![]() ![]() ______ ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958 DOUZIÈME LÉGISLATURE Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 12 décembre 2006. RAPPORT FAIT AU NOM DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE (1) relative à l'influence des mouvements à caractère sectaire et aux conséquences de leurs pratiques sur la santé physique et mentale des mineurs Président M. Georges FENECH, Rapporteur M. Philippe VUILQUE, Députés. -- (1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page. La commission d'enquête relative à l'influence des mouvements à caractère sectaire et aux conséquences de leurs pratiques sur la santé physique et mentale des mineurs est composée de : M. Georges Fenech, Président ; Mme Martine David, M. Alain Gest, vice-présidents ; MM. Jean-Pierre Brard, Rudy Salles, secrétaires ; M. Philippe Vuilque, rapporteur ; Mmes Patricia Adam, Martine Aurillac, MM. Serge Blisko,. Philippe Cochet, MM. Christian Decocq, Marcel Dehoux, Guy Geoffroy, Michel Heinrich, Jean-Yves Hugon, Michel Hunault, Jacques Kossowski, Jérôme Lambert, Mme Geneviève Levy, MM. Pierre Morel-A-L'Huissier, Jacques Myard, Daniel Prévost, Éric Raoult, Jacques Remiller, Mme Chantal Robin-Rodrigo, M. Serge Roques, Mme Michèle Tabarot, MM. Philippe Tourtelier, Christian Vanneste, Philippe Vitel. INTRODUCTION 9 COMPTE RENDU DU DÉPLACEMENT DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE DANS LA COMMUNAUTÉ DE TABITHA'S PLACE À SUS (PYRÉNÉES-ATLANTIQUES) 13 PREMIÈRE PARTIE : LES ENFANTS, UNE PROIE POUR LES SECTES 17 I. L'ENFANT VICTIME 19 A. L'ENFERMEMENT SOCIAL 19 1. Un phénomène dissimulé derrière la liberté d'opinion 19 2. Un nombre important d'enfants victimes, qui reste difficile à évaluer 21 3. La disparition du temps de l'enfance 25 4. L'enfant, vecteur et victime du prosélytisme du mouvement sectaire 26 5. La souffrance résultant de la fermeture au monde extérieur 27 6. Le manque d'esprit critique, résultat de l'enfermement social 31 7. Les caractéristiques de l'emprise mentale sur les enfants : le conditionnement et la culpabilisation 34 8. Les risques de violences physiques 36 9. Les atteintes à la vie familiale 42 10. Le paroxysme de l'enfermement social : la difficulté à sortir de la secte 47 a) L'appréciation complexe de la notion de danger 47 b) La nécessaire assistance du mineur par un avocat 49 c) Les difficultés matérielles 50 d) Les difficultés psychologiques 51 e) L'insuffisante prise en charge des victimes d'emprise sectaire 52 B. L'ENFERMEMENT À TRAVERS L'INSTRUCTION À DOMICILE 53 C. L'ENFANT PRIVÉ DE SOINS 59 1. Des conditions de vie déplorables 59 2. Des prescriptions alimentaires dangereuses pour la santé des enfants 60 3. Des soins préventifs refusés 61 4. Des traitements thérapeutiques récusés 64 a) Tabitha's Place 64 b) Les Témoins de Jéhovah 65 II. L'ENFANT MANIPULÉ 68 A. L'ENFANT, UNE VICTIME DES THÉRAPIES NON CONVENTIONNELLES 68 1. Naissances démiurgiques et fausses renaissances 69 a) L'enfant artefact 69 - Deux exemples : les Raëliens et la Fraternité Blanche Universelle 69 - Les actions menées par le ministère de la santé et des solidarités 70 b) L'enfance falsifiée 71 - Le « rebirth » 72 - « La mémoire retrouvée » 73 - Le marché du passé psychique 74 2. L'enfance dénaturée 76 a) L'enfant du Nouvel-Âge 76 b) L'exploitation psychosectaire des enfants souffrant de troubles psychiatriques 79 c) Des pratiques portant atteinte à la dignité des enfants handicapés 80 3. Les problèmes de l'adolescence mis à profit par les sectes 83 a) La toxicomanie 83 b) Les troubles du comportement 84 B. L'ENFANT, UN OBJET DE DÉMARCHAGE POUR DES CAUSES APPAREMMENT HUMANITAIRES 86 C. L'INSTRUMENTALISATION DU SOUTIEN SCOLAIRE 87 D. LA PRESSE ET LA PROTECTION DES MINEURS 91 E. LES PIEGES DES RÉSEAUX NUMÉRIQUES 92 SECONDE PARTIE : L'ACTION DES POUVOIRS PUBLICS, I. UNE VIGILANCE QUI NE S'EST JAMAIS RELÂCHÉE 97 A. UNE MOBILISATION CONSTANTE DES PARLEMENTAIRES 97 1. Les commissions d'enquête, le groupe d'études et les questions écrites 97 2. Le droit applicable, la loi « About-Picard » et ses prolongements possibles 99 a) La loi « About-Picard » 99 - Le délit d'abus de l'état d'ignorance ou de faiblesse 101 - Les limitations apportées à la publicité des mouvements sectaires 102 b) Les freins à une bonne application de la loi 105 c) La possibilité de mieux sanctionner l'enfermement social des mineurs 108 B. UNE IMPLICATION FORTE DES POUVOIRS PUBLICS 110 1. L'action interministérielle 110 a) Une longue maturation 110 b) La Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES) 112 - Les actions menées par la MIVILUDES 113 - De nouveaux pouvoirs d'action 115 2. Les actions ministérielles 118 a) Les chargés de mission ministériels 118 b) L'exemple de l'action du ministère de la jeunesse, des sports et de la vie associative : un encadrement juridique des associations satisfaisant 119 c) Les correspondants régionaux des ministères 122 3. Les actions locales 124 a) Les cellules de vigilance 124 b) Les correspondants régionaux de la MIVILUDES 126 II. DES FAIBLESSES MANIFESTES 127 A. UNE SENSIBILISATION INSUFFISANTE DES ADMINISTRATIONS 127 1. Un défaut d'analyse et de mesure des dérives sectaires 127 a) Des défaillances dans le traitement des signalements 127 b) Des monographies peu nombreuses 128 c) Des manques de réactivité dans le champ de la santé 128 d) La faible implication du ministère des affaires étrangères 130 2. Un maillage partiel du territoire 131 3. Un manque de suivi et de coordination 133 a) Les associations 133 b) L'État 134 c) Les départements 135 4. Un déficit notable de formation et d'information 137 a) Des formations continues à renforcer 138 b) Des formations initiales à créer 140 c) Une information du public insuffisante 141 d) Une sensibilisation aux dérives sectaires négligée dans les programmes de l'éducation nationale 142 B. UN INSTRUMENT DE RÉGULATION DÉFAILLANT : LA RECONNAISSANCE DU STATUT D'ASSOCIATION CULTUELLE 143 1. Une pratique administrative imparfaite 143 2. Une absence injustifiée de prise en compte des intérêts supérieurs de l'enfant 147 3. Un instrument fondamental de régulation remis en cause par une ordonnance de simplification administrative 150 C. UN DISPOSITIF DE CONTRÔLE ÉDUCATIF TROP LÂCHE 152 1. L'inscription des enfants soumis à l'obligation scolaire 152 2. Le contrôle de l'instruction à domicile 154 a) L'instruction à domicile : l'ancrage constitutionnel et conventionnel de la liberté d'enseignement 159 b) Le risque d'un détournement de la loi : l'exemple de Tabitha's Place 160 LES CARENCES ET LES CONTRADICTIONS DE L'ÉDUCATION NATIONALE À TABITHA'S PLACE 162 1. Les infractions à la loi à Tabitha's Place 162 a) Le défaut de déclaration des enfants 162 b) L'ouverture d'une école de fait 162 2. L'inertie et les contradictions de l'éducation nationale 162 c) Redéfinir le régime de l'instruction dans les familles 164 3. Le contrôle de l'enseignement à distance 165 4. L'obligation de déclaration des établissements d'enseignement 168 5. L'agrément des organismes de soutien scolaire 168 D. UNE ABSENCE DE CONTRÔLE DES ACTIVITÉS DES PSYCHO-THÉRAPEUTES 169 1. Un nombre de psychothérapeutes en croissance continue 169 2. Des circuits de formation opaques 173 3. La réglementation du titre de psychothérapeute, un exercice inachevé 175 4. La sanction nécessaire des mauvaises pratiques 177 5. L'évaluation indispensable des techniques thérapeutiques 179 SYNTHÈSE DES PROPOSITIONS 181 EXAMEN DU RAPPORT 195 CONTRIBUTIONS DE MEMBRES DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE 197 LISTE DES ABRÉVIATIONS 205 LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LA COMMISSION D'ENQUÊTE 207 ANNEXES 211 Mesdames, Messieurs, La liberté de conscience et d'opinion constitue l'un des fondements les plus essentiels de notre démocratie. Elle puise ses racines dans l'article 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions même religieuses » ; elle est consacrée par le cinquième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 : « Nul ne peut être lésé dans son travail ou son emploi en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances. » Elle est garantie enfin par l'article 2, alinéa 1 de la Constitution, qui déclare que « la République respecte toutes les croyances ». Cependant on sait que la liberté de chaque homme s'arrête là où commence celle d'autrui. Dans la mesure où il lui arrive d'aspirer à faire partager une même croyance, cette liberté de conscience a une dimension à la fois individuelle et collective, qui peut l'amener à être confrontée aux exigences de l'ordre public. Cette notion d'ordre public jamais définie et - toujours appréciée in concreto par le juge interne et la Cour européenne des droits de l'homme -, recouvre la sécurité publique, la protection de l'ordre, de la santé, de la morale publique et des droits et libertés d'autrui. Or, parmi ces droits, ceux de l'enfant occupent une prééminence toute particulière. Leur vulnérabilité physique, leur perméabilité psychologique et intellectuelle à des discours simplistes, leur dépendance matérielle désignent en effet les enfants comme des proies faciles pour des mouvements que l'on a coutume de qualifier de sectaires. Derrière ces derniers se rangent des organisations répondant à des critères, que la première commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur les sectes (1) avait faits siens et auxquels la présente commission d'enquête s'est ralliée. On les rappellera pour mémoire : la déstabilisation mentale ; le caractère exorbitant des exigences financières ; la rupture induite avec l'environnement d'origine ; les atteintes à l'intégrité physique ; l'embrigadement des enfants ; le discours plus ou moins anti-social ; les troubles à l'ordre public ; l'importance des démêlés judiciaires ; l'éventuel détournement des circuits économiques traditionnels et les tentatives d'infiltration des pouvoirs publics. Non seulement il ne semble pas nécessaire de remettre en question aujourd'hui ces qualifications mais au moins six d'entre elles ont vocation à s'appliquer aux mineurs. Au surplus, en étendant le délit d'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de faiblesse aux personnes en état de sujétion psychologique ou physique, la loi n° 2001-504 du 12 juin 2001 « tendant à renforcer la prévention et la répression des mouvements sectaires portant atteinte aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales » constitue désormais un outil précieux pour incriminer les dérives sectaires. Divers facteurs justifiaient pleinement la création d'une commission d'enquête parlementaire consacrée à l'analyse de l'influence des dérives sectaires sur les mineurs : les signalements relatifs aux enfants et impliquant des mouvements sectaires par les autorités publiques les plus diverses ; la sensibilisation de l'opinion publique à ce phénomène par la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES) dans ses derniers rapports d'activité ; la variété, le manque de cohérence et de coordination des réponses apportées par les pouvoirs publics à des pratiques parfois difficiles à appréhender. Si trois commissions d'enquête sur les sectes auront ainsi vu le jour à l'Assemblée nationale, en l'espace de douze ans (2), cette dernière initiative traduit une double volonté de la représentation nationale de ne pas relâcher son effort sur des comportements attentatoires aux libertés et de porter particulièrement son attention sur la protection d'un public par définition plus exposé aux pressions physiques et psychologiques. La manipulation mentale des enfants, l'opposition de leurs parents à toute socialisation et à toute éducation extérieure, le risque de maltraitance et d'abus sexuel, la mainmise sur des personnes captives dès leur plus jeune âge, afin de les retenir au cours de leur vie dans une organisation fermée, constituent en effet autant de manifestations de l'emprise des sectes sur les mineurs, qui doit être dénoncée et combattue. Dans la mesure où la communauté internationale s'est dotée ces dernières années d'outils juridiques proclamant la défense des intérêts supérieurs des enfants, tels que la Convention internationale des droits de l'enfant de 1989, cette démarche parlementaire s'appuie de manière privilégiée sur ce texte qui légitime son action. Votée à l'unanimité par l'Assemblée nationale le 28 juin 2006, la proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête relative à l'influence des mouvements à caractère sectaire et aux conséquences de leurs pratiques sur la santé physique et mentale des mineurs a permis la constitution de cette commission dès le 29 juin 2006. En en confiant la présidence à M. Georges Fenech, député UMP du Rhône, tandis que les fonctions de rapporteur revenaient à M. Philippe Vuilque, député socialiste des Ardennes, ses membres ont d'emblée affiché délibérément l'esprit consensuel dans lequel ils entendaient travailler. La commission a procédé à l'audition de 65 personnes sur une durée totale de 63 heures. Afin de respecter la volonté de certaines victimes de sectes de ne pas s'exposer à des représailles éventuelles, elle a accédé à leur demande d'être auditionnées sous le régime du huis clos, tandis que 40 personnes étaient entendues devant la presse. Le compte rendu de ces auditions a été enregistré sur un cédérom inséré à la fin du présent rapport. Parallèlement, soucieuse de respecter le principe du contradictoire et attachée à la transparence, la commission d'enquête a adressé un questionnaire à de nombreuses organisations entrant dans le champ de ses investigations, qui est joint au rapport avec les réponses apportées. Plusieurs d'entre elles cependant, comme l'« église » de scientologie, les raëliens, la Sahaja Yoga et Tabitha's Place n'ont pas répondu. Pour compléter par ailleurs son information, elle a interrogé les principales administrations concernées par l'impact des dérives sectaires sur les mineurs, cette problématique ayant des implications à la fois éducatives, juridiques, sanitaires, sociales et internationales. Ces questionnaires des administrations avec leurs réponses sont également annexés au présent rapport. Un éclairage international sur le traitement de ces problèmes par les autorités étrangères a été fourni par des contributions de plusieurs de nos ambassades et de différents parlements de l'Union européenne. Toutes ces données constituent un ensemble d'informations juridiques et sociologiques particulièrement riche qui ont nourri la réflexion de la commission d'enquête. Enfin, le rapporteur a fait usage des pouvoirs de contrôle sur place, que lui confère l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, pour vérifier les conditions dans lesquelles est assurée l'instruction à domicile auprès des enfants de la communauté de Tabitha's Place dans les Pyrénées-Atlantiques, en accompagnant à cet effet l'inspecteur d'académie compétent. Les conclusions qui se dégagent de ces travaux ont permis à la commission d'enquête de dresser un double constat : d'une part, les enfants constituent une proie de plus en plus facile pour les sectes ; d'autre part, l'engagement des pouvoirs publics contre l'influence des dérives sectaires sur les enfants s'avère très inégal. COMPTE RENDU DU DÉPLACEMENT DE LA COMMISSION MM. Philippe Vuilque, rapporteur, Georges Fenech, président, Alain Gest, vice-président et Jean-Pierre Brard, secrétaire de la commission d'enquête, se sont rendus à Sus le 21 novembre 2006 à 9 heures, pour accompagner M. Jean-Michel Eple, Inspecteur d'Académie et M. Philippe Wolf, Inspecteur de l'Éducation nationale, dans leur mission d'inspection visant à vérifier les conditions de scolarisation à domicile et l'état de santé des mineurs résidant dans cette communauté. Le docteur Colette Moulines et Madame Nicole Marty, infirmière, conseillères techniques auprès de l'Inspection d'Académie, ont apporté leur concours à cette inspection. Après s'être déclarés surpris de cette visite inattendue, deux membres de la communauté ont proposé à la délégation d'entrer dans le salon-salle à manger situé au rez-de-chaussée de la maison d'habitation et de partager avec eux une tasse de thé ou de maté et des biscuits. Le président a rappelé l'objet du déplacement de la commission d'enquête : vérifier les conditions de scolarisation des enfants de la communauté. Un membre de la communauté a indiqué que les enfants - dont le nombre est variable (de 15 à 20) en raison de leurs fréquents déplacements - étaient éduqués par les parents eux-mêmes ; ceux-ci n'avaient pas de formation particulière, En réponse au rapporteur qui souhaitait connaître les raisons pour lesquelles les enfants n'étaient pas scolarisés, un membre a indiqué que l'école publique apprenait tout « sauf à craindre la parole de Dieu ». Par ailleurs, les membres de la communauté - et donc les enfants - ne sont couverts par aucune protection sociale, celle-ci étant refusée au motif qu'elle est considérée comme inégalitaire, alors qu'une véritable solidarité doit être consciente et volontaire. Les enfants, tout comme les adultes, ne sont pas vaccinés. Les trois classes ont été ensuite visitées : elles présentent les mêmes caractéristiques matérielles : équipement scolaire classique mais rudimentaire (tables, tableau noir, casiers, quelques affiches représentant les arbres de France). Aucun équipement informatique n'a été remarqué. Deux enfants étaient présents dans la première classe, quatre dans la deuxième et cinq dans la troisième. L'Inspecteur de l'Éducation nationale a procédé à plusieurs contrôles portant sur la lecture d'un texte, sa compréhension, quelques exercices d'arithmétique, la récitation d'une poésie. Le chant et la musique (harpe, flûte, violon) sont pratiqués par les enfants. Répondant aux questions de la délégation, les enfants ont notamment indiqué qu'ils ne regardaient pas la télévision (« on n'a pas le temps »), qu'ils n'avaient jamais été au cinéma ou au théâtre, que les anniversaires étaient rarement célébrés et que Noël n'était pas fêté (« pas de sapin, pas de cadeaux »). Ils ne disposent pas de manuels scolaires mais utilisent des supports pédagogiques confectionnés par les parents eux-mêmes. Au Président Georges Fenech qui leur demandait leur sentiment sur leur école comparée à celle de l'extérieur, il lui a été répondu qu'« ici on apprend la sagesse, qu'ailleurs rien n'est vraiment bon, qu'on y apprend à faire "la folie" car les enfants sont livrés à eux-mêmes, leurs parents ne s'en occupant pas ». La délégation a ensuite rencontré en tête à tête une jeune fille tout juste majeure et qui vit dans la communauté depuis sa naissance. Après s'être déclarée heureuse de vivre dans cette communauté, elle a dit ignorer les noms de Zidane, des Beatles ou des Rolling Stones, ne pas être en mesure de citer le nom d'un chanteur ou d'un acteur - elle n'est jamais allée au cinéma -, et avoir pour projet de rester dans la communauté pour y apprendre la couture et la pâtisserie. Une future relation affective n'est envisagée que dans le cadre de la communauté. À la demande du président, face aux approximations sur le nombre d'enfants réellement scolarisés dans la communauté, en comparaison des effectifs déclarés à l'Inspection d'Académie, à la demande du président, l'Inspecteur de l'Éducation nationale a procédé à l'appel nominal des enfants. On a pu constater qu'alors que 14 enfants avaient fait l'objet d'une déclaration, 18 enfants étaient présentés : 4 enfants n'étaient donc pas déclarés. L'Inspecteur d'Académie a rappelé les dispositions légales en la matière qui s'appliquent également aux enfants que les parents considèrent comme « seulement de passage » et a demandé que cette situation soit régularisée dans les meilleurs délais. Il appartient maintenant à l'Inspecteur de l'Éducation nationale de procéder à ce contrôle. Au terme de cette visite, le sentiment général est qu'au-delà de la convivialité affichée et de l'accueil par la communauté, les plus vives inquiétudes sont confirmées quant aux conditions de scolarisation des enfants et, plus largement, quant à leur socialisation. Alors que l'enseignement doit favoriser l'émergence de l'esprit critique du futur citoyen et sa connaissance de la société, ces enfants sont, de fait, confinés dans la communauté, coupés du monde et vivent en vase clos. Certes, les enfants semblent exprimer une certaine joie de vivre et paraissent relativement épanouis, mais au-delà de cette première impression, il demeure que les adultes imposent à leurs enfants leur choix personnel de vie, en voulant, à tout prix, leur cacher la réalité - même dangereuse - du monde. PREMIÈRE PARTIE : L'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme consacre le droit au respect de la vie privée et familiale. La tentation pourrait dès lors être grande, pour les pouvoirs publics, de considérer que l'influence des mouvements à caractère sectaire sur la vie familiale - et notamment sur celle des enfants - relève de cette sphère protégée et partant, justifie ainsi une certaine forme d'inaction. Néanmoins et selon une jurisprudence constante, si cet article a pour objet de protéger chacun contre les ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il n'impose pas pour autant à ces derniers de s'abstenir de toute action. Comme l'a rappelé régulièrement la Cour européenne des droits de l'homme, cette limitation des immixtions des pouvoirs publics n'est pas incompatible avec leur devoir d'assumer des obligations positives. La garantie offerte par l'article 8 est en effet également destinée à assurer le développement de la personnalité de chaque individu et il appartient aux autorités de ménager à cette fin un juste équilibre entre intérêt général et intérêts particuliers. L'intérêt général n'est manifestement pas de laisser perdurer des situations dans lesquelles des enfants, sous couvert des libertés dont peuvent se prévaloir les adultes, sont victimes d'un véritable enfermement social, de privations ou de manipulations préjudiciables à leur développement et à leur insertion dans la société : or, tel est bien le cas lorsque des mineurs deviennent la proie de mouvements à caractère sectaire. 1. Un phénomène dissimulé derrière la liberté d'opinion « En 2006, la difficulté essentielle s'agissant de la situation des enfants, c'est la question de l'enfermement. » C'est dans ces termes que M. Michel Huyette, conseiller délégué à la protection de l'enfance de la cour d'appel de Bastia (3), a mis en exergue le problème majeur des enfants soumis à une influence sectaire. Lors de son audition par la commission d'enquête, tout en expliquant que la législation pénale française actuelle semblait amplement suffisante pour répondre à la totalité des situations pouvant se produire dans les sectes, il a fait valoir que le droit pénal ne réprimait pas l'enfermement des mineurs. Ce dernier ne constitue pas, en effet, une infraction pénale. Or, non seulement l'enfermement social aboutit à récuser totalement le monde extérieur mais, à supposer que le mineur sorte un jour du mouvement sectaire, il souffrira d'une grande inadaptation à la vie, dans une société constamment stigmatisée pendant son séjour dans la secte. Pour ce magistrat familier de ces questions : « Le problème, pour les enfants qui vivent dans une secte, c'est que leurs parents leur disent tous les jours [...] que le monde extérieur est monstrueux et nocif. Cela signifie que, même quand ils seront adultes, ils n'en sortiront pas. » Aussi, pour le juriste, est-il nécessaire de s'appuyer sur « les droits des enfants, qui sont fixés dans de nombreux textes français et internationaux : droit à la liberté de pensée, droit à l'instruction, à la connaissance, droit de trouver un emploi... Les enfants qui sont enfermés dans des sectes sont complètement privés de l'ensemble de ces droits [...] Il faut toujours raisonner en termes d'enfermement. Lorsqu'ils sont enfermés, les enfants sont privés du droit de vivre comme les autres ». Cette inadéquation entre les droits des enfants consacrés par les textes internationaux et leur situation au sein des mouvements à caractère sectaire a été évoquée à diverses reprises devant la commission d'enquête. Ainsi, M. Jean-Michel Roulet (4), président de la MIVILUDES, a invoqué les articles 13 et 17 de la Convention internationale des droits de l'enfant de 1989 (Convention de New York), rappelant notamment que : « Selon l'article 13, l'enfant a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières. Il est clair que toutes ces dispositions ne sont pas respectées. » De fait comme l'ont souligné plusieurs fois les membres de la commission d'enquête (5), la Convention de New York comprend, de façon plus générale, de nombreuses dispositions protectrices de l'enfant, favorables au développement de son esprit critique. Il est fréquent que la liberté de religion - elle aussi consacrée par les textes internationaux - soit opposée aux personnes combattant l'enfermement social de l'enfant au sein des mouvements à caractère sectaire. Néanmoins, sous couvert de respect de la liberté d'opinion, de croyance ou de religion, on ne saurait justifier certaines pratiques préjudiciables au développement de l'enfant. Comme l'a fait observer M. Jean-Michel Roulet : « Il est très important, vis-à-vis de nos concitoyens, de ne pas laisser se développer ce discours autour du thème de l'atteinte aux libertés religieuses [...]. Ce qui nous préoccupe, beaucoup plus que les contenus philosophiques ou doctrinaux, ce sont des pratiques qui n'ont rien à voir avec des croyances [...] » Après avoir rappelé que la Convention internationale des droits de l'enfant garantit elle-même la liberté religieuse des mineurs, M. Michel Duvette, directeur de la protection judiciaire de la jeunesse au ministère de la justice(6), a dénoncé en ces termes le recours à cet argument : « Dans notre pays, où cette liberté est l'une des mieux protégées et où l'on se rappelle les drames qui se sont produits dans le passé dès qu'il y a eu atteinte aux conceptions religieuses des individus, on est toujours extrêmement réticent lorsqu'on croit qu'il va falloir apporter une restriction à cette liberté fondamentale inaliénable. Les sectes excellent dans l'art d'amener ce débat dans le prétoire de manière à susciter une gêne de la part de l'institution judiciaire en rendant ainsi la protection des mineurs partiellement inefficace. » Partageant l'opinion émise par de nombreux intervenants, les membres de la commission d'enquête estiment que la souffrance liée à l'enfermement social des enfants ne saurait être dissimulée derrière la liberté de croyance de leurs parents. Les pouvoirs publics se sont assigné comme objectif de lutter non contre des mouvements, mais contre leurs dérives, dont peuvent être victimes les mineurs. Comme l'a résumé Mme Sonya Jougla (7), psychologue, lors de son audition : « Jusqu'à aujourd'hui, les enfants victimes de secte restaient les grands oubliés de la société et des professionnels chargés de la protection de l'enfance en danger. Peut-être parce qu'il est encore plus difficile de préserver un enfant de la croyance de ses parents que de leurs coups ou de leur sexualité incestueuse. Peut-être aussi parce que la contrainte qu'imposent les parents en immergeant leur enfant dans une secte est parfaitement légale. » 2. Un nombre important d'enfants victimes, qui reste difficile à évaluer En réponse à une interrogation du président, M. Georges Fenech, portant sur le nombre d'enfants concernés par les mouvements à caractère sectaire, M. Emmanuel Jancovici, chargé de mission pour la coordination, la prévention et le traitement des dérives sectaires au ministère de la santé et des solidarités(8), a indiqué : « Le total est, au minimum, de 60 000 à 80 000 enfants élevés dans un contexte sectaire. Les statistiques ne permettent pas d'être plus précis. Par prudence, je préfère parler de plusieurs dizaines de milliers d'enfants. C'est un chiffre considérable. » Il a par ailleurs précisé : « S'agissant des enfants élevés dans le contexte "Témoins de Jéhovah", les sondages effectués à la demande de ce groupe, de 1997 et 1998, avancent que les trois quarts des adeptes ont des enfants. En supposant que dans ces familles, il y a au moins un enfant, nous sommes arrivés au chiffre de 45 000. Pour les autres groupes, on ne peut pas connaître scientifiquement le nombre d'enfants. Je pense qu'il y en a plusieurs dizaines de milliers, 35 000 ou 40 000. Sans compter les mouvements intégristes, qui comptent beaucoup de membres. Si on prend en compte tout cet ensemble, on est facilement au-delà de 100 000. Et en termes de protection des enfants, cela pose des questions d'ordre politique. » S'agissant des mineurs présents au sein de l'église de Scientologie, aucune évaluation précise n'a été communiquée à la commission d'enquête. Évoquant les effectifs globaux du mouvement, M. Roger Gonnet, ex-adepte et ex-président de son organisation lyonnaise (9), a déclaré à la commission d'enquête : « Ils se disent 10 000 scientologues en France. Je dirais plutôt 2 000 ou 3 000. » L'évolution même des mouvements à caractère sectaire rend difficile toute appréhension plus précise du nombre de mineurs concernés. De nombreux intervenants ont enregistré une tendance de ces organisations à se disperser dans de beaucoup plus petites unités qu'auparavant. Celles-ci auraient investi notamment - mais pas exclusivement - les domaines du bien-être, de la santé et du développement personnel. M. Michel Gilbert (10), président du Réseau parental Europe, a souligné leur facilité à se « rhizomiser » : « Certaines plantes ont la faculté, lorsque vous leur coupez la tête, de se « rhizomiser » de tous les côtés. C'est ce qui est arrivé avec le mouvement sectaire en France : les grandes organisations sectaires auxquelles on avait coupé la tête ont essaimé ces dernières années dans les thérapies alternatives. » S'appuyant sur une expérience d'une trentaine d'années, Mme Sonya Jougla (11)partage cette analyse : « Il y avait alors de grandes sectes, bien définies, bien claires. Aujourd'hui, il y a énormément de groupuscules sectaires, de vingt personnes au plus ». M. Emmanuel Jancovici (12) a relevé que la difficulté de repérage des situations à risque était accrue par l'ignorance de l'existence même des enfants, certains pouvant ne pas avoir été déclarés à l'état civil. Informé de chaque naissance par l'avis de naissance adressé par l'état civil, le service départemental de la Protection maternelle et infantile, pour verser la prime de naissance, doit recevoir le certificat de passation du premier examen prénatal médical obligatoire prévu à l'article L. 533-1 du code de la sécurité sociale, en application de l'article L. 2122-1 du code de la santé publique. En vertu de l'article D. 532-2 du même code, si l'examen médical n'a pas été passé en l'absence de motifs légitimes, l'organisme débiteur de prestations familiales suspend le versement de la prestation d'accueil, qui est de 800 euros, sur demande du médecin responsable du service départemental de Protection maternelle et infantile. Dans la pratique toutefois on peut craindre que cette mesure dissuasive n'ait que peu d'impact car ce droit à la prime à la naissance est ignoré des organisations sectaires. On rappellera que le défaut de déclaration de naissance à l'état civil est, quant à lui, puni d'une contravention de cinquième classe (1 500 euros) en vertu de l'article R. 645-4 du code pénal. Dans un souci de renforcer ces règles, la commission d'enquête propose de sanctionner le défaut de déclaration de la naissance à l'état civil, d'une peine de 3 750 euros et de six mois d'emprisonnement. Par ailleurs, il lui apparaît nécessaire de confier aux inspections générales de l'éducation nationale, des affaires sociales et l'administration, le soin de recenser les enfants qui ne sont pas inscrits à l'état civil et plus généralement de faire des propositions pour renforcer les obligations de déclaration de naissance de l'enfant. Interrogée par M. Jean-Pierre Brard, secrétaire de la commission d'enquête, sur les types de sectes avec lesquelles elle avait eu le plus maille à partir dans l'exercice de son activité professionnelle, Me Line N'Kaoua (13), avocate dont le cabinet est spécialisé dans les contentieux familiaux liés à un problème sectaire, a indiqué pour sa part : « Les groupes sur lesquels j'ai pu travailler sont principalement les Témoins de Jéhovah, qui arrivent très largement en tête. Suivent la Soka Gakkai, actuellement très active, puis tous les mouvements comme les mouvements Mahikari et la Scientologie. Presque tous les grands mouvements sectaires sont représentés. Notre travail est devenu beaucoup plus difficile car nous avons affaire actuellement à quelques mouvements qui ne comptent que peu d'adeptes mais qui ont réellement un fonctionnement de secte. On a du mal à connaître leur doctrine, qui n'est pas écrite, à avoir des témoignages, compte tenu du petit nombre d'adeptes. » En réponse à un questionnaire adressé par la commission d'enquête, le ministère de la justice constate qu'il ne dispose « d'aucun indicateur fiable » en la matière, sauf à décompter les seuls mineurs simultanément concernés par des influences sectaires et par des procédures d'assistance éducative ou par des procédures pénales, ce qui ne permettrait pas, en tout état de cause, d'identifier le nombre total de mineurs victimes de mouvements sectaires. Le ministère de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement, également destinataire d'un questionnaire adressé par la commission d'enquête, reconnaît que la Direction générale de l'action sociale (DGAS) ne dispose d'aucun système d'information spécifique sur l'enfance en danger. Certes l'Observatoire décentralisé de l'action sociale (ODAS) enregistre dans son rapport 2004 un accroissement constant du nombre des enfants à risque, alors même que la maltraitance des enfants apparaît sous-estimée en France (14). Mais la multiplicité des sources d'informations, la pluralité des acteurs concernés, la diversité des situations sont autant d'obstacles à une bonne connaissance de la question. Dans ce contexte, aucune donnée pertinente sur le nombre d'enfants élevés en milieu sectaire n'est aujourd'hui disponible. Selon de nombreuses personnes entendues, des statistiques précises seraient en tout état de cause impossibles à établir. M. Michel Duvette (15) s'en est expliqué devant les membres de la commission d'enquête : « L'insuffisance ou l'absence de signalement des situations dangereuses tient aux difficultés à repérer les enfants concernés. En effet, même si des éléments d'inquiétude apparaissent pour certains enfants, l'appartenance de leurs parents à une secte peut rester inconnue ou ne pas avoir suffisamment, voire clairement, d'influence sur leur situation. Dans les cas les plus extrêmes, ces enfants peuvent avoir disparu de tous circuits sociaux et de ce fait, aucun signalement les concernant ne peut être fait. » Au surplus, un tel exercice statistique se heurte à des obstacles juridiques. Mme Sophie Sansy (16), directrice de service à la sous-direction des missions de protection judiciaire et d'éducation du ministère de la justice, en réponse à une question du président Georges Fenech sur la possibilité de mener une étude précise et concrète, rappelait que : « dans la législation française actuelle, l'appartenance à une secte ne constitue pas un délit. » Cette crainte d'encourir le risque de commettre une discrimination peut justifier les réticences des ministères à mener des études statistiques selon une approche scientifique. Pourtant, comme l'a fait observer le président de la commission d'enquête, l'intérêt de telles études ne serait pas de raisonner en termes de délit, mais en termes de protection de la santé mentale et du développement de l'enfant. Faisant part de son incompréhension face à cette attitude persistante, Mme Martine David, vice-présidente de la commission d'enquête, a déploré au cours de cette même audition : « Nous avons l'impression de nous battre en vain, de ne pas être suivis, alors que nous savons qu'il y a beaucoup de cas de dérives sectaires en France [...] L'État ne se donne pas suffisamment les moyens pour vérifier au moins le bien-fondé de nos réflexions. » La difficulté d'identifier des enfants souffrant d'enfermement social dans des mouvements à caractère sectaire est accrue par la volonté de dissimuler au monde extérieur les atteintes qui peuvent leur être portées. Dans des communautés en apparence « ouvertes », les enfants sont tout à la fois conditionnés par le groupe et scolarisés dans l'éducation nationale. Élevé parmi les Témoins de Jéhovah, et très récemment sorti du mouvement, M. Nicolas Jaquette (17) a ainsi résumé cette formation des enfants à la dissimulation : « Les Témoins de Jéhovah se targuent de ne pas être une secte, alléguant que leurs enfants ne sont pas coupés du monde : ils vont à l'école, font parfois des études supérieures, travaillent dans le monde extérieur. Mais l'embrigadement est bien là et les atteintes à l'identité, à la personnalité, à la vie affective, morale et physique sont réelles, même si elles sont d'emblée prévues pour que l'enfant les dissimule au monde extérieur. » En étant « du reste incité à participer, à se comporter en élève modèle, et surtout à ne jamais constituer aucun sujet d'achoppement ou d'inquiétude pour le milieu scolaire », l'enfant vit une forme de schizophrénie. En outre, le plus souvent, tout est fait pour que l'enfant reste un « esclave heureux » ainsi que l'a relevé Mme Charline Delporte (18), présidente de l'ADFI Nord-Pas-de-Calais : « Le couple est heureux dans la secte. Tant que l'enfant y reste, il est conditionné, lui aussi esclave heureux de l'être. Il en va tout autrement le jour où le jeune adolescent a envie de la quitter, vers l'âge de seize ou dix-sept ans ». M. Jean-Michel Roulet (19) a décrit dans ces termes le rôle imparti aux mineurs dans les sectes : « Certains enfants sont la cible directe des organisations sectaires, qui souhaitent pouvoir les formater, les robotiser, les exploiter. On leur fera faire du prosélytisme dès leur plus jeune âge, puis on en fera, selon l'expression de Ron Hubbard, le fondateur de la Scientologie, des « esclaves heureux » ». 3. La disparition du temps de l'enfance « Il n'y a plus de temps de l'enfance » : cette expression employée par M. Emmanuel Jancovici (20) caractérise parfaitement la nature de l'enfermement social dont peuvent être victimes les enfants. Même dans les communautés ouvertes sur l'extérieur, les enfants « sont conçus pour devenir des adeptes, et rien d'autre ». Dans tous ces groupes, précise cet observateur du phénomène sectaire, les enfants réservent beaucoup de temps à la prière, à la formation religieuse et au prosélytisme. Estimant qu'un enfant Témoin de Jéhovah consacre, par semaine, dès l'âge de huit ou dix ans une vingtaine d'heures au groupe, ce qui est considérable si on ajoute ce temps à celui de sa scolarisation, il en conclut que : « la situation est totalement déséquilibrée », le temps de l'enfance n'étant plus respecté. M. Nicolas Jaquette (21) a exposé devant la commission d'enquête la semaine-type d'un enfant Témoin de Jéhovah : « Le rythme est très dense, mais doit s'apprécier sur une semaine. Chaque jour un « programme spirituel » vous est attribué. Comme tout Témoin de Jéhovah, les enfants sont astreints aux trois réunions - pour ma part, c'était deux heures le mardi, une heure le jeudi et deux heures le dimanche - et à la prédication, quand bien même ils ne sont ni baptisés ni proclamateurs. À ce programme extérieur à l'environnement familial relativement dense vient s'ajouter pour l'enfant un programme personnel : il doit préparer chacune des réunions de son propre chef en reprenant les publications fournies par la secte, vérifier l'exactitude des versets dans la Bible, soit en général une heure à une heure trente de travail de préparation la veille de chaque réunion. Sans oublier les activités à l'intérieur du cercle familial : « le texte du jour », c'est-à-dire un petit livret dont on lit, chaque jour, un petit texte suivi des explications qu'en donne la secte, la lecture de la Bible en famille, qui dure environ trois quarts d'heure, et la lecture personnelle que l'enfant doit faire chaque soir, durant trois quarts d'heure également. J'ai calculé qu'un enfant de primaire devait ainsi consacrer à la secte quasiment vingt-trois heures par semaine... » Le Consistoire national des Témoins de Jéhovah, auquel la Fédération chrétienne des Témoins de Jéhovah avait transmis le questionnaire adressé par la commission d'enquête, estime, pour sa part, dans un document daté du 16 octobre 2006, que les parents « associent leurs enfants à l'enseignement religieux dispensé dans les salles du Royaume à raison de quatre à cinq heures hebdomadaires ». S'agissant des mineurs dont les parents appartiennent à la Scientologie, M. Roger Gonnet (22) a indiqué que certains enfants peuvent être appelés au service de commandement central de la Scientologie (la Sea Org) dès l'âge de six ans : « Certains enfants peuvent être en poste dès l'âge de six ans. Ils font un très grand nombre d'heures, en transportant des papiers. À partir d'un certain âge, ils sont susceptibles d'être envoyés dans le goulag de la Scientologie, le RPF : Redemption Project Force. Il y en a à Hemet, à Los Angeles, à Clearwater en Floride ; il y en a un au Danemark, en Angleterre et vraisemblablement en Australie. M. Jacques REMILLER : Qu'y fait-on ? M. Roger GONNET : Cinq heures de bourrage de crâne quotidien, plus dix heures de travail. On court sans arrêt. On n'a pas le droit à la radio, à la télévision, aux journaux. Dans la plupart des cas, les gens ne peuvent plus voir leurs enfants, leur femme ou leur mari, etc. Ils ne peuvent pas sortir tant que ce n'est pas fini ; cela peut durer des années. » M. Philippe Tourtelier, membre de la commission d'enquête, s'étant inquiété de la réaction des parents adeptes face à l'envoi de leurs enfants dans une organisation scientologue comme la Sea Org ou le « goulag » - le Rédemption Project Force -, M. Roger Gonnet a fait remarquer que ces parents ne sont pas nécessairement au courant du fait que leurs enfants ont été envoyés au « goulag ». On leur dit qu'ils ont été envoyés en mission. Il leur arrive d'accepter l'appartenance de leurs enfants à la Sea Org dans la mesure où cette étape fait partie des « règles sacro-saintes de la Scientologie ». Les mineurs peuvent être ainsi happés par des organisations dans lesquelles le temps de l'enfance et de l'adolescence est nié, soit parce qu'il est consacré exclusivement à servir l'organisation elle-même, soit parce que l'enfant est occupé à mener des actions de prosélytisme en direction d'autres jeunes, en exploitant des thèmes susceptibles de les attirer. 4. L'enfant, vecteur et victime du prosélytisme du mouvement sectaire M. Daniel Groscolas (23), président du Centre de documentation, d'éducation et d'action contre les manipulations mentales (CCMM) a souligné que la technique des sectes les plus connues consiste à créer des filiales aux appellations séduisantes et à s'emparer ainsi de thèmes séducteurs et consensuels pour tenter de s'infiltrer dans la jeunesse. L'institution scolaire est loin d'être un sanctuaire dont seraient exclues les manœuvres de prosélytisme ; celles-ci peuvent être en effet, le fait des jeunes adeptes eux-mêmes et être dirigées vers d'autres jeunes. M. Daniel Groscolas a mis l'accent sur ce problème crucial : « Les Témoins de Jéhovah, par exemple, donnent pour directive aux enfants de fréquenter les écoles pour y faire du prosélytisme. La Soka Gakkai donne la même directive. Cela pose problème, car si la législation oblige les personnels de l'école publique à respecter une neutralité absolue, elle n'interdit pas aux élèves d'affirmer leurs croyances. Certaines sectes ont bien compris tout le profit qu'elles pouvaient en tirer. » M. Alain Berrou (24), ex-adepte des Témoins de Jéhovah, a apporté un témoignage personnel : « Si j'ai été endoctriné à l'école, ce n'est pas par accident, mais dans le cadre d'une campagne internationale adaptée à chaque pays. Ce que je prenais pour des discussions anodines avec des camarades de classe répondait en fait à un vaste programme de prosélytisme. Il aura dans mon cas fallu deux ans pour me persuader d'un certain nombre d'idées, suivant un processus parascientifique, mensonger et exhaustif. Petit à petit, je me suis mis à changer et à accepter des idées qui m'inspiraient jusqu'alors beaucoup de réticence. Poussé par la simple curiosité à l'égard d'un camarade de classe, je me suis trouvé engagé dans ce que je pensais être des discussions anodines - en fait, un processus pédagogique d'endoctrinement qui m'a conduit à me lier à une organisation et à une idéologie par un contrat. Je récuse le mot « baptême » qui vise à donner à l'idéologie et aux pratiques des Témoins de Jéhovah un masque confessionnel. Mais à la différence d'autres « mouvements », on est petit à petit conduit par le raisonnement et la persuasion à ce qu'ils appellent « baptême » et qui s'avère en fait être un contrat avec une organisation. [...] « Cet endoctrinement a eu des conséquences sur ma famille comme sur mes études dans la mesure où je me suis mis à consacrer tout mon temps au service exclusif de la secte. J'ai été amené à m'investir de plus en plus au sein du mouvement jusqu'à m'engager dans une forme de service spécial pour les jeunes, dit « service de pionniers » où l'on passe son temps à faire du prosélytisme, objectif majeur de la secte, tant en France qu'ailleurs. » Enfin, dans certains cas, point n'est besoin, pour faire du prosélytisme, de s'inscrire, consciemment ou non, dans le cadre d'une campagne organisée. Le prosélytisme peut être effectué de façon parfaitement spontanée et isolée et résulter simplement d'une manipulation mentale subie, comme en a témoigné à huis clos devant la commission d'enquête une jeune ex-adepte d'un mouvement chamanique, dans lequel elle fut entraînée alors qu'elle était encore mineure. 5. La souffrance résultant de la fermeture au monde extérieur La perte d'autonomie des enfants et le rétrécissement de leurs centres d'intérêts ont, ainsi que l'a noté M. Michel Duvette (25), pour finalité principale de « réduire les liens qu'ils pourraient nouer avec le monde extérieur à la secte ». La souffrance provoquée par l'impossibilité pour l'enfant de vivre ce moment de sa vie avec des jeunes de son âge extérieurs à la secte ne doit pas être minimisée. Les témoignages reçus par la commission d'enquête sont unanimes. La « violence du quotidien », certes moins douloureuse que la violence de certains actes graves à jamais traumatisants, n'est pas pour autant exempte de conséquences psychologiques, ainsi que l'a souligné M. Nicolas Jaquette(26). M. Philippe-Jean Parquet (27), addictologue et spécialiste de l'enfance, a évoqué en ces termes la portée de ces atteintes psychologiques : « Le contact avec les organisations sectaires cause d'effroyables dégâts affectifs. La confiance vis-à-vis de l'adulte est altérée, tout comme la confiance en soi. Cette séquelle est grave : le doute sur soi-même va s'accompagner du doute sur autrui. [...] « L'enfant a besoin d'un environnement marqué par la continuité, la cohérence et la diversité. Le principal reproche que je fais aux organisations à caractère sectaire est qu'elles proposent à l'enfant un monde en réduction, un monde clos, alors qu'il a besoin de la diversité, de la présence de ses parents, de ses grands-parents, des autres membres de la famille, de thèses différentes dans la culture, bref, d'un monde ouvert à la diversité. C'est cela qui définit une éducation humaniste. À partir de là, l'enfant pourra, avec liberté, trouver la voie qui est la sienne. » Dans certains cas, l'enfermement social est poussé au maximum. M. Jean-Philippe Vergnon (28), président de l'Association Aide aux victimes des Frères exclusifs (AVIFE), a ainsi expliqué que la communauté des Frères de Plymouth dont il est issu, constitue un cercle très fermé de 1 250 personnes en France et que l'on y appartient uniquement par filiation. Selon son témoignage, les membres n'ont droit ni à la télévision ni à la radio. Ils peuvent lire le journal, à l'exclusion des pages sportives, uniquement pendant sept minutes et debout. L'interdiction de se mêler aux autres enfants et à leurs activités est prônée par cette communauté même si, à l'instar des enfants Témoins de Jéhovah, les enfants peuvent être scolarisés à l'école publique, au moins jusqu'à la troisième. L'ouverture sur la vie extérieure reste néanmoins très limitée, comme en témoigne cette réponse à une question du rapporteur : « M. Philippe VUILQUE, rapporteur : Comment l'organisation appréhendait-elle les phénomènes éducatifs ? Y avait-il un reconditionnement après l'école ? Le groupe suivait-il plus particulièrement les enfants pour éviter qu'ils n'aient trop de contacts avec l'extérieur ? « M. Jean-Philippe VERGNON : En fait, on est toujours sous surveillance : même à l'école, des camarades peuvent rapporter ce que l'on a fait dans la journée. À midi comme le soir, dès que l'école se termine, quelqu'un vient nous chercher pour nous ramener à la maison. Les activités extrascolaires, l'appartenance à une association sportive ou culturelle sont interdites. On n'a pas le droit d'aller dans les bibliothèques municipales. » Ce témoin ajoutait par ailleurs : « il y a beaucoup de châtiments moraux, au premier rang desquels les confessions publiques. Par exemple, si vous êtes surpris à l'école en train de faire n'importe quelle bêtise, ne serait-ce que manger un bonbon dans la cour avec un camarade, le soir il faut le confesser devant l'assemblée de la communauté, c'est-à-dire devant deux cents personnes. » En réponse à une interrogation du président Georges Fenech sur les troubles psychologiques constatés au cours de sa vie professionnelle, Me Line N'Kaoua(29), déclarait : « Le plus souvent, nous rencontrons des enfants marginalisés, victimes d'une rupture avec la société. Ils ne participent pas à certaines fêtes. Certains enfants Témoins de Jéhovah jettent les boules de Noël quand la maîtresse demande de décorer le sapin. Certains refusent de participer à des activités extrascolaires, parce qu'il ne faut pas de compétition. « Certains enfants sont en grande souffrance et l'expriment par des cauchemars, par un rejet de l'autre parent, rejetant par exemple toute la lignée paternelle lorsque le père n'est pas adepte de la secte. » Nul n'est plus à même de rendre compte de la manipulation mentale conduisant un enfant à ne pas se mêler aux jeux, aux fêtes des autres enfants qu'un enfant qui lui-même a grandi parmi les Témoins de Jéhovah. M. Nicolas Jaquette a décrit devant la commission d'enquête de façon particulièrement claire ce processus de manipulation, en évoquant la souffrance qui en résulte : « Les relations avec les autres sont évidemment des éléments auxquels les enfants sont très sensibles, surtout lorsqu'il s'agit de concrétiser ces liens au moment de fêtes qui sont autant de moments de cohésion sociale. Pour donner une bonne image du mouvement, on permet aux enfants de côtoyer les autres, mais d'une manière encadrée et très limitée. Parmi les messages les plus répétés : "Vous avez des amis dans la congrégation, n'allez pas vous en faire ailleurs." [...] Dans le même temps, les gens de l'extérieur sont appelés « le monde », dont toute la littérature des Témoins de Jéhovah dit qu'il est méchant, sous la coupe du diable et appelé à disparaître. La diabolisation vaut pour les petits camarades d'école, dont on apprend à se méfier ; [...] Les fêtes sont un sujet particulièrement douloureux pour tous les enfants Témoins de Jéhovah, même si on leur apprend que ce n'est pas le cas : voir se succéder tous les réveillons de Noël, du jour de l'An, les anniversaires, sans qu'il ne se passe rien d'autre qu'un jour normal, entendre le lendemain tous les copains parler des cadeaux qu'ils ont reçus [...] On vous apprend à déblatérer toute une série de slogans pour vous justifier et surtout vous surprotéger vous-même de la douleur que ressent un enfant séparé des autres par de telles circonstances : être invité à un anniversaire et ne pas pouvoir y aller, ne pas pouvoir fêter le sien... Je ne sais même pas quel âge ont mes parents : on n'a jamais fêté leur anniversaire. Pour tout le monde, cette fête annuelle permet d'avoir une idée du temps qui passe pour les autres. Moi, je n'ai pas cette notion-là, y compris pour des amis proches. Cela peut paraître banal, mais lorsqu'on y réfléchit après coup, on s'aperçoit que ces situations totalement décalées, ajoutées les unes aux autres, en viennent à former un bagage terriblement lourd à porter... » Les moqueries dont ont à souffrir ces enfants contraints à la différence ont été évoquées tant par M. Jean-Philippe Vergnon, ex-jeune « Frère exclusif » que par M. Nicolas Jaquette, en réponse à des questions posées par M. Serge Blisko, membre de la commission d'enquête, qui portaient sur les réactions de la société face au comportement « étrange » ou pour le moins réservé de ces enfants. M. Nicolas Jaquette a décrit dans ces termes le phénomène d'emprise mentale qui conduit l'enfant à l'acceptation de sa souffrance : « Le comportement "bizarre" que l'enfant est tenu d'adopter à l'égard de ses camarades - refus des anniversaires, obligation de placer des mots conformes à l'idéologie de la secte - est évidemment de nature à susciter la moquerie, ce qui le rend d'autant plus pénible. Lorsque l'on arrive à l'adolescence, on n'a déjà pas besoin d'être Témoin de Jéhovah pour y prêter le flanc : mais ne pas s'habiller à la mode, aller en prédication faire du porte-à-porte en costume-cravate, ne pas aller aux anniversaires et pas davantage en boum et en sortie, cela fait beaucoup... Et face aux autres qui se moquent de lui, l'enfant Témoin de Jéhovah est conforté dans son statut de victime tel que le présente la secte : le monde vous persécute parce que vous êtes les élus ; comme Jésus a été persécuté, tu le seras également ; si on te persécute à l'école, c'est donc que tu es dans le vrai. Et cela fonctionne très bien : l'enfant trouve normal de se faire persécuter, même si c'est extrêmement douloureux et même insupportable. » À la question de la commission d'enquête : « Encouragez-vous les enfants à participer à des activités les mettant en relation avec d'autres enfants n'appartenant pas à votre organisation ou au contraire estimez-vous préférable de restreindre de tels contacts ? », la Fédération chrétienne des Témoins de Jéhovah de France n'a pas apporté de réponse. Le courrier en date du 18 octobre 2006 adressé par son président en réponse à ce questionnaire est d'ordre général et s'abstient de répondre point par point aux questions posées. Il indique notamment : « les termes de votre questionnaire révèlent que notre confession religieuse n'est pas concernée par les investigations demandées ». Il mentionne que « les parents Témoins de Jéhovah confient leurs enfants aux établissements scolaires et mettent tout en œuvre pour assurer leur épanouissement et leur insertion sociale et professionnelle ». Bien que ne s'estimant pas concernée par l'enquête de la commission mais ayant été mise en cause par le témoignage de M. Jean-Philippe Vergnon, l'Union nationale des Frères de Plymouth a fourni, à propos des contacts avec les autres enfants, la réponse suivante : « L'exercice du culte protestant darbyste est compatible avec l'exercice de la vie citoyenne et sociale des enfants des fidèles qui jouissent de l'attention de leurs parents, sans que des restrictions générales ne leur soient imposées dans leurs relations avec d'autres enfants dans la vie scolaire, sans particularismes ni exceptions aux normes admises en France du point de vue de l'observation des lois républicaines. Les fidèles tentent de préserver leurs enfants des dangers inhérents à la consommation de drogues ou d'activités dangereuses pour la santé. » Par ailleurs, votre Rapporteur constate que l'enfermement social des enfants vivant dans ces communautés fait rarement l'objet de signalements, comme l'ont rapporté plusieurs des personnalités entendues. Ils sont en apparence parfaitement intégrés, notamment en classe. Les propos tenus par M. Jean-Yves Dupuis, inspecteur général de l'administration de l'éducation nationale (30), en réponse aux interrogations de M. Jean-Pierre Brard sur la réaction des autorités concernées, illustrent la perception de ce phénomène par l'éducation nationale : « Il est certain que les inspecteurs d'académie ne procèdent pas à des signalements visant le cas d'enfants en situation de souffrance morale du fait qu'ils ne participent pas à un certain nombre d'activités, sportives ou autres. » L'attention des pouvoirs publics n'est donc pas davantage attirée sur leur situation que sur celle des mineurs vivant dans de toutes petites communautés, souvent plus difficilement repérables. Un couple d'ex-adeptes de la communauté de Tabitha's Place a fourni devant la commission d'enquête (31) des exemples inquiétants des pressions exercées pour empêcher toute ouverture des enfants au monde extérieur et pour entraver les contacts entre enfants, y compris au sein même de la communauté. Ainsi, ces parents ont été priés, à leur arrivée dans la communauté, de se séparer des jouets reçus à Noël par leurs enfants, parce qu'ils faisaient peur aux autres, certains n'ayant jamais vu, semble-t-il, une poupée. Les enfants, qu'il est malvenu de laisser librement jouer, sont en revanche associés aux travaux des adultes (nettoyage, entretien du jardin, etc.). Élevés au sein de la communauté, ils n'ont pas de liens avec le monde extérieur et leurs possibilités de contacts sont elles-mêmes strictement surveillées. Deux enfants accompagnés chacun d'un adulte peuvent être châtiés si, lorsqu'ils se croisent, ils s'adressent la parole sans y avoir été d'abord autorisés. De même, une fillette peut être corrigée pour avoir salué spontanément sa mère sans l'autorisation du « professeur » l'accompagnant. 6. Le manque d'esprit critique, résultat de l'enfermement social « La mise en place d'un certain nombre de croyances érigées en vérité absolue, indiscutables et invérifiables, amène l'enfant à abandonner tout esprit critique, toute rationalité. Il est immergé continûment dans la certitude d'une vision unique du monde. S'écarter de cette vérité, c'est se retrouver seul, abandonné de tous, ne plus s'inscrire dans une appartenance. » (32) Ainsi s'est exprimée devant la commission d'enquête Mme Sonya Jougla pour identifier parmi les causes de maltraitances psychologiques la « pensée unique ». Au nombre de celles-ci, elle a ajouté la difficulté à accéder à des raisonnements abstraits, cette « pensée unique » faisant obstacle à la libération personnelle de la capacité d'abstraction de l'enfant et favorisant le double langage. L'enfant est en effet pris entre deux discours contradictoires : la distorsion entre les deux types de conception du monde, celle d'un univers fantasmé et utopique Le Professeur Philippe-Jean Parquet (33) a fait état des carences subies par l'enfant dans un certain nombre d'organisations sectaires. Celles-ci créent chez lui un dysfonctionnement dans son appréhension du monde affectif, « lequel sera représenté sur le mode binaire : ceci est bien ou ceci est mal », car « il n'est pas question pour une secte d'envisager les choses sous plusieurs angles, avec plusieurs scenarii possibles ». M. Jean-Michel Roulet (34) a rappelé que les enfants Témoins de Jéhovah entendent chez eux un discours qui discrédite l'enseignement qu'ils reçoivent à l'école : « On demande ainsi à ces enfants d'apprendre et de réciter quelque chose en quoi on leur dit de ne pas croire et qu'on leur présente comme une création du diable. Ils sont donc en apparence en milieu ouvert, mais sont en fait en milieu fermé, en étant obligés de jouer la comédie. » Ces derniers propos ont été illustrés par le témoignage de M. Nicolas Jaquette (35) concernant tant l'enseignement que les choix de lecture : « En entrant à l'école, l'enfant est déjà préparé à ce qui lui sera enseigné à l'aune de l'enseignement de la secte : ce qui correspond à ce qu'on lui a déjà enseigné est acceptable, ce qui ne correspond pas n'est qu'objet de mépris. [...] Le Témoin de Jéhovah s'entend clairement répondre : « s'il y a de la littérature extérieure intéressante, on vous le fera savoir. Mais ne vous y intéressez pas de votre propre chef : passez plus de temps à étudier pour vous persuader de votre foi et vous convertir davantage encore, approfondissez votre étude personnelle, mais n'allez pas voir à l'extérieur ». « De fait, ce mépris soigneusement cultivé à l'égard des historiens, des scientifiques, du milieu enseignant, du milieu médical, rend le Témoin de Jéhovah enfant totalement imperméable à tout ce qu'on peut lui apprendre dans le milieu scolaire : dès lors que cela ne correspond pas au credo de la secte, ce n'est pas acceptable, c'est faux. Il aura donc un réflexe d'autodéfense et bloquera sans même s'en douter son esprit à toute absorption. » L'atteinte au développement de la pensée autonome et de l'esprit critique chez l'enfant peut freiner gravement son développement personnel et social. M. Emmanuel Jancovici (36) a cité le cas de ce jeune adepte qui, ayant suivi une thérapie assez longue, s'était rendu compte, pour la première fois de sa vie, qu'il était en train de penser. Alors qu'il était sorti du groupe et qu'il commençait à se libérer, il consignait ses réflexions dans son ordinateur en les dissimulant. Pour lui, penser était devenu quelque chose d'interdit et de dangereux. M. Emmanuel Jancovici a stigmatisé le processus de manipulation mentale qui aboutit à la suppression de toute capacité de réflexion chez l'enfant : « On répète à un petit enfant de six ans dix fois la même chose. La onzième fois, on le félicite en lui disant qu'il est très intelligent. C'est un procédé de manipulation mentale. L'enfant a l'impression d'avoir pensé par lui-même quelque chose qui lui a été répété dix fois. Dans ce système, sa pensée n'existe pas, il n'a pas la possibilité de penser. C'est très dangereux du point de vue de la santé mentale. » S'agissant de l'entrave au développement de l'esprit critique, on pourrait dire, pour reprendre l'expression utilisée par M. Emmanuel Jancovici, qu'elle atteint tout simplement « la capacité qu'ont les enfants à être vivants ». Les solutions destinées à favoriser le développement de l'esprit critique de l'enfant ne s'imposent cependant pas d'évidence. À des interrogations de M. Jacques Myard, membre de la commission d'enquête, sur les décisions susceptibles d'être prononcées par le juge des enfants, par exemple, exiger des parents instruisant eux-mêmes leurs enfants de les faire participer à des activités susceptibles de les sortir de leur enfermement - M. Michel Huyette (37) a estimé que de telles solutions seraient inappropriées : « Il ne s'agit pas - pardonnez-moi d'être un peu abrupt - de faire du rafistolage le dimanche après-midi alors que, du lundi matin jusqu'au vendredi soir, comme je l'ai entendu dans la bouche de parents qui appartenaient à Sahaja Yoga, il est répété constamment aux enfants que le monde extérieur est mauvais, nocif et que le seul endroit où l'on est bien, c'est à l'intérieur de la secte. Imaginons que je leur impose de sortir dix minutes le samedi, cela ne changera rien à leur endoctrinement. La seule façon pour qu'un enfant arrive à la citoyenneté dont parlait M. Georges Fenech, c'est d'être en permanence confronté à une pluralité d'opinions. [...] « Il faut que la contradiction existe en permanence. C'est cela, être citoyen. Il est complètement illusoire et même à des années-lumière de la réalité d'imaginer qu'une sortie de quelques heures le week-end compensera un enfermement d'une semaine. Vous n'avez pas idée des doctrines véhiculées à Sahaja Yoga ou à Tabitha's Place ! » 7. Les caractéristiques de l'emprise mentale sur les enfants : le conditionnement et la culpabilisation « Il faut bien comprendre que l'on n'a pas affaire à un système qui laisserait ses adeptes penser librement. Il leur fait intégrer un mécanisme de pensée qui les culpabilise sitôt qu'ils réfléchissent et qui leur impose, comme un devoir, de s'autopersuader. » Ces propos de M. Alain Berrou (38), résument parfaitement le processus de conditionnement et de culpabilisation dont sont victimes les enfants. Il en a démonté le mécanisme devant la commission d'enquête : « tout l'appareil, le système de concepts que l'on vous fait intégrer et par lequel vous pensez, par lequel vous jugez, par lequel vous ressentez tantôt culpabilité, tantôt gratitude, peut s'écrouler d'un coup dès lors que vous désobéissez. Le problème est que j'ai été conditionné pour obéir, pour culpabiliser si je venais à réfléchir à des idées subversives, et surtout pour pratiquer plusieurs fois par jour cette gymnastique d'autopersuasion et d'autocensure. » M. Nicolas Jaquette(39) a expliqué que de surcroît « il est préconisé de s'espionner entre enfants de la secte : si l'on se retrouve avec d'autres enfants Témoins de Jéhovah dans le même établissement, on adaptera son comportement en fonction des édits de la secte, mais également du regard de ses coreligionnaires pour ne pas être accusé dans le groupe d'avoir péché au regard des édits de la secte. L'enfant est ainsi en permanence sous l'œil d'un Big Brother... » Il a largement évoqué également le conditionnement et la culpabilisation très lourde de l'enfant dans son activité de prosélytisme. De celui-ci « découle en même temps une responsabilité induite dans l'évangélisation, transmise très tôt aux enfants : vous portez la responsabilité de la vie de vos camarades. Imaginez que vous sachiez qu'il va se produire un tremblement de terre : si vous ne prévenez personne, vous êtes homicide. Là, c'est la même chose : vous savez que le monde va disparaître ; si vous ne les prévenez pas qu'ils doivent devenir Témoins de Jéhovah pour survivre à ce monde condamné, vous portez la responsabilité de leur mort. Cette responsabilité, on la fait porter aux adeptes adultes, mais également aux enfants. » Dans ces mouvements, le monde extérieur est systématiquement diabolisé et l'on apprend à l'enfant à s'en méfier. M. Henri de Cordes (40), président du Centre belge d'information et d'avis sur les organisations sectaires nuisibles (CIAOSN), a évoqué le témoignage d'une journaliste qui, après s'être infiltrée, était parvenue à assister à une réunion de la Scientologie à Bruxelles, où elle avait entendu qualifier les gouvernements européens de « IVe Reich » et affirmer : « Nous sommes en guerre » ! Le conditionnement de l'enfant fait l'objet de vérifications parfois très poussées. M. Roger Gonnet (41) a expliqué que la Scientologie interrogeait tous ses adeptes au bout d'un certain temps, en leur faisant passer des « Security checks », des vérifications de sécurité ou des « confessionnaux en éthique » ; il s'agit de confesser toutes ses « exactions » passées et les enfants n'échappent pas à ces vérifications. Un questionnaire, intitulé « Security check children » - vérification de sécurité pour enfants - de 6 à 12 ans - que la commission d'enquête s'est procuré, a été élaboré à leur intention. Il comporte en en-tête la mention suivante : « Ce qui suit est une audition de vérification à utiliser sur des enfants. Assurez-vous que l'enfant puisse comprendre la question. Reconstituez-la de sorte qu'il ou elle puisse la comprendre. La première question est toujours la plus puissante. » (sic). Le libellé de la première question est le suivant : « Qu'est-ce que quelqu'un t'a dit de ne pas dire ? » (sic). Succèdent à celle-ci des questions ainsi formulées : « As-tu jamais décidé que tu n'aimais pas un membre de ta famille ? As-tu souhaité quelque chose très fort, sans jamais rien dire à qui que ce soit ? As-tu refusé d'obéir à un ordre provenant de quelqu'un à qui tu aurais dû obéir ? As-tu un secret ? As-tu essayé de faire croire à d'autres que tes parents ou tes maîtres étaient cruels avec toi ? As-tu menti pour échapper à un blâme ? T'es-tu jamais enfui alors que tu aurais dû rester ? » etc. Le conditionnement et la culpabilisation dont sont victimes les enfants dans de nombreux mouvements peuvent conduire à de graves troubles psychologiques, allant parfois, dans des cas extrêmes, jusqu'à des pulsions suicidaires. Mme Charline Delporte (42) a cité plusieurs cas lors de son audition. M. Nicolas Jaquette (43) a déclaré avoir vécu jusqu'à l'âge de ses vingt-deux ans avec une double personnalité : « le suicide a été maintes fois envisagé pour mettre fin à ma souffrance, tant il est insupportable de voir s'affronter à l'intérieur de soi deux conceptions de la vie profondément antagonistes ». Ainsi que l'a résumé M. Jean-Pierre Brard (44), « les enfants souffrent [...] d'un conflit de loyautés. On fabrique des enfants schizophrènes [...] dont la souffrance les conduit parfois au suicide. Il y a là un vrai danger que l'on a trop tendance à sous-estimer ». Le risque qui existe lorsque l'adolescent est encore au sein d'un mouvement à caractère sectaire peut s'aggraver, lorsqu'il tente d'en sortir. Comme l'a expliqué une jeune femme victime d'un mouvement chamanique, entendue à huis clos par la commission d'enquête, tout le système de références sur lequel l'adepte fondait son existence s'écroule alors brutalement et il est extrêmement difficile pour lui de remettre en question des années de certitudes et de convictions : « Le risque majeur est simple : c'est le suicide. Les gens ont du mal à comprendre l'état de grande fragilité psychologique qui fait suite à la sortie d'un groupe à dérive sectaire ; or, cet état peut facilement amener au suicide. C'est simple à comprendre à partir du moment où l'on saisit la technique majeure du gourou, qui est l'ambivalence. Ambivalence dans son discours : un jour il dit blanc, l'autre jour il dit noir. Ambivalence dans sa relation à vous : un jour il vous prend dans ses bras, l'autre jour il vous ignore. Ambivalence dans ce qu'il prétend être : un jour il prétend être comme tout le monde, l'autre jour il affirme être un initié. À utiliser cette ambivalence, il crée chez l'autre une perte de repères, ce qui provoque un déséquilibre psychique et émotionnel. » Sans aller jusqu'à cette extrémité de la tentation suicidaire, l'emprise mentale subie dans l'organisation à caractère sectaire peut provoquer de graves troubles de la personnalité et du comportement. L'appréhension du positionnement des parents est elle-même source de tels troubles. Comme l'a rappelé M. Michel Duvette(45) : « On se trouve donc généralement devant des parents disqualifiés ne disposant pas des ressources intérieures nécessaires pour éprouver et élaborer les besoins de leurs enfants et s'accorder avec eux. Toutes les conditions sont donc réunies pour induire une pathologie du lien ou de l'attachement parents-enfants telle qu'elle a été décrite par de nombreux auteurs psychanalytiques ou éthologistes. On sait que ces pathologies du lien constituent des facteurs de risque importants pour les troubles psychologiques de l'enfant, notamment des troubles psychosomatiques, des troubles de l'apprentissage ou des comportements, des manifestations anxio-dépressives. On sait également que, directement ou à travers ces troubles précoces, ces pathologies favorisent l'émergence ultérieure de troubles de la personnalité - notamment des troubles de personnalité limite ou antisociale -, de pathologies dépressives, de troubles du comportement. » Insistant sur les séquelles psychologiques des enfants victimes de sectes, Mme Sonya Jougla (46) a montré que le projet de la secte sur l'enfant est en conflit avec « le modèle sociétal », le projet utopique de la secte l'emportant sur l'intérêt de l'enfant. Mais « même lorsqu'il n'y a pas de maltraitance physique, il existe toujours une maltraitance psychique, tous les enfants des sectes sont des enfants en danger ». 