiffre approximatif des constatations des décès que fait chaque jour la brigade, c'est-à-dire environ 10 % du nombre total de décès intervenus sur Paris et les trois départements de la petite couronne.

J'insiste sur le fait qu'aucun service - on peut le déplorer - ne disposait d'un outil statistique permettant de suivre en temps réel et de façon précise l'évolution de la mortalité. Avant le 12 août, ni les sapeurs-pompiers ni les services de police n'avaient les moyens de prévoir l'ampleur du phénomène qui se préparait.

En revanche, la préfecture de police a mis en place trois séries de mesures qui correspondent à autant de phases chronologiques du déroulement de cette crise.

En premier lieu, si au cours de la période du 5 au 12 août, personne n'a pu mesurer l'ampleur et la gravité de la crise qui allait survenir en termes de surmortalité, à compter de la nuit meurtrière du 11 au 12 août, il n'empêche que, dès le 5 août, un dispositif de suivi de l'activité opérationnelle quotidienne de la brigade des sapeurs-pompiers est mis en place, à l'initiative de la préfecture de police. Cette mise en observation résulte de l'évolution du nombre des interventions pour secours à victimes, comme en témoignent les rapports quotidiens que la brigade adresse chaque matin à mon cabinet. Nous observons effectivement, à compter du 5 août, une augmentation du nombre d'interventions de secours aux victimes sur la voie publique effectuées par la brigade de sapeurs-pompiers, généralement pour des malaises.

La brigade fait état, à ce moment-là, d'une activité soutenue pour ses interventions sur la voie publique. Elle disposait alors des capacités pour répondre à ces demandes en mobilisant pleinement ses effectifs. L'activité de secours à victimes s'intensifiant, une série de mesures sont arrêtées. Il s'agit en particulier de la mobilisation, dès le 8 août, des moyens des associations de secouristes.

Il est fait appel, par mon cabinet, à la Croix-Rouge et à la Fédération nationale de la protection civile, deux structures avec lesquelles nous avons coutume de travailler lors de circonstances exceptionnelles ou lors de grandes manifestations. Ces deux associations mobilisent, à compter du 8 août, l'ensemble de leurs moyens pour renforcer les centres de secours de sapeurs-pompiers. Elles proposent par ailleurs leur soutien aux activités de l'Assistance publique des Hôpitaux de Paris (AP-HP), dans l'hypothèse où celle-ci en exprimerait le besoin.

Dans le même temps, le 8 août, la brigade des sapeurs-pompiers fait appel à ses réservistes pour renforcer ses centres de secours. Ces derniers ainsi renforcés, je peux affirmer que la brigade des sapeurs-pompiers a eu les moyens pour répondre à tous les appels de secours et accomplir pleinement et au mieux sa mission.

En outre, la préfecture de police a demandé à la brigade des sapeurs-pompiers de communiquer au grand public, et notamment à l'occasion du week-end des 9 et 10 août, sur les risques qui s'attachaient à la persistance de la canicule et sur les mesures pratiques de prévention à mettre en oeuvre. A compter de cette date, de nombreux messages, provenant de la préfecture de police, diffusés par l'intermédiaire de la brigade et relayés par la presse, notamment audiovisuelle, attestent de ce souci de prévention.

La seconde phase débute le 12 août, lorsque l'institut médico-légal (IML), qui dépend de la préfecture de police, constate un afflux considérable de défunts et alerte mon cabinet. Elle s'achève le 18 août.

C'est en réalité suite à l'intervention de l'institut médico-légal que la préfecture de police a pris conscience de la gravité des problèmes, et non pas par l'augmentation du nombre de secours à victimes effectués par la brigade de sapeurs-pompiers sur la voie publique. C'est cette information de l'institut médico-légal, confirmée par les enquêtes que nous avions fait mener par les services de police, qui nous fait prendre conscience de l'ampleur de la crise en termes de surmortalité. Mais nous sommes déjà le 12 août.

Immédiatement, des contacts sont pris et dès le 13 août, mon cabinet, qui agit en tant que secrétariat général de la zone de défense, organise une série de contacts et de réunions entre les services de la préfecture de police, les services de la ville de Paris et les autres partenaires. Dans le même temps, des contacts sont également établis avec les préfectures des trois départements de la petite couronne.

Trois séries de mesures sont immédiatement prises. Elles concernent tout aussi bien les capacités d'intervention de secours que la prise en charge des personnes isolées ou l'accueil des défunts.

Tout d'abord, s'agissant de la prévention des risques d'hyperthermie, des postes de secours avec des équipes de secouristes, qui avaient déjà été mobilisés depuis quelques jours, sont implantés sur cinq sites de la capitale particulièrement fréquentés. Les équipes de secouristes renforcent également les centres de secours les plus sollicités.

En ce qui concerne les personnes isolées à domicile, même si la préfecture de police n'a pas la responsabilité des services de proximité aux personnes âgées, elle met toutefois, dès le 13 août, ses services - police et pompiers - à la disposition de la ville de Paris et notamment des centres communaux d'action sociale (CCAS). C'est ainsi que la ville de Paris, qui ne disposait pas de moyens suffisants au niveau de ces centres communaux d'action sociale, notamment pour le week-end du 15 août, nous a communiqué une liste de noms de personnes âgées supposées isolées.

Une cellule d'appel a été constituée. Composée de fonctionnaires bénévoles de la préfecture de police et de secouristes, elle a passé, durant la période du 15 au 18 août - période à laquelle la mairie avait sollicité notre relève - 3 500 appels téléphoniques. Cette cellule a contacté 1 882 personnes âgées pour s'enquérir de leur état de santé et voir s'il était nécessaire de faire une intervention à domicile.

Parallèlement, ont été mises en place, sous l'égide de la police urbaine de proximité, c'est-à-dire des commissariats de police des arrondissements, des patrouilles composées de policiers et de secouristes pour prendre contact sur le terrain ou à domicile avec les personnes âgées. Ce dispositif, composé de 1 400 policiers affectés à cette mission pendant cette période et de secouristes, a permis, outre le contact avec les personnes isolées à domicile et en détresse, la visite de 391 maisons de retraite, foyers ou associations. Par ailleurs, 2 231 personnes âgées ont été directement contactées sur la voie publique.

Cette action, qui n'est pas dans la mission même de la préfecture de police, a été conduite en pleine intelligence avec les services de la ville de Paris pour renforcer les moyens de proximité au plan social. Grâce à ces actions, plusieurs dizaines de personnes âgées en difficulté ont été secourues.

Enfin, nous avons dû veiller à ce que les structures d'accueil des défunts puissent faire face à l'afflux précédemment mentionné. C'est la raison pour laquelle les capacités d'accueil de l'institut médico-légal ont été doublées grâce à l'ouverture d'un site à Villejuif. D'autre part, a été organisé, avec les pompes funèbres générales, le site de Rungis.

La troisième période débute le 19 août. A compter de cette date et jusqu'au 3 septembre, l'action a consisté en la mise en place d'un processus spécifique d'inhumation des défunts au titre de la santé publique. En effet, l'afflux des personnes décédées ne devait pas conduire à engendrer un nouveau risque sanitaire pour la population. C'est ainsi qu'il m'appartient, en vertu des dispositions législatives particulières à Paris, de veiller à la prévention de tout risque épidémiologique.

A ce titre, j'ai donc pris deux mesures. D'une part, après avoir consulté l'ensemble des acteurs ainsi que les autorités judiciaires, j'ai été amené à porter le délai d'inhumation de six à dix jours, afin de faciliter pour les familles l'organisation des funérailles, en leur conservant toute la dignité qu'imposait la situation. D'autre part, le délai d'inhumation des corps déposés à l'IML et aux pompes funèbres de la ville a été porté jusqu'au 1er septembre, puis au 3 septembre, afin de permettre aux équipes, mises en place par la ville pour rechercher les familles, de travailler le plus longtemps possible pour en identifier le maximum.

Après ce rappel des faits, je souhaite vous faire part des mesures que j'ai décidé de prendre afin d'améliorer notre dispositif de gestion des crises pour l'avenir et de mieux anticiper celles-ci.

Tout d'abord, j'ai pris la décision d'élaborer un plan d'intervention « chaleur extrême » qu'il m'a paru utile d'élargir aux périodes de grands froids. Sera donc élaboré un plan « températures extrêmes » pour la zone de défense de Paris, qui correspond à la région Ile-de-France, et pour laquelle nous avons déjà rédigé le volet « grands froids ». D'ici quelques mois, nous disposerons également d'un chapitre « canicule ».

D'une manière plus générale, les crises et catastrophes que peut connaître notre société prennent des formes multiples et sont, par définition, celles que l'on n'attend pas. Leur survenance intervient à tous moments. Il peut s'agir d'une catastrophe technologique, naturelle, d'une pollution majeure, d'inondations dévastatrices, d'un risque sanitaire ou alimentaire, d'une paralysie d'un réseau routier, de risques biologiques, chimiques, radiologiques, cet inventaire n'étant pas exhaustif.

Le drame que nous avons vécu cet été souligne la nécessité d'une coordination active de tous les services en charge d'une mission de service public, dans le respect certes des compétences de chacun mais avec une meilleure mise en réseau de tous les services publics. Une coordination efficace ne se décide pas le jour de la survenue de la catastrophe ; elle se prépare en amont par des contacts permanents et réguliers, et par des habitudes de travail en commun. C'est la raison pour laquelle, en ma qualité de préfet de la zone de défense de Paris, j'ai décidé, conformément aux récents textes donnant des compétences élargies aux préfets de zone en la matière, de renforcer le dispositif de la gestion de crise de la préfecture de police.

A la lumière des différentes crises survenues les mois passés, notamment l'épisode intervenu l'hiver dernier dans les Yvelines lorsque quelques dizaines de milliers d'automobilistes ont passé la nuit sous la neige en raison d'un problème de mise en réseau des différents services publics, j'ai pris la décision de créer un état-major de sécurité civile doté d'un organisme de veille opérationnel permanent : le centre opérationnel zonal. Ces deux structures, d'une part, l'état-major, d'autre part, le centre opérationnel zonal, seront à pied d'œuvre début 2004.

Le centre opérationnel zonal est une structure de veille permanente qui sera animée par des policiers, des gendarmes et des sapeurs-pompiers. Cet outil exécutif aura pour mission d'être à l'écoute vingt-quatre heures sur vingt-quatre et de faire remonter le plus grand nombre possible d'informations, en provenance non seulement des sapeurs-pompiers, des policiers et des gendarmes, mais aussi des autorités sanitaires, des hôpitaux, des services d'EDF, des transports publics, de Météo France, des opérateurs de télécommunications et des collectivités locales.

L'objectif est de disposer, avec ce centre opérationnel zonal, d'une veille permanente avec une remontée permanente de toutes les informations de toute nature. De plus, cette structure de veille répercutera, deux fois par jour sur tous les acteurs, une petite brochure de deux pages qui comportera l'ensemble des informations essentielles à savoir. En temps ordinaire, ces informations ne concerneront peut-être que les conditions météorologiques ou les accidents importants intervenus. Néanmoins, deux fois par jour, toutes les autorités publiques, qu'il s'agisse des directeurs d'hôpitaux ou des maires de communes, recevront, en retour de la remontée d'information, une synthèse.

Il est très important que l'échange se fasse dans les deux sens. Ceux qui donnent l'information doivent avoir un retour, sinon ils ont l'impression que cette information se perd et que leur action ne sert à rien.

Il s'agit donc de remonter systématiquement toutes les informations vers ce centre opérationnel zonal.

Par ailleurs, l'état-major de la sécurité civile, qui aura une dimension interministérielle au niveau régional, recevra pour mission d'analyser et de synthétiser les informations, puis de les croiser ou de les compléter avec des réseaux d'experts. Il aura un noyau dur et pourra s'élargir. Il comprend d'ores et déjà un médecin, le directeur du SAMU 75 qui coordonne l'ensemble des SAMU de l'Ile-de-France. Certes, ce médecin ne connaît pas tout, mais il constitue un relais médical essentiel pour s'adresser aux réseaux d'experts. Et pour l'Ile-de-France, le réseau d'experts est d'une richesse extrême : en l'occurrence, toutes les compétences médicales de l'Assistance publique des hôpitaux de Paris.

Cet état-major aura pour missions d'analyser la situation sur la base de la veille du centre opérationnel zonal, d'anticiper sur les crises et d'intervenir comme structure d'aide à la décision. Ce réseau d'experts s'appuiera sur les services de la préfecture de police, mais aussi sur les directions départementales et régionales des services déconcentrés de l'Etat relevant du préfet de la région Ile-de-France, lequel m'a apporté son entier soutien dans cette démarche. Ces services déconcentrés -la DRAS, les DDASS, l'Equipement et tous les services de l'Etat relevant du préfet de la région Ile-de-France - seront, pour tout ce qui est gestion de la crise et anticipation des crises, à la disposition du préfet de police en tant que préfet de zone et responsable de la sécurité civile.

Les collectivités locales, qui ont un rôle majeur à jouer dans la gestion des crises, seront associées à la constitution de ce réseau d'experts et bénéficieront - je vous le disais tout à l'heure - d'un retour permanent d'informations, afin qu'elles puissent, elles aussi, être mises en alerte.

La crise que nous venons de traverser n'a fait que conforter mon entière détermination à moderniser notre dispositif de sécurité civile à Paris et dans le ressort de la zone de défense de Paris, et de l'étendre aux risques sanitaires. Soyez assurés que je tiendrai le plus grand compte des recommandations ou propositions que votre commission d'enquête pourra formuler.

M. le Rapporteur : Merci, M. le préfet, des précisions que vous avez apportées sur cette chronologie quelque peu difficile à établir, ne serait-ce que dans ses débuts. En effet, le premier rapport de l'INSERM montre qu'en réalité, la canicule a commencé le 4 août et que la mortalité a augmenté au niveau national dès le 4 ou le 5 août.

Je vous remercie également de nous avoir présenté les mesures qui ont été prises et qui seront opérationnelles dès le début 2004. En effet, d'autres risques majeurs que la canicule peuvent survenir et entraîner une crise grave.

Ma première question concerne la chronologie. La mission d'information a reçu un rapport chronologique en date du 17 septembre 2003, établi par votre directeur de cabinet, M. le Préfet Lalande. Ce dernier fait état d'une demande explicite du cabinet du préfet de police à la brigade de sapeurs-pompiers et à la direction de la police urbaine pour adresser, chaque jour, un état précis des secours à victimes auquel vous avez fait amplement allusion dans votre propos liminaire. Ceci a-t-il fait l'objet d'une demande écrite ou orale, parce qu'il est question d'une demande « explicite » et, s'il y a demande écrite, la commission d'enquête pourrait-elle en avoir une copie ?

Ma deuxième question porte sur l'alerte et son utilisation par rapport aux populations, car c'est bien là que se situe le problème. Le premier problème est celui de la remontée de l'information, puis l'usage fait de cette information de crise, en l'occurrence la montée des températures, voire le cumul, sur plusieurs jours, de températures élevées et la très faible amplitude entre les minima et les maxima, d'où une absence de refroidissement durant la nuit. Les conditions étaient donc très mauvaises et nécessitaient un besoin d'alerte des populations. Or le général Debarnot, ancien commandant de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris, a souligné que déjà le 8 août, il y a eu une sollicitation de la part des médias demandant des informations sur ce qui passait et s'il y avait des annonces à faire. C'est ainsi du moins que l'on peut l'interpréter.

Or il semblerait que la consigne donnée a été de ne pas évoquer le nombre de personnes décédées. C'est un choix de communication, mais en dramatisant la situation, on peut supposer qu'il y aurait peut-être eu des réactions plus rapides de la part des intervenants des réseaux ou des services publics, voire des familles et des personnes elles-mêmes. C'est un point d'histoire. Néanmoins la non communication a joué un grand rôle dans cette crise, tout au moins jusqu'à la période des 11 et 12 août, période prise en considération par la quasi-totalité des acteurs comme étant le début de la crise, alors qu'en réalité la crise avait commencé bien avant.

Une autre question concerne les mesures prises à partir du 15 août et dont vous avez fait état au travers des liens avec les CCAS de Paris. Ces mesures se sont traduites par des appels téléphoniques aux maisons de retraite, aux foyers, aux associations, aux personnes âgées elles-mêmes. On peut se demander pourquoi cette action n'a été déclenchée qu'à partir du 15 août alors que des signaux d'alarme avaient été perçus un peu plus tôt, notamment au travers des rapports très statistiques de la brigade des sapeurs-pompiers qui montrent une accélération, à des périodes bien déterminées, du nombre de personnes décédées.

Je voudrais également évoquer la question de l'information apportée par l'institut médico-légal et les services funéraires de la ville de Paris. Vous indiquez que l'IML n'aurait averti la préfecture de police que le 12 août. Or il semblerait, selon les auditions des responsables des services funéraires de la Ville devant la mission d'information, qu'il y aurait eu un contact avec la préfecture de police dès le vendredi 8 août, au cours duquel la saturation des funérariums aurait été évoquée. Nous avons donc un problème de date : est-ce le 8 août ou le 12 août que ce contact a été établi ?

Cette question n'a pas pour simple but de vérifier les dates, mais de comprendre par quel processus la situation a été améliorée, y compris avec les moyens du bord tels que la mobilisation d'un entrepôt réfrigéré à Rungis et de camions frigorifiques.

Enfin vous avez évoqué la question de la coordination. Quelle a été l'action du Centre opérationnel de gestion interministérielle des crises (COGIC) puisque la vocation de cet organisme est d'assurer la coordination entre les différents services de l'Etat ? Selon votre directeur de cabinet, il semblerait que, jusqu'au 11 août inclus, « aucune information ou analyse prospective de quelque service que ce soit n'ait permis au cabinet du préfet de police d'imaginer l'incidence de la canicule sur la mortalité ».

M. Jean-Paul PROUST : S'agissant de savoir si la demande d'un certain nombre de précisions dans les rapports de la brigade des sapeurs-pompiers était une demande écrite, je ne le pense pas. En revanche, j'ai là tous les rapports quotidiens de la brigade qui sont d'ailleurs à votre disposition. Chaque jour, les sapeurs-pompiers produisent un rapport d'interventions avec une page de commentaires.

Nous avons reconstitué ultérieurement le nombre d'interventions, à compter du 4 ou du 5 août, et l'avons comparé avec celui de l'année 1998, dernière année où nous avons connu un été très chaud, mais sans commune mesure avec la canicule de cet été. Comme lors de toute période de chaleur ou de froid, les sapeurs-pompiers interviennent davantage en raison de la recrudescence de malaises ou autres sur la voie publique.

A titre de comparaison, les 4, 5, 6 et 7 août, nous observons une différence relativement faible. Si je compare la journée du 4 août 1998 à celle du 4 août 2003, les sapeurs-pompiers ont effectué sur le ressort de Paris et des trois départements 639 interventions de secours à personnes en 1998 et 794 en 2003, soit 20 % de plus. Le 7 août, il y a 831 interventions en 1998 et 1 073 en 2003, soit 20 % de plus. Ces chiffres sont certes importants et supposaient de renforcer les centres de secours, mais nous n'y voyons rien d'exceptionnel, et ce jusqu'au 10 août. Le 10 août 2003, nous sommes encore à 1 010 interventions contre 820 interventions en 1998.

M. le Président : A quel moment ces chiffres remontent-ils à votre cabinet ?

M. Jean-Paul PROUST : Tous les matins, nous recevons pour la veille le compte rendu d'activité de la brigade des sapeurs-pompiers. Nous avons ressorti les comparaisons par la suite, mais les chiffres retraçant les interventions effectuées par la brigade arrivent en temps réel le lendemain matin. Cela se présente sous la forme de deux pages, plus une page de commentaires.

M. le Président : D'après la note rédigée par le général Debarnot, il semblerait que le dimanche 10 août, à 11 heures 41, après que l'officier de permanence a reçu à 10 heures 07 un appel téléphonique de votre cabinet lui demandant le nombre d'interventions pour secours à victimes pour le même jour, le cadre de permanence de votre cabinet indique qu'il a bien reçu le nombre de victimes sur la journée du 9 août et demande alors que les chiffres lui soient envoyés quotidiennement. Quand on lit le rapport du général Debarnot, on a le sentiment que ces statistiques n'étaient pas transmises quotidiennement.

M. Jean-Paul PROUST : Les rapports quotidiens de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris sont transmis quotidiennement depuis des années. D'ailleurs, je pourrais vous fournir, si vous le vouliez, tous les rapports quotidiens du mois de juillet.

M. Pierre HELLIER : Disposez-vous des chiffres de l'année précédente ?

M. Jean-Paul PROUST : Je ne les ai pas là, mais je peux vous les fournir. Par contre, les comptes rendus quotidiens ne font pas référence à l'année antérieure.

M. le Président : Je renvoie les membres de la commission au volume 2 des annexes du rapport de la mission d'information sur la crise sanitaire et sociale déclenchée par la canicule. Vous trouverez, après la page 492 me semble-t-il, les rapports de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris au jour le jour. Permettez-moi d'insister sur ma question précédente : lorsque je lis le rapport du général Debarnot, il est fait état d'un échange avec votre cabinet au cours duquel on demande au commandant de la brigade de transmettre quotidiennement les statistiques. Pourquoi, tout à coup, est-il expressément dit qu'il faut transmettre quotidiennement les statistiques, alors qu'a priori c'était la procédure habituelle ? A la lecture de ce passage, nous avons le sentiment que ces statistiques n'étaient pas transmises quotidiennement.

M. Jean- Paul PROUST : Je comprends votre question. Je pense qu'il s'agit là d'une conversation, et non pas d'une demande écrite, lors de laquelle le correspondant du cabinet a dû insister sur l'heure à laquelle devait être envoyé ce document. Mais je vous confirme qu'il est envoyé à mon cabinet, depuis des années, tous les matins et qu'il nous parvient dans la matinée. Peut-être a-t-on voulu accélérer les choses, ce jour-là, pour recevoir les statistiques plus tôt ? En effet, nous étions alors en train de constater une augmentation des interventions, et cela a attiré l'œil. Ces statistiques ont d'ailleurs explosé dans la nuit du 11 au 12, ainsi que les 12 et 13 août.

M. le Rapporteur : Sur ce point, quelles sont les sources d'information dont vous disposez tous les matins sur votre bureau, concernant les secours à victimes et les éléments qui auraient pu éventuellement donner plus fortement l'alerte ? Du côté des bureaux d'état civil, il n'y a pas grand-chose à attendre compte tenu des délais de délivrance des certificats de décès. Les statistiques des hôpitaux ne vous parviennent pas non plus. Qu'en est-il des statistiques de police secours ?

M. Maxime GREMETZ : M. le Président, vous-même et M. le Rapporteur monopolisez la parole alors que nous sommes un certain nombre à avoir des questions à poser à M. le Préfet de police.

M. le Président : M. Gremetz, je conduis les auditions de cette commission d'enquête et mon rôle ne se limitera pas à donner la parole aux uns et aux autres. J'aurai un certain nombre de questions à poser pour faire préciser aux personnes que nous auditionnons quelle est la manière dont ils ont vécu ces événements. M. le Rapporteur a posé des questions et il est important que M. le préfet de police lui apporte les précisions nécessaires. Ceci étant, j'ai pris bonne note de votre demande de parole et vous pourrez poser vos questions. Nous prendrons le temps qu'il faudra pour conduire nos investigations.

M. Jean-Paul PROUST : Tous les matins, je reçois très tôt les statistiques de police secours ainsi, d'ailleurs, que des statistiques beaucoup plus développées en provenance de la police sur la police secours, et également les mains-courantes et les commentaires que peuvent faire les services de police sur ce qui s'est passé au cours de la nuit.

Vous m'avez posé une question quant à la sollicitation des médias auprès de la brigade des sapeurs-pompiers, et notamment cette question qui touche au nombre des victimes. Je précise que les rapports quotidiens de la brigade ne mentionnent pas le nombre de personnes décédées. Le 8 août, il y a effectivement une communication téléphonique entre mon cabinet et la brigade des sapeurs-pompiers. Elle peut être qualifiée de conversation entre communicants, c'est-à-dire qu'elle vise à déterminer la politique de communication de la brigade des sapeurs-pompiers vis-à-vis de la presse au sujet de la crise. Tel était le contenu de la conversation. Ce n'était pas du tout une conversation de cadres supérieurs.

M. le Président : L'appel de 17 heures 53 à votre cabinet est celui de l'officier chargé des relations avec la presse, mais celui de 18 heures 07 est l'appel de l'adjoint du général Debarnot. Ce dernier n'est pas un communicant, c'est un des responsables de la brigade.

M. Jean-Paul PROUST : Certes, mais les communicants avaient déjà discuté au préalable. La brigade des sapeurs-pompiers a indiqué ce jour-là qu'il paraissait y avoir eu des décès dus à l'hyperthermie. Sans en évaluer le nombre exact, ils situaient ce nombre de décès à environ 7.

Il a été dit qu'il convenait de vérifier les informations. Pourquoi ? Parce que les pompiers ne connaissent pas avec précision le nombre de personnes décédées à la suite d'hyperthermie. Dans le cadre de leurs interventions, suite à un diagnostic très rapide, ils transportent des gens à l'hôpital, sans savoir ce qu'il advient d'eux par la suite. Mais ils ont constaté que 7 personnes pouvaient être décédées ou allaient décéder en raison de problèmes dus à l'hyperthermie. C'est ce qui a été rapporté par les sapeurs-pompiers.

Doit-on alors dresser un bilan ? Il a été convenu que nous n'avions aucun moyen pour ce faire. D'ailleurs, cela résulte également de la déposition du colonel Grangier devant la mission d'information qui, avec son médecin, constate qu'il n'a aucun moyen d'établir un bilan. Au demeurant, ce chiffre de 7 est ridicule quand on sait que tous les jours, les pompiers constatent une dizaine de décès sur les 95 qui surviennent dans leur zone de compétence.

Les interlocuteurs de ces appels téléphoniques ont convenu entre eux de ne pas dresser de bilan, car cela ne correspondait à rien et restait de toute façon de l'à-peu-près. Si nous avions communiqué ce jour-là sur 7 décès dus à la canicule et qu'aujourd'hui on constatait qu'il y en avait en fait plus de 100, nous aurions été accusés d'avoir considérablement minimisé le phénomène.

Ils ont donc convenu que la communication des sapeurs-pompiers devait être essentiellement axée sur les mesures à prendre pour se protéger de la chaleur. Il ne s'agissait pas de cacher le fait qu'il y avait eu des décès, mais de ne pas communiquer de bilans chiffrés car ils en étaient incapables. C'est à ce moment-là qu'ont été rédigés, en collaboration avec les médecins des sapeurs-pompiers et le SAMU, plusieurs communiqués préventifs diffusés sur les radios. C'est l'explication de ce chiffre de 7 décès.

M. Alain CLAEYS : Pour prolonger la question du Rapporteur, vous définissez bien, dans votre propos liminaire, vos sources d'information sur les interventions sur la voie publique. Mais à quel moment, lorsque vous avez ces indications qui ne sont que parcellaires, s'établissent des contacts avec les autres services de l'Etat, via le préfet de région ?

M. Jean-Paul PROUST : En ce qui concerne les contacts avec les autres services de l'Etat, il y a effectivement des contacts avec le SAMU.

M. Alain CLAEYS : Y a-t-il eu des réunions organisées à ce moment-là ?

M. Jean-Paul PROUST : Non. Les premières réunions se tiennent le 13 août.

Je répondrai maintenant aux autres questions. Pourquoi attendre la date du 15 août pour la mise en place des mesures d'appel et d'assistance à domicile et dans les maisons de retraite, par les services de police, les pompiers et les secouristes ? Parce que la demande en a été faite le 13 août.

Les CCAS de la ville de Paris ont commencé le 13 août à mettre en place ces procédures. Puis la ville de Paris nous a demandé, au cours de différentes réunions, de donner un coup de main pendant le week-end du 15 août, car il apparaissait qu'elle n'aurait pas suffisamment de personnels disponibles pour couvrir tout ce travail dans les arrondissements. En la matière, nous n'apportons que notre concours aux services de la ville, car nous sommes dans une compétence municipale d'assistance de proximité. C'est ce qui explique que la préfecture de police, avec des policiers, des pompiers et des secouristes, a secondé les services de la ville de Paris, pendant le long week-end du 15 au 18 août. C'est en accord avec la ville de Paris et à sa demande.

M. le Rapporteur : Qui participait à cette réunion du 13 août ?

M. Jean-Paul PROUST : Il y a eu plusieurs réunions ce jour-là, essentiellement avec les services de la ville de Paris. Elles étaient plutôt orientées vers le secours aux personnes.

Il y a eu également des réunions avec les organismes de secours, les pompiers et les services de police, ainsi qu'à la demande de l'IML, sur le problème des défunts. Y ont participé, outre les services de la ville de Paris, les services funéraires des départements périphériques et les pompes funèbres générales. Un certain nombre de réunions se sont donc tenues le 13 août sur les trois points que j'évoquais tout à l'heure.

M. Alain CLAEYS : Y a-t-il eu des réunions avec les services de l'Etat et le cabinet du ministre de l'intérieur ?

M. Jean-Paul PROUST : Il y a eu la réunion qu'a tenue le Premier ministre le 13 ou le 14 août.

M. le Président : Je reviens à la dernière question du Rapporteur sur la saturation des chambres funéraires. C'est non pas, comme l'a dit M. le Rapporteur, lors de la mission d'information, mais au cours d'une émission de télévision intitulée « Complément d'enquête », diffusée le 22 septembre sur France 2, que le directeur des services funéraires de la ville de Paris a fait référence à une demande qui aurait été formulée à votre cabinet le 8 août, sur le fait que déjà, à cette date, les services funéraires de la ville de Paris estimaient que le funérarium était saturé. Il aurait demandé, selon ce reportage, que dès le 8 août le funérarium du Père-Lachaise puisse être ouvert.

M. Jean-Paul PROUST : J'ai eu beau rechercher dans mes services, je n'ai pas eu connaissance de cette demande. En revanche, je tiens à votre disposition les chiffres quotidiens d'arrivée des dépouilles à l'IML qui, au-delà de sa vocation légale, sert un peu de morgue pour la ville de Paris. Vous constaterez que l'IML ne rencontre aucun problème d'accueil, si je puis m'exprimer ainsi, jusqu'au 11 août. Les arrivées massives ne commencent que dans la nuit du 11 au 12 août - quand vous regardez la chronologie, c'est une nuit meurtrière - et se poursuivent les 12 et 13 août. C'est donc le 12 août que commencent à se poser des problèmes. Mais jusqu'au 11 août, l'IML ne rencontre aucun problème. Selon les statistiques d'arrivée des dépouilles, jusqu'au 11 août, les chiffres sont quasiment dans la normale.

M. Georges COLOMBIER : Si je reprends les propos du directeur de l'ARH d'Ile-de-France, auditionné par la mission d'information dont j'ai été membre, selon lui, le fait le plus marquant de ce mois d'août 2003 a été l'ignorance du rôle de chacun dans le cadre d'une gestion de crise. Il estimait également que la gestion des crises doit demeurer du ressort des préfets de département.

Dans ce cas précis, doit-on considérer Paris comme un département à part entière ou bien alors la gestion des acteurs intervenant dans le cadre d'une crise doit-elle être assurée par la préfecture de police ou une autre instance - je connais très peu la région parisienne en termes d'organisation, mais vous avez parlé du préfet de la région d'Ile-de-France qui vous avait apporté son soutien - ?

Par ailleurs, pensez-vous que la mauvaise information sur le rôle de chacun soit une des causes de la surmortalité à Paris ?

M. Edouard LANDRAIN : Cette année 2003 n'a pas été la première année où la canicule a sévi. Nous avons tous en souvenir l'été 1976 dont les conditions ont été quasiment comparables. Y a-t-il eu, à cette époque-là, un plan mis en place ? Auquel cas, en avez-vous connaissance et a-t-il été respecté dès l'origine ?

Ma seconde question porte sur la liaison avec les services sociaux. Comme on le voit au travers des statistiques, le plus grand nombre de décès a eu lieu en milieu urbain, notamment dans la région parisienne où le drame de la solitude et de l'abandon semble avoir été plus fort qu'ailleurs. Dans les milieux ruraux où la solidarité joue encore, où l'on vit d'une façon plus humaine, beaucoup moins de décès ont été recensés. Dans certains endroits même, il y a eu moins de décès que les autres années à la même période. Un autre exemple est celui des gens du voyage dont les conditions de vie ne sont pourtant pas les meilleures : parmi eux, il n'y a eu, paraît-il, pas plus de décès qu'à l'habitude, mais il est vrai que les anciens sont extrêmement bien entourés.

Je voudrais vous demander si les CCAS de Paris et de la région parisienne avaient leurs effectifs en place et s'ils n'étaient pas affectés par les congés. Vous ont-ils spontanément informé de tous les renseignements que vous avez dû leur demander par la suite ou, au contraire, y a-t-il eu une espèce de vide entre les CCAS et vos services ?

Mme Paulette GUINCHARD-KUNSTLER : J'aurais quatre questions à vous poser. Vous nous avez donné, de façon très précise, les dates d'augmentation des demandes d'interventions des sapeurs-pompiers. J'aimerais savoir à quel moment il y a eu un sentiment de réalité quant à l'augmentation des demandes d'interventions.

Deuxième question : quelle analyse a été faite de l'augmentation des demandes d'interventions et quels en ont été les résultats ?

Troisième question : quel était le niveau d'information de l'ensemble des cadres de vos services et des intervenants sur le risque caniculaire vis-à-vis des personnes âgées ?

Enfin, vous avez clairement indiqué qu'il y a eu, après analyse des risques, un message et une diffusion aux médias. Quel était le contenu de ce message, à quel moment a-t-il été diffusé et à quels médias ? J'aimerais que l'on voit comment, concrètement, les médias ont repris les messages que vous avez donnés sur les mesures de prévention à prendre.

M. Jean-Marc ROUBAUD : La canicule a été imprévue. En revanche, vous avez plus l'habitude des procédures « grands froids ». Lors de ces procédures, qui vous alerte ?

Il est apparu à la mission d'information que la France est dotée d'une multitude de structures dont la complexité a peut-être accentué les difficultés à déceler cet événement. Je m'explique : parmi ces structures, on retrouve la direction générale de la santé (DGS), l'institut de veille sanitaire (InVS), l'ARH, les DDASS, la sécurité civile, l'INSERM, le COGIC, les CCAS, Météo France, etc. Bref, l'impression que nous avons eue, lors de cette mission, est que cette richesse a notoirement compliqué la tâche des uns et des autres. Je vous remercie de me donner votre avis sur cette situation.

