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N° 2254

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 13 avril 2005

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA MISSION D’INFORMATION (1)

SUR LES ENJEUX DES ESSAIS ET DE L’UTILISATION DES
ORGANISMES GÉNÉTIQUEMENT MODIFIÉS

Président

M. Jean-Yves LE DÉAUT,

Rapporteur

M. Christian MÉNARD,

Députés.

——

TOME II

AUDITIONS

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

La mission d’information sur les enjeux des essais et de l’utilisation des organismes génétiquement modifiés, est composée de :

M. Jean-Yves LE DÉAUT, Président ; MM. Philippe FOLLIOT, François GUILLAUME, Vice-présidents ; MM. André CHASSAIGNE, Philippe MARTIN (Gers), Secrétaires ; M. Christian MÉNARD, Rapporteur ; M. Gabriel BIANCHERI, M. Yves CENSI, M. Yves COCHET, M. Pierre COHEN, M. Francis DELATTRE, M. Éric DIARD, M. Gérard DUBRAC, Mme Jacqueline FRAYSSE, M. Louis GISCARD D’ESTAING, M. François GROSDIDIER, M. Louis GUÉDON, Mme Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET, M. Michel LEJEUNE, Mme Corinne MARCHAL-TARNUS, M. Germinal PEIRO, Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD, M. Christophe PRIOU, M. Jean PRORIOL, M. Jacques REMILLER, Mme Chantal ROBIN-RODRIGO, M. Serge ROQUES, Mme Odile SAUGUES, M. François SAUVADET, M. Jean-Marie SERMIER, M. Philippe TOURTELIER.

TOME SECOND

Volume 1

SOMMAIRE DES AUDITIONS

Les auditions sont présentées dans l’ordre chronologique des séances tenues par la Mission.

 Audition de Mme Muriel MAMBRINI, chercheur à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) (extrait du procès-verbal de la séance du 9 novembre 2004) 7

 Audition de M. Pierre-Benoît JOLY, directeur du laboratoire de recherche sur les transformations sociales et politiques liées aux vivants (TSV) de l’INRA (extrait du procès-verbal de la séance du 10 novembre 2004) 25

 Audition de M. François HERVIEU, chargé d’études à la Direction générale de l’alimentation du ministère de l’agriculture, de l’alimentation, de la pêche et des affaires rurales (extrait du procès-verbal de la séance du 10 novembre 2004) 45

 Audition du Professeur Roland ROSSET, président de la Commission du génie génétique (extrait du procès-verbal de la séance du 16 novembre 2004) 69

 Audition de M. Marc FELLOUS, président de la Commission du génie biomoléculaire et de M. Antoine MESSÉAN, vice-président (extrait du procès-verbal de la séance du 16 novembre 2004 ) 83

 Audition du Professeur Jacques TESTART, directeur de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), co-organisateur du débat des « 4 Sages » sur les OGM en 2002 (extrait du procès-verbal de la séance du 16 novembre 2004) 103

 Audition de M. Frédéric JACQUEMART, spécialiste de biologie médicale, administrateur de France Nature Environnement et membre de la Commission du génie biomoléculaire (CGB) (extrait du procès-verbal de la séance du 17 novembre 2004) 125

 Audition de M. Pierre-Henri GOUYON, membre du Comité de biovigilance, directeur du laboratoire UPS-CNRS d’écologie, systématique et évolution et professeur à l’université Paris-Sud (extrait du procès-verbal de la séance du 23 novembre 2004) 139

 Audition conjointe de M. Martin HIRSCH, directeur général de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA), et de M. Maxime SCHWARTZ, directeur de la programmation de l’Agence (extrait du procès-verbal de la séance du 23 novembre 2004) 151

 Audition de Mme Marion GUILLOU, présidente de l’Institut national de recherche agronomique (INRA) (extrait du procès-verbal de la séance du 24 novembre 2004) 161

 Audition conjointe de M. Olivier KELLER, secrétaire national de la Confédération paysanne, M. José BOVÉ, cofondateur, M. Michel DUPONT, animateur de la Confédération paysanne et M. Guy KASTLER, président du Réseau Semences Paysannes (extrait du procès-verbal de la séance du 24 novembre 2004) 179

 Audition de M. François LUCAS, président de la Coordination rurale – Union nationale (extrait du procès-verbal de la séance du 30 novembre 2004) 199

 Audition conjointe de M. Benoît LESAFFRE, directeur général du Centre de coopération internationale en recherche (CIRAD), et de M. Philippe FELDMANN, délégué aux ressources biologiques (extrait du procès-verbal de la séance du 30 novembre 2004) 205

 Audition conjointe de M. Didier MARTEAU, vice-président de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) et de M. Bernard LAYRE, président du Centre national des jeunes agriculteurs (CNJA) (extrait du procès-verbal de la séance du 1er décembre 2004) 227

 Audition de M. Jean BIZET, sénateur, président de la mission d’information sur les OGM constituée dans le cadre de la commission des Affaires économiques et du Plan du Sénat (extrait du procès-verbal de la séance du 7 décembre 2004) 241

 Audition de M. Arnaud APOTEKER, responsable « campagne OGM » de Greenpeace France (extrait du procès-verbal de la séance du 7 décembre 2004) 251

 Audition de M. Christian BABUSIAUX, ancien président du Conseil national de l'alimentation et coauteur du rapport des « 4 Sages » sur les OGM (extrait du procès-verbal de la séance du 8 décembre 2004 ) 265

 Audition de M. Jean-Claude KADER, directeur de recherche et chargé de mission pour la biologie végétale du département des sciences de la vie du Centre national de recherche scientifique (CNRS) (extrait du procès-verbal de la séance du 8 décembre 2004) 275

 Audition de M. Philippe KOURILSKY, directeur général de l’Institut Pasteur et professeur au Collège de France (chaire d’immunologie) (extrait du procès-verbal de la séance du 14 décembre 2004) 285

 Audition de M. Daniel MARZIN, président de la Commission d’étude de la toxicité (extrait du procès-verbal de la séance du 14 décembre 2004) 295

 Table Ronde regroupant des Académies (extrait du procès-verbal de la séance du 15 décembre 2004) 307

 Audition conjointe de MM. Georges PELLETIER et Georges FREYSSINET, président et vice-président du directoire de Génoplante (extrait du procès-verbal de la séance du 21 décembre 2004) 335

 Audition conjointe de M. Bruno CLÉMENT, directeur de recherches à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), M. Victor DEMARIA-PESCE, chargé des relations avec le Parlement à l’INSERM, M. Jean-Antoine LEPESANT, directeur de recherches au Centre national de recherche scientifique (CNRS) (extrait du procès-verbal de la séance du 21 décembre 2004) 351

 Audition de M. Gérard PASCAL, ancien président du Comité scientifique directeur de l’Union européenne (extrait du procès-verbal de la séance du 22 décembre 2004) 363

 Audition de M. Bernard CHEVASSUS-AU-LOUIS, président du Muséum national d’histoire naturelle, vice-président de la Commission du génie biomoléculaire (CGB) (extrait du procès-verbal de la séance du 22 décembre 2004) 377

 Table ronde regroupant des représentants de semenciers et de producteurs agricoles (extrait du procès-verbal de la séance du 19 janvier 2005) 387

 Table ronde regroupant des associations de défense de l’environnement et de protection des consommateurs (extrait du procès-verbal de la séance du 25 janvier 2005) 415

 Table ronde regroupant des représentants de groupes agroalimentaires et de grands distributeurs (extrait du procès-verbal de la séance du 26 janvier 2005) 447

 Table ronde regroupant des juristes (extrait du procès-verbal de la séance du 1er février 2005) 477

 Table ronde contradictoire sur le thème « Les enjeux sanitaires des OGM » (extrait du procès-verbal de la séance du 2 février 2005) 499

 Table ronde contradictoire sur le thème « Les enjeux environnementaux des OGM » (extrait du procès-verbal de la séance du 8 février 2005) 541

 Table ronde contradictoire sur le thème « Les enjeux juridiques des OGM » (extrait du procès-verbal de la séance du 9 février 2005) 575

 Table ronde contradictoire sur le thème « Les enjeux économiques des OGM » (extrait du procès-verbal de la séance du 15 février 2005) 607

 Table ronde contradictoire sur le thème « OGM / Média et information du public » (extrait du procès-verbal de la séance du 17 février 2005) 643

 Audition de M. François d’AUBERT, ministre délégué à la recherche auprès du ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche (extrait du procès-verbal de la séance du 15 mars 2005) 669

 Audition de M. Dominique BUSSEREAU, ministre de l’agriculture, de l’alimentation, de la pêche et de la ruralité (extrait du procès-verbal de la séance du 22 mars 2005) 683

 Audition conjointe de M. Gilles-Éric SÉRALINI, chercheur en biologie moléculaire et membre de la Commission du génie biomoléculaire (CGB), de M. Luc MULTIGNER, épidémiologiste à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) et de M. Thierry MERCIER, directeur de recherche à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) (extrait du procès-verbal de la séance du 23 mars 2005) 697

 Audition de M. Christian JACOB, ministre délégué aux PME, au commerce, à l’artisanat, aux professions libérales et à la consommation (extrait du procès-verbal de la séance du 29 mars 2005) 723

 Audition de M. Serge LEPELTIER, ministre de l’écologie et du développement durable (extrait du procès-verbal de la séance du 29 mars 2005) 735

 Audition conjointe de Mme Anne-Marie CHÈVRE et de Mme Marianne LEFORT, directrices de recherches à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) (extrait du procès-verbal de la séance du 29 mars 2005) 751

 Audition de M. Philippe DOUSTE-BLAZY, ministre des solidarités, de la santé et de la famille (Extrait du procès-verbal de la séance du 30 mars 2005) 771

 Glossaire 777

Audition de Mme Muriel MAMBRINI,
chercheur à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA)


(extrait du procès-verbal de la séance du 9 novembre 2004)

Présidence de M. Jean-Yves Le DÉAUT

M. le Président : Avant de débuter cette audition, je tiens d’abord à vous informer que nous nous sommes fait, le Rapporteur et moi-même, vos porte-parole devant le Président Jean-Louis Debré. Vous aviez en effet souhaité que le travail de notre mission ne soit pas bâclé, alors que la discussion du projet de loi sur les organismes génétiquement modifiés était initialement annoncée fin octobre. Le Président Debré nous a indiqué que le débat serait reporté au printemps et nous a donc assuré que nous aurions le temps nécessaire pour conduire notre mission. Il nous a également fait savoir qu’il n’était pas opposé à l’élargissement des thèmes de notre mission, et que nous avions entière liberté en la matière.

Je souhaitais, pour notre première réunion, que l’on puisse procéder à une explication de la notion d’OGM avec l’aide d’un chercheur. La présidente de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), Mme Marion Guillou, à qui nous nous sommes adressés, a donc chargé Mme Muriel Mambrini, chercheuse au laboratoire de génétique des poissons au centre INRA de Jouy-en-Josas, de réaliser cet exploit.

Mme Mambrini présente sur transparents un exposé sur la transgénèse dont le contenu est repris dans la contribution écrite ci-dessous que Mme Mambrini a remis à la mission

« Cet exposé vise à poser les bases permettant de juger de la faisabilité des techniques actuelles utilisées pour produire les micro-organismes, les plantes et les animaux transgéniques et d’analyser leurs atouts et leurs limites en comparaison des autres techniques d’amélioration des êtres vivants. L’objectif est de fournir les moyens d’identifier la nature des questions qui se posent et se poseront dans le futur.

Après avoir fourni les quelques éléments nécessaires de biologie moléculaire, seront évoqués les moyens naturels de transfert de gènes et décrits les éléments constitutifs du transgène. Nous aurons alors tous les éléments pour analyser les techniques utilisées pour la transformation des organismes et leur évolution pressentie. Enfin, nous comparerons la transgénèse aux autres techniques d’amélioration des organismes exploitées jusqu’alors, sur la base des critères positifs et négatifs associées à chacune d’entre elles.

Eléments de biologie moléculaire

Les protéines, acteurs des fonctions

Les objectifs de la transgénèse sont les suivants :

– ajouter une fonction, par exemple, rendre une plante résistante à un herbicide,

– amplifier une fonction, par exemple, améliorer le potentiel de croissance,

– limiter une fonction, par exemple, limiter les phénomènes de rejet immunitaire,

– marquer les acteurs d’une fonction, par exemple, repérer certaines cellules pour les trier et analyser en détail leurs caractéristiques.

Le mot commun est celui de « fonction ». Les molécules qui œuvrent pour réaliser une fonction au niveau cellulaire sont les protéines (les enzymes, les hormones sont des protéines). Elles sont composées d’un enchaînement d’unités de base, les acides aminés qui sont agencés selon un ordre déterminé. Vingt et un acides aminés différents sont retrouvés dans la nature. L’identité et la fonction d’une protéine sont contenues dans la séquence de leur agencement.

Les acides aminés s’agencent dans l’espace. Ils réalisent des liaisons entre eux permettant à la protéine d’avoir une structure particulière dans les trois dimensions. Changer un seul des acides aminés d’une séquence protéique peut entraîner la perte de sa fonction, également parce qu’elle n’aura plus la même configuration spatiale (exemple d’un anticorps : les « bras » de cette molécule possèdent une séquence et une conformation spécifiques qui lui permettent de se lier avec les protéines étrangères et ainsi de les rendre reconnaissables par l’organisme). Assurer une fonction est donc la capacité de produire des protéines spécifiques et actives, dont la séquence en acides aminés est rigoureusement contrôlée.

Le programme de synthèse des protéines

Si la séquence en acides aminés des protéines est aussi strictement contrôlée, c’est parce que leur production par l’organisme et leur synthèse dépendent d’un programme. Ce programme est contenu dans la molécule d’ADN, dont nous pouvons analyser la structure. En fait cet ADN est simplement constitué de quatre bases, adénine (A), thymine (T), cytosine (C) et guanine (G) portées par des sucres. Comme les acides aminés, ces bases sont capables de réaliser entre elles des liaisons extrêmement spécifiques : A se lie à T et uniquement à T et C à G. Ainsi la molécule d’ADN se présente-t-elle sous la forme d’un double brin – chaque brin étant formé d’un agencement de bases – complémentaire l’un par rapport à l’autre.

Comment passe-t-on de l’ADN formé de quatre bases à une protéine qui peut compter 21 acides aminés différents ? C’est grâce à un code appelé le code génétique. A chaque groupe de trois bases correspond un acide aminé, ce groupe est appelé codon. Toutefois, à un acide aminé peuvent correspondre plusieurs codons, le code génétique est dit « dégénéré ». Il est néanmoins universel car utilisé par l’ensemble des organismes vivants.

L’agencement des bases de l’ADN doit être extrêmement bien gardé et conservé car c’est d’elles que va dépendre le choix des acides aminés qui vont constituer la protéine. La modification d’une seule base peut entraîner l’incorporation d’un autre acide aminé que celui prévu et changer la fonction.

L’ADN sous forme de double brin est une molécule extrêmement stable (par exemple, il est possible de récupérer et d’analyser la séquence d’ADN obtenue sur les vestiges d’organismes disparus). S’il est sous forme simple brin, il est moins stable et cherchera à rétablir la liaison avec une séquence qui lui est complémentaire pour former un double brin. Une autre caractéristique très importante de l’ADN est qu’il est capable de se répliquer strictement à l’identique. C’est un des brins qui sert de matrice à la synthèse de l’autre ; ainsi le programme est-il conservé lorsqu’il est nécessaire de doubler la quantité d’ADN.

La molécule d’ADN d’un individu est unique (par exemple, c’est grâce à elle que l’on peut maintenant identifier des criminels à partir de fragments de tissus). Elle se transmet aux individus qui en sont issus, lesquels héritent de l’intégrité et des particularités de fonctionnement (on retrace ainsi les paternités en analysant les séquences d’ADN). Ce programme est unique pour un individu, et on le retrouve dans toutes ses cellules. Il doit donc comporter toutes les informations nécessaires à la vie de l’individu, à la formation et au fonctionnement des différents tissus si c’est un organisme supérieur.

Ce programme est donc très compacté, le double brin s’enroulant autour de lui-même puis étant compacté dans des protéines. Suivant les organismes, le double brin d’ADN a des conformations différentes et est situé différemment dans la cellule.

Les virus sont constitués d’une information génétique encapsulée dans une membrane leur permettant d’aller d’une cellule à une autre. Ils n’ont pas la compétence de synthétiser leurs protéines et injectent leur information génétique dans une cellule hôte afin qu’elle synthétise pour eux les protéines dont ils ont besoin. Ces protéines permettent l’encapsulation de leur matériel génétique, donc la production de particules virales qui iront infecter d’autres cellules. Certains virus sont capables de faire intégrer leur ADN dans l’ADN de l’hôte afin qu’il y ait une synthèse plus efficace.

Chez les bactéries, la molécule d’ADN est libre dans la cellule. Chez les plantes et les animaux, l’ADN est séparé du reste de la cellule par une membrane, constituant le noyau. L’ADN dans le noyau se présente sous différents aspects. Il peut être sous la forme d’unités séparées où il est extrêmement compacté ; ceci se passe juste avant que la cellule se divise. En effet, avant qu’une cellule se divise, la quantité d’ADN est doublée par duplication, et la même information passe dans chaque cellule fille. Avant la duplication, l’ADN se condense en unités dont les nombres, formes et tailles sont caractéristiques de chaque espèce, ce sont les chromosomes.

Un homme possède 23 paires de chromosomes, les plus connus étant les chromosomes sexuels ainsi que le chromosome 21 qui, lors de cas rares, peut être présent sous forme de triplet provoquant le mongolisme ou « trisomie 21 ». On peut remarquer que chaque chromosome est représenté deux fois ; c’est une caractéristique des organismes autres que les bactéries et les virus. Nos chromosomes proviennent pour moitié de notre père et pour autre moitié de notre mère.

De l’ADN à la protéine

Le programme de synthèse est très conservé, il se transmet à la descendance et il est spécifique d’un individu. Il est identique pour toutes les cellules de l’individu or, les cellules du foie, par exemple, n’ont pas les mêmes fonctions que les cellules du muscle ; le programme étant le même, ces différences s’expliquent par le fait qu’il est « lu » et traduit de manière spécifique suivant les demandes de la cellule.

La séquence d’ADN correspondant au programme d’une protéine spécifique correspond au gène. La « lecture » du gène codant pour une protéine nécessaire à la cellule est un phénomène sous contrôle. Lorsque la cellule a besoin d’une protéine spécifique, elle envoie un signal qui est capté en amont du gène, dans une partie que l’on appelle le promoteur. Le double brin de l’ADN s’ouvre alors dans la partie correspondant au gène et une molécule appelée ARN est synthétisée qui comporte des bases complémentaires de la séquence d’ADN, c’est la phase de transcription. La lecture de la partie de l’ADN correspondant au gène se termine avec un signal appelé « terminateur ». La molécule d’ARN, simple brin, beaucoup plus légère et instable que l’ADN va se déplacer dans la cellule pour que commence la traduction du code en agencement d’acides aminés. Cette petite molécule est en fait un messager, une copie d’une partie du programme central qui sera transféré et décodé par l’usine cellulaire. Une fois le programme traduit, l’ARN est dégradé ; il faudra en transcrire un autre pour que soit produite une autre protéine. Le contrôle des quantités de protéines synthétisées et de la fonction s’effectue donc également au niveau de l’ADN. Lorsqu’il est transcrit, le gène est dit « exprimé ».

Chez les organismes supérieurs, il y a une étape supplémentaire. En fait la molécule d’ADN contient des séquences « utiles » c’est-à-dire qui correspondent à un code permettant l’agencement des acides aminés (les exons), mais ces séquences sont ponctuées de séquences a priori « inutiles » (introns). Chez l’homme, elles représentent une grande majorité de l’ADN. Le gène est donc une succession de ces séquences utiles et inutiles, il est initialement transcrit ainsi puis la machinerie cellulaire élimine ce qui ne correspond pas à des parties comprenant le code qui permettra l’agencement des acides aminés.

Les éléments de base du transgène

La transgénèse est le fait d’intégrer dans le génome d’un individu une séquence d’ADN lui permettant de produire de nouvelles protéines qui confèrent à cet individu de nouvelles fonctions. La séquence d’ADN doit être construite afin de posséder tous les éléments clés permettant la traduction du nouveau code que l’on veut insérer, donc au minimum un promoteur, la séquence correspondant à la protéine que l’on souhaite faire produire (les introns apparaissant a priori inutiles) et un terminateur.

C’est au niveau du promoteur que se trouve le signal de transcription de l’ADN ; certains promoteurs sont activés dans toutes les cellules, d’autres spécifiquement dans un tissu ou à un moment donné d’un processus. Les promoteurs utilisés dans une construction transgénique sont choisis pour contrôler les lieux et les moments d’expression du transgène. (Exemple : la protéine fluorescente verte, est une protéine provenant initialement d’une méduse qui a la particularité d’émettre une lumière verte lorsqu’elle est illuminée par des ultraviolets. Cette protéine est utilisée pour visualiser l’endroit où est exprimé un transgène. Le gène codant pour la protéine fluorescente verte, transféré chez un poisson, et sous contrôle d’un promoteur permettant une expression dans toutes les cellules est retrouvé dans tous les tissus de l’animal, alors que le même gène placé sous le contrôle d’un promoteur spécifique d’un tissu n’est retrouvé que dans ce tissu.)

En ce qui concerne le gène d’intérêt, le code génétique étant universel, a priori, les séquences de n’importe quel organisme peuvent être reconnues par un autre organisme. Ainsi peut-on faire exprimer des gènes bactériens chez les mammifères et inversement. Idem pour les virus. Or les génomes de nombreux organismes sont actuellement en cours de séquençage, ce qui veut dire que la source potentielle de gènes d’intérêt et d’idées de transformations qui peuvent y être associées est en pleine expansion.

Une fois les éléments du transgène choisis et assemblés, il faut trouver un moyen de le transférer dans des cellules qui seront capables de le transcrire et de le traduire. Il est possible de transférer cette petite molécule d’ADN, qui pourra s’exprimer, mais seulement temporairement. Mais si l’objectif est de modifier ou d’améliorer les fonctions d’un organisme, il faut une expression durable du transgène et que cette nouvelle fonction puisse être transmise aux descendants. Pour ce faire, le transgène doit être intégré au génome hôte.

Les transferts naturels d’ADN

Des systèmes de transfert naturels d’ADN existent. Nous avons vu que les virus sont des molécules d’ADN encapsulées n’ayant d’autres moyens d’exprimer leurs gènes qu’en utilisant la machinerie cellulaire d’un hôte. Les virus peuvent ainsi infecter des bactéries, des plantes ou des animaux, mais sont chacun très spécifiques. Pour infecter, ils doivent pouvoir pénétrer dans la cellule hôte et cette étape est très spécifique. Certains virus (rétrovirus) sont, en plus, capables de faire intégrer leur information génétique dans le génome de leur hôte. Cette intégration est permise par l’existence de séquences présentes de part et d’autre de l’ADN viral, qui seront reconnues par le génome hôte, lequel acceptera alors sa césure et l’intégration.

On sait aussi depuis longtemps que les bactéries peuvent échanger de l’ADN, essentiellement sous la forme d’une petite molécule circulaire d’ADN appelée « plasmide », qui est mobile et qui peut passer d’une cellule à une autre. Ces petites molécules permettent de conférer de nouvelles fonctions à la bactérie receveuse, des fonctions avantageuses. Par exemple, les plasmides comportent souvent des gènes de résistance aux antibiotiques. Les plasmides restent souvent libres dans la cellule bactérienne, mais certains ont aussi la capacité de s’intégrer au génome de la cellule hôte. Le passage et l’intégration de plasmide bactérien à la cellule d’un organisme supérieur sont plus rares. Le cas le plus connu est celui d’Agrobacterium tumefaciens, bactérie dont le plasmide est capable d’entrer dans la cellule et le noyau végétal et de s’intégrer à son génome. Ces systèmes sont très spécifiques de certaines populations bactériennes, de même que les possibilités de transfert bactérie/organisme supérieur ne sont possibles que pour un couple d’espèces bien déterminé.

Pour les organismes supérieurs, les échanges d’ADN s’effectuent au moment de la reproduction. Ne peuvent se reproduire et s’échanger l’ADN que des individus interféconds. La limite de ces échanges est donc la barrière d’espèce. Selon la théorie de l’évolution, toutes les espèces dérivent d’un ancêtre et d’un programme commun qui s’est petit à petit modifié. Les grands types de modifications sont les mutations (changement d’une base d’ADN pour une autre), les insertions de séquences entières, les délétions qui sont également des séquences entières. Tous ces éléments sont des facteurs de l’évolution. Des éléments appelés « transposons » sont capables de rendre mobiles des séquences entières d’ADN, de les retirer d’un endroit particulier du génome et de les intégrer à un autre. Le génome humain est rempli de séquences assimilées à des transposons qui sont inactives. On pense que ces transposons ont été des vecteurs importants dans l’évolution des génomes. Des transposons actifs ont été caractérisés chez certains micro-organismes, certaines plantes et insectes. Mais chez les vertébrés, seuls des vestiges ont été identifiés.

La transformation des bactéries

Objectifs des transformations

Les bactéries sont transformées de manière ciblée avec les objectifs suivants :

– Faire fabriquer à la bactérie une protéine d’intérêt en grande quantité, c'est-à-dire l’utiliser comme usine cellulaire. Par exemple, c’est ainsi qu’a pu être produite en grandes quantités l’hormone de croissance humaine. Elle était auparavant extraite d’hypophyses mais la préparation où se trouvait l’hormone purifiée n’était pas toujours exempte d’autres facteurs pouvant se révéler pathogènes. Par ailleurs, les capacités de production étaient limitées par l’abondance de la « matière première ». Dès lors que sont apparues les techniques du génie génétique, il est devenu possible de faire produire cette protéine par des bactéries.

– Améliorer les fermentations des produits alimentaires en modifiant les bactéries afin de les rendre plus résistantes aux pathogènes, qu’elles aient une meilleure croissance, montrent de meilleures capacités d’adaptation.

– De nouvelles applications sont en cours d’étude pour savoir si l’on ne pourrait pas utiliser les bactéries pour produire et véhiculer certains vaccins.

Transformation sans intégration

La première idée pour transformer les bactéries a été d’utiliser leur élément mobile, le plasmide, car on peut facilement le purifier, et y intégrer de nouveaux gènes. Le plasmide transformé est ensuite intégré dans la bactérie et exprime les nouveaux gènes. Il est capable de se répliquer et la bactérie, lorsqu’elle va se diviser, pourra transmettre à ses cellules filles ADN et plasmide. Comme les bactéries ont des capacités de multiplication importantes
– l’Escherichia coli double sa population en 20 minutes –, cette technique permet de produire de grandes quantités de plasmide et, ainsi, de dupliquer le gène ou la séquence d’intérêt que l’on y a intégré. Cette technique est donc utilisée de longue date dans tous les laboratoires de biologie moléculaire qui peuvent ainsi disposer de grandes quantités de la séquence spécifique qu’ils souhaitent étudier.

Après avoir transformé la bactérie, il faut pouvoir sélectionner celles qui comportent effectivement le plasmide. Ce dernier possède en général des gènes de résistance aux antibiotiques, et c’est ce qui est utilisé comme marqueur. Les bactéries ayant intégré le plasmide seront capables de croître dans un milieu comportant de l’antibiotique.

Cette technique permet, certes, d’ajouter une fonction, de faire produire une nouvelle protéine, mais les systèmes plasmidiques sont relativement spécifiques et fonctionnent sur des bactéries qui ont la compétence de l’intégrer ou que l’on modifie pour qu’elles aient cette compétence. Toutes les bactéries ne sont pas compétentes ou ne peuvent être modifiées ainsi. Par ailleurs, le plasmide peut être relativement instable, disparaître ou passer à une autre bactérie compétente sans que l’on en ait le contrôle. Le nombre de plasmides intégrés dans une bactérie est variable, ce qui implique que l’on ne peut contrôler la concentration en protéine que l’on veut faire produire. Il ne s’agit pas d’une modification de l’ADN de la bactérie, ce qui accroît le caractère instable de la transformation. Restent les séquences du marqueur – en général un gène codant pour un antibiotique – qui peut, avec le plasmide, être transféré à d’autres cellules et qui implique que les bactéries devant produire ces protéines devront croître dans un milieu comportant de l’antibiotique pour maintenir le plasmide.

Transformation avec intégration

Certains plasmides sont capables d’intégrer la séquence du gène d’intérêt si ce dernier possède également des séquences homologues à certaines séquences bactériennes. Elles seront reconnues, et la séquence bactérienne du génome hôte sera remplacée par la séquence que l’on souhaite introduire. C’est ainsi que peuvent être introduites des mutations ciblées dans certains gènes. On isole le gène bactérien, on lui introduit la mutation que l’on souhaite, on le place dans un plasmide qui pourra s’intégrer et on transforme la bactérie. Le gène modifié comporte suffisamment de séquences homologues au gène initial pour qu’il soit introduit en ses lieu et place.

L’autre moyen de faire intégrer un nouveau gène est d’utiliser des transposons. Certaines bactéries possèdent des transposons actifs pouvant véhiculer et faire intégrer le gène d’intérêt.

Ces techniques permettent d’ajouter une fonction, de modifier une fonction en pratiquant des mutations ciblées, mais ces systèmes sont relativement spécifiques de certaines espèces bactériennes.

Transformations des plantes et animaux

Objectifs

La suite de l’exposé concerne la transgénèse animale et végétale, les objectifs et les principes des techniques étant comparables, voire identiques.

La transgénèse est pratiquée avec les objectifs suivants :

– Productions pour améliorer les génotypes, accroître leur résistance aux maladies, leur résistance à la sécheresse ou leurs capacités de croissance et également pour créer de nouveaux produits répondant soit à des demandes de santé (vaccination par voie orale), soit à des demandes nutritionnelles (superproduction de vitamine A, vitamine B6, d’acides gras oméga 3).

– Productions pour servir d’usine cellulaire permettant de produire en grande quantité des protéines d’intérêt (production dans le lait ou dans les feuilles).

– Sont également à l’étude de nouvelles applications, comme la production, à partir d’animaux, de tissus transplantables immunocompétents.

Les cellules transformées

Chez ces organismes, le transgène doit être intégré dans une cellule ayant la capacité d’être à l’origine d’un organisme entier.

Il s’agit des cellules sexuelles, ou d’un embryon à son stade le plus précoce, c’est à dire une cellule. Il peut s’agir de cellules d’un tissu déjà différencié auxquelles on donne la possibilité d’être à l’origine d’un organisme entier. Elles existent naturellement chez certains végétaux (bouturage, culture in vitro), mais pas chez les cellules animales. Les équipes travaillent pour arriver à cultiver des cellules ayant ce caractère comme les cellules embryonnaires, ou pouvant aller conquérir les cellules sexuelles, ou encore pour redonner ce potentiel à des cellules adultes. Pour aller de ces cellules à un organisme entier, il faut ensuite soit transférer ces cellules dans un embryon, soit transférer leur noyau, afin qu’il remplace celui d’un embryon à son premier stade de développement.

Quelle que soit l’origine de la cellule à transformer, les techniques peuvent être classées en deux catégories : le transfert direct et le transfert au moyen de vecteur.

Transfert direct d’ADN

• Les techniques :

– La micro-injection. La première technique à avoir été utilisée est la simple injection. Le matériel est relativement simple, il faut une loupe ou un microscope, et un micromanipulateur. La difficulté dépend essentiellement de la taille de la cellule ou de l’œuf. Cette technique est appliquée cellule par cellule, œuf par œuf. La solution contenant la construction transgénique est micro-injectée dans la cellule. Elle est surtout pratiquée sur les embryons, au stade d’une cellule.

– Le bombardement de particules. Les autres techniques permettent des transformations en masse. Il s’agit du bombardement de particules. Le plasmide contenant le transgène est adsorbé sur des microbilles qui sont ensuite bombardées sur les cellules. Ceci permet au plasmide de passer la membrane cellulaire et même la paroi végétale. Cette technique est pratiquée sur des cellules en culture et c’est, en particulier, une des techniques employées pour la transformation des plantes et des ovules.

– L’électroporation et la transfection. Le bombardement pouvant être parfois drastique, il existe des méthodes permettant de passer les membranes cellulaires par perméabilisation : l’application d’un champ électrique (électroporation), la déstabilisation des membranes par l’utilisation d’agent chimique, ou l’utilisation d’agents favorisant la fusion avec les membranes. Ces techniques ont été employées sur des cellules végétales après retrait de leur paroi, sur les cellules en culture, les spermatozoïdes et les ovules.

• Les résultats

Les résultats obtenus à ce jour montrent qu’avec ces techniques, le transgène s’intègre, s’exprime et est capable de conférer de nouvelles fonctions et caractéristiques aux individus.

Suivons maintenant ce qui se passe exactement et le devenir du transgène dans le génome hôte. Ces techniques permettent de passer la membrane cellulaire mais pas de transférer le transgène au niveau du noyau. Le transgène peut y parvenir et s’intégrer au génome hôte grâce à des mécanismes cellulaires que l’on ne contrôle pas. En conséquence, toutes les cellules n’effectuent pas cette opération et ne possèdent pas le transgène. On ne contrôle pas le moment de l’intégration, et l’organisme qui se développera à partir des cellules qui auront été transformées ne possédera pas le transgène dans toutes ses cellules. Cet organisme est dit « mosaïque ».

En conséquence, il est nécessaire de réaliser un tri. S’il s’agit de cultures cellulaires on peut utiliser des marqueurs. Ainsi, les gènes de résistance aux antibiotiques ont-ils été couramment utilisés comme marqueur. Les cellules sont cultivées sur un milieu contenant l’antibiotique et si elles peuvent croître c’est qu’elles ont intégré le transgène et son marqueur. Aujourd’hui sont étudiées et utilisées d’autres possibilités de marquage, afin de ne plus transférer de gènes de résistance aux antibiotiques.

Si l’on a transformé des œufs ou des gamètes, le tri s’effectue en analysant la présence du transgène sur les individus issus de ces transformations. Pour qu’il soit transmis, il faut que le transgène soit présent dans les cellules sexuelles. Il sera alors intégré dans les cellules étant à l’origine de l’organisme, mais les cellules sexuelles étant elles-mêmes mosaïques, la transmission du transgène ne sera pas de 50 %, comme attendu, mais inférieure et parfois bien inférieure. Le taux de succès dépend du degré de mosaïcisme de l’animal fondateur, lequel varie suivant les espèces et les conditions de transformation. Par exemple, les souris sont peu mosaïques, le transgène, après transfert, est intégré relativement tôt, pendant le développement, alors que les poissons peuvent être très mosaïques. Il faudra réaliser une nouvelle génération pour avoir un taux de transmission du transgène de 50 % et ainsi avoir une lignée transgénique. Ceci revient à dire que l’investissement permettant de produire une lignée peut être relativement lourd.

Il est possible d’analyser la présence du transgène en purifiant l’ADN de l’hôte, en le coupant, en séparant les fragments et en repérant ensuite les fragments contenant le transgène par hybridation avec l’ADN du transgène que l’on aura au préalable marqué. Lorsque l’on réalise cette étude sur les animaux ou plantes transformées, on constate qu’il existe des fragments de tailles attendues, correspondant à la taille du transgène, mais également d’autres fragments de taille plus importante, qui sont en réalité comme des chaînettes comportant des répétitions de la construction transgénique, appelés « concatémères ». Cela veut dire que le transgène peut être présent en multiples copies. Quel que soit le nombre de copies, il est dans la plupart des cas intégré en un seul site. La multiplication et l’association en chaînettes du transgène s’effectuent donc avant son intégration, qui est dans la majorité des cas un événement unique. On ne sait pas actuellement quels facteurs gouvernent cette intégration, ni si le site d’intégration dans le génome est effectivement aléatoire ou s’il existe des régions privilégiées.

Au bilan, ces techniques permettent de transférer le transgène mais on ne contrôle ni le lieu, ni le moment, ni le nombre de copies du transgène intégré.

Or, le nombre de copies intégrées du transgène influence son expression. On pourrait penser que l’expression est proportionnelle au nombre de copies intégrées, mais ce n’est pas toujours le cas, c’est même rarement le cas. Le génome, lorsqu’il reconnaît des séquences répétées, met en places des systèmes de défense et va inhiber la transcription de ces séquences (on notera que les séquences des virus comportent très souvent des séquences répétées). Par ailleurs, compte tenu du fait que l’ADN va s’apparier à des séquences complémentaires, il se peut qu’il forme des doubles brins avec différentes copies du transgène et forme ainsi des structures compliquées pouvant inhiber l’activation du promoteur et la transcription du transgène.

Ne pas contrôler le site d’intégration du transgène peut avoir des conséquences importantes sur son niveau d’expression. Toutes les régions du génome ne sont pas actives de manière équivalente ; dans certaines régions la transcription est intense, dans d’autres non. Le transgène peut donc subir l’effet de son environnement.

En conséquence, l’expression du transgène est variable et non contrôlée. Afin d’y palier, il est souvent effectué un tri des individus. Ne sont conservés que ceux dont l’événement d’intégration permet la meilleure expression du transgène. Ceci ajoute un coût supplémentaire à la production de lignées transgéniques.

Transfert par vecteurs

L’autre technique de transformation est l’utilisation de vecteurs, molécules ou structures possédant la capacité de transférer leur ADN à un génome hôte. Ces systèmes, contrairement aux systèmes précédents, sont spécifiques dans la mesure où vecteur et hôte doivent pouvoir se reconnaître mutuellement.

• Les Techniques

– Agrobacterium tumefaciens : chez les plantes, le vecteur le plus largement utilisé est l’Agrobacterium tumefaciens. Cette bactérie possède un plasmide capable de s’intégrer dans le génome de la plante. On intègre donc le transgène dans le plasmide qui le véhicule ensuite jusqu’au génome hôte. Comme dans le cas d’un transfert direct, il ne se trouve pas dans toutes les cellules, ce qui nécessite de réaliser un tri des cellules transformées. Ensuite le transgène peut être intégré en nombre de copies multiples, le nombre est bien souvent inférieur à ce que l’on peut obtenir avec le transfert direct, mais les dimères sont courants. Enfin, il peut être présent, mais sous forme réarrangée, et parfois on ne retrouve plus la succession promoteur/gène d’intérêt/terminateur initiale, ce qui rend la construction inefficace. Le site d’intégration du transgène n’est pas contrôlé. En conséquence, le transgène a une expression variable et il faut également réaliser le tri d’un événement favorable d’intégration.

– Rétrovirus : les rétrovirus ont le pouvoir naturel d’intégrer leur matériel génétique dans des cellules hôtes. Des vecteurs ont été construits qui conservent les capacités d’intégration du virus, mais où on a remplacé les gènes permettant l’infection par le transgène. Les capacités d’intégration du virus dépendent de son pouvoir infectant. Par ailleurs, la taille de la construction transgénique doit être limitée car ces vecteurs ne peuvent accepter de fragments trop grands. Les rétrovirus sont très spécifiques de leur hôte. Pour certaines espèces il n’existe pas de rétrovirus caractérisés. Des rétrovirus ont été transformés pour perdre leur spécificité d’hôte et sont normalement capables d’infecter n’importe quelle espèce (virus pseudo-typés). Il convient donc de manipuler ces vecteurs, et tout particulièrement ces derniers, avec une très grande prudence. En outre, le moment où l’ADN va s’intégrer n’est pas contrôlé ce qui ne résout pas le problème du mosaïsme.

Les transposons : les transposons ne sont utilisés que chez les espèces où ils sont toujours actifs, nous l’avons vu pour les bactéries, et parmi les animaux, essentiellement chez la drosophile chez qui a été isolé un élément actif. Un transposon comporte des séquences de reconnaissance de sites spécifiques de l’ADN et un gène codant pour une enzyme appelée « transposase » qui permet de scinder l’ADN et d’y intégrer de nouvelles séquences possédant des sites de reconnaissance à leur extrémité. Il s’agit donc d’utiliser cet élément avec un transgène auquel on aura ajouté ces sites. Là encore, la taille du transgène doit être limitée. Chez les vertébrés n’existent que des vestiges. Or des chercheurs ont identifié les raisons pour lesquelles un transposon spécifique était inactif : des mutations accumulées au cours de l’évolution sur le gène avaient inhibé son activité. Ils ont donc modifié progressivement la séquence afin d’inverser les mutations, de réactiver cet élément et de l’utiliser pour accroître l’efficacité d’intégration du transgène.

• Les résultats

Au bilan l’utilisation de vecteurs permet de favoriser l’intégration du transgène et ceci en nombre de copies limitées pour Agrobactérium tumefaciens et à une seule copie pour les vecteurs viraux et les transposons. Toutefois, ils ne permettent pas une intégration dans toutes les cellules et n’évitent pas le tri ou la production de générations successives en raison du mosaïsme des fondateurs. Le site d’intégration n’est pas contrôlé. Par ailleurs, seuls les transgènes de taille limitée (4 à 13 000 paires de bases) peuvent être utilisés.

Les techniques futures

Les recherches sur les techniques sont axées sur l’identification de moyens permettant de transformer les organismes de manière plus contrôlée et plus efficace. On cherche à aller vers une « transgénèse propre », où le transgène pourrait être placé dans un endroit connu du génome et en une seule copie, soit en contrôlant son intégration par des éléments de reconnaissance du génome, soit en triant le « bon » événement d’intégration en transformant des cellules en culture que l’on utilisera ensuite pour donner naissance à un organisme entier (technique utilisée chez la souris de laboratoire mais qui n’a pas encore pu être transférée efficacement à d’autres espèces).

Une autre tendance est de chercher à améliorer les constructions. Les promoteurs peuvent avoir des efficacités différentes. En principe, on peut utiliser les gènes isolés chez d’autres espèces mais, en pratique, ils sont parfois peu efficaces car chaque espèce a une utilisation préférée de certains codons, et aussi parce que ce sont parfois des enchaînements de séquences que l’organisme hôte ne reconnaît pas et dont il va se protéger en inhibant l’expression. Enfin, l’agencement promoteur/gène d’intérêt/terminateur est parfois trop simple pour fonctionner. Il peut manquer des signaux importants et ces introns que l’on pensait « neutres » et sans rôle fonctionnel sont finalement parfois indispensables pour une expression correcte du transgène. Nos connaissances sur l’efficacité de certaines constructions et éléments avancent avec nos connaissances sur le génome. Et chaque nouvelle séquence connue pour modifier ou réguler l’expression est rapidement testée en transgénèse. La tendance est que les constructions transgéniques comportent de plus en plus d’éléments et ont une taille de plus en plus importante.

Comparaison avec les techniques de génétique classique

Depuis longtemps on cherche à améliorer les caractéristiques des espèces produites. Le moyen le plus ancien et le plus classique est la sélection, suivi rapidement par les techniques d’hybridation. Le fait de modifier la séquence du génome est apparu avec la mutagenèse. Toutes ces techniques ont permis la production de nouvelles lignées ou de nouvelles souches utilisées pour la production alimentaire. L’objectif est de comparer leurs possibles et leurs limites à ce que pourrait proposer en principe la transgénèse. La grille de lecture proposée devrait permettre l’analyse comparative de l’intérêt de chaque technique dans un objectif d’amélioration donné.

La sélection

Le principe de la sélection est d’analyser la variabilité d’un caractère, par exemple la croissance, et de connaître, dans ce caractère, la part attribuable à la génétique et la part attribuable à l’environnement. La part du génétique est évaluée par la transmission du caractère. Les individus les meilleurs sont croisés ensemble, selon des plans permettant de conserver un bon brassage des gènes, et ceci sur plusieurs générations, le gain s’accroissant normalement avec le nombre de générations. Des résultats notables ont été obtenus concernant la croissance, la résistance à certaines maladies, la qualité des productions.

Les atouts de la sélection sont qu’elle est basée sur la fonction que l’on cherche à améliorer, que ceci est réalisé sans aucun a priori sur le/les gènes susceptibles d’en être la cause et que les résultats sont obtenus avec un brassage des gènes en conservant, en principe, une bonne variabilité génétique (limitation/contrôle de la consanguinité).

La sélection a ses limites. Elle ne permet d’améliorer que les caractères pour lesquels on peut mesurer ou identifier, au départ, une bonne variabilité génétique. C’est, par ailleurs, un processus sur le long terme car il faut plusieurs générations de sélection pour obtenir un résultat. Enfin, on ne contrôle pas les autres réponses qui peuvent être associées au caractère (par exemple sélection sur la croissance et engraissement ou affaiblissement vis-à-vis des maladies …).

L’hybridation

Le principe est d’associer les compétences de deux espèces pas trop éloignées de manière à ce qu’elles puissent ou que l’on puisse les reproduire ensemble. Par exemple, on peut prendre une espèce de poisson ayant une bonne croissance mais résistant mal à la salinité et une espèce ayant de mauvaises performances de croissance mais capable de croître, même si la salinité est importante. En les croisant, on espère produire une nouvelle espèce qui aura de bonnes qualités de croissance et résistera à la salinité.

La technique a des atouts : étant basée sur la mesure du caractère ou de la fonction, elle peut permettre d’améliorer simultanément deux fonctions, elle est réalisée sans aucun a priori sur le/les gènes qui peuvent en être la cause, les résultats sont obtenus avec un brassage des gènes et conservent, en principe, une bonne variabilité génétique

La technique comporte des limites : l’hypothèse clé est que les caractères seront transmissibles et que l’hybride les aura acquis de manière équilibrée. L’autre hypothèse majeure est que les espèces sont interfécondes de manière naturelle ou provoquée. La fertilité des hybrides est une nécessité si les caractères ne s’expriment pas de manière équilibrée en première génération. La production d’hybrides stériles pose la question de la propriété du matériel génétique initial. A nouveau les réponses autres que celles attendues ne sont pas contrôlées. En outre, en réalisant une hybridation non naturelle, on créé une nouvelle variété ou une nouvelle espèce.

La mutagenèse

La mutagenèse consiste à faire agir un agent qui produira des cassures dans l’ADN. Ces cassures seront réparées par la cellule, mais parfois avec des bases qui ne sont pas originelles, produisant ainsi une mutation. Un agent mutagène couramment utilisé est le rayonnement ultraviolet. On crée une série de mutations qui sont ensuite analysées en détail : les modifications des caractères ou fonctions des individus issus de la mutagenèse sont analysées et, si possible, corrélées à la partie de l’ADN modifiée. Cette technique a été beaucoup utilisée en recherche fondamentale pour identifier la fonction des gènes. Elle a été appliquée essentiellement pour améliorer certains caractères des micro-organismes des fermentations.

La mesure qui réalisée est basée sur l’analyse des caractères. Les gènes sont ensuite identifiés au cas par cas.

Pour analyser une mutation, il faut pouvoir en mesurer ses effets car on ne peut analyser correctement que les mutations produisant un effet sur les gènes dont on sait mesurer les produits. Par ailleurs, les modifications ne sont pas contrôlées. D’autres mutations peuvent être induites que l’on ne contrôle pas et qui peuvent apparaître silencieuses si nous ne disposons pas des moyens analytiques pour les étudier.

Transgénèse

Face à l’ensemble de ces techniques, il est clair que la transgénèse a comme atout le fait de savoir quelle est la nature de la transformation. L’hypothèse initiale est que l’effet que l’on souhaite produire est lié à l’action d’un seul gène. On a un a priori sur l’effet de ce gène, et on sait a priori quelle est la transformation effectuée. Toutefois, nous l’avons vu, cet atout n’est réel que si l’expression et l’intégration du transgène peuvent être contrôlées. Face à l’hypothèse initiale, il se peut que le caractère que l’on veut améliorer ne dépende pas d’un seul gène et soit la résultante d’actions en synergie de groupes ou de réseaux de gènes. C’est, en fait, bien souvent le cas des caractères de production (tels que la croissance, la résistance à la sécheresse…). La stratégie en transgénèse est alors basée sur la surexpression d’un gène clé, à laquelle l’organisme transgénique devra adapter sa physiologie. Par ailleurs, il existe très certainement d’autres subtilités dans la régulation de l’expression des gènes qui nous sont encore inconnues et qui font que la simple construction promoteur + gène d’intérêt + terminateur ne permettra pas la production d’une protéine efficace.

D’autres aspects doivent sans doute être pris en compte dans l’analyse. Les lignées transgéniques sont uniques, chacune est issue d’un événement d’intégration différent, leur production et leur maintien peuvent nécessiter une étape de croisements d’apparentés, et ainsi introduire de la consanguinité. Par ailleurs la production de ces lignées a un coût important, en outre elles ne doivent pas être reproduites ni disséminées sans contrôle, ce qui suppose qu’elles soient élevées dans des structures spécifiques et/ou vendues stérilisées. Ceci pose également la question de la propriété des lignées.

En conclusion, il est évident que si la question des impacts de la transgénèse doit être évaluée organisme par organisme et objectif par objectif, il n’en est pas moins important de considérer qu’elle a un caractère universel. A priori, dès lors que l’on peut contrôler la production et la reproduction des organismes et que l’on dispose d’outils de génétique, elle peut concerner tous les systèmes de production. D’un point de vue fondamental, c’est un outil unique pour analyser la fonction des gènes et l’utilisation de cet outil rendra possible une meilleure connaissance du génome. Les recherches vont tambour battant et les techniques continuent d’évoluer. Dès lors que le temps du transfert entre le fondamental et l’appliqué se réduit, toutes les techniques émergentes en la matière peuvent être rapidement appliquées. Le principe même de la méthode fait que la frontière entre espèces est dépassée et que la connaissance des effets d’un gène ou des gènes peut se traduire rapidement en objectif d’amélioration. Il faut également analyser les risques, dont certains sont mesurables ou estimables car si l’on connaît la transformation réalisée, d’autres – tel que l’impact sur l’intégrité du génome – ne sont pas mesurables, à l’instar d’autres innovations. La perception de ces risques évolue suivant la nature des bénéfices escomptés.

Face à ces enjeux, les objectifs de recherche sont variés et concernent les biologistes comme les sociologues. Des études sont en cours pour analyser et mettre au point des moyens de contrôle de l’intégration et de l’expression du transgène. La connaissance du fonctionnement du génome et de sa régulation fait également l’objet de recherches intenses. Un grand nombre d’études vise à analyser les impacts afin de mettre en place des moyens de contrôle et d’estimation des coûts en termes d’environnement, de biologie et de qualité des produits. Enfin, des recherches spécifiques sont menées pour évaluer et anticiper la perception des innovations, notamment en terme de génie génétique.

Face aux enjeux que représente ce secteur tant en terme de risques que de bénéfices et compte tenu de la dynamique d’innovation qui l’environne, il semble indispensable de ne négliger aucun des axes de recherche. »

L’exposé de Mme Muriel Mambrini a été suivi d’un échange.

M. Philippe FOLLIOT : Vous affirmez que les micro-organismes OGM constituent depuis longtemps un outil pour la biologie moléculaire. Depuis quand et pour quelles applications ?

Mme Muriel MAMBRINI : Pour l’hormone de croissance, par exemple. Auparavant, on procédait à des injections d’hormone sur des enfants atteints de nanisme, hormone que l’on obtenait à partir de broyats de tissus. Or, le produit obtenu comprenait non seulement l’hormone de croissance qui allait permettre à ces enfants de grandir harmonieusement, mais aussi des substances contaminantes. Désormais, on sait identifier le gène de cette hormone, l’intégrer dans un plasmide et le fabriquer par des bactéries.

M. Philippe FOLLIOT : Il s’agit donc d’un médicament transgénique.

Mme Muriel MAMBRINI : C’est un médicament issu d’une transformation permise par transfert de gène. Les notices pharmaceutiques, elles, font état de « protéines recombinantes ».

M. Louis GUÉDON : Vous nous avez parlé de l’intégration de transgènes dans des cellules de plantes ou d’animaux. Comment contrôle-t-on l’opération ?

Mme Muriel MAMBRINI : Les méthodes pour transférer le transgène sont variées mais, comme nous l’avons vu, elles ne permettent pas, en général, de contrôler l’intégration. C’est la cellule qui décide… En particulier, on ne sait pas pourquoi un gène s’intégrera ou pas. L’intégration est possible pendant une fenêtre de temps, relativement réduite, et variable d’une espèce à une autre.

M. Yves COCHET : On sait que la science progresse par essais et erreurs… Quel pourcentage de réussite avez-vous ?

Mme Muriel MAMBRINI : Tout dépend de l’espèce. Chez le poisson, on enregistre entre 20 et 40 % de succès pour 100 œufs micro-injectés.

M. Louis GUÉDON : Les poissons transgéniques se reproduisent-ils ?

Mme Muriel MAMBRINI : Oui, et ils transmettent le transgène. Au Canada, les saumons transgéniques sont élevés dans un système fermé, confiné, où l’eau est recyclée, de manière à éviter toute fuite vers l’extérieur. Pour éviter que des poissons transgéniques ne s’échappent dans la nature, on peut également les stériliser. Etant donné la forte fécondité de ces espèces et que les souches d’élevages sont interfertiles avec les souches naturelles, la probabilité de dissémination du transgène chez ces espèces est un gros souci.

M. Louis GUÉDON : L’hormone de croissance introduite dans ces poissons est-elle détruite ou assimilée par l’organisme humain ?

Mme Muriel MAMBRINI : Les chances qu’elle soit assimilée ou qu’elle puisse avoir une action dans l’organisme humain sont très faibles.

M. Louis GUÉDON : C’est le fond du problème. Il faut savoir si l’hormone est métabolisée ou assimilée.

Mme Muriel MAMBRINI : Elle ne peut vraisemblablement pas passer la barrière intestinale.

M. Pierre COHEN : Vous nous dites n’avoir aucun contrôle sur l’intégration du transgène. C’est inquiétant…

M. Yves COCHET : Pour le moins... Y a-t-il en particulier des transgènes qui s’expriment sans avoir été intégrés ? Et si oui, dans quel délai ?

Mme Muriel MAMBRINI : Le délai est très variable… Tout dépend de l’objectif de l’opération, de l’espèce et des situations. En la matière, on ne peut procéder qu’au cas par cas. Dans mes recherches, j’ai pu constater que certains transgènes introduits dans un embryon s’exprimaient jusqu’au stade adulte sans pour autant avoir été intégré. Mais il est vrai que l’embryon est un cas très particulier. J’ai du mal à imaginer qu’un transgène mette vingt ou trente ans à s’exprimer s’il n’est pas intégré. S’il est intégré, cela dépend des éléments de contrôle de l’expression, tels que la nature du promoteur, le nombre de copies intégrées et le site d’intégration.

M. le Président : C’est un point qui fait l’objet de trop peu de travaux de recherche. L’intégration d’un transgène peut-elle modifier un métabolisme ?

Mme Muriel MAMBRINI : On ne peut travailler qu’au cas par cas et considérer les effets du produit du transgène, ainsi que les modifications possibles de l’expression des autres gènes. Nous revenons à l’importance du site d’intégration : le transgène a-t-il interrompu un gène, est-il dans une région « neutre » ? De récentes études sur la typologie nucléaire mettent en évidence de plus en plus de régions actives ou non dans le génome. Il faut poursuivre les recherches.

M. Louis GUÉDON : Cela dit, obtiendra-t-on toujours le même OGM en utilisant toujours la même méthode ?

Mme Muriel MAMBRINI : Le produit du transgène sera toujours le même. Seule la quantité produite différera. En matière d’OGM, procéder à une analyse a posteriori et établir un profil de protéines permet d’identifier les impacts potentiels d’une intégration de transgène. Beaucoup de recherches sont conduites dans ce domaine.

Imaginez deux firmes qui produiraient, à partir du même transgène, deux lignées transgéniques. Dans la mesure où l’intégration dans le génome sera différente, la protéine recombinante sera la même, produite en quantités différentes peut-être, mais l’impact sur la production des autres protéines peut être différent.

M. Yves COCHET : Surtout, l’expression du gène peut être différente d’un individu à l’autre. La culture en plein champ de médicaments transgéniques est donc particulièrement dangereuse, dans la mesure où de nombreux végétaux risquent d’être contaminés.

M. le Président : On reparlera de cette question ultérieurement.

M. André CHASSAIGNE : On entend souvent dire que les semences transgéniques ne peuvent pas être réutilisées. Or, votre démonstration démontre plutôt le contraire.

Mme Muriel MAMBRINI : Vous faites sans doute allusion au gène « Terminator ». Produire des semences transgéniques stériles permet de diminuer considérablement le risque environnemental. Cela dit, les hybrides qui sont commercialisés, eux non plus, ne se reproduisent pas.

M. Yves COCHET : L’agriculteur qui devra cultiver des semences transgéniques stériles sera lié par un brevet !

M. le Président : Ce n’est pas nouveau, comme le montre l’hybridation qui a toujours été un phénomène marchand obligeant les agriculteurs à acheter chaque année leurs semences. A l’heure actuelle, très peu d’agriculteurs produisent eux-mêmes leurs semences.

M. Yves COCHET : L’agriculture paysanne le fait. Nous devons absolument auditionner le président de la Fédération française des assureurs pour voir comment assurer le risque de contamination.

M. le Président : Cela est prévu ! Madame Mambrini, nous vous remercions de ces explications.

Audition de M. Pierre-Benoît JOLY,
directeur du laboratoire de recherche sur les transformations sociales
et politiques liées aux vivants (TSV) de l’INRA


(extrait du procès-verbal de la séance du 10 novembre 2004)

Présidence de M. Jean-Yves LE DÉAUT, Président

M. le Président : Nous accueillons aujourd’hui M. Pierre-Benoît Joly, sociologue et directeur de l'unité TSV de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA).

Après un exposé liminaire, votre audition se poursuivra par les questions des membres de la mission.

M. Pierre-Benoît JOLY : Je suis très honoré d’intervenir aujourd'hui dans le cadre de cette mission dont nous connaissons tous l'importance. Je ne sais pas si, sur de telles matières techniques, il est d’usage d’auditionner des sociologues, mais je considère révélateur en soi du sujet que vous avez à traiter que l'une des premières interventions soit celle d’un sociologue.

Peut-être escomptez-vous entendre des éléments de sociologie quantitative ou des résultats de sondages. Tel ne sera pas le sens de mon propos qui sera plutôt celui d’un sociologue des sciences et de la sociologie politique. L’axe principal de mon exposé s’attachera aux points posant problème dans le débat public sur les OGM.

A cet égard, nous suivons une règle de méthode qui est l’agnosticisme, c’est-à-dire que nous devons nous intéresser à l’ensemble des positions et des arguments des protagonistes, sans pour autant prendre parti et donner raison à une partie ou à l'autre. En effet, il convient de prendre en compte les positions qui s’expriment dans le débat, la structure du débat, puis d’analyser ces différents éléments. L’impératif que nous nous fixons sur le plan méthodologique est de décrire et d’analyser la façon dont les différents protagonistes s’emparent de ce sujet et interviennent dans la dynamique du débat public.

Mon exposé traitera principalement de trois points. Tout d’abord, à partir d’une comparaison entre la situation européenne et celle des Etats-Unis, je m’intéressai à la question centrale qui est de savoir pourquoi les OGM se sont diffusés aussi rapidement aux Etats-Unis et pourquoi ils posent tant de problèmes en Europe. Je rappelle que les Etats-Unis comptent environ 50 millions d’hectares de cultures d’OGM contre 7 hectares environ en France. Le décalage est donc abyssal. J’essaierai de remettre en cause l’idée reçue selon laquelle les OGM ne posent aucun problème aux Etats-Unis parce que les Américains les auraient acceptés. Je me permettrai de contester cette assertion que Jean-Yves Le Déaut avait reprise dans son rapport
de 1998.

Ensuite, j'en viendrai plus précisément au développement récent du débat public en France. Pour ma part, je considère que nous sommes confrontés à un paradoxe : plus on débat de ce sujet, plus la perplexité de nos concitoyens augmente, alors que le débat devrait éclairer, informer et permettre de dégager l’essence des arguments.

Le dernier point de mon exposé portera sur une expérience de débat sur les essais aux champs, que nous avons conduite à l'INRA pour éclairer la décision de la direction générale.

S’agissant de la comparaison Europe/Etats-Unis, le professeur Tom Hoban de l’université Nord-Caroline a signé un article intitulé « Les Américains ont accepté les biotechnologies agricoles ». Cette acceptation expliquerait les différences importantes dans la dynamique de diffusion des OGM aux Etats-Unis et en Europe.

Sans entrer dans le détail des sondages, cette hypothèse peut être rejetée si l’on se réfère aux arguments suivants. Tout d’abord, la question fondamentale est celle de la définition de l'acceptation. Si par acceptation, on entend un consentement éclairé, cette assertion peut être aussitôt rejetée, puisque les enquêtes d'opinion montrent que le grand public américain est très mal informé sur les OGM. En effet, quand on demande aux consommateurs américains s’ils connaissent, parmi les produits de grande consommation, des aliments contenant des produits issus des biotechnologies modernes – puisque l’expression « OGM » n'est pas officiellement utilisée aux Etats-Unis –, environ 30 à 35 % répondent par l’affirmative, alors qu'ils devraient être 100 %. Quand on leur demande de citer les produits en question, la liste de ceux qu’ils citent spontanément est en grande partie fausse. On constate donc que les consommateurs sont très mal informés et quand on creuse un peu, on s’aperçoit que l’attitude des Américains n’est pas aussi différente qu’on le dit de celle des Français.

Il convient évidemment de rechercher une explication alternative. Après avoir établi une comparaison assez approfondie de la situation américaine, européenne et française, nous avons mis en évidence que le problème public ne se constitue pas du tout de la même façon dans les deux cas.

Je rappellerai très brièvement l’historique du débat sur les OGM. Ce sujet a certes été discuté à l’Assemblée nationale en 1992 dans le cadre de la loi sur la dissémination volontaire des OGM transposant la directive 90/220/CE. Mais jusqu’en 1996, on peut estimer que ce sujet n’a été débattu que dans un cercle très restreint : forums très spécialisés, Commission du génie biomoléculaire (CGB), Direction générale de l’alimentation (DGAL), presse spécialisée, un peu dans les organisations agricoles. Mais il n’y avait pas de débat réel sur les OGM dans les arènes publiques. Par exemple, les journalistes scientifiques des grands organes de presse s’y intéressaient assez peu et quand ils le faisaient, c’était surtout pour relater des nouveautés sur le plan scientifique, avec une attitude relativement positive. Le débat public intervient réellement en 1996 avec la crise de la vache folle, l’arrivée du soja transgénique en provenance des Etats-Unis dans les ports européens. Le quotidien Libération titre, le 1er novembre 1996, « Alerte au soja fou ». Le lien est donc très fort entre la crise de la vache folle et l’arrivée des OGM.

Depuis lors, le débat rebondit avec des thématiques qui prolifèrent. Un premier débat porte sur l’étiquetage, la ségrégation, la traçabilité, puis en 1997/1998, sur la question de l'évaluation des risques, le principe de précaution, la participation des profanes. Dès 1999, le débat s'amplifie avec la question de la dépendance des agriculteurs, du pouvoir de monopole des industries des sciences du vivant, des brevets du vivant, la question des pays en voie de développement. Ces différents points structurent la thématique des OGM, avec, notamment, l'implication de la Confédération paysanne et la campagne contre « la mal bouffe ».

Depuis 1999/2000, le débat se traduit par une contestation très forte du rôle de la recherche, notamment de la recherche publique, et par les interrogations sur la transparence et sur la question des essais au champ.

S’agissant de l’évolution du débat aux Etats-Unis, la différence forte est qu’un débat public important a eu lieu dans les années 80 sur les OGM, débat qui portait sur la façon dont il fallait évaluer les risques des OGM. Entre 1990 et 1998, s’écoule une période très calme correspondant à la phase de très forte diffusion des OGM. Déjà en 1998/99, on compte 20 ou 30 millions d’hectares de cultures OGM. Le décollage de la culture des OGM se situe ainsi dans une apparente absence de débat.

Puis en 1998/2000, le débat refait surface avec la question de l’étiquetage réimportée par Greenpeace aux Etats-Unis, à partir de l’expérience européenne. Greenpeace lance de grandes campagnes contre les entreprises agroalimentaires qui offrent le droit à l’information et au libre choix aux consommateurs européens, mais qui ne le font pas pour les consommateurs américains. En 1999/2000, plusieurs grandes industries de l’agroalimentaire déclarent qu'elles n’utiliseront pas d’OGM dans leurs produits alimentaires. A partir de 2000, on constate un revirement. On aurait pu supposer que la situation basculerait aux Etats-Unis, à l’image de ce qui s’est passé en Europe, mais cela n'a pas été le cas. C’est peut-être un point sur lequel il conviendra de revenir dans la discussion.

Les profils temporels de débat sont certes très différents mais quand on identifie les thèmes traités, on observe que ce sont les mêmes. Le débat sur les OGM comprend trois grandes thématiques :

– la question de l’étiquetage des produits contenant des OGM, question très liée à l’exigence du droit à l’information et à la liberté de choix du consommateur,

– le débat sur les OGM et les choix de développement économique, c’est-à-dire toutes les questions liées à la concentration de l’industrie, à la dépendance des agriculteurs, les enjeux des OGM pour les pays en voie de développement, la question des brevets, etc.

– les controverses sur le choix d’un cadre pour l’évaluation des risques.

Il faut noter qu’en matière d'étiquetage, les mêmes questions sont posées avec des arguments très proches par les groupes exigeant un étiquetage obligatoire des OGM. Mais le traitement de ces questions est tout à fait différent. En Europe, on se situe dans un cadre réglementaire définissant les OGM, sur la base des directives européennes 90/220/CE révisées par la directive 2001/18/CE. La définition du texte est d’ailleurs intéressante par sa référence à des méthodes qui ne sont pas naturelles : un OGM est « un organisme dont le matériel génétique a été modifié d’une manière qui ne s’effectue pas naturellement par multiplication et/ou par recombinaison naturelle ». En fait, il y a un accord très fort de l’ensemble des protagonistes en Europe pour un étiquetage obligatoire des OGM, avec un renforcement du cadre réglementaire.

Aux Etats-Unis, on retrouve des campagnes sur le même thème. Par exemple, « Pure food », un organisme américain très actif dans les campagnes anti-OGM, a diffusé sur son site Internet des photos traitant de la question de l'information. Les premières cibles des anti-OGM concernant l’étiquetage étaient les entreprises d'alimentation pour nourrissons, notamment Gerber, filiale du groupe de biotechnologie végétale et de pharmacie Syngenta-Novartis. La campagne a été très forte, mais avec un résultat tout à fait différent.

Sans entrer dans le détail du débat, un des points discutés a été le précédent de la somatotropine, cette hormone de croissance laitière utilisée aux Etats-Unis mais pas en Europe. L’Etat du Vermont avait introduit, dans sa réglementation, une obligation d’étiquetage du lait produit à partir de vaches traitées avec la somatotropine. Cette réglementation, contestée par les acteurs de la filière de production laitière, a été remise en cause par la cour fédérale. Au final, le Vermont a dû retirer cette réglementation. Ce précédent a donné lieu à un débat juridique très intensif sur ces questions de droit à l'information et d’étiquetage.

Ce sont les mêmes arguments qui sont repris dans le débat sur l’étiquetage des OGM : une logique réglementaire a fait ses preuves et il n’y a pas lieu d’en changer. Elle est fondée sur le consensus scientifique et pas du tout sur la politique. Les consommateurs américains ont accepté les biotechnologies et ceux qui ne les ont pas acceptées peuvent toujours consommer des produits d’agriculture biologique, puisque l’agriculture biologique n’introduit pas les OGM, même aux Etats-Unis, dans ses cahiers des charges.

L'argument fondamental est qu’une réglementation sur l'étiquetage serait sans doute excessive, non justifiée. Elle stigmatiserait mal à propos les OGM parce que non fondée sur des arguments purement scientifiques – ce que les Américains appellent la « sound science », pierre d’angle de toute l’institution réglementaire aux Etats-Unis – et de ce fait, irait à l'encontre de l’intérêt du public. Il est intéressant de voir que c'est l'intérêt du public qui est invoqué pour s’opposer à la réglementation des OGM.

Pour conclure sur cette comparaison, on constate que les Etats-Unis se distinguent très nettement de la France sur un certain nombre de thèmes similaires :

1. Le droit au choix et à l’information du consommateur fait l’objet, en France, d’un consensus très large, mais n’est pas reconnu aux Etats-Unis au titre d'utilité publique.

2. La question de l’absence de bénéfices est systématiquement débattue en France. Les OGM sont souvent considérés comme faisant courir un risque indu car non compensé par des bénéfices pour le consommateur ou l’environnement. Cette question de l’utilité des OGM aux Etats-Unis ne se pose pas du fait que l’agriculture américaine a un projet agro-exportateur et productiviste qui n’est pas remis en cause, alors que le projet productiviste de l'agriculture européenne l’est. C'est bien ce soutien fort pour une agriculture productiviste qui explique que la question de l'utilité ne se pose pas. Le fait que les « farmers » puissent trouver avec les OGM des moyens de production qu’ils estiment plus efficaces est considéré, en soi, comme un argument recevable.

3. En Europe, la question de la réglementation des OGM est structurée par la référence au principe de précaution. Elle comporte un apprentissage de ce qu’est l’incertitude dans l’espace public. L’accent est mis sur les moyens de biovigilance et de suivi, avec une expérimentation et de nouvelles formes d’expertises beaucoup plus ouvertes. C’est un aspect tout à fait nouveau en France, et plus globalement en Europe, alors qu'aux Etats-Unis, il y a plutôt un resserrement des instances et des débats autour de la référence à la « sound science » et de la question de l’indépendance des agences fédérales qui fonderaient leurs décisions sur les seuls arguments scientifiques.

Pour souligner le caractère paradoxal du débat public en France, j’ai dressé une liste rapide des débats et rapports sur les OGM – qui n’inclut ni le second rapport du sénateur Bizet ni le second rapport du député Le Déaut. Aucun sujet n'a fait l’objet d’autant d’attention de la part de différentes instances. Pourtant, lorsqu’on interroge nos concitoyens, on observe une réaction systématique d’incompréhension et de perplexité sur les OGM.

Le débat en France se situe dans des instances structurées, mais closes. De cela, découlent deux grandes faiblesses :

1. Un débat peu relayé par les grands médias comme la télévision,

2. Un débat qui peut donner l'impression d'être très peu lié à la prise de décision.

Ces deux faiblesses sont imbriquées car l’absence d’enjeux peut expliquer le désintérêt des médias.

En revanche, le débat sur la destruction des essais aux champs s'est amplifié depuis l’été 2001, après plusieurs actes de destruction. Cela correspond à une stratégie délibérée de mise en cause de la légitimité des OGM et de judiciarisation du débat. C’est aussi une stratégie assez efficace de captation d’audience via les médias.

Sur ce transparent qui présente des unes du journal Le Monde, il y a une référence assez systématique – ne serait-ce que par les dessins de Plantu ou de Sergueï – aux actions de destruction d’essais. Un des éléments qui enflamme le débat en 2001 est la révélation par l’Agence française de sécurité sanitaire des alimentaires (AFSSA) que les tests effectués sur des semences de maïs montrent que 40 % des échantillons contiennent des traces d’OGM. Puis il y a la déclaration du commissaire Byrne, selon laquelle il faut accepter les OGM parce qu’ils sont là, qu’ils s’imposent et qu’il n’y a pas le choix. C’est un des éléments qui a durci le débat, avec des campagnes très actives de destruction d’essais.

La morphologie elle-même du débat est très intéressante. Dans un premier temps, les essais aux champs suscitent un débat relativement spécialisé qui a lieu dans quelques arènes et qui porte sur des questions importantes, mais très ciblées, du type de la transparence. A partir de 1999/2003, le débat se situe dans ce que les politistes qualifient d’« espace public mosaïques », donc dans différentes arènes, impliquant des acteurs et des enjeux très hétérogènes. Les questions abordent les thèmes très variés : légitimité de la recherche lorsqu'elle est conduite dans l’espace social, responsabilité en cas de problèmes survenant lors de l’essai, contamination et coexistence de différentes formes d’agriculture, organisation de notre système démocratique, rôle de l’élu local par rapport aux administrations centrales dans la gestion de l’autorisation, mise en place et information sur les essais, etc. Il y a une prolifération des thèmes, des acteurs, des lieux de débat et des enjeux.

Il en ressort un débat extrêmement fragmenté et difficile à suivre. L’absence d’un véritable espace de délibération publique explique, en première analyse, cette situation paradoxale : des débats apparemment de plus en plus nombreux mais en même temps une augmentation de la perplexité du citoyen sur la question des OGM.

Un autre facteur est que, comme dans toute controverse sociotechnique, la controverse augmente l’incertitude et l’incertitude renforce la controverse. On a donc une sorte de cercle vicieux ou de spirale vertueuse, selon comment on se place, dont un des risques est d'arriver à une très forte politisation de la science, puisqu’on a une prolifération des énoncés « au nom » de la science. La mobilisation de l’autorité de la science n'est plus l'apanage des industriels ou de l'Etat. Il s’agit d’une ressource utilisée par l'ensemble des protagonistes. C’est un point fondamental dans ce débat. Il est important d’instituer des lieux de débats où l’ensemble des positions peut être pris en compte et discutées. La création des agences est une excellente chose car elle assure une plus grande indépendance de l’expertise tout en donnant les moyens d’une véritable transparence. Mais il nous manque tout de même le lieu de débat sur les enjeux socio-économiques des OGM. C’est une proposition récurrente de différents rapports officiels (par exemple, le fameux « 2ème cercle de l’expertise »). On ne peut que regretter qu’elle soit restée sans effet.