8. Les risques de violences physiques Les spécialistes de la protection de l'enfance, au-delà même du phénomène sectaire, soulignent que tous les systèmes clos sont susceptibles de favoriser la maltraitance et les abus sexuels. Rappelant que Mme Claire Brisset, l'ancienne Défenseure des enfants, lui avait fait remarquer que tout système clos est pathogène, M. Emmanuel Jancovici(47) a estimé devant la commission d'enquête « qu'à partir du moment où il existe un système clos, toute secte est dangereuse ». Mme Sonya Jougla (48) a fait observer de son côté : « La sexualité dans les sectes, c'est comme l'argent. L'une et l'autre peuvent être présents, mais pas toujours. Certaines sectes prônent même la chasteté totale. Il en était ainsi de la Fraternité blanche universelle, sauf pour le gourou ; il n'y avait pas d'obligation de sexualité entre les uns et les autres. « Dans d'autres sectes, la sexualité est imposée. Mais on ne peut pas vraiment parler de sexualité. Quand vous êtes violée dans une secte, ce n'est pas un viol : c'est une intervention spirituelle divine qui va vous permettre d'accéder à un niveau d'évolution supérieure et vous êtes très honorée d'avoir le droit de recevoir la semence du gourou. Avant qu'une personne en psychothérapie puisse dire qu'elle a été violée, il faut qu'elle ait fait un grand chemin ; une telle prise de conscience prend beaucoup de temps. [...] « Il y a des sectes où je n'ai jamais entendu parler de problèmes sexuels ; dans d'autres, il y en a toujours : chez Raël, par exemple. » Mme Dominique Saint-Hilaire (49), ex-raëlienne, l'a confirmé : « j'ai souvent entendu Raël dire qu'il valait mieux qu'un jeune ait sa première expérience sexuelle avec une personne expérimentée. On voit bien ce qu'il peut y avoir derrière cette idée ». Elle a expliqué qu'en 1998, Raël avait interdit la présence des mineurs dans les stages, interdiction qui d'ailleurs a été levée lorsque les stages ont été transférés de France vers la Suisse puis vers l'Italie et, plus récemment vers la Slovénie. Cependant, a-t-elle ajouté, malgré cette évolution en apparence importante « les raëliens qui ont vécu avec cet enseignement pendant des années trouvent normal d'avoir des relations sexuelles, si ce n'est avec des enfants, du moins avec des jeunes de quatorze ou quinze ans ». Sur l'un des sites Internet raëliens « majorite-sexuelle.org », on lit ce message : « Les lois concernant la majorité sexuelle sont désuètes et ne prennent plus en compte les réalités quotidiennes de la vie sexuelle des adolescents... Nous demandons au Gouvernement le réexamen des lois concernant la majorité sexuelle afin de reconnaître aux adolescents de 14 ans le droit à une vie sexuelle libre et indépendante de toute autorité. » Mettant en pratique leur doctrine, les raëliens sur un autre site anglophone n'hésitent pas à présenter une jeune mineure dans une attitude pornographique sous le titre « le plaisir est la raison même de notre existence ». Mme Homayra Sellier (50), présidente de l'association « Innocence en danger » a cité, parmi les mouvements particulièrement dangereux pour les enfants, les mouvements satanistes lucifériens, prônant ouvertement la sexualité entre enfants et adultes, qui sont actifs en France et entretiennent des liens avec des mouvements analogues dans d'autres pays. M. Henri de Cordes (51) a rappelé que les mouvements sataniques pratiquent la pédo-pornographie et se réfèrent à des manuels de magie sexuelle. Il a souligné que la participation de mineurs ou le seul fait pour eux d'assister, même passivement, à de tels « rituels » les exposent à des risques de troubles psychologiques graves. La particularité des affaires d'abus sexuels en milieu sectaire est qu'elles risquent d'être étouffées par les communautés elles-mêmes. Si l'on comprend bien que ces dernières ne s'emploient pas à les dénoncer lorsqu'elles les prônent, elles essaient parfois, alors même qu'elles préconisent des règles très strictes en matière sexuelle, d'éviter la dénonciation d'abus commis sur des mineurs aux autorités judiciaires. M. Henri de Cordes (52) a soulevé cette difficulté et a décrit les motivations de l'attitude des mouvements sectaires dans de telles situations : « Le risque que des mineurs soient victimes de sévices sexuels est d'autant plus grand qu'ils vivent dans des communautés fermées, ce qui rend plus difficile la dénonciation des sévices, en raison de l'isolement géographique ou d'une réglementation et d'une juridiction internes qui, aux yeux des adeptes, peuvent apparaître comme supérieures aux juridictions extérieures de la société, parce que fondées sur des principes philosophiques ou religieux ou prétendus tels. [...] Face à la révélation publique de sévices sexuels sur des mineurs d'une ampleur telle qu'ils mettent en cause le mouvement dans son ensemble et pas seulement certains de ses membres à titre individuel, la réaction des responsables est variée, allant de l'enquête interne qui peut conduire à l'adoption de consignes visant à éviter que de tels abus ne se reproduisent à l'avenir, jusqu'à un rappel, parfois par la diffusion de communiqués de presse, des règles existantes, dont on observe toutefois qu'elles n'ont pas permis de protéger les mineurs. Dans un cas comme dans l'autre, il convient de vérifier si, dans la pratique, le mouvement parvient à faire respecter sa propre réglementation. La protection de la « pureté » du mouvement est, en effet, parfois considérée comme supérieure à la défense de l'intérêt des enfants et des adolescents ce qui justifierait que les faits répréhensibles portés à la connaissance des dirigeants ne soient pas dénoncés aux autorités judiciaires. » Dans son témoignage, M. Alain Berrou (53) a illustré de façon précise le risque de non-dénonciation d'abus sexuels commis sur des mineurs : « Je tiens à informer cette commission en ayant pleinement conscience des conséquences de mes propos : je sais le mouvement des Témoins de Jéhovah très procédurier... Il m'est arrivé, en tant que responsable, d'être saisi de directives non écrites, mais qu'il fallait recopier sous la dictée à la virgule près, et qui traitaient des cas d'abus sexuels sur enfants. Je souhaite vous donner lecture des directives que j'ai personnellement reçues, dans un cadre totalement formel, d'un membre représentant la filiale nationale des Témoins de Jéhovah. Le mouvement a tout un système de justice parallèle et les responsables locaux reçoivent un manuel de directives à appliquer à l'égard d'adeptes manifestant des velléités de liberté intellectuelle. Dans le cas des abus sur enfants, voilà ce qu'on nous a fait écrire : « L'article 62 du code pénal prévoit de poursuivre d'une action judiciaire quiconque est au courant d'une agression d'enfant et n'avertit pas les autorités. Si l'auteur des sévices est un membre baptisé de la Congrégation, voici les directives à appliquer : « Premièrement, avant tout, téléphonez au service juridique de la Société pour recevoir des conseils. « Deuxièmement, faites immédiatement une enquête pour établir si les faits sont vérifiés. « Troisièmement, formez un comité judiciaire. « Ensuite, éventuellement, dénonciation aux autorités. « Les Anciens sont, aux yeux de la loi, des ministres du culte et, à ce titre, sont tenus au secret confessionnel dérivé du secret professionnel (article 378 du code pénal). Ils sont libérés de cette obligation dans le seul cas d'inceste, sévices sexuels, avortements illégaux. Le Collège déterminera la meilleure solution pour la Congrégation et sa réputation. « « Si je n'ai, pour ma part, jamais été mis devant une telle situation, j'ai en revanche assisté à des « comités judiciaires » et entendu des victimes raconter que l'on avait étouffé leurs plaintes en les pressant de « pardonner » dès lors que l'agression n'était pas notoire. » D'après un témoin entendu à huis clos, il existerait également au sein de la Soka Gakkai des réunions internes et des directives pour régler les problèmes, des responsables venant « aider » les adeptes à appliquer ces instructions, sa doctrine n'impliquant cependant pas, en elle-même, des comportements déviants. Selon des indications transmises par le ministère de l'outre-mer, des accusations graves d'attouchements et de viols sur des mineurs, enfants d'adeptes, auraient été portées en 2004, en Martinique, à l'encontre d'un dirigeant d'une organisation à caractère sectaire. Une information judiciaire étant en cours, il est exclu de donner toute autre précision sur cette affaire. Il est toutefois intéressant d'indiquer que l'emprise locale du mouvement en question a conduit les victimes à révéler les faits non pas en Martinique où ils se seraient déroulés, mais auprès de l'association « Enfance et partage » à Paris. Les risques de dérapage peuvent concerner d'autres violences physiques, comme les châtiments corporels, qui ne sont officiellement admis dans aucune organisation, si l'on en croit leurs réponses au questionnaire adressé par la commission d'enquête. M. Friedrich Griess (54), président de la Fédération européenne des centres de recherche et d'information sur le sectarisme (FECRIS) a néanmoins cité les Frères norvégiens, présents dans une soixantaine de pays mais peu nombreux en France, sauf en Lorraine. Il a affirmé que dans cette organisation les enfants sont frappés avec des tringles à rideaux. Par ailleurs, le témoignage d'un couple d'ex-adeptes de Tabitha's Place (55) a confirmé la pratique des châtiments corporels sur les enfants et l'existence de consignes précises en ce domaine. Les châtiments peuvent être administrés, non seulement par les parents, mais par n'importe quel adulte, au moyen d'une baguette en osier conçue à cet effet. La correction doit faire mal. En général, elle est donnée à la cave et les coups de baguette sont portés sur les fesses, l'enfant devant baisser son pantalon. L'adulte choisit le nombre de coups portés. On apprend à l'enfant à ne pas se rebeller et à demander lui-même sa correction s'il a une « mauvaise conscience ». Le terme « corriger » l'enfant n'est toutefois pas utilisé dans la communauté où on lui préfère l'expression « discipliner » l'enfant. L'objectif est, pour reprendre le titre d'un document remis par les témoins à la commission d'enquête, de « discipliner au premier commandement », c'est-à-dire d'obtenir de l'enfant l'obéissance dès le premier ordre de l'adulte. Une phrase tirée d'un autre document circulant au sein de la communauté, intitulé « L'éducation des enfants » résume ainsi la conception du châtiment corporel à Tabitha's Place : « Le châtiment est l'usage spécifique d'une verge pour infliger la douleur. Il est employé pour vaincre la rébellion et forcer la soumission envers l'autorité ». Une distinction sémantique est faite dans le même document entre « châtiment » et « punition », cette dernière étant définie comme « l'infliction d'une peine en récompense d'une offense [...] La punition est toujours administrée après qu'un enfant ait admis sa culpabilité et après que les parents aient pardonné la désobéissance ». Dans un contexte très différent, début janvier 2005, à Cayenne en Guyane, un adolescent de quinze ans est décédé suite à des coups portés lors d'une cérémonie rituelle de désenvoûtement dans un local de l'« église du christianisme céleste ». Dans une déclaration à l'Agence France Presse, le chef du diocèse de France et des DOM-TOM de ce mouvement d'origine africaine a indiqué que la paroisse en cause était une paroisse « dissidente ». Les décès sont heureusement rares. Des cas comme ceux des enfants morts en raison de l'appartenance de leurs parents à l'Ordre du Temple Solaire sont extrêmes, ainsi que l'a souligné M. Henri de Cordes (56). De tels assassinats évoquent également, a-t-il expliqué, des « sacrifices humains » que l'on a tendance à attribuer aux groupements de la mouvance satanique, dont la littérature contient des passages sans ambiguïté. Certains précisent, par exemple, dans quelles conditions peut être utilisé le sang d'un nouveau-né qui doit ensuite être décapité, d'autres ont trait au cannibalisme. Mme Homayra Sellier (57) a déploré, au nom d'« Innocence en danger » le fait que les mouvements satanistes lucifériens publient des récits choquants au vu et au su de tout le monde et banalisent des comportements criminels. En sa qualité de spécialiste de la psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, M. Philippe-Jean Parquet (58) a souhaité attirer l'attention sur l'influence insidieuse de la mode dite gothique, indice d'une pénétration d'éléments relevant du satanisme dans le monde des adolescents : « Je voudrais, tout d'abord, insister sur le fait qu'on ne perçoit pas à quel point la culture des grandes organisations sectaires imprègne la vie quotidienne des jeunes. Pour ne prendre qu'un seul exemple, la mode dite gothique est l'indice d'une pénétration d'éléments relevant du satanisme dans le monde des adolescents. Cette influence insidieuse est considérable. Les adolescents sont très sensibles à ce qui leur est proposé de l'extérieur. Ils sont très voraces d'images emblématiques. En regardant certains spots télévisés, notamment de chanteurs, on s'aperçoit que la mise en scène s'apparente au schéma classique de la représentation d'un gourou. » L'enfermement social auquel est condamné l'adolescent pris au piège de mouvements satanistes - en général de petites entités fonctionnant en bandes très évolutives et ne regroupant que quelques membres - peut déboucher aussi sur des pratiques auto-destructrices, allant des scarifications au suicide. En réponse à une question de Mme Martine Aurillac, membre de la commission d'enquête, sur l'éventuelle manipulation de certains des adolescents reçus dans son service par des mouvements à caractère sectaire, le Professeur Marcel Rufo (59) , pédopsychiatre et directeur de la « maison des adolescents » de l'hôpital Cochin à Paris, a constaté : « Ce que je vois le plus souvent dans ma pratique, ce sont les rites satanistes. Cela passe par le Net, bien sûr, mais aussi par des ouvrages, des livres, toute une littérature tournée vers la mort. » La MIVILUDES a récemment publié à la Documentation française un fascicule intitulé Le satanisme, un risque de dérive sectaire apportant un nouvel éclairage sur ce risque encore méconnu du grand public et destiné à mettre en garde les jeunes. Dans son ouvrage La mécanique des sectes (60), M. Jean-Marie Abgrall, psychiatre, a relevé que, dans ces groupes sataniques, « compte tenu du caractère morbide de leurs rituels et de leur utilisation systématique d'objets prohibés, la coupure avec le monde normal se révèle plus affirmée encore que dans les autres groupes. Une des raisons de l'attirance qu'ils exercent est leur recours au jeu de rôles à coloration sataniste. Le glissement entre le jeu et la pratique magique est aisé, qui incite les adolescents à tester dans la réalité les effets des cérémonies magiques dont ils ont acquis les rituels et auxquels ils se sont livrés à travers les jeux de rôles ». 9. Les atteintes à la vie familiale L'enfermement social est souvent largement aggravé par l'enfermement familial. En effet, l'appartenance de leurs parents à un mouvement à caractère sectaire a de nombreuses répercussions sur la vie familiale des enfants concernés ; elles ont été souvent évoquées par les personnes auditionnées. La conséquence la plus immédiate de cet enfermement familial est que le temps consacré par les parents aux activités de ces organisations ne profite plus aux enfants. Pour un certain nombre d'entre elles, ce qui prévaut pour le temps vaut aussi pour l'argent car le budget familial est amputé des prélèvements affectés au mouvement. L'altération du lien parent-enfant a été également fortement dénoncée devant la commission d'enquête. Les parents sont souvent conduits à restreindre leur place et leur fonction voire même à les abandonner, au profit du ou des dirigeants de la secte. Certaines organisations sont ainsi fondées sur une forme d'infantilisation des parents ou sur une survalorisation des compétences et des capacités spirituelles et cognitives des enfants. Un tel schéma inverse les liens entre générations. M. Michel Duvette (61) a souligné que ces différents aspects peuvent perturber profondément la relation parents-enfants, soit dans le sens de l'abandon, soit dans le sens d'une trop grande fusion, relevant que « ces deux mouvements apparemment contraires ont en commun de ne laisser que peu de place à la prise en compte des besoins psychiques et physiques singuliers de l'enfant, les principes éducatifs de la secte annihilant les initiatives éducatives des parents ». La commission d'enquête s'est interrogée sur les raisons qui peuvent pousser certaines organisations à s'intéresser particulièrement aux mineurs. Ainsi a été évoqué le cas de la Soka Gakkai, qui a réuni en juin 1999, en Île-de-France, près de 700 enfants et leurs parents sur le thème : « Les enfants ont la capacité de changer le monde ». Interrogé sur les raisons de cet intérêt pour les enfants qui, par définition, n'ont pas de patrimoine personnel, un témoin entendu à huis clos a expliqué que les enfants représentent la pérennité du mouvement : la volonté de pouvoir y est telle, dans tous les sens du terme, que les enfants sont manipulés dès leur plus jeune âge pour « tenir » les parents, auxquels il est expliqué qu'ils ne doivent surtout pas arrêter de pratiquer « car leurs enfants sont là pour changer le monde, ils sont les bouddhas du futur ». De son côté, Me Line N'Kaoua (62) déclarait lors de son audition : « La famille a une grande importance pour la secte, dans la mesure où c'est un lieu de transmission de la doctrine sectaire. J'en veux pour preuve le mouvement Soka Gakkai ». En réponse au questionnaire de la commission d'enquête et plus précisément à sa question : « Qu'est-ce qui fait l'originalité de votre message au regard de l'éducation des enfants ? » la Soka Gakkai a cependant considéré que celui-ci ne présentait aucun trait spécifique sur ce terrain. Mme Sonya Jougla (63), a expliqué « qu'il est extrêmement difficile d'entreprendre une psychothérapie avec un enfant immergé dans une secte et ayant au moins un parent adepte. La difficulté est aggravée lorsque le père ou la mère est lui-même le gourou de la secte. L'héritage spirituel qui pèse alors sur l'enfant et l'amour-dévotion qu'il porte à son parent gourou entravent la possibilité d'établir une alliance thérapeutique ou d'introduire un tiers médiatisant. L'enfant nie le vécu traumatique pour pouvoir continuer à vivre avec l'auteur de l'emprise qui est pour lui tout puissant, dont il dépend et qu'il aime ». À l'opposé, l'altération du lien parent-enfant peut se traduire par la rupture ou l'éloignement. Le cas extrême est celui des enfants envoyés à l'étranger par leurs parents pour y être « éduqués » dans une secte, voire par son gourou. Mme Catherine Picard (64), présidente de l'Union nationale des associations de défense des familles et de l'individu (UNADFI) a rappelé sur ce point les déclarations de Sri Mataji, la « Mère » du groupe Sahaja Yoga : « N'importe qui peut faire un enfant - même un chien peut faire un enfant [...]. Aussi créer un enfant n'est pas une chose extraordinaire... ce que vous avez à faire, c'est de constater que vous avez un enfant, vous en avez juste la charge, comme vous avez la charge de "tous" les enfants de Sahaja yogi, pas seulement les vôtres [...] Dire mes enfants ne vous aidera en rien, au contraire. Cela va vous enchaîner « totalement » [...] D'abord, vous avez renoncé à votre famille, renoncé à vos enfants, renoncé à tout, vous êtes parvenu à cette extrémité ; maintenant vous y retournez. [...] Nous, ce que nous comprenons, c'est que nos relations et nos identifications doivent être complètement abandonnées ». Et plus loin : « Pour les cinq premières années, tous les parents doivent êtres extrêmement stricts avec les enfants. [...] Si l'enfant essaie de prendre des libertés avec vous et s'il est effronté et n'écoute pas, veuillez donner cet enfant à quelque autre sahaja yogi ». « Donnez alors l'enfant à une autre, une autre femme s'occupe alors de l'enfant, l'enfant devient alors la propriété de tout le monde, non votre propriété ». [...] «Vous devez juste accomplir votre tâche comme si vous étiez dépositaire de l'enfant, et seulement dépositaire. Mais vous ne devez pas vous attacher à lui : c'est mon travail, vous devez me le laisser. [...] Ces enfants sont les miens, pas les vôtres. » Le 7 mars 2005, le Centre d'information et d'avis sur les organisations sectaires nuisibles (CIAOSN) de Belgique a rendu un avis sur Sahaja Yoga, précisant que les parents sont encouragés à placer leurs enfants dès leur plus jeune âge dans un internat de l'organisation, à Rome à l'école maternelle (à partir de 4 ans), en Inde pour la formation scolaire et secondaire (à partir de 6 ans). Il est observé que la séparation, tant géographique qu'affective des jeunes enfants d'avec leurs parents pour de longues périodes ininterrompues (à Rome, deux trimestres par an, en Inde, jusqu'à neuf mois par an) place ces enfants dans une situation à risques pour leur développement personnel. Destinataire du questionnaire de la commission d'enquête qui comportait une question relative à l'envoi des enfants à l'étranger en vue d'y être éduqués dans des établissements appartenant ou non à l'organisation, la Sahaja Yoga s'est abstenue d'ailleurs de toute réponse. À la lettre envoyée par la commission d'enquête aux fins de savoir si des enfants de nationalité française se trouvaient actuellement en Inde pour y être éduqués dans des ashrams ou des organisations à caractère sectaire, l'Ambassadeur de France en Inde a répondu : « Après inventaire, aucune famille ou individu ne paraît correspondre à ce cas de figure, sachant que les familles qui entrent dans le champ de votre enquête et nouent des contacts avec une secte en Inde se font rarement connaître de nos services consulaires ». Votre rapporteur souhaite fermement rappeler que si des mineurs envoyés isolément à l'étranger se font effectivement rarement connaître des services consulaires, ils ne doivent pas, pour autant, être exclus de leur protection. Mme Françoise Le Bihan(65), directrice adjointe du service des Français à l'étranger au ministère des affaires étrangères, a elle-même précisé : « Notre service est en charge de tout ce qui concerne la protection consulaire des Français à l'étranger, donc des enfants ». Toutefois elle a souligné : « Il faut bien partir d'un signalement : il ne nous est pas possible de faire le tour de tous les lieux de vie dans le monde ». Considérant que, dans l'hypothèse où son ministère serait saisi d'un tel signalement, ce dernier serait transmis aux consulats, elle a ajouté : « Si moi-même, en tant que consul, je recevais un signalement de ma direction, j'aurais le réflexe de prendre contact avec les organismes locaux compétents afin qu'ils mènent une enquête pour vérifier si l'enfant est scolarisé, s'il est bien traité, s'il est en bonne santé ». Votre rapporteur l'ayant interrogée sur la sensibilisation des consuls à ce problème par le ministère, Mme Françoise Le Bihan a fait valoir : « Cela relève de la formation générale. Avant de partir en poste, chacun sait qu'il doit apporter protection et assistance aux ressortissants français à l'étranger, cela va de soi. » L'emprise sectaire aggrave par ailleurs les conflits familiaux dont les enfants sont toujours les premières victimes. Comme le résume Me Line N'Kaoua(66) : « S'ils ne sont pas protégés par la justice, les enfants sont broyés par la secte. En toute impunité, la secte explose les familles, sépare des couples et détruit des enfants ». Selon Mme Sonya Jougla (67), « en cas de divorce, l'un des parents peut utiliser, à tort, l'alibi de la secte pour tenter de récupérer un enfant. Mais c'est très rare. En revanche, un parent membre d'une secte, s'il détient l'autorité parentale, immergera forcément son enfant dans la secte et l'élèvera selon ses principes. Le fait de donner l'autorité parentale à ce parent-là pose problème ». Cependant, il est impossible - de nombreux juristes auditionnés par la commission d'enquête se sont accordés sur ce point - de tirer la moindre conséquence juridique immédiate de la seule appartenance d'une famille à un mouvement de type sectaire, quand bien même il serait identifié comme tel par tout le monde. Le juge se doit de rechercher si l'enfant subit ou subirait un danger physique ou psychique auprès du parent qui, adepte d'un mouvement de type sectaire, en revendique la garde et ce en examinant quelles seront ses conditions de vie quotidienne. Les parents auditionnés par la commission d'enquête et en conflit avec leur conjoint ont tous souligné à quel point le problème sectaire rendait encore plus difficile la solution de ce conflit, aggravant donc la souffrance des enfants. Ainsi que l'a fait remarquer M. Michel Gilbert(68) les magistrats « qui ne côtoient pas ces souffrances au quotidien auront du mal à comprendre. Bien souvent, ils prendront celui qui vient leur parler d'abus sur enfants ou de mise en état de sujétion pour un original » [...] Lorsqu'une organisation sectaire vous a enlevé votre enfant, votre petit-enfant, votre femme, votre compagne, vous vous retrouvez très vite totalement démuni face à une organisation bien structurée qui [...] ne manque pas de bons avocats. Que peut faire un père de famille devant un juge des enfants, face à un avocat « blindé » qui fera tout pour promouvoir les bienfaits de l'organisation sectaire [...] ? » Me Line N'Kaoua (69) a confirmé la difficulté des démarches du parent non-adepte en cas de contentieux familial de divorce. Il s'agit d'un contentieux avec des débats oraux, mais le temps de parole de l'avocat est limité, en raison du grand nombre de dossiers que les magistrats ont à traiter au cours de la même audience. L'avocat du parent qui souhaiterait soustraire son enfant à l'influence sectaire doit donc, dans un minimum de temps, exposer la doctrine de la secte, souvent méconnue par les juges, et démontrer les conséquences néfastes de l'appartenance de l'autre parent à cette secte sur la santé physique ou psychologique de l'enfant. En face, a-t-elle souligné, « les avocats des sectes sont très bien formés et payés, souvent par la secte. Ils connaissent le mode de fonctionnement de ces audiences et vont occuper le tiers du temps à soulever des incompétences, des irrégularités, des demandes de renvoi, ce qui fait que l'avocat de la partie adverse disposera de très peu de temps ». À ces difficultés peut s'ajouter le fait que l'enfant lui-même, s'il est sous l'emprise du parent adepte, ne manifestera pas clairement une volonté de voir sa résidence fixée chez le parent non-adepte. L'enfermement sectaire est également source d'isolement de l'enfant à l'égard d'autres membres de sa famille, à commencer par les grands-parents. Certes l'article 371-4 du code civil dispose que : « L'enfant a le droit d'entretenir des relations personnelles avec ses ascendants. Seuls des motifs graves peuvent faire obstacle à ce droit. » Toutefois lorsque l'un voire les deux parents sont adeptes d'un mouvement sectaire, ce droit d'entretenir des relations avec les grands-parents est bien souvent ignoré, le but de l'organisation étant d'isoler affectivement les adeptes, de rompre leurs liens familiaux et amicaux pour mieux les manipuler. Les petits-enfants subissent l'enfermement familial de leurs parents et les grands-parents hésitent à entreprendre des démarches judiciaires, susceptibles de leur aliéner définitivement leurs enfants. L'obstacle devient quasi-insurmontable dans des cas comme ceux cités par Mme Claude Delpech (70), présidente de l'Association AFSI (Alerte Faux Souvenirs Induits), c'est-à-dire dans des hypothèses où les grands-parents ont des enfants qui, sous l'influence d'une manipulation mentale, en viennent à porter de fausses mais très graves accusations contre eux. Invoquer devant un juge l'application de l'article 371-4 du code civil devient alors une entreprise vouée à l'échec : « C'est ainsi que s'érige une barrière qui devient infranchissable, le juge aux affaires familiales ou le juge des enfants étant réticent à accorder un droit de visite à des grands-parents qui sont déjà accusés d'inceste par leurs propres enfants. Dans ces cas de rupture familiale, les petits-enfants deviennent un moyen de pression sur les grands-parents. Dès que ces derniers engagent une action judiciaire, leurs enfants expliquent par leurs accusations le fait qu'ils ne veulent plus que leurs propres enfants voient leurs grands-parents. » Comme l'a expliqué Mme Claude Delpech, il serait donc nécessaire de trouver un moyen, non pas de contourner la justice, mais d'intervenir pour que les grands-parents puissent être entendus directement et rapidement par le juge. S'ils doivent attendre l'aboutissement d'une procédure judiciaire qui peut durer plusieurs années, le lien avec les petits-enfants se sera tellement distendu que ces derniers n'auront plus envie de voir leurs grands-parents. Juridiquement, ainsi que l'a rappelé Mme Françoise Andro-Cohen(71), magistrate, chargée de formation à l'École nationale de la magistrature, les grands-parents ne peuvent pas saisir directement le juge des enfants. Ils doivent s'adresser au procureur de la République qui, lui-même, pourra saisir le juge des enfants. La plupart du temps, quand les grands-parents écrivent directement au tribunal pour enfants, leur courrier est transmis au procureur de la République qui peut formaliser alors la saisine par une requête directe auprès du juge des enfants. Le procureur général près la cour d'appel de Lyon, M. Jean-Olivier Viout (72) a souligné que c'est en effet au juge des enfants que revient le soin d'assurer la protection du mineur, en s'appuyant sur l'article 375 du code civil, qui dispose que : « Si la santé, la sécurité ou la moralité d'un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation sont gravement compromises, des mesures d'assistance éducative peuvent être ordonnées par la justice à la requête des père et mère conjointement, ou de l'un d'eux, de la personne ou du service à qui l'enfant a été confié ou du tuteur, du mineur lui-même ou du ministère public ». Ce même article ajoute que le juge, à titre exceptionnel, peut se saisir d'office. En conséquence, a estimé M. Jean-Olivier Viout, il incombe au ministère public un rôle majeur en la matière et notamment celui de réparer une omission dans l'article 375, à savoir celle des grands-parents. De fait, si un tuteur peut saisir la justice, les grands-parents sont totalement oubliés dans cet article antérieur à la loi du 4 mars 2002, dont est issu l'article 371-4 consacrant le droit de l'enfant à entretenir des relations personnelles avec ses ascendants. Et M. Viout de conclure : « C'est ainsi qu'il n'est pas rare que le ministère public soit saisi par des grands-parents qui non seulement expriment leur inquiétude de ne plus avoir de contacts avec leurs petits-enfants, mais expliquent cette rupture de contact par le fait que les parents leur ont fait rejoindre une secte à laquelle eux-mêmes appartiennent. Je pense donc que l'article 375 mériterait une extension pour permettre la saisine du juge des enfants par les grands-parents. » Il semble paradoxal, effectivement, de consacrer juridiquement le droit, pour les grands-parents, de maintenir des liens avec leurs petits-enfants, tout en ne leur donnant pas la possibilité de saisir eux-mêmes directement le juge, lorsque ces derniers leur semblent en danger, par exemple lorsqu'ils vivent un enfermement de type sectaire. La commission d'enquête propose donc que l'article 375 du code civil soit modifié, afin d'ouvrir aux grands-parents le droit de saisir eux-mêmes directement le juge des enfants. 10. Le paroxysme de l'enfermement social : la difficulté à sortir de la secte Une caractéristique majeure des mouvements de type sectaire est la difficulté d'en sortir : tous les témoignages reçus par la commission d'enquête ont abondé en ce sens. Les diverses propositions qu'elle est amenée à formuler, à l'instar de l'ouverture aux grands-parents de la possibilité de saisir le juge des enfants, relèvent, pour la plupart, de la volonté de briser cet enfermement social. a) L'appréciation complexe de la notion de danger Il est difficile d'intervenir en vue de faire sortir un mineur d'un mouvement de type sectaire, car toute intervention judiciaire implique une notion de danger pour l'enfant. L'appréciation de la notion de danger est complexe cependant, dès lors qu'il n'est pas fait état de l'existence soit d'abus sexuels, soit de maltraitance, soit de négligences graves permettant de caractériser ce danger au sens habituel de l'article 375 du code civil. Or, comme l'a rappelé le procureur général Viout (73), face à un risque non matériellement concrétisé, la justice donne souvent l'image négative d'une certaine inaction, non parce qu'elle ne veut pas intervenir, mais parce qu'elle estime son intervention juridiquement impossible, faute de manifestations tangibles de maltraitance : « Nous n'en sommes pas encore à l'heure de l'intervention du juge exclusivement fondée sur le principe de précaution. » Pour surmonter cet obstacle, peut-être pourrait-on s'inspirer de la démarche qui fut celle choisie par Mme Françoise Andro-Cohen, lorsqu'elle fut, en qualité de juge des enfants, saisie il y a quelques années de la situation d'une vingtaine de mineurs, vivant dans une communauté très fermée, à tendance apocalyptique. Elle s'employa alors à multiplier les investigations et à impliquer de très nombreux intervenants (éducateurs, psychologues, etc.). Cependant les rapports résultant de ces investigations ne permirent pas de démontrer que ces enfants vivaient dans des conditions d'éducation gravement compromises. C'est pourquoi elle fit alors le choix de définir le danger au regard de la situation de l'enfant et du « danger prévisible », ce qui est admis par la jurisprudence (74) ; si l'on ne peut pas retenir une notion de « danger hypothétique », la Cour de cassation permet de caractériser un danger potentiel, a-t-elle expliqué devant la commission d'enquête (75) : « C'est en effet dans le devenir de l'enfant que j'ai caractérisé le danger : nous les voyions progressivement devenir des adeptes, sans projection aucune sur le monde extérieur ni projet de départ. Au fur et à mesure des entretiens que nous avions avec eux et les éducateurs, ils nous répétaient qu'ils souhaitaient rester au sein de la communauté, qu'ils étaient tout à fait libres de la quitter à tout moment mais qu'ils ne le désiraient pas et ne se posaient aucunement la question de savoir pourquoi ils n'en avaient pas le désir. Il n'y avait aucune envie exprimée par ces enfants, ces adolescents, de quitter la communauté et de vivre dans une vie sociale. » Par le biais de toutes les investigations menées, ont pu être répertoriés « un certain nombre d'éléments permettant de définir un danger dans l'absence de projection, étant précisé que, dans cette communauté, les enfants étaient séparés, dès l'âge de six ans, de leurs parents. Ces derniers avaient démissionné au profit de la communauté qui prenait les décisions, chaque enfant ayant un référent adulte qui n'était ni son père ni sa mère. Toute manifestation affective était proscrite au sein de la communauté. Les enfants ne sortaient pas, n'étaient inscrits dans aucune activité extérieure de loisir. » Mme Françoise Andro-Cohen s'est déclarée persuadée de la nécessité d'intervenir dans ce type de communautés presque systématiquement, en ordonnant des mesures d'investigation pour les enfants qui s'y trouvent, afin d'éviter un risque majeur de désocialisation. Le président Georges Fenech lui ayant demandé si la seule appartenance de mineurs à une communauté fermée justifierait, selon elle, une intervention systématique du juge des enfants pour vérifier ce qui s'y passe, elle a fait valoir que : « [...] C'est aux conseils généraux d'agir dans un premier temps dans le cadre de la mission qu'ils détiennent en matière de protection de l'enfance. Cela étant, si on se heurte à un refus d'intervention de ces communautés, je pense que les procureurs de la République doivent alors saisir le tribunal pour enfants. » À cet égard, la commission d'enquête rappelle que le projet de loi sur la réforme de la protection de l'enfance (AN n° 3184, XIIe législature) adopté en première lecture par le Sénat le 21 juin 2006 comporte une disposition prévoyant que « le président du conseil général est chargé du recueil, du traitement et de l'évaluation, à tout moment et quelle qu'en soit l'origine, des informations préoccupantes relatives aux mineurs en danger ou qui risquent de l'être ». Elle souligne l'importance de l'adoption définitive de cette disposition qui ne peut que favoriser une interprétation plus souple de la notion de danger lorsque des mineurs sont concernés. L'introduction de la notion d'« informations préoccupantes » centralisées par les conseils généraux, permettra de procéder à l'évaluation d'une situation et de faire bénéficier les mineurs et leur famille d'une mesure d'aide et de protection, voire de signaler leur cas à l'autorité judiciaire. b) La nécessaire assistance du mineur par un avocat Il serait également nécessaire, dans les cas où l'autorité policière ou judiciaire sera amenée à entendre des mineurs, suite à la transmission de signalements inquiétants, de prévoir systématiquement l'assistance de ces enfants par un avocat désigné par le juge. Cette nécessité a été évoquée par Mme Françoise Andro-Cohen : « Dans l'expérience dont je vous ai fait part, il y a eu appel pour certains des dossiers. La cour d'appel avait confirmé les décisions et avait décidé, comme elle le fait habituellement, d'entendre à la fois les parents et les enfants ; un avocat avait été désigné pour l'enfant. C'est un point très important. Personnellement, je ne l'avais pas fait et je le regrette beaucoup. Il aurait été tout à fait opportun que l'enfant soit assisté d'un avocat désigné par le juge, de manière à bénéficier des conseils juridiques et d'une voix différente de celle de ses parents. Il faut également inciter les juges des enfants à en faire désigner un systématiquement. Ce peut être aussi un administrateur ad hoc représentant les intérêts de l'enfant. C'est fondamental. » Aujourd'hui, l'article 706-50 du code de procédure pénale prévoit qu'en cas de constitution de partie civile, le juge fait désigner un avocat d'office pour le mineur s'il n'en a pas déjà été choisi un. Cependant, dans la phase de la procédure qui précède, le mineur n'est pas assisté d'un avocat. Or, l'enfant sous emprise sectaire est un enfant sous influence, victime de son enfermement social. Ses propos, lorsqu'il est entendu, risquent d'être convenus, voire dictés par la crainte. Les auditions au cours desquelles il est susceptible de dévoiler des faits dont il a eu à souffrir ont lieu précisément dans cette phase initiale. Elles se déroulent ainsi en dehors de tout contrôle contradictoire. Dans de telles situations, il paraît indispensable de ne pas laisser l'enfant seul et de prévoir son assistance par un avocat le plus en amont possible de la procédure. C'est pourquoi la commission d'enquête souhaite que l'assistance d'un avocat soit prévue dès le début de l'enquête pour le mineur supposé victime d'une infraction dans un mouvement à caractère sectaire. Pour les mêmes raisons, elle entend que cette assistance soit procurée, dès le début d'un contentieux familial au mineur dont les parents ou l'un des parents sont réputés adhérer à une organisation sectaire. S'il est quasiment impossible pour le mineur de sortir sans aide extérieure de cet enfermement social, les difficultés restent considérables une fois atteint l'âge adulte, à supposer que l'ancien adepte ait conservé suffisamment de volonté pour vouloir sortir du mouvement. Il faut également tenir compte du cas où le parent ex-adepte est en conflit avec son conjoint adepte pour l'exercice de l'autorité parentale sur les enfants. Les difficultés rencontrées sont d'ordre à la fois matériel et psychologique. c) Les difficultés matérielles L'ex-adepte peut ne pas avoir ou ne plus avoir de ressources financières suffisantes. Dans le cas d'un contentieux, ces problèmes sont aggravés par le fait qu'un ex-adepte ne peut souvent même plus prétendre à l'aide juridictionnelle, car, ainsi que l'a rappelé Me Line N'Kaoua(76), il n'a pas fait de déclaration de revenus depuis des années. En effet, aux termes de l'article 4 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, les demandeurs doivent justifier de ressources inférieures à des montants fixés chaque année par décret (soit 859 euros par mois pour l'aide juridictionnelle totale et 1 288 euros par mois pour l'aide juridictionnelle partielle, ces montants pouvant être majorés pour charges de famille). Des dispenses de justification de l'insuffisance de leurs ressources sont prévues par le quatrième alinéa de cet article pour les bénéficiaires du Fonds national de solidarité et ceux du revenu minimum d'insertion. La commission d'enquête préconise que les personnes engageant une procédure au titre de l'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de faiblesse (article 223-15-2 du code pénal) et se trouvant dans l'impossibilité de produire les justificatifs de ressources demandés pour bénéficier d'une aide juridictionnelle soient ajoutées à la liste des personnes dispensées de justifier de l'insuffisance de leurs ressources. d) Les difficultés psychologiques Les difficultés psychologiques des sortants de sectes restent cependant les plus considérables et les plus durables : elles ont été évoquées dans la plupart des témoignages recueillis par la commission d'enquête. La sortie d'un mouvement de type sectaire implique en effet, outre une perte de repères, la rupture de nombreux liens affectifs, familiaux et amicaux. Le jeune dont les parents sont restés adeptes fera ainsi, en général, l'objet d'un rejet de leur part. M. Nicolas Jaquette(77) a longuement fait état de la détresse affective qui en résulte, après avoir indiqué que seul un accompagnement par une association lui avait permis de franchir cette étape : « En effet, parmi les éléments qui dissuadent d'en sortir [...], il y a le fait que la secte interdit à ses adeptes tout contact avec ceux qui la quittent ou en sont exclus. Et dans la mesure où l'adepte n'a de contact qu'avec les gens de la secte, la quitter revient à se séparer de tout son environnement affectif et à se retrouver dans un monde où l'on n'a aucun lien. C'est en fait un chantage à l'affectif, et une grande force dont usent les Témoins de Jéhovah pour conserver leurs adeptes et même faire revenir certains démissionnaires qui se retrouvent rapidement en détresse affective dans un monde où ils ne connaissent personne. Du coup, ils reviendront « par défaut » dans la secte pour y retrouver ce lien affectif. Depuis que j'ai quitté la secte, je n'ai plus aucun contact avec mes parents. Ils sont allés en s'amenuisant jusqu'à ne se réduire qu'à de brefs appels au téléphone : « Tu as quand même conscience des conséquences de tes choix ? » Ils m'ont abandonné, je ne suis plus leur fils. » Une mère de famille entendue à huis clos, qui avait réussi à se soustraire à temps avec ses enfants à l'emprise d'une secte appelant au suicide, a expliqué que « la dimension sectaire, qui renvoie essentiellement à l'irrationnel » avait placé ses enfants « dans une immense difficulté à analyser et comprendre ce qui s'était passé, puisqu'ils étaient privés de tout repère logique ». Soulignant la grande difficulté à trouver des professionnels susceptibles d'accompagner psychologiquement ses propres enfants, elle s'est également inquiétée du sort des autres mineurs concernés : « Qui s'est préoccupé ou se préoccupe encore du devenir et de l'équilibre psychologiques des autres enfants de la secte ? Les juges ? Les enseignants ? La police ? Les travailleurs sociaux ? « Pour ces raisons, je me demande s'il existe une liste de professionnels - psychologues, psychiatres, assistantes sociales, juristes, avocats - spécialisés dans le domaine sectaire, facilement accessible à toutes les victimes de ces organisations sectaires. « Le Gouvernement aurait-il les moyens d'assurer un suivi des personnes, en particulier des enfants, victimes de sectes ? « Lorsque je dis victimes, je ne parle pas que des victimes directes, mais je parle également de toutes celles que l'on a l'habitude de passer sous silence, à savoir l'entourage et en particulier les enfants. Il semble évident que les enfants dans les sectes subissent des violences morales et psychologiques. Ces maltraitances psychiques n'étant pas visibles, elles ne sont pas prises en compte à la hauteur des dégâts qu'elles causent, et cela à la différence des violences physiques, nettement plus constatables. Pourtant il s'agit bien d'une violence terrible, à part, et inhérente à l'emprise sectaire. » e) L'insuffisante prise en charge des victimes d'emprise sectaire Toutes les séquelles psychologiques constatées amènent à poser plus particulièrement la question de la formation des professionnels de la santé : sont-ils suffisamment sensibilisés à la notion d'« abus de faiblesse » et à la « relation d'emprise » ? Bien qu'aucune étude n'ait été réalisée sur ce thème, comme l'a rappelé M. Michel Duvette (78), les monographies rapportées par les cliniciens et les données existantes permettent de considérer que c'est la relation d'emprise qui constitue le principal facteur de risque des troubles psychiques susceptibles d'être provoqués chez les mineurs par les dérives sectaires. Selon le professeur Philippe-Jean Parquet (79), une formation particulière est nécessaire pour comprendre ce qu'est l'emprise mentale. Or, c'est un chapitre très peu développé dans la formation médicale. Il n'existe pas plus de trente ou trente-cinq spécialistes en France du traitement de ce type de pathologies induites. Ce même témoin a déploré, par ailleurs, le manque d'études à grande échelle sur la nature et l'évolution des dommages infligés aux enfants par les organisations à caractère sectaire : « Il faut étendre notre analyse à ce que j'appellerai les « dommages d'intensité moyenne », car ils laissent néanmoins des traces. Il serait nécessaire de mettre en œuvre une recherche épidémiologique qui fait totalement défaut actuellement. » La rapidité de la prise en charge est essentielle. Mme Charline Delporte (80), présidente de l'ADFI Nord-Pas-de-Calais l'a souligné : « L'accompagnement des sortants est très important. Mais il doit rester ponctuel : on ne doit pas rester victime à vie de sectes ». M. Emmanuel Jancovici (81) a insisté sur la formation et sur la sensibilisation des thérapeutes : « Il est nécessaire d'adopter une culture très spécifique s'agissant des victimes de sectes. La plupart des thérapeutes n'ayant aucune représentation des processus dans lesquels sont pris les adeptes, il faudra les former aux phénomènes sectaires. Par ailleurs, et je parle à titre personnel, il faut éviter une problématique de type victimologique. Les victimes ont été prises dans des positions très compliquées où parfois elles ont participé à des pratiques dont d'autres personnes ont été victimes. » M. Emmanuel Jancovici a précisé que la question de la prise en charge des victimes de sectes avait été étudiée à titre expérimental, avec un financement pendant trois ou quatre ans d'un centre dans la région parisienne. Il a indiqué que la Direction générale de la santé était en train d'examiner comment pourraient être mis en place, sur l'ensemble du territoire, des systèmes de prise en charge de ces victimes. La commission d'enquête estime qu'il est aujourd'hui impératif de dépasser le stade des études expérimentales. Rejoignant les préoccupations des très nombreux témoins ayant fait état des difficultés d'adaptation des sortants de sectes, elle préconise une amélioration de leur prise en charge et souhaite que dans ce cadre, une attention particulière soit apportée à l'accompagnement, sur le plan de la santé mentale, des jeunes récemment sortis de ces organisations. Elle souligne, à cet égard, l'importance de la mise en œuvre de la recherche épidémiologique demandée par le professeur Philippe-Jean Parquet ainsi que l'utilité de l'établissement de listes de professionnels spécialement formés à la prise en charge de la « relation d'emprise », listes qui devraient être immédiatement mises à la disposition des personnes sortant de sectes, ou souhaitant faire prendre en charge leurs enfants ayant subi une emprise sectaire. D'ores et déjà les travaux de la commission d'enquête ont rencontré un écho auprès du ministère de la santé et des solidarités. En effet, dans un courrier en date du 9 novembre 2006, M. Xavier Bertrand, ministre de la santé et des solidarités, a notamment annoncé à celle-ci : « [...] la directive nationale d'orientation 2007 de mon ministère, qui indique aux services déconcentrés les thèmes prioritaires de contrôle pour l'année à venir, placera la lutte contre les dérives sectaires au nombre des actions à entreprendre de façon prioritaire. « Le guide de la protection de l'enfance, qui sera diffusé début 2007 à l'usage des professionnels de ce secteur comprendra, en outre, un chapitre sur les sectes et les précautions à prendre en la matière ». Le ministre chargé de la santé a insisté sur la nécessité de mieux prendre en compte l'accompagnement des sortants de sectes : « Enfin, j'ai demandé à mes services de commencer à travailler, très rapidement, en lien avec des psychiatres et les associations concernées, à l'accompagnement des sortants de sectes. » B. L'ENFERMEMENT À TRAVERS L'INSTRUCTION À DOMICILE Aux termes du treizième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, la Nation doit garantir l'égal accès de l'enfant à l'instruction. L'article 28 de la Convention internationale relative aux droits de l'enfant du 20 novembre 1989 reconnaît le droit de l'enfant à l'éducation, son article 29 précisant que l'éducation de l'enfant doit favoriser l'épanouissement personnel de ce dernier et le développement de ses dons et de ses aptitudes mentales et physiques dans toute la mesure de leurs potentialités. Le droit français offre plusieurs possibilités aux parents pour éduquer leurs enfants : soit ces derniers reçoivent une éducation dans un établissement public ou dans un établissement sous contrat ou hors contrat, soit ils choisissent la formule de l'instruction dans la famille. Par rapport à d'autres réglementations comme la législation de certains Länder allemands, qui impose aux parents la « Schulpflicht », c'est-à-dire l'obligation d'être scolarisé dans le système scolaire, le droit français se caractérise par son libéralisme. L'article L. 131-10 du code de l'éducation définit les règles applicables à l'instruction dans les familles. Les enfants relevant de ce régime sont, dès la première année et tous les deux ans, l'objet d'une enquête de la mairie compétente, uniquement aux fins d'établir quelles sont les raisons alléguées par les personnes responsables et s'il leur est donné une instruction compatible avec leur état de santé et les conditions de vie de la famille. L'inspecteur d'académie doit au moins une fois par an, à partir du troisième mois suivant la déclaration d'instruction par la famille, faire vérifier que l'enseignement assuré est conforme au droit de l'enfant à l'instruction, tel que défini à l'article L. 131-1-1. Ce dernier article d'origine parlementaire, est issu de l'article 1er de la loi n° 98-1165 du 18 décembre 1998 tendant à renforcer le contrôle de l'obligation scolaire, qui combinait en un seul dispositif l'article 2 de l'ordonnance n° 59-45 du 6 janvier 1959 portant prolongation de la scolarité obligatoire et le cinquième alinéa de l'article premier de la loi n° 89-486 du 10 juillet 1989. L'article L. 131-1-1 fait référence aux deux dimensions de l'éducation, à savoir l'instruction et le développement de la personnalité de l'enfant : « Le droit de l'enfant à l'instruction a pour objet de lui garantir, d'une part, l'acquisition des instruments fondamentaux du savoir, des connaissances de base, des éléments de la culture générale et, selon les choix, de la formation professionnelle et technique, d'autre part, l'éducation lui permettant de développer sa personnalité, d'élever son niveau de formation initiale et continue, de s'insérer dans la vie professionnelle et d'exercer sa citoyenneté. » Mais l'apport essentiel de l'article 1er de la loi du 18 décembre 1998, repris au second alinéa de l'article L. 131-1-1, a été d'affirmer que l'instruction obligatoire est assurée prioritairement dans les établissements d'enseignement, l'école étant le lieu d'intégration et de socialisation privilégié des élèves. Les manquements relatifs à l'obligation scolaire sont punis à divers titres : d'une part, le fait par les parents d'un enfant ou toute personne exerçant à son égard l'autorité parentale ou une autorité de fait de façon continue, de ne pas déclarer en mairie qu'il sera instruit dans sa famille ou dans un établissement privé hors contrat est puni de l'amende prévue pour les contraventions de la 5e classe (1 500 euros). D'autre part, le fait, par les parents d'un enfant ou toute personne exerçant à son égard l'autorité parentale ou une autorité de fait de façon continue, de ne pas l'inscrire dans un établissement d'enseignement, sans excuse valable, en dépit d'une mise en demeure de l'inspecteur d'académie, est puni de six mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende (article L. 131-11 du code de l'éducation, qui reproduit l'article 227-17-1 du code pénal). C'est sur la base de ces dernières dispositions, qu'ont été condamnés 17 parents, adeptes de Tabitha's Place à six mois d'emprisonnement avec sursis par la cour d'appel de Pau, le 19 mars 2002 (82). Le rappel de ces règles permet donc de prendre la mesure de la volonté du législateur de garantir à l'enfant l'instruction à laquelle il a droit et de veiller à ce que cette dernière soit de préférence assurée dans les établissements d'enseignement. L'enquête menée par les services de l'éducation nationale à la demande de la commission d'enquête, pour identifier le nombre d'élèves instruits dans les familles, a conduit à recenser 1 323 cas pour l'année scolaire 2004-2005 et 2 869 l'année suivante, 813 et 1 149 contrôles ayant été effectués respectivement pendant ces deux périodes. Ce contrôle prescrit par l'inspecteur d'académie a lieu au domicile des parents de l'enfant. Ses résultats sont notifiés aux personnes responsables avec l'indication du délai dans lequel elles devront fournir leurs explications ou améliorer la situation. Si au terme d'un nouveau délai fixé par l'inspecteur d'académie, les résultats du contrôle sont jugés insuffisants, les parents sont mis en demeure d'inscrire leurs enfants dans un établissement d'enseignement public ou privé et d'en informer le maire, à charge pour lui de transmettre cette information à l'inspecteur d'académie. Les diligences de celui-ci se font sous le contrôle du juge administratif (83) ou du juge judiciaire, si des peines pénales ont été prononcées (84). Selon les chiffres communiqués par la Cellule de prévention des phénomènes sectaires de l'éducation nationale (CPPS), ces contrôles ont abouti l'année dernière à 23 mises en demeure, ce qui comme le souligne l'inspecteur général Jean-Yves Dupuis (85), interrogé par la commission d'enquête, est un chiffre relativement faible, les enfants instruits dans les familles ne l'étant pas au demeurant nécessairement pour des raisons sectaires. Il existe toutefois des moyens pour faire échec à ces contrôles. Certains d'entre eux s'expliquent par la situation géographique de la secte. Lorsque des contrôles sont effectués, la circulaire de l'éducation nationale n° 99-70 du 14 mai 1999 prévoit que « la famille peut être informée au préalable de la date du contrôle, du ou des lieux où il se déroulera et des conditions générales, notamment des personnes qui en sont chargées ». Mais dans sa réponse au questionnaire de la commission d'enquête, la cellule chargée de la prévention des phénomènes sectaires dans l'éducation a constaté à propos du groupe de Tabitha's Place, domicilié dans les Pyrénées-Atlantiques, que « lorsque des contrôles sont effectués, une partie des élèves passe en Espagne ». Le choix par cette communauté de la localisation d'un second site, à Heisbrunn près de Mulhouse et par conséquent à proximité des frontières suisse et allemande n'est donc pas fortuit, l'inspecteur d'académie s'étant vu refuser au demeurant l'entrée des lieux le 7 avril 2006, ce qui a entraîné un signalement auprès du parquet. En accompagnant l'inspecteur d'académie dans la communauté de Tabitha's Place, à Sus dans les Pyrénées-Atlantiques, votre rapporteur a pu se rendre compte concrètement de l'application du dispositif légal sur l'instruction dans la famille. Chaque année scolaire depuis 1999, l'inspecteur de l'éducation nationale de la circonscription procède à un contrôle des acquisitions des enfants du premier degré, qui sont déclarés, les inspecteurs pédagogiques établissant un contrôle identique pour les enfants du second degré. Les familles sur place ont adressé une déclaration d'instruction à domicile pour 14 enfants : 2 nés en 1991, 2 en 1993, 1 en 1994, 2 en 1996, 3 en 1997, 2 en 1999 et 2 en 2000. En réalité, le déplacement de votre rapporteur a permis de constater que si 14 enfants avaient été déclarés, 18 en réalité étaient scolarisés dans la famille. Sur son site Internet, la communauté de Tabitha's Place justifie ainsi le choix de l'instruction à domicile : « Notre communauté est le seul environnement nous permettant de mettre ces commandements en pratique. C'est l'environnement parfait que Dieu a pourvu pour l'éducation de nos enfants, car l'amour, le respect et l'ordre y règnent. Nous ne pouvons donc envoyer nos enfants dans des salles de classes indisciplinées où prédomine la rébellion envers les enseignants et les parents, où coexistent philosophies anti-bibliques, usage de drogues et permissivité sexuelle. Parce que nous sommes des disciples de Yahsha, nous sommes tenus pour responsables d'obéir à toute la Parole de Dieu et d'accomplir Son plan sur la terre. C'est sur cette obéissance que s'appuie l'éducation de nos enfants, destinée à les faire « aimer Dieu de tout leur cœur, de toute leur âme, et de toutes leurs forces, et à aimer leur prochain comme eux-mêmes » (Mat. 22:37-40). L'obéissance à ce commandement accomplissant tout ce que Dieu a exprimé dans Sa Loi et par Ses prophètes. « Nous ne pouvons exposer nos enfants à aucune violence, perversion, haine et pression de groupe. La dégradation croissante du standard moral dans les institutions éducatives nous interdit de leur confier nos enfants : « Que l'inconduite, toute forme d'impureté ou la cupidité, ne soient pas même mentionnées parmi vous, comme il convient à des saints ; pas de grossièretés, pas de propos insensés, pas de bouffonneries, cela est malséant, mais plutôt des actions de grâces. Car sachez-le bien, aucun débauché, impur ou cupide, c'est-à-dire idolâtre, n'a d'héritage dans le royaume de Dieu. Que personne ne vous séduise par de vains discours ; car c'est pour cela que la colère de Dieu vient sur les fils de la rébellion. N'ayez donc aucune part avec eux » (Eph. 5:3-7). « L'absence de nos enfants des bancs scolaires est ainsi justifiée. Une seule pomme gâtée suffit à faire pourrir tout un panier... à plus forte raison, comment peut-on croire qu'un enfant se gardera pur dans un tel milieu ? Nulle autre structure que notre communauté ne pourrait être qualifiée pour éduquer nos enfants, car il est évident qu'aucun établissement scolaire n'est apte à accomplir la volonté de Dieu sur la terre. » L'inspecteur de l'éducation nationale avait présenté en ces termes à l'inspecteur d'académie dans un rapport du 2 décembre 2005 le contexte dans lequel l'instruction était dispensée aux enfants : « La pauvreté de cet environnement culturel pourrait être mise en relation avec le caractère bridé de l'imaginaire des enfants, tant au niveau oral que des productions plastiques ou graphiques, que laissent envisager certains indices connexes prélevés lors du passage des épreuves. « Les enfants rendent compte au travers des échanges informels qu'ils ont eus avec les examinateurs que davantage de valeur est donné au travail en lui-même qu'au contenu des apprentissages. » Le contrôle opéré par votre rapporteur in situ faisait écho aux propos tenus devant la commission d'enquête par M. Michel Huyette (86). Celui-ci n'avait pas hésité à déclarer en effet aux membres de la commission : « Le droit à l'instruction à domicile est l'outil juridique qui autorise les parents à enfermer leurs enfants. Le juge ne peut pas lutter. Il se trouve devant une situation qui, personnellement me déconcerte, car permise, en définitive par la loi française... Dans le cas d'un enseignement à domicile, la législation française prévoit au moins un contrôle de l'éducation nationale. Mais il ne s'agit que d'un contrôle du contenu des connaissances requises par les élèves, lequel est fixé par décret, c'est-à-dire des connaissances en mathématiques, en histoire, en géographie. Or, là n'est pas le problème. Le problème pour les enfants qui vivent dans une secte, c'est que leurs parents leur disent tous les jours, comme je l'ai entendu de mes propres oreilles que, s'ils les gardent à la maison, c'est parce que le monde extérieur est monstrueux et nocif. Cela signifie que, même quand ils seront adultes, ils n'en sortiront pas. » Participe de cette analyse le constat dressé par la cour d'appel de Pau le 19 mars 2002 à propos de Tabitha's Place : « Le défaut de scolarisation, sans excuse valable est lourd de conséquences pour des enfants qui ne bénéficient d'aucune ouverture sur le monde extérieur, n'ont aucune perspective sociale en dehors de la communauté choisie par leurs parents et risquent de ce fait de devenir des inadaptés sociaux. » (87) Outre ses conséquences en termes de niveau scolaire et de sociabilité de l'enfant, le choix de l'instruction à domicile n'est pas neutre pour la santé du mineur. Il importe de restituer les enjeux de l'importance de la santé des jeunes en milieu scolaire. Ceux-ci ont été rappelés par le ministre délégué à l'enseignement scolaire dans une communication au Conseil des ministres du 26 février 2003. Après avoir fait observer que « la santé des jeunes en milieu scolaire représente le premier maillon de la chaîne de la sauvegarde du capital santé de chacun d'entre nous », le ministre a tracé les grandes orientations de la politique de la santé pour ce public. Le repérage des troubles et leur suivi grâce à un dossier de santé du jeune appelé à se substituer au carnet de santé, un dépistage plus précoce, une meilleure prise en compte des troubles psychiques et un suivi plus performant de la santé des jeunes constituent les points les plus saillants du plan d'action annoncé à l'époque par le Gouvernement. Aujourd'hui comme l'exige l'article R. 2132-1 du code de la santé publique, les enfants jusqu'à l'âge de six ans ou six ans et un mois sont soumis à des examens médicaux obligatoires. Puis à compter de cet âge leur suivi médical diverge selon leur mode d'instruction. En exigeant des parents une visite médicale de leur enfant à l'âge de six ans, quel que soit son mode de scolarisation, l'article L. 541-1 du code de l'éducation, par l'emploi du terme « scolarisation » exclut de fait les enfants relevant de l'instruction à domicile. Cette disposition est à l'origine l'article 1er de l'ordonnance n° 45-2407 du 18 octobre 1945 relative à la protection des enfants d'âge scolaire, des élèves et du personnel des établissements d'enseignement et d'éducation de tous ordres. En réalité, plus les liens avec les modes de scolarité habituels sont distendus, moins le suivi médical des enfants est assuré. En effet, la circulaire n° 2001-012 du 12 janvier 2001 de l'éducation nationale qui définit les principes et les orientations de la politique de la promotion de la santé en faveur des élèves ne s'applique qu'aux établissements publics et privés sous contrat. Quant aux établissements privés qui ne sont pas sous contrat, l'article L. 442-2 du code de l'éducation dispose que : « le contrôle de l'État sur les établissements d'enseignement privés qui ne sont pas liés à l'État par contrat se limite aux titres exigés des directeurs et des maîtres, à l'obligation scolaire, à l'instruction obligatoire, au respect de l'ordre public et des bonnes mœurs, à la prévention sanitaire et sociale ». S'agissant des enfants instruits dans les familles, les dispositions de contrôle sanitaire sont donc inapplicables faute de moyens, puisque c'est au maire, dans le cadre de l'article L. 131-10 du code de l'éducation, d'établir s'il est donné à ces enfants une instruction compatible avec leur état de santé et les conditions de vie de la famille. En réalité le contrôle sanitaire ne retrouve pleinement sa place que lorsque l'instruction à domicile a été jugée défaillante par l'éducation nationale et que les enfants concernés sont admis dans un établissement d'enseignement public ou privé à l'issue de la procédure contradictoire de l'article L. 131-10. De fait, l'article R. 3111-17 du code de la santé publique subordonne l'admission dans tout établissement d'enfants, à caractère sanitaire ou scolaire, à la présentation soit du carnet de santé, soit des documents en tenant lieu attestant de la situation de l'enfant au regard des vaccinations obligatoires, celles-ci étant à défaut effectuées dans les trois mois de l'admission. La combinaison de cet article avec l'article L. 131-10 conduit à penser que les parents dont les enfants passeraient d'un système d'instruction à domicile à l'admission dans le système scolaire seraient tenus d'être à jour de leurs obligations sanitaires. Pour pallier le manque de suivi sanitaire des enfants placés sous le régime de l'instruction à domicile ou sous celui des établissements d'enseignement hors contrat, la commission d'enquête recommande d'imposer le principe d'un contrôle médical obligatoire annuel par la médecine scolaire pour ces enfants, à partir de l'âge de six ans. Garantie par le Préambule de la Constitution de 1946, la protection de la santé de l'enfant est en outre définie par l'article 24 de la Convention internationale des droits de l'enfant comme « le droit de jouir du meilleur état de santé possible et de bénéficier de services médicaux et de rééducation ». Si aujourd'hui, « le renforcement des contrôles de la santé des enfants et de leur bon développement, l'extension des missions de la PMI (Protection maternelle et infantile), l'attention portée à la période prénatale et périnatale, la cohérence de tous les dispositifs peuvent contribuer à protéger efficacement tous les enfants », ce constat de Mme Chantal Lebatard (88), responsable du département « Sociologie, psychologie et droit de la famille » de l'Union nationale des associations familiales, ne s'applique pas aux nombreux mineurs, victimes des croyances auxquelles adhèrent leurs parents et au nom desquelles ces derniers peuvent être conduits à les priver d'hygiène, d'alimentation et parfois des traitements médicaux qui ont fait leurs preuves. 1. Des conditions de vie déplorables Dans certains mouvements, le rejet de la civilisation par les adeptes conduit les adultes et leurs enfants à accepter des conditions de vie pour le moins dégradées. Prônant une vie plus proche de la nature, le mouvement Écoovie (89) exige de ses adeptes de renoncer à toute trace de socialisation préalable. Dans ses attendus, le jugement du tribunal de grande instance de Paris du 10 juillet 1985 (90) avait ainsi relevé que les brochures diffusées par le groupe recommandaient aux adultes et aux enfants « de faire leurs déjections par terre, de ne pas se laver, de refuser les soins médicaux et de pharmacie, malgré les dermatoses et abcès purulents dont ils souffraient » et avait retenu le témoignage du propriétaire des locaux qui abritait les membres d'Écoovie : « Première particularité de ces gens : leur saleté ; une odeur très caractéristique émane de chaque individu dès qu'on l'approche à moins d'un mètre ». Or, ni la dénonciation de ces pratiques ni les différentes condamnations ayant frappé le gourou dans divers pays, ne découragent les adeptes. C'est ainsi que, le 17 mai 2005, le tribunal correctionnel de Bayonne a condamné une mère de famille qui, sans autorisation du père et au mépris d'une décision de justice, avait emmené ses deux enfants mineurs au Canada afin de rejoindre ledit mouvement (91). Dans d'autres groupements, la difficulté des conditions de vie réservées à de jeunes enfants résulte d'une volonté de sanctionner leurs comportements déviants. Ainsi, témoignant de ses années d'enfance passées à la Sea Org (92), une jeune femme notait qu'à sept ou huit ans, elle devait « offrir d'exécuter un travail manuel, comme nettoyer les toilettes, frotter les parquets ou faire la vaisselle » et que, punie ultérieurement « pour trahison (sic) » et mise à l'amende, elle avait été astreinte à encore plus d'heures(93). De même, évoquant le cas d'un adolescent, Mme Charline Delporte (94), indiquait à la commission d'enquête que ce dernier, dans une lettre adressée à sa grand-mère depuis la communauté où il vivait, s'étonnait de devoir « manger avec les porcs ou courir torse nu par punition ». La dénonciation de cette situation au procureur de la République a permis de diligenter une enquête sur place. A la suite de cette dernière, les responsables du mouvement ont interdit à l'adolescent toute correspondance. Au bout de deux mois, il s'est suicidé. 2. Des prescriptions alimentaires dangereuses pour la santé des enfants Lorsque des adultes adeptes de certains groupements s'astreignent à observer des régimes alimentaires spécifiques (végétarisme (95), végétalisme (96), instinctothérapie (97), jeûnes,...), ils en font généralement « bénéficier » leurs enfants. Ces derniers subissent dès lors, des dommages corporels qui peuvent être graves : décalcification, arrêt de croissance, hypotonie musculaire, anorexie... Dans certains cas extrêmes, ces régimes alimentaires peuvent entraîner la mort. Le 3 juin 2005, la cour d'assises du Finistère condamnait à cinq ans de prison dont huit mois fermes un couple de kinésiologues accusés d'avoir causé la mort par malnutrition de leur fils dernier-né. Contrairement aux affirmations de la Fédération française des kinésiologistes spécialisés selon laquelle « il n'y a pas de préceptes en matière d'alimentation en kinésiologie. La préconisation d'un régime alimentaire tendant à exclure certains aliments n'entre pas dans nos préceptes »(98), c'est bien au nom de leurs convictions que ces parents avaient décidé de devenir végétariens et de nourrir leur enfant par le seul allaitement maternel. La kinésiologie se concentre, en effet, sur les allergies essentiellement dues au lait, aux protéines animales et aux additifs et colorants alimentaires. Promouvant l'allaitement maternel le plus longtemps possible, elle recommande « de supprimer le lait de l'alimentation traditionnelle de l'enfant après cette période d'allaitement maternel, partant du principe que le lait de vache a été conçu pour des veaux et non pas pour des enfants »(99). En l'espèce, le régime alimentaire déséquilibré de la mère retentissant sur ses capacités d'allaitement, l'enfant s'est mis à perdre progressivement du poids pour ne plus peser que six kilos à l'âge de seize mois. Totalement dénutri et fragilisé, il est mort sans avoir jamais fait l'objet d'un signalement de quiconque, sans avoir jamais été hospitalisé d'urgence par l'un des trois médecins qui l'ont successivement examiné. Le 17 mars 2006, la présidente de l'association « Joie et loisirs » a été condamnée à cinq ans d'emprisonnement dont quatre avec sursis pour privation de soins ou d'aliments sur mineurs par la cour d'appel de Paris (20e chambre). Bien que ladite association ait eu pour objet le partage de loisirs en commun, elle constituait de fait une communauté, au sein de laquelle vivaient des enfants auxquels était imposé un régime alimentaire composé de fruits, de fromages, de produits laitiers et d'eau. Ce mode d'alimentation, dénoncé par plusieurs experts comme désastreux pour la croissance, le développement mental et la santé des enfants, avait effectivement conduit les mineurs de la communauté à souffrir de carences en vitamines ou en fer, voire de rachitisme. Là encore, aucun signalement de proches, d'institutionnels ni de médecins n'a permis de mettre en œuvre des mesures de protection des enfants. À l'inverse, une politique de prévention a pu être mise en œuvre à l'initiative de la MIVILUDES, lors de la venue en France de Jashmuheen, la grande prêtresse du respirianisme (également dit breatharianism). Cette dernière prône les bienfaits d'un renoncement définitif, par étapes de jeûnes successifs, à la nourriture et à l'eau, afin de les remplacer par l'air et la lumière. Devant les risques avérés d'une méthode qui, à l'étranger, a déjà conduit trois adultes à la mort, la retraite spirituelle que devait animer Jashmuheen en Ardèche, en novembre 2005, a fait l'objet d'une extrême vigilance de la part des pouvoirs publics. Cette surveillance a permis de s'assurer que les participants seraient nourris au cours de la retraite et qu'aucun mineur n'y participerait(100). 