M. Philippe VITEL : M. le Préfet de police, apparemment, à la lecture du tableau que vous nous avez faite tout à l'heure, il n'y a pas eu lieu de s'alarmer plus que de coutume vis-à-vis des chiffres, et ce jusqu'au 10 août. Néanmoins, le 8 août, vous faites appel aux associations. J'aimerais connaître les raisons de cet appel. A quel niveau d'alerte faites-vous appel à elles et pour quelles missions les avez-vous contactées le 8 août ?

M. Pierre HELLIER : La question est peut-être quelque peu prématurée dans le déroulement de cette réunion, mais je voudrais savoir, puisque vous avez réfléchi à la mise en place de centres opérationnels de veille, comment vous comptez collecter et répercuter les informations, en particulier sur les personnes isolées. Comment comptez-vous recenser et repérer ces personnes isolées ?

M. Gérard BAPT : Je voudrais revenir sur l'interrogation que vous avez rapporté avoir été la vôtre le 7 août, me semble-t-il, quand on vous a fait part de 7 décès par hyperthermie. Vous tenez alors un raisonnement selon lequel ce n'est pas un chiffre significatif. Vous décidez donc de ne pas le communiquer, semble-t-il. Il y aurait même consigne de ne pas donner d'informations en réponse au questionnement de la presse.

Avant de prendre cette décision lourde, pourquoi n'avoir pas cherché à surmonter les cloisonnements administratifs et à vous informer auprès des DDASS, des DRAS et des services d'admission en urgence ? En effet, 15 ou 25 décès pouvaient être d'ores et déjà enregistrés dans les services d'urgence et, dans ce cas, le chiffre de 7 devenait alors significatif.

Par ailleurs, s'agissant de l'augmentation de 20 % des interventions des brigades mobiles, avez-vous déterminé la part d'augmentation du nombre d'interventions auprès des personnes de plus de 65 ans ? C'est aussi un facteur très important. Avez-vous pris la décision d'avoir plus d'informations sur ce point avant de déclencher l'alerte ?

M. Christian JEANJEAN : Cet événement a été catastrophique. Si cette canicule se renouvelait, sur quels critères décideriez-vous d'intervenir ou pas, et dans quelle direction ? Avez-vous déterminé si les personnes en difficulté étaient en maison de retraite, à leur domicile, ou sur la voie publique ? Avez-vous pu établir l'origine du lieu de tous ces décès ? Sur quels critères réagiriez-vous si cela devait se reproduire ?

M. Dominique PAILLE : Je voudrais revenir sur la question de notre Rapporteur. En fait, le problème de la gestion de la crise s'est posé le 11 août au soir, lorsque le ministre de la santé est intervenu pour annoncer que la situation apparaissait maîtrisée. C'est à partir de là que la crise « politique » a pu germer. Or le ministre a fait cette déclaration sur la foi d'informations qui lui avaient été communiquées. Lorsque notre Rapporteur vous a demandé la raison pour laquelle, dans les jours qui ont précédé, il n'y a pas eu une véritable alerte des ministères concernés, vous avez répondu que vous aviez opté pour une communication rassurante. Cela a été décidé ainsi du fait que vous ne disposiez pas de tous les chiffres, ce que nous voulons bien croire. Néanmoins, vous aviez déjà quelques signaux d'alerte.

Ma question est la suivante : pourquoi n'avoir pas été rechercher plus loin des informations qui auraient pu vous conforter dans l'idée qu'il n'y avait pas de crise majeure à redouter et que vous étiez bien sur le bon ton lorsque vous rassuriez la population et les responsables politiques ? C'est un point qui mériterait d'être précisé.

M. Jean-Paul PROUST : La préfecture de police a autorité sur la police, les sapeurs-pompiers, et un certain nombre de services de police générale, non sur l'ensemble des services de l'Etat. Je ne dispose d'aucun médecin, hormis ceux en charge de soigner les policiers, qui soit capable de donner un avis. Je veux bien inventer les choses, mais je n'ai aucune compétence sanitaire et aucune compétence par rapport à l'Assistance publique des hôpitaux de Paris. Je le regrette. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle, dans les propositions que je formule sur l'état-major de zone de défense, j'ai demandé que toute l'information remonte et qu'il y ait des communications entre le réseau d'informations sanitaires et les autres réseaux. Mais je n'ai pas de compétence sanitaire.

L'Assistance publique des hôpitaux de Paris aurait pu me dire que je sortais de ma compétence si je lui avais demandé un bilan des décès survenus dans les hôpitaux parisiens. Or, ce n'était plus 7 décès qui étaient dénombrés par l'AP-HP, mais des chiffres précis et bien plus importants. Moi, je ne connaissais pas ces chiffres et jusqu'à aujourd'hui, je n'avais aucune compétence qui m'autorisait à les demander.

Si cet état-major de sécurité civile est créé, reconnu, s'il compte un médecin parmi ses membres et si toutes les administrations se trouvent dans l'obligation d'y faire remonter leurs informations, j'aurai la connaissance de chiffres précis. Toutefois, au mois d'août 2003, je n'étais pas en mesure de les avoir. Je tenais à rappeler cela, parce que c'est un point important.

M. le Président : Cela étant, avez-vous répercuté les informations dont vous disposiez sur d'autres administrations ? Certes, vous ne disposiez pas de l'ensemble des informations et, de ce fait, vous ne pouviez pas avoir toute l'appréciation possible de la situation. Néanmoins, certaines de vos informations, colligées avec d'autres, auraient pu être utiles. A qui avez-vous répercuté vos informations, notamment dès les 7 et 8 août ?

M. Jean-Paul PROUST : Nos informations sont diffusées selon deux cheminements administratifs. D'une part, la brigade des sapeurs-pompiers de Paris adresse ses informations quotidiennement au COGIC, qui relève de la direction de la défense et de la sécurité civile du ministère de l'intérieur. D'autre part, le préfet de police rend compte quotidiennement au ministre de l'intérieur.

M. le Président : Le COGIC a donc eu les informations dès le vendredi 8 août ?

M. Jean-Paul PROUST : Il s'agit des informations que les pompiers pouvaient lui donner, ni plus ni moins.

M. le Président : Toutefois, les responsables du COGIC ont indiqué, devant la mission d'information, qu'ils n'avaient commencé à s'alerter sur le sujet que le lundi 11 août, à la suite des déclarations du Dr Patrick Pelloux, parues la veille dans la presse du 10 août.

M. Jean-Paul PROUST : Je le répète, les informations des sapeurs-pompiers pour le 8 août n'avaient rien d'alarmiste. La réalité est que nous observons une augmentation des interventions sur la voie publique et que nous y répondons en installant des postes de secours et en renforçant les moyens en place. De son côté, la brigade rappelle ses réservistes pour être en mesure de répondre aux appels parvenant au 18. Elle fait son métier en répondant aux demandes de secours. Mais je suis désolé, je vous assure que le 8 août, la préfecture de police ne disposait pas des éléments lui permettant de mesurer la gravité de la situation, ni même la tendance. C'est d'ailleurs pour cela que j'essaie de mettre en place un état-major de sécurité civile.

M. Colombier m'a demandé s'il y avait une organisation spécifique à l'Ile-de-France et à qui devait revenir ce rôle de coordination. Je pense que les textes actuels sur l'organisation de l'Etat vont plutôt dans le sens de développer deux niveaux de compétence pour gérer les crises : le niveau de la zone de défense et le niveau du préfet de département.

Le niveau de la zone de défense est plutôt un lieu de veille, de regroupement des moyens pour être en mesure de gérer une crise de grande ampleur. Quant au rôle du préfet de département, dans notre système de droit, il a compétence pour gérer la crise, notamment les plans.

Cela étant, ce n'est pas une critique mais une constatation, le domaine sanitaire - et c'est une tendance lourde depuis trente ans - a progressivement échappé à l'autorité préfectorale. Des agences ont été créées. Quand je suis rentré il y a trente ans dans le corps préfectoral, le vrai tuteur vis-à-vis des directeurs d'hôpitaux était le préfet. Il ne se passait pas quelque chose d'important à l'hôpital sans que le préfet en soit informé. Or cela est terminé. Les hôpitaux et les autorités sanitaires sont complètement coupés des préfectures, à tort ou à raison, mais c'est une constatation de fait.

De plus, il y a cette particularité de l'Ile-de-France, qui est liée à l'histoire. D'une part, il y a la préfecture de police chargée de la sécurité publique et civile, et d'autre part, la préfecture de région qui a autorité sur les directions de l'Etat, notamment la DRAS et les DDASS pour ce qui nous concerne aujourd'hui. Pour autant, cela ne pose aucun problème de coordination entre les deux préfectures. C'est une question de bonne connexion entre la préfecture de région et la préfecture de police. Je peux vous affirmer que ce n'est pas source de problèmes. J'en veux pour preuve que la DDASS a participé à toutes les réunions dont j'ai fait état.

A la question de savoir si une mauvaise information sur le rôle de chacun est une cause de la surmortalité, je réponds non. La raison tient plutôt à la non-prise de conscience de la gravité de la situation avant le 12 août. Je considère que la date essentielle dans cette chronologie est le 8 août, où il se passe quelque chose sans que personne n'en perçoive la gravité. Les premiers articles de presse ne paraîtront que le 9 août.

M. le Président : Mais sur la base des événements du 8 août...

M. Jean-Paul PROUST : Toutefois les articles ne font mention que des urgences hospitalières et des hôpitaux. C'est Le Parisien du 9 août qui commence à évoquer la situation dramatique, mais avant il n'y a rien. Le 8 août, on aperçoit les premiers phénomènes au travers des malaises, mais encore une fois, ce n'est pas un phénomène extraordinaire. Le 12 août est une autre date pivot pour ce qui concerne la préfecture de police. Ensuite, il n'y a plus de date pivot. Les dates pivots me paraissent être les 8 et 12 août.

Je poursuis mes réponses. En 1976, il y a eu une canicule. A ma connaissance, je n'ai pas trace d'un plan canicule établi dans les services de la sécurité civile. On va y remédier, comme je l'ai indiqué dans mon exposé liminaire.

En ce qui concerne les liaisons avec les services sociaux, notamment les CCAS, je peux vous affirmer que, de ce point de vue, la préfecture de police n'a rencontré aucun problème dans la répartition des tâches, notamment avec les collectivités territoriales, et notamment avec la ville de Paris. Nous avons eu des réunions avec les CCAS dès le 13 août. Il y a eu une très bonne articulation. Il faut dire que la préfecture de police a une longue habitude de travail avec les services de la ville de Paris, et les contacts ont tout de suite été pris et les mesures coordonnées.

Encore une fois je le répète, si la préfecture de police a mis à disposition ses moyens, notamment entre le 15 et le 18 août, pour aider aux contacts avec les personnes âgées, c'est suite à la demande des CCAS qui avaient moins de moyens pendant cette période de long week-end. Nous leur avons donc donné un coup de main à leur demande. Non seulement il n'y a eu ni conflit ni discordance, mais de surcroît la coopération a été bonne entre les services qui ont fonctionné comme ils pouvaient. Tout n'est jamais parfait, mais ils ont fait au maximum de leurs possibilités et avec beaucoup de volontariat. Je le souligne parce que certains personnels ont pris leurs trois jours de week-end, sans être rémunérés un centime, pour téléphoner de 6 heures à 23 heures et envoyer à domicile les équipes pour visiter les personnes en difficulté. Ce sont des personnels de la préfecture de police qui ont accompli bénévolement ce travail.

Pour la préfecture de police, les deux dates pivots ont été le 8 août, lorsqu'un problème a été perçu sans pour autant en mesurer la gravité - je demande d'ailleurs qui pourrait me dire aujourd'hui qu'il avait mesuré la gravité de la situation le 8 août -, et le 12 août, lorsque nous avons constaté un nombre important de décès.

Il est vrai qu'au départ, il n'a été question que de 7 décès dont on ne connaissait pas l'origine. Mais il faut savoir apprécier les choses. Je vous rappelle quand même que tous les jours et pendant toute l'année, plusieurs sans domicile fixe meurent chaque jour et sont trouvés sur la voie publique. Chaque jour, une dizaine de personnes meurt sur la voie publique, dans le ressort de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris.

M. le Rapporteur : A l'examen des rapports quotidiens transmis par la brigade des sapeurs-pompiers, on constate quand même une augmentation assez importante, puisque le 7 août, on recense 917 secours à victimes. Certes, ce ne sont pas des décès, mais cela demeure néanmoins un indice fort.

L'élément qui pourrait perturber la statistique est le fait qu'il y a dix centres de secours. Si on analyse les données par centre de secours, cela ne donne sans doute pas des augmentations très conséquentes. Mais quand on totalise l'ensemble des interventions, on note quand même un bond puisque l'on passe de 613, le 2 août, à 917, le 7 août. C'est un peu erratique, mais il y a quand même une tendance. De plus, il fait très chaud et le bon sens peut faire craindre des difficultés liées aux températures.

M. Jean-Paul PROUST : Les secours à victimes sont à 99 % des malaises. Dans les statistiques d'une journée comme le 14 juillet, vous auriez des chiffres supérieurs. C'est ce qui justifie en soi la mise en place - ce qui a été fait - de postes de secours dans les lieux les plus fréquentés de la capitale pour porter assistance à des gens qui avaient des malaises. Ce ne sont pas des décès. Le 8 août, nous n'en sommes qu'à des interventions pour des malaises, mais le 12 août, ce sont des décès.

Vous m'avez demandé l'analyse que nous avions faite de la situation. Je vous répète que nous ne nous sommes absolument pas rendu compte le 8 août - et nous n'en avions aucun moyen - de ce qui allait se passer. Nous n'avons constaté, hélas, la gravité de la situation que le 12 août.

En ce qui concerne le niveau d'information sur le risque caniculaire, il n'est pas particulier à la préfecture de police qui ne dispose d'ailleurs d'aucun médecin. Mon souhait serait que, si on met en place une structure de veille au niveau de la région parisienne, non seulement un médecin puisse déterminer la gravité d'une situation, mais également consulter un réseau médical de santé. En effet, un médecin ne peut pas à la fois établir un diagnostic et anticiper une crise à lui seul.

Le préfet de police n'a ni la compétence ni la connaissance pour anticiper une catastrophe caniculaire, suite à l'augmentation du nombre de malaises constatés dans la rue. Je vous assure que non et je suis sincère en vous disant que non ! Telle est l'analyse que nous avons faite.

S'agissant des messages en direction des médias, nous n'avons jamais voulu minimiser la situation. Nous avons simplement souhaité donner à toutes les radios, des consignes rédigées par les médecins pour expliquer aux gens qu'il fallait boire etc. D'ailleurs, c'est la brigade des sapeurs-pompiers que nous avons utilisée comme support pour diffuser ces consignes, car les pompiers sont des professionnels écoutés.

Mme Paulette GUINCHARD-KUNSTLER : Pourrait-on avoir les messages concrets qui ont été donnés aux médias par vos services ?

M. Jean-Paul PROUST : Oui. Je pense que les médecins des sapeurs-pompiers ont également été en contact avec le SAMU 75 pour la rédaction de ces messages. Mais ce sont les médecins qui ont préparé ces consignes. Je ne vois pas qui d'autre pouvait rédiger de tels messages.

La question de M. Roubaud portait sur les procédures « grands froids » et la complexité des structures. Il est vrai que ces structures sont d'une très grande complexité, qu'elles sont multiples, mais il est vrai également que les catastrophes sont de toutes natures. Dans le cas présent, il s'agissait de la canicule, mais nous ne sommes pas à l'abri d'autres catastrophes. C'est la raison pour laquelle il me semble essentiel d'avoir des lieux de veille qui soient rattachés en réseau à tous les acteurs publics qui sont eux-mêmes très nombreux. Il faut une structure qui les informe. Non seulement les structures de l'Etat mais aussi celles des collectivités locales doivent être en mesure de fonctionner en réseau en situation de crise.

S'agissant de la question de M. Vitel, sur notre appel aux associations je rappellerai que les deux plus importantes associations, notamment en région parisienne, sont la Croix-Rouge et la Fédération nationale de la protection civile. Nous faisons appel à ces associations, qui sont d'ailleurs tout à fait volontaires pour cela, lorsque se produisent des événements importants, tels que des rassemblements publics. Elles sont présentes lors des cérémonies du 14 juillet, à l'arrivée du Tour de France. Nous les avons également associées à l'exercice PIRATOX simulant un accident chimique dans le métro, que j'ai organisé il y a quelques jours, pour qu'elles participent avec les sapeurs-pompiers aux entraînements en situation de crise. Elles sont très disponibles et disposent de personnels infirmiers et secouristes qui viennent nous aider pour mettre en place des postes de secours. Mais elles le font dans toute la France. Elles sont très dévouées et apportent un concours très positif aux services publics de secours.

Le 8 août, nous avons fait appel à ces associations en raison de cette augmentation des malaises. Le nombre d'interventions de secours sur la voie publique fait que l'on commence à les mobiliser et qu'elles vont effectivement ouvrir des postes de secours sur un certain nombre de points de la capitale, notamment près de la tour Eiffel et de Notre-Dame, là où il y a beaucoup de monde et de malaises. Quelques-unes vont être prêtées à l'Assistance publique des hôpitaux de Paris.

M. Philippe VITEL : Cette mobilisation signifie-t-elle que cela a dépassé le seuil des capacités d'intervention de vos services ?

M. Jean-Paul PROUST : Cela signifie que les sapeurs-pompiers, surtout en période de vacances, étaient en flux tendu. Ils avaient fait appel eux-mêmes à leurs réservistes et ils ont apprécié d'avoir du renfort pour les premiers secours.

M. le Rapporteur : Existe-t-il des normes d'alerte ? A partir d'un certain nombre d'interventions, les moyens des sapeurs-pompiers de Paris sont-ils renforcés ?

M. Jean-Paul PROUST : Pour les grands froids, où les choses sont plus organisées, car la situation est sans doute plus répétitive,...

M. Maxime GREMETZ : M. le Président, je m'élève contre les interruptions intempestives de M. le Préfet de police par M. le Rapporteur. Nous ne sommes plus à l'ère des privilèges et chacun a droit à la parole.

M. le Président : M. Gremetz, nous passerons le temps qu'il faudra à auditionner M. le Préfet de police. Je vous ai passé la parole tout à l'heure et vous avez refusé de la prendre ! Vous l'avez à nouveau demandée et vous l'aurez.

M. Jean-Paul PROUST : M. Hellier m'a demandé comment collecter des informations sur les personnes isolées. C'est une information qui est surtout de la compétence des collectivités locales, notamment des CCAS. Je peux vous indiquer que, dans le cadre du plan « grands froids » que nous élaborons avec la ville de Paris, cette partie-là est prise en charge par la ville. C'est elle qui établit la liste des personnes fragiles.

En réponse à M. Bapt, je suis désolé de dire que je n'ai aucune relation avec l'AP-HP. Le SAMU, qui est le régulateur pour le compte de l'AP-HP, ne dépend pas de moi. Je répète que je n'ai pas de compétence dans le domaine sanitaire. Encore une fois, je souhaite que, dans le cadre zonal - non pas en tant que préfet de police mais en tant que préfet de zone - il y ait une compétence sanitaire de coordination générale et de mise en réseau.

S'agissant des enseignements, j'indiquerai à M. Jeanjean que si j'ai tant parlé de la mise en réseau, c'est que pour anticiper une nouvelle alerte, il aurait fallu pouvoir rapprocher plusieurs éléments. Il faut certes avoir les éléments du terrain, notamment tous les éléments essentiellement en provenance des hôpitaux et des maisons de retraite, car c'est là qu'il y a eu le plus grand nombre de décès. Il fallait donc que toute l'information, que ce soit celle des hôpitaux, des policiers ou des sapeurs-pompiers, remonte à un seul point. A ce point-là, il convient d'avoir une équipe qui observe la réalité et croise alors ses informations avec celles remontées du terrain, avec les prévisions météorologiques et les données des experts médicaux. Ce sont les experts qui peuvent nous spécifier à partir de quel degré il y a danger pour l'homme.

A titre d'exemple, le phénomène de la rémission au cours de la nuit a été évoqué, mais c'est un élément dont nous avons pris conscience a posteriori, car ce sont les experts qui avaient la connaissance à ce sujet. Il aurait fallu disposer d'un lieu centralisant la remontée du terrain et d'une équipe pluridisciplinaire qui aurait observé la réalité et anticipé les problèmes éventuels. Auquel cas, les membres de cette équipe auraient pu demander des informations complémentaires à Météo France ou à tel ou tel professeur de médecine pour expertise.

Ma réponse est qu'il faut avoir ce lieu qui comporte et une cellule de veille permanente et un état-major capable d'aider à la décision, car capable d'approfondir et d'anticiper, à partir de cette veille, toute question.

M. Pierre HELLIER : Pour confirmer vos propos, avez-vous des chiffres précis sur les décès survenus dans les maisons de retraite ?

M. le Président : Les chiffres cités dans le rapport de l'INSERM corroborent le propos de M. le préfet de police.

M. Maxime GREMETZ : M. le Président, j'attends que l'on me donne la parole.

M. le Président : Mais vous l'aurez, M. Gremetz. Vous l'aurez.

M. Serge BLISKO : En tant qu'élu parisien, je reconnais là un certain nombre de difficultés sur lesquelles M. le préfet de police a insisté, notamment le cloisonnement parfois difficile entre les différents services et le fait que la préfecture de police n'a aucune compétence sanitaire. On peut le regretter, mais c'est ainsi.

J'en viens à mes questions. Tout d'abord, si je suis familier avec les arcanes parisiens, je le suis moins avec la fonction préfectorale. Le préfet de police a-t-il autorité pour appliquer à Paris ces fameux plans d'organisation des secours en période exceptionnelle (ORSEC) que tous les préfets peuvent mettre en œuvre ? Avez-vous des niveaux d'alerte qui vous indiquent le moment où vous devez mettre en place un plan ORSEC ? J'aimerais avoir des éclaircissements sur ce point car je comprends mal où se situe le niveau d'alerte dans une métropole telle que Paris.

A titre incident, je voudrais confirmer ici que les DDASS de l'Etat sont très ténues en termes d'effectifs et de missions par rapport à ce que l'on a connu dans les années 1970. On ne trouve plus ces grands services d'épidémiologie, de vaccination qui auraient pu permettre de donner l'alerte.

Enfin, comme il est de tradition républicaine, vous avez un contact quotidien avec le ministre de l'intérieur. Du 8 au 12 août, l'informez-vous directement, ou son cabinet, que quelque chose commence à apparaître entre ces deux dates pivots ?

M. Maxime GREMETZ : J'ai lu avec attention les documents que nous avons eu du mal à obtenir de la préfecture de police et que nous avons enfin obtenus lors des travaux de la mission d'information. Il s'agit notamment du rapport de M. Michel Lalande, préfet, directeur de votre cabinet, du rapport du général Debarnot, alors commandant de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris, du rapport de M. Pierre Lieutaud, sous-préfet, chef de votre cabinet, sans compter toute une série de documents, dont votre intervention en date du 22 septembre 2003 devant le Conseil de Paris ainsi que les rapports quotidiens de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris pour ce qui concerne son activité opérationnelle. Dans ces documents, on retrouve différents échanges de courriers.

Je voudrais souligner plusieurs éléments qui me surprennent beaucoup. Tout d'abord, le 4 août, les agents de Météo France lancent une première alerte et la renouvellent le 7 août, en indiquant que, jusqu'au 14 août, la canicule va s'accentuer. Par ailleurs, le Dr. Pelloux lance un cri d'alarme à la télévision, ce qui lui vaudra des critiques du genre : « il dramatise et il veut se faire voir à la télévision ». Nous avons également le témoignage, devant la mission d'information, du Pr. Carli, responsable du SAMU, et qui nous a dit que toute la nuit du 7 au 8 août, il réfléchit et se demande ce qui se passe. Il estime qu'il n'est pas normal d'avoir un tel afflux. Puis il pense à ce qui s'est passé à Chicago en 1995 et qui risque de se reproduire à Paris. Il alerte alors différentes instances, notamment le secrétariat du ministre de la santé. Rien ne se passe. Puis d'autres éléments viennent nous confirmer cette inertie.

Le rapport de M. Pierre Lieutaud explique ce que vous avez indiqué tout à l'heure, à savoir qu'il téléphone au colonel Grangier qui lui indique qu'il y a eu 7 décès et lui demande des consignes de communication vis-à-vis des médias. Comme ils ne sont pas certains de leur affaire, ils préfèrent calmer les choses et ne pas dramatiser. C'est ce qui est dit dans tous ces documents.

M. Michel Lalande rapporte que la préfecture de police reçoit des informations des pompiers et estime qu'il y a quand même des éléments perturbants dans tout cela.

Ma question est celle-ci. Tout le monde sent que la situation est particulière, notamment dans l'Ile-de-France. Moi-même j'étais en Baie de Somme et je l'ai senti. Je suppose qu'à Paris, c'était encore plus flagrant. Comment se fait-il, dans ces conditions, que personne n'intervient, alors qu'il y a les alertes du Dr. Pelloux ? Le 8 août, le Pr. Carli dit qu'on est à la veille d'un drame sanitaire. Le 8 août, personne ne bouge. Où est le ministre de la santé ? Où est le ministre de l'intérieur ?

Les responsables du COGIC ont défini leurs missions par rapport au traitement de la crise quand elle est déclenchée et non par rapport à l'alerte. Ils ont souligné n'avoir été alertés que vers le 13 août. Pourtant le COGIC, selon les termes de sa mission, est bien chargé de prévenir et de traiter les crises auprès du ministère de l'intérieur ! C'est quand même extraordinaire qu'il n'ait été informé de rien !

M. le préfet, êtes-vous bien sous l'autorité du ministre de l'intérieur ? Je sais que le préfet de la Somme a téléphoné tous les jours au ministère de l'intérieur pour traiter de la situation des décès dans les hôpitaux, les communes, etc. N'y a-t-il eu aucune relation - je ne peux pas le penser - entre le préfet de police et le ministre de l'intérieur ? Soit c'est vous qui l'alertez, soit c'est lui qui vous alerte. Qu'en a-t-il été exactement ?

M. Claude LETEURTRE : Je dois avouer, M. le préfet, que j'ai eu les mêmes interrogations que le Rapporteur, parce que votre vision du 8 août me pose vraiment problème. En effet, vous dites bien qu'il n'y a que 7 décès supplémentaires par rapport au rythme habituel, mais vous avez également dit en préambule que cela représentait 10 % des interventions.

Lorsque l'on remet ce chiffre en rapport de l'augmentation de 20 % du nombre des interventions des sapeurs-pompiers, cela interpelle encore plus. Sans compter que si l'on remet ces chiffres dans le contexte de la météo, il y a là des facteurs d'alerte extrêmement forts.

Certes, vous n'avez pas de médecins auprès de vous, mais vous avez néanmoins des professionnels habitués aux enquêtes et au travail de statistiques. Vous pouviez aussi interroger l'institut médico-légal pour savoir s'il y avait un nombre de décès supplémentaires. Clairement, n'avez-vous pas le sentiment que là on a laissé passer quelque chose ?

M. Jean-Paul PROUST : M. Blisko a évoqué les plans ORSEC. D'une manière générale, les plans ORSEC, ainsi que toute une série de plans d'intervention (plan rouge, etc.) sont mis en œuvre pour faire face à des situations de catastrophe. Il existe un plan ORSEC départemental qui est déclenché par le préfet de département. Puis, dans certains cas, si une catastrophe dépasse les limites d'un département, on peut déclencher le plan ORSEC zonal. Par exemple, dans le cas d'inondations qui toucheraient l'ensemble du bassin d'une région, il s'agirait alors d'un plan ORSEC zonal, qui est déclenché par le préfet de zone de défense, lequel coordonne les secours entre les différents départements.

A Paris, le préfet de police a la responsabilité en matière de sécurité civile et, à ce titre, c'est lui qui déclenche le plan ORSEC s'il concerne Paris. Le préfet de police a également la compétence d'un préfet de zone et peut déclencher le plan zonal.

Mais dans le cas de la canicule, nous sommes sur un problème de sécurité sanitaire qui n'est pas couvert par ce dispositif.

Vous avez évoqué l'affaiblissement des DDASS de l'Etat. A cet égard, je n'ai rien de particulier à dire, d'autant que les DDASS ne sont pas sous mon autorité, mais sous celle des préfets de droit commun.

M. Gremetz m'a demandé quels ont été mes rapports entre le 8 et le 12 août avec le ministre de l'intérieur. Je vous répondrai très directement. Le préfet de police - son directeur de cabinet en son absence - a un rendez-vous quotidien avec le ministre de l'intérieur ou son directeur de cabinet, vers 19 heures.

Pendant la période du 8 au 12 août, j'étais remplacé par mon directeur de cabinet. C'est la raison pour laquelle vous avez le rapport de M. Michel Lalande, qui est mon directeur de cabinet. Le directeur de cabinet du ministre de l'intérieur était également absent du 8 au 12 août. Pendant cette période, mon collaborateur, Michel Lalande, effectuant mon intérim, se rendait tous les soirs chez le directeur adjoint du cabinet du ministre de l'intérieur, qui est M. Canepa. Tous les soirs, se tenait donc la réunion habituelle.

En outre, deux fois par jour, j'avais mon collaborateur au téléphone. Quand le préfet de police prend quelques jours de vacances, il se tient néanmoins au courant et, au moins deux fois par jour, il a au téléphone son directeur de cabinet pour s'enquérir de ce qui se passe. Je suis sincère en vous disant que jusqu'au 12 août, mon collaborateur m'a expliqué des choses tout à fait simples - de la même manière qu'il a dû le faire auprès de M. Canepa -, à savoir que l'on allait renforcer le dispositif d'intervention en raison de l'augmentation des malaises et faire appel à la Croix-Rouge. Mon directeur de cabinet m'a également indiqué que les pompiers répondaient à la demande, et que la situation ne présentait rien de dramatique. C'est ce message que j'ai entendu deux fois par jour. Avant le 12 août, on n'a pas pris conscience de ce qui allait se passer.

Tous les rapports, dont vous avez pris connaissance, ont été rédigés, sur ma demande, par mes collaborateurs, dès lors que nous avons pris conscience de la situation. Ces rapports ont été rédigés en temps réel à cette époque-là, pour rendre compte de ce qu'ils avaient vu et fait. Ces documents étaient, à l'origine, des rapports internes rédigés sur la base des comptes rendus que mes subordonnés et collaborateurs me faisaient sur les actions mises en œuvre pendant cette période.

Vous avez abordé le thème de la météo. La météo était certes ce qu'elle était, mais je ne suis pas en mesure d'interpréter la météo au plan médical. De plus, comme il n'y avait pas eu de précédent depuis plusieurs années, je ne sais pas qui aurait été en mesure de le faire. Vous avez parlé du Pr. Carli. Mais autant sur un accident chimique, il peut intervenir et nous travaillons ensemble, autant sur une affaire comme celle-ci, le Pr. Carli ne pense pas au préfet de police car il sait qu'il n'a ni autorité ni compétence en matière sanitaire. Le Pr. Carli n'avait pas à me rendre compte. S'il s'était agi d'une pollution chimique, il aurait dû me rendre compte, mais dans le cas précis, ce n'était pas le cas et je n'ai aucun reproche à lui faire à ce propos. S'il a senti qu'une situation dramatique se profilait, ce n'était pas à moi qu'il avait à en faire part.

Mes collaborateurs n'ont jamais dit qu'il fallait cacher qu'il y avait eu des décès. Nous avons simplement indiqué aux sapeurs-pompiers, qui se posaient des questions et étaient arrivés à la même conclusion, à savoir qu'ils n'avaient pas les éléments pour communiquer des bilans, que nous n'étions pas en état de donner des bilans. Mais il n'a jamais été dit qu'il ne fallait pas divulguer le fait qu'il y avait eu des décès. En revanche, nous avons indiqué qu'il fallait communiquer au maximum sur les mesures à prendre. Cela me paraissait de notre devoir de faire du positif.

M. le Président : Je voudrais revenir sur un des éléments de calendrier concernant un autre sujet. L'institut de veille sanitaire est chargé, le 11 août, de réaliser une étude sur l'ensemble des informations. Il indique qu'il a demandé, le 11 août, les éléments à la brigade des sapeurs-pompiers de Paris qui a refusé de les lui communiquer sans l'accord de la préfecture de police. Il faudra attendre 24 heures avant que la préfecture de police donne cet accord, le 12 août à 16 heures 26.

Par ailleurs, il faudra encore attendre deux jours, c'est-à-dire le 14 août, pour que ces informations remontent à la DGS. Comment expliquez-vous ce retard et cette difficulté qu'a rencontrés l'institut de veille sanitaire pour obtenir ces informations de la brigade des sapeurs-pompiers ?

M. Jean-Paul PROUST : Je ne sais pas si mes collaborateurs en font état dans leur rapport, mais je ne me l'explique pas.

M. le Président : C'est le croisement de la chronologie des différents services en question.

M. Jean-Paul PROUST : Je ne vois pas pourquoi mes services auraient tardé à collaborer. Les sapeurs-pompiers, lorsqu'ils communiquent un document, demandent mon accord. Cela fait partie de leur discipline interne. Toutefois, je n'ai pas d'explication à donner sur le fait qu'il y a eu un certain délai avant que ces documents soient fournis. Il n'y avait pas de raison.

M. le Président : Pour être plus précis, c'est le croisement de plusieurs documents, à la fois de l'InVS et de la DGS.

M. Jean-Paul PROUST : Je note que le directeur et le chef de mon cabinet n'ont pas été saisis de cette demande. Je n'ai pas dit que la préfecture de police n'avait pas été saisie, mais c'est sans doute resté à un échelon de gestion administrative, ce qui est dommage.

Cela aurait valu la peine d'appeler mon directeur de cabinet car je ne vois pas pourquoi nous aurions freiné la moindre communication. Mais je préfère ne pas répondre de manière affirmative, car je n'ai pas les éléments en ma possession.

M. le Président : Le 12 août, M. Coquin intervient auprès du cabinet du ministre de l'intérieur.

M. Jean-Paul PROUST : Ce n'est pas le cabinet du préfet de police.

M. le Président : Certes, mais on peut présumer qu'il y a un lien avec le cabinet du préfet de police.

M. Pierre LASBORDES : Je vais revenir sur la date du 8 août qui me semble être la date essentielle. Vous dites que ce jour-là, on constate une forte augmentation des demandes d'intervention de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris. De ce fait, on demande, comme pour les jours exceptionnels comme le 14 juillet, un renfort du monde associatif et de la Croix-Rouge. La seule différence avec les renforts réquisitionnés pour le 14 juillet, que vous demandez en anticipation d'un risque, c'est que, dans le cas présent, le phénomène est constaté. Ce qui m'étonne, c'est que l'on n'essaie pas de comprendre à quoi est due cette forte augmentation des interventions.

Face à ce constat, ne considérez-vous pas qu'il est désormais nécessaire de mettre en place des normes qui déclenchent un certain nombre d'actions et qui nécessitent que l'on se penche sur le problème pour lui trouver une explication plausible ? Le sentiment qu'on retire de cette affaire, c'est que l'on a quasiment banalisé ce fort accroissement des demandes d'intervention des sapeurs-pompiers, comme si c'était un fait tout à fait naturel.