J’introduirai l’expérience conduite à l’INRA par une anecdote. En décembre 1999, le président de LVMH, M. Arnaut, s’arrête sur un titre du Canard enchaîné : « Des bulles transgéniques dans le champagne ». L’hebdomadaire satyrique se réfère à une expérimentation de porte-greffes de vignes transgéniques conduites à Epernay, dans les domaines de leur filiale Moet & Chandon. Aussitôt, il appelle les chercheurs, et l’essai est détruit ipso facto.

Cet essai résultait d'une collaboration entre les chercheurs de Moet &Chandon, l’INRA et le CNRS. La recherche était considérée comme très importante parce qu’on espérait qu’elle pourrait résoudre un certain nombre de problèmes liés à l’utilisation très intensive de produits phytosanitaires sur la vigne et de substituer à ces produits une génétique réputée plus douce. Moins d’une dizaine d'années plus tard, LVMH ne veut pas que son nom soit associé à ce type d’expérience.

Les chercheurs de LVMH se tournent donc vers l'INRA pour que l’institution reprenne ce matériel génétique et continue la recherche. La nouvelle directrice générale, Marion Guillou, nous demande en tant que sociologues de proposer une méthode de concertation sur cette question. Il va de soi que la question ne renvoie pas au seul problème de la prise de décision concernant la mise en place ou non de l’essai. Elle concerne un problème complexe imbriquant des aspects scientifiques, techniques, économiques, symboliques et socioculturels liés au vin. Chacun sait combien le monde du vin est structuré par des représentations s’inscrivant dans une tradition longue et complexe dans la société française.

Nous aurions pu utiliser la méthode de la « conférence citoyenne », utilisée en 1998 sur les OGM, mais nous avons préféré la méthode d’« évaluation technologie interactive » inventée aux Pays-Bas. Au lieu de constituer un groupe de « profanes », comme pour la conférence citoyenne, on constitue un groupe hybride d'une quinzaine de personnes choisies pour la diversité des visions du monde qu’elles représentent. Ce groupe comprend des personnes favorables aux OGM, d’autres hostiles aux OGM, d’autres qui sont neutres. La sélection de ces personnes, après une enquête menée auprès d’une centaine d’individus, s’est faite sur la base d’un certain nombre de critères qui nous semblaient importants pour la structuration de ces visions du monde. Le groupe comprenait six professionnels de la vigne et du vin – des viticulteurs et des techniciens des filières vitivinicoles –, quatre chercheurs de disciplines tout à fait différentes allant de la biologie moléculaire à l'amélioration des plantes en passant par la lutte contre les maladies phytosanitaires, et quatre « citoyens ordinaires ». Ce groupe, pendant six mois, a instruit le problème, délibéré, puis produit un rapport qui a été remis à la direction générale de l'INRA.

Pour nous, ce rapport est tout à fait éclairant. A partir de cette question très précise – « Est-il opportun ou non de faire cette expérimentation aux champs ? » –, le groupe a ouvert la délibération sur des questions extrêmement larges, en insistant beaucoup sur l’importance de la symbolique du vin.

Les membres du groupe se sont posé un grand nombre de questions :

– Comment la recherche définit-elle ses priorités et quelle est la logique d’orientation des choix de recherche ?

– Pourquoi la transgénèse ? Y a-t-il des alternatives à la transgénèse ou bien y a-t-il une mode du « tout OGM » qui fait qu’on ne pose plus la question et que, lorsqu’un problème survient, la seule façon de le résoudre passe par les OGM ?

– En prenant pour cible ce virus du court noué, n’est-on pas sur une course perdue d'avance car on s’intéresse systématiquement aux effets et non aux causes, c’est-à-dire à la nature des systèmes de culture qui provoquent des problèmes phytosanitaires ?

Le groupe nous a très clairement indiqué que les recherches de l’INRA sont peu lisibles. De l’extérieur, on ne comprend pas comment sont définies les priorités, pourquoi le choix a été fait de telle recherche plutôt que de telle autre, etc. Le lien établi entre les moyens investis dans la recherche et les grandes finalités ne ressort pas de façon suffisamment nette.

Par ailleurs, un accord très fort s’est dégagé sur le principe de parcimonie, lié à l’importance de la symbolique du vin. Pour ce groupe, le fait de travailler sur la vigne n’a pas les mêmes implications que de travailler sur le coton ou le colza. Avec la vigne, on se situe tout en haut d'une sorte d’échelle symbolique des plantes. Notre groupe a ajouté une « couche » au principe de parcimonie développé dans le cadre du débat dit des « 4 Sages » de février 2002. Selon ce principe, les expérimentations aux champs étant développées dans un espace social, il convient de ne pas y recourir pour répondre à des questions auxquelles il pourrait être répondu par des manipulations de laboratoire. Notre groupe a considéré que, dans le cadre de ce principe de parcimonie, il ne fallait pas travailler sur un produit tel que la vigne pour produire des connaissances que l’on pourrait produire en utilisant des plantes moins élevées dans l’échelle symbolique.

Sur les quatorze membres du groupe, douze se sont déclarés favorables à l’essai sous des conditions restrictives et deux défavorables, même sous ces conditions. Pour les premiers, la condition essentielle et revendiquée, était que l’accord donne pour la recherche ne puisse être considéré comme une carte blanche pour des autorisations commerciales. Les deux personnes défavorables se sont d’ailleurs opposées à ces essais pour cette raison : elles considéraient que l’INRA n’avait pas la capacité de donner cette garantie.

Le fond de la question débattue par le groupe était, en fait, de savoir s’il pourrait y avoir du vin transgénique à l’échéance concrète d’une vingtaine d’années, alors que la question posée était de savoir si l’on pouvait mener une expérimentation. La délibération s’est bien faite dans ce cadre-ci, mais deux membres du groupe ont considéré que la distinction était quasiment impossible, malgré la bonne volonté et les garanties de l’INRA, et que cet essai serait utilisé comme « cheval de Troie » pour faire entrer les OGM dans la vigne et le vin.

L’institution a donné des garanties et s’est engagée publiquement sur le fait qu'aucun travail visant à la commercialisation ne serait engagé sans consultation des instances professionnelles. Après la remise du rapport du groupe de travail, la direction de l’INRA a décidé de procéder à la demande d’autorisation d’un essai à Colmar. Elle a mis en place un comité local pour discuter le protocole de recherche. Ce comité local comprenait des représentants de différents syndicats agricoles, des représentants de l’interprofession vignes et vins en Alsace, des riverains et des membres d'associations. Les élus locaux étaient invités, mais n'ont pas siégé au comité, ce qui est regrettable.

Environ 50 % des propositions du protocole proviennent des discussions avec le comité, ce qui montre la richesse des discussions entre les membres du comité et les chercheurs. La CGB a ensuite donné un avis favorable. Depuis le mois de mai, nous sommes en attente de la décision du ministère. Les plantations qui auraient dû être faites cet été ou cet automne ne se feront pas, ce qui remet en cause à la fois l’essai lui-même et, plus globalement, cette opération, puisque ce cycle de délibérations publiques autour de cette question est rompu par le silence des ministères compétents. Il est important que je puisse émettre cette critique dans cette enceinte. Il ne s’agit pas de désigner une personne en particulier mais de montrer que le politique a beaucoup de difficultés à organiser une délibération ouverte sur ces questions.

En conclusion, considérer que nos concitoyens sont pour ou contre les OGM est une mauvaise introduction au sujet, comme le démontrent nos nombreux travaux. Considérer qu’une position contre les OGM s’explique par un manque d'information ou d’éducation est également une hypothèse infirmée par de nombreux travaux. Ce n’est pas un manque d’information ou d’éducation qui fait que les OGM constituent une préoccupation essentielle. Certaines oppositions très fortes sont exprimées par différents groupes, pour des raisons liées à la défense de leur identité et de leurs intérêts. Typiquement, la question posée est celle de l'agriculture biologique et des agriculteurs qui veulent faire de la qualité avec des labels non-OGM. L’enjeu de la coexistence des deux systèmes est très fort et présente d’importants problèmes qui ne sont pas réglés.

Comment les régler ? Depuis 2003, il existe des textes européens qui, comme la plupart des textes européens actuels, donnent des objectifs assez précis mais n’indiquent pas comment les atteindre. Il reste un gros travail qui, pour l’essentiel, relève des ministères techniques, mais qui renvoie également à des questions éminemment politiques. Par exemple, la solution allemande consiste à instaurer des distances entre les parcelles OGM et les parcelles non-OGM. Si, dans la réglementation, on introduit une distance de 200 mètres, cela a des implications très fortes, compte tenu de notre organisation parcellaire. Certaines décisions techniques renvoient donc à des questions politiques.

La question de la coexistence est tout à fait importante car, tant qu’elle n’est pas réglée, on ne dispose d’aucun moyen fiable garantissant à nos concitoyens le droit au libre choix et à l'information. La question de la responsabilité est également pendante depuis de nombreuses années et n’est toujours pas réglée. Celle des brevets sur le vivant est aussi très liée à ce débat et n’est pas non plus réglée de façon satisfaisante. Nous sommes actuellement – et heureusement – dans le processus de débat de la directive 98/44/CE, qui aurait dû commencer il y a six ans. Toutes ces questions sont essentielles et le fait qu’elles ne soient pas réglées empêche une évolution satisfaisante du débat public.

En conclusion, je reviens sur la notion d’espace public mosaïques et sur la complexité de l'espace public. Pour avoir une réelle délibération dans l’espace public, la solution est celle d'un débat au Parlement. Les initiatives qui seront prises dans le cadre de cette mission et la perspective de la loi à venir sur les OGM, sont porteuses de nombreux espoirs.

M. le Rapporteur : Je tiens à remercier M. Joly pour son exposé qui nous a présenté clairement une situation qui ne l’est pas.

Dans le cadre de votre exposé, vous avez déjà répondu en partie à un certain nombre de mes questions telles que lien entre les craintes d’une grande partie de la société vis-à-vis des OGM et l’insuffisante information du grand public.

J’en viens à une autre question. La différence d’attitude sur les OGM entre l’Europe et les Etats-Unis pourrait-elle s’expliquer par une acceptation inégale du risque, les sociétés européennes privilégiant la sécurité et le principe de précaution ? Sur ce point, je ne suis pas entièrement d’accord avec la réponse que vous avez donné. Vous avez évoqué l’affaire du sang contaminé en 1991, la crise de la vache folle en 1996. Je ne reviendrai pas sur ces deux événements car tout le monde conviendra qu’ils ont eu une très grande influence sur la suite de la discussion concernant les OGM. La mobilisation du mouvement associatif anti-OGM s’est intensifiée en 1999, des actions spectaculaires ont été menées par la Confédération paysanne puis, par ATTAC. Cette intensification explique-t-elle l'émergence tardive du débat sur les OGM en France, alors que ce débat demeure marginal aux Etats-Unis ?

Autre question : n’existe-t-il pas actuellement une différence de traitement par les médias américains et français du problème OGM, les uns considérant le problème comme circonscrit, les autres au contraire s’appuyant sur le principe de précaution ? Vous avez indiqué que les médias français ne se sont pas tellement emparés de la question des OGM. Or il suffit de lire la presse actuelle pour constater que ce n'est pas le cas. Les dernières actions menées par la Confédération paysanne, comme les destructions de cultures OGM auxquelles on a assisté pendant l’été, semblent avoir eu un effet contre-productif dans l’esprit des Français. Il y a eu aussi la réaction de nombreux chercheurs et de membres de la société civile. Ne pensez-vous pas que la surmédiatisation, dont ces actions de destruction ont fait l'objet, risque de produire un effet contraire à l'objectif recherché ?

Les sociétés européennes sont-elles aussi réceptives à l'argument de la dépendance économique selon lequel les OGM réduiraient les problèmes des pays en voie de développement qu’à l’argument des risques écologiques et sanitaires qui pourraient être liés à l’utilisation des OGM ?

Autre question peu évoquée : comment se déroule le débat sur les OGM en Grande-Bretagne, au Canada et maintenant en Espagne ?

Le problème des OGM semble, en France, dépasser les clivages politiques. En est-il de même aux Etats-Unis ? L'attitude contestataire française actuelle a-t-elle une influence sur l'attitude américaine ? Est-ce qu’aujourd’hui, on se dirige vers une contestation mondiale qui serait uniforme ?

N'y a-t-il pas, en France, une attitude consistant à développer la connaissance des risques potentiels au détriment de la connaissance des bienfaits que pourraient amener les OGM en matière de santé publique, par exemple pour l’hormone de croissance, l’insuline, les vaccins, le traitement des cancers, etc. ? Les cultures OGM ont-elles également fait l’objet d’actions de destruction dans d’autres pays comme les Etats-Unis, la Grande-Bretagne ou l'Espagne ?

Dernière question : une étude a-t-elle été réalisée sur l’origine sociale, politique, professionnelle des personnes contestant les OGM et de celles qui les acceptent ?

M. le Président : Si le rapporteur en est d’accord, nous allons faire un tour de table des questions, puis M. Joly nous présentera une synthèse.

Mme Chantal ROBIN-RODRIGO : Ma question concerne le fonctionnement de l'INRA par rapport aux OGM. On sait très bien que l'INRA possède des hectares de terrains, notamment à Montpellier, sur lesquels peuvent être menées des expérimentations. Dès lors, quel serait l’intérêt de l’instauration de cette distance de 200 mètres entre les plantations ? A Montpellier, vous avez largement ces 200 mètres, comme je suppose que c’est le cas dans d’autres centres du même type. Auquel cas pourquoi ces expérimentations sont-elles effectuées en plein champ, à côté d’autres cultures ?

Il me semble, en outre, que le problème majeur est que nos concitoyens ont été mis devant le fait accompli et que les élus locaux se révoltent de plus en plus, parce qu'on ne les informe pas des expérimentations en plein champ mises en place sur leur territoire. Au titre du principe de précaution, ils sont en droit de s’interroger sur ce que donneront ces expériences. Je n’aborderai même pas les problèmes liés à la pollinisation, dont on sait bien qu’ils existent. Nous avons déjà eu droit à l'histoire du nuage de Tchernobyl « qui n’a jamais passé la frontière… »

S’agissant des essais sur vignobles, j’aimerais savoir si l’autorisation dont vous avez parlé a été validée pour un essai sur un seul territoire de vignoble.

M. Pierre-Benoît JOLY : Pour répondre tout de suite à votre dernière question, cela concernait cinquante plans sur un terrain INRA à Colmar, en Alsace.

Mme Chantal ROBIN-RODRIGO : Je conclurai sur cette dernière question. Tous les scientifiques sont-ils d’accord sur ces essais en plein champ ? Je connais déjà la réponse, puisque je connais certains scientifiques, mais j’aimerais que vous le précisiez devant la mission.

M. le Président : Avant de donner la parole à mes collègues pour d’autres questions, je rappelle que M. Pierre-Benoît Joly a été invité par notre mission en tant que sociologue. L’objet de son audition était de dresser le tableau de la situation de manière objective.

M. Pierre-Benoît JOLY : Je peux répondre à la question de Mme Robin-Rodrigo, mais je ne représente pas l'INRA.

M. François GUILLAUME : Sur ces sujets sensibles, on assiste à la fois à une désinformation et à une politisation véhiculées par la presse. Je prends pour exemple la situation que nous avions connue avec les hormones. L’information, d’ailleurs connue des scientifiques dès le départ, était que les hormones naturelles ne présentaient aucun danger, tandis qu’un certain nombre d’hormones de synthèse devaient être proscrites et d’ailleurs l'étaient…

On peut citer un autre débat, encore vif actuellement, portant sur deux produits utilisés par les agriculteurs, le Régent et le Gaucho. Aujourd’hui, on constate que ces produits ne sont finalement pas responsables de la disparition d'un certain nombre de ruches dans le pays. Moi qui suis agriculteur, j’ai eu un champ de tournesols traités pendant plusieurs années successives au Gaucho. Les ruches qui se trouvaient à proximité n’ont connu aucun problème, même si le miel produit est davantage un miel de transformation que de dégustation.

Aujourd'hui, on constate qu’il n’y a aucun lien entre l’utilisation de ces produits phytosanitaires et la disparition des abeilles. Un seul journal a donné une information convenable sur le sujet, mais elle est restée relativement discrète et n’a été reprise par aucun des autres médias. Dans cet article, il était dit que les apiculteurs étaient productivistes et que, par ailleurs, les souches en provenance des Etats-Unis étaient moins agressives et résistantes, etc. C’est le même problème que l’on rencontre aujourd’hui en France, avec l’information sur les OGM.

Ma question est la suivante : comment dresser un vrai bilan de l’intérêt des OGM ? On sait que la presse, qui vend essentiellement plus de papier que d’information, a des clients en face d’elle et qu'elle doit aller dans leur sens, sinon l’information ne l’intéresse plus. Le premier bilan est une image réelle de la situation. On sait qu’aux Etats-Unis, 80 % du maïs sont issus d’OGM, de même que le coton et on compte sur la planète 70 millions d'hectares de cultures d’OGM.

La deuxième préoccupation est l'intérêt humanitaire et économique des OGM pour les pays en développement qui connaissent des conditions de production très difficiles et aléatoires. Sur chaque hectare de maïs OGM par rapport à un maïs non-OGM, l’agriculteur gagne environ 76 euros l'hectare. Il ne faut donc pas s’étonner de l’ouverture des marchés. Nos semenciers sont dans une situation difficile face à la concurrence. Limagrain est implanté dans d'autres pays du monde où il est possible de développer les OGM sans problème.

Il ne faut pas non plus oublier les bienfaits médicaux à tirer des OGM.

Certes, il existe un problème de biodiversité, mais nous le connaissons déjà avec les croisements. C’est pourquoi des vergers conservatoires ont été mis en place pour protéger les essences premières.

En face des inconvénients présentés, il conviendrait de montrer les avantages car, dans toute découverte, il n'y a pas que des inconvénients. Face à ces difficultés nouvelles, comment faire pour éviter, voire limiter, les incidences négatives du développement des OGM ?

M. André CHASSAIGNE : Je poserai deux questions. Tout d’abord, on ressent une inquiétude très forte dans ce pays qui se traduit notamment par la mise en cause de la recherche. Que pensez–vous de l'impact, dans l’opinion publique, de cette mise en cause alors que la recherche était, jusqu’à présent, un secteur respecté à qui l’on attribuait une éthique très forte ? J’aimerais connaître votre sentiment sur la gravité de cette question.

Par ailleurs, pensez-vous que le débat est véritablement faussé par les « fonds de commerce » politiques qui mettent parfois en exergue des interrogations en décalage avec la réalité ?

M. Pierre COHEN : En prolongement de cette question, vous avez indiqué que le sujet des OGM est celui qui fait le plus l’objet de réflexions et de débats en vase clos. Comme le rappelait Mme Robin-Rodrigo, l'Etat a une certaine part de responsabilités dans cette situation. Alors que des procédures d’autorisation ont été mises en place par les pouvoirs publics pour les expérimentations en plein champ, pourquoi les personnes concernées, notamment les maires, n'ont-elles pas accès à cette information ?

Le deuxième point rejoint le propos de mon collègue Guillaume sur le principe de précaution, mais sous un autre angle. S’il y a un risque, la précaution n'est pas d’arrêter, mais de mettre encore plus de moyens pour déterminer si ce risque est réel ou pas, puis d’entamer un vrai débat pour mettre fin à la confusion qui caractérise le débat. Il s’agit de faire la différence entre les connaissances et l’utilisation d’un certain nombre de ces connaissances pour développer des techniques qui conduiraient à une autre vision économique de la production mais aussi de la façon dont on peut organiser l’alimentation du monde dans les années à venir.

Au-delà, il est également nécessaire d’engager un vrai débat politique et de faire un choix, la question étant de savoir si l’on a assez de connaissances pour le faire. Lorsque je discute avec les chercheurs de l'INRA, ceux que je connais estiment qu’ils ont assez de connaissances et sont sereins.

M. Louis GUÉDON : J'aurais tendance à simplifier le débat : il faut déterminer les avantages et les inconvénients des OGM.

Les avantages qui militent en faveur des OGM sont des rendements très importants, une diminution des coûts de production, la possibilité de nourrir la planète affamée, la résistance des plantes à certaines maladies et donc l’absence de traitements onéreux.

L’inconvénient majeur est le principe de précaution. Comme l’a rappelé M. Guillaume, nous avons connu le veau aux hormones, la vache folle, etc. Nous voulons savoir si, en touchant au vivant par des mutations génétiques, l’OGM va être métabolisé par l’organisme donc détruit, ou bien s’il va agir sur le vivant de celui qui va l’ingérer.

Dans ce débat, quels que soient les aspects sociologiques, l’importance de l’enjeu est telle que la réponse ne sera vraiment donnée que par le débat scientifique et la recherche. Le débat politique doit coller à la recherche et exiger que celle-ci donne des réponses précises, comme nous l’avons vu dans les avancées médicales importantes. Si les grandes épidémies ont été éradiquées dans le monde, c’est parce que la vaccination a été autorisée, mais seulement lorsqu’on a été certain du résultat sur le plan scientifique.

Pour l’anecdote, quand autrefois la vaccine se faisait de bras à bras, je vous rappelle que le collège des Oiseaux et ces demoiselles de la bonne société ont toutes eu la vérole parce que le sergent de la légion, qui était venu avec sa vaccine, était lui-même syphilitique. C’est une bonne histoire que l’on se raconte entre immunologistes, 150 ans plus tard. Pour conclure, quelle est votre position dans ce débat, car n’est-ce pas à la science de donner la réponse devant laquelle nous devons nous incliner.

M. Jean PRORIOL : Je souhaite poser deux questions. Tout d’abord, je suis frappé sur le plan sociologique, pour la frilosité de la communauté scientifique. Vous dites qu'elle a des certitudes mais elle ne les exprime pas et elle refuse quelque peu le débat médiatique. On peut accuser l’Etat, les élus, les multinationales mais, à cet égard, peut-être faut-il remonter à la communauté scientifique qui a aussi des devoirs d’information ? On nous dit qu'elle est plutôt favorable dans son ensemble mais jamais elle ne l'exprime de façon nette et précise, ou pas assez à notre sens, ce qui fausse le débat.

Toujours sur le plan sociologique, en tant qu’élus, nous recevons un certain nombre de lettres ayant pour objet les essais. Avez-vous effectué un recensement de ces documents dont je vous donne un aperçu : « Madame, monsieur le maire, mesdames et messieurs les conseillers municipaux, je vous invite à prendre, sur un modèle de délibération, des délibérations de votre conseil municipal : Article unique : le conseil invite l’Etat à prendre en compte l’intérêt de la santé et nous demandons au conseil municipal d’interdire tout essai. » Ces courriers sont signés par les « associations partenaires » – les Amis de la Terre France, Greenpeace, Agir, Attac, etc. – mais sont anonymes. Comment analysez-vous cela ? Avez-vous recensé le nombre de délibérations prises et quelle valeur leur accordez-vous ?

M. le Président : Je vais ajouter quelques questions. Pourquoi le débat de 1992 à l'Assemblée nationale, préparé par le rapport Chevalier, s'est-il passé dans l’indifférence générale ? Pourquoi Greenpeace, les Amis de la Terre, France Nature Environnement n'ont-ils pas réagi ? Les seuls à l’avoir fait étaient des scientifiques qui avaient fait circuler une pétition disant que l’on bridait totalement la recherche.

Au niveau sociologique, l’expérimentation en champs ouverts, dans un espace dit public, vous apparaît-elle nécessaire ? Je lie ma question à celle de notre collègue Chassaigne.

Par ailleurs, on voit apparaître aujourd’hui, dans le cahier des charges de l’agriculture biologique, une agriculture non-OGM. Quand cette clause est-elle apparue dans l’agriculture biologique ? Qui a souhaité l'introduire et lier ce label de qualité à l’absence totale d’OGM ?

Vous me citiez tout à l'heure pour dire que l’Amérique n’est pas l’Europe, et vous disiez inversement que l’Europe n’est pas l’Amérique. Vous avez expliqué les différences d’un point de vue sociologique. Je pense qu’en Europe, on assiste à une guerre entre des lobbies industriels d’un côté et des lobbies anti-OGM de l’autre, qui, par idéologie, imposent chaque fois des conditions nouvelles. La bataille d'hier était l'expérimentation en plein champ, celle de demain sera l’étiquetage d'animaux ayant consommé des végétaux fabriqués par des techniques OGM. On me répond que non à Bruxelles, néanmoins je sens venir une nouvelle revendication. Cette longue suite de revendications n’est-elle pas la preuve d'un mouvement très organisé ?

Vous avez indiqué qu’il y avait sans doute un manque d’information et d’éducation. Pour ma part, je pense qu’il s’agit d’un argument de personne éduquée. Comment des évaluations sérieusement effectuées en milieux clos peuvent-elles lutter contre des actions surmédiatisées ?

M. Pierre-Benoît JOLY : Comme me l’a proposé M. le Président, je vais tenter de faire une synthèse. En préliminaire, je peux dire que toutes ces questions me semblent très pertinentes mais très vastes. Si jamais j'omets de répondre à certaines d'entre elles, je me tiens à la disposition de la mission pour lui transmettre un rapport écrit.

Concernant les questions de M. Guillaume qui renvoient à la question du Rapporteur sur des comparaisons internationales, il faut citer l’expérience très intéressante de la Grande-Bretagne qui a organisé un grand débat national sur les OGM. Cette expérience s’est déroulée en 2002, 2003, voire 2004 et s’est traduite par plusieurs rapports faisant le point sur les avantages et les inconvénients des OGM et sur la manière dont on peut mesurer les risques. Le dossier est très fouillé sur le plan scientifique et économique et comporte les résultats d'une expérience très originale, menée en Grande-Bretagne, sur l'effet de la culture d’OGM sur la biodiversité.

Il sera très important pour la mission de prendre connaissance à la fois des rapports et de l’expérience de ce grand débat public, puisque des dizaines de milliers de personnes ont été convoquées pour des débats locaux. Je pourrai vous communiquer le nom de collègues sociologues qui travaillent sur cette expérience et qui pourront vous donner toute l’information pertinente. Sur les sites Internet dont je vous donnerai les noms, vous pouvez récupérer les rapports ainsi qu’une analyse du déroulement de ces débats et de son impact dans l'espace public.

La FAO1 a récemment publié un rapport très intéressant sur les intérêts humanitaires des OGM. Ce rapport conduit à renvoyer dos à dos les pro et les anti. En effet, les OGM, à court terme, ne sont pas la solution pour éradiquer la faim dans le monde car il s’agit d’un problème de répartition de la richesse. Marcel Mazoyer a coutume de dire que, sur les 800 millions d’hommes qui souffrent de la faim, environ 600 millions sont des paysans désargentés. C’est là qu’il faut intervenir et ce problème ne sera pas résolu avec les cultures d’OGM. Ce rapport de la FAO indique aussi que, à vingt ou trente ans, l’utilisation de la biologie et de la génétique moderne, et pas seulement les OGM, apportera une contribution majeure à la production agricole. La génomique comporte en effet des enjeux extrêmement importants.

Vous m'avez également questionné sur la communauté des chercheurs. Je comprends à la fois vos questions et vos inquiétudes. De nombreux chercheurs, très impliqués dans les recherches pointues en biologie moléculaire, ont vu d’un très mauvais œil, dans les années 90, les premières diffusions de cultures d’OGM qu’ils qualifiaient de « brouillons ». Pour eux, ces cultures n’avaient pas d’intérêt économique évident et elles posaient des problèmes qu'on ne savait pas analyser et résoudre. Par exemple, on utilisait alors des gènes marqueurs de résistance aux antibiotiques qui ont été par la suite interdits en Europe. Il y avait aussi le problème des flux de gènes et la question complexe de la dynamique des agrosystèmes dont les effets secondaires peuvent rendre inefficace un produit très efficace. Quand les promoteurs de la bio-industrie et des OGM ont fait pression, dans les années 80, de nombreux chercheurs ont redouté les effets, dans l’espace public, d’une promotion jugée trop précoce.

Aussi, le débat est historiquement marqué par une certaine suspicion à l’égard des OGM. J’adhère à votre position consistant à essayer de montrer quels sont les vrais enjeux. Ce n'est pas simple car le débat se développe avec sa propre dynamique et il est vrai qu’il y a des « fonds de commerce » installés sur lesquels je n'ai pas de jugement moral. Ils existent et quand je dis que le débat est en fait un « espace public mosaïques » avec des acteurs très hétérogènes défendant des enjeux hétérogènes, c'est une façon un peu plus éthérée de dire qu'il y a des fonds de commerce. Ces derniers continueront car il y a des relais, des habitudes. Je discute beaucoup avec les journalistes scientifiques. Ils sont très inquiets et partagent tout à fait votre critique sur la façon dont les médias traitent le sujet. Les discussions sont très dures au sein de l’association des journalistes scientifiques et il ne leur est pas du tout facile d’instruire ce dossier.

M. le Rapporteur, vous m'avez interrogé sur les influences réciproques entre l’Europe et les Etats-Unis. Pour ma part, le scénario auquel je souscrirais le plus est celui de l’organisation de la coexistence entre deux systèmes qui vivent sur des valeurs et des normes de fonctionnement différentes. Aux Etats-Unis, le choix a été fait de ne pas étiqueter les OGM. Il y a beaucoup de discussions à ce sujet, y compris de nombreux projets de lois d’origine démocrate et républicaine. Je ne sais pas, avec l’évolution de la situation politique des Etats-Unis, si aujourd’hui on va vers un clivage démocrate/républicain sur ces questions. Il est vrai que sur certains sujets, comme le changement climatique et les cellules souches, on peut voir des différences fortes entre les deux partis, et l'administration Bush a montré à plusieurs reprises qu’elle prenait des décisions allant à l’encontre de la communauté scientifique.

M. le Président : Elle a toutefois fait progresser les fonds du NIH2, par exemple.

M. Pierre-Benoît JOLY : Certes, mais c'est autant le fait du Congrès que celui de l'administration. Sans aller plus loin dans ces considérations, il me semble que les clivages politiques autour de la question des OGM ne sont pas très différents. Il y a une forte adhésion à l'utilisation des OGM chez les démocrates comme chez les républicains. La pierre de touche sera donc l'organisation de la coexistence de deux systèmes différents.

L'enjeu se noue autour du protocole de Carthagène, qui est la reconnaissance des positions européennes sur le plan international, c’est-à-dire les moyens d’identification des OGM dans les flux transfrontaliers. Une très large majorité de pays adhère au protocole de Carthagène qui reste à mettre en œuvre. Les Etats-Unis étant opposés à cet instrument, un rapport de force va se nouer. Cette question est actuellement devant l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Des mémorandums sont disponibles.

M. le Président : Dans le cadre de mon rapport sur les biotechnologies, j’ai également abordé ces questions. Aux Etats-Unis, lorsque j'ai posé la question du protocole de Carthagène, il m’a été répondu que le champ d’application de ce protocole était beaucoup plus étroit que le champ visé par l’OMC.

M. Pierre-Benoît JOLY : Je pourrais vous donner des informations à ce sujet. Le protocole de Carthagène vise les organismes vivants modifiés, soit un champ très large, mais il faudrait savoir précisément quel était le contexte de cette remarque.

Plusieurs questions concernaient les orientations de recherche et le fait qu'il puisse y avoir en Europe un déséquilibre entre les recherches consenties sur la question des risques et la question sur les bienfaits. Je crois qu'il faut sérier les problèmes. Tout d’abord, sur le plan informatif, l’Agence française de sécurité sanitaire et alimentaire (AFSSA) a produit récemment un document d’expertise collective faisant le point de ces questions, à partir de l'ensemble des connaissances et des positions établies sur ce sujet. En gros, on voit que l’utilisation des OGM présente des avantages potentiels en terme de santé, notamment liés au fait qu’on peut avoir moins de résidus de pesticides ou de mycotoxines. Cela commence à se savoir.

Mais cela ne concerne pas la production de protéines thérapeutiques via les plantes. Sur ce point, la communauté scientifique est au contraire très réservée, et la question a fait l’objet de beaucoup de discussions aux Etats-Unis. A mon avis, il y a plutôt un retour en arrière car si ces protéines thérapeutiques ont un effet très fort, le fait de les disséminer dans l’environnement, sachant comment se croisent les plantes, n'est pas forcément opportun.

M. le Président : Qui faudrait-il interroger sur le sujet des protéines végétales ?

M. Pierre-Benoît JOLY : Le professeur Fellous, président de la CGB, est le mieux à même de vous répondre. Je sais qu’il a exprimé plusieurs fois cette position en indiquant que l’on pouvait gérer les problèmes agroécologiques, mais que diffuser ce genre de gène dans l’environnement pouvait présenter des risques difficilement maîtrisables.

M. le Président : Il avait néanmoins autorisé Meristem Thérapeutics dans le Puy-de-Dôme à cultiver une plante qui produisait de la lipase pancréatique.

M. Pierre-Benoît JOLY : Je peux vous donner d'autres contacts. La revue Nature a commis plusieurs éditoriaux sur cette question.

S’agissant de l’équilibre entre le travail réalisé sur les risques et celui réalisé sur les bénéfices, je ne porterai aucun jugement de valeur. Je laisse le soin à la présidente de l’INRA, que vous auditionnerez, de vous répondre sur le fond.

Toutefois, du point de vue de la recherche, les questions posées par la controverse ont ouvert de nouveaux chantiers de recherche. La question d'une meilleure connaissance a priori des impacts des innovations agricoles est à poser. De plus en plus, l’agriculture ne sera légitime que si l’on corrige les effets des innovations après les avoir constatés et si tout est fait pour prévoir ces effets et en gérer au mieux les impacts socio-économiques et environnementaux. Il est clair que cela ouvre des champs de recherche très importants sur la modélisation agroécologique. La façon dont les chercheurs travaillent aujourd’hui sur la coexistence avec ce type de modélisation est une question très importante. Nous conduisons à l'INRA l'une des meilleures recherches sur ce point.

L'INRA – très clairement depuis la nomination du président Paillotin – considère qu’en tant qu’organisme de recherche publique, il a pour mission principale de fournir une expertise pour la décision publique. Lorsqu’il peut y avoir conflit d’intérêt entre sa mission d'innovation et sa mission d'expertise publique, c'est la dernière qui est privilégiée. C’est ainsi qu’à partir de 1996/1997, certaines recherches sur des plantes du colza résistant aux herbicides ont été arrêtées car on considérait que, tout en produisant dans le même temps les évaluations sur leurs effets environnementaux, ces recherches étaient contre productives pour l'INRA et pour l’instruction scientifique du dossier OGM.

On m’a demandé pourquoi, si les chercheurs sont tous d’accord, ils ne le font pas plus savoir ? Je peux vous assurer que nombreux ont été les chercheurs qui ont mouillé leur chemise pour aller au débat public. Il faut leur rendre justice car ils l’ont fait courageusement, avec un esprit d’ouverture au dialogue. Nous sommes vraiment très sollicités pour intervenir sur les OGM et si je répondais à toutes les sollicitations, il me faudrait faire une intervention par semaine. Je vais à la Confédération paysanne à Blois, puis j’ai une demande du Centre des jeunes agriculteurs dans la Vienne. Devant ces demandes, les chercheurs n’ont pas compté leur temps.

La question qui peut se poser est celle de l'institution qui ne renvoie pas un message lisible. Il me semble – mais c'est mon avis personnel – que c'est plutôt à l’AFSSA d'organiser ce type d’évaluation et non pas à l'INRA de prendre une position pour ou contre les OGM. D'ailleurs, dans la philosophie européenne sur les OGM, il ne s’agit pas de dire que l’on est pour ou contre, mais d’analyser les OGM au cas par cas et dans une situation donnée. Une variété intéressante aux Etats-Unis peut ne pas l’être en France, la prévalence de la pyrale n’étant pas la même, notre organisation parcellaire étant spécifique, les filières de qualité devant être défendues et l'association entre OGM et qualité pouvant poser problème, par exemple pour des producteurs de foie gras.

Dans le Sud-Ouest, par exemple, avec tous les labels qualité et les enjeux qui y sont liés, l'utilisation des OGM n'est pas évidente pour les producteurs eux-mêmes. C'est un choix économique dont ils doivent connaître toutes les données.

On pourrait aussi discuter de la transparence et du rôle des élus locaux. Nous sommes confrontés à une tradition d’absence de transparence. La notion de transparence commence difficilement à faire son chemin mais dans un contexte de très forte controverse. Les responsables de la DGAL sont, à juste titre, très clairs sur ce point : s’ils indiquent le lieu des essais, ceux-ci seront aussitôt détruits. L'apprentissage de la transparence est donc difficile. Par exemple, les responsables de Biogemma me disent que chaque fois qu’ils implantent un essai, ils organisent maintenant systématiquement des débats locaux, ce qui n’empêche pas les destructions. Passer d’un système relativement fermé et opaque, à un système beaucoup plus ouvert ne se fera pas ipso facto du jour au lendemain. Un certain nombre d’acteurs – on l’a dit – font des OGM leur fonds de commerce et il n’y a aucune raison pour qu’ils s’arrêtent. Il faudrait qu’une autorité reconnue s’exprime sur cette question. Mais cette autorité peut-elle provenir, comme autrefois, du scientifique qui monte à la tribune et impose son point de vue ? Je crois que cela n'a plus cours. Aujourd'hui, il faut des espaces légitimes et crédibles de construction de cette autorité.

C’est pourquoi le rôle de l’AFSSA est très important, car ce type d'agence est à même de produire cette parole avec une certaine autorité. Quant au travail que vous accomplissez, il est essentiel car la représentation nationale doit aussi s’exprimer sur ces questions.

M. le Rapporteur : Existe-t-il une étude sur l’origine sociale et professionnelle des « pour et contre » OGM ?

M. Pierre-Benoît JOLY : Les grands sondages d’opinion donnent des informations sur les personnes qui ont répondu. Il existe aussi des enquêtes plus microsociologiques. Par exemple, un rapport réalisé sur les profils des militants d'ATTAC et de la Confédération qui détruisent les essais, révèle qu’ils sont tout à fait différents. Au sein de la Confédération paysanne, on retrouve des personnes dont certaines ont de très bas revenus. Si l’on se réfère aux déclarations de revenus des paysans de la Confédération paysanne ayant détruit des essais, devant le tribunal, on observe que ceux-ci étaient systématiquement en dessous du SMIC. Une partie du débat se joue donc autour de personnes que l’on pourrait qualifier de « laissés-pour-compte de la modernisation ».

M. le Président : Pourriez-vous nous faire une petite note sur l'étude sociologique concernant les semences biologiques ? Quand vous concluez que ce n’est pas par manque d’éducation et d’information que certains sont contre les OGM, ne pensez-vous pas que cela peut-être dû aussi à une surmédiatisation ? En d’autres termes, la prise de position, aujourd’hui très tranchée, d'un certain nombre de personnes totalement opposé aux OGM, qui refusent l’expérimentation et demandent un étiquetage total, n'est-elle pas le fait, à un moment donné, d'une surmédiatisation d’un sujet qu’ils ne connaissent pas ? C’est une folie de dire que l’on est contre les OGM, il faut les examiner au cas par cas, et peut-être y en a-t-il des bons et des mauvais.

M. Pierre-Benoît JOLY : Je rappelle que, selon Pierre Bourdieu, l'opinion publique n'existe pas et que John Dewey, en 1927, considérait que, dans une société complexe, l’opinion publique est une notion insaisissable.

En tant que sociologue, je vous recommanderai d’être très attentifs à cette notion problématique et qui donne à voir des choses contradictoires. On fait souvent l’équivalent entre l’opinion publique et les sondages d’opinions, ce qui est, à mon sens, une erreur, un raccourci. On peut ainsi s’étonner de voir que 90 % sont contre les OGM, tout en étant contre José Bové qui détruit les essais.

M. Jean PRORIOL : Ils sont 70 %.

M. Pierre-Benoît JOLY : Certes, on peut avoir 74, 80 ou 85 %, mais cela dépend aussi de la façon dont est posée la question. Il y a plus de sondages d’opinion sur les OGM que de débats sur les OGM.

Vous avez raison de dire que des positions s’expriment et sont reprises dans l’espace public. Pour un certain nombre d’acteurs, il est clair que le sujet OGM est un moyen de faire pression sur d'autres dossiers, mais c’est quelque chose de classique. Par ailleurs, il ne faut pas confondre un sondage d’opinion avec l'opinion au sens « perception » et « attitudes » de nos concitoyens. Tous les travaux que nous avons réalisés à partir des méthodes de « focus group » montrent que le fait de poser la question « pour ou contre » n'est pas pertinent.

S’agissant des relations entre la science et la société, il convient, là aussi, de bien sérier les problèmes. Quand on interroge les citoyens sur leur attitude vis-à-vis de la science, la réponse est très majoritairement positive. Il y a une différence entre l’opinion vis-à-vis de la science et l’opinion vis-à-vis de certaines applications et technologies. On constate une plus grande vigilance vis-à-vis de la science lorsqu’elle s’exprime dans ces domaines. Il faut être très prudent lorsque l’on dit que la population tourne le dos à la science.

S’agissant de l'INRA, et cela répond un peu à vos questions, il y a plusieurs fondamentaux sur lesquels l’institut est conduit à réfléchir. Sa mission première est de produire de la connaissance. Si des expérimentations aux champs pour produire de la connaissance sont nécessaires, il convient d’expliquer pourquoi, même si certains leaders d’opinion sont opposés à cette position. Il faut défendre cette position, mais en l'explicitant dans le débat public. A cet égard, les positions de l’INRA sont très claires : parce que nous sommes un institut de recherche agronomique et que nos recherches n'ont pas vocation à rester dans le milieu confiné des laboratoires, nos recherches ne peuvent pas être pertinentes sans expérimentations au champ. Il convient d’appliquer le principe de parcimonie et de prendre toutes les précautions nécessaires mais, dans de nombreux cas, l’expérimentation s’avère incontournable. Cette position a été réaffirmée publiquement à différentes occasions.

M. le Président : Je vous remercie pour toutes ces informations.

Audition de M. François HERVIEU,
chargé d’études à la Direction générale de l’alimentation du ministère de l’agriculture, de l’alimentation, de la pêche et des affaires rurales


(extrait du procès-verbal de la séance du 10 novembre 2004)

Présidence de M. Jean-Yves LE DÉAUT, Président

M. le Président : Nous accueillons aujourd’hui M. François Hervieu, chargé d’études à la Direction générale de l’alimentation (DGAL) auprès du ministre de l’agriculture, qui va nous faire une présentation des OGM, sous l’angle juridique, après quoi nous procéderons à l’échange habituel de questions/réponses.

M. François HERVIEU : Je suis ingénieur du génie rural des eaux et forêts et universitaire, titulaire d’un doctorat en sciences de l'université Paris 11. J’exerce actuellement les fonctions de coordinateur national du contrôle et de la biovigilance en matière d’OGM pour le compte du ministère de l’agriculture. Pendant quatre ans, j’ai rempli les fonctions de secrétaire de la Commission du génie biomoléculaire.

J'ai une vision assez générale de la thématique puisque j’étais en poste sur des dossiers relevant de l’évaluation des risques et que j’exerce désormais des missions de gestion du risque, de contrôle et de surveillance biologique du territoire.

Je vous propose de faire un tour d’horizon rapide de la réglementation et d’abord, de reprendre les éléments de contexte historique nécessaires à la compréhension de la législation actuelle.

Je rappellerai quelques dates clés de l'histoire scientifique depuis la découverte de l’ADN et de sa fonction : les premiers OGM ont été obtenus entre 1973 et 1981, en 1973 pour les bactéries, en 1981 pour les animaux et en 1983 pour les plantes.

Au cours de cette évolution scientifique et technique, on constate qu’une partie de la communauté scientifique prend conscience, dès 1975, de l’enjeu de ces technologies. Emerge alors le souci de mettre en place une instance régulatrice au niveau international pour encadrer le développement de technologies, dont l’immense potentiel peut engendrer des actes de malveillance dans le développement de certains types de produits.

Dès le début des années 80, notamment sous l'égide de l'OCDE, se développe une démarche de construction réglementaire, puis l’installation d’une réglementation spécifique des OGM aux Etats-Unis. En France, notre système est un peu hybride puisque les OGM ne font pas l’objet d’un dispositif juridique formel, mais plutôt d’un encadrement à caractère volontaire, avec la création de la Commission du génie génétique, première commission consultative dont la vocation concerne essentiellement les micro-organismes.

Cette démarche sera poursuivie, au niveau national, par la constitution, en 1986, de la Commission du génie biomoléculaire qui va traiter, à la différence de la première commission, de l'impact des OGM sur l'environnement et des risques liés à la dissémination. A la même époque, a lieu la première dissémination volontaire d’OGM en France. Cet exemple français sera largement utilisé, puisque les deux directives adoptées en 1990 s’inspirent des grands principes établis en France. Ces deux directives ont deux vocations distinctes :

– La première concerne l'utilisation des OGM en milieu confiné. Elle n’encadre que les micro-organismes génétiquement modifiés et conduit à l’obtention d'agréments d’utilisation en milieux confinés. La loi française de transposition de la directive a élargi sa portée à l’ensemble des OGM utilisés en milieu confiné.

– La seconde directive cadre, 90/220/CE, concerne la dissémination volontaire dans l'environnement, par opposition à l’utilisation en milieu confiné, et permet l’obtention d’autorisations de disséminations volontaires d’OGM dans l'environnement. Elle ne concerne que les OGM, mais tout type d’OGM et quel que soit le secteur d’activité.

Cette directive générale avait vocation à disparaître pour être progressivement remplacée par d’autres textes sectoriels. En 1993, est adopté un règlement communautaire encadrant la mise sur le marché des médicaments et des médicaments vétérinaires. Ce règlement ne porte que sur le dispositif de mise sur le marché qui est centralisé au sein d’une agence européenne d’évaluation et d’encadrement de la mise sur le marché des médicaments et des médicaments vétérinaires.

Cette démarche de sectorialisation se poursuit avec, en 1997, l’adoption du règlement appelé « Novel food », qui englobe l’ensemble des ingrédients alimentaires et les produits destinés à la consommation humaine, quels qu’ils soient, y compris les OGM. Elle prend en compte tout type de nouvel ingrédient. Est considéré comme « nouvel ingrédient », tout produit n’ayant pas un long historique d’utilisation sûre sur le territoire de l’Union européenne. Cela peut également concerner les fruits exotiques nouvellement introduits sur le territoire de l’Union.

Dès l’origine, avait également été adopté le principe d’un calendrier de révision fixé à dix ans. En conséquence, la directive 90/219/CE est modifiée en 1998 dans le sens d'une simplification des procédures, ce qui conduit à la directive 98/81/CE et, en 1997, est engagé le travail de révision de la directive 90/220/CE qui se traduit par l’adoption, en 2001, de la directive 2001/18/CE. Aucune modification n’est apportée aux principes généraux. L'objectif principal est maintenu d’assurer un haut niveau de protection de l’environnement et de la santé publique – deux aspects intimement liés – et cet objectif sera conservé dans toutes les législations qui seront adoptées à partir de 1990 jusqu’à nos jours.

Un autre objectif est l’harmonisation des législations au niveau communautaire, dans le cadre du marché intérieur. Le principe général est de subordonner toute utilisation d’OGM, en milieu confiné ou dans le cadre d’une dissémination volontaire dans l’environnement, à une autorisation préalable, laquelle ne peut reposer que sur une évaluation rigoureuse du risque pour la santé publique et l’environnement.

La directive 2001/18/CE n'a pas modifié substantiellement les définitions que proposait déjà la directive 90/220/CE. Il s'agit d'encadrer une certaine catégorie de produits et d'organismes, un « organisme » étant pris comme étant celui qui est capable de se multiplier, de se reproduire et de transférer son patrimoine génétique. Cet organisme est obtenu selon des méthodes très particulières définies par la législation.

La dissémination volontaire, par opposition à l’utilisation en milieu confiné, concerne une introduction intentionnelle dans l'environnement sans mesure de confinement. Des nuances sont possibles mais la différence importante entre les deux concepts est explicite.

La mise sur le marché est définie comme la mise d’un produit à disposition d’un produit, à titre gracieux ou onéreux. La mise à disposition d’organismes génétiquement modifiés à des fins de recherche sous couvert d’une autorisation délivrée dans le cadre de la partie B de la directive 2001/18/CE ou d’un agrément d’utilisation en milieu confiné en application de la directive 90/219/CE n’est pas considérée comme une mise sur le marché.

Pour l'évaluation des risques, un ensemble de textes et de documents obligatoires est prévu qui, par exemple, imposent aux opérateurs de répondre à un ensemble de questions pour que l’évaluation du risque soit la plus complète et la plus rigoureuse possible.

A cet égard, la directive 2001/18/CE apporte une définition plus précise de ce que l’on entend par « évaluation du risque » en indiquant qu’elle doit concerner des effets directs et indirects, immédiats ou différés, alors qu’auparavant, l’évaluation devait être « complète et rigoureuse ».

S’agissant des techniques conduisant à la création d’OGM au sens de la directive – car certains OGM ne sont pas couverts par la directive – il s’agit de l’ensemble des techniques classées dans la catégorie des techniques du génie génétique : la transgénèse, la fusion de cellules distinctes, éloignées phylogénétiquement et l’introduction d'une particule d’ADN dans une autre cellule.

Sont exclus de cette directive, tous les organismes obtenus par mutagenèse, puisque celle-ci peut survenir naturellement, ainsi que la fusion de cellules correspondant à des cellules relativement proches phylogénétiquement.

En conséquence, la directive 2001/18/CE, comme la directive 90/220/CE, concernent tout type de produit OGM, mais ne couvrent pas les produits dérivés. Par exemple, elles n’ont pas vocation à encadrer la mise sur le marché d’une huile de colza génétiquement modifiée.

Quels sont les apports de la nouvelle directive 2001/18/CE par rapport aux dispositions antérieurement en vigueur ?

Les objectifs, définis par la directive, sont plus précis et mieux encadrés. Celle-ci présente une formalisation plus claire de l’évaluation du risque, notamment à travers l’ensemble des documents d’accompagnement de la demande d’autorisation de dissémination volontaire. Elle prévoit également une information et une consultation du public, avec des dispositions précises pour chaque type de disséminations envisageables.

La directive 2001/18/CE, à la différence de la directive 90/220/CE, encadre précisément toutes les étapes des procédures d’autorisation y compris celles qui relèvent de la compétence de la Commission en fixant par des délais précis.

La directive impose également une surveillance biologique du territoire, sur initiative française d’ailleurs, car la France avait déjà adopté des dispositions précises en matière de surveillance biologique des effets non intentionnels liés aux OGM, dans la loi d'orientation agricole de 1999.

Elle prévoit – et c'est une prémisse des futures législations – des dispositions précises en matière de traçabilité, d’étiquetage et de seuils de tolérance, ces derniers déclenchant les obligations de traçabilité et d’étiquetage. S’agissant des seuils, il reste toutefois à définir, au niveau communautaire, ceux qu’il faut appliquer aux semences. Le débat n’est donc pas clos.

La directive 2001/18/CE comme la directive 90/220/CE distingue deux types de disséminations volontaires d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement, le premier pour des disséminations à des fins de recherche et de développement (partie B de la directive) et la seconde à des fins de mise sur le marché.

Les deux types de dissémination font l’objet de procédures d’autorisation distinctes.

S’agissant des disséminations à des fins de recherche et de développement la procédure d’autorisation est subsidiarisée et est de la seule compétence de l’Etat membre, concerné par la dissémination en question. Chacun des Etats membres est néanmoins tenu d’informer les autres Etats membres et la Commission des disséminations qui sont autorisés sur leur territoire national.

En ce qui concerne la mise sur le marché d’un OGM, la procédure d’autorisation se déroule en deux temps, le premier comporte une étape d’évaluation initiale des risques conduite par les instances nationales désignées par l’Autorité nationale choisie par le demandeur. Suivant le principe « d’une porte une clé » le demandeur peut déposer une demande d’autorisation dans l’un ou l’autre des 25 Etats-membres pour obtenir une autorisation valable sur l’ensemble du territoire de l’Union européenne.

Dans un deuxième temps, les autres Etats membres sont consultés sur la demande et invités à faire part de leurs commentaires ou objection sur les conclusions du demandeur et de l’Etat membre rapporteur sur l’évaluation des risques que peut présenter l’OGM. S’ouvre ainsi la seconde étape de la procédure d’autorisation qui est du niveau communautaire et dans laquelle l’Autorité européenne de sécurité alimentaire est également consultée.

Dans le cadre des mises sur le marché, l’information et la consultation du public sont opérées par la Commission. A cette fin, celle-ci a ouvert un portail électronique à partir duquel le public peut retrouver la liste des dossiers de demande d’autorisation, un résumé de chaque dossier et les conclusions des autorités nationales sur la demande de mise sur le marché. Le rapport d'évaluation est présenté sur ce portail et le public peut faire part de ses commentaires. Il s’agit donc d’une procédure nationale puis communautaire et, en aucun cas, un Etat membre ne peut autoriser une mise sur le marché de façon unilatérale.

Concrètement, pour une dissémination volontaire dans l'environnement, l’opérateur dépose une demande auprès d’un Etat rapporteur. Celle-ci prend la forme d’un dossier complet comportant des aspects administratifs et scientifiques répondant à un ensemble d’exigences définies par la directive. Ce dossier fait l'objet d’un examen préliminaire par l’autorité nationale qui en accuse réception et informe immédiatement les autorités des autres Etats membres ainsi que la Commission du dépôt de ce dossier. Cette autorité nationale engage une procédure d’évaluation du risque, selon les modalités qui lui appartiennent. En effet, il existe un certain niveau de subsidiarité dans la mécanique d’évaluation du risque, ce qui permet à chacun des Etats membres de définir la façon la plus appropriée de mettre en œuvre cette évaluation du risque.

Cette évaluation débouche sur un avis, puis sur un rapport par lequel l’Etat membre prend position sur la demande et transmet ses conclusions au niveau communautaire, que la décision soit favorable ou défavorable. Si elle est favorable, l’Etat membre doit également définir les conditions de mise en marché qu'il estime acceptables.

S’ouvre alors une procédure communautaire relativement longue et encadrée. Il y a d’abord une consultation qui va durer 60 jours, au cours de laquelle, l’Etat membre peut faire part de ses objections et de ses commentaires. Une solution sera recherchée aux problèmes posés, en concertation avec l'opérateur. S’il n’y a pas d'objection, l'Etat membre est habilité à délivrer son autorisation, laquelle acquiert alors une portée communautaire.

Si, au contraire, le dossier fait l’objet d’objections, on entre dans une deuxième phase de concertation plus étroite entre les Etats membres, au cours de laquelle on tente, dans un délai de 45 jours, de résoudre le problème rencontré par cet Etat membre.

Si une solution est trouvée, il y a décision d’autorisation. Sinon, on passe à l’étape de la consultation du comité réglementaire sur la base d’une proposition de décision élaborée par la Commission sur la base notamment des conclusions de l’évaluation des risques de l’Autorité européenne de sécurité alimentaire (AESA), consultée entre-temps. Le comité réglementaire se détermine selon un vote de comitologie type 3, requérant une majorité qualifiée pour ou contre.

En l’absence de solution, on passe à un niveau supérieur de réglementation, avec la consultation du Conseil des ministres de l’environnement, selon un même système de consultation sur la base de comitologie type 3, avec majorité qualifiée pour ou contre.

S’agissant des règles de comitologie, chacun des Etats membres ne dispose pas d’une seule voix mais d’un nombre de voix défini par pondération en fonction de l’importance de l’Etat membre au sein de l’Union européenne (UE). Dans l’UE à 25 membres, la France dispose ainsi de 29 voix.

M. le Président : Au final, chacun se renvoie, quand même, la « patate chaude » qui revient en fait à la Commission.

M. François HERVIEU : Il est vrai que cela ne devrait pas se passer ainsi, mais actuellement, c’est le cas.

M. le Président : Les deux premiers organes consultés ne décident jamais.

M. François HERVIEU : Il y a eu une exception avec le dossier des Pays-Bas sur les œillets génétiquement modifiés, autorisés en 1998, sans consultation du comité réglementaire parce qu’il n’y a pas eu d’objection de la part des Etats membres. En revanche, pour tout produit ayant une conséquence sur l’environnement ou la consommation, il y un passage par toutes les étapes de la procédure.

Il est vrai que si la « patate chaude » reste trop chaude, c'est la Commission qui prend la main, synthétise l’ensemble des éléments et prend une décision, en prenant en compte tous les éléments disponibles, en délivrant une décision d'autorisation ou, le cas échéant, un rejet de la demande.

Nous avons connu un cas de ce type, avec la pomme de terre d’Avebe dont la demande d’autorisation a été rejetée, dans le cadre de ces procédures, en 1998. Cette pomme de terre à composition en amidon modifiée et à vocation industrielle a posé de gros problèmes au comité d’évaluation car le nombre de séquences introduites était trop nombreux. Les experts ayant estimé qu’ils n’étaient pas en mesure d’évaluer complètement le risque, le système a joué son rôle en bloquant la culture de cette pomme de terre.

M. François GUILLAUME : Cette pomme de terre est-elle cultivée ailleurs ?

M. François HERVIEU : Non, c’est un produit purement européen, mais depuis cette pomme de terre développée par la société Avebe, une autre pomme de terre d’un genre similaire a été proposée à la mise sur le marché par la société suédoise Amylogene. Cette pomme de terre Amylogene se distingue de la pomme de terre développée par Avebe par des insertions d’ADN introduites par transgénèse strictement limitées aux séquences génétiques nécessaire pour obtenir les caractéristiques recherchées.

Pour ce qui est de la partie B concernant les essais de recherche et de développement, le dispositif est plus simple, puisqu’il relève du niveau subsidiaire. Les Etats membres mettent en œuvre les procédures qu’ils souhaitent pour autoriser ces essais et ils sont compétents pour l’organisation de l’information et de la consultation du public. Toutefois, ils ont obligation d’informer les autres Etats membres et la Commission sur la nature des dossiers déposés dans l’Etat membre et sur les conclusions de la procédure. Les Etats membres peuvent d’ailleurs faire des commentaires à l’Etat membre concerné. Ces dossiers sont enregistrés, depuis 1990 ou 1992 au niveau communautaire, sur un registre accessible aux autorités nationales.

Ce dispositif d’autorisation est similaire et parallèle à celui des mises sur le marché, mais beaucoup plus simple, puisqu’il n’y a qu’une procédure nationale, avec la consultation d’un comité d’évaluation qui est, en la matière, la CGB. La directive 2001/18/CE n’ayant pas été transposée, l'ensemble du dispositif d’information et de consultation du public est organisé sur une base volontaire par le ministère de l'agriculture, avec l’ouverture d’un portail électronique où sont référencées toutes les informations relatives à ces disséminations.

Dès la décision prise, les sites mentionnés dans le dossier sont confirmés. Etant donné la difficulté de trouver des sites d’implantation, l'opérateur a tendance à donner une liste importante de communes où pourront être implantés les essais. A posteriori, il précise la liste pour indiquer à quels endroits les essais seront effectivement implantés. Ces sites sont notifiés en mairie, sur notre système Internet ainsi qu’à l’ensemble des agents chargés du contrôle.

Faute d’une transposition de la directive 2001/18/CE, l'ensemble du corpus législatif repose sur les actes de transposition des directives 90/220/CE et 90/219/CE, par la loi 1992-654 du 13 juillet 1992 et l'ensemble de ses décrets d'application. Ce dispositif a néanmoins été renforcé par la loi d’orientation agricole de 1999 qui a anticipé un ensemble de dispositions prévues par la directive 2001/18/CE.

En outre, ce dispositif législatif formel a été complété par un ensemble de démarches complémentaires sur une base volontaire, à la demande du ministre chargé de l’agriculture. L’ensemble des OGM concernant aujourd’hui principalement des plantes, il relève de la compétence du ministre de l’agriculture, qui a prévu une démarche d’information préalable des maires, lors de laquelle sont expliqués les tenants et les aboutissants de la demande et le contexte réglementaire dans lequel interviennent ces décisions. Cette procédure d'enquête de terrain vise à renforcer nos informations pour mener à bien les opérations de gestion du risque et pour déterminer si le dossier prend correctement en compte les particularités liées au contexte local.

Une publication de l’ensemble des dossiers est disponible en ligne – dans tous les cas des résumés et des parties non confidentielles du dossier : les avis des commissions consultatives, les décisions qui s’y rapportent et l'ensemble des listings de sites de dissémination. Dès 1999, nous avons mis en œuvre un régime centralisé de l'information, avec un système sécurisé d’enregistrement des localisations des essais, c’est-à-dire les parcelles cadastrales. Cette base de donnée est accessible à l’ensemble des agents habilités et bénéficiant d’un code d’accès personnel des services du ministère de l’agriculture en charge des contrôles.

Depuis la loi d’orientation agricole de 1999, le dispositif de contrôle a été renforcé, notamment à travers une obligation de surveillance biologique des effets non intentionnels de ces disséminations, qu’il s’agisse de mise sur le marché ou de recherche et développement.

Ces contrôles sont effectués par les agents des Directions régionales de l’agriculture et de la forêt, Services régionaux de la protection des végétaux (DRAF – SRPV), qui font parties des services déconcentrés du ministère chargé de l’agriculture, ce ministère étant organisé en une administration centrale, répartie dans plusieurs directions générales et des services déconcentrés en région et département.

Aujourd’hui, 141 agents habilités et assermentés peuvent procéder à des contrôles. Ils sont directement rattachés aux DRAF et travaillent en coordination nationale avec la sous-direction de la qualité et de la protection des végétaux (SDQPV).

M. Jean PRORIOL : Ce sont des agents discrets !

M. François HERVIEU : On leur reproche effectivement souvent de ne pas donner suffisamment d’informations. Néanmoins ils répondent à chacune des sollicitations.

M. Pierre COHEN : Dans mon département de la Haute-Garonne, la procédure n’a pas été suivie. Il n’y a eu aucune démarche d’information préalable auprès des élus, ni de procédure d'enquête de terrain, ou alors elle a été plus que discrète car ni les citoyens ni les élus n’en ont eu connaissance.

M. François HERVIEU : La démarche d'enquête préalable est une mission technique. Nos agents se rendent sur place et font une analyse technique de terrain, à travers un enregistrement topographique de la géographie, des cultures avoisinantes et de différentes circonstances particulières. Ces actions font chacune l’objet d’un rapport rédigé par l’agent, synthétisé par moi-même et remis au ministre préalablement à la décision.

En 2003 et 2004, ces agents ont rencontré tous les maires concernés. Des rapports ont été rédigés après ces rencontres…

M. Pierre COHEN : Lors de la dernière assemblée générale, les maires des communes de Haute-Garonne concernées par ces essais ont interpellé le préfet car ils ont pris connaissance de ces essais par « La Dépêche du Midi ». Le problème est que l’on parle d’une procédure relativement ouverte, responsable et connue des différents décideurs, qui ne correspond pas à la réalité.

M. François HERVIEU : Je ne peux pas remettre en cause les conclusions d'agents habilités et assermentés. Je reçois des listes sur lesquels figurent des dates de sollicitations téléphoniques
– car certains maires refusent de recevoir nos agents – et des dates de rencontre avec des maires. Pour l'ensemble des sites concernés par des essais au champ en 2004, les maires ont été rencontrés. Vous le contestez, mais je ne peux rien vous dire d’autre.

M. Pierre COHEN : Je voudrais simplement vous entendre confirmer que cela a été fait. Ensuite nous aurons l’occasion de revoir la question avec les maires pour recueillir leur avis.

M. François HERVIEU : Ces actions sont pilotées par des ordres de service, diligentées dans chacune des DRAF concernées par un projet de dissémination. La confusion vient souvent du fait que pour les essais pluriannuels, certains maires supposent que lorsqu’il y a eu essai une année, il se reproduira l’année suivante. Ce n'est pas du tout le cas, notamment pour le maïs, pour lequel il y a rotation des cultures et nécessairement des sites tournants.

Je ne suis pas sur place pour vérifier si l’agent a bien transmis l’information aux élus locaux ou s’il me raconte des histoires dans le rapport qu’il me transmet.

Les opérations de biovigilance sont relativement souples puisqu’elles sont destinées à détecter des effets non intentionnels ou non anticipés par l’évaluation. On peut penser que ces effets ne seront visualisables que lorsqu’il y aura des surfaces significatives de cultures, ce qui est loin d'être le cas en ce qui concerne la partie B, puisqu'en 2004, nous avions 7,2 hectares disséminés sur l’ensemble du territoire national.

M. Francis DELATTRE : Combien en aviez-vous en 2000 ?

M. François HERVIEU : De mémoire, je peux vous donner le chiffre de 1 000 hectares pour 1999, mais ces informations sont publiées annuellement dans le rapport d’activité de la Commission de génie biomoléculaire et je pourrai vous en faire la synthèse.

Je compléterai cette présentation par la réglementation qui va encadrer plus spécifiquement le secteur alimentaire, puisque le règlement 258-97 « Novel food » a été modifié en 2003 par le règlement 18-29 qui en a élargi la portée. Ce règlement retire les éléments qui, dans le règlement 258-97, portaient sur les OGM et les dérivés d’OGM, pour les intégrer dans ce règlement spécifique traitant à la fois de l’alimentation humaine et de l’alimentation pour le bétail.

Par rapport à la directive 2001/18/CE, ce règlement introduit un système centralisé d’évaluation relevant de la compétence de l’autorité européenne. A part cette centralisation des procédures, le dispositif général fonctionne d’une manière à peu près similaire à celui précédemment décrit.

Ce règlement a repris l’ensemble des dispositions relatives à l'étiquetage
– l’étiquetage des ingrédients alimentaires en consommation humaine est obligatoire depuis le 2 septembre 1998, avec un seuil de tolérance défini en 1999 à 1 % – mais a ramené le seuil à 0,9 %. L’évolution majeure est la prise en compte des denrées destinées au bétail et l’adoption d’un dispositif particulier qui est un seuil de tolérance à la présence fortuite pour des OGM non autorisés, mais évalués, c’est-à-dire tous les OGM qui étaient dans le « trou noir » ou les perturbations générées par le moratoire. Ces OGM, qui sont au nombre d’une dizaine, sont en attente de décision depuis 1996/1997 pour les plus anciens. Le législateur européen a estimé nécessaire de fixer un seuil de tolérance particulier qui est de 0,5 %.

Ce nouveau règlement communautaire élargit la portée de l’ensemble des dispositions aux dérivés d’OGM, aux additifs et aux arômes, qui sont donc assujettis aux mêmes dispositions que les ingrédients alimentaires.

Par ailleurs, pour répondre à la demande d'un certain nombre d'Etats membres, un règlement « horizontal » a été adopté concernant la traçabilité qui est considérée comme un élément indispensable à la fiabilité de l’étiquetage. Ce règlement de traçabilité concerne tous les OGM et leurs dérivés lorsqu'ils sont destinés à l'alimentation humaine ou animale. Il réglemente les documents devant accompagner les transactions de traçabilité et la durée pendant laquelle ces documents doivent être conservés.

Il est important de bien avoir à l’esprit que la directive 2001/18/CE ne se substitue pas à l’ensemble des autres législations. Ainsi, une décision d’autorisation 2001/18/CE ne remplace pas une autre autorisation lorsque le produit considéré est assujetti à une législation particulière.

Si l’on prend le cas des semences, une autorisation 2001/18/CE ne vous autorise pas à commercialiser librement vos semences. Celles-ci doivent répondre à l’ensemble des exigences de la directive semences et, notamment pour ce qui concerne l’inscription au catalogue de ces variétés.

La décision d’autorisation 2001/18/CE donne un droit de culture de l’OGM, mais pas un droit de commercialisation. Un opérateur titulaire d’une autorisation peut cultiver un OGM, une semence, mais sans le commercialiser, parce qu’il n’existe pas de régime général portant sur le droit de cultiver un produit. Au contraire, les directives semences donnent des droits de commercialisation de semences, en encadrant la transaction commerciale de la semence pour assurer, en premier lieu, la loyauté des transactions entre l’obtenteur semencier et l'agriculteur. C'est une notion que l’on ne perçoit pas toujours.

Ainsi, lorsque M. Juppé a autorisé, en 1997, par consentement écrit, le maïs Bt 176, il n’a pas autorisé la commercialisation des semences. Ce n'est que lorsque l’agriculteur accède aux semences par l’acte d’achat qu’il y a possibilité de culture. Sans cette étape, les niveaux de culture restent confidentiels. En 2004, on compte en France environ 17,5 hectares de cultures commerciales d’OGM et 7,2 hectares de cultures correspondant à des actes de décision d’autorisation de type B, c’est-à-dire des essais de recherche et développement. Les deux aspects sont donc présents.

M. le Président : Où sont localisés ces 15,5 hectares de cultures commerciales d’OGM ?

M. François HERVIEU : Ils sont répartis dans le grand Sud-Ouest de la France. Ces cultures sont « commerciales » mais elles correspondent essentiellement à des cultures de démonstration, sur de petites surfaces, ou à des cultures de production semencière destinées à l’export. Il y a aussi un important essai utilisant des variétés autorisées à la mise sur le marché. Arvalis, notamment, a mis en place dans le Sud-Ouest une grande culture pour évaluer les possibilités de coexistence des différents types de culture.

Les trois variétés concernées dérivent de Bt 176, de MON 810 ou de T 25, seules variétés bénéficiant aujourd’hui d’une autorisation communautaire de mise sur le marché à toutes fins, similaire à celle des produits conventionnels. Sur le territoire national, on voit principalement des variétés dérivant de MON 810 et autorisées par consentement écrit de la France en août 1998.

M. Francis DELATTRE : Est-ce sur la base de cette réglementation que l'Espagne cultive ce type de produit ?

M. François HERVIEU : Tout à fait. De mémoire, l’Espagne a inscrit douze variétés de MON 810 utilisées à hauteur de 60 000 hectares, en 2004.

M. le Président : Tout à l'heure, on nous a indiqué que l’INRA avait eu une démarche très innovatrice de discussions, bien en amont de l’autorisation, qu’au final la CGB avait donné l’autorisation de cultiver cinquante pieds de vigne à Colmar, mais que depuis, on attendait une décision de l’administration. Est-ce vrai ?

M. François HERVIEU : Permettez-moi tout d’abord de préciser que la CGB n'a pas donné d'autorisation, mais a émis un avis, ce qui est différent sur le plan juridique. L’autorisation appartient au ministre. Celui-ci doit intégrer un ensemble d'éléments relatifs à la demande : éléments relevant du registre scientifique – d’où l’importance d’une commission consultative – éléments de synthèse issus de la consultation du public et éléments de synthèse provenant de nos services. C’est l’agrégation de tous ces éléments qui conduit à la décision du ministre.

Pour l’essai de Colmar, la décision n'a pas été prise, le ministre estimant que l'ensemble des éléments réunis ne permet pas de prendre une décision aujourd’hui. Mais cela ne signifie pas qu’il refusera la mise en place de cet essai.

M. le Président : Certes, mais la vigne se plante à certaines périodes. On peut parler là, comme au niveau européen, de « patate chaude ».

M. François HERVIEU : Nous attendons la réponse du ministre, mais il faut savoir que ce type de dissémination pose de réelles difficultés dans l’ensemble de l’Union européenne, surtout lorsqu’il s’agit d’espèces emblématiques comme le blé ou la vigne, notamment en France.

Si l’on se fonde sur le cadre juridique en vigueur au niveau national – mais nous sommes alors en infraction avec la législation communautaire – l’absence de décision dans le délai de 90 jours vaut refus. Ce sont les termes de la loi 92-654 : « Une absence de décision dans un délai de 90 jours, à compter de la date de réception et sans autre indication de l’autorité nationale, vaut pour refus. »

Cette disposition sera modifiée par la transposition de la directive 2001/18/CE qui impose que les décisions soient motivées, quel que soit l’avis – favorable ou défavorable – donné à la demande. Il y aura donc une évolution juridique sur ce point. S’agissant du dossier sur la vigne, le ministre n’a pas formellement refusé la demande, même si, selon le cadre juridique en vigueur aujourd’hui, on doit comprendre qu'il y a eu rejet.

Je terminerai cet exposé en parlant du protocole de biosécurité et de la façon dont il est appliqué au niveau européen. Ce protocole est un accord international concernant les échanges internationaux entre pays exportateurs et importateurs, et imposant des consentements préalables – ou, tout au moins, une évaluation préalable – aux premiers mouvements transfrontières de ces OGM.