3. Des soins préventifs refusés Le code de la santé publique rend obligatoires les vaccinations des mineurs contre la diphtérie et le tétanos (article L. 3111-2), la poliomyélite (article L. 3111-3) et la tuberculose (article L. 3112-1). Le refus des parents de respecter leurs obligations est puni d'une amende de 1 500 euros pour les trois premières vaccinations précitées et de 3 750 euros d'amende et de six mois d'emprisonnement pour la vaccination contre la tuberculose (articles R. 3116-2 et L. 3116-4). Ces sanctions ne s'appliquent pas lorsque sont constatées les contre-indications à la vaccination prévues par les articles R. 3111-13 et R. 3112-3 et définies pour chaque vaccin dans le guide des vaccinations (septembre 2006) (101). Environ soixante-dix mouvements (102) déconseillent toute vaccination dont ils critiquent l'efficacité et dont, relayant des théories non prouvées sur le plan médical, ils dénoncent les effets secondaires. S'adressant aux parents désireux de se soustraire à leurs obligations légales, ils les encouragent vivement à s'adresser aux médecins adeptes de ces mêmes mouvements « qui n'hésitent pas parfois à délivrer de faux certificats de contre-indication à la vaccination »(103). Ces médecins, coupables de faux, s'exposent aux sanctions prévues par l'article 441-1 du code pénal, soit trois ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende et à des poursuites disciplinaires de l'Ordre. La commission d'enquête regrette de ne disposer d'aucune étude permettant de connaître les raisons pour lesquelles ces médecins acceptent de courir un tel risque : convictions personnelles ? Peur de perdre des patients ? Sentiment d'une totale impunité ? Le contrôle des vaccinations des enfants s'effectue notamment lors de leur admission en crèche, à l'école ou dans tout autre établissement collectif. Constatant que la Direction générale de la santé n'avait connaissance d'aucune action pénale engagée à ce titre contre des parents ou des médecins, M. Didier Houssin, directeur général de la santé, et son collaborateur, M. Bernard Sachs se sont interrogés devant la commission d'enquête sur les raisons de cette absence de poursuites : est-elle due à des présentations de certificats de complaisance ou de faux certificats de vaccination ? À l'indulgence des établissements concernés ? Au sentiment que le nombre minime de refus de vaccination n'est pas de nature à compromettre la protection générale de la collectivité ? (104) De même la commission d'enquête s'inquiète de l'absence de réaction de certains magistrats face à des refus parentaux de vaccination. Comment comprendre qu'un juge des enfants ne prenne aucune décision après avoir entendu des parents, adeptes de la communauté Tabitha's Place, lui expliquer qu'en raison des risques que présentaient les vaccinations, ils refusaient d'y soumettre leurs enfants (105) ? Comment admettre que ce juge puisse sembler céder à la menace à peine voilée de ces parents lui proposant de se soumettre à sa décision de faire vacciner leurs enfants mais lui rappelant qu'en cas d'accident, il en supporterait seul la responsabilité ? Pourquoi n'a-t-il pas prescrit une visite médicale aux fins d'établir d'éventuelles contre-indications à la vaccination ? Quelles que soient les réponses, il doit être relevé que pour maintenir un bon niveau de protection générale, le ministère de la santé (106) a envoyé en 2003 aux DDASS et aux DRASS une lettre circulaire leur rappelant la législation applicable sur ce point et précisant que les certificats médicaux de contre-indications ne sauraient être généraux et absolus mais qu'ils doivent être motivés pour chacun des vaccins contre-indiqués. Par ailleurs, depuis 2006, le ministère adresse aux services déconcentrés qui lui en font la demande, un courrier précisant les procédures à suivre afin de s'assurer de la vaccination des enfants contre le BCG. Il convient de rappeler que si, grâce à sa politique de vaccination obligatoire, la France semble aujourd'hui avoir préservé sa population des attaques de différentes maladies, tout risque n'est pas pour autant écarté. D'une part, n'ayant pas été éradiquées dans tous les pays, la diphtérie et la poliomyélite pourraient aisément réapparaître, puisque les échanges internationaux de plus en plus nombreux favorisent la dissémination des agents infectieux. D'autre part, le tétanos et la tuberculose ont encore, en France, des incidences dramatiques (107) : entre 2002 et 2004, sur 67 cas de tétanos déclarés, 16 personnes - dont un adolescent - sont décédées et 17 d'entre elles en ont gardé des séquelles (difficultés motrices, amyotrophies, complications ostéo-articulaires) ; en 2004, 5 512 cas de tuberculose ont été déclarés dont 452 cas chez des enfants de moins de 15 ans. Par conséquent, le respect des obligations de vaccinations demeure un enjeu de santé publique. C'est dans cette perspective que la commission d'enquête souhaite l'unification des régimes de sanctions des refus parentaux de vaccination de leurs enfants, en alignant toutes les pénalités sur celles prévues à l'article L. 3116-4 du code de la santé publique, ce dernier pouvant faire l'objet de la nouvelle rédaction suivante : « Le refus de se soumettre ou de soumettre ceux sur lesquels on exerce l'autorité parentale ou dont on assure la tutelle aux obligations de vaccination prévues aux articles L. 3111-2, L. 3111-3 et L. 3112-1 ou d'en entraver l'exécution est puni de six mois d'emprisonnement et de 3 750 euros d'amende. » 4. Des traitements thérapeutiques récusés Au nom des croyances auxquelles ils adhèrent, divers groupements persuadent leurs membres de la nécessité d'abandonner tout recours à des traitements thérapeutiques éprouvés tandis que d'autres n'édictent des interdictions que sur certains traitements. À l'instar de divers mouvements qui « prônent la relation directe entre l'adepte et son dieu » (108) et par rejet du monde extérieur, la communauté de Tabitha's Place invite ses membres à se soigner à l'aide des méthodes qu'elle-même préconise. En dépit de la mort, en 1997, d'un enfant de 19 mois qui, atteint d'une malformation cardiaque et victime d'un rachitisme provoqué par une sous alimentation, n'avait jamais vu un médecin parce que ses parents pensaient pouvoir le guérir par la prière et par leur amour, les membres de la communauté de Tabitha's Place continuent de préférer ne pas recourir à des médecins. Répondant à une question du président, sur le traitement réservé par cette communauté aux femmes enceintes (109), une ancienne adepte a indiqué que ces dernières ne font l'objet d'aucun suivi médical au cours de leur grossesse et sont incitées à accoucher à l'intérieur de la communauté avec l'aide de femmes qui ont suivi une « formation » interne sur le sujet. Ajoutant que lorsqu'elle était enceinte de son dernier enfant, elle s'était inquiétée des conditions d'un accouchement dans sa chambre et avait souhaité le faire dans un établissement hospitalier, elle a précisé qu'elle en avait été dissuadée car il ne pouvait être question de « mettre un enfant au monde dans les ténèbres » du monde extérieur, lequel se définit comme « le mal incarné ». De même que certaines femmes ont été « formées » au rôle de sages-femmes, d'autres ont appris comment remplacer les médicaments par les plantes : « Pas de médicaments, pas d'antibiotiques [...] On se soigne au moyen d'argile ou de tisanes. » (110) Il peut même arriver que l'un des responsables s'improvise chirurgien. Ainsi, un ancien adepte a relaté comment un de ses compagnons d'atelier qui se plaignait d'une blessure à la main s'était évanoui après avoir été opéré à vif au moyen d'un cutter (111). La commission d'enquête au vu des renseignements que lui avaient fournis la CPAM locale a constaté l'absence d'actes médicaux remboursés aux membres de cette communauté. Dès lors consciente que les nombreux enfants vivant dans cette communauté peuvent ne jamais recevoir les soins adaptés à leur état, la commission d'enquête réitère sa recommandation d'imposer le principe d'une visite médicale annuelle pour les enfants scolarisés à domicile (112). Par une déclaration solennelle de l'assemblée plénière du Consistoire national du 3 juillet 1997, les Témoins de Jéhovah affirment leur refus de toute transfusion sanguine hétérologue, afin de respecter trois versets de la Bible et un verset des Actes des Apôtres, relatifs à des interdits alimentaires (113). Prônant des méthodes alternatives à la transfusion (transfusion de sang autologue, utilisation des produits du fractionnement du plasma, augmentation de la production de globules rouges), ils considèrent leur position comme étant constitutive, non pas d'un refus de soins mais d'un choix thérapeutique. Rappelant en outre, qu'au cours des deux décennies précédentes, des événements dramatiques ont jeté une suspicion légitime sur les transfusions sanguines, ils confortent de la sorte leur décision d'étendre à leurs enfants ce choix thérapeutique. Saisies par votre rapporteur d'une demande d'analyse scientifique de ces méthodes alternatives, telles qu'elles sont présentées dans un DVD diffusé par les Témoins de Jéhovah auprès des médecins hospitaliers, l'Académie nationale de médecine et la Haute autorité de santé dénoncent l'une « des banalités, des approximations, et surtout des oublis tout à fait nuisibles à la sécurité transfusionnelle » et l'autre le fait « qu'il n'y a pas de présentation critique ni de l'ensemble des études disponibles ni des séries de cas auxquelles se réfèrent les experts interrogés dans le DVD, comme l'exigeraient les principes de la médecine fondée sur les preuves » (114). Dans une lettre adressée à M. Jean-Pierre Brard, qui l'avait saisi de ce sujet, l'Ordre national des médecins qualifie ces méthodes de « pseudo-scientifiques car uniquement orientées vers leur finalité, sans validation ni développement de raisonnement critique ». Par ailleurs, outre le fait que lesdites méthodes alternatives - dont la mise en œuvre suppose qu'elles ont été planifiées longtemps à l'avance - sont inutilisables en cas d'urgence et que « la sécurité sanitaire des produits sanguins a atteint un niveau de sécurité très élevé » (115), il ne peut plus être nié que « l'usage de la transfusion sanguine telle qu'elle se pratique aujourd'hui est la seule méthode qui ait fait la preuve de son efficacité et de son innocuité » et que « dans différentes circonstances de la pathologie [...] elle est un acte thérapeutique vital pour de nombreuses personnes » (116). Dans cette dernière hypothèse, le refus de la transfusion sanguine devient non plus un choix thérapeutique mais un choix assumé face à la mort. Un tel consentement est indissociable de l'adhésion aux Témoins de Jéhovah et tout adepte qui y dérogerait, indiquerait par cet acte « qu'il ne souhaite plus être un des Témoins de Jéhovah » (117) et il s'exposerait à une exclusion du mouvement. Le rejet d'une transfusion, lorsqu'il est revendiqué par une personne adulte, est aujourd'hui conforté par la loi puisqu'aux termes de l'article L. 1111-4 du code de la santé publique « toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu'il lui fournit, les décisions concernant sa santé. (...) Si la volonté de la personne de refuser ou d'interrompre tout traitement met sa vie en danger, le médecin doit tout mettre en oeuvre pour la convaincre d'accepter les soins indispensables ». On rappellera cependant que par ordonnance du 16 août 2002, statuant comme juge des référés, le Conseil d'État a précisé les limites de cette liberté dans les termes suivants : « Le droit pour le patient majeur de donner, lorsqu'il se trouve en état de l'exprimer, son consentement à un traitement médical revêt le caractère d'une liberté fondamentale ; toutefois les médecins ne portent pas à cette liberté fondamentale, telle qu'elle est protégée par les dispositions de l'article 16-3 du code civil et par celles de l'article L. 1111-4 du code de la santé publique, une atteinte grave et manifestement illégale lorsqu'après avoir tout mis en oeuvre pour convaincre un patient d'accepter les soins indispensables, ils accomplissent, dans le but de tenter de le sauver, un acte indispensable à sa survie et proportionné à son état. » (118) S'il n'appartient pas à la commission d'enquête de porter un jugement sur les croyances des Témoins de Jéhovah, il lui revient de dénoncer les effets de ces dernières sur la santé et le psychisme des enfants. Appelés à incarner l'image du martyre exemplaire, les jeunes Témoins de Jéhovah espèrent « devoir être opéré(s) pour pouvoir, le jour de l'opération, prouver qu'on est un bon Témoin de Jéhovah en refusant la transfusion sanguine »(119). C'est dans cette logique qu'un article du 24 mai 1994, publié dans la revue jéhoviste Réveillez-vous !, présentait les photographies de vingt-quatre enfants de différents pays, morts pour avoir volontairement refusé une transfusion sanguine et qu'il indiquait comment l'attitude de ces petits malades avait eu, sur le corps médical, un impact positif pour la secte. Leur refus inébranlable de la transfusion avait impressionné les personnels hospitaliers qui, du coup, se posaient des questions et pour certains se laissaient endoctriner par la suite (120). Cette éducation des jeunes enfants et cette préparation au martyre sont en soi extrêmement inquiétantes. Quant à l'attitude des parents qui conduit à mettre en péril la santé de leur enfant, voire à mettre en jeu son pronostic vital, en refusant toute transfusion sanguine, elle est inacceptable ; elle constitue un trouble à l'ordre public, selon l'analyse exposée devant la commission d'enquête par M. Jean-Olivier Viout, qui a notamment précisé : « Quand la vie d'un enfant est en danger, l'État ne doit pas transiger. (...) Le danger est là, et on refuse la transfusion sanguine : c'est un trouble à l'ordre public. » (121) Les manifestations de ce trouble sont aujourd'hui limitées par le sixième alinéa de l'article L. 1111-4 du code la santé publique qui, « dans le cas où le refus d'un traitement par la personne titulaire de l'autorité parentale ou par le tuteur risque d'entraîner des conséquences graves pour la santé du mineur », autorise le médecin à délivrer « les soins indispensables ». Mais que se passe-t-il lorsque le médecin est lui-même un sympathisant ou un adepte des Témoins de Jéhovah ? Rappelons que le rapport 2001 de la Mission interministérielle de lutte contre les sectes (MILS) note (p. 94) qu'il « existe un annuaire des médecins Témoins de Jéhovah » et « qu'il peut arriver qu'un médecin se présente et demande, en tant que praticien et Témoin de Jéhovah, à « participer » à une intervention chirurgicale, alors même qu'il ne connaît nullement le malade Témoin de Jéhovah ». En outre, la création de comités de liaison hospitaliers par le mouvement jéhoviste permet à ses responsables « de lister les médecins « réceptifs » vers lesquels ils orienteront les patients envisageant une opération qui peut nécessiter une transfusion »(122). Constatant le risque mortel qui peut peser sur les enfants Témoins de Jéhovah, la commission d'enquête entend les protéger mieux que la loi ne le fait actuellement, en proposant une modification de l'article L. 1111-4 du code de la santé publique, afin d'interdire à des parents d'abandonner leurs enfants à une mort certaine. Le sixième alinéa de cet article serait ainsi complété : « Dans le cas où ce refus a pour objet une transfusion sanguine, le médecin, après avoir informé la personne titulaire de l'autorité parentale ou le tuteur des conséquences de leur choix, procède à la transfusion sanguine. » Si une telle modification législative était adoptée, elle devrait être suivie de mesures d'assistance éducative destinées à protéger psychologiquement les jeunes transfusés lors de leur retour au sein de leur famille. Ces derniers pourraient en effet connaître les affres traversées par ce jeune homme rencontré par Mme Charline Delporte, et rapportées devant la commission d'enquête en ces termes : « (Il) a raconté que ses parents étaient Témoins de Jéhovah mais que lui ne l'était plus depuis l'âge de six ans. Il avait été transfusé pour une grave maladie après intervention du procureur (...) « J'aurais préféré mourir » a-t-il ajouté. « Mais pourquoi ? » (...) « Vous ne comprenez pas ? Moi, je n'irai pas dans ce monde nouveau que sera Armageddon. Je suis mort aux yeux de mes parents, et tous les jours ils me répètent en faisant leurs prières : toi, tu ne viendras pas avec nous. » »(123) A. L'ENFANT, UNE VICTIME DES THÉRAPIES NON CONVENTIONNELLES Les mouvements à caractère sectaire sont à l'affût des inquiétudes ou des souffrances que peut susciter, chez de nombreux parents, le développement mental et physique de leurs enfants. Ces mêmes inquiétudes constituent aussi le champ d'action d'un nombre croissant de thérapeutes. Comme l'a expliqué devant la commission d'enquête Mme Chantal Lebatard (124) : « Les jeunes parents sont devenus une cible commerciale qui n'a pas échappé aux médecines alternatives, aux organismes d'accompagnement psychologique, de développement personnel. » La « compétition parentale » qu'engendre, selon Mme Chantal Lebatard, la valorisation actuelle de la personne de l'enfant fragilise d'autant plus certains parents. Ceux-ci peuvent rapidement succomber aux promesses séduisantes de thérapeutes qui se font les propagandistes de thérapies irrationnelles dans leur contenu et relevant de la manipulation mentale dans leur mise en œuvre. De fait, les déviances que connaissent certaines activités thérapeutiques non conventionnelles et l'efficacité dont font preuve ces pseudo-thérapies pour se servir à la fois des parents afin d'atteindre l'enfant et de l'enfant pour impliquer toujours plus les parents (125) constituent de nouvelles opportunités d'action pour les organisations sectaires et leur fournissent même l'occasion d'une véritable renaissance. En mettant à jour les convergences d'intérêt entre certaines activités thérapeutiques et certaines pratiques fondées sur l'abus de faiblesse et la manipulation mentale, la commission d'enquête a pu mesurer l'importance des transformations du paysage sectaire et en évaluer les nouveaux méfaits. 1. Naissances démiurgiques et fausses renaissances Avant même qu'il ne naisse, l'enfant suscite l'intérêt des mouvements à caractère sectaire. « La mécanique des sectes » (126) semble y trouver l'un de ses ressorts premiers : donner corps à une volonté de domination sans partage qui porterait sur l'origine même de l'individu. Si la gestation et la naissance pouvaient devenir un processus sous contrôle, la secte se verrait dotée d'un quasi-pouvoir de création. Elle disposerait alors de moyens conformes à son essence totalitaire. - Deux exemples : les Raëliens et la Fraternité Blanche Universelle Les tentatives les plus connues pour satisfaire à une telle prétention démiurgique ont été entreprises par le mouvement des Raëliens. En novembre 2002, Clonaid, l'entreprise de clonage humain créée par Raël, a annoncé avoir réalisé cinq grossesses obtenues par implantation d'un embryon humain ; le 27 décembre 2002 le même organisme a fait part de la « naissance du premier clone humain ». Dès 2001, Clonaid avait présenté au Japon deux machines à cloner censées présenter un taux de réussite de 50 %. La réalisation d'un utérus artificiel, dénommé Babytron, avait été également annoncée. Si la supercherie a rapidement été démontée, le fantasme sectaire qui s'est exprimé à cette occasion demeure particulièrement inquiétant. La vigilance envers cette secte ne saurait se relâcher car la propagande raëlienne demeure active, à en juger par la tenue de stages raëliens au Japon en août 2006, en Afrique (127) en décembre 2006 et en Australie en janvier 2007. Sur les seuls deux derniers mois de l'année 2006, neuf rencontres publiques avec des Raëliens sont inscrites au programme d'activité de la secte. Le mouvement gère par ailleurs 19 sites Internet. Il convient de rappeler que les dispositions législatives relatives à la protection de l'embryon humain ont été renforcées par la loi n° 2004-800 du 6 août 2004 relative à la bioéthique. Les pratiques d'eugénisme et de clonage humain constituent désormais des crimes contre l'espèce humaine. Aux termes de l'article 214-4 du code pénal, la participation à un groupement formé ou à une entente établie soit en vue de la préparation d'une pratique eugénique tendant à l'organisation de la sélection des personnes, soit d'une intervention ayant pour but de faire naître un enfant génétiquement identique à une autre personne vivante ou décédée, est punie de la réclusion criminelle à perpétuité et de 7 500 000 euros d'amende. Tous les niveaux de participation à ces crimes font l'objet d'incriminations ; en particulier, constitue une infraction en matière d'éthique biomédicale, punie de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende, la propagande ou la publicité, quel qu'en soit le mode, en faveur de l'eugénisme ou du clonage reproductif (article 511-1-2 du code pénal). On peut cependant s'interroger sur l'effectivité de ces dispositions dans le cas de mouvements sectaires dont l'activité se développe en dehors du territoire français. En réponse à une question écrite de M. Georges Fenech, le garde des Sceaux a précisé que : « [...] dans l'hypothèse où le mouvement sectaire aurait son siège à l'étranger, son dirigeant, de droit ou de fait, personne physique, est punissable, dès lors qu'il est de nationalité française pour tout crime commis à l'étranger sans qu'il soit besoin au préalable d'une plainte ou d'une dénonciation officielle du pays où les faits ont été commis et sans qu'il soit nécessaire de vérifier la double incrimination des faits. » (128) La Fraternité Blanche Universelle (FBU) tente, elle aussi, d'intégrer dans son champ d'action les premières phases de la vie de l'enfant. Mikhaël Aïvanhov, le fondateur de ce mouvement, commente ainsi cette ambition : « Pendant tout le temps de la gestation, la mère doit veiller à préserver son enfant en créant consciemment autour de lui une atmosphère harmonieuse, car la véritable éducation d'un enfant est celle qui agit sur son subconscient. Les mères ne se rendent pas compte de l'importance de leur mission d'éducatrices. Si l'on veut améliorer l'humanité, il faut commencer par le commencement : instruire les mères des lois de la galvanoplastie et leur donner les meilleures conditions pendant qu'elles portent leur enfant. Une éducation qui commence avant la naissance... Oui, parce que la véritable éducation de l'enfant est d'abord subconsciente. » (129) La galvanoplastie dont il est ici question est décrite par Mikhaël Aïvanhov comme une « électrolyse » par laquelle la mère, au moyen des éléments de son corps et de ceux émanant de son esprit, constitue le corps et l'esprit de son enfant. La qualité des actes physiques et mentaux de la mère pendant sa grossesse détermine la qualité de l'organisme et du psychisme de l'enfant. L'élément essentiel de cette doctrine consiste à affirmer que le processus de formation physique et intellectuelle du fœtus peut être consciemment maîtrisé et orienté vers une finalité idéale - et quelque peu inquiétante : « améliorer l'humanité ». Ici aussi, le fantasme démiurgique propre aux sectes est à l'œuvre. Les avatars de la galvanoplastie spirituelle, - concept clef de cette théorie - sont d'ailleurs activement propagés par l'Organisation mondiale des associations pour l'éducation prénatale (OMAEP) qui s'est substituée à l'Association nationale d'éducation prénatale (ANEP) directement rattachée à la FBU. - Les actions menées par le ministère de la santé et des solidarités Au cours de son audition devant la commission d'enquête, M. Didier Houssin (130) a présenté le dispositif de vigilance mis en place par son ministère afin de protéger le domaine de la naissance d'éventuelles dérives sectaires, notamment en ce qui concerne la préparation à la naissance et les maisons de naissance : « Il s'agit d'abord, dans le cadre de la préparation à la naissance, de la mise en œuvre, à partir de 2007, d'un entretien supplémentaire, au quatrième mois, individuel ou en couple. Cet entretien est destiné à dépister les vulnérabilités psychologiques des futures mères. La réalisation, actuellement en cours, d'un référentiel de formation pour l'exercice de cet entretien a été confiée à la Société française de médecine périnatale. » Cette mesure permettrait en particulier de répondre à une menace relevée par la MIVILUDES dans ses rapports 2003 et 2005. Elle constate que « la périnatalité est l'objet de programmes de formation dont certains acteurs sont manifestement nourris d'idéologie sectaire » et rapporte les cas « d'une sage-femme libérale diffusant des vidéos sur la mort fœtale lors de préparations à la naissance, ou de telle autre, qui par le rejet des pratiques conventionnelles, refuse de pratiquer les examens de suivi de la grossesse » (131). M. Didier Houssin déclare en outre que : « dans le cadre du plan périnatalité 2005-2007, un groupe de travail composé de représentants des sociétés savantes et des professionnels hospitaliers a été constitué fin 2005 pour établir le cahier des charges du fonctionnement des maisons de naissance à titre expérimental. Cette expérimentation vise à offrir des garanties en termes de sécurité de la mère et de l'enfant, notamment par la création de ces structures à proximité immédiate du service d'obstétrique. Le cahier des charges devrait être finalisé fin 2006. » Les autorités sanitaires répondent ainsi aux inquiétudes qu'avait pu susciter le projet d'expérimentation de maisons de naissance prévue dans le plan « périnatalité 2005-2007 » lancé par le ministère de la santé et des solidarités. Il est à relever qu'en Belgique, les autorités ont, en avril 2005, lancé des actions d'information sur les risques d'infiltration sectaire parmi les personnels travaillant dans les maisons de naissance, en particulier en provenance d'une secte guérisseuse d'origine allemande, « le cercle des amis de Bruno Gröning ». M. Didier Houssin a assuré que les mesures prises par le ministère de la santé et des solidarités « sont de nature à faciliter le dialogue entre les professionnels et les futurs parents, à instaurer la confiance et à diminuer le risque que la recherche de réponses aux inquiétudes que peut susciter la naissance et la parentalité, prenne la forme d'un recours auprès de personnes ou de mouvements dangereux en termes de dérive sectaire et/ou thérapeutique » (132). Les mouvements à caractère sectaire qui ne cultivent pas le mythe de l'enfant artefact ne se désintéressent pas pour autant de la question des origines. En procédant à des simulacres de naissance, ces mouvements tentent de substituer une naissance artificielle dans le groupe à la naissance réelle dans le monde. Le moyen privilégié mis en œuvre est de faire table rase du passé et de susciter chez l'adepte l'illusion d'une renaissance. Or, les techniques dites de « rebirth » et de « mémoire retrouvée » auxquelles ont recours certains psychothérapeutes se présentent comme des outils particulièrement efficaces pour réaliser de telles manipulations psychologiques. Elles constituent une falsification des origines dont les conséquences peuvent être dévastatrices. Le champ d'activité de certains psychothérapeutes recouvre ainsi celui des sectes organisées et conduit à des effets identiques : l'atteinte à l'intégrité psychologique de l'individu et la suppression de son autonomie au profit d'une autre personne, le psychothérapeute-gourou. Les techniques de « rebirth » mises en œuvre en France peuvent susciter les plus grandes inquiétudes, des pratiques du même nom ayant été prohibées aux États-Unis. Suite au décès par étouffement le 18 avril 2000 d'une enfant de dix ans originaire de l'État de Caroline du Nord, le Congrès américain a en effet voté le 17 septembre 2002 une résolution invitant les États de l'Union à interdire cette « thérapie ». Le Sénat américain a condamné cette pratique par une résolution adoptée le 18 octobre 2005 (133), soulignant qu'aux États-Unis, de 1995 à 2005, au moins quatre enfants en étaient morts. Deux États, la Caroline de Nord et le Colorado, en ont prononcé l'interdiction (134). Aux États-Unis, cette « thérapie » consistait à faire revivre par l'enfant un simulacre de naissance ; après avoir revécu les douleurs en particulier respiratoires qu'un nouveau-né peut ressentir, l'enfant soumis à ces exercices violents et répétés était censé pouvoir établir un nouveau rapport à son environnement, notamment s'intégrer dans une nouvelle famille en cas d'adoption. Certes, les techniques de « rebirth » pratiquées en France semblent se différencier sensiblement de celle qui a été condamnée aux États-Unis. Le « rebirth » ne serait pratiqué qu'avec des majeurs sous la forme d'exercices d'hyperventilation. Un praticien et propagandiste de cette technique (135) la décrit de la façon suivante : « Ce type de respiration entraîne, chez presque tous les sujets, une crise spasmophilique [...]. On observe souvent une diminution de la tension artérielle et une accélération du pouls ; il peut survenir des bourdonnements ou des sifflements d'oreille, des impressions visuelles de brouillards, des sensations de picotements, fourmillements, crampes, etc. Peuvent apparaître alors divers phénomènes émotionnels de type souvent extrêmement archaïque, comme des colères de nourrisson, des cris, des larmes, des mouvements de succion des lèvres, un sommeil impérieux, certains états plus ou moins stuporeux, des phénomènes hallucinatoires ou hallucinosiques, etc. Plusieurs fois, j'ai pu reconnaître l'explosion "primale" telle que la décrit A. Janov, avec posture de flexion soudaine suivie d'un cri indescriptible déchirant. Certains sujets revivent, notamment au niveau des sensations de la peau et des muscles, de la respiration, des cris, ce qui apparaît comme une "nouvelle naissance", ou plutôt la "reviviscence de leur naissance". » Ces exercices ne sont manifestement pas sans effet sur la santé de celui qui y est soumis. Or, il ressort des descriptifs des formations suivies par certains utilisateurs de ces techniques que celles-ci sont utilisées en majorité par des thérapeutes sans formation médicale dans le cadre de ce qui est dénommé « médecine douce » (136). En outre, l'interprétation des résultats de ces séances reste à la discrétion du thérapeute, qui s'investit du pouvoir de donner un sens à « la nouvelle existence » de son patient. N comparer les utilisations déviantes qui peuvent être faites de certaines psychothérapies, il apparaît que chaque pratique peut être remplacée par une autre. À défaut d'une technique performante de production d'un enfant artefact, il peut être tenté de persuader l'adepte qu'il va connaître une nouvelle naissance ; à défaut de pouvoir le persuader en ce sens, il est toujours possible de falsifier, dans son esprit, ses origines. C'est ce à quoi s'attachent les techniques qui ont pour conséquences l'induction de faux souvenirs. Mises au point aux États-Unis, celles-ci se sont présentées à leur début comme des thérapies dites « de mémoire retrouvée » : sur la base du présupposé que la souffrance psychologique aurait pour origine une agression sexuelle subie pendant l'enfance, notamment un inceste et dont le souvenir aurait été refoulé. Il s'est vite avéré que les procédés mobilisés à cette fin ont essentiellement eu pour effet de produire des faux souvenirs, effet suffisamment caractérisé pour avoir été dénommé « syndrome de fausse mémoire » (137). Fondée sur une compréhension des plus sommaires et des moins scrupuleuses de la notion de refoulement, cette pratique s'est largement répandue dans le milieu des psychothérapeutes français. Le développement de ces techniques profite aussi d'une plus grande sensibilisation aux problèmes des agressions sexuelles sur les mineurs et d'une meilleure reconnaissance de tels crimes. On ne peut que constater que certains psychothérapeutes ont vu là l'opportunité d'ouvrir un nouveau marché. Les conséquences désastreuses de telles thérapies ont été décrites devant la commission d'enquête par Mme Claude Delpech, présidente de l'association Alerte faux souvenirs induits. Mme Claude Delpech a en particulier souligné que trois niveaux générationnels pouvaient s'en retrouver les victimes : « Les premières [victimes], ce sont nos enfants qui, manipulés par le « psy » ou le leader du groupe n'ont plus aucune notion de la réalité des faits. « Les deuxièmes, ce sont nous, leurs parents, qui sommes accusés par nos enfants, sans aucune possibilité de nous expliquer et de leur prouver qu'ils sont trompés par leur thérapeute. Toute tentative d'aborder ce grave problème déclenche chez eux une agressivité, une colère jusqu'alors inconnues de nous. « Enfin, les dernières victimes, et non les moindres, sont nos petits-enfants mineurs qui, sans défense et manipulés par leurs parents, sont séparés de leurs grands-parents et de la famille élargie, devenant ainsi, en grandissant, les proies idéales du thérapeute ou du leader du groupe. » Selon Mme Claude Delpech, ce phénomène n'a rien de marginal : « Il prend de l'ampleur et devient préoccupant. Plus de vingt familles ont aujourd'hui rejoint les cinquante qui avaient créé l'association ; nous recevons tous les jours de volumineux dossiers de gens qui ne savent plus quoi faire. Nous recensons une centaine de familles, mais nous ne connaissons pas toutes celles qui sont concernées : combien n'ont pas Internet, ne nous connaissent pas, ou se taisent parce qu'elles ont honte ? »(138) L'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 3 mai 2005 est un exemple récent des conséquences judiciaires que peut avoir la révélation tardive d'une agression sexuelle faite à l'issue de séances de psychothérapie (139). Certes, la cour d'appel n'a pas admis que « le récit fait sous hypnose [puisse], pas plus que le récit d'un rêve, permettre d'établir que le narrateur décrit une scène s'étant réellement passée, sa restitution par le thérapeute n'ayant pas eu pour conséquence d'en réveiller le souvenir. » Alors qu'il avait été considéré en première instance que la psychothérapie avait mis en évidence des faits incestueux, le juge d'appel distingue l'interprétation à laquelle procède le psychothérapeute d'une remémoration personnelle des faits supposés. On constate cependant que cette distinction aurait été beaucoup plus difficile à établir si le pouvoir de suggestion du thérapeute sur son patient avait été encore plus fort, différenciation à laquelle, en tout état de cause, il n'a pas été procédé en première instance. - Le marché du passé psychique Les associations de lutte contre les sectes dénoncent aussi la psychogénéalogie comme une cause du syndrome de fausse mémoire. L'activité démiurgique du thérapeute psychogénéalogiste consiste à « déprogrammer » le patient dont les souffrances trouveraient leur origine dans une histoire familiale pouvant remonter à plusieurs générations. Il est clair que pour justifier ses séances de déprogrammation, le thérapeute s'attache à convaincre son patient que son histoire familiale est lourde de secrets et de drames inavoués (140). Une variante particulièrement ambitieuse de ces techniques de retour au passé est représentée par les « travaux » de Mme Claude Imbert, fondatrice de « l'institut européen de sophro-analyse - décodage des mémoires prénatales » et créatrice de « la thérapie intra utérine ». La présentation faite d'une de ses conférences résume fidèlement le sens des techniques de manipulation des origines et leurs ambitions : « Pour la première fois en thérapie, entrez au cœur des mystères de votre gestation, de votre conception à votre naissance, pour des rencontres et des dialogues inoubliables avec l'embryon et le fœtus que vous étiez. Vous les aiderez à inscrire une nouvelle compréhension de leur histoire grâce aux prises de conscience fondamentales que vous aurez réalisées. Ces révélations feront de vous un être nouveau, en contact avec la puissance de vos ressources. » (141) Le Docteur Hamer a développé une tendance particulièrement mortifère de cette doctrine. Partant de l'idée qu'une maladie est un trouble physique à l'origine duquel se trouve toujours un choc psychique, il détourne ses patients de la médecine classique qu'il considère comme inutile. La seule thérapie efficace, selon lui, consiste à mettre fin au conflit psychologique originaire (« le Dirk-Hamer-Syndrom »). Dans ce but il convient, selon la lecture qu'en fait Claude Sabbah, médecin adepte de cette méthode, de faire la généalogie de cet événement traumatique et de procéder à son décodage biologique. Plusieurs personnes, en Allemagne - d'où est originaire Ryke Geerd Hamer - et en France, atteintes de cancer, sont décédées après avoir mis fin à leurs traitements médicaux et préféré suivre la voie d'une interprétation psychologique de leur maladie. Le Docteur Hamer a été condamné à trois ans d'emprisonnement pour escroquerie et complicité d'exercice illégal de la médecine le 1er juillet 2004 par la cour d'appel de Chambéry (142). Parmi les victimes du docteur Hamer figurent des mineurs. En Espagne, en 1996, des parents de nationalité autrichienne, adeptes de ce thérapeute ont soustrait leur fille de 8 ans à la chimiothérapie dont elle avait besoin pour soigner une tumeur. Devant la commission d'enquête, Mme Charline Delporte présidente de l'ADFI Nord-Pas-de-Calais a apporté le témoignage suivant : « Je pourrais aussi vous parler de Nicolas, ce garçon que j'ai supplié avec le directeur de son lycée ; nous avions fait un signalement judiciaire. Il venait d'avoir dix-huit ans, il voulait devenir matelot. Et puis il a eu mal à une jambe. La biopsie révèle un cancer rarissime. Il faut l'amputer au plus vite. Mais sa maman, infirmière libérale, connaît des techniques de bien-être [...] La mère s'adresse à une méthode bien connue, la méthode Hamer, et emmène le garçon consulter un spécialiste de cette "médecine". "Si tu as mal à la jambe, c'est qu'on t'a fait une biopsie. Nous avons des traitements et surtout, nous avons une technique : ton père est mort il y a trois ans ; si tu fais le deuil de ton papa, tes cellules cancéreuses disparaîtront." Nicolas y a cru... Le directeur du lycée et moi-même avons de toute urgence alerté le procureur afin de protéger, malgré lui, ce gamin, mais il venait d'avoir dix-huit ans [...] Naturellement, Nicolas est mort sans soins, quelques mois plus tard » (143). Selon M. Emmanuel Jancovici : « Aujourd'hui, sur le territoire français 700 « praticiens », qu'ils soient à l'origine médecins, charcutiers ou assistantes sociales, s'inspirent de la méthode Hamer et sont en contact avec le public » (144). La commission d'enquête a également auditionné à huis clos un témoin dont l'enfant, âgé de cinq ans, a été victime d'un médecin pratiquant une autre variante de cette thérapie, la bio-psychogénéalogie. Après avoir procédé au décodage biologique de la naissance de l'enfant (145), le médecin a recouru à une hypothèse issue de spéculations sur la nature gémellaire de toute naissance (146) : « apprenant qu'un saignement s'était produit en début de grossesse [...] par pure spéculation le médecin en a déduit que la conception était gémellaire et qu'un des deux fœtus avait été expulsé provoquant la culpabilité de l'autre. Il en conclut que les problèmes de vue de l'enfant - astigmatisme et léger strabisme - sont dus à ce conflit psychologique, mais que les lunettes ne lui sont plus utiles, la cause psychologique ayant disparu. » Sur plainte du parent, ce médecin a été condamné par le conseil de l'Ordre à six mois d'interdiction d'exercice. Il est à relever que les considérants de cette décision qualifient de « pensée magique » le mode de raisonnement de ce médecin et soulignent que celui-ci « est susceptible d'être dangereux pour des personnes faibles d'esprit et, plus grave encore, pour des jeunes enfants vulnérables auxquels il donne des explications erronées de leur pathologie. » De même que la naissance peut faire l'objet de pratiques à caractères sectaires, de même l'enfance constitue une période particulièrement propice aux démarchages et aux manipulations de cette nature. La théorie des enfants dits indigo n'aurait pas retenu l'attention de la commission d'enquête si son contenu en était resté au niveau de la spéculation ésotérique propre aux mouvements du « New-Age ». Ces courants sont fondés sur l'idée que le monde est entré dans l'ère du verseau, propice à l'émergence de nouvelles formes d'existence spirituelle - ce qu'attesterait en particulier l'existence d'enfants indigo dont « l'aura » colorée en violet indigo prouverait un degré d'intensité spirituelle exceptionnel. Cependant, les organismes qui diffusent ces discours mettent en place des structures de communication et d'enseignement si performantes - grâce notamment à Internet - que leurs messages ne relèvent plus de la spéculation livresque mais suscitent des attitudes qui peuvent être directement préjudiciables à la santé des enfants. La doctrine des enfants indigo est ainsi propagée par un organisme du nom de EMF Balancing, connu aussi sous le nom de mouvement Kryeon (147), dirigé par Lee Caroll. Situé aux États-Unis, son activité commerciale repose sur la vente de livres (25 millions d'ouvrages vendus) et sur l'organisation de stages de formation. Le succès de l'entreprise s'appuie aussi sur le fait que, selon la doctrine même, les enfants indigo sont en nombre croissant, ce qui garantit l'élargissement de la clientèle. Cette doctrine peut conduire à prôner le recours à des pédagogies non classiques et à des thérapies non conventionnelles. Les critères distinguant les enfants indigo des autres étant, par ailleurs, suffisamment flous pour que chaque parent puisse soupçonner dans sa progéniture des qualités surnaturelles, cette théorie a une capacité de marginalisation particulièrement dangereuse. La théorie des enfants indigo s'est rapidement répandue dans certains milieux de psychothérapeutes soit directement par l'agrément EMF Balancing, soit par appropriation de la théorie complétée par des synthèses plus personnelles. Ainsi, Mme Marie-Françoise Neveu, (« psychologue clinicienne, psycho-motricienne, psychopédagogue, psychothérapeute holistique ») propose une approche syncrétique de ce qui relève, selon le titre d'une de ses conférences donnée en 2002 « D'un autre regard sur l'enfant »(148). La problématique est résumée comme suit : « Comment tous, parents, enseignants, professionnels de la santé, ou toutes personnes concernées par l'accompagnement des enfants, nous pouvons accueillir ces "nouveaux enfants", qu'ils soient "enfants indigo", "enfants des lumières" ou "enfants des Étoiles". En 2006, dans son livre Les Enfants actuels, Mme Marie-Françoise Neveu approfondit sa réflexion et reconnaît l'insuffisance de cette terminologie : « La terminologie actuelle d'enfants indigo, enfants cristal, enfants arc-en-ciel... ne correspond que très partiellement à leur réalité. »(149) Elle consacre son nouvel ouvrage à démontrer que le concept adéquat est celui « d'enfants cerveau droit ». Certains psychothérapeutes développent des variantes plus personnelles de la même théorie. Ainsi, M. Cyrille Odon et son épouse Sélène Odon (150) sont les auteurs de deux ouvrages consacrés aux enfants indigo : Indigo... ces êtres si différents et Indigo... Terre Nouvelle, aux éditions Iéro, le premier de ces livres ayant été le « best seller » de cette maison d'édition. Tenant à se démarquer des conceptions de Lee Carol, ces deux thérapeutes défendent l'idée « qu'il est maintenant acquis que s'il peut y avoir une couleur bleue « indigo » le plus souvent dominante dans l'aura de ces personnes, bien d'autres couleurs peuvent signer cet état pour la raison que les couleurs du corps électromagnétique sont fonction de l'élévation du niveau de conscience de l'intéressé [...]. » Bien que se développant à une échelle beaucoup plus modeste que EMF Balancing, l'activité de propagandiste de ces thérapeutes est notable. Par exemple en 2002, à Pau et à Lausanne ont été programmés une conférence sur « Les enfants indigo » suivie d'« un Atelier » « Parents-enfants indigo et praticiens de l'enfance ». En 2006, les séminaires proposés portent en particulier sur les « Semences d'Etoiles, Travailleurs de Lumière, Indigo & Walk-in (sic) ». L'École d'anthroposophie prend également sa part dans l'exploitation du thème de l'anormalité supposée de certains mineurs. Les 20 et 21 mars 2003, deux conférences intitulées respectivement « Enfants à problèmes, enfants surdoués... Y a-t-il des enfants normaux ? » et « Qui sont les enfants « étoiles » et comment les aborder ? » ont été organisées à Paris par la Fédération des Écoles Steiner en France. Le conférencier était M. Georg Kühlewind, auteur du livre Les Enfants « étoiles », édité par les éditions Triade qui se consacrent à la diffusion des ouvrages du fondateur de l'anthroposophie, Rudolf Steiner. Les conférences données en 2003 ont été éditées par la même maison d'édition sous forme de cahier intitulé Dyslexiques, hyperactifs, enfants « étoiles », document en vente sur le site Internet des éditions Triade. On constate ainsi que la notion d'enfant indigo s'est rapidement élargie ; elle ne porte plus seulement sur des enfants manifestant des capacités particulières mais sur tout enfant dont le comportement s'adapte difficilement à son environnement. Or, en étendant son champ aux enfants qui rencontrent de graves difficultés psychologiques, notamment aux enfants hyperactifs et aux autistes, les tenants de cette théorie dénigrent l'approche médicale de ces handicaps graves et avérés. Certes, certains de ces thérapeutes ont la prudence de présenter leur technique comme « complémentaire » des traitements médicaux traditionnels. Par exemple, EMF Balancing porte, dans la rubrique « copyright » de son site Internet une clause de mise en garde(151). Ces avertissements ne sont cependant que déclaratifs dès l'instant où le fond de ces théories est en contradiction complète avec la démarche scientifique. Prises aux sérieux par des parents peu avertis, ces techniques peuvent conduire à des attitudes mettant en danger la santé d'enfants particulièrement fragiles. La MIVILUDES reconnaît dans son rapport 2003 qu'« [...] il est difficile d'estimer le nombre d'enfants touchés par ce phénomène » (p. 81). La commission d'enquête regrette vivement qu'aucune étude n'ait été entreprise et que faute d'outils d'évaluation elle ait été contrainte d'apprécier les dangers de cette doctrine sur la seule base de son contenu, tel qu'on peut en prendre connaissance sur divers sites Internet. La commission déplore aussi que le ministère de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement interrogé sur cette question n'ait apporté aucun élément d'information (152). b) L'exploitation psychosectaire des enfants souffrant de troubles psychiatriques Il est à noter que le problème des enfants dits hyperactifs a été intégré par la Scientologie à la campagne que celle-ci mène contre la psychiatrie. Sur ce sujet, les efforts de cette organisation ont été couronnés de succès avec l'adoption, par la commission permanente, agissant au nom de l'Assemblée du Conseil de l'Europe, le 29 mai 2002, d'une résolution intitulée « Contrôler le diagnostic et le traitement des enfants hyperactifs en Europe ». Cette recommandation (n° 1562) a fait l'objet d'une réponse du Comité des ministres du Conseil de l'Europe le 26 mars 2003 qui précise que : « certains des points soulevés dans la recommandation ne concordent pas avec l'opinion de la grande majorité de la communauté scientifique et sont dangereusement proches de certaines théories bien connues que l'église de Scientologie prône depuis un certain temps mais qui ne résistent pas à un examen scientifique sérieux. Le Groupe Pompidou (153) fait observer que ces théories sont non seulement dépourvues de tout fondement scientifique mais aussi que, si elles étaient appliquées, elles mettraient gravement en danger la santé des enfants en question en les privant d'un traitement approprié.[...] [ Le comité des ministres] déplore que l'adoption et la publication de la recommandation 1562 pourrait permettre à l'église de Scientologie de s'y référer comme à un document faisant autorité, sur la base d'un prétendu consensus au sein du Conseil de l'Europe, induisant ainsi en erreur notamment les non spécialistes, comme les parents et les enseignants, mais aussi certains médecins et pharmaciens qui connaissent mal les problèmes du diagnostic et du traitement des enfants souffrant du TDA/THK »(154). On relève que le 11 octobre 2006 une nouvelle proposition de recommandation à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a été déposée. Intitulée « Le droit des enfants à surmonter l'hyperactivité et les problèmes de concentration dans de bonnes conditions » (Doc.11070 rev), celle-ci reprend les affirmations contenues dans la recommandation adoptée le 29 mai 2002. La commission d'enquête appelle les délégations de parlementaires au Conseil de l'Europe à une particulière vigilance face à ce qui se présente comme une nouvelle tentative d'officialiser les thèses de la Scientologie. Il est à relever que les actions les plus récentes de la Scientologie passent aussi par la commission des citoyens pour les droits de l'homme (CCDH). Celle-ci a, par exemple, organisé à Paris, le 22 juin 2005, un colloque : « Les jeunes en danger : les enfants européens, un nouveau marché pour la psychiatrie ». Votre rapporteur avait attiré à cette occasion, sous forme de question écrite, l'attention de M. le ministre de la santé et des solidarités sur le danger de cette propagande(155). c) Des pratiques portant atteinte à la dignité des enfants handicapés La théorie de la communication facilitée a particulièrement retenu l'attention de la commission d'enquête. Propagée par Mme Anne-Marguerite Vexiau (orthophoniste de formation) cette théorie partage sur le fond le même présupposé inspiré du « New-Age » que celui qui nourrit les spéculations sur les enfants indigo : l'enfant serait un être autre que ce qu'il paraît être(156). Ce principe connaît un succès certain et naturel quand il trouve à s'appliquer aux tentatives que font les familles pour sortir du désarroi dans lequel les plonge le handicap mental d'un enfant. L'idée selon laquelle il existerait des réseaux de communication pré-existants entre les êtres, que ces réseaux pourraient être enclenchés- comme on entre dans un réseau Internet - sans qu'il y ait à produire d'effort d'apprentissage ni de construction du message, alimente les espoirs de parents dont la plus grande souffrance vient précisément des difficultés de communication avec leur enfant handicapé. L'enfant indigo communique un message qui trouverait sa source dans l'ordre cosmique. Dans la communication facilitée, l'enfant vient se connecter à des canaux de communication dont il utilise toutes les ressources magiques de mise en forme expressive ; dans ce dernier cas, le réseau est formé des inconscients qui constituent une chaîne permettant la réalisation de ce que Mme Vexiau nomme une psychophanie. En pratique, la communication se fait par le détour d'un clavier d'ordinateur sur les touches duquel l'enfant appuie pour former des mots ; à cet effet, sa main est guidée par un adulte appelé le « facilitant ». Dans la communication facilitée comme pour les enfants indigo, le processus naturel de l'apprentissage, en particulier de la parole, est ignoré. Les résultats de la technique de la communication facilitée tels que la commission d'enquête a pu en prendre connaissance au travers du visionnage d'une cassette vidéo sont particulièrement consternants. Les discours singulièrement sophistiqués attribués aux enfants sont, de manière évidente, les produits de l'imagination du « facilitant », à savoir Mme Anne-Marguerite Vexiau. L'ensemble de ces « séances » laisse l'impression d'une sorte de vampirisme intellectuel(157) exercé au détriment d'enfants dont est exploité l'état d'extrême vulnérabilité. En ce sens, la communication facilitée ne peut être réduite à n'être qu'une version modernisée du spiritisme, et, somme toute, un procédé charlatanesque comme un autre. Cette supercherie ne fait pas que tirer profit du désarroi des parents de handicapés ; elle porte atteinte aux droits fondamentaux des enfants tels que formulés en particulier à l'article 29 de la Convention internationale relative aux Droits de l'Enfant du 20 novembre 1989 aux termes duquel « [...] les enfants mentalement ou physiquement handicapés doivent mener une vie pleine et décente, dans des conditions qui garantissent leur dignité [...] ». Il est également étonnant qu'aient pu être soumis à ce procédé des enfants soignés en milieu hospitalier ou dans des institutions spécialisées. À cet égard, les membres de la commission d'enquête s'étonnent que les pouvoirs publics n'aient pas pris la mesure du danger de tels procédés et les aient laissés se développer. Ainsi le foyer Ker Spi dans les Côtes-d'Armor a recouru à cette pratique pendant 4 ans jusqu'en 2002. Ce n'est qu'en 2005 qu'une information judiciaire a été ouverte pour escroquerie et exercice illégal de la médecine. De plus, il a été porté à la connaissance de la commission d'enquête que la communication facilitée n'avait pas été considérée comme une voie de recherche à écarter par le service universitaire de pédopsychiatrie de Brest, dirigé par le professeur A. Lazartigues. Son collaborateur, le docteur Lemonnier, a justifié cette attitude de la façon suivante : « Nous souffrons souvent d'un défaut lorsque nous discutons les données scientifiques d'une technique qui n'a pas été évaluée suivant des critères méthodologiques classiques, nous lui laissons la possibilité d'être fonctionnelle, dans une espèce de doute nécessaire à l'élaboration des connaissances mais autorisant bien souvent la mise en place de prise en charge « charlatanesque ». À la réflexion, je crois que l'absence de position du Professeur Lazartigues s'inscrit dans cette tradition intellectuelle. » (158) L'argumentation avancée met sur le compte du « doute » qui doit caractériser la démarche scientifique, l'intérêt dont peut légitimement être l'objet cette technique ; ce raisonnement méconnaît le fait que le doute ne peut être à l'origine d'un progrès de la connaissance que s'il relève lui-même du champ de la connaissance, à savoir s'il est méthodiquement conduit par confrontation entre des assertions issues de démarches rationnelles. Il ne saurait être invoqué pour valider un intérêt pour des doctrines relevant de pensées magiques ; par ailleurs, « la possibilité d'être fonctionnelle » laissée à cette technique valide de fait des expériences qui ne sont pas de l'ordre de la recherche en laboratoire mais qui s'effectuent sur des mineurs particulièrement vulnérables et en assure, du même coup, la promotion auprès des parents et de leurs associations. La commission d'enquête dénonce vigoureusement cette démarche qui peut amener à faire valider par des structures universitaires des pratiques relevant de la manipulation psychologique et appelle à la plus extrême vigilance en ce domaine (159). Par ailleurs, il est particulièrement étonnant que l'association Ta Main pour parler, qui se donne pour mission de propager cette théorie, puisse faire valoir, dans ses documents vidéo comme sur son site Internet, un financement de ses « recherches » par la Direction générale de la santé. À ce propos, M. Bernard Basset, sous-directeur à la Direction générale de la santé a apporté les précisions suivantes devant la commission d'enquête : « Je sais qu'à la fin des années 90, une subvention a été versée, visant à financer une étude, laquelle a abouti à un rapport sur la communication facilitée. Mon prédécesseur m'a dit que ce rapport était d'une qualité déplorable et ne pouvait pas être considéré comme un rapport d'évaluation scientifique, ne serait-ce que parce que le nombre de cas étudiés était très faible, de l'ordre d'une dizaine. Cela dit, je ne suis pas en mesure de vous dire dans quelles conditions ce rapport a été élaboré. Ce qui est certain, c'est qu'il ne pouvait pas être considéré comme valable sur le plan scientifique. C'est une manipulation de dire que le ministère soutient les conclusions de ce rapport. » (160) Par lettre en date du 19 octobre 2006, M. Bernard Basset a confirmé l'absence de valeur scientifique du rapport d'évaluation dont font état les défenseurs de la communication facilitée. Cette mise au point est publiée en annexe du présent rapport. Prenant acte de ces déclarations, la commission d'enquête n'en constate pas moins que des procédés qui relèvent manifestement d'une approche irrationnelle ont pu bénéficier d'une aide publique. Ce constat a amené M. Didier Houssin à faire le commentaire suivant à l'occasion de son audition devant la commission d'enquête : « J'avoue être un peu perplexe. En un sens, j'ai bien l'impression que notre action, malgré l'attention que nous prêtons à un certain nombre de sujets, n'est probablement pas à la mesure de ce qui serait nécessaire compte tenu de l'ampleur du champ. Depuis que j'ai commencé à préparer cette audition, je me demande très sérieusement s'il ne faudrait pas passer à une vitesse très supérieure. »(161) 3. Les problèmes de l'adolescence mis à profit par les sectes Alors que l'adolescence est aujourd'hui pour de nombreux jeunes, une source « d'incertitude, de déstabilisation et de souffrance » et que « notre société est particulièrement désarmée pour y répondre »(162), divers mouvements sectaires sont passés maîtres dans l'approche des parents des intéressés en leur proposant bien souvent « de fausses réponses à de vrais désarrois »(163). À ce titre, est extrêmement éclairant, l'exemple de la diversité des mouvements qui, en proposant différentes offres de traitement de la toxicomanie des jeunes, se saisissent de cette opportunité pour faire du prosélytisme, recruter de nouveaux adeptes et parfois même obtenir de conséquents subsides de la part des autorités publiques. Tel fut le cas, au début des années 1970, lorsque M. Lucien Engelmajer a bénéficié de la reconnaissance non seulement des familles de jeunes drogués qu'il accueillait dans ses centres de désintoxication, mais aussi des pouvoirs publics et de divers médecins. Recevant des fonds publics, son association Le Patriarche(164) faisait, en 1998, l'objet d'un contrôle de la Cour des comptes laquelle dénonçait la méthode de traitement employée : « un « sevrage bloc « systématique et non médicalisé, réalisé par l'arrêt immédiat de toute consommation de drogue, accompagné de massage, de bains et par l'administration de plantes médicinales sous forme de tisanes ou infusions associées à de longues marches » et relevait d'importantes infractions à diverses réglementations (présence anormale et excessive de personnels sans qualification reconnue, chargés de dispenser des soins et de distribuer des médicaments, non-conformité des conditions de prise en charge des personnes accueillies...) (165). M. Lucien Engelmajer, réfugié au Belize pour échapper à une extradition, et seize autres personnes sont aujourd'hui poursuivis devant le tribunal correctionnel de Toulouse pour abus de faiblesse, abus de biens sociaux, abus de confiance, blanchiment et recel. La méthode précitée d'un renoncement immédiat aux drogues est actuellement mise en pratique par la Scientologie dans ses centres Narconon. Dans ces lieux, est dispensé un programme combinant des exercices de communication et une procédure de purification. Selon M. Roger Gonnet, cette dernière présente des risques sérieux pour la santé des adolescents qui s'y plient puisqu'elle consiste « en quatre heures et demie de sauna plus une demi-heure de course par jour, avec un surdosage de vitamines, et ce pendant des semaines. Le sauna est à environ 80 degrés, à hauteur de tête. Il s'agit notamment d'une vitamine qui peut s'avérer dangereuse, la niacine, qui est en fait, de l'acide nicotinique, violent, vasodilatateur » (166). Les dangers que représente un tel traitement pour les jeunes Français sont assez limités puisque la Scientologie ne dispose plus de centre Narconon dans notre pays. Toutefois, il convient de demeurer vigilant car, selon un récent article de L'Express, « les scientologues prévoient d'ouvrir un centre Narconon en France d'ici à deux ans. Le dernier avait été fermé en 1984, après la mort d'une patiente » (167). De même, l'attention des pouvoirs publics doit être appelée sur les risques que présentent les traitements de la toxicomanie par ingestion de drogues hallucinogènes telles l'ayahuasca et l'iboga. La première est une liane originaire d'Amazonie ; ses « effets sont puissants, comparables à ceux du LSD » (168). Ayant été inscrite dans la liste des substances classées comme stupéfiants par arrêté du 20 avril 2005, les effets nocifs de son utilisation ne devraient plus être à redouter. Néanmoins, il doit être noté qu'elle est toujours administrée par un médecin français, le docteur Jacques Mabit qui, installé au Pérou, organise dans son centre Takiwasi des stages de désintoxication ; ouverts à tous, ces derniers font l'objet de promotions sur Internet par l'intermédiaire d'une filiale lyonnaise, « La maison qui chante » (169). L'iboga, quant à elle, provient d'un arbuste africain. Possédant des propriétés proches de celles de l'ayahuasca, elle est aujourd'hui en vente libre bien qu'étant « psychotique, mortelle » et des dispensaires où elle serait administrée pour désintoxiquer des toxicomanes pourraient être prochainement ouverts (170). Toutefois, à la suite du décès d'un jeune toxicomane de vingt-six ans lors d'un « stage à l'iboga », organisé en Ardèche, ce produit, déjà interdit aux États-Unis, en Belgique et en Suisse, serait en passe de l'être en France (171). La commission d'enquête, déplorant le manque de réaction du ministère de la santé et des solidarités face à ce risque, lui demande instamment d'inscrire l'iboga sur la liste des substances classées comme stupéfiants par l'arrêté du 22 février 1990. b) Les troubles du comportement Si les adolescents toxicomanes représentent une proie de choix pour certains mouvements, d'autres s'intéressent aux jeunes qui présentent des troubles du comportement et proposent à leurs parents souvent désemparés des traitements pour le moins abusifs. Tel est le cas des « lieux d'arrêt d'agir ». Recommandés et mis en place par des médecins, adhérents du mouvement Invitation à la vie (IVI), ils permettent d' « enfermer des adolescents en souffrance dans une pièce face à leur « rien » ou au mieux un poste de télévision diffusant un film. L'hypothèse est que le fait de les enfermer, si nécessaire sous contention, pendant 24 ou 48 heures, renouvelables au besoin, susciterait chez eux une activité imaginaire leur permettant de dépasser le passage à l'acte agressif. (...) Les "lieux d'arrêt d'agir" ne sont pas des lieux d'enfermement gérés par l'administration pénitentiaire, pas plus qu'ils ne fonctionnent dans un cadre thérapeutique règlementé ayant l'accord d'un comité technique. »(172) La revue Bulles (173), publiée par l'Union nationale des associations de défense des familles et de l'individu, s'inquiète, quant à elle, des méthodes utilisées par la Comunita Cenacolo pour venir en aide, gratuitement, aux jeunes en difficulté, victimes de la drogue, de l'alcool et de la dépression. Les témoignages mettent en lumière que, loin du projet proposé d'un « style de vie simple, familial par la redécouverte du travail, dans l'amitié et la prière », la vie dans ces centres correspond à tout autre chose : « mépris de la personne, mise des membres de la communauté sous le pouvoir d'une autorité sans limite, mépris des parents qui ne doivent pas poser de questions... » La commission d'enquête s'étonne de l'existence de telles structures, dont il paraît aberrant qu'aucun service administratif ne semble avoir efficacement contrôlé la création ni le fonctionnement, et qui doivent, pour le moins, faire l'objet d'une enquête administrative. Constatant les multiples dérives sectaires existant dans les domaines sanitaire et médico-social, votre rapporteur se réjouit du train de mesures dont M. Xavier Bertrand, ministre de la santé et des solidarités, a fait part à la commission d'enquête, par lettre du 9 novembre dernier (174) : amélioration de la veille en la matière par « la recherche des publications et manifestations de toute nature (presse écrite et audiovisuelle, internet, salons...) susceptibles d'encourager de telles dérives » et constitution « d'une cellule d'analyse des pratiques non conventionnelles intervenant dans le domaine médical et paramédical (...) en lien avec les sociétés savantes et les instances d'expertise placées auprès du ministère de la santé ». B. L'ENFANT, UN OBJET DE DÉMARCHAGE POUR DES CAUSES APPAREMMENT HUMANITAIRES Qualifiée de « perverse » par M. Jean-Michel Roulet (175), l'exploitation par différents mouvements de thèmes humanitaires permet d'attirer dans leurs rets des adolescents souvent épris d'idéal. Les mouvements à dérives sectaires les plus connus ont, de ce fait, créé des filiales dont les thèmes ne peuvent qu'interpeller et séduire la jeunesse, sans faire naître des soupçons puisque le rattachement à la maison mère n'apparaît pas immédiatement. En outre, comme le constate la MIVILUDES : « militer pour la paix mondiale ou en faveur des droits de l'homme, lutter contre les méfaits de la drogue, œuvrer sur le terrain de l'action humanitaire : voilà des engagements suscitant le respect et conférant une notoriété certaine »(176). Ces « faux nez » ont pour nom : « Fédération pour la paix » (mouvement Moon), « Non à la drogue, oui à la vie » (Scientologie), « Jeunes pour les droits de l'homme (Scientologie), etc. Leurs publicités sont particulièrement soignées et attractives : belles affiches(177), visages souriants d'enfants ou d'adolescents... Par ailleurs, ces mêmes mouvements s'investissent de façon particulièrement efficace auprès des jeunes en difficultés personnelle ou sociale. Ainsi, selon M. Daniel Groscolas : « lors des manifestations contre le CPE, plusieurs sectes se sont investies dans la contestation. Tabitha's Place était présente dans le Sud-ouest et délivrait des tracts. Le « Mouvement humaniste », qui est une secte, était présent dans les manifestations »(178). M. Jean-Michel Roulet a, quant à lui, rapporté à la commission d'enquête que, lors des émeutes de l'hiver 2005, la Scientologie s'est beaucoup déployée en banlieue, notamment en Seine-Saint-Denis. « On a vu de jeunes scientologues en chasuble jaune proposer des ouvrages de Scientologie. On a vu également s'investir sur le terrain de jeunes scientologues ou des enfants de scientologues adultes membres de l'organisation Youth for Human Rights. Les « Jeunes pour les droits de l'homme », c'est très sympathique. La Scientologie a aussi proposé des actions de soutien scolaire, ou encore des distributions de cadeaux de Noël aux plus défavorisés. Cette stratégie a un double but : recruter, et donner de la Scientologie une image sympathique » (179). Faisant référence à la Nouvelle Acropole, M. Jean-Michel Roulet a également indiqué que « certaines organisations, je pense notamment à la Nouvelle Acropole, ont adopté une approche extrêmement hypocrite, consistant à proposer aux jeunes, à la sortie des écoles, des discussions de "philosophie" au café du coin. Elles leur proposent des cours de dessin, d'art, de musique ». Un autre témoin, entendu à huis clos, a évoqué le cas de jeunes sans papiers distribuant gratuitement les prospectus d'un mouvement, en remerciement des cours d'alphabétisation que ce dernier leur offrait. C. L'INSTRUMENTALISATION DU SOUTIEN SCOLAIRE Plusieurs personnes entendues par la commission d'enquête (180) ont attiré l'attention de celle-ci sur l'investissement des sectes dans le secteur du soutien scolaire. On connaît le développement de cette activité qui a vu certaines de ses entreprises cotées en bourse (Acadomia) (181). Le désintérêt de l'éducation nationale de ce secteur, l'existence de mécanismes d'incitation fiscale attractifs et la simplicité des procédures administratives nécessaires à la création de ce type d'organismes, expliquent sans nul doute le succès du soutien scolaire à domicile. Partant du principe que cette activité se déroule à l'extérieur de son champ d'action et par conséquent lui échappe, l'éducation nationale ne revendique aucun contrôle sur cette forme d'instruction, qui de fait n'est pas régie par les dispositions du code de l'éducation nationale. Plus fondamentalement, l'expansion du soutien scolaire renvoie l'éducation nationale à ses faiblesses et à ses échecs, la discrétion de l'institution sur le phénomène pouvant également s'expliquer par la forte implication du corps enseignant dans ces organismes, qui offrent des rémunérations plus attractives que les heures supplémentaires du secteur public, rémunérées à hauteur de 27 euros pour un professeur certifié et de 38 euros pour un professeur agrégé. Pour le seul organisme Acadomia, 75 % de ses enseignants seraient des fonctionnaires de l'éducation nationale en activité (182) ou à la retraite, apparemment peu préoccupés par le principe posé par l'article 25 du statut général de la fonction publique, qui impose aux fonctionnaires de consacrer l'essentiel de leurs activités aux tâches qui leur sont confiées (183). D'après les estimations de l'Agence nationale des services à la personne, le marché officiel du soutien scolaire à domicile représente un chiffre d'affaires consolidé de 250 millions d'euros. Les mécanismes d'incitation fiscale des aides à domicile constituent la deuxième raison du succès de cette formule. Le soutien scolaire et le soutien à domicile font en effet partie des activités de services énumérées à l'article D. 129-35 du code du travail, qui ouvrent droit à la réduction fiscale prévue à l'article L. 129-3 du code du travail et à l'article 199 sexdecies du code général des impôts, soit une réduction d'impôt égale à 50 % du montant de la dépense effectivement supportée dans la limite d'un plafond de 12 000 euros. Il faut savoir enfin que les structures qui dispensent le soutien scolaire ne sont soumises qu'à un régime facultatif d'agrément. Celui-ci est issu d'une part, du décret n° 92-1200 du 6 novembre 1992 relatif aux relations du ministère chargé de l'éducation nationale avec les associations qui prolongent l'action de l'enseignement public et, d'autre part, du dispositif réglementaire issu de la loi n° 2005-841 du 26 juillet 2005 relative au développement des services à la personne et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale. Les associations qui organisent des activités éducatives complémentaires en dehors du temps scolaire peuvent demander un agrément. Celui-ci n'est pas obligatoire. Il se justifie surtout pour les associations qui souhaitent intervenir au sein des établissements. Il est attribué après vérification du caractère d'intérêt général non lucratif et de la qualité des services proposés par ces associations, de leur compatibilité avec les activités du service public de l'éducation nationale, de leur complémentarité avec les instructions et programmes d'enseignement ainsi que de leur respect des principes de laïcité et d'ouverture à tous sans discrimination. C'est au ministre chargé de l'éducation nationale de délivrer les agréments pour les activités de dimension nationale, tandis que cette tâche incombe au recteur d'académie pour les agréments d'association au niveau local, départemental ou académique. Outre ce dispositif, une seconde réglementation qui a davantage retenu l'attention de la commission d'enquête est contenue dans les articles R. 129-1 à R. 129-6 du code du travail pris pour l'application de la loi précitée du 26 juillet 2005. Si l'agrément des associations et des entreprises de soutien scolaire institué par ces dispositions est un agrément simple et facultatif, dans la pratique cependant il est fortement incité d'y recourir, d'une part, parce que son bénéfice ouvre droit, à la réduction d'impôt sur le revenu de 50 % des sommes versées dans la limite du plafond de 12 000 euros et, d'autre part, parce que le taux de TVA applicable est le taux réduit à 5,5 %. L'agrément est délivré par le préfet et est valable sur l'ensemble du territoire national. Lorsque l'association ou l'entreprise comporte plusieurs établissements, l'ouverture d'un établissement fait l'objet d'une déclaration préalable auprès du préfet du département du lieu d'implantation du nouvel établissement. L'église de Scientologie semble être le mouvement sectaire qui a le mieux compris tout le parti qu'il pouvait tirer de ces dispositions et a fait de l'investissement dans le soutien scolaire l'un des axes privilégiés de son action. En France, les investigations de la commission d'enquête ont abouti à constater que le soutien scolaire organisé par la Scientologie connaissait en effet un développement réel dans la région parisienne. Ainsi M. Bernard Dimanche, adepte de la secte a créé en 1985 « Maths rattrapage », entreprise non affiliée au syndicat des entreprises à la personne. Il exerce une activité non commerciale d'enseignement et de formation dans trois établissements : 86, rue du Général Leclerc à Ermont dans le Val-d'Oise ; 24, rue Saint Lazare, à L'Isle Adam dans le Val-d'Oise et 2, rue Roger Herlin à Chantilly dans l'Oise. Cette activité a généré un bénéfice non commercial de 143 098 euros en 2001 ; de 112 678 euros pour un chiffre d'affaires de 500 867 euros en 2004 et de 91 022 euros pour un chiffre d'affaires de 476 498 euros en 2005. Six salariés sont déclarés dans la société. Le compte employeur URSSAF fait apparaître des paiements de l'ordre de 10 000 euros par trimestre. En dehors des prestations classiques que l'on est en droit d'attendre de cours particuliers, l'intéressé n'hésite pas, en se proposant de « donner des conseils aux parents » et d'« aider l'enfant à découvrir puis atteindre ses buts », à franchir la ligne qui sépare l'enseignement du prosélytisme. M. Bernard Dimanche est également gérant de trois sociétés civiles immobilières ayant leur siège à son domicile. Il est enfin le représentant légal de la société de droit anglais Sunday Islands limited, 83 Cambridge Street à Londres dont l'activité déclarée est la formation d'adultes et la formation continue sous l'enseigne « Présence sur scène ». C'est le même qui avait imputé en 1999 sur ses comptes 63 523 francs de charges relatives à des « frais de séjour et de stage » à l'église de Scientologie à Clearwater en Floride. Dans la même mouvance, peuvent être cités les cours de soutien : Brigitte Coumaros, 112, rue Rambuteau à Paris ; Irène Chartry, 27, rue André Cayron à Asnières, travailleur indépendant ; Bernard Halbeisen, 15, rue du Ventron à Mulhouse. Dans une annonce parue dans « Les petites annonces mulhousiennes » du 6 juin 2001, ce dernier avait recours dans sa publicité à la formule « apprendre à apprendre », qui est un des éléments centraux du discours de la Scientologie, celle-ci faisant valoir dans sa propagande que « les élèves n'ont jamais appris à apprendre ». L'investissement de la Scientologie dans le soutien scolaire n'est pas propre au demeurant à la France mais s'inscrit dans une stratégie européenne. D'après une étude de l'institut allemand de recherche économique, un quart des 9,5 millions d'écoliers allemands formés dans des écoles générales bénéficie d'un soutien scolaire pour un chiffre d'affaires estimé à 1 milliard d'euros. Alors que l'on recensait 15 instituts de ce type créés en Allemagne par la Scientologie il y a cinq ans, ils seraient aujourd'hui plus de 30, sachant que la recette mensuelle par élève est de l'ordre de 110 €. Non seulement ce marché est lucratif mais il constitue un moyen d'attirer les parents de l'élève dans la secte. La Scientologie applique au cours de ces séances de soutien scolaire ses méthodes de l'« applied scholastics » tendant à modifier les repères de l'individu en imposant les critères de la secte dans la définition des notions les plus usuelles. M. Hans-Werner Carlhoff (184), chef du groupe de travail interministériel sur les sectes et les groupes psychologiques au ministère des cultes, de la jeunesse et des sports du Land de Bade-Wurtemberg a décrit lors de son audition la pénétration en Allemagne de la Scientologie dans le soutien scolaire : « Les organismes de soutien scolaire liés à la Scientologie évoluent en Allemagne depuis quelque temps. Ils revêtent des appellations différentes suivant les endroits : à Stuttgart, par exemple, il s'agit du « Professionnelles Lernzentrum », intitulé de nature à séduire les parents d'élèves en difficulté scolaire. Ces centres recourent tous à la méthode dite « Applied Scholastics », qui repose sur certaines techniques d'apprentissage de Ron Hubbard, et pour laquelle ils versent de l'argent à la Scientologie. Applied Scholastics International et ses filiales allemandes achètent en effet des licences à l'association for Better living and education dont le sigle anglais est ABLE et qui achète elle-même ses licences aux Religious Technology center-RTC- . Si je m'étends sur ce montage, c'est parce que les centres en question ont affirmé dans la presse n'avoir aucun lien avec la Scientologie : c'est faux et nous avons pu prouver que ce lien existait notamment par cet achat de licences qui bénéficie, in fine, à la Scientologie. » La présidente de la Conférence des ministres de l'éducation, Mme Ute Erdsiek-Rave, les services de protection de la Constitution (« Verfassungss-chutz ») des Länder du Bade-Wurtemberg et de Bavière notamment, les ministères de la jeunesse et de la culture de certains Länder, la fédération professionnelle des enseignants (« Lehrerverband » ), la fédération professionnelle du soutien scolaire, qui développe une politique de labels de qualité, l'association de protection des consommateurs dans le domaine de l'éducation (« Aktion Bildungsinformation ») ont au cours de l'été 2006 attiré l'attention de l'opinion publique allemande sur les dangers de cette pénétration du soutien scolaire par la Scientologie. Le phénomène est d'autant plus inquiétant que la Scientologie a ouvert à des non adhérents des écoles au Danemark, où le réseau dispose de cinq écoles subventionnées par les pouvoirs publics. Elle possède également à Zürich une école privée, le Centre pour l'apprentissage individuel efficace (« Zentrum für individuelles und effektives Lernen »), qui organise l'été des activités de loisirs, les parents étant ensuite incités à y inscrire leurs enfants dans l'année scolaire. Le droit allemand fournit à ce titre une illustration intéressante d'une indemnisation d'une appartenance forcée à une secte. Une jeune fille âgée de 13 ans avait été emmenée au camp de Saint-Hill près de Londres dans la Sea Org pour y passer sept mois. Elle a été envoyée ensuite à l'âge de 15 ans dans un internat de la secte, où elle a dû se nourrir de restes et en est sortie à l'âge de 19 ans, après avoir exercé des travaux qui l'ont affaiblie physiquement. Après cet internement, la jeune fille a réclamé à ses parents membres de la secte une indemnité de 73 000 euros devant la justice allemande (185). L'affaire s'est dénouée par une transaction amiable. Il peut être observé, à cette occasion, que la Scientologie préfère toujours éviter de se confronter aux instances judiciaires et cherche à transiger directement avec les parties la mettant en cause. Ce précédent ouvre une piste juridique intéressante en droit français. L'article 203 du code civil impose aux parents de nourrir, d'entretenir et d'élever leurs enfants. Seuls les père et mère sont tenus par cette obligation d'entretien qui implique un devoir d'éducation (186). Or, en abdiquant de fait cette éducation à un tiers - un mouvement sectaire - les parents ne remplissent pas leurs obligations et, dès lors, on pourrait imaginer qu'ils se voient exposés à des actions civiles fondées sur la méconnaissance de leur obligation d'entretien qui constitue « une des pièces fondamentale du statut parental » (187). D. LA PRESSE ET LA PROTECTION DES MINEURS Si la protection des mineurs intéresse aujourd'hui plus les réseaux numériques que la presse, l'importance de cette dernière ne doit pas être négligée. Le directeur des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l'intérieur, M. Stéphane Fratacci, a rappelé aux membres de la commission d'enquête l'action menée sur ce terrain par le ministère : « nous avons une compétence d'attribution dans l'application de la loi de 1949 relative à la protection de la jeunesse et dans celle de la loi de 1998 (188). Cela nous conduit, après avis d'une commission, à proposer au ministre la prise de décisions de divers ordres : interdiction d'exposition, de publicité ou de vente de certaines revues à des mineurs. La loi de 1949 est centrée autour de la protection contre les insertions présentant sous un jour favorable diverses activités humaines qui sont, du point de vue du législateur, susceptibles de causer un trouble pour un jeune public. Dans ce cadre, le ministre de l'intérieur est amené, chaque année, à prendre des interdictions de publication. Je me dois d'insister sur le fait que le champ de focalisation de ces décisions, qui sont prises après avis de la commission de surveillance des publications du ministère de la justice, touche plutôt à la présentation explicite d'actes à caractère sexuel ou d'écrits et de visuels qui sont en rapport avec une violence extrême, ou qui constituent une incitation à la haine ou à la discrimination. Ce sont les thèmes retenus par le législateur pour la loi de 1949 ; il reste qu'une revue a fait, en janvier dernier, l'objet d'un rappel à l'ordre à raison de la présentation sous un jour favorable de la doctrine ou de l'activité d'un mouvement sectaire. Il s'agissait d'une insertion publicitaire dans cette revue. »(189) L'article 14 de la loi du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse prévoit l'interdiction de l'exposition ou de la vente de publications de toute nature présentant un danger pour la jeunesse en raison de leur caractère licencieux ou pornographique ou de la place faite au crime, à la violence, à la discrimination raciale, à l'incitation à l'usage, à la détention ou au trafic de stupéfiants. La commission d'enquête plaide pour une extension de ce champ d'infractions aux délits ayant pour objet de créer une sujétion psychologique, au sens de l'article 223-15- 2 du code pénal. L'article 2 de la loi de 1949 pourrait également être modifié pour inclure dans son champ l'abus de faiblesse visé à l'article 223-15-2. S'agissant de la presse écrite et audiovisuelle générale, la commission d'enquête n'ignore pas que cet article 223-15-2 peut s'avérer d'un maniement difficile, dans la mesure où ce texte impose de rapporter la preuve que l'auteur de l'infraction avait connaissance de l'état de faiblesse de la personne à laquelle il s'adressait. Par ailleurs depuis l'entrée en vigueur, le 31 décembre 2005, de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, la responsabilité des personnes morales peut être engagée pour l'ensemble des crimes, délits et contraventions existants sauf en matière de presse écrite et audiovisuelle, afin d'éviter que l'application cumulée du régime de responsabilité en cascade de la presse et du régime de responsabilité pénale des personnes morales n'aboutisse à une répression excessive. Pour l'ensemble de ces raisons et compte tenu du fait qu'une modification du régime en vigueur reviendrait à instituer une exception à l'exception pour le délit d'abus de faiblesse, la commission d'enquête a opté pour le statu quo. E. LES PIEGES DES RÉSEAUX NUMÉRIQUES Plusieurs personnes auditionnées par la commission d'enquête se sont émues des risques que pouvait présenter Internet pour diffuser des discours favorables aux sectes. Comme l'a d'ailleurs relevé un des observateurs du phénomène interrogé par la commission d'enquête, il serait plus approprié de parler de « réseaux numériques ». En effet aujourd'hui de nouveaux moyens numériques à travers les « blogs », les téléphones portables, les Blackberry(190) permettent de faire œuvre de prosélytisme. Le Professeur Marcel Rufo a particulièrement mis en valeur les risques que présente une utilisation dévoyée d'Internet : « Internet offre aux adolescents et surtout aux plus fragiles, la possibilité d'un contact purement virtuel, au moyen d'une image masquée. Il ne faut pas oublier qu'il y a, à côté des 90 % d'adolescents qui vont bien - et qui savent utiliser Internet bien mieux que nous -, 10 % d'adolescents plus vulnérables, qui trouvent dans le Net un moyen d'isolement et non de contact, grâce auquel ils transforment leur vulnérabilité en apparente invulnérabilité. Il ne faut pas confondre, en effet le contact et l'outil de communication. Les sites comme celui dont je vous ai parlé sont dangereux car ils ouvrent une voie. C'est comme le haschich : si l'adolescent n'est pas vulnérable, ce n'est pas très grave, mais s'il l'est, cela ouvre la voie à la pathologie. Or, tous les adolescents se croient invulnérables, et cette notion d'invulnérabilité à l'adolescence est souvent, justement, un signe d'entrée