M. le Président : J'ouvre une parenthèse pour faire observer que nous constaterons, lors de l'audition des services de l'Assistance publique des hôpitaux de Paris, que la journée du 8 août est aussi la journée charnière et la journée où un certain nombre d'éléments montrent un accroissement d'activité. Manifestement, cette même situation se retrouvait dans divers services sur Paris, sans que ces services communiquent entre eux sur l'accroissement d'activité qu'ils connaissaient les uns et les autres. C'est un élément qu'il nous faudra essayer d'approfondir.

M. Alain CLAEYS : Je souhaiterais avoir une précision. Vous rappelez à chacune de vos réponses, le périmètre de vos compétences et vous exprimez, avec des mots simples, ce que vos collaborateurs ont ressenti le 8 août lorsqu'ils vous avaient au téléphone. Mais ce que je n'arrive pas à comprendre, c'est qu'à cette période, il semble qu'il n'y ait aucune relation entre votre cabinet et celui du préfet de région, qui a en charge les autres services de l'Etat. Le préfet de région a une vision globale vis-à-vis des hôpitaux, des maisons de retraite. N'avez-vous aucun échange à ce moment-là ? Auquel cas, cela montre un cloisonnement des services de l'Etat qui me paraît invraisemblable.

Mme Paulette GUINCHARD-KUNSTLER : J'aimerais revenir sur la question de M. Jeanjean sur les critères d'alerte qui vous semblent les plus importants. Je voudrais savoir également quel est le dispositif que chacun a mis en place pour essayer de comprendre réellement ce qui s'est passé et pouvoir construire un plan de gestion de crise a posteriori.

M. Edouard LANDRAIN : Il me semble que la question sur le cloisonnement entre les différents services est fondamentale. Il y a là quelque chose d'incompréhensible. Je vous ai demandé s'il y avait un plan existant précédemment, peut-être à la lumière de 1976, mais sûrement à la lumière des expériences américaines de Chicago et du Canada. Tiendrez-vous compte, dans le futur plan que vous mettrez en place, des informations que vous pourriez retirer de ces expériences ? Par ailleurs, je voudrais savoir qui déclenchera la cellule de veille zonale dont vous avez parlé tout à l'heure, car il faudra bien que quelqu'un en prenne la décision. Qui sera le décideur pour briser le cloisonnement dont vous avez parlé ?

M. Gérard BAPT : Ma question va dans le même sens que celle de M. Claeys. Pour revenir à ces deux journées des 7 et 8 août, ce cloisonnement semble totalement incroyable. J'ai l'information selon laquelle le 7 août, la direction de la DDASS des Hauts-de-Seine demande qu'on lui envoie tous les jours par fax, l'activité des services d'urgence des hôpitaux de ce département.

Vous-même à Paris, à aucun moment, vous n'avez eu l'information et vous n'avez pas pensé aller la chercher pour croiser avec vos propres éléments. On citait le Pr. Carli qui réfléchit dans son coin, la DDASS dans le sien, le préfet de police idem. C'est totalement irréel de voir que, dans une telle situation, il n'y a pas - même si c'est un vendredi, veille de week-end -, à un moment donné, un croisement, que ce soit dans les administrations ou les cabinets de ministres.

Vous semblez y répondre par cette proposition de dispositif zonal, mais il est néanmoins difficile, pour l'entendement d'un élu local, de constater qu'à aucun moment, personne n'a pensé franchir la barrière. Le seul qui l'a fait, c'est le Dr. Pelloux, mais par une conférence de presse, du fait qu'il n'arrivait pas franchir autrement cette barrière.

M. Pierre LASBORDES : Les préfets de police de province ont-ils le même champ d'intervention que vous ?

M. le Président : Je termine par un point qui sera plutôt pour nos conclusions. Il sera intéressant que vous nous exposiez où en est la mise en œuvre de vos propositions.

Par ailleurs, mais c'est là une préoccupation du législateur qui examine actuellement le projet de loi relatif à la politique de santé publique, il conviendra de déterminer l'articulation entre votre proposition d'organisation zonale et les nouvelles missions que le Gouvernement a souhaité confier à l'institut de veille sanitaire. Cela a d'ailleurs conduit le ministre de la santé à modifier, dans le projet de loi de santé publique, les compétences de l'InVS. En effet, l'InVS aura les compétences du dispositif que vous souhaitez voir organiser au niveau zonal. Il serait dommage de créer un nouveau cloisonnement en mettant en place plusieurs schémas, sans avoir auparavant expertisé la meilleure organisation possible.

M. le Rapporteur : Pouvez-vous nous donner des précisions sur le plan qui sera mis en place début 2004, sur les seuils d'alerte, la coordination de l'application de la loi, et le décloisonnement entre toutes les administrations ?

Par ailleurs, avez-vous rencontré des problèmes d'effectifs à mobiliser dans l'administration, chez les sapeurs-pompiers, dans les CCAS ou les réseaux sociaux de la capitale ? Il ne faut pas oublier que nous sommes en pleine période de vacances. En 1976, la canicule a provoqué moins de dégâts car elle a eu lieu en juin.

S'agissant des secours à victimes, ils concernent la voie publique. Peut-on alors considérer cette statistique comme un bon indice pour mesurer les problèmes qu'ont pu rencontrer des personnes qui vivaient chez elles ? Qui s'est occupé de ces personnes qui nécessitaient des secours parce qu'elles avaient un malaise ? Les sapeurs-pompiers sont-ils aussi intervenus à ce niveau-là ? A-t-on une idée de l'âge des personnes qui étaient en difficulté, car on observe une surmortalité épouvantable autour de 75 ans ?

D'autre part, avez-vous noté des différences entre les quartiers ? Sur Paris, vous avez dix centres de secours qui couvrent des quartiers aux sociologies très différentes. A posteriori, peut-on faire une analyse en fonction du degré de pauvreté ou des difficultés sociales des personnes qui ont été secourues ou qui ne l'ont pas été ?

M. Serge BLISKO : Je ferai une simple remarque. Le Rapporteur a raison quand il fait valoir la validité des indices. A l'institut médico-légal, on amène les corps des personnes décédées sur la voie publique ou les personnes dont le décès est considéré comme étant suspect. Or dans le cas d'une personne qui décède chez elle et dont le médecin indique que la cause du décès est un coup de chaleur, le corps n'est pas transporté à l'IML. Les chiffres de l'IML peuvent certes constituer un indice, mais ce n'est pas statistiquement très probant.

M. Jean-Paul PROUST : Plusieurs questions ont été posées sur le cloisonnement administratif. Les réunions n'ont lieu qu'après le 12 août. La DDASS, qui relève du préfet de Paris, y a participé. Il n'y a pas de difficulté de ce point de vue. En amont, s'il n'y a pas eu de communication entre les services de l'Etat, c'est parce qu'aucun d'entre eux n'avait pris conscience de la situation. Il est bien évident que si l'un d'entre eux avait pris conscience de la situation, il aurait contacté les autres services, mais il n'y a pas eu d'échange.

Toutefois, à compter du 12 août, des échanges permanents ont lieu entre tous les services de l'Etat, et aussi avec les services relevant des collectivités territoriales.

Vous m'avez demandé à quel moment déclencher le plan dans le dispositif que je propose. La veille est permanente, 24 heures sur 24. Elle sera assurée par un groupe composé de gendarmes, de policiers, de pompiers civils et militaires, qui fonctionneront selon un système de quart, avec un officier de quart et trois hommes.

Le point le plus important n'est pas tant l'organisation que la bonne remontée des informations. Effectivement, j'ai mis au travail un petit groupe composé du général de Courtis, ancien adjoint de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris, du Pr. Carli, et d'un colonel civil des sapeurs-pompiers, qui représente les sapeurs-pompiers intervenant dans la grande couronne. Tous les trois mettent actuellement le dispositif en place. Hier encore, j'avais une réunion avec le Pr. Carli. Nous sommes tous d'accord sur la nécessité d'avoir cette veille permanente au niveau de chaque zone de défense.

L'état-major, qui sera sous l'autorité d'un officier général, comprendra deux ou trois personnes. Elles examineront tous les comptes rendus et devront décider, en tant que de besoin et au moins une fois par semaine, de réunir tout l'état-major avec le médecin du SAMU et éventuellement d'autres professionnels, selon la nature du problème.

Après un examen quotidien des informations collectées par la veille, l'état-major se réunit et propose au préfet de déclencher les plans. Mais cela sert aussi de mise en réseau de l'information, non seulement sur le plan sanitaire mais aussi sur d'autres plans. Il faudra que l'institut de veille sanitaire fasse partie de nos abonnés. J'espère que les sept zones de défense en France enverront tous leurs renseignements à l'institut de veille sanitaire, de la même manière que je souhaite que l'institut de veille sanitaire nous signale tout problème. Cette mise en réseau a pour objet de décloisonner l'information. Il ne s'agit pas de répondre à une préoccupation à la mode, mais plutôt de relier des administrations très spécialisées et empilées les unes sur les autres, afin de réagir efficacement en cas de crise.

Vous avez parlé de la période des congés. Certes, mais les catastrophes tombent toujours mal. Je rappellerai qu'en Bretagne, la marée noire de l'Erika a touché les plages juste avant Noël et que, deux jours plus tard, le soir de Noël, c'était la grande tempête. Ces catastrophes se sont aussi produites en pleine période de congés. L'Etat doit faire face à toute situation et organiser sa permanence.

Pour ce qui nous concerne, je crois pouvoir dire qu'il y avait suffisamment de personnels, sapeurs-pompiers et policiers. Le fait de se trouver en plein mois d'août n'a posé aucun problème particulier.

Quel dispositif avons-nous mis en oeuvre pour comprendre le phénomène ? Je vous donne mon interprétation. Nous avons essayé de réfléchir et c'est la raison pour laquelle j'ai demandé des rapports à tous mes collaborateurs. Personnellement, je regrette que la préfecture de police n'ait pas anticipé sur la crise, mais c'est la même chose pour les autres institutions. Il est toujours dommage de ne pas anticiper. On ne peut pas considérer cela comme une période faste.

On n'a pas anticipé. Je dis un « on » collectif, qui n'est pas un « on » pour la préfecture de police, mais elle, pas plus que les autres administrations, n'a anticipé. Pourquoi n'a-t-on pas anticipé ? Je vous livre ma réflexion personnelle qui vaut ce qu'elle vaut. Il me semble que c'est parce qu'il n'y a pas eu suffisamment de croisement d'informations de toute provenance, et c'est probablement ce qu'il faut organiser.

Comme nous n'aurons pas les moyens de l'organiser dans les quatre-vingt-quinze départements de l'Hexagone, c'est là que la zone de défense devient un support intéressant car il n'y en a que sept en France et elles couvrent des espaces suffisamment vastes. Mais il faut des moyens pour organiser une veille permanente, une remontée permanente de l'information, et un traitement permanent de cette information.

Audition conjointe du général Jacques DEBARNOT,
ancien commandant de la brigade de sapeurs-pompiers de Paris,
et du commandant Jacques KERDONCUFF,
ancien officier de presse de la brigade de sapeurs-pompiers de Paris

(Extrait du procès-verbal de la séance du 5 novembre 2003)

Présidence de M. Claude EVIN, Président

Le général Jacques DEBARNOT et le commandant Jacques KERDONCUFF sont introduits.

M. le Président : Nous poursuivons, mes chers collègues, les auditions de notre commission d'enquête en accueillant aujourd'hui, dans le cadre d'une audition conjointe, le général Jacques Debarnot, ancien commandant de la brigade de sapeurs-pompiers de Paris et le commandant Jacques Kerdoncuff, ancien officier de presse de cette même brigade. Messieurs, je vous souhaite la bienvenue.

Nous avons entendu la semaine dernière M. Jean-Paul Proust qui a fait état des relations qu'ont entretenues la préfecture de police et la brigade des sapeurs-pompiers de Paris pendant l'épisode de la canicule. Il nous appartient, aujourd'hui, de mieux connaître la manière dont vous avez vécu les événements, vous et vos services, avec éventuellement des divergences d'appréciation sur la gravité de la situation au début du mois d'août qui peuvent expliquer la communication relativement laconique de votre brigade, pourtant fortement sollicitée par les médias ; je pense notamment à la journée du 8 août.

Il nous faudra aussi apprécier la place de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris dans la gestion de la crise proprement dite et aussi ce que cette analyse conduit à formuler comme éventuelle réforme organisationnelle.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, le général Debarnot et le commandant Kerdoncuff prêtent serment.

Général Jacques DEBARNOT : M. le président, mesdames et messieurs les députés, le 29 octobre, vous avez demandé à m'entendre, aujourd'hui, dans le cadre de la commission d'enquête sur les conséquences sanitaires et sociales de la canicule.

Je souhaite vous exposer le rôle et l'action de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris (BSPP) au cours du mois d'août dernier et vous faire part de mon analyse ainsi que de quelques enseignements que peut tirer la BSPP de cette période exceptionnelle. Avant toute chose, je tiens à préciser certains points qu'il me paraît utile, voire nécessaire, de porter à votre connaissance.

Premièrement, j'étais absent de Paris au début du mois d'août et je suis rentré le vendredi 15 août au soir. Je n'ai repris mes activités opérationnelles que le samedi 16 août matin, après une passation de consigne avec mon colonel adjoint, chargé de la suppléance en mon absence. Les événements que je relaterai et les réponses aux questions que vous ne manquerez pas de me poser et qui concernent cette période ne reposent donc que sur les comptes rendus qui m'ont été faits à mon retour et par la suite.

Deuxièmement, muté à l'inspection générale de l'armée de terre depuis le 2 septembre par décision prise en conseil des ministres le 21 juillet dernier, il ne m'appartient pas de m'exprimer en qualité de commandant de la BSPP pour tout ce qui est postérieur au 1er septembre.

Troisièmement, en matière de secours à victimes (SAV), la mission de la brigade, dont le secteur opérationnel couvre Paris et les trois départements de la petite couronne, est de porter assistance aux victimes sur la voie publique ou à domicile lorsqu'elle a été alertée par le 18 ou le 112. Le traitement de ces appels est centralisé au centre opérationnel de la brigade qui est situé à la caserne de Champerret, dans le 17ème arrondissement. La BSPP peut être également alertée par appel au centre de secours le plus proche lorsque son numéro de téléphone à dix chiffres est connu ou par contact physique lorsque le centre de secours est à proximité immédiate.

Sur le terrain, après la prise des premières mesures d'urgence par le personnel de première intervention qui est, je le souligne, secouriste, les victimes sont, en fonction de leur état de gravité et après décision d'un médecin de la coordination médicale de la brigade, soit laissées sur place sous surveillance, soit transportées dans le service d'urgence de l'hôpital du secteur, soit médicalisées dans une ambulance de réanimation de la brigade ou dans un véhicule du SAMU avant transport à l'hôpital.

Quatrièmement, la BSPP traite en moyenne 300 000 victimes par an. Elle transporte environ 20 % des personnes admises dans les différents services d'urgence hospitaliers. Ce chiffre est important mais la BSPP n'a cependant qu'une vision partielle de l'état sanitaire de la population qu'elle défend. Elle n'a pas connaissance de tous les décès, en particulier de la totalité de ceux qui interviennent à domicile sans qu'il ait été fait appel aux pompiers. Elle ne connaît pas non plus l'évolution ultérieure de l'état des victimes après leur transport aux urgences. La BSPP n'est donc pas en charge du recensement du nombre de décès sur son secteur opérationnel. Elle n'a pas non plus la charge de la veille sanitaire ni de la régulation hospitalière, ce dernier point incombant aux différents SAMU départementaux.

Tout d'abord, je tiens à vous brosser l'action de la BSPP pendant l'épisode de la canicule.

C'est à partir du 4 août que l'action de la BSPP a réellement commencé, avec des températures supérieures à 35 degrés sur le territoire national. Je pense que la région parisienne fut l'une des plus affectées par cette vague de chaleur qui a dépassé les températures de nombreuses autres capitales européennes. De telles agressions thermiques ont rapidement dépassé les capacités de l'être humain qui est homéotherme, c'est-à-dire en mesure de réguler sa température corporelle en dépit des variations des températures extérieures.

L'augmentation du nombre d'interventions de la brigade a été progressive avec les deux pics que vous connaissez : un, moyen, les 7 et 8 août, et un autre, plus fort, les 11 et 12 août. Il est intéressant de noter qu'au cours du week-end des 9 et 10 août, le nombre d'interventions a accusé une légère baisse, ce qui ne laissait pas présager que le pic d'activité des 11 et 12 août allait survenir ensuite.

Entre le 4 et le 20 août, l'activité en matière de secours à victimes aura présenté une hausse du nombre des départs d'engins de secours de 40 % par rapport à la même période en 2002 ou en 1998, année de référence puisqu'elle avait aussi été marquée par une époque de forte chaleur. Nous avons connu une pointe de 80 % de départs supplémentaires le 12 août.

Au cours de cette période, la BSPP a toujours su répondre à la demande en obtenant de la zone de défense, dès le vendredi 8 août, un renforcement en moyens de secouristes associatifs, qu'ils viennent de la Croix rouge ou de la Fédération nationale de la protection civile.

Dans le même temps, elle a mis sur pied quatre engins de premier secours supplémentaires, engins de réserve dont nous disposons, en les dotant de personnel servant à l'état-major de la brigade, ainsi que trois ambulances de réanimation supplémentaires, avec trois médecins de la brigade aux moments les plus forts.

La coordination médicale de la brigade qui est assurée par deux médecins 24 heures sur 24, a été renforcée par un troisième médecin pour faire face aux nombreuses interventions de nos secouristes et pour réduire les délais d'attente à la radio ou au téléphone.

En ce qui concerne le nombre de victimes, le bilan que j'ai fait établir sur la totalité du mois d'août montre que sur 27 078 interventions pour secours à victimes, environ 57 % ont été rapportées à des affections médicales liées directement ou indirectement à la chaleur. Le nombre de décès - je parle uniquement de ceux constatés par la brigade - s'élève à 1 342 personnes, dont 75 % de plus de 60 ans, et qui ont été découvertes au cours d'une intervention sur dix avec un pic de près de deux interventions sur dix le 13 août. Tous ces décès ont été constatés jusqu'à la fin août où nous intervenions encore chez des particuliers pour absence de réponse aux appels ou pour odeur suspecte.

A ce stade, je souhaite analyser l'action de la BSPP.

L'activité opérationnelle a été recensée quotidiennement et analysée, particulièrement à partir du 7 août, grâce aux statistiques du centre opérationnel de la brigade. Plusieurs items ont été étudiés : le nombre d'interventions, les motifs d'appel, l'activité de la coordination médicale, les lieux d'intervention, la répartition horaire, les durées d'intervention et les destinations hospitalières.

En ce qui concerne les motifs d'intervention, le code d'intervention - c'est un code que nous avons sur les ordres de départ pour les secours - pour trouble dû à la chaleur n'existait pas dans le logiciel opérationnel de la BSPP, contrairement à celui de l'hypothermie que nous rencontrons lors des périodes de froid, en particulier chez les sans domicile fixe (SDF). L'appréciation de la situation a donc d'abord été empirique, à la constatation du grand nombre d'interventions pour malaise et perte de connaissance.

Dès le 7 août, il a été demandé aux chefs d'équipe des engins de premier secours de compléter leur bilan secouriste de sapeurs-pompiers en précisant la responsabilité de la chaleur par des informations complémentaires telles que la température, les conditions aérologiques du lieu, la température corporelle, les signes généraux de déshydratation, de façon à favoriser la prise de décision.

La coordination médicale de la brigade a reçu, comme elle le fait 24 heures sur 24, les bilans secouristes et elle a pris la décision d'une solution technique et médico-administrative pour chaque patient. Nos médecins du service de santé et du secours médical ont ainsi mis en place dès le 8 août, en concertation avec les SAMU départementaux, des mesures thérapeutiques pré-hospitalières destinées à assurer une prise en charge précoce optimale et à pallier les difficultés des services hospitaliers d'urgence, à savoir : un protocole de refroidissement pour patients traités par le secouriste, un protocole de réanimation et de réfrigération pour les victimes médicalisées par nos ambulances et un algorithme de régulation médicale qui a permis d'aider à la décision et de graduer la prise en charge selon les cas, c'est-à-dire transport non médicalisé, médicalisation, hospitalisation ou maintien à domicile sous surveillance.

Je ne détaillerai pas ces différents aspects techniques.

En ce qui concerne le profil des victimes que nous avons découvertes et, selon les rapports d'intervention, il apparaît que la victime type est une femme pour 70 % des cas, vivant seule dans un appartement en étage sans ascenseur ou en maison de retraite, souvent avec une baisse d'autonomie, marchant avec une canne, un déambulateur ou sans motricité dans un fauteuil. Elle a plus de 80 ans dans 50 % des cas et plus de 60 ans dans 83 %. Une aide ménagère à domicile est employée plus d'une fois sur deux, c'est d'ailleurs cette tierce personne qui alerte les secours en découvrant la victime au sol.

Les relations avec l'entourage familial sont le plus souvent rares, sans possibilité de contacter la famille. Des antécédents ont souvent été relevés chez les victimes : cardiopathies diverses, insuffisance cardiaque, insuffisance et infections respiratoires, neuropathie dégénérative de type Alzheimer, enfin endocrinopathie. Généralement, ces victimes suivaient souvent des traitements cardiotropes, psychotropes ou antalgiques.

En ce qui concerne les lieux de nos interventions, le manque d'outils pour recenser les lieux précis de prise en charge fait que ces derniers ont été appréciés qualitativement par l'expérience vécue par les intervenants. Ils sont par ordre décroissant : les maisons de retraite, dont l'effectif en personnel paramédical semble très insuffisant, particulièrement dans les départements de la petite couronne, les domiciles de particuliers isolés, les lieux publics et la voie publique.

Dans Paris, l'activité a été plus soutenue dans les arrondissements limitrophes, en particulier les 13ème, 15ème et 18ème arrondissements. Dans les Hauts-de-Seine, elle a été la plus forte dans les communes de Nanterre, Courbevoie, Colombes et Asnières. En Seine-Saint-Denis, les interventions ont été les plus nombreuses à Saint-Denis, Montreuil, Drancy, Aubervilliers. Dans le Val de Marne, l'activité a surtout concerné Vitry, Ivry, Créteil, Saint-Maur. Les arrondissements et communes cités possèdent généralement un nombre important de maisons de retraite.

En ce qui concerne les horaires d'intervention, les appels 18 ou 112 ont débuté très tôt le matin, entre 6 heures 30 et 10 heures, heures d'arrivée des aides ou des personnels soignants, ainsi qu'au gré de la découverte des personnes âgées dans les établissements de soin ou de retraite. La précocité des appels signe aussi la persistance nocturne de l'agression thermique. La courbe des appels téléphoniques reste élevée toute la journée, ce qui est un signe indirect d'une forte agression thermique diurne et ce, jusqu'à une heure tardive, et probablement aussi un signe de la découverte étalée dans la journée de personnes malades chez elles ou victimes de malaise sur la voie publique.

J'en arrive maintenant aux enseignements que j'ai tirés avant mon départ de la BSPP.

Premièrement, l'interdépartementalisation de la BSPP est un point fort. Cette capacité d'agir sur quatre départements lui permet régulièrement de renforcer un secteur géographique temporairement dépourvu de moyens.

Deuxièmement, l'importance de la zone d'action de la BSPP, où la population est élevée et le nombre d'interventions très important, lui permet d'avoir un système statistique relativement fiable et, par conséquent, de constater assez rapidement l'évolution de situations anormales. Cependant, il faut attendre deux à trois jours pour avoir des statistiques définitives après rédaction des rapports informatisés par les responsables des interventions. En effet, le rythme élevé des interventions ne leur permet pas toujours de faire ces rapports dès leur retour au centre de secours puisque, bien souvent, ils repartent aussitôt. La création d'un code intervention lié à la chaleur, qui n'existait pas avant août, améliorera les remontées d'informations. En revanche, à l'instar du plan « grands froids », il n'existe pas encore de plan « canicule ». La décision prise par le préfet de police de créer ce plan permettra certainement d'y remédier.

Troisièmement, concernant l'échelon hospitalier, la brigade tient une place prépondérante en raison du nombre de victimes transportées aux urgences : près d'une personne sur cinq arrive aux urgences avec les pompiers. Dans le cas présent, la mise sur pied d'une cellule de crise aurait permis d'améliorer la gestion des victimes entre les différents hôpitaux, d'éviter que certains de nos engins tournent inutilement, du fait de refus d'admission ou de fermeture temporaire de services d'urgence, sans que la brigade en ait été informée.

Quatrièmement, la brigade n'a été associée à aucune réunion avec les différents organismes de santé publique chargés de gérer la crise, assistance publique des hôpitaux de Paris (AP-HP) notamment. Elle n'a reçu aucune directive particulière médicale ou technique et les protocoles de soins aux victimes élaborées entre son service de santé et les SAMU, particulièrement le SAMU 75, ne l'ont été que sur la base d'échanges confraternels. La décision prise au début de l'année 2003 par le préfet de police, en tant que préfet de la zone de défense, de créer un centre opérationnel zonal devrait permettre à ce futur état-major de mieux recueillir l'information, de l'analyser et d'aider à la décision.

En conclusion, je voudrais dire que si la BSPP a réussi à faire face à une situation difficile qu'elle n'avait jamais connue avec une telle ampleur et surtout dans la durée alors que, dans le même temps, elle avait envoyé un détachement de 80 sapeurs-pompiers en renforcement pour les feux de forêt dans le Midi, le bilan des personnes décédées pour affection médicale directement ou indirectement liée à la chaleur est très sévère.

Outre les enseignements que je viens d'évoquer, ce bilan met en avant la fragilité des personnes âgées et leur isolement, particulièrement en période estivale, l'inadaptation de leurs conditions de vie en matière d'habitation et de prévention, le manque de structures et de moyens adaptés pour leur prise en charge extra-hospitalière, une défaillance de la médecine générale, particulièrement dans le système de garde de la médecine de ville, et la complexité des facteurs climatologiques (température, humidité, vitesse de l'air) dans la survenue d'un tel événement météorologique.

M. le Président : Je vous remercie. Je demande au commandant Jacques Kerdoncuff d'intervenir tout de suite. Vous étiez au officier de presse à la BSPP à cette période. Il serait intéressant que vous nous donniez la manière dont vous avez vécu ces événements dans cette fonction à ce moment-là.

Commandant Jacques KERDONCUFF : A ce moment-là, la BSPP se trouvait dans une situation difficile, comme l'a expliqué le général Debarnot, mais nous réussissions à faire face. En tant qu'officier de presse, ma mission était d'assurer les contacts avec les différents médias et de répondre à leurs sollicitations.

Il me fallait connaître une situation factuelle de ce qui se passait sur le terrain car ce qui intéresse les journalistes et le public, ce sont les situations de terrain. Or, la situation qu'a décrite le général Debarnot était difficile. De plus, des incendies s'étaient déclarés dans le sud de la France et la BSPP était sollicitée, comme les autres services départementaux d'incendie et de secours (SDIS), pour venir en aide à nos camarades dans le Sud.

Les médias étaient intéressés par notre action dans la capitale mais aussi par l'aide que nous pouvions apporter dans le sud de la France, car nous avions dépêché un premier détachement vers le 20  juillet à Marseille.

Dans ce contexte, il y avait deux interventions possibles, l'une début août sur Paris et l'autre dans le Sud. Ces deux situations intéressaient les médias.

M. le Rapporteur : Merci pour les explications que vous avez données à la commission. Un certain nombre de questions se posent naturellement.

Tout d'abord, je souhaiterais avoir des précisions sur le nombre d'hommes disponibles à la BSPP pendant le mois d'août, cette période difficile, compte tenu des congés et des envois dans d'autres lieux, notamment sur les incendies de forêt auxquels le commandant Kerdoncuff a fait allusion. Avez-vous éventuellement manqué d'effectifs pendant cette période ? Semaine par semaine, jour par jour, nous voudrions voir ce que cela a pu peser sur les moyens à mettre en œuvre sur le terrain.

En ce qui concerne le déclenchement de la canicule, en regardant les courbes de température et de mortalité ainsi que les interventions de la BSPP, on s'aperçoit que le phénomène commence le 4 août. Le 5 août, on relève 743 secours à victimes, alors que deux jours avant on tournait plutôt autour de 600. C'est une augmentation notable. Dans la période suivante, le nombre d'interventions augmente encore plus vite. Le fait qu'il y ait une augmentation supérieure à 20 % des secours à victimes dès les 4-5 août n'a-t-il pas éveillé davantage l'attention et n'a-t-il pas été transcrit, tout au moins dans les rapports ? Nous avons les rapports quotidiens, chiffrés, avec des tableaux, où, chaque fois, en dehors de certains décès de personnes écrasées dans le métro, ou de certaines interventions exceptionnelles, le commentaire est le plus souvent : « Rien à signaler. » Le « RAS » se justifie-t-il compte tenu de l'évolution chiffrée des secours à victimes ?

Je rappelle que l'INSERM a évalué sur Paris 1 910 décès entre le 1er et le 20 août - c'est un élément statistique, il faut le prendre comme tel -, contre 843 décès attendus compte tenu des courbes de mortalité, ce qui donne une surmortalité de 1 067 personnes. Je note par ailleurs que le chiffre de 1 342 décès constatés par la BSPP par rapport aux 1 910 réels, montre que la BSPP joue un rôle important, non seulement dans le secours aux victimes, mais également dans l'observation de ce qui se passe.

J'en viens donc à ma troisième question : pour toutes ces données, vous l'avez dit, il faut deux ou trois jours pour rassembler les statistiques. N'est-ce pas un peu du traitement administratif, bureaucratique ? Pourquoi ce délai ? Si on attend d'avoir visé les chiffres deux ou trois fois, il faut probablement trois jours, mais s'agissant d'alerte par rapport à une évidence climatique - on étouffait dehors -, n'aurait-il pas été judicieux de faire une synthèse plus tôt et de lancer l'alerte plus tôt ?

Dernière question, formelle, vos interventions de secours à victimes sont à la fois sur la voie publique et au domicile ou dans des maisons de retraite. En interne, à la BSPP, avez-vous le détail statistique des décès ou des interventions au titre des secours à victimes intervenus sur la voie publique, à domicile et dans les maisons de retraite ?

Général Jacques DEBARNOT : En ce qui concerne les effectifs disponibles, cela n'a jamais posé de problème puisque nous avons les mêmes 365 jours par an. Nous nous arrangeons pour faire en sorte que les effectifs soient complets dans chaque engin tout le long de l'année et cela a été le cas en août, bien que nous ayions envoyé 80 personnes en renfort dans le Midi. En l'occurrence, nous avons été amenés à décaler, voire reporter, certaines permissions.

J'avais envisagé initialement, au début de l'année 2003, car le mois d'août est généralement un mois creux dans nos activités, d'alléger un peu le dispositif et, finalement, vous avez pu constater que cela n'a pas été le cas puisque l'activité n'a pas été aussi calme que prévu. Alléger le dispositif voulait simplement dire supprimer quelques engins de premier secours. Compte tenu des chiffres moyens des mois d'août des années précédentes, cela ne posait aucun problème, mais finalement nous ne l'avons pas fait.

En ce qui concerne votre question sur le déclenchement de la canicule, je n'étais pas présent mais je pense qu'il y a eu, de la part des uns et des autres, beaucoup de difficultés à cerner de façon claire et précise les causes de décès : certains étaient directement liés à la canicule, mais d'autres l'étaient indirectement parce que des personnes présentaient des antécédents qui ont fait que la canicule leur a été fatale. Il a fallu un temps de latence pour qu'on fasse, de façon plus précise, le rapprochement entre la canicule et la cause des décès.

Vous avez parlé de l'augmentation des interventions pour secours à victimes à partir du 4 août. Nous sommes très habitués, à la BSPP, à voir le facteur températures influer fortement sur nos interventions, que ce soit dans le sens d'une élévation des températures, ou dans celui d'une baisse. J'ai l'habitude de dire que la température moyenne pour que tout se passe bien, c'est 10-15 degrés. Plus la température s'élève, plus les interventions sont nombreuses. En hiver, c'est pareil, dès que la température baisse fortement, on constate une élévation du nombre d'interventions. Nous y sommes habitués mais il est probable que le signal d'alarme n'a pas été tiré immédiatement.

Les rapports quotidiens qui vous ont été donnés par la préfecture de police sont établis chaque matin, entre 7 et 8 heures. Ils m'étaient communiqués tous les matins, ainsi qu'à la préfecture de police et à la Direction de la défense et de la sécurité civile du ministère de l'intérieur, c'est-à-dire au Centre opérationnel de gestion interministérielle des crises (COGIC).

Les chiffres de ces rapports sont provisoires à quelques dizaines d'interventions près, car le rythme des interventions est tel que les chefs d'engins n'ont pas toujours eu le temps d'intégrer leurs rapports dans les données informatiques. Ce délai n'est pas dû à une histoire de tampon ou de visa administratif : le sous-officier qui rentre dans son centre de secours prend trois minutes pour faire son rapport, mais bien souvent, à peine arrivé, il part sur une intervention nouvelle avant de pouvoir faire quoi que ce soit. C'est pour cela que je disais que les chiffres ont besoin d'être consolidés et cela peut prendre deux ou trois jours.

M. le Président : Sur cette question de transmission des données de la BSPP à la préfecture de police, dans votre rapport du 22 août, vous indiquez que le 10 août à 10 heures 07, l'officier de permanence reçoit un appel téléphonique du cadre de permanence du cabinet du préfet qui lui demande des statistiques, notamment le nombre total des interventions du 9 août 2003 et le nombre d'interventions pour secours à victime pour le 10 août 2003. Il demande les mêmes statistiques pour le 9 août 2002. Pouvez-vous nous apporter des précisions ? Que vous a-t-il été réellement demandé ?

Général Jacques DEBARNOT : La préfecture de police souhaitait avoir plus de précisions en ce qui concerne la canicule proprement dite. Le commandant Kerdoncuff pourra le confirmer.

Sur ces rapports, effectivement, cela peut prêter à sourire de voir un certain nombre de commentaires « RAS », mais cette page que vous avez chaque jour est une page sur laquelle nous indiquons les interventions importantes. J'entends par là, les feux où nous mettons en œuvre un certain nombre de moyens, les accidents ou catastrophes importantes. Cela va parfois jusqu'à la personne qui se suicide sous le métro. Nous indiquons également les interventions qui peuvent faire l'objet d'une médiatisation parce qu'il s'agit d'une personnalité ou d'une célébrité. Mais le fait d'avoir « RAS » ne signifiait pas qu'il ne se passait rien en matière d'interventions liées à la canicule.