L'Union européenne a estimé que l'ensemble du dispositif était suffisant pour répondre aux obligations du protocole concernant l’importation des OGM. En revanche, elle a estimé qu’il convenait d’adopter un règlement complémentaire pour encadrer les transactions à l’export, ce qui a été fait avec l'adoption du règlement CE/1946/2003, qui impose aux opérateurs des obligations préalables aux premiers mouvements transfrontières de tout « vrai » OGM, à l’exclusion des produits dérivés qui relèvent d’un autre domaine et attendre un accord explicite de la partie ou de la non partie (au protocole de biosécurité) importatrice avant le premier mouvement transfrontière de l’OGM.

Quant au dispositif de la directive semences, il fait l’objet de dispositions subordonnant la possibilité d’inscrire des variétés au catalogue à une autorisation préalable, soit dans le cadre de la directive 2001/18/CE, soit dans le cadre du règlement « Novel food » ou « Novel food novel feed ».

M. le Président : Merci pour cet exposé qui montre la complexité du système et au cours duquel vous avez pris la peine de nous indiquer les lacunes que la loi devra combler pour se conformer à la législation européenne.

Vous avez indiqué qu'il y avait aujourd’hui obligation de traçabilité pour tous les OGM et pour les dérivés d’OGM. Il en est ainsi, par exemple, de la lécithine extraite d'une plante OGM. Pourquoi alors, sous l'effet d’un certain nombre de pressions et de lobbies, n’a-t-on pas imposé l’étiquetage « OGM » de certains aliments, comme la bière fabriquée avec des enzymes génétiquement modifiés ou d’autres aliments, tels des substituts, des vitamines, du glutamate, qui utilisent des OGM dans leur fabrication ? Il ne s’agit pas, dans mon esprit, de vouloir encore plus de réglementation mais j’observe que, ce faisant, on a une fois encore pointé du doigt les OGM végétaux. La pression a été suffisamment forte à Bruxelles pour que 30 % des aliments que l’on consomme ne soient pas étiquetés « OGM ». Qu’en pensez-vous ?

M. François HERVIEU : Le dispositif communautaire relatif à l’étiquetage est très large mais il ne concerne pas les auxiliaires technologiques comme les enzymes, parce que ces auxiliaires technologiques ne se retrouvent pas dans le produit final et qu’ils ne sont pas assujettis à une obligation d’étiquetage dans le régime général.

Un débat a cours aujourd’hui sur l’ensemble des produits de fermentation et sur la façon dont ils doivent être considérés au regard des obligations d’étiquetage. Par exemple, en ce qui concerne les bières, on peut imaginer que certaines pourront être étiquetées « génétiquement modifiées » dès lors que l’on retrouvera une enzyme génétiquement modifiée dans le produit.

Par ailleurs, il faut rappeler que le déclenchement des obligations d’étiquetage et de traçabilité s’applique à partir d’une présence d’OGM à 0,9 %, et cela ingrédient par ingrédient. La disposition est donc extrêmement large.

M. le Président : Je prends l’exemple de la lécithine, extraite d’une plante génétiquement modifiée et utilisée dans la fabrication du chocolat. On n’y retrouve pas la partie OGM de la plante. Pourquoi alors avoir séparé les auxiliaires technologiques non concernés des ingrédients technologiques dans un cas tout à fait identique ?

M. François HERVIEU : La différence est que vous allez retrouver de la lécithine en tant que telle.

M. le Président : Certes, mais elle n’est pas OGM.

M. François HERVIEU : Non, elle est dérivée d’OGM. C’est comme l’huile issue d’un OGM.

M. le Président : Au niveau du concept, c’est comme le produit qui a été fabriqué avec des éléments OGM. Vous défendez la réglementation, et c’est bien normal, mais je pense qu’il y a là une contradiction.

M. François HERVIEU : Il faut considérer qu’une disposition élargissant ce type d’étiquetage aurait toutes les chances de faire passer toute substance en étiquetage positif.

M. le Président : C’est la bonne solution !

M. François HERVIEU : Il faut rappeler que les mesures prises par les entreprises visent à éviter la moindre trace d’OGM. A titre d’exemple, l'entrée en usine pour des maïs doit respecter un seuil de tolérance de 0,01 %. Pareil pour la semoulerie. A mon avis, une démarche d’élargissement vers un étiquetage systématique entraînerait davantage un ensemble de contentieux entre les opérateurs qu’elle ne résoudrait un problème. Néanmoins, le débat n'est pas clos au niveau communautaire concernant la catégorie de produits que vous venez de mentionner.

M. le Rapporteur : Autre question : pourquoi inclut-on les hybrides dans la définition des OGM, alors que c'est un processus naturel ?

M. François HERVIEU : La législation communautaire traite les OGM au cas par cas, à la différence de la législation nord-américaine dont l’approche est beaucoup plus générale. Dans le droit nord-américain, c'est la caractéristique introduite par la structure d’ADN qui est régulée. Par exemple, une protéine Bt sera évaluée, puis dérégulée pour être introduite dans un ensemble de maïs ou dans n’importe quel autre site.

En Europe, le système de réglementation est le suivant : vous prenez le résultat de l’utilisation de cette séquence introduite dans un génome de maïs. Une fois qu’un OGM avec une identité particulière et donc une localisation définie des insertions des séquences d’ADN étranger dans le génome de l’organisme, cette OGM peut alors être utilisé dans tout programme de sélection et d’obtention variétale sans qu’une autorisation complémentaire soit nécessaire. Cet OGM autorisé peut donc être décliné dans un ensemble de variété différente dès lors que ces variétés sont obtenues par reproduction sexuée ou toute autre méthode traditionnelle de création variétale. Par exemple, dans le cas de MON 810, c’est l’OGM MON 810 qui est autorisé. Mais si l’opérateur le souhaite, il peut obtenir, à partir de cet OGM, 250 variétés de MON 810.

En ce qui concerne l'aspect hybride, la perception européenne est la suivante : si vous prenez un maïs MON 810 et que vous le croisez avec du Bt 176, cela donne un hybride de deux OGM, lequel est considéré comme un nouvel OGM assujetti à nouveau au régime d’autorisation. Mais l'hybride en tant que tel n’est pas réglementé.

M. le Rapporteur : Vous parlez de l’hybridation d’OGM, mais qu’en est-il des hybrides naturels ?

M. François HERVIEU : Les hybrides obtenus par des méthodes traditionnelles de sélection et création variétale ne sont pas assujettis à une autorisation spécifique relevant de la réglementation OGM.

M. le Rapporteur : Autre question : pourquoi le ministère de la santé ne fait-il pas partie des ministères de tutelle du futur conseil des biotechnologies ?

M. François HERVIEU : Je ne peux pas vous répondre sur cet aspect.

M. le Rapporteur : Comment être informé du cas d’un opérateur ayant obtenu une autorisation d’essai OGM qui n’avertirait pas l’administration en cas de changement dans l’appréciation du risque ?

M. François HERVIEU : Dans ce cas, on applique le dispositif de recherche et de constatation des infractions qui est le même que pour tout autre type de problématique. Un tel opérateur prend un gros risque car si l’on découvre et prouve qu’il masque sciemment des informations à l’administration, la procédure pénale s’applique, comme pour toute autre fraude de ce type.

M. Francis DELATTRE : Au titre des règles d'étiquetage et de traçabilité, on doit maintenant indiquer sur le maïs autorisé à la vente pour l’alimentation humaine s’il est d’origine OGM. Mais si le commerçant précise que c’est « avec 50 % de moins de pesticides », considérez-vous qu’il s’agit là d’une publicité ?

M. François HERVIEU : Honnêtement, je ne suis pas dans mon domaine de compétence pour ce type d’allégation.

M. Francis DELATTRE : Ce n’est pas une allégation. L’inscription d’OGM est dissuasive, mais il faudrait que l'Etat, qui doit être objectif, permette de faire état des éventuels avantages des OGM. N'est-ce pas une préoccupation de la direction de l'alimentation ?

M. François HERVIEU : Les dispositions encadrant l’étiquetage sont de la compétence du ministère des finances et de sa direction générale de la concurrence, de la réglementation et de la répression des fraudes (DGCRRF) qui fixe la liste des ingrédients à signaler.

Vous faites allusion à la recherche d’une information objective, claire et précise sur, d'une part, les risques potentiels présentés par ces OGM, d’autre part, leurs bénéfices. C’est ce que nous essayons de faire le mieux possible, à travers les informations que nous donnons sur notre serveur interministériel. Si l’on constate une réduction significative de l’usage des pesticides du fait de ces OGM, on peut effectivement le mentionner. Cela étant, sur la base de 7 ou de 15 hectares, il est difficile de se rendre compte de la réalité des choses.

M. Francis DELATTRE : Certes, mais le maïs que l’on va trouver dans le commerce ne provient pas des cultures françaises – puisqu’elles sont interdites – mais de l’exportation, à commencer par celle l’Espagne. Et cela me permet d’aborder ma deuxième question. Le maïs Bt cultivé en Espagne, autodétruit la pyrale et supporte les glyphosates, ce qui permet une diminution de l’utilisation des herbicides.

M. François HERVIEU : C’est inexact car aucune variété de maïs tolérante au glyphosate n’est autorisée sur le territoire de l’Union européenne.

M. Francis DELATTRE : C’est pourtant ce que m’ont affirmé des responsables espagnols que j’ai rencontrés. Il n’en reste pas moins que le maïs Bt permet d’éviter d’utiliser trois ou quatre herbicides spécialisés, et c’est la raison pour laquelle les Espagnols le cultivent mettant ainsi en concurrence désagréable les professionnels de la salaison.

Comment s’exerce alors la traçabilité entre des porcs espagnols nourris à 20 kilomètres de la frontière française avec du maïs transgénique espagnol et les porcs français vendus par le même commerçant ? Si chaque Etat membre fait à peu près ce qu'il veut, il est bien évident que nous aurons des systèmes qui gêneront nos producteurs, la concurrence, etc.

M. François HERVIEU : En premier lieu, la législation européenne ne s’applique pas aux co-produits animaux nourris avec des OGM, puisque justement cette réglementation fait exclusion de l'application de ces dispositions à cette catégorie de produits. Par conséquent, les porcs nourris avec des OGM ne sont pas assujettis à l’obligation de traçabilité et d’étiquetage.

Sur le plan réglementaire, la transaction commerciale d’un maïs Bt 176 cultivé en Espagne et importé en France, est assujettie à la réglementation européenne qui comprend des mécaniques permettant de détecter les fraudes.

M. Francis DELATTRE : Vous faites référence au maïs qui serait vendu en France, mais s’il arrive sous forme animale, il n’y a aucun contrôle.

M. François HERVIEU : Les Etats membres n’ont pas accepté la proposition du Parlement européen de soumettre les co-produits issus d’animaux nourris avec des OGM à l’obligation de traçabilité et d’étiquetage. Ils ont estimé que les possibilités de contrôle sont absolument impossibles, notamment pour des animaux ayant une durée de vie relativement longue. Par ailleurs, le règlement de traçabilité s’applique à compter d’un seuil de 0,9 % sur la nourriture destinée aux animaux. Cela signifie qu’un porc, qui mange, dans une étape de sa vie, quelques grains de maïs OGM sur 100 % de sa ration de la journée, devrait être assujetti aux dispositions de traçabilité. Objectivement, il est impossible de faire une opération de contrôle sur de tels produits, a fortiori lorsqu'il s'agit d'un produit importé.

M. Francis DELATTRE : C’est ce que je pense, donc nous sommes d'accord.

Les brevets OGM sur le maïs et le soja sont généralement la propriété des grandes firmes américaines. Mais les brevets sur les céréales à paille sont plutôt celle des firmes françaises. Les retards que nous avons pris ces dix ou quinze dernières années ne nous pénalisent-ils pas ? J'ai en effet rencontré des chercheurs d’Arvalis qui m’ont expliqué que, globalement, la recherche française et les semenciers français étaient très avance. Ils citaient notamment un blé dans lequel on avait transféré un germe de pois permettant une conservation sans insecticide pendant plusieurs mois, alors qu’actuellement, chacun sait que pour conserver les céréales et les protéger contre les charançons et autres insectes, on jette directement les insecticides dans les silos. Avec un brevet français potentiel, on aurait pu réduire considérablement ce genre de situation. Est-il exact que notre recherche était bien en avance sur les céréales à paille et que nos atermoiements suppriment malheureusement cet avantage ?

M. François HERVIEU : Tout à l’heure, nous évoquions la question de l’incidence communautaire du débat d’opinion sur les OGM. On voit bien qu’il y a une évolution très intéressante du nombre de dossiers instruits au niveau français. Nous étions effectivement leader européen en matière de recherche, mais pas sur les céréales à paille, puisque nous n'avons jamais vu d’essais aux champs en matière de céréales à paille en France.

M. Francis DELATTRE : On ne risque pas d’en voir, puisqu’ils sont interdits !

M. François HERVIEU : Deux dossiers ont été déposés en France, l’un en 1997 et l’autre en 1999, qui concernaient du blé. Les essais ne sont pas proposés aujourd’hui en France pour des raisons diverses et variées.

M. Francis DELATTRE : Il faut savoir que les essais sont faits à l'étranger.

M. François HERVIEU : Tout à fait, mais au niveau européen, le nombre d’essais sur ces espèces reste encore très limité. On observe une courbe en cloche à partir de 1997, avec une inversion de la tendance exponentielle entre 1987 et 1997. Nous sommes aujourd’hui dans une situation analogue à celle de 1989/90. Je vous laisserai apprécier le dynamisme de la recherche, en tout cas celle concernant la dissémination qui ne constitue qu'une face de la recherche, tout un ensemble de recherches étant mené en milieu confiné. Ainsi, nous avons une forte activité en matière de séquençage qui débouchera, nous l’espérons, sur des brevets, puisque l'Etat, semble avoir débloqué un budget assez significatif en faveur de Génopole-Génoplant 5, précisément pour favoriser l’accès aux brevets sur ce type de technologie. Mais il est certain qu’en termes d’activités aux champs, nous ne pouvons que constater une situation de régression.

Autre évolution importante : en 1997, il devait y avoir une dizaine d’espèces végétales faisant l’objet d’expérimentations aux champs. Aujourd'hui, nous en avons cinq et, en 2005, nous en aurons trois.

M. André CHASSAIGNE : Concernant les difficultés d’application de la procédure d’autorisation de la dissémination volontaire, je n’ai pas été tout à fait convaincu. Vous avez rappelé la procédure : information des élus, enquête de terrain effectuée par les agents des DRAF, publication du dossier, avis et décision. Cette procédure fait-elle l’objet d’une évaluation, au niveau national ?

Deuxième question : alors que nous avons tous un souci de transparence, vous êtes passé très rapidement sur l’indication du lieu et des entreprises réalisant les 15 hectares de cultures OGM commerciales autorisées en France. J’aimerais savoir ce que recouvrent ces hectares qui ont obtenu une autorisation de mise en marché.

Troisième question : je n'ai pas compris la différence entre les OGM et les dérivés d’OGM. J’y vois presque une contradiction par rapport à l’exposé d’hier. Je ne suis pas un scientifique, mais il me semblait qu’une fois le produit génétiquement modifié, que les dérivés l’étaient également.

M. François HERVIEU : Pour répondre à votre dernière question, le caractère génétiquement modifié ne se réfère nécessairement qu’à une structure génétique particulière qui est l’ADN. Ainsi, lorsqu’on parle d’organisme « génétiquement modifié », cela ne peut concerner que de l’ADN modifiée génétiquement, avec une structure ADN présente ou pas dans la cellule ou le produit.

Par exemple, une tomate peut être un vrai OGM, c'est-à-dire un organisme vivant capable de se multiplier et de se reproduire. A partir de cette tomate, vous pouvez produire des dérivés d’OGM, tels une sauce tomate ou un ketchup, ou des produits encore plus raffinés dans lesquels vous ne trouverez pas du tout de trace d’ADN, tel un jus qui correspondrait essentiellement à une composante eau. Si vous leur appliquez une méthodologie de détection d’analyse par réaction de polymérisation en chaîne (PCR), vous êtes dans l’incapacité de trouver une structure ADN.

L’exemple type souvent cité est le suivant : si vous pressez une graine de colza pour en extraire une huile de haut raffinage, je vous mets au défi de trouver de l’ADN. Pour autant, cette huile est issue d’un produit OGM.

La législation prévoit une obligation d’étiquetage pour répondre aux attentes du consommateur. Toutefois, ces obligations d'étiquetage ne sont pas fondées sur une notion de risque, mais sur la perception que l’on a de l’attente des consommateurs en terme d’information.

Pour ce qui est de la démarche de nos agents sur le terrain, nous avons la charge de vingt-cinq communes en France. Quatre agents sont principalement concernés, puisque ces essais sont menés dans des régions très précises. Je fais toute confiance aux agents travaillant avec nous. On peut toujours aller vérifier ce qu’allègue un agent habilité et assermenté, mais si l’on remet en cause le travail effectué, je ne vois pas comment le système peut fonctionner. Ce qui ressort des rapports écrits, ce ne sont pas des éléments inventés par l'agent.

M. François GUILLAUME : Un dérivé d’OGM ne présente aucun risque pour le consommateur, si toutefois l’OGM en question en présentait un !

M. François HERVIEU : Nous sommes d’accord, puisque la décision d’autorisation est fondée sur une évaluation du risque et qu’en général, la conclusion de l’évaluation du risque est que le produit ne présente pas de risque.

M. François GUILLAUME : On pousse vraiment très loin l’information, car on arrive à un point tel que l’on donne, comme étant une information du consommateur, une fausse information. En effet, on sait que le consommateur va se méfier de tout produit portant mention d’OGM. Même si un produit dérivé des OGM ne présente aucun risque, le consommateur ne le sait pas et va, d’office, le refuser. On aboutit là à un système d'étiquetage très pénalisant.

Je me souviens qu’au début des discussions sur l’étiquetage au Parlement européen, ont eu lieu des discussions homériques sur le risque, justement parce que d'aucuns considéraient – et j’étais de ceux-là – que ce type d'étiquetage ne donnait pas une information objective, mais entraînait généralement soit une adoption, soit plutôt un refus.

Je voulais poser une question sur l'aliment du bétail. Les établissements Glon nous ont adressé une note intéressante démontrant leur très grande difficulté à trouver des produits non-OGM, ce qui pose un problème d'approvisionnement et un problème d’assurance. Vous avez indiqué qu’en ce qui concerne l’aliment du bétail, il y avait une tolérance de 0,5 % pour les OGM non autorisés. Existe-t-il des listes de ces produits ?

M. François HERVIEU : Tout à fait. Un document publié par la Commission dresse la liste des OGM couverts par cette disposition. Il s’agit non seulement des aliments du bétail, mais également de tous les produits couverts par le règlement « novel food novel feed ».

Par exemple, on retrouve le GA 21, un OGM tolérant au glyphosate non autorisé encore aujourd’hui, mais qui a bénéficié de l’ensemble des étapes d’évaluation par les autorités nationales et communautaires, avec la conclusion qu'il ne présentait aucun risque. Il ne reste qu’à prendre la décision. Il y a également le NK 603, un maïs également tolérant aux glyphosates. Toutefois la différence entre les deux, est que pour l’un, le gène introduit vient du maïs, pour l’autre d’une souche bactérienne, ce qui donne lieu à une querelle de brevets entre deux opérateurs. Vous avez aussi un hybride de NK 603 et de MON 810.

Ces OGM ne sont pas autorisés, ils sont pendants et tombent dans la tolérance du seuil de 0,5 %. Pour les autres, c’est le seuil de 0,9 % qui s’applique. Parmi ceux bénéficiant de la tolérance à 0,9 %, vous avez le Bt 176, le MON 810, le Bt 11 et le T 25, soit très peu de produits, plus le soja qui est le plus ancien.

M. le Président : Ceux que vous citez et qui ne sont pas autorisés sont-ils actuellement examinés ?

M. François HERVIEU : Je ne sais pas exactement à quel niveau de procédure ils se trouvent mais je sais qu’ils sont arrivés au niveau communautaire.

M. le Président : La communauté dispose déjà d’un tableau – qui inclut d’ailleurs les dix nouveaux Etats membres – avec des couleurs selon les avis des pays : en vert pour les favorables, en rouge pour les défavorables, en orange pour les abstentions. On voit que ce sont toujours les mêmes pays qui sont favorables et ceux sont défavorables. Les entrants sont plutôt défavorables, sauf deux pays dont la Slovaquie. Au bout du compte, il n’y a aucune majorité dans un sens ou dans l’autre. Par conséquent, en termes de comitologie, la première commission se sépare sur une absence d’accord et il en est de même quand cela passe en conseil des ministres. Ensuite le dossier revient à la Commission qui a déjà autorisé quatre ou cinq produits.

M. François HERVIEU : Les plus récents sont le maïs doux Bt 11, dans le cadre du règlement « nouveaux aliments », et le NK 603. La procédure se poursuit pour un ensemble d’autres dossiers et une liste a été établie de tous les OGM en cours d’instruction au niveau communautaire, à différents niveaux. Le dernier dossier est en phase d’instruction initiale aux Pays-Bas, tandis les autres dossiers datent de 1997, de 2000, de 1998, et de 1996.

Dans l’attente, ces dossiers sont soumis au seuil de 0,5 %, en raison des perturbations rencontrées au niveau communautaire – ce que l’on va appeler le moratoire de fait – et, ce qui est nouveau, d’un contentieux international au niveau de l’OMC. En effet, en l’absence de décision, un certain nombre d’Etats ont décidé de porter l’affaire devant l’instance de règlement des différends. Cette situation résulte de prises de position politiques.

M. Serge ROQUES : Vous avez indiqué que vos agents prenaient toujours contact avec les élus locaux, mais que certains refusent tout contact. Que se passe-t-il alors ? Pouvez-vous continuer votre démarche en l’absence de l’avis du maire ?

M. François HERVIEU : Tout à fait. C’est le ministère de l’agriculture qui a décidé unilatéralement de mettre en place la démarche d’information des élus locaux pour qu'ils soient à même de gérer les éventuelles polémiques. Il ne s'agit pas d’une démarche de consultation formelle destinée à recueillir un accord. Le seul pilote est le ministre de l’agriculture qui, du fait des pouvoirs qui lui sont conférés par la loi, dispose d’une police spéciale d’autorisation de dissémination volontaire dans l'environnement ou de retrait de ces autorisations.

Cette information est disponible parce que nous avons pleine conscience des difficultés auxquelles peuvent être confrontés les maires et que nous souhaitons qu’ils soient le mieux informés possible, notamment au regard d’un ensemble de procédures largement méconnues. Nous essayons d'expliquer comment et pourquoi nous effectuons des opérations de contrôle. Il faut savoir que tous les essais sont contrôlés au minimum une fois par an, dans les phases critiques – au moment de la floraison et de la récolte – et qu’en général, ils sont contrôlés entre 2,5 à 3 fois par an. Le dispositif d’encadrement est donc extrêmement important et rigoureux.

La confusion des élus vient souvent du fait qu’on met en ligne des informations génériques indiquant qu’un essai va être mis en place dans telle ou telle commune. Le maire de cette commune ne rencontrera pas nécessairement notre agent parce qu’entre-temps, nous avons appris que l'opérateur se désengageait de ce type d’implantation, après avoir été informé d’une polémique locale. Dans ce cas, il n’est pas nécessaire d’envoyer un agent rencontrer le maire, puisque l’essai n’aura pas lieu.

Aujourd’hui, on peut estimer qu’environ 10 % seulement des communes envisagées seront effectivement prises pour un essai. Il y a donc beaucoup de rejets. Je rappelle qu’à ce jour, nous avons des essais dans vingt-cinq communes sur les 36 000 que compte le territoire national, et qu’en 1999, nous en avions environ 300 communes.

M. le Président : Dans les vingt-cinq communes en question, les maires sont-ils favorables à ces essais ?

M. François HERVIEU : Oui. Je peux d’ailleurs vous en donner la liste, ainsi que celle des maires défavorables à ce type d’essai sur le territoire de leur commune. Par exemple, le maire de Bax, qui est totalement contre ces essais, nous a amenés devant la cour d’appel de Bordeaux.

M. François GUILLAUME : Comment cela a-t-il été jugé et quid des décisions prises par les régions ?

M. François HERVIEU : Cela a été apprécié au regard des pouvoirs conférés par le Code des collectivités territoriales. L'interprétation que nous en faisons concernant la compétence des maires, est que le pouvoir de police de ce dernier ne s’applique pas, sauf s'il y a un risque de péril imminent, auquel cas il doit démontrer l'ensemble des éléments justifiant sa position et la nature du péril imminent.

Nous sommes en contentieux dans de nombreuses communes. Nous avons demandé à l’ensemble des préfets de déférer devant les tribunaux administratifs tout arrêté municipal interdisant la culture d’OGM. Jusqu'à présent, aucun de ces maires n'a eu gain de cause devant un tribunal administratif. Dans le cas de Bax, le tribunal administratif de Toulouse a validé la décision d’interdiction, ce qui nous a amené à déférer l’affaire devant la cour d’appel de Bordeaux, laquelle a invalidé la position du tribunal administratif de Toulouse.

Donc contrairement à ce qui est dit, aucune décision d’interdiction d’un maire n’a été validée par un tribunal administratif. Des vices de procédure ont fait que les affaires n’ont pas été jugées au fond, notamment pour l'affaire de Mouchan, mais le tribunal administratif de Pau vient de casser l'arrêté du maire. Aujourd’hui, l’interprétation, faite par les services du ministère de l’agriculture, soutenue par les services des affaires juridiques, est validée systématiquement par les tribunaux administratifs, voire par la cour d’appel de Bordeaux.

S’agissant des actions engagées contre les démarches des conseils régionaux, celles-ci ne sont pas recevables, puisque le conseil régional n'a pas de compétence dans ce secteur d’activité au regard du Code des collectivités territoriales. On ne peut pas engager un recours contre une position non génératrice de droit.

M. Francis DELATTRE : Avec le principe de précaution qui permet la saisine directe des tribunaux par tout citoyen, pensez-vous que les essais OGM ont encore une chance de pouvoir se dérouler en France ?

M. François HERVIEU : Honnêtement, il est de plus en plus difficile de mener des essais aux champs en France et je n’ai pas le sentiment que la situation ira en s’améliorant.

M. le Président : Y a-t-il plus d’essais dans d’autres pays européens ?

M. François HERVIEU : Globalement, la situation est similaire dans l’ensemble des Etats de l'Union. A l'exception de l'Espagne, aucun pays ne détonne de manière patente par rapport à l’activité de recherche aux champs.

M. le Président : Combien y a-t-il d’essais en cours actuellement ?

M. François HERVIEU : Je ne peux pas vous répondre car ce chiffre évolue. Le serveur européen n’est pas très bien conçu dans la mesure où il ne permet pas de réaliser une analyse statistique facile, année par année. Il donne une liste couvrant l’ensemble des dix dernières années, mais ne permet pas de déterminer facilement combien d’essais sont effectivement réalisés aux champs. La difficulté est aggravée du fait que certains Etats membres délivrent des décisions d’autorisations pluriannuelles pouvant aller jusqu’à dix ans. Par exemple, il est difficile de déterminer si des décisions délivrées par l’Allemagne, il y a dix ans, sont encore génératrices d’effets en 2004. C’est d’autant plus compliqué que les informations disponibles sur les serveurs allemands sont uniquement en langue allemande.

L'Angleterre a rencontré, il y a cinq ou six ans, exactement les mêmes difficultés que celles de la France actuellement. L’activité de recherche y est très limitée, à l'exception du grand programme d’étude aux champs que j’ai mentionné et qui s’est déroulé au cours des trois dernières années. L'Allemagne a une activité restreinte sur un petit nombre de catégories de produits, notamment du colza, de la betterave et du maïs. Quant à l'Italie, elle mène des essais aux champs pour différentes catégories de produits, mais ce sont souvent des activités de recherche universitaire sur des petites dimensions.

M. le Rapporteur : Quel est pays européen le plus strict en matière de législation ?

M. François HERVIEU : La législation est quasi identique partout, seules les modalités vont changer ainsi que l'appréciation faite au regard des conclusions d’évaluation du risque. A ce titre, on peut estimer que l’Autriche est certainement l’un des pays les plus draconiens. Il n’y a jamais eu le moindre essai aux champs dans ce pays, pas plus que le début du commencement d’une dissémination volontaire d’OGM au titre de la mise sur le marché.

M. le Rapporteur : Quel est le pays le plus souple ?

M. François HERVIEU : On aurait pu dire que c’était l’Espagne mais la position du nouveau gouvernement à l’égard des OGM a inversé la tendance semble-t-il.

Par ailleurs, on parle souvent de l'Italie comment d’un pays hostile aux OGM. Aujourd’hui, on voit se dégager un mouvement d'opposition à l’opposition OGM, la politique en matière d’OGM étant actuellement menée par le ministre de l’agriculture. Cette politique est contestée par le Premier ministre et par le ministre de l’environnement, mais il n’est pas certain que la situation italienne soit pérenne. Nous sommes donc dans une mosaïque assez diversifiée de positions nationales sur ces thématiques.

M. Jean PRORIOL : Peut-on dire que l’Europe, dans ce domaine, se situe vraiment à part ?

M. François HERVIEU : Tout à fait. Je rappellerai, qu’aujourd’hui, les OGM concernent 60 millions d’hectares dans le monde, le leader incontesté étant les Etats-Unis. Mais dans des pays comme l’Argentine, 80 % de la culture du soja est OGM.

On constate aussi une émergence des OGM dans un certain nombre de grands pays agricoles qui vont développer ce type de technologie. C’est vrai pour le Canada et les Etats-Unis, également pour le Brésil puisqu’on estime qu’environ 30 % de la culture de soja y est transgénique notamment, à travers un système de marché de contrebande de la semence.

La Chine a également fait le choix des OGM, notamment pour le coton. En effet, l'intérêt de ce type de technologie est de préserver la santé des applicateurs dont le taux de mortalité est assez significatif à cause des produits phytosanitaires utilisés pour le traitement du coton. Cette technologie a donc un intérêt sanitaire très positif.

Les choix opérés par les producteurs dans les pays tiers, dans certaines filières de production, tiennent aussi largement compte des positions et attentes des pays de l’Union européenne dans la mesure où ils représentent un débouché commercial important qu’ils ne peuvent négliger. Ainsi les choix opérés au Brésil par les producteurs de soja, les producteurs de blé sur le continent Nord-américain, reposent en grande partie sur les attentes des entreprises européennes pour des garanties non-OGM. En conséquence, on peut considérer que le taux d’adoption de ces nouvelles technologies dans certains pays et le développement ou l’émergence de nouveaux types d’OGM sont largement dépendants des choix et attentes des pays et citoyens européens.

Mme Corinne MARCHAL-TARNUS : A combien estimez-vous la durée de validité d’un brevet ?

M. François HERVIEU : Cela va dépendre complètement de la nature du produit. Un produit, qui aura acquis une résistance au glyphosate, aura une durée de vie significativement supérieure à ceux qui auront une résistance aux insectes. Si un produit a une flexibilité et un usage importants, sa couverture par le brevet va ramener énormément de royalties, à la société Monsanto, par exemple.

Si l’on se réfère à un autre aspect, les quinze variétés inscrites au catalogue national et autorisées en 1998 sont aujourd’hui obsolètes. Ainsi, au bout de cinq ou six ans, la variété aura disparu, mais la technologie MON 810 pourra être réintroduite dans des variétés plus récentes. En effet, au-delà de la technologie Bt ou « Roundup Ready », il y a aussi les caractéristiques et le fond génétique de la variété. En conséquence, tout le travail de création et de développement variétal n’est pas anéanti du fait de ce type d’innovation technologique.

M. le Président : Quand il y a eu accord sur un événement, par exemple le MON 810, une nouvelle autorisation est-elle nécessaire si l’on transfère l’événement ?

M. François HERVIEU : Non, une fois que vous avez l'autorisation, vous pouvez utiliser votre organisme suivant toutes les procédures conventionnelles, c’est-à-dire les programmes de sélection, d’amélioration, de transfert, de rétro croisement. Si un opérateur souhaite mettre la technologie Bt 176 d’un produit ancien dans une variété plus moderne, il est habilité à le faire.

M. le Président : A l’exception des produits comportant des gènes de résistance aux antibiotiques et qui vont être interdits ?

M. François HERVIEU : Au regard des gènes antibiotiques, la législation communautaire prévoit effectivement une élimination progressive des gènes de résistance aux antibiotiques qui portent ou sont susceptibles de porter préjudice à la médecine et à la médecine vétérinaire. Ainsi, des gènes qui seraient résistants à l’amycasine ou à des produits antibiotiques très utilisés, seront progressivement éliminés voire interdits, à partir de décembre 2004. Mais le gène de résistance à un antibiotique qui ne répond pas à cette caractéristique ne sera pas interdit.

M. le Rapporteur : Quelle est la définition du « risque faible » dans les essais en milieu confiné ?

M. François HERVIEU : Cet aspect relève de la compétence de la Commission du génie génétique, laquelle est chargée d’assurer le classement de l’OGM dans une classe de risque et de définir, en fonction de cette classe de risque, les conditions de confinement appropriées. Les OGM sont globalement classés en quatre classes de risque : la classe 1 concerne les OGM ne présentant quasiment pas de risque pour la santé publique ou l’environnement, qui ne sont pathogènes ni pour l’homme ni pour l’animal, et la classe 4 concerne des produits hautement pathogènes pour l’homme ou l’animal ou l’environnement.

C’est un peu le même cas de figure pour la dissémination, puisque des contraintes de dissémination vont être imposées sur des OGM plus ou moins caractérisés. Moins l’OGM est caractérisé sur le plan des risques plus les contraintes imposées par la décision d’autorisation sont importantes, avec des isolements reproductifs par une absence de floraison ou une castration des organes de reproduction, pour progressivement, avec l’accroissement des connaissances sur les risques, évoluer vers des conditions de culture qui se rapprocheront de celles appliquées traditionnellement et donc de celles d’une mise sur le marché. Par conséquent, il n’y a pas aujourd’hui de dissémination au champ au titre de la partie B de la directive sans aucune mesure de gestion du risque.

M. le Président : Merci de cet exposé très intéressant.

Audition du Professeur Roland ROSSET,
président de la Commission du génie génétique


(extrait du procès-verbal de la séance du 16 novembre 2004)

Présidence de M. François GUILLAUME, Vice-président.

M. François GUILLAUME, Président : J’ai l’honneur de remplacer le Président Le Déaut qui effectue une mission en Hongrie cette semaine. Nous recevons aujourd’hui M. le professeur Roland Rosset, président de la Commission du génie génétique (CGG), que je remercie d’être venu pour nous expliquer le rôle de cette commission ainsi que ses conditions de travail. Je vous propose de vous présenter à l’ensemble des membres de cette mission. Après votre exposé liminaire, nous procéderons à un échange de questions/réponses.

M. Roland ROSSET : Je suis ingénieur agronome de l’Institut national agronomique (INA) Paris. Après un court passage à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) où j’ai travaillé sur les boissons fermentées et la microbiologie, je suis entré au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et je ne suis passé à l’université que plus tard.

Ma spécialité a toujours été la génétique, la génétique bactérienne dans un premier temps, puis la génétique du développement des organismes supérieurs. J’ai fait partie de nombreuses commissions et j’ai présidé le conseil du département des sciences de la vie du CNRS au début des années 90. J’ai donc participé de façon très active à ce que l’on appelle le « gouvernement de la science » au sein de ces instances consultatives.

Depuis maintenant cinq ans, je préside la Commission de génie génétique créée par la loi de 1992 qui a deux fonctions, d’une part, celle d’évaluer les risques liés aux OGM et, d’autre part, celle de prévoir des mesures de confinement préventives de ces risques.

La Commission de génie génétique, contrairement à celle présidée par mon collègue Marc Fellous, est composée uniquement de scientifiques et d’un parlementaire
– M. Le Déaut précédemment et actuellement M. Francis Giraud, sénateur des Bouches-du-Rhône. Ces dix-huit experts scientifiques présentent un large éventail de compétences car nous devons traiter de dossiers relevant à la fois de la microbiologie, de la virologie, des systèmes animaux et des systèmes végétaux. Vu la composition de la commission dont on ne peut étendre le nombre des membres à l’infini, mais qui doit bénéficier d’une expertise indiscutable dans tous ces domaines, je dois dire que si nous disposons bien des compétences nécessaires, il n’y a pas de redondance.

La première mission de la CGG est l’évaluation des risques. L’évaluation du risque consiste à déterminer, en fonction d’un danger avéré ou potentiel, si ce danger va se manifester dans chacune des conditions d’utilisation. C’est un point important et j’en donnerai un exemple : un vecteur viral utilisé en thérapie génique présentera des risques différents, selon les phases de son utilisation. Tant que ce vecteur viral est préparé, cultivé en système bactérien, on peut dire que son risque est faible, mais au moment où on va l’amplifier pour l’utiliser dans un traitement sur animal ou homme, le risque devient plus important et, très souvent, on passe de la classe 1 à la classe 3 des risques. En revanche, lorsque le vecteur viral est prêt et utilisé dans des conditions de dilution plus grande, le risque diminue. Cet exemple montre combien l’évaluation du risque dépend des conditions d’utilisation.

La deuxième mission de la CGG est d’indiquer les mesures à prendre pour éviter que le risque se manifeste. La mesure la plus simple, et toujours utilisée, est le confinement.

Quand on est en présence d’un organisme non pathogène, le confinement est de niveau 1. Il s’agit du confinement le plus courant, le plus simple, celui d’un laboratoire classique. En revanche, lorsque le risque est plus élevé, on passe au niveau 2, 3 ou 4. Le niveau 4 est le plus élevé, un seul laboratoire en France respecte les conditions L4. Il s’agit du laboratoire P4 de Lyon, qui est un bunker en dépression où les personnels travaillent en scaphandre et où sont manipulés non seulement des organismes normalement pathogènes mais également des OGM qui pourraient l’être. Le niveau 3 est assez fréquemment utilisé ; le VIH, par exemple, est un pathogène de classe 3. Les laboratoires de classe 3 sont en dépression et il en existe toute une série en France dans les grands centres scientifiques.

Après avoir classé l’OGM dans une de ces catégories de risques, nous prescrivons des conditions de confinement qui varient en fonction du type d’OGM. Si l’OGM provient d’un micro-organisme qui se répand par voie aérienne, il est clair que les conditions sont différentes de celles d’un OGM de type « prion » qui ne se propage pas par voie aérienne.

Nos délibérations suivent deux procédures différentes.

– la procédure d’avis : les demandeurs, qui peuvent être des industriels ou bien l’Agence française de sécurité sanitaire de l’alimentation (AFSSA), ou l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé médicament (AFSSAPS) nous saisissent pour obtenir un avis de classement de nos OGM. Après délibération, j’adresse au demandeur un avis indiquant le niveau de risque et le confinement que nous proposons pour l’utilisation de cet OGM. Ainsi, l’AFSSAPS nous demande assez régulièrement des avis de classement pour les essais de thérapie génique.

– la procédure d’agrément, c’est-à-dire l’autorisation accordée à un laboratoire par le ministre de la recherche de manipuler des OGM. L’agrément est donné à un laboratoire pour un projet, un certain type d’utilisation et des procédures précises.

Le point suivant que je souhaitais aborder est celui du champ d’application de nos avis et de nos agréments.

Il y a d’abord la recherche. Pour vous donner une idée de notre travail, depuis le 1er janvier 2003, nous avons accordé 517 agréments et rendu 22 avis. Sur ces 539 actes, 81 répondaient à des demandes formulées par l’industrie, les autres émanaient de laboratoires de recherche publics. Il faut souligner qu’à l’heure actuelle, on ne peut plus faire de recherche biologique sans OGM. C’est pourquoi un de mes soucis a toujours été que les laboratoires de recherche puissent travailler et poursuivre leurs travaux normalement. J’insiste sur ce point parce que je ne voudrais pas que la future loi puisse, à quelque moment que ce soit, interférer avec le fonctionnement de la recherche.

Les projets concernent également la recherche et le développement, en aval, liés à l’utilisation d’OGM à des fins de production. Il faut en effet savoir qu’il existe tout un volet d’OGM dont on entend moins parler dans la presse car ils sont utilisés en milieu confiné. Par exemple, on utilise des fermenteurs de centaines de mètres cubes pour produire des molécules à l’aide d’OGM. Les OGM ont donc déjà pénétré et pénètrent de plus en plus la vie économique et industrielle mais en milieu confiné, c’est-à-dire dans des systèmes d’où ne sort aucune cellule vivante.

Pour ce qui est plus précisément de la production, nous recevons des demandes d’avis et d’agréments de tous les producteurs d’enzymes et de molécules qui sont des entreprises françaises et, souvent, étrangères. Cette démarche est réalisée en collaboration avec le ministère de l’environnement.

Les deux derniers champs de compétence de notre commission concernent les OGM destinés à être disséminés, qui sont ceux qui vous préoccupent le plus.

Les OGM destinés à être disséminés concernent un peu la thérapie génique, la plupart des essais de thérapie génique réalisés à l’aide d’OGM pouvant parfois – je ne dis pas toujours – conduire à une dissémination. La doctrine actuelle qui est de ne pas laisser sortir un malade d’une chambre d’isolement aussi longtemps qu’il peut contribuer à la dissémination d’un OGM est, dans un certain nombre de cas, très difficile à satisfaire. Nous nous interrogeons donc sur le risque que l’on courrait, ou que courrait le malade ou son environnement, si on laissait sortir un malade qui dissémine toujours des OGM. Sur ce point, je me demande si nous ne serons pas amenés à infléchir notre stratégie.

Notre dernier domaine d’intervention porte sur les essais au champ qui concernent essentiellement les végétaux car le problème de la dissémination des animaux ne se pose pas en des termes aussi cruciaux que pour les végétaux dans le cas d’essai au champ.

Je terminerai par plusieurs remarques.

La première est, qu’en règle générale – à quelques exceptions près – seuls les organismes de classe 1 font l’objet d’autorisations de dissémination, puisque la définition de la classe 1 est celle d’un organisme non pathogène ne présentant aucun risque pour l’environnement. On peut estimer qu’un maïs transgénique portant un gène de résistance est de classe 1 car il n’y a pas de pathogénicité avérée, du moins pour celui qui le manipule. J’insiste beaucoup sur ce point : notre classement n’intéresse que le manipulateur et son environnement. Jamais il n’est envisagé de lui faire ingérer ou de lui injecter l’OGM. Nous restons dans le cadre de l’utilisation « manuelle » d’un OGM et de l’environnement du manipulateur. Quand je parle d’un organisme de classe 1 non pathogène, c’est dans les conditions de manipulations normales de laboratoire, ce n’est pas du tout dans le cadre de la consommation ou de l’injection de l’OGM à un homme. Quand on parle de « dissémination », on change complètement de registre, puisqu’on envisage alors l’injection ou l’ingestion et qu’il s’agit d’apprécier les conséquences d’une large diffusion de l’OGM dans la nature.

Ma deuxième remarque porte sur le soin attentif apporté dans nos prescriptions au respect du confinement. Cela implique non seulement des structures de laboratoire ou d’usine convenables – il existe des règles parfaitement codifiées sur ce point –, des manipulations correctes – ce que l’on appelle « les bonnes pratiques de laboratoires » – et surtout, le traitement des déchets car il ne faut pas que les déchets puissent, de quelque manière que ce soit, contribuer à la rupture du confinement. L’ensemble des déchets émis par un laboratoire ou une entreprise doit être inactivé, c’est-à-dire qu’il ne doit plus y avoir d’organismes vivants dans les déchets. Dans les laboratoires, les déchets sont traités comme des déchets hospitaliers, c’est-à-dire stérilisés et incinérés. Dans l’industrie, nous demandons aux industriels de veiller à ce qu’il n’y ait plus de cellules vivantes, ce qui ne pose plus problème, puisque des traitements soit physiques soit chimiques permettent d’atteindre ce but.

C’est un point important. Il y a deux ans, on nous a demandé d’examiner le problème posé par le maintien de l’ADN génomique d’une cellule détruite. Nous avons réuni des spécialistes pour savoir si cet ADN pouvait contribuer à la dissémination. Leur avis a été très clair. Concernant la question de savoir s’il y a risque de dissémination à partir d’un maïs transgénique contenant un gène d’une enzyme de chien, dont l’ADN est mis dans la nature – ce qui est le cas puisque tout le système racinaire du maïs, les feuilles et les tiges, reste dans les champs – les spécialistes nous ont dit que le gène de l’enzyme gastrique de chien existant déjà dans la nature, ce n’est pas la faible contribution de l’OGM qui pourrait participer au risque de dissémination. Pour nous, ce problème a donc été réglé. En revanche, nous demandons qu’aucune cellule vivante ne sorte des installations, laboratoires ou entreprises.

Concernant le fonctionnement de notre commission, il faut savoir que nous examinons entre 250 et 300 dossiers par an, en huit séances, avec deux experts que je nomme sur chaque dossier, en fonction de leurs compétences. Sur la base de leur avis, je rédige soit un avis, soit une note qui servira à l’agrément donné par le ministre de la recherche dans le cas des laboratoires publics ou privés.

M. le Rapporteur : Pourriez-vous nous citer des cas dans lesquels l’autorisation, acceptée par vous, n’aurait pas été accordée par le ministère ?

M. Roland ROSSET : Nous nous contentons de donner un avis de classement en indiquant que tel OGM ou que l’utilisation de tel OGM correspond à telle classe et à tel niveau de confinement. Par conséquent, le ministre, en règle systématique – absolue même puisque, en cinq ans, je n’ai pas rencontré de cas de désaccord – retient notre classement et envoie un agrément conforme à notre recommandation. Je n’ai connu qu’un seul problème lié au désaccord entre le ministère de la recherche et un industriel : le ministère voulait marquer son mécontentement vis-à-vis de l’attitude de l’industriel, ce qui s’était traduit par un retard mais pas par un refus.

M. le Rapporteur : Pourriez-vous nous donner des exemples d’avis favorables et surtout d’avis défavorables ?

M. Roland ROSSET : Je pense à un cas remontant à quelques années. L’expert avait donné son avis d’expert, puis, dans un second temps, m’avait dit qu’en tant que citoyen et scientifique, il lui semblait que cette expérimentation était inutile, dangereuse. Je ne pouvais pas retenir cette remarque pour la rédaction de mon avis, mais l’expérimentation proposée nous a paru suffisamment contre-nature pour que nous la classions en risque maximal, rendant l’expérimentation infaisable. C’est le seul cas, à ma connaissance, où nous avons adopté une attitude de refus. Il ne nous est pas possible de « refuser », nous sommes obligés de rendre un avis mais si nous « surévaluons » notre classement, il est clair que nous pouvons empêcher la réalisation d’une expérimentation.

M. le Rapporteur : De quelle manipulation génétique s’agissait-il, en l’occurrence ? Quelle manipulation avez-vous refusé ?

M. Roland ROSSET : Nous ne refusons pas vraiment d’expérience, puisque nous nous contentons de donner un classement. En cinq années, jamais nous n’avons refusé d’expérience. Nous avons demandé des compléments d’informations pour encadrer l’expérimentation, mais n’en avons jamais refusé.

M. le Rapporteur : Excusez-moi, mais vous ne répondez pas à ma question. L’expérimentation portait sur quel sujet ?

M. Roland ROSSET : La plupart du temps, cela porte sur l’utilisation d’animaux.

M. le Rapporteur : Sur quel animal précisément ?

M. Roland ROSSET : Il s’agissait de deux essais concernant un traitement sur le chien par injection dans l’œil.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : De quelle bactérie s’agissait-il ?

M. Roland ROSSET : D’un virus. Scientifiquement, cela se justifiait parfaitement, mais nous nous sommes demandés si, réellement, ce type d’expérimentation se justifiait. Mais, je le répète, ce n’est pas notre rôle. Il s’agissait là de réactions personnelles des rapporteurs.

M. le Rapporteur : Le futur conseil des biotechnologies est placé sous la tutelle des ministères de l’environnement, de l’agriculture et de la recherche. Ne pensez-vous pas qu’il pourrait également être placé sous la tutelle du ministère de la santé ?

M. Roland ROSSET : Actuellement, je suis sous la double tutelle des ministères de la recherche et de l’environnement. Cela signifie que pour tous les actes importants, il faut l’accord simultané des deux ministères, ce qui est très lourd. Quand le ministre de la recherche nomme les membres, il faut un décret conjoint du ministre de la recherche et du ministre de l’environnement. C’est extrêmement laborieux et nous y perdons des semaines entières. Je m’interroge donc sur l’utilité de mettre des organismes sous la tutelle de multiples ministères. Mais ce n’est qu’un avis personnel.

M. le Rapporteur : Je comprends, mais pourquoi le ministère de l’environnement et pas celui de la santé ?

M. Roland ROSSET : Nous n’avons jamais affaire au ministère de la santé. Notre interlocuteur est le directeur de l’AFSSAPS. Je ne suis pas en train d’exclure le ministère de la santé mais je préférerais que l’on réduise au contraire le nombre des tutelles tant il est clair que des tutelles multiples posent plus de problèmes qu’elles n’aident à en résoudre.

Puisque vous évoquez la future loi, je souhaiterais soulever deux points.

D’après ce que je connais du texte, le conseil des biotechnologies devrait se composer de scientifiques qui formeront une sous-commission et de ce que l’on appelle « la société civile » qui en formera une autre. Il est prévu que pour qu’il y ait un avis du conseil des biotechnologies, les deux sous-commissions devront se prononcer. Mon inquiétude serait que, par exemple, la section scientifique rende un avis, alors que la section de la société civile refuse de le faire, ce qui bloquerait tout le processus. Dans une telle situation, la recherche serait particulièrement visée. Aussi, je me demandais s’il ne faudrait pas que, pour des projets concernant la recherche, seule, la sous-commission scientifique soit requise pour émettre un avis.

Le deuxième point porte sur l’unicité des dossiers prévue pour l’ensemble des deux sous-commissions. A la lecture d’un dossier, je peux connaître la stratégie de recherche d’un laboratoire ou, très souvent, la stratégie d’une entreprise. Mon inquiétude serait que cette stratégie, qui est un renseignement important, soit trop diffusée au sein d’une large commission. Je souhaiterais donc, personnellement, que le dossier scientifique remis à la commission scientifique pour sa délibération, ne soit pas forcément le dossier soumis à l’ensemble du conseil.

M. le Président : Avant de donner la parole à nos collègues, je vous poserai une question. Quelle est la répartition entre laboratoires privés et publics, des 300 dossiers annuels que vous traitez ? Est-ce la loi de 1992 qui oblige, et dans quelles conditions, ces laboratoires à vous soumettre leurs projets d’expérimentation et de recherche pour que vous puissiez juger du risque de dissémination ?

M. Roland ROSSET : La loi de 1992 prévoit que tous les OGM doivent être déclarés. Je ne pense pas qu’il y ait d’exception, ou cela reste marginal. C’est dans ce cadre que les industriels déposent une demande d’agrément. Actuellement, 15 à 20 % des projets proviennent de l’industrie et le reste émane de laboratoires de recherche publics, ou parapublics comme l’Institut Pasteur ou d’autres structures du même type.

La procédure de déclaration d’agrément est-elle une contrainte pour l’industrie ? Il me semble qu’elle l’est, mais il faut souligner que nous entretenons maintenant un excellent dialogue avec les industriels qui ont très bien compris le système et le font bien fonctionner. Il n’est pas inutile qu’un comité veille au classement car, parfois, nos experts sont en désaccord avec le classement retenu par les industriels eux-mêmes qui peut être inférieur à celui que nous retenons. Je ne suis pas contre le principe de l’allègement, mais il faut, à mon avis, conserver un système de vérification, même a posteriori, afin d’éviter toute dérive dangereuse.

M. François GUILLAUME, Président : Quelle est la législation en vigueur dans les autres pays de l’Union européenne ? Existe-t-il une recherche d’harmonisation européenne ? Ne se retrouve-t-on pas dans une situation comparable à celle que pose l’instrumentalisation des embryons, possible dans certains pays, interdite dans d’autres ?

M. Roland ROSSET : Nous avons des relations non pas institutionnelles mais personnelles avec les membres d’autres commissions en Europe et il est assez frappant de constater que l’interprétation que nous faisons des directives européennes, anciennes et nouvelles, est étonnement semblable d’un pays à l’autre.

Nous avons, par exemple, à régler le problème de l’autoclonage qui intéresse les industriels, puisqu’un micro-organisme autocloné n’a plus besoin – je ne dis pas qu’il échappe à la réglementation OGM – de mentionner que les produits qui en dérivent sont issus d’OGM. Les industriels en sont donc très demandeurs. Bien que l’autoclonage corresponde scientifiquement à un processus très précis, nous subissons des pressions constantes pour déclarer autoclonés un certain nombre de micro-organismes.

Sur cette question, j’ai pris contact, notamment, avec mes collègues hollandais qui ont les mêmes règles que les nôtres et qui subissent la même pression de la part de leurs industriels. Je pourrais formuler la même réponse sur la thérapie génique pour laquelle les experts étrangers aboutissent au même classement que nous. On constate une certaine homogénéité liée aux directives qui conduisent à des appréciations assez similaires, et même identiques dans nos différents pays.

M. André CHASSAIGNE : Vous avez parlé de 250 à 300 dossiers en six séances, soit une cinquantaine de dossiers par séance présentés par des experts nommés. Qui sont ces experts ? Leur indépendance est-elle garantie par rapport à l’industrie, mais aussi par rapport aux laboratoires publics ?

Les industriels et les laboratoires privés obtiennent des agréments pour des expérimentations. Mais n’y a-t-il pas un risque qu’au bout d’un certain nombre d’années le fruit de leurs expérimentations tombe dans le domaine public et qu’il n’y ait plus de contrôle alors ? Vous avez vous-même évoqué le contrôle a posteriori. Je souhaitais obtenir quelques précisions sur les contrôles et sur l’évaluation, en aval, des décisions.

Vous avez également parlé du maïs transgénique de classe 1, qui ne concerne que le préparateur et son environnement, je souhaiterais que vous nous donniez quelques explications sur le passage éventuel de ce maïs transgénique dans la consommation. Qui donne un avis dans ce cas ?

M. Roland ROSSET : En ce qui concerne l’indépendance des experts, il faut d’abord préciser que tous les scientifiques faisant partie de la commission sont des scientifiques qui font de la transgénèse, qui l’ont pratiquée et qui, par conséquent, en connaissent sinon tous les secrets, du moins tous les pièges. La question de l’indépendance a été posée sous deux aspects.

Le premier problème est le cas du scientifique qui, en dehors de son laboratoire, est le conseiller ou bien même participe au développement d’une entreprise. Si je suis confronté à cette situation, j’ai le choix entre deux attitudes. La première est de ne pas confier à cet expert ce qui relève d’entreprises concurrentes ou ayant la même activité, pour respecter la confidentialité. C’est le cas le plus fréquent. Il concerne actuellement deux membres de la commission. La seconde serait de procéder au remplacement de ces experts.

Le second problème tient aux pressions dont les experts peuvent faire l’objet
– et desquelles nous ne sommes jamais à l’abri. Nous sommes, de temps en temps, l’objet d’interventions et c’est l’occasion de distinguer le bon expert du mauvais. Un bon expert est celui qui, non seulement a des compétences, mais qui sait aussi rester indépendant. Je suis émerveillé à chaque séance de l’étendue des connaissances des membres de cette commission ; ce sont d’extraordinaires scientifiques qui connaissent non seulement leur domaine mais tout ce qui s’y rapporte.

Sur le problème de l’indépendance, il y a donc deux aspects, le premier est l’implication directe dans une entreprise travaillant sur ce que l’expert est censé juger, ou dans une activité concurrente. Il me revient alors de veiller à ce que cet expert n’intervienne pas dans ces appréciations. Puis, il y a le problème plus général des pressions extérieures.

Pour ce qui est des contrôles, les agréments sont jusqu’à présent donnés pour cinq ans. Au bout de cinq ans, nous revoyons passer les dossiers, et c’est actuellement le cas. Dans la nouvelle loi, tout ce qui concerne les classes 1 et 2, c’est-à-dire les niveaux de risque les plus bas, fera l’objet d’une simple déclaration. Nous ne reverrons plus ces dossiers. Seuls les agréments correspondant aux classes 3 et 4 seront éventuellement revus au bout de cinq ans. Vous soulevez là un problème important, que j’appelle gentiment la « dérive des projets » dans les laboratoires. On commence par un élément anodin, puis, on en rajoute et il y a dérive. Vous avez raison de poser la question et je n’ai pas de réponse à y apporter. Mais il faudra dans la nouvelle loi que vous prévoyiez le moyen de revoir les avis et agréments donnés.

M. François GUILLAUME, Président : M. Chassaigne demandait également qui nomme les experts. Je suppose que c’est le ministre ?

M. Roland ROSSET : La nomination est faite par les ministres de la recherche et de l’environnement, sur proposition. Quatre sont proposées par le ministre de la recherche, un par le ministre de l’éducation nationale, quatre par le ministre de l’environnement, deux par le ministre de la santé, un par le ministre des armées, un par le ministre de l’intérieur et un par le ministre de l’industrie.

Les industriels souhaiteraient que le ministre de l’industrie s’implique dans ces problèmes d’OGM.

Les ministres de la recherche et de l’environnement sont très présents. Le ministre de la santé l’est aussi parce qu’il est utilisateur. Le ministre de l’intérieur ne s’est pas trop manifesté jusqu’à présent mais demande maintenant à être tenu au courant et pour le ministre de la défense, c’est, en fait, un militaire que je connais bien, qui est un scientifique des laboratoires de l’armée où il s’occupe de bioterrorisme et autres sujets de ce type ; nous avons donc une interface opérationnelle.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Il y a peu de temps, le Parlement, à la demande du Président de la République, a voté une charte de l’environnement qui consacre – même si c’est de façon certainement imparfaite – les principes de précaution, d’information et de réparation. Je voulais connaître votre sentiment sur cette charte.

Par ailleurs, alors que la variole a été complètement éradiquée, une polémique s’engage pour savoir s’il faut conserver l’agent responsable de la variole, parce que des industriels et des scientifiques souhaitent l’utiliser dans les manipulations génétiques à des fins dont aujourd’hui, le grand public, et probablement certains scientifiques, ignorent l’objet. Qu’en pensez-vous ?

Enfin, si j’ai bien compris, vous êtes réservé sur la possibilité de donner au collège de la société civile les mêmes informations qu’aux scientifiques. Est-ce à dire que ces personnes dont le niveau est pourtant jugé suffisant pour faire partie de cette commission ne sont pas capables de comprendre les enjeux ? Pourquoi semblez-vous ne pas leur faire confiance ? Pensez-vous que les populations et les citoyens sont incapables d’analyser ce qui se fait et d’avoir une opinion ?

M. Roland ROSSET : Pour ce qui est du virus de la variole, comme d’autres, on a publié la séquence nucléotidique complète. Cela signifie qu’un bon chimiste – et ils sont nombreux dans le monde – peut à tout moment reconstruire le virus. Donc, à l’heure actuelle, même si l’on détruit tous les stocks de virus de la variole existants, un mauvais esprit pourrait toujours le refaire. Par ailleurs, j’ai lu, il y a deux jours, dans une base que je consulte périodiquement, qu’aux Etats-Unis, les organismes de recherche envisagent de travailler sur le virus de la variole pour en faire un vecteur.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Oui, mais je vous demande ce que vous en pensez.

M. Roland ROSSET : On peut tout détruire, mais je connais quatre ou cinq personnes en France qui, si elles le voulaient, pourraient reconstituer un virus de la variole. Nous ne l’empêcherons jamais. C’est le drame du génie génétique : cela ne coûte pas cher et, dès lors que l’on dispose du savoir faire, on peut faire beaucoup de choses. C’est vrai aussi en bioterrorisme. Cela dit, je suis opposé à la manipulation du virus de la variole car je pense qu’il existe d’autres virus bien plus intéressants.

En ce qui concerne la mise en place d’un dossier unique, je constate que pour l’examen des dossiers nous demandons très souvent à l’opérateur de nous communiquer des détails sur son OGM. Si nous le voulions, ces précisions nous permettraient de reproduire ce qu’il est en train de faire. Or, il me semble essentiel de protéger les savoir faire industriels. C’est cet aspect du problème que je considère. Ce qui nous intéresse est de savoir comment les personnes sont parvenues au résultat et je voudrais éviter que ce savoir-faire soit divulgué. Actuellement, le dossier qui nous est remis et les informations qu’il renferme ne sont consultés que par les deux rapporteurs et moi-même. Je ne voudrais pas que cela aille au-delà.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Cela signifie qu’il n’y a pas de transparence.

M. Roland ROSSET : Notre classement porte sur le résultat de l’OGM final. Je souhaiterais protéger les moyens par lesquels on parvient à ce résultat.

A propos de la charte de l’environnement, je m’exprimerai sur deux points.

Tout d’abord, je ne suis pas sûr, contrairement à ce que souhaite le Président de la République, que cela doive faire partie de la constitution. Mais je n’exprime là que le point de vue personnel du citoyen que je suis.

Ensuite, je ne sais pas ce qu’est le principe de précaution, même après avoir lu l’épais rapport de M. Kourilsky. Pour ma part, je fais une analyse scientifique des risques qui peut varier dans le temps, en fonction des connaissances scientifiques que nous accumulons. Nous faisons le raisonnement suivant : « Etant donné notre analyse des risques, nous estimons que le risque maximal encouru est celui-là et que, dans ces conditions, les modalités que nous devons utiliser pour manipuler les OGM sont les suivantes… »

Je vais illustrer mes propos. Il existe un virus d’oiseau, qu’on appelle un canarypox, utilisé en vaccination chez l’homme. Il est employé dans des essais de vaccination contre le cancer de la prostate, par exemple. Il est intéressant car il ne se divise pas dans les cellules humaines. Autrement dit, il est analogue au virus que nous utilisons pour nous protéger de la variole. Il y a eu un variant, c’est-à-dire un OGM amélioré de ce canarypox qui, dans deux cas, s’est révélé capable de se diviser en culture de cellules humaines. Il semble que ce sont deux lignées de cellules qui n’ont rien à voir avec des cellules normales. Par conséquent, nous avons considéré que ce variant, cette nouvelle souche que l’on appelle Alvac 2, devait être traité comme s’il se répliquait chez l’homme, en attente d’information plus large. Nous avons donc pris l’évaluation maximale du risque pour décider de notre classement. C’est ainsi que nous évaluons les risques dans le cas des OGM.

Ce que je veux dire est que l’évaluation scientifique tient toujours compte des connaissances au jour d’aujourd’hui. Si demain, des industriels qui utilisent ce vecteur nous montrent qu’il ne se réplique que dans ces deux lignées cellulaires, nous reviendrons à un classement plus bas.

M. Francis DELATTRE : D’abord, je vous rassurerai en vous disant qu’il existe des parlementaires partageant largement votre avis sur le principe de précaution.

Ma question s’inscrit dans la continuité de celle de notre collègue. Les essais confinés, disiez-vous, ne semblent pas poser de grande difficulté au grand public. La difficulté, aujourd’hui, c’est la chaîne alimentaire.

M. Roland ROSSET : Effectivement.

M. Francis DELATTRE : Pour prolonger les questions précédentes, je souhaiterais savoir qui, finalement, donne l’agrément. Vous avez cité plusieurs ministres, sauf celui de l’agriculture et de l’alimentation.

La difficulté actuelle, celle qui explique la mise en place de notre mission, est pourtant le problème des essais au champ sur un certain nombre de végétaux OGM, sur la dangerosité desquels nous aimerions connaître votre avis car nos positions sont très divergentes.

Par exemple, la Commission européenne doit rendre un avis sur un certain nombre de maïs transgéniques qui ont déjà fait l’objet d’une étude et qui ont largement fait le tour des ministères, lesquels se renvoient, si je puis dire, « la patate chaude ». Parmi ces maïs, il en est un résistant aux glyphosates et un permettant d’auto détruire certains insectes dont la pyrale du maïs. Avez-vous eu à connaître de ces deux OGM ? Qu’en pensez-vous ? Il paraît étonnant que le ministre de l’agriculture ne soit pas votre interlocuteur courant.

M. Roland ROSSET : En ce qui concerne l’alimentation, c’est l’AFSSA, en charge de ces dossiers, qui nous demande un classement. Mais il s’agit d’un classement de l’OGM pour un manipulateur courant, non pour un consommateur.

Pour ce qui est des thérapies géniques, c’est l’AFSSAPS qui nous saisit pour avis et cet avis ne porte pas sur l’effet que pourrait avoir l’OGM sur un malade à qui on l’aurait injecté. Pour notre part, tant que nous sommes en confinement, nous évitons précisément d’injecter ou d’ingérer l’OGM. Marc Fellous, Président de la Commission du génie biomoléculaire, dont c’est le centre d’intérêt, vous répondra mieux que moi sur ce point.

Si je prends l’exemple d’un maïs Bt ou d’un maïs résistant aux herbicides, il faut s’interroger sur sa toxicité et, ensuite, sur ses effets à long terme. Ce sont eux qui sont importants car les effets immédiats et à moyen terme sont bien analysés. Les Américains en consomment depuis sept ou huit ans et nous n’avons rien noté jusqu’à présent. Mais vous savez très bien que les effets de certains médicaments ne se sont révélés que sur la génération suivante et sur ces effets-là, il faut bien reconnaître que nous sommes sans information.

Actuellement, on nourrit des animaux de toutes tailles pendant de longues périodes avec ces OGM pour observer d’éventuels effets adverses qui influeraient sur la croissance, la fertilité, ou des aspects de ce type. Mais il est vrai que la panoplie d’essais est assez réduite, puisqu’on est obligé d’attendre.

Si vous me demandez mon avis, je ne pense pas que le risque lié à ces OGM est grand. Pour le dire plus clairement, à la question de savoir si j’en consommerais, ma réponse est affirmative. Mais il s’agit d’une réponse que je fais en tant qu’individu, pas en tant que chercheur. Le problème de la voie alimentaire reste posé.

L’autre point que je veux développer est le fait qu’à l’heure actuelle, les OGM mis sur le marché par les semenciers ne présentent pas grand intérêt pour l’agriculture française, parce que le gain que les agriculteurs peuvent en attendre est mince. En revanche, il existe d’autres OGM, par exemple, de colza ou de betterave, auxquels je suis opposé car le risque de dissémination ou de transmission à des espèces voisines est avéré. En tant qu’ancien agronome, je dirais qu’il ne faut pas courir ce risque. Le maïs n’ayant pas de parent en France, le risque de dissémination est faible.

M. Francis DELATTRE : Concernant le colza, des études poussées sur la dissémination montrent qu’elle est de l’ordre d’une chance pour un million. Cela ne se fait pas comme cela.

M. Roland ROSSET : … et c’est abortif, je suis d’accord.

M. Francis DELATTRE : L’intérêt des OGM n’est pas seulement agricole, il est aussi environnemental. A partir de l’amidon du maïs, par exemple, on peut assez facilement remplacer tous les plastiques de supermarché. On ne peut pas le faire pour l’instant parce que le taux d’amidon n’est pas suffisamment élevé et que cela coûte encore cher. Mais en réduisant les coûts de 30 % – ce qui paraît assez facile, puisqu’on ferait l’économie de trois ou quatre herbicides en utilisant un seul traitement par glyphosate ou Roundup – nous aurions un maïs moins cher, pourvu d’un taux d’amidon plus élevé, et nous pourrions nous lancer dans l’industrie de remplacement des plastiques à partir d’une matière totalement biodégradable. Nous souhaiterions que vous examiniez tous ces effets, car il faut prendre en considération non seulement l’utilisation alimentaire mais aussi l’utilisation industrielle.

M. François GUILLAUME, Président : Nous verrons cela avec M. Fellous.

M. Roland ROSSET : Tout à fait.

M. Michel LEJEUNE : Vous parliez de la toxicité des molécules chimiques pour lesquelles on s’est aperçu qu’elles avaient des effets à long terme. Faites-vous une différence entre la toxicité à long terme d’une molécule chimique sur une descendance et celle des OGM ? Une expérimentation ne pourrait-elle pas être entreprise, par exemple, sur des animaux tels que la souris ou le lapin qui ont une multiplication rapide et sur lesquels on peut étudier les effets d’une éventuelle toxicité sur un certain nombre de générations ?

M. Roland ROSSET : Ces essais ont été réalisés. C’est ce que j’appelle les effets sur la fertilité, sur la descendance. Jusqu’à présent, rien n’a été trouvé. De même, rien n’a été trouvé concernant un éventuel effet allergène. Cela n’exclut pas qu’une fois sur 500 millions, un individu puisse être allergique. Pour le moment, rien n’a été trouvé. C’est tout ce que l’on peut dire. On ne peut pas dire que cela n’existe pas, on peut simplement dire que, pour le moment, cela n’a pas été trouvé.

Mais, si vous le permettez, je voudrais revenir sur un point. Il me semble, en tant que citoyen, qu’il faudrait pouvoir distinguer les végétaux destinés à la nutrition humaine ou animale et les végétaux destinés à une utilisation industrielle.

M. Serge ROQUES : Pouvez-vous nous indiquer le pourcentage d’essais acceptés ou rejetés par votre commission ?

M. Roland ROSSET : Nous ne rejetons pas. Nous attribuons un classement qui rend l’expérience infaisable. Par exemple, les expérimentations classées de niveau 3 requièrent une installation que l’on appelle un P3, si les utilisateurs ne disposent pas d’un P3, ils ne peuvent pas les faire. Par conséquent, nous n’interdisons pas, mais nous demandons des conditions qui ne sont pas forcément remplies par le demandeur. Nous sommes tenus de répondre, nous devons donc donner un classement. Ce classement peut être tel que, finalement, le demandeur ne peut mettre en place l’expérimentation.

Mme Chantal ROBIN-RODRIGO : Dans ce cas, y a-t-il un contrôle ?

M. Roland ROSSET : La loi de 1992 prévoit un contrôle qui a été mis en place par le ministère de la recherche après les multiples demandes de mon prédécesseur et de moi-même. Des contrôleurs, qui sont des personnes assermentées, en général, détachées de l’université ou des organismes de recherche à temps partiel – un quart temps, généralement – vont vérifier la conformité de la déclaration et de l’utilisation sur tout le territoire.

Cela ne se met en place qu’à l’heure actuelle. Je vous indique qu’au moment du 11 septembre 2001, j’avais envoyé une note au ministre de la recherche en lui indiquant que le système de contrôle n’existait pas. Je n’ai jamais reçu de réponse.

M. Germinal PEIRO : Je souhaiterais avoir une précision : la dissémination des végétaux OGM se fait par pollinisation ?

M. Roland ROSSET : Oui, ou par graine. Le colza, par exemple, a des graines tellement fines qu’elles peuvent se répandre le long des chemins, comme en témoignent les repousses de colza que l’on voit un peu partout en France.

M. Germinal PEIRO : Elle repousse, mais ne contaminera les espèces voisines que par pollinisation ?

M. Roland ROSSET : Tout à fait.

M. Germinal PEIRO : Vous dites traiter quelque 200 dossiers par an, alors que je suis incapable, pour ma part, de citer plus de cinq produits OGM. Alors, sur quoi portent ces dossiers concrètement ?

M. Roland ROSSET : Je vous donnerai un exemple. Dans les laboratoires, toute la recherche actuelle sur le comportement s’effectue sur des animaux qui sont toujours transgéniques. Ces animaux sont des OGM ; en tant que tels, ils doivent être déclarés.

M. Germinal PEIRO : Quel est le but de ces recherches ?

M. Roland ROSSET : L’étude du comportement consiste, par exemple, à regarder si l’accoutumance à une drogue est liée à une certaine forme de gène. On introduit donc ce gène dans le rat pour étudier sa tendance à consommer de l’alcool ou de la drogue.

En biologie du développement – c’est mon domaine – toutes nos expériences sont réalisées avec des animaux transgéniques : des souris transgéniques, des drosophiles transgéniques, des lapins transgéniques. Par exemple, l’un de mes collègues vient de transférer la maladie de la vache folle à un lapin transgénique.

Toute une partie de la recherche est, aujourd’hui, entièrement dépendante de l’utilisation d’OGM.

M. le Rapporteur : Si vous aviez des recommandations à nous soumettre dans le cadre du projet de la future loi, quelles seraient-elles ?

M. Roland ROSSET : Je vous ai déjà indiqué les deux points qui me paraissaient importants. D’une part, j’aimerais réellement que les décisions concernant la recherche soient sauvegardées, c’est-à-dire qu’il y ait sinon une priorité, du moins un souci important de la recherche. D’autre part, je reviens sur le problème des dossiers pour lesquels j’aimerais que l’on distingue ce qui est mis sur la place publique et ce qui relève réellement du secret industriel.

Le troisième point que je n’ai pas abordé a trait au Comité de biovigilance. Il est prévu que ce comité fasse partie de la même instance. Or les deux commissions CGG et CGB font une évaluation a priori, alors que le Comité de biovigilance fait du contrôle a posteriori. Je crains qu’il soit très difficile de faire cohabiter dans une même structure ce qui relève de l’évaluation d’un risque qui se fait en fonction des données dont on dispose, et l’évaluation a posteriori de ce qui s’est passé. Il faudrait réellement que les deux étapes soient clairement distinguées.