dans la vulnérabilité. Je suis très alarmé par ces sites qui démolissent toute l'action thérapeutique et préventive que nous devons avoir envers les adolescents en mal d'image de soi [...] Le site anorexia dont je vous parle est remarquablement fait, hélas, sur le plan psycho-pathologique. Il inculque des modes de dénégation, fournit des stratégies d'évitement et cautionne la pathologie. C'est proprement ahurissant, c'est comme si l'on disait aux gens qui se sont cassé la jambe : "Ne faites surtout pas de rééducation, vous aurez ainsi plus de séquelles orthopédiques et un taux d'invalidité supérieur." (191) » La philosophe Marianne Groulez partage la même analyse dans la revue Études : « Tout le monde a son mot à dire - à écrire - sur l'anorexie : Internet, lieu de reviviscence de l'écrit, mais aussi lieu de sa dissolution potentielle, en témoigne avec évidence. S'y déverse une communauté aussi opaque au profane qu'universellement accessible, une société secrète on ne peut plus publique qui diffuse depuis quelques années, via sites et blogs, ses codes, ses slogans, ses obsessions, ses icônes et ses livres de chevet, ses délires lucides et ses accès de bon sens, ses règles de (mauvaise) conduite et ses interdits inversés. Or, il n'est pas exclu que ce renouvellement du support, et par là des formes rejaillisse sur la maladie elle-même : sur ses modes de transmission mais aussi sur sa définition » (192). Le blog est un outil de communication encore plus développé. Soit le blogueur agit de façon anonyme, soit il a recours à des photos, soit il rassemble autour de centres d'intérêts communs des pairs « recrutant à distance des personnes qui partagent le même goût ou la même passion »(193). Les recherches menées par la commission d'enquête sur le terrain de l'anorexie ont montré que les sites Internet ou les blogs servent soit à promouvoir le culte de la maigreur, soit ont une vocation d'échanges avec une finalité parfois thérapeutique, qui n'est pas dépourvue d'ambiguïté, le véhicule numérique constituant souvent un exutoire. En Belgique des hébergeurs ont fermé ces sites mais ceux-ci n'ont pas tardé à renaître sous de nouvelles appellations. Le recours à Internet peut d'ailleurs avoir de multiples implications et être en corrélation avec d'autres droits. Ainsi le Conseil d'État a-t-il jugé que le fait d'utiliser, dans le cadre de son travail, les moyens de communication du service au profit d'une association dont on est membre - en l'espèce l'association pour l'unification du christianisme mondial -, constituait un manquement au principe de laïcité et à l'obligation de neutralité qui s'impose à tout agent public (194). La simplification, l'amplification du message que permet Internet et ces nouvelles techniques font de ces outils un moyen de communication particulièrement prisé des mouvements sectaires, la simple consultation de leur site souvent très fourni, permettant de vérifier l'investissement que représente pour eux cette vitrine. Dans le domaine du droit de l'Internet proprement dit, la loi a toutefois de la peine à s'imposer. Les obstacles à la fermeture de sites diffusant des messages contraires à la loi et aux bonnes mœurs sont nombreux et connus : possibilité pour les sites interdits de réapparaître sous un nouveau nom ; refus de certains États d'installer des dispositifs de filtrage comme c'est le cas des États-Unis qui invoquent le premier amendement à la Constitution ; empressement relatif des États à ratifier la convention de Budapest sur la cybercriminalité du 23 novembre 2001, entrée en vigueur le 1er juillet 2004. S'agissant du droit interne, deux améliorations pourraient toutefois être apportées aux règles en vigueur. L'article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique oblige les prestataires techniques et notamment les fournisseurs d'accès à proposer des moyens de filtrage à leurs clients et à informer les autorités publiques compétentes de ces activités illicites. Ces filtrages s'appliquent aux données suivantes : apologie des crimes contre l'humanité ; incitation à la haine raciale et pornographie enfantine. La commission d'enquête estime qu'il serait judicieux d'ajouter à cette liste d'infractions, l'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de faiblesse visé à l'article 223-15-2 du code pénal. Par ailleurs, l'article 17 du projet de loi de prévention de la délinquance adopté en première lecture par l'Assemblée nationale le 5 décembre 2006 (195) permet aux enquêteurs habilités par l'autorité judiciaire de participer sous un nom d'emprunt à des échanges électroniques, d'être en contact par ce moyen avec les personnes susceptibles d'être les auteurs de diverses infractions et d'extraire et de conserver des contenus illicites dans des conditions définies par voie réglementaire. Les infractions visées sont celles qui sont définies aux articles 227-18 à 227-24 du code pénal et s'appliquent aux mineurs. Elles concernent : la provocation à l'usage illicite, au transport, à la détention, à l'offre ou à la cession des stupéfiants ; la provocation à la consommation excessive et habituelle d'alcool ; la provocation au crime ou au délit ; la corruption du mineur ; l'enregistrement, la transmission ou la représentation d'images pédopornographiques en vue de leur diffusion. On pourrait concevoir de compléter cette liste de dispositions destinées à protéger les mineurs, en y insérant l'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de faiblesse visé à l'article 223-15-2 du code pénal. SECONDE PARTIE : Au regard du constat qui a pu être dressé à partir de données portant sur l'ensemble des phénomènes sectaires ainsi que sur la base des informations recueillies à l'occasion du déplacement dans la communauté de Tabitha's Place, la commission d'enquête s'est attachée à analyser les outils normatifs et les structures administratives qui ont été institués ces dernières années pour contrer les dangers du phénomène sectaire, afin d'en évaluer l'efficacité face aux risques spécifiques encourus par les mineurs. Les conclusions qui en ont été tirées montrent que les dispositifs juridiques et administratifs existants demandent à être complétés pour assurer aux mineurs victimes d'une organisation sectaire une réelle protection. Les propositions formulées par la commission d'enquête ont été élaborées avec la conviction que si, comme l'a rappelé l'introduction au présent rapport, la liberté d'opinion est une liberté fondamentale, celle-ci ne peut être garantie à chacun que sous réserve du principe posé à l'article 10 de la Déclaration de 1789 aux termes duquel « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, mêmes religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public ». I. UNE VIGILANCE QUI NE S'EST JAMAIS RELÂCHÉE La France est incontestablement un pays où les pouvoirs publics et de nombreux élus se sont montrés très attentifs aux dérives sectaires et à leurs effets. Son attachement à la liberté d'expression individuelle, une forte tradition de protection de l'enfance et une sensibilisation croissante de l'opinion publique au phénomène expliquent la permanence de cette préoccupation. A. UNE MOBILISATION CONSTANTE DES PARLEMENTAIRES 1. Les commissions d'enquête, le groupe d'études et les questions écrites La commission d'enquête actuelle est la troisième à se préoccuper du phénomène sectaire en France, ce qui témoigne de la détermination des parlementaires de ne jamais baisser la garde face aux dérives sectaires. Pour mémoire, la première commission d'enquête avait été créée en 1995, à la suite de plusieurs suicides ou massacres collectifs dans les mouvements à caractère sectaire à l'étranger. Elle avait pour président M. Alain Gest, député UDF, et pour rapporteur M. Jacques Guyard, député socialiste. Son rapport intitulé « Les sectes en France » fut adopté à l'unanimité. Il convient de rappeler qu'il n'était pas le premier document à prouver l'intérêt des députés pour le sujet, puisqu'un rapport présenté en 1983 par M. Alain Vivien, député socialiste, à la demande du Premier ministre, intitulé « Les sectes en France : expression de la liberté morale ou facteurs de manipulation ? », avait déjà eu le grand mérite de constituer la première étude approfondie et objective sur les dangers des sectes et avait permis d'alerter les pouvoirs publics et l'opinion sur une réalité jusque là fort mal connue. Cette première commission d'enquête - dont l'exemple fut suivi en particulier en Allemagne (196), en Belgique et en Suisse - préconisa notamment la création de l'Observatoire des sectes, que le gouvernement mit en place en 1996 et dont les attributions furent reprises ensuite par la Mission interministérielle de lutte contre les sectes. La deuxième commission d'enquête, créée en 1999, avait pour président M. Jacques Guyard, député socialiste, et pour rapporteur M. Jean-Pierre Brard (apparenté PC). Son objectif était de compléter le travail effectué en 1995 tout en plaçant un « verre grossissant » sur une partie des activités sectaires représentant un élément vital du phénomène, à savoir l'argent. Ce rapport sur « Les sectes et l'argent » fut adopté à l'unanimité. Il permit de montrer que, au-delà d'un discours d'inspiration ésotérique ou religieuse sur lequel il ne revient pas à une commission d'enquête de porter un jugement, le phénomène sectaire s'appuie généralement sur une organisation s'employant à assurer à la fois l'opacité de ses circuits financiers et la rentabilité de ses activités. La MIVILUDES (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) ayant souligné dans son dernier rapport (2005) que la protection des mineurs face à l'emprise sectaire lui était apparue ces dernières années comme un sujet particulièrement préoccupant, l'Assemblée nationale a confié à une nouvelle commission d'enquête le soin d'étudier l'influence des mouvements à caractère sectaire et les conséquences de leurs pratiques sur la santé physique et mentale des mineurs. Plusieurs de ses membres ont déjà fait partie de l'une ou l'autre des précédentes commissions d'enquête, voire des deux. Étaient déjà présents dans celle de 1995, Mme Martine David, MM. Jean-Pierre Brard, Alain Gest, Jacques Myard et Rudy Salles ; dans celle de 1999, Mme Chantal Robin-Rodrigo et MM. Jean-Pierre Brard, Jacques Myard, Rudy Salles et Philippe Vuilque. Cette constance est l'une des meilleures preuves du souci de la représentation nationale d'assurer le suivi des dérives possibles du phénomène sectaire. Indépendamment des travaux d'investigation menés dans le cadre de ces commissions d'enquête, nécessairement ciblés et limités dans leur durée, puisqu'ils ne peuvent excéder six mois, les parlementaires manifestent leur souci de vigilance permanente par l'intermédiaire de la structure plus pérenne d'un groupe d'études. Le groupe d'études sur les sectes existe depuis de nombreuses années. Il a été présidé par M. Alain Gest jusqu'au début de l'année 1998, puis par Mme Catherine Picard jusqu'en octobre 2002, votre rapporteur M. Philippe Vuilque lui ayant succédé depuis cette date. Cette structure regroupe soixante députés, dont la liste peut être consultée sur le site Internet de l'Assemblée nationale. Parmi ses travaux peuvent être citées les auditions d'un certain nombre de personnalités (des représentants d'associations, le conseiller pour les affaires religieuses près du ministre des Affaires étrangères, le responsable du bureau central des cultes au ministère de l'intérieur, des représentants de l'Ordre des médecins et de diverses directions ministérielles). Il a également contribué à plusieurs actions de sensibilisation sur le sujet : colloque sur les sectes tenu à l'Assemblée nationale en mars 2005, colloque « Sectes et enfance » tenu à Saint-Priest (Rhône) en mars 2006, auquel ont participé environ cent personnes. De nombreuses questions écrites sont, en outre, régulièrement posées par les députés sur le problème sectaire. Pour la seule législature actuelle, soit depuis le 19 juin 2002, ils ont adressé aux différents ministres compétents une centaine de questions dont plus d'une quinzaine concernent directement les enfants. Le texte de ces questions et celui des réponses ministérielles peuvent être également consultés sur le site de l'Assemblée nationale. À celles-ci s'ajoutent les questions posées par des sénateurs sur le même sujet, accessibles avec leur réponse sur le site du Sénat. 2. Le droit applicable, la loi « About-Picard » et ses prolongements possibles La mobilisation des parlementaires s'est traduite également par des initiatives législatives. Si de l'avis de toutes les personnes auditionnées, l'arsenal législatif actuel est suffisant pour permettre de réprimer l'ensemble des atteintes susceptibles d'être commises sur des mineurs dans le cadre de dérives sectaires, c'est précisément parce que les parlementaires ont veillé à combler les brèches existantes ici et là. Leur action s'est illustrée notamment par l'adoption de loi n° 2001-504 du 12 juin 2001 tendant à renforcer la prévention et la répression des mouvements sectaires portant atteinte aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales, dite « loi About-Picard » du nom des deux parlementaires qui en furent les rapporteurs : le sénateur M. Nicolas About et la députée Mme Catherine Picard. Cette initiative est venue compléter les diverses dispositions du code pénal permettant de réprimer les agissements des mouvements à caractère sectaire présentant un caractère dangereux pour les mineurs. Les incriminations possibles sont en effet nombreuses : violences (articles 222-7 et suivants) ; tortures ou actes de barbarie (articles 222-1 et suivants) ; atteintes aux libertés telles que l'enlèvement ou la séquestration (articles 224-1 et suivants) ; viols (articles 222-23 et suivants) et autres agressions sexuelles (articles 222-29 et suivants) ; atteintes sexuelles sans contrainte (articles 227-25 et suivants) ; délaissement (article 227-1 et suivants) ; mise en péril (articles 227-15 et suivants) ; abandon moral d'enfant mineur (article 227-17). Il faut également évoquer l'infraction à la législation sur l'obligation scolaire (article 227-17-1 issu de la loi n° 98-1165 du 18 décembre 1998 tendant à renforcer le contrôle de l'obligation scolaire) dite « Loi Royal ». Les dispositions législatives de droit commun applicables aux dérives sectaires ont été rappelées dans une circulaire du 29 février 1996 prise par le garde des Sceaux et adressée aux magistrats du parquet (circulaire « relative à la lutte contre les atteintes aux personnes et aux biens commises dans le cadre des mouvements à caractère sectaire »). Ce texte invite les magistrats du parquet à une grande vigilance à l'égard des dérives sectaires, en précisant que « la lutte contre les dangers liés à ce phénomène doit reposer sur une application plus stricte du droit existant, elle-même liée à une perception plus aiguë de la réalité des risques occasionnés par l'existence et l'activité des organisations en cause », conformément aux conclusions de la commission d'enquête de 1995. Plutôt que de mettre certains groupements à l'index, une circulaire du Premier ministre en date du 27 mai 2005 « relative à la lutte contre les dérives sectaires » souligne la nécessité d'exercer une vigilance particulière sur toute organisation qui paraît exercer une emprise dangereuse pour la liberté individuelle de ses membres, afin de pouvoir très rapidement identifier et réprimer tout agissement susceptible de recevoir une qualification pénale ou, plus généralement, semblant contraire aux lois et aux règlements. Elle exhorte les fonctionnaires et agents publics à « s'attacher à rechercher et à identifier, dans leur périmètre d'attributions, toute activité, quelle que soit sa forme, susceptible de recevoir un caractère "sectaire", parce qu'elle place les personnes qui y participent dans une situation de sujétion ou d'emprise et tire parti de cette dépendance ». Cette attention particulière à l'état de sujétion ou d'emprise est à mettre à l'actif de la loi « About-Picard ». En effet, la loi du 12 juin 2001 donne, indirectement, une définition très large des mouvements sectaires - le souci des parlementaires étant de s'adapter à leurs évolutions - en mettant en avant le critère de l'état de sujétion. Ainsi, il résulte de l'article premier - relatif à la possibilité de dissolution - que le mouvement sectaire susceptible d'être dissout peut être toute personne morale « qui poursuit des activités ayant pour but ou pour effet de créer, de maintenir ou d'exploiter la sujétion psychologique ou physique des personnes qui participent à ces activités » quelle que soit sa forme juridique. Cette dissolution civile peut être prononcée, dès lors que la personne morale elle-même ou ses dirigeants de droit ou de fait ont déjà fait l'objet de condamnations pénales définitives pour l'une ou l'autre des nombreuses infractions énumérées par l'article premier, parmi lesquelles le délit d'abus de faiblesse tel que défini par l'article 223-15-2 du code pénal. - Le délit d'abus de l'état d'ignorance ou de faiblesse Si la loi « About-Picard » comporte par ailleurs de nombreuses autres dispositions tendant notamment à l'extension de la responsabilité pénale des personnes morales et physiques, elle a essentiellement pour objet d'aménager le délit d'abus de faiblesse de façon à assurer la protection des personnes victimes d'une emprise sectaire. Auparavant cette infraction, telle qu'elle résultait de l'article 313-4 du code pénal, ne pouvait en effet concerner que des personnes objectivement vulnérables en raison de leur âge ou de leur état physique ou psychique et était considérée comme un délit contre les biens. L'article 313-4 ayant été abrogé, le nouvel article 223-15-2 a été inséré par les parlementaires parmi les dispositions du code pénal consacrées aux atteintes à la personne humaine. Il punit de trois ans d'emprisonnement et de 375 000 euros d'amende « l'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de la situation de faiblesse soit d'un mineur, soit d'une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente et connue de son auteur, soit d'une personne en état de sujétion psychologique ou physique résultant de l'exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement, pour conduire ce mineur ou cette personne à un acte ou à une abstention qui lui sont gravement préjudiciables ». Cette nouvelle infraction présentait, dans l'esprit du législateur, l'avantage de surmonter les difficultés liées au consentement donné par les adeptes d'un mouvement sectaire à tous les agissements qui leur sont demandés. Depuis l'entrée en vigueur de la loi « About-Picard », le ministère de la justice a recensé une vingtaine de procédures engagées sur le fondement de l'article 223-15-2 du code pénal. Il convient de citer particulièrement celle ayant abouti à la condamnation d'un individu, par la cour d'appel de Rennes, le 12 juillet 2005, à une peine de trois ans d'emprisonnement assorti du sursis et de 10 000 euros d'amende. Il s'agissait de l'un des fondateurs de la secte apocalyptique Néo Phare, se considérant comme « la résurrection du Christ ». Après son annonce d'une fin du monde imminente, un des adhérents de la secte s'était suicidé et deux autres avaient fait des tentatives de suicide. La cour d'appel a estimé qu'en première instance, c'est avec raison que le tribunal avait retenu l'état de sujétion psychologique des victimes, en relevant divers éléments, tels que l'ascendant constaté du « gourou » sur leur personne, la dégradation de leur état psychique, l'acceptation de comportements de soumission, etc., puis qu'à juste titre il avait constaté que cet état résultait de pressions graves ou répétées ou de techniques propres à altérer leur jugement : scènes de transe, communication prétendue avec l'au-delà, séances d'initiation plus ou moins humiliantes, etc. La cour a également partagé l'analyse du tribunal sur la volonté de conduire les personnes concernées à des actes gravement préjudiciables : rupture de leurs relations familiales, affectives et professionnelles. Elle a estimé que les juges avaient en outre motivé avec exactitude la circonstance aggravante tenant à la qualité de dirigeant du groupement et a souligné que l'intéressé avait agi en pleine conscience. Il est intéressant, en l'espèce, de relever que cette personne n'était pas poursuivie pour avoir incité les adeptes du groupe à porter volontairement atteinte à leur intégrité physique ; c'est bien sur la seule base de l'abus de faiblesse que la condamnation a été prononcée. La procédure avait été ouverte après la plainte déposée par les parents du jeune adulte qui s'était suicidé, l'UNADFI et l'ADFI locale s'étant également portées partie civile. En effet, les associations luttant contre les groupements à caractère sectaire peuvent, depuis la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes, se constituer partie civile en application de l'article 2-17 du code de procédure pénale ; l'article 22 de la loi « About-Picard » a ensuite adapté la rédaction dudit article 2-17, afin qu'elle corresponde à la nouvelle définition du délit d'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de faiblesse. Ainsi, aujourd'hui, toute association reconnue d'utilité publique régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits, se proposant par ses statuts de défendre et d'assister l'individu ou de défendre les droits et libertés individuels et collectifs peut, à l'occasion d'actes commis « par toute personne physique ou morale dans le cadre d'un mouvement ou organisation ayant pour but ou pour effet de créer, de maintenir ou d'exploiter une sujétion psychologique ou physique, exercer les droits reconnus à la partie civile » en ce qui concerne les infractions énumérées par ledit article 2-17, au nombre desquelles figure le délit d'abus de faiblesse. - Les limitations apportées à la publicité des mouvements sectaires Outre l'abus de faiblesse des personnes en état de sujétion, les parlementaires ont souhaité créer dans la loi du 12 juin 2001 une autre infraction, visant à limiter la publicité des mouvements sectaires. C'est ainsi que l'article 19 incrimine le fait de diffuser des messages destinés à la jeunesse et faisant la promotion d'une personne morale (quelle qu'en soit la forme ou l'objet) ou invitant à la rejoindre, dès lors que deux conditions sont réunies : la poursuite par la personne morale d'activités « ayant pour but ou pour effet de créer, de maintenir ou d'exploiter la sujétion psychologique ou physique » des personnes qui participent à ces activités, ainsi que le prononcé à plusieurs reprises - c'est-à-dire au moins deux fois - contre la personne morale ou ses dirigeants de droit ou de fait, de condamnations pénales définitives figurant sur la liste établie par ledit article 19. Néanmoins, l'exigence de condamnations préalables, définitives et répétées de la personne morale ou de ses dirigeants est, selon les indications recueillies par la commission d'enquête, de nature à rendre inopérant le dispositif de l'article 19 ; elle permet au mouvement sectaire de diffuser et de recruter pendant de nombreuses années, avant de remplir les conditions d'une poursuite. Il n'y a eu à ce jour aucune application de ce dispositif limitant la publicité des mouvements sectaires, selon les précisions du ministère de la justice. Il appartenait donc à la commission d'enquête de chercher à améliorer l'efficacité de ces règles. L'argument du risque d'inconstitutionnalité d'une suppression de la condition de condamnations préalables multiples pour pouvoir engager des poursuites contre un mouvement à caractère sectaire, faisant du prosélytisme ou de la publicité à destination de la jeunesse, a été avancé par M. Jean-Marie Huet, directeur des affaires criminelles et des grâces au ministère de la justice, lors de son audition par la commission d'enquête (197). Si l'on se réfère aux travaux préparatoires de la loi « About-Picard », on constate qu'il a été effectivement fait brièvement allusion à ce risque, lors de la discussion de l'article 1er sur la dissolution des mouvements à caractère sectaire. La rédaction retenue dans l'article 1er implique en effet que la dissolution ne peut intervenir que s'il y a eu « des condamnations pénales définitives ». Lors de la discussion en deuxième lecture au Sénat, Mme Marylise Lebranchu, alors garde des Sceaux, a invoqué le principe non bis in idem pour repousser un amendement tendant à ce que la mention « à plusieurs reprises » soit supprimée : « Si, effectivement, cet amendement avait eu pour conséquence de permettre une dissolution prononcée par le juge civil après une seule condamnation pénale, je n'y aurais pas été favorable, car cela reviendrait à condamner deux fois pour les mêmes faits, ce qui n'est pas accepté. »(198) La discussion n'a pas de nouveau été engagée sur cette question lors de l'examen de l'article 19 (qui était alors l'article 8), l'argument invoqué pour l'article 1er semblant tacitement admis pour l'article 19 également. Dans son rapport en deuxième lecture (n° 3083), Mme Catherine Picard constate simplement (cf. p. 13) : « Le Sénat a adopté, sur cet article, de simples amendements de coordination. Il n'a pas supprimé, en revanche, la mention "à plusieurs reprises", qui précède l'exigence de condamnations pénales préalables pour son application, comme il l'a pourtant fait à l'article 1er. En toute hypothèse, dans l'un et l'autre cas, la précision était superfétatoire et plusieurs condamnations pénales seront effectivement requises. » L'argument qui a prévalu pour l'article premier semble donc avoir été implicitement admis. Toutefois, les deux cas sont différents : si l'on comprend bien que permettre une dissolution après une seule condamnation pénale revient à condamner deux fois pour les mêmes faits, on ne saurait considérer que l'interdiction de publicité en direction des mineurs est une peine prononcée au même titre que la dissolution du mouvement à caractère sectaire. L'interdiction de publicité destinée aux mineurs doit s'entendre plutôt comme une mesure de protection et non comme une véritable peine, au même titre que par exemple l'interdiction de la publicité pour le tabac ou les restrictions apportées à la publicité pour l'alcoolisme. À propos d'une disposition législative relative à l'interdiction de la publicité directe ou indirecte en faveur du tabac, le Conseil constitutionnel a considéré que la prohibition de certaines formes de publicité ou de propagande était fondée sur les exigences de la protection de la santé publique qui ont valeur constitutionnelle (199). La portée d'une interdiction de la publicité en faveur des mouvements sectaires ne saurait, en tout état de cause, être comparée à celle d'une dissolution, qui met totalement fin aux activités de la personne morale. De plus, il est tout à fait possible de transformer l'exigence de condamnations pénales définitives à plusieurs reprises - imposée par la rédaction actuelle de l'article 19 - en l'exigence d'une seule condamnation préalable définitive. Cette rédaction permettrait alors de trouver une solution de compromis, tenant compte de l'objection présentée par M. Jean-Marie Huet (200) : « Cette condition d'antériorité est certes limitative, mais sa suppression pourrait être condamnée par le Conseil constitutionnel, au regard de la liberté d'expression et de la liberté de religion. En effet, l'article 19 vise à sanctionner des messages destinés à la jeunesse faisant la promotion d'une personne morale, lorsqu'il est démontré que cette dernière a notamment pour objectif de créer ou d'exploiter un état psychologique. Cet élément constitutif de l'infraction doit être formellement établi par une décision de justice préalable. Il serait difficile de revenir sur cette condition d'antériorité. » Aussi l'argument du risque d'inconstitutionnalité peut-il être écarté. La commission suggère, en conséquence une solution ne supprimant pas cette condition d'antériorité. Elle propose d'ouvrir la possibilité d'engager des poursuites, en cas de diffusion de messages destinés à la jeunesse et faisant la promotion d'une personne morale recourant à la sujétion psychologique ou physique - telle que définie par l'article 19 de la loi du 12 juin 2001 - dès que le mouvement en question aura déjà fait l'objet d'au moins une condamnation pénale définitive, pour l'une des infractions mentionnées audit article 19. La vigilance des parlementaires français et la loi du 12 juin 2001 sont souvent citées en exemple à l'étranger. M. Friedrich Griess (201), président de la FECRIS (Fédération européenne des centres de recherche et d'information sur le sectarisme) qui connaît bien la loi « About-Picard » pour l'avoir traduite en allemand, s'est prononcé pour son application dans toute l'Union européenne après avoir fait valoir que les réticences des législateurs des autres pays européens s'expliquaient sans doute par les résistances de fidèles de religions minoritaires. M. Rudy Salles, membre du bureau de la commission d'enquête, a rappelé à cette occasion que les mêmes craintes s'étaient fait jour en France lors de l'examen de la loi « About-Picard ». Les parlementaires avaient alors rassuré ceux qui exprimaient ces appréhensions, en faisant observer que « la loi ne s'appliquait qu'aux dérives sectaires, non aux religions constituées », sachant par ailleurs qu'il n'existe pas de définition juridique des sectes. M. Henri de Cordes(202), président du CIAOSN, a souligné qu'en juillet 2006, le gouvernement belge avait déposé un projet de loi directement inspiré de la législation française, puisqu'il punit de trois mois à trois ans de prison ainsi que d'une amende toute personne qui aura abusé frauduleusement de la situation de faiblesse de quelqu'un, notamment d'un mineur, pour le conduire à un acte ou à une abstention portant gravement atteinte à son intégrité physique ou mentale ou à son patrimoine. b) Les freins à une bonne application de la loi La commission d'enquête déplore néanmoins le faible nombre de procédures ouvertes dans notre pays en application de la loi du 12 juin 2001 et plus particulièrement au titre de l'article 223-15-2 du code pénal, puisque seulement une vingtaine de procédures ont été ouvertes sur ce fondement (dont onze en cours). De fait, de nombreuses victimes hésitent à porter plainte, comme l'ont confirmé les témoignages reçus par la commission d'enquête. La « dépendance sectaire » pèse encore souvent après la sortie de secte. La difficulté à admettre que l'on s'est trompé, la peur des représailles, la honte de s'être fait manipuler, sont autant de facteurs qui peuvent dissuader de porter plainte. Ainsi que l'a souligné M. Emmanuel Jancovici (203) : « Lorsqu'un adulte quitte un groupe, il n'est pas pour autant libéré de ce groupe. Il continue à être marqué par les catégories qui l'ont fabriqué. Par exemple, il a l'impression, en se socialisant à nouveau, qu'il est en train de fréquenter le monde de Satan qu'on lui a décrit. » Ce qui vaut pour les adultes, vaut a fortiori pour les enfants, comme l'ont confirmé les propos de Me Line N'Kaoua (204) : « Il est clair que les enfants victimes de violences au sein des sectes ont besoin d'un certain temps de récupération pour pouvoir déposer plainte. Nous comprenons, au discours des ex-adeptes majeurs, qu'ils ne sont pas encore sortis de la secte et s'il fallait leur demander de déposer plainte, ils refuseraient très souvent. » Le temps nécessaire de la « récupération » après une sortie de secte a été évoqué par de nombreux intervenants. Ajouté aux autres causes de renoncement au dépôt de plainte, il contribue à expliquer le très faible ratio entre le nombre d'affaires portées à la connaissance de la justice et le nombre des victimes identifiées par les associations. M. Guy Rouquet(205), président de l'association « Psychologie vigilance », a ainsi mis en exergue l'écart significatif entre le nombre de dossiers communiqués aux associations (lesquelles sont probablement loin d'être systématiquement saisies) et le nombre de dossiers débouchant sur une plainte : « La notion de victime demande à être élargie, comme du reste les délais de prescription. Il faut y travailler, faciliter les démarches des plaignants, qui, paralysés par l'enjeu, soumis à mille pressions, inquiets par les frais occasionnés, renoncent à poursuivre. Permettez-moi une évaluation : une personne sur cent expose par écrit la tragédie dans laquelle elle est plongée : sur cent dossiers portés à la connaissance des associations ou organismes de lutte et de vigilance, un seul fera l'objet d'une plainte en bonne et due forme ; sur cent plaintes déposées, une seule sera véritablement suivie d'effet, avec un accès aléatoire au tribunal. » Outre ces considérations d'ordre psychologique, un paramètre juridique ne peut pas être ignoré. La commission d'enquête constate qu'en l'état actuel de notre droit, les délais de prescription des actions pénales sont tels qu'ils ne garantissent pas aux jeunes adultes sortis de mouvements à caractère sectaire la possibilité de se retourner contre ceux qui, dans le cadre de ces mouvements, pourraient se voir accuser d'abus d'ignorance ou de faiblesse, tel que défini par l'article 223-15-2 du code pénal. En effet, en application de l'article 8, premier alinéa, du code de procédure pénale, « en matière de délit, la prescription de l'action publique est de trois années révolues ». Compte tenu, d'une part, de la nécessité d'un temps de « reconstruction » psychologique après la sortie de secte, compte tenu, d'autre part, de la quasi-impossibilité pour un mineur sous emprise sectaire de dénoncer des faits dont il est victime, ce délai peut sembler très court. Le problème du délai de prescription a été soulevé à diverses reprises, au cours des auditions, par les membres de la commission d'enquête, qui ont interrogé plusieurs de leurs interlocuteurs sur la possibilité de le rouvrir, pour les mineurs victimes, à compter de leur majorité. À titre de comparaison, ont été invoqués l'article 7, alinéa 3 et l'article 8, alinéa 2 du code de procédure pénale, relatifs à la réouverture de nouveaux délais de prescription à compter de la majorité, pour les mineurs victimes de crimes sexuels et de délits sexuels. Les personnes auditionnées, interrogées sur ce point, se sont en général accordées sur le principe de l'utilité de retarder le délai de prescription, dans le cas des victimes sortant de mouvements à caractère sectaire, même si différentes options d'aménagement d'un tel principe ont été parfois envisagées. M. Jean-Olivier Viout (206), procureur général près la cour d'appel de Lyon, a ainsi déclaré : « En ce qui concerne la prescription, je vous rejoins totalement. Je suis de ceux qui pensent que dès lors que la victime est dans l'impossibilité de révéler les faits et ainsi de permettre à la collectivité d'exercer l'action publique, le point de départ du délai de prescription doit être retardé. Il est choquant qu'un mineur qui se trouve sous l'emprise d'une secte ne puisse pas déposer plainte lorsqu'il atteint dix-huit ans, au motif que le délai de prescription serait expiré. » M. Jean-Michel Roulet(207) a, pour sa part, estimé : « Pour l'avenir, des modifications législatives sont-elles nécessaires ? Toute législation est perfectible. La nôtre est déjà complète et solide. Un problème se pose, celui de la prescription. Peut-être serait-il opportun, non pas d'allonger le délai de prescription, mais de le faire courir à partir du moment où les faits sont révélés. » De fait, le problème du délai de prescription peut concerner les adultes, comme l'a particulièrement mis en évidence M. Alain Berrou (208), ancien adepte des Témoins de Jéhovah : « Les parlementaires pourraient également se pencher sur le délai de prescription de la loi " About-Picard " : il faut beaucoup de temps à la victime pour mûrir son point de vue, prendre la distance nécessaire, analyser, prendre conscience qu'elle a été victime et l'assumer. Mon avocat m'avait prévenu qu'après avoir passé dix ans dans la secte, je devais me préparer à supporter dix ans de procédure, d'expertises psychiatriques, de contre-expertises, sans être certain du résultat final : j'ai finalement renoncé à une action en justice... Non seulement il est très difficile de saisir la loi, mais il faut du temps pour comprendre, analyser et enfin oser. » Tout en étant consciente de l'existence d'autres solutions comme l'ouverture d'un délai de prescription à compter de la révélation des faits par la victime adulte, la commission d'enquête, conformément à sa mission, propose une réforme concernant directement les mineurs ; celle-ci serait d'autant plus susceptible d'emporter facilement un accord général qu'elle se calquerait sur une disposition du code de procédure pénale déjà existante. L'abus de faiblesse étant juridiquement un délit et non un crime, il serait logique en effet d'aligner sa prescription sur les dispositions de l'article 8, second alinéa du code de procédure pénale, lequel vise les délits à caractère sexuel, plutôt que sur les dispositions de l'article 7, troisième alinéa, lequel renvoie aux cas plus graves des crimes à caractère sexuel. Dans cette dernière hypothèse, c'est-à-dire en matière criminelle, la prescription est de vingt ans à compter de la majorité. Dans la première hypothèse, en matière délictuelle, la prescription est de dix ans à compter de la majorité, excepté dans certains cas de circonstances aggravantes où elle est également portée à vingt ans ainsi que dans l'hypothèse, ajoutée par la loi n° 2006-399 du 4 avril 2006, de violences n'ayant pas un caractère sexuel mais commises avec circonstances aggravantes (article 222-12 du code pénal). La commission d'enquête préconise que le délai de prescription de l'action publique du délit mentionné à l'article 223-15-2 du code pénal, relatif à l'abus de l'état d'ignorance ou de faiblesse, soit porté à dix ans lorsqu'il est commis contre des mineurs dans le cadre de mouvements à caractère sectaire, et qu'il ne commence à courir qu'à partir de la majorité de ces victimes. À cette fin, elle suggère de compléter l'article 8 du code de procédure pénale par un nouvel alinéa. La rédaction actuelle de cet article est la suivante : « En matière de délit, la prescription de l'action publique est de trois années révolues ; elle s'accomplit selon les distinctions spécifiées à l'article précédent. « Le délai de prescription de l'action publique des délits mentionnés à l'article 706-47 et commis contre les mineurs est de dix ans ; celui des délits prévus par les articles 222-12, 222-30 et 227-26 du code pénal est de vingt ans ; ces délais ne commencent à courir qu'à partir de la majorité de la victime. » Elle pourrait être complétée par un troisième alinéa ainsi rédigé : « Le délai de prescription de l'action publique des délits mentionnés à l'article 223-15-2 du code pénal et commis contre des mineurs dans le cadre d'un mouvement ou organisation ayant pour but ou pour effet de créer, de maintenir ou d'exploiter une sujétion psychologique ou physique est de dix ans et ne commence à courir qu'à partir de la majorité de la victime. » Cette rédaction s'inspire directement de la terminologie retenue par la loi « About-Picard » pour caractériser le mouvement à caractère sectaire et plus particulièrement de celle retenue par son article 22 - article 2-17 du code de procédure pénale - définissant les cas dans lesquels les associations peuvent se porter partie civile. c) La possibilité de mieux sanctionner l'enfermement social des mineurs Afin de disposer d'outils juridiques cernant au plus près le phénomène sectaire, la commission d'enquête propose en outre que l'enfermement dont sont victimes les mineurs dans les sectes, reçoive une qualification pénale. L'enfermement des enfants peut s'analyser comme l'ensemble des obstacles mis à leur éducation et à la préparation de leur insertion dans la société. Dans un premier temps, il convient de rappeler que l'éducation relève des obligations légales des parents dont la violation est sanctionnée par l'article 227-17 du code pénal. Celui-ci dispose que : « Le fait, par le père ou la mère, de se soustraire, sans motif légitime, à ses obligations légales au point de compromettre la santé, la sécurité, la moralité ou l'éducation de son enfant mineur est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende. » Ces dispositions touchent l'ensemble des obligations parentales et paraissent constituer un outil de protection juridique susceptible d'être mis en œuvre dans le cas particulier d'une atteinte au lien familial consécutive à une emprise sectaire. La Cour de cassation a ainsi pu estimer (209) que le fait d'envoyer un enfant dans un établissement situé en Inde et dirigé par une secte, dans des conditions de vie précaire et pour une durée illimitée constituait, en l'espèce, une infraction à l'article 227-17 du code pénal. La commission d'enquête considère que ces dispositions pénales - qui n'ont été évoquées par aucun des juristes auditionnés - pourraient trouver à s'appliquer dans le cas où l'abandon moral du mineur dont les parents adhèrent à une organisation sectaire ne se caractériserait pas principalement par un éloignement géographique de l'enfant, comme dans le cas de jurisprudence précité, mais résulterait des conséquences d'un abandon au profit d'une communauté à l'intérieur de laquelle les parents seraient eux-mêmes présents. Toutefois, deux conditions jurisprudentielles limitent la portée de cet article. Les manquements aux obligations parentales doivent, en premier lieu, avoir eu des conséquences graves sur l'enfant (210). Or la gravité de séquelles psychologiques - premières conséquences d'une emprise sectaire - ne peut être établie que par le recours à des experts psychologues dont les conclusions n'emportent jamais la même conviction que celles, par exemple, d'une analyse médicale. Par ailleurs, le juge considère qu'un des éléments constitutifs du délit réprimé par l'article 227-17 du code pénal se définit par « la conscience chez son auteur de se soustraire à ses obligations légales au point de compromettre gravement la santé, la sécurité, la moralité ou l'éducation de ses enfants (211) ». Les difficultés pour établir que ce critère est rempli ne contribuent pas non plus à un large recours à ces dispositions pénales. Ce délit étant limité au champ des obligations parentales et étant rarement caractérisé dans le cadre d'une emprise sectaire, il paraît nécessaire de mieux sanctionner l'enfermement social des mineurs en renforçant le droit à l'éducation de l'enfant tel que défini à l'article L. 131-1-1 du code de l'éducation. En effet, dans toutes les situations dans lesquelles des mineurs sont victimes d'un véritable enfermement social, les dispositions de l'article 29 de la Convention internationale des droits de l'enfant sont méconnues. Celui-ci, rappelons-le, stipule que l'éducation doit viser à « favoriser l'épanouissement de la personnalité de l'enfant et le développement de ses aptitudes mentales et physiques, dans toute la mesure de leurs potentialités ». Sont de même ignorées, dans de telles hypothèses, les dispositions de l'article L. 131-1-1 du code de l'éducation précisant notamment que cette dernière doit permettre à l'enfant de « développer sa personnalité, [...], de s'insérer dans la vie sociale et professionnelle et d'exercer sa citoyenneté ». Néanmoins, aucune sanction n'est clairement prévue lorsque des enfants sont maintenus dans des situations d'enfermement social aboutissant à la violation des dispositions précitées. C'est pourquoi, la commission d'enquête recommande de compléter la loi « About-Picard » en sanctionnant l'enfermement social des mineurs par les mêmes peines que l'abus de faiblesse. À cette fin, le premier alinéa de l'article 223-15-2 du code pénal issu de l'article 20 de la loi « About-Picard », pourrait être complété par les termes suivants (212) : « ou pour empêcher ce mineur d'accéder à une éducation ayant pour objet de lui permettre de développer sa personnalité, de s'insérer dans la vie sociale et professionnelle et d'exercer sa citoyenneté ». Ce droit s'exercerait sans préjudice des stipulations de l'article 2 du protocole n° 1 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui garantit aux parents le droit d'exiger de l'État le respect de leurs convictions philosophiques et religieuses. B. UNE IMPLICATION FORTE DES POUVOIRS PUBLICS Depuis plus de dix ans, les pouvoirs publics se mobilisent pour mener au mieux une politique de lutte contre les dérives sectaires. Prenant « à bras le corps cette question »(213), tous les niveaux de l'État se sont impliqués afin de mettre en place les instruments qui pouvaient leur permettre d'assurer, efficacement, la sécurité de nos concitoyens. 1. L'action interministérielle Dès 1982, une commission interministérielle « Intérieur-Santé » dirigée par M. Jean Ravail, inspecteur général de l'Administration, constatait que l'ampleur réelle du phénomène sectaire demeurait mal cernée aux yeux de l'administration et qu'un effort particulier de recherche et d'information s'imposait. Reprise par M. Alain Vivien dans son rapport « Les sectes en France : expression de la liberté morale ou facteurs de manipulation »(214), cette idée fait l'objet de la première de ses propositions : créer une structure interministérielle « pour suivre l'ensemble du problème des sectes, coordonner la réflexion et, le cas échéant, mobiliser les départements ministériels ». C'est finalement, à la suite d'une proposition contenue dans le rapport déposé par M. Jacques Guyard (215) au nom de la commission d'enquête sur les sectes présidée par M. Alain Gest, qu'est créé, le 9 mai 1996, un Observatoire interministériel sur les sectes auquel succèdera le 7 octobre 1998, la Mission interministérielle de lutte contre les sectes (MILS). Composée d'une équipe permanente de six personnes, dotée de moyens propres, la MILS regroupait un conseil d'orientation de 19 membres Outre les missions rappelées ci-dessus, la MILS a participé à l'élaboration d'ouvrages et articles et elle a publié divers documents faisant autorité : « Le guide de l'éducateur », « Le guide destiné aux maires », « Le guide destiné au personnel hospitalier » (218). Le 28 novembre 2002, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES) a succédé à la MILS afin de « concentrer son action non sur l'ensemble des mouvements religieux mais sur les seules dérives sectaires » (219). b) La Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES) Sans donner une définition de la dérive sectaire - alors que cette notion est contenue dans le titre même de la nouvelle institution -, le décret n° 2002-1392 du 28 novembre 2002 instituant une MIVILUDES auprès du Premier ministre confie à cette dernière six missions : - observer et analyser le phénomène des mouvements à caractère sectaire ; - favoriser, dans le respect des libertés publiques, la coordination de l'action préventive et répressive des pouvoirs publics à l'encontre de ces agissements ; - développer l'échange des informations entre les services publics ; - contribuer à l'information et à la formation des agents publics dans ce domaine ; - informer le public et faciliter la mise en œuvre d'actions d'aide aux victimes ; - participer aux travaux relatifs aux questions relevant de sa compétence, menés par le ministère des affaires étrangères dans le champ international. Aux termes de ce même décret, pour accomplir ses missions, la nouvelle institution est composée : - d'un président nommé pour trois ans assisté d'un secrétaire général ; - d'une structure permanente d'une douzaine de personnes ; - d'un comité exécutif de pilotage opérationnel (CEPO) composé d'une vingtaine de membres représentent les départements ministériels concernés. Il se réunit au moins six fois par an sur convocation du président de la mission ; - d'un conseil d'orientation réunissant une trentaine de personnalités nommées à raison de leur compétences ou de leur expérience (parlementaires, représentants des associations, médecins spécialistes de la victimologie, universitaires,...). Il tend à nourrir la réflexion des pouvoirs publics sur les dérives sectaires, à dégager les orientations et les perspectives d'action de la mission interministérielle et à en favoriser l'évaluation. Pour assumer sa tâche, la MIVILUDES dispose d'un budget de 113 000 euros. Ce chiffre ne reflète pas toutefois l'ensemble des moyens budgétaires alloués à cette structure puisque 9 personnes dont le président et le secrétaire général sont mis à disposition par leur administration d'origine, 4 autres postes étant occupés soit par des personnes rémunérées par les services du Premier ministre, soit par des agents contractuels (220). Soulignant que l'objet de la MIVILUDES est centré non pas sur les organisations sectaires ou sur leurs doctrines mais sur « les dommages causés par les pratiques sectaires, que celles-ci émanent de grandes organisations, de petites structures ou de personnalités isolées », M. Philippe-Jean Parquet, addictologue, spécialiste de l'enfance et membre du Conseil d'orientation, a fait part de sa satisfaction de l'adoption par la mission interministérielle d'une position claire et efficace(221) sur ce sujet. - Les actions menées par la MIVILUDES En trois ans d'existence, le travail accompli par la MIVILUDES est considérable, notamment dans les domaines de la formation et de l'information. · La formation Depuis 2003, des sessions de formation sont proposées et assurées à de nombreux publics : - professeurs d'histoire-géographie qui participent par l'intermédiaire de leur association à des actions de prévention aux dérives sectaires, dans le cadre de leurs cours d'éducation civique, bien que ces actions ne soient pas explicitement prévues dans les programmes des lycées ; - écoles des gardiens de la paix (par l'élaboration d'un référentiel de formation) ; - personnels hospitaliers ; - étudiants (de l'École nationale de la concurrence, de la consommation et de la répression ; de l'Université Paris XIII - DESS « intelligence économique » et « information sécurité » ; de l'Institut des hautes études de la défense nationale ; de l'École internationale des sciences de traitement de l'information ; du Centre national de la formation publique territoriale) ; - cadres de la fonction publique (correspondants « sectes » des 22 directions de l'Hôtel de Ville de Paris, correspondants académiques du ministère de l'éducation nationale, directeurs des hôpitaux de santé mentale, cadres du ministère de la jeunesse et des sports en Île-de-France, officiers de police et de gendarmerie) ; - personnels administratifs et médico-sociaux (Rectorat de l'académie de Rouen ; Conseil général de Charente-Maritime) ; - particuliers (Fédération des conseils de parents d'élèves de Paris, juristes du groupe d'assurances Axa). Par ailleurs, en juin 2004, une convention de partenariat a été signée avec le Centre national de la fonction publique territoriale (222), en vue d'échanger des informations sur des sujets d'intérêt commun et de les analyser afin de mettre en œuvre des actions de sensibilisation et de formation en direction des personnels territoriaux. · L'information Les actions menées en ce domaine revêtent différentes formes, telles : - des publications spécifiques : la lettre de la MIVILUDES (bimestrielle puis trimestrielle) ; en 2003, la plaquette destinée à l'information du grand public ; en 2004, « Le guide de l'agent public face aux dérives sectaires » ; en 2006, le guide « Le satanisme, un risque de dérive sectaire » dont une version plus détaillée a été rédigée à l'attention des agents publics : « Le guide pratique de l'enquêteur sur les dérives sataniques » ; - des organisations ou des participations à des colloques ou des séminaires : séminaire universitaire « Sectes et laïcité » organisé avec le soutien du ministère de la recherche (d'octobre 2003 à juin 2004, au rythme d'une séance tous les 15 jours) (223) ; colloque « L'avocat face aux dérives sectaires » sous l'égide du Conseil national des Barreaux (juin 2004) (224) ; journée d'études « Sectes et enfance » organisée conjointement avec le groupe d'études sur les sectes de l'Assemblée nationale (30 mars 2006) ; - des rapports annuels dressant le bilan des activités sectaires et s'attachant à des problèmes spécifiques : « Les entraves aux services publics » et « L'aide aux victimes » (2003) ; « Le risque sectaire », « Le développement des microstructures », « La banalisation de l'ésotérisme » et « L'intrusion dans le monde de l'entreprise » (2004) ; « Les pratiques d'intelligence économique » et « L'humanitaire d'urgence » (2005) ; « Les pratiques de soins et de guérison » (2003 et 2005) ; « La protection des mineurs » (2003, 2004 et 2005) ; - la gestion d'un site Internet présentant les actions de la MIVILUDES et comportant plusieurs rubriques d'information. Dans son rapport 2005, la MIVILUDES souligne que ce site a fait l'objet de 133 000 consultations ; - une association aux réunions des cellules de vigilance programmées par les préfets (cf. infra) ; - des missions à l'étranger : Canada, Danemark et Slovaquie (2003), Autriche, Belgique, Espagne, Italie et Suisse (2004), Royaume-Uni, Land de Bavière (2005) et Slovaquie (2006) ; - des missions auprès des institutions internationales (Conseil de l'Europe, 2003 et 2006 et OSCE, 2003) et des participations à des conférences internationales (Séminaire européen sur les dérives sectaires, Bruxelles, avril 2003 ; Conférence de Bucarest « Les organisations religieuses et l'ordre public », juin 2004 ; Conférence de Novossibirsk « Sectes totalitaires et États démocratiques », novembre 2004 ; colloque « L'internationalisation des sectes, un danger pour les droits humains en Europe », organisé par la Fédération européenne des centres de recherche et d'information sur le sectarisme (FECRIS), mars 2006). Ce bilan des actions et des activités de la MIVILUDES fait clairement apparaître le rôle essentiel que joue cette dernière dans l'analyse des dérives sectaires et dans l'information de l'opinion publique. En offrant aux administrations la possibilité de confronter au sein du comité exécutif de pilotage opérationnel des approches pluridisciplinaires, elle permet de définir une politique d'action commune. L'investissement des chefs du gouvernement dans la lutte contre les dérives sectaires pouvant se révéler variable et de ce fait ne pas être sans conséquence sur l'autorité, voire la pérennité de cette mission interministérielle, on peut penser que les actions de cette dernière sont le meilleur gage de sa légitimité. Ces actions pourraient toutefois être encore renforcées. - De nouveaux pouvoirs d'action · Une défense plus efficace des enfants L'intérêt que porte la mission interministérielle à la protection des mineurs face aux dérives sectaires est rappelé dans chacun de ses rapports annuels. Il est donc pour le moins paradoxal que ne soit pas représentée dans son Conseil d'orientation, l'institution la plus concernée par l'intérêt des enfants, celle avec laquelle, sur ce point, elle ne peut que partager des réflexions et des préoccupations communes : le Défenseur des enfants. Il peut être rappelé qu'aux termes de la loi n° 2000-136 du 6 mars 2000, ce dernier est en effet chargé de « défendre et promouvoir les droits de l'enfant » (article 1er), « de faire toutes les recommandations qui lui paraissent de nature à régler les difficultés dont il est saisi » à toute personne physique ou morale visée par la réclamation d'un mineur et de « proposer toutes mesures qu'il estime de nature à remédier à la situation » (article 2), « de porter à la connaissance de l'autorité judiciaire les affaires susceptibles de donner lieu à une mesure d'assistance éducative » (article 4), « de promouvoir les droits de l'enfant et d'organiser des actions d'information sur ce sujet » (article 5). La commission d'enquête considère qu'il serait donc du plus haut intérêt que dès aujourd'hui, la MIVILUDES et la Défenseure des enfants établissent des liens d'étroite collaboration, échangent leurs informations, appellent réciproquement leur attention sur ceux des dossiers qui les intéressent conjointement et que ces deux institutions définissent ensemble des politiques et des modalités d'action protégeant les enfants des dérives sectaires. Elle propose au Premier ministre de nommer la Défenseure des enfants, membre du Conseil d'orientation de la MIVILUDES dans les plus brefs délais. · Une meilleure assise internationale Le rapport 2005 de la MIVILUDES rappelle combien la politique française de lutte contre les dérives sectaires doit faire l'objet d'un constant travail d'explication par le ministère des Affaires étrangères en raison de la culture différente d'un certain nombre de pays dans lesquels la notion même de « secte » est inconnue(225). Il paraîtrait de ce fait utile de permettre à la mission interministérielle de jouer un rôle plus important d'information auprès des organismes internationaux. La France pourrait ainsi plaider auprès du Conseil de l'Europe en faveur de la mise en œuvre de la recommandation n° 1412 du 22 juin 1999, rapportée par M. Nastase, qui préconisait la création « d'un observatoire européen sur les groupes à caractère religieux, ésotérique ou spirituel dont la tâche serait de faciliter les échanges entre les centres nationaux ». La MIVILUDES aurait une vocation naturelle à participer à la direction d'un tel organisme. · Une information plus diversifiée Vecteur important d'une information officielle et maîtrisée, le site Internet de la MIVILUDES pourrait être complété par une rubrique plus attractive et plus spécifiquement dédiée aux jeunes, lesquels devraient pouvoir y trouver une description des étapes d'un embrigadement sectaire, des témoignages de sortants de sectes, des conseils et des adresses pour éventuellement venir en aide à des camarades engagés dans une voie dangereuse. Par ailleurs, la rubrique « Lois et règlements » actuellement nourrie des seuls textes relatifs à la MIVILUDES et de la loi n° 2001-504 du 12 juin 2001 tendant à renforcer la prévention et la répression des mouvements sectaires portant atteinte aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales pourrait être utilement complétée par l'ensemble des textes législatifs, réglementaires et jurisprudentiels qui s'appliquent à la lutte contre les dérives sectaires. Classée par grands domaines (textes généraux, éducation, famille, jeunesse et sports, justice, santé, MIVILUDES), cette documentation permettrait notamment aux professionnels de chacune des activités, en contact avec l'enfance de repérer rapidement les textes sur lesquels fonder une action tendant à protéger les mineurs d'éventuelles dérives sectaires. · Un nouveau statut juridique ? La commission d'enquête s'est interrogée sur la possibilité de donner à la MIVILUDES des pouvoirs plus importants, telle la faculté d'émettre des avis, à l'image du Centre belge d'information et d'avis sur les organisations sectaires nuisibles (CIAOSN) (226). Or, pour émettre des avis, la mission interministérielle devrait devenir une autorité administrative indépendante mais selon son président, M. Jean-Michel Roulet (227), cette transformation ne « changerait (pas) grand-chose ». En réponse à la question qui lui avait été posée sur ce sujet (228), le ministère de la justice a apporté les précisions suivantes : « La possibilité pour la MIVILUDES d'émettre un avis sur les pratiques de telles ou telles sectes, à l'instar de son homologue belge, à supposer qu'elle ne soit pas analysée comme la mise en œuvre d'un dispositif de contrôle de la liberté de croyance, ne pourrait être prévue que dans la mesure où ces avis seraient rendus après une procédure contradictoire, permettant aux mouvements concernés d'apporter leurs éléments de réponse. Ces avis ne sauraient avoir une force obligatoire. Il convient par ailleurs de s'interroger sur la nature des avis qui pourraient ainsi être rendus et de noter que ceux-ci pourraient être de nature à provoquer de nombreux contentieux et des réactions négatives au plan international. » Faudrait-il en effet faire franchir à la MIVILUDES une nouvelle étape en lui conférant ce statut d'autorité administrative indépendante ? Outre qu'elle ne revendique pas expressément ce statut, un tel changement de dimension ne manquerait pas de se heurter à de sérieux obstacles juridiques. Dans une décision du 18 septembre 1986, le Conseil constitutionnel a admis que les dispositions de l'article 21 de la Constitution ne faisaient pas « obstacle à ce que le législateur confie à une autorité autre que le Premier ministre le soin de fixer des normes permettant de mettre en œuvre une loi », à la condition que ce soit dans un domaine déterminé et dans le cadre défini par les lois et règlements (229). L'habilitation donnée par la loi à une autorité administrative indépendante pour exercer une compétence réglementaire doit concerner « des mesures de portée limitée tant par leur champ d'application que par leur contenu ». Si les compétences du pouvoir réglementaire des autorités administratives indépendantes sont strictement encadrées par la jurisprudence constitutionnelle, on ne perçoit pas d'emblée les terrains sur lesquels le pouvoir réglementaire d'une autorité administrative indépendante chargée de la lutte contre les dérives sectaires pourrait s'exercer. Au surplus, le juge constitutionnel a par le passé censuré un dispositif législatif confiant au service central de prévention de la corruption un pouvoir d'investigation, au motif qu'il était susceptible d'entraîner des atteintes à la liberté individuelle sans garantie de l'autorité judiciaire(230). Enfin, la discussion ouverte récemment sur l'opportunité ou non de réviser la loi du 9 décembre 1905 montre que les responsables politiques n'ont nullement l'intention d'abdiquer à des structures administratives toute réflexion et tout pouvoir sur des matières aussi sensibles. Faisant depuis 1997, l'objet d'une analyse détaillée dans chacun des rapports annuels de l'Observatoire interministériel sur les sectes (231), de la MILS (232) et de la MIVILUDES(233), les actions menées contre les dérives sectaires sont désormais une préoccupation constante des ministères et ces derniers tentent régulièrement d'adapter leur politique aux différents changements qui modifient le paysage sectaire. Tous les ministères concernés, à un titre ou à un autre, par la protection de l'enfance sont représentés au comité exécutif de pilotage opérationnel de la MIVILUDES et participent activement à la définition et à la réalisation des actions menées par cette dernière. Certains d'entre eux ont, en outre, mis en place des structures spécifiques de lutte contre les dérives sectaires, au sein de leur administration centrale et/ou de leurs services déconcentrés. a) Les chargés de mission ministériels Depuis 1996, le ministère de la justice dispose d'une « mission sectes » dirigée par un magistrat, chargé de mission auprès du directeur des affaires criminelles et des grâces. Travaillant en liaison étroite avec la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ) et la direction des affaires civiles et du sceau (DACS), cette mission doit notamment : susciter une indispensable synergie entre l'autorité judiciaire et les administrations susceptibles de connaître du phénomène sectaire ; élaborer un travail de synthèse sur les dossiers ; mettre en place une coordination et animer l'action publique en relation avec les parquets généraux ; animer des réunions avec les administrations et les tiers concernés, notamment avec les associations d'aide aux victimes de sectes ; assurer une sensibilisation des magistrats et autres partenaires par des actions de formation. Par une circulaire n° 2002-120 du 29 mai 2002, le ministère chargé de l'éducation rappelle qu'une cellule chargée de la prévention des phénomènes sectaires dans l'éducation (CPPS) est placée auprès du directeur des affaires juridiques. Elle est dirigée par un inspecteur général de l'éducation nationale (IGEN), secondé par un inspecteur général de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche (IGAENR) lesquels assurent ces fonctions, « en plus de leur travail normal »(234). Créée en 1996, la CPPS a notamment pour mission de : fournir des conseils, des documentations et des formations aux cadres et aux personnels de l'éducation nationale confrontés aux problèmes sectaires ; sensibiliser les personnels ; favoriser l'information des élèves, notamment dans le cadre de l'éducation civique, juridique et sociale ; analyser les évolutions du phénomène sectaire et formuler des propositions. Au ministère de la santé et des solidarités, c'est un chargé de mission pour la coordination, la prévention et le traitement des dérives sectaires qui, au sein de la direction générale de l'action sociale, exerce « une fonction de coordination de la réflexion, d'animation pour l'ensemble du ministère de la santé et de la protection sociale, ainsi que pour les directions concernées du ministère de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale » (235). Il est aidé dans sa mission par des correspondants qui, désignés par chaque direction de l'administration centrale du ministère, se réunissent chaque mois au sein d'un groupe de travail inter-directions. La cellule de vigilance du ministère de la jeunesse, des sports et de la vie associative rassemble un représentant de chaque direction et un représentant de l'inspection générale. Créée en 1999, elle maintient une veille, instruit les dossiers sensibles, suit la formation et la sensibilisation des agents, diffuse puis archive la documentation, se tient en liaison avec les directeurs et les correspondants régionaux et avec les associations nationales luttant contre les dérives sectaires. Les politiques définies par ces chargés de mission appellent d'autant plus l'attention des services déconcentrés lorsqu'elles sont relayées, expliquées et mises en application par des correspondants régionaux. b) L'exemple de l'action du ministère de la jeunesse, des sports et de la vie associative : un encadrement juridique des associations satisfaisant L'analyse de la réglementation relative aux agréments « jeunesse, éducation populaire et sports » montre que le ministère de la jeunesse, des sports et de la vie associative dispose d'outils permettant d'exercer un contrôle rigoureux sur lesdites associations. Les conditions de délivrance de l'agrément jeunesse et éducation populaire sont définies par le décret n° 2002-571 du 22 avril 2002. La décision d'agrément de l'association est subordonnée à la transmission de ses statuts, à l'indication de la composition de ses instances dirigeantes, à la présentation de son rapport moral et financier, de son compte de résultat et du rapport d'activité des deux derniers exercices ainsi que du budget prévisionnel en cours. La décision d'agrément est prise après avis d'une commission composée à parité de représentants de plusieurs ministères et de représentants d'associations agréées jeunesse et sports. Cette commission sollicite la MIVILUDES ou les services déconcentrés en cas de suspicion. Les agréments des associations sportives sont, quant à eux, délivrés sur la base de l'article L. 121-4 du code du sport, l'État devant s'assurer que les statuts « garantissent le fonctionnement démocratique de l'association, la transparence de sa gestion et l'égal accès des femmes et des hommes à ses instances dirigeantes ». Les activités de l'association sont également examinées. En revanche, la réglementation ne reconnaît aucune compétence particulière au ministère pour enquêter sur les dirigeants, toute information émanant de la police ou de la gendarmerie devant toutefois être prise en considération. En réponse à une question du président de la commission d'enquête sur le contrôle exercé par l'administration sur les dirigeants des associations et leur personnel, M. Étienne Madranges, directeur de la jeunesse et de l'éducation populaire au ministère de la jeunesse, des sports et de la vie associative a apporté plusieurs précisions (236) : « Je rappelle que le bulletin n° 3 ne comporte que les condamnations supérieures à deux ans d'emprisonnement. Autrement dit, un primo-délinquant qui se serait rendu coupable d'une agression sexuelle et aurait été condamné à huit mois de sursis peut être recruté par une association. Le bulletin n° 2, lui, comprend la plupart des condamnations, mais pas celles qui sont prescrites. Le bulletin n° 1, destiné aux seuls magistrats, comprend toutes les condamnations. « Il était important, en matière de pédophilie, de veiller à ce que les associations ne recrutent pas des personnes ayant été condamnées, même à une peine inférieure à deux ans. Suite à un accord avec la Chancellerie, nous aurons accès au bulletin n° 2 comme au bulletin n° 3, ainsi qu'au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes, qui va très au-delà, puisque même des personnes mises en examen et non encore condamnées y figurent. Cela peut engendrer quelques dommages collatéraux, notamment pour des personnes qui n'ont pas été condamnées et à qui l'on interdit d'exercer des fonctions les mettant en contact avec des mineurs, mais je crois qu'en matière de protection, nous n'avons pas le choix. Quand on sait que quelqu'un a eu un comportement de type sectaire, de type pédophile, de type violent, de type intégriste déviant, on ne peut pas prendre de risques. Au plan local, les préfets peuvent interdire par arrêté l'exercice de certaines fonctions. [...] « L'arsenal répressif a été renforcé, de même que l'information sur les antécédents judiciaires. On va dans le bon sens. On ne peut pas aller plus loin. « Pour les présidents d'association, comme pour les trésoriers ou les secrétaires généraux, l'administration peut demander à connaître le bulletin n° 2. Cela dit, la société fait tout pour réinsérer les personnes condamnées. On voit parfois d'anciens détenus, condamnés pour des actes criminels, qui deviennent professeurs, sociologues, psychologues, chefs d'entreprise. Tout le monde dit bravo, on les invite à la télévision. On ne peut pas non plus leur interdire de fonder une association qui s'occuperait des jeunes, pour autant que l'infraction qui leur avait été reprochée n'ait rien à voir avec la santé des jeunes. Ce qui compte, c'est le rapport entre l'antécédent judiciaire de la personne et l'objet social de l'association. [...] « (Le fichier des mesures administratives d'interdiction) est consultable. En principe, les organisateurs sont tenus de le consulter. Un professeur d'école qui souhaite emmener ses élèves en colonie de vacances pour quinze jours est tenu de consulter le fichier des interdits, que nous alimentons en permanence. » Si la durée de validité des agréments jeunesse et éducation populaire est sans limitation de durée, ceux-ci prennent toutefois fin s'ils n'ont pas été renouvelés, dans des délais qui varient suivant leur date de délivrance. L'agrément sports est conféré sans limitation de durée mais peut être retiré notamment pour atteinte à l'ordre public ou à la moralité publique ou méconnaissance des règles d'hygiène et de sécurité. À ce jour aucun retrait d'agrément pour abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de faiblesse n'a été prononcé sur la base de l'article 223-15-2 du code pénal. S'agissant de la réglementation de la protection des mineurs lors de congés dans des modes collectifs d'accueil relevant du code de l'action sociale et des familles, elle est appelée à être renforcée puisque l'obligation de déclaration de l'accueil des mineurs, prévue à l'article R. 227-2 du code de l'action sociale et des familles a vocation à jouer désormais dès la première nuit. M. Étienne Madranges a rappelé par ailleurs, lors de son audition, les conditions dans lesquelles étaient effectués les contrôles par les agents du ministère de la jeunesse et des sports : « M. le Président : À ce propos, combien de contrôles de centres de vacances et de loisirs sont-ils effectués chaque année par les services départementaux ? « M. Étienne MADRANGES : Nous avons en moyenne deux inspecteurs de la jeunesse et des sports - l'un se concentrant plutôt sur le champ jeunesse, l'autre sur le champ sport -, en plus du directeur départemental, qui est lui-même, dans 95 % des cas, un inspecteur de la jeunesse et des sports. On peut dire que, en été, un ou deux inspecteurs parviennent à inspecter deux ou trois centres de vacances par jour, sachant que les trois quarts des séjours ont lieu durant l'été. « D'autre part, certains départements accueillent plus de centres de vacances que d'autres : le Morbihan, les Côtes-d'Armor, la Savoie, la Haute-Savoie, la Corse, l'Ardèche. Des départements comme la Seine-et-Marne accueillent au contraire peu de centres de vacances. « J'ajoute que les inspecteurs ne contrôlent pas uniquement les centres de vacances. Ils contrôlent également les stages BAFD. Ils devraient aussi contrôler - mais ils n'en ont pas toujours le temps - les stages BAFA. « M. le Président : Des contrôles sont-ils exercés sur les personnels non titulaires d'un brevet d'animateur ? « M. Étienne MADRANGES : Oui. Le contrôle porte sur le séjour et l'ensemble de l'encadrement. Dans les centres de vacances, le directeur doit être titulaire du BAFD ou être stagiaire BAFD. La moitié des animateurs doivent être titulaires complets du BAFA, 30 % devant être au moins stagiaires BAFA. Seuls 20 % des animateurs peuvent ne pas être titulaires du brevet, et les inspecteurs les contrôlent aussi. Ils peuvent évidemment demander au directeur de se séparer d'un animateur qui serait incompétent. « N'oublions pas que les inspecteurs ont une arme efficace : la menace de la fermeture. D'autre part, à une certaine époque, les centres n'avaient pas à être déclarés dès lors qu'ils accueillaient moins de onze jeunes. Après que six adolescents, un jeune de vingt ans et une monitrice ont trouvé la mort dans l'incendie d'un centre équestre à Lescheraines, nous avons analysé ce drame pour voir comment il était possible d'améliorer la réglementation. Désormais, les contrôles pourront se faire à compter de la première nuit et non plus de la sixième nuit. Tous les séjours courts, fussent-ils d'une seule nuit, donneront lieu à une déclaration jeunesse et sports. S'il y a danger en raison de la présence de foin ou de l'absence d'extincteur, ce danger existe dès la première nuit. » Ces actions à l'échelon central sont relayées au niveau local. c) Les correspondants régionaux des ministères - Les référents « Parquet » Par une circulaire du 1er décembre 1998, le ministre de la Justice décidait de l'institution, au sein de chaque parquet général, d'un référent chargé de coordonner au plan régional : l'identification des mouvements sectaires ; la détermination des procédures - pénale ou civile -, qui peuvent éventuellement être ordonnées à l'encontre de ces derniers dont notamment les procédures d'assistance éducative, lorsque des mineurs sont impliqués ; le choix, lorsqu'une procédure pénale doit être engagée, de la qualification pénale la plus appropriée. Dressant le bilan des huit années de fonctionnement de ces référents, M. Jean-Olivier Viout a estimé que trop de temps et d'énergie intellectuelle ont été consacrés « à définir la notion de secte, pensant que cette définition était le préalable à toute politique d'action, [...] à lister des groupes pouvant être classés comme sectes à travers la définition de leur objet »(237). À partir du moment où les magistrats ont admis que la lutte contre les dérives sectaires devait être menée au niveau du contrôle des pratiques, le rôle du parquet et par conséquent, celui du magistrat référent qui en est issu, sont devenus essentiels ; « c'est en effet, à travers la sanction des pratiques répréhensibles que l'on pourra s'attaquer à la secte considérée comme secte dangereuse, abstraction faite de ses idées, parce qu'elle apparaît comme une structure organisée, quel que soit son objet ou son mode de fonctionnement, dont les activités sont génératrices d'actes manifestement attentatoires aux libertés individuelles, appréciés en considération de l'âge, du niveau intellectuel et du profil psychologique de celui qui en est victime » (238). Dès lors, le magistrat référent doit jouer un rôle pivot dans les échanges d'informations car c'est par leur recoupement et leur entrecroisement que peuvent être mises en évidence les dérives de tel ou tel groupement. La commission d'enquête jugeant indispensable qu'ils recueillent le plus grand nombre d'informations possibles souhaite que les référents parquet puissent : - nouer des contacts étroits avec les services déconcentrés de l'État (renseignements généraux, DDASS, inspections d'académie...) et avec les associations reconnues qui luttent contre les dérives sectaires ; - communiquer ces informations aux juges des enfants, aux juges aux affaires familiales intéressés ainsi qu'à