Sur le dernier point que vous avez soulevé me demandant pourquoi l'alerte n'a pas été lancée plus tôt, je ne suis pas bien placé pour y répondre puisque j'étais absent. Il faut être « sur le turf » pour se rendre compte de la situation, mais je pense que mon colonel adjoint a été alerté dès le 6 ou 7 août. Il avait les comptes rendus tous les matins et dans la journée. Il savait que le nombre d'interventions pour secours à victimes était en augmentation et il a normalement alerté la préfecture de police à deux reprises le vendredi 8 août, comme cela est indiqué dans mon rapport écrit sur les événements.

M. le Président : M. le Rapporteur, il serait peut-être utile que l'on revienne sur le vendredi 8 août et les relations entre la BSPP et le cabinet du préfet de police cet après-midi-là.

M. le Rapporteur : A partir de quel moment la préfecture de police vous demande-t-elle un rapport quotidien, statistique et qualitatif sur la canicule ? A partir du 8 août ou avant ?

M. le Président : On vous demande quelque chose de particulier sur la canicule à partir de quand ?

Commandant Jacques KERDONCUFF : Le 9 ou le 10 août.

M. le Rapporteur : Le problème intrigue un peu auparavant, notamment la presse, puisque le 8 août vous avez des appels téléphoniques de journaux qui demandent : « Que se passe-t-il ? Avez-vous des informations particulières ? »

Le militaire obéit à un système hiérarchique qui fonctionne et, si la presse demande quelque chose, il y a normalement un rapport qui part vers les autorités supérieures.

Commandant Jacques KERDONCUFF : Je vais revenir avant le vendredi 8 août pour expliquer la situation. Comme j'étais présent les jours précédents, je constatais, comme tout le monde, qu'il faisait chaud. En tant que pompier de Paris ayant des contacts avec la presse, il fallait que je sache ce qui se passait au niveau de nos interventions. J'ai bien constaté, comme tous les pompiers de Paris, le nombre d'interventions en augmentation. C'était une évidence.

En discutant avec les chefs d'agrès et les médecins à l'état-major, de notre coordination médicale, j'ai vu qu'ils essayaient de faire un lien entre le nombre d'interventions en augmentation et un facteur extérieur qui était bien évidemment la chaleur. Le médecin-chef de la brigade a pris les premières mesures pour demander aux chefs d'agrès de prendre la température des victimes. J'ai été informé de cette démarche.

Les médias se sont intéressés avant le 8 août à nos interventions. Je leur ai répondu que leur nombre augmentait. Le 8 août en fin d'après-midi, un journal, Le Parisien, me demande le nombre d'interventions que nous faisons et, comme il avait eu des contacts avec le SAMU et d'autres services, il avait la notion de morts dus à la chaleur. Nous avons des entretiens réguliers avec les journalistes : ils savent que l'hiver, lorsque nous avons des sans domicile fixe qui meurent, nous leur donnons le nombre de SDF décédés. Dans ce même cadre, ils souhaitaient connaître le nombre de personnes décédées en raison de la chaleur.

Avant de répondre aux journalistes, je ne connaissais pas le nombre de morts. Je suis donc allé voir les médecins. Etant donné que nous avons une coordination médicale qui équivaut à un SAMU, ces médecins m'ont dit qu'on avait, ce jour-là, une estimation de 7 morts liées à la chaleur. Avant d'avertir le journaliste, notre démarche est le compte rendu : je demande l'accord du général lorsqu'il est présent ; en son absence, je m'adresse au colonel adjoint pour lui demander si je peux donner les informations sur les interventions et le nombre de morts. Il me répond qu'il lui faut avant l'avis du médecin-chef pour savoir si on peut avancer un chiffre.

Je vais donc voir le médecin-chef et je lui demande si l'on peut avancer le chiffre de 7 morts que donnent les médecins à la coordination médicale. Il me dit oui. Je lui demande si c'est un chiffre minimal ou maximal. Il me répond que c'est un chiffre minimal, que l'on n'a rien à cacher, que l'on peut donner ce nombre mais après accord de la préfecture de police.

Je rends compte au colonel, qui m'autorise à donner le nombre de morts. J'ai donc avancé ce premier chiffre de 7 morts au Parisien, en étant modéré car, n'étant pas médecin, je n'ai aucune certitude.

TF1 fait une demande d'interview, quelque temps après, au sujet de la chaleur aussi. L'angle du reportage concernait les conseils à donner aux parents pour les enfants dans les véhicules, lorsqu'ils partent en vacances.

Je rends compte de nouveau au colonel en demandant si TF1 peut venir faire cette interview, en lui proposant que ce soit le médecin-chef qui réponde. Cela me semblait plus judicieux. Je le propose au médecin-chef de la brigade, il accepte. Après l'interview, il y a un échange entre la journaliste et le médecin-chef, en off, et le médecin-chef lui dit : « Vous savez, on a fait une interview sur les conseils pour les enfants, mais nous, actuellement, ce n'est pas notre souci ; les victimes ne sont pas les enfants mais les personnes âgées. Il serait peut-être plus judicieux de donner des conseils pour les personnes âgées. ». Comme la journaliste était de formation médicale, il y a eu un échange de spécialistes et, j'en ai été le témoin, le nombre de morts a été encore avancé. Cela intéressait fortement la journaliste, elle lui a dit : « On laisse tomber l'interview que vous m'avez faite tout à l'heure et on prend ces éléments. »

Moi, écoutant cela, je considère qu'il ne s'agit plus des mêmes éléments de langage que j'avais demandés à mon colonel. Je vais donc de nouveau lui rendre compte en disant que la journaliste veut réaliser une autre interview, plus sensible, qui va parler du nombre de morts. Le colonel en a référé immédiatement à la préfecture de police. J'étais présent dans le bureau et c'est à ce moment-là, le 8 août vers 18 heures, que sont arrivées les consignes.

M. le Rapporteur : Quelles étaient exactement ces consignes ? Le préfet Proust nous a dit qu'elles avaient été élaborées en accord avec la BSPP. Tout le monde était-il d'accord sur cette consigne de discrétion, consistant à ne pas parler du nombre de morts ?

M. le Président : Le préfet Proust a indiqué que son cabinet avait considéré que le nombre de 7 morts n'était pas absolument certain et que compte tenu de cette incertitude, il fallait, effectivement, être très prudent et ne pas donner d'indications.

Commandant Jacques KERDONCUFF : Je ne vais pas ici prendre la parole au nom du colonel qui commandait la brigade, mais je peux témoigner de ce qui a été dit et demandé à ce moment-là.

M. le Président : Ce n'est pas à vous que la réponse a été donnée, c'est au colonel Grangier ?

Commandant Jacques KERDONCUFF : Comme j'étais présent dans son bureau, le colonel Grangier a mis le haut-parleur et j'ai ainsi eu les consignes en direct.

M. le Président : Lesquelles ?

Commandant Jacques KERDONCUFF : Lors de cette communication téléphonique, le colonel a commencé par dire qu'une interview avait été demandée par TF 1 sur la situation des interventions des pompiers de Paris et que la journaliste s'intéressait au nombre de personnes décédées.

Le colonel Grangier a dit que ce jour-là, on avait comptabilisé 7 personnes décédées en raison de la chaleur. On avait eu une discussion avec le médecin et j'ai dit que ce chiffre était un minimum. Il en a référé à la préfecture de police en lui disant que la situation était grave et en demandant si l'on pouvait indiquer le nombre de morts. Comme j'attendais la consigne de communication, le colonel Grangier a mis le haut-parleur et la consigne a été donnée de ne pas diffuser de message alarmiste et de ne pas donner le nombre de morts, mais plutôt d'orienter vers des conseils et de diffuser un message rassurant au public.

M. le Rapporteur : Je trouve cela assez effarant ! Il se passe quelque chose de grave. Cela revient dans vos conversations avec la préfecture de police. Vous-mêmes étiez conscients que les 7 morts étaient un minimum. D'ailleurs les chiffres que l'on a eus après prouvent que l'on était en dessous de la vérité car ces 7 morts étaient probablement des décès directs, mais il y a tout ce qui peut être considéré comme des décès indirects. Alors quelle est la motivation de cette consigne de ne pas parler des morts ? Très franchement, il aurait fallu affoler les gens plutôt que de tasser la réalité. C'est cela que je ne comprends pas très bien. Pourquoi cache-t-on alors la gravité de l'affaire ?

Commandant Jacques KERDONCUFF : Je ne sais pas qui parlait au téléphone parce que je ne reconnais pas les voix.

Général Jacques DEBARNOT : Je crois qu'il s'agit du chef de cabinet du préfet de police.

M. le Président : Dans votre rapport, général, vous indiquez qu'il s'agit du directeur de cabinet du préfet de police.

Général Jacques DEBARNOT : Mon adjoint a passé deux appels à la préfecture de police : le premier chez le chef de cabinet et le second chez le directeur de cabinet. Les deux fois, il est tombé sur le chef de cabinet, donc c'est peut-être à lui qu'il faudrait poser la question et non pas à la BSPP.

Commandant Jacques KERDONCUFF : Je tiens à préciser que le message que j'ai entendu était de ne pas créer de psychose et de faire passer un message rassurant. Ce n'est pas à moi de donner un avis. Je n'étais que porte-parole, je ne faisais que passer le message. Aujourd'hui, on connaît la gravité de la situation, mais à ce moment-là, moi comme les médecins, nous ne savions pas encore ce qui allait advenir les jours suivants. Néanmoins, le colonel a précisé : « M. le préfet, sachez que quand un SDF décède l'hiver, on dit que c'est dû au froid. Aujourd'hui, on est à 7 personnes décédées à cause de la chaleur. Quand un SDF meurt, c'est une affaire nationale ; cela pourrait être le cas aussi aujourd'hui. » Le préfet a dit : « Oui, mais vous ne pouvez pas être certain que ces personnes sont mortes de la chaleur ». Le colonel a alors acquiescé.

La veille, les médecins avaient demandé à nos chefs d'agrès de prendre la température des victimes et le nombre de 7 a été calculé à partir du 8 août, justement. Je voyais les médecins comptabiliser manuellement le nombre de morts, en temps réel, en fonction des rapports des pompiers sur le terrain qui prenaient la température des victimes. C'est aux médecins d'établir sur quels critères et à quelle température, ils considéraient que l'on pouvait indiquer 7, 8, 40 victimes décédées ou plus dans les jours qui suivaient.

M. Georges COLOMBIER : Mon commandant, je ne reviens pas sur ce qui a été dit sur le 8 août, mais en tant qu'officier de presse, qu'avez-vous fait lorsque vous avez appris la surmortalité à Paris ? Quand vous avez compris qu'il y avait surmortalité par rapport à la chaleur, quelle a été votre réaction en tant qu'officier chargé de communiquer avec les médias ?

M. Pascal TERRASSE : J'aurais l'occasion de revenir sur d'autres questions, mais, sur le sujet de la communication, je lis un communiqué de l'AFP qui date du 8 août et qui fait certainement suite à une interview donnée par les sapeurs-pompiers de Paris : il met en évidence que le nombre d'interventions est de 1 798 interventions pour les huit premiers jours d'août contre 1 180 interventions sur la même période, l'année passée. On voit une évolution très forte des interventions. On ne peut pas nier qu'il y a un problème : il n'y a pas 600 interventions de plus en huit jours pour rien. J'ai encore du mal à comprendre pourquoi la relation avec le COGIC ne se fait pas, alors que celui-ci a pour mission de disposer d'informations rapides, très rapides. Pourquoi cette information n'a-t-elle pas été donnée au COGIC rapidement ? Il ne s'agit pas de donner des statistiques détaillées mais des éléments d'intervention. Cela aurait pu être fait dès le 8 août.

Le communiqué de presse met en évidence que ce sont essentiellement des personnes âgées qui sont touchées par les effets de la canicule. Je ne comprends pas qu'à ce stade, on ne vous donne pas l'autorisation d'indiquer le nombre de décès déjà constaté, puisque ce nombre 7, on sait qu'il est très en dessous de la réalité.

Mme Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET : Ma question s'adresse au commandant Kerdoncuff. Tout à l'heure, nous vous avons interrogé sur les consignes données par le préfet de police et dans votre première réponse, vous avez fait état de deux choses qui sont assez différentes, me semble-t-il, et qui se confondaient : d'une part, une consigne d'être rassurant et, d'autre part, une consigne de diffuser des conseils, les deux paraissant contradictoires. Avez-vous reçu l'une et l'autre consigne ou seulement l'une des deux ? Et concernant la consigne de diffuser des conseils, qu'a-t-il été fait le soir même ou dans les jours suivants ?

M. Pierre LASBORDES : A quel moment avez-vous pris conscience qu'il y avait vraiment un dérapage, à savoir cette forte augmentation des interventions, et quand avez-vous analysé les raisons de ce dérapage ? C'est le constat de cette augmentation des interventions qui aurait dû déboucher sur la mise en œuvre de certaines mesures. Qui a donné l'ordre d'analyser les résultats et quand ?

M. Gérard BAPT : M. le préfet de police nous a déclaré la semaine dernière qu'il avait eu de la difficulté à analyser ces problèmes du 8 août parce qu'il ne disposait pas de médecin à la préfecture de police de Paris. Vous, vous aviez une brigade médicale ; a-t-elle été consultée sur ce chiffre de 7 décès et les incidences qu'on pouvait en tirer ?

Général Jacques DEBARNOT : Qu'entendez vous par brigade médicale ?

M. Gérard BAPT : Je pense aux médecins des sapeurs-pompiers.

Général Jacques DEBARNOT : En fait, vous voulez parler du service de santé de la brigade.

M. Gérard BAPT : D'autre part, n'y a-t-il pas eu de rapport de votre part ou de celle du service de santé de la BSPP à la direction générale de la santé (DGS) ?

Mme Paulette GUINCHARD-KUNSTLER : Je voudrais revenir sur la question des conseils que l'on vous a demandé de communiquer. Je voudrais comprendre. On vous a dit qu'il valait mieux communiquer sur les informations en termes de conseils. Des conseils ont-ils été élaborés ? Un dispositif de communication a-t-il été mis en place pour les diffuser ?

Vous avez parlé de protocoles donnés à l'ensemble des intervenants des sapeurs-pompiers. Est-ce que c'était l'un des contenus des conseils ou les avez-vous gardés en interne ? Cela a-t-il fait l'objet d'une diffusion extérieure qui pouvait servir à d'autres personnes ?

M. Alain CLAEYS : Dans les enseignements que vous tirez, vous dites que la brigade n'a été associée à aucune réunion avec les autres services de soins. Avez-vous sollicité ce type de réunions et avez-vous été associés à la réunion du 13 août avec les autres services de santé et les services de la préfecture de police ?

Général Jacques DEBARNOT : Je vais répondre à certaines questions et je laisserai le commandant Kerdoncuff répondre à celles concernant précisément son action.

D'abord, nous n'avons pas de relation directe avec le COGIC. La BSPP est placée pour emploi sous les ordres du préfet de police. Nous n'avons pas de relation hiérarchique avec le COGIC. Néanmoins, nous lui envoyons chaque matin notre synthèse des activités, de la même façon que chaque zone de défense le fait dans l'ensemble de la France. Mais nous n'avons pas d'échanges institutionnels avec le COGIC.

M. le Président : Vous confirmez que le COGIC avait directement les statistiques de vos interventions chaque jour ?

Général Jacques DEBARNOT : Ils ont exactement les mêmes documents que le préfet de police.

M. le Président : Je rapproche cela d'une information qui a été donnée par les responsables du COGIC aux membres de la mission d'information sur la crise sanitaire et sociale déclenchée par la canicule, selon laquelle ils n'avaient senti les problèmes que le 11 août, après l'intervention du Dr. Patrick Pelloux dans la presse, le 10 août.

Général Jacques DEBARNOT : L'augmentation des interventions s'est faite très progressivement : il y a eu un premier pic les 7 et 8 août. Mais j'ai signalé, dans mon exposé liminaire, qu'on avait constaté une baisse du nombre d'interventions pendant le week-end des 9 et 10 août. On ne pouvait donc pas prévoir ce qui arriverait après.

Mme Paulette GUINCHARD-KUNSTLER : Le COGIC, en fonction des informations que vous lui donnez quotidiennement, vous a-t-il interrogé pour essayer de comprendre ce qui se passait ?

Général Jacques DEBARNOT : A ma connaissance, non. Le COGIC reçoit les comptes rendus de chaque zone de défense. Le cas de la région parisienne est particulier puisque nous envoyons directement le rapport pour les quatre départements de notre ressort. A ma connaissance, il n'y a pas eu de relation particulière avec le COGIC à ce moment-là.

En ce qui concerne l'analyse des résultats, il n'y a pas d'ordre à recevoir pour le faire. Nous vivons en temps réel et chaque fois qu'il y a une demande importante de secours, nous nous adaptons. Cela a été le cas pour la canicule, c'est le cas en hiver quand il y a des grands froids, cela a été le cas lors de la tempête de 1999. Nous avons un certain nombre de dispositions techniques nous permettant de faire en sorte que les secours restent disponibles, parfois en mode dégradé comme cela avait été le cas pour la tempête de décembre 1999.

Nos médecins ont-ils été consultés ? A ma connaissance, non. Je l'ai dit dans mon rapport : il n'y a eu que des échanges entre médecins, principalement avec le SAMU de Paris. J'ai parlé d' « échanges confraternels » mais pas de réunion organisée, planifiée. Il y a eu uniquement des relations confraternelles ou de camaraderie.

On a parlé des protocoles pour savoir s'ils avaient été communiqués. Non, ce n'était pas l'objet. C'était essentiellement des protocoles concernant les techniques de nos interventions. Il y avait un protocole d'intervention concernant nos secouristes, qui consistait à prendre la température, à avoir des pains de glace dans les engins et à traiter les patients de telle et telle façon. Un deuxième protocole plus lourd concernait les médecins des ambulances de réanimation : il consistait à injecter des produits dont je n'ai pas le nom puisque je ne suis pas médecin, à donner des ordres beaucoup plus techniques aux médecins sur intervention pour traiter des victimes de la chaleur.

Je n'ai pas connaissance de la participation de mon adjoint à une réunion qui se serait tenue le 13 août. En ce qui me concerne, je suis rentré le 16 au matin. Le dimanche 17, je suis allé à une réunion avec le directeur de cabinet du préfet de police, qui avait pour objet la gestion des décédés. Le nombre de victimes ayant diminué, il s'agissait surtout de savoir comment gérer l'après-canicule et les personnes décédées.

Commandant Jacques KERDONCUFF : Il y avait trois questions me concernant. Concernant le communiqué de l'AFP, ce n'est pas l'AFP qui a fait une demande. Etant donné que j'appréhendais, ainsi que les médecins, la gravité de la situation, il fallait diffuser des conseils et je n'avais pas besoin de l'autorisation de la préfecture de police. C'est à mon initiative et à celle des médecins que nous avons décidé, pour toucher un maximum de public, de communiquer rapidement et je savais que TF 1 venait le lendemain matin faire son reportage à la caserne pour suivre nos interventions, chose que la chaîne a faite.

Le vendredi 8 août, j'ai dit aux médecins que, pour toucher le maximum de médias, il fallait que l'on fasse un communiqué à l'AFP pour souligner la gravité de la situation. J'ai proposé aux journalistes de l'AFP de faire un communiqué par écrit. Vu que c'était urgent, ils m'ont dit de le faire oralement. C'est là que je leur ai communiqué le nombre d'interventions et que je leur ai donné des conseils. C'est l'origine de la dépêche.

M. Pascal TERRASSE : Je me place dans mes fonctions de membre du SDIS de l'Ardèche. Alors que l'on a 30 % d'interventions en plus - ça n'est pas rien - sur huit jours, j'ai l'impression qu'il ne se passe pas grand-chose. Je ne fais pas d'accusation mais vous donnez un chiffre d'interventions dans les huit premiers jours d'août qui est de 30 % supérieur à 2002. Je vous pose la question : dans votre service notamment, n'est-il pas irresponsable de ne pas alerter le préfet de police qui était votre tutelle ?

M. le Président : Le préfet de police est alerté.

Commandant Jacques KERDONCUFF: A mon niveau d'officier de presse, l'AFP est le contact vers le public, le moyen de donner des conseils, de lui dire de faire attention, de surveiller les personnes âgées. Néanmoins, et j'en reviens à la deuxième question, il était assez contradictoire de dire qu'il fallait être non alarmiste et en même temps donner des conseils.

Mme Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET : On vous a recommandé les deux choses ou est-ce vous qui avez suggéré les conseils ?

Commandant Jacques KERDONCUFF : Je n'ai pris aucune initiative. Je confirme que, au téléphone, par l'intermédiaire du haut-parleur, il m'a été demandé d'être non alarmiste et de donner des conseils. En outre, la personne au téléphone a demandé au colonel Grangier de lui faxer ces conseils afin que le préfet de police soit aussi en mesure de répondre s'il avait des interrogations - de je ne sais pas quelle personne -. Je l'ai fait le soir même.

Ces conseils étaient à caractère médical. Je me suis tourné vers le médecin-chef qui n'était pas présent lors du second appel à la préfecture de police, et je lui ai dit qu'il fallait faire un communiqué et préparer des conseils pour la préfecture de police, ce que nous avons fait. Mais je précise bien, j'ai eu les deux missions : message non alarmiste, ne pas diffuser le nombre de morts, et donner des conseils.

M. le Président : Vous trouvez cette pièce à la page 576 du tome 2 du volume 2 des annexes du rapport de la mission d'information. Vous avez ces conseils qui ont été donnés et faxés à la préfecture de police à 20 heures 31. On vous demande à 17 ou 18 heures de formuler des conseils et à 20 heures 31, vous renvoyez à la préfecture de police la liste des conseils.

Commandant Jacques KERDONCUFF : Etant donné l'heure, je m'adresse au service de communication de la préfecture police où il y a une permanence comme chez nous.

Concernant la dernière question, vous m'avez demandé, dans les jours qui suivaient, pourquoi je n'ai pas alerté de manière plus insistante. Le lendemain, j'ai traité le reportage en suivant la journaliste de TF 1. Cela s'est déroulé dans des conditions normales et je me renseignais, malgré tout, sur la situation dans toute la brigade afin que les journalistes puissent révéler au public ce qui se passait pour faire passer les conseils et alerter les personnes voisines de personnes âgées.

Je constatais, le samedi 9 août, qu'il y avait encore des personnes décédées, puisque j'allais voir la coordination médicale, mais avec une légère baisse des interventions. Malgré tout, on avait encore toujours trop de victimes mais ce n'était pas à mon niveau d'officier de presse d'en référer à la préfecture de police directement.

Le dimanche 10 août, RMC et France Info me font de nouvelles demandes pour venir suivre les interventions de la BSPP. Automatiquement, j'en réfère à la préfecture de police, à son service presse. Le temps qu'il contacte l'officier de presse de permanence, j'attends la réponse qui arrive directement, comme souvent, à notre central téléphonique - le centre de communication, des opérations et transmissions. J'étais présent dans cette salle au moment où arrive la réponse que j'attendais. C'est l'officier de permanence à la salle 18 qui a décroché. Il a alors mis le haut-parleur puisque cela me concernait. La réponse a été : « Vous dites à votre officier de communication que la philosophie générale est d'être rassurant, non alarmiste, de ne pas céder à la tentation des chiffres en alignant le nombre de morts. Diffusez un message apaisant. »

M. le Président : Vous dites que c'est le dimanche 10 août.

Commandant Jacques KERDONCUFF : Oui, vers 10 heures du matin.

Général Jacques DEBARNOT : Non, c'est bien le dimanche 10 août mais à 11 heures 28.

Commandant Jacques KERDONCUFF : A mon niveau d'officier de presse, mon travail est d'être en liaison avec les médias et de leur répondre.

Actuellement, on est hors contexte et hors événement. On sait aujourd'hui la gravité de la situation, mais à ce moment-là, effectivement, si je sais que c'est important et grave, je n'ai, à mon niveau, que des éléments partiels de la situation pour répondre aux médias. J'en réfère à la préfecture de police qui me dit d'être non alarmiste. Même si cela peut me paraître étonnant, je n'ai pas à aller contre cette décision. Donc, je réponds de manière personnelle à RMC et à France Info en insistant malgré tout sur les personnes âgées et en disant au public d'aller les voir et de les faire boire.

M. Gérard BAPT : Vous nous avez parlé de communication interne avec votre hiérarchie et avec la presse mais, moi, j'aimerais savoir s'il y a eu des échanges entre la cellule médicale de la brigade et des organismes du système sanitaire ou de la DGS ? A aucun moment, vous n'en faites état. Dans le volume 1 des annexes du rapport de la mission d'information, à partir de la page 101, on constate que le 8 août, à trois reprises, des e-mails de la DGS parlent d'envisager d'avoir des rapports avec la brigade des sapeurs-pompiers de Paris et vous, à aucun moment, vous ne faites part d'un contact avec une administration sanitaire quelle qu'elle soit.

Général Jacques DEBARNOT : Je vous ai dit, M. le député, que les seules relations qu'il y a eu sont celles, quotidiennes et permanentes, avec les différents SAMU particulièrement en matière de régulation.

M. le Rapporteur : Mes questions concernent les relations entre la brigade, l'AP-HP d'une part, la médecine de ville d'autre part et enfin, l'institut de veille sanitaire.

Premièrement, en ce qui concerne les hôpitaux et l'ensemble du secteur hospitalier, vous avez fait état de refus d'admissions. Peut-on savoir quelle a été l'ampleur de ces refus d'admissions ? Y a-t-il eu une mesure dans les services d'urgence de ces cas ? Ensuite, comment se déroulait la prise en charge hospitalière des victimes secourues par les sapeurs-pompiers de Paris ? La brigade avait-elle tous les jours un état des capacités d'hébergement ou d'accueil disponibles à la fois dans les services d'urgence mais aussi de médecine générale pour prévoir l'aval par rapport aux services d'urgence ? Enfin, quels sont les liens institutionnels et permanents entre la brigade et l'AP-HP ?

Deuxièmement, vous avez dit, dans votre conclusion, qu'il y avait eu défaillance de la médecine générale. C'est un sujet assez controversé puisqu'un premier rapport de l'inspection générale des affaires sociales corroborait ce que vous disiez mais, depuis, des statistiques de la caisse nationale de l'assurance vieillesse semblent indiquer que ce n'était pas vraiment le problème, qu'il y avait une présence forte de la médecine de ville. Quel est votre sentiment ? Pourriez-vous approfondir ce que vous avez dit ?

Troisièmement, sur vos relations avec l'institut de veille sanitaire, vous êtes sollicité par l'InVS le 11 août à 14 heures et, d'après ce qui a été écrit, vous mettez un certain temps à lui répondre. Pourquoi ce délai relativement long ?

M. Jean-Paul BACQUET : Si je résume ce que vous nous avez dit, vous avez pris conscience de l'augmentation des interventions dès le 4 août, avec deux pics les 7 et 8 août et surtout les 11 et 12 août. En revanche, vous avez, dès le 8 août, renforcé vos effectifs et vos moyens d'intervention. Quand je lis les propos du Pr. Abenhaïm, alors directeur général de la santé, devant la mission d'information sur la crise sanitaire et sociale déclenchée par la canicule, il dit qu'il a été prévenu par la DDASS d'un décès le 7 août et c'est le 8 août que la DGS a demandé à l'institut de veille sanitaire de mettre sur pied un système de surveillance.

Vous avez pris la décision de renforcer vos effectifs, est-ce parce qu'on vous a prévenu ou bien le faites-vous par vous-même, par rapport à votre analyse sur le nombre d'interventions ?

Que pensez-vous de ces propos, tenus par le Pr. Abenhaïm, lors de son audition par la mission d'information : « Il ne faut pas croire trop rapidement qu'il suffit de disposer du nombre d'interventions des pompiers ou des uns et des autres pour réagir. Si on avait réagi juste par rapport au nombre d'interventions des pompiers le 11 août, c'est-à-dire au plus fort moment de la canicule, on aurait réagi une demi-douzaine de fois depuis le début mai. »

Mes autres questions sont peut-être épidermiques car je vais parler en tant que médecin, ancien médecin des sapeurs-pompiers et ancien président du SDIS. J'aimerais savoir quelles ont été les réactions des sapeurs-pompiers intervenant, lorsqu'ils se sont rendus dans les services d'urgence ? Le Dr. Pelloux a fait son appel le 7 août au soir, signalant un encombrement des urgences et un manque de disponibilité des hôpitaux. Vous l'aviez constaté avant puisque vous aviez dit que vous aviez même des difficultés à amener des patients. Y a-t-il eu des réactions de découragement, de difficulté, de la part des sapeurs-pompiers de Paris ?

J'ai eu, en tant que représentant du SDIS, à gérer les difficultés des sapeurs-pompiers devant la mauvaise qualité des accueils en milieu hospitalier dans la ville universitaire où j'exerce. Je voudrais savoir quelle a été la réaction des sapeurs-pompiers devant cette situation très difficile à maîtriser, d'autant plus qu'ils faisaient le maximum d'après ce que j'ai cru comprendre.

Ensuite, quelle a été la réaction des sapeurs-pompiers de Paris par rapport à l'augmentation de la mortalité qu'ils ont constatée ? Quand on est médecin dans un service hospitalier, on sait pertinemment que le personnel réagit en fonction de la mortalité dans un service. Dans un service de pédiatrie, vous avez peu de morts, heureusement. Quand vous avez une salve de morts pour diverses raisons, il y a une réaction en chaîne dans le service qui est difficilement maîtrisable de la part du chef de service ou de l'encadrement. Les urgences ne sont pas épargnées par ce phénomène.

Sur quels critères pouvez-vous apprécier la non disponibilité des médecins généralistes puisque, comme le disait le Rapporteur, les statistiques de la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM), en particulier par rapport au nombre d'actes remboursés - et là, c'est facile à juger -, démontrent qu'il y avait à peine 10 % de moins de médecins disponibles pendant les gardes par rapport aux années précédentes ? Ce sont les statistiques de la CNAM qui ont confirmé cela après les attaques faites et la défense du docteur Costes.

Vous avez vécu cette situation depuis le 4 août, vous avez renforcé vos effectifs depuis le 8. Quelle a été la réaction des sapeurs-pompiers de Paris lorsque le Pr. Mattei s'est exprimé à la télévision le 11 août au soir, de sa maison du Var ? Etait-ce une réaction de satisfaction, d'indifférence ? Je vous pose cette question, je vous le redis, en tant qu'ancien médecin des sapeurs-pompiers et intervenant.

Enfin, le communiqué de presse de la DGS publié le 11 août se termine ainsi : « Dans l'ensemble des services hospitaliers, une augmentation des personnes âgées est perceptible, mais il n'existe pas d'engorgement massif des urgences. Les difficultés rencontrées sont comparables aux années antérieures, en dehors de cas ponctuels de certains établissements, et d'un ou deux départements d'Ile-de-France ». Partagez-vous cette analyse, qui est celle de la DGS ?

M. Georges COLOMBIER : On a beaucoup polémiqué sur le fait que les services de secours n'avaient pas prévu de codage spécifique des décès liés aux fortes chaleurs. Dans votre déclaration au début de l'audition, vous avez évoqué la création d'un code non prévu avant ; est-ce la réponse à ce manque ? Sinon, bien que vous ne soyez plus responsable des sapeurs-pompiers de Paris, pouvez-vous me dire s'il est prévu de corriger cette lacune ? D'autre part, a-t-il été prévu des améliorations au niveau des statistiques, afin de connaître en temps réel les causes d'une surmortalité ?

M. Serge BLISKO : J'écoutais avec attention mon collègue et ami Jean-Paul Bacquet, et je le dis au général Debarnot : les sapeurs-pompiers de Paris, encore une fois, ont été en avance sur les événements.

Dès le 8 août, le commandant Kerdoncuff l'a très justement indiqué, vous aviez, non pas une complète conscience puisque vous ne disposiez que des chiffres partiels, mais une conscience qu'il se passait quelque chose d'anormal. Le 8, vous renforcez les effectifs. Vous informez également une journaliste - et vous aviez raison de le faire - que le problème ne concerne pas les enfants qui étoufferaient dans une voiture trop hermétiquement fermée mais les personnes âgées et ceux qui ont eu des malaises sur la voie publique. Je voulais vous remercier de cette efficacité et de cette clairvoyance, regrettant qu'elle n'ait pas pu être partagée comme vous le souhaitiez.

Pour ma part, je suis satisfait de l'analyse médico-sociologique du général Debarnot. Quand avez-vous pu faire cette analyse ?

Une chose me gêne dans toutes ces situations que vous avez connues : y a-t-il, au-delà des chiffres, des seuils d'alerte ? Je rejoins, sur ce point, ce que disait M. Bacquet. Y a-t-il un moyen objectif pour vous de déclencher des signaux ? Avez-vous la possibilité de le faire de votre propre initiative ou faut-il - comme cela semble être le cas - attendre qu'on vous le demande ? Si on ne vous le demande pas, que faites-vous ?

Général Jacques DEBARNOT : En ce qui concerne les refus d'accueil dans certains services d'urgence, j'ai effectivement signalé ce cas. J'ai également signalé des fermetures temporaires d'urgences sans qu'on soit prévenu. Ce sont des choses qui m'ont été rapportées. Je ne suis pas en mesure de préciser le nombre, la nature et le lieu devant vous aujourd'hui puisque je n'ai pas d'exemples précis en tête, mais le cas est avéré.

M. le Président : N'y a-t-il pas de zonage ? Quand vous êtes appelés dans tel quartier de Paris, n'êtes-vous pas amenés à envoyer systématiquement sur tel service d'urgence dans tel hôpital ? S'ils étaient fermés, ils devraient vous être indiqués afin que vous n'arriviez pas dans un service fermé.

Général Jacques DEBARNOT : Concrètement, lorsque l'intervention n'est pas médicalisée, la personne est transportée sur l'hôpital du secteur. C'est en général l'hôpital public de proximité. On peut imaginer que certains de ces hôpitaux de secteur étaient débordés et n'étaient plus en mesure d'accueillir les personnes qu'on transportait, d'où la nécessité d'un contact radio par le chef d'agrès dans son véhicule pour savoir vers quel hôpital se rediriger. Cela générait une certaine perte de temps. Il aurait fallu être présent au moment de l'événement pour se rendre compte de la surcharge des services d'urgence. Je n'y étais pas mais je peux imaginer la quantité de gens se présentant aux urgences.

M. le Rapporteur : S'agissait-il de lits dans les services d'urgence fermés administrativement ou d'un engorgement ?

Général Jacques DEBARNOT : Je pense plutôt à l'engorgement.

M. Jean-Paul BACQUET : Le 11 août, le cabinet du ministre de la santé dit que, dans l'ensemble des services hospitaliers, il y a une augmentation des admissions des personnes âgées mais pas d'engorgement.