M. François GUILLAUME, Président : M. le professeur, je vous remercie de toutes ces informations. Comme je prévois que nous aurons besoin de précisions, la mission se permettra de faire à nouveau appel à vous, si nécessaire. Quelques problèmes se posent de manière très publique alors que, finalement, il semble qu’il y ait un foisonnement, une banalisation des OGM – dans les laboratoires tout du moins – qui est tout à fait étonnante. Elle est source de chances pour l’avenir, mais exige de la précaution.

M. Roland ROSSET : Mon inquiétude est de voir – je dépasse là totalement mon rôle – la façon dont les OGM sont banalisés ailleurs dans le monde, hors de la France. Cette année, la moitié du coton produit en Chine sera transgénique.

M. le Président : Je vous remercie.

Audition de M. Marc FELLOUS,
président de la Commission du génie biomoléculaire
et de M. Antoine MESSÉAN, vice-président


(extrait du procès-verbal de la séance du 16 novembre 2004 )

Présidence de M. François GUILLAUME, Vice-président,
puis de M. André CHASSAIGNE, Secrétaire

M. François GUILLAUME, Président : Nous recevons M. Marc Fellous accompagné de M. Antoine Messéan, respectivement président et vice-président de la Commission du génie biomoléculaire, la CGB. Nous souhaitions vous rencontrer pour que vous puissiez nous faire part de vos recommandations. Je rappelle que la CGB a été créée en 1986 et que le premier président en a été le professeur Axel Kahn.

Dans un premier temps, je vous demanderai de nous présenter cette commission, sa composition, les travaux qui l’occupent, la façon dont se font les désignations et les procédures utilisées. Vous pourrez nous dire comment et à qui vous rendez vos avis, s’ils sont toujours suivis et, dans la négative, pour quelles raisons.

M. Marc FELLOUS : Nous sommes vraiment heureux d’être reçus par votre mission pour vous exposer la façon dont nous travaillons et nos propositions pour l’avenir.

Mon exposé se divisera en quatre parties : la mission de la CGB ; notre manière de travailler, d’évaluer les risques pour la santé et l’environnement ; les propositions susceptibles d’améliorer notre travail du fait des limites de notre expertise scientifique ; et les points forts de notre message.

Je suis médecin et mon collègue, M. Antoine Messéan, est ingénieur agronome. Je pense que nos analyses sont complémentaires.

Comme vous l’avez dit, la Commission du génie biomoléculaire a été créée
en 1986. Sa mission est d’évaluer les risques pour la santé publique et l’environnement. Elle est composée de onze experts scientifiques et de sept représentants de la société civile, dont les noms figurent dans le document que je vous ai distribué. Nous avons le plaisir de compter parmi nous un représentant de l’Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques qui nous est fort utile.

La CGB est une commission indépendante, chargée d’évaluer les risques pour la santé publique et l’environnement de toute dissémination volontaire d’OGM, que ce soit dans le cadre de l’expérimentation au champ ou de la mise sur le marché, quand celle-ci est autorisée. Cette consultation s’opère soit au niveau national, dans le cas de l’expérimentation au champ, soit au niveau communautaire, dans le cas de la mise sur le marché.

J’insisterai d’emblée sur deux points importants. Tout d’abord, la CGB n’a pas pour vocation de faire des analyses sur bénéfices ou des études socio-économiques ou de coexistence. Ensuite, nous transmettons des avis et ce sont les services compétents dont nous dépendons – le ministère de l’agriculture, l’ancien ministère de l’environnement et, indirectement, le ministère de la santé – qui décident. La décision est donc prise à l’échelon politique ; nous n’écrivons que des avis.

Enfin, une dernière mission de la CGB est de répondre à des saisines. Si, par exemple, un travail rendu public sur une question précise émeut la population, nos ministères de tutelle nous saisissent pour mener une réflexion permettant de répondre à cette question pointue.

Il est également important de préciser que nous faisons une analyse au cas par cas. Chaque plante posant un problème différent, on ne peut pas généraliser. Le maïs pose un problème, le colza en posera un différent. Une plante donnée, d’après le transgène considéré, selon, par exemple, qu’il la rendra résistante à un herbicide ou à un insecte, sera différemment analysée.

Autre aspect important : s’agissant d’une expertise scientifique, elle est limitée par l’état des connaissances. C’est une expertise scientifique qui doit être dynamique, en fonction de nos connaissances et de l’expérimentation, qui va, elle-même, nous apporter des connaissances. Il y a donc une obligation de recherche : nous devons en permanence être à l’écoute des évolutions de la recherche, celle de nos chercheurs français comme celle des chercheurs étrangers.

Nos missions sont donc claires, elles ont des limites et nous communiquons nos avis aux ministres de tutelle.

Le deuxième point de mon propos porte sur la manière dont nous travaillons et sur ce qu’il faut entendre par « l’évaluation du risque pour la santé publique et l’environnement ». Il faut distinguer trois types d’évaluation, qui posent des problèmes totalement différents : la première évaluation porte sur l’OGM en milieu confiné, la deuxième concerne cet OGM en expérimentation au champ, la troisième concerne le cas de mise sur le marché.

Vous avez déjà entendu le professeur Roland Rosset, qui est responsable de la partie OGM en milieu confiné. Dans cette analyse, nous intervenons pour faire des expérimentations préalables à toute continuation. Par exemple, le milieu confiné permettra d’étudier si la protéine purifiée produite par la plante est toxique ou non sur des souris ou des rats. Elle nous permettra aussi de faire des tests in vitro sur l’entomofaune3 : celle-ci est-elle spécifique de l’insecte ou pas ? On pourra également étudier la séquence du transgène : s’agit-il d’une séquence dont on connaît le phénomène allergique, des épitopes allergiques ? On peut aussi – c’est la spécialité de mon collègue – faire des simulations in sinco de flux de pollen, en fonction de multiples paramètres dont les résultats en milieu confiné pourront ensuite être comparés avec les résultats au champ.

Les résultats de cette évaluation en milieu confiné – qui conduiront peut-être à stopper un OGM ou, au contraire, justifier sa poursuite –, ne permettent pas de passer tout de suite à la mise sur le marché. Il faut une phase d’expérimentation au champ. Elle est obligatoire dans la mesure où le milieu confiné ne permet pas d’analyser le caractère complexe d’une plante dans son environnement (ensoleillement, température, vents, etc..). C’est un point important dont nous voudrions discuter avec vous.

Par exemple, l’expression de la protéine du transgène dans les différentes parties de la plante donnera des résultats différents, selon que la plante sera dans une serre ou au champ. Nous savons aujourd’hui qu’une même plante, dans des lieux géographiques différents, a des niveaux d’expression différents. Nous sommes obligés de tenir compte de toute la complexité de la biologie d’une plante et du monde vivant. C’est la raison pour laquelle, il nous semble que refuser l’expérimentation au champ est quelque peu illusoire.

Un autre exemple est celui du test de « l’équivalence en substance », très utilisé dans l’analyse d’alimentarité, qui permet, grâce à des outils très subtils, de comparer une plante OGM et la même plante non-OGM jusque dans ses compositions les plus fines. Ces comparaisons n’ont de sens que si la plante pousse dans son milieu naturel et il est impensable d’imaginer procéder autrement.

Toujours dans l’alimentarité, les nouvelles directives imposent de faire des expériences de toxicologie chronique, c’est-à-dire de donner à manger à des rats ou d’autres animaux des quantités données de grains de maïs ou de grains de colza. Il est évident que ces grains doivent être cultivés à grande échelle pour disposer de suffisamment de matériel d’expérimentation et dans des conditions correspondantes à ce qui sera un jour mis sur le marché. Enfin, après des simulations en milieu confiné, il faut bien vérifier que ces simulations théoriques sont valables ou pas.

Le dernier point intéressant est l’effet sur l’entomofaune. Des résultats obtenus par nos collègues anglais, lors d’expérimentations au champ, ont montré qu’en Angleterre, un OGM, le colza tolérant à un herbicide, avait un effet négatif sur certains organismes de la faune. Inversement, le maïs tolérant à un herbicide avait sur eux un effet positif indirect.

Je pourrais citer bien d’autres exemples, démontrant la nécessité de l’expérimentation au champ. C’est la physiologie même de la plante, si je puis dire, qui le nécessite.

La dernière situation dans laquelle nous intervenons se présente si l’expérimentation au champ donne tous les éléments permettant de continuer. Le pétitionnaire demande alors une phase de mise sur le marché qui va poser des problèmes totalement différents de ceux rencontrés lors des phases d’expérimentation car on a alors affaire à des surfaces plus étendues, des durées plus longues – dix ans – et des impacts que nous n’avions pas nécessairement prévus a priori et que l’on va pouvoir vérifier a posteriori. La mise sur le marché va donc nous apporter de nombreuses informations, qu’elles aient été prévues ou pas.

Sur les procédures réglementaires applicables à ces trois types de situation, je me limiterai à rappeler très brièvement que l’expérimentation au champ est une procédure nationale qui implique la CGB. Nous informons nos ministres de tutelle, rédigeons un avis et indiquons si l’expérimentation en cause suscite ou non des objections. La mise sur le marché est une procédure communautaire longue et très complexe dont les modalités sont présentées dans le document qui vous a été remis. C’est vraiment un parcours du combattant. Le diagramme de parcours est le suivant : la France communique à la Communauté européenne. Il y a éventuellement un retour à la France puis, à nouveau, à la Communauté européenne en passant par un très grand nombre de commissions. Il est vraiment important de souligner que nous ne travaillons pas seuls. De nombreuses commissions nationales ou européennes sont impliquées.

Pour la mise sur le marché, l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) donne son avis, qui peut être en accord ou non avec le nôtre. Je souligne d’ailleurs qu’au sein de la CGB, en plus des experts scientifiques et des représentants de la société civile, assistent systématiquement à nos réunions un représentant du ministère de la santé, un du ministère de l’environnement ainsi qu’un représentant de l’AFSSA pour assurer un lien entre notre travail et celui des autres commissions.

Pour en terminer sur les procédures, je rappelle que notre manière de travailler a été modifiée par la directive 2001/18/CE sur les points suivants : une réglementation plus rigoureuse, une obligation de surveillance pour la mise sur le marché, une autorisation qui ne peut excéder dix ans ; une obligation de traçabilité, d’étiquetage et de processus d’alerte.

Je passerai maintenant à la pratique de l’évaluation, ses limites et la façon dont nous verrions tout cela évoluer car, en tant que scientifiques, nous ne considérons pas que le système est figé ; il doit évoluer dans la limite, toutefois, de notre savoir, de la complexité des connaissances qui elles-mêmes évoluent avec le temps. J’insisterai donc sur quelques points qui me semblent essentiels de ce point de vue.

Premier point, nous avons précédé la 2001/18/CE en définissant des grilles d’analyse sur lesquelles s’appuient nos experts, que ce soit pour le dossier B traitant de l’expérimentation au champ ou pour le dossier C traitant de la mise sur le marché. Ces grilles sont décrites dans le document distribué. Elles définissent des points que nous pensons nécessaires à notre information pour pouvoir juger, analyser et confronter nos données entre experts.

Les grilles applicables aux dossiers de mise sur le marché comportent des questions plus précises, plus pointues : par exemple, la grille sur l’expression des gènes ou celle portant sur la toxicité de l’OGM, les résultats, l’information suffisante ou insuffisante, les modèles animaux, la pertinence des études… Toute une série d’informations nous permettant de cadrer nos outils d’analyse.

Deuxième point : il faut diversifier les compétences de notre commission pour améliorer notre évaluation des risques sanitaires et environnementaux.

Par exemple, nous voudrions que le nombre d’experts en épidémiologie soit augmenté. Les questions de traçabilité et d’étiquetage relèvent de l’épidémiologie et de l’écotoxicologie. La toxicologie est importante, mais l’écotoxicologie est une association des deux spécificités. Ces spécificités existent en France, quoique peu représentées, et nous souhaiterions qu’elles soient présentes au sein de notre commission. De même, nous voudrions renforcer la présence d’entomologistes ou de généticiens des populations. Nous en avons un pour l’instant, mais je pense que le sujet est suffisamment difficile et complexe pour que leur présence soit accrue.

Troisième point : nous avons amélioré et précisé nos règles de fonctionnement. C’est ce que nous appelons le règlement intérieur, qui figure également dans le document que je vous ai remis. Il concerne la désignation des experts – nous établissons une liste d’experts qui est validée par la commission – et la rédaction des avis – précédemment, nos avis faisaient une à deux pages, aujourd’hui, de cinq à dix.

Le quatrième point concerne l’information du public qui n’était pas assez présente dans notre travail et que nous avons améliorée peu à peu dans le sens de la transparence. Nous avons créé un site Internet où tous nos avis, dès leur validation par la commission, sont mis en ligne. Toute commission fait l’objet d’un procès-verbal, qui est un outil interne de notre commission, que nous validons. Les procès-verbaux comportant certaines données confidentielles ne sont donc pas mis en ligne sur le site Web, mais chacun fait l’objet d’une synthèse comprenant tous les éléments importants, votes compris, que nous rendons accessibles au public.

Vous pouvez comprendre qu’il est toujours difficile d’essayer de bousculer le fonctionnement d’une commission car on se heurte toujours aux mêmes problèmes de moyens. Normalement, nous devrions disposer d’un secrétariat important pour assurer le recensement de tous les articles nouveaux posant problème et la mise à jour du site Web. C’est un travail très lourd qui n’est pas encore fait de façon satisfaisante.

Pour améliorer l’information du public, M. Messéan et moi-même organisons des conférences de presse tous les ans, ou lorsqu’un problème exceptionnel se pose. Lors de la conférence de presse annuelle, nous présentons et distribuons notre rapport d’activité à la presse, spécialisée ou non, et nous répondons aux questions des journalistes, dans les limites de l’expertise. C’est une tâche difficile parce que les problèmes sont complexes.

Par ailleurs, je voudrais vraiment insister sur un point : chaque fois que nous rencontrons un problème difficile, complexe, nous organisons des séminaires pointus de recherche avec tous les membres de la CGB auxquels s’ajoutent des experts externes. Ainsi, en 2000, nous avons tenu un séminaire de trois jours sur la question des gènes de résistance aux antibiotiques, dont les actes ont été publiés sous la forme d’un livre accessible au public.

En 2001, nous nous sommes réunis autour du thème des flux de pollen – quelles sont les distances, quelles sont les manières de limiter ces flux, au cas par cas, plante par plante ? – et nous avons fait des propositions.

En 2002, nous avons tenu au Sénat un important séminaire international sur la difficile question de savoir si nous avons aujourd’hui les outils permettant de mesurer la toxicité d’une plante. En cas de toxicité aiguë, la plante est tout de suite éliminée. Mais quand on donne à manger au bétail, ou peut-être un jour à l’homme, une plante contenant un OGM, savons-nous mesurer ce que j’appellerai la « toxicité chronique », c’est-à-dire la toxicité à très long terme et à faible dose ? Les actes de ce séminaire international sont maintenant accessibles sur notre site.

En 2003, un séminaire a fait le point sur les impacts environnementaux de la culture du colza tolérant à un herbicide.

La semaine dernière, un important séminaire a également eu lieu sur la question de la stabilité de la construction d’un OGM mis sur le marché. Quels sont les moyens de le savoir ? Ce séminaire a été passionnant, comme ils le sont toujours, d’ailleurs. Mais, il faut continuer à faire de la recherche.

Dernier point, il faut que nous améliorions nos liens avec les autres instances. Chacun de nous étant pris dans ses travaux, les liens sont insuffisants. J’ouvre ici une parenthèse pour préciser que notre travail d’expert n’est pas reconnu par les instances pour lesquelles nous travaillons. Je suis universitaire et mon université Paris 7 veut que je fasse mes 189 heures, mais ne reconnaît pas ce travail d’expert. Nous manquons de temps pour aller discuter avec la Commission des toxiques, avec le Comité de biovigilance. Il faut formaliser les relations pour que des liens plus étroits s’instaurent avec ces instances. Je ne parle même pas des instances européennes qui pourtant existent aussi et avec lesquelles il serait également bon d’entretenir des liens, par le biais de réunions, d’informations, par un échange de nos avis ou par la présence d’un représentant de ces commissions à nos réunions.

Tous les points que je viens d’exposer ont fait l’objet d’un document que je pourrai vous laisser et que nous avons envoyé à nos ministres de tutelle en février 2003. L’objectif est de mieux travailler pour être plus à l’abri des critiques. Celles-ci existeront toujours mais, du moins, pouvons-nous les minimiser.

Je terminerai par un vœu. Il nous semble que la future loi de transposition devrait concentrer le travail de notre commission sur l’évaluation scientifique des risques sanitaires et environnementaux. Il est évident que les représentants de la société civile, qui sont minoritaires, n’ont pas toujours leur place dans ce type d’évaluation. Certes, le représentant des parlementaires, le professeur Etienne est un gastro-entérologue qui connaît bien la nutrition, mais peut-être faudrait-il que son avis porte non pas sur la partie scientifique proprement dite mais plutôt sur les questions sociétales qui sont les plus fortes aujourd’hui.

Autant les questions scientifiques sont cernées et reçoivent des réponses – parfois satisfaisantes, parfois peu satisfaisantes –, autant les questions sociétales sont peu abordées. La nouvelle transposition pourrait être l’occasion d’examiner la création de deux cercles différents, l’un scientifique et l’autre consacré aux questions sociétales, économiques, à la question des bénéfices et celle de la coexistence. Pour l’instant, à ma connaissance, il n’existe pas d’espace pour débattre de ces questions.

De même – et c’est un point sur lequel vous nous suivrez certainement –, la structure d’évaluation des risques ne peut pas être la même que celle qui les gère. Il faut séparer les deux fonctions. On ne peut pas être partie prenante dans la gestion si on évalue.

Enfin, du point de vue du chercheur, je voudrais élargir ce dont nous discutons au problème des biotechnologies végétales, car les OGM n’en sont qu’une partie. Ces biotechnologies végétales sont très importantes pour améliorer nos connaissances de la physiologie végétale. Il serait désastreux pour la recherche en agronomie française de ne pas pouvoir bénéficier de cet outil magnifique. Certes, il pose des problèmes, mais il serait dangereux pour les progrès de nos connaissances, de l’agronomie et de la physiologie végétale françaises, de ne pas avoir accès à un tel outil, avec, bien évidemment, les limites que je viens de vous décrire.

(M André  Chassaigne remplace M. François Guillaume à la présidence.)

M. André CHASSAIGNE, Président : Je vous remercie, M. Fellous, de cet exposé extrêmement intéressant, comportant non seulement des explications, mais aussi des propositions. Nous allons maintenant passer à des questions qui vous permettront d’apporter des précisions.

M. le Rapporteur : Je vous remercie de la qualité de votre exposé et de toutes les recommandations futures que vous nous avez présentées.

Dans les expérimentations au champ que vous avez déjà réalisées, pouvez-vous nous parler de celles qui vous ont posé des problèmes de dissémination « pathogène » pour les plantes ou les animaux. Cela a-t-il donné lieu à l’arrêt des expérimentations ?

M. Antoine MESSÉAN : Je précise que nous ne sommes pas gestionnaires du risque, puisque le suivi officiel des essais, une fois qu’ils sont en place, est assuré par les services du ministère de l’agriculture. Mais nous bénéficions du retour d’expérience, les comptes rendus d’expérimentation et ceux des services officiels du ministère de l’agriculture nous étant communiqués a posteriori.

A ma connaissance, il n’y a pas eu d’arrêt d’essais pour des raisons d’impacts environnementaux. Tout au plus certains essais ont-ils fait l’objet de procès-verbaux pour non-respect des mesures de précaution de type distance d’isolement. Comme nous l’avons dit, la question de l’impact environnemental est fortement liée à l’échelle à laquelle on travaille.

M. le Rapporteur : Vous n’avez donc jamais connu de problème ?

M. Antoine MESSÉAN : En ce qui concerne les risques environnementaux, il nous arrive souvent d’évoquer la question de la dispersion de pollen et de la coexistence avec les filières classiques, bien que cette dernière ne relève pas de notre mandat, comme M. Fellous l’a précisé.

Ainsi, quand je dis qu’il n’y a pas eu d’arrêt pour des raisons d’impact environnemental, je ne dis pas qu’il n’y a pas eu dispersion de pollen au-delà des distances d’isolement qui font l’objet des préconisations de la CGB. Le raisonnement rationnel concernant les mesures de précaution de type distance d’isolement – ce ne sont pas les seules, mais ce sont celles dont on parle beaucoup – est, en effet, d’adopter des mesures évitant les impacts écologiques durables. On peut en discuter sur un plan scientifique mais, quand nous rendons nos avis, nous considérons que les mesures de précaution préconisées permettent d’éviter un impact négatif au plan écologique. Pour autant, cela ne signifie pas qu’aucun grain de pollen n’ira au-delà des distances d’isolement.

M. le Rapporteur : Pourquoi la CGB n’est-elle pas sous tutelle du ministère de la santé ? Cela vous semblerait-il utile ?

M. Marc FELLOUS : Le ministère de la santé intervient par le biais de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS), qui nous envoie des dossiers de thérapie génique et/ou des dossiers de vaccins. Quand nous rendons un avis – avec des objections ou pas – nous l’envoyons à l’AFSSAPS qui le fait parvenir elle-même au ministère de la santé. Donc, pour ce qui est des expériences de thérapie génique et de vaccins, nous travaillons à guichet unique ; c’est l’AFSSAPS qui nous sert d’intermédiaire auprès du ministère de la santé.

Par ailleurs, je vous ai dit que, même si nous ne dépendons pas du ministère de la santé, le représentant de ce ministère siège dans notre commission. Il fait part à l’AFSSAPS, qui elle-même fait part au ministère de la santé, de tout ce que nous traitons, c’est-à-dire des aliments, de la toxicologie, des vaccins et de la thérapie génique.

M. le Rapporteur : Vous ne voyez donc pas l’utilité pour la CGB d’être placée sous la tutelle du ministère de la Santé ?

M. Marc FELLOUS : Pour l’instant, les choses fonctionnent assez bien.

Il y a deux manières d’améliorer les liens avec les autres commissions ou les autres ministères : soit créer des liens formels, soit demander qu’un représentant de ces ministères et de ces commissions vienne siéger au sein de notre commission. L’important est qu’il y ait une bonne diffusion de l’information et des problèmes que nous rencontrons. D’un point de vue pragmatique, c’est, me semble-t-il, le plus important.

M. le Rapporteur : Pensez-vous que la CGB et le Comité de biovigilance doivent être fusionnés ? Vous avez déjà répondu en disant que chacun devait avoir sa fonction.

M. Marc FELLOUS : Oui, c’est très important. Je ne sais quel est votre avis mais, à mon sens, celui qui évalue et celui qui gère doivent être distincts. Une commission qui autoriserait et qui, en même temps, surveillerait serait affaiblie.

M. Antoine MESSÉAN : En revanche, il est essentiel que le retour d’expérience se fasse dans de bonnes conditions car on apprend beaucoup du suivi des essais ou de la mise sur le marché, par la mise en situation. Comme le disait M. Fellous, la diversité du vivant et la complexité de l’environnement font que l’on ne peut pas toujours apprécier a priori, en atmosphère confinée ou par des simulations mathématiques, ce qui va se produire. Si l’on observe des choses intéressantes dans le cadre du suivi, il est tout à fait essentiel que cela vienne alimenter les connaissances scientifiques pour l’évaluation a priori. Il faut donc qu’il y ait un lien au travers des connaissances.

M. le Rapporteur : Il m’a été rapporté, M. Fellous, qu’à une époque, vous étiez réticent quant à l’utilisation d’OGM médicaux destinés à la fabrication des protéines thérapeutiques. Pourtant, vous avez donné à Meristem Therapeutics l’autorisation de fabriquer la lipase qui sert à soigner la mucoviscidose.

M. Marc FELLOUS : C’est plus subtil que ça. Comme toujours.

Un précédent ministre de l’agriculture, M. Glavany, avait dit – et cela avait été repris dans les journaux – qu’il y avait de bons et de mauvais OGM. Parmi les bons OGM, il avait cité celui qui produit des médicaments. Je n’étais pas d’accord. Il n’y a pas de bons ou de mauvais OGM. C’est l’utilisation que l’on en fait qui les rend bons ou mauvais.

Pour ma part, un OGM qui a des propriétés médicamenteuses, peut avoir des effets plus néfastes qu’un OGM résistant à un herbicide, s’il est libéré dans la nature. Bon ou mauvais ne veut donc rien dire, ce sont les applications que l’on en fait, qui sont bonnes ou mauvaises.

M. le Rapporteur : Mais, dans le cas de la lipase, vous n’avez vu aucun inconvénient ?

M. Marc FELLOUS : Non, mais il faudrait être plus attentif, plus strict. Il s’agit en l’occurrence d’une lipase produite par le maïs. Le maïs est intéressant, d’une part parce qu’il n’existe pas de maïs naturel dans nos régions – chaque année, le froid le détruit, il ne repousse pas – et, d’autre part, parce qu’on peut isoler de manière pratiquement hermétique – mais jamais totale – un flux de pollen. Donc, pour le dossier Méristem, nous avons été très attentifs à cela.

D’une manière générale, les opposants aux OGM disent oui à la thérapie génique et non aux OGM plantes. Je dois dire, en tant que médecin, qu’une thérapie génique réalisée avec des vecteurs ou des vecteurs rétroviraux qui ont la propriété de se répliquer dans l’homme me semble potentiellement plus dangereuse. A mon avis, il faut faire encore plus attention. Le public intègre à la fois l’aspect risque et l’aspect bénéfice, alors que nous n’intégrons que l’aspect risque.

C’est pour cela qu’il faudrait une structure qui discute de ces aspects, qui explique au public que nous ne sommes pas qualifiés et surtout qui rende le public conscient de la complexité des choses. Certes, tout le monde est d’accord pour soigner un patient atteint d’une maladie génétique mais le risque est parfois bien plus dangereux. D’ailleurs, dans les dossiers de thérapie génique, nous sommes très attentifs aux conditions d’isolement des malades et le représentant du ministère de la santé nous reproche de ralentir les expériences parce que nous appliquons les mêmes critères de risque que pour les plantes OGM. Nous sommes très vigilants car il existe un risque de dissémination du patient dans son entourage quand il rentre chez lui.

Donc, la réponse à votre question est pleine de nuances, comme toujours.

M. Francis DELATTRE : Ma première question porte sur les problèmes de toxicité, concernant notamment le végétal : existe-t-il des études comparatives évaluant leur coût/avantage ?

Par exemple, dans le cas d’un OGM permettant de diminuer les pesticides, comme dans le cas bien connu de la pyrale du maïs, pensez-vous que des études pourraient être faites sur le coût et l’avantage d’un tel OGM ? On sait qu’on retrouve beaucoup de pesticides dans l’eau, puis dans le corps humain et il est scientifiquement démontré qu’il y a parfois cause à effet entre la présence de ces pesticides et la survenance de certains cancers. Or le but de certains OGM est bien de diminuer l’usage des pesticides.

Cela vaut pour les pesticides mais aussi pour certains produits phytosanitaires issus de l’agrochimie avec lesquels on soigne les plantes malades. Si l’on peut renforcer leur résistance aux maladies, on peut aussi diminuer la présence de ces produits phytosanitaires dans les plantes. De telles études comparatives sont-elles possibles ou bien suis-je un grand rêveur ?

Enfin, j’ai été très sensible à votre proposition concernant cet espace où l’on pourrait peser les rapports coûts/avantages des OGM, aborder les problèmes sociétaux, etc. Je vous suis parce que pour l’instant, on entend beaucoup José Bové, mais vous, M. le professeur, on ne vous entend malheureusement pas suffisamment.

M. Marc FELLOUS : Il n’est pas dans la mission de la CGB de passer tous les jours à la télévision. Ma mission est d’être en mesure de donner des avis à nos ministres de tutelle. C’est tout. Elle n’est pas d’informer. La commission donne de l’information sur notre site, qui doit, je l’ai dit, être encore amélioré pour être plus accessible, mais notre travail, notre responsabilité, notre métier n’est pas d’aller critiquer.

M. Francis DELATTRE : Je ne dis pas qu’il faut critiquer, mais qu’il faut participer au débat.

M. Marc FELLOUS : Je suis professeur, je parle à mes étudiants et je m’efforce d’être le plus convaincant possible. Bien que les débats soient toujours houleux, je n’ai jamais refusé une invitation parce que c’est mon métier d’enseigner et de diffuser du savoir.

Vos deux questions sont difficiles.

A la première portant sur la toxicité, je répondrai d’emblée qu’il n’est pas dans notre mission d’évaluer les bénéfices, de dire si en utilisant tel ou tel colza, le paysan emploiera moins d’herbicide ou de pesticide ou si en utilisant un maïs résistant à la sésamie, il utilisera moins d’insecticide, donc, polluera moins les nappes phréatiques.

Pourtant, c’est important. Pour pouvoir défendre les OGM, il faudrait pouvoir dire aux médias qu’effectivement, quand on utilise un maïs résistant à la sésamie, il y a un plus dans la production du maïs, parce que l’on va travailler de manière plus intelligente et plus raisonnée. Mais cela n’est pas dans ma mission.

Maintenant, si vous souhaitez ma réponse de citoyen, je dirai qu’il y a quelques mois, je suis allé en Catalogne espagnole, où j’ai observé ce que font nos collègues espagnols sur le maïs Bt. Nous, nous sommes des experts dans les bureaux. Je dois dire qu’en discutant avec les paysans qui font pousser 50 000 hectares de ce maïs, – en France, nous en avons 50 – vous entendez que ce maïs est formidable parce que le rendement est 30 % plus élevé et qu’ils n’utilisent plus d’insecticide, celui-ci étant dans la plante. Mais il faut dire qu’après un coup de tramontane, le maïs Bt est complètement à terre et qu’on ne peut plus le récupérer.

Les paysans vous disent qu’il n’y a pas à hésiter mais il est vrai qu’en Catalogne espagnole, il y a un problème – dont je n’ai pas parlé et qui montre bien qu’il n’y a de réponse qu’au cas par cas – qui est l’importante infestation de sésamie. Il est évident que si vous êtes dans une région où il n’y a pas d’infestation, le maïs Bt est inutile.

M. Francis DELATTRE : En France, c’est la pyrale qui pose problème.

M. Antoine MESSÉAN : Il est clair que cette question des bénéfices n’est pas dans notre mandat et nous demandons qu’elle soit examinée, mais pas par les mêmes personnes, même si cela relève en partie – et c’est un point difficile – d’une démarche scientifique car il s’agit d’évaluer a priori les bénéfices d’une technologie.

Il faut des scientifiques qui étudient le risque spécifique de l’OGM et éclairent l’homme politique puis, d’autres scientifiques et, plus largement, des acteurs socio-économiques qui donnent un avis. Mais l’évaluation scientifique des bénéfices est un exercice très difficile. On peut, sur un plan microéconomique, dire que quand il y a une attaque forte de pyrale, il y a un intérêt économique, éventuellement environnemental, mais il est très difficile d’intégrer dans l’analyse des bénéfices, les comportements des acteurs. A titre d’exemple, il n’est pas du tout évident que l’on n’utilisera pas la technologie même là où elle n’est pas nécessaire.

De toutes les études a posteriori – y compris de nombreuses études économiques – sur l’expérience des Etats-Unis, il ressort, pour certaines, qu’il y a eu réduction de l’usage de pesticides, pour d’autres c’est l’inverse. En fait, les méthodes d’évaluation ne sont pas les mêmes et les études ne portent pas sur les mêmes plantes, les unes s’intéressant au coton, d’autres au soja. Sur le soja, par exemple, il est dit que la technologie ne présente pas d’intérêt économique mais un intérêt en terme de temps. C’est plus confortable pour les agriculteurs qui, pendant ce temps, peuvent faire autre chose, ce qui est aussi à prendre en compte. Mais il n’en est pas de même pour le coton ou le maïs. Tout cela renvoie à ce que l’on appelle les « impacts indirects ».

Nous avons organisé un séminaire en 2003 sur l’impact environnemental des cultures de colza tolérant à un herbicide à l’occasion duquel nous nous sommes posé cette question des impacts indirects.

Les effets induits en termes de modification des pratiques agricoles, de changement de travail du sol, d’impact sur la biodiversité sont tout à fait essentiels. Cela ressort du rapport que je vous ai distribué. Cela doit être pris en compte mais n’est pas spécifique aux OGM. Toute pratique agricole induit des modifications indirectes qu’il est difficile d’apprécier a priori. Nous avons essayé de le faire pour le colza, mais le suivi a posteriori sera indispensable.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : M. le professeur, sur un certain nombre de points, je suis d’accord avec vous, en particulier, en matière d’évaluation et de gestion du risque car il me semble effectivement indispensable qu’il y ait d’un côté l’évaluation et de l’autre la gestion.

Je vous suis également pour dire que la connaissance de la physiologie végétale passe aujourd’hui par l’accès aux biotechnologies. Tout chercheur digne de ce nom utilise depuis déjà assez longtemps ces méthodes.

En revanche, j’ai plus de difficultés à vous suivre quand vous dites que les plantes ou les organismes génétiquement modifiés n’ont pas d’impact environnemental car, de mon point de vue, ces impacts environnementaux ne peuvent se constater que sur le long terme.

Mon collègue a évoqué les produits phytosanitaires : si l’on prend l’exemple de l’atrazine, quand nous l’avons utilisée, nous ne savions pas qu’elle aurait des conséquences aussi fortes sur la pollution de nos nappes phréatiques, de même pour les chlorofluorocarbones dont on ne savait pas a priori qu’ils auraient un tel impact sur la couche d’ozone.

Un autre sujet m’interpelle. Vous nous avez expliqué que l’on ne pouvait pas passer du milieu confiné à l’autorisation de mise sur le marché sans passer par des essais en plein champ, parce qu’une plante se comporte différemment, qu’elle soit transgénique ou pas, en fonction du lieu où elle est cultivée. Mais alors, on peut considérer que les plantes transgéniques devront être cultivées partout, parce que le climat sera différent d’un lieu à l’autre et que c’est un facteur important. La qualité de la terre doit l’être également, puisque certaines plantes poussent sur certains continents et pas sur d’autres. On sait aussi que certaines sociétés industrielles ont en tête de fabriquer des transgènes susceptibles d’être cultivés là où ils ne pouvaient l’être auparavant. On nous a beaucoup parlé de la faim dans le monde que l’on allait pouvoir résoudre grâce aux OGM, notamment en Afrique, où le blé ne pousse pas aujourd’hui mais où serait utilisée une variété de blé transgénique cultivable dans ces pays. On sait bien que, derrière cet enjeu, les intérêts économiques sont énormes

Comment pouvez-vous, dans votre commission et en tant que scientifiques, vous extraire de ces enjeux qui sont quand même fondamentaux et qui ont une signification humaine et économique importante ?

J’ai lu dans votre rapport qu’au sein de la commission un représentant d’une association de défense de consommateurs était démissionnaire, de même qu’un représentant d’une association de défense de l’environnement, ces sièges n’ayant pas été de nouveau pourvus. J’aimerais connaître les raisons de la démission de ces représentants et celles pour lesquelles ces sièges n’ont pas été pourvus depuis.

M. André CHASSAIGNE, Président : Permettez-moi de donner la parole à M. Pierre Cohen, qui souhaite intervenir avant la réponse.

M. Pierre COHEN : En effet, une de mes questions se rapporte au même thème.

Vous avez insisté par deux fois sur la nécessité de constituer un espace où des débats liés à l’économique et aux bénéfices pourraient avoir lieu. On sent bien que cette question vous préoccupe et je le comprends parce que, dans le débat, surtout quand il devient fort et violent, se crée souvent une confusion entre l’aspect scientifique du risque et un certain nombre d’arguments contradictoires qui peuvent conduire à l’adhésion ou, au contraire, qui font ressortir des enjeux de monopole et de dépendance de l’ensemble des agriculteurs. Par ailleurs, on sent bien qu’il y a, derrière tous ces débats, une évolution de la société sur la façon de produire l’alimentation.

Il me semble que votre rôle est de bien faire la différence. La question est de savoir comment il faut évoluer, quel est l’enjeu, s’il faut des lois pour empêcher les monopoles, les brevets sur le vivant, des lois pour éviter que la société ne se laisse guider par le seul profit. Tout cela relève du débat citoyen et c’est un problème d’information. Pour moi, cet espace de discussion que vous souhaitez, c’est la société correctement informée, alors que vous semblez préconiser un espace plus formel qui se situerait au même niveau que le vôtre, avec des représentants désignés. Est-ce bien cela ?

Ma seconde question reprend aussi les propos de Mme Perrin-Gaillard, mais d’un autre point de vue. Je voudrais que soient bien confirmés les propos de M. Messéan, selon lesquels à un certain moment, les essais en milieu confiné, voire les modèles mathématiques, ne sont plus suffisants pour émettre un avis pertinent.

Quand vous dites que vous avez besoin des retours d’expérience pour savoir réellement ce qui se passe, cela indique-t-il nécessairement d’aller en plein champ ? L’expérimentation en plein champ vous a-t-elle permis de constater des évolutions qui ont contredit ou modifié ce qui se fait en laboratoire ou qui est démontré par modèle mathématique ?

M. Marc FELLOUS : Nous répondrons tous les deux à ces questions qui sont effectivement importantes. Nous sommes des scientifiques, mais aussi des citoyens, à l’écoute de ce qui se passe et parmi les scientifiques certains sont opposés aux OGM. Mais si la communauté n’est pas homogène sur ce point, dans la très grande majorité des cas, l’opposition n’est pas d’ordre scientifique, elle est d’ordre philosophique, elle concerne la relation de l’homme à la nature. En tant que scientifique, j’essaie de comprendre les arguments des opposants. Je reconnais qu’ils sont importants, qu’il faut en tenir compte et y répondre, mais je dis qu’ils ne sont pas d’ordre scientifique et que, dès lors, ils ne sont pas du ressort de la CGB.

Par exemple, il ne nous appartient pas à nous, membres de la CGB de traiter du problème de la faim dans le monde. Il est évident que les réponses sont ailleurs et il suffit d’aller sur le site de la FAO4 pour savoir comment réagit l’Afrique à ces questions. Je visite ce site en tant que citoyen mais pas en tant que président de la CGB. La question de savoir si les Africains ont leur mot à dire ne relève pas de nos responsabilités, mais nous ne pouvons pas rester insensibles à ces oppositions extra-scientifiques.

Sur la question de savoir si, lorsque nous autorisons la mise sur le marché d’un tel OGM, nous sommes sûrs qu’il n’y a pas d’impact sur l’environnement, je vous répondrai, en tant que scientifique, que nous n’avons pas de certitude. Chaque fois que nous avons un doute
– c’est le principe de précaution – nous développons des programmes de recherche, nous nous réunissons et nous réfléchissons. Tout le monde est présent, nous ne sommes pas toujours unanimes, il y a des oppositions.

Nous pouvons dire aujourd’hui, avec les résultats des essais en milieu confiné sur l’entomofaune et ceux des expérimentations au champ, que nous ne détectons pas dans le temps – un ou deux ans – ni d’effets sur l’environnement ou sur l’entomofaune ni de croisements avec des plantes adventices.

C’est la raison pour laquelle dans la nouvelle directive 2001/18/CE de mise sur le marché, un chapitre important est consacré à la mise en place d’une structure de veille. On n’autorise pas sans rien savoir, il faut que le pétitionnaire dise exactement comment il va surveiller par exemple le flux de pollen – il faut qu’il dise précisément dans son cahier des charges avec quel outil il assurera la surveillance – ou bien l’entomofaune.

Notre inquiétude concernant l’environnement est celle de la résistance qui est un problème capital. Si l’on met un insecticide dans un maïs ou un colza, on sait mathématiquement que des insectes seront atteints. Ce que nous demandons, c’est que le pétitionnaire prévoit une « zone refuge » pour minimiser ce risque, c’est-à-dire un milieu, à côté du champ, où vont pousser ces OGM, où des insectes qui n’ont pas ce gène de résistance pourront se développer, persister et éventuellement se croiser avec ceux qui auront ce gène afin de le diluer.

Nous sommes conscients des risques mais nos tests permettent de dire qu’aujourd’hui, en l’état de nos connaissances, ce risque, s’il n’est pas nul, est minime. Il faut donc développer un dispositif d’alerte et de surveillance et dès qu’il se produit quelque chose, pouvoir tout de suite demander l’arrêt de l’expérimentation.

Vous avez également soulevé un deuxième point sur lequel nous sommes bien d’accord. Il n’est pas évident que l’on puisse généraliser au sud de la France l’analyse d’une plante OGM effectuée dans le nord. C’est la raison pour laquelle nous avons parfois une multitude de dossiers dont nous ne comprenons pas toujours le sens. Le pétitionnaire nous envoie plusieurs cultures d’OGM, précisément pour répondre à la question de savoir si, en faisant pousser le maïs dans d’autres régions, même dans un petit pays comme la France, il obtiendra les mêmes résultats en termes de qualité, d’expression du transgène, etc. Il le fait justement parce que les conditions géographiques très variables d’une région à l’autre vont entraîner des expressions différentes. Si l’on ne trouve pas de différence, on dira qu’aujourd’hui, dans les limites de nos connaissances, la géographie n’interfère pas.

S’agissant des représentants de la société civile, il est vrai qu’ils changent souvent. Il faut dire qu’il s’agit d’un travail lourd et prenant que nous accomplissons parce qu’il nous enrichit scientifiquement mais, très souvent, ils n’en voient pas l’intérêt pour leur « promotion » et ils ne se sentent pas très à l’aise au sein de cette commission où ils sont souvent minoritaires.

Nous avons eu la chance d’avoir parmi nous une représentante des consommateurs qui était biologiste et dont les réflexions étaient très intéressantes. C’est important et enrichissant pour une commission qui doit laisser place à la confrontation et au débat d’idées car, je vous l’ai dit, nous avons une vision très dynamique de la recherche. Si quelqu’un nous apporte des informations valides, nous changeons notre manière de travailler.

En 2004, tous les sièges vacants ont à nouveau été pourvus, même si cela a pris du temps, parce que rares sont ceux qui veulent participer à ce débat.

Il est intéressant qu’un représentant des consommateurs puisse s’exprimer, mais nous restons sur notre faim car ce représentant vote contre chacune de nos résolutions sans que nous puissions savoir pourquoi. Il nous dit seulement que son association lui a demandé de voter contre parce qu’elle est opposée aux OGM, ce qui n’est pas très fructueux. Et je comprends à quel point il doit être démotivant d’être dans une position d’opposition systématique. Ces représentants sont minoritaires et sont, de surcroît, dans une situation inconfortable, parce qu’ils votent contre non pas pour des raisons scientifiques, mais pour des raisons qui, si elles sont respectables, n’ont pas leur place dans le débat scientifique. C’est la raison pour laquelle nous avons proposé, dès 2003, la création de deux structures parallèles dotées d’autant de pouvoir l’une que l’autre, l’une où l’on discute des arguments scientifiques, l’autre où seraient discutés tous les problèmes économiques, sociétaux, de bénéfice, du tiers-monde, de la faim dans le monde etc. J’imagine que les conclusions d’une telle instance seraient différentes des nôtres et il reviendrait au politique de faire la synthèse. Mais, à mon avis, le politique ne doit pas court-circuiter l’avis du citoyen, des consommateurs ou des économistes.

Je pense que l’on a besoin de science, comme l’a dit Antoine Messéan, non seulement dans notre domaine, mais aussi dans le domaine sociétal. Le consommateur utilisera des arguments scientifiques pour se déterminer et on y gagnera dans un débat qui est aujourd’hui mal engagé.

M. Antoine MESSÉAN : Nous souhaitons en effet un autre cercle formel de débat pour les raisons que nous venons d’indiquer car actuellement nous nous sentons en première ligne, alors que notre mandat est l’évaluation des risques. Nous sentons bien qu’il manque un intermédiaire entre la commission scientifique et le débat sociétal. Cela dit, nous ne nous sommes pas prononcés sur les modalités de fonctionnement de ce cercle car c’est à vous d’en décider.

Il y a un argument supplémentaire en faveur de la création de ce nouvel espace qui est le sentiment – peut-être récent–  chez les scientifiques qu’ils ne savent pas tout et qu’ils ne posent pas nécessairement toutes les questions. Or la grille d’analyse a été élaborée par des scientifiques et nous sommes plusieurs à penser que les questions qui proviendraient d’un cercle socio-économique pourraient nous amener à nous interroger sur d’autres questions scientifiques liées à des risques que nous n’aurions pas identifiés parce que l’expert a ses limites, parce que les connaissances évoluent et parce qu’il s’agit d’individus et non de machines.

En ce qui concerne le retour d’expérience, je dirai qu’elle permet d’alimenter la dynamique de la connaissance. Sur le maïs, par exemple, si nous avions demandé il y a dix ans à des scientifiques de dresser l’état de la dispersion de pollen, ils nous auraient dit qu’il se disperse à telle distance mais on n’était pas allé voir si l’on retrouvait du pollen en altitude, alors que nous savons maintenant que c’est un élément à prendre en compte. Nous nous basons sur des connaissances validées, publiées et contrôlées – c’est une règle d’or des scientifiques – mais nous n’avons ainsi accès qu’à ce qui a été étudié. Il y a donc une posture consistant à se dire qu’il y a des choses qui n’ont pas été étudiées.

A titre d’exemple, les chercheurs de l’INRA qui ont commencé à travailler sur le croisement entre le colza et les crucifères adventices pensaient, il y a quinze ans, que ces croisements seraient très difficiles à réaliser. Ils ont produit des hybrides en laboratoire et sont ensuite allés au champ, pour s’apercevoir que c’était aussi facile au champ – avec des taux très faibles. Il y a donc une évolution des connaissances à prendre en compte.

J’ai dit, à propos des essais au champ, qu’étant donné les durées et les surfaces concernées ainsi que les mesures de précaution prises, nous considérions qu’il n’y avait pas de risque environnemental significatif. Mais j’ai dit aussi que toute pratique agricole a toujours des impacts environnementaux. Le simple fait de cultiver, une année donnée, un blé plutôt qu’un colza change, par exemple, toute la communauté microbienne du sol, même si cela n’a peut-être pas d’effet à long terme. Et il y a aussi les effets de masse, c’est pour cela que, pour les essais, on travaille sur des surfaces et des durées réduites.

Sur ce point, notre avis sur le colza est clair. Nous disons qu’aujourd’hui, dans les conditions actuelles de pratique agricole, il nous semble difficile d’envisager une mise sur le marché ; on suggère une « diffusion contrôlée » ou de « diffusion à très petite échelle » car les impacts environnementaux seraient très élevés avec une mise en culture à grande échelle. Dans le cas des essais, il y a des impacts environnementaux limités et, en étudiant cela au cas par cas, nous considérons qu’ils ne sont pas durables. Alors que, dans le cas de culture pour une mise sur le marché, ils pourraient l’être.

Faudrait-il faire des essais au champ partout, dès lors que la nécessité de l’essai au champ est établie ? Nous essayons au fur et à mesure que nous acquérons des connaissances sur la dispersion du pollen, de modéliser les phénomènes et nous disposons, par exemple, de modèles mathématiques simulant la dispersion de gènes de colza et de maïs dans des paysages agricoles. Avec ces modèles mathématiques, nous sommes capables d’estimer de façon assez précise, dans une région donnée, selon la forme des parcelles, le paysage environnant, la date de semis et de précocité des variétés et en formulant des hypothèses de scénario – par exemple, 10 % d’OGM dans cette région – le pourcentage d’OGM que nous allons retrouver dans nos productions non-OGM. Ces études relatives au problème de la coexistence concernent, pour l’instant, le maïs et le colza.

Pour répondre à votre question, dans la gestion des essais il faut appliquer le principe de parcimonie, c’est-à-dire les faire quand et où c’est nécessaire. Les modèles prédictifs disponibles maintenant permettent d’éviter de tester au champ partout et permettent d’identifier a priori, par simulation, les situations les plus à risque ou les plus bénéfiques. C’est alors qu’il faudra peut-être faire un essai pour vérifier s’il y a un problème ou pas.

Nous croyons beaucoup aux modèles mathématiques mais ils ne peuvent intégrer que les connaissances qu’on leur amène. Il faut donc se laisser interpeller par la réalité, bannir les certitudes et recourir à la notion dynamique d’intégration progressive des connaissances. Si nous n’avions que les études en laboratoire ou les modèles – même s’il faut les renforcer car je crois beaucoup aux modèles comme un instrument de rationalisation des essais – j’aurais pu conclure, par exemple, qu’il n’y a pas de risque de dispersion du pollen en altitude, faute d’avoir intégré cette donnée dans mon modèle mathématique. C’est donc bien parce qu’à un moment donné on va vérifier sur place les situations les plus à risques, que l’on peut vérifier la pertinence du modèle. Dans le cas contraire, cela signifie qu’il existe un paramètre que l’on n’avait pas vu. C’est ce qui s’est passé pour le problème de la dispersion du pollen de maïs en altitude.

Mme Chantal ROBIN-RODRIGO : Mais n’est-il pas alors trop tard puisque vous n’arrêtez l’expérimentation que quand vous vous rendez compte, après contrôle, que l’essai peut comporter des risques scientifiques ? Qu’en est-il alors du principe de précaution puisque, si j’ai bien compris, ces expérimentations en plein champ vous sont indispensables ? Qu’en est-il de la pollinisation, de la santé ? Comment pouvez-vous, d’un point de vue scientifique, nous répondre ?

A l’heure actuelle, vous êtes capable de dire qu’à l’échéance d’un ou deux ans, ces expériences sont suffisantes. Mais, comme le disaient ma collègue et le professeur Rosset, nous n’avons pas encore passé une génération d’hommes pour mesurer quels pourraient être les effets négatifs sur une deuxième génération. Pourriez-vous m’apporter des éléments complémentaires ?

M. Marc FELLOUS : Je découvre depuis une dizaine d’années ces problèmes très intéressants et cela me rappelle ce que je me dis quand je vais soigner un malade. : « Si je le soigne quel sera le bénéfice, si je ne le soigne pas quel est le risque ? »

Je peux pourtant vous affirmer que si demain vous allez voir votre médecin et qu’il vous fait part de ses incertitudes, vous sortirez encore plus malade car vous avez besoin de certitudes. Je fais cette parenthèse parce qu’en tant que médecin, je sais comment il faut parler aux patients. Il ne faut pas leur dire que l’on ne sait pas, ce serait une catastrophe.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Cela ne concerne qu’un individu, alors que nous parlons d’éléments qui concernent des populations entières.

M. Marc FELLOUS : Je reviens à la question de l’arrêt des expérimentations qui soulève le problème capital de l’irréversibilité des éléments avec lesquels on travaille. Tout dépend, en fait, de la plante. Par exemple, pour le pollen de maïs, on sait qu’il va mourir parce que dans nos régions, il n’y a pas de plantes voisines et que, de toute façon, il ne passera pas l’hiver. Mais il en est autrement du colza. C’est la raison pour laquelle, lors du séminaire sur le colza, nous avons recommandé la prudence.

M. Antoine MESSÉAN : Vous parliez d’arrêt des essais. Il est clair que quand on considère qu’il n’y a pas d’objection, c’est qu’il n’y a pas de danger a priori décelable avec les connaissances du moment.

Sur la question de l’alimentation, on va accroître nos connaissances à partir de l’expérimentation, dans le cadre d’essais dont on aura évalué le risque. Dans le risque, plusieurs critères entrent en jeu : il y a ce que l’on appelle l’exposition, c’est-à-dire le mode de diffusion du transgène, et il y a le danger proprement dit, c’est-à-dire l’effet du transgène. Dans le cas très précis que vous évoquiez, c’est-à-dire l’effet du transgène et dans l’hypothèse où une exposition n’aurait pas été intégrée a priori, il n’y avait pas de danger écologique ou sanitaire. Cet élément est bien le résultat de l’analyse.

On peut tout imaginer, mais comment pourrait-on imaginer qu’une protéine, bien connue et étudiée par ailleurs, se révèle dangereuse ? Bien que cette hypothèse soit assez peu probable, il n’empêche que le postulat est qu’il ne faut pas l’écarter. Sur l’exemple précis de dispersion de pollen de maïs, on est bien dans le cas d’essais et d’OGM qui ne présentent pas de danger et qui n’ont pas d’impacts directs. Il n’y a pas non plus de risque de prolifération, puisque ces essais se font sur des durées et des surfaces limitées. En revanche, pour le colza, par exemple, nous savons qu’en cas de culture à grande échelle, il existe des conditions dans lesquelles une prolifération peut se produire, du moins un accroissement des populations de colza dans l’environnement. Est-ce bien ou mal ? Nous disons seulement qu’il y a des impacts environnementaux, qu’ils ne sont pas forcément dangereux, mais qu’il faut en tenir compte. C’est pour cela qu’il faut des conditions de gestion très particulières qui ne sont pas forcément réalisables, économiquement viables ou acceptables, mais ce n’est pas à nous d’en juger.

M. Serge ROQUES : A l’inverse, avez-vous pu démontrer scientifiquement un danger précis des OGM ? Par ailleurs, pensez-vous que les difficultés rencontrées pour la culture des OGM en plein champ peuvent induire un retard dans la recherche scientifique française ?

M. Marc FELLOUS : A votre première question je répondrais non parce que les pétitionnaires ne nous envoient que des dossiers filtrés. Quand ils construisent des OGM, ils font les expérimentations de toxicité, d’avantages en phase confinée, ou bien ils ont réalisé des expérimentations ailleurs, aux Etats-Unis, en Amérique du Sud ou en Inde et ont pu vérifier que ces essais n’entraînaient pas de risque pour l’environnement ou la santé. Nous disposons donc d’un matériel déjà extrêmement filtré par des tests préalables en milieu confiné et par des tests de mise sur le marché effectués dans d’autres pays.

Mais les OGM que nous avons en culture aujourd’hui sont déjà développés à grande échelle chez nos voisins. Je vous ai parlé de l’Espagne. S’il y avait eu des dangers, je pense que les pétitionnaires auraient vite arrêté le processus car fabriquer un OGM revient cher. La durée de vie d’un OGM n’est en effet que de dix ans et il faut passer ensuite à une nouvelle génération. Les OGM que nous avons ont donc été testés ailleurs depuis de très nombreuses années. En fait, ceux que nous testons en France sont très peu innovants.

Votre question sur le risque d’un retard scientifique de la France est importante et c’est bien ce qui se passe avec la destruction d’essais qui sont précieux. Des expériences importantes du CIRAD5 sur le riz ont été détruites de même que l’expérimentation Aventis de croisement avec le colza ou l’expérimentation de Meristem. Ce sont des années de recherche privée et publique qui se sont envolées. Sans messages forts ni informations convaincantes, il faut, en effet, avoir peur pour la recherche française.

J’ai eu la visite, la semaine dernière, d’un chercheur en biologie végétale du Gabon qui envisage d’introduire certaines de ces méthodologies dans son pays. Si nous n’avons pas le savoir parce que nos recherches sont détruites, il ira s’adresser à des pays concurrents. La France est en avance, c’est un des principaux vendeurs de semences grâce à un savoir-faire traduisant une grande expérience mais cette avance est fragile et il faut continuer à avancer.

En Argentine, j’ai eu l’occasion de voir le soja transgénique qu’on y cultive et j’ai pu constater qu’on y acquiert un savoir-faire extraordinaire que nous sommes en train de ne plus pouvoir développer. Cela me fait peur, mais je parle en tant que scientifique pas en tant que président de la CGB.

Je voudrais cependant tempérer mes propos car je ne suis pas pour le tout OGM. Par exemple, la généralisation du maïs résistant à la sésamie ou à la pyrale serait insensée. Il faut considérer les choses en fonction des besoins et des problèmes. C’est un outil important pour la connaissance et le freiner, comme cela se produit aujourd’hui, est dangereux. Mais la réponse n’est pas uniquement policière, je le regrette d’ailleurs. Il me semble qu’elle devrait partir d’une meilleure information, d’un meilleur débat, pour lequel, nous vous l’avons indiqué, l’opposition est plus d’ordre socio-économique. On dit que les OGM vont placer le paysan sous la dépendance des vendeurs de semences, etc. Ces sont ces éléments qu’il faut examiner et, pour le moment, il y a un vide qui nous gêne.

M. Francis DELATTRE : L’argument de la subordination de l’agriculteur au semencier ne tient plus. Il y a bien eu la tentative dite « Terminator »», mais c’est la seule et cela a fait un tort considérable aux OGM. Par ailleurs, pour les semences fermières, on a tout de même inventé une taxe pour faire payer le droit de reproduire sa propre semence. Nous ne sommes donc pas blanc-bleu, même ici au Parlement, puisque c’est le Parlement qui vote les taxes.

M. le Rapporteur : Je tenais tout d’abord à vous remercier pour la clarté de ces explications.

Il me semble, en effet, que l’ouverture à la société civile est indispensable, sous réserve que les membres de cette commission, que l’on souhaite totalement indépendante, abandonnent leurs a priori. Ayant été chargé d’établir un rapport sur le service de santé des armées, je dois dire que ledit rapport a abouti à une conclusion totalement différente de ce que j’avais imaginé au départ, simplement parce qu’à force de discussions, j’ai abandonné tous mes a priori.

Votre rapport sur la Commission de génie biomoléculaire date de deux ans. Vous avez sans doute fait d’autres préconisations depuis. Pourriez-vous nous les communiquer par écrit ?

M. Marc FELLOUS : Nous pouvons effectivement vous indiquer cela par écrit.

M. le Rapporteur : Je vous en remercie.

M. André CHASSAIGNE, Président : Nous vous proposerons sans doute, si vous en êtes d’accord, de participer à une de nos tables rondes contradictoires tant il nous semble intéressant que la richesse de vos propos puisse être confrontée à d’autres avis.

Audition du Professeur Jacques TESTART,
directeur de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM),
co-organisateur du débat des « 4 Sages » sur les OGM en 2002

(extrait du procès-verbal de la séance du 16 novembre 2004)

Présidence de M. François GUILLAUME, Vice-président.

M. François GUILLAUME, Président : Le Président de notre mission, M. Le Déaut, est en déplacement en Hongrie et j’ai l’honneur de le remplacer. Nous recevons aujourd’hui M. le Professeur Jacques Testart, directeur de recherche à l’INSERM, co-organisateur du débat des « 4 Sages » sur les OGM qui s’est tenu en 2002.

M. le directeur, après quelques mots d’introduction sur votre parcours, je vous propose de nous livrer vos réflexions sur le sujet qui nous occupe, avant de répondre aux questions posées par M. le Rapporteur, puis par nos collègues.

M. Jacques TESTART : Je vous remercie de me donner la parole devant cette mission.

Pour me présenter brièvement, je dirai que je suis biologiste de la procréation. Je ne suis absolument pas généticien. Mes faits d’armes se sont essentiellement déroulés autour de la fécondation in vitro des bébés-éprouvette. J’ai été amené, avant d’en démissionner, à présider la Commission du développement durable, à l’époque où elle existait et s’intéressait à de nombreux sujets, dont les OGM. J’ai été aussi co-organisateur du débat des « 4 Sages » avec Jean-Yves Le Déaut, Didier Sicard et Christian Babusiaux.

Je m’intéresse beaucoup au thème des OGM, sujet sur lequel je m’emporte très vite. Je vous demanderai d’emblée d’excuser mon énervement, que vous percevrez sûrement.

Je m’emporte d’autant plus qu’il s’agit, à mon sens, d’un débat absurde, ce que j’essayerai de montrer. Je m’emporte parce que le thème des OGM rejoint des sujets qui me glacent et que l’on retrouve dans d’autres thématiques, avec toutefois une forte concentration sur le thème des plantes transgéniques. C’est, pour être bref, le pouvoir des lobbies industriels qui arrivent à faire passer pour vérité ce qui n’est encore que promesse. C’est le déguisement de la croyance par la science – ce que je supporte mal. Ce sont aussi des atteintes graves à la démocratie. Mais ce n’est pas spécifique à la France, cela fait partie de la mondialisation de la technoscience.

Le présent débat me laisse assez perplexe, car j’ai l’impression de revenir dix ans en arrière, comme si les parlementaires ne savaient ce que sont les plantes transgéniques et les problèmes qu’elles posent, alors qu’une masse de documents est parue depuis une dizaine d’années, surtout depuis la Conférence des citoyens de 1998.

Ces documents – qui sont surtout produits par les opposants aux plantes transgéniques – peuvent malgré tout être des documents de qualité. Sur l’histoire de la manipulation du thème des plantes transgéniques par les multinationales, vous avez le livre d’Hervé Kempf, journaliste au Monde. Un livre collectif, sorti l’an dernier sous la direction de Frédéric Prat et regroupant une dizaine d’associations, fait le point sur tous les sujets. Un autre ouvrage de Guy Kastler vient de paraître sur la bibliographie et tout ce que l’on sait sur les rapports entre plantes transgéniques, environnement et santé, sujet de votre mission. D’innombrables articles de presse ont également été publiés sur le sujet. J’en ai commis quelques-uns.

Il n’est sans doute pas inutile de nous entendre car vous avez certainement des questions à poser mais, étant quelque peu provocateur, je donnerai plutôt des éléments qui nous permettent d’aller au vif du sujet.

Je viens de vous citer des publications qui sont rédigées par des personnes que l’on qualifie « d’anti-OGM ». C’est absurde. Personne n’est contre les OGM. Les OGM sont des organismes. Etre pour ou contre n’a aucun sens. C’est contre la dissémination, contre le brevetage, contre des choses de cet ordre que l’on peut s’élever.

Si je n’ai pas nommé d’ouvrages écrits par les « pro-OGM » c’est parce qu’il n’en existe quasiment pas. Il y a bien quelques rares ouvrages – assez lamentables, dois-je dire –, produits, entre autres, par des chercheurs en agronomie, de petits fascicules ressemblant à des ouvrages de croyance où sont racontées des choses qui n’existent pas – nous pourrions les reprendre si vous le souhaitez – et dans lesquels ces chercheurs se font passer pour des individus totalement objectifs, alors qu’ils sont parfois impliqués dans des start-up fabriquant des OGM, ce qui leur retire tout de même une certaine légitimité.

Cette absence d’interlocuteurs dans le débat sur les OGM me frappe. Je le vois bien car, quand quelqu’un ou une association veut organiser dans une région un débat sur ce thème, on m’appelle assez souvent. Je déclare immédiatement que je plaiderai contre la dissémination des plantes transgéniques et l’on me demande alors si je connais quelqu’un qui pourrait me répondre, parce qu’il est difficile d’en trouver.

Ceux qui plaident en faveur des plantes transgéniques se cachent, ils n’apparaissent que seuls. Vous en verrez ici. Ils écrivent aussi dans les journaux, mais refusent absolument la discussion et quand, par exception, ils l’acceptent, ils ne tiennent généralement pas le beau rôle.

Je crois que c’est la démonstration qu’il y a, du côté des pro-OGM, une incapacité d’argumenter. Ils préfèrent soutenir seuls leur argumentation, en racontant : « On va nourrir la planète. On va faire pousser des tomates dans des terrains salés. On va mettre de la vitamine A dans le riz. » Toutes sortes de réalisations qui seraient intéressantes, mais qui sont à l’état de recherche et restent, pour le moment, des promesses.

Il est regrettable que des scientifiques dont, normalement, la fonction est de rechercher des vérités et de les faire connaître, soient aujourd’hui réduits à jouer le rôle d’attachés de presse des industriels pour essayer de faire croire que ce que l’on cherche à obtenir, est déjà obtenu.

Les arguments des pro-OGM portent sur l’acquis, et ce qu’ils répondent est complètement usurpé. Ils portent aussi sur le présent – c’est-à-dire, pour ce qui est de la France, sur les essais de plantes transgéniques – or, ces essais sont dévoyés. Ils portent enfin sur l’avenir, qui est totalement mystifié car, pour les plantes génétiquement modifiées en France, cet avenir est, en fait, le présent en Amérique du Nord.

Je reviens sur ces trois points car les mots que j’emploie sont volontairement violents.

L’acquis, disais-je, est usurpé. Quand un pro-OGM vient pour défendre les OGM, aussi bien dans les articles de presse ou les livres que lors d’interventions radiotélévisées, il parle des micro-organismes que l’on cultive dans les fermenteurs pour produire des substances utiles à la pharmacopée. Ce sont effectivement des OGM, bien que je pense personnellement que l’on ne peut utiliser le mot « organisme » pour qualifier une cellule car un organisme est pluricellulaire. Le fait d’avoir baptisé « OGM » un ensemble dans lequel il y a des organismes et des cellules isolées est un abus de langage qui n’est sans doute pas innocent.

Bref, il traite des succès connus des OGM que personne ne conteste et que personne ne demande d’arrêter. Ce sont les vaccins et la plupart des vaccins sont fabriqués par des OGM. Mais cela n’a rien à voir avec les plantes transgéniques. La confusion est savamment entretenue par les pro-OGM qui ne peuvent citer que ces réussites.

Pourquoi cela n’a-t-il rien à voir ?

Tout d’abord, parce que cela se fait en milieu fermé. Ces micro-organismes, qui peuvent être des bactéries, des cellules animales ou humaines que l’on a modifiées dans le but de leur faire produire certaines substances, sont enfermés et très surveillés. On peut donc penser que, sauf accident – c’est un peu comme le nucléaire –, ils ne devraient pas sortir du laboratoire et n’auraient pas d’effet sur l’environnement ou sur la santé. Etant donné leur utilité, je ne vois pas de raison de s’opposer à ces OGM.

Mais on peut aussi expliquer leur succès autrement : l’objectif est apparemment plus facile à atteindre parce que, du point de vue génétique, il est plus aisé de maîtriser une cellule isolée qu’un organisme pluricellulaire. Ce que l’on sait faire avec des levures ou des cellules, même humaines, en les modifiant, en les cultivant, on ne peut le faire avec la même maîtrise quand on a affaire à des cellules différentes cohabitant dans des organes et dans l’ensemble de l’organisme et qu’il y a des échanges non seulement avec l’environnement mais aussi à l’intérieur de cet organisme complexe. Dans ces cas, la maîtrise est bien moins bonne. C’est une hypothèse que je pose car, pour l’instant, il n’y a pas d’explication à ce phénomène. Je constate simplement qu’il n’existe aucune plante que l’on maîtrise aussi bien qu’une cellule isolée. Cela me paraît d’ailleurs être un sujet de recherche intéressant.

J’ajouterai que ce que l’on peut reprocher aux plantes transgéniques – j’utilise toujours le mot PGM (peut-être un jour parlerons-nous d’AGM, d’animaux génétiquement modifiés, qui sont déjà à l’étude) pour bien les distinguer des OGM industriels fabriqués en milieu confiné et qui sont bien utiles – c’est que, contrairement aux cellules isolées qui n’ont pas d’échange avec l’extérieur, les plantes génétiquement modifiées, par exemple pour fabriquer un insecticide, vont avoir une action sur l’environnement qui est labile. Les bêtes s’habituent très vite à ce genre de produits.

Les cellules cultivées sont stables, n’ont pas de rapport avec l’extérieur et elles fournissent un service à l’humanité. Je trouve malhonnête qu’à chaque débat sur les OGM on évoque ces cellules pour montrer les avantages des OGM en laissant croire que c’est la même chose pour un organisme complexe. C’est pourquoi je dis que les acquis sur les plantes transgéniques sont usurpés.

Venons-en au présent. Le présent, en France et très largement en Europe, ce sont essentiellement les essais car, bien qu’il y ait des autorisations de cultures, pour des raisons diverses, il n’y a pas vraiment de cultures d’OGM en dehors des essais. Ces derniers sont supposés apporter des réponses à des questions quasiment fondamentales, sur la dissémination, sur les modifications de l’environnement, éventuellement, sur la toxicité et sur l’innocuité de l’OGM.

Il y a mensonge. Quand nous avions organisé ce fameux débat des « 4 Sages », auquel participait Jean-Yves Le Déaut, nous nous sommes adressés à plusieurs reprises aux responsables des essais de PGM…

M. le Rapporteur : Pourriez-vous nous rappeler comment a fonctionné ce comité des « 4 Sages » ?

M. Jacques TESTART : A l’instigation de cinq ministres, ce débat s’est tenu en février 2002. Les « 4 Sages » en question étaient Jean-Yves Le Déaut, que vous connaissez, Christian Babusiaux du Conseil de l’alimentation, Didier Sicard du Comité national d’éthique et moi-même pour la Commission du développement durable. C’était une initiative très intéressante car, pour la première fois – et la dernière –, nous avons eu un débat contradictoire d’experts. Nous avions réuni une trentaine de personnes : dix pro-OGM, dix anti-OGM et dix universitaires ou autres, sans opinion affirmée, les anti-OGM étaient tout aussi experts que les pro-OGM et les comptes rendus de ce colloque montrent qu’il a été répondu à toutes les questions que l’on continue d’ailleurs de poser aujourd’hui.

Nous avons préparé le débat en réunissant énormément de documents. Mais il nous manquait ceux qui démontrent l’affirmation selon laquelle on ne recourt aux essais au champ qu’après avoir obtenu des résultats scientifiques en milieu confiné, qu’après avoir démontré l’avantage de cette plante et son innocuité et que lorsqu’on ne peut plus avancer sans aller en milieu ouvert.

Nous avons demandé à la Commission du génie génétique et à celle du génie biomoléculaire, ainsi qu’aux ministres concernés, la façon dont sont faites ces expérimentations en milieu confiné. Nous avons écrit plusieurs fois et n’avons jamais obtenu de réponse. Je dois dire que nous étions plusieurs dans cette Commission – au moins trois sur les quatre – à penser qu’en fait, ces expériences n’ont pas vraiment lieu, que les plantes transgéniques sont, bien sûr, isolées par les industriels qui éliminent celles qui ne présentent pas d’intérêt – c’est-à-dire celles qui ont reçu le gène en plusieurs exemplaires et que l’on ne pourra pas bien maîtriser – que ces plantes sont cultivées pour voir si elles poussent à peu près bien et qu’immédiatement après on passe aux essais au champ.

Je ne demande qu’à être démenti mais je constate qu’alors que nous étions investis d’une mission officielle, nous n’avons pas pu obtenir de réponse à la question de savoir ce qui se passe en milieu confiné.

Contrairement à ce qu’on a dit, les essais de Menville qui ont fait l’objet d’arrachages de la part des « faucheurs volontaires » – lesquels sont d’ailleurs en procès à Toulouse – n’avaient pas la recherche pour objectif. Ils étaient destinés à décrire les qualités agronomiques des végétaux concernés, comme on l’exige pour tout végétal dont on demande l’inscription au catalogue des semences. Cette procédure s’applique également aux plantes transgéniques, mais, alors, on appelle cela de la recherche !

Je dirai tout de même que des essais de toxicité des plantes transgéniques dans l’alimentation animale ont été entrepris il y a plus de quatre ans sur deux cents vaches, pour lesquelles on a congelé des échantillons de lait, de viande, d’urine, etc., afin de voir si le fait de les avoir nourri avec du fourrage transgénique – c’était du maïs – pouvait modifier leurs normes biologiques. Ces essais n’ont pas été achevés parce que les crédits ont été épuisés dans la mise au point des techniques d’études et qu’ils n’ont pas été renouvelés malgré la demande appuyée de nombreuses associations. Ces demandes sont même parvenues jusqu’au Parlement. Vous devez donc en avoir entendu parler mais, pour le moment, il n’y a pas eu de réponse. C’est assez troublant parce que c’était une expérience assez rare.

Il est vrai que le système est différent aux Etats-Unis où ce qu’ils appellent « l’équivalent substantiel » suffit à démontrer l’innocuité. Selon ce système, si l’analyse chimique comparée d’un végétal transgénique et du même végétal non transgénique donne des résultats identiques – ce qui est à peu près évident –, on en conclut que ce végétal est le même et qu’il est inutile de rechercher s’il y a une toxicité. J’attire votre attention sur le fait que si l’on avait procédé ainsi on aurait trouvé exactement la même composition chimique dans la viande d’une vache folle et dans celle d’une vache qui ne l’est pas et qu’alors, nous aurions pu consommer du prion.

L’équivalent substantiel n’est donc pas une réponse scientifique à la toxicité éventuelle d’un élément vivant et, heureusement, nous avons, en France, une autre habitude qui est de vérifier, par expérimentation, si un végétal, un animal ou un médicament possède les propriétés que l’on en attend. Je citerai M. Martin Hirsch, le directeur de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA), qui, dans une interview, a récemment proposé que soit mise en place, pour les plantes transgéniques, une démarche en palier permettant de passer progressivement du milieu confiné vers l’extérieur, après avoir obtenu des réponses à des questions claires. Il propose le même schéma que celui utilisé pour les médicaments et cela me paraît intéressant. Il s’agirait d’étudier non seulement l’innocuité mais aussi les avantages apportés, parce que personne ne nie le fait qu’il serait légitime, s’il y avait un tout petit risque mais des avantages énormes, de cultiver des PGM.

Pour l’instant, ces végétaux présentent des risques que l’on ne connaît pas bien parce qu’on ne les étudie pas et n’apportent aucun avantage démontré pour les consommateurs. C’est pour cela que je parlais d’un débat absurde : on ne comprend pas pourquoi l’on prendrait le moindre risque à disséminer des végétaux qui ne présentent aucun intérêt mais qui peuvent présenter certains risques.