la mission de lutte contre les sectes créée au sein de la direction des affaires criminelles et des grâces ; - collaborer avec la MIVILUDES pour croiser leurs informations avec celles que cette dernière pourrait détenir et en informer chacun des parquets de son ressort territorial. La commission d'enquête invite le garde des Sceaux à actualiser la circulaire du 1er décembre 1998 en ce sens. - Les autres correspondants ministériels régionaux · Au niveau de l'académie, un correspondant de la cellule chargée de la prévention des phénomènes sectaires dans l'éducation est désigné par le recteur. Chargé de seconder les inspecteurs d'académie-directeurs des services départementaux de l'éducation nationale sur cette prévention, ledit correspondant peut animer des séances de formation initiale et continue au sein des instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM) et intervenir dans la formation initiale des personnels d'encadrement. Il remplit sa mission « en plus de (ses) tâches normales »(239). · Au sein de chaque direction régionale du ministère de la santé et des solidarités, un correspondant du chargé de mission pour la coordination, la prévention et le traitement des dérives sectaires a été nommé. Ces soixante-cinq personnes vont être appelées, en 2007, à travailler ensemble sur le programme d'actions qui a été défini devant la commission d'enquête par M. Érik Rance, conseiller au Cabinet du ministre de la santé et des solidarités (240). · Un réseau de cent correspondants a été mis en place par le ministère de la jeunesse, des sports et de la vie associative, dans ses services déconcentrés. Se tenant en liaison constante avec la cellule de vigilance du ministère, ils participent aux réunions des cellules départementales de vigilance et sont en contact avec les associations locales de défense des familles et de l'individu. Ces correspondants vont, par ailleurs, au niveau local se rencontrer, échanger leurs informations ou coordonner des actions communes en participant aux réunions des cellules départementales de vigilance dont ils sont membres. Par une circulaire du 7 novembre 1997, le ministre de l'intérieur indiquait aux préfets qu'il leur revenait d'appeler l'attention de tous les services déconcentrés des administrations de l'État sur la vigilance dont ils devaient faire preuve à l'égard des dérives sectaires, de systématiser les échanges d'information entre ces services et de coordonner leurs actions. Par une circulaire du 20 décembre 1999, il leur demandait d'instituer, contre les phénomènes sectaires, des cellules de lutte dont la composition devait comprendre les membres des services déconcentrés de l'État et associer les autorités judiciaires et la mission interministérielle de lutte contre les sectes (MILS). L'installation de ces cellules de vigilance s'est faite progressivement : 11 avant 1999 (préexistant à la circulaire), 34 en 2000, 44 en 2001, 46 en 2002, 56 en 2003, 69 en 2004 et 88 en 2005. La lecture des comptes-rendus des réunions des cellules de vigilance permet de constater le rôle actif des services de police et de gendarmerie (qui présentent « l'activité » sectaire dans le département), des directions chargées des questions sociales ou de la solidarité, des conseils généraux et des représentants du monde associatif : Union départementale des associations familiales, associations de défense des familles et de l'individu, Centre contre les manipulations mentales. Si une priorité est accordée à la prévention (désignation de personnes référentes au sein des administrations, actions de sensibilisation du public et des personnels concernés, contrôle de l'obligation scolaire, vigilance pour l'agrément des centres de loisirs et des organismes de formation, surveillance d'associations satellites de mouvements sectaires...), une action plus répressive se manifeste dans la recherche de toutes les infractions qui pourraient être imputées à certains mouvements (travail dissimulé, atteintes à l'environnement par des projets de construction, non-conformité de locaux aux règles d'accueil du public...). Les travaux des cellules de vigilance sont une source d'information pour la MIVILUDES qui peut ainsi surveiller certains des mouvements les plus pérennes ou déceler de nouvelles dérives et avoir, par là même, une meilleure réactivité. En outre, leur fonctionnement a permis de renforcer sensiblement l'échange d'informations et la coordination des actions entre les différents partenaires. Or, par décret n° 2006-665 du 7 juin 2006 relatif à la réduction et à la simplification de la composition de diverses commissions administratives, les cellules de vigilance ont perdu leur originalité et leur identité car elles ont été intégrées au sein d'entités plus vastes et quelque peu « fourre-tout » : les conseils départementaux de prévention de la délinquance, d'aide aux victimes et de lutte contre la drogue, les dérives sectaires et les violences faites aux femmes(241). Les effets négatifs de cette réforme ont été perçus par Mme Catherine Picard, présidente de l'Union nationale des associations de défense des familles et de l'individu : « Lorsqu'elles sont actives, elles sont très souvent des cellules d'enregistrement : un tour de table permet à chaque service de l'État d'exposer la situation. Soit on en reste au tour de table et il ne se passe rien : chacun retourne travailler dans son coin ; soit on y évoque également la toxicomanie ou la prévention de la délinquance, auquel cas le sujet des sectes peut être totalement noyé »(242). À ces critiques, M. Jean-Olivier Viout, procureur général près la cour d'appel de Lyon, a ajouté qu'une telle cellule « est trop formelle pour ne pas dire formaliste. Au cours du conseil départemental de sécurité, il y a un volet sectaire [...] et j'ai demandé au représentant des renseignements généraux de faire le point sur la situation dans ce domaine. Cette question est rapidement abordée mais elle l'est au niveau des structures [...] Cela reste assez formel. »(243) À l'inverse, M. Stéphane Fratacci, directeur des libertés publiques et des affaires juridiques au ministère de l'intérieur voit dans cette réforme un renforcement du dispositif existant, puisque cela a été « l'occasion de placer à l'échelon réglementaire ce qui n'était prévu que par une circulaire » et que « certaines des questions sensibles peuvent être traitées par des groupes de travail restreints, ce qui peut favoriser le partage d'informations entre les différents acteurs publics au sein de ces instances qui, en étant plus resserrées, favorisent peut-être la réactivité » (244). L'analyse des termes du décret conduit toutefois à nuancer peut-être cette dernière appréciation. À l'exception de son intitulé, qui vise parmi d'autres préventions, la lutte contre les dérives sectaires, cette dernière n'est pas expressément visée dans les compétences attribuées au nouveau conseil départemental. En outre si sa composition comprend des « représentants d'associations, établissements ou organismes et des personnes qualifiées oeuvrant dans (ces) domaines », le délégué régional de la MIVILUDES n'est pas mentionné en tant que tel. Le caractère diffus du phénomène sectaire et les particularités propres de ses dérives requérant une approche spécifique, il est à craindre que les préfets ne lui accordent pas toute l'attention nécessaire, qu'ils privilégient essentiellement la lutte contre la délinquance et celle contre la drogue et qu'ils relèguent au second plan la lutte contre les dérives sectaires. Par ailleurs, l'engagement des services de l'État dans cette lutte devient plus difficile à mesurer et à contrôler. Par conséquent, la commission d'enquête préconise une modification du décret du 7 juin 2006 précité. Cette dernière devrait aboutir à ce que : - chaque conseil départemental crée un groupe de travail consacré aux dérives sectaires et comprenant parmi ses membres, le représentant de l'État dans le département ou un de ses délégués, un représentant du Conseil général, le délégué régional de la MIVILUDES, le référent parquet de la cour d'appel, les correspondants « sectes » des ministères intéressés, des représentants des associations visées à l'article 2-17 du code de procédure pénale ; ce groupe se réunirait au moins deux fois par an et rendrait compte de ses travaux au conseil départemental ; - le conseil départemental se réunisse au moins une fois par an sur un ordre du jour dont l'objet exclusif serait la lutte contre les dérives sectaires. b) Les correspondants régionaux de la MIVILUDES Dans son rapport d'activité 2003, la MIVILUDES proposait la désignation, dans chaque préfecture de région, d'un correspondant chargé d'animer et de coordonner les actions en région telles : la diffusion des informations, la confection des plans de formation des agents publics, la gestion des situations qui déborderaient le cadre départemental et l'animation, en veillant notamment à la tenue des réunions des cellules de vigilance départementales et des groupes de travail thématiques. Réunis à Paris, le 8 décembre 2004, les correspondants régionaux ont pu établir un premier bilan de leurs activités : définition d'un nouveau secteur à risques (le domaine des activités sportives), observation d'une meilleure coordination des services déconcentrés de l'État dans certaines régions (Île-de-France, Limousin, Lorraine, Pays de la Loire, Rhône-Alpes) et constatation d'une relance de l'activité des cellules départementales de vigilance. La mobilisation constante des parlementaires et l'implication forte des pouvoirs publics dans la lutte contre les dérives sectaires ont porté indéniablement leurs fruits. Divers témoins entendus par la commission d'enquête ont affirmé que la législation française était « complète et solide » (245), qu'il n'était pas nécessaire d'imaginer un arsenal législatif spécifique au cas des enfants victimes mais qu'il convenait de rendre plus pertinent et plus efficace l'arsenal existant (246). En dépit des avancées législatives incontestées de ces dernières années et de la mise en place d'une politique de lutte interministérielle, ministérielle et régionale, force est de constater que des failles perdurent. Celles-ci sont perceptibles dans plusieurs domaines : la sensibilisation des administrations aux problèmes sectaires ; la procédure de reconnaissance du statut d'association cultuelle ; les mécanismes du contrôle éducatif et l'absence de contrôle des activités des psychothérapeutes. A. UNE SENSIBILISATION INSUFFISANTE DES ADMINISTRATIONS 1. Un défaut d'analyse et de mesure des dérives sectaires a) Des défaillances dans le traitement des signalements Outre l'absence de statistiques fiables et précises sur le nombre des enfants victimes de dérives sectaires il est apparu, au cours des auditions, que la dimension « sectaire » d'une dérive reconnue en tant que telle, faisait rarement l'objet d'un traitement particulier. Les cas les plus flagrants sont ceux de l'Institut national d'aide aux victimes (INAVEM) et de l'Éducation nationale. Soulignant devant la commission d'enquête qu'entre 2002 et 2006, le nombre des appels reçus par le service « 08 VICTIMES »(247) a augmenté de 167 % alors que dans le même temps, les appels relatifs à une problématique sectaire se sont amplifiés cinq fois plus (soit 910 %), Mme Armelle Tabary, directrice de l'INAVEM, s'est elle-même déclarée « surprise de cette évolution » qu'elle a découverte en préparant son audition. Un tel accroissement ne pouvait pas être constaté en tant que tel par ses services car si « le cahier des charges de « 08 VICTIMES » identifie un nombre très important de critères et d'items : catégorie socioprofessionnelle, âge, résidence, etc., pour autant l'item "phénomène sectaire" n'est pas présent ». Seule l'analyse de l'orientation des appels vers les structures d'aide aux victimes de dérives sectaires (Union nationale des associations de défense des familles et de l'individu et Centre de documentation, d'éducation et d'action contre les manipulations mentales) a pu permettre de faire émerger le phénomène (248). Il est donc à souhaiter qu'ayant aujourd'hui constaté que l'INAVEM constituait « un observatoire national » et qu'il disposait d'un certain nombre d'éléments d'information, ses dirigeants décident de créer un appareil statistique sur le sujet et qu'ils en communiquent périodiquement les résultats à la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires. De nombreux témoins ont dénoncé la pression psychologique qui pèse sur les enfants Témoins de Jéhovah, scolarisés dans les écoles publiques et auxquels on demande « d'apprendre et de réciter quelque chose en quoi on leur dit de ne pas croire (...) Leur situation est encore plus dramatique que ceux qui évoluent dans une école fermée » (249). Qualifiant cette obligation constante de dissimulation de « pression considérable », M. Emmanuel Jancovici (250) a déploré les conséquences qu'elle entraîne sur la santé mentale de ces enfants, tout comme M. Nicolas Jaquette (251). Or, pour l'éducation nationale, les enfants Témoins de Jéhovah « sont des élèves "parfaits". Ils sont parfaitement disciplinés, ils travaillent, ce n'est pas avec eux que l'on va avoir des problèmes » (252). Dès lors, même si les professeurs sont sensibles au conflit de loyauté qui déchire ces enfants entre l'école et leur foyer, ils ne savent pas comment procéder et n'étant pas sûrs de la présence d'un danger réel, ils ne font aucun signalement au Parquet (253). Il convient donc d'espérer que dans le cas où l'article 5 du projet de loi sur la réforme de la protection de l'enfance (AN, n° 3184) serait adopté (254), ils se sentiront plus facilement incités à apporter leurs témoignages aux services sociaux du département. b) Des monographies peu nombreuses L'absence d'analyses sur le phénomène sectaire est également évidente sur le plan sociologique, ainsi que le mentionnait la MIVILUDES, dans son rapport 2003 (p. 6). Mis à part quelques ouvrages de spécialistes reconnus et de nombreuses biographies de sortants de sectes, aucune étude d'importance n'a été lancée par les pouvoirs publics sur le sujet, aucune synthèse des quelques éléments d'information détenus par chaque ministère n'a été publiée, le défaut de monographie étant particulièrement notoire pour la population la plus nombreuse, les enfants Témoins de Jéhovah. c) Des manques de réactivité dans le champ de la santé L'absence de réponses claires et précises aux dangereux comportements et aux fausses allégations de différents mouvements caractérise plus spécifiquement le champ de la santé. Il paraît anormal de laisser se développer la pratique des thérapies non éprouvées telles celles qui ont été dénoncées supra, sans les faire aucunement expertiser ou en se contentant d' « indiquer que telle ou telle pratique ne figure pas dans le code de la santé publique, qu'elle est exercée hors de tout encadrement et que le cas échéant, elle est l'objet de mises en garde de la part de la MIVILUDES et/ou d'associations de lutte contre les dérives sectaires et les dérives thérapeutiques ». En apportant cette réponse au questionnaire qui lui a été adressé par la commission d'enquête (255), le ministère de la santé ne précise pas quels sont les destinataires de telles mises en garde ni si ces dernières font l'objet d'une publicité suffisante, ce qui ne semble pas être le cas. Ce même ministère ne fait pas non plus la preuve d'une extrême réactivité à la campagne qui, menée début 2005 par les Témoins de Jéhovah contre la transfusion sanguine, consiste en une diffusion, auprès des médecins hospitaliers, d'un DVD dont la réalisation, reconnaît la MIVILUDES (256), n'a pas manqué de moyens : reportage relatif aux alternatives à la transfusion sanguine sur l'ensemble des champs médicaux, démonstration par des équipes les pratiquant et collaboration de praticiens s'associant à la production du DVD. Si « une note de mise en garde sur ce DVD, cosignée par la Direction générale de la santé et par la Direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins, a été adressée en avril 2005 aux instances et aux réseaux chargés de l'exercice et de la surveillance de la transfusion sanguine », l'expertise des documents remis par les Témoins de Jéhovah (DVD et documents écrits) « est en cours de réalisation ». C'est pourquoi, la commission d'enquête constatant le retard de près de deux ans mis pour clarifier une situation qui perturbe certains membres du personnel hospitalier, a saisi l'Académie nationale de médecine et la Haute autorité de santé d'une demande d'analyse dudit DVD. Dans sa réponse en date du 8 décembre 2006, le professeur Jacques-Louis Binet, secrétaire perpétuel de l'Académie nationale de médecine (257), dénonce l'absence de caractère scientifique du DVD et notamment l'oubli par ce dernier de l'indication thérapeutique de l'érythropoïétine (258). Il ajoute qu'à l'heure actuelle les méthodes alternatives à la transfusion sanguine reconnues sont « des stratégies d'épargne des hématies ou des plaquettes » et qu'il n'existe pas pour le moment d'autres méthodes car « la production ex-vivo de cellules sanguines en est à l'état de recherche et la découverte de substituts reste décevante ». De même, par lettre du 11 décembre 2006, M. François Romaneix, directeur de la Haute autorité de santé (259) précise que « seules les conséquences en terme d'épargne transfusionnelle sont présentées sans décrire et discuter les limites, voire les risques, les indications et les contradictions de chacune d'elles » et il critique quelques points médicaux saillants présentés dans le DVD : seuil d'hémoglobinémie, seuil transfusionnel, utilisation précoce de l'érythropoïétine... Quant au Conseil national de l'ordre des médecins, interrogé par votre rapporteur sur le nombre et le type de sanctions disciplinaires qu'il avait éventuellement déjà prononcées contre des professionnels ayant basculé dans des dérives sectaires en pratiquant une médecine dite parallèle, il a envoyé un dossier de documents bruts - décisions ordinales et jurisprudentielles - dont il est impossible de savoir s'il est ou non exhaustif et qui ne contient pas la moindre analyse statistique ou qualitative de ces informations. Il convient à ce propos de noter que sur ce problème inquiétant des risques induits par des pratiques de soins non éprouvées(260), M. Didier Houssin (261) reconnaissait devant la commission d'enquête : « Notre attention vis-à-vis des médecines non conventionnelles, et donc des liens qu'elles peuvent avoir avec les dérives sectaires, n'est peut-être pas à ce jour suffisante ». Il s'engageait, par conséquent, « à développer avec les partenaires appropriés, des outils de veille et d'analyse susceptibles de favoriser d'une part, la détection des pratiques délictueuses et l'engagement de poursuites à leur encontre et d'autre part, à terme, d'informer le public sur les dangers pour la santé, de certaines pratiques non conventionnelles à visée thérapeutique ». Cet engagement a effectivement été repris par M. Xavier Bertrand, ministre de la santé et des solidarités, dans la lettre qu'il a adressée à la commission d'enquête, le 9 novembre 2006 : « J'ai demandé à mes services de constituer une cellule d'analyse des pratiques non conventionnelles intervenant dans le domaine médical et paramédical. Ce travail s'effectuera en lien avec les sociétés savantes et les instances d'expertise placées auprès du ministère de la santé. »(262) d) La faible implication du ministère des affaires étrangères Dans la mesure où elle n'est partagée que par un petit nombre d'États, nos diplomates se doivent d'expliquer à l'étranger la politique française en matière de lutte contre les dérives sectaires. Si cet exercice est difficile c'est aussi en raison de l'absence de toute structure dédiée à ce problème au sein du ministère des affaires étrangères. En effet à la différence des ministères précédemment cités, aucun chargé de mission, aucune cellule de vigilance n'assurent une veille sur le phénomène sectaire. Aucune structure ne coordonne les politiques des différentes directions pouvant être confrontées au problème, ne définit des directives, des actions ou des formation à destination des personnels du ministère. Les effets de cette carence sont particulièrement visibles dans le traitement des cas des enfants « envoyés dans des pays étrangers, parfois lointains, pour y être confiés à des gourous » (263) aux doctrines desquels leurs parents adhèrent. Il en est de même pour les familles rejoignant à l'étranger un groupement dont les dérives sectaires sont moins surveillées et réprimées qu'en France. Interrogée par le président de la commission d'enquête et par votre rapporteur, sur le suivi et l'assistance par les services consulaires des enfants français soumis à l'étranger à des dérives sectaires, Mme Françoise Le Bihan (264), directrice adjointe du service des Français à l'étranger et des étrangers en France, au ministère des affaires étrangères, a indiqué que ces derniers ne se saisissaient de tels cas que dans la mesure où ils faisaient l'objet de signalement (soit, deux affaires, à l'heure actuelle) car « Il faut bien partir d'un signalement : il ne nous est pas possible de faire le tour de tous les lieux de vie dans le monde ». Elle a ensuite précisé que la sensibilisation des consuls au phénomène sectaire « relevait de la formation générale. Avant de partir en poste, chacun sait qu'il doit apporter protection et assistance aux ressortissants français à l'étranger, cela va de soi ». Considérant que le service des Français à l'étranger et des étrangers en France au ministère des affaires étrangères a pour mission d'assurer un suivi de tous les ressortissants français demeurant à l'étranger, et non pas de ceux là seuls qui prennent directement contact avec les services consulaires ou qui font l'objet d'un signalement, la commission d'enquête recommande : - qu'une circulaire sensibilise les agents du ministère, en poste à l'étranger aux risques des dérives sectaires ; - qu'un correspondant ministériel soit chargé de la mission de suivre ces problèmes au sein du ministère et de proposer des politiques d'action, de formation et d'information. 2. Un maillage partiel du territoire Définies, supra, comme un dispositif essentiel permettant « de favoriser les échanges d'information entre les services déconcentrés de l'État, d'éviter les risques d'émiettement de l'État, d'informer et de renseigner les pouvoirs centraux (...) et de prévenir les risques »(265), les cellules départementales de vigilance ne sont toutefois pas un moyen d'action prioritaire pour un grand nombre de départements, puisque seuls un peu plus de 30 départements les ont réunies en 2004 (35 sur 69 cellules existantes) et 2005 (34 sur 88 cellules existantes). Cette faible mobilisation provient du fait que certains préfets estiment que leur département n'étant que très faiblement touché par des phénomènes sectaires, ces réunions sont jugées inutiles, alors que d'autres considèrent qu'un tel problème ressortissant à la sécurité publique doit être traité dans le cadre de la conférence de sécurité départementale. En 2005, l'étude de la carte des cellules réunies au cours de l'année, comporte des évolutions intéressantes mais inexpliquées par rapport à la carte de 2003 et à l'implantation des mouvements présentant des dérives sectaires ; on constate en effet un développement de ces derniers dans la partie sud de la France, dans les zones frontalières et dans le sillon rhodanien. Or, si le Sud-Ouest, à l'exception des Pyrénées-Orientales, s'est mobilisé (gagnant l'Aude, le Gers, les Landes et le Lot-et-Garonne mais perdant l'Aveyron et le Tarn-et-Garonne), dans le Sud-Est, la situation s'est maintenue telle quelle avec deux variations : le département des Alpes-de-Haute-Provence a réuni sa cellule de vigilance en 2005 contrairement à 2003 et celui des Bouches-du-Rhône n'a pas réuni sa cellule de vigilance, à la différence de ce qui avait été fait en 2003(266). S'agissant des zones frontalières du Nord et de l'Est de la France, seuls le Nord et la Meuse ont réuni leur cellule de vigilance en 2005, alors qu'en 2003, l'Aube, le Bas-Rhin, la Haute-Marne, la Meurthe-et-Moselle, la Moselle et les Vosges les avaient réunies périodiquement. Quant aux départements ruraux où se développent souvent des microgroupes à caractère sectaire, ils n'ont pas pour la plupart, réuni leur cellule de vigilance en 2005. Cette absence de réunion se constate également sur la façade atlantique (à l'exception de la Loire-Atlantique et de la Vendée), en Bretagne, dans le Nord et dans la Somme. Le maillage du territoire par les cellules de vigilance se révèle donc extrêmement partiel, malgré les volontés expresses du ministère de l'intérieur et du Premier ministre et en dépit des efforts déployés par les correspondants régionaux de la MIVILUDES pour encourager leur création et leur action. De fait, lorsqu'elles possèdent une dynamique propre et qu'elles se réunissent de façon régulière, les cellules jouent un rôle fondamental dans la détection des nouveaux groupes pouvant présenter un risque de dérives sectaires, dans la surveillance des groupes déjà repérés et dans la motivation des administrations pour effectuer des contrôles, des recherches et des inspections. Leur présence doit donc être maintenue et leurs activités doivent se développer sur l'ensemble du territoire, en dépit de leur remplacement par les conseils départementaux de prévention de la délinquance, d'aide aux victimes et de lutte contre la drogue, les dérives sectaires et les violences faites aux femmes (267). 3. Un manque de suivi et de coordination Dans le domaine des politiques qui peuvent être définies pour protéger les mineurs des dérives sectaires de certains mouvements, trois interlocuteurs principaux doivent coordonner leur action et assurer le suivi de cette dernière : les associations, l'État et les départements. Cette coordination semble toutefois connaître quelques difficultés, dénoncées par plusieurs des témoins entendus par la commission d'enquête, au nombre desquels M. Philippe-Jean Parquet : « S'agissant de la coordination entre les différents acteurs, il est clair que nous avons affaire à un merveilleux désordre. Nous voyons bien ce qu'il en est du sanitaire, de la justice, de l'éducation. Cela s'explique, me semble-t-il, par le fait que nous ne nous appuyons pas sur une vision partagée par tous les acteurs. Il faudrait que nous admettions tous qu'une seule vision est efficace, celle qui consiste à dire que les dommages constituent la seule porte d'entrée d'une politique solide. »(268) Les associations de défense des individus contre les dérives sectaires sont nombreuses : à côté des associations « généralistes » telles que l'Union nationale des associations de défense de la famille et de l'individu (UNADFI), le Centre de documentation, d'éducation et d'action contre les manipulations mentales (CCMM) (269), le « 08 VICTIMES », l'association de l'enfance en danger, l'association « Attention, enfants »... de multiples associations se créent, bien souvent à l'initiative de parents dont l'enfant est ou a été victime d'une dérive sectaire bien précise (les faux souvenirs induits, les enfants déplacés en Europe, les psychothérapies abusives et déviantes...) ou d'un mouvement spécifique (associations de victimes de la Scientologie, des victimes des Frères exclusifs...). Si toutes ces associations accomplissent quotidiennement un travail efficace de soutien et de conseils aux victimes des dérives sectaires et à leurs parents, d'information voire d'incitation des pouvoirs publics, plusieurs témoins ont toutefois regretté devant la commission, le manque de coordination prévalant entre elles. M. Michel Gilbert, président du Réseau parental Europe, a, par exemple, souligné que des efforts étaient encore à faire « pour que toutes les associations de terrain concernées puissent réellement collaborer et que les interlocuteurs privilégiés en matière de prévention et d'information sur les dérives à caractère sectaire puissent travailler en cohésion. » Puis, établissant un parallèle avec le traitement par les organisations sectaires de toute information qui « sitôt qu'elle arrive part en un instant dans toutes les ramifications », il a regretté que du côté associatif « les informations remontent bien souvent difficilement là où elle seraient les plus utiles »(270). Par ailleurs, lorsque des informations sont transmises d'une association à une autre, il n'y a pas de retour sur les suites éventuelles qui leur ont été données ainsi que l'a remarqué Mme Armelle Tabary, directrice de l'Institut national d'aide aux victimes (INAVEM) : « Le 08 VICTIMES est généraliste dans la mesure où il prend en compte toutes les victimes, le relais étant assuré, pour leur prise en charge par le réseau national des associations d'aide aux victimes. (...) Mais pour le moment, nous n'avons pas de retour concernant cet appel (...) Il n'y a pas de mutualisation de nos informations. Ce serait sans doute très précieux. » (271) S'inspirant d'une suggestion de Mme Homayra Sellier, présidente de l'association « Innocence en danger »(272), la commission d'enquête propose qu'à l'image des réunions que le ministère de l'intérieur organise avec les associations de protection des victimes, la MIVILUDES prenne l'initiative de réunir au cours d'une journée de réflexion qui pourrait être annuelle, les associations participant à la lutte contre les dérives sectaires, les magistrats, les victimes et les parents de victimes. Outre le contrôle éducatif trop lâche, dénoncé infra, plusieurs dysfonctionnements apparaissent dans le domaine des agréments de certains centres de vacances et de loisirs des jeunes. Par ailleurs les parquets semblent rencontrer des difficultés pour recueillir des signalements d'enfants en danger. Pour tout établissement accueillant des jeunes afin de leur proposer des loisirs ou leur faire passer des vacances, des procédures précises et efficaces d'agrément et de contrôle sont diligentées par le ministère de la jeunesse, des sports et de la vie associative (273). Mais lorsqu'elles proposent des activités éducatives, ces institutions doivent obtenir un second agrément délivré par le ministère de l'éducation nationale. Or, la coordination entre les représentants des deux ministères, est loin d'être totale. Décrivant le problème en ces termes : « On a parfois l'impression qu'il s'agit de deux États souverains qui ne communiquent pas entre eux » (274), M. Jean-Michel Roulet a appelé de ses vœux la publication d'une circulaire interministérielle, qui « précise bien la complémentarité des missions des uns et des autres, afin qu'il n'y ait pas de vide juridique. » La commission d'enquête souscrivant à cette proposition, engage les ministres intéressés à rédiger, en commun, cette circulaire. Chargé de défendre les intérêts de la société, d'assurer la protection des personnes vulnérables et de veiller au maintien de l'ordre public, le ministère public n'est pas seulement une instance répressive : il est aussi un acteur de la prévention de la délinquance. Dans le domaine de la protection des mineurs, et plus particulièrement des mineurs sur lesquels un groupe souhaiterait exercer une emprise sectaire, il se doit d'être un « organe de confluence des signalements, de tous les indices propres à alerter sur la situation de mise sous influence » ainsi que l'a rappelé M. Jean-Olivier Viout(275). Pour ce faire, tout parquet se doit « d'être un demandeur exigeant d'informations et, une fois en possession de ces informations, de faire preuve de réactivité et d'efficacité, par l'activation, tout d'abord, d'un pool d'enquêteurs, plus propre à évaluer la consistance du signalement, le poids de la suspicion dans de brefs délais permettant l'ouverture rapide d'une mesure d'assistance éducative pour soustraire le mineur à l'influence du groupe sectaire »(276). Toutefois, destinataire de telles informations, le parquet doit apprendre à en évaluer l'importance et dans les cas les plus graves, à engager, sans délai des poursuites. Or, tel n'est pas toujours le cas et la commission d'enquête déplore à ce propos, l'inaction du ministère public de Mulhouse à la suite de la plainte de l'inspecteur de l'éducation nationale qui, chargé de contrôler l'école privée gérée par le mouvement Tabitha's Place, s'est vu « claquer la porte au nez »(277). Partageant le souci d'une intensification de l'information du ministère public, la commission d'enquête recommande que soient désormais communiqués aux parquets, tous les signalements d'absentéisme scolaire, de troubles ou anomalies constatés par la médecine scolaire ainsi que les signalements de risques de maltraitance qui, parvenus au « 119 Allô, enfance maltraitée », pourraient être en lien avec une dérive sectaire. Notamment chargés des services de l'aide sociale à l'enfance et des services d'action sociale, les conseils généraux ont un rôle essentiel dans la prévention des dérives sectaires qui pourraient s'exercer sur des enfants que leurs services confieraient à des assistants familiaux ou à des parents adeptes de mouvements sectaires. Aux termes des articles L. 421-2, L. 421-3 et D. 421-13 du code de l'action sociale et des familles, un assistant familial, « personne qui moyennant rémunération accueille habituellement et de façon permanente des mineurs et des jeunes majeurs de moins de vingt ans à son domicile », doit, pour exercer sa profession obtenir un agrément qui, délivré par le président du conseil général du département où il réside, est accordé pour une durée de cinq ans. Les conditions d'obtention de l'agrément viennent d'être modifiées par le décret n° 2006-1153 du 14 septembre 2006. Au nombre de ces conditions, l'article R. 421-3 du code précité - reprenant les termes de la réglementation précédente - exige que le candidat présente notamment « les garanties nécessaires pour accueillir des mineurs dans des conditions propres à assurer leur développement physique, intellectuel et affectif ». Il convient, néanmoins de constater que cette obligation n'empêche pas certains services sociaux départementaux de confier des enfants à des familles d'accueil adeptes de mouvements connaissant des dérives sectaires, ce qui peut conduire à des situations dramatiques telles celles relatées devant la commission d'enquête par Mme Catherine Picard (une jeune fille au sein d'une famille d'accueil Témoin de Jéhovah, tente de se suicider après avoir été victime d'abus sexuels de la part du mari)(278) et par Mme Sonya Jougla (un enfant sortant d'une famille d'accueil Témoin de Jéhovah, met le feu chez l'avocat qui l'avait adopté en lui disant qu'il était le démon)(279). Or, comme l'a rappelé Mme Catherine Picard « si la dimension sectaire doit être prise en compte quand il s'agit de confier un enfant à une famille », il convient de ne pas attenter à la liberté de conscience de cette dernière mais de démontrer que les doctrines préconisées à l'intérieur du groupe auquel elle appartient « sont préjudiciables à l'épanouissement de l'enfant ». Elle a par ailleurs constaté que les directeurs des directions départementales des affaires sanitaires et sociales (DDASS) « n'ont pas de positions homogènes sur l'ensemble du territoire ». Il doit ici être noté que le nouvel article R. 421-6 du code de l'action sociale et des familles précise désormais, que des entretiens préalables avec le candidat au dit agrément doivent, notamment, permettre de s'assurer « de son aptitude à la communication et au dialogue ; de ses capacités d'observation et de prise en compte des besoins de l'enfant ; de sa connaissance du rôle et des responsabilités de l'assistant familial ». S'il convient de se féliciter de l'adoption de ces nouvelles dispositions qui s'imposent à tous les directeurs de DDASS, il ne paraît pas certain que ces derniers puissent adopter une position commune sur leur application. Une difficulté identique apparaît à propos de l'agrément qu'exige l'article 353-1 du code civil pour l'adoption, plénière ou simple, d'un pupille de l'État ou d'un enfant remis à un organisme autorisé pour l'adoption. En application de l'article L. 225-2 du code de l'action sociale et des familles, un tel agrément est accordé pour cinq ans par le président du conseil général, après avis de la commission chargée d'évaluer la situation familiale du foyer demandeur, ses capacités éducatives, ses possibilités d'accueil ainsi que les conditions que présente ce foyer, sur les plans familial, éducatif et psychologique. Tout refus d'agrément doit être motivé et ne saurait « se fonder sur les croyances, les pratiques religieuses ou cultuelles du foyer (...) On doit démontrer que dans ce foyer, l'enfant ne trouvera pas les conditions nécessaires à son épanouissement. Il ne s'agit pas de prouver que les candidats à l'adoption sont adeptes de telle ou telle organisation mais que, compte tenu des pratiques qui sont les leurs, l'enfant ne pourra pas, par exemple, bénéficier des soins requis (...) L'essentiel est d'établir des faits matériels motivant un refus. » (280) Ainsi le Conseil d'État a jugé que si les intéressés ne présentaient pas de garanties suffisantes en ce qui concerne les conditions d'accueil qu'ils étaient susceptibles d'offrir à des enfants sur les plans familial, éducatif et psychologique, le président du Conseil général n'avait pas fait une inexacte application de la réglementation en leur refusant l'agrément, les intéressés ayant reconnu adhérer à la doctrine des Témoins de Jéhovah en matière de transfusion sanguine et être opposés à l'usage de cette méthode thérapeutique (281). La commission d'enquête se réjouit de la diffusion début 2007 d'un guide de la protection de l'enfance, qui doit permettre une application uniforme de la réglementation. Destiné aux « professionnels de la protection de l'enfance, notamment les personnels des conseils généraux » (282), ce guide « comprendra un chapitre sur les sectes et les précautions à prendre en la matière » (283). Souhaitant qu'une même politique soit suivie sur le territoire national et que les droits des enfants soient protégés de la même façon, dans tous les départements, elle invite le ministère de la santé et des solidarités à organiser des rencontres annuelles entre les directeurs des services d'aide sociale à l'enfance, afin d'harmoniser les procédures d'examen des demandes d'agrément des assistants familiaux et des familles adoptives. 4. Un déficit notable de formation et d'information L'efficacité de la protection dont doit bénéficier un enfant mis en danger par un risque ou par une dérive sectaires dépend, non pas tant du danger lui-même que de l'écoute et de l'attitude adoptées par les différents professionnels qui croisent alors son chemin ; elle résultera donc en grande partie de la formation ou de la sensibilisation que ces derniers auront reçues sur le sujet (284). Services départementaux de la protection de l'enfance, assistants maternels, personnels d'encadrement de la jeunesse et des sports, juges des enfants, juges aux affaires familiales, avocats, pédopsychiatres... la diversité et le nombre des personnes à former sont considérables et les moyens qui y sont affectés diffèrent sensiblement d'une profession à l'autre. Nombre de témoins entendus par la commission d'enquête, tels Mme Catherine Picard (à propos des magistrats et des personnels des services sociaux départementaux) ou Me Line N'Kaoua, (à propos des enseignants et des experts psychologues) (285), ont ainsi appelé de leurs vœux des mises en place ou des perfectionnements des formations des professionnels en charge d'enfants pouvant être victimes de dérives sectaires. Afin d'obtenir les meilleurs résultats dans ce domaine, la logique voudrait que les actions de sensibilisation au fait sectaire soient, en priorité, mises en place lors des formations initiales des intéressés plutôt qu'au cours de leur carrière. Tel ne semble pas être cependant le cas aujourd'hui. a) Des formations continues à renforcer Depuis 1998, l'École nationale de la magistrature (ENM) organise chaque année pendant une semaine, une session de formation sur les sectes au cours de laquelle « les textes visant à réprimer les dérives sectaires sont commentés et la jurisprudence examinée »(286). Elle a réuni, ces dernières années, 150 personnes : magistrats français (45) ou étrangers (30 membres du réseau européen de formation judiciaire), gendarmes (10), fonctionnaires de la police nationale (10), personnels de la jeunesse et des sports (15), de l'éducation nationale (30), et de la protection judiciaire de la jeunesse (10). Si Me Line N'Kaoua a fait valoir devant la commission d'enquête les résultats positifs d'une telle formation sur les magistrats(287), Mme Françoise Andro-Cohen, magistrate chargée de formation à l'ENM, la juge « trop globale pour être suffisante »(288). À ce reproche peut être ajouté celui du nombre réduit de personnes formées par rapport au nombre total de celles qui peuvent y prétendre. Dès lors, il convient de penser autrement la formation continue des professionnels de l'enfance. À ce titre, la proposition avancée devant la commission d'enquête par M. Michel Duvette, directeur de la protection judiciaire de la jeunesse au ministère de la justice, devrait être retenue par tous les ministères : constatant qu'il est impossible au niveau central de former les 8 200 agents de la PJJ (dont on peut rappeler qu'en huit ans, seuls 80 d'entre eux ont pu suivre la formation - précitée - dispensée à l'ENM), il s'est engagé à former et à installer « des "personnes relais" au niveau des directions régionales » lesquelles transmettront leurs connaissances par la mise en place de « journées d'information et de sensibilisation des agents à l'échelon régional ou départemental, qu'ils appartiennent au secteur public ou au secteur associatif de la PJJ »(289). Des correspondants régionaux(290) ayant déjà été nommés par les principaux ministères concernés par la protection de l'enfance (Éducation nationale, Santé, Jeunesse et sports), la commission d'enquête préconise d'inviter ces derniers à former ces correspondants de telle manière qu'ils puissent à leur tour devenir des formateurs. Dans le cas particulier du ministère de la justice, les référents sectes des parquets généraux sont tout désignés pour jouer ce rôle de formateurs auprès des magistrats de leur ressort territorial et pourraient, pour ce faire, solliciter les contributions de ceux de leurs collègues du même ressort territorial qui auraient suivi une des sessions de formation sur les sectes dispensée par l'ENM. La formation continue au phénomène sectaire ne doit pas être mise en place au seul bénéfice des agents publics. Les avocats ont pu découvrir la problématique des dérives sectaires lors d'un colloque « L'avocat face aux dérives sectaires » organisé à Paris, en décembre 2004, par le Conseil national des Barreaux avec le concours de la MIVILUDES. À cette occasion les participants ont pu saisir les différentes approches du phénomène sectaire : institutionnelle, psychologique, associative, législative et pratique. Ce genre d'initiative doit être vivement encouragé et devrait être régulièrement renouvelé sur l'ensemble du territoire. Les contentieux comportant une dimension sectaire sont en effet difficiles et demandent une véritable spécialisation, parce qu'il ne suffit pas de démontrer l'existence de cette dimension sectaire en tant que telle ; encore convient-il d'apporter la preuve du lien de causalité entre l'emprise sectaire et ses effets sur l'enfant mis en cause (preuve qu'il est souvent difficile de rapporter, en raison de la méconnaissance du phénomène sectaire par les différents experts ou enquêteurs intervenant au procès). Une autre difficulté provient du fait que, à l'inverse, les avocats des mouvements sectaires sont « très bien formés et payés (...) connaissent le mode de fonctionnement de ces audiences (de contentieux familial) et vont occuper le tiers du temps à soulever des incompétences, des irrégularités, des demandes de renvoi »(291). Les médecins, psychologues et pédopsychiatres, appelés à jouer un rôle important auprès des enfants victimes de dérives sectaires, doivent pouvoir reconnaître ces dernières pour mieux définir les recommandations qu'ils préconisent ou pour déterminer plus justement les soutiens qu'ils peuvent apporter. Témoignant à huis clos devant la commission d'enquête, une mère de famille remarquait combien « étaient désemparés » les pédopsychiatres qu'elle consultait pour son enfant marqué par des dérives sectaires. L'existence d'une formation spécifique est donc là aussi essentielle. La commission d'enquête regrette donc la disparition de l'enseignement qui, dispensé à l'université de Lyon, permettait à « des juristes, des assistants sociaux, des infirmiers, des enseignants, des médecins, des psychologues, etc. »(292) de se former, pendant un an, à la victimologie liée à la nuisance sectaire. Elle déplore par ailleurs les obstacles opposés à la mise en place de cette formation en région parisienne. Elle engage vivement les autorités responsables des universités de médecine à mettre en place de tels modules de formation. b) Des formations initiales à créer Tous les élèves se destinant à des professions liées de près ou de loin à l'enfance devraient a minima faire l'objet d'une sensibilisation au phénomène sectaire. Mais dans certains cas précis, la commission d'enquête estime nécessaire d'instituer une véritable formation sur ce sujet : sont concernés les étudiants des instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM), les étudiants des unités universitaires de formation et de recherche (UFR) de psychologie et des sciences de l'éducation, les auditeurs de justice, les avocats et les étudiants en médecine se spécialisant en médecine générale ou en psychiatrie. Après avoir noté que « le moment de la scolarité est le seul où il soit possible d'appeler et même d'obliger les jeunes à mettre en œuvre leur jugement »(293), M. Christian Decocq, membre de la commission d'enquête, s'interrogeait sur la nécessité d'une inscription « dans la formation dispensée aux futurs maîtres, au sein des IUFM d'une réflexion sur l'emprise mentale ». Cette formation apparaît indispensable pour favoriser le développement de l'esprit critique de leurs élèves. Elle doit permettre également aux enseignants de reconnaître l'existence d'une situation sectaire vécue par des jeunes qu'ils sont les seuls à côtoyer quotidiennement et qu'ils peuvent éventuellement signaler au parquet. C'est également dans une perspective de prévention que la commission d'enquête souhaite voir insérer dans le cursus des études de médecine des modules spécifiques aux phénomènes sectaires. Une telle formation « très particulière est nécessaire pour comprendre ce qu'est l'emprise mentale. Or, c'est un chapitre peu développé dans la formation médicale. Nous ne sommes pas plus de trente ou trente-cinq, en France, à être spécialisés dans ce type de pathologies induites »(294). Elle devrait être obligatoire, en fin de cursus, pour les internes ayant choisi de pratiquer en tant que généralistes ou en tant que psychiatres et être ouverte aux étudiants en dernière année de licence en psychologie. Enfin, il paraît tout à fait étonnant que l'École nationale de la magistrature n'ait jamais mis en place d'enseignement du fait sectaire pour les auditeurs de justice. Une timide ouverture s'est produite en 2005 : pour la première fois, certains élèves ont, dans le cadre d'une activité d'ouverture et de recherche, travaillé sur le thème « Protection des mineurs et phénomène sectaire ». Après avoir recueilli les données existantes, rencontré la Défenseure des enfants, des membres de la MIVILUDES, des correspondants ministériels et des magistrats, les auditeurs ont rédigé un « Guide des bonnes pratiques » destiné à tout magistrat concerné par des affaires touchant à la protection des mineurs et aux phénomènes sectaires. Une telle initiative, très prometteuse, ne doit pas rester sans suite et il est urgent d'assurer pour les prochaines promotions une véritable formation ouverte au plus grand nombre. En conclusion de ses observations relatives à la formation professionnelle, la commission d'enquête entend encourager : - la création d'un enseignement sur les dérives sectaires dans les unités de formation et de recherche de psychologie et des sciences de l'éducation et dans les IUFM ; - le développement au sein des études de médecine, des enseignements dédiés à l'emprise mentale et à la victimologie ; - l'institution d'une formation des auditeurs de justice au fait sectaire ; - la formation prioritaire des juges des enfants et des juges aux affaires familiales lors de la session annuelle de formation continue sur les sectes assurée par l'École nationale de la magistrature ; - l'organisation avec les magistrats précités, au sein de chaque cour d'appel, de rencontres semestrielles ou annuelles, présidées par le magistrat « référent sectes » ou par un membre de la MIVILUDES et au cours desquelles pourraient être confrontées les expériences de chacun ; - la mise en place par le Conseil national des barreaux de formations initiales et continues sur le fait sectaire, notamment sur la spécificité des contentieux relatifs au droit familial et au droit de la protection de l'enfance ; - la promotion des formations au fait sectaire en direction des personnels des services d'aide sociale à l'enfance. c) Une information du public insuffisante Outre les actions menées par la MIVILUDES(295), une information du public est assurée par les associations de défense des individus tant au niveau national qu'au niveau local : gestion de sites Internet comprenant des données extrêmement détaillées, publication d'une revue trimestrielle (« Bulles ») par l'Union nationale des associations de défense des familles et de l'individu (UNADFI), prévention dans les collèges et lycées avec l'agrément de l'éducation nationale et conférences dans les universités (296), tenue d'un stand au Salon de l'éducation (Centre de documentation, d'éducation et d'action contre les manipulations mentales (CCMM) - novembre 2006), conférences de presse, manifestations contre des réunions de mouvements à dérives sectaires... Pourtant, malgré toutes ces actions, malgré le retentissement des travaux des deux précédentes commissions d'enquête(297), la dangerosité du phénomène sectaire n'est bien souvent pas reconnue par un futur adepte ni par sa famille. Cette méconnaissance se révèle le plus souvent au travers des appels téléphoniques adressés à diverses associations par les intéressés, lesquels expriment souvent qu'ils « ne réalisai(en)t pas que le danger était présent dans (leur) entourage » (298). Dès lors, les efforts de prévention et d'information, notamment en direction de la jeunesse, doivent être encouragés et poursuivis, tant par les pouvoirs publics que par les associations. La commission d'enquête appelle donc de ses vœux la concrétisation prochaine de la proposition de M. Michel Duvette qui vise au lancement « d'un travail interministériel ayant pour objectif d'informer le jeune public des risques liés aux dérives sectaires. Des outils pédagogiques pourraient être construits et utilisés dans cette perspective »(299). d) Une sensibilisation aux dérives sectaires négligée dans les programmes de l'éducation nationale La question de la sensibilisation des élèves et des enseignants aux dérives sectaires n'a pas manqué d'être abordée lors de l'audition des membres de la Cellule de prévention des phénomènes sectaires du Ministère de l'éducation nationale. Si l'opportunité de ces inspections doit être saisie pour procéder à ces vérifications, elle est inséparable d'une action à mener en amont lors de la formation des élèves. Les cours d'éducation civique, juridique et sociale dispensés dans l'enseignement secondaire sont ceux qui apparaissent les plus appropriés pour assurer cette sensibilisation aux dérives sectaires. Les programmes des classes de seconde, première et terminale de ce que l'on avait coutume autrefois d'appeler l'instruction civique sont définis par arrêté(300). En classe de seconde l'accent est mis sur la dimension de la citoyenneté dans la vie en société. Au cours de la classe de première, l'attention des élèves doit être portée sur les institutions et la pratique de la citoyenneté. En classe terminale, les adolescents sont invités à analyser les exigences de droit, de justice, de liberté et d'égalité, au regard des évolutions de la société. La liberté, la responsabilité et l'éthique figurent sur la liste des thèmes à aborder. La sensibilisation aux dérives sectaires pourrait trouver toute sa place dans ces programmes d'éducation civique ainsi qu'au collège compte tenu des dangers auxquels peuvent être exposés les adolescents les plus jeunes. Si des efforts de formation et d'information doivent être accrus, l'État ne doit pas non plus renoncer aux outils juridiques dont il dispose. B. UN INSTRUMENT DE RÉGULATION DÉFAILLANT : LA RECONNAISSANCE DU STATUT D'ASSOCIATION CULTUELLE La pratique administrative, la remise en cause du régime d'autorisation par voie d'ordonnance et l'absence de prise en compte des intérêts supérieurs de l'enfant sont autant d'éléments qui conduisent à douter de l'efficacité du régime juridique actuel de la reconnaissance des associations cultuelles. 1. Une pratique administrative imparfaite Issu de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des églises et de l'État, le régime des associations cultuelles garantit à ces dernières des avantages spécifiques. Elle leur impartit la mission de recevoir en propriété ou en jouissance les biens précédemment détenus par les établissements publics du culte. S'agissant de leur constitution, ces associations sont soumises aux dispositions de droit commun des associations de la loi du 1er juillet 1901, à savoir une simple déclaration auprès de l'autorité administrative. Elles bénéficient d'un régime particulier au titre des dons et legs et de la fiscalité. Ainsi, elles peuvent recevoir des dons et legs sauf opposition formée par l'autorité administrative à laquelle la libéralité est déclarée, cette opposition privant d'effet cette acceptation. Par ailleurs l'article 1382, 4° du code général des impôts issu de l'article 4 de la loi du 9 janvier 1909 et de la loi du 13 janvier 1941 institue une exonération de la taxe foncière sur les propriétés bâties au profit des édifices affectés à l'exercice d'un culte ou attribués à des associations cultuelles ainsi qu'au profit des édifices acquis ou édifiés par lesdites associations. Comme le relève le rapport établi par la Commission de réflexion juridique sur les relations des cultes avec les pouvoirs publics, publié le 20 septembre 2006 sous l'autorité du professeur Jean-Pierre Machelon : « Il ne suffit pas de se prévaloir de la qualité d'association cultuelle pour bénéficier des avantages attachés à ce statut. Une procédure de reconnaissance s'est en effet reconstituée de manière indirecte puisque l'administration, comme l'y invitait parfois - mais pas toujours - le législateur, estimait que seules pouvaient avoir accès au régime juridique et fiscal particulier prévu pour les associations cultuelles, les associations munies d'un arrêté préfectoral les autorisant à bénéficier d'un don ou d'un legs (circulaire du ministère de l'intérieur du 15 octobre 2003 sur la réparation des édifices cultuels appartenant à des administrations). À cette occasion, elle pouvait se prononcer sur le caractère cultuel ou non d'une association au sens de la loi de 1905. Cette petite reconnaissance constitue pour l'administration un levier important de la politique de lutte contre les dérives sectaires, dès lors notamment que la réserve d'ordre public permet de dénier la qualité d'association cultuelle à une association qui, pourtant , remplirait toutes les conditions posées par la loi de 1905. » (301) M. Didier Leschi(302), chef du Bureau central des cultes (BCC) au ministère de l'intérieur, a également mis en lumière l'importance de cet instrument : « Le principal outil de lutte contre les dérives sectaires dont dispose le BCC est la "petite reconnaissance", qui donne à l'administration le pouvoir de contrôler les associations cultuelles demandant à bénéficier d'avantages essentiellement d'ordre fiscal. En effet, si la République ne reconnaît aucun culte, elle n'en méconnaît aucun dès lors que ce culte demande à bénéficier d'avantages, en particulier fiscaux, qui visent à favoriser le libre exercice du culte. La "petite reconnaissance" ouvre droit à des exonérations fiscales, à l'exonération des droits de mutation pour les dons et legs, et autorise la délivrance des reçus fiscaux qui ouvriront droit aux donateurs à des dégrèvements d'impôts. » Dans un avis du 24 octobre 1997 rendu en assemblée du contentieux Association locale pour le culte des Témoins de Jéhovah de Riom (Rec. p. 372 ; RFDA, 1998, p. 61, concl. Jacques Arrighi de Casanova), le Conseil d'État a clarifié les critères permettant de qualifier une association de cultuelle. Puis par deux arrêts du 23 juin 2000, le Conseil d'État a réglé les litiges opposant le ministère de l'économie et des finances aux associations locales pour le culte des Témoins de Jéhovah de Clamecy et de Riom (CE, 23 juin 2000, Ministre de l'économie, des finances et de l'industrie c. Association locale pour le culte des Témoins de Jéhovah de Clamecy et Ministre de l'économie, des finances et de l'industrie c. Association locale pour le culte des Témoins de Jéhovah de Riom, RDP, n° 6-2000 , concl. Bachelier ; AJDA 2000, p. 597, note Mattias Guyomar et Pierre Collin). Le bénéfice du statut d'association cultuelle est subordonné à trois conditions. La Haute juridiction a considéré qu'il résultait des articles 18 et 19 de la loi de 1905 que les associations revendiquant ce statut « devaient avoir exclusivement pour objet l'exercice du culte, c'est-à-dire, au sens de ces dispositions, la célébration de cérémonies organisées en vue de l'accomplissement de certains rites ou de certaines pratiques » et qu'elles ne pouvaient, en outre, « mener que des activités en relation avec cet objet, telles que l'acquisition, la location, la construction, l'aménagement et l'entretien des édifices servant au culte, ainsi que l'entretien et la formation des ministres et autres personnes concourant à l'exercice du culte ». La reconnaissance du caractère cultuel d'une association est donc subordonnée à la constatation de l'existence d'un culte et à la condition que son exercice soit l'objet exclusif de l'association. L'avis ajoutait une troisième condition, à savoir que les activités de l'association ne pouvaient en tout ou partie porter atteinte à l'ordre public. La première condition, l'existence du culte, n'appelle pas de difficulté. Après avoir rappelé la définition qu'en donnait le Doyen Duguit : « Le culte est l'accomplissement de certains rites, de certaines pratiques qui, aux yeux des croyants, les mettent en communication avec une puissance surnaturelle », deux critères apparaissaient devoir être ajoutés par le commissaire du gouvernement : un élément subjectif tenant à la croyance en une foi ou une divinité et un critère objectif, à savoir l'existence d'une communauté se réunissant pour pratiquer cette croyance lors d'une cérémonie(303). Les adeptes de Krishna ont été considérés ainsi comme se livrant à un culte (CE, 14 mai 1982, Association internationale pour la conscience de Krishna, Rec. p. 179). Cela n'a pas été en revanche le cas d'une association qui regroupe ceux qui considèrent Dieu comme un mythe (CE, 17 juin 1988, Union des athées, Rec. p. 247 ; AJDA 1988, p. 582, chron. M. Azibert et M. de Boisdeffre). La deuxième condition - l'exercice du culte comme objet exclusif de l'association - est reprise du libellé même du premier alinéa de l'article 19 de la loi du 9 décembre 1905. Ce critère a conduit le Conseil d'État à refuser le statut d'association cultuelle à une association se consacrant non seulement à l'exercice d'un culte mais aussi à des activités d'édition et de diffusion de publications doctrinales (CE, 21 janvier 1983, Association des serviteurs du nouveau monde, Rec.p.18 ; cf. également 14 octobre 1985, Association Hubbard des scientologues, req. n° 37583). La troisième condition - l'atteinte ou non à l'ordre public - soulève plus de problèmes. Elle a été fréquemment évoquée lors des auditions de la commission d'enquête(304). Ainsi pour le Président de la commission d'enquête, le traitement social réservé aux mineurs au sein des Témoins de Jéhovah ne correspond pas aux normes internationales, notamment celles de la Convention de New York sur les droits de l'enfant qui exige que l'enfant soit élevé et éduqué dans l'objectif d'en faire un citoyen libre et critique(305). M. Jean-Pierre Brard a, de son côté, demandé au directeur des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l'intérieur, si l'on pouvait bien considérer le refus d'une transfusion sanguine à un enfant, quand le pronostic vital était engagé, comme un trouble à l'ordre public(306). Il faut savoir que le Conseil d'État a hésité sur cette question délicate. Dans ses conclusions sous l'arrêt Association chrétienne Les Témoins de Jéhovah de France (1er février 1985, Rec. p. 22, RDP 1985, p. 485, concl. Francis Delon), le commissaire du gouvernement indiquait que l'association pouvait être qualifiée de cultuelle, dès lors qu'elle avait pour objet l'exercice d'un culte et que cet objet était exclusif. Il proposait de ne subordonner cette qualification qu'au respect de ces deux conditions. En revanche, s'agissant du troisième critère, celui de l'atteinte à l'ordre public, l'administration, à ses yeux, disposait d'un pouvoir d'appréciation et pouvait refuser d'autoriser une association cultuelle à recevoir un legs, au motif que ses activités ne seraient pas conformes à l'intérêt public sans que cette circonstance soit de nature par elle-même à remettre en cause le caractère cultuel de l'association. Le commissaire du gouvernement avait invité l'assemblée du contentieux à retenir l'atteinte à l'ordre public, qui résultait du fait que ce mouvement refuse les transfusions sanguines, ce refus pouvant affecter les enfants des adeptes dudit mouvement. Sans reprendre toutefois le raisonnement du commissaire du gouvernement, le Conseil d'État a jugé que « les activités menées par l'association ... sur la base de ses statuts ne lui confèrent pas dans leur ensemble, en raison de l'objet ou de la nature de certaines d'entre elles, le caractère d'une association cultuelle au sens de la loi du 9 décembre 1905. » Par conséquent, à l'inverse de l'avis de 1997, le Conseil d'État, en 1985, a fondé sa décision sur la doctrine du mouvement. Mais des commentateurs de la décision précitée de 2000, faisant autorité, ont fait valoir que si une association axait sa propagande sur des éléments contraires à l'ordre public, elle pourrait légalement faire l'objet de mesures restrictives de la part de l'administration (Mattias Guyomar et Pierre Colin, AJDA, chron. p. 597). Dans ses conclusions sous l'arrêt du 28 avril 2004, Association cultuelle du Vajra triomphant (req. n° 248467, AJDA 5 juillet 2004, p. 1367) le commissaire du gouvernement proposait de retenir, pour l'application de la loi du 9 décembre 1905, une acception large de la notion d'ordre public recouvrant non seulement la trilogie traditionnelle de la sécurité publique, de la tranquillité publique et de la salubrité publique consacrée aujourd'hui par l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales, mais aussi la prévention des activités pénalement sanctionnées (CE, 3 mars 2003, ministre de l'Intérieur c. Rakhimov, req. n° 238 662, AJDA 2003, p. 1343, à propos d'un refus d'entrée sur le territoire). Le commissaire du gouvernement ajoutait que le respect de la condition de l'ordre public doit s'apprécier, non pas eu égard à l'objet de l'association mais eu égard à ses activités réelles ou aux activités qui, menées par ses membres, sont en rapport direct avec l'objet de l'association. En l'espèce, le refus du bénéfice de l'association cultuelle prononcé par le Conseil d'État s'est fondé sur les troubles à l'ordre public résultant des agissements de deux associations ayant fait l'objet de condamnations pour des infractions graves et délibérées à la législation de l'urbanisme et qui partageaient les mêmes références statutaires et possédaient des dirigeants communs avec l'association requérante. Dans une espèce récente, la cour administrative d'appel de Paris a considéré que le statut de congrégation prévu par la loi du 1er juillet 1901 ne pouvait pas être refusé, au motif qu'une communauté ne se rattacherait pas à une institution religieuse communément connue de par sa durée historique et son développement universel, un tel motif étant contraire aux principes de laïcité et de non-discrimination religieuse énoncés par la Constitution. En revanche, un refus peut légalement être motivé par les troubles à l'ordre public causés par l'association comme ceux qui résultent du refus persistant, malgré des décisions de justice, de procéder à la destruction de constructions monumentales illégalement édifiées dans un site protégé (CAA Paris, 9 juin 2006, Ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales c. Association Congrégation du Vajra triomphant, 04PA 01642, AJDA, 6 novembre 2006, p. 2067, concl. B. Folscheid). Par conséquent, non seulement l'intégration de ce paramètre du droit de l'urbanisme mais le rappel des conclusions du commissaire du gouvernement devant le Conseil d'État montrent que le champ de la notion d'ordre public ne saurait être complètement figé. Le débat sur la compatibilité des refus de transfusion sanguine avec l'ordre public ouvert en 1985 devant le Conseil d'État n'est pas non plus clos, comme l'attestent toutes les questions soulevées par les membres de la commission d'enquête sur ce terrain. La diversité des appréciations portées sur le sujet par les représentants de l'administration témoigne d'ailleurs de la légitimité de cette très vive préoccupation de la commission d'enquête. Car si pour le chef du Bureau central des cultes, le refus de transfusion sanguine ne constitue pas in abstracto une atteinte à l'ordre public (307), il en va autrement pour le ministre de la santé et des solidarités. En réponse à une lettre du Président de la commission d'enquête, qui l'interrogeait pour savoir si, pour son ministère, des mouvements à dérives sectaires étaient générateurs de troubles à l'ordre public, le ministre n'a pas partagé le point de vue du ministère de l'intérieur. Il a évoqué dans ce courrier du 24 novembre 2006 le refus de la transfusion sanguine par les Témoins de Jéhovah, leur infiltration au sein du monde médical, l'enfermement psychologique dont souffraient les enfants des adeptes de cette organisation ainsi que la mise en place d'une justice parallèle. Il a conclu en constatant : « Au regard de ces différents faits, je considère que l'action de certaines sectes, au nombre desquelles je compte les témoins de Jéhovah, est de nature à troubler l'ordre public. De tels faits me semblent être de nature à justifier le refus de reconnaissance de ce mouvement comme association cultuelle. » Si ce rappel du droit applicable était nécessaire, cette évocation des très fortes interrogations des membres de la commission et les divergences entre les administrations, n'épuisent pas pour autant les problèmes posés par la procédure de la reconnaissance du statut d'association cultuelle, au regard de la prise en compte des intérêts supérieurs des enfants. 2. Une absence injustifiée de prise en compte des intérêts supérieurs de l'enfant La problématique des intérêts supérieurs des enfants mérite en effet d'être rapprochée des questions soulevées par le régime des associations cultuelles. Il ressort très nettement des auditions qu'un outil juridique comme la Convention de New York sur les droits des enfants déjà citée est largement ignoré par les administrations parties prenantes à la lutte contre les dérives sectaires et cela essentiellement pour des raisons juridiques. On rappellera, pour mémoire, que plusieurs stipulations de cette convention consacrent très largement les droits des enfants. Ses articles 12 et 13 garantissent leur liberté d'expression. L'article 14 enjoint aux États Parties de respecter le droit de l'enfant à la liberté de pensée, de conscience et de religion. L'article 29 affirme que l'éducation de l'enfant doit favoriser l'épanouissement de sa personnalité. En intervenant à plusieurs reprises sur le thème de l'absence de prise en compte de ces principes, le Président de la commission d'enquête s'est fait l'écho des préoccupations de ses collègues, soulignant que le juge administratif était plus réticent à faire prévaloir ce texte que ne l'était le juge judiciaire(308). En réponse à ces observations, le directeur des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l'intérieur a fait l'analyse suivante : « À titre personnel, et indépendamment du cas d'espèce, j'ai tendance à considérer que le raisonnement du Conseil d'État est celui qui concilie le mieux le droit interne et le droit international dans l'ensemble de l'application du droit interne. Dans l'application en droit interne d'une convention internationale - et c'est un raisonnement qui vaut, du reste, pour l'ensemble du droit européen, dérivé ou direct -, il faut que la stipulation qu'il s'agit d'appliquer soit précise et d'effet direct pour qu'elle puisse produire des effets de droit interne qui puissent être invoqués ou que le titulaire du pouvoir normatif interne ait méconnu une telle prescription qui s'imposait à lui. Ce raisonnement qui consiste à regarder, le cas échéant article par article, ou ensemble d'articles par ensemble d'articles, s'ils sont d'une précision suffisante, soit pour trouver une application directe, soit pour s'opposer à la prise ou la non prise d'un acte normatif, est un raisonnement qui est assez classique dans l'articulation entre le droit interne et le droit international. Il est très présent dans le droit européen. Et il est tout de même très utile, du point de vue de la sécurité juridique, de savoir que la précision d'une norme peut avoir ce type d'effets... La question posée est de savoir si les engagements entre États produisent des effets directs pour les personnes ou s'ils engagent les États à tenir compte, dans leur législation, des principes dont ils sont signataires. C'est comme cela que s'articule le raisonnement, entre l'effet direct d'une prescription internationale et l'effet indirect, c'est-à-dire une obligation pour les États signataires de s'employer à traduire dans leur législation ou leur réglementation les engagements qu'ils ont pris. » De fait, le Conseil d'État considère qu'une stipulation internationale est dépourvue d'effet direct dans deux cas : lorsque l'objet même de la stipulation est de régler les rapports d'État à État et qu'elle ne vise pas à créer des droits au profit des particuliers, qui ne sont pas concernés par la règle internationale, quelle que soit son degré de précision ; lorsque la stipulation, qui bien qu'ayant pour objet de garantir des droits au profit des particuliers, n'est pas susceptible d'être immédiatement appliquée à des situations individuelles, parce qu'elle n'est pas suffisamment précise, complète et inconditionnelle pour servir à cette fin. De plus il ne faut pas perdre de vue que si une norme vague ne peut pas servir de base à l'établissement d'un droit individuel, elle peut toujours servir de référence à un contrôle de compatibilité d'une norme inférieure, avec la difficulté que plus la norme supérieure est générale (Par exemple, « Les États Parties reconnaissent le droit de tout enfant à un niveau de vie suffisant pour permettre son développement physique, mental, spirituel, moral et social ») moins il y a de probabilité que le contrôle de compatibilité aboutisse à la censure de la norme inférieure. Ainsi le Conseil d'État n'a pas reconnu d'effet direct aux articles 26-1 et 27 de la Convention relative aux droits de l'enfant concernant respectivement le bénéfice de la sécurité sociale et le droit de tout enfant à un niveau de vie suffisant pour permettre son développement physique, mental, spirituel, moral et social (CE, 23 avril 1997, G.I.S.T.I., Rec. p.142 ; RFDA 1997.585, concl. Abraham ; AJDA 1997.482, chron. Chauvaux et Girardot ; RGDIP 1998, 208, note Alland). En revanche, la Haute juridiction a admis l'effet direct de l'article 3-1 qui accorde une « considération primordiale » à l'intérêt supérieur de l'enfant dans toutes les décisions le concernant (CE, 22 septembre 1997, Dlle Cinar, Rec.p.319 ; D.1998.297 note Desnoyer ; RFDA 1998.562, concl. Abraham ; JDr. Int.1998.721 note Barrière Brousse ; RGDIP 1998, 208, note Alland). De son côté la première chambre civile de la Cour de cassation a, pour la première fois, et de façon explicite fait application le 18 mai 2005 des articles 3-1 sur l'intérêt supérieur de l'enfant et 12-2 sur son droit à être entendu dans tout procédure judiciaire ou administrative. Elle a rompu, par là même, avec sa jurisprudence qui écartait les dispositions de ce texte, au motif qu'il ne créait d'obligations qu'à la charge des États Parties et n'était pas directement applicable en droit interne (10 mars 1193, Bull. n°103 ; 2 juin 1993, Bull. n°195 ; 15 juillet 1993, Bull. n°259 ; 4 janvier 1995, Bull. n° 2). La première chambre a relevé d'office le moyen tiré de l'application des articles 3-1 et 12-2 de la Convention des droits de l'enfant, affirmant ainsi la valeur supranationale de ce texte et partageant la même analyse que le Conseil d'État sur le respect du principe de l'intérêt supérieur de l'enfant. Mais ce revirement de la première chambre civile n'affecte que ce principe et la possibilité donnée à l'enfant d'exprimer librement son opinion dans toute procédure judiciaire ou administrative l'intéressant. On relèvera également que la Cour européenne des droits de l'homme a le souci de faire prévaloir les droits de l'enfant lorsque ceux-ci doivent être mis en balance avec ceux des parents. Cela a été rappelé dans une affaire concernant l'interdiction faite à un parent appartenant au mouvement raëlien d'être en contact avec des membres de ce mouvement (CEDH, 3 novembre 2005, FL, 61162/00), cette décision confirmant une jurisprudence solidement établie : (Esholz c. Allemagne, n°25735 :94 , § 47, CEDH 2000-VI. TP et KM c. Royaume Uni, n° 28945 /95, §72, CEDH 2001-V et Youssef c. Pays-BAS n°33711/96, § 73, CEDH 2002-VIII). Lors de son audition, M. Didier Leschi a convenu que si la preuve était apportée qu'un mouvement éduquait ses enfants en méconnaissant les intérêts supérieurs des enfants, ces faits pouvaient constituer une atteinte à l'ordre public(309). Sous réserve d'une appréciation au cas par cas, on peut légitimement penser que ce débat sera susceptible par ailleurs de se trouver enrichi par la modification même de la notion d'enfance maltraitée contenue à l'article L. 221-1 du code de l'action sociale et des familles, en discussion devant le Parlement dans le cadre du projet de loi réformant la protection de l'enfance. On rappellera en effet qu'en remplaçant la notion de « mineurs maltraités » par celle de « mineurs dont la santé, la sécurité, la moralité sont en danger ou risquent de l'être ou dont l'éducation ou le développement sont compromis ou risquent de l'être », le législateur entend viser les situations où le suivi préventif et les soins médicaux ne sont pas correctement assurés. Cette incursion dans la jurisprudence sur la portée de la Convention de New York et de la Convention européenne des droits de l'homme montre que le critère des intérêts supérieurs de l'enfant constitue un critère juridique reconnu par les deux plus hautes juridictions françaises, qui peut être directement opérationnel et pourrait, par là même, servir à la reconnaissance des associations cultuelles, en étant un élément d'appréciation d'une atteinte ou non à l'ordre public. C'est le sens de la proposition de la commission d'enquête relative au contrôle administratif sur les associations cultuelles. Elle vise à insérer à l'article 910 du code civil (310) le critère des intérêts supérieurs de l'enfant dans la procédure de reconnaissance de l'association cultuelle. Mais si ces dispositions participent de la volonté de mieux utiliser le mécanisme de la reconnaissance de l'association cultuelle, encore faut-il que celui-ci ne soit pas affaibli par ailleurs. 