Général Jacques DEBARNOT : Il peut y avoir, à certains moments ponctuels, un engorgement dans un service d'urgence qui fait qu'on a plus vite fait d'aller dans un hôpital voisin. Je crois qu'on peut le comprendre aisément.

M. Jean-Paul BACQUET : Personne ne vous le reproche, bien au contraire.

M. le Président : Puisque nous auditionnons les membres du cabinet du ministre de la santé juste après le général Debarnot et le commandant Kerdoncuff, nous pourrons revenir sur cette question.

Général Jacques DEBARNOT : Je pense que la capacité d'accueil des urgences dans cette phase était suffisante avec, ponctuellement, des problèmes d'engorgement.

A ma connaissance, nous n'avons pas eu, pendant cette phase, de relations particulières avec l'AP-HP, puisque la régulation médicale est à la charge du SAMU. Lorsqu'une intervention est médicalisée ou lorsque le cas présente un symptôme particulier et qu'il ne s'agit plus d'amener la personne dans un hôpital du secteur, nous passons obligatoirement par la régulation du SAMU qui nous indique l'hôpital vers lequel nous emmenons la personne, sauf s'il s'agit d'un militaire, qui relève alors de l'un des trois hôpitaux militaires de la région parisienne.

Je m'attendais à une question sur la défaillance de la médecine générale. Je crois que vous avez cité 10 % de médecins généralistes en moins présents à cette période. Je n'ai pas d'éléments, mais je pense qu'ils ont été certainement sollicités beaucoup plus que d'habitude. Là encore, c'est ce qui m'a été rapporté par mon service médical. Indépendamment de la période de la canicule, tout au long de l'année, il suffit parfois de passer une heure dans la salle d'appels 18-112, de mettre l'écouteur, pour voir que les appels que nous recevons relèvent, bien souvent, de la médecine générale. Les gens n'hésitent pas à nous appeler pour un rhume ou une grippe alors que nous sommes un service d'urgence. Cela signifie-t-il qu'il y a moins de médecins généralistes qui font des visites à domicile ? J'ai une opinion sur la question en tant que citoyen habitant Paris ; je n'en ai pas en tant qu'ancien commandant de la BSPP.

En ce qui concerne l'institut de veille sanitaire, je ferai amende honorable en vous disant qu'avant le mois d'août, je ne connaissais pas son existence. Cela n'a jamais été dans mes attributions et dans mes préoccupations. Effectivement, l'InVS nous a demandé des statistiques le 11 août à 14 heures. Je pense qu'en ce qui concerne mes subordonnés, beaucoup ne devaient pas connaître l'institut de veille sanitaire et nous sommes naturellement passés par la préfecture de police pour lui communiquer nos résultats, ce qui a été fait le lendemain en ce qui nous concerne. Après, je ne sais pas ce qui s'est passé à la préfecture pour arriver jusqu'à l'InVS. Nous sommes, en tant qu'unité militaire, relativement habitués à passer par la voie hiérarchique et c'est souvent une bonne chose.

Je voudrais reprendre les points évoqués par M. le député Bacquet. Vous avez abordé les problèmes des deux pics d'activité avec une baisse pendant le week-end du 9 et 10 qui ne laissait pas imaginer que le pic du 11 et 12 allait être aussi fort. Nous avons effectivement renforcé nos moyens dès le 8 août, mais nous ne le faisons pas que dans le cas de la canicule. Nous le faisons systématiquement dès l'instant où nous sentons que nous avons une demande de secours importante.

Nous nous efforçons de répondre par tous les moyens possibles aux demandes de secours d'urgence qui nous sont faites et cela nous amène régulièrement à déplacer des moyens de banlieue sur Paris ou de telle banlieue vers telle autre banlieue, de façon à répondre en permanence à la demande. Nous le faisons avec quelques engins de réserve dont nous disposons et qui nous servent à remplacer des engins accidentés ou en révision. Nous le faisons également avec des acteurs associatifs comme la Croix Rouge, la Protection Civile, particulièrement les week-ends, lors de grandes manifestations sportives ou autres.

Pour les moyens associatifs, nous les demandons par le biais de la zone de défense. C'est reconduit assez régulièrement en ce qui concerne le week-end, mais en ce qui concerne les moyens de la BSPP, c'est fait sur la propre initiative de la brigade.

En ce qui concerne la réaction des intervenants, je n'ai passé que 15 jours à la brigade, entre mon retour de permission et mon départ effectif de la brigade. Il m'est arrivé de me rendre sur le terrain, de participer à une intervention consistant à découvrir une personne décédée dans un appartement. Je suis monté dans l'engin de service avec mes subordonnés. Je sais qu'ils n'étaient pas découragés, mais ils ont beaucoup souffert de la chaleur eux-mêmes. Je n'ai pas l'impression qu'ils aient vécu un grand choc psychologique car, malheureusement, ils sont habitués à en voir tous les jours à Paris.

Je ne connais pas les statistiques concernant le département du Puy-de-Dôme, mais je connais certains départements où l'on dénombre autant d'interventions par an qu'un simple centre de secours parisien. Tout cela pour dire que les sapeurs-pompiers de Paris sont largement habitués à faire parfois une vingtaine d'interventions dans la journée et, en intervenant à ce rythme, on n'a pas trop le temps de réfléchir. Je ne pense pas qu'il y ait eu de problèmes psychologiques particuliers.

Ceci, je l'ai vécu durant la semaine qui a suivi mon retour. Après, cela n'a pas été ma préoccupation puisque j'ai eu la tristesse de perdre un homme le 25 août dans un effondrement, à la suite d'un incendie avec deux blessés graves, dont un est toujours à l'hôpital, au centre de traitement des grands brûlés de l'hôpital Percy, dans un état encore très sérieux. Au cours de la dernière semaine d'août, j'ai eu d'autres soucis qui m'ont davantage occupé que la canicule, sans pour autant me faire négliger le phénomène.

Je n'ai pas vu l'interview du Pr. Mattei. Je suis donc bien incapable de vous donner ma propre réaction.

Concernant le code chaleur évoqué par M. Colombier, nous avons effectivement introduit dans notre système informatique, un code nous permettant de disposer de statistiques face aux interventions par fortes chaleurs, de la même façon que nous avions, depuis un peu plus d'un an, un code nous permettant de comptabiliser les interventions par grands froids.

Les statistiques nous permettent-elles de réagir plus vite ? Non, parce que nous réagissons vite par définition.

Au-delà des chiffres - et j'en viens aux questions de M. Blisko -, y a-t-il un seuil d'alerte ? En ce qui concerne le 8 août, je pense que ce seuil a été atteint puisque mon adjoint a fait état à deux reprises, une première fois auprès du chef de cabinet du préfet de police, une deuxième auprès du directeur de cabinet du préfet de police, de l'importance de l'augmentation du nombre d'interventions. Ce seuil d'alerte n'est pas mathématique. C'est davantage une impression qui se dégage face à un nombre d'interventions, à un événement particulier.

Vous avez posé, M. Blisko, une autre question concernant l'analyse sociologique que j'ai faite. Cette analyse, à mon sens très bonne, a été faite par le médecin chef adjoint de la brigade, à froid et calmement après la canicule, en septembre.

M. le Président : M. Kerdoncuff, avez-vous des choses à préciser ?

Commandant Jacques KERDONCUFF : Non, M. le président. Je n'ai rien d'autre à préciser.

Audition conjointe de Mme Anne BOLOT-GITTTLER,
directrice adjointe du cabinet du ministre de la santé,
de la famille et des personnes handicapées,
et de M. William DAB,
ancien conseiller du ministre et directeur général de la santé

(Extrait du procès-verbal de la séance du 5 novembre 2003)

Présidence de M. Claude EVIN, Président

Mme Anne BOLOT-GITTLER et M. William DAB sont introduits.

M. le Président : Madame, monsieur, je vous souhaite la bienvenue. Vous avez été tous les deux aux avant-postes lors des tragiques événements du mois d'août, vous vous êtes d'ailleurs succédés à la permanence du cabinet du ministre de la santé et il est important de connaître avec précision la façon dont vous avez géré cette crise en retraçant notamment les relations que vous avez eues avec les autres parties prenantes.

M. Dab, vous êtes plutôt ici comme conseiller technique, mais nous profiterons de votre présence pour évoquer la manière dont vous avez commencé à procéder à un certain nombre de réformes à la direction générale de la santé au regard des leçons tirées de cette période.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, Mme Bolot-Gittler et M. Dab prêtent serment.

M. le Président : Nous allons commencer par M. Dab, puisqu'il était au cabinet du ministre pendant la première semaine du mois d'août. M. Dab, veuillez nous rappeler le déroulement des événements tel que vous l'avez vécu comme conseiller technique du ministre.

M. William DAB : Merci, M. le Président, M. le Rapporteur, mesdames, messieurs les députés.

Une telle catastrophe suscite évidemment de nombreuses et complexes questions, il est très important pour moi de pouvoir concourir à la manifestation de la vérité. Comme beaucoup je crois, je reste abasourdi par un tel drame qui a emporté 15 000 de nos concitoyens, dont 10 000 femmes, avec une augmentation de la mortalité de 70 % et 5 000 hommes, avec une augmentation de la mortalité de 40 %.

Il est difficile d'admettre que notre pays n'était pas prêt à limiter les conséquences sanitaires de cet épisode climatique. Je suis docteur en médecine, ancien interne des hôpitaux de Paris, spécialiste de la santé publique, j'ai aussi une formation nord-américaine en épidémiologie, discipline dans laquelle je possède également un doctorat. J'ai beaucoup travaillé sur la relation entre les facteurs d'environnement et la santé de la population. J'avais analysé notamment l'impact de la vague de froid de janvier 1985 sur la mortalité d'Ile-de-France ; je travaillais alors à l'observatoire régional de la santé et c'est sûrement ce travail qui est à l'origine de la préoccupation qui m'a conduit à saisir la direction générale de la santé (DGS) et l'Institut de veille sanitaire (InVS) sur les conséquences possibles de la vague de chaleur, le 6 août. J'ai aussi conduit plusieurs études épidémiologiques sur les risques sanitaires de la pollution atmosphérique et je suis titulaire de la chaire hygiène et sécurité du conservatoire national des arts et métiers.

J'ai rejoint le cabinet de M. Mattei en juillet 2002 comme conseiller technique chargé du domaine de la santé publique et j'ai été nommé directeur général de la santé le 21 août.

J'ai déjà expliqué à la mission d'information la façon dont j'ai agi face à ce problème au cours de la première semaine d'août, je n'ai rien à ajouter, sinon pour répondre à vos éventuelles questions et je voudrais vous rappeler en introduction trois points.

Le premier est que, lorsque le mercredi 6 août, en début d'après-midi, je saisis par écrit la direction générale de la santé en lui indiquant que l'on peut anticiper un risque élevé de mortalité, je ne le fais pas sur la base de données provenant du terrain. Il s'agissait pour moi d'un raisonnement fondé sur des considérations purement théoriques, je n'avais pas d'informations concrètes m'indiquant que quelque chose d'anormal était en train de se dérouler.

Deuxièmement, lorsque je quitte la France pour mes congés le 9 août au matin, aucune information ne m'est parvenue, ni des hôpitaux, ni des maisons de retraite, ni des funérariums, ni des médecins, ni des DDASS, ni de l'InVS, ni de la DGS, rien ne m'indiquant que la situation sanitaire était en train de se dégrader.

Nous savons, aujourd'hui, grâce au travail fait par MM. Hémon et Jougla, de l'INSERM, que, le 8 août, l'excès de décès était de 3 800 personnes. Nous avons eu à faire à une épidémie silencieuse et c'est cela qui alimente ma réflexion actuelle et ma détermination à mettre en place ce qui est nécessaire pour qu'on ne connaisse plus une telle absence de signal.

Enfin, troisièmement, le lundi 11 août au matin, j'ai téléphoné depuis mon lieu de vacances à Mme Anne Bolot-Gittler, qui revenait elle-même de congé, pour lui transmettre les données de sécurité sanitaire qu'elle devait connaître. J'ai, bien entendu, mentionné la vague de chaleur, mais j'ai surtout appelé son attention sur une épidémie de légionellose à Montpellier pour laquelle nous avions effectivement eu des cas répertoriés, des décès, et dont la source n'était pas localisée ; en quittant Paris, c'était ce problème que j'avais en tête : une épidémie se développant en ville, et un risque patent.

Pour moi, le 11 août au matin, cette vague de chaleur était une situation de risque potentiel, mais je n'avais, encore une fois, eu aucune indication qu'elle était en train de faire des ravages dans notre pays.

Mme Anne BOLOT-GITTLER : M. le Président, M. le Rapporteur, mesdames, messieurs les députés, nous avons vécu un drame, une catastrophe exceptionnelle, unique dans l'hémisphère nord pour un pays à climat tempéré.

Ce drame m'a profondément bouleversée et c'est pourquoi je suis heureuse d'être aujourd'hui devant vous, dans cette commission, émanation de la représentation nationale, pour expliquer la manière dont les choses se sont passées.

Aujourd'hui, on sait presque tout sur cette catastrophe, à ce moment-là, on ne savait presque rien. Il est important que nos concitoyens comprennent la façon dont les évènements se sont déroulés au moment où on ne savait rien.

Je m'appelle Anne Bolot-Gittler, haut fonctionnaire, ancienne élève de Polytechnique, ancienne élève de l'ENA, membre de l'Inspection générale des affaires sociales. Je travaille depuis 15 ans dans le secteur de la santé et je suis directrice adjointe du cabinet du ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées depuis plus d'un an. J'assumais l'intérim du directeur du cabinet du 11 au 17 août.

Sans rentrer dans le détail du déroulement des événements sur lesquels je pourrai revenir autant que vous le souhaitez, je voudrais évoquer trois moments particulièrement significatifs du déroulement de ces événements avec, d'abord, mon arrivée le 11 août, puis le déroulement des événements dans la semaine du 11 au 17 août et la façon dont, aujourd'hui, nous pouvons comprendre ces événements a posteriori.

Je suis arrivée le lundi 11 août matin, à mon retour de congé comme cela était normalement prévu ; je n'avais reçu aucun appel sur la canicule durant mes vacances ni durant le week-end précédent ce lundi 11 août. Quelque 300 courriers électroniques m'attendaient, ainsi qu'une pile de 20 centimètres de courriers, or pas un seul de ces courriers électroniques, pas une seule de ces notes n'évoquait la canicule.

Je me suis entretenue avec le conseiller spécial du ministre qui avait assumé la semaine précédente l'intérim du directeur de cabinet, il ne m'a fait part d'aucune préoccupation sur la canicule, il m'a indiqué qu'une réunion interministérielle devait se tenir dans la journée sur la sécheresse et sur les problèmes d'électricité que pouvait poser la chaleur, mais sans mentionner aucune préoccupation sanitaire.

Tôt dans la matinée, je me suis entretenue avec le directeur adjoint du cabinet du Premier ministre qui était préoccupé par la canicule. A la suite de cet appel, immédiatement, j'ai contacté le directeur général de la santé par intérim et je lui ai demandé ce qu'il en était de cette situation. Il m'a indiqué que le nécessaire avait été fait, qu'il n'y avait pas d'inquiétude à avoir, que l'InVS avait été saisi le 8 août pour faire un suivi de la situation sanitaire. Il a mentionné l'épidémie de légionellose à Montpellier, qui était sa source principale de préoccupation.

J'ai immédiatement appelé l'Institut de veille sanitaire, dont le directeur général par intérim n'était manifestement pas au courant de la situation. Je lui ai confirmé la saisine du 8 août, et il ne m'a fait part d'aucune préoccupation concernant la santé de la population du fait de la canicule.

J'ai immédiatement demandé au conseiller technique du ministre de faire un point complet sur la situation hospitalière en France et enfin, j'ai demandé à la DGS et à la direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins (DHOS), de se rendre à une réunion de crise de l'AP-HP qui avait lieu ce 11 août au matin.

Une des choses les plus frappantes pour moi aujourd'hui à propos du déroulement de cette journée, est que - à l'exception du médecin urgentiste qui s'était exprimé la veille à la télévision pour évoquer le chiffre d'une cinquantaine de morts, alors qu'aujourd'hui, nous savons que le dimanche 10 août au soir, on décomptait 6 500 décès - personne ne m'a appelée ce lundi 11 août pour mentionner une quelconque inquiétude à propos de la canicule, pas un médecin, pas un directeur d'hôpital, pas un responsable de service déconcentré, pas un directeur d'ARH, pas un préfet, personne de l'AP-HP, personne des collectivités territoriales, personne des maisons de retraite, personne des SAMU.

Dans la suite de la semaine du 11 au 17 août, les événements se sont déroulés de façon très différente entre les aspects hospitaliers d'un côté et les aspects de santé publique de l'autre.

Au plan hospitalier, nous nous sommes très rapidement organisés pour faire face à une situation de crise ; dans la matinée, le réseau des établissements de santé a été mis en alerte, ainsi que le réseau des agences hospitalières régionales (ARH).

La direction des hôpitaux et de l'organisation des soins s'est organisée en cellule de crise. L'AP-HP a mis en place un plan chaleur extrême et l'ensemble des mesures qu'elle avait mises en œuvre (report des activités programmés, réouverture de lits de suite, organisation d'une solidarité interservices au sein des établissements hospitaliers) ont été déployées dans l'ensemble des établissements hospitaliers d'Ile-de-France, sièges de services d'urgence. Des mesures administratives ont été également prises pour désengorger les urgences et permettre l'admission en soins de suite immédiatement après une prise en charge aux urgences.

Une réunion interministérielle a eu lieu à Matignon le mardi 12 août après-midi au cours de laquelle a été évoquée la situation de l'AP-HP. Au cours de cette réunion, il a été décidé de faire appel au service de santé des armées pour dégager des lits en Ile-de-France et de recourir à la Croix Rouge et à ses bénévoles pour aider les urgences.

Au plan de la santé publique en revanche, à aucun moment, ni le 10 août, ni le 11 août, ni le 12 août, une quelconque prise en compte du risque de décès massifs attaché à la vague de chaleur n'a été à évoquée. Ce n'est que le 13 août après-midi, lorsque les Pompes funèbres générales ont diffusé des chiffres, que l'idée que le nombre de décès puisse dépasser le millier a été évoquée et que l'ampleur de la catastrophe est apparue.

Que dire aujourd'hui sur la façon dont nous comprenons ces événements ? On constate que dans la semaine du 11 au 17 août, l'essentiel de nos efforts a porté sur le tissu hospitalier et finalement, la situation aux urgences hospitalières n'était que la partie émergée d'une catastrophe plus massive, beaucoup plus dévastatrice pour la santé publique et qui n'a jamais été perçue.

Comme le disent les experts du centre de contrôle des maladies d'Atlanta, lors d'une vague de chaleur meurtrière, phénomène très particulier, il est déjà trop tard quand les patients arrivent aux urgences : les décès massifs sont en train de se produire.

Que ferions-nous demain si nous étions confrontés à nouveau à une telle vague de chaleur meurtrière ? Nous ne déclencherions pas le plan blanc, nous mettrions en œuvre des mesures structurelles pour mettre à l'abri les personnes les plus fragiles, leur donner accès à des espaces climatisés et pour créer un réseau de solidarité locale afin de les protéger. Ce type de plan-réponse n'existait pas dans notre pays parce que notre société n'avait pas pris conscience qu'elle pouvait avoir à faire face à une vague de chaleur meurtrière et à une catastrophe de cette ampleur ; ce sont ces mesures qu'il convient aujourd'hui de mettre en place.

M. le Rapporteur : Je voulais remercier Mme Bolot-Gittler et M. Dab de la chronologie et des précisions apportées.

Ma première question est une question simple d'organisation : quelle organisation prévaut au cabinet du ministre de la santé ? Pendant cette période cruciale, un spécialiste des questions de santé publique est-il présent en permanence ?

Ma deuxième question porte sur ce qu'a dit M. Dab. Vous avez eu une espèce de prémonition ou d'intuition le 6 août, une sorte de sens de l'alerte virtuelle en disant, au fond, nous sentons que c'est la canicule, et qu'il peut arriver quelque chose. Ce que je m'explique assez mal, c'est que vous n'ayez pas confronté cette intuition avec la réalité qui se percevait pourtant avec une certaine évidence, puisqu'il faisait chaud.

Une autre interrogation est liée aux connaissances scientifiques qu'on peut avoir de ces sujets. Des études ont été réalisées sur l'hyperthermie, c'est une pathologie très grave, ce n'est pas simplement avoir de plus en plus chaud : à un moment, tout s'arrête. Sur le plan médical, a-t-on bien cerné ces pathologies de l'hyperthermie ?

Dans d'autres lieux, en particulier à Chicago en 1995, à Marseille en 1983, on a constaté quelles étaient les conséquences sur la santé d'un climat extrême et d'une brusque augmentation de la température, ainsi que d'une relativement faible amplitude entre le jour et la nuit qui empêche le corps de se refroidir. Pourquoi n'a-t-on pas tenu compte de cet état de la science, même si tout n'est pas évident ? Les études épidémiologiques ne sont pas toujours complètes, mais le professeur Besancenot a étudié ce genre de question ; pourquoi l'analyse qui pouvait être faite lors de la première semaine avant le 10 août n'en a-t-elle pas tenu compte ? Si on connaissait si mal la réalité, pour reprendre ce qu'a dit M. Dab, ce que vous avez confirmé, Mme Bolot-Gittler, en disant qu'aucune information ne remontait, pourquoi alors avoir demandé à la DGS de faire un communiqué ? Faire un communiqué prouve qu'on s'inquiétait de la situation. De plus, pourquoi a-t-il fallu aussi longtemps pour le rédiger et pourquoi est-il aussi peu alarmiste ?

M. William DAB : Je voudrais rappeler ce que vous savez : le rôle du cabinet d'un ministre est de faire l'interface entre le ministre et son administration pour transmettre au ministre les informations qui viennent de l'administration, éventuellement les lui interpréter si nécessaire et pour transmettre à l'administration les instructions du ministre. Dans cette affaire, nous avons fonctionné à « front renversé ». Ce n'est pas l'administration qui a mis le cabinet du ministre en tension à propos de la canicule, c'est le cabinet du ministre qui, dans une attitude d'anticipation, vous avez dit de prémonition, a mis en tension l'administration.

Je n'avais évidemment pas les moyens moi-même de constituer un recueil de données susceptible de faire l'objet d'une interprétation épidémiologique me permettant de dessiner ce qu'était l'ampleur du risque au cours de la première semaine du mois d'août dans notre pays.

M. le Président : M. Dab, vous avez dit combien votre expérience personnelle vous permettait d'être réactif sur ces questions. Effectivement, votre curriculum vitae atteste de nombreux travaux sur les questions de santé et d'environnement et c'est cette connaissance qui vous a amené dès le 6 août à interpeller la DGS pour qu'elle fasse un communiqué. Avez-vous reformulé d'autres demandes entre le 6 et le 9 août, date de votre départ en vacances ? J'ai repris les différents mails qui sont dans les annexes du rapport de la mission d'information, où l'on voit que vos échanges avec la DGS portent sur le communiqué ; vous réagissez à une proposition de communiqué, mais vous ne formulez aucune demande nouvelle.

Compte tenu de votre expérience et de vos travaux, de l'initiative que vous avez prise le 6 août, comment se fait-il que vous n'ayez pas demandé à la DGS d'autres travaux que ce seul communiqué ? Pardonnez-moi d'être brutal, au regard de l'ensemble de vos compétences, pouviez-vous estimer qu'une demande de communiqué pouvait suffire à faire face à cette situation ?

M. William DAB : Il faut distinguer les connaissances d'un côté et les données de terrain de l'autre. En l'absence de données provenant du terrain, de la médecine ambulatoire ou de la médecine hospitalière, et indiquant une situation dégradée, j'avais vraiment le sentiment d'être en attitude de précaution et non pas déjà dans une attitude de gestion.

A l'origine, si l'on veut détailler, la première préoccupation a porté sur la pollution photo-oxydante, l'ozone, qui accompagnait cet épisode de chaleur. C'est après avoir discuté avec la DGS de ce communiqué sur l'ozone que je leur ai demandé d'inclure la chaleur parmi les facteurs de risque dont il faut se prémunir.

La même après-midi du 6, après cette réunion, après avoir réfléchi, j'ai formulé cette demande par écrit, en souhaitant que l'Institut de veille sanitaire fasse la synthèse des données disponibles nous permettant d'évaluer l'impact sanitaire de cette vague de chaleur.

M. Serge BLISKO : Vous avez donné une définition très juste du cabinet, l'interface entre le ministre et l'administration. Vous nous dites que le 6 août, vous exprimez une approche théorique liée à votre connaissance, demandez-vous des données de terrain ?

M. William DAB : Je ne le fais pas personnellement, la direction générale de la santé va saisir l'InVS pour lui demander les éléments lui permettant d'évaluer l'impact éventuel de cette vague de chaleur sur la santé de la population.

M. Alain CLAEYS : Comment expliquer que le 11 août, malgré cette demande, madame, vous n'ayez aucune information ?

Mme Anne BOLOT-GITTLER : Je n'ai eu aucune information. C'est moi, lors de mon arrivée le lundi matin, qui ai appelé le directeur général de la santé par intérim sur la situation de la canicule, c'est moi qui ai appelé l'InVS une première fois le lundi matin. Puis, après avoir pris connaissance dans l'après-midi, du Monde du 12 août qui mentionnait que les services de l'InVS ignoraient la saisine faite par la direction générale de la santé le vendredi 8 août, j'ai à nouveau appelé l'InVS pour lui demander de suivre la situation.

M. Alain CLAEYS : Le 6 août, le cabinet ne disposait d'aucune information de terrain, le 11 août, malgré ce que vous avez demandé, vous n'avez toujours pas d'information : avez-vous précisé, M. Dab, à Mme Bolot-Gittler, que vous aviez fait ces demandes ?

M. William DAB : Bien sûr, j'avais mentionné que la DGS et l'InVS avaient été saisis par écrit et que cela s'était traduit par un communiqué de presse.

Je voudrais revenir sur votre question car je la trouve importante. J'avais clairement en tête la relation qui peut exister entre la température, la variation de température et le risque de mortalité. Ces variations existent aux deux extrêmes. La mortalité augmente quand il fait froid et quand il fait chaud. J'étais à peu près capable de l'anticiper, j'envisageais quelques dizaines ou quelques centaines de décès en excès, que l'on ne pourrait analyser que rétrospectivement et par une étude très fine des causes de mortalité.

Le problème est que ce n'est pas ce modèle qui a fonctionné. Lorsque vous faites du vélo face au vent, plus vous avez du vent, plus vous devez faire un effort. Là, ce n'était plus du vent, c'était une tornade. Le fait est que nous avons eu l'équivalent d'une tornade, c'est-à-dire une canicule implacable, sans vent, non pas localisée à une ville, mais continentale, qui a duré dans le temps et l'espace de façon jamais observée dans l'histoire à une latitude tempérée. Alors non, c'est un modèle que je n'avais pas en tête et même si j'ai peut-être été un peu plus proactif que d'autres, je n'ai jamais ressenti, au cours de cette première semaine, aucun signe d'urgence m'indiquant qu'il fallait prendre des mesures plus importantes.

Je peux même vous dire que ce communiqué de presse qui semble dérisoire aujourd'hui commence quand même par la phrase suivante : « La France connaît actuellement une vague de chaleur susceptible d'entraîner des répercussions graves sur la santé des personnes. » Le fait de commencer ce communiqué de presse de façon aussi forte a donné lieu à des discussions ; finalement, cette version a été maintenue.

De façon générale, nous étions tous, moi y compris, dans une sous représentation du risque et je n'avais eu aucun élément concret me permettant de changer de modèle, de passer du vent à la tornade. Pour cela, il me fallait des données, personne ne nous les a fournies.

Mme Anne BOLOT-GITTLER : J'assume totalement l'organisation du cabinet telle qu'elle était pendant cette période, aucune expertise ne manquait en son sein à moment-là. Le cabinet n'a pas vocation à se substituer aux quelque 600 personnes qui travaillent à la direction générale de la santé et à l'InVS et lorsque l'administration sanitaire en charge de la santé publique indique que le nécessaire a été fait, qu'il n'y a pas de risque pour la santé de la population, que la situation est maîtrisée, le message est parfaitement clair.

Si à un quelconque moment, un risque pour la santé des populations avait été évoqué, j'avais toute la possibilité d'appeler les experts, de les faire venir et le cas échéant d'entrer dans le détail, mais ce problème ne s'est pas posé à ce moment-là.

M. le Président : Quand il a été auditionné par la mission d'information, M. Abenhaïm, qui était à l'époque directeur général de la santé, nous a dit qu'il avait demandé avant son départ en vacances qu'il y ait en permanence un conseiller technique chargé des questions de sécurité sanitaire au cabinet.

Or, Mme Crémieux passe au cabinet le 11 août au matin, vous lui dites qu'il n'y a pas de problème particulier et qu'elle peut repartir. Confirmez-vous ces éléments ?

Mme Anne BOLOT-GITTLER : Les choses se sont passées différemment. J'assume totalement l'organisation du cabinet telle qu'elle était durant cette période. A aucun moment, une quelconque compétence professionnelle ne m'a manqué au sein du cabinet du ministre.

Il se trouve que Mme Crémieux qui était d'astreinte en tant qu'expert de ces questions, est passée entre ses deux lieux de vacances le lundi 11 août. Je l'ai vue en fin de matinée, je lui ai dit de faire un point complet sur la canicule avec la DGS et de ne repartir dans son nouveau lieu de vacances que s'il n'existait pas de difficulté d'une quelconque nature. Elle s'est entretenue à nouveau avec le directeur général de la santé par intérim comme je l'avais fait le matin et à nouveau, il l'a rassurée. Elle est donc repartie en congé parce qu'aucun risque pour la santé de la population n'avait été mentionné.

M. le Président : Dans le Parisien, M. Coquin avait indiqué : « Nous en aurons une bonne idée dans le courant du mois de septembre, mais je crains déjà une très importante vague de décès : sans doute plusieurs centaines malheureusement. » N'était-ce pas, déjà, une alerte susceptible de mettre en évidence le fait que plusieurs centaines de personnes étaient déjà concernées ?

Mme Anne BOLOT-GITTLER : C'est une question tout à fait importante et je souhaite prendre tout le temps pour vous apporter les explications.

Nous avons, aujourd'hui, grâce au rapport de MM. Hémon et Jougla, une vision complète sur la mortalité pendant cette période de canicule d'août. Ce rapport rappelle que la variation normale de la mortalité quotidienne en août en France est de plus ou moins 150 décès. J'ai demandé à M. Jougla s'il avait une idée de ce qu'était la variation mensuelle normale de la mortalité durant les mois d'été en France ; il m'a indiqué que de 1990 à 1999, sur 10 ans, la variation mensuelle de la mortalité pendant l'été par rapport à la moyenne était de plus ou moins 1 500 décès. Ce qui signifie que, durant les mois d'été qui se sont succédés entre 1990 et 1999, l'amplitude de l'écart qui sépare l'année où le mois d'été a été le moins meurtrier et celle où le mois d'été a été le plus meurtrier est de 3 000 décès.

Pourtant, entre 1990 et 1999, nous n'avons pas eu le sentiment de vivre un quelconque problème de santé publique. Bien que n'étant pas épidémiologiste, je cite ces chiffres pour montrer qu'on constate effectivement des fluctuations de mortalité liées à la chaleur et que celles-ci sont considérées comme « normales », lorsque la température baisse en dessous d'un certain seuil, lorsqu'elle monte. Il est parfaitement clair que la DGS avait cette notion en tête lorsqu'elle a évoqué les décès liés à la canicule. A aucun moment, elle n'a évoqué le fait qu'il s'agissait d'un phénomène hors du commun, provoquant des milliers de décès en quelques jours.

Je voudrais reprendre les différents messages de la DGS au cours de ces journées des 10, 11 et 12 août montrant parfaitement que le ton vis-à-vis de ces décès est compassionnel, qu'il s'agit d'une fatalité en quelque sorte et d'ailleurs, lorsque le médecin urgentiste de Saint-Antoine s'exprime le dimanche 10 août au soir, il indique : « En quatre jours, il y a eu pratiquement, sur la région parisienne, une cinquantaine de morts. Au niveau de la DGS, il ne se passe strictement rien, ils osent dire que ce sont des morts naturelles, je ne suis absolument pas d'accord pour dire cela. » En réalité, dans un communiqué de l'Agence France Presse du dimanche 10 août au soir, ces décès étaient évoqués sur un mode non catastrophique. Ce n'était pas un communiqué de guerre, pour reprendre l'expression de M. San Marco devant la mission d'information, mais l'appréhension d'un phénomène de variation de mortalité, de fluctuation de mortalité liée aux variations de température.

Je cite cette dépêche citant la DGS le dimanche 10 août au soir : « Nous n'avons pas de données épidémiologiques, il faut un certain délai pour avoir des statistiques réelles, il n'y a pas de solution miracle et les excès de chaleur sont clairement associés à l'augmentation de la mortalité. Nous avons publié un communiqué vendredi à l'attention des hôpitaux, des services déconcentrés avec des conseils destinés aux personnes vulnérables, les enfants et les personnes âgées. Il y a également un système en place pour repérer d'éventuelles situations particulières. »

Le 11 août, vous citez l'article du Parisien dont le ton, là encore, n'est pas catastrophique. Je relis la phrase de ce même Parisien : « Il y aura très clairement une vague importante de mortalité liée à la chaleur torride, sans doute plusieurs centaines de décès, malheureusement, même si ce ne sont pour l'instant que des estimations. »

C'est le 11 août matin que le directeur général de la santé par intérim m'écrit que la situation est maîtrisée. Le 12 août, j'avais demandé à la personne qui assurait l'intérim de la direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins et à la personne qui assurait l'intérim du directeur général de la santé de se rendre à une émission de radio « Le téléphone sonne » de France Inter pour parler à la population de la situation que nous étions en train de vivre. Là encore, pour reprendre le script de cette émission dans le détail, à aucun moment, le message n'est alarmiste. Il est toujours rassurant et la mortalité enregistrée à cette période n'est jamais considérée comme catastrophique.

M. Pierre LASBORDES : Première remarque : Vous avez dit avec beaucoup de clarté et de fermeté que le 11 août, vous n'aviez pas d'information écrite. En revanche, vous avez dit que le 11, M. Cirelli, directeur adjoint du cabinet du Premier ministre, était inquiet à propos de la canicule. Cela signifie-t-il qu'il avait une intuition ou plus d'informations que vous ?

Deuxième remarque : Vous avez envoyé vos collaborateurs à une réunion de crise à l'AP-HP ; celle-ci avait donc, apparemment, le sentiment qu'une crise se déroulait ?