Maintenant, voyons le futur mystifié. Le futur, c’est ce qui se vit actuellement en Amérique du Nord et s’étend à l’Argentine et à la Chine notamment : on y cultive des plantes transgéniques et certains prétendent ainsi augmenter la productivité du végétal ou encore diminuer les pesticides répandus dans l’environnement. Toutes ces affirmations sont totalement contredites par d’autres études, parmi lesquelles des études universitaires tout à fait sérieuses.

Pour ce qui est, par exemple, des pesticides, les études de M. Ben Brook – qui était membre de l’Académie des sciences américaines et qui est plutôt « pro-OGM » tout en restant un scientifique – ont montré que l’on répand près de deux fois plus de pesticides quand on a affaire à des plantes qui tolèrent un herbicide. Ce sont des faits concrets. Il est d’ailleurs regrettable que l’information vienne des industriels eux-mêmes dont le but est, évidemment, de vendre la semence brevetée.

Je suis frappé et choqué de voir que la croyance a remplacé la science. Bien que tout ce qui se dit de positif sur les plantes transgéniques soit au futur ou au conditionnel, c’est immédiatement repris dans les médias comme étant le présent, voire le passé. « Grâce aux OGM, on va nourrir l’Afrique, on va faire pousser des plantes dans les terrains salés, on va fabriquer des plantes médicaments, … » Alors que pendant longtemps l’homme a cru à des sornettes et a réussi à s’en débarrasser, il ne faudrait pas que de nouvelles sornettes apparaissent, fabriquées par la technoscience.

Je m’en tiens donc à ce que l’on peut constater. Ainsi, je note que ces plantes transgéniques nous sont imposées – pour le moment à titre d’essais, mais ce sont des essais contagieux car, quand on cultive en un lieu, il y a risque de dissémination – sans aucun avantage pour les consommateurs et au mépris de leur avis, puisque toutes les enquêtes d’opinion montrent que les Européens sont en majorité opposés aux plantes transgéniques.

Personnellement, je ne me bats pas trop sur l’argument « sondage » parce que je sais qu’on peut faire dire n’importe quoi à une personne interrogée dans le cadre d’un sondage et je n’admets comme étant l’opinion des consommateurs que celle de consommateurs éclairés. C’est la raison pour laquelle je suis très favorable aux conférences de citoyens. C’est une procédure longue et lourde, qui demande des volontaires – mais il en existe –, qui exige de former complètement, grâce à des informations contradictoires, des personnes au départ « naïves » pour leur permettre de décider en connaissance de cause. Cela n’a rien à voir avec les référendums ou les sondages, dont on se sert quand on a besoin de l’opinion publique pour prendre des décisions. Si on y recourait pour les plantes transgéniques, il faudrait tout arrêter immédiatement.

La Conférence des citoyens de 1998 a demandé, par exemple, la création d’une nouvelle commission, qui serait la fusion des commissions techniques existantes et d’une nouvelle commission issue de la société civile, pour que le regard sur les plantes transgéniques ne soit pas seulement celui de ceux qui les fabriquent ou les vendent. Elle a également demandé qu’aucun essai en milieu ouvert n’ait lieu sans système d’assurance, ce qui n’existe toujours pas, alors que cette demande a été réitérée par le débat des « 4 Sages ».

M. François Ewald, patron d’assurance que nous avions interrogé lors du débat des « 4 Sages » avait écrit un article avec le philosophe Dominique Lecourt pour attaquer ceux qui refusent les plantes transgéniques en arguant du retard que nous allions prendre. Ce supposé retard est un argument récurrent alors que l’on peut tout aussi bien penser que si nous sommes en retard sur quelque chose d’absurde, nous allons peut-être nous retrouver en avance ! Nous avons demandé à M. Ewald pourquoi lui, qui est assureur et favorable aux plantes transgéniques, ne les assurait pas. Sa réponse a été extraordinaire : « un assureur ne peut assurer que les risques qu’il connaît ! »

Je constate que ces débats, qui étaient pourtant d’origine officielle – la Conférence de citoyens se tenait à la demande du Parlement et le débat des « 4 Sages » à l’initiative de cinq ministres –, n’ont encore débouché sur rien. Cela fait six ans et l’on poursuit exactement les mêmes cultures dans l’espace public. Lors du débat des « 4 Sages », un philosophe, M. Tibon-Cornillot, était venu expliquer que pour la première fois, « la paillasse du laboratoire s’était élargie à l’espace public ».

Je pense, pour ma part, que l’on peut faire ces essais en milieu confiné, contrairement à ce que prétendent les personnes qui travaillent sur les plantes transgéniques.

Parlons de la procédure de consultation des citoyens : le ministère de l’agriculture consulte les citoyens par Internet sur d’éventuelles autorisations de nouveaux essais de plantes transgéniques. C’est une procédure quasi clandestine car personne n’est au courant, sauf les militants qui sont évidemment vigilants. Je ne me réfère donc pas à cette procédure pour affirmer que les Français sont contre les essais au champ – même si chaque consultation récolte plus de 90 % de réponses négatives – car de telles procédures ne démontrent rien. Je note d’ailleurs que la dernière de ces enquêtes s’est déroulée entre le 23 juillet et le 8 août 2004, moment très favorable, s’il en est, pour interroger les Français !

M. le Rapporteur : La réponse négative a été donnée par Internet ?

M. Jacques TESTART : Oui, c’est une sorte d’appel. On demande l’opinion des citoyens par Internet et, à l’appui, le dossier très savant de la CGB est même mis en ligne.

Trois enquêtes de ce type ont eu lieu : deux en 2003, une en 2004. Chaque fois, le ministre de l’agriculture a fait connaître les résultats, sans honte, annonçant que 90 % de ceux qui ont répondu sont défavorables à ces essais et il a conclu : « En conséquence, j’ai décidé d’autoriser les essais. » Là, on touche le fond. C’est vraiment se moquer du monde !

Il m’est souvent demandé – car je me permets de faire des conférences sur les plantes transgéniques, sujet que je trouve extraordinaire et qui me permet de m’énerver un peu ! – comment j’explique que ces cultures augmentent puisqu’elles ne servent vraiment à rien. C’est une bonne question car les cultures augmentent sans aucun doute : en Amérique du Nord, aux Etats-Unis et au Canada, en Argentine, au Brésil où il y a des cultures clandestines et la Chine s’y est mise aussi.

Tout d’abord, je rappellerai que les multinationales de l’industrie chimique, à l’origine – Dupont de Nemours, Monsanto – ont acheté les semenciers, ce qui leur permet d’obtenir les meilleures semences, avant même qu’elles deviennent transgéniques. On prétend qu’en les rendant transgéniques on obtient les plantes les plus performantes, mais si on ne les rendait pas transgéniques, on aurait le même résultat. Pour m’être intéressé aux essais publiés par Monsanto ou par l’Académie des sciences américaine, j’ai pu constater que, souvent, la variété non transgénique comparée à la variété transgénique n’est pas de même nature, ce qui est totalement contraire à tout protocole scientifique, mais on parvient ainsi à montrer un avantage temporaire.

C’est le premier élément de réponse : ces industries qui sont moins d’une dizaine et de moins en moins nombreuses au fil des concentrations, disposent des meilleures semences et peuvent les rendre transgéniques.

Deuxième élément de réponse : le marketing extraordinaire pratiqué dans ces pays où des publicités massives et des cadeaux d’initiation sont destinés aux agriculteurs pour les pousser à se lancer dans ce type de culture. J’ai dit ces « agriculteurs » et pas ces « paysans », ce qui n’est pas tout à fait innocent parce que les plantes transgéniques sont toujours destinées à des cultures de grandes surfaces, bénéficiant de gros moyens. C’est bien pour cela que ces nouvelles technologies sont lancées en Amérique du Nord, en Chine et en Argentine, qui disposent d’immenses surfaces.

Il y a un troisième élément de réponse : ce que j’appelle la « mystification », non seulement à cause de la publicité souvent mensongère des industriels auprès des gros agriculteurs qui acceptent de cultiver ces plantes parce qu’ils ont un esprit moderne et qu’elles sont présentées comme un progrès, mais aussi parce que quand ils ont essayé, ils ne peuvent plus revenir en arrière. Comme vous le savez, on a démontré que ces plantes transgéniques se propagent soit par repousses, soit par le pollen, soit par les chaussures qui colportent des déchets végétaux.

Il y a d’ailleurs des procès en Amérique du Nord – au Canada notamment – où un gros agriculteur qui faisait du bio, nommé Percy Schmeiser, est en procès avec Monsanto depuis plusieurs années. Régulièrement, il perd, va en appel, pour perdre à nouveau, parce que la police privée de Monsanto a trouvé dans son champ des plantes transgéniques appartenant à Monsanto. Ces semences étant brevetées, il a été condamné pour vol de semences. Lui proteste en disant que ces semences ont contaminé son champ et qu’il n’en est pas responsable.

Je ne sais pas ce qu’il en est vraiment, mais il est certain qu’une fois qu’on a cultivé des plantes transgéniques, ces semences se répandent. Il est même des végétaux, comme le colza, pour lesquels il faut compter dix ans de repousse, or personne ne peut contrôler les terrains pendant dix ans. Je pense que, même en France, où les essais sont bien contrôlés, ils ne s’exercent pas durant dix ans, tout au plus pendant un an après la culture. Il y a donc des possibilités de contaminations diverses qui font qu’il est très difficile de revenir en arrière quand on a commencé à faire du transgénique.

Dernier élément de réponse : le seul avantage que l’on peut trouver aux plantes transgéniques – il ne concerne que les agriculteurs et, bien sûr, les industriels qui vendent ces plantes, et il est temporaire – c’est l’économie de main-d’œuvre. Quand une plante fabrique son insecticide, vous n’avez pas besoin d’acheter des produits et de payer quelqu’un pour répandre l’insecticide dans le champ. C’est un fait. De même, quand une plante tolère les herbicides, au lieu de passer de l’herbicide trois ou quatre fois pendant la culture, ce qui représente beaucoup de main-d’œuvre, vous pouvez le passer une seule fois en grande quantité et on en met d’ailleurs bien plus que dans les conditions habituelles.

Tout cela a une signification sur le plan symbolique. Le paysan s’est toujours battu contre l’hostilité de l’environnement. Il a toujours recherché à avoir de l’eau, à éviter les insectes parasites mais dans une sorte de pacte avec la nature. Il sait bien qu’il n’est pas plus fort que la nature et il s’accommode des petits méfaits du milieu naturel parce qu’en même temps, il en tire des bienfaits.

La démarche transgénique est radicalement différente : il s’agit d’éradiquer, de tuer tous les parasites et, comme on s’est aperçu que c’est absurde, on a même créé aux Etats-Unis des surfaces réservées autour des plantes transgéniques pour que les petites bêtes puissent se reproduire dans des végétaux non transgéniques et éviter ainsi qu’il y ait trop de mutations qu’on ne pourrait plus combattre. On prétend maîtriser la chose génétique et les plantes transgéniques, mais on s’aperçoit, à tous niveaux, que l’on ne maîtrise rien.

On a dû vous décrire la façon dont sont fabriquées les plantes transgéniques : c’est un bombardement de gènes complètement aléatoire. On ne sait pas combien de gènes pénètrent dans combien de cellules ni sur quels chromosomes ils vont aller se mettre. On ne sait rien, on constate après. On vérifie que la plante est bien devenue transgénique au moyen de marqueurs telle que la résistance à un antibiotique et l’on regarde si elle pousse normalement, si elle présente des caractéristiques normales ou intéressantes. Mais ce n’est pas de la science, ce sont des essais hasardeux.

Une étude réalisée en Afrique du Sud a montré que le coton transgénique utilisé pour combattre le parasite d’origine américain existant aussi chez eux, n’a pas permis de combattre d’autres parasites qui, une fois disparue la fameuse pyrale, sont venus se régaler à sa place. Au bout d’un temps, la pyrale a muté, les autres parasites se sont multipliés et tous les insecticides connus sont maintenant inefficaces pour assurer la salubrité de la culture.

J’ai sans doute été un peu provocateur mais je suis maintenant prêt à tenter de répondre à vos questions.

M. François GUILLAUME, Président : Je vous remercie de votre style très direct. Je trouve toutefois, si vous me permettez cette réflexion, que vous n’êtes pas très aimable vis-à-vis de vos collègues scientifiques qui ont d’autres points de vue que vous et parmi lesquels il y a un certain nombre de personnes de grande qualité. Mais le progrès de la science naît aussi de ces oppositions qui permettent aux uns et aux autres de réagir face à des affirmations qu’ils estiment non fondées. C’est au travers de ce débat que l’on finit par trouver la voie du progrès.

Je ne suis pas scientifique, je ne suis pas faucheur mais je suis agriculteur, cela tombe bien ! Et j’ai entendu pendant toute ma vie d’agriculteur les réactions de ceux qui, comme vous, sont opposés à tout progrès.

A l’origine, des techniques telle que l’insémination artificielle – et vous êtes expert en la matière – ont suscité des protestations ; de même pour l’emploi des désherbants. S’il est vrai que ces techniques ont eu un certain nombre d’effets négatifs, ceux-ci ont permis d’approfondir ces techniques et d’en améliorer la maîtrise. Cela fait partie de la loi de la vie. C’est un combat permanent. Le combat des espèces l’est aussi.

L’agriculteur que je suis voulait tout de même vous poser une question de fond : je n’arrive pas à comprendre que les agriculteurs américains paient des semences OGM plus cher sans en espérer une certaine rentabilité. Or si l’on compare les prix de revient du maïs OGM ou non-OGM, on note une différence d’une centaine d’euros l’hectare, ce qui n’est pas négligeable. Il y a au travers de tout cela un problème commercial que personne n’ignore.

De plus, la vitesse à laquelle se répandent les OGM sur les territoires américain, chinois ou argentin fait que certains aliments ou certaines matières premières destinées à l’alimentation du bétail seront bientôt en totalité OGM. Je pense notamment au soja. Or nous avons un déficit considérable en protéines qui nous oblige à importer. Nos producteurs d’aliments du bétail sont en grande difficulté parce qu’ils redoutent que leurs produits ne soient plus commercialisables à cause des peurs que l’on développe dans la population face à l’utilisation de ces OGM. Que faire ?

Par ailleurs, les intervenants que nous avons auditionnés hier, notamment le professeur Fellous qui nous a indiqué qu’il y avait des travaux en laboratoire – et il me paraît excessif de mettre en cause le travail des scientifiques dans les laboratoires, comme vous l’avez fait – ont également dit qu’il est absolument indispensable de faire des essais en milieu ouvert.

Nous nous posons ces questions parce que nous sommes face à un problème à la fois scientifique, économique et commercial auquel il faut apporter une réponse.

Je suis pour l’information des citoyens, mais on connaît le résultat d’un sondage qui demanderait aux Français s’ils sont pour ou contre les OGM. Autrefois, les Gaulois avaient peur que le ciel ne leur tombe sur la tête ; aujourd’hui, les Français ont peur d’être empoisonnés, alors que jamais ils n’ont eu une nourriture aussi sécurisée. Ce n’est donc pas en organisant ce genre de débats que l’on éclairera les Français sur l’intérêt ou non des OGM.

M. Jacques TESTART : Vous confondez les conférences de citoyens et les sondages. Je suis opposé au sondage ou au référendum. Le référendum est valable pour une question politique large. Par exemple, on peut demander aux Corses s’ils souhaitent être Français ou pas. Ils n’ont pas besoin d’aller à l’école pour savoir répondre.

Mais quand on a affaire à une question aussi complexe que les plantes transgéniques, sur laquelle les scientifiques, eux-mêmes, n’ont pas de réponse très claire, il faut absolument informer les gens de façon contradictoire et cela n’a rien à voir avec un sondage ou un référendum. C’est la conférence de citoyens, dont j’ai parlé, une procédure très lourde, qui n’a été utilisée que deux fois en France, la première pour les plantes transgéniques et la seconde pour le changement climatique, cette dernière étant organisée par la Commission du développement durable. Il s’agit de procédures tout à fait extraordinaires.

Je conviens avec vous que le sondage est une manipulation très facile de l’opinion et d’ailleurs je ne m’y réfère jamais, contrairement à certaines personnes opposées comme moi aux OGM. J’ai dit très brièvement – en précisant que je n’y attachais pas d’importance – que les trois-quarts des Européens sont contre la consommation de plantes transgéniques. Mais je conviens que cela n’a pas de sens, car on pourrait les retourner très rapidement.

M. le Rapporteur : Quand les résultats des sondages vous conviennent, vous les utilisez tout de même : vous avez ainsi parlé des 90 % de personnes défavorables aux OGM.

M. Jacques TESTART : C’est que je me suis mal fait comprendre. Je disais que, pour moi, ces résultats n’avaient pas de sens, mais que ceux qui font ces sondages leur donnent un sens. Quand le ministre de l’agriculture veut interroger la population par Internet, on peut penser que c’est pour avoir une information sur l’opinion publique. A mon avis, l’information ainsi récoltée n’a pas de sens, d’autant que ce sont les militants qui répondent parce qu’ils sont les seuls à connaître l’existence de la procédure. Et elle a encore moins de sens dès lors que le ministre de l’agriculture qui a décidé de procéder ainsi ne respecte pas la règle du jeu qu’il a lui-même lancé.

De manière générale, le pouvoir se sert des sondages quand ils confortent ce qu’il veut faire. Dans le cas contraire, il n’y recourt pas. Personnellement, je pense que les sondages sont peut-être un moyen de mesurer l’état d’aliénation d’une opinion publique mais certainement pas une façon de mesurer son état d’ouverture. Donc, sur ce point, je suis clair.

Vous me dites que M. Fellous – que je connais bien – vous a parlé de la nécessité des recherches et vous me demandez ce qu’il faut faire Je vous réponds qu’il faut faire de la recherche sur les plantes transgéniques mais qu’elle doit d’abord se faire dans les laboratoires et éventuellement dans des serres. Tant que l’on ne saura pas mettre un gène à l’endroit où l’on veut le mettre, il est absolument prématuré de parler de « maîtrise du vivant ». C’est vrai aussi bien pour les thérapies géniques que pour les plantes ou les animaux transgéniques. Il reste donc du travail à faire en milieu confiné et pour ce qui est, plus précisément, des plantes il faut arriver à démontrer qu’elles présentent un avantage et des inconvénients que l’on peut maîtriser ou qui seraient limités par rapport aux avantages. Tout cela peut se réaliser en milieu confiné.

Je ne comprends pas comment nous pouvons fabriquer des porte-avions nucléaires et ne pas avoir les moyens de fabriquer des serres de grandes tailles dans lesquelles on pourrait faire varier le climat. On est tout de même capables de faire varier la température de moins 50°C à plus 70°C, de faire du vent, de créer de la sécheresse, de l’humidité, d’introduire des parasites. On pouvait déjà le faire il y a cinquante ans.

Quand on veut passer à l’extérieur, c’est que l’on veut apprécier la rentabilité d’un système au niveau des exploitations, donc, au niveau de la commercialisation. Cela n’a rien à voir avec la recherche. Personnellement, je ne suis pas opposé à la recherche sur les plantes transgéniques. Je dis seulement que, pour le moment, aucune variété transgénique n’a démontré un avantage qui permettrait de la mettre dehors et qu’on met les plantes transgéniques dehors de façon prématurée.

M. le Rapporteur : Je comprends, M. le professeur, que vous êtes tout à fait favorable aux essais en milieu confiné. Mais, rappelez-vous ce qu’il en a été pour le nucléaire. Grâce aux essais nucléaires réalisés sur le terrain, dans les îles Mururoa, on s’est aperçu qu’on pouvait travailler en laboratoire, mais, sans ces essais sur le terrain, jamais on n’aurait pu le faire en laboratoire.

M. Jacques TESTART : Il ne s’agit pas du tout du même problème.

M. le Rapporteur : Mais cela mérite d’être analysé.

M. Jacques TESTART : Oui, mais pour faire des simulations sur le nucléaire, il a fallu étudier les effets physiques du nucléaire pour pouvoir ensuite les modéliser. Pour ce qui est des plantes transgéniques, on peut faire autrement. Il faut, certes, mettre cet élément biologique en rapport avec d’autres éléments biologiques, c’est-à-dire avec l’environnement, mais cet environnement peut être reconstitué dans un milieu confiné.

M. le Rapporteur : A mon avis, vous n’aurez pas suffisamment de champ expérimental en milieu confiné ou en serre.

M. Jacques TESTART : Tout ce qui se fait au titre des essais de plantes transgéniques pourrait être fait en milieu confiné, par exemple, les essais réalisés actuellement pour étudier comment la plante pousse, quelle est sa production. Ainsi, les essais qui ont été fauchés pouvaient très bien être réalisés en serres. En général, quand on nous dit que des essais ne peuvent se faire dans des serres, c’est qu’il s’agit d’études de dissémination et on nous rétorque : « Comment ? Vous craignez une dissémination dont nous voulons précisément étudier le risque et vous empêchez l’essai ? »

C’est absurde. La dissémination n’a pas de limite et parler de 300, 600 mètres, voire maintenant d’un kilomètre, n’a aucun sens. Le sable du Sahara va jusqu’au Danemark, dès lors on ne voit pas pourquoi le pollen qui est fait pour voyager, contrairement au sable, n’irait pas très loin, d’autant que le pollen peut vivre plusieurs jours et qu’en plusieurs jours, il peut franchir des milliers de kilomètres. De plus, il a été montré que la dissémination la plus importante se fait par les bottes et les camions, plus que par la dissémination du pollen. Donc, il n’est nul besoin d’essais pour démontrer la dissémination. Elle est évidente ! Toute cette pseudo recherche n’est qu’une façon de nous habituer aux plantes transgéniques et répond même, peut-être, à une volonté perverse de disséminer pour rendre inéluctable le fait qu’il faut bien gérer les OGM, car ils seront partout.

M. le Rapporteur : On peut penser que les objectifs des essais de cultures en plein champ sont d’intérêt secondaire. Mais s’il s’avérait un jour que les objectifs soient plus importants, seriez-vous d’accord pour que les expérimentations soient menées en plein champ, d’autant que celles conduites aux Etats-Unis, en Argentine ou ailleurs, nous permettrons, dans quelques années, d’avoir le recul nécessaire pour savoir si la dissémination est dangereuse ou pas ? Seriez-vous d’accord pour que l’on franchisse alors le pas ?

M. Jacques TESTART : C’est comme pour les médicaments. On ne les injecte pas à des malades avant d’avoir vérifié qu’ils ont un effet nouveau, un avantage par rapport à ceux que l’on avait avant et qu’apparemment, ils ne présentent pas de risque. Pourquoi ne pas faire de même pour les plantes transgéniques ? Après avoir fait cette démonstration, on passerait dehors et l’équivalent de l’injection du médicament à un malade serait de faire les essais en milieu ouvert. Mais, en l’occurrence, on a sauté toutes les étapes. Tant que l’on n’a pas d’avantage prouvé, on n’a aucune raison de prendre le moindre risque. J’insiste sur ce point. Et cet avantage peut se démontrer en milieu confiné.

M. le Rapporteur : Si l’objectif était vraiment important, seriez-vous d’accord de prendre ce risque ?

M. Jacques TESTART : Bien sûr, autrement, je serais dans la religion du non-OGM et ce n’est pas du tout mon cas. Je pense simplement qu’il faut appliquer la même règle partout. Il est vrai que les technologies se développant et qu’on pourrait admettre que certains OGM présentent un jour un avantage, mais encore faut-il le démontrer avant de les mettre dans la nature.

M. le Rapporteur : D’un côté, on prône l’information des populations locales, des maires, et de l’autre, on détruit les cultures. Cela ne vous semble-t-il pas paradoxal ?

M. Jacques TESTART : Le paradoxe est davantage que le gouvernement, au lieu d’autoriser les essais et d’informer les maires, ferait mieux d’exiger des essais en milieu confiné, comme cela était demandé par la Conférence de citoyens et par le débat des « 4 Sages ». Chaque fois que s’est tenu un débat informé, on en est arrivé à la même conclusion : les essais doivent être faits en milieu confiné et l’on ne passe dehors qu’une fois que l’on possède les éléments suffisants pour montrer que cela présente de l’intérêt et que ce n’est pas dangereux.

On se trouve donc dans une contradiction : on autorise les essais mais, en même temps, comme il y a une opposition – à mon avis légitime – on est amené à ne pas en informer les maires, ce qui est encore une faute contre la démocratie.

M. Yves COCHET : Votre discours présente plusieurs aspects importants. Même si l’objet de notre mission d’information est limité dans son intitulé, on voit bien qu’à la clé il y a un projet de société. Les questions sont donc de tous ordres, aussi bien scientifiques qu’écologiques, sanitaires, démocratiques, industrielles, commerciales, économiques.

Je vous poserai quatre questions.

Première question : on n’a démontré ni l’innocuité ni la dangerosité des plantes transgéniques ; il y a une incertitude, mais rien n’est démontré. Par contre, les médicaments qui sont, par définition, des poisons dont on sait que l’effet est fonction de la dose, ne présentent-ils pas un risque plus avéré que les transgéniques alimentaires ? Si l’on fait des médicaments transgéniques en plein champ plutôt qu’en laboratoire, cela signifie que, par dissémination, des substances qui peuvent être des poisons iront se répandre et peuvent être à la merci non seulement des animaux mais des enfants, ou des adultes d’ailleurs. Ces médicaments transgéniques cultivés en champ, qui pourraient avantager certains industriels de la pharmacie, parce que la culture en champ coûte sans doute moins cher que la production en laboratoire, ne constituent-ils pas un danger supplémentaire ?

Vous avez évoqué les assurances et M. le Rapporteur ayant eu le bon goût de comparer ces essais aux essais nucléaires – même si la substance elle-même ou les protocoles d’étude scientifique ne sont pas tout à fait comparables –, je suivrai son chemin.

Pour le risque nucléaire, je constate qu’il existe une loi aux Etats-Unis, et même une en France depuis la Convention de Paris et la loi de 1990 qui permettent de mesurer le risque à partir d’une échelle établie par les scientifiques et de l’assurer pour un coût fixé en fonction de la gravité de ce risque. Ainsi, l’Agence internationale de l’énergie atomique, située à Vienne, a déterminé une échelle du risque en sept paliers – Tchernobyl étant au palier 7, Three Mile Island au palier 5. On sait donc évaluer le risque et même le décrire.

Dans cette logique, il est normal que les assureurs demandent aux scientifiques de leur décrire l’échelle du risque lié aux OGM. Mais cela est-il possible ? A ma connaissance
– mais je ne suis pas versé dans les OGM –, la réponse est plutôt négative.

Ma troisième question concerne l’information et la consultation des élus locaux. Je vois aujourd’hui des départements, des villes, des régions entières qui s’autodéclarent « sans OGM ». C’est le cas, notamment, de la région Aquitaine et de la région Poitou-Charentes. Ces prises de position prennent la forme de délibérations qui n’ont pas d’effet juridique mais expriment un vœu. Pourriez-vous nous rappeler ce que proposait le rapport des « 4 Sages » dans ce domaine ?

Enfin, près de 70 millions d’hectares de plantes transgéniques – maïs, soja, coton – sont déjà cultivés dans le monde, en Chine, aux Etats-Unis, en Amérique du Sud. Dans la mesure où la dissémination est d’une certaine manière irréversible, n’est-il pas déjà trop tard pour s’y opposer ? Et si c’est cas, que peut-on faire ?

M. Germinal PEIRO : On dit que la croyance a remplacé la science, je crois que c’est vrai pour nous tous et, en tout cas, pour les élus. J’en veux pour preuve les résultats d’un tout récent sondage selon lesquels les maires de France se sont majoritairement opposés aux OGM à l’occasion de leur Congrès. Je ne sais selon quels principes ils se sont prononcés : principe de précaution environnemental, scientifique, sanitaire, ou électoral, parce que cela compte aussi dans notre vie d’élu. Après cette remarque, je vous poserai deux questions.

La science de la génétique ne date pas d’aujourd’hui. Depuis des siècles, les hommes ont essayé d’améliorer les races d’animaux et les espèces variétales. Un arbre fruitier obtenu par pollinisation de deux espèces proches ou une race bovine améliorée par croisement produisent-ils des espèces génétiquement modifiées ? Dans ce cas, si l’on s’était posé autant de questions dans le passé, on n’aurait jamais obtenu ce que l’on a aujourd’hui. Les chiens qui se promènent dans la rue et s’accouplent entre eux produisent des bâtards. Ceux-ci sont-ils des êtres génétiquement modifiés ?

Par ailleurs, hormis le risque de dissémination et les problèmes démocratiques et économiques que vous avez exposés, en quoi les OGM vous font-ils peur ?

M. André CHASSAIGNE : Je fais partie, au sein de cette mission, des parlementaires qui n’ont aucune certitude. Mes questions sont donc posées avec la volonté de bien comprendre.

Nous avons auditionné hier des scientifiques que j’ai trouvé extrêmement scrupuleux, faisant montre d’un souci obsessionnel de relever le moindre signe de risque. Il y a donc un décalage avec les propos que vous tenez. Pensez-vous que ces scientifiques de haut niveau, qui me semblent d’une parfaite honnêteté, puissent se tromper ?

Ma seconde question porte sur la proposition faite hier par ces mêmes scientifiques de créer un espace d’évaluation des questions économiques et sociétales. Ils se plaignent que cet espace n’existe pas. Si nous faisions une telle proposition à l’issue de notre mission, comment verriez-vous cet espace ?

M. Philippe TOURTELIER : Pour compléter les questions précédentes, supposons qu’il soit effectivement déjà trop tard. Quels seraient, selon vous, les risques d’un monde avec OGM ?

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Je ne suis pas d’accord avec mon collègue M. Chassaigne sur les scientifiques que nous avons reçus hier car ils ont évité un certain nombre de détails, concernant en particulier les expérimentations.

Je pense comme vous, M. le professeur, qu’une ambiguïté est entretenue par de nombreux chercheurs et hommes et femmes politiques. Nous ne sommes pas contre les OGM, mais nous sommes opposés à la dissémination des organismes génétiquement modifiés et, plus particulièrement, des plantes génétiquement modifiées. Il faut que cela soit clair. Je suis une scientifique, docteur vétérinaire, comme d’autres ici et j’ai fait de la recherche en laboratoire. On ne peut pas nier les progrès qui en ont résulté, notamment en biologie, mais s’agissant des plantes transgéniques nous devons être d’une extrême prudence en raison des risques de dissémination.

Ma première question rejoint celle de M. Tourtelier : ne sommes-nous pas déjà allés trop loin. Et si oui, que peut-on faire ?

Ma seconde question est plus spécifique. Vous nous avez dit que certains chercheurs étaient impliqués dans des start-up dont l’objet était de promouvoir la naissance de certains OGM. Pouvez-vous nous en dire plus ?

M. Philippe MARTIN : J’ai lu que vous disiez qu’entre la science et la loi, il y a un chaînon manquant : le citoyen. C’est une des phrases qui m’a poussé, en tant que président du Conseil général du Gers, à tenter d’organiser un premier référendum départemental citoyen sur la question des OGM. Quelle est, selon vous, la bonne façon pour réintroduire ce chaînon qu’est le citoyen, dont je ressens, dans mon département, qu’il se sent dépossédé de tout pouvoir dans ce domaine ?

M. François GUILLAUME, Président : Pour que nous puissions bien saisir votre pensée, je reviens sur ce que disait M. Peiro.

Les producteurs ont toujours cherché, de façon expérimentale, à améliorer les rendements et la qualité de leurs productions, notamment par hybridation. Je pense, par exemple, aux vergers où l’on a cultivé quelques variétés particulièrement productives au point qu’à une époque on ne trouvait pratiquement plus que des goldens sur les marchés. Dans ce cas aussi, il y a eu dissémination par le pollen et l’on s’est posé la question de la conservation des variétés d’origine pour pouvoir faire d’autres hybrides. C’est ainsi qu’ont été créés des conservatoires arboricoles destinés à protéger les variétés de tout croisement accidentel par pollinisation.

Le problème est un peu le même avec les OGM à cette différence près qu’il y a un saut technologique majeur. On passe des simples soins à la chirurgie, en quelque sorte.

Autant je partage votre souci de préserver la biodiversité, autant je ne vois pas ce qu’il peut y avoir de nocif dans une technique nouvelle, qui donne plus de rusticité, renforce la résistance aux maladies ou la capacité de pomper directement l’azote de l’air, comme le font certaines légumineuses, ce qui dispense d’utiliser des engrais chimiques, une technique qui, finalement, amplifie l’avantage que l’on avait recherché au travers des croisements naturels de végétaux.

M. Jacques TESTART : Les plantes médicaments font partie de l’offensive de séduction de l’industrie pour essayer de réduire l’opposition des Européens aux OGM. Je répondrais que nous n’avons pas besoin de plantes médicamenteuses.

M. le Rapporteur : La lipase ne présente-t-elle pas tout de même un intérêt pour la mucoviscidose ?

M. Jacques TESTART : Oui, mais on peut la fabriquer en fermenteur.

M. le Rapporteur : Pourquoi, dans ce cas, ne l’a-t-on pas fait avant ?

M. Jacques TESTART : Je pense que ceux qui fabriquent la lipase ont un intérêt économique à le faire avec des plantes car il est bien plus facile de semer des graines dans un champ que d’entretenir des fermenteurs en milieu confiné. De toute façon, l’intérêt de la lipase a été énormément grossi. Elle ne guérit pas la mucoviscidose…

M. le Rapporteur : Effectivement, elle ne guérit pas la mucoviscidose, mais vous ne pouvez pas nier l’intérêt de cette expérimentation du point de vue thérapeutique.

M. Jacques TESTART : Je n’en suis pas persuadé. Personne n’a pu dire que l’on ne peut pas fabriquer la même lipase – qui est une lipase de chien – non pas avec des bactéries, puisqu’il a été dit que les bactéries ne peuvent pas fabriquer toutes les protéines, mais avec des cellules animales ou humaines, que l’on cultiverait. En général, on utilise des cellules d’ovaire de hamster et il existe une lignée qui sert aujourd’hui à fabriquer tous les médicaments en fermenteur. Je ne sais pas si l’on a essayé de fabriquer de la lipase, mais je ne vois pas pourquoi on ne réussirait pas à le faire.

C’est simplement une question de compétitivité des techniques. Il est certainement moins cher de le faire avec des tabacs ou des pommes de terre transgéniques que dans des fermenteurs. La question est de savoir si le principe de précaution doit prendre en compte l’économie réalisée par l’industriel quand il fait pousser sa lipase dans la nature ? Tout à l’heure, je parlais de la paillasse du laboratoire qui s’étend dans la nature mais, en l’occurrence, c’est la pharmacie qui s’ouvre dans la nature. C’est une notion tout de même assez étonnante.

M. Louis GUEDON : Le coût de la sécurité sociale mérite tout de même que cet aspect économique soit pris en compte !

M. Jacques TESTART : Je ne dis pas que le coût économique n’est pas à prendre en compte, mais que le principe de précaution doit l’être aussi. Fabriquer des médicaments en milieu ouvert, cela signifie qu’il est inutile d’avoir des tableaux B dans les pharmacies.

M. le Rapporteur : Ce n’est pas en mangeant de la digitale que vous allez vous intoxiquer, c’est en prenant de digitaline. Ce n’est pas en mangeant la belladone que vous allez vous intoxiquer, mais en prenant de l’atropine.

M. Jacques TESTART : Pour en finir avec les plantes médicamenteuses, je répète que l’on peut les fabriquer en fermenteur. On fait aussi des essais pour fabriquer des vaccins avec les bananes. Cela ne marche toujours pas, mais le projet existe. Je suis, pour ma part, certain qu’on peut le faire en fermenteur, certainement à un coût supérieur, mais peut-être faut-il assumer ce coût au nom de la sécurité.

Pour ce qui est des assurances, je pense que l’on ne peut pas construire d’échelle de risque sur des plantes transgéniques, comme on l’a fait pour les risques nucléaires. Le problème est très difficile, les assureurs voulant absolument connaître le risque avant de l’assurer. C’est bien pour cette raison que, pour le moment, on ne peut mettre de plantes transgéniques en dehors du milieu confiné.

A propos de sécurité, je voudrais dire un mot sur l’étiquetage. On en a fait une panacée démocratique : les gens allaient ainsi pouvoir choisir. C’est, en fait, un vrai abus démocratique. Alors que les experts eux-mêmes ne connaissent pas la dangerosité alimentaire d’une plante transgénique, on prétend que les consommateurs disposeraient d’une information suffisante, parce qu’il y aurait écrit sur une étiquette « contient des OGM ». C’est vraiment se moquer du monde !

Plus grave encore, c’est ramener l’éventuelle dangerosité des OGM au seul aspect alimentaire, sans s’occuper de l’environnement et de l’aspect économique. Quand il achètera une boîte de maïs transgénique, le consommateur prendra un risque pour lui et sa famille. Et l’on dit que c’est de la démocratie ! Tout d’abord, il n’est pas informé et, ensuite, en prenant ce risque, c’est-à-dire en consommant cette plante, il en active la production. Donc, il modifie complètement le circuit de culture, de distribution, l’économie agricole, la biodiversité, toutes choses qui ne sont pas sur l’étiquette et qui ne sont donc pas prises en compte.

S’agissant des régions qui se déclarent sans PGM, le débat des « 4 Sages » en avait effectivement parlé mais sans prendre de position parce qu’il n’était pas de notre compétence de réguler cela de façon administrative. On demandait qu’une étude juridique soit faite pour savoir si le trouble à l’ordre public pouvait être revendiqué par le maire pour interdire la culture de plantes transgéniques sur sa commune. Cela n’a pas été fait.

Sur l’irréversibilité, je dirais que le problème est assez dramatique car, effectivement, on ne va pas rattraper les gènes. Je n’ai pas la solution, sauf à répéter que la précaution est indispensable.

Il est vrai que la croyance s’oppose partout à la science mais il est assez dramatique que cela se produise sur le terrain de la science car, jusqu’à présent, la science essayait de se libérer de la croyance. Le débat sur les OGM m’irrite car nous sommes dans quelque chose qui n’est plus scientifique.

L’amélioration traditionnelle à laquelle procèdent les paysans depuis 10 000 ans sur les végétaux ou les animaux existe effectivement mais elle n’a rien à voir avec les OGM. On a parlé des croisements entre chiens, mais il s’agit toujours de la même espèce. On a parlé aussi de l’hybridation de végétaux, mais cela n’a rien à voir ni en ampleur ni en rythme avec ce qu’on fait avec les plantes transgéniques. Avec l’hybridation, on n’a jamais mis un gène de fraise dans un mouton. Actuellement, on fait au contraire des choses complètement folles, par exemple, introduire un gène d’araignée dans des chèvres pour produire de la soie d’araignée. C’est un projet de la société Nexia qui a déjà dix ans et dont on ne cesse de nous dire qu’il va aboutir. Le but est de produire de la soie d’araignée, qui est un textile très intéressant, résistant et élastique, en créant des chèvres transgéniques qui produiraient cette soie dans leur lait. Pourquoi pas ? Mais cela n’a jamais marché et cette société a fini par produire sa soie d’araignée en cultivant des bactéries dans des fermenteurs. Cela signifie qu’elle n’avait pas essayé cette méthode avant, sans doute parce qu’elle plus chère.

On ne peut pas assimiler les techniques transgéniques aux techniques classiques. Il n’y a pas de passage d’un ordre animal à un autre ou d’un végétal à un animal : on a jamais fait cela par la sélection. Puis, il y a le rythme, ce rythme lent du paysan qui regarde si l’expérience marche, si elle s’améliore. Les améliorations variétales se font assez lentement, même avec les sélectionneurs professionnels et elles ne sont pas irréversibles. Avec les plantes transgéniques, c’est le contraire ; en quelques années, on veut changer le monde utile à l’homme, végétal d’abord, animal bientôt.

De quoi faut-il avoir peur, me demande-t-on ? Il faut avoir peur des modifications dont on ne sait pas quels seront les effets et qui seront irréversibles. Pour moi, c’est suffisant mais on peut également craindre un développement des allergies. Personne ne l’a démontré, mais personne non plus n’a démontré le contraire. Nous sommes dans l’incertitude.

En revanche, on a démontré qu’il pouvait y avoir des risques pour la biodiversité, en particulier, celles de la microfaune du sol, qui est fondamentale en agriculture et qui souffre énormément de l’épandage massif de pesticides.

Il y a des scientifiques honnêtes. Se trompent-ils ? C’est une question presque idéologique.

Je connais des scientifiques malhonnêtes. J’en connais qui sont honnêtes et ont un point de vue contraire au mien. Donc, c’est possible, on comprend pourquoi certains sont malhonnêtes. Pour les autres, on peut comprendre aussi qu’il est très difficile pour un scientifique qui travaille sur un sujet de couper la branche sur laquelle il est assis, pas pour des raisons économiques, mais simplement par fierté, pour ne pas avoir à reconnaître qu’il a travaillé inutilement. C’est une explication. Il y a donc certainement des scientifiques honnêtes favorables aux OGM.

La création d’un espace économique sociétal, proposée par la loi, est intéressante. Je voudrais seulement savoir ce que l’on entend par « espace économique et sociétal ». Dans le projet de loi, il est dit, me semble-t-il, que le pouvoir de cette commission sera équivalent à celui de la commission technique. C’est bien. Mais imaginez que l’on désigne comme représentant de la société civile, un philosophe comme Dominique Lecourt, un assureur comme François Ewald et quelques autres que je pourrais citer. Cette commission sera-t-elle représentative de la société ou bien renforcera-t-elle le poids des industriels ? Comment va-t-on la définir ? Va-t-on y mettre les associations, par exemple ?

Vous avez posé une question difficile sur les chercheurs et les start-up. Je ne veux pas citer de noms, mais certains chercheurs connus défendent les OGM en même temps qu’ils défendent leur propre start-up. Peut-on leur en vouloir de créer des start-up ? Hélas, non ! C’est une demande de l’institution publique. Aujourd’hui, vous le savez, à l’INSERM, au CNRS ou à l’INRA, on nous y oblige puisque l’on ne nous accorde de crédits que si nous sommes capables d’en trouver dans l’industrie. On nous demande donc de créer des liaisons privilégiées avec le tissu industriel. On nous oblige à prendre des brevets et à créer des start-up. Il n’est donc pas illégitime pour un chercheur du domaine public d’avoir une start-up. Cela lui donne-t-il pour autant le droit de parler, revêtu de l’objectivité de la science, alors qu’il détient un intérêt personnel dans l’affaire, même si c’est un peu dévié par l’institution publique dans laquelle il travaille ?

Je n’ai pas le temps de vous parler du Téléthon qui occupera bientôt l’actualité. Mais c’est le même problème. Le Téléthon finance aussi des travaux sur les plantes transgéniques. Il y a une mystification exercée par le biais du génome, ce grand livre de la vie, et toutes sortes d’absurdités dont on prend conscience progressivement : l’ADN n’est pas une molécule vivante car il n’y a que des molécules inertes et qu’on ne sait toujours pas définir la vie, que celle-ci est bien plus complexe qu’on ne croyait... Cela répond à cette idée que l’on pourrait avoir la maîtrise de l’ensemble grâce à la génétique. Je ne suis pas opposé à la recherche. Je pense simplement qu’on l’instrumentalise à des fins qui n’ont plus rien à voir avec elle.

A propos des citoyens du Gers, je suis informé de cette volonté de débat. Je ne sais pas quelle forme il revêtira, mais il ne me semble pas que cela puisse prendre la forme d’une conférence de citoyens telle que je la propose, car celle-ci doit être organisée au niveau national, voire multinational.

Avant de démissionner de la Commission du développement durable, j’avais lancé auprès du ministère de l’environnement, un projet visant à organiser trois conférences de citoyens sur le thème des aides à l’agriculture, simultanément en France, dans un pays de l’Est et dans un pays du Sud. Elles auraient porté sur le même sujet, de façon relativement autonome, mais avec un comité de pilotage commun, en faisant le pari que les résultats seraient les mêmes, c’est-à-dire que les citoyens du monde auraient des intérêts communs qu’ils pourraient avoir l’intelligence de découvrir ensemble, à condition de disposer de toute l’information, et que les intérêts ne seraient pas forcément ceux que défendent leurs dirigeants.

Le débat local me semble donc important mais ne peut, à mon sens, prendre une forme aussi lourde que la Conférence de citoyens qui dure près de neuf mois et coûte très cher.

Pour en revenir à la comparaison entre hybrides et plantes transgéniques, je pourrais ajouter que, lorsque le généticien introduit volontairement un gène – avec une certaine maladresse car on ne sait pas le faire bien –, il l’introduit dans le vivant et on s’aperçoit qu’il y a des effets imprévisibles, qu’il s’agisse de l’homme, de l’animal ou des plantes.

Pour ce qui est de l’homme, je rappellerai le cas de l’hôpital Necker où deux enfants ont eu une leucémie après avoir reçu un traitement par thérapie génique, apparemment parce que le transgène est venu activer un oncogène. Cela ne condamne pas, bien sûr, tout ce travail auquel je suis favorable. Quand des enfants vont mourir, on peut tout essayer, mais il en est différemment pour les plantes dont on n’a pas besoin.

Je voudrais citer, à titre d’exemple, un travail de l’INRA concernant des transgènes introduits dans des plantes autorisées pour la culture. Il s’est révélé que sur cinq plantes étudiées, aucune d’entre elles ne possédait le transgène tel qu’il était décrit, ce qui signifie que le gène transmis était instable, contrairement au gène qui arrive naturellement en cas d’hybridation. Il y avait quatre variétés de maïs et une de soja. Toutes avaient des gènes modifiés : soit il manquait des morceaux, soit il y en avait de supplémentaires ; le gène avait donc subi des mutations.

Autrement dit, quand on introduit un gène, on ne sait pas ce que l’on fait et, surtout, la plante que l’on va cultiver à partir d’une autorisation n’est pas celle qui a été autorisée. Il y a donc énormément d’incertitudes.

M. François GUILLAUME, Président : Il en est ainsi de toute avancée scientifique. Mais le problème qui se pose à nous, politiques, n’est pas le même. Nous entendons des scientifiques qui ont des avis différents sur les OGM et nous, qui n’avons pas votre formation scientifique, devons arriver à trancher.

Les nouvelles techniques de production agricole ont toujours été accompagnées, au début, d’un certain nombre d’inconvénients que l’on a réussi à réduire au maximum, l’impératif étant naturellement que les avantages finissent par l’emporter sur les inconvénients. Je crois aussi que l’on avance en marchant et que si l’on s’arrête, cela n’empêche pas les autres de continuer.

M. Gérard DUBRAC : Ce qui fait débat aujourd’hui est la question de savoir comment on doit avancer. Serait-il possible d’envisager une autorisation de mise en expérimentation en différentes phases, comme cela existe pour les médicaments ?

M. le Rapporteur : J’ajouterai une question courte mais qui demanderait une réponse très longue : l’utilisation d’OGM pour l’alimentation animale vous semble-t-elle dangereuse ? Indirectement, je pense au problème de l’étiquetage des aliments issus d’animaux ayant consommé des OGM.

M. Jacques TESTART : Il est effectivement surprenant qu’il n’y ait pas d’obligation d’étiqueter la viande des animaux nourris avec des plantes transgéniques, simplement parce que l’on ne sait pas si cela peut avoir un effet.

Je voudrais citer à nouveau cette expérience, qui n’a pas abouti, sur les deux cents vaches pour dire encore que les essais de ce type sont rares. Certains sont controversés comme celui de M. Puztay, grand patron de la recherche en alimentation animale en Grande-Bretagne, qui, ayant montré que l’intestin des rats était modifié quand il leur donnait à manger des pommes de terre transgéniques, a perdu son emploi et s’est réfugié en Finlande. Certains faits sont étranges et ne semblent pas tout à fait relever de l’ordre scientifique.

Je ne sais si la viande des animaux alimentés par du végétal transgénique est dangereuse mais je pense qu’elle doit être aussi placée sous surveillance. Nous avons l’occasion de finir l’essai des deux cents vaches et je ne comprends pas pourquoi on ne le termine pas.

Je suis tout à fait d’accord avec M. Dubrac concernant une procédure de mise en expérimentation semblable à celle des médicaments. Votre suggestion correspond exactement à ce que je propose, c’est-à-dire des procédures sérieuses, avec des contrôles et de la transparence. Il y a, certes, la limite du brevet et de la propriété industrielle, mais on peut quand même assurer une certaine transparence permettant progressivement d’envisager de sortir du laboratoire, tout comme on envisage d’appliquer un médicament aux populations, seulement après avoir acquis une quasi-certitude d’innocuité et une certitude d’avantage. Pour le moment, on n’a ni l’un ni l’autre.

Je reviens au propos de M. le Président selon lequel on n’aurait jamais rien fait si l’on avait pas décidé d’avancer. Je répondrai que c’est la première fois, à ma connaissance, que l’on dissémine une technologie irréversible sans qu’elle ait encore montré un quelconque avantage.

Pour reprendre l’exemple du nucléaire, je suis antinucléaire mais je considère que le débat sur le nucléaire n’est pas absurde. On a vu récemment dans Le Monde une argumentation des pro-OGM consistant à dire que les anti-OGM sont les mêmes que les antinucléaires. Cela me semble cohérent. C’est parce qu’ils ont une autre notion de la précaution et du rapport de l’individu avec le développement économique.

Néanmoins, le débat sur le nucléaire ne me paraît pas absurde, contrairement au débat sur les OGM. On sait à quoi sert le nucléaire. Personnellement, je pense que les risques à très long terme sont trop importants pour que l’on continue de cette façon, mais il n’est pas absurde de faire ce pari en disant que, pour le moment, l’énergie nucléaire est utile et ne nuit pas aux changements climatiques. On peut prendre des risques mais de façon raisonnable.

Pour les OGM, le débat est absurde, car cette technologie ne présentant aucun intérêt, nous n’avons donc aucune raison de prendre des risques. Je pense comme vous qu’il faut poursuivre les recherches mais en milieu confiné et de façon très contrôlée.

M. François GUILLAUME, Président : M. Testart, nous vous remercions.

Audition de M. Frédéric JACQUEMART,
spécialiste de biologie médicale,
administrateur de France Nature Environnement
et membre de la Commission du génie biomoléculaire (CGB)


(extrait du procès-verbal de la séance du 17 novembre 2004)

Présidence de M. François GUILLAUME, Vice-président

M. François GUILLAUME, Président : M. Jacquemart, je vous remercie d’être venu devant notre mission. Nous souhaiterions, dans un premier temps, que vous vous présentiez en rappelant votre parcours et, dans un second temps, que vous nous donniez votre avis de chercheur sur la question qui nous occupe.

M. Frédéric JACQUEMART : Initialement médecin, j’ai suivi une spécialité en biologie médicale complétée par un doctorat ès sciences avec, en parallèle, un cursus en philosophie. Je ne suis entré à l’Institut Pasteur qu’assez tardivement, dans le laboratoire du professeur Antonio Coutimho, en immunologie fondamentale, avec pour but de développer une approche systémique du système immunitaire et du système vivant en général. C’est une voie de recherche qui a été supprimée avec l’avènement de la biologie moléculaire, laquelle a stérilisé toutes les autres voies de recherche.

Il me restait le choix de faire comme tout le monde, de la biologie moléculaire et de la transgénèse ou de m’en aller. Etant parvenu à l’idée qu’il s’agissait d’une voie extrêmement dangereuse – et j’essaierai de vous dire pourquoi –, je suis parti et, depuis 1990, je m’occupe, d’une part, d’associations de réflexion sur la biologie et, d’autre part, d’associations de protection de l’environnement. Je suis, entre autres, président de la Fédération Rhône-alpes de protection de la nature (FRAPNA) pour l’Ardèche et administrateur de France nature environnement (FNE). Je suis donc actuellement un « associatif » à temps complet et c’est à ce titre que je représente la FNE au sein de la Commission du génie biomoléculaire (CGB).

M. le Président : Je vous propose de nous exposer votre point de vue sur les OGM, leur utilisation, les avantages qu’ils présentent et les inconvénients que vous opposeriez à leur utilisation et il serait sans doute également intéressant que vous nous éclaireriez sur les raisons pour lesquelles il semble que d’autres pays soient moins sourcilleux sur leur emploi qu’on ne l’est en France en particulier, et en Europe en général.

M. Frédéric JACQUEMART : La différence d’attitude entre les Etats-Unis et l’Europe est de nature culturelle. Je pense que le mode de réflexion des Etats-Unis relève beaucoup plus d’une logique déductive et technique, le nôtre étant plus sophistiqué et peut-être plus riche sur le plan philosophique. Il me semble que le problème des OGM est généralement mal posé car il est posé dans un contexte que l’on juge immuable et acquis, alors qu’il faudrait vraiment le poser sur le plan contextuel. Il me semble que l’on ne peut pas s’abstenir d’une réflexion générale sur la science qui a beaucoup évolué ces dernières décennies, et oublier cet élément, pourtant classique en épistémologie, de philosophie des sciences.

Pour prendre une image, la science est un bateau sur l’océan, un bateau absolument superbe, mais qui est porté par un océan d’une autre nature que lui. On l’oublie trop souvent, comme si ce bateau se suffisait à lui-même. Ainsi, l’ensemble des questions que vous m’avez transmises présuppose que l’on n’ira pas chercher en dehors de ce bateau ce qui, pour moi, est une erreur.

Nous disposons de très peu de temps pour un sujet si vaste, aussi vais-je simplement essayer d’ouvrir quelques pistes de réflexion. Ensuite, nous verrons les questions qu’il vous plaira d’aborder.

Ce qui est frappant dans le domaine des OGM c’est cette grande certitude de l’expert scientifique. J’ai été moi-même en position d’expert scientifique et j’ai, moi aussi, vécu des moments d’autosatisfaction vis-à-vis de mes propres certitudes. J’en suis revenu.

Je vais illustrer cette réflexion car elle est essentielle pour répondre à une très importante question que vous avez posée, qui est le rapport bénéfice/risque. Poser la question en ces termes laisse supposer qu’il existe une machine à peser les bénéfices et les risques – ce qui reste à inventer – et, surtout, montre un a priori qui est de penser que les bénéfices et les risques sont comparables. Or ceci n’est pas acquis.

Je voudrais rappeler un événement que j’ai vécu quand j’ai débuté ma « carrière » en tant que microbiologiste à la faculté de médecine. A l’époque, se posait le problème de la résistance aux antibiotiques. On avait encore peu d’antibiotiques mais, déjà, des résistances. Pour résoudre ce problème, on suivait ce raisonnement : on sait que, pour une bactérie, la probabilité d’occurrence d’une résistance à un antibiotique général est de 10-6. Cela peut donc survenir. La solution est donc de prendre deux antibiotiques, augmentant ainsi la probabilité pour qu’une bactérie soit résistante aux deux à 10-12. C’est ce que nous avons fait et… nous avons été submergés de résistances. Tout cela parce que les scientifiques faisaient une proposition implicite – il y a toujours des propositions implicites dans l’interprétation des expériences – qui était que la totalité de l’information génétique se retrouvait au niveau chromosomique. C’est faux, comme vous le savez tous, mais il était à l’époque absolument impensable qu’il puisse en être autrement, notamment qu’il puisse y avoir plusieurs résistances codées en extra-chromosomiques sur un plasmide et qu’en plus, ce plasmide soit à transmission épidémique.

L’important dans l’interprétation de la certitude de l’expert, est de ne pas oublier que, depuis le début de l’histoire des sciences – et de plus en plus puisqu’il y a de plus en plus de productions scientifiques –, nous avons des exemples de cet impensable, de cet indicible au moment t qui se révèle ensuite et que nous occultons dans les interprétations que nous faisons actuellement. Bien entendu, je pourrais citer d’autres exemples.

Je pense ici à la réticence avec laquelle ont été accueillis les travaux de Barbara Mc Climtock dans les années 40, puisqu’il a fallu attendre presque quarante ans pour qu’on reconnaisse l’existence réelle des gènes sauteurs. Cela signifie que, lorsque des expériences parfaitement menées amènent à une conclusion, elles sont refusées parce qu’elles ne correspondent pas à ce que l’on peut appeler « le dogme » ou plutôt l’idée générale qui prévaut à un moment donné. On est très loin de cette science de pure logique déductive qui débobine un savoir forgé de certitudes. Le scientifique est très rationnel quand il rédige son travail et décrit son expérience, mais la part d’irrationnel est peut-être encore plus grande dans le domaine scientifique que dans le domaine courant. Il faut avoir conscience de cet aspect.

Au niveau des OGM, il est clair que l’irrationnel est encore plus présent et, de par mon expérience d’ancien chercheur, je pense que la sensation de puissance que donne la manipulation du vivant y est pour une grande part. Il est clair que l’on a tendance à demander à l’expert la vérité et, qu’en ces temps modernes, l’élu décisionnaire est parfois le simple relais de l’expert. Or l’expert doit être écouté, mais en aucun cas ne doit être décisionnaire, car lui-même est tellement formaté dans son domaine qu’il n’a pas la possibilité, comme quelqu’un d’extérieur, de replacer la problématique dans un contexte plus vaste.

Parmi les exemples imprédictibles, il faut citer l’avènement du prion. On dira que cela n’a rien à voir avec les OGM, mais, au contraire, cela est très profondément lié en ce que l’imprédictible, ce qui n’est même pas questionnable, ne se révèle qu’a posteriori. Un comité de biovigilance, comme celui qu’on a créé, ne peut surveiller que ce qu’il connaît au temps t; et ce n’est pas une garantie suffisante.

Il faut se souvenir que le prion, ou plus exactement la protéine infectieuse dépourvue d’acide nucléique qui était un élément totalement hétérodoxe, avait été décrit par ALPER en 1967. On l’a un peu oublié.

Dans ces conditions, il est absolument impensable d’arriver à une réelle évaluation des risques puisque, dans le domaine du prévisible, on est loin du quantifiable, mais surtout l’imprédictible n’est même pas énonçable, ni pensable. La question que l’on a tendance à poser est de savoir ce que l’on obtiendra si l’on fait telle chose. A mon sens, cette question n’est pas la bonne. Elle se pose dans des domaines qui sont stables et bien étudiés alors que, dans ce cas précis, on est au début d’un processus d’agression du milieu vivant. La véritable question qu’il faut parvenir à traiter scientifiquement est de savoir quel est le niveau auquel on interfère sur le monde vivant.

Prenons une image : l’écosphère, en écologie, est l’ensemble des êtres vivants connectés les uns aux autres en un gigantesque réseau. Cette écosphère possède une organisation qui nous concerne au premier chef, puisqu’elle qui nous permet de survivre, de nous maintenir en tant qu’espèce sur terre. C’est, me semble-t-il, le premier élément que nous devons essayer d’assurer. La question est de savoir, si avec une technique aussi agressive, puisqu’elle modifie très profondément et d’une façon radicalement nouvelle l’écosphère, on touche à des éléments périphériques de cette écosphère ou, au contraire, si l’on atteint des niveaux profonds de son organisation.

C’est ainsi que je pose la problématique sachant, comme je viens de le dire, qu’il est tout à fait illusoire – surtout dans des domaines d’une telle complexité – d’essayer de savoir qualitativement ce que sont les conséquences de nos actes. L’important est de connaître le degré de risque auquel on s’expose. S’expose-t-on à des risques concernant l’individu ? Auquel cas, on est habitué à le faire car il n’est guère de chose que l’on développe sans risque pour l’individu. Ou bien ces risques concernent-ils l’espèce humaine ? Et, dans ce cas, il est clair que l’on ne peut pas se lancer tant que l’on n’a pas la certitude que ce n’est pas ce risque-là qui est mis en jeu.

Je voudrais apporter une illustration de ce type de questionnement.

Je me suis posé cette question il y a vingt ans quand, au sein de l’Institut Pasteur, on fabriquait déjà des souris transgéniques. C’est très enthousiasmant et cela permet de répondre à des questions auxquelles on ne trouvait pas de réponse par les techniques traditionnelles. Néanmoins, si l’on reprend schématiquement le raisonnement, on peut dire que le code génétique est universel, c’est-à-dire que l’on retrouve toujours la même correspondance entre les triplets et les acides aminés, que ce soit une baleine ou un ver de terre. Le biologiste en déduit qu’une quantité de possibles s’ouvre à lui, mais il ne se demande pas pourquoi les phénomènes naturels s’interdisent ce que le chercheur a envie de s’autoriser. Pourquoi a-t-on mis tant d’obstacles aux communications génétiques dans la nature, puisque tout est profondément restreint ?

Le chimpanzé a 98 % ou 98,5 % d’homologie génétique avec nous, pourtant on ne peut pas faire un petit avec lui et je ne parle pas d’un poisson ou d’une fraise. Les virus, eux aussi, transfèrent des informations génétiques mais elles sont restreintes par les capacités d’adaptation moléculaire. Les bactéries transfèrent des plasmides à partir de pilis qui ont, eux aussi, des adaptations moléculaires précises. Cela ne se fait pas n’importe comment. Le seul élément qui ne semble pas restreint est le transfert d’ADN nu entre bactéries. Je ne pense pas que ce soit un phénomène très fréquent et, de toute façon, la nature nous a habitués à toujours trouver des petites exceptions dans toutes les grandes règles. C’est d’ailleurs le moteur de l’évolution.

On en arrive à cette notion même d’organisation. Qu’est-ce qu’une organisation ? Je ne pense pas pouvoir répondre à cette question extrêmement difficile. En revanche, il y a des conditions fondamentales, primitives, pour qu’une organisation existe. Si l’on réfléchit un peu, l’organisation va être essentiellement ce qui n’est pas aléatoire. Si je fais un dessin n’importe comment, vous ne reconnaîtrez pas une forme. Si je fais la totalité de ce qui est possible, je ne ferai pas une forme. Si je fabrique tous les mots possibles avec les lettres de l’alphabet, je ne ferai pas un langage. La condition pour qu’une organisation existe – et je peux le démontrer de façon rigoureuse – est que ce qui est organisé est extrêmement rare dans le possible réalisable dans les mêmes termes, c’est-à-dire que si vous parlez de langage, ce sera dans les termes des mots. C’est le primum movens de l’organisation. Personnellement, je ne connais rien de plus basique, de plus primitif à l’organisation.

Or c’est ce principe de restriction que viole l’OGM, c’est-à-dire que dans cette volonté de s’émanciper de toute contrainte qui est un héritage du passé ancien, on ne se demande pas pourquoi ces contraintes existent ni si elles ont un rôle dans la structure du monde vivant. Il s’agit pourtant d’une question essentielle. Cela suffirait déjà, à mon sens, pour que l’on n’aille pas plus loin dans les essais tels qu’ils sont pratiqués et que l’on se demande, très sérieusement, à quel niveau nous allons interagir avec l’écosphère. Car, dans le cas que je donne, qui n’est qu’un élément hypothétique – mais que je n’accepterai pas d’abandonner sans l’étudier, et qui est à l’origine de ma démission de l’Institut Pasteur –, on va beaucoup trop vite en besogne et l’on suit des désirs qui n’ont plus de raison d’être.

L’autre élément qui a été tranché sans être étudié – comme beaucoup d’autres dans le domaine des OGM – est l’historicité. En effet, une protéine, un gène se trouve quelque part, à un moment donné. Il a une histoire, il est arrivé là d’une certaine façon. Il est clair que la pratique de l’OGM abolit complètement toute notion d’historicité.

A quel moment a-t-on montré que cette historicité n’était pas un élément pertinent de l’organisation des systèmes ? Jamais, personne ne s’est posé la question. Or, c’est une question absolument fondamentale. Il est certain que si l’on reste juste dans ce bateau sur l’océan, à se regarder les pieds, on ne voit rien et on risque de recevoir les réponses des systèmes vivants qui, eux, tiendront compte de ces contextes.

Pour étayer cette façon de voir, qui n’est pas très classique dans l’argumentation OGM, je vais me permettre d’insister sur cette notion de « restriction dans le possible réalisable ».

Si je trace une série de caractères A B A B A B A B A, et que je vous demande ce qui suit, je pense que vous direz B, sans aucune hésitation. C’est la base même de tous les QI. Pourtant, si vous considérez maintenant un mécanisme aléatoire, qui donne toutes les chaînes formées de A et de B, la lettre qui suit est à 50 % de chances A et à 50 % de chances B. Or vous n’avez même pas considéré que cela puisse être la lettre A. Cela signifie qu’en voyant une chaîne organisée, vous concluez immédiatement qu’un processus causal l’a créée. Pour qu’il en soit ainsi, il faut, et c’est impératif, que les chaînes organisées soient en nombre extrêmement petit dans l’ensemble des chaînes qui seront construites de la même façon. Plus globalement, ceci est la démonstration du fait que l’organisation nécessite, impérativement, que ce qui est organisé soit extrêmement petit dans l’ensemble du possible réalisable dans les mêmes termes. C’est une démonstration.

Par ailleurs, si l’on considère l’histoire des sciences, il est prouvé que l’évolution de ce que l’on appelle les paradigmes, c’est-à-dire l’ensemble des contextes qui donnent sens à ce que l’on fait, s’inscrit non pas dans une progression agréable à l’œil mais par ruptures successives. On ne passe pas de la physique newtonienne à la physique quantique dans un continuum, mais par fracture. Il en est de même pour l’évolution des espèces et pour l’évolution des sciences et des techniques. On peut très facilement montrer que l’on considère des paramètres qui sont mesurables par des techniques caractéristiques d’une époque, qui évoluent pendant très longtemps, presque parallèlement à l’axe des x, avec une croissance extrêmement lente, et montent vraiment très brutalement . En fait, cela va encore plus vite qu’une exponentielle, c’est une sur-exponentielle ou une hyperbole.

Prenons l’exemple de l’évolution de la taille du silex chez les hommes préhistoriques. On se rend compte que, pendant un million et demi d’années, l’efficacité de la taille ne bouge presque pas et que, brutalement, elle monte d’une manière extrêmement explosive. Maintenant je vais vous demander depuis combien de temps vous avez taillé un silex. C’est un élément très important car, quand on sait très bien faire quelque chose, on fait autre chose, et cela se répète dans toute l’histoire des sciences et des techniques.

Si l’on trace la courbe d’évolutivité des techniques, on constate que, pour les silex, il a fallu un million et demi d’années d’évolution et que, pour ce qui est la technologie de notre époque, c’est-à-dire le traitement de l’information, on retrouve exactement la même courbe en forme d’hyperbole, à cette différence près qu’elle s’échelonne non plus en un million et demi d’années, mais sur quelques dizaines années. L’ensemble des évolutions des techniques, et c’est logique, connaît une même courbe hyperbolique, c’est-à-dire que l’accélération des sciences et des techniques est elle-même hyperbolique.

Cette constatation doit être en toile de fond de toute la réflexion sur les biotechnologies. L’a priori qui consiste à dire qu’il faut toujours faire mieux est valide pendant un temps immense de l’évolution mais il ne l’est plus à partir du moment où la courbe devient explosive. La façon de considérer les choses, les désirs que l’on peut avoir, et le mode de validation de nos actes, diffère radicalement selon la pente de l’évolutivité dans laquelle on se trouve. Actuellement, nous sommes à un moment où tout va extrêmement vite. C’est un élément qui peut se théoriser mais qui se ressent aussi, et on ne prend pas la mesure de cette nouvelle donnée. C’est en cela que le problème des OGM ne doit pas être traité dans un paradigme vieillissant, mais dans une autre perspective de changement de paradigme. C’est ainsi que l’on peut vraiment apprécier ce que l’on fait et décider de ce qu’il faut faire.

Je suis maintenant ouvert à vos questions.

M. le Rapporteur : M. le professeur, vous allez me trouver dur, et je m’en excuse, mais j’ai le sentiment que vous avez une vision structurée, rigide, pessimiste des choses et que vous n’avez pas envie que la science évolue. Je ne sais si c’est le sentiment de cette salle, mais cela n’explique-t-il pas votre retrait de l’Institut Pasteur ?

M. Frédéric JACQUEMART : Cette remarque me déçoit parce que je suis un amoureux de la science et le reste. Je pense que votre erreur consiste à penser qu’il n’y a qu’une seule façon de penser, de la même manière que les gens s’imaginent qu’il n’y a qu’une seule histoire possible de l’humanité. Je pense, comme je l’ai dit précédemment, que l’on a amputé un nombre assez important de domaines de recherche et que l’on a appauvri la pensée scientifique. C’est peut-être ce que vous avez pris pour du pessimisme.

Ce que j’ai suggéré durant cette brève intervention est que l’on développe une pensée systémique, c’est-à-dire une capacité d’approche systémique capable de poser les bonnes questions parce qu’on a développé des techniques extrêmement puissantes pour lesquelles on a oublié de demander le mode d’emploi. Je souhaite un développement différent de la science, pas du tout une négation de la science.

Quant à mon « pessimisme », il est assez incompatible avec mon engagement personnel, puisque je travaille bénévolement, quasiment sept jours sur sept et douze heures par jour, poussé par un profond optimisme, qui s’exprime par le fait que les courbes, dont je parlais, montrent la nécessité d’un changement de paradigme et donnent, au contraire, une ouverture à ceux qui s’imaginent qu’il n’y a pas d’issue. C’est donc un message profondément optimiste, au contraire, mais, en même temps, un message de prudence.

Ai-je répondu à votre question ?

M. le Rapporteur : Imparfaitement. Nous travaillons actuellement sur un sujet qui est, certes, philosophique, et vous avez très bien exprimé cette dimension, mais je souhaiterais connaître, d’un point de vue plus pratique, votre sentiment sur les essais d’OGM en milieu confiné, d’une part, et en milieu ouvert, d’autre part. S’il est possible d’étudier, par exemple, une plante qui nous fabrique un médicament susceptible de guérir le cancer, acceptez-vous l’idée d’essais en milieu ouvert ?

M. Frédéric JACQUEMART : La problématique ne me paraît pas devoir être ainsi posée. Elle se pose, je l’ai dit, dans un contexte bien plus vaste. La fin ne justifie sûrement pas les moyens. Et surtout, est-ce qu’une idée de l’homme dans laquelle la mortalité est une anomalie et qui se heurte à 100 % de contre-exemples peut être maintenue indéfiniment ?

Pendant un million et demi d’années, on a eu des désirs, par exemple de vivre toujours jeune, en bonne santé, d’éradiquer tout ce qui gêne… et de proliférer, bien sûr. Ce sont des désirs validés par l’histoire, mais ils l’ont été dans leur constitution même, c’est-à-dire qu’ils étaient irréalisables et ce caractère irréalisable faisait culturellement partie de ce désir. Maintenant qu’il devient soit réalisable soit approchable, on le prend toujours comme un a priori justificateur.

Vous en donnez vous-même un exemple. Pour vous, il va de soi qu’il faut augmenter les capacités médicales. Je suis ancien médecin et je pense que les médecins sont un peu « formatés » pour trouver une solution à la souffrance des gens. Mais il s’agit là d’une attitude individuelle. Sur le plan collectif, il me semble qu’il faut mener une réflexion sur tous ces a priori qui n’ont plus de sens dans un monde moderne. On ne peut pas vivre dans un monde moderne avec les désirs de l’homme de Neandertal. Quand on n’est plus adapté à son monde, on disparaît. Et nous ne sommes plus adaptés au monde que nous avons créé. Nous avons toute une philosophie à refaire.

Quant aux essais au champ, il est clair que j’y suis opposé pour les raisons que j’ai données. On ne peut pas au nom d’un gain, qu’il s’agisse d’un gain financier ou pratique, mettre en jeu a priori l’existence de l’espèce. De même, pour ce qui est des développements médicaux, on ne peut mettre en jeu l’espèce pour l’individu. Il existe une hiérarchie des valeurs.

M. André CHASSAIGNE : Participez-vous toujours aux réunions de la Commission de génie biomoléculaire ? Quelle appréciation portez-vous sur le fonctionnement de cette commission qui, semble-t-il, a la volonté de prévenir les risques et de rendre des avis précis ?

M. Frédéric JACQUEMART : C’est encore une question très difficile.

Ma première remarque est que cette commission ne s’intéressera pas au bateau dont on parlait, mais à une toute petite partie de son mât. Toutes les décisions préliminaires sont déjà prises et l’on nous demande seulement de regarder si elles sont compatibles avec les règlements et s’il y a un risque visible. Pourtant je ne pense pas qu’une commission puisse travailler beaucoup mieux que celle-ci. A mon avis, elle est nécessaire parce que, si quelqu’un décide de faire un essai au champ, le minimum est que l’on puisse saisir une telle instance. Le problème est que l’on prend ce minimum comme un tout final. A la limite, si l’on continue à penser que c’est bien parce que la CGB l’a dit, je préférerais qu’elle n’existe pas. Mais c’est davantage l’usage de l’outil, plus que l’outil lui-même, que j’aurais à critiquer.