3. Un instrument fondamental de régulation remis en cause par une ordonnance de simplification administrative Or, en allégeant considérablement la procédure de reconnaissance du statut cultuel, le dispositif prévu à l'article 910 du code civil, tel qu'il émane de l'ordonnance 2005-856 du 28 juillet 2005, rend encore beaucoup plus difficile l'invocation de la clause de l'ordre public qui, comme on l'a vu, constitue un élément de régulation très précieux pour les pouvoirs publics. La nouvelle rédaction de l'article 910 du code civil est issue du projet de loi habilitant le gouvernement à simplifier le droit (311). Dans son rapport présenté au nom de la commission des lois, notre collègue Etienne Blanc justifiait la réforme du régime de l'octroi des libéralités aux associations par la nécessité d'une simplification administrative (Rapport N° 1635, XIIe législature). Il faut savoir que sous l'empire de la réglementation antérieure, seules certaines associations pouvaient recevoir des libéralités, c'est-à-dire des dons par actes authentiques et legs, notamment les associations reconnues d'utilité publique, les associations cultuelles et les congrégations reconnues par décret. Les dons par actes authentiques et legs consentis à ces associations, fondations ou congrégations étaient soumis à un régime dit de tutelle. L'article premier du décret n° 94-1119 du 20 décembre 1994 modifiant le décret n° 66-388 du 13 juin 1966 relatif à la tutelle administrative des associations, fondations et congrégations dispose en effet que l'acceptation des dons et legs aux établissements publics, aux associations cultuelles et aux associations de bienfaisance est autorisée par le préfet du département où est le siège de l'établissement ou de l'association. Ont été invoqués à l'appui d'une nécessaire simplification administrative : l'opposition des héritiers à l'autorisation de l'administration ; les délais d'attente imposés aux associations bénéficiaires et le fait qu'en pratique sur 8 000 demandes d'autorisations annuelles par les préfectures, les refus étaient extrêmement rares. Mais si ces raisons plaidant pour substituer un régime déclaratif à un régime d'autorisation sont aisément compréhensibles, on peut craindre à la lecture de l'ordonnance insérée à l'article 910 du code civil, que la volonté du législateur n'ait pas été pleinement prise en compte et que la spécificité des associations cultuelles ait été ignorée. Un examen attentif des travaux parlementaires montre en effet que le régime déclaratif, envisagé lors de la discussion du projet de loi d'habilitation, n'était pas appelé à être total. Dans son rapport présenté au nom de la Commission des lois, le sénateur Bernard Saugey n'affirme-t-il pas que « le régime de déclaration serait assorti d'un pouvoir d'opposition dont disposerait l'administration pendant un délai de quatre mois » ? (Rapport n° 5, 2004-2005). De son côté le rapport de la commission mixte paritaire fait valoir que celle-ci a supprimé la mention selon laquelle l'habilitation concernant le régime juridique des associations ne pouvait conduire à modifier la loi du 9 décembre 1905 (Rapport n° 42, 2004-2005). Par conséquent, à ce stade, le législateur, d'une part, souhaitait conserver un régime déclaratif fût-il a minima et, d'autre part, il n'entendait pas remettre en cause l'esprit de la loi de 1905. Or, lorsque l'on confronte cette interprétation avec le dispositif de l'article 910 du code civil dans sa version actuellement en vigueur, on relève que l'ordonnance n'institue aucun garde fou et délègue la définition de l'exercice de l'opposition administrative aux libéralités à un décret en Conseil d'État. De plus, en indiquant que « l'opposition est formée par l'autorité administrative à laquelle la libéralité est déclarée, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État », une grande marge de manœuvre est laissée à ce décret. Celui-ci - qui n'est pas encore pris -, peut prévoir un contrôle a posteriori aléatoire au gré de contentieux, comme un contrôle a priori très lâche, voire aucun contrôle. Non seulement il apparaît que la volonté du législateur n'a pas été pleinement respectée mais en voulant embrasser sans distinctions toutes les associations exorbitantes du droit commun, le nouveau dispositif de l'article 910 du code civil remet en cause indirectement l'équilibre régulateur des associations cultuelles. Aussi la commission d'enquête propose-t-elle de revenir à un régime d'autorisation pour ces dernières associations. Cette exception serait au demeurant sans incidence sur les mouvements sectaires, qui sont réservés par ailleurs par l'article 910. Le traitement différencié des associations cultuelles par rapport aux autres associations exorbitantes de droit commun pourrait se justifier au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur le principe d'égalité, dans la mesure où les associations cultuelles sont dans une situation différente de celle des autres associations et où cette dérogation obéit à des raisons d'intérêt général reposant sur le critère de l'ordre public. C. UN DISPOSITIF DE CONTRÔLE ÉDUCATIF TROP LÂCHE Plusieurs éléments permettent de se convaincre de l'existence d'un dispositif de contrôle éducatif insuffisant. Les règles relatives à l'inscription des enfants soumis à l'obligation scolaire, au contrôle de l'instruction à domicile, au contrôle de l'enseignement à distance, à la déclaration des établissements d'enseignement, à l'agrément des organismes de soutien scolaire, pèchent en effet par leur manque de rigueur. 1. L'inscription des enfants soumis à l'obligation scolaire L'article L. 131-5 du code de l'éducation dispose que les personnes responsables de l'éducation d'un enfant soumis à l'obligation scolaire doivent le faire inscrire dans un établissement d'enseignement public ou privé ou bien déclarer chaque année au maire et à l'inspecteur d'académie qu'elles lui font donner l'instruction dans la famille. Cette obligation s'applique à compter de la rentrée scolaire de l'année civile où l'enfant atteint l'âge de six ans et doit être également effectuée dans les huit jours qui suivent tout changement de résidence ou de choix d'instruction. Aujourd'hui, il appartient aux maires d'effectuer une enquête, dès la première année et tous les deux ans, sur les raisons pour lesquelles les familles ont fait le choix de l'instruction à domicile et de vérifier si celle-ci est compatible avec l'état de santé des enfants et les conditions de vie de la famille. Le résultat de l'enquête est communiqué à l'inspecteur d'académie, directeur des services départementaux de l'éducation nationale, et lorsque celle-ci n'a pas été effectuée, elle est diligentée par le représentant de l'État dans le département. Cette disposition, issue de la loi du 28 mars 1882, est codifiée à l'article L. 131-10 du code de l'éducation nationale. Sa lecture soulève toutefois plusieurs questions : les enfants sont-ils réellement déclarés ? À quelles sanctions s'exposent les parents ou les personnes exerçant l'autorité parentale qui ne déclareraient pas en mairie que les enfants seront instruits dans la famille ? En cas de carence du maire, quelle est l'efficacité de l'intervention du représentant de l'État dans le département ? Le refus de certains parents de déclarer leurs enfants est une réalité sociale constatée par les élus. Lors du débat engagé sur les propositions de loi qui ont débouché sur la loi du 18 décembre 1998 tendant à renforcer le contrôle de l'obligation scolaire, M. Jean-Pierre Brard s'en était ému devant la commission des affaires culturelles, familiales et sociales : « Très souvent les enfants éduqués dans leur famille ne sont pas déclarés, ce qui ne permet pas de procéder à une évaluation satisfaisante. »(312) Ce sujet a été de nouveau abordé lors de l'audition de M. Thierry-Xavier Girardot(313), directeur des affaires juridiques du ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Interrogé sur la difficulté dans les communes à identifier les enfants que leurs parents soustrairaient à l'école, M. Pierre Polivka a déclaré(314) : « Je crois pouvoir dire que dans la très grande majorité des cas, les services de l'État, d'une part, les services sociaux, d'autre part, font tout pour qu'on puisse repérer ces enfants. Bien entendu, il y a toujours un certain nombre de cas qui échappent à notre vigilance. Mais le maximum est fait par l'État comme par les collectivités pour avoir des chiffres fiables, qui reflètent la réalité. » La loi du 18 décembre 1998 précitée a cependant renforcé le dispositif existant de manière non négligeable. Elle a exigé que l'enquête du maire ne soit plus « sommaire » ; elle doit intervenir dès la première année de la période d'instruction dans la famille et dans le cas où cette situation coïncide avec le début de la scolarité obligatoire dès six ans ; elle doit être renouvelée tous les deux ans jusqu'à l'âge de seize ans. Par ailleurs, on rappellera qu'aux termes de l'article L. 552-4 du code de la sécurité sociale, « le versement des prestations familiales afférentes à un enfant soumis à l'obligation scolaire est subordonné à la présentation [...] d'un certificat de l'autorité compétente de l'État attestant que l'enfant est instruit dans sa famille ». Le fait par les parents ou toute personne exerçant l'autorité parentale de ne pas déclarer en mairie que l'enfant sera instruit dans sa famille est puni en vertu de l'article R. 131-18 du code de l'éducation, d'une contravention de cinquième classe, soit 1 500 euros. Il résulte des questions posées au ministre délégué aux collectivités territoriales par la commission d'enquête que l'application de la disposition de l'article L. 131-10 du code de l'éducation, selon laquelle il revient au préfet de se substituer au maire défaillant, ne soulève pas de difficulté particulière. Pour M. Daniel Groscolas, Président du Centre de documentation et d'action contre les manifestations mentales, les préfets ne disposent pas toutefois des personnels nécessaires pour effectuer ces enquêtes (315). L'attention des représentants de l'État dans le département sur leur nécessaire implication dans la mise en œuvre de l'article L. 131-10 pourrait donc être attirée par voie d'une circulaire conjointe du ministre chargé de l'intérieur et du ministre chargé de l'éducation. L'article 9 du projet de loi relatif à la prévention de la délinquance, adopté en première lecture par l'Assemblée nationale le 5 décembre 2006 (316) devrait être de nature à répondre à ces imperfections. En effet, dans le cadre du contrôle de l'obligation scolaire incombant aux maires, ceux-ci pourront mettre en place un traitement des données personnelles, alimenté par les organismes chargés du versement des prestations familiales. S'il apparaît difficile d'aller beaucoup plus loin sur le terrain du dispositif de la déclaration des enfants, il est en revanche des domaines dans lesquels la lutte contre l'emprise sectaire peut être renforcée, notamment celui du contrôle de l'instruction à domicile. 2. Le contrôle de l'instruction à domicile Le déplacement de votre rapporteur à Tabitha's Place a révélé les limites de ce dispositif. Aujourd'hui, le contrôle de l'instruction à domicile fait appel au maire et à l'inspecteur d'académie. Alors que le premier effectue une enquête de nature sociale, en vérifiant si l'instruction à domicile est compatible avec l'état de santé de l'enfant et les conditions de la vie de la famille, le contrôle de l'inspecteur d'académie est de nature pédagogique. Les modalités du contrôle de l'instruction dans la famille par l'inspecteur d'académie sont définies par la circulaire n° 99-070 du 14 mai 1999 dont sont extraits les passages suivants que l'on a souhaité reproduire, compte tenu de l'importance du problème : « · Pour les enfants relevant du niveau primaire, l'inspecteur d'académie procède au contrôle ou désigne à cette fin des inspecteurs de l'éducation nationale, qui pourront se faire assister en tant que de besoin de personnels des services de santé ou des services sociaux de l'inspection d'académie, de psychologues scolaires. « · S'agissant des mineurs relevant du niveau secondaire, l'inspecteur d'académie doit saisir le recteur d'académie, lequel désigne par priorité des membres des corps d'inspection, ainsi que les personnels qualifiés pour les assister (personnels médico-sociaux, conseillers d'orientation-psychologues). Pour apprécier la qualité et le niveau de l'instruction, les personnes chargées du contrôle pourront s'appuyer, dans la mesure où ils en disposent, sur les résultats de l'enquête du maire ou du préfet, leur permettant de connaître les raisons alléguées pour ce choix d'instruction et l'état de santé de l'enfant. « · La famille peut être informée au préalable de la date du contrôle, du ou des lieux où il se déroulera et des conditions générales, notamment des personnes qui en seront chargées. La loi indique que le contrôle a lieu notamment au domicile des parents. Par cette disposition, le législateur a voulu que ce contrôle ne se déroule pas exclusivement à leur domicile. S'il est primordial de connaître le milieu où évolue l'enfant, il peut être opportun de ne pas circonscrire le lieu de contrôle au seul domicile des personnes responsables de l'enfant, et de permettre à l'enfant de se rendre en un autre lieu où l'évaluation mais aussi la parole peuvent être moins encadrées, plus libres, et la réalité moins aisément masquée. « Le contrôle, qui pourra se dérouler, en totalité ou en partie, en présence ou en l'absence des parents et/ou des personnes chargées de l'instruction, devra nécessairement comporter un entretien avec l'enfant. La ou les personnes qui l'instruisent peuvent également être entendues. « · En cas d'opposition de la famille au déroulement du contrôle, on pourra légitimement supposer qu'il y a une situation de danger quant aux conditions de vie et d'éducation de l'enfant. Une telle situation justifie que l'inspecteur d'académie en saisisse le procureur de la République. « Le législateur a souhaité que les exigences du droit de l'enfant à l'instruction soient précisées dans un décret définissant un socle commun des connaissances à acquérir dans le respect des droits de l'Homme et l'exercice de la citoyenneté. Le contrôle de l'instruction dans la famille par l'inspecteur d'académie doit donc se faire en référence à l'article 1er de la loi du 18 décembre 1998 (317) et au décret n° 99-224 du 23 mars 1999 (318), et non pas aux programmes en vigueur dans les classes des établissements publics ou privés sous contrat. « Lors du contrôle, il devra être tenu compte de l'âge de l'enfant, de son état de santé et de la progression globale définie et mise en œuvre par les personnes responsables, en fonction de leurs choix éducatifs, l'objectif étant nécessairement d'amener l'enfant, à l'issue de la période d'instruction obligatoire, à un niveau comparable à celui des enfants scolarisés dans les établissements publics ou privés sous contrat. Cette progression s'apprécie au regard de l'évolution des acquisitions qu'elle organise dans la diversité des domaines abordés et, après le premier contrôle, en référence aux contrôles antérieurs. » [...] I.6.2 Cas de l'absence totale d'instruction « Au cours de leur contrôle, les services de l'éducation nationale peuvent être confrontés à la situation d'un enfant qui n'a jamais reçu une quelconque instruction. En général il n'y aura pas eu de déclaration préalable d'instruction dans la famille auprès du maire (cf. I.3). Dans tous les cas d'absence totale d'instruction, il est impératif que l'inspecteur d'académie effectue en urgence, avant même toute mise en demeure, un signalement au Parquet au titre de l'enfance en danger et de l'infraction à l'article 227.17 du Code pénal, dont les termes ont été rappelés ci-dessus (319) (1.6.1). « Par ailleurs, en vertu de l'article 375 du Code civil, le Procureur de la République peut, si la santé, la sécurité ou la moralité d'un mineur sont en danger, ou si les conditions de son éducation sont gravement compromises, saisir le Juge des enfants pour que soient ordonnées des mesures d'assistance éducative. « Il convient donc de ne pas retarder l'intervention judiciaire et de permettre ainsi au Procureur de la République de mettre en œuvre les procédures les plus appropriées pour assurer la protection de l'enfant. I.6.3 Constat de difficultés familiales autres qu'éducatives « Enfin, il convient d'envisager les situations où l'instruction dans la famille n'est pas déficiente mais où les conditions de vie de l'enfant sont de nature à perturber sa santé, ou sa sécurité, en raison de difficultés familiales particulières, qu'il s'agisse de problèmes de santé, de précarité, de difficultés sociales ou économiques, ou encore d'un isolement géographique. « Dans ces cas, l'inspecteur d'académie peut, aux fins d'aider la famille, effectuer un signalement au Président du Conseil général en vertu de l'article 40 du Code de la famille et de l'aide sociale. « L'aide sociale à l'enfance (ASE) est en effet un service départemental qui a vocation à apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique aux mineurs et à leur famille, confrontés à des difficultés sociales susceptibles de compromettre gravement leur équilibre. Une aide à domicile peut notamment être apportée à la famille, de même que le versement d'aides financières diverses. » Au surplus la circulaire impose de faire figurer au verso de l'accusé de réception de la déclaration d'instruction dans la famille par l'inspecteur d'académie les mentions des textes suivants : · Loi n° 98-1165 du 18 décembre 1998, tendant au renforcement du contrôle de l'obligation scolaire (article 1er, premier alinéa) : « Le droit de l'enfant à l'instruction a pour objet de lui garantir, d'une part, l'acquisition des instruments fondamentaux du savoir, des connaissances de base, des éléments de la culture générale et, selon les choix, de la formation professionnelle et technique et, d'autre part, l'éducation lui permettant de développer sa personnalité, d'élever son niveau de formation initiale et continue, de s'insérer dans la vie sociale et professionnelle et d'exercer sa citoyenneté (320). Cette instruction obligatoire est assurée prioritairement dans les établissements d'enseignement. » · Décret n° 99-224 du 23 mars 1999, relatif au contenu des connaissances requis des enfants instruits dans la famille ou dans les établissements d'enseignement privé hors contrat (articles 1 à 5) : « Art. 1er. - Le contenu des connaissances requis des enfants relevant de l'obligation scolaire qui reçoivent une instruction dans leur famille ou dans les classes des établissements d'enseignement privés hors contrat concerne les instruments fondamentaux du savoir, les connaissances de base, les éléments de la culture générale, l'épanouissement de la personnalité et l'exercice de la citoyenneté (321). Art. 2. - L'enfant doit acquérir : - la maîtrise de la langue française, incluant l'expression orale, la lecture autonome de textes variés, l'écriture et l'expression écrite dans des domaines et des genres diversifiés, ainsi que la connaissance des outils grammaticaux et lexicaux indispensables à son usage correct ; - la maîtrise des principaux éléments de mathématiques, incluant la connaissance de la numération et des objets géométriques, la maîtrise des techniques opératoires et du calcul mental, ainsi que le développement des capacités à déduire, abstraire, raisonner, prouver ; - la pratique d'au moins une langue vivante étrangère (322). Art. 3. - L'enfant doit acquérir : - une culture générale constituée par des éléments d'une culture littéraire fondée sur la fréquentation de textes littéraires accessibles ; - des repères chronologiques et spatiaux au travers de l'histoire et de la géographie de la France, de l'Europe et du monde jusques et y compris l'époque contemporaine ; - des éléments d'une culture scientifique et technologique relative aux sciences de la vie et de la matière ; - des éléments d'une culture artistique fondée notamment sur la sensibilisation aux oeuvres d'art ; - une culture physique et sportive. Pour accéder à cette connaissance du monde dans sa diversité et son évolution, l'enfant doit développer des capacités à : - formuler des questions ; - proposer des solutions raisonnées à partir d'observations, de mesures, de mise en relation de données et d'exploitation de documents ; - concevoir, fabriquer et transformer, selon une progression raisonnée ; - inventer, réaliser, produire des oeuvres ; - maîtriser progressivement les techniques de l'information et de la communication ; - se maîtriser, utiliser ses ressources et gérer ses efforts, contrôler les risques pris (323). Art. 4. - L'enfant doit acquérir les principes, notions et connaissances qu'exige l'exercice de la citoyenneté, dans le respect des droits de la personne humaine définis dans le Préambule de la Constitution de la République française, la Déclaration universelle des droits de l'homme et la Convention internationale des droits de l'enfant, ce qui implique la formation du jugement par l'exercice de l'esprit critique et la pratique de l'argumentation (324). Art. 5. - La progression retenue, dans la mesure compatible avec l'âge de l'enfant et son état de santé et sous réserve des aménagements justifiés par les choix éducatifs effectués, doit avoir pour objet de l'amener, à l'issue de la période d'instruction obligatoire, à un niveau comparable dans chacun des domaines énumérés ci-dessus à celui des élèves scolarisés dans les établissements publics ou privés sous contrat. (325)» Ce droit à l'instruction à domicile appelle toutefois trois séries d'observations : il a un ancrage constitutionnel et conventionnel fort ; il peut être sujet à détournement comme on l'a vu à Tabitha's Place ; il mérite d'être plus encadré qu'il ne l'est aujourd'hui. a) L'instruction à domicile : l'ancrage constitutionnel et conventionnel de la liberté d'enseignement La liberté de l'enseignement a valeur de principe fondamental reconnu par les lois de la République (77-87 DC, 23 novembre 1977, Rec. p. 42). Si la jurisprudence constitutionnelle n'a pas déterminé les contours exacts de cette liberté, celle-ci renvoie au libre choix des parents. Par ailleurs l'article 2 du protocole n° 1 de la Convention européenne des droits de l'homme stipule que « l'État, dans l'exercice de ses fonctions qu'il assumera dans le domaine de l'éducation et de l'enseignement, respectera le droit des parents d'assurer cette éducation et cet enseignement conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques. » Au droit fondamental à l'instruction correspond un droit des parents au respect de leurs convictions religieuses et philosophiques. Il ressort de la jurisprudence de la cour de Strasbourg que l'éducation des enfants est la somme des procédés par lesquels dans toute la société, les adultes tentent d'inculquer aux plus jeunes leurs croyances, coutumes et autres valeurs, tandis que l'enseignement ou l'instruction vise notamment la transmission des connaissances et la formation intellectuelle (CEDH, Campbell et Cosans, 33, 25 février 1992). Mais dans ce même arrêt, la cour définit les convictions philosophiques comme celles « qui méritent respect dans une société démocratique et ne sont pas incompatibles avec la dignité de la personne et, de plus, ne vont pas à l'encontre du droit fondamental de l'enfant à l'instruction ». Dans un contentieux plus récent, il ressort que la Cour dispose d'une assez grande latitude de jugement pour s'assurer « que les limitations mises en œuvre ne réduisent pas le droit dont il s'agit au point de l'atteindre dans sa substance même et de le priver de son effectivité » ; à cette fin elle doit « se convaincre que celles-ci sont prévisibles pour le justiciable et tendent à un but légitime... de telles limitations ne doivent pas non plus se heurter à d'autres droits consacrés par la convention et les protocoles » (Leyla Sahin c. Turquie, 10 novembre 2005, req. 44774/98). Il est toutefois des situations en Europe où l'instruction à domicile par les parents est proscrite. C'est le cas par exemple dans le Bade-Wurtemberg (article 14 de la Constitution du Land et article 72 de la loi sur l'école (Schulgesetz)) ; en Bavière (article 129 de la Constitution). Dans la ville-État de Hambourg (article 114, al.1 de la loi sur l'école), le refus d'envoyer les enfants à l'école est passible d'amendes et entraîne une exécution forcée de la part des autorités de l'obligation d'instruire dans un établissement scolaire (Verwaltungsgericht Hamburg, 15 und 21 März 2006, 15V 418 /06). L'éducation des enfants, dans des structures collectives, a eu le pas sur les choix des parents, comme l'a souligné la cour administrative d'appel de Bavière dans un jugement du 18 septembre 2002 (7 ZB 02.1701 Au 9 K 02.294). Un tour d'horizon dans les autres États membres de l'Union européenne conduit à constater qu'en dehors de l'Allemagne, la scolarisation à domicile n'est pas pratiquée en Espagne et en Grèce. À l'inverse, la scolarisation dans le cercle familial est autorisée en Suisse dans la plupart des cantons, sous réserve du respect du programme officiel et d'un contrôle régulier par un inspecteur scolaire. La scolarisation par la famille est également admise dans les trois communautés flamande, française et germanophone de Belgique, qui sont compétentes en matière d'enseignement. Il en va de même au Danemark, en Italie et en Suède. En Autriche, si l'éducation en dehors du système scolaire est permise («haüslicher Unterricht »), chaque élève placé dans cette situation doit passer un examen à la fin de l'année scolaire, pour vérifier qu'il est du niveau des élèves de l'école publique. Il existe donc une obligation d'instruction mais pas une obligation de scolarisation. En Pologne, un enfant qui suit sa scolarité en dehors du système scolaire est soumis à un examen à la fin de cette scolarité, dans l'établissement dont il dépend territorialement et qui l'a autorisé à suivre ce parcours. À la lumière de ces derniers exemples, on pourrait concevoir dans le cas français que les conditions du recours à l'instruction à domicile soient définies plus précisément. Celle-ci pourrait se justifier dans l'hypothèse de la maladie, d'un handicap de l'enfant, d'un déplacement de la famille et de tout autre motif réel et sérieux des parents qui serait apprécié par l'inspecteur d'académie sous le contrôle du juge administratif. Une réécriture du dispositif de l'article L. 131-10 du code de l'éducation est proposée en ce sens. b) Le risque d'un détournement de la loi : l'exemple de Tabitha's Place Historiquement, l'instruction à domicile devait se dérouler dans la famille. La jurisprudence de la Cour de cassation de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle sur l'obligation de déclaration des écoles de fait est à cet égard sans équivoque. Cette jurisprudence, qui s'inscrivait à l'époque dans le contexte de la mise en place de l'instruction obligatoire, fixe en effet les limites de l'instruction dans la famille. Ainsi une demoiselle Gauthier avait en 1884 à l'Isle-sur-le-Serein réuni chaque jour dans une pièce qu'elle qualifiait de garderie, de vingt à trente enfants, âgés de trois à onze ou douze ans, filles pour la plupart, mêlées à quelques garçons. Elle n'apprenait pas à lire aux plus petits mais elle faisait descendre successivement dans une autre pièce ceux qui étaient en âge de comprendre et les y faisait lire et calculer, les uns après les autres, sans que jamais ces leçons fussent données à plusieurs à la fois. La chambre criminelle de la Cour de cassation dans un arrêt du 25 février 1886 (Chambre criminelle, Cour de cassation, 1886, n° 87, p. 136) a donné raison à la chambre correctionnelle de la cour d'appel de Paris : « Attendu que l'arrêt a pu voir, à bon droit, dans les faits ainsi constatés la tenue d'une véritable école ; que par le concours de la réunion habituelle des enfants dans une salle commune, et de l'enseignement séparé qui leur était donné, la prévenue procurait aux enfants et s'assurait pour elle-même tous les avantages et les effets de l'enseignement primaire, public et libre. » Cette jurisprudence a été confirmée ultérieurement. À propos de leçons particulières données par deux personnes dans quelques familles, qui avaient réuni trois enfants appartenant à deux familles, la chambre criminelle de la Cour de cassation a considéré que, « si l'enseignement que le père fait donner en particulier à ses enfants échappe à la réglementation, il n'en est pas de même lorsqu'il y a réunion de diverses familles », « que quelque limité que soit le nombre d'enfants qui sont admis, un pareil enseignement ne saurait être confondu avec l'enseignement domestique ; il rentre, au contraire, dans la catégorie des écoles libres pour l'ouverture desquelles il est indispensable que l'instituteur fasse les déclarations prévues par les articles 37 et 38 de la loi du 30 octobre 1886 » (Chambre criminelle, Cour de cassation, 1903, n° 388, p. 653). En 1904, la chambre criminelle de la Cour de cassation développe ce raisonnement, en recourant à un faisceau d'indices : « La réunion de plusieurs professeurs dans la même maison, la simultanéité des leçons données dans des salles séparées, mais concurremment par les diverses institutrices d'après un tableau arrêté à l'avance ; la présence simultanée de plusieurs enfants, sous la surveillance du personnel enseignant ; l'organisation des leçons d'après une unité de vue et de direction, et conformément au tableau arrêté à l'avance, ne permettent pas de reconnaître aux leçons données dans ces circonstances de fait le caractère de l'enseignement que le père fait donner en particulier à ses enfants ; par un enseignement ainsi organisé, les prévenues procuraient aux enfants et s'assuraient pour elles-mêmes tous les avantages et effets de l'enseignement primaire public et libre. » (Chambre criminelle, Cour de cassation, n° 338, p. 563). De son côté, la circulaire précitée de l'éducation nationale du 14 mai 1999 rappelle que « selon la jurisprudence de la Cour de cassation, toute instruction dispensée collectivement, de manière habituelle, à des enfants d'au moins deux familles différentes doit faire l'objet d'une déclaration d'ouverture d'un établissement d'enseignement privé, suivant les modalités prévues par les lois du 30 octobre 1886 et du 15 mars 1850 ». Si elle extrapole cette interprétation à partir d'un cas d'espèce, il n'en demeure pas moins que la sélection d'arrêts précédents montre qu'au-delà d'un seuil, que l'on peut fixer raisonnablement à deux familles on passe d'une instruction en famille à une école de fait. Or, c'est exactement la situation qu'a rencontrée votre rapporteur à Tabitha's Place. Si une instruction dans une famille peut se concevoir pour des raisons de santé ou peut obéir à des justifications objectives, en revanche une instruction du type de celle assurée à Tabitha's Place revêt une dimension toute autre, qui s'apparente à une école de fait et dès lors constitue un détournement de la loi.
c) Redéfinir le régime de l'instruction dans les familles Dans toute réflexion sur la réforme de l'instruction à domicile, les contraintes constitutionnelles et conventionnelles attachées à la liberté de l'enseignement, la prise en compte d'une demande sociale réelle en faveur de ce mode d'instruction, les effets d'une mobilité croissante des parents ne doivent pas être ignorés. Sachant que 3 000 élèves ont recours à cette formule, il ne saurait être envisagé de la supprimer, au motif qu'elle est instrumentalisée par quelques mouvements sectaires. Pour autant l'exemple de détournement de la loi auquel s'est livrée la communauté de Tabitha's Place montre que le dispositif de l'article L. 131-10 du code de l'éducation doit être aménagé dans quatre directions : - les motivations des parents doivent être clairement énoncées : maladie, handicap, déplacements ou tout autre raison réelle et sérieuse à apprécier par l'inspecteur d'académie ; - l'instruction en famille ne saurait dépasser le cadre de deux familles, conformément à l'esprit de la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation, il y a un siècle ; - le contrôle annuel sur les modalités de l'instruction à domicile doit s'effectuer en la seule présence des enfants et des fonctionnaires habilités. Il intervient sans préjudice du contrôle médical annuel évoqué plus haut (Cf. première partie, I, B.) - l'enseignement à domicile devrait être articulé avec l'enseignement à distance. Lors de la visite de Tabitha's Place, les membres de la commission d'enquête présents ont constaté que les enseignants ne disposaient d'autres outils pédagogiques que des manuels qu'ils avaient confectionnés eux-mêmes. Sans remettre en cause le choix des parents ayant opté pour l'instruction à domicile dans les conditions fixées par la loi, il serait judicieux qu'ils soient cependant aidés dans leur tâche par les outils pédagogiques de l'enseignement à distance. Il apparaît d'autant moins difficile de s'appuyer sur cet enseignement que l'article 11 de la loi n° 2005-380 du 23 avril 2005 d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école a complété l'article L. 131-2 du code de l'éducation par un alinéa ainsi rédigé, qui pourrait servir fort opportunément de passerelle entre ces deux modes d'instruction : « Un service public de l'enseignement à distance est organisé notamment pour assurer l'instruction des enfants qui ne peuvent être scolarisés dans une école ou dans un établissement scolaire. » D'ores et déjà, les inspecteurs d'académie sont conduits à émettre des avis sur les demandes d'inscription réglementée « en classe complète » (c'est-à-dire pour toutes les matières) des élèves qui souhaitent s'inscrire au CNED et bénéficier du tarif subventionné. Sont visés comme motifs dans la demande d'inscription : les soins médicaux en famille ; les parents itinérants ; les soins médicaux en établissements spécialisés ; l'éloignement géographique ; les activités sportives ou artistiques ; les autres motifs. Il appartient dans tous les cas à l'inspecteur d'académie de vérifier la légitimité du motif invoqué. Les parents, dans le dispositif proposé par la commission d'enquête, auraient naturellement le choix entre l'enseignement public à distance et l'enseignement privé à distance. Sans s'attarder sur ce mode d'enseignement qui est évoqué dans le point suivant, on rappellera que la création des établissements privés d'enseignement à distance est soumise à déclaration et que ces organismes font l'objet d'un contrôle pédagogique ainsi que d'un contrôle de leur publicité (Article L. 444-2, L. 444-3 et L. 471-1 et suivants du code de l'éducation). Cette réforme s'articulerait logiquement avec l'obligation d'enquête sociale imposée à l'avenir aux parents ayant recours à l'enseignement à distance (cf. infra 3). L'exercice d'un contrôle une fois par an par l'inspection d'académie, la diffusion d'outils pédagogiques homologués dans le cadre de l'enseignement à distance, le retour de l'instruction à domicile dans ses dimensions d'origine, à savoir deux familles, pourraient être de nature à éviter les dévoiements de cette procédure. Il ne faut pas se dissimuler toutefois que les mouvements sectaires peuvent toujours mettre à profit toute faille d'une législation attachée au respect de la liberté de l'enseignement pour s'y engouffrer. 3. Le contrôle de l'enseignement à distance Aux termes de l'article L. 444-1 du code de l'éducation, « constitue un enseignement à distance l'enseignement ne comportant pas, dans les lieux où il est reçu, la présence physique du maître chargé de le dispenser ou ne comportant une telle présence que de manière occasionnelle ou pour certains exercices ». En vertu de l'article L. 444-2, la création des organismes privés d'enseignement à distance est soumise à déclaration. Un établissement public, le Centre national d'enseignement à distance (CNED), dispense également un enseignement de ce type. Son organisation et son fonctionnement sont régis par le décret n° 2002-602 du 25 avril 2002. D'après les chiffres fournis par l'éducation nationale à la commission d'enquête, 112 209 enfants dont 103 806 en métropole suivent un enseignement de cet établissement, pour le primaire et le secondaire. Ce chiffre doit toutefois être relativisé car il comprend un grand nombre de formations complémentaires à la scolarité en établissement, limitées à une seule matière. La production des cours et des devoirs, conformes aux programmes officiels, est assurée par des professeurs titulaires de l'éducation nationale. La correction des devoirs et les aides à distance sont fournies par des enseignants de l'éducation nationale, le nombre d'enseignants employés étant estimé à 4 400. Il faut ajouter également aux 112 209 élèves du CNED, 600 enfants relevant, selon les estimations de l'éducation nationale, de l'enseignement privé à distance. Cependant, comme l'a reconnu l'inspecteur de l'administration de l'éducation nationale, membre de la cellule chargée de la prévention des phénomènes sectaires dans l'éducation : « s'agissant de l'enseignement à distance, nous ne contrôlons quasiment rien. [...] Si nous ne contrôlons pas l'enseignement à distance, c'est essentiellement en raison d'un manque de moyens. S'agissant du CNED, nous n'avons pas de contrôles à faire ; c'est un établissement public qui délivre un enseignement parfaitement conforme aux programmes de l'éducation nationale. Par contre, l'enseignement à distance privé a une idéologie extrêmement affirmée. Il ne respecte pas forcément nos programmes, et dit même très ouvertement que certaines parties de nos programmes ne sont pas enseignées, en particulier dans les programmes de biologie. » (327) Ce reproche a été adressé par exemple par les services de l'éducation nationale aux cours par correspondance « Le Chêne » ouverts aux enfants des Frères de Plymouth, où les activités informatiques seraient volontairement occultées et où l'enseignement des sciences recevrait une approche niant par exemple les thèmes scientifiques essentiels, comme ceux de l'évolutionnisme. Choisir la formule de l'enseignement à distance pour l'instruction à domicile, comme le fait cette dernière mouvance, permet aux enfants de ne pas relever de l'article L. 131-10 du code de l'éducation sur l'instruction à domicile et d'échapper ainsi aux contrôles de l'inspection d'académie territorialement compétente. Comme l'a fait valoir M. Thierry-Xavier Girardot, « certains considéraient que les textes laissaient un vide juridique dans le cas des enfants non inscrits dans un établissement d'enseignement et recevant l'instruction à domicile par le biais d'un établissement d'enseignement à distance »(328). Cette brèche devrait disparaître toutefois à terme si l'article 9 du projet de loi précité sur la prévention de la délinquance est définitivement adopté (329). En effet, celui-ci prévoit que l'obligation d'enquête sociale s'imposera non seulement à l'instruction exclusivement à domicile mais également à l'instruction par le biais d'un enseignement à distance. Par conséquent le risque d'utilisation de ce cadre éducatif à des fins sectaires devrait être moindre. Le renforcement du contrôle de l'État pourrait également recevoir un prolongement sur d'autres terrains sur lesquels M. Thierry-Xavier Girardot a attiré l'attention de la commission d'enquête : « Un éventuel contrôle de l'État devrait répondre à deux types d'objectifs : un objectif de "moralité" au sens large, bien au-delà de la seule prévention des domaines sectaires - en vérifiant notamment l'absence de condamnations pour des motifs incompatibles avec l'enseignement -, et un objectif de qualité de l'enseignement donné en exigeant des conditions de diplômes ou de qualifications professionnelles équivalentes. Cela ressemble fort à une procédure d'agrément. Faut-il aller jusque là et réglementer ce type d'activité ? Cela mérite sans doute une étude d'impact un peu plus large, et de se demander si le coût de la mesure est justifié au vu des garanties qu'elle apportera. Quoi qu'il en soit, il me paraîtrait de bon sens que les activités de soutien soient soumises à un contrôle de moralité et de qualité professionnelle de l'intervenant. » (330) Dans cet esprit, il est apparu nécessaire à la commission d'enquête de recommander de compléter le régime de simple déclaration des organismes privés d'enseignement à distance, en proposant que le ou les dirigeants de l'entreprise ne puissent exploiter ni diriger l'une quelconque de ces entreprises dans plusieurs hypothèses : s'ils ont encouru une incapacité mentionnée à l'article L. 911-5 du code de l'éducation (331) ; s'ils ont été condamnés à une peine d'au moins deux mois d'emprisonnement sans sursis pour le délit prévu à l'article 223-15-2 du code pénal, c'est-à-dire l'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de faiblesse et s'il n'ont pas obtenu le diplôme du baccalauréat, le diplôme de licence ou un des certificats d'aptitude aux enseignements primaire ou secondaire. Ces dernières conditions seraient pour l'essentiel alignées sur celles prévues à l'article L. 441-5 du code de l'éducation pour l'ouverture des établissements d'enseignement privé du second degré. 4. L'obligation de déclaration des établissements d'enseignement Les travaux de la commission d'enquête ont permis de constater que des dispositions du code de l'éducation étaient totalement méconnues par des établissements d'enseignement. Il en est ainsi des règles relatives à la publicité et au démarchage contenues aux articles L. 471-1 et suivants. Ces articles sont relatifs à la création et au fonctionnement des organismes privés dispensant un enseignement à distance ainsi qu'à la publicité et au démarchage faits par les établissements d'enseignement. L'article L. 471-3 impose à ces derniers un dépôt préalable de publicité auprès du recteur : « La publicité ne doit rien comporter de nature à induire les candidats en erreur sur la culture et les connaissances de base indispensables, la nature des études, leur durée moyenne et les emplois auxquels elles préparent ». Or, par exemple, à l'exception d'un seul (Maina Danion Tutoring - adepte de la Scientologie, sis 49 rue du Général de Gaulle, à Lamballe (Côtes d'Armor)), les établissements de soutien scolaire identifiés par la commission et entrant dans le champ d'application de ce dispositif n'avaient pas procédé à une telle déclaration. Justifiée par le souci de protéger le consommateur, cette disposition doit précisément servir à mettre en garde celui-ci contre toute instrumentalisation par un mouvement sectaire, d'autant que sa méconnaissance est punie d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende (art. L .471-5 issu de l'article 16 de la loi n° 71-536 du 7 juillet 1971). S'agissant des cours de soutien proposés par M. Bernard Halbeisen, professeur des écoles, membre de la Scientologie, cité plus haut, on note par exemple que ni l'inspection d'académie ni les services de l'administration centrale du ministère n'ont saisi, en temps utile, le parquet, comme les y invitait l'article L. 471-5. L'attention de tous les établissements d'enseignement, quels qu'ils soient, doit donc être attirée par voie de circulaire, sur cette règle. Son champ d'application très large montre au demeurant que la position de l'administration de l'éducation nationale tendant à ignorer le soutien scolaire et au-delà le périscolaire est contestable, puisque cette obligation de publicité auprès du Rectorat s'impose à tous les organismes ou établissements d'enseignement. 5. L'agrément des organismes de soutien scolaire Comme évoqué précédemment, l'agrément des organismes de soutien scolaire est soumis au statut des agréments des organismes de services d'aide à la personne à domicile. Il s'agit, en vertu des dispositions combinées de l'article L. 129-1 et de l'article R. 129-1 du code du travail, d'un agrément facultatif et simple par opposition à l'agrément « qualité », qui s'applique à des publics particuliers comme les personnes âgées, handicapées ou dépendantes. Même si dans les faits cet agrément est rendu nécessaire pour le bénéfice de l'avantage fiscal qui y est lié, la loi ne l'impose pas formellement. Il apparaît donc opportun d'exiger cette obligation d'agrément à l'article L. 129-1 du code du travail, en prévoyant un agrément simultané du ministère chargé de l'éducation nationale et du ministère chargé du travail pour le service à la personne consacré au soutien scolaire, lorsque ce dernier est assuré par un organisme à but lucratif. Au surplus les conditions personnelles exigées aujourd'hui des dirigeants de l'entreprise pour l'attribution de l'agrément sont définies à l'article R. 129-3 du code du travail et semblent se situer en deçà de ce que l'on est en droit d'attendre d'un encadrement d' une telle activité ; ces dirigeants ne doivent pas avoir fait l'objet d'une condamnation pour l'une des infractions mentionnées à l'article 1er de la loi n° 47-1635 du 30 août 1947 relative à l'assainissement des professions commerciales et industrielles et la personne représentant l'entreprise dont l'activité est en lien avec des mineurs ne doit pas avoir été inscrite au fichier national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles. Renforcer ces conditions préalables rejoindrait la suggestion faite à la commission d'enquête par M. Thierry-Xavier Girardot(332), évoquée plus haut, consistant à soumettre la direction de l'entreprise de soutien scolaire à des conditions de moralité et à des exigences professionnelles accrues. Dans un souci de simplicité et dans la mesure où les objectifs sont les mêmes, il a semblé justifié de subordonner l'ouverture des organismes de soutien scolaire à des conditions identiques à celles prévues pour les organismes d'enseignement à distance. D. UNE ABSENCE DE CONTRÔLE DES ACTIVITÉS DES PSYCHO-THÉRAPEUTES Au cours de son audition devant la commission d'enquête, M. Bernard Basset, sous-directeur à la direction générale de la santé a reconnu que « le champ de la santé mentale est tout à fait propice à l'intervention des mouvements à caractère sectaire. Car les personnes ayant soit des troubles mentaux avérés, soit des difficultés passagères liées à un événement grave de leur vie, sont dans une situation de vulnérabilité. Elles sont souvent en recherche de soutien, de réconfort, et n'ont pas, la plupart du temps, la même vigilance à l'égard de ceux qui s'adressent à eux et prétendent les aider »(333). La manipulation mentale constituant le premier moyen d'action auxquels ont recours les mouvements à caractère sectaire, les activités des spécialistes du mental que sont les psychothérapeutes ont retenu l'attention de la commission d'enquête. L'usage déviant de certaines techniques de psychothérapie, dont les enfants sont les premières victimes, apparaît constituer un nouveau trait du paysage sectaire. 1. Un nombre de psychothérapeutes en croissance continue Dans ce que Mme Claude Delpech, au cours de son audition, a appelé « la nébuleuse de "l'ego" »(334), le nombre de thérapies ne cesse de croître, et en conséquence, le nombre de psychothérapeutes. Celui-ci s'élève, selon les estimations de l'INSEE à 28 500 (psychothérapeutes, psychologues et psychanalystes) en 2005, ce qui représente une augmentation de 35,71 % depuis 1999. Si l'on considère les seuls thérapeutes (psychothérapeutes, psychologues et psychanalystes) inscrits au fichier des redevables professionnels, ce nombre est de 8 776 en 2006 en augmentation de 72,31 % depuis 2000. Le rapport du Sénat sur le projet de loi relatif à la politique de santé publique procédait en 2004 aux évaluations suivantes : « Environ 13 000 psychiatres et 15 000 psychothérapeutes exercent aujourd'hui la psychothérapie en France. Sur ces 15 000 psychothérapeutes, une forte majorité ne disposerait pas des diplômes exigés par le dispositif adopté par l'Assemblée nationale, c'est-à-dire qu'ils exercent librement leur art, parfois avec une extrême compétence, parfois au moyen de pratiques confinant au charlatanisme. L'enseignement est délivré par près de cinq cents écoles différentes et qui associent en général, travail sur soi, travail en supervision et confrontation des expériences entre pairs [...] Au total, entre trois et cinq millions de personnes recourraient chaque année à ces pratiques, le plus souvent de leur propre initiative et sans bénéficier d'une prise en charge par la sécurité sociale. »(335) M. Lionel Gaugain, président du centre d'information et de prévention sur les psychothérapies abusives et déviantes (CIPPAD) a fait état du nombre de psychothérapeutes exerçant dans le département du Maine-et-Loire : « 20 en 1995, puis 50 en 2000 et 90 en 2005. » À cette augmentation, M. Gaugain a apporté l'explication suivante : « Comment peut-on expliquer que le nombre de psychothérapeutes soit multiplié par deux tous les cinq ans ? Leur activité n'est pas très lucrative si l'on s'arrête aux consultations. Elle commence à devenir intéressante à partir du moment où ils participent à des stages, de développement personnel ou de formation professionnelle. J'ai le cas d'une psychothérapeute qui gagnait 4 200 euros dans l'année en consultation, et 17 500 euros au titre d'un contrat de formation pour des personnels d'une maison de retraite.(336) » On relève, de fait, que l'offre de techniques psychothérapeutiques présente une diversification qui va en s'accroissant, à mesure que celles-ci se confondent avec tous les procédés censés apporter du bien-être. Si une approche méthodique de la psychothérapie ne distingue que trois grandes catégories de soins(337) (cognitivo-comportementale, psychanalytique, familiale et de couple), certaines fédérations de psychothérapeutes proposent un choix beaucoup plus vaste. Ainsi la fédération française de psychothérapie et de psychanalyse a établi la liste des techniques suivantes(338) : Analyse bioénergétique Analyse des rêves Analyse psycho-organique Analyse transactionnelle Art-thérapie Danse-thérapie Intégration neuro-émotionnelle par les mouvements oculaires Gestalt-thérapie Haptonomie Hypnose classique Hypnose éricksonienne Intégration posturale thérapeutique Massage psychothérapeutique Musicothérapie Programmation Neuro-Linguistique thérapeutique Psychodrame Psychogénéalogie Psychologie de la motivation Psychosynthèse Psychothérapie analytique Psychothérapie brève Psychothérapie centrée sur la personne Psychothérapie intégrative Psychothérapie psychocorporelle Psychothérapie transpersonnelle Relaxation Rêve éveillé Sexothérapie Somatothérapie Psychosomatothérapie Psychosomatanalyse Sophia-analyse Sophrothérapie Technique de respiration Thérapie cognitivo-comportementale Thérapie familiale analytique Thérapie familiale et systémique Thérapie primale Végétothérapie Toute personne éprouvant la nécessité de suivre une thérapie se trouve cependant confrontée à une offre encore plus large, qu'on peut mesurer à partir d'un échantillon de mots clés d'un site Internet consacré au bien-être (339) et reprise en l'état ci-après : Alimentation et nutrithérapie Analyse Bioénergétique Analyse et réinformation cellulaire Analyse Transactionnelle Antenne de Lecher Approche de l'Alignement Aragonite Aromathérapie Art-thérapie Astrologie Astrologie Evolutive® Atelier d'écriture Ayurveda Bilans et thérapies énergétiques Bio-communication Instrumentale Biodanza ® (Biodanse) Bioénergétique Vibratoire Biogym Biologie Totale & Déprogrammation biologique Biosyntonie Body-Mind Centering ® Bodymind Movement Buqi Catharsis glaudienne CBMC Chaînes Musculaires Chamanisme Chi Coaching Cohérence cardiaque Communauté thérapeutique Communication non violente Constellation systémique familiale Daseinsanalyse Décodage Biologique Décoration naturelle Do In Drainage Lymphatique Dyna Drainage Eau (travail dans l') Ecoute ton Corps EFT Emotional Freedom Technique Elixirs Floraux EMDR EMF Balancing Technique Energétique Enfant intérieur Ennéagramme Espere (Méthode) Euphonie gestuelle Eutonie Fasciathérapie Feldenkrais Feng Shui Fleurs de Bach Géobiologie Gestalt Graphothérapie Groupes Balint Haptonomie Harmonisation du corps et de l'esprit Health Kinesiology HTSMA Hydrothérapie Hypnose Hypnovision Idogo Intégration Posturale Iridologie Jeûne Kinésiologie Lait d'ânesse Massage Harmonisant Massage Holistique ® Massage Initiatique ® Massage Sensitif Belge Massage Sensitif Camilli Massages bébés Médecine Chinoise Médecine de l'âme Médiation Méditation zen Méthode Camilli Méthode Danis Bois Méthode de Libération des Cuirasse © (MLC) Méthode Mézières Méthode Silva Méthode Tomatis Microkinésithérapie MORA Morpho-sémiologie Morphopsychologie Naturopathie NITS Noni Numérologie Orientation Orthokinésiologie Ostéopathie Oxygen Pédagogie clinique Pédagogie Perceptive du Mouvement MDB PhotoReading® Phyllis Krystal Phythothérapie Planning Familial Naturel PNL Préparation affective à la naissance Processus Hoffman Psychanalyse Psychanalyse Jungienne Psychogénéalogie Psychologie Analytique ou psychanalyse Jungienne Psychologie Biodynamique Psychologie orientée vers le processus Psychopathologie Psychosynthèse Psychothérapie à médiation corporelle Psychothérapie analytique à médiations Psychothérapie Corporelle Intégrée Psychothérapie fonctionnelle Psychothérapie par le Souffle Qi Gong Rebirth Réduction d'Incidents Traumatiques Réflexologie Reiki Relaxation coréenne Relaxothérapie Relooking Rétrogénèse Sancorres Shiatsu Sinobiologie Somatanalyse Somnothérapie Sophia-Analyse Sophrologie Sophrologie Caycédienne Sophrologie Dynamique Tai Chi Chuan Tantra Tao de la santé TCM Technique Alexander Thérapie brève (modèle Palo Alto) Thérapie centrée sur la personne Thérapie cognitivo-comportementale Thérapie Narrative Thérapie Somatique des traumatismes Thérapies aquatiques Thérapies psycho-corporelles Tradition Andine Transpersonnel Validation Therapy On s'interroge sur l'absence d'évaluation de ces techniques par les pouvoirs publics. Seules des questions écrites posées par des parlementaires ont amené le ministère de la santé à reconnaître, par exemple, la kinésiologie (340) et la sophrologie (341) comme des activités n'ayant fait l'objet d'aucune étude validée scientifiquement. 2. Des circuits de formation opaques La nébuleuse de la psychothérapie n'est pas constituée d'une dissémination d'initiatives individuelles ; on relève au contraire un certain degré d'organisation qui, le cas échéant, accroît considérablement la nocivité de certaines pratiques. Le rapport de la Mils en 2001 avait souligné le fait que ces activités passent par des circuits de formation qui sont la source d'une part importante des profits dégagés : « La psychothérapie est souvent une activité plurielle. Les circuits de formation en représentent une part non négligeable : un psychothérapeute exerçant en cabinet libéral est souvent également formateur, voire coach. Il peut éventuellement assurer la supervision - qui lui est rémunérée - d'autres psychothérapeutes. » (342). L'exemple des formations à l'analyse transactionnelle, pris par la MILS en 2001, avait permis de mettre en évidence un système de vente pyramidale basé sur un jeu complexe de degrés d'agréments(343). On relève une gestion commerciale tout aussi rationalisée dans le mouvement Kryeon - EMF Balancing qui propose différents types de formation : un « Programme de Croissance Personnelle » (1 076,40 euros), un stage de « Praticien Accrédité » (962,20 euros), une formation de Praticien des Phases V-VIII « Maîtres au cœur de la Pratique » (1 594 euros), chaque nouvelle formation étant conditionnée par le suivi des stages de degré inférieur ; est également proposé, au prix de 938,60 euros, un stage de « revalorisation pour les praticiens certifiés ancien programme voulant obtenir une accréditation ». On dénombre actuellement 38 formateurs détenteurs d'une licence EMF Balancing en France. Un autre propagandiste de la théorie des enfants indigo propose, pour 300 euros par personne (550 euros pour un couple) des ateliers et des séminaires portant sur les thèmes suivants : semences d'étoiles, source intérieure (3 niveaux d'enseignement), reiki unitaire, les degrés de l'éveil, le ciel en soi. On relève que le coût d'un stage de reiki se monte à 700 euros ; il est vrai qu'il est assorti d'un diplôme de Maître-praticien enseignant, délivré après signature d'un code d'éthique et de déontologie. L'association Ta main pour parler, chargée de propager les techniques de la communication facilitée distingue « Le facilitant autorisé à pratiquer », qui est « en cours de formation de psychophanie et de communication facilitée et a atteint le niveau CF3 lui permettant de recevoir des personnes » et « le praticien certifié » qui « a terminé sa formation ». On compte pas moins de 26 stages de formation à la technique de la communication facilitée organisés entre septembre 2006 et octobre 2007(344).Une liste non exhaustive de « praticiens certifiés » permet de dénombrer 30 « facilitants et praticiens », la majorité étant formée de psychothérapeutes (on y dénombre aussi 3 médecins)(345). Une charte éthique dite « charte du facilitant » a même été rédigée(346). Ainsi, par des systèmes d'agrément ou de labels, de multiples stages de formation et de chartes de déontologie pro domo sua se constituent de véritables réseaux de praticiens. L'appartenance à un réseau n'est pas contradictoire avec la participation à plusieurs autres. On constate ainsi que plus le niveau général de formation du psychothérapeute s'éloigne des critères universitaires, plus il revendique de spécialités. Par exemple, la présidente de l'association Arsinoé(347), qui s'est spécialisée dans la défense de l'enfant en danger, présente les compétences suivantes : « psychothérapeute, conseillère en relations humaines, formée à la psychologie transpersonnelle d'orientation jungienne, pratique le rebirth, le rêve éveillé dirigé, la sophrologie, l'Art-thérapie (sons, couleurs, mandala), en individuel et en groupe. » (348) Cette multiplication des labels constitue manifestement un procédé commercial. En outre, ces réseaux sont d'autant plus denses que, comme en a fait part un témoin auditionné à huis clos par la commission d'enquête, les psychothérapeutes peuvent entre eux s'adresser les patients. 3. La réglementation du titre de psychothérapeute, un exercice inachevé Ce n'est qu'en 2004, avec le vote de l'article 52 de la loi n° 2004-806 relative à la politique de santé publique, que l'exercice de la profession de psychothérapeute a fait l'objet d'une réglementation. Selon les termes de M. Bernard Accoyer, il convenait de légiférer « parce qu'il y a un vide juridique qui fait que n'importe qui peut visser sur la façade d'un immeuble sa plaque en s'arrogeant le titre de psychothérapeute »(349). Si les nouvelles dispositions législatives proposées par M. Bernard Accoyer et votées par l'Assemblée nationale en première lecture portaient sur le contenu de la pratique des psychothérapies (notamment au travers de l'établissement d'une nomenclature des pratiques reconnues), les mesures finalement adoptées par le législateur se sont concentrées sur la création d'un titre de psychothérapeute et sur les conditions de sa délivrance. Un niveau minimum de formation est ainsi garanti. En outre, ces nouvelles dispositions prévoient que les listes établies au niveau départemental seront mises à disposition du public, ce qui permettra aux personnes ayant besoin de suivre une psychothérapie de vérifier la réalité de la formation du psychothérapeute auquel elles s'adressent. Il est cependant à regretter que la rédaction de ces dispositions législatives ne fasse pas mention des peines encourues en cas d'usurpation du titre de psychothérapeute. Il serait utile à la sécurité juridique de ce dispositif ainsi qu'à sa bonne intelligibilité qu'il soit fait référence, comme il l'a été fait pour le titre de psychologue (350), aux peines fixées par l'article 433-17 du code pénal relatif, notamment, à l'usurpation d'un titre attaché à une profession légalement réglementée (351). Au cours de l'année 2006, trois versions successives du décret d'application de cette nouvelle disposition législative ont été rédigées par le ministère de la santé et des solidarités. Le projet de décret finalement retenu par le ministère doit encore être examiné par le Conseil d'État. Au regard des constats dressés par la commission d'enquête, il est satisfaisant de relever que ce projet de décret lie l'usage du titre de psychothérapeute au suivi d'une formation conséquente en psychopathologie clinique. Le cahier des charges de cette formation prévoit en effet la validation d'une formation théorique de 500 heures faite dans un cadre universitaire et d'un stage pratique d'une durée minimale de 500 heures effectué dans un établissement de santé ou dans un établissement médico-social accueillant des patients atteints de pathologies psychiques. Il convient cependant de rappeler les termes exacts du rapport fait au nom de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la politique de santé publique (352) : « Article 18 quater, usage du titre de psychothérapeute. « M. Jean-Michel Dubernard, rapporteur pour l'Assemblée nationale, a rappelé la grande importance de cet article, compte tenu des abus et des excès constatés dans le domaine de la psychothérapie, notamment certaines dérives sectaires. Il a exposé les différences entre les textes adoptés par l'Assemblée nationale et le Sénat, puis il a présenté un amendement, élaboré en concertation avec M. Francis Giraud, rapporteur pour le Sénat, tendant à préciser que toutes les personnes inscrites au registre national des psychothérapeutes devront avoir reçu une formation théorique et pratique en psychopathologie clinique. « M. Gilbert Chabroux, sénateur, a souhaité savoir si les docteurs en médecine et les psychologues pourraient être inscrits automatiquement sur le registre. « M. Francis Giraud, rapporteur pour le Sénat, a précisé que, dans cette nouvelle rédaction, tous les utilisateurs du titre de psychothérapeute, quels que soient leurs titres et qualités, devraient avoir reçu les formations demandées, qui seront précisées par décret. « Mme Catherine Génisson, députée, a estimé qu'il est légitime que les docteurs en médecine ne dérogent pas aux règles fixées en matière de formation. « La commission a adopté cet amendement et l'article 18 quater ainsi rédigé. » L'intention du législateur est claire : il n'y a pas d'exception à l'obligation de suivre une formation en psychopathologie clinique. En conséquence, les titulaires d'un diplôme de docteur en médecine, les personnes autorisées à faire usage du titre de psychologue et les psychanalystes régulièrement enregistrés dans les annuaires de leurs associations ne peuvent, au vu de leur seule spécialité, faire usage du titre de psychothérapeute. Le bien-fondé de cette disposition législative a reçu une confirmation à l'occasion des travaux de la commission d'enquête. Il est en effet manifeste que les groupes de psychothérapeutes déviants tentent de se faire reconnaître une légitimité scientifique en mettant en avant le fait que tel ou tel d'entre eux est un professionnel de la santé. Par ailleurs, il est clair que la compétence que peut avoir un docteur en médecine ne lui donne pas de facto une compétence pour conduire une psychothérapie. Or, force est de constater que le projet de décret soumis au Conseil d'État est, sur cet aspect, en contradiction avec le choix du législateur. Il y est en effet prévu que les professionnels précédemment cités (médecins, psychologues et psychanalystes) se voient reconnaître le titre de psychothérapeute sans suivre de formation particulière. En plus des arguments déjà développés, on fera observer que ces dispositions auraient pour conséquence qu'un thérapeute n'appartenant plus à l'ordre des médecins pourrait néanmoins prétendre au titre de psychothérapeute, seule l'attestation de l'obtention du diplôme de docteur en médecine étant requise par le décret. Que le titulaire de ce diplôme ait quitté volontairement l'instance ordinale, ou qu'il ait été provisoirement interdit d'exercice voire radié de l'ordre, le titre de psychothérapeute lui sera néanmoins attribué de droit. Par ailleurs le pouvoir d'appréciation du juge dans certaines affaires mettant en cause des psychothérapies déviantes s'en verrait amoindri ; l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, précédemment cité, avait en effet retenu dans ses motivations que le thérapeute dont le témoignage était mis en cause était diplômé de médecine générale « sans titre ni qualification en psychiatrie ou en psychologie.(353) » Le juge ne pourra plus se prévaloir de ce qui lui semblait relever pourtant d'une évidence, à savoir qu'une psychothérapie constitue un acte thérapeutique exigeant une formation spécialisée. Il convient par conséquent que le décret d'application de la disposition législative réglementant le titre de psychothérapeute soit conforme aux exigences posées par le législateur. 4. La sanction nécessaire des mauvaises pratiques Les grands courants de psychothérapie, ainsi que certains groupuscules, manifestent en général le souci d'éviter une mise en œuvre déviante de leurs techniques. Des chartes de déontologie, des codes de bonnes pratiques et des recommandations de bonnes conduites sont ainsi rédigés et se présentent comme liant moralement le praticien agréé. Ces efforts pour procéder à une régulation des pratiques demeurent cependant de peu d'effet. D'une part, le contenu de ces règles est laissé à l'inspiration de leurs auteurs. D'autre part, aucune autorité disciplinaire ne vient sanctionner l'éventuelle inobservation de ces recommandations. Il ne paraît pas acceptable que, dans le domaine de la santé, la reconnaissance d'un titre ne s'accompagne pas de dispositions contrôlant son bon usage. La nécessité d'une meilleure régulation des pratiques est exprimée, de façon plus large, par toutes les professions paramédicales non organisées en ordres. Ainsi, la motivation de la création d'un ordre national des infirmiers s'est appuyée sur le constat suivant : « [...] alors que des règles déontologiques de la profession ont été définies en 1993, aucune instance ordinale n'a parallèlement été mise en place afin de veiller à leur application. [...] Il existe donc incontestablement un vide juridique qui maintient la profession dans une forme d'insécurité. »(354) On ne peut que constater que le cadre réglementaire dans lequel s'exercent les pratiques de psychothérapies est marqué d'une insécurité encore plus forte : les psychothérapeutes ne sont pas organisés en profession et il n'y a pas de code de déontologie. C'est pourquoi la commission d'enquête appelle de ses vœux la rédaction, en un premier temps, d'un code de bonnes pratiques commun à l'ensemble des psychothérapeutes. Ce code pourrait s'inspirer des codes de déontologie des professions de santé réglementées en se fondant sur les « principes de moralité, de probité, de compétence et de dévouement » mentionnés à l'article L. 4121-2 du code de la santé publique. Les intérêts supérieurs de l'enfant devraient y être particulièrement pris en compte (355). Lier l'usage du titre de psychothérapeute au respect de règles déontologiques pourrait passer par la mise en place d'une organisation des professionnels de la psychothérapie, sur le modèle du conseil professionnel de certaines professions paramédicales institué par la loi relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé (356). Certes, en l'absence de textes d'application, ce conseil n'a pas encore été créé et la constitution actuellement en discussion (357) d'ordres professionnels pour les professions concernées lui a fait perdre de sa pertinence. Une structure analogue pourrait cependant constituer une base d'organisation pour des professionnels qui, par la diversité et la nature de leurs pratiques, n'ont pas vocation à former une profession de santé au sens propre (358). Des instances disciplinaires seraient ainsi créées comprenant des représentants des professionnels, du ministère de la santé et d'un membre du Conseil d'État, comme dans la chambre disciplinaire nationale de l'Ordre des médecins (article L. 4122-3 du code de la santé publique). 5. L'évaluation indispensable des techniques thérapeutiques Le conseil professionnel, dont la commission d'enquête appelle la création, aurait aussi pour fonction, sur le modèle du conseil déjà prévu pour certaines professions paramédicales, de procéder à l'évaluation des pratiques professionnelles (359). Il ne semble, en effet, pas concevable que l'attribution d'un titre de psychothérapeute n'engage pas l'autorité publique sur l'efficacité des techniques mises en œuvre par les bénéficiaires de ce titre. Au cours de son audition devant la commission d'enquête (360), M. Francis Brunelle, conseiller au cabinet du ministre de la santé et des solidarités a assuré qu'après une première évaluation effectuée en 2004 par l'INSERM, « le ministre de la santé a souhaité que le débat s'élargisse.[...]. Le ministre s'exprimera pour demander qu'il soit procédé, s'agissant de ces thérapies, à des évaluations plus vastes, plus fréquentes et plus scientifiques. » M. Francis Brunelle a cependant souligné les difficultés à engager ce type de démarche : « C'est un domaine dans lequel les acteurs ont un positionnement par essence anti-cartésien. Ils dénient à la pensée cartésienne le droit d'évaluer des concepts qui s'apparentent à des concepts philosophiques, et qui sont parfois proches de dérives sectaires. Ils dénient même parfois à l'État, en tant que tel, le droit de s'immiscer dans ce domaine. Il y a là un enfermement extrêmement problématique. » Face aux drames que certains usages déviants de techniques psychothérapiques ont entraînés, il revient cependant aux pouvoirs publics d'engager des actions vigoureuses pour rendre plus transparent l'ensemble de ces pratiques. ÉDUCATION I. - Redéfinir le régime de l'instruction à domicile. 1. Définir précisément les conditions du choix de l'instruction à domicile : la maladie, le handicap de l'enfant, le déplacement de la famille ou toute autre raison réelle et sérieuse. 2. Exiger le recours aux instruments pédagogiques offerts par le Centre national d'enseignement à distance ou par les organismes privés d'enseignement à distance déclarés. 3. Limiter explicitement l'instruction à domicile à deux familles, l'école hors contrat s'imposant au-delà de ce seuil. La commission d'enquête a le souci de garantir le respect de la liberté d'enseignement, qui a valeur constitutionnelle et est consacré par l'article 2 du protocole n° 1 de la Convention européenne des droits de l'homme. Toutefois, afin de faire obstacle à des dévoiements de l'instruction à domicile du type de ceux qu'elle a rencontrés à Tabitha's Place, elle recommande de redéfinir les conditions de l'accès à cette forme d'instruction, de réaffirmer que son champ d'application est limité et de la coupler avec l'enseignement à distance. 4. Rendre effective l'obligation du ministère chargé de l'éducation nationale de contrôler annuellement les modalités de l'instruction à domicile. Ce contrôle s'effectue en la seule présence des enfants et des fonctionnaires habilités, y compris les personnels de santé scolaire. II. - Redéfinir le régime de l'enseignement à distance. 5. Imposer pour le recours à l'enseignement à distance l'enquête sociale du maire exigée pour l'instruction à domicile. 6. Soumettre les dirigeants des organismes d'enseignement à distance aux exigences suivantes : - ne pas avoir encouru une des incapacités mentionnées à l'article L. 911-5 du code de l'éducation ; - ne pas avoir été condamné à une peine d'au moins deux mois d'emprisonnement sans sursis pour les délits prévus à l'article 223-15-2 du code pénal ; - avoir soit le diplôme du baccalauréat, soit le diplôme de licence ou un des certificats d'aptitude aux enseignements primaire ou secondaire. III. - Veiller aux obligations de publicité des organismes ou établissements d'enseignement. 7. Faire respecter l'obligation de déclaration des établissements d'enseignement imposée par les articles L. 471-1 et suivants du code de l'éducation. Il s'agit de rappeler les règles de publicité et de démarchage qui s'imposent aux organismes ou établissements d'enseignement. IV. - Renforcer le régime des agréments des organismes de soutien scolaire. 8. Exiger un agrément simultané du ministère chargé de l'éducation nationale et du ministère chargé du travail pour les organismes à but lucratif effectuant des prestations de soutien scolaire. 9. Aligner les exigences requises pour les dirigeants des organismes de soutien scolaire sur celles de leurs homologues de l'enseignement à distance (cf. proposition n° 6). V. - Améliorer l'information du public et la coordination des actions de l'éducation nationale avec celles de la jeunesse et des sports. 10. Prévoir une sensibilisation aux dérives sectaires dans les programmes d'éducation civique au collège et au lycée. 11. Coordonner les politiques du ministère chargé de l'éducation nationale et du ministère chargé de la jeunesse, des sports et de la vie associative en matière d'agrément des établissements qui, accueillant des jeunes afin de leur offrir des loisirs ou leur faire passer des vacances, proposent des activités éducatives. ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR 12. Prévoir un enseignement sur les dérives sectaires dans les unités universitaires de formation et de recherche (UFR) de psychologie, des sciences de l'éducation ainsi que dans les IUFM. 13. Introduire, au sein des facultés de médecine, des enseignements dédiés à l'emprise mentale et à la victimologie. Ces modules seraient plus particulièrement proposés, en fin de cursus, aux étudiants choisissant de devenir médecins généralistes ou psychiatres et pourraient être ouverts aux étudiants en dernière année de licence en psychologie. Ces modules devraient être ouverts à tous les professionnels concernés par le fait sectaire. 14. Instituer une formation des auditeurs de justice et des avocats stagiaires au fait sectaire, portant notamment sur la spécificité des contentieux relatifs au droit de la famille et au droit de la protection de l'enfance. SANTÉ PUBLIQUE 15. Rendre obligatoire un contrôle médical annuel effectué par la médecine scolaire pour les enfants de plus de 6 ans, qui sont soit instruits dans leur famille, soit scolarisés dans des établissements hors contrat. Si les visites médicales s'imposent pour tous les enfants jusqu'à l'âge de 6 ans, les enfants à compter de cet âge, qui sont soit instruits dans leur famille, soit scolarisés dans des établissements hors contrat échappent aujourd'hui à tout suivi médical obligatoire. 16. Unifier les régimes de sanction des refus parentaux de vaccination de leurs enfants. Les refus parentaux de vaccination des enfants doivent, contrairement à la situation actuelle, être tous frappés des mêmes pénalités. L'article L. 3116-4 du code de la santé publique, devrait être ainsi rédigé : « Le refus de se soumettre ou de soumettre ceux sur lesquels on exerce l'autorité parentale ou dont on assure la tutelle aux obligations de vaccination prévues aux articles L. 3111-2, L. 3111-3 et L. 3112-1 ou d'en entraver l'exécution est puni de six mois d'emprisonnement et de 3 750 € d'amende. » 17. Rappeler par voie de circulaire du garde des Sceaux les sanctions pénales applicables pour défaut de vaccination. 18. Passer outre le refus des parents d'une transfusion sanguine de leurs enfants. Constatant les risques graves qui peuvent peser sur la vie des enfants Témoins de Jéhovah, la commission d'enquête entend les protéger mieux que la loi ne le fait actuellement, en proposant une modification du sixième alinéa de l'article L. 1111-4 du code de la santé publique. Le texte précité est ainsi rédigé : « Dans le cas où le refus d'un traitement par la personne titulaire de l'autorité parentale ou le tuteur risque d'entraîner des conséquences graves pour la santé du mineur ou du majeur sous tutelle, le médecin délivre les soins indispensables. » Il est proposé de le compléter par la phrase suivante : « Dans le cas où ce refus a pour objet une transfusion sanguine, le médecin après avoir informé la personne titulaire de l'autorité parentale ou le tuteur des conséquences de leur choix, procède à la transfusion sanguine. » Cette modification législative devra être suivie de mesures d'assistance éducative destinées à suivre psychologiquement les jeunes transfusés lors de leur retour au sein de leur famille. 19. Demander une évaluation des thérapies non éprouvées et assurer la plus large publicité des conclusions de ces études. 20. Provoquer une inspection immédiate de certains lieux de « traitement » d'adolescents en difficulté ainsi qu'une enquête administrative sur les conditions dans lesquelles ils ont été ouverts. Divers mouvements sectaires proposent de traiter par des enfermements rigoureux les adolescents en difficulté. Certains de ces lieux d'enfermement semblent avoir échappé à tout contrôle lors de leur création et n'avoir jamais été inspectés. 