M. Claude LETEURTRE : J'aurais une question plus précise à M. Dab. On comprend, madame, que vous n'ayez pas pu intervenir. Mais le lundi matin, lorsque vous, M. Dab, téléphonez à Mme Anne Bolot-Gittler, vous dites avoir parlé de la légionellose et ne pas juger utile d'évoquer la canicule. C'est ce que vous avez exprimé lors de la mission d'information et dans ce cadre, c'est un peu en contradiction avec l'inquiétude que vous avez manifestée en interrogeant la DGS. De la même manière, c'est en contradiction avec les propos du Dr. Pelloux qui a dit avoir alerté le ministère, en particulier la DHOS, à partir du 7 août.

Pourquoi, dans le contexte général que vous connaissez, celui d'une météo très alarmante, peut-être est-ce tout simplement parce que vous étiez parti en vacances, votre inquiétude n'a-t-elle pas grandi à propos de la canicule alors que vous estimez avoir réagi de manière proactive ?

M. Jean-Marie LE GUEN : J'écoute Mme Anne Bolot-Gittler qui nous décrit un état d'esprit de la science tel qu'elle l'a perçu, en tout cas à son niveau, au moment où les événements surviennent. Vous-même, M. Dab, interveniez auprès de l'Institut de veille sanitaire afin d'obtenir des réponses dans un délai qui peut être de plusieurs jours, me semble-t-il. Partagez-vous l'état d'esprit scientifique que vient de nous décrire Mme Anne Bolot-Gittler, une sorte de fatalité ? Le partagez-vous en fonction de vos connaissances ?

N'aviez-vous pas les connaissances vous permettant de dire qu'il fallait passer à une attitude opérationnelle et non pas se contenter d'une attitude d'investigation ?

Quelle réponse attendiez-vous de la part d'une structure de type Institut de veille sanitaire ? La réponse qu'il devait vous fournir devait-elle être en termes d'heures, de jours ou de semaines ? Aurait-elle pu susciter en vous l'idée de passer à un stade opérationnel ?

M. Edouard LANDRAIN : C'est arrivé en 2003, cela aurait pu arriver plus tôt, comme plus tard. En supposant que ce soit arrivé plus tôt, y avait-il un plan de prévision à l'intérieur du ministère, un plan « canicule » comme il existe des plans ORSEC ? Cela paraît ahurissant qu'à l'intérieur de cette grande maison, rien n'ait été prévu pour une catastrophe comparable, d'autant que les expériences au niveau mondial existaient et qu'il devait exister un certain nombre de signes d'alerte. On pouvait imaginer qu'un certain nombre de paramètres, de palpeurs en quelque sorte, puissent intervenir et déclencher une alerte parfaitement compréhensible par l'intermédiaire de logiciels.

Cette canicule a concerné l'ensemble de l'Europe ; comment les autres pays ont-ils réagi ? L'Allemagne, l'Angleterre ? Etiez-vous en liaison avec eux, avez-vous discuté de plans comparables pour mettre en phase une action coordonnée et efficace ?

M. Pascal TERRASSE : Evidemment, on sait que des fluctuations de mortalité peuvent intervenir, mais pas seulement en été, on les retrouve sur les douze mois de l'année. En réalité, la question, s'agissant du drame sanitaire vécu cet été, c'est que, dès le 8 août, des alertes très fortes venaient notamment des sapeurs-pompiers de Paris.

Par une dépêche AFP, à 18 heures 51 le 8 août, les sapeurs-pompiers de Paris indiquent qu'ils ont effectué 30 % d'interventions en plus, 1 798 interventions les huit premiers jours contre 1 180 l'année précédente. Elles sont liées, pour l'essentiel, à la canicule. Ils indiquent, par ailleurs, que ce sont essentiellement les personnes âgées qui subissent les contrecoups de cette canicule.

M. Dab, vous partiez en vacances le lendemain ; j'ai été moi-même membre d'un cabinet ministériel, j'imagine que, même si vous étiez à l'étranger, vous vous teniez informé de ce qui se passait en France.

Etiez-vous entré en contact avec le cabinet du ministre ? Combien de fois avez-vous été en contact avec celui-ci pendant les dix jours de votre absence, du 9 août au 19 août, ce qui, d'ailleurs, n'est pas énorme ? Que lui avez-vous dit ? Avez-vous conseillé le ministre ? Pouvez-vous nous donner des explications précises sur ce qui s'est passé pendant vos vacances ? Etes-vous ou non intervenu auprès du cabinet, sachant que le 8 août, nous avions des informations et un message AFP des sapeurs-pompiers de Paris qui mettaient en évidence les difficultés en région parisienne ?

M. Gérard BAPT : Nous venons de recevoir le général commandant la brigade des sapeurs-pompiers de Paris. A aucun moment, elle n'a eu de contacts avec une institution sanitaire quelle qu'elle soit, jusqu'au 11 août, à propos de la situation sanitaire.

Cela m'a semblé quelque peu étonnant que, disposant d'une cellule médicale au sein de la brigade, les pompiers n'aient pas essayé d'aller plus loin, notamment quand ils se posaient des questions pour répondre à la presse. Heureusement, la presse a été réactive mais, à aucun moment, les pompiers n'ont dit être questionnés par une institution sanitaire.

On retrouve dans les mails cités que le 8 août, à trois reprises, on envisage d'interroger les sapeurs-pompiers de Paris. Un autre mail confirme le 11 août qu'ils ont été interrogés, mais le 9 et le 10 août, il ne s'est rien passé. Sur le fond de l'affaire, l'alarme n'a pas été donnée. Je trouve qu'il devrait y avoir parfois des esprits curieux, y compris dans l'administration et pas seulement parmi les journalistes.

Le 6 août, un médecin inspecteur de la santé publique du Morbihan indique qu'il a eu trois décès liés à la chaleur de personnes jeunes : 35, 45 et 56 ans, qui avaient certes des antécédents médicaux. Ce médecin a contacté la DGS le 6 août qui l'a orienté vers l'InVS. Le même jour, on renvoie un journaliste du Figaro vers l'INSERM qui a travaillé sur le sujet.

Le 7 août, un nouveau contact a eu lieu avec la DDASS du Morbihan. De nouveau, des journalistes du Parisien et du Monde sont orientés vers l'INSERM. Les journalistes étaient donc plus curieux que les personnes chargées de la santé.

Le 8 août, la DGS note « des remontées éparses mais alarmantes des DDASS. » Le 8 août également, le Pr. CARLI signale plusieurs coups de chaleur et alerte la DDASS.

Le 11 août - je passe sur l'intervention du Dr. Pelloux - le Pr. Carli parle de multiplication de décès en relation avec des hyperthermies et dit que les urgences sont envahies de gens qui sont depuis quatre à cinq jours sur des brancards dans le couloir.

Je parle en tant que médecin et en tant qu'élu local. Les 36 000 maires de ce pays partent toujours avec leur téléphone mobile afin d'être joints en cas de besoin, y compris le week-end. Ce qui me surprend, c'est cette inertie extraordinaire, chacun attendant que des informations remontent et personne n'ayant la curiosité de les rechercher dans chacune des administrations, hormis des journalistes ou ce médecin inspecteur du Morbihan qui, dès le 6 août, voulait se renseigner sur des études qui auraient été faites sur les problèmes d'épidémie de chaleur.

On peut multiplier les procédures et faire des réformes administratives, ce problème d'inertie est totalement à l'opposé de l'esprit de disponibilité qu'il faut avoir. Je ne veux pas mettre en cause telle ou telle personne. On a remarqué cette inertie à chaque fois qu'on a interrogé une administration.

M. Philippe VITEL : Le 8 août, les sapeurs-pompiers de Paris constatent une augmentation de 30 % d'interventions depuis déjà quatre jours ; ils sont tellement débordés que le même jour, ils font appel aux associations, Croix Rouge et Protection Civile. Apparemment, on ne constate aucune coordination et l'information ne circule pas.

Le 11 août, ni la DGS, ni l'InVS ne semblent agir ; en revanche, une réunion de crise se tient à l'AP-HP. Cette différence m'étonne.

Vous appelez le directeur adjoint du cabinet du Premier ministre, madame, qui est préoccupé. Pouvez-vous nous expliquer cela avec plus de détails ?

M. Dab, bravo pour votre vision du 6 août, mais alors, ne fallait-il pas prévoir déjà un plan qui aurait pu anticiper les problèmes ? Le 8 août, vous êtes encore à Paris, j'y étais aussi ; il fait 37 degrés ; je suis médecin comme vous, notre « sentiment » de médecin nous permet de penser que, peut-être, de nombreuses personnes ne supporteront pas ces températures et que les conséquences sanitaires risquent d'être importantes. C'est du bon sens médical et de praticien, je suis choqué par ce manque de réactivité.

M. Jean-Paul BACQUET : A Paris, à partir du 4 août, les sapeurs-pompiers remarquent une augmentation très importante des interventions avec un pic le 7 et le 8 août, ainsi que le 11 et le 12 août. Dès le 8 août, ils demandent un renforcement de leurs effectifs, font appel à des bénévoles et augmentent le nombre de véhicules qui peuvent intervenir en faisant remarquer que les services d'urgences sont encombrés et qu'ils ont les plus grandes difficultés à y faire entrer un patient, étant obligés de contacter les hôpitaux par téléphone pour trouver des places.

Je note que, devant la mission, le Pr. Mattei a déclaré que « le jeudi 7 août au soir, le Dr. Pelloux signale un encombrement des urgences et le manque de disponibilité en lits dans les hôpitaux parisiens. »

Le ministre ajoute que, « le dimanche 10 août au soir, le Dr. Pelloux intervient à la télévision pour s'alarmer des graves difficultés constatées dans les urgences. Il parle d'une cinquantaine de morts possible ».

Je note surtout que le 11 août, le cabinet du ministre produit un communiqué de presse auquel la DGS n'a pas été associée, qui se termine ainsi : « Dans l'ensemble des services hospitaliers, une augmentation des passages des personnes âgées est perceptible mais il n'existe pas d'engorgement massif des urgences, les difficultés rencontrées sont comparables aux années antérieures en dehors de cas ponctuels de certains établissements et d'un ou deux départements d'Ile-de-France. »

Mme Anne BOLOT-GITTLER : Vous avez évoqué mon entretien avec le directeur adjoint du cabinet du Premier ministre ; j'ignore les informations dont il disposait mais il est clair que le 11 août matin, un certain nombre d'alertes avaient été données.

Le médecin urgentiste de Saint-Antoine s'était exprimé la veille à la télévision pour évoquer le chiffre d'une cinquantaine de morts dues à la chaleur, et la presse du lundi 11 août matin était tout à fait à alarmiste. Je me suis donc tournée vers l'administration sanitaire, l'ensemble des directions en charge de la santé de ce pays, de l'hospitalisation et de l'organisation des soins. J'ai immédiatement demandé à la direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins ainsi qu'à la DGS de se rendre à la réunion de crise qui était organisée à l'AP-HP ce matin-là.

J'avais moi-même assisté la veille au soir à l'intervention télévisée du médecin urgentiste de Saint-Antoine d'une part et, d'autre part, il se trouve que, par un concours de circonstances personnelles, non seulement j'ai un enfant en bas âge, et j'étais donc sensible aux questions de chaleur, mais j'ai passé mon dimanche après-midi à l'hôpital Bichat auprès d'une de mes voisines qui avait 90 ans et qui avait eu un accident cardio-vasculaire. J'étais tout à fait à l'écoute de ces problèmes de canicule.

C'est pourquoi très tôt dans la matinée, alors que le secrétaire général de l'AP-HP venait d'appeler le directeur de l'hospitalisation et de l'organisation des soins par intérim pour l'informer de cette réunion de crise à l'AP-HP, je lui ai demandé d'y participer.

Vous évoquez plusieurs points importants, cette dissociation entre la crise hospitalière et la perception en termes de santé publique. Dès mon arrivée le 11 août, nous nous organisions pour faire face à la crise hospitalière. L'ensemble des établissements de santé a été mis en alerte, ainsi que les agences régionales d'hospitalisation ; la direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins a mis en place une cellule de crise, une remontée d'informations a été effectuée à partir de l'ensemble des agences régionales d'hospitalisation à propos de la situation hospitalière.

A ce moment-là, lundi 11 août, l'afflux aux urgences est essentiellement concentré à Paris, hormis quelques cas ponctuels : la Bourgogne, Nantes, quelques villes. La saturation des services d'urgence est concentrée en Ile-de-France. Il existe un afflux aux urgences ailleurs, en province, mais il est limité - 20 % de plus environ -et cela se constate souvent l'été, à cette période de vacances.

En revanche, la crise de santé publique était sous-jacente à cette crise hospitalière. On a réagi en mettant en place des mesures hospitalières mais on sait, aujourd'hui, que lorsque les patients arrivent aux urgences, c'est déjà trop tard, les décès massifs sont en train de se produire. Nous avions mis en place des mesures hospitalières et cela revenait à essayer d'éteindre un incendie avec un seau d'eau.

La question sur laquelle je me suis beaucoup interrogée et qui est reprise dans plusieurs de vos questions est de savoir pourquoi on n'a pas compris ce qui se passait. J'y vois personnellement trois facteurs explicatifs.

Tout d'abord, un facteur objectif indéniable : nous n'avions aucun système d'information sur la mortalité et la morbidité en temps réel. Les experts du centre de contrôle des maladies d'Atlanta nous disent que même quand on en dispose, elles ne sont pas forcément faciles à utiliser. Leur absence est un facteur d'aveuglement.

Le deuxième facteur tout aussi important est l'absence de représentation conceptuelle du phénomène et vous l'avez parfaitement évoquée en indiquant notamment l'article de M. Besancenot sur la question. Lorsque j'ai lu cet article, j'ai compris que c'était ce qui nous était arrivé, mais au moment où le phénomène s'est produit, à aucun moment, l'InVS ou l'administration sanitaire ne m'a éclairée sur le fait que les vagues de chaleur meurtrières existaient et que ce n'est pas simplement une élévation de température, c'est l'entrée en résonance de tout un ensemble de facteurs : la concentration urbaine, la pollution atmosphérique, la baisse insuffisante des températures minimales la nuit, la grande durée de la canicule. Ce n'est pas habituel. A ce moment-là, lorsque ces facteurs se cumulent, se produit alors un phénomène totalement dévastateur, assimilable pour les experts du centre de contrôle des maladies d'Atlanta à une catastrophe naturelle.

A aucun moment, dans notre pays à climat tempéré, où la climatisation n'est pas très répandue, on n'a imaginé qu'on pouvait être confronté à ce type de situation. Nous n'avions pas la représentation conceptuelle que cela existait. Or, pour bien réagir face à un phénomène, il faut pouvoir se le représenter conceptuellement. Autrement, on est comme un aveugle de naissance qui recouvre la vue : on voit mais on ne sait pas interpréter le phénomène auquel on est confronté.

Le troisième facteur est l'absence de vision de terrain. Le 12 août, se tient une réunion interministérielle à l'issue de laquelle je me suis rendue au service des urgences de l'hôpital Saint-Antoine. Là, il n'y avait pas besoin de livre, il était indéniable que la situation était bouleversante, je n'avais jamais vu cela de ma vie, c'était évident que c'était anormal, mais quand vous ne l'avez pas vu, vous ne le savez pas, même si on vous le dit. Quand j'ai vu les urgences de Saint-Antoine le 12 août, je me suis dit : « Qu'est-ce qui nous arrive ? Qu'est-ce que ce phénomène ? »

Pourtant, la directrice générale de l'AP-HP s'était rendue elle-même le week-end dans les services d'urgence et c'était ce qu'elle avait vu, mais sans qu'à aucun moment, on puisse l'interpréter car on n'avait pas des représentations conceptuelles permettant de conclure que c'était une vague de chaleur meurtrière, qu'il fallait produire un communiqué de catastrophe et mettre les personnes âgées à l'abri.

M. William DAB : Je vais essayer de répondre de façon synthétique. En ce qui concerne les faits, il est inexact que je n'aie pas mentionné la canicule le 11 août au matin à Mme Anne Bolot-Gittler. Je n'ai pas appelé son attention à ce sujet, mais indiqué qu'un communiqué de presse était paru ; Mme Anne Bolot-Gittler le savait déjà, elle m'a dit que des urgentistes avaient mis en cause la DGS la veille à la télévision et que le ministre parlerait de la situation le soir même à la télévision. Je n'avais rien de nouveau à apporter à ce sujet et Mme Anne Bolot-Gittler ne m'a pas donné d'éléments nouveaux par rapport à ce que je connaissais le 8. J'avais une préoccupation, mais il est vrai que je n'avais pas d'inquiétude. Aurais-je eu une inquiétude que je ne serais pas parti en vacances, c'est évident.

J'ai rappelé Mme Anne Bolot-Gittler le 12. Nous avons eu une très brève conversation. J'ai senti que la situation était très tendue, et mon seul message a été que j'étais joignable en permanence. Si j'avais appelé moi-même de l'extérieur, j'aurais gêné sans apporter d'aide : j'ai indiqué que j'étais disponible et que je viendrais dès qu'on me le demanderait. Le ministre m'a appelé le dimanche. Il était confronté au problème épidémiologique suivant : pourquoi a-t-on eu tant de difficultés à m'informer de l'excès de mortalité ?

Je lui ai expliqué le dimanche 17 pourquoi notre système d'analyse de certificats de décès ne lui permettrait pas, avant plusieurs semaines, d'avoir une estimation rigoureuse de l'excès de décès et c'est à partir de là que j'ai réalisé que la situation était vraiment grave et catastrophique. J'ai dit au ministre qu'évidemment, s'il me rappelait, je rentrerais, il ne m'a pas demandé de rentrer le dimanche, mais le lundi 18, j'ai été en contact avec le cabinet où j'ai senti une situation très tendue et j'ai anticipé toute demande pour rentrer à Paris le 19 août au matin.

Un signal de quelques centaines de décès peut être interprété de diverses manières, tant qu'on n'a pas précisé la période de référence, car le 12 et le 13 août, l'excès de mortalité a été de 2 000 décès. C'est un véritable séisme.

Quelques centaines de décès en excès sur plusieurs semaines, quand la fluctuation aléatoire est de l'ordre de milliers, n'est pas un signal porteur d'une alerte épidémiologique, pas avec les systèmes d'information qu'on avait à l'époque. Si on ne la borne pas dans le temps, cette information ne peut pas constituer en soi un signal d'alerte.

Vous évoquez le bon sens médical, mais dans le fond, maintenant que l'on sait ce qui s'est passé, qu'aurais-je pu faire cette première semaine d'août pour, effectivement, me rendre compte qu'un événement de cette nature pouvait arriver ? La seule réponse construite que j'ai trouvée est le plan d'alerte du National Weather Service américain. Je ne l'ai pas cherché sur Internet, mais je me le suis procuré a posteriori. Il comporte une échelle d'alerte, graduée en quatre positions : nous n'avons jamais dépassé en France le niveau deux de cette échelle d'alerte. Aurais-je eu cet instrument, qui était le seul formalisé au moment des faits, que je n'aurais pas été enclin à m'inquiéter davantage parce que j'étais à deux sur une échelle de quatre : là aussi, les épidémiologistes du Center's Desease Control m'ont très bien expliqué qu'il ne peut pas y avoir un modèle d'alerte national, il varie d'une ville à une autre.

Vous vous étonnez, M. le député, qu'il n'existe pas de « plan canicule ». Dans un pays habitué aux vagues de chaleur comme les Etats-Unis, savez-vous combien de villes ont des plans opérationnels de canicule ? Douze.

Non seulement notre pays est en latitude tempérée, mais la canicule n'est pas identifiée en termes de santé publique comme la première priorité qui doit mobiliser un ministère.

Bien évidemment, avec la perspective de réchauffement climatique, ce problème est aujourd'hui reconnu par tous, y compris moi, comme étant une priorité mais, avant cet été, en avril ou mai, nous aurions eu beaucoup d'arguments pour démontrer qu'il y avait d'autres priorités, si on nous avait demandé d'étudier les risques inhérents à la canicule. Je ne jetterai donc pas la pierre à qui que ce soit là-dessus.

Dans le monde, aujourd'hui, douze villes seulement sont prêtes à faire face à ce type de problème, y compris dans un grand pays qui dispose d'un institut de 6 000 épidémiologistes confrontés régulièrement à des tornades, des cyclones, des vagues de chaleur, et de très nombreuses catastrophes naturelles survenant sur son territoire.

Je ne dis pas cela pour excuser quoi que ce soit, nous allons développer ces plans, mais à l'époque, c'était difficile.

Je suis en train de tisser des liens qui semblent évidents pour créer cette transversalité qui nous a tant manqué, je suis en train d'établir les termes d'un protocole d'accord avec SOS médecins car nous avons besoin de pouvoir nous parler. A Paris, nous commençons à prendre le réflexe de partager les informations avec les deux organismes assurant les gardes médicales et nous allons passer un protocole d'accord avec eux. Cela semble évident aujourd'hui de parler d'hyperthermie, mais comme ils l'ont indiqué à la mission, ces médecins, qui étaient confrontés à la réalité clinique du problème, n'ont pas fait les diagnostics d'hyperthermie maligne avant le 7 ou le 8 août. Ils ont vu des patients déshydratés avec 42 degrés de température, des signes d'infection urinaire, les ont traités par antibiothérapie, avant qu'ils ne réalisent le 8 août qu'ils étaient confrontés à un problème différent. Ils n'avaient pas non plus les bonnes références conceptuelles en tête. Ils traitaient des infections urinaires, des coliques néphrétiques, alors qu'en fait, il s'agissait de l'hyperthermie maligne. Nous n'avions pas les représentations médicale et épidémiologique qui nous auraient permis d'appréhender correctement la situation.

Je n'ai de cesse, dans mon activité quotidienne, de faire que ces décalages insupportables ne se reproduisent plus, que ce soit en termes de système d'information ou de système d'alerte et je peux vous expliquer comment nous construisons, avec les cabinets de M. Mattei et de M. Fillon, un système de plans nous permettant de répondre à ce qu'on peut identifier aujourd'hui - mais aussi à ce qu'on n'est pas complètement capable d'identifier.

M. le Président : Je voudrais revenir, madame, sur la gestion de la crise, et vous interroger à la fois sur le 8, même si vous n'étiez pas là, et sur les 11 et 12 août. Vous nous dites que les informations ne parviennent pas au cabinet. Cela dit, dans les différents services, dans les hôpitaux, et notamment à l'AP-HP, dès le vendredi 8 au matin, à la DGS, indépendamment des navettes concernant le communiqué, à la DHOS, des réactions se font jour et une organisation sur le terrain se met en place le 8 et le 11 tout au long de la journée.

Comment analysez-vous, en tant que directrice adjointe du cabinet du ministre, le fait que les services réagissent sans que le cabinet en soit informé ?

Comment se fait-il que le cabinet n'ait pas eu l'initiative d'une réunion regroupant les différentes administrations concernées pour pouvoir ne serait-ce que collecter les informations et piloter les actions mises en place un peu partout dans les différentes administrations du ministère et dans les services d'hospitalisation, notamment à Paris ?

Apparemment, vous prenez des mesures avec un certain nombre d'interlocuteurs, mais aucune réunion à l'initiative du cabinet n'est organisée, ne serait-ce que pour réunir les administrations du ministère, DGS, DHOS, InVS, afin d'avoir au moins une appréciation collective de la situation et d'assurer un pilotage de l'ensemble de cette crise. Il aurait d'ailleurs été utile d'y associer la direction de la sécurité civile, qui n'appartient pas au ministère.

M. Philippe VITEL : Un communiqué de Météo France le 7 août à 16 heures 43 indique : « Poursuite de la canicule sur la France. L'air très chaud qui s'est installé sur la France se maintiendra durant les sept prochains jours... Des températures très élevées continueront à régner sur le pays. Les températures minimales... » - on sait quelles sont leur gravité et leur importance - « ...seront, sur de nombreuses régions, voisines ou supérieures à 20 degrés, atteignant localement 24 ou 25 degrés. Les températures maximales, elles, s'élèveront jusqu'à 36 à 40 degrés. La persistance de cette situation, qui conjugue températures minimales et maximales élevées, est exceptionnelle et constitue un risque sanitaire pour les personnes sensibles (personnes âgées, personnes malades, nourrissons). »

Qui doit, au niveau de l'Etat, être alerté par un tel message ? La direction générale de la santé ? L'Institut de veille sanitaire ? Cela doit concerner certaines administrations, qui doivent faire des anticipations.

M. le Rapporteur : Quelle est la relation entre le cabinet et les grandes directions du ministère et, particulièrement, la direction générale de la santé ? Autrement dit, à la DGS qui a, en principe, une faculté d'expertise importante, quels sont les moyens disponibles à ce moment-là ?

Les trois-quarts des effectifs étant partis en vacances, peut-on avoir recours à des expertises extérieures ? De même pour l'InVS. Dans chaque cas, on nous précise qu'un sous-directeur était présent : c'est normal, c'est la permanence de l'Etat, mais dans les sous-directions de la DGS, quel est le niveau d'expertise disponible en août ?

Vous affirmez que vous ne disposiez pas de critères scientifiques, mais que veut dire ne pas avoir les critères scientifiques ou d'expertise ?

Ce qui paraît curieux est que l'on ne se fonde que sur des critères d'expertise pour apprécier la situation. Or nous avons constaté l'absence de remontées des informations. La bonne solution n'était-elle pas obligatoirement que celles-ci « remontent » au niveau national pour « redescendre » sur le terrain ? N'y a-t-il pas eu un problème d'appréciation de la question sur le terrain ?

Ensuite, que se serait-il passé si l'alerte avait été donnée plus tôt, par exemple à la suite du communiqué de Météo France le 7 ou le 8 août ?

Mme Paulette GUINCHARD-KUNSTLER : Premièrement, quand vous rentrez de vacances, vous prenez contact avec un certain nombre d'administrations pour les solliciter sur l'information dont elles disposent. Avez-vous appelé le cabinet du ministre des affaires sociales en charge des personnes âgées et le cabinet du ministre de l'intérieur ?

Deuxièmement, j'aimerais savoir pourquoi vous faites le choix, quand vous prenez le temps de comprendre ce qui se passe, de vous intéresser à l'expérience de Chicago plutôt qu'à celle de Marseille en 1983.

Troisièmement, avec le recul, si l'alerte avait été donnée le 8 août, qu'est-ce que cela aurait changé ? Si les victimes avaient été des enfants, et qu'on ait compté 50 morts, n'y aurait-il pas eu une mobilisation plus grande de l'ensemble des responsables ?

M. Serge BLISKO : Vous n'avez jamais cité la direction générale de l'action sociale, madame. Chaque fois qu'on parle de crise sanitaire, le volet social n'apparaît pas spontanément. Cela me tourmente, cela prouve qu'on a des difficultés à lier le volet sanitaire et le volet social dans ce pays, problème observé depuis longtemps. Ce n'est évidemment pas entre le 8 et le 11 août qu'on pouvait y penser, mais il est regrettable que le rôle de la DGAS ne soit jamais évoqué.

Je reprends une question de M. le Rapporteur : on s'aperçoit que, bien que la continuité de l'Etat soit assurée au niveau des directions, on ne sait pas réellement combien de médecins de santé publique sont présents au début du mois d'août dans ce pays. Existe-t-il un mécanisme d'alerte efficient ? Pour connaître un certain nombre de DASS de petits départements peut-être peu concernés - je le reconnais - par cette vague de chaleur urbaine, je frémis en pensant à la faiblesse en personnel qu'il peut exister en août.

M. Dab, j'ai lu comme vous l'article de M. Besancenot qui décrit relativement bien ce qui est arrivé dans les grandes villes françaises et en Europe. Il mentionne plus de 1 000 auteurs, 60 sont cités, des auteurs en français et en anglais ; nous avons eu dans ce pays, une tendance, peut-être parce que, vous l'avez dit, c'est un pays tempéré, à une insuffisance d'appréciation.

La vraie difficulté est que les administrations sanitaires et la sécurité civile sont très séparées. Si une catastrophe sanitaire survient, les différents organes concernés fonctionnent de façon très cloisonnée, alors que, comme nous l'explique M. Besancenot, nous sommes confrontés à l'imbrication des problèmes sanitaires et sociaux. La fâcheuse habitude que toute la France se mette en vacances en août ajoute à la complexité de la situation.

M. Gérard BAPT : Pourquoi le Pr. San Marco, bien connu au ministère, président du conseil scientifique de l'INPES, n'a-t-il jamais été interrogé ?

M. le Président : Il est président du conseil d'administration.

M. Gérard BAPT : Ce médecin inspecteur du Morbihan, dès le 6 août, va à la pêche à l'information en demandant des études sur la canicule, en citant trois cas de jeunes qui sont morts sur des lieux de travail. N'est-ce pas une alerte ? De plus, le professeur Verny a fait un communiqué le 8 août, qu'il envoie à la DGS et à l'InVS dans lequel, après avoir décrit la situation dans son hôpital, il précise : « Les problèmes rencontrés, probablement en rapport avec les coups de chaleur, sont à mettre en relation avec les conditions climatiques particulières, les cas risquent de se multiplier notamment dans les services où il y a des patients âgés. » Il ne faut pas dire qu'on ne savait pas.

Autre information, le 8 août, la DDASS des Hauts-de-Seine demande à ce que les services d'urgence, par fax, lui transmettent le nombre de personnes reçues du fait de la canicule. Cela signifie que des initiatives ont été prises dans les administrations, ou individuellement, en plus de la curiosité des journalistes qui, le 6 août, cherchaient aussi à se renseigner sur les études épidémiologiques et sur les retentissements de la canicule.

Madame, quel était le médecin à partir du 11 août auprès de vous pour apprécier ces difficultés ? Vous nous avez expliqué avec beaucoup de véhémence que vous n'étiez pas en situation, et que personne n'était en situation, de les apprécier, mais quand je lis que, le 6, 8 août, un certain nombre d'éléments d'informations émanent de médecins, je pense que vous faites tout à fait mauvaise route.

M. Jean-Paul BACQUET : Madame, vous nous avez expliqué que le 12 août, en visite dans un service d'urgence, vous découvrez la catastrophe au-delà de ce que vous imaginez, M. Dab découvre le 17 la catastrophe au-delà de ce qu'il imaginait et cela suscite son retour anticipé.

Mon collègue donnait la communication de Météo France de début août qui était particulièrement inquiétante ; le Dr. Pelloux a fait une déclaration à la presse le jeudi 7 août.

Vous n'êtes pas médecin, madame, mais je suppose que dans votre entourage, des médecins ont eu peut-être moins de certitudes que vous ne semblez en avoir et ont eu quelques doutes ; alors y a-t-il eu un médecin qui, à la suite des déclarations du Dr. Pelloux, est allé voir ce qui se passait dans les hôpitaux ?

Je voudrais savoir si les déclarations du Dr. Pelloux ont été considérées comme purement médiatiques, alors que les médias traitaient déjà de la situation avec inquiétude, et pas seulement avec un œil de compassion.

Je m'inquiète d'autant plus que le 11 août, le cabinet du ministre diffuse un communiqué de presse précisant : « Dans l'ensemble des services hospitaliers, il n'existe pas d'engorgement massif des urgences », tout cela me semble totalement contradictoire et je suis extrêmement surpris de vos réponses.

Mme Anne BOLOT-GITTLER : Je voudrais répondre à votre question sur le communiqué de presse du 11 août.

Lorsque j'arrive le 11 août au matin, je demande à la fois au conseiller technique hospitalier du ministre et à la DHOS de faire un point complet sur la situation. Je demande également à la direction générale de la santé de me communiquer les informations dont elle dispose.

Sur la base des éléments qui me parviennent de la DHOS, il apparaît que la situation, comme cela est indiqué dans le communiqué que vous évoquez, est une situation de crise à l'AP-HP et une situation très tendue dans l'ensemble de l'Ile-de-France, mais qu'en dehors de cette région, la situation d'afflux aux urgences est celle que nous rencontrons durant les étés ordinaires, qui peut aller jusqu'à 20 % d'afflux supplémentaires, mais sans être du tout comparable à la situation hospitalière en Ile-de-France, caractérisée par une saturation complète des services d'urgence.

De la même façon, je demande à la DGS de me communiquer l'intégralité des informations dont elle dispose sur la canicule. Vous connaissez la réponse : la situation est maîtrisée. Et je ne dispose comme élément d'information que ce mail de 10 heures du matin ainsi que la transmission du communiqué du 8 août.

Sur la base de ces données, je rédige des éléments d'information pour le ministre, que je lui transmets en fin de matinée. A l'époque, il s'agissait pour moi d'informer le ministre. Ces indications lui ont convenu et il a décidé d'en faire un communiqué pour, justement, rappeler les conseils sanitaires à la population et aux personnes les plus fragiles.

Dans l'après-midi, une communication plus complète de la DHOS est venue confirmer ces données : pas d'afflux aux urgences en dehors de l'Ile-de-France, en dehors de quelques cas ponctuels (la Bourgogne, Nantes, quelques villes), une situation en matière hospitalière qui, sur l'ensemble du pays, n'était pas comparable à celle de l'Ile-de-France.

Aussi, lorsque la DGS indique qu'elle n'a pas été consultée sur le communiqué du 11 août, c'est tout à fait vrai dans la forme, en revanche, pour ce qui est du fond, c'est inexact, puisque c'est justement à partir des informations provenant de la DGS et de la DHOS que ce message a été rédigé.

Vous évoquez ensuite, M. le Président, les questions d'organisation durant cette période. Aucune information ne nous remonte ; j'ai indiqué à plusieurs reprises, ainsi que M. Dab, que le cabinet a fonctionné durant cette période à front renversé. C'est moi qui, le 11 août, appelle à deux reprises l'InVS, c'est moi qui appelle également la direction générale de la santé...

M. le Président : C'est pourquoi je demande comment vous interprétez cela.

Mme Anne BOLOT-GITTLER : C'est moi qui demande à la DHOS et à la DGS de se rendre à la réunion de crise de l'AP-HP. Vous évoquez les réunions qui s'organisent. Au plan hospitalier, nous étions en situation de crise, nous avions beaucoup de réunions informelles. J'ai vu le directeur de l'hospitalisation et de l'organisation des soins par intérim en permanence, j'étais joignable en permanence, jour et nuit.

Une réunion improvisée - je vous l'accorde, c'était une réunion improvisée - s'est organisée dans mon bureau, avec le conseiller spécial du ministre qui avait assumé l'intérim du directeur du cabinet la semaine précédente, le directeur de l'hospitalisation et de l'organisation des soins par intérim, le directeur général de la santé par intérim et nous avons fait le point à la suite de la réunion de crise de l'AP-HP. Cela nous a même rassurés de voir à quel point la direction générale de l'AP-HP avait réagi et à quel point elle avait décidé de mettre en place un plan de mobilisation extrêmement fort pour faire face à la situation des urgences. Nous avons eu des réunions dont beaucoup étaient improvisées et nous avons piloté les différentes actions.