M. Yves COCHET : Tout d’abord, il y a la critique que vous faites de l’évaluation du rapport bénéfices/risques des OGM. Vous nous dites que cette évolution n’a plus de sens compte tenu des éventuels risques sanitaires et environnementaux et même existentiels. Il est vrai que la philosophie des droits s’est en partie imposée, notamment dans les pays à tradition continentale, alors que la philosophie sur laquelle se fonde l’évaluation bénéfice/risque est une philosophie économique, un peu sacrificielle qui consiste à faire, peut-être, le bonheur du plus grand nombre, sachant que l’on sacrifie les autres – quoiqu’en l’occurrence, il s’agit non pas de faire le bonheur du plus grand nombre, mais de tout sacrifier, puisque l’espèce elle-même est en danger. La philosophie des droits dit que, au contraire, le droit à l’existence dans un environnement sain, comme cela figure dans le projet de charte de l’environnement, concerne tout le monde et qu’il ne doit pas y avoir d’exception. Je me demande si cette philosophie n’est pas plus adaptée aux OGM dans la mesure où le risque est, pour le moment, inconnu. En tout état de cause, elle exclut les essais en champ, puisque l’absence de risque n’est pas garantie.

Ne pensez-vous pas que les OGM sont une sorte de projet démiurgique procurant une jouissance neuronale extraordinaire, d’abord au chercheur qui en est l’artisan, puis aux industriels et même à une société qui se croit plus forte que l’écosphère elle-même ?

Je terminerai par deux propos peut-être choquants mais tout à fait publics puisque je les ai déjà écrits : le projet OGM n’est-il pas que l’on veut refaire la nature, comme un personnage politique pourrait vouloir « refaire la société » ? La nature étant polluée, imparfaite, ennuyeuse, salie, elle ne correspond pas au projet que l’on a pour elle, d’où l’idée de la refaire entièrement. Nous sommes tellement forts, nous, l’humanité, maîtres et possesseurs de la nature, que nous allons entièrement la refaire, notamment dans le domaine du vivant. C’est le problème de toutes les biotechnologies dont les OGM sont une application particulièrement inquiétante. D’une certaine manière, ne pensez-vous pas que les OGM sont un projet totalitaire ? Totalisant, c’est sûr, mais aussi totalitaire ?

M. Philippe FOLLIOT : Je vous prie de m’excuser, je ne suis pas du tout scientifique…

M. Frédéric JACQUEMART : Si je puis me permettre, nombre de personnes, comme vient de le faire M. Folliot, s’excusent de ne pas être scientifiques. C’est bien le signe d’un phénomène extraordinaire qui est que la science a confisqué le langage à la population en imposant ses propres limites aux personnes. Lorsque quelqu’un veut s’exprimer en des termes qui ne sont pas scientifiques, il s’en excuse. Cela mérite d’être souligné car on n’a pas le droit de se laisser ainsi confisquer la parole pour la laisser aux technocrates, comme je le disais précédemment. Je vous remercie d’avoir débuté ainsi votre propos, cela m’a permis de le rappeler.

M. Philippe FOLLIOT : Je ne m’excuse donc plus mais, pour autant, je ne suis pas scientifique, c’est un constat !

Je voulais simplement vous demander de réagir à la prise de position suivante. La communauté scientifique d’un pays tel que les Etats-Unis est au moins quantitativement, si ce n’est qualitativement, aussi importante que la nôtre. Or les Américains se sont engagés non plus dans la voie de l’expérimentation mais dans celle de la culture des OGM. D’après vous, pourquoi n’y a-t-il pas eu de réaction de la communauté scientifique aux Etats-Unis pour freiner ou empêcher ce que vous considérez comme un risque important, une erreur ? Non seulement elle a laissé faire les expérimentations, mais ne s’est pas opposée à une utilisation économique et industrielle de ces OGM.

M. François GUILLAUME, Président : Vous êtes resté sur un plan très philosophique. Il faudrait, puisque vous avez une compétence en matière de biologie médicale, que vous nous disiez si vous êtes favorable ou défavorable à la culture d’OGM qui pourrait produire des médicaments, comme cela a déjà été démontré ?

J’ai naturellement trouvé une certaine convergence entre vos propos et ceux de M. Cochet qui appelle à la prudence : ne prenons pas le risque de développer les biotechnologies, parce que l’on risque de jouer aux apprentis sorciers et de tout sacrifier au profit de quelques-uns.

Vous avez expliqué, à raison, qu’il existe une écosphère. Mais celle-ci n’est pas immobile, elle est toujours en pleine évolution. Au cours des millénaires, les espèces se sont modifiées sous l’effet de phénomènes naturels. Certains, comme vous, pensent qu’il n’y a pas eu un continuum mais toute une série de fractures. On peut être d’un avis différent.

Je voulais simplement savoir, au travers de ce constat, si l’on doit ou non interdire à l’homme de modifier éventuellement certaines espèces pour pouvoir répondre à des attentes parfaitement légitimes.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Je ne reviendrai pas sur l’aspect philosophique de la question mais je partage en partie votre point de vue et je voudrais revenir sur certains éléments que vous avez évoqués.

Vous disiez que la nature a restreint considérablement les ouvertures diverses entre les espèces. Nous le savons tous et vous avez aussi cité deux exemples. Le premier était celui des plasmides et de la résistance aux antibiotiques. Pendant longtemps, et encore aujourd’hui, on s’est posé la question de savoir comment étaient apparus ces plasmides qui ont si considérablement fait évoluer la science médicale, en particulier, pour les traitements aux antibiotiques. Le second était celui des prions. Faites-vous partie de ces scientifiques qui pensent – ce qui me semble être le minimum au sein d’une commission qui traite de sujets extrêmement importants touchant aux gènes – que l’apparition des prions est directement liée à l’activité humaine ou bien pensez-vous qu’il s’agit uniquement d’une évolution naturelle ?

M. François GUILLAUME, Président : Madame, nous nous écartons de notre sujet.

M. Frédéric JACQUEMART : C’est la question du risque.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : C’est effectivement la question du risque et c’est un point fondamental, M. le Président…

M. Frédéric JACQUEMART : C’est la question du risque et de son évaluation.

M. François GUILLAUME, Président : Ce n’est pas le sujet.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : On parle de génétique, le prion est une protéine toxique …

M. François GUILLAUME, Président : J’ai pour mission de recadrer les débats sur les questions qui nous sont posées. Je voudrais que vous reveniez aux problèmes de biologie médicale, puisque vous êtes particulièrement compétent pour nous dire si nous devons ouvrir la porte aux OGM qui permettent de soigner un certain nombre de maladies ou si nous ne le devons pas à cause de risques dont vous allez nous parler.

M. Gabriel BIANCHERI : Juste une remarque. J’ai l’impression que l’approche de M. Jacquemart est quasi religieuse, pour ne pas dire mystique, et cela me gêne un peu parce que, dès lors, elle ne me paraît pas entièrement rationnelle.

M. Yves COCHET : Il me semble, M. le Président, que vous ne pouvez pas évacuer de la sorte la question de Mme Perrin-Gaillard. Nous sommes en plein dans notre sujet.

M. François GUILLAUME, Président : Je n’ai pas demandé que l’on ne réponde pas à la question, j’ai simplement dit que nous débordions de notre sujet.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Je pense, au contraire, que les choses sont liées. C’est précisément parce qu’on ne veut pas aller au-delà du petit problème restreint des OGM qu’on reste sur un débat qui dure maintenant depuis des années.

Par ailleurs, je pense que vous n’avez pas le droit de demander à notre invité s’il est favorable à la culture des OGM médicamenteux en plein champ parce que nous savons très bien que la fabrication de médicaments n’est pas l’objet unique des OGM.

M. François GUILLAUME, Président : J’ai dit que M. Jacquemart était un spécialiste de la biologie médicale et qu’à ce titre, il était important que nous connaissions son point de vue sur l’utilisation d’OGM à des fins médicales. Si n’est pas tout notre sujet, cela en fait partie et sa compétence me permet de le lui demander.

M. Yves COCHET : Telle que votre question a été formulée, elle me semblait signifier, « Voulez-vous qu’on guérisse les gens ou pas ? » Elle semblait quelque peu fermée. Evidemment, tout le monde est favorable à l’idée de guérir les malades, y compris avec les OGM, si cela est possible. Il ne faut donc pas se l’interdire. La question est légitime mais sa formulation était choquante.

M. Gabriel BIANCHERI : Ce n’est pas si simple parce qu’en continuant à vacciner, on peut se demander si l’on préserve l’espèce ou les individus. Faut-il lutter contre la maladie, ou faut-il l’accepter comme une contrainte de la nature et la subir comme une épreuve de la vie ?

M. le Rapporteur : Ne parlons pas de religion.

M. Frédéric JACQUEMART : Je suis obligé de répondre à la remarque sur la démarche religieuse bien que ce ne soit pas strictement mon domaine. Ce qui caractérise la démarche religieuse, c’est qu’elle est dogmatique, c’est-à-dire qu’on dit que la vérité est telle et que l’on adapte les faits à la vérité. J’ai suffisamment fait de philosophie pour vous assurer de la définition du dogme. Mystique, je ne sais pas bien ce que cela veut dire. Il me semble qu’il ne faut pas stériliser la pensée en se cantonnant au logique/déductif. On est très prétentieux dans notre civilisation et, notamment, on s’imagine être rationnel. Si vous êtes si rationnel que cela, je vous engage à vous pencher sur les travaux de neurophysiologie moderne qui montrent que la partie du cerveau qui traite la rationalité n’a aucune influence sur le comportement humain. Ceci vous fera peut-être reconsidérer beaucoup d’éléments. L’irrationnel n’est certainement pas quelque chose que nous visons, mais l’affect couplé à la rationalité est un élément absolument indispensable à la fois du comportement et du raisonnement. Il est vraiment important d’apprécier notre place dans le monde. Sur le religieux, je suis donc vraiment à l’opposé d’une démarche dogmatique et je tenais à m’en expliquer.

Pour réagir à l’intervention de M. Cochet, je pense, qu’effectivement, les biotechnologies sont un projet totalitaire. J’ai écrit à ce sujet qu’il y a, dans la biologie, ce que j’ai appelé l’auto-amplification de l’autosatisfaction. Ce n’est pas une formule, c’est un mouvement fermé d’auto-amplification, c’est-à-dire que l’on simplifie l’objet de recherche, ce qui permet d’avoir des résultats beaucoup plus rapidement et beaucoup plus satisfaisants. Vous êtes satisfait par votre procédure et donc vous continuez à simplifier. En des termes non scientifiques, on peut prendre l’exemple d’une personne qui gère une forêt ; si vous considérez qu’une forêt est une culture de planches, vous serez beaucoup plus efficace que celui qui tiendra compte de la biodiversité. Vous aurez une satisfaction par rapport à votre objectif simpliste, qui vous engagera à continuer, à produire plus et vous traiterez d’arriéré celui qui ne fera pas comme vous. C’est en cela que les biotechnologies sont impérialistes : dans ce mouvement d’hypersimplisme, elles ont éliminé toutes les alternatives de recherche qui existaient avant elles. Il n’y a pratiquement plus de recherche, par exemple sur la systémique, alors que c’est cette vision systémique qui manque pour arriver à gérer le monde que nous avons construit.

Sur l’exemple des USA, je ne peux pas répondre à une question aussi complexe car je ne dispose pas d’éléments expérimentaux ou sociologiques qui me permettent de comparer les deux systèmes. En revanche, j’ai dit que nous n’avions pas la même culture. Je me souviens très bien qu’à la Sorbonne les étudiants américains s’étonnaient de la manière dont nous étudions la philosophie et la métaphysique. C’est une civilisation basée sur le logique/déductif, les plus grands logiciens sont d’ailleurs anglo-saxons. Je pense que l’on a droit à la différence. Non seulement on y a droit mais c’est même une question de survie.

Quand j’ai quitté l’Institut Pasteur, on me disait qu’il fallait faire de la transgénèse pour ne pas être à la traîne et que l’Institut Pasteur devrait être le premier institut, etc. J’ai répondu qu’on ne le ferait jamais aussi bien qu’eux parce que la transgénèse correspond à leur mode de pensée et qu’il valait mieux développer ce que nous savons faire mieux qu’eux. Résultat : quand un laboratoire de l’Institut Pasteur se libère, il faut des petites annonces pour trouver quelqu’un, alors qu’en 1990, quand je suis parti, on se battait pour venir, et du monde entier. Effectivement, du point de vue concurrentiel, il vaut mieux casser le marché américain et créer le nôtre, plutôt que d’être à la traîne, mais, pour moi, le problème n’est pas là.

Doit-on interdire les OGM et toutes les biotechnologies ? Non. La seule chose qu’il faut interdire ce sont les essais au champ car il y a une urgence en raison des risques énormes, irréversibles qui sont en jeu. Pour le reste, il serait tout à fait absurde de demander au seul pouvoir politique de décider d’une question de société aussi forte. Il faut faire réagir la société et c’est elle qui, par son comportement, réglera ces problèmes. Si la société me donne tort, elle me donnera tort, je ne suis pas porteur de vérité et ce sont des problèmes très complexes.

M. le Rapporteur : Mais alors, qui doit décider in fine ?

M. Frédéric JACQUEMART : Le politique, à mon avis, est là pour capter les émergences sociales et les mettre en forme. Dans un paradigme stable, le politique prend les décisions ; dans un changement de société, il ne peut pas les prendre à la place de la société, sauf à se comporter en dictateur. Mais on peut ne pas être d’accord avec moi.

M. le Rapporteur : En effet, car si le politique ne peut plus décider, cela peut être dangereux.

M. Frédéric JACQUEMART : Cela mériterait une longue discussion…

Pour ce qui est d’une intervention directe sur la thérapie génique, je n’y suis pas favorable. Je pense que nous n’avons pas à prendre cette décision, elle dépasse nos compétences.

En revanche, en ce qui concerne les plantes médicamenteuses que l’on met en plein champ, je vous demande d’imaginer les conséquences de contaminations qui interviendraient à partir de plantes alimentaires dans lesquelles on aurait mis des aligaments ! C’est le contre-exemple absolu de l’intérêt de ce type de démarche, c’est le risque maximal !

Puisque j’ai obtenu l’autorisation de répondre à la question relative l’apparition des prions, je dirai que nous disposons de données suffisamment claires démontrant non seulement que l’apparition du prion n’est pas liée à l’activité humaine, mais qu’il est, très probablement, un élément de la physiologie. Cet élément est même porteur de nouvelles surprises, puisqu’un récent article indique que le prion pourrait être un mode d’incorporation, d’acquisition héréditaire des caractères. Les certitudes en matière de science étant extrêmement relatives, il faut prendre cette information avec prudence, mais il est clair que le prion est un élément qui existe depuis longtemps et qui joue un rôle très important. En fait, on a déclenché un usage qui a créé une pathologie nouvelle et qui aurait pu prendre des proportions considérables.

Je ne suis pas contre la science. Vouloir abandonner la science, même les biotechnologies, serait suicidaire parce qu’il nous faut le maximum d’outils pour arriver à gérer les situations difficiles que nous avons créées.

On m’a parlé de ce que j’appelle le « risque des voitures ». On compare encore un risque individuel à un risque d’espèce. Je parle du risque sur l’espèce humaine et non du risque individuel que l’on court en traversant une rue. Le principe de précaution ne s’applique pas aux personnes qui traversent la rue, il est fonction du niveau de l’enjeu.

M. Gabriel BIANCHERI : Vous dites, avec d’autres, que l’on n’a pas besoin de créer d’autres espèces végétales, alors que l’évolution du monde en fait apparaître de nouvelles tous les ans, peut-être même tous les jours. En conséquence, quel risque prenons-nous en créant de nouvelles espèces s’il en disparaît certaines et que de nouvelles apparaissent sans qu’on s’en doute ? C’est une vraie question de fond.

M. Frédéric JACQUEMART : L’évolution des espèces comporte, certes, des apparitions et des disparitions, mais celles-ci ne sont pas continues. Il y a des crises, l’évolution se fait par rupture. Je rappelle qu’il y a eu cinq grandes extinctions.

M. François GUILLAUME, Président : Il y a eu des fractures, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas de continuum.

M. Frédéric JACQUEMART : Actuellement, on estime que l’homme a accéléré la disparition des espèces, d’une façon considérable, au moins de 1 000 fois. La fourchette est de 1 000 à 100 000 fois, parce qu’on ne sait même pas combien d’espèces existent au monde. Or, dans la dynamique des systèmes, la vitesse comme les fréquences sont des éléments pertinents. On a l’habitude de faire du qualitatif, en disant que la vitesse ne change rien. C’est faux : si les choses vont plus vite, cela signifie que l’on a changé la dynamique or, nous sommes dans un monde connecté. Chaque espèce est connectée avec d’autres et des super-connecteurs assurent la pérennité du système au niveau relationnel. Ce sont heureusement des systèmes extrêmement solides mais, en revanche, il n’y a pas de garantie sur la qualité des éléments du système. Il y a une garantie sur son organisation informationnelle, mais on ne sait rien sur sa qualité. Cela signifie que la préservation des éléments du système est la première tâche à réaliser. Or, le mouvement qui consiste, chez l’homme, à créer quelque chose est complètement opposé au système naturel car il remplace une évolution sans intention par un acte intentionnel : on se désigne un but et ensuite on adapte la nature à ce but. On est donc bien dans un mouvement inverse du mouvement naturel.

Cela signifie que si nous voulions tester la compatibilité des résultats de nos actes avec l’ensemble des systèmes naturels, nous n’y parviendrions pas. Il n’y a absolument pas équivalence entre un être artificiel et un être naturel et pour cette raison on se trompe totalement quand on prétend que l’on va augmenter la biodiversité en faisant des OGM. Vous allez peut-être augmenter la diversité biologique, mais pas la biodiversité au sens où elle est impliquée dans une dynamique globale.

M. Gabriel BIANCHERI : Dans un monde qui n’est plus naturel, que peut-on préserver de naturel. Il y a longtemps que l’homme nous a conduits dans une fuite en avant permanente ? Si un jour, on arrête la fuite, j’ai peur que l’espèce disparaisse totalement.

M. Frédéric JACQUEMART : Je suis bien d’accord avec vous. C’est pour cela qu’il faut réagir. La société ressent une crainte vis-à-vis de l’accélération de toutes ces nouveautés et la tendance est de se réfugier dans le passé, de refaire ce qui a fonctionné autrefois, c’est-à-dire de se placer dans une situation où l’on sera encore plus en inadéquation avec le monde moderne. Ma demande est autre et rejoint tout à fait votre préoccupation : c’est de faire en sorte d’être en adéquation avec le monde moderne, et c’est une urgence absolue.

M. Gabriel BIANCHERI : C’est très ambigu et je ne suis pas sûr que nous ayons la même conclusion.

M. Yves COCHET : Si, parce qu’à la limite, on pourrait être tenté de faire des humains transgéniques. C’est la question que l’on a pu poser au Professeur Testart qui a fait les bébés-éprouvette. Si l’on me disait qu’avec du transgénique, ma vie serait allongée de 50 ans, il se pourrait que je sois intéressé. Mais votre réponse, M. Jacquemart, est assez ambiguë. Que veut dire s’adapter à quelque chose que l’on a créé nous-mêmes et dont on ne peut plus s’échapper ? Je pense qu’il faut retrouver les limites et savoir ne pas les dépasser. Or il me semble que, dans le cas des essais au champ d’OGM, nous sommes en train de les dépasser. J’espère que nous pourrons revenir en arrière mais, dans la mesure où l’on compte déjà 70 millions d’hectares de cultures transgéniques dans le monde, n’est-ce pas déjà trop tard ?

M. Frédéric JACQUEMART : Cela ne me gêne pas parce cela ne m’inquiète pas. Peut-être à tort, mais l’élément important à mes yeux est qu’il y a peu de variétés. Si vous reprenez la manière dont je pose le problème, vous comprenez que cela ne va pas d’emblée modifier les choses car nous sommes dans des systèmes connectés très solides. La contamination que vous évoquez n’est pas un élément d’influence proche. Je ne pense donc vraiment pas qu’on ait dépassé le point de non-retour, ce qui ne veut pas dire que le point de non-retour n’existe pas.

Quand je dis m’adapter au monde moderne, cela signifie non pas m’adapter à ce paradigme qui est manifestement finissant, mais changer de paradigme, changer de façon d’être au monde, de façon globale. Mais on ne peut pas tirer un trait sur ce qui a été fait. Le propre des systèmes vivants est d’être des systèmes loin de l’équilibre, donc consommateurs d’énergie. C’est de la thermodynamique des systèmes ouverts où, lorsqu’une bifurcation est prise, on ne revient pas en arrière.

M. Francis DELATTRE : Pourriez-vous nous dire très précisément, quel est le risque concret de la culture du maïs transgénique en plein champ, car on parle de risques sans jamais les nommer ? En outre, on sait que dans le Sud-ouest de la France, on se trouve à quelques kilomètres des maïs transgéniques espagnols autorisés.

Par ailleurs, bien que les notions de coût et d’avantage semblent échapper totalement à votre approche, il me semble qu’à côté des risques, il faut aussi traiter des avantages dont on ne parle pas mais qui existent pourtant – moins d’insecticides et de fongicides dont on connaît très bien l’effet sur nos réserves d’eau et sur notre santé. Est-ce que cette évaluation coût/avantage est stupide ou bien devons-nous essayer de l’étudier au sein de cette commission ?

M. Frédéric JACQUEMART : Vous savez que le maïs ne se croise pas avec les espèces autochtones françaises. Donc, le risque de contamination est limité aux cultures de maïs non transgéniques. Si, hélas, vous voulez légiférer pour autoriser les essais en plein champ, il vous faudra tenir compte des zones biogéographiques, car les distances de sécurité ne seront pas du tout les mêmes dans des zones humides ou des zones sèches, dans des zones ventées et celles qui le sont peu, etc.

M. Francis DELATTRE : On mettra moins d’insecticide.

M. Frédéric JACQUEMART : Les études faites aux Etats-Unis ne montrent pas vraiment une diminution de l’utilisation des pesticides, actuellement.

M. Francis DELATTRE : C’est controversé.

M. Frédéric JACQUEMART : Admettons que ce soit controversé. J’aurais du mal à lever cette controverse car je ne dispose pas des éléments me permettant de dire quelles sont les bonnes études. Je me suis vraiment posé la question et il me semble qu’alors même qu’on est en train de comprendre qu’on est allé trop loin dans l’agriculture intensive, on se trompe de solution en recourant à des méthodes qui relèvent toujours du même système productiviste. Il y aurait pourtant des solutions agronomiques alternatives dont les spécialistes pourraient vous parler mieux que moi, parce que ce n’est pas mon domaine.

M. François GUILLAUME, Président : Nous vous remercions, M. Jacquemart.

Audition de M. Pierre-Henri GOUYON,
membre du Comité de biovigilance, directeur du laboratoire UPS-CNRS d’écologie, systématique et évolution et professeur à l’université Paris-Sud


(extrait du procès-verbal de la séance du 23 novembre 2004)

Présidence de M. Jean-Yves LE DÉAUT, Président

M. le Président : Nous accueillons M. Pierre-Henri Gouyon, membre du Comité de biovigilance, directeur du laboratoire UPS-CNRS d’écologie, systématique et évolution, et professeur à l’université Paris-Sud. M. Gouyon abordera surtout les questions relatives à la biovigilance.

M. Pierre-Henri GOUYON : En 1988, lorsque je suis arrivé au laboratoire que je dirige aujourd’hui, j’ai entamé des recherches sur les conséquences de la culture d’OGM. C’était alors un sujet de tout repos car personne ne s’en préoccupait. Si la Commission du génie biomoléculaire existait déjà, ses conférences de presse étaient désertées par les journalistes, et le sont restées jusqu’en 1996, époque où le dossier a émergé. Du point de vue de notre pratique, il y en a eu un « avant » et un « après » 1996.

Avant 1996, nous travaillions tranquillement sur les conséquences potentielles des OGM car notre spécialité scientifique est la génétique de populations, c’est-à-dire l’étude de la transmission des caractères génétiques à l’échelle de toute une population. Nous nous sommes d’abord demandé si les gènes pouvaient s’échapper des champs, et la réponse a rapidement été positive.

Après vous avoir communiqué quelques résultats scientifiques, je vous expliquerai en quoi ils interagissent avec la biovigilance.

Comme c’est souvent le cas en matière de recherche, nous sommes partis d’une mauvaise question : « à quelle distance est-on sûr qu’il n’y aura pas de contamination ? » En fait, il n’y a pas de réponse à cette question car le taux de contamination dépend de l’espèce, bien sûr, mais également de la forme et de la taille du champ – qui déterminent la quantité de pollen et de graines produite. Il faut préciser que les gènes peuvent migrer sous forme de pollen qui vont féconder d’autres graines ailleurs ou de graine ; cela dépend aussi des espèces. Par exemple, les graines de maïs ne migrent pas, en France en tout cas, à l’inverse du colza.

Nous nous sommes ensuite rendu compte qu’il n’existe pas de distance à partir de laquelle on soit sûr que le risque de contamination est nul : on peut simplement calculer un seuil à partir duquel la proportion est faible ou très faible, en fonction de la forme du champ et de son environnement – champs voisins de même espèce, présence de haies. Toutefois, on a pu progressivement démontrer que même si la plupart des graines tombent dans un rayon de dix mètres, le taux de contamination à un kilomètre avoisine toujours un pour mille : les courbes statistiques font ainsi apparaître une « queue de dispersion » très longue. Les graines qui ne tombent pas très près peuvent donc aller très loin, ce qui fut une surprise.

Une contamination d’un pour mille est-elle élevée ? Là encore, tout dépend du gène et de la plante. La graine de colza, par exemple, migre très facilement. Or un champ de colza produit 75 000 graines par mètre carré avec une perte de 10 % à la récolte. Pour cette plante, le taux d’un pour mille signifie donc qu’à partir d’un hectare, des milliers de graines sont contaminées. Si le gène en question est favorisé par l’environnement, il se répandra extrêmement vite : par exemple, si l’on utilise un gène de résistance à un pesticide, celui-ci sera transmis à d’autres plantes par contamination et en cas d’application d’un herbicide, seules pousseront aux alentours les plantes contenant un gène de résistance, que ce soit dans les champs, sur les voies ferrées ou sur les bords de route. Les risques ont donc été évalués au cas par cas.

Mais en étudiant plusieurs plantes à la fois, nous nous sommes aussi aperçus de l’existence d’effets de système. Rendre une espèce résistante à un herbicide n’aura pas le même impact selon que les autres espèces auront ou non la même propriété. Ainsi, si l’on veut désherber le blé et le maïs avec le même herbicide que celui du colza, il faut pouvoir se débarrasser des colzas résistants dans les champs de blé ou de maïs. Or aucun système réglementaire ne prend en compte cette problématique. La Commission du génie biomoléculaire, par exemple, ne peut donner ses autorisations qu’au cas par cas, même si elle réfléchit aux effets de système.

S’agissant du Comité de biovigilance, un Comité « provisoire » de biovigilance a été mis en place en 1998, à peu près au moment de la Conférence des citoyens sur les OGM. Le comité définitif, quoique créé par la loi, n’a jamais été nommé, de sorte que la composition actuelle du Comité ne correspond pas à la loi.

Le comité provisoire, qui était censé travailler sur l’impact des OGM commercialisés, s’est autosaisi de sujets comme la dispersion de gènes à longue distance, mais pas du problème de dispersion à partir des essais. Chaque fois que je l’ai demandé, on m’a rétorqué que ce n’était pas dans ses missions ; cela ferait bien partie de celles du comité créé par la loi, mais celui-ci n’a jamais été installé… Tout cela n’est pas logique car l’impact des essais ne peut être évalué qu’en allant étudier la contamination aux alentours des essais menés il y a quelques années et cela ne peut se faire que si le ministère de l’agriculture en a la volonté réelle, puisque c’est la seule structure qui peut connaître l’implantation précise de tous les essais.

Je trouvais la composition du comité provisoire très bien faite car on y trouvait toutes les tendances : représentants des Verts et de la Confédération paysanne, semenciers, scientifiques de disciplines diverses. Bien qu’appartenant à une même communauté, les chercheurs ont en effet des avis contrastés selon, par exemple, qu’ils sont spécialisés en écologie – ce mot n’étant pas pris dans l’acception militante qu’il a communément – ou en biologie moléculaire végétale. Les premiers travaillent sur des systèmes complexes avec des capacités de prédiction faibles et des interactions imprévisibles, tandis que les seconds ont une vision un peu plus simple du système vivant. Je le dis très clairement, étant moi-même généticien passé à l’écologie.

La composition du comité définitif aurait été beaucoup moins bonne, exceptée la présence d’un parlementaire, puisque la plupart des scientifiques y auraient représenté leur organisme de recherche, au lieu d’être nommés en tant qu’individus, et n’auraient donc pas pu s’exprimer librement.

Le comité provisoire a permis beaucoup de débats, mais son poids est resté très faible car il n’avait le droit de travailler que sur les cultures commerciales, lesquelles ont très rapidement été abandonnées en France.

Le regroupement envisagé du Comité de biovigilance, de la Commission du génie génétique (CGG) et de la Commission du génie biomoléculaire (CGB) serait une bonne mesure. Il est en effet nécessaire que le Comité de biovigilance travaille main dans la main avec la Commission du génie biomoléculaire pour alerter immédiatement celle-ci des découvertes qui pourraient contrecarrer ses prévisions.

Mais le point essentiel réside dans la composition de l’organisme de regroupement : s’il est essentiellement constitué de biologistes moléculaires avec un écologiste pour faire bonne figure, il ne sera guère crédible car les conséquences en termes d’environnement et de santé publique ne pourront être saisies convenablement.

M. le Président : Je précise que le projet de loi en cours de préparation prévoit bien la fusion de ces trois organismes, mais que notre mission d’information pourra faire des propositions à ce sujet, puisque le texte ne sera proposé qu’après le dépôt de notre rapport.

Par ailleurs, nommer une personnalité qualifiée lui confère certainement de la liberté, mais comment choisir telle personne plutôt que telle autre, sachant qu’il y a des milliers de chercheurs ? Je pense que le fait d’avoir été nommé en fonction de votre appartenance au Centre national de recherche scientifique (CNRS) ne vous oblige aucunement à porter la parole de cet établissement et devrait vous permettre de vous exprimer librement.

M. Pierre-Henri GOUYON : C’est alors un problème de formulation : il ne faut pas dire que tel chercheur « représente » le CNRS, mais qu’il « est désigné » par cet organisme.

M. le Président : Absolument !

M. Pierre-Henri GOUYON : Cela dit, si chaque organisme nomme un seul chercheur, il choisira celui qui représente le mieux la vision qui y est dominante. Mieux vaudrait, pour favoriser le pluralisme, un petit nombre d’organismes désignant chacun plusieurs représentants, plutôt qu’un plus grand nombre d’organismes qui en désigneraient chacun un seul.

La composition de ces comités doit en tout cas être diverse et équitable, y compris pour leur image. Ainsi, le scientifique qui représentait le mieux l’écologie à la Commission du génie biomoléculaire a démissionné il y a deux ou trois ans parce qu’il en avait assez d’être systématiquement mis en minorité.

J’ai été rapporteur du groupe « Recherche et société » aux Assises nationales de la recherche, qui se sont récemment tenues à Grenoble, et nous espérons que sera créé un « Haut Conseil de la science », lequel pourrait réfléchir à la composition de ce comité. La meilleure formule, selon moi, serait qu’une instance générale s’efforce de désigner les meilleurs représentants de la communauté scientifique, plutôt que de demander à chaque organisme de nommer quelqu’un.

Par ailleurs, il est important que la société civile soit représentée. Mais l’expérience montre que, lorsque les discussions deviennent techniques, les représentants de la société civile sont rapidement dépassés et en viennent à ne plus se déplacer. Il faudrait probablement prévoir une structure spécifique pour les échanges techniques et soumettre ses conclusions en séance plénière. Nous évoquions déjà ce problème, avec Christine Noiville, dans le rapport sur le principe de précaution que nous avons remis au Premier ministre Lionel Jospin.

S’agissant de la tutelle du comité, celle-ci est assurée par les ministères de l’agriculture, de la recherche et de l’environnement, et je serais un peu inquiet si l’on y adjoignait celui de la santé, comme l’envisage l’une de vos questions, car cela compliquerait le processus de nomination et laisserait encore moins de place à la représentation des chercheurs étrangers à la biologie moléculaire. Le Comité consultatif national d’éthique n’est-il pas placé directement auprès du Premier ministre ? Il avait été envisagé, sous le gouvernement Juppé, de créer un organisme similaire pour l’environnement, et je pense que le rattachement administratif du futur comité pourrait être envisagé à haut niveau, au lieu de dépendre de plusieurs ministères.

L’une de vos questions écrites était amusante : « Comment expliquez-vous que l’Agence française de sécurité sanitaire environnementale ne conduise pas d’études concernant les conséquences des OGM sur l’environnement et se déclare non compétente ? » N’appartenant pas à cette agence, je n’ai pas à répondre. Mais mon sentiment, même si j’ai participé avec intérêt à la Conférence des citoyens de 1998, est que la question des OGM n’est pas traitée très sérieusement par l’ensemble des instances de décision, et je regrette qu’elle n’ait jamais donné lieu à un débat parlementaire.

Je voudrais vous donner un exemple. A la fin du XXe siècle, un financement de 10 millions de francs a été dégagé pour des études relatives à l’impact des OGM sur l’environnement. Au vu du faible nombre de laboratoires candidats – ceux qui travaillaient déjà sur le sujet, comme le mien, ont présenté des projets qui ont été retenus mais les autres n’y ont pas prêté attention –, le ministère de la recherche a décidé, l’année suivante, de ne pas reconduire l’opération. Cette année, des crédits sont de nouveau ouverts, mais, pour inciter les laboratoires à changer d’orientation, il aurait fallu, comme pour le SIDA, injecter des sommes élevées et stables d’une année sur l’autre. Lorsque M. François d’Aubert était ministre de la recherche, il m’avait demandé pourquoi les laboratoires étaient si peu intéressés par l’impact des OGM sur l’environnement et il m’avait fait remarquer que les chercheurs devraient s’emparer des questions que se pose la société. Il manque effectivement, en France, une structure chargée d’enregistrer ces questions et de les répercuter dans le milieu de la recherche ; nous en parlons dans le rapport « Recherche et société » qui figure sur le site des « Assises sur la Recherche ».

M. le Président : Je précise, mes chers collègues, que le rapporteur avait fait parvenir une liste de questions écrites à M. Gouyon, qui s’efforce d’y répondre point par point.

Quant à l’Agence française de sécurité sanitaire environnementale (AFSSE), nous l’avons invitée, mais il nous a été répondu, en substance, qu’elle n’avait pas conduit de sujet sur cette question, ce qui peut paraître étonnant.

M. Gérard DUBRAC : Quelles sont les missions du Comité de biovigilance et comment fonctionne-t-il par rapport aux autres commissions ?

M. Pierre-Henri GOUYON : Je commencerai par vous dire que, pour la Commission du génie biomoléculaire, il vaut mieux ne pas utiliser le sigle « CGB », réservé à la Confédération générale des betteraviers !

La Commission du génie génétique donne des avis sur ce qu’elle constate dans les laboratoires. La Commission du génie biomoléculaire donne des avis sur la sortie des OGM des laboratoires. Le Comité de biovigilance était chargé, une fois les OGM commercialisés, de surveiller leur impact pour éventuellement rétroagir et demander leur retrait du marché.

Les missions et les nominations du comité temporaire avaient été décidées conjointement par les ministères de l’agriculture et de l’environnement. Mais les missions du comité définitif sont fixées dans la loi – qui, je le répète, est inappliquée –, avec un élargissement aux essais, c’est-à-dire au tableau 2 de la Commission du génie biomoléculaire.

M. le Rapporteur : Si le Comité de biovigilance ne se préoccupe pas de la dispersion à la suite d’essais, qui s’en saisit ?

M. Pierre-Henri GOUYON : Personne !

M. le Rapporteur. C’est tellement étonnant que je voulais vous l’entendre dire clairement !

M. Pierre-Henri GOUYON : Dans ce dossier, il y a beaucoup de choses hallucinantes, et je suis très heureux que votre mission d’information ait été constituée.

Même si je n’ai jamais été opposé à la technologie OGM, j’ai toujours exprimé des réserves vis-à-vis de certains OGM en passe d’être autorisés. D’ailleurs, nous avons été entendus, puisque, en 1998, la France a posé un moratoire sur le colza et la betterave, avant même le moratoire européen. Je dois cependant vous avouer que ma position s’est durcie à la suite du jugement récent de la Cour suprême canadienne dans l’affaire Percy Schmeiser. Cet agriculteur reproduisait chaque année ses propres variétés de colza. Il n’avait jamais acheté de semences Monsanto, contrairement à beaucoup de producteurs canadiens, mais les enquêteurs de la firme ont prouvé la présence de gènes de résistance au Roundup dans certaines de ses cultures. Bien qu’il ait été reconnu par les avocats de Monsanto que tout ce qui poussait chez lui était arrivé par le vent, Percy Schmeiser a été condamné en dernière instance et n’est plus autorisé à récolter ses colzas, car le droit du brevet prime. Il faut savoir que le contrat de culture Monsanto est léonin : il interdit non seulement de ressemer les graines obtenues mais aussi d’exploiter les repousses spontanées.

M. François GUILLAUME : Dans ce genre de procès, il faut en prendre et en laisser. Personne ici ne peut répondre du sérieux du producteur incriminé, qui a pu récupérer des graines de semences génétiquement modifiées.

M. Pierre-Henri GOUYON : Peut-être, mais il est spécifié dans les attendus du jugement que le fait d’avoir introduit volontairement ou non des graines n’a aucune importance ; les gènes, de toute façon, appartiennent à Monsanto.

M. Francis DELATTRE : C’est au Canada !

M. Pierre-Henri GOUYON : Certes, mais cette affaire montre qu’il est crucial de donner des garanties aux agriculteurs français.

M. le Président : Lundi, l’Assemblée examinera le projet de loi sur la protection des inventions biotechnologiques et il est prévu que le texte européen soit amendé dans ce sens.

M. Pierre-Henri GOUYON : Absolument ! Mais vous savez aussi que les Etats-Unis ont porté plainte contre l’Europe devant l’Organisation mondiale du commerce (OMC) à propos des OGM. Concernant le droit des brevets, jusqu’à quel point l’Europe saura-t-elle résister à la pression américaine ? Je serai pleinement rassuré le jour où l’OMC admettra les principes retenus aujourd’hui au niveau européen.

M. le Rapporteur : Comment les essais sont-ils surveillés dans les autres pays, par exemple aux Etats-Unis et au Canada ?

M. Pierre-Henri GOUYON : Aux Etats-Unis ou au Canada, le problème ne se pose pas, puisqu’il n’y a aucune réglementation spécifique aux OGM, lesquels sont considérés comme des variétés normales. Le Canada est néanmoins un très bon terrain d’expérience. On peut y travailler sur la dispersion à longue distance car il y existe de très grands champs transgéniques. Nous avons effectué des études sur ce point, dont les résultats n’ont pas encore été publiés. En outre, on y a identifié, au bout de trois ans de culture de colza transgénique, des variétés résistant à trois herbicides par croisement entre champs transgéniques. Nos craintes s’en trouvent ainsi confirmées : cette espèce pourrait devenir une mauvaise herbe majeure. Mais travailler avec le Canada est assez difficile car Monsanto, dans ce pays, subventionne presque tous les laboratoires de biologie végétale.

M. le Rapporteur : Vous avez suggéré que l’Etat ne connaîtrait pas précisément la localisation des essais d’OGM.

M. Pierre-Henri GOUYON : Le ministère de l’agriculture les connaît mais leur liste n’est pas rendue publique.

M. le Rapporteur : Depuis deux ans, les maires sont informés.

M. Pierre-Henri GOUYON : C’est vrai, mais, comme je l’ai dit, il serait aussi intéressant de connaître la localisation des essais entrepris il y a dix, cinq ou trois ans. Il faudrait donc écrire à tous les maires de France pour savoir si des essais ont été menés dans leur commune et quels champs sont concernés !

Mme Chantal ROBIN-RODRIGO : A l’époque, les maires n’en savaient rien.

M. François GROSDIDIER : Et le Comité de biovigilance n’est pas informé non plus ?

M. Pierre-Henri GOUYON : Non.

M. le Président : En 1998, il était permis de penser que la technique des cultures allait se développer. Donc, on a créé le comité de biovigilance pour surveiller les cultures et non les essais, ceux-ci étant traités par une autre commission. Or, aujourd’hui, il n’y a plus que des essais, sur lesquels le Comité de biovigilance n’a pas compétence. Nous devons donc travailler sur ce point et faire des propositions.

Premièrement, l’idée prévue dans l’avant-projet de loi de regrouper le comité et les deux commissions en élargissant le champ des spécialités scientifiques représentées est une bonne idée.

Deuxièmement, il faut définir ce que signifie « société civile » et déterminer qui la représente. Le projet de loi, en l’état, prévoit que la nouvelle instance se réunit dans une configuration unique pour examiner les dossiers au cas par cas. Pierre-Henri Gouyon vient de nous proposer de séparer les discussions techniques – dans lesquelles les représentants des consommateurs ont du mal à faire entendre leur point de vue face aux scientifiques – du rôle de la société civile concernant les grandes orientations. Personnellement, je retiens aussi cette idée.

M. François GUILLAUME : J’y souscris également totalement. Par ailleurs, je voudrais faire deux observations.

Vous avez employé le terme « contamination », que je n’aime pas beaucoup car il est péjoratif et a une connotation animale, voire humaine : on insinue, dans l’esprit du citoyen, une crainte peut-être injustifiée.

Avec la dissémination du colza, la ravenelle, par exemple, plante adventice, risque effectivement de développer une résistance préjudiciable aux autres cultures. Mais je ne comprends pas très bien le processus pour la betterave, dont la production ne nécessite pas de très grandes superficies et qui est généralement localisée : comment la « contamination » intervient-elle dans ce cas ?

M. Pierre-Henri GOUYON : Les mots, effectivement, ne sont pas innocents et je serais prêt à ne plus parler de « contamination » si l’on en trouvait un autre.

M. François GUILLAUME : Pourquoi pas « dissémination » ?

M. Pierre-Henri GOUYON : Ce n’est pas pareil : la contamination, intervient au niveau des récepteurs. Attention aux mots ! Souvenez-vous : les initiales OGM, au départ, signifiaient « organismes génétiquement manipulés », et on nous a demandé de dire « organismes génétiquement modifiés » pour faire moins peur ; on l’a fait et ensuite, il nous a été opposé que les plantes avaient de tout temps été modifiées et que nous perdions notre temps !

Concernant le colza, la ravenelle s’hybride effectivement avec le colza, mais celui-ci pose un problème en lui-même. Nous l’étudions depuis longtemps dans une petite commune de la région Centre, Selommes, en liaison avec un organisme professionnel, le Centre technique interprofessionnel des oléagineux métropolitains (CETIOM), et nous avons découvert des plantes de colza contenant des gènes qui ne sont plus cultivés depuis plus de douze ans. En terme de réversibilité, cela prouve que le colza peut vivre longtemps hors des champs et s’y reproduire. Donc, si l’on donne trop de coups de pouce – résistance à des insectes et à des herbicides –, le colza pourrait se transformer lui-même en une sorte de peste.

Concernant la betterave – dont il faut savoir que les semences sont produites dans le Sud-Ouest de la France, alors que les cultures se font dans le Nord – l’une des mauvaises herbes principales des champs de betteraves est la betterave sauvage, et il s’agit de savoir d’où elle provient. Nous avions posé la question, avec Axel Kahn, dès la création de la Commission du génie biomoléculaire, et les producteurs de semences nous avaient répondu qu’ils contrôlaient dorénavant très bien l’hybridation entre betteraves sauvages et cultivées. Or, autour des champs, on n’a jamais réussi à se débarrasser des betteraves sauvages. Pour produire des hybrides, on emploie des plantes dites « mâles stériles », c’est-à-dire femelles, qui ne produisent pas de pollen – l’appellation peut paraître bizarre, mais il faut savoir qu’en botanique un organisme normal est hermaphrodite. Le problème est que ces mâles stériles sont de redoutables pièges à pollens et que quelques plantes sauvages suffisent pour que leurs gènes soient captés. Un laboratoire de Lille a démontré que les graines récoltées et envoyées dans le Nord pour semis contenaient de tels hybrides : l’agriculteur sème donc en même temps la betterave sauvage – qu’il devra ensuite désherber – et la betterave cultivée. Si l’on insérait dans celle-ci un gène de résistance à un herbicide, vous comprenez que l’on rendrait aussi définitivement résistante la betterave sauvage au bout de deux ou trois générations.

M. Francis DELATTRE : Je voulais dire, à titre préalable, que si l’Assemblée n’a jamais débattu de ces questions, c’est que l’article 34 de la Constitution, qui fixe les compétences du Parlement, ne fait pas encore référence à l’environnement, et quelques-uns d’entre nous se battent pour que cela change. Heureusement, depuis la loi Barnier, nous avons pris l’habitude de nous emparer quand même de ces problèmes.

Vous avez parlé du colza mais le cas du maïs est particulier en ce qui concerne les risques de dissémination, et nous attendons tous une décision de la Commission européenne sur ce point. Pouvez-vous nous en dire un mot ?

Je persiste à penser que c’est surtout la dissémination du colza qui fait débat. L’étude sérieuse remise par M. Marc Fellous il y a une semaine démontre que les risques de dissémination de plantes adventices sont réduits. En quoi est-il alors pénalisant de rendre un colza résistant au glyphosate, herbicide généraliste, qui constitue la base du Roundup et qui appartient au domaine public ? Employer un autre système requiert trois ou quatre traitements, qui coûtent 300 ou 400 francs chacun, et qui augmente la quantité de molécules injectées dans la terre. La politique « Terminator » de Monsanto est certes scandaleuse mais il est d’ores et déjà interdit, en France, de reproduire une plante hybride sans rémunérer le titulaire du brevet. Le colza est certes rendu résistant au glyphosate et il va se propager près des voies ferrées mais ce n’est pas un vrai problème parce qu’un autre désherbant, l’Allié, supprime aisément les variétés susceptibles de se conduire comme des plantes adventices. En quoi la dissémination est-elle « risquée » puisque la semence est plus intéressante et moins coûteuse ? Pourquoi ne pas comparer tous les avantages et tous les inconvénients ? Le débat est insuffisant sur ce point. La culture du colza est importante car c’est la plante la mieux maîtrisée dans la perspective des biocarburants. Pourquoi nos propres producteurs n’auraient pas droit d’utiliser des OGM plus économiques ? Les Brésiliens envahissent notre marché de biocarburants, alors que nous sommes un pays agricole et que nous disposons de la matière première nécessaire !

M. Pierre-Henri GOUYON : En France, le maïs, sauf exception dans le Sud-Ouest, ne pose effectivement pas de problème de dissémination car les grains restent enfermés dans l’épi. Mais ce n’est pas vrai en Amérique Centrale. Or comment pourrait-on, au plan international, autoriser certains maïs en France au motif qu’il n’y a pas de risque de contamination des variétés traditionnelles ou de contamination de la plante sauvage qui sert de réservoir génétique au maïs et interdire les mêmes au Mexique ? Cela me fait penser à ce ministre brésilien qui a indiqué accepter l’inscription de la forêt amazonienne au patrimoine de l’humanité à condition qu’il en soit de même pour la bombe atomique et les puits de pétrole… exprimant ainsi l’idée que tout le monde fait des erreurs.

Il existe effectivement des hybrides de maïs ou de betterave, mais ils ne sont pas brevetés, contrairement à ce que vous affirmez, M. Delattre. Il y a un certificat d’obtention végétale qui permet de réutiliser les ressources génétiques : si jamais votre maïs se croise avec le maïs hybride du voisin, cela ne confère aucun droit à la firme.

M. Francis DELATTRE : Je ne parlais pas du maïs mais du colza.

M. Pierre-Henri GOUYON : Maïs ou colza, c’est pareil.

M. Francis DELATTRE : En outre, le colza hybride est en plein développement : il représente au moins 10 % du total, pour la simple raison qu’il produit davantage.

M. Pierre-Henri GOUYON : Quoi qu’il en soit, ces colzas n’étant pas brevetés, un croisement avec les miens ne confère aucun droit à mon voisin ni à la firme qui les lui a vendus. C’est une différence avec le droit des brevets, tel qu’il s’applique actuellement, et il faut effectivement craindre l’extension de ce droit : les variétés traditionnelles mexicaines, largement contaminées par des transgènes provenant d’OGM d’Amérique du Nord, appartiendraient alors aux firmes qui ont fabriqué ces derniers et il y aurait alors un véritable problème de propriété des ressources génétiques mondiales. C’est un vrai enjeu.

M. le Président : Je précise que nous avons prévu d’organiser une table ronde sur ce thème avec des juristes. Les précautions juridiques que nous introduisons, pour être efficaces, doivent être reconnues par l’OMC.

M. Pierre-Henri GOUYON : Absolument ! Mais je ne pourrais pas vous aider sur cette question car j’ai été débouté comme expert devant l’OMC…

On n’a jamais découvert que deux molécules d’herbicide total, c’est-à-dire venant à bout de toutes les plantes avant l’élaboration d’OGM résistants : le glyphosate, produit actif du fameux Roundup de Monsanto, et le glufosinate, qui entre dans la composition du Liberty et du Basta. Le glyphosate est certes tombé dans le domaine public – c’est-à-dire la molécule – mais pas le Roundup. Or cette molécule n’agit que si elle pénètre dans les plantes, ce qui nécessite des adjuvants, et ceux du Roundup sont nettement plus efficaces que ceux des produits concurrents. Cela signifie qu’en terme de toxicité, ce mécanisme est terrifiant : on diffuse des quantités énormes de molécules dans l’atmosphère, sans avoir les moyens de tester la toxicité produite par leurs interactions.

Pour l’instant, Monsanto impose évidemment aux agriculteurs qui lui achètent des variétés résistantes au glyphosate d’utiliser du Roundup et non pas du glyphosate générique. Mais on constate que les agriculteurs ont tendance à abuser du produit et que la quantité d’herbicide épandu a malheureusement beaucoup moins baissé que ce qui était espéré. Pour que le système fonctionne bien, il conviendrait d’imposer de bonnes pratiques.

Par ailleurs, l’environnement ne peut y gagner que si l’on ne rend pas le blé ou d’autres plantes résistantes au Roundup – même les agriculteurs américains s’y sont opposés. Cela créerait un risque de contamination entre parcelles et même, lors d’une rotation, au sein d’une même parcelle. Et, pendant ce temps, d’autres firmes rendent d’autres plantes résistantes au glufosinate ; cette logique interdirait donc tout recours à un autre herbicide et serait très dangereuse pour l’agriculture. Je répète d’ailleurs que des colzas trirésistants – au glyphosate, au glufosinate et aux oxynils – ont été découverts au Canada.

Une firme a évidemment intérêt à rendre toutes les plantes résistantes à son herbicide pour mieux le vendre, et on ne peut lui reprocher. D’ailleurs, cela s’explique par le fait que les semenciers ont été rachetés par les sociétés d’agrochimie. Les champs se croisant, on finit par fabriquer des plantes qui sont résistantes à tout. C’est un vrai problème et lorsque nous le soulevons, on nous répond toujours que les agriculteurs sont intelligents. Mais les médecins ne le sont pas moins et ils n’ont pas su pour autant gérer les antibiotiques de façon optimale, la pression exercée sur chaque individu faisant perdre de vue l’intérêt collectif. C’est donc à la collectivité de mettre en place des systèmes de gestion globale des herbicides et des plantes transgéniques. Je n’ai rien contre le fait de rendre une espèce résistante à un herbicide spécifique, mais rendre chacune d’entre elles résistante à tous les herbicides me semblerait tout à fait déraisonnable. C’est pourquoi j’avais émis l’idée d’un « permis de mettre des gènes dans les plantes », chaque firme étant alors limitée dans ses acquisitions de semences. Mais, comme je l’ai déjà dit, la Commission du génie biomoléculaire se prononçant au cas par cas, elle ne peut prendre en compte l’effet de système.

M. François GROSDIDIER : Au-delà des cultures et des essais, quelqu’un contrôle-t-il les conséquences des transports ? Ma commune, qui a le privilège d’héberger la plus grosse gare de triage de France, est par conséquent traversée par des convois venant des quatre coins de l’Europe. J’ai observé des brins de colza sidérants, d’une force et d’une dimension extraordinaires, poussant sur du ballast régulièrement désherbé par la SNCF et en bordure de sites industriels connus pour leur pollution très forte. J’en ai envoyé, aujourd’hui même, à un laboratoire. C’est d’autant plus inquiétant que ces trains sillonnent le territoire, traversent des champs et longent des zones habitées. Des précautions particulières sont-elles prises ?

M. Pierre-Henri GOUYON : Aucune précaution particulière n’est prise pour les transports ferroviaires. Mais nous étudions cette question dans le cadre de l’étude de Selommes sur l’impact des OGM, dont je vous ai parlé. C’est un travail assez difficile à mener car il n’y a pas de découvertes fondamentales à en espérer ; nous l’avons maintenue car elle correspond à une demande de la société, mais elle est constamment sur le fil du rasoir. Dans ce cadre, nous avons aussi abordé l’aspect des transports : d’où vient le colza trouvé au bord d’une route ? Du champ d’à côté ou d’une plante poussée au même endroit l’année précédente ? A moins qu’il ne soit tombé d’un camion ? Nous commençons à obtenir des données sur les proportions de chacune de ces catégories et les camions figurent effectivement parmi les disperseurs de graines, mais il faudrait que nous ayons davantage de moyens pour aller plus loin. Quoi qu’il en soit, je serais content de pouvoir analyser les plantes dont vous parlez.

M. André CHASSAIGNE : Lors des auditions précédentes, nous avons entendu des propos contradictoires à propos des essais de plein champ : certains nous ont dit qu’ils étaient uniquement destinés au processus de commercialisation ; d’autres qu’ils servaient à mesurer la dissémination.

Vous avez appelé de vos vœux une structure qui répondrait aux questions de la société civile. Pouvez-vous donner deux ou trois exemples de sujets qu’elle pourrait aborder ?

Savez-vous, par ailleurs, quelle est la part des semences réutilisées en France d’une année sur l’autre ?

Enfin, la dissémination est-elle plus grave quand on fauche le champ ou quand on laisse les plantes aller jusqu’à maturation ?

M. Pierre-Henri GOUYON : Je dirai que 99 % des centaines d’essais effectués ces dernières années étaient destinés au développement – c’est-à-dire à la productivité des plantes – et non à la recherche sur les problèmes de dissémination. Hormis les plates-formes que l’INRA partage avec le CETIOM, l’Association générale des producteurs de maïs (AGPM) et l’Institut technique de la betterave (ITB), c’est-à-dire trois essais, et celle de l’Ariège, qui a malheureusement été détruite, il s’agit presque toujours de développement. J’ajoute que les trois essais cités étaient destinés à étudier la dissémination mais qu’il serait intéressant d’étudier cette question à l’occasion d’autres essais dont ce n’est pas le but.

Sur bien des sujets, il est nécessaire que les chercheurs débattent avec la société civile. Par exemple, faut-il organiser des vols spatiaux habités ? Quelles sont les conséquences de la pollution chimique ? S’agissant des conséquences de la culture d’OGM, je n’ai pas le temps ici de dresser la liste des points qui devraient être étudiés mais les questions sont nombreuses.

Enfin, je ne crois pas que les fauchages disséminent grand-chose. Mais j’en profite pour vous dire que vous devriez donner de la publicité à votre mission d’information, car la société civile a l’impression que les pouvoirs publics essaient d’enterrer le dossier. Elle serait sans doute rassurée si elle savait que l’Assemblée nationale y réfléchit.

M. François GUILLAUME : Dès lors, par exemple, que l’on accepte un OGM pour le colza, pourquoi ne pas rendre obligatoire l’introduction du gène « Terminator » correspondant ? Les semences de colza ne sont plus remployées – même celles de blé ne le sont plus guère. Du reste, les appareils ensemencent désormais graine par graine, ce qui ne nécessite qu’un kilo et demi environ de semences par hectare. Enfin, en 2003, dans certaines régions, il pleuvait tous les jours et la récolte commençait à germer à terre ; avec « Terminator », le grain aurait été conservé dans de bonnes conditions.

M. Pierre-Henri GOUYON : Pour le colza, on compte tout de même encore 30 % de semences de ferme, comme le prouve l’examen des génotypes auquel nous procédons dans la région Centre.

Par ailleurs, la technologie « Terminator » n’est absolument pas en mesure de faire ce que vous dites, M. Guillaume, car il faudrait stopper la totalité de la germination et pas seulement la moitié. En outre, faire entrer « Terminator » dans toutes les variétés transgéniques serait trop coûteux et réduirait de beaucoup leur intérêt – de même que des tests toxicologiques de grande ampleur sur les OGM rendraient leur rentabilité insuffisante, eu égard à la durée de vie réduite des variétés botaniques, contrairement à la durée de vie des médicaments.

M. Gérard DUBRAC : Avez-vous une idée du nombre d’OGM actuellement expérimentés ?

M. Pierre-Henri GOUYON : Je l’ignore, mais vous obtiendrez facilement cette information auprès de la Commission du génie biomoléculaire. En tout cas, même si les OGM sont nombreux et de natures très variables, 95 % de ce qui est disponible sur le marché reste concentré sur les résistances à des insectes ou à des herbicides.

M. le Président : L’année dernière, on dénombrait quelque quarante essais, sur cinq espèces, principalement le maïs et le colza, et ce nombre décroît, pour les raisons qui ont déjà été indiquées.

M. Gouyon, pourrez-vous nous communiquer des réponses écrites sur les points que vous n’avez pu aborder ce soir, concernant en particulier la gouvernance ?

M. Pierre-Henri GOUYON : D’accord.

M. le Président : Par ailleurs, nous avons décidé d’organiser des tables rondes contradictoires ; il serait intéressant que vous y participiez.

M. Pierre-Henri GOUYON : Avec plaisir.

M. le Président : Je vous remercie.

Audition conjointe de
M. Martin HIRSCH, directeur général de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA),
et de M. Maxime SCHWARTZ, directeur de la programmation de l’Agence


(extrait du procès-verbal de la séance du 23 novembre 2004)

Présidence de M. Jean-Yves LE DÉAUT, Président

M. le Président : Je souhaite la bienvenue à M. Martin Hirsch, maître des requêtes au Conseil d’Etat, directeur général de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA), et à M. Maxime Schwarz, directeur de la programmation des laboratoires de l’agence.

M. Martin HIRSCH : L’AFSSA, créée en application de la loi du 1er juillet 1998 relative à la veille sanitaire et à la surveillance des produits destinés à l’homme, a été spécifiquement chargée d’évaluer les risques alimentaires liés aux OGM et cela, de trois façons.

A la demande des ministères ou de son propre chef, l’agence évalue les risques au cas par cas et rend des avis. Elle tente aussi de tirer des enseignements de ces cas particuliers pour proposer un cadre général d’évolution des lignes directrices de l’évaluation des risques que peuvent présenter les OGM.

L’agence s’est aussi attachée à évaluer les éventuels bénéfices de l’utilisation des OGM. Ce point est d’une importance particulière, car lorsque nous nous sommes engagés dans cette voie, le sujet était occulté, pour des raisons contradictoires : alors que, pour certains, les termes « OGM » et « bénéfices » étaient totalement antinomiques, d’autres posaient comme un postulat d’évidence que leur utilisation aurait de multiples effets bénéfiques, qu’il s’agisse de lutter contre la faim dans le monde, de combattre l’obésité ou de supprimer l’allergénicité des produits naturels. Dans tous les cas, on en restait à des positions de principe. Nous avons donc fait œuvre pionnière en nous penchant sur les méthodes d’évaluation des bénéfices des OGM et en organisant, en décembre 2001, un colloque consacré à cette question. Comme il fallait définir si les bénéfices allégués avaient une existence autre que virtuelle, nous avons prolongé le colloque en étudiant quatre OGM, comme nous l’aurions fait si nous avions évalué le rapport bénéfices/risques d’un médicament. Nous avons présenté ce travail, conduit par Maxime Schwartz, à nos collègues européens, à Berlin, il y a une dizaine de jours.

Enfin, nous nous sommes intéressés à l’isolement des filières, par ricochet en quelque sorte, après la découverte, il y a trois ou quatre ans, de quelques fifrelins d’OGM dans des champs où l’on n’aurait dû trouver que des productions conventionnelles, et après avoir constaté que la séparation entre filière OGM et filière non-OGM était floue.

De ces études, il ressort que l’on peut améliorer les modalités d’évaluation du risque, tout en maintenant un niveau de sécurité satisfaisant, dès lors que les exigences sont bien remplies. A cet égard, on a pu noter que certains dossiers, qui nous ont été présentés pour la première fois, il y a maintenant sept ans, sont encore étonnamment incomplets, comme si les industriels attendaient que notre niveau d’exigence faiblisse… Cette attitude diffère de celle observée pour d’autres produits soumis depuis longtemps à un régime d’autorisation.

M. le Président : Sur quoi les avis rendus par l’agence portent-ils ? Les expérimentations sont-elles concernées ?

M. Martin HIRSCH : Nos avis portent seulement sur les demandes d’autorisation de mise sur le marché de produits destinés à l’alimentation humaine ou animale.

M. Francis DELATTRE : Mais pas sur l’effet que pourrait avoir pour la santé de l’homme l’ingestion d’animaux de boucherie nourris avec des produits génétiquement modifiés ?

M. Maxime SCHWARTZ : L’agence se prononce sur la pertinence des autorisations de mise sur le marché d’aliments génétiquement modifiés destinés à la consommation animale mais nous ne contrôlons pas les animaux qui ont mangé des OGM. Il n’y a d’ailleurs pas de procédure d’autorisation concernant les produits issus d’animaux eux-mêmes nourris aux OGM.

M. Martin HIRSCH : Les mêmes questions valent pour tout produit destiné à l’alimentation animale : en premier lieu, l’aliment dont la mise sur le marché est demandée peut-il nuire à la performance de croissance de l’animal, ou induire la transmission d’une maladie à d’autres animaux ? Ensuite, la consommation par l’homme d’un animal ainsi alimenté aura-t-il un impact sur la santé humaine ? Le risque est donc évalué, à la fois dans ses effets sur l’animal et dans ses effets sur l’homme. Par ailleurs, des essais sont en cours pour déterminer si des séquences d’acides nucléiques provenant des OGM ingérés sont retrouvées dans le sang et le lait.

J’en reviens à l’agence, qui œuvre dans un environnement national et international complexe. En effet, sur le plan national, la distinction des compétences n’est pas très nette entre l’AFSSA, chargée de l’aspect alimentaire, et la Commission du génie biomoléculaire, dont le champ de compétence non limité recouvre à la fois l’aspect environnemental et l’aspect alimentaire, si bien que nous pouvons être en désaccord – cela s’est parfois produit. Mieux vaudrait rationaliser cet ensemble.

Sur le plan international, la création de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA) devrait, en toute logique, entraîner la disparition à court terme de l’examen des dossiers d’évaluation à l’échelon national. A ce jour, les agences nationales et l’Autorité européenne mènent des travaux en parallèle et les confrontent in fine pour voir s’il y a accord ou désaccord. De ce fait, il nous est arrivé de constater des différences d’approche dans l’évaluation des risques, soit entre les agences nationales, soit entre l’une d’elles et l’Autorité européenne. On peut espérer que les lignes directrices d’évaluation permettront à terme une convergence des appréciations mais cela ne va pas de soi.

M. François GROSDIDIER : Et que se passe-t-il en cas de désaccord ?

M. Martin HIRSCH : La réglementation européenne prévoit une procédure de conciliation, que je n’ai toutefois jamais vue mise en œuvre, si bien que les avis restent divergents et que les gouvernements ne savent pas à quel avis se fier.

M. le Rapporteur : Comment l’autorité européenne est-elle composée ?

M. Martin HIRSCH : Créée il y a deux ans, elle est dotée d’un conseil d’administration et d’équipes scientifiques permanentes. Elle constitue ses comités scientifiques par appels à candidatures, si bien que nous avons parfois des experts communs.

M. le Président : Quand l’autorité européenne aura atteint son régime de croisière, quel sera le rôle des agences nationales ?

M. Martin HIRSCH : Si l’on ne fait rien, leur rôle disparaîtra car le règlement donne compétence à l’agence européenne et celle-ci, spontanément, ne souhaite pas fonctionner en réseau. Sauf si les Etats membres et la Commission décident que l’Autorité assumera désormais un rôle de tête de réseau et de coordination – comme c’est le cas pour l’évaluation des médicaments, pour laquelle on fait appel à un réseau d’experts nationaux –, les évaluations seront uniquement faites à Parme, où l’agence a son siège. Jamais, en effet, les industriels n’enverront spontanément les dossiers de demandes de mises sur le marché à Paris en même temps qu’à Parme ; de ce fait, l’AFSSA ne pourra plus procéder aux évaluations.

M. le Rapporteur : Vos propos s’appliquent-ils aussi aux autres instances nationales chargées des OGM ?

M. Martin HIRSCH : Je ne suis sûr de ma réponse que pour les risques alimentaires.

M. le Président : Je sais que les instances nationales, que le projet de loi propose de regrouper, resteront compétentes pour tout ce qui concerne les expérimentations. Il y a là une nouvelle répartition des rôles qui doit être explicitée et sur laquelle il faudra que nous donnions notre avis.

M. Maxime SCHWARTZ : J’ai accompagné notre directeur général parce qu’avant d’être directeur de la programmation des laboratoires de l’AFSSA, j’ai présidé son comité « Biotechnologies », chargé de préparer les avis relatifs à la mise sur le marché des OGM.

Je compléterai les propos de Martin Hirsch par quelques précisions concernant nos travaux. Ceux-ci sont publiés et je vous ai apporté les actes du colloque de décembre 2001 relatif à l’évaluation des bénéfices potentiels des OGM, ainsi qu’une copie de l’avis rendu par l’agence en janvier 2002, relatif aux possibilités d’évolution de la réglementation en matière d’évaluation des risques. Ses préconisations ont d’ailleurs été reprises par l’Autorité européenne de sécurité des aliments et figurent désormais au nombre des lignes directrices d’évaluation qu’elle a publiées. Je vous ai également apporté notre récent rapport sur les bénéfices intitulé « OGM et alimentation : peut-on identifier et évaluer des bénéfices pour la santé ? », publié en français, et, tout récemment, en anglais.

M. le Président : Après avoir évalué le rapport bénéfices/risques de certains OGM, l’AFSSA a donc donné un avis favorable à leur mise sur le marché. Estimez-vous que ces organismes présentent un risque pour la santé humaine ? Estimez-vous que c’est le cas pour certains mais pas pour d’autres ? Avez-vous déterminé quel bénéfice sanitaire on peut attendre des OGM autorisés en France ?

M. Maxime SCHWARTZ : S’agissant des risques : si tous les tests d’évaluation de la toxicité et de l’allergénicité ont été faits – et bien faits – et si leurs résultats sont concluants, nous donnons un avis positif à la mise sur le marché. Nous rendons un avis négatif et nous formulons une demande de complément d’information lorsque nous estimons les tests insuffisants pour que nous puissions nous prononcer valablement sur l’absence de dangerosité. Mais il n’y a pas eu de cas qui nous a fait dire : « cet OGM est dangereux, il ne faut pas le mettre sur le marché ». S’agissant des bénéfices potentiels, nous ne portons pas d’avis puisque les dossiers qui nous sont présentés par les semenciers ne sont pas préparés à cette fin, mais seulement pour démontrer l’absence de risque.

On peut faire état de certains bénéfices. Dans le cas des OGM résistant aux insectes, déjà utilisés en Amérique du Nord depuis un certain temps, deux bénéfices sont allégués. Le premier est un bénéfice pour la santé, résultant de ce que leur emploi réduit la nécessité d’utiliser des insecticides et donc l’exposition du consommateur à ces produits. Le second, moins évident, tient à ce que les plantes attaquées par les insectes sont ensuite plus vulnérables aux moisissures qui, elles-mêmes, produisent des mycotoxines toxiques. L’utilisation de ces OGM, en préservant la plante des insectes, aurait pour effet connexe de diminuer la présence de mycotoxines dans ces plantes. Mais si une moindre exposition aux insecticides et aux mycotoxines est un élément positif avéré, dans un certain nombre de cas au moins, il manque la démonstration que, dans les faits, on a bien des bénéfices significatifs. Par exemple, on manque d’éléments concernant l’effet sur la santé humaine des mycotoxines contenues dans les végétaux. Nous souhaitons donc qu’à l’avenir les industriels qui allèguent de tels bénéfices sanitaires en apportent la preuve scientifique.

M. le Président : En somme, vous considérez que l’utilisation des OGM peut produire des bénéfices, mais que cela reste à démontrer par expérimentations en champs…

M. Maxime SCHWARTZ : Oui, vérifier la baisse de production de mycotoxines par les plantes génétiquement modifiées suppose des expérimentations en plein champ.

M. Martin HIRSCH : Encore faut-il qu’au préalable on se soit posé les bonnes questions. Ainsi, lors du colloque de décembre 2001, l’hypothèse avait été émise que l’on résoudrait peut-être le problème de l’obésité par l’utilisation d’OGM – si, par exemple, on parvenait à obtenir des pommes de terre absorbant moins d’huile lors de la friture. Mais les nutritionnistes ont fait valoir qu’une telle démarche ne présentait aucun intérêt car ce trouble devait être résolu tout autrement : par une alimentation diversifiée, par la pratique sportive… En d’autres termes, si le bénéfice attendu est sans intérêt, on peut éviter de s’interroger sur la nécessité d’essais en plein champ. Il en est autrement lorsqu’il est démontré par une évaluation préalable – si possible indépendante de l’industriel promoteur du projet – que l’on peut en tirer un bénéfice réel.

Mme Chantal ROBIN-RODRIGO : Vous avez donc déjà donné des avis favorables à l’autorisation de mise sur le marché d’OGM, en fonction des résultats de tests établissant leur innocuité. Mais pensez-vous avoir disposé du recul suffisant pour garantir leur absence de dangerosité à moyen ou long terme – deux ans, une génération ? Le doute était perceptible au cours d’autres auditions.

M. Maxime SCHWARTZ : Les essais sont exclusivement conduits sur des animaux puisque, comme vous le savez, la législation interdit les essais cliniques, sauf lorsque l’on recherche un bénéfice déclaré pour la santé humaine. S’agissant de la recherche de risques dans des OGM fabriqués pour des motifs économiques, les essais sur l’homme sont interdits et, à supposer qu’ils soient autorisés, on ne saurait pas ce qu’il faut chercher. Je rappelle en effet que la transgénèse végétale ne crée rien : les gènes utilisés existent déjà dans les organismes vivants auxquels on est exposé et que, très souvent, l’on mange déjà sous d’autres formes. On ne fait donc rien d’extraordinaire et il n’y a pas de raison, a priori, de voir se manifester un effet très dangereux. C’est pourquoi nous appliquons aux OGM les tests de toxicologie classiques. Au début, nous pratiquions les essais de toxicité aiguë pour lesquels il faut injecter une grande quantité de la nouvelle protéine. Maintenant, nous insistons sur la toxicité chronique, en nourrissant des animaux de laboratoire, pendant 90 jours, de la quantité maximale de la nouvelle protéine – par exemple, la toxine résistante aux insectes. Et comme on peut imaginer que l’introduction d’un gène étranger dans le patrimoine génétique d’un végétal peut avoir des effets inattendus – la plante sécrétera peut-être des produits toxiques nouveaux –, nous testons aussi sur les animaux le produit final. C’est le maximum que nous puissions faire et, malgré ces précautions, nous ne pouvons jurer qu’il n’y aura aucun problème à la deuxième génération. Mais chaque innovation technologique fait courir un risque et, à titre personnel, je considère qu’il y aurait eu bien davantage matière à s’inquiéter des effets chimiques qui peuvent résulter du mode de cuisson tout à fait anormal auquel on procède en utilisant des fours à micro-ondes ; pourtant, l’opinion publique ne s’en est pas émue, car elle a vu un bénéfice immédiat à ce nouvel outil.

En conclusion : non, on ne peut pas affirmer qu’il n’y a aucun risque à long terme, mais les raisons de penser que ces produits sont toxiques sont a priori extrêmement faibles, et tous les tests raisonnables sont pratiqués.

M. le Rapporteur : Quel risque peut-on courir, par exemple, en mangeant des produits issus d’animaux ayant été nourris par des OGM ? On sait que le franchissement de la barrière intestinale est malaisé mais l’ADN de ces protéines parvient tout de même dans le sang.

M. Maxime SCHWARTZ : Oui, comme pour tout ce qui se mange. Mais l’ADN, en lui-même, n’aura pas d’effet sur les individus.