21. Améliorer la prise en charge des sortants de sectes et les accompagner sur le plan de la santé mentale. La commission d'enquête estime qu'il est urgent de généraliser l'offre de prise en charge. Elle demande qu'une étude médicale approfondie concernant les séquelles psychologiques des sortants de sectes soit réalisée et qu'elle porte notamment sur les dommages subis par les victimes mineures. Des listes de thérapeutes spécialement formés à l'analyse de la « relation d'emprise » devraient être mises à la disposition des familles concernées. 22. Demander au ministère chargé de la santé de réaliser une monographie décrivant les conséquences sociales et sanitaires de l'appartenance de jeunes à des organisations sectaires. 23. Préciser les conditions d'attribution du titre de psychothérapeute. La commission d'enquête estime insuffisantes les dispositions du projet de décret sur l'usage du titre de psychothérapeute. Elle considère que les titulaires d'un doctorat en médecine, les psychologues et les psychanalystes doivent attester d'une formation théorique et pratique en psychopathologie clinique, conformément aux dispositions de l'article 52 de la loi n° 2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique. 24. Définir les bonnes pratiques des psychothérapeutes. La commission considère que la délivrance du titre de psychothérapeute devrait être liée à l'adhésion à un code de bonnes pratiques, qui permettrait de procéder à un encadrement déontologique des pratiques de psychothérapie. Ces règles devraient insister notamment sur la prise en compte des intérêts supérieurs de l'enfant. La mise en œuvre de cette recommandation devrait se faire dans le cadre d'une organisation des activités de psychothérapie au sein d'un conseil professionnel, sur le modèle du conseil professionnel de certaines professions paramédicales. Des instances disciplinaires veilleraient au respect du code des bonnes pratiques et des procédures d'évaluation des techniques thérapeutiques pourraient être diligentées. 25. Préciser les sanctions applicables en cas d'usurpation de titres. Mieux définir les sanctions en cas d'usurpation de titres, en les articulant avec celles prévues à l'article 433-17 du code pénal. 26. Inscrire l'iboga sur la liste de l'arrêté du 22 février 1990 modifié fixant la liste des substances classées comme stupéfiants. L'ingestion d'iboga, substance hallucinogène provenant d'un arbuste africain, est librement utilisée par certains mouvements comme traitement de la toxicomanie, puisque cette substance est aujourd'hui en vente libre en France. Psychotique et mortel, ce produit doit être inscrit dans la liste des substances classées comme stupéfiants par l'arrêté du 22 février 1990 modifié. INTÉRIEUR 27. Modifier l'article 910 du code civil, en rétablissant un pouvoir d'opposition de l'administration aux dispositions entre vifs ou par testament au profit des associations cultuelles. Il s'agit de rétablir un outil essentiel de régulation des associations cultuelles supprimé par l'ordonnance de simplification administrative n° 2005-856 du 28 juillet 2005. 28. Autoriser la formation de cette opposition, lorsque l'association n'a pas pour objet l'exercice d'un culte, lorsque l'exercice de ce culte n'est pas l'objet exclusif de l'association, lorsque les activités de celle-ci portent atteinte, en tout ou partie, à l'ordre public et méconnaissent les intérêts supérieurs de l'enfant. Il s'agit par cette modification de l'article 910 du code civil, articulée avec la proposition précédente, de reprendre les critères traditionnels de la jurisprudence administrative pour la reconnaissance du statut d'association cultuelle, en y ajoutant celui des intérêts supérieurs de l'enfant. Le Conseil d'État et la Cour de cassation ont accordé une « considération primordiale » à ce dernier critère dans une jurisprudence concordante, qui reste cependant largement ignorée par la pratique administrative. JUSTICE 29. Garantir l'assistance d'un avocat pour le mineur. - Prévoir, dès le début d'un contentieux familial, l'assistance d'un avocat pour le mineur dont les parents ou l'un des parents sont réputés adhérer à une organisation présentant des risques de dérives sectaires. - Reconnaître ce même droit dès le début de l'enquête pour le mineur victime d'une infraction commise dans un mouvement à caractère sectaire. I. - Droit civil 30. Permettre aux grands-parents d'un enfant de saisir directement le juge des enfants, lorsque la santé, la sécurité ou la moralité de cet enfant sont en danger. Dans ces hypothèses, l'article 375 du code civil permet à chacun des parents, au tuteur, au mineur ou au ministère public de demander au juge des enfants d'ordonner des mesures éducatives pour le bien de l'enfant. Les grands-parents, lorsqu'ils constatent une situation de danger dans l'éducation donnée à leurs petits-enfants, peuvent en saisir le procureur de la République qui pourra décider de saisir le juge des enfants. Or, le plus souvent, les dérives sectaires s'exerçant sur les enfants doivent être rapidement contrées. Il paraît donc nécessaire de modifier l'article précité, afin de favoriser l'action des grands-parents, inquiets des conditions de vie de leurs petits-enfants. 31. Harmoniser la politique des pouvoirs publics relative aux agréments des assistants familiaux et des adoptants. Souhaitant qu'une même politique soit appliquée sur le territoire national et que les droits des enfants soient protégés de la même façon, dans tous les départements, la commission d'enquête invite le ministère chargé de la santé : - à organiser des rencontres annuelles entre les directeurs des services d'aide sociale à l'enfance afin d'harmoniser les procédures d'agrément des assistants familiaux ainsi que celles des adoptants ; - à prendre une circulaire rappelant ces conditions d'agrément. II. - Droit pénal et procédure pénale 32. Sanctionner l'enfermement social des mineurs. En complétant le dispositif de la loi « About-Picard » (article 223-15-2 du code pénal) relatif au délit d'abus de faiblesse, il s'agit de sanctionner l'enfermement social du mineur. L'isolement de l'enfant dans une organisation sectaire va à l'encontre des stipulations de la convention internationale des droits de l'enfant et des dispositions du code de l'éducation qui assignent à l'éducation le soin de développer la personnalité de l'enfant, de favoriser son insertion dans la société et de permettre l'exercice de sa citoyenneté. 33. Renforcer la sanction appliquée au défaut de déclaration des enfants à l'état civil, en en faisant un délit. Aujourd'hui, la méconnaissance de l'obligation de déclaration à la naissance des enfants à l'état civil est punie d'une simple contravention de 5e classe. Il est proposé de punir cette infraction d'une peine de 6 mois d'emprisonnement et de 3 750 euros d'amende. 34. Ouvrir un nouveau délai de prescription pour les mineurs victimes de l'infraction d'abus de faiblesse dans les mouvements à caractère sectaire, à compter de la date de leur majorité. Ce délai pourrait être de dix ans dans le cas du délit d'abus de faiblesse, comme c'est déjà le principe pour les délits à caractère sexuel, en application de l'article 8, 2ème alinéa du code de procédure pénale. 35. Redéfinir les conditions de l'engagement des poursuites pour prosélytisme à l'encontre des mouvements à caractère sectaire. L'article 19 de la loi n° 2001-504 du 12 juin 2001, dite « loi About-Picard » dispose : « Est puni de 7 500 euros d'amende le fait de diffuser, par quelque moyen que ce soit, des messages destinés à la jeunesse et faisant la promotion d'une personne morale, quelle qu'en soit la forme juridique ou l'objet, qui poursuit des activités ayant pour but ou pour effet de créer, de maintenir ou d'exploiter la sujétion psychologique ou physique des personnes qui participent à ces activités, lorsque ont été prononcées à plusieurs reprises contre la personne morale elle-même ou ses dirigeants de droit ou de fait, des condamnations pénales définitives pour l'une ou l'autre des infractions mentionnées ci-après [suit une énumération d'infractions_. » Subordonner la possibilité d'engager des poursuites contre un mouvement à caractère sectaire faisant du prosélytisme à destination de la jeunesse, à la condition de plusieurs condamnations préalables limite aujourd'hui la portée du dispositif. Il serait plus efficace d'ouvrir cette possibilité dès que le mouvement en question a déjà fait l'objet d'une seule condamnation pénale définitive, pour l'une ou l'autre des infractions énumérées. 36. Transmettre systématiquement les signalements au parquet. Ainsi que l'a indiqué le procureur général Viout lors de son audition par la commission d'enquête, le parquet se doit « d'être un demandeur exigeant d'informations, et, une fois en possession de ces informations, de faire preuve de réactivité et d'efficacité, par l'activation, tout d'abord, d'un pool d'enquêteurs, plus propre à évaluer la consistance du signalement, le poids de la suspicion dans de brefs délais permettant l'ouverture rapide d'une mesure d'assistance éducative pour soustraire le mineur à l'influence du groupe sectaire ». Seraient visés : - les signalements d'absentéisme scolaire. L'article L. 131-8 du code de l'éducation serait modifié en ce sens ; - les signalements de troubles ou anomalies constatés par la médecine scolaire (prévoir une circulaire conjointe du ministre chargé de l'éducation et du ministre chargé de la santé) ; - les signalements de risque de maltraitance parvenus au « 119 Allô, enfance maltraitée » et qui pourraient avoir un lien avec une dérive sectaire. 37. Accroître le rôle des « référents sectes » des parquets généraux. Après huit années de fonctionnement, il apparaît que ces magistrats jouent un rôle essentiel dans les échanges d'informations qui mettent en évidence les dérives sectaires de tel ou tel groupement. Cette mission indispensable devrait toutefois être amplifiée. Le garde des Sceaux devrait actualiser la circulaire du 1er décembre 1998, afin : - de faire remonter aux responsables de la mission de lutte contre les sectes créées au sein de la direction des affaires criminelles et des grâces toutes les informations recueillies au niveau des parquets généraux ; - de croiser leurs informations avec celles que leur fournira la MIVILUDES ; - d'assurer entre les parquets du ressort de la cour d'appel un échange d'informations et veiller à ce que ces derniers les répercutent auprès des magistrats du siège intéressés ; - de procéder à des échanges d'information avec les services déconcentrés de l'État : DRASS, inspections d'académie, renseignements généraux... ; - d'assurer une liaison avec les associations ayant pour objet de lutter contre les dérives sectaires et qui sont visées à l'article 2-17 du code de procédure pénale. III. - Libertés publiques 38. Intégrer la lutte contre les dérives sectaires dans la législation sur les publications destinées à la jeunesse. Il s'agit de compléter : - l'article 2 de la loi du 16 juillet 1949, qui dresse la liste des mentions proscrites dans les publications destinées à la jeunesse ; - l'article 14, qui interdit l'exploitation ou la vente de publications de toute nature présentant un danger pour la jeunesse, en faisant référence au délit d'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de faiblesse d'une personne, au sens de l'article 223-15-2 du code pénal. 39. Prendre en compte la lutte contre les dérives sectaires dans la législation relative à l'économie numérique. Une première modification étendrait le champ d'application de l'article 6 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique. Cet article fait obligation aux prestataires techniques de l'économie numérique d'informer les autorités publiques d'un certain nombre d'activités illicites : apologie des crimes contre l'humanité, incitation à la haine raciale, pornographie enfantine. Si les autorités publiques compétentes ne sont pas promptement informées par les prestataires de services de l'existence de ces activités illicites, ces personnes s'exposent à une peine d'emprisonnement d'un an et à une amende de 75 000 euros. Il est proposé d'y adjoindre les messages ayant pour objet d'abuser frauduleusement de l'état d'ignorance ou de faiblesse d'une personne, au sens de l'article 223-15-2 du code pénal. Une seconde modification permettrait aux enquêteurs habilités par l'autorité judiciaire de participer sous un nom d'emprunt, à des échanges électroniques, d'être en contact avec les personnes susceptibles d'être les auteurs de l'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de faiblesse sur une personne, au sens de l'article 223-15-2 du code pénal. IV. - Organisation judiciaire 40. Accorder le bénéfice de l'aide juridictionnelle sans conditions de ressources aux personnes engageant une procédure au titre de l'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de faiblesse. Aux termes de l'article 4 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, les demandeurs doivent justifier de ressources inférieures à des montants fixés chaque année par décret (soit 859 euros par mois pour l'aide juridictionnelle totale et 1 288 euros par mois pour l'aide juridictionnelle partielle, ces montants pouvant être majorés pour charges de familles). Les personnes sortant d'un mouvement à caractère sectaire ne peuvent en général produire les justificatifs de ressources demandés. La mesure proposée a pour objet de les en dispenser. FORMATION PROFESSIONNELLE CONTINUE 41. Promouvoir des formations au fait sectaire en direction des magistrats et des avocats. - Permettre en priorité aux juges des enfants et aux juges aux affaires familiales d'assister à la session annuelle de formation continue sur les sectes, assurée par l'École nationale de la magistrature ; - Organiser avec les magistrats, au sein de chaque cour d'appel, des rencontres semestrielles ou annuelles, présidées par le magistrat « référent sectes » ou par un membre de la MIVILUDES et au cours desquelles pourront être confrontées les expériences ; - Inviter le Conseil national des barreaux à instituer des formations sur le fait sectaire, notamment sur la spécificité des contentieux relatifs au droit de la famille et au droit de l'enfant. 42. Inciter les conseils généraux à mettre en place des formations au fait sectaire en direction des personnels de leurs services sociaux, en charge des procédures d'agrément des assistants familiaux ou des adoptants. 43. Former les référents régionaux « sectes » du ministère chargé de la santé et du ministère chargé de la jeunesse et des sports, afin qu'ils aient la qualification requise pour sensibiliser les agents des services déconcentrés aux dangers des dérives sectaires. AFFAIRES ÉTRANGÈRES 44. Créer un poste de correspondant chargé, au sein du ministère, de suivre les problèmes liés aux dérives sectaires et de proposer des politiques d'action, de formation et d'information. Au sein du ministère des affaires étrangères, aucun chargé de mission, aucune cellule de vigilance n'assure une veille sur le phénomène sectaire et ne coordonne les politiques des différentes directions pouvant être confrontées au problème. Les directives, les actions ou les formations à destination des personnels du ministère ne sont pas plus définies par une structure dédiée. Cette carence rend plus difficile l'action des diplomates, lorsqu'ils doivent expliquer à l'étranger la politique française en matière de lutte contre les dérives sectaires. 45. Sensibiliser les agents du ministère en poste à l'étranger aux risques des dérives sectaires. Le suivi et l'assistance des enfants envoyés à l'étranger, avec ou sans leurs parents, au sein de groupements dont les dérives sectaires sont moins surveillées et réprimées qu'en France, ne sont assurés par les services consulaires que dans le cas où un signalement a été porté à leur connaissance. Ils doivent être assurés de manière systématique et préventive. ACTION INTERMINISTÉRIELLE I. - Mieux appréhender le nombre d'enfants non déclarés 46. Inviter les inspections générales de l'éducation nationale, des affaires sociales et de l'administration à réaliser une étude ayant pour objet, d'une part, de recenser les enfants qui ne sont pas inscrits à l'état civil et, d'autre part, de faire des propositions pour renforcer plus généralement les obligations de déclaration de naissance des enfants. II. - Conforter l'action de la MIVILUDES 47. Faire participer le Défenseur des enfants à la lutte contre les dérives sectaires au sein de la MIVILUDES. Afin d'améliorer la coordination des actions menées par le Défenseur des enfants et par la MIVILUDES, il est recommandé de faire participer le Défenseur des enfants au conseil d'orientation de la MIVILUDES. 48. Favoriser la coordination des actions des associations participant à la lutte contre les dérives sectaires. Constatant le manque de coordination entre les différentes associations de défense des individus contre les dérives sectaires ainsi que la dispersion des informations qui leur parviennent, la commission d'enquête souhaite que la MIVILUDES organise annuellement une journée de réflexion qui réunirait les associations participant à la lutte contre les dérives sectaires visées à l'article 2-17 du code de procédure pénale, les magistrats, les victimes et les parents de victimes. 49. Renforcer les activités de la MIVILUDES au niveau international. La politique française de lutte contre les dérives sectaires suscitant une certaine incompréhension de la part de plusieurs États, il convient de permettre à la mission interministérielle de jouer un rôle plus important de formation et d'information auprès des organismes internationaux. La France devrait ainsi plaider auprès du Conseil de l'Europe en faveur de la mise en œuvre de la recommandation n° 1412 du 22 juin 1999, rapportée par M. Nastase, qui préconisait la création « d'un observatoire européen sur les groupes à caractère religieux, ésotérique ou spirituel dont la tâche serait de faciliter les échanges entre les centres nationaux ». La MIVILUDES aurait une vocation naturelle à participer à la direction d'un tel organisme. 50. Réaffirmer la spécificité de la lutte contre les dérives sectaires à l'échelon départemental. L'article 10 du décret n° 2006-665 du 7 juin 2006 relatif à la réduction du nombre et à la simplification de la composition de diverses commissions administratives a institué, auprès du représentant de l'État dans le département, et à Paris, auprès du préfet de police, le « conseil départemental de prévention de la délinquance, d'aide aux victimes et de lutte contre la drogue, les dérives sectaires et les violences faites aux femmes ». Ce texte faisant disparaître de facto les cellules départementales de vigilance dont les travaux constituaient une source d'information précieuse sur les mouvements sectaires existants ou sur la détection immédiate de nouvelles dérives sectaires, la commission d'enquête s'inquiète de la pertinence du nouveau dispositif, au regard de la spécificité des actions de lutte contre les dérives sectaires. Elle craint que les ordres du jour de ces conseils départementaux ne relèguent qu'au second plan de leurs préoccupations la question sectaire et que l'engagement des services de l'État dans la lutte contre les dérives sectaires devienne plus difficile à mesurer et à contrôler. Pour ces raisons, la commission propose que chaque conseil départemental : - crée un groupe de travail qui, consacré spécifiquement aux dérives sectaires, devra comprendre parmi ses membres, le préfet ou un de ses délégués, un représentant du conseil général, le délégué régional de la MIVILUDES, le référent parquet de la cour d'appel, les correspondants régionaux des ministères intéressés par les problèmes des dérives sectaires et des représentants des associations visées à l'article 2-17 du code de procédure pénale ; ce groupe se réunira au moins deux fois par an et rendra compte de ses travaux au conseil départemental ; - se réunisse au moins une fois par an, sur un ordre du jour dont l'objet exclusif serait la lutte contre les dérives sectaires. La commission a examiné le présent rapport au cours de sa séance du mardi 12 décembre 2006 et l'a adopté à l'unanimité des présents. Elle a ensuite décidé qu'il serait remis à M. le Président de l'Assemblée nationale afin d'être imprimé et distribué, conformément aux dispositions de l'article 143 du Règlement de l'Assemblée nationale. CONTRIBUTIONS DE MEMBRES Contribution de M. Jean-Pierre Brard, député de Seine-Saint-Denis Montreuil, le 8 décembre 2006 JPB/GLC/sc Monsieur Georges FENECH Président de la commission d'enquête sur l'influence des mouvements à caractère sectaire et aux conséquences de leurs pratiques sur la santé physique et mentale des mineurs Assemblée nationale 126 rue de l'Université 75355 Paris 07 SP Monsieur le Président, Étant en déplacement à la Réunion, dans le cadre de la mission qui m'a été confiée par la commission des finances de notre Assemblée, je tenais à vous adresser cette lettre dont je vous autorise, bien évidemment, à donner lecture à l'occasion de l'examen et du vote, par les membres de notre commission d'enquête, du rapport sur l'influence des mouvements à caractère sectaire et aux conséquences de leurs pratiques sur la santé physique et mentale des mineurs. Je tenais tout d'abord à saluer le travail considérable, minutieux et précis mené par vous-même et par notre Rapporteur avec l'aide efficace des administrateurs de notre Assemblée. Nous le savons tous, la question de la lutte contre les dérives sectaires soulève parfois les passions, réveille chez certains de nos concitoyens des douleurs profondes et vives liées à leurs propres expériences mais provoque également de vives réactions de la part de ceux qui ont à craindre du regard des Pouvoirs publics sur leurs activités. Dans ce contexte, notre Président et notre Rapporteur ont su préserver le calme, la sérénité et la détermination nécessaires à l'accomplissement de nos travaux, je tiens à les en féliciter. Je me réjouis également de constater qu'en toutes circonstances, sur un sujet aussi important que celui de la lutte contre les dérives sectaires, les parlementaires ont toujours su créer les conditions pour que les grands principes qui fondent l'État républicain ne soient pas des sujets de discorde ou d'affrontement partisan. Je suis convaincu que ce consensus prévaudra aujourd'hui encore avec le vote de notre commission sur ce rapport. Alors que notre commission s'apprête à se prononcer sur ce rapport, je souhaite porter à votre connaissance, mon adhésion totale aux conclusions et préconisations qu'il contient et dont je salue le pragmatisme. Nous avons pu constater, tout au long des travaux de notre commission, tant en auditions publiques qu'à huis clos, tant à l'occasion de l'examen de pièces et documents en notre possession, tant encore qu'en situation, sur le terrain, au sein de la communauté de Tabitha's Place, le bien fondé de la démarche que nous avons engagée. Oui, aujourd'hui, en France, des mineurs sont encore en danger du fait d'agissements répréhensibles émanant d'adultes se retranchant derrière des mouvements qui cherchent à se donner une certaine honorabilité. Oui, certains mouvements interdisent, aujourd'hui encore à leurs enfants d'accéder aux soins nécessaires pour assurer leur bien être physique. Oui, certains mouvements affirment et assument, en toute impunité, qu'ils privent leurs enfants de toute liberté, de tout contact avec le monde qui les entoure au nom de leurs croyances. Face à cette réalité, les pouvoirs publics agissent et tentent de contenir ces déviances, notamment grâce à l'excellent travail mené par l'équipe de la MIVILUDES présidée par M. ROULET et rattachée au Premier ministre lui-même. Nous avons malheureusement pu constater que cela ne suffit pas à garantir l'intégrité physique et psychique de nos enfants. C'est la raison pour laquelle, je crois en la nécessité de renforcer notre législation et je crois en l'efficacité des mesures proposées dans ce rapport. Nous voici au terme de six mois de travaux intenses et passionnants, il nous reste à adopter ce rapport, je l'espère à l'unanimité, pour faire la démonstration, une fois encore, qu'en matière de libertés individuelles et collectives nous ne transigeons pas. Faisons la démonstration que nous savons prendre en main ces questions avec courage, rationalité et sérénité. Je vous prie de croire, monsieur le Président, en l'expression de mes sentiments distingués. Jean-Pierre BRARD Contribution de M. Christian Vanneste, député du Nord Monsieur le Président, Monsieur le Rapporteur, Voilà déjà quelques mois que nous travaillons ensemble afin de mieux comprendre le développement des groupements appelés sectes et leurs influences sur les mineurs. Je tiens, tout d'abord, à souligner la qualité de la démarche. L'ensemble des pièces et témoignages reçus lors des auditions a permis une profonde réflexion sur ces problématiques centrales dans une société démocratique respectueuse de tous. C'est ainsi que de nombreuses questions ont pu être soulevées et obtenir des réponses précises, et je me dois donc de mettre en exergue les aspects positifs contenus dans le rapport : notamment, lorsque ce dernier, dans sa proposition numéro 34, souhaite renforcer les sanctions appliquées au défaut de déclaration des enfants à l'état civil en le qualifiant de délit, ou encore, lorsqu'il s'agit d'unifier les régimes de sanction des refus parentaux de vaccination des enfants. Il faut toutefois émettre quelques réserves qui, je l'espère, permettront d'approfondir la réflexion, et notamment sur un problème de fond que j'avais déjà souligné lors de nos réunions : la secte n'est pas définie sur le plan juridique. Les mots ou expressions « sectes », « dérive sectaire », « fait sectaire », sont utilisés sans différentiation et recouvrent des situations et des personnes les plus diverses. Finalement, une confusion est entretenue. L'absence de définition conduit à la fois à une conception trop large qui embrasserait des mouvements religieux minoritaires dénués de la moindre nocivité et exclurait paradoxalement des dérives thérapeutiques qui se situent davantage dans le domaine des médecines alternatives. Les notions de « dérive sectaire » ou de « fait sectaire » sont très ambiguës. Que désignent donc ces termes ? Le rapport n'apporte pas d'éléments assez précis. Ainsi, dans la proposition numéro 10 qui prévoit une sensibilisation aux dérives sectaires dans les programmes d'éducation civique, au lycée ; ou encore, dans la proposition numéro 29, qui garantit l'assistance, dans un contentieux familial, d'un avocat pour le mineur dont les parents sont réputés adhérer à une organisation présentant un risque de dérive sectaire (une telle suspicion au cube n'est pas sans rappeler l'affaire Calas) ; ainsi, également, dans la proposition numéro 14 qui prévoit d'instituer une formation des avocats et juristes au « fait sectaire », n'arrive t-on pas alors à l'affirmation que le simple fait d'être une secte serait une dérive ? Il nous faut donc nous interroger sur ces termes qui, tant qu'ils ne sont pas définis, peuvent paraître malvenus. Il en va de même pour l'expression « manipulation psychique » qui peut s'avérer dangereuse tant elle peut couvrir un large champ... C'est ainsi que je m'inquiète, dans la partie « Éducation », de la première proposition relative à l'instruction à domicile : il me semble que « limiter l'instruction à domicile à deux familles » et exiger « un recours à l'enseignement à distance » constituent une intrusion dans l'autonomie de la famille et dans la vie privée. Au même titre que lorsque le rapport exige une certaine « moralité » dans les organismes à distance, il m'apparaît utile de définir la notion au préalable pour une meilleure sécurité juridique. J'aimerais donc rappeler ma proposition de s'inspirer de la législation belge qui, faisant preuve d'un certain bon sens, lorsqu'elle parle des sectes, distingue les mouvements nuisibles des autres. Cette distinction, lorsque nous avions écouté nos amis belges, m'avait beaucoup intéressé parce qu'elle nous faisait passer justement du subjectif à l'objectif. Lorsque l'on impose, par exemple, la vaccination, on peut faire valoir un critère d'objectivité. Lorsqu'en revanche, des membres d'une secte ont un comportement criminel, mais non dicté par la secte, cela ne permet pas d'interdire quoi que ce soit à l'encontre de ladite secte sauf à tomber dans le cadre de la discrimination. On devrait donc limiter nos conclusions aux groupements objectivement nuisibles. Cela me paraîtrait plus judicieux et moins problématique. Cela rappelle par ailleurs le débat fort justement souligné au début du rapport entre la liberté de conscience constitutionnellement établie et les droits de l'enfant, ce qui permettrait d'éviter une suspicion généralisée. Il faut d'ailleurs souligner ici la contradiction entre les propositions du rapport numéros 27 et 28, modifiant l'article 910 du code civil en rétablissant un pouvoir d'opposition de l'administration aux dispositions entre vifs ou par testament au profit d'associations cultuelles, et la liberté de conscience affirmée à l'article 9 de la CEDH. De surcroît, les limites apportées apparaissent en contradiction avec celles des personnes publiques visant à favoriser la réalisation d'édifices cultuels. En outre, il convient de mieux circonscrire les dangers effectifs quant à la santé morale, mentale, psychologique et matérielle de l'enfant. Les propositions numéros 21 et 22, qui prévoient la mise en place de thérapeutes spécialisés afin de prendre en charge les sortants de secte et la constitution d'une monographie sociale sanitaire des conséquences de l'appartenance des jeunes à des organisations sectaires, me paraissent créer certains dangers. Il s'agirait en fin de compte d'une atteinte à la neutralité de l'État face au fait religieux. De ce point de vue, la contradiction du rapport qui cite les mouvements à exigence morale forte et ceux à transgression, relèvent de l'ambiguïté et de la subjectivité. La potentialité du danger laisse apparaître le risque d'une attitude de suspicion difficilement compatible avec une société démocratique et libérale. D'autres propositions me paraissent en contradiction avec la politique que la majorité à laquelle j'appartiens mène depuis bientôt cinq ans qui vise à réduire les dépenses publiques : je fais ici référence aux propositions 13, 41, 42, 43, 44 et 50, qui prévoient des formations spécifiques, le rétablissement des structures départementales pourtant supprimées il y a peu et enfin la création de postes supplémentaires pour surveiller et sensibiliser alors que les cas recensés par la commission, après l'audition des grands ministères, sont très peu nombreux. Les propositions en matière pénale, à l'exception de la proposition 34 du rapport, sont propices aux dérives. Le droit pénal est un droit d'application stricte. Les infractions doivent être définies sur le plan matériel et légal. On ne peut présupposer qu'une catégorie de citoyens soit présumée délinquante en raison de croyances individuelles. Pour toutes ces raisons, malgré les excellentes contributions de ce rapport, je ne pourrai malheureusement pas le voter.
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR Les auditions sont présentées dans l'ordre chronologique des séances tenues par la commission. Les réunions qui ont eu lieu à huis clos sont indiquées par un astérisque - Audition de M. Jean-Michel ROULET, président de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES) (Procès-verbal de la séance du 12 juillet 2006) - Audition de M. Emmanuel JANCOVICI, chargé de mission pour la coordination, la prévention et le traitement des dérives sectaires à la sous-direction des âges de la vie (direction générale de l'action sociale) du ministère de la santé et des solidarités (Procès-verbal de la séance du 12 juillet 2006) - Audition de Mme Chantal LEBATARD, responsable du département « Sociologie, psychologie et droit de la famille » de l'Union nationale des associations familiales (UNAF) (Procès-verbal de la séance du 5 septembre 2006) - Audition de Mme Claude DELPECH, présidente de l'Association AFSI (Alerte Faux Souvenirs Induits) (Procès-verbal de la séance du 5 septembre 2006) - Audition de M. Daniel GROSCOLAS, président du Centre de documentation, d'éducation et d'action contre les manipulations mentales (CCMM) (Procès-verbal de la séance du 5 septembre 2006) - Audition de M. Friedrich GRIESS, président de la FECRIS, Fédération européenne des centres de recherche et d'information sur le sectarisme (Procès-verbal de la séance du 12 septembre 2006) - Audition de M. Henri de CORDES, président du Centre d'Information et d'Avis sur les Organisations Sectaires Nuisibles (CIAOSN) de Belgique (Procès-verbal de la séance du 12 septembre 2006) - Audition de M. Guy ROUQUET, président de l'association « Psychothérapie Vigilance » (Procès-verbal de la séance du 12 septembre 2006) - Audition de Mme Homayra SELLIER, présidente de l'association « Innocence en danger » (Procès-verbal de la séance du 13 septembre 2006) - Audition de Mme Armelle TABARY, directrice de l'Institut national d'aide aux victimes et de médiation (INAVEM) (Procès-verbal de la séance du 13 septembre 2006) - Audition de Mme Charline DELPORTE, présidente de l'ADFI Nord Pas-de-Calais (Procès-verbal de la séance du 13 septembre 2006) - Audition de M. Michel GILBERT, président du Réseau parental Europe (Procès-verbal de la séance du 13 septembre 2006) - Audition de Mme Sonya JOUGLA, psychologue (Procès-verbal de la séance du mardi 19 septembre 2006) - Audition de M. Houssine JOBEIR, maître de conférences en psychologie à l'Université de Bretagne occidentale (Brest) (Procès-verbal de la séance du 19 septembre 2006) - Audition de M. Philippe-Jean PARQUET, addictologue et spécialiste de l'enfance (Procès-verbal de la séance du 19 septembre 2006) - Audition de Mme Dominique SAINT-HILAIRE, ex-adepte du mouvement raëlien (Procès-verbal de la séance du 26 septembre 2006) - Audition de M. Jean-Philippe VERGNON, président de l'association Aide aux Victimes des Frères Exclusifs (AVIFE) (Procès-verbal de la séance du 26 septembre 2006) - Audition de MM. Nicolas JAQUETTE et Alain BERROU, ex-adeptes des Témoins de Jéhovah (Procès-verbal de la séance du 26 septembre 2006) - Audition de Mme Catherine PICARD, présidente de l'Union nationale des associations de défense des familles et de l'individu (UNADFI) (Procès-verbal de la séance du 26 septembre 2006) - Audition de M. Lionel GAUGAIN, président du centre d'information et de prévention sur les psychothérapies abusives et déviantes (CIPPAD) (Procès-verbal de la séance du 26 septembre 2006) - Audition de M. Roger GONNET, ex-responsable de la Scientologie (Procès-verbal de la séance du 27 septembre 2006) - Audition de M. Michel GILBERT, parent d'un mineur victime (Procès-verbal de la séance du 27 septembre 2006) - Audition de Me Line N'KAOUA, avocate (Procès-verbal de la séance du 3 octobre 2006) - Audition de M. Michel DUVETTE, directeur de la protection judiciaire de la jeunesse au ministère de la justice et de Mme Sophie SANSY, directrice de service au bureau des champs de compétence et des orientations à la sous-direction des missions de protection judiciaire et d'éducation (Procès-verbal de la séance du 3 octobre 2006) - Audition de M. Jean-Olivier VIOUT, procureur général près la cour d'appel de Lyon (Procès-verbal de la séance du 4 octobre 2006) - Audition du docteur Dominique DEHAUDT, conseiller titulaire du conseil départemental de l'Ordre des médecins de la Vendée (Procès-verbal de la séance du 4 octobre 2006) - * Audition du général Guy PARAYRE, directeur général de la gendarmerie nationale, et du colonel Jean-François IMPINI, chef du service technique de recherche judiciaire et de documentation de la gendarmerie nationale (Procès-verbal de la séance du 4 octobre 2006) - * Audition de M. Joël BOUCHITÉ, directeur central des renseignements généraux du ministère de l'intérieur et de l'aménagement du territoire (Procès-verbal de la séance du 4 octobre 2006) - * Audition de M. Thierry-Xavier GIRARDOT, directeur des affaires juridiques au ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche (Procès-verbal de la séance du 10 octobre 2006) - Audition conjointe de MM. Jean-Yves DUPUIS, inspecteur général de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche et de Pierre POLIVKA, inspecteur général de l'éducation nationale (Procès-verbal de la séance du 10 octobre 2006) - * Audition conjointe de M. Bernard BASSET, sous-directeur à la direction générale de la santé, et de MM. Érik RANCE et Francis BRUNELLE, conseillers au cabinet du ministre de la santé et des solidarités (Procès-verbal de la séance du 10 octobre 2006) - Audition de M. Hans-Werner CARLHOFF, chef du groupe de travail interministériel sur les sectes et les groupes psychologiques, fonctionnaire au ministère des cultes, de la jeunesse et des sports du Land de Bade-Würtemberg, et de Mme Helga LERCHENMÜLLER, chef du département juridique de l'Association de protection des consommateurs dans le domaine de l'éducation (« Aktion Bildungsinformation »), Stuttgart (Procès-verbal de la séance du 11 octobre 2006) - * Audition de M. Michel GAUDIN, directeur général de la police nationale (Procès-verbal de la séance du 11 octobre 2006) - * Audition conjointe de Mme Carola ARRIGHI de CASANOVA sous-directrice de la direction des affaires civiles et du Sceau (DACS) au ministère de la justice et de M. Michel RISPE, chef de bureau de l'entraide civile et commerciale internationale au ministère de la justice (Procès-verbal de la séance du 12 octobre 2006) - Audition de Mme Françoise ANDRO-COHEN, chargée de formation à l'École nationale de la Magistrature (Procès-verbal de la séance du 12 octobre 2006) - Audition de M. Michel HUYETTE, conseiller délégué à la protection de l'enfance de la cour d'appel de Bastia (Procès-verbal de la séance du 12 octobre 2006) - Audition, de Mme Françoise LE BIHAN, directrice adjointe du service des Français à l'étranger et des étrangers en France (DFAE), au ministère des Affaires étrangères (Procès-verbal de la séance du 17 octobre 2006) - Audition de M. Jean-Marie HUET, directeur des affaires criminelles et des grâces au ministère de la justice (Procès-verbal de la séance du 17 octobre 2006) - Audition de M. Didier LESCHI, chef du bureau central des cultes au ministère de l'intérieur et de l'aménagement du territoire (Procès-verbal de la séance du 17 octobre 2006) - Audition de M. Étienne MADRANGES, directeur de la jeunesse et de l'éducation populaire au ministère de la jeunesse, des sports et de la vie associative (Procès-verbal de la séance du 18 octobre 2006) - * Audition conjointe de M. Stéphane FRATACCI, directeur des libertés publiques et des affaires juridiques au ministère de l'intérieur et de l'aménagement du territoire et de M. Marc-André GANIBENQ, sous-directeur (Procès-verbal de la séance du 18 octobre 2006) - Audition du professeur Marcel RUFO, directeur de la « maison des adolescents » de l'hôpital Cochin de Paris (Procès-verbal de la séance du 19 octobre 2006) - * Audition de M. Didier HOUSSIN, directeur général de la santé au ministère de la santé et des solidarités, du Dr Carole CRETIN, chef du bureau maladie chronique enfants et vieillissement et de M. Bertrand SACHS, sociologue (Procès-verbal de la séance du 24 octobre 2006) - Audition de M. Jean-Pierre MACHELON, président de la commission de réflexion juridique sur les relations des cultes avec les pouvoirs publics (Procès-verbal de la séance du 24 octobre 2006) - Audition d'ex-adeptes de la communauté Tabitha's Place (Procès-verbal de la séance du 5 décembre 2006) N° 3507 _____ ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958 DOUZIÈME LÉGISLATURE Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 12 décembre 2006. RAPPORT FAIT AU NOM DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE (1) relative à l'influence des mouvements à caractère sectaire et aux conséquences de leurs pratiques sur la santé physique et mentale des mineurs Président M. Georges FENECH, Rapporteur M. Philippe VUILQUE, Députés. -- TOME II AUDITIONS (1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page. La commission d'enquête relative à l'influence des mouvements à caractère sectaire et aux conséquences de leurs pratiques sur la santé physique et morale des mineurs est composée de : M. Georges Fenech, Président ; Mme Martine David, M. Alain Gest, vice-présidents ; MM. Jean-Pierre Brard, Rudy Salles, secrétaires ; M. Philippe Vuilque, rapporteur ; Mmes Patricia Adam, Martine Aurillac, MM. Serge Blisko, Philippe Cochet, Christian Decocq, Marcel Dehoux, Guy Geoffroy, Michel Heinrich, Jean-Yves Hugon, Michel Hunault, Jacques Kossowski, Jérôme Lambert, Mme Geneviève Levy, M. Pierre Morel-A-L'Huissier, Jacques Myard, Daniel Prévost, Éric Raoult, Jacques Remiller, Mme Chantal Robin-Rodrigo, M. Serge Roques, Mme Michèle Tabarot, MM. Philippe Tourtelier, Christian Vanneste, Philippe Vitel. LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LA COMMISSION D'ENQUÊTE SOMMAIRE DES AUDITIONS Les auditions sont présentées dans l'ordre chronologique Les réunions qui ont eu lieu à huis clos sont indiquées par un astérisque - AUDITION DE M. JEAN-MICHEL ROULET, PRÉSIDENT DE LA MISSION INTERMINISTÉRIELLE DE VIGILANCE ET DE LUTTE CONTRE LES DÉRIVES SECTAIRES (MIVILUDES) (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 12 JUILLET 2006) 7 - AUDITION DE M. EMMANUEL JANCOVICI, CHARGÉ DE MISSION POUR LA COORDINATION, LA PRÉVENTION ET LE TRAITEMENT DES DÉRIVES SECTAIRES À LA SOUS-DIRECTION DES ÂGES DE LA VIE (DIRECTION GÉNÉRALE DE L'ACTION SOCIALE) DU MINISTÈRE DE LA SANTÉ ET DES SOLIDARITÉS (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 12 JUILLET 2006) 21 - AUDITION DE MME CHANTAL LEBATARD, RESPONSABLE DU DÉPARTEMENT « SOCIOLOGIE, PSYCHOLOGIE ET DROIT DE LA FAMILLE » DE L'UNION NATIONALE DES ASSOCIATIONS FAMILIALES (UNAF) (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 5 SEPTEMBRE 2006) 33 - AUDITION DE MME CLAUDE DELPECH, PRÉSIDENTE DE L'ASSOCIATION AFSI (ALERTE FAUX SOUVENIRS INDUITS) (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 5 SEPTEMBRE 2006) 45 - AUDITION DE M. DANIEL GROSCOLAS, PRÉSIDENT DU CENTRE DE DOCUMENTATION, D'ÉDUCATION ET D'ACTION CONTRE LES MANIPULATIONS MENTALES (CCMM) (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 5 SEPTEMBRE 2006) 61 - AUDITION DE M. FRIEDRICH GRIESS, PRÉSIDENT DE LA FECRIS, FÉDÉRATION EUROPÉENNE DES CENTRES DE RECHERCHE ET D'INFORMATION SUR LE SECTARISME (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 12 SEPTEMBRE 2006) 71 - AUDITION DE M. HENRI DE CORDES, PRÉSIDENT DU CENTRE D'INFORMATION ET D'AVIS SUR LES ORGANISATIONS SECTAIRES NUISIBLES (CIAOSN) DE BELGIQUE (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 12 SEPTEMBRE 2006) 81 - AUDITION DE M. GUY ROUQUET, PRÉSIDENT DE L'ASSOCIATION « PSYCHOTHÉRAPIE VIGILANCE » (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 12 SEPTEMBRE 2006) 97 - AUDITION DE MME HOMAYRA SELLIER, PRÉSIDENTE DE L'ASSOCIATION « INNOCENCE EN DANGER » (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 13 SEPTEMBRE 2006) 111 - AUDITION DE MME ARMELLE TABARY, DIRECTRICE DE L'INSTITUT NATIONAL D'AIDE AUX VICTIMES ET DE MÉDIATION (INAVEM) (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 13 SEPTEMBRE 2006) 121 - AUDITION DE MME CHARLINE DELPORTE, PRÉSIDENTE DE L'ADFI NORD - PAS-DE-CALAIS (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 13 SEPTEMBRE 2006) 131 - AUDITION DE M. MICHEL GILBERT PRÉSIDENT DU RÉSEAU PARENTAL EUROPE (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 13 SEPTEMBRE 2006) 147 - AUDITION DE MME SONYA JOUGLA, PSYCHOLOGUE (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU MARDI 19 SEPTEMBRE 2006) 155 - AUDITION DE M. HOUSSINE JOBEIR, MAÎTRE DE CONFÉRENCES EN PSYCHOLOGIE À L'UNIVERSITÉ DE BRETAGNE OCCIDENTALE (BREST) (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 19 SEPTEMBRE 2006) 169 - AUDITION DE M. PHILIPPE-JEAN PARQUET, ADDICTOLOGUE ET SPÉCIALISTE DE L'ENFANCE (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 19 SEPTEMBRE 2006) 179 - AUDITION DE MME DOMINIQUE SAINT-HILAIRE, EX-ADEPTE DU MOUVEMENT RAËLIEN (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 26 SEPTEMBRE 2006) 189 - AUDITION DE M. JEAN-PHILIPPE VERGNON, PRÉSIDENT DE L'ASSOCIATION AIDE AUX VICTIMES DES FRÈRES EXCLUSIFS (AVIFE) (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 26 SEPTEMBRE 2006) 199 - AUDITION DE MM. NICOLAS JAQUETTE ET ALAIN BERROU, EX-ADEPTES DES TÉMOINS DE JÉHOVAH (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 26 SEPTEMBRE 2006) 209 - AUDITION DE MME CATHERINE PICARD, PRÉSIDENTE DE L'UNION NATIONALE DES ASSOCIATIONS DE DÉFENSE DES FAMILLES ET DE L'INDIVIDU (UNADFI) (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 26 SEPTEMBRE 2006) 229 - AUDITION DE M. LIONEL GAUGAIN, PRÉSIDENT DU CENTRE D'INFORMATION ET DE PRÉVENTION SUR LES PSYCHOTHÉRAPIES ABUSIVES ET DÉVIANTES (CIPPAD) (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 26 SEPTEMBRE 2006) 241 - AUDITION DE M. ROGER GONNET, EX-RESPONSABLE DE LA SCIENTOLOGIE (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 27 SEPTEMBRE 2006) 247 - AUDITION DE M. MICHEL GILBERT, PARENT D'UN MINEUR VICTIME (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 27 SEPTEMBRE 2006) 259 - AUDITION DE ME LINE N'KAOUA, AVOCATE (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 3 OCTOBRE 2006) 265 - AUDITION DE M. MICHEL DUVETTE, DIRECTEUR DE LA PROTECTION JUDICIAIRE DE LA JEUNESSE AU MINISTÈRE DE LA JUSTICE ET DE MME SOPHIE SANSY, DIRECTRICE DE SERVICE AU BUREAU DES CHAMPS DE COMPÉTENCE ET DES ORIENTATIONS À LA SOUS-DIRECTION DES MISSIONS DE PROTECTION JUDICIAIRE ET D'ÉDUCATION (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 3 OCTOBRE 2006) 277 - AUDITION DE M. JEAN-OLIVIER VIOUT, PROCUREUR GÉNÉRAL PRÈS LA COUR D'APPEL DE LYON (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 4 OCTOBRE 2006) 303 - AUDITION DU DOCTEUR DOMINIQUE DEHAUDT, CONSEILLER TITULAIRE DU CONSEIL DÉPARTEMENTAL DE L'ORDRE DES MÉDECINS DE LA VENDÉE (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 4 OCTOBRE 2006) 317 - * AUDITION DU GÉNÉRAL GUY PARAYRE, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE LA GENDARMERIE NATIONALE, ET DU COLONEL JEAN-FRANÇOIS IMPINI, CHEF DU SERVICE TECHNIQUE DE RECHERCHE JUDICIAIRE ET DE DOCUMENTATION DE LA GENDARMERIE NATIONALE (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 4 OCTOBRE 2006) 323 - * AUDITION DE M. JOËL BOUCHITÉ, DIRECTEUR CENTRAL DES RENSEIGNEMENTS GÉNÉRAUX DU MINISTÈRE DE L'INTÉRIEUR ET DE L'AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 4 OCTOBRE 2006) 333 - * AUDITION DE M. THIERRY-XAVIER GIRARDOT, DIRECTEUR DES AFFAIRES JURIDIQUES AU MINISTÈRE DE L'ÉDUCATION NATIONALE, DE L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET DE LA RECHERCHE (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 10 OCTOBRE 2006) 339 - AUDITION CONJOINTE DE MM. JEAN-YVES DUPUIS, INSPECTEUR GÉNÉRAL DE L'ADMINISTRATION DE L'ÉDUCATION NATIONALE ET DE LA RECHERCHE ET DE PIERRE POLIVKA, INSPECTEUR GÉNÉRAL DE L'ÉDUCATION NATIONALE (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 10 OCTOBRE 2006) 353 - * AUDITION CONJOINTE DE M. BERNARD BASSET, SOUS-DIRECTEUR À LA DIRECTION GÉNÉRALE DE LA SANTÉ, ET DE MM. ÉRIK RANCE ET FRANCIS BRUNELLE, CONSEILLERS AU CABINET DU MINISTRE DE LA SANTÉ ET DES SOLIDARITÉS (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 10 OCTOBRE 2006) 365 - AUDITION DE M. HANS-WERNER CARLHOFF, CHEF DU GROUPE DE TRAVAIL INTERMINISTÉRIEL SUR LES SECTES ET LES GROUPES PSYCHOLOGIQUES, FONCTIONNAIRE AU MINISTÈRE DE LA CULTURE, DE LA JEUNESSE ET DES SPORTS DU LAND DE BADE-WÜRTEMBERG, ET DE MME HELGA LERCHENMÜLLER, CHEF DU DÉPARTEMENT JURIDIQUE DE L'ASSOCIATION DE PROTECTION DES CONSOMMATEURS DANS LE DOMAINE DE L'ÉDUCATION (« AKTION BILDUNGSINFORMATION »), STUTTGART (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 11 OCTOBRE 2006) 377 - * AUDITION DE M. MICHEL GAUDIN, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE LA POLICE NATIONALE (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 11 OCTOBRE 2006) 391 - * AUDITION CONJOINTE DE MME CAROLA ARRIGHI DE CASANOVA SOUS-DIRECTRICE DE LA DIRECTION DES AFFAIRES CIVILES ET DU SCEAU (DACS) AU MINISTÈRE DE LA JUSTICE ET DE M. MICHEL RISPE, CHEF DE BUREAU DE L'ENTRAIDE CIVILE ET COMMERCIALE INTERNATIONALE AU MINISTÈRE DE LA JUSTICE (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 12 OCTOBRE 2006) 395 - AUDITION DE MME FRANÇOISE ANDRO-COHEN CHARGÉE DE FORMATION À L'ÉCOLE NATIONALE DE LA MAGISTRATURE (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 12 OCTOBRE 2006) 409 - AUDITION DE M. MICHEL HUYETTE, CONSEILLER DÉLÉGUÉ À LA PROTECTION DE L'ENFANCE DE LA COUR D'APPEL DE BASTIA (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 12 OCTOBRE 2006) 419 - AUDITION DE MME FRANÇOISE LE BIHAN, DIRECTRICE ADJOINTE DU SERVICE DES FRANÇAIS À L'ÉTRANGER ET DES ÉTRANGERS EN FRANCE (DFAE), AU MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 17 OCTOBRE 2006) 439 - AUDITION DE M. JEAN-MARIE HUET, DIRECTEUR DES AFFAIRES CRIMINELLES ET DES GRÂCES AU MINISTÈRE DE LA JUSTICE (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 17 OCTOBRE 2006) 445 - AUDITION DE M. DIDIER LESCHI, CHEF DU BUREAU CENTRAL DES CULTES AU MINISTÈRE DE L'INTÉRIEUR ET DE L'AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 17 OCTOBRE 2006) 451 - AUDITION DE M. ÉTIENNE MADRANGES, DIRECTEUR DE LA JEUNESSE ET DE L'ÉDUCATION POPULAIRE AU MINISTÈRE DE LA JEUNESSE, DES SPORTS ET DE LA VIE ASSOCIATIVE (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 18 OCTOBRE 2006) 463 - * AUDITION CONJOINTE DE M. STÉPHANE FRATACCI, DIRECTEUR DES LIBERTÉS PUBLIQUES ET DES AFFAIRES JURIDIQUES AU MINISTÈRE DE L'INTÉRIEUR ET DE L'AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE ET DE M. MARC-ANDRÉ GANIBENQ, SOUS-DIRECTEUR (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 18 OCTOBRE 2006) 475 - AUDITION DU PROFESSEUR MARCEL RUFO, DIRECTEUR DE LA « MAISON DES ADOLESCENTS » DE L'HÔPITAL COCHIN DE PARIS (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 19 OCTOBRE 2006) 489 - * AUDITION DE M. DIDIER HOUSSIN, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE LA SANTÉ AU MINISTÈRE DE LA SANTÉ ET DES SOLIDARITÉS, DU DR CAROLE CRETIN, CHEF DU BUREAU MALADIE CHRONIQUE ENFANTS ET VIEILLISSEMENT ET DE M. BERTRAND SACHS, SOCIOLOGUE (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 24 OCTOBRE 2006) 499 - AUDITION DE M. JEAN-PIERRE MACHELON, PRÉSIDENT DE LA COMMISSION DE RÉFLEXION JURIDIQUE SUR LES RELATIONS DES CULTES AVEC LES POUVOIRS PUBLICS (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 24 OCTOBRE 2006) 519 - AUDITION D'ANCIENS ADEPTES DE LA COMMUNAUTÉ DE TABITHA'S PLACE (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 5 DÉCEMBRE 2006) 539 - Audition de M. Jean-Michel ROULET, Présidence de M. Georges FENECH, Président M. le Président : Mes chers collègues, nous recevons aujourd'hui M. Jean-Michel Roulet, président de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires. Monsieur le président, vos fonctions vous désignaient tout naturellement pour ouvrir ce cycle d'auditions. Vous remerciant d'avoir répondu à la convocation de la commission d'enquête, je souhaite vous informer au préalable de vos droits et de vos obligations. Je vous rappelle tout d'abord qu'aux termes de l'article 142 du Règlement de notre Assemblée, la commission pourra décider de citer dans son rapport tout ou partie du compte rendu qui en sera fait. Ce compte rendu vous sera préalablement communiqué. Les observations que vous pourriez faire seront soumises à la commission. Par ailleurs, en vertu de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 modifiée relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, les personnes auditionnées sont tenues de déposer sous réserve des dispositions de l'article 226-13 du code pénal réprimant la violation du secret professionnel et de l'article 226-14 du même code, qui autorise la révélation du secret en cas de privations ou de sévices dont les atteintes sexuelles. Cette même ordonnance exige des personnes auditionnées qu'elles prêtent serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vais donc vous demander de lever la main droite et de dire : « Je le jure ». (M. Jean-Michel Roulet prête serment.) Je m'adresse aux représentants de la presse pour leur rappeler les termes de l'article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui punit de 15 000 euros d'amende le fait de diffuser des renseignements concernant l'identité d'une victime d'une agression ou d'une atteinte sexuelle. J'invite donc les représentants de la presse à ne pas citer nommément les enfants qui ont été victimes de ces actes. Monsieur le président, la commission va procéder maintenant à votre audition, qui fait l'objet d'un enregistrement. Vous avez la parole. M. Jean-Michel ROULET : La création de votre commission d'enquête constitue, pour la mission que je préside, un signe extrêmement fort et un encouragement. C'est également un signe extrêmement fort pour les familles, pour les victimes, pour les associations, qui attendaient depuis longtemps de voir le Parlement se saisir à nouveau de ce sujet douloureux. Sans remonter trop loin dans l'histoire, les deux précédentes commissions d'enquête parlementaires ont eu un grand retentissement. Celle de 1995 a eu un effet extraordinaire dans notre pays. Elle a été suivie de la création du premier observatoire interministériel des sectes. C'était la première fois que le Gouvernement se saisissait officiellement de ce problème. La deuxième commission d'enquête remonte à 1999. Elle était à peu près contemporaine de la création, en octobre 1998, de la Mission interministérielle de lutte contre les sectes. Depuis la création en novembre 2002 de la MIVILUDES, on serait tenté de dire : « Plus rien ». Ce serait complètement faux. Ce serait ignorer le travail qu'a effectué votre rapporteur dans le cadre du groupe d'études de l'Assemblée nationale qu'il préside. Ce serait également oublier la présence, au sein du conseil d'orientation de la MIVILUDES, de huit parlementaires, quatre députés et quatre sénateurs, dont le travail assidu contribue à faire en sorte que nous ne sortions jamais du strict respect des libertés publiques. Les pouvoirs publics n'ont jamais cessé d'être vigilants. Parmi ses nombreuses missions, la MIVILUDES a trois fonctions sur lesquelles je voudrais aujourd'hui mettre l'accent. La première est une fonction de suivi de l'évolution du phénomène sectaire. Celui-ci évolue en effet extrêmement vite. D'une année sur l'autre, les données sur lesquelles nous devons nous pencher ne sont plus les mêmes. En particulier, les sectes ont manifesté depuis 1999 un intérêt à l'égard des mineurs qu'elles n'osaient pas montrer auparavant ou qu'elles ne manifestaient pas de manière aussi aiguë. La deuxième fonction de la mission est une fonction d'information. Elle doit donner des informations aux familles, aux victimes, aux élus, aux administrations de l'État, au grand public à travers les médias, et bien entendu à la représentation nationale, à qui elle rend compte chaque année de ses travaux. La troisième fonction importante est la coordination de l'action des services de l'État, pour faire en sorte que les victimes puissent, lorsqu'elles le demandent, obtenir réparation du préjudice qu'elles ont subi, et que ceux qui se sont rendus coupables d'agissements inacceptables aient à en rendre compte devant la justice. Je crois, en ce domaine, à l'exemplarité de la peine. Car nous avons en face de nous des délinquants qui savent parfaitement ce qu'ils font. La victime, le dommage sont au centre des préoccupations de la mission. Sans dommage, il n'y a pas de victime, et sans victime, nous nous voyons confrontés au principe, qui est parfois évoqué, de la liberté totale de pensée et de conscience, principe contre lequel il n'y a absolument rien à dire. Par contre, on ne peut pas, au nom de telle ou telle liberté, porter atteinte à la dignité, à la santé morale ou physique des personnes, et en particulier des mineurs. Dans le cadre des trois fonctions que je viens de détailler, la MIVILUDES a été conduite, en 2005, à mettre l'accent sur des dérives qui, sans être nouvelles, nous paraissaient particulièrement inquiétantes, puisqu'elles touchaient à une population très vulnérable, celle des mineurs. Les gourous qui animent les organisations sectaires ne sont pas des gens très courageux. Quand ils le peuvent, ils se tournent vers des personnes en situation de faiblesse, momentanée ou durable, des personnes qui traversent des difficultés familiales, professionnelles, ou de santé. Nous avons ciblé deux populations particulièrement sensibles, celle des personnes en fin de vie et celle des mineurs. Les atteintes aux personnes âgées en fin de vie sont odieuses. Mais comme on ne peut pas traiter tous les problèmes, nous avons choisi de privilégier les atteintes aux mineurs. Parce que ceux-ci ont toute leur vie devant eux. Lorsque les mouvements s'attaquent à eux, c'est toute une vie qui est gâchée, et c'est celle de toute une famille qui est exposée. Voilà pourquoi nous avons choisi de faire des atteintes aux mineurs le thème central de notre rapport 2005, lequel correspond tout à fait, monsieur le Président, à l'objet de votre commission d'enquête. Nous avons aussi choisi ce thème parce qu'il correspond à ce que nous entendons sur le terrain. Les parents et les grands-parents sont inquiets lorsqu'ils voient des distributions de tracts à la sortie d'une école. Nous devons leur montrer que le pouvoir exécutif comme le pouvoir législatif se préoccupent de cette situation. Cette préoccupation est partagée hors de nos frontières, puisque la Convention internationale des droits de l'homme, qui a maintenant dix-sept ans d'âge, pose des principes qui sont systématiquement bafoués par les organisations sectaires. Quand on lit certains articles de cette Convention, on lit en creux ce que font les organisations contre les méfaits desquelles nous essayons de lutter. Votre commission d'enquête est d'autant plus d'actualité que se tiendra en octobre prochain, à Erevan, une réunion des ministres de la Justice européens où il sera question des violences faites aux enfants. Si, à cette occasion, le représentant de la France peut évoquer quelques-uns des premiers résultats de vos travaux, même si ceux-ci ne seront pas achevés, cela renforcera grandement un certain nombre des messages que notre pays souhaite faire passer à ses partenaires européens, dans le sens d'une plus grande attention portée au phénomène sectaire. Quels sont les rapports entre les mineurs et les sectes ? On pourrait penser que, par prudence, celles-ci s'abstiendraient de s'attaquer à une population relativement bien protégée par notre droit, ainsi que par le droit international et européen. Il n'en est rien. Nous avons d'abord le cas des mineurs qui naissent dans une secte, ou qui y arrivent très jeunes en même temps que leurs parents. Pour ces enfants, la vie commence dans un véritable enfermement. Ils ne connaîtront rien d'autre que le milieu sectaire dans lequel leurs parents les auront, de bonne ou de mauvaise foi, introduits. Il y a ensuite le cas des enfants qui deviennent des cibles des organisations sectaires. À cet égard, on peut distinguer deux approches. Certains enfants sont la cible directe des organisations sectaires, qui souhaitent pouvoir les formater, les robotiser, les exploiter. On leur fera faire du prosélytisme dès leur plus jeune âge, puis on en fera, selon l'expression de Ron Hubbard, le fondateur de la scientologie, des « esclaves heureux ». L'autre approche consiste à passer par les enfants pour accéder aux parents. De même que l'enfant est un bon vecteur de consommation, comme l'ont compris les publicitaires, de même, il est un bon vecteur pour les sectes. On peut dire que les enfants sont exposés en tout lieu du territoire, qu'ils résident dans des grandes villes ou à la campagne. Les mineurs le sont même en milieu carcéral, où l'on a vu des organisations sectaires s'adresser directement à eux pour leur proposer des programmes de formation, en matière scolaire, humanitaire ou spirituelle, dans le but d'en faire des adeptes au terme de leur incarcération. Les sectes s'intéressent aujourd'hui à de nombreux domaines, que je ne ferai qu'évoquer très rapidement. Elles s'intéressent à l'enfant avant même sa naissance. On a entendu parler très récemment, à l'occasion d'une naissance « people », d'un « accouchement à la scientologue ». De même, la Kabbale préconise un mode de naissance particulier. Quant à l'ANEP, l'Association nationale pour l'éducation prénatale, elle soutient que le cosmos est parcouru par des âmes à la recherche d'un corps. Si ce corps leur convient, elles y restent. S'il ne leur convient pas, elles se retirent, et l'enfant meurt. Dans le secteur de la protection de l'enfance, une attention toute particulière doit être portée à la formation des personnels, qui sont une cible des organisations sectaires, car ils peuvent établir un lien entre elles et les jeunes enfants. La question de l'adoption doit être également examinée de manière très vigilante par les services sociaux et les services judiciaires. En matière de garde d'enfants, on constate que les collectivités territoriales, qui se voient confier de plus en plus de responsabilités dans ce domaine, peuvent, en toute bonne foi, s'adresser à des gardes maternelles qui ne présentent pas toutes les garanties requises. Au sein de l'école publique comme de l'école privée sous contrat, les risques sont extrêmement faibles, même s'ils ne sont pas totalement inexistants. Par contre, environ 6 000 enfants sont en dehors du circuit normal. En dépit des contrôles multiples effectués par le ministère de l'éducation nationale, des dérives sont possibles, notamment en ce qui concerne les enfants recevant un enseignement à distance ou un enseignement à domicile. Les contrôles sont difficiles lorsque les centres d'enseignement ne sont pas situés sur notre territoire. Les organisations sectaires peuvent s'investir dans le soutien scolaire. L'église de scientologie le fait en Allemagne, elle peut aussi bien le faire en France. Certaines organisations, je pense notamment à la Nouvelle Acropole, ont adopté une approche extrêmement hypocrite, consistant à proposer aux jeunes, à la sortie des écoles, des discussions de « philosophie » au café du coin. Elles leur proposent des cours de dessin, d'art, de musique. Les activités extrascolaires intéressent également les sectes, qui peuvent exercer leur influence sur des jeunes partis à l'étranger, à l'occasion d'un séjour linguistique. Dans le domaine des activités de loisir, la réglementation est contournée par les organisations sectaires. Sachant que les contrôles portent sur les stages dont la durée est d'au moins sept jours, elles organisent des stages de cinq ou six jours. Les activités sportives peuvent aussi être l'occasion d'excès déplorables et aboutir à la déstructuration des enfants, notamment quand les parents, désireux d'en faire des sportifs de haut niveau, les confient à des gourous. On peut également mentionner les randonnées, couplées avec un jeûne important et des séances de méditation nocturne. Les activités de détente peuvent bien sûr être un terrain d'action pour les organisations sectaires, à commencer par Internet, ou encore certaines formes de musique. Très perverse est l'utilisation par les sectes de thèmes humanitaires. Quand on dit aux jeunes : « Non à la drogue, oui à la vie », ils répondent présents. Le seul problème est que ce slogan est celui de l'église de scientologie. Les sectes attirent également les jeunes en se plaçant sur le terrain de la défense des droits de l'homme, ou encore sur celui du combat pour la paix, dont la secte Moon avait fait, à une certaine époque, son cheval de bataille. Un autre domaine particulièrement préoccupant est celui de la santé. Je pense bien sûr aux cas de malnutrition, mais aussi à l'instinctothérapie, qui promet la guérison des maladies par l'alimentation crue. Des personnes ont été victimes de nombreuses carences alimentaires après avoir suivi les recommandations de l'association « Joie et loisirs ». D'autres groupes préconisent le refus de la vaccination et de la transfusion sanguine. De plus en plus de groupes s'adonnent à la « guérison par la prière », qui a déjà occasionné deux décès. Certaines organisations prétendent lutter contre l'hyperactivité des mineurs et condamnent la prescription de psychotropes. Ici, paradoxalement, elles qui minimisent sans cesse le nombre d'enfants en danger, évoquent des chiffres qui laissent rêveurs. Deux documents parus à quelques mois d'intervalle citent, pour l'Amérique du Nord, les chiffres de 6 millions et de 17 millions de mineurs en danger. Après être apparu aux États-Unis, le phénomène des enfants dits « indigo » se développe en France depuis quelques années. Ces enfants sont des « demi-dieux » présents sur Terre. Le handicap est hélas l'objet de l'attention de mouvements sectaires, qu'il s'agisse du Mouvement du Graal ou de ceux qui prônent la « communication facilitée », méthode censée permettre à des personnes handicapées ou autistes de s'exprimer sur un clavier avec l'aide d'un « facilitant » qui leur tient la main. Monsieur le Président, mesdames, messieurs les députés, les organisations sectaires sont présentes dans de nombreux domaines. Récemment, nous avons lu dans une revue de la Soka Gakkai qu'une institutrice se vantait de mettre en pratique l'enseignement qu'elle avait reçu du « Maître » dans sa communication avec ses enfants. Cela laisse pantois. Il faut également être attentif à l'activité de certains « psychothérapeutes » dont la formation laisse beaucoup à désirer, et qui proposent des formations extrêmement dangereuses, notamment en direction des professions en contact avec les enfants. Nous constatons une prolifération de « méthodes » - on en comptait 80 il y a vingt ans, 200 aujourd'hui - qui permettent aux doctrinaires de recruter. M. le Président : Monsieur Roulet, vous avez dressé un tableau sombre de l'activité des mouvements sectaires, et ce alors même que tous les ministères concernés siègent au conseil d'orientation de la Mission interministérielle que vous présidez. Que faire de plus ? Qu'attendez-vous de la représentation nationale ? Quelles mesures faudrait-il mettre en œuvre pour faire régresser ces atteintes intolérables à des populations très vulnérables ? M. Jean-Michel ROULET : La première chose que l'on peut faire, c'est de faire savoir que nous nous sommes, les uns et les autres, saisis de ce problème. Lorsque les mouvements sectaires s'imaginent que le terrain est libre, ils laissent libre cours à leurs plus bas instincts. Par contre, quand ils savent que les pouvoirs publics et l'opinion publique sont mobilisés, un progrès est fait. Nous devons donner de l'écho à notre action, et donner aux parents les moyens de savoir si leurs enfants sont susceptibles ou non de tomber sous l'emprise de ces mouvements. Ils doivent être capables de décrypter le changement de langage ou de comportement de leurs enfants. Il faut également que les parents qui abandonnent leur autorité parentale entre les mains d'un gourou sachent qu'ils auront des comptes à rendre à la justice. Avant de faire mieux, il faut faire savoir ce que nous faisons, appliquer les textes qui existent, et que chacun prenne conscience du danger. C'est la raison pour laquelle votre commission d'enquête va rendre un grand service à la lutte contre les organisations sectaires. M. Philippe VUILQUE, rapporteur : Dans le rapport 2005 de la MIVILUDES, vous signalez une quarantaine d'enquêtes judiciaires relatives à des mouvements connaissant ou pouvant connaître des dérives sectaires. Pourriez-vous nous apporter des précisions sur le pourcentage des mineurs concernés ? D'autre part, considérez-vous que notre législation est suffisante ou qu'elle gagnerait à être complétée ? M. Jean-Michel ROULET : Dans les affaires que vous évoquez, la proportion des mineurs est d'environ un tiers. Les violences faites aux enfants au sein des mouvements sectaires ne sont pas toujours connues. Elles le sont même très rarement. Elles ne sont connues que lorsque les parents n'adhèrent pas à ces mouvements. En outre, lorsque les enfants seront devenus majeurs, ils n'auront pas nécessairement envie de dénoncer les faits. M. Philippe VUILQUE, rapporteur : Par conséquent, la quarantaine d'enquêtes que mentionne le rapport 2005 correspond probablement à une très faible part des actes délictueux ou criminels effectivement commis. M. Jean-Michel ROULET : En effet. La justice ne peut pas se saisir de sa propre initiative si elle n'est pas informée. De plus, la justice ne considère pas toujours les faits qui lui sont rapportés comme relevant d'une dérive sectaire. M. Philippe VUILQUE, rapporteur : Y a-t-il de la part des magistrats une certaine réticence à aborder ces phénomènes ? Ou cela témoigne-t-il d'un manque d'information ? M. Jean-Michel ROULET : Ni l'un ni l'autre. Il y a d'abord de la part des familles une certaine réticence à dénoncer ces faits. Pour ce qui est des magistrats, il me semble que la loi « About-Picard » n'a pas été exploitée comme elle aurait pu l'être. Lorsqu'un délit de droit commun est établi, les magistrats instructeurs ou les juridictions de jugement considéreront qu'il y a suffisamment d'éléments pour que le délit puisse être caractérisé et pour que l'auteur des faits soit poursuivi et puni. À partir de là, ils se disent qu'il n'est peut-être pas nécessaire d'établir qu'il y a eu emprise mentale : cela peut compliquer les choses, cela peut ouvrir des voies de recours, cela peut être gênant pour la victime elle-même, qui ne souhaite pas forcément voir évoquer le fait qu'elle a été sous emprise mentale. Pourtant, les débats législatifs montrent que l'intention du législateur était de permettre d'exercer des poursuites sui generis, quand bien même aucun autre acte délictueux ou criminel n'aurait été commis : l'abus de faiblesse sur une personne soumise à une emprise mentale devait autoriser les poursuites. Cela dit, l'ENM organise chaque année des périodes de formation, au cours desquelles les textes visant à réprimer les dérives sectaires sont commentés et la jurisprudence examinée. Je suis persuadé que les choses évolueront. Pour l'avenir, des modifications législatives sont-elles nécessaires ? Toute législation est perfectible. La nôtre est déjà complète et solide. Un problème se pose, celui de la prescription. Peut-être serait-il opportun, non pas d'allonger le délai de prescription, mais de le faire courir à partir du moment où les faits sont révélés. M. Jean-Yves HUGON : Vous avez brièvement évoqué l'utilisation d'Internet par les mouvements sectaires. Avez-vous d'ores et déjà répertorié des sites qui pourraient être dangereux ? J'ai pu constater que l'église de scientologie est très présente en Allemagne, où elle a pignon sur rue. Pourriez-vous nous donner des informations sur la présence en France d'une autre secte, le mouvement raëlien ? M. Jean-Michel ROULET : S'agissant d'Internet, on peut dire qu'il concerne tous les mineurs, alors que d'autres tranches d'âge l'ignorent à peu près complètement. Si vous vous connectez sur Internet, vous pourrez suivre en direct des messes rouges ou des messes noires, sans savoir si elles sont réelles ou virtuelles. Sur toute une série de sites, on vous explique comment devenir un adepte du satanisme ou des Lucifériens. On vous donnera des pistes pour obtenir des rendez-vous. On vous donnera par exemple l'adresse d'un lieu où vous pourrez rencontrer une personne qui vous fera connaître des membres d'un mouvement gothique ou « Metal ». Internet peut donc être extrêmement dangereux. Il y a certainement quelques garde-fous à introduire, sans porter atteinte à quelque liberté que ce soit. Par ailleurs, Internet est une vitrine pour les organisations sectaires, qui se présentent sous leur meilleur visage, ce qui les rend d'autant plus dangereuses. Il ne faut pas exagérer la présence de l'église de Scientologie, qui est loin d'avoir les effectifs qu'elle prétend, que ce soit d'ailleurs en France ou en Allemagne. En France, elle compte au maximum 2 000 personnes, ce qui n'est pas considérable. En Allemagne, les scientologues sont plus nombreux. Les Länder ont des approches différentes à l'égard de la scientologie. Mais ils ont réagi très violemment lorsqu'ils ont constaté qu'elle entreprenait d'occuper le terrain du soutien scolaire. La Bavière est en pointe dans la lutte contre cette organisation. La Scientologie s'est beaucoup montrée en France ces derniers temps, et sous un visage sympathique. C'est ainsi qu'à l'automne dernier, lorsque ont éclaté des troubles dans les banlieues, elle s'est efforcée d'occuper le terrain, notamment en Seine-Saint-Denis. On a vu de jeunes scientologues en chasuble jaune proposer des ouvrages de scientologie. On a vu également s'investir sur le terrain de jeunes scientologues ou des enfants de scientologues adultes membres de l'organisation Youth for Human Rights. Les « Jeunes pour les droits de l'homme », c'est très sympathique. La Scientologie a aussi proposé des actions de soutien scolaire, ou encore des distributions de cadeaux de Noël aux plus défavorisés. Cette stratégie a un double but : recruter, et donner de la scientologie une image sympathique. S'agissant des Raëliens, ils n'ont pas rencontré au Canada le succès ni la liberté de manœuvre qu'ils espéraient. Il est probable que Raël soit en ce moment en Afrique, pour promouvoir le programme qu'il a baptisé Clitoraid, qui vise à greffer un clitoris aux jeunes femmes excisées. Le coût d'une opération est de 25 000 euros. Raël demande aux gens de faire des dons. On sait que les Raëliens sont athées et placent la sexualité au centre de tout. À cet égard, les enfants exposés à cette secte courent le risque d'un viol permanent. Le mouvement des Raëliens est également présent en France, où il distribue des tracts en vue de réunir l'argent nécessaire aux opérations de greffe du clitoris. M. Guy GEOFFROY : Vous avez évoqué le problème des centres de loisir ou de vacances, où les enfants peuvent être approchés par les sectes. Avez-vous procédé à une observation des nombreux organismes de formation, dont certains sont publics, qui préparent les jeunes au BAFA ? Vous a-t-on signalé des dysfonctionnements ou des risques de dérive ? Discutez-vous de ce sujet avec les responsables publics, et notamment l'Association des maires de France, puisqu'un grand nombre de jeunes titulaires du BAFA sont soumis à l'autorité des élus locaux ? M. Jean-Michel ROULET : Ce problème fait effectivement partie de nos préoccupations. Le ministère de la jeunesse et des sports est tenu d'effectuer des contrôles, mais ne peut en faire que pour des stages dont la durée excède sept jours. C'est pour cette raison que les organisations sectaires qui organisent des stages en limitent la durée à moins de sept jours. C'est sans doute l'un des points sur lesquels on pourrait envisager une évolution de la réglementation. Je ne pense pas qu'une réforme législative soit nécessaire. Sans instaurer une obligation de contrôle pour les stages de moins de sept jours - ce qui impliquerait une augmentation considérable des effectifs du ministère de la jeunesse et des sports -, il serait possible d'instaurer la possibilité de contrôler ces stages. Car la peur du gendarme, dans ce domaine, est le début de la sagesse. Un certain nombre d'organismes seraient plus prudents qu'ils ne le sont aujourd'hui. Le risque est réel. Nous avons des signalements de la part de parents et d'associations. Il est arrivé que des parents, après un stage effectué par leur enfant, aient été étonnés de son changement de comportement. Par exemple, il ne veut plus manger de viande, ou il adopte un discours extrêmement rigoureux sur un certain nombre de points. Récemment, après que de jeunes mineurs ont perdu la vie en mer, des condamnations ont été prononcées. D'une part, le personnel d'encadrement n'avait certainement pas la formation requise, et d'autre part, cette volonté de former le caractère des jeunes relevait sans doute d'une approche qui pouvait s'assimiler à une dérive sectaire. La formation des personnels d'encadrement pose un vrai problème. Actuellement, on sous-traite cette formation, que les instituts d'État ne peuvent assurer à eux seuls. Les organismes auxquels cette formation est déléguée sont choisis avec soin. Mais il est certain que, dès lors que le dispositif est très largement décentralisé et relève de la compétence de multiples collectivités territoriales, le risque s'accroît, car toutes les collectivités territoriales n'ont pas les moyens de contrôle nécessaires. C'est pourquoi je les invite à se rapprocher des services de l'État compétents, ou à nous contacter. Nous serons en mesure de les mettre en garde contre tel ou tel organisme recourant à des méthodes