Mon sentiment est d'avoir passé mon temps à piloter ces actions sans avoir l'information qui m'aurait permis d'interpréter ce qui se passait en termes de santé publique ; mais grâce à l'information dont je disposais en matière hospitalière, nous avons mis en place les mesures adaptées et nous les avons fait monter en puissance jusqu'au déclenchement du plan blanc hospitalier le 13 août au soir après la diffusion des chiffres des Pompes funèbres générales.

Je laisserai M. Dab répondre au sujet de l'organisation des directions des administrations centrales pendant les vacances. Les directeurs d'administrations centrales sont responsables de leur direction et sont libres d'organiser la permanence et la continuité du service public comme ils l'entendent.

Vous avez évoqué les échanges avec le cabinet du ministère des affaires sociales et le cabinet du ministre de l'intérieur. J'ai eu des échanges le lundi 11 août au matin avec le cabinet du ministre des affaires sociales et j'ai invité la personne qui assumait l'intérim à prendre contact avec ses services, notamment la direction générale de l'action sociale, pour voir ce qui passait au plan social.

J'ai également eu un échange le lundi 11 août en fin d'après-midi avec le cabinet du ministre de l'intérieur qui ne m'a pas donné d'information particulière à ce moment-là et qui m'a renvoyée vers la direction générale des collectivités locales.

Vous évoquez, madame, le fait que j'ai cité l'exemple du centre des contrôles des maladies d'Atlanta, mais vous avez raison, l'article de M. Besancenot est tout à fait évocateur de la situation. J'ignore totalement ce qui se serait passé si 50 enfants avaient été victimes de la canicule. Tout ce que je peux indiquer ici, pour ce qui me concerne, c'est que je n'ai pas pris l'alerte du médecin urgentiste avec légèreté, comme je vous l'ai indiqué, puisque, pour des raisons personnelles, j'avais passé mon dimanche après-midi à l'hôpital Bichat auprès d'une très vieille dame qui vivait seule.

L'expertise de M. San Marco a été évoquée : effectivement, je ne disposais pas de tous les noms des experts sur cette question ; si j'avais connu MM.  San Marco et Besancenot, bien entendu, je les aurais appelés, un échange téléphonique aurait été absolument utile à ce moment-là.

Je ne peux pas répondre aux questions antérieures au 11 août et sur les éléments d'information dont disposaient les directions d'administrations centrales, il faudrait un travail d'enquête sur les détails dont je ne dispose pas. Nos relations avec les directions d'administrations centrales sont permanentes et, d'ordinaire, très fécondes.

Je souhaiterais évoquer un point car je ne voudrais pas que les fonctionnaires qui travaillent à la DGS soient démoralisés. Le 12 août, l'essentiel du pays était concentré sur les problèmes d'électricité, le risque était que les centrales nucléaires tombent en panne et il fallait augmenter les températures limites des rivières pour autoriser le refroidissement des centrales nucléaires.

Nous avons eu des échanges avec à la fois avec EDF et le cabinet du ministère de l'industrie, j'ai eu le projet d'arrêté ministériel en fin de matinée, j'ai immédiatement demandé à la direction générale de la santé sa réaction sur cet arrêté. Nous étions dans une situation d'urgence absolue car il fallait que cet arrêté sorte le jour même.

La réaction de la DGS a été remarquable : non seulement, elle m'a répondu dans l'heure et nous avons fait modifier l'arrêté de santé publique concernant les eaux de baignade, mais le soir même, l'arrêté était publié.

Nos relations avec les directions d'administrations centrales sont des relations de professionnalisme en temps réel et elles s'organisent plutôt bien d'ordinaire.

Je ne suis pas médecin, je n'ai pas toutes les compétences, loin de là, c'est justement la raison pour laquelle j'ai envoyé la direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins assister à la réunion de crise de l'AP-HP, celle-ci étant la plus à même de connaître la situation hospitalière ; à cette réunion assistaient beaucoup de médecins, justement pour faire le point au plan médical sur la situation aux urgences.

Je voudrais revenir sur un communiqué du SAMU de France du 13 août, qui fait preuve d'une certaine humilité : « En tant que professionnels de l'urgence, nous n'avons pas alerté les pouvoirs publics car jusque-là, la situation était gérée avec les moyens disponibles. Le ministère de la santé est très attentif au fonctionnement de l'urgence... et nous ne saurions lui reprocher de ne pas avoir anticipé une situation que nous, les professionnels, n'avons pas vu venir, en tout cas pas à ce degré. »

Dans l'ensemble de l'administration centrale, beaucoup de médecins, de santé publique, hospitaliers, se sont mobilisés ; le cabinet compte aussi des médecins, notamment le conseiller technique hospitalier du ministre, qui est aussi médecin de santé publique, et qui a une appréciation médicale des situations.

M. William DAB : A propos du communiqué de Météo France, je trouve que le communiqué du 8 août de la DGS est plus fort. Le communiqué du 7 août évoque le risque sanitaire et ne précise pas que cette situation peut tourner à la catastrophe. Le communiqué du 8 de la DGS parle de répercussions graves sur la santé des personnes. Le fait est que cela n'a intéressé personne, puisque ce communiqué a donné lieu à une dépêche AFP le lundi suivant à 17 heures passés, c'est vous dire à quel point personne ne pensait à une alerte généralisée appelant une action ultra-rapide.

Vous avez évoqué les deux niveaux - national et local : je suis persuadé que ce genre de bataille, quand on aura à la livrer, se passera sur le terrain.

Mon rôle de directeur d'administration centrale, tel que je le conçois, est de créer les conditions, de donner aux acteurs de terrain des cadres et des outils prêts à l'emploi dont ils auront besoin le jour où nous ferons face à une situation comme celle-là. C'est pour cela que, dans nos groupes de travail de fabrication des plans, nous associons systématiquement, non pas seulement l'expertise nationale, mais les acteurs de terrain qui nous diront ce qui est réalisable, et qui nous permettront de savoir quel est l'appui et les moyens qui leur sont nécessaires pour que les plans ne restent pas des plans de papier mais soient aussi des plans de terrain.

Je voudrais terminer sur le cloisonnement. Oui, nous sommes dans un monde cloisonné. La santé publique et le soin sont cloisonnés, ainsi que le médical et le social, la ville et l'hôpital, le somatique et le psychiatrique, le terrain et le niveau national, la sécurité civile et la santé publique. Il faut créer de la transversalité entre ces différents éléments.

Dès que j'ai pris mes fonctions, je suis allé voir le directeur de la défense et de la sécurité civile.

Puis, j'ai décidé de réunir, toutes les semaines, tous les directeurs de toutes les agences de sécurité sanitaire. J'ai proposé au directeur de la défense et de la sécurité civile de s'y faire représenter. Je pense que, si on le lui avait demandé il y a six mois, il aurait objecté qu'on avait la sécurité civile d'un côté, la santé publique de l'autre, alors que là, il a décidé aussitôt d'envoyer quelqu'un.

Nous sommes en train de construire ces liens, mais incontestablement, ils n'étaient pas établis ; les gestionnaires de crise savent bien que l'on ne peut bien fonctionner en crise que quand l'on a développé auparavant des habitudes de travail avec des partenaires que l'on connaît et dont on apprécie la fiabilité.

C'est l'histoire de Pearl Harbor. Au sein de l'armée américaine, beaucoup de gens avaient eu des signaux de cette attaque, la marine en avait eus, les espions en avaient eus, mais à un moment donné, il n'y a pas eu de mise en commun des informations permettant de faire le diagnostic.

Nous devons créer les réseaux, les systèmes d'information permettant que cette mise en commun devienne routinière et c'est parce qu'elle sera routinière qu'on pourra mobiliser en cas d'urgence.

M. le Président : Sur ce point, je crois savoir que depuis plusieurs années, une réunion régulière, sous la direction du ministre lui-même, avait lieu avec les différentes agences. Ces réunions avaient-elles été poursuivies au cours de ces derniers mois ?

Vous semblez aujourd'hui réintroduire, sous la responsabilité du directeur général de la santé, une réunion avec les agences mais apparemment, il ne se tenait pas de réunion régulière.

M. le Rapporteur : M. Proust évoquait la création d'un état-major de veille par zone de défense. Quelle est votre appréciation de cette proposition ? Quels étaient les moyens disponibles à la DGS pendant l'été ?

M. William DAB : Il faudra poser la question à ceux qui étaient en situation de responsabilité de la DGS pendant l'été.

En ce qui concerne les réunions des agences de sécurité sanitaire, le directeur général de la santé réunissait, à l'époque tous les 15 jours, périodicité que j'ai fixée à toutes les semaines, les directeurs d'agences de sécurité sanitaire en présence du cabinet, c'est-à-dire de moi-même.

M. le Président : Je faisais allusion à une période plus ancienne.

M. William DAB : Je vous parle de ce que j'ai connu. Les directeurs des agences sanitaires étaient réunis en présence du cabinet, le ministre étant informé, dans la journée, des teneurs des discussions et des problèmes évoqués au cours de la réunion.

Quant aux initiatives de nos collègues de la défense civile, nous les appuierons autant que possible ; j'ai reçu une convocation, aujourd'hui, pour une réunion préparatoire afin de créer le comité interministériel de défense civile.

De la même manière que la sécurité civile participe toutes les semaines aux réunions de la DGS, bien évidemment, je m'impliquerai personnellement et j'irai à ce comité interministériel parce que les moyens opérationnels sont aux mains de la sécurité civile, la DGS ne les aura jamais. Il faut développer sa capacité à raisonner en termes de santé publique ; elle est habituée à raisonner en réaction à des catastrophes, comme l'afflux massif de victimes, elle a des procédures, le problème est de l'aider de façon à anticiper.

La solution à laquelle nous travaillons avec M. de Lavernée, directeur de la défense et de la sécurité civile, n'est pas de mettre des médecins au Centre opérationnel de gestion interministérielle de crise (COGIC) car des médecins coupés de leur milieu d'origine auront du mal à trouver leur identité dans un monde qui n'est pas le leur. Le schéma auquel nous pensons est de disposer à la DGS d'une capacité accrue de gestion et de réaction aux alertes afin de fonctionner en relations étroites avec le COGIC et de créer cette complémentarité d'équipe.

Nous participerons à toutes les initiatives venant du ministère de l'intérieur nous permettant d'intensifier les relations entre la santé et le groupe de la sécurité civile.

Audition conjointe de M. Edouard COUTY,
directeur de la DHOS,
et de Mme Danielle TOUPILLIER,
conseillère technique à la DHOS

(Extrait du procès-verbal de la séance du 12 novembre 2003)

Présidence de M. Claude EVIN, Président

M. Edouard COUTY et Mme Danielle TOUPILLIER sont introduits.

M. le Président : Nous allons, aujourd'hui, accueillir plusieurs responsables hospitaliers. Nous commençons par recevoir les responsables de la DHOS et nous poursuivrons par l'audition des responsables de l'AP-HP.

Nous accueillons d'abord M. Couty, directeur de la DHOS, et Mme Toupillier, conseillère technique à la DHOS. Nous vous souhaitons la bienvenue.

M. Couty, nous vous avons déjà auditionné lors de la mission d'information ; vous nous avez relaté les événements d'août tels que vécus à la DHOS, vous nous avez aussi donné un certain nombre de vos réflexions concernant les problèmes auxquels vous estimiez que l'ensemble du monde hospitalier a été confronté, la manière dont l'alerte a fonctionné et de ce point de vue, nous aurons peut-être besoin de revenir sur un certain nombre de ces questions d'autant que, lorsque nous avons auditionné les sapeurs-pompiers, il nous avait été indiqué qu'ils avaient eu énormément de mal à trouver des services d'urgence susceptibles d'accueillir des victimes.

Vous nous avez précisé, lors de votre audition devant la mission d'information, que vous étiez en train de mettre en œuvre un système d'information et de gestion de ces situations et il serait intéressant que vous puissiez nous faire le point sur vos travaux pour savoir si vous avez avancé dans sa mise en place.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, M. Couty et Mme Toupillier prêtent serment.

M. le Président : Je vais commencer par Mme Toupillier car elle assurait la permanence à cette direction. Il serait peut-être opportun, madame, que vous puissiez nous donner, dans une intervention liminaire, le déroulement des événements quant au déroulé de cette période vue de la DHOS.

Mme Danielle TOUPILLIER : Tout a commencé pour la DHOS le 7 août en fin d'après-midi alors que j'assurais, effectivement, l'intérim de M. Couty.

J'ai reçu un appel téléphonique du Dr. Pelloux en tant qu'urgentiste à l'hôpital Saint-Antoine à Paris mais également en tant que président de l'association de la médecine d'urgence (AMUHF), vers 17 heures - 17 heures 30, m'informant d'un niveau d'encombrement inhabituel aux urgences de Saint-Antoine ; à la question que je lui posais de savoir si cela était localisé à Saint-Antoine, il m'a indiqué que quelques autres établissements de l'AP-HP et du secteur d'urgence connaissaient la même situation.

Il n'était pas question alors de crise. Le mot de « canicule » n'était pas employé mais l'expression « encombrement des urgences de manière inhabituelle ».

Je lui ai demandé s'il avait informé le siège de l'Assistance Publique de Paris : il m'a répondu qu'il l'avait fait. Cependant, par principe de précaution et pour respecter les instructions de notre directeur, j'ai vérifié cette information auprès de M. Deroubaix, secrétaire général de l'AP-HP, avec lequel j'ai été en contact autour de 18 heures-18 heures 30 le même jour. Il m'a dit avoir été prévenu par le Pr. Carli, responsable des SAMU de Paris, du niveau d'encombrement inhabituel des urgences et il avait également eu personnellement le Dr. Pelloux.

L'Assistance Publique de Paris, sous la houlette de M. Dominique Deroubaix, se mettait en ordre de marche pour organiser et assurer la fluidité des secteurs d'urgence déjà encombrés.

J'ai informé le cabinet du ministre, comme le fonctionnement interne le demande : vers 18 heures-18 heures 30, j'ai eu M. Cédric Grouchka, conseiller technique du ministre qui a noté l'information et m'a demandé de prendre contact avec M. Deroubaix.

J'ai également eu un contact vers 19 heures-19 heures 30 avec Mme Marie Lepée, secrétaire générale à l'ARH d'Ile-de-France. Nous avons fait le point, avant son départ en congé, sur de nombreux sujets ; nous avons traité du protocole des urgentistes mis au point au cours de l'été à l'AP-HP et à l'agence régionale d'Ile-de-France et je lui ai demandé si on avait constaté des difficultés particulières aux urgences. Elle m'a dit qu'aucune difficulté n'avait été signalée à l'ARHIF.

Principe de précaution oblige, nous nous sommes mis en alerte et nous nous sommes constitués en cellule de veille au sein de la DHOS. Celle-ci peut se transformer en cellule de crise à tout instant, conformément à notre organisation interne.

M. le Président : Dès le 7 au soir.

Mme Danielle TOUPILLIER : Oui. Nous sommes à l'écoute des ARH et des hôpitaux, nous sommes joignables 24 heures sur 24, nous avons une personne de permanence à la DHOS 24 heures sur 24 et moi-même, assurant l'intérim, j'étais de permanence 24 heures sur 24. Je n'ai pas eu de contacts le 7 août, en dehors de celui du Dr. Pelloux, de la série d'informations que j'ai donnée au cabinet du ministre, et de l'appel à l'AP-HP et à l'ARHIF.

M. le Rapporteur : Les appels concernant l'AP-HP viennent-ils des hôpitaux ou de la centrale ?

Mme Danielle TOUPILLIER : Nous étions en contact essentiellement avec la centrale nuit et jour à partir du 7 août ; nous n'avons pas eu toutefois de signalement dans le week-end du 9 au 10 août. Cependant, nous étions en contact permanent, avec, en particulier M. Deroubaix, secrétaire général, M. Gonin, directeur adjoint de cabinet de la directrice générale de l'AP-HP, et la cellule de crise constituée dès le 8 août. Nous avons eu des contacts permanents avec l'AP-HP mais aussi avec les ARH d'Ile-de-France et de Bourgogne qui étaient les deux régions les plus particulièrement touchées.

M. Edouard COUTY : Nos interlocuteurs habituels sont effectivement l'administration centrale de l'AP-HP et l'ARH d'Ile-de-France, puisque nous n'avons pas l'habitude d'avoir des contacts directs avec les établissements, sauf cas tout à fait exceptionnels. Mais, dans l'autre sens, nous pouvons avoir des contacts directs : le Dr. Pelloux par exemple, nous appelle, ainsi que d'autres syndicalistes.

M. le Rapporteur : L'information qui vient de la base suit le circuit suivant : l'hôpital, l'ARH et vous ?

M. Edouard COUTY : Oui.

M. le Rapporteur : Si les ARH sont en « volets clos », notamment en été, que se passe-t-il ?

M. Edouard COUTY : Nous les avons mobilisées formellement à partir du 11 août.

Mme Danielle TOUPILLIER : Une permanence était organisée dans la quasi-totalité des ARH, mais le directeur n'était pas toujours personnellement présent.

A l'ARHIF, la personne qui assurait l'intérim du directeur, M. Ritter, était Mme Perrau-Saussine, remarquable dans la conduite de cette situation de crise. Et, du coté de l'AP-HP, nous avons eu principalement pour interlocuteurs M. Deroubaix et M. Gonin, et la cellule de crise constituée autour de M. Deroubaix dès le 8 août.

Le 7 août dans la nuit, ni mes collègues ni moi ne recevons d'appel. Le 8 août, nous avons des contacts très fréquents avec l'AP-HP et M. Deroubaix en particulier. L'AP-HP a constitué, dès le 8, une cellule de crise, a préparé un communiqué de presse et a adressé une note à tous les directeurs d'établissement du siège de l'AP-HP. Chacun était informé de la conduite à tenir et de la nécessité de libérer un certain nombre de lits pour pouvoir faire face à la situation. Du côté du ministère, la DGS nous a informés d'un communiqué de presse comportant des recommandations sanitaires diffusé le 8 août.

Du côté de la DHOS, pendant le week-end du 9 et du 10 août, nous avions une personne de permanence, Mme Martine Aoustin. Je n'ai reçu personnellement aucun appel durant le week-end, ni du préfet, ni de la DDASS, ni de l'ARH, ni du monde hospitalier, de l'ARHIF ou de l'AP-HP. Nous avons eu juste un appel adressé à notre administrateur de garde le 10 août au soir, émanant de M. Coquin (DGS), qui nous a interrogés pour savoir si nous avions un plan spécifique canicule. Or, M. Couty vous l'expliquera tout à l'heure, nous n'avons pas de plan spécifique pour tel ou tel événement, nous avons le plan blanc qui englobe toutes les situations de catastrophe et la situation, nous le verrons, a été présentée de cette manière, dès le 11 août.

Le 10 août, survient l'alerte médiatique du Dr. Pelloux qui indique un nombre de décès limité que nous considérons comme la première alerte en matière hospitalière.

Je n'ai reçu aucun appel au cours de la nuit ; le 11 août au matin, à 8 heures, j'ai eu un appel téléphonique, le premier de la matinée, de M. Deroubaix, pour le compte de la directrice générale de l'AP-HP, nous indiquant la tenue, à 10 heures du matin, d'une réunion interne associant, s'ils pouvaient effectivement venir, l'ARH d'Ile-de-France et la préfecture de police, afin d'examiner la conduite à tenir face aux difficultés croissantes constatées durant le week-end.

Il est inhabituel que l'administration centrale participe aux réunions internes hospitalières. Cependant, j'ai prévenu le cabinet du ministre que le message de l'AP-HP me paraissait présenter un signe de grande préoccupation et Mme Anne Bolot-Gittler, par l'intermédiaire de M. Grouchka que j'ai pu joindre vers 9 heures 15, m'a indiqué qu'il convenait que je me présente à cette réunion où nous étions invités, mais également que je demande à l'AP de Paris de convier la direction générale de la santé, ce que j'ai fait, M. Deroubaix ayant fait le nécessaire pour la prévenir.

M. le Président : C'est vous qui appeliez le cabinet le 11 août au matin dès 8 heures ?

Mme Danielle TOUPILLIER : A 8 heures, je reçois l'appel de l'AP-HP, je prends la route et à 9 heures, je me suis arrêtée à la Porte d'Italie pour téléphoner, car j'ai senti que l'appel de l'AP-HP était tout de même préoccupant et j'ai demandé à M. Grouchka, que j'ai pu joindre, s'il convenait que je me rende à cette réunion de l'AP-HP, compte tenu de l'alerte donnée par M. Deroubaix, qui me paraissait - le connaissant très bien - inquiet.

M. le Président : Le cabinet du ministre a été alerté entre 9 heures et 9 heures 15 ?

Mme Danielle TOUPILLIER : Oui. Au bout de dix minutes, j'ai eu l'autorisation d'aller à la réunion interne de l'AP-HP. J'y suis arrivée à 9 heures 40 et j'ai vérifié que M. Deroubaix avait bien alerté la direction générale de la DGS, ce qu'il avait fait.

Dès 9 heures du matin, dès que j'ai eu l'alerte, notre cellule de veille s'est transformée en ce que nous appelons la cellule nationale de crise de la DHOS, car il existe par ailleurs une cellule ministérielle où toutes les directions sont mobilisées ; nous avons constitué une cellule spécifique à la DHOS dans laquelle j'ai mobilisé des représentants de chacune de nos sous-directions pouvant nous aider sur l'ensemble des domaines d'intervention, puisque nous savions qu'un certain nombre de problèmes pouvaient se poser, des problèmes d'alimentation électrique, d'afflux aux urgences, de transferts de malades. La cellule était au minimum de 10 personnes et comportait jusqu'à 15 personnes du 12 au 13 août, journées pendant lesquelles nous avons connu les pics de recours au secteur des urgences les plus importants de cette période.

A la demande du cabinet du ministre, nous nous sommes adressés aux ARH en signalant la situation exceptionnelle d'alerte dans laquelle nous étions et en leur demandant d'adapter le système hospitalier en conséquence. A ce moment-là, nous avons demandé à chaque directeur d'ARH de nous faire parvenir leurs informations et nous avons également demandé que les remontées d'informations puissent être organisées au quotidien : nous avons établi dans ce but une grille, diffusée aux ARH, et nous avons pu ainsi donner des tendances, puisque nous étions en contact téléphonique permanent. Ces informations ont été confirmées par écrit ; nous avons un document que nous pourrons laisser à votre commission, témoignant de cette collecte d'informations journalière qui nous a permis de faire un point très régulier sur la façon dont les régions ont fait face.

Il faut saluer d'ailleurs la grande solidarité dont les hospitaliers ont fait preuve durant cette période ; les hôpitaux ont été très solidaires, y compris des maisons de retraite et de repos : nous avons beaucoup soutenu le dispositif médico-social.

Nous avons organisé des collectes d'informations quotidiennes jusque dans la journée du 22 août. Puis, nous avons considéré que la crise était passée et le directeur, ici présent, a demandé que nous fassions une synthèse de sortie de crise pour examiner les enseignements à en tirer.

A L'AP-HP, la réunion du 11 août était importante et nous avons mesuré l'ampleur de l'extrême difficulté à laquelle elle était confrontée. Nous avons demandé que la solidarité puisse être organisée avec l'ARH d'Ile-de-France afin que les établissements hors AP-HP viennent au secours des établissements de l'AP-HP.

Nous avons donc signalé au cabinet du ministre dès 11 heures-11 heures 30, le 11 août au matin, que, sur la remontée d'informations que nous avions faite et dont les notes de synthèse peuvent témoigner, il était observé, dans 11 villes consultées, les plus importantes, une affluence modérée, à l'exception d'une situation très difficile en Ile-de-France, la plus touchée, et en Bourgogne, ce qui a nécessité une mobilisation plus exceptionnelle qu'ailleurs. Les autres régions ont pu, grâce la solidarité inter hospitalière, s'organiser entre elles sans débordement dans les régions limitrophes.

Le cabinet du ministre a été informé de manière permanente sur toutes les informations qui nous parvenaient.

Le cabinet a diffusé un communiqué de presse et nous l'avons informé du résultat de la réunion du 11 août à l'AP-HP : j'ai vu Mme Anne Bolot-Gittler en présence de M. Philippe Georges, conseiller spécial du ministre, vers 13 heures 15-13 heures 30, la réunion de l'AP-HP ayant duré jusqu'à 12 heures 30. M. Coquin est intervenu pour la DGS, alors que je finissais l'exposé de ce sujet, pour expliquer qu'il était particulièrement fâché à propos d'un article du Dr. Pelloux, dans lequel ce dernier mettait gravement en cause la DGS.

L'ARH d'Ile-de-France a donné des instructions aux directeurs d'établissements de santé, publics et privés, disposant de secteur d'urgence, pour leur demander de prendre toutes les mesures exceptionnelles de prise en charge des patients dans le cadre des urgences.

On sait qu'en période de canicule ou de grand froid, des délestages électriques peuvent poser de graves problèmes, surtout dans le suivi de certains patients. Nous avons donc pris, de notre coté, un premier contact avec EDF qui s'est avéré infructueux. Puis, nous avons pu les joindre le 12 août ; une réunion a été organisée au siège d'EDF, à laquelle nous avons participé, à la demande de la DGS, notre crainte étant un éventuel délestage, afin d'examiner les mesures de précaution à prendre éventuellement.

Le 12 août, nous avons eu une réunion informelle à Matignon, concernant exclusivement la problématique de l'AP-HP, à laquelle Mme Bolot-Gittler m'a demandé de l'accompagner. Etaient présents, outre les représentants du service du Premier ministre, Mme Van Lerberghe et le Pr. Carli qui a tout à fait bien exposé les principes de l'hyperthermie, de manière à illustrer la difficulté que connaissait l'AP-HP. L'objectif de cette réunion était d'examiner quelle aide donner à celle-ci, notamment par les hôpitaux militaires et la Croix rouge.

Du côté des établissements de santé, les 12 et 13 août ont été des journées de grande tension puisque nous avons eu des passages aux urgences et des hospitalisations qui ont progressé de manière variable, de 10 à 50 %, ce qui est assez inhabituel pour l'été, et une mortalité également en croissance.

Dès le 11-12 août, on commence à nous signaler quelques personnes décédées à leur domicile, dans les maisons de retraite, les maisons de repos et nous demandons aux hôpitaux qui nous contactent de bien vouloir participer à la solidarité : normalement, nous accueillons les corps des personnes décédées en milieu hospitalier et nous avons donc demandé que l'entraide puisse jouer.

En Ile-de-France, la situation est alors très préoccupante. L'AP-HP connaît un surencombrement des urgences et un problème de début d'encombrement des morgues. Un plan blanc est déclenché dès le 11 août, dans le Val-de-Marne, à l'hôpital de Créteil. C'est le seul vrai plan blanc de cette période. Certains autres hôpitaux ont mis en place des plans blancs dits préventifs, mais n'ont jamais vraiment déclenché le plan blanc.

M. le Président : Le CHI de Créteil l'a-t-il réellement déclenché ?

Mme Danielle TOUPILLIER : Oui, c'est le seul qui ait véritablement déclenché le plan blanc dès le 11 août et nous en avons été informés par l'ARHIF le 12 août.

M. le Président : Est-ce en raison d'une réactivité du directeur plus grande ou d'une situation particulièrement tendue ?

Mme Danielle TOUPILLIER : L'AP-HP, pour des raisons internes assez symboliques qui tiennent à son histoire et qu'elle pourra vous expliquer tout à l'heure, a préféré ne pas utiliser le terme de « plan blanc. » En définitive, le 8 août, elle s'est comportée comme si le plan blanc était mis en œuvre, mais elle a préféré appeler cela le « plan pour l'action chaleur extrême », équivalent, pour nous, au plan blanc.

L'ARH d'Ile-de-France a alors envoyé une note pour indiquer qu'il fallait mettre en place un dispositif exceptionnel de prise en charge des urgences et a confirmé ses instructions du 8 août. Avec EDF, nous avons eu une réunion interne et nous avons eu l'assurance que les hôpitaux, comme ils le sont traditionnellement, étaient des établissements prioritaires continuant à être alimentés malgré les délestages éventuels que pourraient connaître les particuliers.

A la demande du cabinet, nous avons participé, avec la direction générale de la santé (Dr. Coquin), le 12 août au soir, au « Téléphone Sonne » sur France Inter, une émission associant également le Pr. Carli et le Dr. Pelloux. Cette demande nous avait été faite le 11 août au cours du compte rendu que je faisais, vers 13 heures 30, de la réunion de l'AP-HP.

Le 13 août, la DHOS a envoyé une note aux ARH sur les recueils d'informations de l'InVS, puisque ce dernier a produit un document pour recenser le taux de mortalité que nous devions adresser aux établissements de santé, la DGS se chargeant des envois vers d'autres organismes (DRASS, DDASS...). Nous donnons une série d'instructions et des problèmes commencent à se poser de manière répétitive ; nous sommes notamment alertés par l'AP-HP sur la nécessité de lever les ententes préalables.

Nous sommes devenus la plaque tournante des informations, y compris dans des champs de compétence qui ne sont pas traditionnellement les nôtres car, comme nous étions constitués en cellule de crise et que nous pouvions écouter les détresses des uns et des autres, nous avons été le réceptacle de l'ensemble des demandes qui émanaient de particuliers, d'organismes, d'hôpitaux, de DDASS, d'ARH, etc.

L'entente préalable posait des problèmes à l'AP-HP car on devait faire face à un taux d'encombrement très exceptionnel aux urgences alors que des lits étaient disponibles dans les services de soins de suite et de réadaptation. Les personnes qui passent des urgences aux soins de suite doivent faire l'objet d'une entente préalable qui demande trois jours, en raison de l'accord obligatoire à recueillir du médecin conseil de la sécurité sociale, voire huit jours en période d'été, selon les informations communiquées par l'AP-HP (Mme Bressand, directrice des soins au siège de l'AP-HP). Nous avons donc fait lever l'obstacle en intervenant auprès du cabinet qui a sollicité, avec nous, directement la direction de la sécurité sociale et la caisse nationale d'assurance maladie (CNAM), afin de pouvoir assurer la fluidité de ceux des patients qui pouvaient être transportés sans risque dans les services de soins de suite et de réadaptation. Cela a été fait immédiatement, la mesure a été exceptionnelle, et elle a permis de désencombrer très vite un certain nombre d'urgences.

Nous avons également eu une série de ruptures de stock de solutés de réhydratation et nous avons donné des instructions conjointes avec la DGS et la DGAS pour que les hôpitaux puissent se porter au secours des maisons de retraite et pour que des officines de pharmacie, situation inhabituelle, puissent se réapprovisionner en stock suffisant et en redistribuer, autant que de besoin, à différents organismes ou institutions qui pouvaient faire des demandes, en particulier les maisons de repos ou de retraite.

M. Jean-Marc ROUBAUD : Je voudrais revenir sur la levée de l'entente préalable s'il vous plaît...

Mme Danielle TOUPILLIER : L'information sur la levée de l'entente préalable a été effectuée le 13 août par la DHOS et complétée le 14 août auprès des ARH, DRASS, DDASS et établissements de santé concernés.

M. Jean-Marc ROUBAUD : Vous nous expliquiez le mécanisme de l'entente préalable, pourquoi huit jours au lieu de trois jours ?

Mme Danielle TOUPILLIER : Parce que nous sommes en période estivale. Nous n'avons pas la maîtrise de ce dispositif, dont s'occupent la direction de la sécurité sociale et la CNAM. Il nous a été indiqué par l'AP-HP qu'en temps habituel, il fallait trois jours pour obtenir l'accord du médecin conseil, mais qu'en période estivale, le délai pouvait être porté de trois à huit jours. Le niveau d'encombrement pouvait donc être très rapidement absorbé si nous arrivions à demander à la DSS et à la CNAM de lever cette entente, ce que nous avons fait avec le soutien du cabinet du ministre.

Formellement, nous faisons la demande le 13 août, puisque c'est ce jour que nous sommes sollicités par Mme Bressan, directrice des soins à l'AP-HP, et l'information sera donnée le 13 août et complétée le 14 août suite à l'accord de la DSS et de la CNAM.

M. le Président : Pensez-vous que cette procédure empêche traditionnellement la fluidité du circuit des malades à l'hôpital ?

Mme Danielle TOUPILLIER : Oui, M. le Président, surtout lorsque la situation aux urgences est tendue.

M. le Président : Un des problèmes qu'on semble percevoir est le fait que les urgences ont connu des difficultés en amont et en aval.

Je pense que cela doit poser un certain nombre de problèmes au regard des prestations sociales et, donc, de la réglementation en matière de sécurité sociale, mais on peut se poser la question de savoir s'il ne faudrait pas lever ce type de procédure. Vous avez réussi à le faire en cas d'urgence, mais existe-t-il d'autres situations dans lesquelles, dans les hôpitaux, on bute sur ce type de difficulté ?

M. Alain CLAEYS : Ne peut-on pas sortir des urgences sans entente préalable ?

M. Edouard COUTY : Aujourd'hui, une personne admise aux urgences, avant d'aller dans un service de moyen séjour, de soins de suite ou dans une maison pour personnes âgées, doit passer dans un service de court séjour, un ou deux jours en médecine.

On ne peut pas passer directement d'un service d'urgence à un service de soins de suite sans passer par un service de court séjour, sauf accord préalable. Un texte national organise cette entente préalable. Cela nous pose problème de temps en temps, de manière récurrente, même si la filière habituelle d'un malade est d'être admis au service d'urgence, puis hospitalisé pour faire le diagnostic, les examens complémentaires, etc., et quand le traitement est prescrit, d'aller dans un autre service, soit à l'intérieur de l'hôpital, soit dans un autre établissement.

M. Pascal TERRASSE : C'est une raison financière avant tout.

M. Jean-Paul BACQUET : A partir du moment où vous avez pris conscience qu'il fallait lever ce verrou, sur quels critères avez-vous fondé ces décisions ?

Les médecins-conseils vous ont-ils alertés sur un excès de demandes et une nécessité de prendre des mesures ou est-ce vous qui avez pris l'initiative ?

Mme Danielle TOUPILLIER : Nous avons été alertés, nous avons été la plaque tournante de demandes émanant du milieu hospitalier. La demande venait de médecins hospitaliers et de cadres soignants ; elle a transité par Mme Bressand qui nous a mis en alerte afin que nous puissions, de manière déterminée, nous employer à convaincre nos collègues des autres directions et services concernés de lever cette entente préalable qui immobilisait plusieurs dizaines de personnes âgées, de manière inutile, dans des conditions d'inconfort évidentes. La levée d'entente préalable a été prolongée jusqu'au 20 août. Par précaution, nous avons demandé une deuxième prolongation jusqu'au 29 août et M. Couty a demandé que l'on propose une levée définitive de l'entente préalable car nous devons favoriser la fluidité des services d'urgence de manière permanente et pas seulement en situation de catastrophe.