M. le Rapporteur : Quel avantage voyez-vous à l’utilisation du « riz doré », enrichi en fer et en vitamine A ?

M. Maxime SCHWARTZ : C’est un des cas analysés dans notre rapport. Cette plante transgénique a été conçue pour pallier une grave carence vitaminique très répandue au sein des populations des pays en développement : on a inséré toute une série de gènes dans une variété de riz pour lui permettre de produire elle-même un précurseur de la vitamine A, qui se transforme en vitamine A proprement dite après l’ingestion. Les industriels concernés et les détracteurs du produit s’opposent sur la réalité du bénéfice sanitaire induit et particulièrement sur le taux de conversion de la provitamine A : on voit bien que le bénéfice sanitaire ne sera pas le même selon qu’il suffit de manger 600 grammes de riz pour obtenir une complémentation intéressante en vitamine A ou s’il est besoin d’en avaler 4,5 kilos par jour… De plus, l’absorption de la vitamine A diffère selon les aliments ingérés, et il n’existe pas d’étude précise à ce sujet pour le « riz doré ». Une troisième incertitude tient à la résistance de la provitamine A à la cuisson et à la conservation.

En conclusion, l’approche mérite d’être tentée mais l’on ne dispose pas de données suffisantes pour établir l’utilité réelle du produit ; donc, à ce jour, il est aussi absurde de dire que l’on va pallier par ce biais les carences en vitamines A que de dire que cela ne sert à rien. De nouvelles études sont nécessaires pour en savoir plus.

M. le Président : Y a-t-il plus ou moins de mycotoxines dans les productions de l’agriculture biologique, qui n’utilise pas de pesticides ? D’autre part, les détracteurs des OGM disent que le fait d’insérer le gène de production d’une toxine dans une plante – par exemple le Bt pour lutter contre la pyrale du maïs – fait que l’homme est amené à consommer beaucoup plus de toxines qu’il ne le ferait en s’alimentant avec des végétaux naturels. Des études ont-elles été conduites sur les effets de cette ingestion plus forte de toxines ? Quel est le rôle de la commission des toxiques en ce domaine ?

M. Maxime SCHWARTZ : De très nombreux auteurs ont démontré une très forte diminution du taux de fumonisines dans le maïs Bt, qui n’est pas attaqué par les insectes. Ces résultats ont été validés pour un certain nombre de toxines mais ne sont pas totalement extensibles. S’agissant des nouvelles toxines, des essais ont été effectués montrant que des doses élevées de toxines ont pu être données au rat, sans dommage. D’ailleurs, comme je vous l’ai dit, l’agence n’aurait pas émis un avis favorable à la demande d’autorisation de mise sur le marché si les études toxicologiques avaient révélé un problème.

M. Martin HIRSCH : La commission des toxiques, que préside le professeur Daniel Marzin, est chargée d’évaluer les problèmes phytosanitaires. Elle n’a pas compétence en cette matière.

M. le Rapporteur : Donc, aucun essai n’est réalisé sur la présence de mycotoxines dans des productions de l’agriculture biologique ?

M. Martin HIRSCH : On commence à avoir des informations sur les mycotoxines. Ainsi, un numéro récent de la revue UFC-Que choisir a fait état de la présence de toxines cancérigènes dans les céréales du petit-déjeuner.

M. Francis DELATTRE : C’est exact. Et beaucoup !

M. Martin HIRSCH : Beaucoup, on ne le sait pas encore précisément, et de nouvelles études seront menées, avec eux, sur ce point.

M. Gérard DUBRAC : Les mycotoxines ont-elles tué beaucoup de monde ?

M. Martin HIRSCH : Certaines mycotoxines sont incontestablement cancérigènes. Je ne connais pas le nombre de cancers qui leur est attribuable.

M. Francis DELATTRE : L’une des difficultés de l’agriculture biologique est bien le problème des mycotoxines. Par exemple, les céréales, attaquées par les insectes, se trouvent ensuite fusariées, c’est-à-dire abîmées. Si elles sont consommées tout de suite, il n’y a pas grand problème, mais il en va tout autrement si l’on décide de les conserver, car ce sont alors des céréales avariées que l’on stocke. Pour moi, l’avantage des OGM est qu’ils permettent de réduire l’emploi d’insecticides et de pesticides ; d’ailleurs, si l’Amérique du Nord, l’Amérique du Sud et la Chine s’y mettent, c’est bien qu’ils y trouvent un avantage – celui de faire l’économie des intrants. Nous devons nous intéresser à cette question de très près pour ne pas nous mettre en difficulté. Quand on veut se débarrasser de la pyrale du maïs, on doit épandre des insecticides trois fois dans l’année. Si l’on utilisait des OGM, on éviterait cela et l’on produirait une agriculture plus biologique. La question doit donc être abordée posément, en mettant l’accent, sans dogmatisme, sur le rapport coûts/avantages.

Mme Chantal ROBIN-RODRIGO : Dans ce cas, on parle d’économie, et non plus de santé !

M. Francis DELATTRE : Mais si !

M. Martin HIRSCH : A chaque mode de production son mode de maîtrise des risques. Ainsi, il serait faux de dire que des rillettes produites industriellement seraient, par essence, plus sûres que des rillettes de grand-mère : tout dépendra de la manière dont les unes et les autres auront été fabriquées et entreposées. Cela vaut autant pour l’agriculture biologique que pour l’agriculture conventionnelle. L’AFSSA utilise maintenant des méthodes d’évaluation des OGM très sophistiquées, au cas par cas, comme elle le ferait pour tout nouveau produit, fruit exotique importé, ou toute autre innovation alimentaire, et il n’y a pas de raison de penser qu’il faudrait en faire plus. Mais nous avons l’honnêteté de dire les limites de cette évaluation, et de ne jamais prétendre pouvoir prédire ce qui se passera dans une ou deux générations.

L’interrogation qui, à mon sens, suscite trop peu de réflexion est celle relative aux conséquences de la diffusion très rapide et à très grande échelle d’une innovation, quelle qu’elle soit, OGM ou non. Prenons l’exemple de l’huître triploïde : s’il n’y a plus d’huître que celle-là, et si un virus l’attaque, le risque est très élevé que le cheptel disparaisse. De même, s’il apparaît soudain que le patrimoine génétique du taureau Jupiter, qui a eu 150 000 descendants, présente une anomalie génétique, la diffusion de cette anomalie sera très rapide et très large. On évalue mal les effets de l’uniformisation des produits alimentaires. La nouveauté, ce n’est pas la technique diététique, c’est la rapidité et l’ampleur de la diffusion des innovations, et il faudrait s’interroger davantage sur le rythme de franchissement des étapes depuis la découverte en laboratoire. Une anomalie sur un produit diffusé à un cinquième de la population mondiale pourrait entraîner d’importants déséquilibres.

M. le Président : De multiples études bénéfices/risques ont été conduites partout dans le monde mais, exception faite du coton, pour lequel il est établi que l’emploi d’OGM diminue effectivement la quantité d’insecticides utilisés, on n’a toujours pas de réponse claire sur le point de savoir si la culture d’autres plantes génétiquement modifiées induit une moindre utilisation de pesticides. Comment expliquer cela ?

M. Maxime SCHWARTZ : Les études américaines portant sur le coton Bt ont montré qu’il entraîne une forte diminution de l’utilisation de pesticides. La différence est beaucoup plus marginale pour le maïs Bt, parce que les agriculteurs américains utilisent peu de pesticides pour traiter le maïs ; mais ce n’est pas forcément le cas ailleurs.

M. Martin HIRSCH : Je rappelle que l’on est incapable de connaître le tonnage de pesticides utilisé en France, sauf à convaincre les fabricants de nous communiquer le volume de leurs ventes : quatre ans après la décision de le créer, l’Observatoire des résidus de pesticides n’existe toujours pas, faute de texte, faute de moyens, mais pas faute de groupes de pression… ce qui est absolument anormal. De surcroît, les produits phytosanitaires étant toujours plus puissants, on ne pourrait déterminer avec certitude si un tonnage moindre au fil des ans ne s’explique pas par la puissance décuplée des produits utilisés. En bref, s’agissant des produits phytosanitaires, dont on dit pourtant qu’ils peuvent présenter un risque sanitaire pour les exploitants agricoles, pour les consommateurs et pour les salariés des fabricants, on ne sait ni d’où l’on part ni où l’on va, faute d’outils de mesures et de données… C’est à se demander si les enseignements d’un certain passé ont été tirés.

M. le Président : A supposer que les conditions de culture idéales soient réunies, entre l’utilisation de pesticides et des OGM, que choisiriez-vous ?

M. Maxime SCHWARTZ : A titre personnel, je choisirais les OGM, car je tiens pour hautement probable que l’exposition aux pesticides n’est pas très bonne pour l’homme et pour l’environnement alors qu’en revanche, de ce que je connais, je ne vois pas d’arguments démontrant un risque induit par les OGM. C’est pourquoi je préférerais manger des OGM que des produits traités par pesticides.

M. Francis DELATTRE : Ah ! Je ne suis plus tout seul !

M. Martin HIRSCH : Je pense que ce sera fromage et dessert ! Je crains, en effet, que ce choix-là ne nous soit pas offert. Si, pour rendre un végétal résistant à tout, il faut insérer 25 gènes différents dans son patrimoine génétique, on obtiendra des résistances croisées. Il faudra, de toute façon, continuer d’utiliser, aussi, des produits phytosanitaires.

M. Louis GUÉDON : Quels sont les effets du métabolisme de dégradation des OGM ingérés ?

M. Maxime SCHWARTZ : Les protéines insérées dans les plantes transgéniques sont identiques aux autres, elles n’ont pas de propriétés particulières et se dégradent comme les autres.

M. Louis GUÉDON : Leur ingestion ne présente donc pas de risques pour l’être humain ?

M. Maxime SCHWARTZ : Nous n’avons pas mis en évidence de risques pour la santé animale. Mais, a priori, ce ne sont pas des protéines à risque.

M. Louis GUÉDON : Qu’advient-il si ces protéines passent la barrière intestinale ?

M. Maxime SCHWARTZ : Très peu de protéines passent la barrière intestinale. Dans les organismes animaux, ces protéines sont détruites comme les autres. Le risque est donc a priori très faible, et tout est fait pour mesurer s’il existe ou non.

M. le Président : Le prion n’est-il pas une protéine ? Or, le prion est passé…

M. Maxime SCHWARTZ : Il ne passe pas forcément : il a pour effet de modifier la conformation des cellules intestinales.

M. Martin HIRSCH : La crise due au prion a montré la difficulté de mettre au point un système de surveillance efficace pour un risque nouveau car, pour chaque cas d’ESB détecté chez l’animal, on passait à côté de milliers d’autres cas, faute de système de surveillance…Cela incite à quelque modestie et surtout à se féliciter que la barrière d’espèce soit un peu élevée. On estime en effet à quelque 30 000 le nombre de bovins infectés, qui sont passés dans la chaîne alimentaire à l’époque où la détection n’était pas faite, et peu de nos concitoyens semblent avoir été infectés.

M. le Rapporteur : Les Américains ont-ils admis le principe de l’utilisation des OGM une fois pour toutes, ou des avis sont-ils toujours obligatoires préalablement à la mise d’une nouvelle protéine sur le marché ?

M. Martin HIRSCH : Les OGM pouvant être mis sur le marché aux Etats-Unis sans le feu vert de la FDA6, ils n’ont pas tous été évalués au préalable.

M. Francis DELATTRE : Et les Américains en mangent depuis neuf ou dix ans !

M. le Président : De nombreux OGM sont déjà utilisés de par le monde, pour la plupart dans l’alimentation des animaux. Dans quels types d’aliments destinés à l’homme en trouve-t-on, et où ? Et ces produits, qui devraient alors être étiquetés, conformément à la réglementation européenne, sont-ils importés en France ?

M. Martin HIRSCH : S’agissant de l’étiquetage, je suis persuadé que le seuil de 0,9 % ne tiendra pas longtemps, car on s’aperçoit déjà qu’on est incapable de le vérifier matrice alimentaire par matrice alimentaire. Aussi est-il très probable que dans un, deux ou trois ans, on s’apercevra que les aliments en contiennent, en fait, 1,5 %, 2 % ou 3 %... A ce moment-là, il est possible que l’on crie au scandale et que l’on demande de redescendre au seuil de 0,9 %. Mais les fabricants expliqueront que cela coûtera une fortune, parce qu’il faut séparer les filières, laisseront entendre que les consommateurs n’accepteront jamais une hausse des prix de grande ampleur… et l’on acceptera que le seuil passe à 3 %, en expliquant : « Vous en avez mangé et vous n’en êtes pas morts »… Cette fiction a de grande chance de se réaliser : il faut avoir conscience que c’est le seuil qui fait franchir la porte.

M. Maxime SCHWARTZ : Pour ce qui est de l’alimentation humaine, le maïs génétiquement modifié a été formellement accepté par l’Union européenne, mais il y a aussi des OGM dans l’huile de colza, le soja et les amidons.

M. le Président : Mais les fabricants n’en veulent pas pour l’alimentation humaine ?

M. Maxime SCHWARTZ : Ils n’en veulent pas en France, en raison des réactions que cela suscite. Mais, aux Etats-Unis, on en mange ! Si l’on s’en tient au rapport risque/bénéfice, il faut dire à la fois qu’aucun problème de santé n’a pu, jusqu’à présent, être attribué à la consommation d’OGM, et que l’on ne sait pas quels risques chercher, puisqu’ils sont, à ce jour, totalement hypothétiques. On est donc dans le domaine de la précaution. En revanche, la recherche des bénéfices éventuels est plus facile et on pourrait essayer de faire une évaluation quantitative des bénéfices.

M. le Président : Messieurs, je vous remercie et je propose que l’AFSSA soit représentée à l’une des tables rondes contradictoires que nous avons prévu d’organiser dans le cadre de nos travaux.

Audition de Mme Marion GUILLOU,
présidente de l’Institut national de recherche agronomique (INRA)


(extrait du procès-verbal de la séance du 24 novembre 2004)

Présidence de M. Jean-Yves LE DÉAUT, Président

M. le Président : Nous remercions Mme Marion Guillou d’être venue, accompagnée de M. Guy Riba et de M. Patrick Flammarion, devant la mission d'information sur les conséquences environnementales et sanitaires des autorisations d'essais d'organismes génétiquement modifiés. Je précise que notre champ d’investigation sera peut-être prochainement élargi, comme nous l’avons suggéré hier au Président de l’Assemblée nationale, aux conséquences économiques et juridiques des essais et de l’utilisation des OGM.

Ces premières « auditions privées » ont pour but de nous aider à nous approprier le sujet en entendant toute une série de responsables d’institutions et d’organismes ; c’est ce titre que nous vous avons demandé, Mme la présidente, de venir répondre à nos questions.

Mme Marion GUILLOU : Les organismes génétiquement modifiés répondent à une définition réglementaire très précise, fruit de longues négociations au niveau communautaire. Les OGM sont d’abord pour nous un outil de recherche. Nos laboratoires les utilisent très largement pour comprendre la fonction des gènes en les éteignant ou, à l’inverse, en les surexprimant afin de découvrir quel gène ou quel ensemble de gènes est à l’origine de telle fonction dans un environnement donné. Toutes ces manipulations aboutissent à la création de plantes, de microbes et parfois même d’animaux expérimentaux.

Cela se traduit par de très nombreux essais d’abord en laboratoire, après autorisation du ministère de la recherche sur avis de la commission du génie génétique, à laquelle les chercheurs adressent les demandes d’autorisation. Pour les plantes, si la dimension de l’essai s’élargit, nous passons aux essais en serres, de taille croissante. Enfin, dans quelques cas, peu nombreux mais parfois utiles, nous passons aux essais en champ.

Nous défendons la possibilité d’expérimenter en champ les plantes génétiquement modifiées, dans le respect du principe de parcimonie, autrement dit, sous réserve d’avoir préalablement déterminé les effets prévisibles en laboratoire et en serre, les questions à explorer et les précautions à prendre. C’est ce que nous avons fait pour le projet d’essai en champ du plant de vigne génétiquement modifié qui, finalement, ne nous a pas été autorisé, mais qui se présentait sous la forme de cinquante bois de vigne génétiquement modifiés au milieu de 1 500 pieds non génétiquement modifiés. Les conditions scientifiques arrêtées par les chercheurs avaient été renforcées par une série de précautions très strictes, à la demande du voisinage, entendu dans le cadre d’un comité de suivi local. Autrement dit, tout en étant prêts à répondre aux légitimes inquiétudes de la société, nous devons rester en mesure de procéder à des essais en champ, faute de quoi nous serons incapables de nous prononcer dans des enceintes internationales sur l’intérêt et les conditions des expérimentations et autorisations d’OGM. Interdire les essais en champ des OGM en France revient à donner le monopole de la connaissance à d’autres, qui sont loin de se les interdire – on compte plus de 65 millions d’hectares d’OGM dans le monde ! – et à nous priver de toute capacité d’expertise sur le plan international. Or il est du rôle d’un organisme public de recherche d’appuyer les pouvoirs publics et de leur donner les moyens de participer aux discussions internationales.

L’INRA applique très scrupuleusement le principe de parcimonie : nous n’avons actuellement qu’un seul essai en plein champ – en fait deux, mais sur la même espèce et au même endroit – sur peuplier à Orléans, en terre depuis une dizaine d’années. Il faut du temps pour voir les propriétés d’un arbre s’exprimer… Ce peuplier a été génétiquement modifié afin de faciliter l’extraction de la lignine et de réduire l’utilisation de produits chimiques dans le processus de transformation du bois en pâte à papier.

Je voudrais insister sur le fait que les OGM – plantes, microbes ou animaux pour ce qui concerne l’INRA – sont un outil de recherche extrêmement courant dans nombre de laboratoires pour des expérimentations à finalité agronomique ou médicale, mais également pour des travaux de recherche fondamentale. En serres ou en animaleries, les essais, moins nombreux, sont également soumis à autorisation. En champ, ils sont très peu fréquents, mais il est indispensable de les maintenir dans des cas très particuliers et pour répondre à des questions bien précises.

Les OGM jouent également un rôle évident dans l’innovation. Une innovation peut être définie comme un objet social dont l’existence suppose une autorisation et dont le but final est la mise en marché.

L’autorisation est un processus en plusieurs phases, dont la première est la phase d’évaluation préalable des risques alimentaires – qui relève de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) – et environnementaux – laquelle relève de la Commission du génie biomoléculaire. Vient alors la phase de la décision éventuelle, prise à l’échelon national s’il s’agit d’un essai, à l’échelon communautaire dans le cas d’une mise sur le marché. Une fois la décision acquise, les OGM doivent répondre à une troisième exigence spécifique : ils sont soumis à un suivi de biovigilance dont le but est d’observer les éventuels phénomènes survenant lors de la culture et qui n’auraient pas été anticipés au moment des phases d’évaluation et d’autorisation. Se pose enfin la question, qui ne concerne en rien l’INRA, de savoir si le marché est ou non demandeur de l’OGM en question.

L’INRA est appelé à intervenir à plusieurs titres, ne serait-ce qu’en tant qu’employeur de chercheurs : un tiers des experts individuels mobilisés par l’AFSSA sont des scientifiques de l’INRA. Nos chercheurs participent très largement à nombre d’organismes, commissions et comités d’évaluation nationaux, européens et internationaux, dans lesquels on s’attache à respecter les trois principes de l’expertise, laquelle doit être pluridisciplinaire, contradictoire et transparente.

Nos chercheurs, dans le cadre de ces instances, et non l’Institut en tant que tel, participent ainsi largement à l’évaluation des risques, par le biais d’études au cas par cas portant sur les risques environnementaux et alimentaires. Mais il paraît de plus en plus difficile de procéder à une évaluation digne de ce nom – quel que soit son objet, du reste, OGM, médicament ou produit phytosanitaire – en ne regardant que la partie risques et non la partie bénéfices. Un risque en soi, si minime soit-il, ne sera jamais accepté si le produit évalué ne fait pas apparaître un bénéfice avéré. Il serait utile d’indiquer explicitement, dans le dispositif communautaire, comme dans le dispositif national, que l’évaluation doit réellement porter sur le couple « risque/bénéfice », c’est-à-dire apprécier le risque comparé avec le bénéfice avéré de l’objet évalué.

L’approche systémique ne doit pas non plus être ignorée. Il faut se demander quelles conséquences entraînera, dans un système de culture donné, l’introduction d’une plante génétiquement modifiée, non pas en tant que telle, mais au regard du système de culture considéré et des surfaces plantées – en termes, par exemple, de résistance ou de tolérance ? Ainsi, une plantation génétiquement modifiée à 100 % pour résister à la pyrale n’induira-t-elle pas de nouvelles résistances chez le ravageur ? Ne faut-il pas, dès le stade de l’autorisation, prévoir des recommandations et des limites de mise en culture ?

Parallèlement à ce rôle d’évaluation, l’INRA conduit bon nombre de travaux de recherche visant à mettre au point des méthodes de sélection ou à améliorer la connaissance des gènes et de leur expression – ce que l’on appelle la génomique et la post-génomique. Nous travaillons en ce moment sur des alternatives aux techniques de génie génétique afin que la France ne soit pas totalement dépassée dans ce domaine. Nos équipes de sociologues s’attachent également à étudier les demandes et les réactions de notre société à ces innovations radicales. Nous avons, par exemple, conduit une étude sociologique de ce genre à propos du porte-greffe de vigne résistant au court noué, afin de répondre aux préoccupations, exprimées par un groupe ouvert, en entourant la mise en place de l’expérimentation en cause des précautions adéquates.

Enfin, nos économistes mènent des recherches sur les structures des entreprises, sur le droit de la propriété intellectuelle et ses différentes pratiques, sur la circulation de la connaissance ou encore sur la répartition de la plus-value dans les filières, sans oublier d’autres études sur l’environnement et l’agronomie – flux de gènes entre cultures, architecture d’implantation des cultures et effet sur les transferts de gène – qui ne sont pas limitées aux seuls OGM. Les résultats de toutes ces expériences sont à votre disposition. Précisons que ces travaux sont souvent menés à l’échelon communautaire.

Il est à noter qu’un de nos chercheurs participe au réseau européen chargé de mettre au point des méthodes de détection des OGM dans les différents supports et coordonne le réseau français correspondant. Nous vous communiquerons les coordonnées des équipes concernées qui pourront venir devant vous ou vous remettre une contribution écrite.

Comme tout sujet scientifique, mais celui-là est particulièrement révélateur, les OGM sont sources de tensions à reconnaître et à instruire.

Première tension : entre le public et le privé. L’INRA, organisme public de recherche, a entre autres missions celle de l’appui à l’expertise publique, mais également celle de contribuer à l’innovation par le biais de contrats de recherche avec des opérateurs industriels et professionnels. Comment concilier la participation à l’expertise publique et les contrats avec des entreprises privées ? Précisons que bon nombre de semenciers français sont sous statut coopératif, comme c’est le cas de Limagrain, par exemple.

Lorsqu’on est membre d’une communauté de 11 000 personnes, il n’est pas surprenant d’avoir deux métiers. Reste à organiser cette cohabitation, à l’expliciter, à en reconnaître les contraintes et les difficultés afin d’éviter les conflits d’intérêts et les contestations.

Deuxième tension : entre l’expert et le demandeur. Nos spécialistes participent aux comités d’expertise et d’évaluation ; or il peut arriver que les mêmes, ou plus souvent leurs collègues, sollicitent des autorisations d’expérimentation en laboratoire, en serre ou en champ… Cette contradiction existe dans tous les domaines, mais les OGM, du fait de leur caractère paroxystique, la mettent d’autant plus en lumière.

Troisième tension : sur la répartition des moyens. Comment arbitrer de manière à peu près équilibrée entre la « biologie moderne à haut débit » la génomique, la post-génomique, très coûteuses et la biologie classique, les sciences intégratives et la physiologie ? Nous avons choisi de continuer dans les deux voies, ce qui suppose une grande exigence dans les choix.

Dernière tension : entre les différents types d’agriculture. Agriculture biologique : lutte intégrée, agriculture raisonnée ; agriculture classique : autant de modèles techniques, économiques, sociaux différents sur lesquels un institut de recherche agronomique se doit de travailler.

Toutes ces tensions se retrouvent pour chaque innovation, mais elles s’expriment de manière exacerbée avec les OGM. Elles exigent de notre part un effort de précaution sur le plan déontologique comme sur celui de notre organisation interne. A cette fin, toute une série de processus ont été mis en place, ou sont en passe de l’être, par l’INRA.

L’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques a déjà eu l’occasion de débattre de la propriété intellectuelle, des brevets, des certificats d’obtention végétale, des limites et des avantages des brevets dans le domaine des biotechnologies, autant de sujets qui, dès lors que l’on parle du vivant, exigent une explicitation a priori. Le droit est finalement venu rejoindre la position défendue par l’INRA, qui s’était interdit de breveter des séquences brutes de gènes, considérant que le seul fait de réussir à les lire n’était pas un acte d’invention. Les offices de brevets ont finalement fait marche arrière et nous avons pu expliciter nos positions en la matière (limites de l’utilisation des brevets et autres systèmes de protection, politique de licence et de diffusion…). A noter que, dans le programme Génoplante, nos partenaires professionnels ont accepté sans trop de difficultés le principe de licences gratuites ou à prix très avantageux pour les agricultures dites pauvres. Nous avons bien entendu prévu une série de critères propres à éviter les détournements et notamment une définition des agricultures pauvres, grâce au concours du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD). Une charte de la propriété intellectuelle a pu ainsi être adoptée, fruit d’un long travail commencé au niveau de notre comité d’éthique, puis dans le cadre du conseil scientifique et au sein de l’institut lui-même, jusqu’à son adoption par le conseil d’administration il y a un an.

Dans le même esprit, l’élaboration d’une charte de partenariat est en cours. Le but est de savoir comment choisir ses interlocuteurs, selon quelles modalités de financement, avec quel partage des résultats, etc. Là encore, ce long processus d’explicitation, sur des questions peu évidentes, a commencé par un avis du comité d’éthique.

Une réflexion sur l’expertise a été également lancée. Nos experts, à titre individuel, étaient évidemment tenus au respect des règles déontologiques des agences dans lesquelles ils sont amenés à travailler. La question restait posée au niveau de l’institut lui-même, qui peut tout à la fois être demandeur d’autorisation et partie prenante à l’expertise.

Notre comité d’éthique s’est également penché sur les questions que les plantes génétiquement modifiées pouvaient poser à un organisme de recherche tel que l’INRA par la rupture qu’ils introduisaient, par leurs effets intrinsèques et extrinsèques, attendus et non attendus, connus et non connu, évalués a priori ou non, etc. Le Comité d’éthique et de précaution pour les applications de la recherche agronomique (COMEPRA) a finalement conclu, dans ses recommandations à l’institut, que nous devions poursuivre des recherches sur les OGM, mais à condition d’en arrêter précisément les thèmes et les objectifs. Rappelons que ce comité d’éthique est composé de personnalités externes à l’INRA, philosophes, économistes et autres, qui ont produit en deux ans sur le sujet un travail très original et approfondi.

M. le Président : Certains d’entre nous en ont eu connaissance, mais il serait bon de le faire connaître à tous nos collègues.

Mme Marion GUILLOU : Bien volontiers. Le texte n’est pas toujours facile à lire, mais c’est une approche des OGM très novatrice, ni pour ni contre, qui s’attache à montrer à quel point cette innovation impose de nouvelles démarches, et à proposer des pistes originales.

L’arbitrage sur la répartition des moyens financiers, évoquée plus haut, s’appuie souvent sur la réflexion conduite par notre conseil scientifique. La question des différents types d’agriculture relève plutôt de la compétence de notre conseil d’administration.

Le contenu de la charte de propriété intellectuelle de l’INRA est évidemment public. Tous ces documents sont consultables sur Internet. Je vous recommande en particulier de lire attentivement l’avis du comité d’éthique et de précaution de l’INRA sur les OGM, que nous avons rendu public le 21 octobre dernier. Diffusez-le, discutez-en et faites-en le meilleur usage. Je rappelle que c’est un avis totalement indépendant, qui a même choqué plusieurs de nos scientifiques. Nous tiendrons sur ce sujet un colloque interne associant toutes nos instances – comité technique paritaire, conseil scientifique, conseil d’administration et chercheurs – le 9 décembre prochain. Cette discussion sera le point de départ d’un travail qui se conclura d’ici à quelques mois par une décision du conseil d’administration sur ce que fera l’INRA dans le domaine des OGM et dans celui des techniques alternatives au génie génétique.

M. le Président : Vous nous avez parlé des travaux de l’INRA sur les plantes transgéniques mais pas des autres secteurs d’expérimentation. L’INRA travaille-t-il sur les animaux transgéniques, sur les micro-organismes génétiquement modifiés, et dans quels secteurs ?

Vous avez, tout en insistant sur le respect du principe de parcimonie, défendu avec une certaine solennité la nécessité pour la recherche de mener, après les essais en laboratoire et en serre, des expérimentations en plein champ. Or nous avons entendu dire hier que la plupart des demandes d’autorisations déposées auprès de la CGB ne concernaient pas des expérimentations, mais bien des essais de développement pour le compte d’entreprises. Partagez-vous cet avis ?

Enfin, votre essai en plein champ détruit en Ariège visait précisément à étudier les effets de la transgénèse sur l’environnement. Pourquoi ne l’avez-vous pas repris ?

Mme Marion GUILLOU : Guy Riba, qui vient d’être nommé directeur général délégué de l’INRA, n’a pas pour autant oublié tout ce qu’il sait sur les plantes… Il complétera mes propos.

Je me suis effectivement laissé entraîner en ne vous parlant que des plantes… Nous menons effectivement des recherches en laboratoire sur les microbes et les animaux, qu’il s’agisse des techniques de transgénèse sur les oiseaux et les poissons, de mise au point d’animaux transgéniques à des fins de recherche fondamentale en physiologie et physiopathologie, de la « souris rapide » – génétiquement modifiée pour servir de test aux prions ovin, bovin et humain –, des animaux génétiquement modifiés servant de modèles pour les recherches sur les maladies humaines – surdité, mucoviscidose, artériosclérose, fertilité – ou encore de la production, par le biais du lait, de protéines d’intérêt médical ou vétérinaire, de l’éventuelle transplantation d’organes – à la demande de l’INSERM – ou des études sur les résistances à certaines maladies essentielles dans le secteur de l’élevage. Nous pouvons vous transmettre une liste détaillant les expériences, les animaux et les objectifs. Cela dit, il n’est pas question, pour l’instant, que ces animaux aillent ailleurs que dans le laboratoire… Précisons que, souvent, ces laboratoires n’appartiennent pas à l’INRA, mais à des sociétés de biotechnologie auxquelles nous avons cédé la licence du procédé en question.

Nous menons également des travaux sur des microbes génétiquement modifiés, soit pour en comprendre le fonctionnement, soit pour leur conférer une propriété particulière.

M. le Président : Pourrions-nous avoir la liste complète de toutes ces manipulations et de leurs objectifs ? Il n’y a plus qu’un seul essai en champ sur le peuplier et on ne parle que de cela… Il serait bon de les faire figurer en annexe de notre rapport.

Mme Marion GUILLOU : En tant que présidente d’un organisme publique de recherche, je crois indispensable de préserver la possibilité en France de réaliser des essais en champ. L’INRA n’en a plus qu’un, ou plus exactement deux, puisqu’il y a deux objectifs de recherche sur la même espèce et sur des parcelles adjacentes, à Orléans. Le jour où les organismes publics français de recherche n’auront plus le droit de faire des essais en champ, il ne sera plus question d’ouvrir la bouche dans les instances internationales… Notre crédibilité sera proportionnelle au nombre d’essais pratiqués ! Ce serait grave pour la voix de la France.

M. Guy RIBA : D’ores et déjà, sans même être interdits d’essais en champ, nos chercheurs ne sont guère enclins à en faire… Pourquoi n’avoir pas remis en place l’essai de colza détruit dans l’Ariège ? Tout simplement parce que nos chercheurs ne le veulent pas. Parce que ceux-là mêmes qui l’ont détruit étaient ceux qui avaient soulevé la question des OGM en 1995. A cette époque, ils nous avaient aidés en nous obligeant à nous poser des questions qui jusqu’alors ne nous paraissaient pas prioritaires. Entre 1996 et 2000, la contestation des OGM a joué un rôle moteur et mobilisateur : on a compté jusqu’à 150 essais d’OGM en France. C’est alors que ceux-là mêmes qui nous avaient posé les questions se sont mis à nous empêcher d’y répondre en détruisant les champs et les essais de modélisation ! Pour étudier, par exemple, les flux de pollinisation et de contamination dans les maïs, il suffit d’utiliser des maïs bleus, qui existent naturellement. Mais dans d’autres cas, on a besoin d’OGM.

Le cas de la vigne de Colmar est particulièrement révélateur. Jamais essai n’avait été si soigneusement préparé et concerté. Que pouvait-on faire de plus pour éviter tout risque ? Il s’agissait d’un porte-greffe, c’est-à-dire d’une plante sans feuilles, sans fleurs, sans pollen, cultivée sur une surface pas plus grande que la moitié de cette salle, bâchée de surcroît ! Non seulement tout a été arrêté, mais nous nous retrouvons définitivement sans possibilité de recommencer. Le résultat est que cet essai n’aura plus jamais lieu en Europe, et que le chercheur qui le dirigeait a trouvé un poste de professeur à l’université de Cornell et ira refaire l’essai aux Etats-Unis !

Pour le colza, nous avions besoin d’espace et de temps à un certain stade de notre expérimentation. Il s’agissait, en l’occurrence, de vérifier s’il s’hybridait avec des crucifères sauvages. Nous avons découvert en serre que c’était le cas. Restait à déterminer l’ampleur que pourrait prendre le phénomène dans la nature. En attendant, le comité de biovigilance ne peut se référer qu’à des essais de très petite taille pour répondre à des questions tout à fait pertinentes, mais qui exigeraient des essais à plus grande échelle. On est en train de rendre le système de recherche complètement absurde.

Etre pour les essais ne veut pas dire que l’on est pour la culture des OGM. Il faut séparer le débat sur les cultures et le débat sur les essais. Les essais, parce qu’ils servent à produire des connaissances, sont un bien public. Il serait, du reste, utile d’exiger que tous les résultats soient rendus publics, ce qui n’est pas le cas actuellement. Mais en les interdisant, on franchit la ligne jaune.

M. le Président : A-t-on pu mesurer les conséquences de cette situation sur le nombre de jeunes qui choisissent les filières de biologie végétale et de chercheurs qui s’engagent dans ces filières à l’INRA ou dans les universités ?

Mme Marion GUILLOU : La corrélation n’est pas évidente et supposerait des entretiens approfondis. A croire un rapport de l’Académie des Sciences, le nombre de bacheliers scientifiques continuerait globalement à augmenter. Celui des inscriptions en filières courtes
– IUT, BTS – s’accroît régulièrement, celui des classes préparatoires en grandes écoles reste constant, mais celui des inscriptions en facs de science a chuté de 24 %, alors qu’il est en pleine croissance pour les filières économiques et commerciales… Cela répond seulement pour partie à votre question.

M. Pierre COHEN : Ce n’est pas aussi évident…

Mme Marion GUILLOU : En effet, et c’est pourquoi je n’en dis pas plus. Les paramètres sont très nombreux. Le nombre des inscriptions en biologie végétale serait aussi un élément objectif. Il serait en diminution. Mais il faudrait interroger les étudiants pour savoir pourquoi ils n’ont pas choisi cette filière. Reste que, du fait de la violence ambiante, des arrachages, des menaces sur les personnes, etc., nos chercheurs se détournent du génie génétique. Rares sont à l’INRA les chercheurs végétalistes disposés à travailler sur les OGM ! C’est compréhensible : nos scientifiques sont poussés par le plaisir intellectuel, le désir d’être utile au développement et à la diffusion des connaissances, ce ne sont pas des combattants… Bon nombre de nos seniors ont préféré abandonner.

M. Guy RIBA : Du côté des scientifiques, la corrélation n’est effectivement pas évidente. Mais du côté du secteur privé, c’est parfaitement clair : pratiquement toutes les entreprises ont préféré s’installer ailleurs. Pour être parfaitement honnête, le phénomène n’est pas propre à la France : il sévit avec la même intensité en Angleterre, par exemple. Les entreprises semencières françaises et anglaises ont toutes, sans exception, mis en place des unités expérimentales et des laboratoires de recherche aux Etats-Unis. Le débat autour des OGM a clairement mis un point d’arrêt au développement de la recherche privée dans ce domaine.

M. le Rapporteur : Vos propos sont très intéressants. Nous avons eu durant un temps l’impression que les Français étaient pratiquement tous anti-OGM, faute de voir les pro-OGM et les chercheurs s’exprimer sur le sujet… Est-ce vous qui vous êtes mal exprimés, ou bien les médias ont-ils insuffisamment rapporté vos positions ?

M. Guy RIBA : Depuis le temps que l’on nous reproche de mal communiquer, je ne sais plus ce qu’il faut dire ni comment le dire ! Nous sommes désavantagés par un déséquilibre sémantique évident : lorsqu’on est contre quelque chose, il suffit d’un quart de seconde pour dire non. Mais comment expliquer, non pas que l’on est pour à 100 %, mais que c’est compliqué, parfois oui, parfois non, que la problématique des essais est différente de la problématique des cultures, etc., durant les dix secondes qu’on vous accorde au journal télévisé ?

Mme Marion GUILLOU : Après la destruction des caféiers du CIRAD en Guyane, nous avons publié un communiqué de presse avec le CIRAD, l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et le Centre national de recherche scientifique (CNRS). En avez-vous entendu parler ? Non. Ou bien nous sommes mauvais, ou bien nous ne sommes pas repris…

M. le Rapporteur : Y aurait-il un manque d’objectivité dans les médias ?

Mme Marion GUILLOU : Pas à proprement parler. Disons que ce n’est pas assez spectaculaire…

M. Louis GUÉDON : Vous ne créez pas l’événement…

M. Guy RIBA : Exactement. Sauf le jour où les chercheurs descendent dans la rue.

M. le Rapporteur : Est-il arrivé qu’un essai de l’INRA n’ait pas été autorisé par la Commission de génie biomoléculaire ?

M. Guy RIBA : Cela nous est arrivé pour un prunier résistant à la sharka. Nous avions trouvé, en cherchant dans nos ressources génétiques – la France a une politique remarquable dans ce domaine – des variétés ancestrales résistantes pour l’abricotier, mais pas pour le prunier. Faute de pouvoir trouver un produit capable de détruire le virus, nous n’avions pas d’autre solution que de mettre au point un prunier transgénique, en collaboration avec les Américains. Mais la CGB a refusé notre demande d’autorisation d’essai en champ – non sans raison, d’ailleurs, puisque nous avions nous-mêmes démontré la difficulté à limiter le flux du pollen. L’INRA a aussitôt dénoncé sa contribution aux programmes européens dans lesquels il était partie prenante et en a prévenu tous ses partenaires, notamment d’Europe de l’Est. Aucun essai n’a donc été conduit en France, ni en Pologne, ni en Hongrie. Aux Etats-Unis, en revanche, la variété est d’ores et déjà brevetée…

Nous analysons également la pertinence de nos propres essais, et ce dès le stade du laboratoire, au vu de critères économiques, environnementaux et agronomiques. Ainsi, nous avons stoppé les essais sur une variété de pomme de terre transgénique mise au point par une de nos équipes en Bretagne : elle était résistante, mais à un seul virus, de sorte que l’agriculteur était toujours obligé de traiter ses pommes de terre contre les pucerons, vecteurs de propagation des autres virus. La variété transgénique n’apportait donc aucun progrès. Nous avons fait de même pour les recherches sur un colza capable de produire de l’acide palmitique, estimant qu’un organisme public n’avait pas à s’impliquer dans une recherche qui, outre son caractère non prioritaire, serait contraire aux intérêts des pays en voie de développement, où l’huile de palme constitue une source de revenus très importante.

M. le Rapporteur : Avez-vous élaboré un cahier des charges indiquant notamment les distances à respecter entre les cultures ?

Mme Marion GUILLOU : La CGB a publié des normes très précises sur les distances d’isolement, directement tirées des travaux des organismes de recherche. Elle impose de surcroît la mise en place de plants non génétiquement modifiés autour des plantations génétiquement modifiées, afin qu’ils jouent le rôle de pièges à pollen : c’est ce que nous avions prévu pour notre essai de vigne, qui nous a été finalement refusé. Pour chaque essai, les conditions agronomiques à respecter dépendent totalement des taux de croisement tolérables pour les cultures voisines.

M. Guy RIBA : Les normes d’isolement mises en place pour un essai sont particulièrement drastiques et il ne tient qu’à vous d’ailleurs d’être encore plus exigeants sur l’évaluation des informations. Il faut donc continuer dans ce sens pour réduire les risques au maximum mais il ne faudrait pas en conclure qu’il sera facile d’isoler une production commerciale. Ce sera possible car les agriculteurs sont déjà capables de produire des variétés différentes en garantissant un taux minimum de mélange. Mais il s’agit alors de productions d’excellente qualité et à très haute valeur ajoutée. Autrement dit, les agriculteurs acceptent la contrainte parce qu’ils y trouvent un intérêt direct lié à la plus-value de la production. Mais qu’en sera-t-il avec les OGM ? Ces conditions de culture ont un coût. De celui qui veut produire des OGM et de celui qui n’en veut pas, qui acceptera la contrainte ? Techniquement, c’est possible mais économiquement, ce sera plus difficile…

M. le Rapporteur : Les séquences génétiques sont-elles toujours brevetées aux Etats-Unis ?

Mme Marion GUILLOU : Leur jurisprudence serait, paraît-il, en train d’évoluer. Vous devriez poser la question à l’Office européen des brevets ou à l’Institut national de la propriété intellectuelle (INPI). L’Office européen est déjà revenu en arrière et les autres pays du monde commencent à changer leur pratique.

M. Guy RIBA : On peut breveter une séquence dont on a démontré une fonction que l’on revendique pour une application. Si vous avez la même séquence et la même fonction, mais pour une autre application, tant mieux pour vous…

Mme Marion GUILLOU : C’est le principe que l’INRA s’est imposé, mais pas celui retenu par l’Office européen des brevets, qui retient le principe d’une séquence et d’une fonction utilisables dans toutes les applications. Nous ne nous sommes imposé que le triptyque séquence(s) – fonction – application.

M. Guy RIBA : Il faut combattre le droit de dominance, trop fortement reconnu, notamment en droit américain.

M. le Président : Vous dites que l’essai de vigne viro-résistante vous a été refusé, alors qu’on nous a pourtant dit que le ministre de l’agriculture n’avait pas encore pris de décision…

Mme Marion GUILLOU : Sa lettre date du 22 novembre. L’essai n’a pas été interdit mais, très précisément, il n’a pas été « accepté », ce qui nous interdit effectivement de le faire puisque nos essais sont soumis à autorisation expresse.

M. le Président : Il s’agissait bien des porte-greffe que vous évoquiez tout à l’heure : cinquante plants entourés de plants non modifiés, sans possibilité de contamination, discussion préalable avec le voisinage, etc. Et tout cela vous a été refusé ?

M. Guy RIBA : Oui. Deux ans de travail !

Mme Marion GUILLOU : Cela n’a pas été « autorisé ».

M. Guy RIBA : Cela a causé un réel traumatisme parmi les chercheurs. Il suffit de lire leurs forums de discussion…

M. le Président : Pouvez-nous nous en faire parvenir des extraits ? La mission serait intéressée à les connaître.

M. Didier GROSDIDIER : Avec l’autorisation de leurs auteurs ?

Mme Marion GUILLOU : Les forums sont régis par des règles d’utilisation très strictes. Mais nous pouvons leur transmettre votre requête.

M. Guy RIBA : Nous pouvons suggérer aux participants qui le souhaitent d’en envoyer copie à la mission.

M. Pierre COHEN : Vous avez clairement expliqué que, sans autorisations d’essais en plein champ, la recherche sera stoppée et la France, puis l’Europe, seront écartés. Vous avez longuement parlé des plantes génétiquement modifiées, mais très peu des animaux. La principale motivation, dans le domaine des plantes, semble d’ordre économique et s’apparente, qu’on le veuille ou non, à une course aux rendements. Cela peut expliquer la réticence du public à accepter les risques liés à des opérations de nature mercantile. En revanche, pour ce qui touche aux animaux génétiquement modifiés utilisés en laboratoire, vous avez pu citer en quelques secondes une liste impressionnante d’expérimentations dont les retombées seront à l’évidence très positives pour les populations… La mise au point de plantes génétiquement modifiées est-elle donc à ce point dictée par une logique économique de rendement, ou peut-elle répondre à d’autres soucis d’intérêt plus général ?

Mme Marion GUILLOU : A l’évidence oui, et c’est bien la raison pour laquelle il faut exiger pour les OGM une évaluation « risque/bénéfice ». Imaginez que l’on examine les médicaments au regard du seul risque : aucun ne serait autorisé, car même l’aspirine est potentiellement porteuse d’effets secondaires ! Les risques doivent évidemment être identifiés, sans oublier la biovigilance pour détecter ceux qui ne l’auraient pas encore été au moment de la mise en place des cultures. Mais ils doivent être appréciés à l’aune du bénéfice, faute de quoi aucun risque ne pourrait être considéré comme « acceptable ».

On comprend dès lors la difficulté qu’il y a à défendre cette position dans un débat. Je ne suis ni pour ni contre les OGM. Je suis contre le fait qu’on leur ferme la porte. Affirmer que l’on n’aura jamais besoin d’une si puissante technique me paraît bien prétentieux. Toute la question est de savoir ce que l’on veut en faire. Etre pour ou contre un OGM résistant à la pyrale, on peut en discuter. Mais on ne peut pas être pour ou contre un OGM dans l’absolu.

Pour ce qui concerne l’INRA, on peut identifier des sujets d’intérêt, parmi lesquels, en premier lieu, la résistance aux parasites. La vigne résistante au court noué en est un exemple typique. Lorsqu’on n’a pas trouvé de variabilité génétique naturelle de résistance à un virus, la voie du génie génétique apparaît comme une évidence, et de nature à contribuer au bien public. Elle fait partie de la palette des techniques que nous entendons proposer à la société. D’où la nécessité, j’y insiste, d’introduire dans les réglementations française et communautaire la notion de rapport risque/bénéfice.

M. Guy RIBA : Existera-t-il des OGM améliorant les rendements ? Jamais. Les déterminants du rendement sont trop compliqués pour que l’on y parvienne avec les OGM. Aucun programme, pas même aux Etats-Unis, ne se fixe, d’ailleurs, comme objectif d’améliorer les rendements.

M. Pierre COHEN : C’est pourtant toujours ce genre d’objectif que l’on fait valoir…

M. Guy RIBA : Entendons-nous sur ce que signifie le mot « rendement » : jamais un OGM ne fera doubler le nombre des épis de maïs !

Marion Guillou a parlé du rapport risque/bénéfice. Avantages, inconvénients, auxquels j’ajoute une troisième notion : celle du comparatif.

Un hectare de vigne coûte entre 1 500 et 2 000 euros d’application de pesticides. La question n’est pas celle de savoir si je veux des vignes transgéniques résistantes à tel parasite, mais la suivante : si un jour cette vigne existe et me supprime 2 000 euros de frais de pesticides à l’hectare, la préférerai-je à l’actuelle vigne ? Je ne préjuge pas de la réponse. Mais c’est ainsi qu’il faut poser la question, avec les risques, les avantages et la comparaison par rapport à l’existant.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Ce sont d’abord les problèmes de dissémination qui nous préoccupent. Tout le monde peut admettre que les OGM puissent présenter des avantages mais on se heurtera toujours aux mêmes difficultés tant que l’on n’aura pas résolu la question de la dissémination. Je fais partie de ceux qui attendent des preuves scientifiques claires avant de laisser planter dans la nature des organismes génétiquement modifiés « sans aucun risque ». Or nous n’avons, sur le long terme, aucune certitude à cet égard.

Vous nous avez affirmé que les essais en plein champ étaient indispensables mais des chercheurs ont soutenu, ici même, que certaines techniques permettaient de s’en passer, grâce à des serres « grandeur nature », dans lesquelles on recréait les conditions de climat, de dissémination de pollen, dans la plus totale rigueur scientifique.

Mme Marion GUILLOU : Il faut de vraiment grandes serres…

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Certainement, mais on nous a assuré que c’était possible.

Vous avez souhaité une approche systémique et je suis bien d’accord, mais si vous la souhaitez, c’est que, pour l’heure, elle n’existe pas. Tant que nous ne l’aurons pas, nous n’aurons jamais de certitudes sur le long terme ni d’évaluation exacte du rapport risque/bénéfice.

M. Riba a lui-même reconnu, en parlant du prunier, que l’on ne savait pas limiter les flux de pollen. On ne le sait pas davantage pour le maïs…

M. Louis GUÉDON : Cela n’a rien à voir !

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : C’est très variable, je vous l’accorde, mais quelle que soit la plante, le pollen a vocation à se disséminer. Sur de plus ou moins longues distances, plus ou moins rapidement, je vous l’accorde aussi. Mais tout cela peut se calculer en serre. J’aimerais avoir de plus amples informations sur ce sujet.

M. François GUILLAUME : Je comprends et partage l’exaspération des chercheurs dont on a détruit les essais. Communiquer sur le sujet n’est pas facile mais à côté des journalistes « classiques » qui répercutent plus ou moins bien l’information, il existe des journalistes scientifiques. Êtes-vous en relation avec eux ? Pouvez-vous leur faire passer votre message ? Celui-ci n’est-il pas trop compliqué ? Le sujet est, il est vrai, complexe et votre prudence vous honore, mais elle n’en constitue pas moins une brèche dans laquelle les anti-OGM systématiques ne manquent pas de s’engouffrer.

Vous penchez-vous, en travaillant sur la transgénèse, sur les problèmes liés aux exigences en eau des plantes, à la salinité des sols, à la protection des graines face aux ravageurs durant le stockage, cause de la disparition de 25 % de la production mondiale de céréales ? Etudiez-vous également la faculté à capter directement l’azote de l’air, à l’instar des légumineuses, ce qui réduit d’autant les apports d’engrais et les pollutions induites ?

On parle effectivement peu de la transgénèse des animaux, mais elle me paraît plus porteuse de dangers et de dérives que la transgénèse végétale. Les pays étrangers moins réticents que nous sont-ils plus en avance dans ce domaine ? Pour ce qui est du secteur végétal, tous tenons encore la comparaison face aux Etats-Unis. Qu’en est-il pour le secteur animal ?

Mme Chantal ROBIN-RODRIGO : Aucun élu de la nation, qu’il soit de droite ou de gauche, n’aurait à l’idée de brider des essais scientifiques. Pour autant, il est du devoir de tout élu, mais également de tout citoyen, de s’assurer que les recommandations et précautions qui les entourent sont suffisantes. Or, au sein même de la communauté scientifique, nous entendons des avis totalement contradictoires. Hier encore, un membre du Comité de biovigilance nous a fait part de ses interrogations, alors qu’il était au départ totalement favorable aux essais d’OGM : « nous étions incapables », disait-il, « de déterminer scientifiquement les dangers liés à la pollinisation. »

L’INRA ne manque pas de grands terrains. Pourquoi ne mène-t-il pas ces expérimentations sur ses propres parcelles ? Pourquoi les avoir implantés dans le Gers, par exemple ? La vigueur des réactions de la population et des élus tient précisément au manque de communication et d’explications, autrement dit, bien souvent, au manque de transparence. Il y a encore deux ans, on ne prenait même pas la peine de prévenir le maire… On imagine l’effet d’une telle nouvelle sur des gens peu au fait de ces questions : nous-mêmes ne le sommes pas totalement puisque nous sommes là à écouter vos explications. Les Français ont déjà été traumatisés par l’affaire de la vache folle. Les deux sujets n’ont certes rien à voir, mais il est logique que le citoyen moyen se sente interpellé.

Je ne cautionne pas les arrachages, mais j’aimerais une réponse claire : pouvez-vous nous garantir que le principe de précaution est réellement appliqué et que vous maîtrisez totalement les risques liés à la pollinisation ?

M. François GROSDIDIER : Je reste un peu sur ma faim pour ce qui touche au risque de dissémination : on nous a dit que l’essentiel tombait tout près, mais que le peu qui restait allait très loin, avec au surplus des capacités de résistance… Tout cela n’est pas de nature à nous rassurer, même si nous sommes unanimes, a priori, pour souhaiter la poursuite des recherches et condamner l’obscurantisme et l’hostilité. Reste que les risques de dissémination d’OGM à l’occasion d’essais ne sont jamais totalement écartés et suscitent toujours autant d’inquiétude, y compris parmi d’éminents botanistes.

J’ai entendu votre proposition de rendre systématiquement publics les résultats de ces recherches. Je ne suis pas un spécialiste de la question, mais cette publicité n’ira-t-elle pas à l’encontre du principe du secret industriel ? Quoi qu’il en soit, il est souhaitable d’avancer dans cette voie. Mais l’idée est-elle réellement applicable ?

M. Francis DELATTRE : Je vous interrogerai sur le maïs, pour lequel nous attendons une décision de la Commission européenne. J’ai entendu avec effarement plusieurs scientifiques affirmer que les avantages du maïs génétiquement modifié en terme de moindre dispersion d’insecticides n’étaient pas démontrés : nous pensions naïvement qu’un gène destructeur de la pyrale, principal ravageur du maïs en France, permettrait de réduire les pesticides que nous finissons tôt ou tard par retrouver dans notre eau ou dans notre assiette… Le gain n’aurait pas été seulement économique, mais également sanitaire : le lien entre plusieurs cancers et certains résidus présents dans nos aliments a été clairement démontré.

L’argument de la dissémination est de plus en plus souvent brandi. Pouvez-vous nous confirmer que, dans le cas du maïs, la dissémination sur des adventices est impossible dans la mesure où il n’existe pas de plante voisine du maïs en Europe ?

Croyez-vous à l’apparition, à terme, d’une double filière de production, avec OGM et sans OGM ?

Les Américains, et particulièrement l’emblématique firme Monsanto, s’attirent désormais toutes les foudres des bien-pensants. Mais alors que, dans le domaine des céréales, la France était bien plus en avance que les firmes américaines, notre incapacité à nous décider n’a-t-elle pas conduit à totalement entraver la recherche française et son utilisation par le secteur productif ? Nos recherches sur le blé, par exemple, quoique embryonnaires, n’étaient-elles pas prometteuses tant sur le plan économique que sur le plan sanitaire ?

Mme Marion GUILLOU : Vos questions appelleraient des réponses précises ; nous sommes prêts à revenir devant vous ou à vous donner les coordonnées de nos équipes, qui pourront vous livrer des informations plus complètes par écrit.

Les essais en champ sont-ils vraiment indispensables ? Tout dépend de la question posée. Si nous n’en avons plus qu’un, c’est sans doute que nous n’avons plus beaucoup de chercheurs disposés à s’y risquer, mais également parce que nous disposons d’autres moyens pour répondre à bon nombre de questions. En revanche, s’il s’agit de savoir, grâce à un système de surveillance à une échelle suffisante, quels effets non attendus peut avoir l’implantation d’OGM en champ sur l’environnement, je ne saurai pas vous répondre si je n’ai pas fait d’essais en champ… Comment faire autrement pour observer des effets non prévus ? Aucun scientifique ne se risquera à affirmer qu’il a tout prévu, listé toutes les questions et obtenu toutes les réponses. C’est ainsi, du reste, que nous procédons pour les semences classiques : seul les essais en champ permettent de s’assurer que toutes les questions ont été abordées. Les interdire en France ou en Europe pour les OGM revient à nous priver de tout moyen de répondre aux questions non identifiées au départ et qui n’apparaîtront qu’au stade de la mise en culture. Ou alors, nous demanderons hypocritement à nos collègues hongrois, polonais, espagnols – on est carrément passé au stade de la culture pour le maïs en Espagne – ou canadiens d’y répondre.

Nous pourrions, me direz-vous, autoriser les cultures et nous en remettre à la biovigilance en cas d’effets imprévus… Nous préférons nous en assurer à l’avance sur des parcelles surveillées.

Peut-on construire de grandes serres qui récréeraient la nature ? On sait évidemment simuler le vent, le soleil, les alternances d’éclairage, etc. Mais quelle serait la dimension pertinente pour observer ce qui se produirait dans une mosaïque de cultures ? Une simulation en serre aurait-elle un sens ?

M. François GROSDIDIER : Cette question a-t-elle déjà été étudiée ?

Mme Marion GUILLOU : Tout dépend de la question posée et des moyens que vous entendez y consacrer. S’il s’agit de savoir ce que donne un flux d’OGM dans le paysage, compte tenu de tout ce qui y passe, oiseaux, abeilles, etc., je ne peux pas répondre avec une serre. Prétendre tout résoudre a priori n’est pas raisonnable. Et attendre la mise en culture pour voir ce qui se passera, ce n’est pas la démarche que nous avons choisie.

Bon nombre d’études sur les flux de pollen peuvent être conduites, sans qu’il soit besoin d’essais OGM en champ : grâce à des outils tels que les maïs bleus, nous avons déjà obtenu des réponses à pas mal de questions : nous savons ce qui se passe en fonction du vent, de la pluie, du poids du pollen, de la nature du croisement, de la présence de plantes sauvages voisines, etc. Mais il en reste auxquelles nous n’avons toujours pas de réponses. Au vu des données récoltées, multinationales et multilocales, nous savons ce qu’il en est pour quelques espèces. Pour le prunier, nous avons dû renoncer. Pour certaines espèces, nous savons que nous ne pouvons pas répondre. Pour d’autres, nous n’avons pas encore de résultat. Nous pourrons vous donner un bilan de ce qui a été fait dans ce domaine, en France et ailleurs.

Ne confondons pas danger commercial et danger environnemental. Si un pour mille de maïs OGM va à plus de 400 mètres, est-ce un danger environnemental ? Non. Mais c’est un risque économique pour les producteurs voisins qui se sont engagés à produire un maïs 0 % OGM et qui pourraient se trouver pris en défaut. Les croisements incontrôlés, c’est un risque environnemental. La présence d’OGM résiduels chez un opérateur qui a pris des engagements contraires, c’est un risque économique contre lequel il est normal de vouloir se prémunir pour éviter toute mauvaise surprise commerciale ou accusation de fraude.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : C’est très important.

M. le Président : Une table ronde économique est prévue, à condition que le Président de l’Assemblée nationale accepte l’élargissement du champ d’investigation de la mission. Il y serait, à ce que je crois savoir, plutôt favorable.

Nous pourrons inviter Guy Riba à l’une de nos tables rondes contradictoires, ce qui permettra de préciser certaines questions.

Mme Marion GUILLOU : Nous sommes par principe ouverts à toutes les questions.

Vous sentez bien, en nous entendant, que nous sommes incapables de vous répondre en quelques secondes… Nous ne vous répondrons jamais par oui ou par non, mais que c’est au cas par cas, qu’il faut un examen préalable, etc. C’est de l’anticommunication par essence ! Mais si la science se permet de s’affranchir de ce genre de message, nous ne saurons plus où nous en sommes. Il en résulte que notre communication sur de tels sujets n’est pas des plus efficaces, je le reconnais. J’ai déjà débattu avec José Bové. Il est des moments où nous pouvons discuter. Mais à la question : « Y a-t-il zéro risque ? », je ne peux pas lui répondre oui. Je dis qu’il y a des risques contrôlables, qu’il y a ceux que l’on peut diminuer, qu’il y a ceux que l’on peut ou non accepter au regard de tel ou tel bénéfice, mais pas qu’il y a zéro risque.

M. Louis GUÉDON : Votre exemple de l’aspirine était parfait : il y a toujours un risque à en prendre. Le risque zéro n’existe pas.

Mme Marion GUILLOU : Ce qui explique notre faiblesse dans ce genre de communication rapide. Mais nous ne pouvons pour autant laisser la déontologie de côté.

Enfin, que les essais aient lieu sur nos terrains ou pas, on les détruit. Dans le Gers, il ne s’agissait pas d’un essai INRA. Mais les essais INRA sont faits sur des terrains INRA, et cela ne change rien.

Mme Chantal ROBIN-RODRIGO : C’est à cause du manque de transparence, ou de la proximité d’autres terrains privés…

Mme Marion GUILLOU : Non. A Toulouse, c’est une serre que les « Ravageurs de la nuit »
– personne ne sait qui c’est – ont saccagée. On a détruit des essais à Rennes, alors que nous avions organisé des débats et largement expliqué les objectifs de nos recherches. C’était sur un terrain INRA, toutes les précautions de distance avaient été respectées…

M. Guy RIBA : Et alors que nous avions longtemps à l’avance consulté les agriculteurs mitoyens et les élus locaux !

Mme Marion GUILLOU : Nous sommes résolus à poursuivre dans la transparence, avec des comités de suivi, des règles de distance, etc. Un jour viendra où les gens admettront que les avantages de ces essais justifient qu’on les poursuive en France… Mais nous n’en sommes pas là.

M. Gérard DUBRAC : En fait, vos essais en milieu naturel n’ont pas pour but de connaître les effets non attendus qui font toujours peur au grand public, mais de rechercher des effets attendus que vous voulez vérifier. Pourquoi ces choses ne sont-elles pas expliquées ?

Mme Marion GUILLOU : Elles le sont.

M. Guy RIBA : L’essai détruit en Ariège est l’exemple type d’une implantation destinée à mesurer les flux !

M. Gérard DUBRAC : Expliquez-le au grand public…

Mme Marion GUILLOU : Sans aller jusqu’à aller l’expliquer à l’ensemble de la population, nous décrivons, sitôt que nous demandons l’autorisation, l’objectif de l’essai. Tout est détaillé, essai par essai, sur le site Internet de l’INRA. Je ne prétends pas que notre vocabulaire soit des plus compréhensibles, mais tous nos essais sont systématiquement accompagnés d’une description précise de leur objectif. Au-delà, comment pourrons-nous mettre en place des systèmes de vigilance sans essais grandeur nature ?

M. Francis DELATTRE : Le maïs transgénique présente-t-il, oui ou non, des avantages sur le plan économique ?

Mme Marion GUILLOU : Je vous donnerai les adresses Internet des sites sur lesquels vous pourrez retrouver tous les résultats. Nous avons une étude comparative entre maïs non-OGM et maïs OGM cultivés aux Etats-Unis de 1996 à 2002, plus une extrapolation sur 2003.

M. Francis DELATTRE : Et en France ?

Mme Marion GUILLOU : Comment voulez-vous que nous ayons le recul nécessaire ?

M. Guy RIBA : Nous ne pouvons pas faire d’essais !

Mme Marion GUILLOU : Il s’agit d’une étude de l’USDA7, apparemment très bien faite. Le résultat est négatif pour ce qui est de la résistance aux herbicides : après avoir baissé, la consommation d’herbicides a remonté et en vient même à dépasser le niveau antérieur. Il est en revanche positif pour ce qui est des OGM-Bt, puisque l’utilisation de maïs Bt a permis de réduire les traitements phytosanitaires.

M. le Président : Et il semblerait que l’augmentation de la consommation d’herbicides serait liée au fait que des agriculteurs, qui ne les utilisaient pas jusqu’alors, se sont mis à traiter.

Pouvez-vous nous communiquer des fiches sur l’essai de l’Ariège ainsi que sur celui du caféier de Guyane ?

Mme Marion GUILLOU : C’est un essai réalisé par le CIRAD, sur la résistance aux parasites du café.

M. le Président : Nous le demanderons au CIRAD.

Madame, Monsieur, nous vous remercions.

Audition conjointe de
M. Olivier KELLER, secrétaire national de la Confédération paysanne,
M. José BOVÉ, cofondateur,
M. Michel DUPONT, animateur de la Confédération paysanne
et M. Guy KASTLER, président du Réseau Semences Paysannes


(extrait du procès-verbal de la séance du 24 novembre 2004)

Présidence de M. Jean-Yves LE DÉAUT, Président

M. le Président : Messieurs, nous vous remercions d’être venus devant la mission d'information sur les conséquences environnementales et sanitaires des autorisations d'essais d'organismes génétiquement modifiés. Je précise que nous avons unanimement suggéré hier au Président de l’Assemblée nationale d’élargir notre champ d’investigations aux conséquences économiques et juridiques des essais d’OGM. Cet élargissement sera très bientôt discuté en Conférence des Présidents.

Ces premières « auditions privées » ont pour but d’entendre les responsables institutionnels d’instituts de recherche, d’organisations professionnelles agricoles et d’autres organismes privés et publics français, avant d’entamer une série de tables rondes dont certaines contradictoires, ouvertes à la presse et au public, autour de thèmes précis, tels que les enjeux sanitaires, environnementaux, juridiques…

Nous nous rendrons aux Etats-Unis, mais également en Afrique du Sud et en Espagne afin d’apprécier la situation dans les autres pays.

M. Olivier KELLER : Un peu d’histoire pour commencer. Dès 1996, la Confédération paysanne a organisé un débat interne sur les OGM. Les actions engagées dès 1997, faute de voir la question posée sur la place publique, et les procès qui ont suivi, ont permis à bon nombre de citoyens de s’approprier le sujet. Peut-être est-ce également ce qui explique notre présence ici…

Les positions de la Confédération paysanne sont assez simples : nous avons vocation à défendre les paysans, et le propre d’un paysan est de pouvoir ressemer une partie de sa récolte. Notre vision n’est pas seulement nationale, mais européenne et internationale, partant du fait que 55 % des actifs de cette planète ont une activité liée à l’agriculture. Ajoutons qu’à notre sens la notion de brevet, dans le droit français et le droit européen, ne s’étendait pas jusqu’à maintenant au domaine du vivant et se limitait aux matières amorphes, transformées ou non. Or on s’emploie petit à petit à nous faire croire que le vivant est une marchandise comme une autre.

Il n’y a pas à nos yeux de seuil de coexistence possible entre les OGM et les cultures traditionnelles, sans même parler des produits de qualité ou de l’agriculture bio, par le seul fait que le dépassement de la barrière du genre n’est pas acceptable en tant que tel.

M. Guy KASTLER : Membre de la Confédération paysanne et chargé du dossier OGM, je suis, par ailleurs, président du réseau « Semences paysannes », regroupant des paysans qui non seulement ressèment leur récolte, mais s’acharnent à sélectionner eux-mêmes, faute de pouvoir trouver auprès des semenciers des variétés adaptées à une culture à faible niveau d’intrants, autrement dit exemptes de ces pesticides de plus en plus critiqués par les consommateurs comme par les professionnels de la santé.

Ce choix, plus lié au sujet qui nous occupe aujourd’hui qu’il n’y paraît, est devenu totalement illégal depuis l’instauration du catalogue et des certificats d’obtention végétale qui éliminent toute variété non stable et non homogène. Or nos variétés ne sont précisément ni stables ni homogènes, puisqu’elles doivent précisément évoluer en fonction des terroirs – sans parler des coûts d’inscription que seul un gros semencier peut se permettre.

Avant même que n’arrivent les OGM, les paysans avaient déjà perdu le droit de choisir leur mode de culture et leur système agraire. Pourtant, la liberté économique, la liberté d’entreprendre est un principe fondateur de la République. Les lois semencières viennent à en priver le paysan qui, faute de pouvoir choisir le mode de sélection de ses semences, ne peut choisir le type d’agriculture qu’il entend pratiquer, biologique ou autre.

Nous recevons régulièrement la visite d’agents de la répression des fraudes qui veulent nous empêcher de travailler. Nous sommes des citoyens et nous revendiquons le droit de travailler dans la légalité, car c’est le seul moyen d’offrir au consommateur une nourriture irréprochable sur le plan tant nutritionnel que sanitaire. La qualité sanitaire des produits pose de nombreux problèmes avec les nouvelles variétés vendues par les semenciers et se détériorera davantage encore avec les OGM.

On parle souvent des problèmes de la coexistence entre l’agriculture biologique et les cultures transgéniques et je suis moi-même producteur biologique. Mais le problème ne se limite pas au bio, ni aux AOC ou aux parcs naturels. Plus de 50 % des paysans, y compris dans les grandes cultures céréalières, ressèment leur récolte. Avec les OGM, le risque de contamination deviendra tel que l’usage de ce droit deviendra très rapidement impossible, tout simplement parce que nous serons devenus les principaux multiplicateurs d’OGM… Et lorsque notre récolte est issue de trois ou quatre générations de sélections d’une variété locale sur la même ferme, c’est tout un patrimoine génétique, cette biodiversité que nous nous devons de transmettre à nos enfants, qui sera définitivement détruit. Le problème de la coexistence avec l’agriculture transgénique ne se pose donc pas seulement pour le bio, mais pour l’ensemble de l’agriculture.

Nos amis italiens ont fait preuve en 2001 d’un grand sens de l’intuition lorsqu’ils ont inscrit dans leur loi semencière, parmi les motifs – sanitaires, environnementaux – au nom desquels un Etat peut interdire sur son territoire des variétés transgéniques pourtant autorisées par la réglementation européenne, la protection des systèmes agraires. La Communauté n’a pas remis en cause cette exigence supplémentaire. Je vous recommande vivement de faire reconnaître, dans le cadre de vos travaux législatifs, la liberté d’entreprise qui nous est due, et donc notre droit de défendre notre système agraire.

M. Michel DUPONT : Je suis animateur de la Confédération paysanne, chargé du dossier OGM et ancien producteur agricole. Nous sommes heureux que votre mission ait proposé d’étendre son champ d’intervention aux aspects économiques ; elle pourra ainsi mesurer l’impact qu’aurait une généralisation des cultures OGM sur l’économie agricole et agroalimentaire française et européenne. Il serait intéressant pour vous de connaître la position des semouliers, par exemple, très liés au maïs et aux autres céréales, de vous rendre compte des difficultés que rencontre la mise en place d’une double filière, OGM et non-OGM, et du risque économique que représenterait la perte de marchés très importants. Dans des filières comme la viande, par exemple, l’inquiétude est grande : on sait les quantités de viande française vendues en Italie. Sachant les positions qui sont de plus en plus défendues dans ce pays, tout porte à croire que la demande des consommateurs s’en ressentira et que la perte d’attractivité de notre viande du fait de la présence d’OGM aura de lourdes conséquences.

Sur le plan sanitaire, il serait également intéressant que vous envisagiez de proposer le lancement d’études toxicologiques de longue durée, au cas par cas, parce que les OGM ont des effets sur la santé qui ne sont pas pris en compte. Les modalités d’instruction des dossiers d’autorisation sont trop réductrices. Nous avons publié un petit livre consacré aux aspects de sécurité et de santé, dans lequel sont reprises les conclusions de certains chercheurs, que l’on ne retrouve nulle part ailleurs, alors qu’elles pourraient très utilement nourrir le débat.

M. José BOVÉ : Les OGM sont-ils une nécessité ou, à l’inverse, un obstacle au développement de l’agriculture et à l’alimentation des habitants de cette planète ? A l’évidence, ce débat dépasse le cadre du seul territoire français : il se pose à l’échelle l’ensemble des pays et des continents.

A nos yeux, le développement des OGM s’inscrit dans une logique d’agriculture industrielle et aucunement dans une logique d’agriculture au service de l’alimentation des individus. La majorité des OGM produits – 80 à 90 % – sont destinés à l’alimentation animale, participant d’une logique d’industrialisation et d’artificialisation de l’agriculture propre aux pays industrialisés.

Sur cette planète, on l’a dit, 55 % des actifs sont des paysans. Mais sur ces 55 %, 28 millions ont un tracteur, 250 millions un animal de trait et 1 300 millions n’ont que des outils à main ! La forme d’agriculture induite par les OGM ne convient évidemment qu’à la première catégorie, autrement dit à une infime minorité. Il n’est que de regarder les belles cartes brandies par les firmes dans le but de faire croire que les OGM se seraient massivement diffusés : on y voit les Etats-Unis, le Canada, l’Argentine, certains vont même jusqu’à y ajouter la Chine… A les entendre, les OGM domineraient la planète et nous mènerions un combat d’arrière-garde. Mais si l’on considère les surfaces agricoles avouées par ces mêmes firmes, on s’aperçoit qu’elles ne représentent que 0,6 % des terres cultivées… On est donc très loin d’une agriculture dominante ! Et si nous nous engageons dans ce débat d’une manière aussi forte, c’est que rien n’est inéluctable en la matière.

A quoi donc servent ces OGM et à qui rendent-ils service ?

Le paysan n’y a visiblement pas d’intérêt : les semences sont plus chères et les cultures exigent davantage de pesticides. Les derniers chiffres de l’administration américaine
– vous les verrez de vous-mêmes sur place – font état d’une utilisation de pesticides en augmentation de 20 à 40 % selon qu’il s’agit de soja, de maïs ou de coton.

Le consommateur n’y a pas davantage d’intérêt. Aucun OGM n’est de nature à améliorer un jour l’alimentation ou la qualité des produits, contrairement à ce que l’on se plaît à nous répéter, d’autant que 99 % des OGM appellent l’emploi de pesticides.

Dans ce cas, à qui donc rendent-ils service ? La réponse est pour nous évidente : à quelques firmes qui, grâce aux brevets, se retrouvent propriétaires des semences des paysans. Et par le jeu très pervers des pollutions génétiques – pas seulement par les transferts de pollen, mais également à l’occasion des transports et des stockages – le processus aboutit inéluctablement à enfermer les paysans et les consommateurs dans le système OGM.