dangereuses. Nous avons des contacts avec l'Association des maires de France et les conseils généraux. J'entends les développer à l'avenir. M. Jacques MYARD : Monsieur le préfet, vous avez fait allusion aux enfants embrigadés dans des « écoles » privées hors contrat. La MIVILUDES a-t-elle notamment enquêté sur des écoles intégristes religieuses, par exemple au niveau de la maternelle ? M. Jean-Michel ROULET : En dehors de l'enseignement public et de l'enseignement privé sous contrat, nous avons un paysage très divers : l'enseignement privé hors contrat, l'enseignement à distance, l'enseignement à domicile par les parents. Le ministère de l'éducation nationale, informé localement, sait en principe où sont les enfants qui ne sont pas à l'école. Un problème particulier se pose, en ce qui concerne l'enseignement à distance, lorsque le centre de télé-enseignement se situe en dehors du territoire français, ce qui est le cas le plus fréquent aujourd'hui, car cela coûte beaucoup moins cher. Cela dit, contrairement à ce que l'on pourrait croire, il se peut que les enfants soient en danger alors même qu'ils vont à l'école publique. C'est, par exemple, le cas des enfants des Témoins de Jéhovah, qui reçoivent le même enseignement que tous les futurs citoyens de leur âge. On pourrait en conclure que tout va bien. Non, tout ne va pas bien. Parce que ces enfants entendent chez eux un discours tendant à discréditer l'enseignement qu'ils reçoivent à l'école : « On va te raconter des histoires complètement fausses ; les professeurs vont te parler de la théorie de Darwin, qui est une invention du Diable ; seule la théorie créationniste est vraie ; ne le dis pas à tes camarades, laisse-les dans l'ignorance. Mais pour avoir de bons résultats scolaires, apprends tout de même ce que t'enseignent tes professeurs et restitue-le dans tes devoirs. » On demande ainsi à ces enfants d'apprendre et de réciter quelque chose en quoi on leur dit de ne pas croire et qu'on leur présente comme une création du diable. Ils sont donc en apparence en milieu ouvert, mais sont en fait en milieu fermé, en étant obligés de jouer la comédie. Leur situation est encore plus dramatique que ceux qui évoluent dans une école fermée. S'agissant de ces derniers, nous disposons de rapports alarmants. Le dernier rapport de la MIVILUDES a mentionné le cas des « Frères de Plymouth de la voie étroite ». Les contrôles effectués par l'éducation nationale doivent permettre de faire en sorte que le contenu des programmes soit bien respecté. Mais en dehors de l'enseignement qu'ils reçoivent, ces enfants reçoivent un « complément d'enseignement » qui ne permet en aucun cas leur épanouissement, ne forme en rien leur sens critique et les maintient dans un état de dépendance totale. Dans son article 17, la Convention internationale des droits de l'enfant fait obligation aux États signataires de veiller « à ce que l'enfant ait accès à une information et à des matériels provenant de sources nationales et internationales diverses ». À cette fin, ils doivent encourager les médias « à diffuser une information et des matériels qui présentent une utilité sociale et culturelle pour l'enfant ». Selon l'article 13, l'enfant « a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières ». Il est clair que toutes ces dispositions ne sont pas respectées. M. Jacques MYARD : Un autre phénomène se développe actuellement sur le territoire national, dans une autre religion du Livre. On assiste à une sorte d'embrigadement total d'enfants dès l'âge de deux ou trois ans. Vous avez cité des exemples de dérives sectaires appartenant au monde issu du judéo-christianisme. Il y en a d'autres du côté de l'islam. La MIVILUDES a-t-elle eu l'occasion d'aborder ce problème ? M. Jean-Michel ROULET : Pour vous répondre très franchement, monsieur le député, pas encore. Mais il est évident que c'est un sujet qui nous tient à cœur. La MIVILUDES, pour obtenir des informations, est dépendante des services de l'État, et notamment de ceux du ministère de l'intérieur. Or, actuellement, les problèmes de l'islamisme sont liés, et je le dis sans pratiquer aucun amalgame, à un risque terroriste. Des prêches peuvent inciter des jeunes gens à partir pour des camps d'entraînement. C'est la raison pour laquelle ces questions sont suivies par le ministère de l'intérieur. Cela dit, il y a certainement, dans cette communauté comme dans les autres, des risques de dérive sectaire. Ces risques ne tiennent jamais aux croyances, rarement à la doctrine. Ils tiennent toujours aux hommes. Certaines dérives sont connues. On peut considérer que persuader des mineurs qu'il est bon de se mettre une ceinture d'explosifs autour de la taille pour aller se faire sauter au milieu d'autres personnes constitue déjà une sérieuse dérive. M. Philippe VUILQUE, rapporteur : S'agissant des contrôles des écoles privées hors contrat, je me suis laissé dire qu'une circulaire très ancienne oblige l'administration à les prévenir 24 ou 48 heures à l'avance. Il me semble qu'un contrôle ne peut être pleinement efficace que s'il est inopiné. M. Jean-Michel ROULET : J'ai entendu parler de cette circulaire. Je ne sais pas si elle est encore en application. Je dois vous dire que je n'ai pas de réponse à cette question, monsieur le rapporteur. M. Serge BLISKO : Vous avez rapidement évoqué la nécessité d'être particulièrement attentif aux procédures d'adoption. S'agit-il de renforcer l'enquête préalable à la délivrance d'un agrément aux familles adoptantes ? Les travailleurs sociaux doivent-ils vérifier que les candidats à l'adoption ne sont susceptibles d'aucune dérive sectaire ? Je sais que des Témoins de Jéhovah ont contesté un refus d'agrément auprès du tribunal administratif. Pourriez-vous faire le point sur la jurisprudence en ce domaine ? D'autre part, s'agissant des centres de vacances, je rappelle qu'ils doivent recevoir un double agrément, l'un de la part du ministère de la jeunesse et des sports, qui garantit l'hygiène, la sécurité, la formation des personnels, et l'autre de la part du ministère de l'éducation nationale lorsqu'ils proposent des activités éducatives. Faut-il, selon vous, renforcer les contrôles en vue de ces agréments ? J'ajoute que les collectivités locales font souvent appel à la sous-traitance. Les communes n'ont pas les moyens d'organiser des centres de vacances, et traitent donc avec de grandes fédérations. Nous, élus locaux, sommes très sollicités. Nous recevons de nombreux catalogues. Nous vérifions rapidement que le centre en question a reçu les deux agréments, mais nous n'allons pas toujours beaucoup plus loin dans la vérification. Il serait opportun d'organiser un meilleur contrôle et une meilleure évaluation de ces associations très diverses. M. Jean-Michel ROULET : En ce qui concerne l'adoption, la difficulté est de confier un enfant à une vraie famille. Un refus d'agrément ne peut pas se fonder sur les croyances, les pratiques religieuses ou cultuelles du foyer en question. On doit démontrer que dans ce foyer, l'enfant ne rencontrera pas les conditions nécessaires à son épanouissement. Il ne s'agit pas de prouver que les candidats à l'adoption sont adeptes de telle ou telle organisation, mais que, compte tenu des pratiques qui sont les leurs, l'enfant ne pourra pas, par exemple, bénéficier des soins requis. Dans une famille où l'on refuse la transfusion sanguine, il risque d'y avoir non-assistance à personne en danger au cas où l'enfant aurait besoin de subir une intervention chirurgicale. De même, on peut mettre en avant, pour refuser un agrément, le fait que l'enfant ne pourra pas jouer avec ses camarades, qu'il n'aura pas le droit de regarder la télévision, de faire du sport, etc. La jurisprudence découle de cela. Un refus d'agrément fondé sur l'appartenance religieuse des candidats serait attaqué et annulé par les juridictions françaises. S'il ne l'était pas, il le serait de toute façon par la Cour européenne des droits de l'homme. Il faut donc être extrêmement prudent, et invoquer des arguments qui, juridiquement, tiennent la route. On a des exemples de refus qui n'ont posé aucune difficulté. La Cour européenne des droits de l'homme dit clairement que la question de savoir si les familles appartiennent à une religion ou à une secte n'a pas à être posée. L'essentiel est d'établir des faits matériels motivant un refus. En ce qui concerne les centres de vacances ou de loisirs, il y a deux cas de figure. Il peut arriver qu'un centre soit l'émanation d'une organisation sectaire. Il peut arriver que le centre soit tout à fait étranger au monde des sectes mais fasse appel à des personnels d'encadrement qui sont membres d'une organisation sectaire. Dans ce cas, il appartient au directeur du centre, éventuellement à l'élu local chargé de ce domaine, d'effectuer les contrôles nécessaires. La MIVILUDES a largement diffusé un Guide de l'agent public face aux dérives sectaires qui décrit les moyens de détecter les attitudes et les dérives sectaires, ainsi que les méthodes pour y mettre fin en les portant à la connaissance des pouvoirs publics. Il y a, comme vous l'avez rappelé, deux agréments, l'un délivré par le ministère de la jeunesse et des sports, l'autre par celui de l'éducation nationale. On a parfois l'impression qu'il s'agit de deux États souverains qui ne communiquent pas entre eux. Peut-être serait-il opportun qu'une circulaire interministérielle précise bien la complémentarité des missions des uns et des autres, afin qu'il n'y ait pas de vide juridique. M. Christian DECOCQ : Vous avez évoqué les conséquences matérielles des dérives sectaires : accidents, suicides, d'autres encore. Il serait bon de les recenser, tout en sachant que le plus grave est l'enfermement en lui-même, qui peut gâcher une vie entière. Pouvez-vous décrire les moyens de défense des sociétés anglo-saxonnes confrontées aux mêmes phénomènes ? Nous qui sommes prompts à donner des leçons de démocratie au monde entier, nous n'avons pas non plus à en recevoir de la part des Anglo-saxons, qui ont parfois moins de pudeur que nous. Ils se fondent, en définitive, sur le principe : « Pas de liberté pour les ennemis de la liberté ». Avez-vous approfondi cette question ? M. Jean-Michel ROULET : Nous l'approfondissons par la force des choses. Le conseil d'orientation de la MIVILUDES comprend en son sein des parlementaires, des représentants des associations de parents d'élèves, des représentations d'associations de défense de la famille et de l'individu, des avocats, des professeurs d'université, des chercheurs, bref, les forces vives de la nation. Nous sommes mus par un ressort puissant, la nécessité de porter secours aux victimes. C'est le fondement de la légitimité de notre action. Cela est important à un moment où des voix se font entendre pour critiquer la politique de la France dans ce domaine. Elle est mal connue et mal comprise par certains, qui peuvent être de bonne ou de mauvaise foi. À côté du conseil d'orientation, il y a le comité technique de pilotage opérationnel, qui regroupe l'ensemble des départements ministériels, dont le ministère des affaires étrangères. Celui-ci nous dit souvent que telle position nous vaut telle remarque de la part de telle personnalité étrangère chargée de vérifier si la liberté religieuse est respectée en France. Mais la transparence ne nous gêne absolument pas. Il s'agit de savoir si les critiques qui nous sont adressées sont fondées ou non. Les arguments avancés sont-ils ceux du rapporteur de telle ou telle commission ou bien reprend-il à son compte, dans le souci de se faciliter le travail, les arguments d'ONG qui sont le faux-nez d'organisations sectaires ? C'est très souvent ce qui se passe. Il y a à Bruxelles, rue de la Loi, un organisme qui s'appelle le Bureau européen des droits de l'homme. Cette appellation est extrêmement respectable. Le seul problème, c'est que cet organisme est une émanation de l'église de scientologie. Beaucoup de parlementaires européens, quand ils rencontrent un membre du BEDH, croient de bonne foi qu'ils ont affaire à un membre de la commission des droits de l'homme de l'ONU. La Ligue des droits de l'homme a récemment mis les choses au point, et dénoncé l'utilisation du thème des droits de l'homme à de tout autres fins que celle de leur défense. Notre politique, c'est vrai, n'est pas toujours bien comprise. Tous les pays européens ne se sont pas dotés d'un outil analogue à la MIVILUDES, et notamment pas les pays anglo-saxons. En 2000, le Président de la République a dit au Président américain que la liberté religieuse ne serait plus abordée dans les discussions bilatérales présidentielles. Auparavant, en 1998, notre ministre des affaires étrangères, M. Hubert Védrine, avait fait savoir à son homologue américaine, Mme Madeleine Albright, que l'échange engagé depuis plusieurs mois entre les administrations américaine et française sur ce sujet ne trouvait pas d'utilité à être poursuivi. Il est très important, vis-à-vis de nos concitoyens, de ne pas laisser se développer ce discours autour du thème de « l'atteinte aux libertés religieuses ». La France, par sa loi de 1905, reconnaît toutes les religions et toutes les croyances, parce qu'elle n'en interdit aucune. La liberté de penser, la liberté de conscience, la liberté de culte ne se discutent pas. C'est un acquis inaliénable. D'aucuns voudraient faire croire qu'en luttant contre les sectes, nous luttons contre les « nouveaux mouvements religieux ». Nous voudrions savoir ce qu'il y a de religieux dans l'instinctothérapie ! Ce qui nous préoccupe, beaucoup plus que les contenus philosophiques ou doctrinaux, ce sont des pratiques qui n'ont rien à voir avec des croyances et tout à voir avec les bénéfices économiques qu'en tirent certaines organisations, et contre lesquelles il convient de lutter. M. Philippe VUILQUE, rapporteur : Avez-vous déjà eu l'occasion, après que des crimes ou des délits ont été portés à votre connaissance, de saisir le procureur de la République ? M. Jean-Michel ROULET : Comme tous les citoyens, nous en avons non seulement la possibilité mais le devoir. Dans un souci d'efficacité, la MIVILUDES passe toujours par un membre de la magistrature qui siège en son sein et qui représente le directeur des affaires criminelles et des grâces. Nous sommes sûrs, par ce moyen, de saisir le bon parquet, le bon procureur, le bon magistrat. La Chancellerie, dans ces cas, fait son travail immédiatement. M. Philippe VUILQUE, rapporteur : La MIVILUDES étant une mission interministérielle, elle est tributaire des services de l'État. Elle n'est pas un organisme autonome. D'autres pays européens, notamment la Belgique, ont choisi un positionnement institutionnel différent. Ne pensez-vous pas que notre positionnement institutionnel affaiblit l'efficacité de la lutte contre les organisations sectaires ? Imaginons que demain, un gouvernement considère que cette lutte n'est plus d'actualité et supprime la mission. Imaginons qu'un gouvernement manifeste une moindre détermination. Que se passerait-il ? M. Jean-Michel ROULET : Le modèle français est en effet un modèle unique. Seule la Belgique a une structure permanente : le CIAOSN, le Centre d'information et d'avis sur les organisations sectaires nuisibles, émet des avis, à la différence de la MIVILUDES. Pour émettre des avis, la MIVILUDES devrait devenir une autorité administrative indépendante, à l'instar du CSA ou de la Commission du secret de la défense nationale. Ayant exercé durant six ans les fonctions de secrétaire général d'une autorité administrative indépendante avant d'être nommé président de la MIVILUDES, j'ai la chance de connaître ces deux types de structures de l'intérieur. Très sincèrement, je ne pense pas que la transformation de la mission interministérielle en autorité administrative indépendante changerait grand-chose. La culture des grands serviteurs de l'État est marquée par un profond respect pour l'autorité légitime, qu'il s'agisse du Gouvernement ou des deux Assemblées. Je ne vois pas comment nous aborderions autrement le problème de la lutte contre les dérives sectaires. Toute autorité administrative indépendante compte en son sein des représentants de l'Assemblée nationale et du Sénat, tout comme le conseil d'orientation de la MIVILUDES. J'ai la chance d'avoir la confiance du Premier ministre, et d'avoir par conséquent une marge de manœuvre qui n'est pas très différente de celle du président d'une autorité administrative indépendante. Je dois certes rendre compte de l'action de la mission, mais c'est aussi le cas des autorités administratives indépendantes, qui doivent rendre un rapport annuel au Président de la République, aux présidents des deux assemblées et au Premier ministre. Quels que soient les habillages administratifs, ce qui importe, c'est la volonté politique d'agir contre les dérives sectaires. Vous avez évoqué le cas où un gouvernement déciderait de supprimer la MIVILUDES. Dans ce cas, monsieur le rapporteur, vous avez, en tant que détenteurs du pouvoir législatif, la faculté de créer par la loi un organisme de lutte contre les dérives sectaires. Et je pense que vous le créeriez, car le fait que vous ayez voulu cette commission d'enquête montre votre volonté de saisir à bras-le-corps ce problème. Je ne suis pas inquiet pour l'avenir. M. Jérôme LAMBERT : Vous nous avez indiqué que la Cour européenne des droits de l'homme avait pu être saisie de questions relatives à des dérives sectaires. La législation européenne peut-elle servir à la défense des sectes ? Dans le projet de traité constitutionnel européen soumis l'an dernier à référendum, un paragraphe concernait les relations de l'Union européenne avec les églises, celles-ci étant définies de manière très large comme toute organisation religieuse reconnue par les États membres. Cela aurait signifié qu'une organisation que nous considérons comme sectaire pouvait avoir des relations avec les institutions européennes dès lors qu'elle aurait été reconnue par un autre État. On peut donc s'inquiéter de l'emprise que peuvent avoir les organisations sectaires sur la législation européenne. Quelles conséquences cela peut-il entraîner quant aux décisions de la justice européenne ? Avez-vous déjà pu constater des décisions qui iraient dans le mauvais sens ? M. Jean-Michel ROULET : Les organisations sectaires présentes à Strasbourg ou à Bruxelles ne sont pas très nombreuses. On retrouve toujours les mêmes. Il s'agit pour l'essentiel de l'église de scientologie et des Témoins de Jéhovah. Ce qui me réconforte, c'est que l'ensemble des personnalités européennes que j'ai pu rencontrer, notamment le directeur des affaires juridiques belge, ne sont absolument pas dupes de l'activité des lobbyistes présents auprès des institutions européennes. Le danger n'est donc pas l'emprise des organisations sectaires sur les institutions européennes elles-mêmes. Il est davantage du côté des parlementaires des nouveaux pays membres, où les organisations sectaires commencent à s'implanter. Lorsque à Bruxelles, leurs lobbyistes demandent à ces parlementaires de déposer une motion ou un amendement, ces derniers le font parfois de très bonne foi. C'est donc aux groupes politiques qu'il appartient de travailler ensemble de façon plus étroite pour mettre en évidence le risque sectaire et ses conséquences. La réglementation européenne ne pose absolument aucun problème à la législation française. La disposition que vous évoquiez, monsieur le député, n'a heureusement pas été adoptée. Mais il faut se souvenir qu'il n'y a pas si longtemps, la Grèce exigeait que la mention de la religion figure sur la carte d'identité. Il y a de telles disparités, d'un pays à l'autre, dans l'approche du phénomène religieux que l'on n'est pas près d'adopter des directives uniformes dans ce domaine. Je suis convaincu que notre modèle de laïcité a encore de belles années devant lui. M. le Président : Je vous remercie, monsieur le président, de votre contribution aux travaux de notre commission. Je vous remercie aussi d'avoir rappelé qu'il ne s'agit pas pour vous, pas plus que pour nous, d'émettre le moindre jugement de valeur sur telle ou telle croyance, mais seulement d'appliquer la loi républicaine dans le but de protéger les mineurs. Audition de M. Emmanuel JANCOVICI, Présidence de M. Georges FENECH, Président M. le Président : Mes chers collègues, nous recevons M. Emmanuel Jancovici, chargé de mission pour la coordination, la prévention et le traitement des dérives sectaires à la sous-direction des âges de la vie de la direction générale de l'action sociale du ministère de la santé et des solidarités. Vous remerciant, monsieur, d'avoir répondu à la convocation de la commission d'enquête, je souhaite vous informer au préalable de vos droits et de vos obligations. Je vous rappelle tout d'abord qu'aux termes de l'article 142 du Règlement de notre Assemblée, la commission pourra décider de citer dans son rapport tout ou partie du compte rendu qui en sera fait. Ce compte rendu vous sera préalablement communiqué. Les observations que vous pourriez faire seront soumises à la commission. Par ailleurs, en vertu de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 modifiée relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, les personnes auditionnées sont tenues de déposer sous réserve des dispositions de l'article 226-13 du code pénal réprimant la violation du secret professionnel et de l'article 226-14 du même code, qui autorise la révélation du secret en cas de privations ou de sévices dont les atteintes sexuelles. Cette même ordonnance exige des personnes auditionnées qu'elles prêtent serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vais donc vous demander de lever la main droite et de dire : « Je le jure ». (M. Emmanuel Jancovici prête serment.) Je m'adresse aux représentants de la presse pour leur rappeler les termes de l'article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui punit de 15 000 euros d'amende le fait de diffuser des renseignements concernant l'identité d'une victime d'une agression ou d'une atteinte sexuelle. J'invite donc les représentants de la presse à ne pas citer nommément les enfants qui ont été victimes de ces actes. M. Emmanuel JANCOVICI : Le ministère de la santé et des solidarités est notamment chargé de veiller à la protection des enfants. À ce titre, nous nous sommes attachés à suivre de près la situation particulière des enfants vivant dans des sectes. Nous le faisons à partir du constat de la connaissance insuffisante que nous avons de leur situation. Nous estimons que plusieurs dizaines de milliers d'enfants ont des parents membres d'organisations sectaires. On peut estimer, par exemple, qu'au moins 45 000 enfants ont des parents Témoins de Jéhovah. M. le Président : Pouvez-vous nous donner un chiffre pour l'ensemble des enfants concernés par les sectes ? M. Emmanuel JANCOVICI : Je dirais qu'entre 30 000 et 40 000 enfants ont des parents qui appartiennent à d'autres groupes. Le total est, au minimum, de 60 000 à 80 000 enfants élevés dans un contexte sectaire. Les statistiques ne permettent pas d'être plus précis. Par prudence, je préfère parler de plusieurs dizaines de milliers d'enfants. C'est un chiffre considérable. Devant l'ampleur du phénomène, le ministère a décidé de conduire une enquête sur la situation des enfants et la manière dont ils sont élevés, afin de pouvoir donner aux professionnels de la protection de l'enfance des éléments de repérage. Nous avons enquêté pendant près de deux ans auprès d'un groupe d'une vingtaine de jeunes ex-adeptes des Témoins de Jéhovah. Nous l'avons fait avec l'appui de spécialistes incontestés de la protection de l'enfance. Nous avons également tenté d'obtenir des éléments de connaissance sur des adultes ayant vécu dans d'autres groupes, de façon à comparer les données que nous avons pu recueillir. Ce travail ne prétend pas décrire scientifiquement un groupe comme celui des Témoins de Jéhovah, ni donner des éléments sur le devenir prévisible des enfants qui s'y intègrent. Il doit permettre de saisir le contexte dans lequel ces enfants se trouvent. Les travaux universitaires sur ce groupe nous mettent en face d'une multinationale dont les capacités de lobbying, nous l'avons par ailleurs constaté, sont considérables, tout comme ses capacités d'expertise et ses capacités juridiques. Nous avons été surpris d'apprendre, dès notre première réunion avec ces jeunes ex-adeptes, que ceux-ci faisaient encore chaque nuit des cauchemars. Trois d'entre eux avaient besoin d'une veilleuse pour affronter la nuit. Une partie d'entre eux ont recours de manière régulière à des psychotropes. Deux ou trois ont fait des tentatives de suicide. Enfin, sur la totalité, soit une vingtaine, quatre ont déclaré avoir subi dans leur enfance des agressions sexuelles. La santé des enfants est un élément essentiel. Pour l'apprécier, il faut connaître le cadre de vie général, des enfants comme des adultes. Ce cadre général est porté par une doctrine, qui a des effets angoissants et terrorisants : selon elle, nous vivons dans un univers où Satan est omniprésent ; un jour, Jéhovah arrivera et détruira tout ce qui est mauvais sur terre. Seuls y échapperont les Témoins de Jéhovah. Ce cadre général entraîne chez les enfants une très grande docilité. J'ai demandé aux jeunes ex-adeptes comment ils faisaient pour vivre dans la perspective d'une transfusion sanguine, s'ils étaient opérés. Ils m'ont répondu que lorsqu'on est un Témoin de Jéhovah, on espère devoir être opéré pour pouvoir, le jour de l'opération, prouver qu'on est un bon Témoin de Jéhovah en refusant la transfusion sanguine. C'est une logique de type kamikaze ! Les enfants sont pris dans un système de codification où très peu de choses sont permises. Est institué un système de surveillance totale, où les parents surveillent les enfants et les enfants surveillent les parents au cas où ils ne respecteraient pas la réglementation interne. Cela met en cause la capacité de ces enfants à vivre et à avoir des désirs. Ne sachant plus ce qui est permis ou interdit, ils s'interdisent d'eux-mêmes un certain nombre de choses sans que le groupe lui-même n'édicte des interdits. Toute l'énergie des adeptes est détournée pour le groupe et par le groupe. Ils sont pris dans un système totalitaire dans la mesure où ils n'ont aucune ouverture sur l'extérieur. Pour autant, il ne faut pas tomber dans la victimologie. Dans un tel système, certaines personnes font preuve de davantage de souplesse et d'ouverture. Par ailleurs, tout n'est pas négatif pour un adepte : par le biais du prosélytisme, on développe une certaine forme d'intelligence ; sauf que celle-ci ne permet pas aux jeunes gens de penser. Les Témoins de Jéhovah comptent 45 000 enfants. Ces derniers sont conçus pour devenir des adeptes, et rien d'autre. Ils sont pris dans le même mécanisme que leurs parents, sans aucune liberté et sous un contrôle permanent. Les parents sont les relais du groupe auprès de leurs enfants ; ils n'ont plus leur fonction parentale. En voici un exemple tragique : une mère s'aperçoit que son fils adolescent reste en retrait du groupe ; elle l'interroge et il lui dit qu'il n'y croit plus. Elle lui répond que : « Dans ce cas-là, tu ne fais plus partie des nôtres ». Elle lui dit qu'il ne fait plus partie non plus de la famille, qu'il a quinze jours pour partir. Elle organise le soir même un repas destiné à marquer qu'il ne fait plus partie de la communauté. Tout cela ne permet pas de développer l'autonomie de l'enfant ni sa capacité à réfléchir en dehors de la communauté. On répète à un petit enfant de six ans dix fois la même chose. La onzième fois, on le félicite en lui disant qu'il est très intelligent. C'est un procédé de manipulation mentale. L'enfant a l'impression d'avoir pensé par lui-même quelque chose qui lui a été répété dix fois. Dans ce système, sa pensée n'existe pas, il n'a pas la possibilité de penser. C'est très dangereux du point de vue de la santé mentale. Autre élément qui a également des répercussions sur la santé physique des enfants : dans tous ces groupes, les enfants réservent beaucoup de temps à la prière, à la formation religieuse et au prosélytisme. Un enfant Témoin de Jéhovah consacre dès huit ou dix ans une vingtaine d'heures au groupe, ce qui est considérable si on ajoute ce temps à celui de sa scolarisation. La situation est totalement déséquilibrée, il n'y a plus de temps de l'enfance. Mon prédécesseur vous a sans doute parlé de cette fausse scolarisation. Là encore, le système est complètement pervers. Parfois, on ne sait même pas que les enfants existent. À Tabitha's Place, des enfants n'avaient pas été déclarés à l'état-civil ; comment voulez-vous que le dispositif de protection de l'enfance fonctionne ? À l'inverse, avec les Témoins de Jéhovah, tout paraît normal. Sans un travail extrêmement fin, rien n'est décelable. S'agissant de cette double scolarisation et du point de vue de la santé mentale, les enfants vivent dans une obligation constante de dissimulation. C'est pour eux une pression considérable. Dès lors qu'un enfant est scolarisé, les parents sont obligés d'indiquer aux enseignants leur appartenance. Le but est d'éviter toute socialisation en dehors de l'école, de conforter la culture dans laquelle ils se trouvent placés, et ils se sentent rejetés et persécutés. Or chez les Témoins de Jéhovah, selon la doctrine, quand on est rejeté et persécuté, on est dans la vérité. M. Serge BLISKO : Vous venez de dire que les parents étaient obligés d'indiquer aux enseignants leur appartenance. Est-ce une démarche d'auto-promotion ou d'auto-déclaration ? M. Emmanuel JANCOVICI : Si j'ai bien compris ce que m'ont dit ces jeunes gens, c'est le groupe qui leur demande d'énoncer leur appartenance dès l'école. J'en viens aux questions de maltraitance. Il existe des situations isolées de maltraitance, comme dans tout groupe social. Mais il en existe d'autres, qui sont induites non par la doctrine, mais par la volonté de l'adepte de montrer qu'il est un bon adepte. Cela se retrouve dans tous les groupes, par exemple au moment de la prière, dans la « salle du royaume », les petits doivent se tenir debout, silencieux et immobiles durant deux à trois heures. C'est déjà de la maltraitance. Mais surtout, si les enfants s'agitent, certaines mères ne le supportent pas, emmènent les enfants vers le fond et leur donnent des fessées, perdant parfois toute contenance. Certains groupes prônent l'inceste, mais ils sont minoritaires. Dans le groupe de jeunes ex-adeptes, quatre d'entre eux avaient victimes d'abus sexuels. Je leur ai demandé si, à leur connaissance, ces situations étaient assez fréquentes dans ce groupe. Ils m'ont répondu par l'affirmative. Une émission de télévision que je pourrai vous communiquer, a été réalisée en Suède et a fait l'objet d'une procédure de la part des Témoins de Jéhovah, qui voulaient qu'on l'interdise. Elle montre que ces situations sont très fréquentes, qu'elles sont déniées par ce type de groupes et qu'aucune aide n'est apportée aux victimes ; celles qui souffrent trop sont même rejetées. Cela dit, il existe cette justice parallèle que sont les comités judiciaires. Avec les sectes, quelles qu'elles soient, nous sommes face à des systèmes clos. Les spécialistes de la protection de l'enfance, au-delà même de la question des sectes, savent depuis longtemps que tous les systèmes clos sont le support de fonctionnements pathologiques susceptibles d'entraîner de la maltraitance et des abus sexuels. L'année dernière, Mme Claire Brisset, l'ancienne défenseure des enfants, m'avait fait remarquer que tout système clos est pathogène. Nous pensons donc qu'à partir du moment où il existe un système clos, toute secte est dangereuse. L'ancien président du tribunal pour enfants de Paris, M. Alain Bruel, recevait régulièrement en audience de cabinet les enfants Témoins de Jéhovah qui devaient être opérés et dont les familles étaient violemment opposées à la transfusion. À chaque fois qu'il a été amené à prendre des décisions permettant une transfusion, il a eu le sentiment que les familles étaient soulagées. S'agissant de la prise en charge, nous sommes face à des situations à risque. Nous devons apprécier ces situations au cas par cas. C'est la question des assistantes maternelles qu'évoquait l'un d'entre vous. Si on évalue ces situations sans prendre en compte l'appartenance, on rejoint le droit commun et on reste dans les strictes compétences du système de protection. L'application de l'article 375 du code civil ne doit connaître aucune exception. M. le Président : Je pense que vous n'avez pas été suffisamment précis. Est-ce que vous êtes en train de nous dire qu'avant d'accorder un agrément à une assistante maternelle, vous devez rechercher son éventuelle appartenance à un groupe sectaire ? Est-ce possible, selon la loi républicaine ? Êtes-vous vigilants en la matière ? M. Emmanuel JANCOVICI : En 1997, le président du conseil général de l'Hérault s'était adressé à nous. Il était inquiet car lui étaient adressées des demandes d'agrément de personnes appartenant aux Témoins de Jéhovah. Sa question était : « est-ce que je peux, ou non, refuser un agrément ? » Selon les juridictions administratives et le Conseil d'État, on ne peut, en France, prendre une décision, quelle qu'elle soit, au seul vu de l'appartenance à un mouvement. Il faut partir de l'appartenance et se demander si, compte tenu de cette appartenance, la personne qui demande à bénéficier de ce statut, a un mode de fonctionnement conforme aux pratiques du domaine dans lequel elle veut exercer - soit comme assistante maternelle, soit pour adopter un enfant. C'est au vu de sa pratique, de sa capacité... M. le Président : Parlez plus concrètement, je ne suis pas sûr qu'on vous comprenne. Voulez-vous dire que vous posez clairement à une candidate à un agrément d'assistante maternelle si elle est pour ou contre les transfusions sanguines ? M. Emmanuel JANCOVICI : Il n'est pas interdit de poser la question. On prendra aussi en compte, par exemple en cas de parents qui souhaitent adopter, leur éventuelle capacité d'offrir des conditions de vie propres à permettre l'épanouissement d'un enfant. C'est la question qu'on pose à tout candidat à l'adoption. Si on s'aperçoit que, par exemple, un candidat est réticent aux transfusions sanguines, un conseil général peut considérer qu'il ne peut pas lui confier un enfant parce que la vie de ce dernier risque d'être mise en danger en cas d'opération. S'il ne le faisait pas, sa responsabilité pourrait être engagée. Il doit donc s'assurer des capacités du demandeur. Mais, dans l'énoncé même de la décision, il n'est pas question de trouver : « Nous refusons l'agrément parce que M. X ou Mme Y est Témoin de Jéhovah ». Je vais même plus loin : si, la semaine précédente, un conseil général avait examiné et refusé la demande d'un autre Témoin de Jéhovah, il ne pourrait pas prendre appui sur une telle décision. Il faut procéder au cas par cas et se prononcer sur des situations particulières. M. Philippe VUILQUE, rapporteur : Il me semble que le Conseil d'État a rendu des arrêts qui ont clairement identifié les conditions dans lesquelles les conseils généraux pouvaient refuser l'agrément. M. Emmanuel JANCOVICI : Nous avons adressé en 1998 et 1999 à l'ensemble des présidents des conseils généraux un document sur cette question. M. le Rapporteur : Il n'en reste pas moins que ce sont des affaires très difficiles à traiter. Je vous remercie pour votre intervention. Pourriez-vous nous apporter un chiffre précis concernant le nombre des enfants de l'ensemble des organisations sectaires ? On a parlé tout à l'heure de 55 000 ou 60 000 enfants ? Quelle est votre appréciation en tant que représentant du ministère de la santé ? Par ailleurs, vous avez parlé d'aide aux victimes. Que savez-vous de la situation actuelle ? M. Emmanuel JANCOVICI : Lorsqu'un adulte quitte un groupe, il n'est pas pour autant libéré de ce groupe. Il continue à être marqué par les catégories qui l'ont fabriqué. Par exemple, il a l'impression, en se socialisant à nouveau, qu'il est en train de fréquenter le monde de Satan qu'on lui a décrit. M. le Rapporteur : Il existe un certain nombre d'associations d'aide aux victimes. Mais notre système ne laisse-t-il pas un peu les victimes face à elles-mêmes ? M. Emmanuel JANCOVICI : Nous avons travaillé sur la question de la prise en charge en expérimental, en finançant pendant trois ou quatre ans un centre dans la région parisienne. La direction générale de la santé est en train d'étudier comment on pourrait mettre en place, sur l'ensemble du territoire, des systèmes de prise en charge des victimes. M. le Rapporteur : Des systèmes de prise en charge spécifiques aux organisations sectaires ? M. Emmanuel JANCOVICI : C'est en discussion au sein de la direction générale de la santé. Est-ce qu'il faut prendre en charge ces victimes par le dispositif de santé mentale de droit commun, ou demander à ce dernier de créer des antennes spécifiques ? M. le Rapporteur : Qu'en pensez-vous en tant que praticien ? M. Emmanuel JANCOVICI : Il est nécessaire d'adopter une culture très spécifique s'agissant des victimes de sectes. La plupart des thérapeutes n'ayant aucune représentation des processus dans lesquels sont pris les adeptes, il faudra les former aux phénomènes sectaires. Par ailleurs, et je parle à titre personnel, il faut éviter une problématique de type victimologique. Les victimes ont été prises dans des positions très compliquées où parfois elles ont participé à des pratiques dont d'autres personnes ont été victimes. M. le Rapporteur : Vous n'êtes donc pas favorable à un système spécifique de prise en charge, mais vous l'êtes à une formation particulière des thérapeutes sur le phénomène sectaire ? M. Emmanuel JANCOVICI : Tout à fait. Il faudrait recueillir les situations, en termes de santé mentale, dans lesquelles se trouvent les ex adeptes, ainsi que le travail thérapeutique qui se fait, afin de développer une « clinique du fait sectaire. » M. le Président : Et le nombre ? M. Emmanuel JANCOVICI : S'agissant des enfants élevés dans le contexte « Témoins de Jéhovah », les sondages effectués à la demande de ce groupe, de 1997 et 1998, avancent que les trois quarts des adeptes ont des enfants. En supposant que dans ces familles, il y a au moins un enfant, nous sommes arrivés au chiffre de 45 000. Pour les autres groupes, on ne peut pas connaître scientifiquement le nombre d'enfants. Je pense qu'il y en a plusieurs dizaines de milliers, 35 000 ou 40 000. Sans compter les mouvements intégristes, qui comptent beaucoup de membres. Si on prend en compte tout cet ensemble, on est facilement au-delà de 100 000. Et en termes de protection des enfants, cela pose des questions d'ordre politique. M. le Président : Quels problèmes de santé constatez-vous ? M. Emmanuel JANCOVICI : La capacité qu'ont les enfants à être vivants. Les victimes que nous avons rencontrées, et que je remercie, sont atteintes dans leur capacité et dans leur énergie vitale. Un exemple : un jeune adepte, qui avait suivi une thérapie assez longue, s'est rendu compte, pour la première fois de sa vie, qu'il était en train de penser. Alors qu'il était sorti du groupe et qu'il commençait à avoir des pensées, il mettait celles-ci dans son ordinateur sous des caches. Au fond, pour lui, penser était quelque chose d'interdit et de dangereux. Autre exemple : une jeune femme de trente-cinq ou quarante ans avait des difficultés à avoir un enfant. Elle rencontre, dans une soirée privée en Belgique, une femme qui se présente comme thérapeute. À la fin de la soirée, la femme lui dit de venir chez elle et qu'elle la prendra comme patiente. Au bout de quelque temps, elle va lui permettre d'accéder à une adoption. Elle lui suggère d'aller en Espagne rejoindre un groupe et au bout de trois semaines, la psychothérapeute, qui est une gourelle, va lui démontrer qu'elle est une mauvaise mère. Cette jeune femme s'écroule et décide d'abandonner sa fille au groupe. Sa fille adoptive est restée dans le groupe. Elle a fait un testament en sa faveur et elle se dit que s'il lui arrive quelque chose, c'est le groupe qui héritera. Il y a donc eu une manipulation ignominieuse à l'égard de cette jeune femme. Avec Raël et les histoires de clonage, on retrouve cette problématique. On a une multitude de propositions en matière de santé pour des situations dans lesquelles des personnes peuvent se trouver en difficulté. Au ministère de la santé, nous sommes actuellement très inquiets par le développement des sectes dans le champ de la santé. M. le Rapporteur : La future mère passe un entretien avec un médecin ou une sage-femme au moment du quatrième mois de grossesse pour dépister d'éventuelles difficultés psychologiques. Avez-vous, au ministère, des évaluations de cette pratique, s'agissant notamment des femmes qui auraient été victimes de prosélytisme ? M. Emmanuel JANCOVICI. Je ne connais pas tous les dossiers de la Direction générale de la santé (DGS) ni de la Direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins (DHOS). Il serait très utile que, sur certaines questions très précises du champ de la santé, vous puissiez rencontrer la personne qui suit les dérives sectaires dans ce ministère. Je crois également qu'on est actuellement en train de créer un guide méthodologique à l'usage des professionnels. Par ailleurs, nous assistons au développement de micropratiques s'agissant de maladies pour lesquelles les perspectives de survie sont infimes. Un personnage a été condamné par les tribunaux : le docteur Hamer. Ses élèves ont maintenant créé leurs propres écoles, qui sont à l'origine de la création d'autres écoles. Aujourd'hui, sur le territoire français 700 « praticiens », qu'ils soient à l'origine médecins, charcutiers ou assistantes sociales, s'inspirent de la méthode Hamer et sont en contact avec le public. M. le Président : Qu'est-ce que c'est que la méthode Hamer ? M. Emmanuel JANCOVICI : Hamer dit que le cancer naît d'un choc lié à un très grand isolement et touche une partie spécifique du cerveau, que la chimiothérapie entrave le processus naturel de guérison, que si la masse cancéreuse augmente, c'est bon signe, et que la médecine classique est susceptible de provoquer des chocs psychologiques secondaires causant des métastases. Ce discours renforce l'isolement du patient et empêche qu'il puisse être traité de manière classique, avec des probabilités variables d'être sauvé. Enfin, la méthode comporte des interdictions, notamment de fréquenter tel ou tel membre de la famille, etc. M. Jean-Pierre Roulet vous a parlé de l'Internet. On y découvre des propositions et des méthodes qu'on ne connaissait pas la semaine précédente. D'où une floraison de méthodes et de sous-méthodes comme la méthode dite NAET censée traiter les allergies alimentaires. C'est ainsi qu'une partie de la population française, confrontée à des situations dramatiques se soigne en consultant l'Internet. Un système parallèle de santé est en train de se mettre en place. M. Jacques MYARD : Vous avez fait allusion à deux sectes : la Citadelle et Tabitha's Place. S'agissant de cette dernière, vous avez dit qu'un certain nombre d'enfants n'étaient pas déclarés. Pourriez-vous être plus précis ? Vous avez également parlé de système clos et de lavage de cerveau. C'est un phénomène bien connu de tous les systèmes totalitaires Vous êtes-vous rapproché des militaires, notamment lorsqu'il s'agira, ensuite, de restructurer les victimes ? M. Emmanuel JANCOVICI : Non, mais nous avons travaillé pendant un temps avec une thérapeute qui avait une expérience avec des personnes qui avaient été torturées. Néanmoins, je vous remercie de nous donner cette piste de travail. Tabitha's Place était une communauté comptant une soixantaine d'enfants. Chaque fois que les services sociaux se sont apprêtés à intervenir pour faire appliquer la loi, les gens de la communauté ont envoyé les enfants dans d'autres pays. À l'origine installée en Allemagne, elle s'est installée il y a une dizaine d'années dans les Pyrénées, pour partie en France et pour partie en Espagne. Pour connaître le nombre des enfants, la gendarmerie a dû fouiller bâtiment par bâtiment, sous-sol par sous-sol. La gendarmerie et les services sociaux ont découvert qu'ils avaient été littéralement cachés. À la Citadelle, de mémoire, il n'y avait qu'une dizaine d'enfants. M. Guy GEOFFROY : Vous avez évoqué le témoignage de certains jeunes. Est-ce qu'on peut dresser un tableau des raisons et des conditions qui ont permis à ces adeptes de quitter la secte ? M. Emmanuel JANCOVICI : Aussi curieux que cela paraisse, certains adeptes conservent un idéal de secte. Au point qu'il leur arrive de faire le tour des sectes. Ils ont beaucoup de souffrance en eux pour aller chercher un autre groupe. Ensuite, ceux qui quittent une secte ne se précipitent pas vers les associations. Pourquoi le font-ils ? Parce qu'à un moment, les choses s'éclaircissent pour eux. Je peux vous donner un exemple : dans une famille de Témoins de Jéhovah depuis plusieurs générations, le père d'un adepte a dû être opéré. Il a accepté la transfusion et a été exclu par les « Anciens ». Il est décédé à la suite de l'opération. L'adepte, âgé d'une vingtaine d'années, s'est retrouvé seul à l'enterrement. Là, trop c'est trop ! On n'a pas abordé la question des conditions dans lesquelles les gens partent. Cela permettrait de construire une politique volontariste pour amener les adeptes à quitter les sectes. Après tout, on le fait bien pour la toxicomanie, pourquoi ne pas le faire pour la question sectaire, tout en sachant que c'est très difficile ? M. Serge BLISKO : J'ai été troublé par votre propos sur les abus sexuels, relativement nombreux, chez les Témoins de Jéhovah, alors que leur doctrine, qui est très puritaine, n'admet les relations sexuelles que dans le cadre du mariage. Je me demande si nous ne serions pas en face d'un autre type de phénomène, qu'il faudrait corréler à d'autres études, de type sociologique : comment recrute-t-on les Témoins de Jéhovah ? N'est-ce pas plutôt dans les milieux socialement et culturellement défavorisés, et dans certaines régions particulières ? Je remarque, par ailleurs, qu'il existe d'autres groupes clos, où la sexualité est très réfrénée. Il faudrait discuter entre nous sur les pistes à explorer, car j'ai peur qu'on s'égare si l'on pense que c'est chez les Témoins de Jéhovah qu'on trouve de la pédophilie, des abus sexuels, etc. Je rejoins M. Emmanuel Jancovici sur l'idée qu'on pourrait former des thérapeutes, des psychologues, des assistantes sociales pour accueillir des gens qui sortent des sectes. Je remarque qu'on ne sort pas en général d'un seul coup d'une secte. On s'en éloigne progressivement, après avoir remarqué, par exemple, que ceux qui ne vivent pas comme nous sont tout à fait normaux et que Satan n'est pas partout. Nous devons réfléchir sur les moyens de trouver des structures qui permettent la discussion et l'ouverture. M. Emmanuel JANCOVICI : L'une des meilleures prises en charge de ce genre de situations est due à un juge pour enfants de Rochefort. Elle a été possible parce que ce juge ne mettait pas en péril la communauté spirituelle. Il était là pour rappeler la loi commune, la Convention des droits des enfants ; au-delà, les gens étaient libres de penser ce qu'ils voulaient. S'agissant de la pédophilie, en 1989, j'ai eu la responsabilité ministérielle de la construction du téléphone vert « enfance maltraitée ». Nous avons du mal à repérer et à admettre les maltraitances et les abus sexuels. Il a fallu trente ans de travail pour que la société les admette. Les Témoins de Jéhovah jouent sur un aspect très volontariste. Ce sont des gens « propres sur eux ». Participe de cet effet la proximité avec le catholicisme. Le groupe nous apparaît comme très proche de nous et nous avons du mal à penser qu'il peut s'y dérouler des pratiques de pédophilie et des agressions sexuelles. Enfin, si j'ai pu avancer certains éléments, c'est à la suite d'un très long travail d'enquête. Je pense qu'on pourrait retrouver ces situations dans d'autres groupes ; j'ai d'ailleurs élargi mes propos à d'autres groupes. Mais encore une fois, mes propos ne visaient pas les Témoins de Jéhovah en tant que tels, mais des situations dans lesquelles peuvent se trouver des enfants dans des systèmes de ce type. Je n'ai pas pour visée de déclencher une enquête judiciaire à l'encontre des Témoins de Jéhovah, mais de comprendre dans quel élément contextuel se trouvent certains enfants et certains adultes. Je pense qu'il doit exister une tension très forte dans ce groupe, entre la fermeture du groupe et la répression sexuelle. Des adultes m'ont dit qu'il y avait un tel contrôle de l'intimité que, la plupart du temps, les couples n'ont plus de vie sexuelle. Et cela peut entraîner des dérives. M. Jacques MYARD : Il est bien connu que tout est réglementé, y compris le domaine sexuel. M. Emmanuel JANCOVICI : Vous pourrez voir ce document, que je vous ferai porter. M. le Président : Monsieur Jancovici, vous représentez le ministère de la santé. Je vous propose de sortir des communautés sectaires pour aborder la question des médecins traditionnels, qui peuvent eux-mêmes suivre des préceptes en dehors de la médecine conventionnelle. On a entendu citer ici ou là le chiffre de 2 000 médecins qui appartiendraient à des obédiences à caractère sectaire. Des familles et leurs enfants ne sont pas censés connaître cette appartenance. Est-ce que le ministère de la santé mène une action en ce sens ? Est-ce que les Conseils de l'Ordre font de l'autodiscipline ? Quels sont les rapports entre le ministère de la santé, le Conseil de l'ordre des médecins et les médecins qui peuvent appartenir à des sectes ? M. Emmanuel JANCOVICI : Je crains que le chiffre que vous avez cité ne soit nettement supérieur. Il y a une dizaine d'années, le Conseil de l'Ordre était arrivé au chiffre de 3 500 médecins. Je pense qu'on est aujourd'hui plutôt aux alentours de 3 500 ou 4 000. Et pour les professions paramédicales, le chiffre doit être équivalent. On compte ainsi près de 10 000 professionnels de santé qui appartiennent à ces groupes. Le problème, dans les affaires de sectes, c'est qu'on a très peu de plaintes. Les gens sont dans la plainte, mais ne vont pas jusqu'à déposer plainte. Ces praticiens peuvent éventuellement indiquer qu'ils ont été formés et qu'ils pratiquent par exemple, la méthode Hamer. Des informations commencent à émerger sur l'Internet et nous montrent que tel docteur pratique telle méthode. Certains de ces médecins interviennent dans des lieux de formation, via le champ de la formation professionnelle. De nombreuses écoles privées proposent des formations dans le domaine de la santé à des personnes qui n'ont aucune formation particulière. Des demandeurs d'emploi se précipitent pour suivre ces formations, dont certaines sont financées sur fonds publics. L'État a toute possibilité d'arrêter ces financements qui profitent à ces groupes et mettent des personnes en danger. La direction compétente, la direction générale de l'emploi et de la formation professionnelle, est en alerte et suit ces questions. Au sein de notre système de santé publique, notamment en milieu hospitalier, des personnels de tous niveaux, médecins compris, demandent des formations payées par les hôpitaux, précisément dans les domaines qui posent problème. La direction des hôpitaux est en train de réfléchir à la manière de contrôler la formation pour que les personnels hospitaliers ne puissent pas s'y aventurer. M. le Président : L'adoption de la loi du 6 août 2004 relative aux pratiques de psychothérapie devait mettre un frein à certaines thérapies. Avez-vous constaté l'application de cette loi, ou l'existence d'un décret ? M. Emmanuel JANCOVICI : Comme je savais que j'allais me trouver devant vous, j'ai interrogé la direction compétente. Le dossier est chez le ministre et je ne peux pas vous en dire plus. M. le Président : Le décret n'est pas sorti ? M. Emmanuel JANCOVICI : Non. M. le Président : Je vous remercie. Audition de Mme Chantal LEBATARD, Présidence de M. Georges FENECH, Président M. le Président : En vous remerciant, madame, d'avoir répondu à la convocation de la commission d'enquête, je souhaite vous informer au préalable de vos droits et de vos obligations. Je vous rappelle tout d'abord qu'aux termes de l'article 142 du Règlement de notre Assemblée, la commission pourra décider de citer dans son rapport tout ou partie du compte rendu qui en sera fait. Les observations que vous pourriez faire seront soumises à la commission. Par ailleurs, en vertu de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 modifiée relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, les personnes auditionnées sont tenues de déposer sous réserve des dispositions de l'article 226-13 du code pénal réprimant la violation du secret professionnel et de l'article 226-14 du même code qui autorise la révélation du secret en cas de privation ou de sévices dont les atteintes sexuelles. Cette même ordonnance exige des personnes auditionnées qu'elles prêtent serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vais donc vous demander de lever la main droite et de dire : « Je le jure ». (Mme Chantal Lebatard prête serment.) Je m'adresse aux représentants de la presse pour leur rappeler les termes de l'article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui punit de 15 000 euros d'amende le fait de diffuser des renseignements concernant l'identité d'une victime d'une agression ou d'une atteinte sexuelle. J'invite donc les représentants de la presse à ne pas citer nommément les enfants qui ont été victimes de ces actes. Madame, la commission va procéder maintenant à votre audition qui fait l'objet d'un enregistrement. Vous avez la parole. Mme Chantal LEBATARD : Monsieur le président, mesdames et messieurs, merci d'avoir souhaité m'entendre au nom de l'UNAF, qui a légitimité à exprimer sur ce sujet les préoccupations des familles. Elle a apporté depuis longtemps son attention aux risques générés par les mouvements à caractère sectaire et à leurs conséquences sur la vie familiale. C'est avec son appui que s'est constituée l'UNADFI361, dont elle a fait un membre associé depuis 1982. L'UNAF a par ailleurs siégé dans toutes les formations travaillant contre les dérives sectaires - Observatoire, mission interministérielle contre les sectes, MIVILUDES. L'UNAF se préoccupe de façon généraliste de la vie familiale, et de façon plus ciblée, des conséquences des dérives sectaires sur les enfants dans le cadre de la protection de l'enfance, qui est une priorité nationale et européenne. Depuis plusieurs années, à l'occasion des rapports qu'elle remet à la MIVILUDES, elle souligne la pertinence du sujet. Depuis les précédentes missions d'enquête, le paysage sectaire s'est profondément modifié. Les sectes ont évolué dans leurs modes et dans leur champ d'intervention. Reportez-vous aux rapports de la MIVILUDES. Toutes les difficultés rencontrées y sont détaillées ; je n'y reviens donc point. Pour autant, il convient de souligner l'émergence des nouvelles formes de religiosité extrême qui se développent dans le cadre de la périphérie des grandes religions existantes. En la matière, la France a adopté une attitude spécifique qui peut poser des problèmes. En effet, elle continue à dénoncer un certain nombre de mouvements reconnus ailleurs comme constituant des religions parfaitement légales. La relativisation des modèles et des repères que l'on peut observer dans nos sociétés va de pair avec une disqualification conséquente des institutions, notamment ecclésiales. Nos enfants vivent dans un paysage où sont absents les repères fondamentaux qui permettent à des communautés de se constituer autour de savoirs et de cultures partagés. D'où une crise de la transmission, y compris au sein des familles. Ce paysage est également marqué par la crise sociale, le chômage, les difficultés économiques, les difficultés d'insertion des jeunes, l'inquiétude des parents et la désespérance. C'est un terreau favorable à ceux qui apportent des réponses réconfortantes. Ce qui fonde une citoyenneté, le vivre ensemble, tout ce qui tourne autour de l'intégration, l'accueil de la différence, est remis en cause et vient renforcer ces difficultés, difficultés partagées au niveau européen, celui d'une Europe vieillissante où les repères seraient ceux d'une classe d'âge et n'arriveraient pas à passer aux autres générations. Un autre élément nous semble très important, qui a trait à la place de l'enfant. Nous observons une dissociation croissante entre ce qui relève de la conjugalité et ce qui relève de la parentalité, qui aboutit à un investissement massif dans l'enfant. Celui-ci est devenu aujourd'hui l'enfant du désir d'enfant, un enfant que l'on a choisi d'avoir dans une négociation conjugale, qui devient une valeur en soi, à la fois objet et sujet des préoccupations des parents et de la société. La société est hypersensible à toutes les questions qui touchent à l'enfance. En même temps, on observe une augmentation de la maltraitance, du nombre des enfants en danger, des malaises et des tentatives de suicide des jeunes et des adolescents, comme de la délinquance des mineurs. Comme si notre société qui attache tant de prix à l'enfance produisait en même temps et de façon paradoxale de la souffrance et de l'angoisse. C'est ainsi que certaines lois visent à améliorer les dispositifs de protection de l'enfance et d'autres à prévenir la délinquance des mineurs, et ce sur fond de disqualification parentale : on avance, en effet, que tout est de la faute des parents, qu'il faut soit soutenir soit rappeler à l'ordre. Le contenu de ce qu'on nomme autorité parentale a été légèrement modifié par la loi du 4 mars 2002 ; celle-ci est définie comme un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l'intérêt de l'enfant, que les pères et mères exercent en commun pour protéger l'enfant dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, assurer son éducation et « permettre son développement dans le respect de sa personne ». L'intervention publique et le contrôle social en matière de relations éducatives et de fonctionnement de la parentalité trouvent cette légitimité dans l'idée que les parents ont pour mission d'assurer le développement de l'enfant. Comment l'enfant rencontre-t-il aujourd'hui les mouvements à caractère sectaire ? Chaque histoire est spécifique car chaque enfant est unique. Néanmoins, nous avons distingué trois situations qui méritent chacune une réflexion particulière. « L'enfant moyen de séduction des parents » s'inscrit dans un double désir parental, la grossesse, devenue un événement choisi, est investie de toutes les angoisses et peurs ancestrales tout en étant délivrée de l'angoisse de la mort puisqu'on ne meurt plus en couches. Les naissances sont voulues. Elles sont plus rares, plus tardives. Ce sont des événements exceptionnels pour les parents qui les vivent sans pouvoir se référer à un modèle familial. Ils n'ont pas d'expérience, mais sont soumis à une exigence de performance, qu'on retrouvera tout au long du processus éducatif : il faut être de bons parents dès le départ. L'éducation est devenue un sujet commercial, un événement culturel qui doit être validé au niveau médical et psychologique. Les jeunes parents sont devenus une cible commerciale qui n'a pas échappé aux médecines alternatives, aux organismes d'accompagnement psychologique, de développement personnel. Un certain nombre de mouvements bien connus ont ainsi investi ce champ, y compris dans l'accompagnement prénatal ou les méthodes alternatives de maternage. Les linéaires des libraires et des supermarchés témoignent de cette inquiétude de parents qui cherchent à être performants, surtout lorsque les vicissitudes de la conjugalité ont désarticulé le couple parental. Chacun des deux parents peut tenter de faire de la surenchère, essayant d'être le meilleur parent possible dans l'intérêt de l'enfant. Peuvent s'y ajouter les conjoints des parents. Dans un tel environnement, les solutions proposées - accompagnements, groupes de parole, discours, méthodes, etc. - sont nombreuses. Les demandes de coaching parental n'ont pas échappé aux grands mouvements. Les parents se préoccupent de la réussite scolaire de leurs enfants, bien qu'elle ne garantisse pas la réussite sociale. Dans cet environnement marqué par l'angoisse, se développe un marché de l'accompagnement parental qui n'a échappé à personne. Voilà pourquoi, en cette période de rentrée scolaire, nous avons appelé l'attention des parents sur les organismes auxquels ils confient leurs enfants, sur les cours, les activités et les méthodes alternatives et de développement personnel qui peuvent leur être proposés. La deuxième situation est plus évidente, c'est celle de « l'enfant élevé dans une communauté à caractère sectaire ». Il est élevé dans un milieu coupé du monde, et dans lequel les rôles parentaux ne peuvent pas s'exprimer, la cellule parentale n'y ayant pas sa place. L'enfant peine à se construire en référence à des modèles parentaux qui lui sont enlevés, soit parce qu'ils sont disqualifiés au profit de la communauté, soit parce qu'un autre assume l'ensemble des rôles parentaux. L'autorité qui conduit à l'éducation des enfants ne procède pas de la responsabilité parentale mais d'un autre auquel les parents sont soumis ; on observe une sorte de régression des parents qui fausse les possibilités de transmission. Les enfants peuvent servir de cobayes de méthodes innovantes ou alternatives. On espère qu'ils seront la vitrine de réussite du nouvel être que l'on se propose de construire, à moins qu'ils ne soient écartés ou négligés comme gêne au développement spirituel des adultes. Ils peuvent être élevés pour la communauté dont ils sont censés assurer la pérennité. Les risques encourus sont extrêmes et dénoncés périodiquement. Chaque année, des rapports nous remettent en face de ces réalités qu'on n'arrive pas à cerner suffisamment : atteintes à l'intégrité corporelle des enfants, violences sexuelles, prostitution, socialisation limitée, carences éducatives, négligences, mauvais régimes. Même sans aller jusque là, le mode de vie qui est imposé aux enfants est rarement adapté : longues séances de prières, rythmes de vie harassants, services communautaires importants qui viennent entraver leur développement. Sans compter l'absence de jeux et l'endoctrinement. Les risques liés à ces conditions de vie sont souvent évoqués en cas de conflit familial, au détour d'une crise familiale, d'un divorce. Il devient alors très difficile de percevoir et d'analyser sans maladresse ce qui relève d'une discordance culturelle et spirituelle entre les deux parents. L'enfant risque d'être instrumentalisé, ce qu'on retrouve dans d'autres situations conflictuelles. Ce qu'il vit dans la communauté où l'un des parents risque de l'entraîner est allégué comme élément de maltraitance par l'autre parent. La scolarisation des enfants est un enjeu très fort de leur construction. Dans ces communautés fermées où sont élevés certains enfants, l'arsenal des mesures qui ont été prises, notamment depuis 1998, semble avoir porté ses fruits. Des outils permettent à la fois de contrôler la façon dont l'enfant se développe et le contenu de l'enseignement qu'il reçoit, ainsi que la réalité de cet enseignement. Cependant certains passent à travers, soit parce qu'ils reçoivent un enseignement à distance d'un pays étranger, soit parce qu'ils sont déplacés vers des pays de l'Union européenne qui n'ont pas les mêmes critères ni les mêmes exigences. C'est autour de cela qu'il faudra travailler. La réforme qui se met en place à partir de l'idée d'un socle commun des connaissances devrait permettre d'évaluer le contenu et la réalité des acquisitions, à condition toutefois que l'on soit assez exigeant et que l'on n'oublie pas d'y intégrer les valeurs de la citoyenneté et du vivre ensemble en France. Troisième situation, qui existe depuis très longtemps : celle où « l'enfant lui-même est l'objet de la séduction ». Certains adolescents rencontrent des groupes qui semblent apporter des solutions qu'ils ne trouvent pas ailleurs. L'adolescence est source d'énergie et de richesse, mais aussi d'incertitude, de déstabilisation et de souffrance. Or notre société est particulièrement désarmée pour y répondre ; la désespérance des jeunes et le taux de suicide augmentent. Les dangers sont réels : violences, conduites autodestructrices et séduction par certains groupes. Cette séduction aboutit à la rupture des liens familiaux et à une déconstruction. Deux ans de travaux, lors de la conférence de la famille sur l'adolescence, et le rapport d'orientation de l'UNAF consacré à ce thème n'ont pas apporté de réponses mais ont essayé de comprendre comment il est possible de soutenir les parents des adolescents et prévenir certains risques : acquisition de repères solides dans l'enfance, sécurité des affections sont tout aussi utiles que la formation à l'esprit critique. Mais il ne faut pas oublier non plus la perception d'un environnement dans lequel ils pourront prendre place. Tous ces éléments devraient permettre aux adolescents de faire leur chemin vers l'âge adulte et d'éviter la séduction fallacieuse des fraternités aliénantes ou des communautés enfermantes. Les textes légaux sont-ils suffisants ? Nous avons établi, il y a plusieurs années, une déclaration des droits de la famille dans laquelle nous rappelions, en accord avec la convention internationale relative aux droits de l'enfant, la protection de l'enfant en tant que personne et sujet de droit. C'est pourquoi l'UNAF a été de tous les combats concernant la protection de l'enfance ; nous avons notamment participé à tous les travaux et commissions mis en place pour préparer les textes présentés par M. Philippe Bas, ministre délégué à la Sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille, au nom du Gouvernement sur la réforme de la protection de l'enfance. Le renforcement des contrôles de la santé des enfants et de leur bon développement, l'extension des missions de la protection maternelle et infantile, l'attention portée à la période prénatale et périnatale, la cohérence de tous les dispositifs peuvent contribuer à protéger efficacement tous les enfants, en particulier ceux que l'on n'arrivait pas toujours à joindre. Ce texte devrait permettre que les temps d'intervention sociale soient des vrais temps de dialogue et de construction. Souvent les familles n'ont pas d'interlocuteurs pour exprimer leur désarroi et leur inquiétude. Là encore, elles peuvent être la proie de ceux qui leur apporteraient des réponses. Le droit à l'éducation et la refonte des programmes scolaires, l'insistance mise sur l'acquisition, par tous les enfants, de ce socle commun de connaissances me paraît être un élément pertinent. Reste à s'assurer que tous les enfants y parviennent, quelle que soit la façon dont les parents ont choisi d'exercer leur droit à l'éducation. Il importe de mettre périodiquement des jalons pour s'en assurer. L'État a la responsabilité de faire en sorte qu'aucun enfant n'y échappe. Faut-il imaginer un arsenal législatif spécifique au cas des enfants victimes ? Je ne suis pas sûre que nous en ayons besoin. Peut-être convient-il seulement de rendre plus pertinents et plus efficaces ceux qui existent. En vous interrogeant sur les conséquences des mouvements sectaires sur les enfants, vous avez déjà vous-même intégré la difficulté qui est liée au développement. Ce dernier répond à un processus spécifique à chaque enfant, qu'il est impossible de « normer ». Chaque enfant se construit avec son histoire, avec les bons et les mauvais moments, avec certaines capacités de résilience qui leur appartiennent. Nous savons ce qui est néfaste ou peu favorable à un développement harmonieux, mais nous ne savons pas toujours évaluer toutes les conséquences de ce qui peut se passer et comment se fait ensuite le travail de reconstruction qui permet de surmonter les séquelles ou les blessures profondes ; certaines ne reviendront d'ailleurs au jour que bien plus tard dans la vie adulte. Mais ces problèmes de l'approche de la souffrance de l'enfant confronté à des mauvais traitements ne sont pas spécifiques aux mauvais traitements des sectes. Certes, il faut sanctionner les auteurs des mauvais traitements, des manquements et des négligences, même sous couvert d'éducation, de transmission et de formation religieuse. Les outils ne manquent pas. Ils sont renforcés lorsque les parents sont en cause. Je ne suis pas sûre qu'il faille une législation particulière. Il convient de faire preuve de prudence. La responsabilité première de l'éducation est un des éléments de l'autorité parentale. Ce sont donc les parents qui doivent d'abord transmettre à leur enfant ce qu'ils pensent fondamental et essentiel pour sa construction. C'est dans la relation parents-enfant, de confiance et de respect mutuel, que s'inscrit cette transmission qui porte sur les valeurs et les comportements de société. Les parents ne transmettent pas des idées, ils transmettent des façons d'être. Or personne ne peut le faire à leur place. C'est à travers les gestes de la vie quotidienne, les réalités familiales vécues ensemble qui ne passent pas toujours par des mots, que s'exprime l'éducation parentale. Il peut paraître évident aux parents que le bien de leur enfant est d'accéder à ce qui constitue pour eux une des clés de l'existence et de leur assurer une éducation religieuse. D'où cette tension entre l'obligation ardente, pour des parents, de transmettre leurs valeurs et d'éduquer leurs enfants dans la foi à laquelle ils adhèrent, et l'effort de construction d'une personne libre, critique, autonome et donc capable de rejeter ces mêmes éléments de foi. Tout cela est difficile à cerner dans un texte. Le droit de l'enfant à la liberté religieuse est inscrit dans la Convention internationale des droits de l'enfant (CIDE) ; on voit bien que toute intervention d'un tiers pour évaluer où commence la liberté et où s'arrête cette liberté est délicate. L'éducation ne passe-t-elle pas parfois par des formes de contrainte ? Quelle est la limite entre l'éducation transmission et l'endoctrinement ? Les moyens pédagogiques et les parcours catéchétiques proposés ont certes pour objectif de former des croyants, mais ils doivent laisser suffisamment d'espace à l'appropriation personnelle. Enfin, notre pays aborde trop souvent la question religieuse à partir des grandes religions classiques acculturées à des modes de pensée, dans un contexte de laïcité. Or il existe aujourd'hui des expressions de sentiment religieux qui nous posent problème : des communautés qui pratiquent des formes de religiosité traditionnelles ailleurs et culturellement différentes, qui nous déroutent ; des rassemblements importants d'adultes avec enfants, autour d'un chef de communauté plus ou moins charismatique. Cela va à l'encontre de notre approche individualiste du sentiment religieux, de notre conception du privé et de l'intime et de notre conception républicaine qui se méfie du communautarisme. L'appréhension des conséquences de ces pratiques sur les enfants est délicate ; les travailleurs sociaux ne disposent pas toujours des outils qui leur permettraient de comprendre ce qui se passe à l'intérieur de ces communautés et de discerner s'il y a ou non dérapage. Il y aurait peut-être là un travail à faire, d'autant que les malentendus naissent très vite, le premier danger étant le repli des communautés sur elles-mêmes. Les enfants qui vivent dans ces communautés sont pris entre deux systèmes éducatifs. La voie de leur intégration n'est pas pour autant facilitée. Je tenais à le souligner parce que l'UNAF a aussi pour mission d'exprimer les difficultés de ces familles, souvent d'origine étrangère. Protéger l'enfant, c'est d'abord lui garantir son droit à l'enfance, son droit à l'éducation par ses parents, et donc son droit à la transmission des valeurs parentales ; il faut ensuite lui garantir que cette transmission puisse faire l'objet d'une appropriation personnelle et qu'il puisse, à un moment, choisir librement d'adhérer et de choisir. C'est à l'école et à tous les soutiens de la responsabilité parentale de rappeler aux parents qu'ils ne sont pas possesseurs de leurs enfants, mais qu'ils les préparent pour la vie. La société a intérêt à investir dans la protection de l'enfance. Elle doit donc veiller à ce que les clés de la vie en société soient bien acquises par tous les enfants. L'État doit s'assurer de cette acquisition. Ce sont des devenirs d'homme qu'il s'agit de protéger et de construire. C'est ce qui fonde notre réflexion ce soir. M. le Président : Merci, madame, pour votre exposé très complet et très clair. Première question très pratique et concrète : en cette période de rentrée, vous avez informé les familles que certains organismes pourraient faire du prosélytisme. Comment procédez-vous ? Comment l'UNAF informe-t-elle les familles ? Seconde question : pourriez-vous être un peu plus précise sur les quelques mouvements qui poseraient ce genre de difficultés ? Mme Chantal LEBATARD : À la première question, il est facile de répondre. L'UNAF est une union nationale d'associations familiales, composée à la fois d'unions départementales et de grandes associations familiales. En tant que telle, elle n'est pas directement en prise avec les familles. Mais son rôle est d'appeler l'attention de ses composantes sur les enjeux et les risques. Moi-même, je suis responsable du département « sociologie, psychologie et droit de la famille » ; je rappelle périodiquement à celles-ci que les risques existent et qu'il importe d'être vigilants, particulièrement à certains moments comme la rentrée. Cela dit, chacun des mouvements agit là où il est implanté, notamment lorsqu'il est en prise avec des organisations de soutien scolaire. Je pense à la Confédération syndicale des familles (CSF), qui est très implantée dans les quartiers populaires des grandes villes. Par ailleurs, existent des associations départementales, ou des bureaux qui constituent des listes. Les familles peuvent ainsi interroger leur association locale ou départementale en cas de doute. Nous voulons, au niveau national, que les familles fassent attention et agissent avec discernement en ne confiant pas leurs enfants à n'importe qui. Je n'ai pas pensé que vous aviez besoin des exemples qui ont nourri notre réflexion. Je pourrai solliciter les différents témoignages. Mais dans la mesure où nous n'agissons pas directement en opposition contre ces mouvements et que nous mettons plutôt en garde les familles contre leurs agissements, vous n'obtiendrez pas de réponses très précises. M. Philippe VUILQUE, rapporteur : Comment qualifieriez-vous la situation actuelle s'agissant de la protection de l'enfance et de l'influence des organisations sectaires ? Par ailleurs, vous avez parlé de prévention. Est-elle suffisante aujourd'hui ? Comment rendre le système plus efficace ? Mme Chantal LEBATARD : La prévention, notamment vis-à-vis des parents, me paraît insuffisante. L'angoisse des parents est plus forte que toutes les réponses qu'on a pu leur apporter. En 2002, Mme Ségolène Royal avait envisagé d'instaurer une préparation à la parentalité, au moment de la naissance, idée que nous avions soutenue en son temps. Dans le cadre du projet de loi sur la protection de l'enfance préparé par M. Philippe Bas, on voit réapparaître le sentiment qu'il y a des temps où l'on peut accompagner les parents et répondre à leur angoisse. S'il n'y a pas de lieux où ils peuvent exprimer cette angoisse et trouver des réponses, d'autres se chargent de le faire. Le paysage des grandes sectes traditionnelles est à peu près connu. Plus difficile à cerner est tout ce qui vient s'alimenter à l'angoisse parentale, le souci de bien faire, cette compétition parentale. La séduction des médecines alternatives, des thérapies, du coaching, du développement personnel touche tout le monde, mais les parents inquiets sont particulièrement vulnérables. La prévention passe donc par un soutien à la parentalité. M. Jacques MYARD : Madame, je vous ai trouvée un peu théorique et très abstraite. Pourriez-vous nous donner des cas précis, évidemment sans citer de noms ? Mme Chantal LEBATARD : Cet aspect théorique est inhérent à ma fonction. Je me place au niveau national d'une organisation qui se décline au niveau départemental. Je n'ai donc pas une approche de terrain, même si j'ai quelques exemples de crises conjugales qui sont remontées jusqu'à moi, sur fond de communautés étrangères et de différences culturelles. En notre sein, existe l'ADFI. La logique veut que nous lui confiions ce type d'affaires liées aux mouvements sectaires. N'attendez pas de moi que je vous donne des détails, d'autres le feront très bien. En rédigeant mon exposé, j'ai essayé de vous apporter un éclairage sur la réflexion qu'on peut mener au niveau nati |