M. Jean-Paul BACQUET : Les dossiers d'entente préalable s'accumulaient-ils au niveau du service médical ?

M. Edouard COUTY : Nous avons été alertés par des praticiens hospitaliers qui constataient que le goulot d'étranglement aux urgences était en train d'augmenter et que pour le dégager, il fallait pouvoir placer directement les malades qui ne nécessitaient pas une hospitalisation en réanimation ou dans des services lourds, dans les services de soins de suite, sans passer par l'hôpital et sans entente préalable.

M. Jean-Paul BACQUET : Avant que les médecins hospitaliers ne vous consultent pour prendre cette très bonne décision, avaient-ils envoyé un grand nombre d'ententes préalables et ont-ils été obligés de vous solliciter en raison de l'absence de réponse, due elle-même à la longueur des délais ?

Mme Danielle TOUPILLIER : Nous ne pouvons pas dire cela de cette manière. Nous sommes le 13 août, jour où le pic hospitalier est le plus haut et aux urgences, au moment où l'on fait les ententes préalables, on ne constate pas de retard pris par les médecins-conseils de la sécurité sociale, mais un très gros afflux de personnes âgées : un des moyens de le résorber était l'admission directe en service de soins de suite et de réadaptation où on disposait de centaines de lits vacants parfaitement adaptés à l'état de santé des patients. C'est pourquoi nous avons essayé d'être les intermédiaires pour résoudre cette difficulté.

M. le Rapporteur : Votre direction est alertée par diverses sources, non pas officiellement mais par d'autres moyens (téléphone, etc.), vous rassemblez beaucoup d'informations, en tirez-vous comme conséquence qu'il faut donner l'alerte et/ou qu'il faut prévoir une évacuation vers l'aval ?

L'encombrement est un signal d'alerte très fort, or, la première décision que vous prenez, essayer de débloquer la situation vers l'aval, est très bonne. Prenez-vous d'autres décisions, alertez-vous d'autres directions ou la DGS pour dire qu'« il y a le feu » ?

Mme Danielle TOUPILLIER : Nous avons bien sûr pris contact avec la direction de la sécurité sociale mais, immédiatement, la décision de lever l'entente préalable a été prise par le cabinet du ministre, Mme Bolot-Gittler qui a personnellement demandé à M. Cédric Grouchka de téléphoner à la direction de la sécurité sociale et à la CNAM pour la faire lever. Nous agissions techniquement auprès de la sécurité sociale et le cabinet intervenait politiquement pour demander à la CNAM également de lever l'entente préalable.

Nous devions, d'une part, prendre contact avec la direction de la sécurité sociale et la CNAM pour lever le cadre juridique de l'entente préalable et d'autre part, informer les hôpitaux et les ARH que cela était fait.

Nous les avons prévenus le 13 août qu'ils pourraient, dès le 14, puisque l'instruction a été diffusée formellement le 14 août, organiser les départs vers les services de soins de suite et de réadaptation.

M. le Président : Il faut que vous continuiez sur le déroulement des événements, nous reviendrons ensuite sur les procédures.

Mme Danielle TOUPILLIER : Autre problème, le 13 août, la DDASS de Paris nous a demandé une dérogation pour assurer le transport de corps par le biais d'ambulances privées, ce qui était inhabituel, le cadre juridique l'interdisant aujourd'hui ; nous avons donc prévenu le cabinet du ministre et la DGS, puisque la compétence sur ces sujets relève de cette dernière et de la direction générale des collectivités locales.

La direction générale de la santé a souhaité que nous nous occupions de ce problème, j'ai désigné une personne qui était préposée au problème de transport de corps, en lieu et place de la DGS.

Ce transport de corps ne peut être assuré que par des organismes officiels et habilités. Nous avons pris contact avec le ministère de l'intérieur, après accord du cabinet du ministre de la santé, afin d'obtenir cette dérogation exceptionnelle, puisqu'elle contrevient au dispositif de la loi et à une série de règlements assez lourds. Le ministère de l'intérieur, dans un message du 13 août, a considéré que l'on ne pouvait avoir un accord de cette nature pour lever un dispositif légal qu'après réunion interministérielle que nous avons immédiatement demandée.

Le cabinet a fait une intervention auprès de Matignon de manière à ce que nous puissions tenir une réunion interministérielle le 14 août. Nous avons également participé à une réunion inter-directions le soir même au cabinet du ministre sous la présidence du Pr. Abenhaïm, regroupant des membres du cabinet, la DGS, la DHOS, l'InVS. Cette réunion s'est partiellement déroulée en présence de France 2 Télévisions. Elle concernait la problématique de la mortalité.

Ensuite, la DHOS a participé à une réunion interministérielle pour déclarer les établissements de santé prioritaires pour l'alimentation électrique.

M. Pierre LASBORDES : Je voudrais savoir à quel moment vous avez eu des contacts avec M. Grouchka, car Mme Anne Bolot-Gittler nous a dit la semaine dernière que le lundi 11, lorsqu'elle est rentrée, elle avait 300 mails et beaucoup de courrier mais que personne ne l'avait avertie de problèmes liés à la canicule. Elle a simplement signalé la tenue d'une réunion de crise à l'AP-HP. Le cabinet avait-il été prévenu avant le 11 août de la situation ?

Je crois savoir que, quand une personne âgée arrive aux urgences avec une température élevée, c'est déjà trop tard. Qui aurait pu donner des consignes pour anticiper les problèmes afin que les gens n'arrivent pas quand c'est trop tard ?

M. Jean-Marc ROUBAUD : En dehors de ce calendrier que vous nous avez présenté, on se rend compte de l'extraordinaire multiplicité des dispositifs entre la DGS, la DHOS, l'InVS, l'ARH, l'AP-HP, la CNAM, etc. Au travers de toutes ces structures, estimez-vous, en tant que professionnelle, qu'il y a eu une faute d'une de ces structures ? Ce n'est pas pour accuser quelqu'un de particulier.

Vous avez fort bien dit qu'il y avait des lits disponibles dans les hôpitaux de Paris. La directrice des hôpitaux de Paris nous avait dit que toutes les personnes admises aux urgences avaient pu être traitées. Je voudrais avoir votre sentiment à ce sujet et savoir si nous ne sommes pas paralysés par cet ensemble de structures administratives qui rend tout dispositif inefficace de par la dilution des responsabilités.

M. Dominique PAILLE : Je voudrais poser une seule question sur la chronologie des événements. Le 11 août, date à laquelle une intervention ministérielle à la télévision se voulait rassurante, un certain nombre d'indicateurs dans les services pouvaient déjà laisser penser que nous étions face à une hécatombe.

Je voudrais savoir très clairement si le cabinet du Ministre avait été informé de cet état, des constats alarmants ou alarmistes qui avaient été faits, si oui, nous en tirerons les conclusions, si non, pourquoi cela n'a-t-il pas été fait ?

M. Jean-Marie ROLLAND : J'ai bien compris que pendant les périodes d'été, on constatait une diminution des capacités d'accueil de lits d'aigus. Retrouve-t-on, dans les lits de post-soins, cette même pénurie pendant les mois d'été ?

M. Pascal TERRASSE : Nous avons pu relever, dans les documents qui ont été fournis à la mission d'information, que les alertes de Météo France, dès le 1er août, mettaient en évidence une canicule forte et durable.

Nous avons auditionné, la semaine dernière, les services de secours et d'incendie de la ville de Paris qui nous ont indiqué que, dès le début de la semaine, ils ont constaté un nombre d'interventions beaucoup plus important que les années précédentes. A vous entendre, j'ai cru comprendre que les premières alertes se situaient autour du 7 août... Entre le 1er et le 7 août, je voulais savoir ce qui s'est passé dans vos services.

Avez-vous eu le sentiment qu'il y avait, avant le 7 août, des premiers problèmes ou pas du tout ?

M. le Rapporteur : Ma première question porte sur la mobilisation des capacités d'accueil. Qu'en était-il des cliniques privées puisque la direction des hôpitaux a également compétence sur la mobilisation des lits des cliniques privées ?

A propos des effectifs et des lits disponibles, quelles instructions avaient-elles été données par la direction des hôpitaux à ce sujet et avec quelle précision, autrement dit, a-t-on indiqué le nombre de lits qui devaient être fermés pour tel service de tel hôpital, de telle unité de l'AP-HP ou de tel CHU, et quels moyens avez-vous d'opérer le suivi de ces instructions ?

Deuxièmement, comment s'opèrent les remplacements des personnels en vacances ?

Qualitativement, du point de vue des compétences, quels sont les critères utilisés pour embaucher des remplaçants ?

Nous disposons également des rapports faits notamment en Côte d'Or indiquant très clairement que les remplaçants ne sont pas toujours d'une compétence suffisante, cela vaut surtout pour les maisons de retraite, mais également pour les centres hospitaliers.

M. Edouard LANDRAIN : A votre connaissance, existait-il un plan canicule et depuis quand ?

M. Edouard COUTY : M. le Rapporteur, vous avez posé une question indiquant que la DHOS avait été alertée par différentes voies ; a-t-on évalué les faits et comment a-t-on prévenu ? M. Paillé a également posé la question de savoir si le 11 août, on avait une idée précise de la catastrophe.

Personnellement, je suis parti en vacances le 4 août ; entre le 1er août et le 7 août, date de la première intervention du Dr. Pelloux, nous n'avons eu aucun signalement, sinon je ne serais pas parti en vacances. Je suis rentré le 14 août mais j'étais en contact téléphonique avec Mme Toupillier à partir du 10 août, quotidiennement.

J'ai été en contact avec le cabinet, à partir du 12 août et j'ai posé la question de savoir si je devais rentrer, le cabinet m'a demandé d'être prêt à le faire et me l'a demandé le 13, je suis rentré le 14 au matin.

J'ai été tenu au courant de manière bi-quotidienne à partir du 10, nous avons pris un certain nombre de dispositions vis-à-vis des ARH, etc., mais il est clair que pour nous, compte tenu des informations que nous avions, de la manière dont nous pouvions les évaluer, jusqu'au 12 août au matin, la situation était très difficile aux urgences de la région Ile-de-France et dans les services d'urgence de la région de Bourgogne, c'est tout.

Nous avons un tableau synthétique des collectes d'informations des ARH, collectes que nous avions organisées quotidiennement depuis le 9 août, où l'on voit que, dans toutes les régions de France, à la date du 11 août inclus, jusqu'au 12 au matin, aucune situation catastrophique ou difficilement maîtrisable n'est décrite, mais qu'il existait une alerte forte à Paris, en Ile-de-France - et encore, pas dans tous les établissements d'Ile-de-France - et en Bourgogne.

Lors des deux journées les plus difficiles, le 12 et le 13 août où, véritablement, les urgences ont été saturées à Paris, en Ile-de-France, dans le Centre, en Bourgogne et dans quelques villes comme Lyon, Grenoble, Bordeaux, Reims, Besançon, nous n'avions pas de situations décrites comme catastrophiques dans...

M. le Rapporteur : Cela fait tout de même beaucoup.

M. Edouard COUTY : ...dans les autres régions.

M. le Rapporteur : Toutes les ARH ne répondent pas.

M. Edouard COUTY : Je tiens à la disposition de la commission les réponses journalières des ARH si vous le souhaitez.

De nombreuses régions ont connu des problèmes mais nous ont fait part de leurs capacités à les maîtriser. Des situations étaient considérées comme difficiles quand les ARH ont signalé qu'elles peinaient à maîtriser la situation dans leur région.

Jusqu'au 11 août, à part les urgences à l'AP de Paris particulièrement, on ne nous rapporte pas de situation catastrophique et les deux jours les plus difficiles lors desquels les services d'urgence sont saturés sont le 12 et le 13 août, soit durant 48 heures. En effet, à partir du 14 août, la situation commence à s'inverser complètement, par les décisions qui ont été prises, mais aussi parce qu'à partir du 15 août, on observe un retour à la normale de la température : la situation est mieux maîtrisée.

En ce qui concerne les capacités d'accueil et la fermeture de lits, depuis maintenant trois ans - alors qu'il est classique que les hôpitaux de certaines régions, à part les régions les plus touristiques, ferment un certain nombre de lits pendant la période des congés annuels -, nous avons organisé un système de recueil d'informations systématique pour connaître le nombre de lits fermés ou plutôt le nombre de lits disponibles, sans pour autant, M. le Rapporteur, jusqu'à cette année, donner précisément l'instruction suivante : « Vous ne devez pas fermer plus de tant de lits ».

M. le Rapporteur : Parce que les chefs de service ne le supporteraient pas dans les CHU ou pour une autre raison ?

M. Edouard COUTY : Je ne sais pas. Les responsables hospitaliers, à leur niveau, sont sans doute capables d'exercer cette responsabilité. Pour l'été 2004, nous allons procéder différemment et sans doute imposer.

M. le Rapporteur : Sur quel pourcentage l'instruction globale portait-elle ?

M. le Président : Il est apprécié région par région.

M. Edouard COUTY : J'ai ici les pourcentages de fermetures de lits région par région, je vais vous laisser les deux documents sur les lits disponibles.

Région par région, nous avons un taux moyen de 93 % de lits disponibles en juillet. En août, le taux est de 87 % hors AP-HP.

M. le Rapporteur : En médecine ?

M. Edouard COUTY : Je n'ai pas ici la distinction entre médecine, chirurgie, obstétrique, mais je peux vous la fournir.

M. le Rapporteur : Pour l'AP-HP, quel est le taux ?

M. Edouard COUTY : Il est de 80 % en août. En juillet, il est supérieur.

A propos de l'alerte de Météo France, à la DHOS, nous n'avons pas eu d'autres informations en dehors de ce qu'ont lu tous les Français dans la presse.

Les cliniques privées se sont, pour certaines d'entre elles, spontanément mises à disposition des directeurs d'ARH. D'autres, en région parisienne, ont été sollicitées et ont indiqué qu'elles n'avaient pas de capacités d'accueil. Il n'a pas été entrepris de démarches systématiques, mais les cliniques ayant des disponibilités et étant volontaires pour accueillir les malades se sont manifestées auprès des ARH.

Les remplacements des personnels sont organisés à la diligence des responsables d'établissement, un certain nombre de règles étant définies au niveau national pour garantir un minimum de compétences. Vous ne pouvez, par exemple, remplacer une infirmière que par une autre infirmière diplômée d'Etat ou par un étudiant en médecine ayant validé sa quatrième année et disposant d'une autorisation spécifique d'équivalence, autrement, il est considéré comme équivalent à aide-soignant : les remplacements sont organisés sur ces bases. Pour remplacer un médecin, il faut être titulaire du doctorat en médecine et avoir une autorisation du Conseil de l'Ordre.

M. le Président : Ce n'est qu'une réglementation concernant les niveaux de compétences. Quant aux procédures de remplacement, ce sont les directeurs d'établissements qui les organisent.

M. Edouard COUTY : Les congés de personnel sont établis dans tous les établissements pratiquement à partir de février. A partir de la fin du mois de mars, les directeurs d'établissements organisent les remplacements des congés d'été.

M. le Rapporteur : Cela se conjugue aussi avec une pénurie du personnel soignant qui est en partie liée aux 35 heures et à un certain nombre d'autres éléments. Cela a-t-il une conséquence sur le mode de fonctionnement des hôpitaux en juillet et août ?

M. Edouard COUTY : Il est très difficile de répondre précisément à cette question car traditionnellement, avant la mise en place des 35 heures, les plannings de congé pour l'été étaient établis généralement en février. Les cadres de service essayaient de satisfaire au maximum leur personnel, c'est pourquoi dans les hôpitaux, les vacances sont très souvent étalées. Si on veut s'absenter en août, c'est généralement pendant une période courte pour que le maximum de personnes en bénéficie.

Je ne pourrais pas vous dire précisément que l'application des 35 heures, liée à la pénurie d'infirmières, a été un facteur aggravant, car je ne saurais le chiffrer.

M. Pierre LASBORDES : Quand M. Grouchka a-t-il été prévenu de la gravité de la situation ?

Mme Danielle TOUPILLIER : Le 7 août entre 18 heures et 18 heures 30, il a été informé de l'appel du Dr. Pelloux et m'a demandé de joindre l'AP-HP, ce que j'ai fait. Le 8 août, nous le tenons informé des dispositions prises par l'Assistance Publique de Paris. Le 9 et 10 août, je vous indiquais que nous n'avions pas eu d'interventions particulières à la DHOS, hormis l'appel de la DGS à notre administrateur de garde et à partir du 11, nous sommes en permanence en contact avec le cabinet du ministre. Dès 9 heures 15, nous sommes en contact permanent, régulier, nuit et jour avec le cabinet du ministre.

Nous avons un dossier témoin, dans lequel figure une chronologie complète des événements, de tous nos échanges avec l'ensemble des membres du cabinet du ministre, les directions de notre ministère et les directions des autres ministères. Nous le tiendrons à votre disposition ainsi que le document de collecte d'informations des ARH.

M. Dominique PAILLE : Je voudrais comprendre. Le 11 au matin, vous n'avez pas de données catastrophiques, le 11 dans la journée, le directeur du CHIC de Créteil déclenche un plan blanc et le 8, l'AP-HP déclenche le « plan pour chaleur extrême ».

Tous ces éléments ne vous affolent-ils pas ? Raisonnablement, ne devraient-ils pas faire prendre conscience et inciter à pousser à dire : attention, il se passe quelque chose ?

M. le Président : Je poserai une autre question : la première réunion tenue entre toutes les directions du ministère, sur l'initiative du cabinet, n'a lieu que le 13 au soir ou dans la journée. Avant le 13, n'y a-t-il pas de réunion réunissant toutes les directions du ministère et les agences concernées afin de délibérer collectivement sur l'ensemble des informations ?

Mme Danielle TOUPILLIER : Nous avons tenu des réunions bilatérales directions-cabinet. Nous avons beaucoup communiqué par messagerie, vous aurez les documents témoins des messageries échangées, mais avec un « blanc » car nous avons eu une panne informatique dans notre ministère et à un moment donné, nous avons transporté un certain nombre d'informations sur support papier, dans la journée du 12 août.

M. Pierre LASBORDES : Peut-on dire que le 11, c'était une catastrophe francilienne et pas nationale et que c'est pour cela que ça n'a pas beaucoup bougé ?

Mme Danielle TOUPILLIER : En tant que témoin des évènements, je peux répondre que c'était une catastrophe en Ile-de-France et, avec une moindre ampleur, en Bourgogne.

Pour nous, ce n'était pas une catastrophe nationale, c'est pourquoi nous avons demandé aux établissements d'Ile-de-France de s'entraider et aux hôpitaux hors AP-HP de se porter au secours des hôpitaux de l'AP-HP.

M. le Président : Il faudrait corréler cela avec la répartition des décès sur l'ensemble du territoire.

M. Jean-Marie ROLLAND : Je n'ai pas eu la précision que je souhaitais sur la diminution des capacités d'accueil des lits de suite. Est-elle parallèle à la diminution des lits d'aigus ?

Mme Danielle TOUPILLIER : L'AP-HP a connu un taux d'encombrement très important des lits d'aigus.

Hors AP-HP, des structures avaient dégagé des potentiels d'accueil dans les services de soins de suite et de réadaptation ; c'est pourquoi la levée d'entente a été immédiatement productive et a pu rendre le système plus fluide à l'AP-HP et dans certains autres hôpitaux d'Ile-de-France, en particulier.

M. Jean-Marie ROLLAND : Y avait-il du personnel mobilisé ?

Mme Danielle TOUPILLIER : Oui, les équipes étaient mobilisées en conséquence et l'Assistance Publique de Paris avait pris la précaution de s'assurer que l'accueil était rendu possible.

M. le Président : M. Landrain avait posé une question sur le plan canicule.

M. Edouard COUTY : Il n'existe pas de plan anti-canicule. Nous avons le plan blanc qui permet, premièrement, de déprogrammer certaines activités pour libérer des lits, ce qui a été fait par l'AP, qui ne l'a pas appelé « plan blanc », d'ailleurs, deuxièmement, de rappeler le personnel en congé, troisièmement, de permettre aux directeurs d'établissements d'organiser les activités en fonction de l'arrivée massive aux urgences.

M. le Rapporteur : Ce plan est plutôt pour les accidents.

M. Edouard COUTY : Nous l'avons utilisé en situation de catastrophe AZF à Toulouse. Il a permis aux hôpitaux de Toulouse de recevoir 2 000 blessés en moins de douze heures ; le plan blanc a donc montré son efficacité.

Nous l'avons utilisé pour les inondations dans le Gard ; c'est un plan pour les situations de catastrophes, des exercices réguliers sont faits dans les établissements, ce n'est pas un plan spécifique pour la canicule.

M. Xavier de ROUX : Je voulais intervenir sur ce que vous venez d'avancer sur les plans blancs. S'agit-il de situations comparables ?

Quand vous avez une personne âgée, très âgée, en état d'hyperthermie, quel rôle l'hôpital jouera-t-il dans le traitement ? Quel aurait pu être le rôle de la prévention ?

Toujours en matière de prévention, pourquoi des indications très simples n'ont-elles pas été diffusées par les médias, notamment par les télévisions publiques, pour préciser les soins élémentaires à apporter aux personnes âgées afin qu'elles ne soient pas en hyperthermie ?

M. le Président : Vous répondrez que ce n'est pas nécessairement la mission de la DHOS ; le directeur de la DGS nous a indiqué la semaine dernière qu'il avait publié un communiqué dès le 8 août.

Mme Paulette GUINCHARD-KUNSTLER : Quels ont été les contacts que vous avez eus ou qui ont été sollicités par les cabinets de M. Fillon et de M. Falco ?

M. Claude LETEURTRE : Lorsque nous avons entendu la préfecture de police et les sapeurs-pompiers, ceux-ci ont affirmé avoir donné des informations à la DHOS. Confirmez-vous cette information ? Cela a-t-il constitué pour vous un élément d'alerte ?

M. Pascal TERRASSE : Le bouillonnant responsable du service des urgences, le Dr. Pelloux, a mis en cause toute une série de directions, mais il a expliqué que la DHOS avait bien fonctionné et, au regard des informations que vous venez de nous donner, madame, je le pense aussi, mais je reviens sur une question précise. Vous nous dites, M. le directeur, que vous vous tenez à disposition même pendant vos périodes de vacances, qui ont d'ailleurs été écourtées puisque vous revenez très rapidement de votre séjour. Vous partez le 4 août, vous n'avez aucune information précise à cette date ; avez-vous un contact avec votre hiérarchie au ministère de la santé pour prévenir de votre absence et avec quel conseiller technique en particulier ?

M. Alain CLAEYS : Deux précisions et une question. Vous nous dites que vous avez deux contacts avec le cabinet du ministre, un le 7 août en fin d'après-midi, à 18 heures-18 heures 30, et un deuxième le 11 à 9 heures 30 ; quelles instructions recevez-vous à chaque fois ?

Pour comprendre le fonctionnement du ministère, comment se passent les réunions de travail en période normale ? S'agit-il de réunions régulières, existe-t-il une transversalité ? Si je comprends bien, cette transversalité n'apparaît que le 13 août où l'ensemble des directions se réunit à l'initiative du cabinet. En temps normal, comment cela se passe-t-il ?

M. le Rapporteur : Je reviens sur les urgences, avez-vous des informations sur l'âge des personnes y arrivant ?

Quand on compare les chiffres, particulièrement à l'AP-HP, d'août 2002 à août 2003, on s'aperçoit d'une augmentation de plus de 2 000 personnes de plus de 75 ans. Avez-vous perçu que la canicule touchait essentiellement des personnes âgées ?

M. Edouard COUTY : Mme Toupillier répondra à propos des contacts avec les cabinets de MM. Fillon et Falco ; pour ma part, je n'en ai pas eu à partir du 14 août, date de mon retour.

Je ne sais pas si des informations ont été données à la DHOS par les sapeurs-pompiers et la préfecture de police, mais peut-être Mme Toupillier pourra-t-elle répondre.

Quand un directeur d'administration centrale part en congé, il prévient ses collègues des autres directions et les directeurs de cabinets en indiquant qui assure l'intérim. En l'occurrence, j'ai transmis un message à mes collègues des autres directions et aux directeurs de cabinets concernés en indiquant que Mme Toupillier assurait l'intérim et que j'étais joignable au téléphone. C'est la procédure habituelle.

Concernant les contacts avec le cabinet, en temps normal, des réunions régulières se tiennent avec les conseillers techniques ou le directeur adjoint, ou le directeur de cabinet, sur des sujets ponctuels, un ordre du jour précis. Ce sont des réunions bilatérales direction-cabinet qui peuvent être faites presque quotidiennement, voire plusieurs fois par jour. Une fois par semaine, a lieu une réunion de tous les directeurs, présidée par le directeur de cabinet, où l'on aborde les sujets transversaux. Une fois tous les 15 jours, nous avons une réunion présidée par les deux directeurs de cabinet de M. Fillon et de M. Mattei où sont présents tous les directeurs du pôle social, sauf en août. La dernière réunion de tous les directeurs présidée par les deux directeurs de cabinet s'est tenue en juillet et la dernière réunion des directeurs avec le directeur de cabinet de M. Mattei s'est tenue début août.

Je suis parti le 4 en congé, mon collègue, M. Abenhaïm, est parti quasiment en même temps, nous sommes rentrés à 24 heures d'écart.

A ma connaissance, nous avons été informés de l'âge des personnes arrivant aux urgences le 12 ou le 13 août, pas avant.

Mme Danielle TOUPILLIER : La DHOS n'a eu aucun contact avec le cabinet de M. Fillon ou de M. Falco, aucune information de la préfecture de police, ni de la part des pompiers.

Le seul contact que nous avons eu avec la préfecture de police a été un échange de quelques instants lors de la réunion à l'AP-HP où un représentant de celle-ci était présent, le 11 août au matin.

Quant aux instructions données par le cabinet, la première information est transmise au cabinet le 7 août : je signale l'appel du Dr. Pelloux à M. Grouchka, qui me demande de prendre contact avec l'AP-HP pour appréhender la réalité de la situation évoquée.

Le 11 août, j'appelle M. Grouchka, compte tenu de la tonalité de l'entretien que j'ai eu avec M. Deroubaix qui me paraissait préoccupé, et j'insiste pour que nous puissions être présents à la réunion de l'AP-HP, ne serait-ce qu'à titre d'observateurs. M. Grouchka prend contact avec Mme Bolot-Gittler puis me donne la consigne de me rendre à cette réunion et de m'assurer auprès de l'AP-HP qu'elle a également invité la direction générale de la santé.

Au cours de cette réunion, il est fait mention d'un grand nombre de personnes âgées, mais on n'indique pas les âges, sauf en fin de journée du 12 août et au début de journée du 13, où on nous précise qu'il s'agit de personnes de plus de 75 ans, de personnes très âgées vivant en maison de retraite, de repos, éventuellement à leur domicile.

M. Pierre LASBORDES : Vous dites que M. Grouchka vous a demandé de prendre contact avec l'Assistance Publique le 7, qu'avez-vous fait, qu'avez-vous obtenu, que s'est-il passé entre le 7 et le 11 août au matin ?

Mme Danielle TOUPILLIER : Le 7, j'informe M. Grouchka qui me demande de contacter M. Deroubaix, ce que je fais, pour connaître éventuellement les difficultés particulières. Je rends compte à M. Grouchka de l'entretien que j'ai eu avec M. Deroubaix : celui-ci m'a fait part d'un signalement de difficultés, localisées le 7 à l'AP-HP, mais ce n'était pas, pour eux, une alerte au sens hospitalier du terme.

Je demande à M. Deroubaix s'il a besoin de l'entraide des hôpitaux de l'agence régionale d'Ile-de-France : il me répond qu'il y aura recours si besoin est. Il appellera dès le 8 au matin, Mme Perrau-Saussine de l'agence régionale d'Ile-de-France pour demander une coopération des hôpitaux hors AP-HP.

Le 8 août, je tiens M. Grouchka au courant de l'évolution de la situation à l'AP-HP, puisque j'ai M. Deroubaix régulièrement au téléphone.

Le 9 et le 10, je ne reçois aucun appel, sauf le 10 au soir, l'appel de la DGS à notre administrateur de garde et le 11, nous sommes en contact permanent avec le cabinet du ministre.

M. le Rapporteur : Tout a fonctionné normalement à vous entendre. On a l'impression que tout est bien rodé. En fait, si vous deviez faire une critique sur la manière dont étaient traités les problèmes, que diriez-vous ? Pourquoi l'alerte n'a-t-elle pas été donnée à temps ?

Ensuite, pourquoi l'alerte tardive n'a-t-elle pas été efficace ? Quelles sont in fine les explications d'une telle surmortalité pendant cette période ?

M. le Président : Vous posez déjà la question : quelle est la synthèse à faire de tout ces éléments ?

M. Edouard COUTY : Il est difficile de tirer ainsi les enseignements d'une crise aussi importante. C'est tout à fait présomptueux de dire que tout a fonctionné. En revanche, je peux dire et témoigner que nous avons fait le maximum.

Ensuite, quels enseignements en tirer ? La question de l'alerte me semble primordiale. Nous avons été alertés par des praticiens des urgences le 7 août au soir.

Le ministre a demandé a posteriori aux responsables du centre de contrôle des maladies d'Atlanta de nous donner les enseignements qu'ils ont tirés de la canicule de Chicago en 1995. Le premier enseignement est que, quand on dispose d'un plan blanc ou d'un plan spécifique de catastrophe, cela fonctionne bien. En effet, quand il a été décidé de faire appel au plan blanc, on a eu une fluidité plus grande du système.

Le deuxième enseignement est qu'entre le moment où le phénomène catastrophique est avéré et le moment où on en voit les premiers signes aux urgences, il se passe entre 48 et 72 heures. En effet, pour nous, la situation la plus difficile a été le 12 et le 13 août, alors que les phénomènes de surmortalité ont été antérieurs de 72 heures environ.

Ce que nous ont dit les responsables du centre d'Atlanta se vérifie donc également ; cela a été constaté après la canicule à Chicago en 1995. C'est un enseignement à tirer : l'alerte par les urgences est trop tardive pour ce type de situation. On ne peut pas se satisfaire de l'alerte par les services hospitaliers dans ce type de circonstances.

Comme l'a confirmé Météo France, c'était une catastrophe naturelle. Nous sommes dans un pays considéré comme tempéré et cette période caniculaire a eu un caractère exceptionnel. Cela ne nous exonère pas de ce que nous aurions pu faire, mais la question centrale est que l'alerte par l'hôpital n'est pas satisfaisante.

M. Xavier de ROUX : Cela revient à ma question à laquelle il n'a pas été répondu : le fait déclencheur de la catastrophe n'est pas les urgences, c'est la chaleur, la canicule. Je trouve curieux de dire : il est trop tard pour déclencher tel ou tel plan lorsqu'on est prévenu par les urgences. La canicule de Chicago a montré qu'il y avait un fait déclencheur qui était un fait météorologique, la température excessive. Pourquoi rien n'est-il fait lorsque le niveau de chaleur atteint constitue un risque ?

M. Philippe VITEL : Je reviens sur le communiqué d'alerte de Météo France du 7 août à 16 heures 43 qui me paraît très important. Je ne pense pas que l'on en ait tiré toutes les conséquences. Avez-vous une explication ?

M. Alain CLAEYS : Les ARH sont-ils en contact, au niveau local, avec les pompiers et les préfectures ?

M. le Président : Les pompiers nous ont fait part de la difficulté à trouver des services d'urgence car certains d'entre eux étaient saturés à Paris : pourriez-vous nous apporter des précisions ?

M. Edouard COUTY : C'est un autre enseignement : il faut tirer des leçons du cloisonnement excessif entre ministères et entre services. Nous n'avons pas eu, en dehors des informations qu'on pouvait lire dans la presse, de contacts particuliers ou privilégiés avec Météo France, la préfecture de police ou les pompiers avant le 13 août.

Ce cloisonnement administratif excessif entre les différents services et entre les différents ministères, est un enseignement majeur dont nous essayons aujourd'hui de tirer les conséquences par des liens organisés, structurés entre la direction de la sécurité civile au ministère de l'intérieur, ma direction, la direction générale de la santé, la direction générale de l'action sociale, etc., car c'est un dysfonctionnement ; une température caniculaire signalée aurait pu, aurait dû alerter ou permettre d'alerter les urgences.

Quant aux liens entre les ARH et les préfets, le cloisonnement que nous connaissons au niveau central se reproduit au niveau déconcentré, même si les choses sont plus simples et même si les personnes concernées se rencontrent plus facilement : les contacts entre les pompiers par exemple et les ARH étaient quasi-nuls.

S'agissant de la difficulté de trouver des services d'urgence, je suis étonné de cette affirmation.

M. le Président : Je ne fais que reprendre ce que nous a dit le général Debarnot lors de son audition la semaine dernière. Il nous a même parlé de refus d'admission ; on peut penser que c'est notamment lorsqu'il devait orienter les patients vers tel ou tel service, qu'il vérifiait auparavant par téléphone si lesdits services étaient susceptibles d'accueillir ces patients et qu'il se faisait répondre que ce n'était pas possible. Il avait des difficultés à trouver des services immédiatement disponibles.

M. Edouard COUTY : Je ne mets pas en cause le témoignage du général des pompiers, mais à ma connaissance, sauf peut-être le service d'urgence de l'hôpital Saint-Joseph qui ne fait pas partie de l'AP-HP, qui a néanmoins un service d'accueil des urgences et qui a peut-être pu être amené à refuser, aucun autre service d'urgence n'a refusé. En revanche, il est tout à fait probable et vraisemblable que les services de médecine, de réanimation qui étaient eux-mêmes saturés aient dit qu'ils ne pouvaient pas prendre un malade supplémentaire.

A ma connaissance, aucun service d'urgence n'a refusé d'accueillir un malade en urgence.

Cela dit, j'ai eu l'occasion de le dire devant la mission d'information, la question des services d'urgence est au centre de cette problématique et à la suite de ces événements, le ministre a récemment annoncé un plan pluriannuel pour les urgences. Celui-ci recèle une disposition essentielle : aujourd'hui, un service d'urgence ne peut pas être conçu comme simplement adossé à un hôpital. Un service d'accueil d'urgence doit fonctionner en réseau avec les autres établissements du territoire et les établissements médico-sociaux, de même qu'il doit fonctionner en réseau avec les autres services d'urgence du territoire voisin. Au cœur de ce plan d'urgence qui prévoit un certain nombre de dispositions sur cinq ans (création de locaux, d'emplois, etc.), il est prévu que désormais, les services d'accueil d'urgence, dûment autorisés et figurant en tant que tels dans les schémas régionaux d'organisation sanitaire, devront être en réseau formalisé, c'est-à-dire contractualisé non seulement avec leur hôpital, mais aussi avec les hôpitaux voisins qui ne disposent pas de service d'urgence (les hôpitaux locaux, les maisons de retraite, les services de soins de suite...) et être en réseau avec les autres services d'urgence voisins. Il s'agit d'une mesure essentielle.

C'est un dispositif que nous sommes en train de construire et nous commençons à concevoir les instructions dans ce sens.


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