Puisque vous allez aux Etats-Unis, faites donc un saut au Mexique. Les Mexicains viennent d’interdire l’entrée de maïs en grains sur leur territoire. Tout le maïs doit être concassé, car ils ont découvert que les maïs américains génétiquement modifiés importés dans le cadre de l’ALENA8 non seulement détruisaient la capacité économique des paysans à gérer leur propre production, mais venaient polluer les variétés locales de ce bassin historique d’où proviennent tous les maïs du monde ! C’est là un des aspects les plus dangereux, particulièrement pour les pays du Sud : l’impossibilité pour les paysans, à terme, d’utiliser leurs propres semences.

A ce propos, si vous allez en Afrique du Sud, je vous suggère de faire également un petit détour par la Zambie, gros producteur de maïs. Les Zambiens ont refusé voici deux ans l’aide alimentaire proposée dans le cadre de l’US Aid car celle-ci était composée de maïs transgénique. Ils ne voulaient pas que leur agriculture soit contaminée.

Ces exemples montrent que le discours selon lequel les OGM permettront de lutter contre la faim dans le monde n’a pas de sens. Ce qui est évident en revanche, c’est la volonté des transnationales de les imposer par le biais du commerce et de l’aide alimentaire, et de montrer leur puissance. A preuve, la façon dont Monsanto, pour ne citer qu’elle, s’implante progressivement dans les institutions politiques de certains pays – le président du Nicaragua est l’ancien président de Monsanto pour l’Amérique centrale – ou dans les instances internationales : le secrétaire général adjoint de l’OMC est l’ancien avocat international de Monsanto !

Face à cette situation, il est de la responsabilité des élus français et européens d’affirmer des choix politiques, pour nos territoires, mais également pour l’ensemble des paysans du monde. Au moment où l’Europe s’emploie à mettre en place de nouveaux accords régionaux, notamment avec l’Afrique de l’Ouest, il serait intéressant que la France et l’Europe prennent des positions qui aillent dans le sens de la préservation des agricultures paysannes de ces pays. De la pérennité de ces systèmes agraires dépend le maintien de la majorité des paysans de la planète là où ils sont. C’est dans ce sens que le Mali vient de décréter un moratoire, alors même que Monsanto et l’administration américaine multiplient les pressions, notamment sur le Burkina Faso.

Il n’est pas trop tard. Ce débat vient à point nommé. Encore faut-il faire preuve de cohérence et nous mettre en capacité de réagir.

M. le Président : Vous avez mis l’accent sur les aspects économiques, ce qui va dans le sens de ce que nous avons demandé hier, à l’unanimité, au Président de l’Assemblée nationale. Certaines de nos questions pourront vous paraître des pièges ; mais il se trouve que, juste avant vous, Mme Marion Guillou, présidente de l’Institut national de recherche agronomique (INRA), et M. Guy Riba ont défendu avec force et passion les expérimentations en plein champ, dans le respect évidemment des principes de parcimonie, de précaution et de transparence. Parlant des essais détruits, ils ont eu cette phrase : « Ils nous empêchent de répondre aux questions qu’eux-mêmes posent dans le débat public ». Que répondez-vous à cela ?

M. Olivier KELLER : Partant du principe que le brevet du vivant n’est pas possible, nous pensons que ces expérimentations n’ont pas lieu d’être. En admettant même qu’elles puissent exister, elles doivent être effectuées en milieu clos. Encore faut-il que cette recherche soit totalement indépendante et non menée dans le cadre de partenariats qui aboutissent à créer des liens de dépendance économique entre la recherche nationale et les firmes intéressées. Et cela supposerait une contre-expertise, par des laboratoires réellement indépendants, ainsi qu’une parfaite lisibilité des objectifs.

M. Guy KASTLER : Nous avons déjà – malheureusement – un champ d’expérimentation de centaines de milliers d’hectares dans d’autres continents que le nôtre, qui non seulement permet de disposer de premiers éléments de réponse, mais qui est également porteur d’autres interrogations auxquelles il faut répondre mais auxquelles il est tout à fait possible de répondre en milieu confiné. Les problèmes de dissémination ont déjà été mis en évidence par nombre d’études : des graminées qui migrent jusqu’à 21 kilomètres, des pollens de maïs encore fertiles que l’on retrouve à 1 800 mètres d’altitude… Et Arvalis continue de faire des expériences pour savoir s’il peut aller d’un champ à l’autre ! L’Association générale des producteurs de maïs (AGPM), elle-même, se reconnaît incapable de respecter le seuil de contamination de 0,9 %
– alors que le seuil légal de détection est de 0,1 % !

M. le Président : Faut-il à votre avis l’abaisser encore ?

M. Guy KASTLER : Si les capacités de détection s’améliorent, oui. Je garantis ma production sans OGM. La répression des fraudes est formelle : ou bien il y a des OGM, ou bien il n’y en a pas. Si je ne peux pas garantir qu’il y a moins de 0,1 % d’OGM dans mon produit, je n’ai pas le droit d’écrire « sans OGM » sur l’étiquette, sous peine d’amende.

De son propre aveu, l’AGPM est incapable de maîtriser les risques de contamination au niveau de la filière – transformation et semences – en dessous de 0,9 %, du fait des excès auxquels ont donné lieu les variétés d’ores et déjà autorisées en France. Ne reste que la solution de créer des régions spécialisées… Et ce sont les piliers du lobby pro-OGM en France qui le disent !

Au-delà, sans même parler d’environnement, mais tout simplement en terme de santé, on se rend bien compte que bon nombre de problèmes se posent, et pas seulement du fait des transferts de gènes, dont la possibilité a été démontrée sur des souris dès 1997 : en comparaison d’animaux nourris avec une protéine produite par une plante classique, les bêtes nourries avec la même protéine, produite par la même variété, mais génétiquement modifiée, présentent des problèmes de santé ! Autrement dit, la même substance, selon qu’elle sera produite par un OGM ou par une variété classique, causera ou non des dégâts sur les animaux.

M. le Rapporteur : Quels types de dégâts ?

M. Guy KASTLER : Des dégâts sur le système digestif, comme l’ont montré plusieurs scientifiques. De même chez les insectes : pourquoi la mortalité de la chrysoperla augmente-t-elle lorsqu’elle mange des insectes qui se sont nourris de maïs transgénique Bt au lieu de maïs traditionnel traité au Bt ?

Autres questions non résolues : celles qui sont liées à l’instabilité des constructions transgéniques. Sur la même variété transgénique brevetée, des chercheurs ont trouvé, à un an d’intervalle, des constructions génétiques différentes de la construction publiée… La variété transgénique vendue devrait logiquement correspondre à celle qui est inscrite dans le brevet ou dans le catalogue officiel ! Deux équipes de chercheurs, l’une française et l’autre belge, ont séquencé la même variété : ils n’ont pas trouvé la même chose ! Si, comme le prétendent certaines firmes, cela s’explique par le fait que ce qui est inscrit dans les registres ne correspond pas à la réalité, c’est qu’il faut se poser la question de la pertinence de l’expertise… Autant de questions fondamentales, dont les conséquences sur la santé humaine sont extrêmement graves et auxquelles il est parfaitement possible de répondre en laboratoire, sans essais en milieu ouvert. Ce serait faire prendre un risque énorme à la population comme à l’environnement.

M. le Président : A croire ce que nous a dit l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA), les gènes et les séquences en question sont tirés de produits naturels, contrairement à ce qui se fait pour les produits chimiques. Et M. Schwartz nous a déclaré hier préférer de loin utiliser des produits naturels issus d’organismes génétiquement modifiés plutôt que des produits d’origine chimique.

M. Guy KASTLER : C’est faux. Ces gènes ne sont pas naturels. La toxine du Bt, par exemple, est, nous dit-on, produite par un gène d’une bactérie du sol, que l’on a introduit dans la plante afin qu’elle produise la même toxine. Le problème est que la bactérie et la plante n’ont pas la même construction génétique, du seul fait que l’on n’insère que les gènes qui s’expriment. Or l’essentiel du génome est constitué de gènes muets. Mais s’ils sont muets, ils n’en ont pas moins une utilité que l’on ne connaît pas. En tout état de cause, ce n’est pas la construction transgénique naturelle qui a été insérée et, en fin de compte, la protéine produite n’est pas la même.

En tant que législateurs, vous avez à vous prononcer au vu d’expertises ; or toutes les analyses sont réalisées par électrophorèse. On verra si le gène recherché est présent ou non, mais pas s’il y a eu d’autres perturbations ailleurs. Seul un séquençage complet permet de s’en apercevoir. La directive européenne 2001/18/CE exige dorénavant un minimum de séquençage pour vérifier si rien n’a changé dans les bordures, mais non pas un séquençage de l’ensemble de la construction transgénique. En l’état actuel des dossiers d’autorisation présentés à la Commission du génie biomoléculaire (CGB), on est incapable de dire si les constructions transgéniques proposées sont stables ou non.

M. le Président : Je partage vos propos sur les gènes muets. J’en avais moi-même fait état dans mon rapport de 1998, alors qu’ils passaient totalement inaperçus. Il n’empêche que la méthode de sélection classique, y compris avec des semences, pose exactement le même problème. La création de façon aléatoire d’une nouvelle espèce de semence ne permet pas de savoir quel rôle vont jouer les gènes muets.

M. Guy KASTLER : A ceci près qu’il s’agit vraiment de produits naturels !

M. le Président : La question que vous posez est juste, mais elle n’est pas spécifique aux OGM : elle se pose pour toute modification d’une semence.

M. Guy KASTLER : Quand je sélectionne moi-même ma semence, je laisse agir les lois élémentaires du vivant. Et la première d’entre elle, c’est la différenciation et la course vers la complexité. Aller vers la réduction de la complexité, c’est aller à la mort !

Pour préserver la diversité, la nature a mis en place une protection naturelle : la barrière des espèces, que les créateurs de constructions transgéniques transgressent délibérément. La barrière des espèces, c’est le système immunitaire du génome, qui permet de réguler son évolution – car il arrive effectivement au génome d’évoluer naturellement.

De surcroît, qu’utilise-t-on dans une construction transgénique ? Les organismes vivants les plus capables de transférer les gènes, autrement dit ni des animaux ni des plantes, mais des bactéries qui, faute de reproduction sexuée, ne peuvent évoluer que par mutation génétique ou transfert de gènes horizontal. Plus efficaces encore, les virus, capables d’entrer dans les cellules et particulièrement, dans le domaine agricole, le fameux 35 S CaMV, du virus de la mosaïque du chou-fleur, qui possède une extraordinaire capacité de transfert horizontal.

Sur les milliers d’expériences en thérapie génique, dont la plupart sont d’ailleurs illégales, l’une d’elle a réussi, et c’est heureux, sur une dizaine d’enfants-bulles. Un seul est décédé d’une leucémie, par la suite. Pourquoi ? Parce le vecteur viral de la construction transgénique est allé faire des réarrangements à d’autres endroits du chromosome…

Nous ne voulons pas jouer aux apprentis sorciers dans nos champs en générant des instabilités génétiques systématiques là où la nature a précisément mis des barrières entre les espèces pour permettre au monde vivant d’évoluer. Sans différenciation, pas d’évolution : il ne peut y avoir d’échanges entre deux organismes vivants absolument identiques. C’est cette loi élémentaire que les promoteurs de la transgénèse s’emploient à perturber sur des milliers d’hectares.

Je ne dis pas qu’il n’y a pas de solution. Que les chercheurs cherchent ; mais qu’ils commencent par le faire en laboratoire avant de prendre le risque de contaminer mon champ !

M. José BOVÉ : Il y a quelques années, l’INRA et le CETIOM9 avaient décidé d’expérimenter en plein champ des colzas transgéniques pour vérifier le taux de croisement avec la ravenelle, une crucifère de la même famille.

M. le Président : Et ces essais ont été détruits…

M. José BOVÉ : Par nous, entre autres. Deux fois : à Foix et à Gaudiès.

M. Francis DELATTRE : Comme cela, on ne peut pas vérifier…

M. José BOVÉ : Ces expérimentations étaient absurdes. Les risques de croisement avaient déjà été prouvés en milieu confiné. Avait-on besoin de savoir s’ils sont de 1 % ou de 10 % ? On fait des essais de crash avec les voitures : on sait que si l’on percute un obstacle à grande vitesse, il y aura du dégât. Va-t-on refaire l’essai dans une cour d’école pour savoir combien il y aura de morts à 50 ou à 100 à l’heure ? Au surplus, était-on obligé de calculer ce risque en se servant d’un colza génétiquement modifié ? Pourquoi ne pas avoir utilisé un gène marqueur qui n’aurait posé aucun problème environnemental ?

En fait, ce que l’on présentait comme une expérience scientifique cachait, comme au moins 85 % des essais à l’époque, Jean Glavany lui-même l’avait clairement admis en 2002, un essai à caractère économique. Tous les dossiers qui passaient devant la CGB ne visaient qu’un objectif : la reconnaissance. L’essai de Menville, détruit par les « faucheurs volontaires » le 25 juillet 2004, était le résultat d’un partenariat GEVES10-Pioneer. Or le GEVES, organisme d’Etat, avait délégué la mission d’expertise à Pioneer ! On ne peut être en même temps expert et partie. Tout cela sera plaidé devant les tribunaux en temps utile. Nous ne savons pas encore si nous serons 250 accusés ou seulement neuf.

Autrement dit, le système ne fonctionne pas correctement. Quelle réalité se cache derrière ces essais ? Pourquoi les firmes poussent-elles aussi fort à leur mise en place ? Pour inscrire le plus vite possible la semence au catalogue. En attendant, les résultats des essais en laboratoire, et particulièrement les données toxicologiques, ne sont jamais publiés. C’est pourtant indispensable. Cette manière de procéder est totalement anti-scientifique.

M. le Rapporteur : Imaginons qu’une nouvelle thérapie anticancéreuse soit mise au point, qui fasse appel à des cultures génétiquement modifiées. Après tests en milieu confiné, il devient nécessaire de passer en essai en champ pour s’assurer de leur totale innocuité. Quelle serait votre réaction ?

M. Guy KASTLER : Pour commencer, on peut très bien produire ce genre de médicament en laboratoire, sur substrat génétiquement modifié, comme l’ont montré les essais effectués par Meristem Therapeutics. Il n’y a pas besoin d’aller en champ, et encore moins en milieu ouvert, même s’il faut utiliser le maïs. Une serre ferait l’affaire.

A chaque fois que vous mettrez une molécule thérapeutique dans une plante cultivée en milieu ouvert, vous prendrez le risque, qui reposera finalement sur le politique qui l’aura autorisée, de voir le médicament en question se retrouver dans l’assiette du consommateur. Les médicaments sont faits pour être dans l’armoire à pharmacie, pas pour être mangés tous les jours… C’est la dose qui fait le poison et les effets peuvent être très lents, parfois même attendre la deuxième génération : on l’a déjà vu avec les PCB11. Oserez-vous prendre une telle décision ?

M. le Rapporteur : En fait, vous recherchez un risque zéro.

M. Guy KASTLER : Non. S’il existe un autre moyen, pourquoi prendre ce risque, sinon pour satisfaire un mercantilisme de bas étage ?

M. François GROSDIDIER : Dans le domaine thérapeutique, l’intérêt peut être autre que de bas étage.

M. Guy KASTLER : On peut produire la même molécule en laboratoire.

M. le Rapporteur : Pas toujours. Et il peut se poser une question de coût de production.

M. José BOVÉ : Allez voir par vous-mêmes ce qui s’est passé dans l’Ohio. La firme Prodigen avait installé une production en champ de maïs transgénique modifié pour produire des molécules pharmaceutiques. Or celui-ci a contaminé plus de 500 tonnes de soja destiné à la consommation humaine. Pas par le pollen, mais par le biais des transports, etc. La situation est devenue à ce point alarmante que les fabricants d’OGM alimentaires eux-mêmes ont réclamé l’interdiction des cultures d’OGM médicamenteux en plein champ ! Cela a fait l’objet d’un article très sérieux du Wall Street Journal… On s’inquiète à raison des problèmes posés par la présence des OGM alimentaires aux côtés des autres formes de culture, mais avec les OGM médicamenteux les conséquences d’éventuels transferts seront beaucoup plus graves : ce sera une affaire de santé publique.

Pour une firme, il est évidemment beaucoup plus rentable de produire une molécule en champ plutôt qu’en construisant une usine coûteuse. Mais la mise en place d’une nouvelle technologie suppose de prévoir un minimum de garde-fous et de connaître précisément son impact sur le plan social, sur les individus, sur l’organisation de la société, sur les générations futures, sur l’environnement… C’est tous ces points qu’il faut aborder avant de savoir si, oui ou non, telle technologie est acceptable pour la société. La question n’est pas de savoir si, scientifiquement, la chose est possible, mais bien de savoir si, socialement, environnementalement, on est en droit de le faire. Et c’est le rôle du politique que de tracer ce cadre.

M. le Rapporteur : Autrement dit, vous refuseriez toute expérimentation en champ, même si cette technologie constituait un extraordinaire progrès ?

M. José BOVÉ : Nous ne sommes pas dans cette situation. Une telle question est dangereuse. C’est comme si vous me demandiez de faire sauter une bombe atomique, pour m’assurer qu’elle fonctionne, au motif que je pourrais un jour être en guerre avec mon voisin ! Il faut d’abord utiliser toutes les autres techniques avant éventuellement de se demander si on peut le faire
– mais après un débat public, organisé tant avec les politiques qu’avec la société civile, pour déterminer dans quelles mesures et dans quelles conditions.

M. le Rapporteur : Ne pensez-vous pas qu’il serait utile de mettre en place deux commissions, la première composée uniquement de scientifiques chargés d’évaluer les risques liés aux OGM, la seconde majoritairement issue de la société civile pour rapporter ces risques aux avantages attendus ?

M. José BOVÉ : Tous les types et niveaux d’expertise doivent être mis en commun. C’est du reste la raison d’être des commissions existantes du génie biomoléculaire et du génie génétique. Malheureusement, la théorie ne se retrouve pas dans la réalité, dans la mesure où les promoteurs des essais ne sont pas obligés de montrer les résultats – notamment en toxicologie – de ce qui s’est préalablement fait en laboratoire. Il faudrait d’abord revoir ce que l’on met derrière le mot « expertise ». Ensuite, tous les impacts – économiques, environnementaux, sociétaux – doivent être évalués, en positif et en négatif. C’est seulement à partir de là, et au cas par cas, que les gens pourront se déterminer. Malheureusement, nous en sommes loin. Seule une expertise d’ensemble dira si l’activité en question est profitable pour la société, pour l’économie, pour l’environnement et pour la qualité des produits. Ajoutons que la logique du brevet, en elle-même, pose un problème fondamental. Le débat, y compris sur le plan scientifique, restera faussé tant que les règles de la propriété intellectuelle telles que définies par l’Organisation mondiale du commerce (OMC) s’appliqueront au vivant.

M. le Rapporteur : N’est-il pas paradoxal de prôner d’un côté le droit à une meilleure information et, de l’autre, de détruire les champs d’expérimentation ? Ne nous retrouvons-nous pas aux meilleurs temps de l’Inquisition ?

M. Olivier KELLER : Le débat, au niveau parlementaire, ne fait que commencer aujourd’hui. Si l’on s’est résolu à consulter les populations, les maires, les collectivités, c’est avant tout par dépit. Et le dernier sondage montre que 73 % des maires ne veulent pas d’OGM sur leur territoire…

M. le Président : Je ne peux pas laisser dire que le débat n’a pas eu lieu. Vous reprochez aux règles actuelles de ne pas vous convenir ; c’est le résultat d’une transposition de directives de 1990, laquelle s’est effectuée dans l’indifférence générale. Personne n’a rien dit, ni Greenpeace, ni la Confédération paysanne. J’étais déjà député à l’époque et nous nous sentions bien seuls ! Et nous serons tout aussi seuls lundi prochain, lorsque l’Assemblée examinera précisément la question du droit des brevets ! Et pourtant, ce texte traite de plusieurs des questions que José Bové vient d’évoquer.

Le débat a commencé en 1996. Vous avez largement participé à la conférence des citoyens que nous avons organisée en 1998 et qui a permis de diffuser l’information parmi la population. Mais comment prouver que tel essai est dangereux et démentir les affirmations de certains économistes si vous refusez toute forme d’expérimentation ? Le meilleur moyen de combattre les OGM n’est-il pas après tout de refuser que l’on en parle et de médiatiser au maximum les incidents ? Bref, n’y a-t-il pas un peu de tactique derrière tout cela ?

M. José BOVÉ : Les préalables indispensables à la connaissance ne sont pas réunis. Les résultats des expériences en laboratoire ne sont toujours pas rendus publics, qu’il s’agisse des aspects toxicologiques ou bien le problème de la stabilité est bien réel et dans ce cas, de la stabilité ou de l’instabilité des constructions génétiques. La CGB a pourtant planché deux jours durant, la semaine dernière, sur la question de l’instabilité ! C’est dire à quel point c’est devenu un problème central. De deux choses l’une : ou bien le problème de la stabilité est bien réel et dans ce cas, les brevets ne servent à rien, ou bien ils ont un sens, auquel cas la construction brevetée n’est pas conforme au cahier des charges des semences… Il y a des problèmes juridiques à la clé. Tant que nous n’aurons pas une position politique et un cadre législatif clair, il faut impérativement un moratoire sur les essais et les cultures en plein champ. N’oublions pas qu’il existe déjà des variétés d’OGM autorisées, que l’AGPM pourra parfaitement vendre aux agriculteurs qui le souhaitent, sans aucun cadre réglementaire pour déterminer notamment les responsabilités en cas de pollution. Il n’est qu’à voir ce qui s’est passé à Sigalens, en Gironde : l’AGPM avait installé un essai d’un hectare et demi de maïs OGM au milieu de dix hectares non-OGM. « Tout va très bien », avait-elle proclamé dans Sud-Ouest et Le Figaro. Mais sans en informer les habitants de la commune ni les agriculteurs voisins, puisque c’était dans un cadre économique non soumis à information… En cas de croisement, tant pis pour le voisin qui fait du bio ou de l’AOC !

Cette situation est d’autant plus dangereuse que la question de la responsabilité n’est pas non plus tranchée. Allez-vous auditionner les compagnies d’assurance ?

M. le Président : Bien sûr.

M. José BOVÉ : A la question : « Êtes-vous prêt à m’assurer contre un risque de pollution génétique de mon voisin ? », Groupama-Aveyron nous a répondu par courrier : « Nous ne pouvons pas vous assurer, parce que ce risque n’est pas aléatoire. » Autrement dit, le risque est certain, mais pas quantifiable… Aucune assurance n’accepte de se mouiller dans ces conditions.

Cela pose un problème de fond sur le plan de la responsabilité juridique. Si les promoteurs d’OGM ne sont pas responsables et si ces OGM sont mis en culture sans un cadre pour traiter de la responsabilité, qui sera responsable en cas de pollution ? Les élus de la République qui auront laissé faire, et nous retrouverons le débat bien connu : responsable/coupable… Comment sera-t-il tranché ?

Vous avez aujourd’hui une lourde responsabilité. Et si vous ne l’assumez pas, c’est vous qui serez accusés demain d’avoir été les promoteurs de cette situation. Y compris dans l’intérêt des partisans des OGM, pour défendre ceux qui veulent les mettre en place, il vous appartient de fixer un cadre, le plus clair et le plus restrictif possible.

M. Pierre COHEN : Je croyais que l’on n’avait pas le droit de produire des OGM en France et que la tolérance s’arrêtait aux recherches en laboratoire et aux essais en champ, eux-mêmes soumis à autorisation. A croire José Bové, tout un chacun aurait le droit en produire librement, dès lors que la semence est dans le catalogue. C’est pour moi une réelle surprise.

Marion Guillou nous a fait part de la vive inquiétude des chercheurs. Ils affirment qu’il n’est pas possible d’aller plus loin dans la connaissance scientifique du problème sans essais en champ, alors que vous soutenez qu’il existe suffisamment de moyens en amont pour s’en passer ! Qu’il faille poser des préalables, nous en sommes tous d’accord. Mais quels doivent être ces préalables au-delà de ce qui est déjà requis ? Qu’il faille lancer le débat, c’est évident : Marion Guillou et Guy Riba ont très honnêtement reconnu le rôle moteur que vous avez joué à cet égard en 1996. Je n’irai pas jusqu’à poser la question sous l’angle sociétal, comme l’a fait le rapporteur mais n’y a-t-il pas un réel danger, en décourageant les chercheurs – car ils sont découragés – de nous couper d’une connaissance qui pourrait permettre à la France et à l’Europe de se prévaloir de leur capacité d’expertise pour peser dans les instances mondiales ?

« Nous avons suffisamment d’informations ailleurs », avez-vous dit. En tant que scientifique, je ne peux me satisfaire de tels arguments. Le chercheur a toujours intérêt à avoir sa recherche propre, ne serait-ce que pour combattre de ce l’on veut combattre à l’extérieur. Se servir de la connaissance que les autres veulent bien vous donner, c’est inévitablement courir le risque d’être manipulé.

M. André CHASSAIGNE : José Bové a parlé des conséquences de l’utilisation des OGM sur l’alimentation mondiale. En fait, l’arme alimentaire est d’ores et déjà utilisée par les cinq grands groupes qui dominent le monde, avec une force d’appropriation énorme et tout un arsenal de techniques d’avant-garde. Mais doit-on pour autant mélanger le combat, à mes yeux légitime, contre le capitalisme alimentaire et la question de la recherche sur les OGM ? Avec ou sans OGM, la question de l’arme alimentaire ne se pose-t-elle pas en fait dans les mêmes termes ? Ce rapprochement n’est-il pas quelque peu artificiel ?

D’un autre côté, les pays en voie de développement sont, chacun le sait, dans une situation critique sur le plan alimentaire. On nous a parlé hier, par exemple, d’un « riz doré » transgénique enrichi en provitamine A qui permettrait de lutter contre les famines et les carences vitaminiques. Est-ce une bonne chose de bloquer ce type de recherche ?

On nous promet également des riz qui pourraient être produits en économisant 41 % d’eau et qui pourraient constituer une réponse au réchauffement climatique. On sait que des pays entiers qui autrefois avaient des cultures vivrières ne sont plus en mesure aujourd’hui de produire leurs propres vivres, du fait du réchauffement climatique. Si la transgénique permettait de leur donner les moyens de subvenir à leurs propres besoins, cela ne mériterait-il pas d’être pris en compte ? Votre attitude n’est-elle pas en contradiction avec certaines des positions que vous défendez ?

M. Guy KASTLER : Il n’est pas normal qu’un paysan conteste un chercheur. Guy Riba était partie civile au procès de Foix. C’est un homme parfaitement honnête avec qui on peut discuter. Lorsque nous lui avons demandé s’il savait qu’il y avait des ruches à moins de deux kilomètres de l’essai en cause, il a répondu qu’il n’était pas au courant… Cela signifie que l’interpellation des chercheurs par la société civile est indispensable. Nous connaissons le terrain et nous sommes en droit de leur poser des questions.

A côté de l’expertise officielle, on trouve quantité de chercheurs de la recherche publique – dont certains ont été licenciés – et de chercheurs indépendants. Jusqu’à la semaine dernière, avec le séminaire de la CGB, l’expertise officielle ne parlait pas de l’instabilité génétique. Il suffit de lancer un moteur de recherche pour savoir que tout le monde est au courant depuis des années… Grâce à l’Internet notamment, la société civile a accès à toutes ces recherches. Certes, elles ne sont pas estampillées « Académie des sciences », mais ce que dit l’Académie des sciences sur les OGM, je préfère ne pas le commenter… En tant que citoyen lambda, en tant que paysan, j’ai accès à d’autres informations scientifiques et je suis en droit de poser des questions auxquelles les chercheurs doivent répondre. Le problème aujourd’hui n’est pas de faire des essais en milieu ouvert, mais de répondre à nos questions de fond. Dans le secteur de l’amélioration végétale, on n’embauche quasiment plus que des biologistes moléculaires depuis vingt ans. Faisons-les travailler sur des questions de fond et non sur des brevets !

Vous avez évoqué le projet de loi, adopté par le Sénat, relatif à la protection des inventions biotechnologiques. Lisez le texte de l’article L. 613-2-2 du code de la propriété intellectuelle, tel qu’il est proposé de le modifier : « La protection conférée par un brevet à un produit contenant une information génétique ou consistant en une information génétique s'étend à toute matière dans laquelle le produit est incorporé… » Et l’article L. 613-2-3 : « La protection conférée par un brevet… s'étend à toute matière biologique obtenue à partir de cette matière biologique par reproduction ou multiplication et dotée de ces mêmes propriétés. » Autrement dit, la semence du paysan qui ressème sa récolte sera elle-même protégée ! Et si ma récolte est contaminée, appartiendra-t-elle à celui qui l’aura contaminée ? Voilà les dispositions adoptées par le Sénat que l’on vous demande de voter !

Au surplus, qui dit brevet dit protection du secret industriel. Faire connaître l’intégralité de la construction transgénique brevetée revient à livrer son secret industriel. De fait, les constructions transgéniques des variétés brevetées ne figurent jamais intégralement dans les répertoires officiels, ce qui pose un problème de loyauté commerciale, mais surtout interdit toute expertise indépendante puisque seuls les experts officiels – et encore ! – les experts de la CGB n’ont pas les séquençages complets. Ils ne sauront donc pas si des gènes baladeurs sont allés se fixer ailleurs. Et un laboratoire indépendant ne pourra rien chercher, puisqu’il n’aura pas la construction originelle. Le système du brevet revient à confisquer définitivement toute possibilité d’expertise indépendante et, du même coup, toute possibilité de contestation par la société civile. Vous aurez définitivement escamoté tout débat scientifique réel sur l’instabilité génétique et les risques qui en découlent.

M. José BOVÉ : L’Organisation mondiale de la santé elle-même s’est inquiétée du risque de voir développer une variole génétiquement modifiée, alors même que cette maladie a été totalement éradiquée de la planète. Et tout cela pour étudier le potentiel de la variole comme arme de destruction massive ! Cela rejoint ce qui a été dit sur les plantes médicamenteuses. Il y a là des bombes à retardement. Nous n’avons jamais remis en question la transgénèse en tant qu’outil de recherche, mais seulement son utilisation pour un produit fini.

Le « riz doré » a été l’occasion d’une véritable escroquerie qui n’est du reste pas le fait des chercheurs. Il suffit de demander quelle quantité de « riz doré » il faut ingurgiter chaque jour pour tirer le bénéfice attendu de cette modification génétique : autour d’un kilo de riz sec par jour !

M. Francis DELATTRE : Les chiffres que l’on nous a donnés hier sont nettement inférieurs : entre trois et six cents grammes.

M. José BOVÉ : Je vous mets au défi de manger trois cents grammes de riz sec – avant cuisson – par jour !

M. Guy KASTLER : Les carottes, c’est mieux !

M. José BOVÉ : Les paysans du Tiers-Monde ont déjà été privés de leurs moyens de production du fait de la logique des cultures industrielles, des lois de l’OMC et du dumping des Etats-Unis et de l’Europe. Maintenant, on veut leur donner du « riz doré » pour compenser ce qu’ils ne peuvent plus produire par notre faute… Même chose pour l’histoire des ailes de poulets, que l’on fait manger aux Africains, ce qui a détruit en quelques années tout l’élevage de l’Afrique de l’Ouest ! Nous sommes tombés dans un système absurde, cinglé, invraisemblable !

M. le Rapporteur : Et si l’on trouve un jour une variété de « riz doré » acceptable ?

M. José BOVÉ : On invoque aussi la consommation d’eau. Limagrain travaille sur un maïs qui consommerait moins d’eau. Les Africains savent que cela existe depuis toujours : cela s’appelle le sorgho. Pourquoi ne pas travailler à l’amélioration du sorgho ? Un des « faucheurs volontaires » est chercheur au CIRAD12. On lui a demandé d’améliorer le rendement du sorgho. Il a trouvé un sorgho parfait. Malheureusement, il mettait trois fois plus de temps à cuire
– autrement dit, il fallait trois fois plus de bois. Cela n’avait aucun sens ! C’est à toutes ces questions qu’il faut faire attention au moment d’expertiser un produit fini.

Ce dont ont besoin la majorité des paysans de cette planète, c’est d’avoir la capacité de nourrir leur famille à partir de leur propre production, de leurs propres semences, de leurs propres modes agraires – qu’il faut préserver. Il faut donc mettre des freins à la logique du dumping qui ne cessent de s’étendre. On compte plus de 150 000 variétés de riz différentes dans le monde. La logique d’une firme comme Monsanto est de lancer une production de masse sur quatre ou cinq variétés de riz transgénique pour obtenir un maximum de retour sur investissement. Or, dans le champ du paysan, les semences se reproduisent sexuellement, donc gratuitement. Et cela, un marchand ne peut pas le supporter.

M. Francis DELATTRE : Je conçois parfaitement qu’un paysan soit libre de ressemer ses propres graines. Mais vous-même posez le problème de la dissémination ; le gène dit « Terminator » qui a provoqué, à juste titre, un véritable scandale, avait précisément pour but d’éviter la dissémination… Parlant du colza transgénique, vous affirmez que le risque de contamination a été démontré en laboratoire, ce qui est vrai. Mais l’essai en plein champ a précisément l’intérêt de s’assurer du risque non plus théorique, mais réel, et les études, conduites, elles aussi par des gens sérieux, montrent que la dissémination est très relative.

Du reste, quel problème poserait la présence de ce colza modifié pour résister aux herbicides ? Son principal intérêt est de permettre à l’agriculteur de recourir à un herbicide généraliste, le glyphosate, tombé dans le domaine public, et donc beaucoup moins cher que les désherbants sélectifs classiques qu’il faut passer à trois ou quatre reprises. Soit un coût de 50 francs à l’hectare au lieu de 900 à 1 000 francs avec un colza traditionnel – mes références sont antérieures à l’avènement de l’euro.

L’intérêt des OGM n’est pas tant d’améliorer les rendements que de réduire les coûts de production. S’y ajoute un intérêt sanitaire, puisque le maïs génétiquement modifié, par exemple, détruit lui-même la pyrale et la chrysomèle. Or si votre argument sur le franchissement de la barrière des espèces ne m’a pas convaincu, il est une chose dont je suis certain, c’est que l’accumulation des pesticides dans l’eau et l’alimentation est cause de bon nombre de cancers. J’en viens à penser que la réconciliation de l’agriculture et de la société passera par les OGM et que vous devriez en être les premiers supporters !

Le problème des semences se pose d’ores et déjà avec les hybrides. L’amélioration des rendements depuis cinquante ans est due, pour une large part, à la recherche variétale. Le créateur d’une nouvelle variété est donc légitimement fondé à espérer un retour sur investissement, faute de quoi personne ne se consacrerait à l’amélioration variétale.

Nous sommes, par exemple, particulièrement intéressés à la production de biocarburants. Or nous avons besoin d’améliorer le rendement du colza en biocarburant pour que cette filière devienne compétitive, sous peine de voir notre marché envahi par la concurrence, notamment du Brésil.

M. Philippe FOLLIOT : Je rends tout d’abord hommage à votre détermination. J’ai du reste suivi avec intérêt le combat qu’avait mené en son temps José Bové contre la taxation du roquefort par les Américains…

Si les OGM amènent à se poser des questions, il est d’autres sujets d’ordre environnemental sur lesquels nous avons d’ores et déjà beaucoup plus de certitudes : les gaz à effet de serre, le bromure de méthyle, l’utilisation des pesticides, etc.

Je me félicite de votre présence ici. Toute conviction mérite d’être défendue et chacun a le droit d’en exprimer, d’autant que je n’ai aucun a priori pour ou contre les OGM. Mais, en tant que parlementaire, l’idée de désobéissance civique me choque profondément. Je ne saurais partager ces méthodes, si légitime que soit la cause défendue. Nous avons connu les commandos anti-avortement qui venaient jusque dans les hôpitaux agresser les médecins ou les jeunes femmes !

Sur le fond, vous avez déclaré avoir une vision non pas nationale, mais bien européenne, voire mondiale. Nul ne peut vous reprocher la constance de vos positions européennes mais irez-vous faucher volontairement en Espagne, où les cultures d’OGM couvrent déjà 70 000 hectares ?

M. José BOVÉ : C’est prévu pour l’été prochain !

M. Philippe FOLLIOT : Mais surtout, qu’entendez-vous faire pour que ce problème soit abordé à l’échelle continentale ? On ne résoudra rien par des dispositions prises seulement en France, sans garde-fous dans les pays voisins. Que la France prenne la tête de combats hautement symboliques, comme elle l’a fait pour l’Irak, je n’ai rien contre mais si nous sommes les seuls à nous imposer des contraintes, ne craignez-vous pas que, loin de régler le problème, nous n’aboutissions qu’à nous pénaliser nous-mêmes ?

M. François GROSDIDIER : Si votre action a eu le mérite, il y a quelques années, de médiatiser le problème des OGM, on a plutôt l’impression désormais que, plus on en parle, plus la confusion s’accroît. En vous écoutant, j’ai cru un moment que le présupposé l’emportait sur les considérations techniques…

Pourquoi opposer systématiquement l’agriculture industrielle et l’agriculture qui sert à l’alimentation ? Le carburant mis à part, la finalité première de l’agriculture reste de produire des aliments, directement ou par le biais de la production d’herbivores. Cette dialectique ne me paraît pas de nature à éclaircir le débat, alors précisément qu’ici notre rôle consiste à nous forger la meilleure opinion possible en toute honnêteté intellectuelle.

Je vous ai entendu dire que la recherche n’était finalement pas nécessaire dans la mesure où elle ne répondait qu’à un seul objectif, la brevetabilité du vivant. Mais pour un établissement public, la première finalité de la recherche, ce n’est pas le brevet, c’est de trouver les bonnes réponses, en termes de sécurité sanitaire, à apporter aux populations. Par ailleurs, je croyais – mais peut-être me trompais-je – que le vivant n’était pas brevetable en France ni en Europe.

M. Guy KASTLER : C’est prévu dans le projet de loi.

M. François GROSDIDIER : Autrement dit, pour l’heure il ne l’est pas. En revanche, les recherches sont indispensables.

Vous mettez fortement en cause l’indépendance de l’INRA. Certes, l’INRA est lié par des conventions avec des opérateurs privés. Mais, outre le fait qu’il s’est doté d’un comité d’éthique et que ces questions sont largement débattues au sein de ses différentes instances, il me semble que l’INRA évite soigneusement de mélanger les intérêts publics et privés.

La question se pose alors de savoir si l’INRA est effectivement à même de nous donner des réponses capables de nous éclairer au regard de l’intérêt public ou bien si nous devons considérer ces résultats comme intrinsèquement viciés et nous mettre en quête d’une autre instance d’expertise réellement indépendante. Au-delà du procès d’intention, avez-vous des éléments précis qui pourraient nous faire douter de son indépendance ? Progressivement, votre action en est venue à dissuader, à croire les chercheurs, toute recherche publique dans le domaine des OGM. Pour ma part, je préfère m’en remettre aux résultats des expérimentations menées par l’INRA en France plutôt qu’à ceux que nous fournirait la recherche privée américaine.

Vous mésestimez totalement les avantages que présenteraient les OGM en terme de moindre utilisation des pesticides. L’enjeu de santé publique est suffisamment important pour prendre la peine, qu’il s’agisse des OGM ou de l’agriculture traditionnelle, de faire un honnête bilan coût/avantages…

Enfin, prétendre que les OGM n’auraient aucun intérêt économique pour le paysan n’a pas de sens. Si tel était le cas, le problème serait d’ores et déjà réglé ! Dans une économie de marché, un acteur économique n’est jamais obligé de faire un geste dont il ne tire aucun avantage. Les OGM présentent forcément un intérêt économique pour celui qui l’achète, sinon, il n’en achètera pas. Reste maintenant à savoir s’ils ont un intérêt public.

M. le Président : Nous pourrons inviter la Confédération paysanne à participer à nos tables rondes contradictoires où les avis pourront se confronter.

M. Guy KASTLER : La liberté économique de l’agriculteur a précisément disparu depuis l’avènement des hybrides, puisqu’il lui est interdit de faire ses propres semences. Il existe du maïs bio en France, mais il est tout simplement illégal, parce qu’une variété « population »
– c’est-à-dire une variété non hybride permettant, contrairement aux hybrides, de ressemer le grain récolté et d’avoir ensuite une belle récolte – ne peut pas être inscrite au catalogue. Or il nous faut précisément, en bio, des variétés naturelles, diversifiées et capables d’évoluer pour nous passer d’intrants chimiques et nous adapter aux changements climatiques. Les hybrides ont été mis en place justement pour entraver la liberté économique par le fait qu’ils ne peuvent pas être ressemés. Et c’est l’INRA qui les a introduits et qui a mis en place la réglementation catalogue ! Il faut modifier cette législation.

Pour ce qui est des rejets de pesticides, un champ de maïs Bt produit au minimum dix mille fois plus de toxine Bt qu’un agriculteur qui traite intensivement ! Les consommations d’insecticides et de désherbants avaient effectivement diminué aux Etats-Unis. Mais au bout de quelques années, elles sont remontées au niveau du début. Et la quantité de toxine libérée dans l’environnement ne cesse d’augmenter, puisqu’elle est désormais produite par la plante. Quant à manger du maïs Bt, je vous en laisse la responsabilité… Demandez à la chrysoperla ce qui lui arrive !

Quant au maïs « Terminator », il a lui aussi la faculté d’aller contaminer par son pollen le maïs du voisin et le rendre infertile. On prétend mener actuellement des recherches sur des plantes capables de produire des lipases gastriques. Une lipase est une enzyme qui détruit les lipides, y compris les lipides des graines au moment de la germination… Autrement dit, les tests sur les plantes à lipases sont en fait des tests « Terminator » ! Et il n’y en a pas qu’aux Etats-Unis, mais également en France…

Une étude sur les sojas résistants aux désherbants a mis en évidence une baisse de la résistance au Fusarium – un champignon qui se fixe sur les racines et rend la récolte toxique – et une baisse de la capacité de la plante à mobiliser elle-même l’azote – ce qui oblige à augmenter les apports d’azote.

Nous nous posons des questions de recherche fondamentale mais la recherche fondamentale n’est pas financée par les firmes. Un chercheur INRA est habillé par l’INRA, on lui paie son stylo, mais même pas son essence ! Pour financer ses recherches, il va devoir passer des contrats, faire de la recherche appliquée et déposer des brevets. Mais il n’a pas intérêt à publier ses résultats de recherche fondamentale, ni à en faire la publicité, au risque de remettre ses brevets en question.

M. Olivier KELLER : Nous connaissons au Canada mille agriculteurs biologiques qui ne peuvent plus produire de bio à cause du colza. Une étude réalisée dans le cadre de l’ALENA a montré que 0,7 % des maïs autochtones mexicains étaient pollués à cause des plantations transgéniques ! Quel droit à exister reste-t-il pour ceux qui ne veulent pas aller dans ce sens ? Quel espace leur reste-t-il pour s’exprimer ? L’implantation des OGM, sur le plan économique, comme sur le plan environnemental, procède d’une logique totalitaire.

M. José BOVÉ : Lors d’un procès à Auch pour un fauchage de champ, Monsanto, partie civile, était venu à la barre expliquer que, grâce au maïs Roundup Ready, on utilisait moins d’herbicide et que c’était un formidable progrès. Le président du tribunal, homme de bon sens car ancien président du tribunal de commerce, lui a aussitôt répondu : « Vous êtes une firme commerciale, pas une organisation philanthropique. Pourquoi nous faire toute cette propagande en expliquant que votre maïs permettra d’utiliser moins d’un produit que vous vendez également ? Cela n’a aucun sens économique ! » Le représentant de Monsanto a reconnu que le but était de vendre la plante et le traitement qui allait avec, et surtout pas d’acheter le produit de traitement du voisin, qui ne serait plus compatible avec ce maïs génétiquement modifié… Il y a là une cohérence économique évidente.

M. François GROSDIDIER : Ce raisonnement ne vaut qu’un temps. Ce que Monsanto ne fait pas, un concurrent le fera. Tant qu’on n’est pas en situation de monopole…

M. José BOVÉ : Précisément : on assiste à une concentration drastique des détenteurs des variétés végétales sur la planète. C’est un véritable problème de fond auquel les politiques doivent être sensibles. Lorsque quatre ou cinq firmes privées internationales contrôleront toutes les semences, que pourra-t-on faire ? Monsanto détient déjà plus de 60 % des variétés de maïs de la planète. Nous sommes déjà dans une situation de monopole, et celui-ci est encore plus accentué dans les OGM.

Dès lors qu’un OGM fabrique un produit toxique, insecticide ou herbicide, pourquoi n’applique-t-on pas une logique d’autorisation de mise sur le marché ? Compte tenu des risques de toxicité notamment, il est invraisemblable de rester dans le flou de l’OMC et de sa définition des « produits équivalents ». C’est au nom de ce principe que l’on a tenté de faire entrer le bœuf aux hormones en Europe en alléguant qu’il était équivalent au bœuf à l’herbe... Heureusement, l’Europe a su résister. Pour les OGM, c’est la même chose. Ce ne sont pas des produits équivalents.

Plus on avance, plus c’est confus, dites-vous. Je le constate moi aussi chaque jour : les problèmes posés, particulièrement sur le plan scientifique, sont de plus en plus complexes. Et si la complexité augmente, il faut prendre du temps pour réfléchir au lieu d’avancer à l’aveuglette en transformant le champ du paysan en paillasse de laboratoire. C’est un vrai débat, un débat sérieux, fondamental. Cet été encore, les chercheurs de l’équipe de Jacques Monod, qui avait reçu le prix Nobel en 1965, nous confessaient qu’ils avaient à l’époque une vision restrictive de la biologie moléculaire et qu’il leur fallait aujourd’hui revisiter la totalité de leurs travaux. Tout simplement parce que le vivant, ce n’est pas mécanique. Voilà un vrai débat de recherche fondamentale sur lequel il est nécessaire d’avancer, et plus vite qu’on ne le fait aujourd’hui.

On nous demande ce que nous proposons au niveau européen. Nous ne sommes pas des politiques, ne mélangeons pas les rôles. Il est vrai qu’un débat s’impose au niveau européen, à voir la distance qui sépare l’Espagne – favorable, jusqu’au changement de majorité – de l’Autriche – totalement réfractaire aux OGM – ou de l’Italie, plutôt opposée. Il semblerait que les ministres espagnols de l’agriculture et de l’environnement veuillent remettre le sujet sur la table, tout comme les organisations de consommateurs et d’agriculteurs. Et à vingt-cinq, il faudra avancer encore davantage et ce sera très compliqué.

Nous avons déjà parlé de l’indépendance de l’INRA. Se pose particulièrement la question de sa participation à Génoplante dont le but déclaré est de déposer des brevets. Et lorsqu’un des partenaires de Génoplante s’est retrouvé absorbé par une entreprise qui n’était plus française, il a fallu changer au plus vite les statuts de Génoplante pour éviter qu’une firme étrangère ne s’en retrouve actionnaire principal de cet organisme mixte public/privé… Participer à la course aux brevets, c’est prendre le risque de perdre son indépendance. On a admis pour le nucléaire le principe de laboratoires indépendants – voyez la CRIIRAD. Il serait cohérent de faire de même pour les OGM. Cela fait partie du jeu démocratique. Il faudrait que des laboratoires indépendants puissent refaire ce qui a été fait par des laboratoires de firmes privées.

Enfin, si nous avons fait acte de désobéissance civique, c’est parce que la mise en place des OGM, telle qu’elle s’est effectuée jusqu’à présent, va à l’encontre de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui, par extension et jurisprudence, dispose que chacun a droit à en environnement sain pour lui-même et pour sa famille. La prolifération des OGM va à l’encontre de ce droit. Par ailleurs, nous avons clairement assumé nos actes, à visage découvert, en arguant de l’état de nécessité, lequel, face à un risque grave et imminent, autorise un individu à agir, au besoin en dehors de la loi. Cela dit, nous avons toujours assumé les conséquences de nos actes et nous n’avons jamais fait usage de violence à l’encontre des personnes. C’est pourquoi je ne peux accepter la comparaison avec les commandos anti-avortement qui s’en prenaient physiquement à des personnes et ont attenté à leur liberté de penser au motif qu’elles ne partageaient pas leurs convictions religieuses et philosophiques. Nous n’avons rien à voir avec ce genre d’individus, nous l’avons de nouveau montré à l’occasion du débat sur le voile et la laïcité. Il est du reste heureux que cette discussion arrive le jour anniversaire de la loi Veil, dont on ne peut que féliciter le Parlement de l’avoir adoptée.

M. le Rapporteur : Je vous remercie pour la qualité de ces échanges qui se seront déroulés dans un climat de respect mutuel.

Audition de M. François LUCAS,
président de la Coordination rurale – Union nationale


(extrait du procès-verbal de la séance du 30 novembre 2004)

Présidence de M. Jean-Yves LE DÉAUT, Président

M. le Président : Je vous informe que notre mission d’information s’intitule désormais « mission d’information sur les enjeux des essais et de l’utilisation des organismes génétiquement modifiés ». La Conférence des Présidents a accédé à la demande que nous avions faite au Président Debré d’élargir notre champ de compétence.

Nous accueillons M. François Lucas, président de la Coordination rurale - Union nationale.

M. François LUCAS : Avant d’en venir aux questions assez exhaustives qui m’ont été adressées, j’exposerai les raisons pour lesquelles la société en est arrivée à s’interroger sur les organismes génétiquement modifiés, qui nous sont familiers depuis près d’une dizaine d’années.

Tout part d’une ambiguïté. Les semenciers promoteurs des OGM, au départ, laissaient entendre que cette technologie produisait des semences ordinaires, seulement pourvues d’un petit « plus ». Mais la Coordination rurale et les agriculteurs, après information sur cette technique, ont considéré qu’une semence manipulée en insérant dans des cellules des gènes étrangers à l’espèce dont elles étaient extraites n’avait plus grand-chose à voir avec un produit que l’on puisse qualifier d’« authentique ». Pour nous, un maïs, un soja ou un riz génétiquement modifié n’est plus un maïs, un soja ni un riz. La production d’OGM a pourtant été présentée comme une simple variante de la sélection, et certains ont été jusqu’à affirmer que cette pratique datait des origines de la génétique, voire de celles de l’agriculture ! C’est ainsi que, vers 1995, des parcelles d’essais ont été ouvertes pour le maïs, et plusieurs années ont passé avant que soient prises des précautions sérieuses, tant autour de ces essais qu’en matière d’information et de suivi, notamment dans la loi d’orientation agricole de 1999. Les inquiétudes suscitées par ces créations – ou ces créatures – chez certains scientifiques, ainsi que chez les agriculteurs, chez les consommateurs et dans la société tout entière, n’ont cependant jamais été levées. Ainsi les essais en plein champ sont-ils très souvent détruits, l’opinion publique étant, vis-à-vis de ces actions, partagée entre l’approbation au titre du principe de précaution et le malaise face au mépris affiché pour la légalité.

Outre les problèmes d’ordre agricole, plusieurs questions restent sans réponse de la part des autorités scientifiques. L’innocuité des organismes génétiquement modifiés dans la chaîne alimentaire n’a pas été démontrée. L’instabilité de ces plantes dans l’environnement a été prouvée, leur séquence génétique n’étant pas toujours conforme à celle déclarée par leurs inventeurs. Les aliments issus des manipulations génétiques n’ont pas été expérimentés sur des animaux de laboratoire.

Certains points particuliers éveillent pourtant une suspicion de risque, comme, par exemple, les effets des plantes OGM résistantes aux herbicides totaux, lesquels ne sont pas homologués pour entrer dans la chaîne alimentaire. Lorsque du maïs tolérant au Roundup est consommé, que deviennent les molécules de glyphosate ? De même, les effets dans l’alimentation du gène Bt – Bacillus thurigiensis – sécrété par certains maïs OGM font-ils l’objet de recherches ? Et quelles sont les conséquences annexes sur l’équilibre naturel général lorsqu’une plante acquiert la faculté de résister à tel insecte, tel lépidoptère ou tel herbicide ? La nature se réorganise en donnant naissance à des plantes, à des insectes ou à des champignons résistants, et cet aspect n’a guère été étudié. Si la technologie des OGM est vulgarisée, on pourra se retrouver avec une infinité de plantes génétiquement manipulées. Comment se comporteront ces cocktails de gènes libérés dans la nature ? Comment les organismes de contrôle pourront-ils en dresser l’inventaire ? Enfin, certaines manipulations génétiques semblent allergènes et je ne crois pas que cela ait fait l’objet de recherches poussées.

Il convient de répondre à toutes ces questions avant de manipuler le fraisier, le peuplier, le noisetier, la vigne, le maïs ou le blé, et avant d’autoriser les essais en plein champ, sans quoi l’on risque de laisser libre cours à une dissémination irresponsable.

Notre syndicat est opposé aux essais en plein champ car le risque de dissémination est parfaitement avéré. Des distances de sécurité de quelques dizaines ou même centaines de mètres sont inacceptables : songez que certains vents, en Charente, charrient des sables provenant du Sahara et qu’il existe d’autres vecteurs potentiels, comme le gibier ou les abeilles. Il y a quatre ans, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a enquêté sur la présence d’OGM dans des semences de maïs, et en a relevé des traces dans 40 % des lots analysés. En outre, quand les semenciers prétendent qu’ils ne peuvent se passer des essais en plein champ, ils oublient de dire que le comportement des variétés concernées est connu, puisque l’on se contente de greffer sur des plantes standard un gène possédant un caractère particulier supplémentaire. Du reste, les essais sont conduits sur de très faibles volumes, pendant un ou deux ans, et dans un lieu donné, ce qui ne permet pas de tirer des conclusions générales sur le comportement de la variété. Des scientifiques disent qu’il est parfaitement possible de reproduire en laboratoire les conditions variables que rencontreront ces variétés sur le terrain, à l’instar de ce qui se fait pour les essais nucléaires, même si cela coûte plus cher. Nous sommes donc partisans de l’expérimentation en atmosphère contrôlée, qu’il s’agisse d’OGM à des fins alimentaires ou médicamenteuses – comme en 1983 ou 1984, lorsque furent cultivés sous serre des plans de tabac génétiquement modifié pour produire une protéine médicamenteuse qui coûtait très cher à reproduire en chimie de synthèse.

M. le Président : Vous venez de prononcer un plaidoyer en faveur d’expérimentations en milieu confiné, contrairement à l’INRA, qui les juge insuffisantes. Mais quel intérêt voyez-vous à la poursuite d’expérimentations, même en milieu confiné, si vous êtes opposé à la culture en plein champ ?

M. François LUCAS : Notre position n’est pas binaire : nous ne sommes ni pour ni contre les OGM, nous estimons simplement que leur culture en plein champ, en l’absence de certitudes scientifiques, ne doit pas être vulgarisée, et nous demandons que plusieurs questions importantes fassent l’objet de recherches indépendantes approfondies. Il est scandaleux, à cet égard, que les dix dernières années aient été perdues à essayer de faire passer les OGM en force.

M. le Président : Mais à quoi servirait-il de cultiver quelques plants sous serre quand 70 millions d’hectares sont déjà exploités dans le monde ? Estimez-vous que le gouvernement devrait se battre pour faire interdire la culture des OGM dans tous les pays ?

M. François LUCAS : Ce serait un beau combat, mais je doute qu’il soit gagnable. Par contre, il faut dresser une barrière continentale pour que l’Europe ne mette pas le doigt dans l’engrenage. Ce n’est pas parce que l’Amérique du Nord et l’Amérique du Sud ont pris la responsabilité de cultiver des OGM que nous devons nous aligner sur elles. C’est une question de souveraineté, mais aussi de sécurité alimentaire. N’oublions pas, notamment, que depuis 1997, certains maïs du Sud-ouest de la France sont valorisés par le marché espagnol parce qu’ils sont non-OGM.

M. le Président : Pourquoi l’application sur un OGM d’un herbicide total comme le Roundup différerait-elle son utilisation dans un champ classique ? Par ailleurs, ne pensez-vous pas que l’utilisation des pesticides et des fongicides constitue actuellement l’un des problèmes principaux en matière de sécurité alimentaire ?

M. François LUCAS : Un herbicide total étant censé détruire toutes les plantes qu’il touche, il ne fait pas l’objet de recherches dans la chaîne alimentaire. Mais, dès lors que survivent des plantes sur lesquelles il a été pulvérisé, je m’étonne que son devenir ne soit pas étudié dans la plante qui a survécu.

M. le Président : De toute façon, il est présent dans le sol et par conséquent dans les repousses. C’est pour cela qu’on le retrouve d’ailleurs.

M. François LUCAS : Mais le glyphosate est actif uniquement par contact avec les feuilles. Quoique Monsanto ait longtemps présenté le Roundup comme l’herbicide « écologique » par excellence, absent dans la chaîne alimentaire et dans l’environnement, il convient de se montrer réservé car on trouve désormais des résidus de glyphosate dans les eaux.

Contrairement à ce que disent les promoteurs des OGM, ceux-ci ne dispenseront pas du recours aux herbicides. Ils déplaceront simplement l’usage vers d’autres matières actives. J’aurai cependant l’honnêteté de dire que je ne partage pas le jugement des détracteurs des OGM traités au Roundup qui prétendent qu’on utilise finalement plus d’herbicide qu’avant : ceux-ci requièrent effectivement des quantités importantes de produit, en deux ou trois passages, mais les herbicides sélectifs sont beaucoup plus nocifs pour l’environnement. Car il ne faut pas simplement s’attacher au poids total d’herbicide mais aussi à la nature de la matière active. Il est parfois moins nocif d’employer une plus grande quantité de matière moins nocive qu’une plus petite très nocive. Quoi qu’il en soit, si des plantes deviennent résistantes au glyphosate, on aura fait une fois le tour du cercle vicieux et on sera revenu à la case départ. On a déjà connu, par le passé, des herbicides miracles, l’atrazine et la simazine, qui ne laissaient debout que le maïs, mais, d’année en année, des mauvaises herbes résistantes sont apparues, au point que ces deux produits, devenus inefficaces, ont été interdits. Je vous donne un avis de praticien : faune, flore ou champignons, la chimie n’est jamais parvenue à venir définitivement à bout d’un problème. En médecine, le cas des antibiotiques est similaire.

M. le Rapporteur : S’agissant des expérimentations en plein champ, ne menez-vous pas un combat d’arrière-garde, sachant que l’Espagne se lance dans des cultures qui seront sources de dissémination ? Par ailleurs, selon les conclusions du « projet Bright », mené en Angleterre durant quatre ans, le colza et la betterave génétiquement modifiés préserveraient la biodiversité, et les écologistes préconisent maintenant des études en plein champ.

M. François LUCAS : La préservation de l’authenticité naturelle, à mon sens, n’est pas un combat d’arrière-garde. Un homme a créé l’agriculture, un jour, il y a 13 000 ans, en semant une graine, mais cela ne justifie pas que l’on redéfinisse les règles de la nature et que l’on transfère les caractères d’un animal à un végétal sans se poser de questions. Il est de surcroît inacceptable, par principe comme par souci de protéger les générations futures et la planète, de l’imposer à ceux qui n’ont rien demandé. Que les Espagnols avancent rapidement ne constitue pas une raison suffisante pour s’incliner et pour s’exposer à tous les dangers – je note d’ailleurs qu’aucune compagnie d’assurances au monde ne consent à couvrir les risques encourus par les créateurs d’OGM. On réinventera la nature en créant de nouvelles espèces à l’infini, par combinaisons : quel progrès pour la biodiversité ! Plus sérieusement, il est à craindre que les semenciers, par le biais du brevetage, ne s’emparent de la maîtrise de la biodiversité.

M. le Rapporteur : L’information que donne la presse sur les OGM vous paraît-elle objective ?

M. François LUCAS : La presse présente malheureusement le problème de façon binaire : elle est soit pour, soit contre les OGM. Le sujet est relativement difficile à comprendre pour le non-initié mais les médias n’ont guère accompli d’efforts de vulgarisation.

M. André CHASSAIGNE : Dans son communiqué, votre organisation « demande que des moyens importants soient consacrés aux OGM par la recherche publique afin de disposer d’informations fiables qui soient diffusées en toute transparence et hors de la pression des organisations économiques ». Mais la plupart des chercheurs nous confient qu’ils doivent sortir du milieu confiné pour mener leurs travaux, et nombre d’entre eux sont découragés par les fauchages et abandonnent la recherche. Qu’en pensez-vous ? Quelle est votre position sur ces fauchages ?

M. François LUCAS : Nous nous opposons aux essais en plein air parce que les conséquences de la dissémination restent mal connues. Mais peut-être, dans l’avenir, s’avéreront-elles dénuées de danger. Avant de se décourager, pourquoi la communauté scientifique ne nous donne-t-elle pas les réponses à nos questions ? J’appelle de mes vœux un effort considérable en faveur de la recherche indépendante, c’est-à-dire surtout publique. Le monde scientifique nous semble globalement indépendant, hormis les spécialistes des biotechnologies, très souvent contraints de s’impliquer dans des programmes privés.

La Coordination rurale n’a jamais participé à des fauchages et sa position sur le sujet est très réservée : nous ne jugeons pas les faucheurs mais nous observons, en ce qui concerne le maïs, qu’ils ont toujours agi après la floraison, c’est-à-dire après la dissémination du pollen… A chacun ses responsabilités : nous pointons les problèmes ; que ceux qui autorisent les essais en assument les conséquences.

Mme Chantal ROBIN-RODRIGO : Je ne considère pas que votre combat est rétrograde, d’autant que vous affichez une position très mesurée, fondée sur le principe de précaution : la science, en termes économiques, environnementaux et sanitaires, ne nous apporte pas suffisamment de garanties. Des expériences ont-elles été menées dans votre région ? Par des semenciers ou par des chercheurs ? Toujours dans votre région, y a-t-il eu des arrachages ? Quelles conclusions la Coordination rurale a-t-elle tirées de tout cela ?

M. François LUCAS : L’INRA n’est pas intervenu dans ma région, mais des essais y ont été conduits par des semenciers. Lors des derniers, qui ont eu lieu en 1999 à Longré en Charente, la Coordination rurale, avec d’autres organisations, y compris des associations de consommateurs, a créé un collectif intitulé « OGM, nous voulons savoir ». A l’époque, il n’y avait aucune transparence, mais nous avons rencontré le prestataire de services du semencier et obtenu le dossier du ministère de l’agriculture. Il y était question de tests sur le comportement d’un maïs Bt face à la chrysomèle, lépidoptère d’Europe centrale, alors inconnu en France, et qui s’attaque aux racines des maïs. J’ai été un peu surpris par cette anomalie, mais on m’a répondu que c’était une erreur de « copier/coller », et notre collectif de bénévoles n’a pas enquêté davantage… Si cela vous intéresse, sachez que je détiens certainement encore le dossier dans mes archives.

M. le Président : Il serait en effet intéressant de demander au responsable de ces essais pourquoi il s’intéressait à la chrysomèle, qui était alors absente de France, contrairement à la sésamie. Je vous saurais gré de bien vouloir nous faire parvenir le dossier.

M. Francis DELATTRE : Les essais conduits sur le maïs Bt que la Commission européenne s’apprête à homologuer portaient bien sur la sésamie et la pyrale, et c’est à cause de la chrysomèle que le dernier agriculteur de ma circonscription, située à proximité de l’aéroport de Roissy, se voit interdire de produire du maïs depuis deux ou trois ans. Mais en quoi la dissémination est-elle si redoutable pour notre maïs ? En France, il n’existe guère de flore qui ressemble au maïs ; nous ne sommes pas au Mexique. Enfin, le glyphosate, entré dans le domaine public, est un herbicide généraliste au coût raisonnable, même s’il faut y ajouter certains adjuvants. Au lieu d’opter pour le modèle culturel consistant à utiliser trois ou quatre herbicides différents, coûteux et plus nocifs pour la santé que le glyphosate, n’est-il pas autrement intéressant, d’un point de vue économique, de produire du maïs génétiquement modifié ? L’intérêt ne réside pas dans l’amélioration des rendements, mais plutôt dans la diminution des coûts de production.

M. François LUCAS : J’ai cru comprendre que votre mission d’information ne s’intéressait pas seulement au maïs mais aux OGM en général. Le seul inconvénient de la dissémination du pollen du maïs, c’est que des agriculteurs peuvent produire malgré eux un maïs inconnu. En ce qui me concerne, je ne pratique pas l’agriculture biologique, mais j’ai choisi jusqu’à présent de ne pas cultiver d’OGM et je refuse qu’on puisse en trouver des traces dans ma production. Or l’enquête de la DGCCRF que j’ai évoquée démontre qu’il y a bien eu dissémination. Et les conséquences de la dissémination de gènes de colza seraient bien plus graves : s’il se croisait avec des ravenelles résistantes à l’herbicide total, ce serait une catastrophe pour les agriculteurs, voire pour la société.

M. Francis DELATTRE : Il suffirait d’employer un autre désherbant que le généraliste – il en existe déjà dans le commerce. Du reste, une étude de l’INRA a établi que la dissémination était possible mais très peu rare.

M. François LUCAS : Je ne suis pas chercheur à l’INRA mais agriculteur et fils d’agriculteur, et il m’a été donné de constater que la nature se réorganisait en permanence : on ne règle jamais un problème, on ne fait que le déplacer. A l’horizon de dix, vingt ou cinquante ans, le transfert à une plante indésirable d’un gène résistant au glyphosate constituerait un gros problème pour l’agriculture. La médecine humaine, avec les maladies nosocomiales et la résistance aux antibiotiques, paie très cher pour savoir que la nature n’est pas maîtrisable. En tant qu’agriculteur, mon intérêt économique est une chose, mais je suis aussi sensible au devenir de mon exploitation et à son transfert aux générations futures. C’est pourquoi il peut être préférable, pour l’instant, de continuer à employer des herbicides plus coûteux.

M. Louis GUÉDON : La résistance aux antibiotiques était connue dès leur découverte, il y a cinquante ans. Si les utilisateurs ont développé des résistances, c’est par un mauvais usage, à l’encontre des recommandations expresses des scientifiques. Or, en l’occurrence, les scientifiques travaillent sur les OGM et nous en parlent, tandis que les utilisateurs s’en méfient.

M. Pierre COHEN : Vous affirmez qu’il existe des risques tant qu’on ne maîtrise pas tout. Mais sous quelles conditions accepteriez-vous que l’on passe des essais en milieu confiné aux essais en plein champ ?

M. François LUCAS : La réponse incombe aux scientifiques. On a observé que les événements annoncés par les obtenteurs n’apparaissaient pas dans certains produits issus de plantes génétiquement modifiées, ce qui tend à démontrer que ces événements sont instables – à moins que les obtenteurs ne rendent pas publics les bons résultats. Les biologistes n’auraient pas besoin de suivre des cycles complets de reproduction pour obtenir des réponses rapides à cette question. De même, pourquoi n’avoir jamais soumis des rats de laboratoire à une alimentation issue de maïs résistant à herbicide par modification génétique ?

M. le Président : Cela vient d’être fait sur des rats de 90 jours, avec, d’ailleurs, des interprétations divergentes de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) et de l’Agence européenne, car les comportements anormaux constatés ont été imputés par les uns à l’âge avancé des rats et par les autres à leur alimentation. Cette étude est décrite dans le dernier numéro de la revue de l’AFSSA.

M. François LUCAS : Elle a porté sur le dernier maïs présenté à la Commission européenne, le ZT-603, et non sur le Bt-11, qui est résistant à la pyrale. Quoi qu’il en soit, cela devrait faire partie du cahier des charges des semenciers.

M. le Président : L’AFSSA n’étant compétente que pour les autorisations de mise sur le marché, elle peut exclusivement tester des aliments susceptibles d’être consommés. Faute de cultures d’OGM destinées à l’alimentation, il ne peut pas y avoir d’essais. Or je note que vous proposez d’étendre les expériences sur les rats à des produits cultivés en champ ouvert.

M. François LUCAS : L’expérimentation des produits sur des rats de laboratoire devrait intervenir avant même l’exploitation en champ ouvert : il conviendrait qu’elle fasse partie du cahier des charges imposé aux semenciers pour l’homologation des semences modifiées issues de plantes cultivées sous serre.

M. le Président : Nous interrogerons à ce propos le représentant de la Commission des toxiques, que nous recevrons le mardi 14 décembre.

Monsieur Lucas, je vous remercie.

Audition conjointe de
M. Benoît LESAFFRE, directeur général du Centre de coopération internationale en recherche (CIRAD),
et de M. Philippe FELDMANN, délégué aux ressources biologiques

(extrait du procès-verbal de la séance du 30 novembre 2004)

Présidence de M. Jean Yves LE DÉAUT, Président.

M. le Président : Messieurs, je vous remercie d’être venus devant notre mission dont le nouvel intitulé, depuis la Conférence des présidents de ce matin, est « Mission d’information sur les enjeux des essais et de l’utilisation des organismes génétiquement modifiés ». Le Président Debré est convenu avec nous de l’intérêt d’élargir notre champ d’investigations à des domaines qui devraient vous intéresser, puisque votre institut se consacre à la recherche finalisée pour le développement, ce qui vous amène à nouer des rapports étroits avec les pays du Sud. Comment la problématique OGM est-elle étudiée au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) ? Quels ennuis avez-vous pu connaître ? Quelle est votre position sur ce sujet ?

M. Benoît LESAFFRE : M. Feldmann qui est délégué aux ressources biologiques à la direction scientifique du CIRAD et moi-même avons préparé à votre intention une série de documents ainsi qu’un CD-ROM rassemblant toutes les informations présentées sur notre site Internet et qui décrivent l’ensemble de nos travaux dans le domaine des OGM. Nous avons toujours veillé à assurer le maximum d’informations sur ce que nous faisions, et c’est d’ailleurs peut-être ce qui a facilité la destruction de nos caféiers de Guyane…

M. le Président : Nous en avons entendu parler…

M. Benoît LESAFFRE : La mission du CIRAD, organisme de recherche finalisée pour le développement, est de contribuer au développement durable des régions tropicales et subtropicales, pour ce qui touche aux systèmes agricoles et agroalimentaires et aux filières de production agricole, mais également, et de plus en plus, aux acteurs et aux territoires eux-mêmes, en travaillant sur les questions rurales et environnementales. Notre approche est résolument intégrée et multidisciplinaire : sciences de la vie, sciences humaines et sociales, sciences pour l’ingénieur. Nos équipes de recherche ne sont pas organisées autour de disciplines comme au Centre national de recherche scientifique (CNRS) et dans les universités, mais autour de questions de recherche, en suivant trois axes : la production, la conservation et la transformation des produits, qui tiennent une large place dans la problématique de l’alimentation des pays du Sud ; la gestion des ressources naturelles et des milieux ; les organisations et les sociétés, car un système de production agricole dépend de la société et du contexte socio-économique.

Notre mandat au service du développement des pays du Sud et de l’outre-mer français, comme indiqué dans notre décret constitutif, se décompose en cinq points : recherche et expérimentations, appui aux institutions de recherche étrangère, information scientifique et technique, formation de Français et d’étrangers – nous avons en permanence 300 doctorants dans notre établissement ; enfin, nous contribuons à l’élaboration de la politique nationale et à l’analyse de la conjoncture scientifique internationale.

Pour mener à bien sa mission, le CIRAD dispose d’installations scientifiques importantes dans l’ensemble des départements d’outre-mer et en Nouvelle-Calédonie, installations dont le rayonnement régional et international va croissant. Nous avons deux directions régionales en métropole, cinq dans l’outre-mer français, ainsi qu’une en Amérique latine et centrale et cinq en Afrique. A cela s’ajoutent des missions régulières en régions tropicales ou subtropicales à la demande des gouvernements, d’organisations multilatérales ou de nos partenaires.

Le CIRAD compte 1 850 agents dont 850 scientifiques – 530 en métropole et 320 hors métropole. Son budget opérationnel est de 160 millions d’euros dont 30 % en ressources propres. Il est à noter que les financements d’origine contractuelle proviennent de fonds nationaux et internationaux, privés et publics, et surtout européens. Le statut du CIRAD, établissement industriel public et commercial, est très différent de celui des établissements publics à caractère scientifique et technologique (EPST) et sa part de ressources contractuelles est nettement supérieure. Cette caractéristique est certes une source de fragilité budgétaire mais elle renforce notre ancrage sur le terrain, dans la mesure où elle nous oblige à présenter des projets en partenariat répondant à des questions concrètes.

Remarquons enfin que, pour les pays du Sud, la question mise en avant depuis la convention internationale de 1992 sur la biodiversité est celle de la préservation des ressources génétiques, question plus générale et autrement plus importante à nos yeux que celle des technologies particulières de modification génétique.

M. Philippe FELDMANN : Le développement des pays du Sud, encore très dépendant des ressources agricoles et forestières, implique une gestion durable de leurs ressources naturelles, qu’il faut en premier lieu caractériser et analyser avant de développer de nouvelles variétés de plantes ou races d’animaux. Mais bien d’autres valorisations sont possibles.

Le CIRAD est logiquement conduit à étudier l’éventuel intérêt des techniques de la transgénèse pour les pays en voie de développement qui, très souvent, ont besoin d’augmenter leur production alimentaire tout en préservant leurs ressources naturelles, autrement dit leur environnement.

Les biotechnologies contribuent tout d’abord à l’amélioration des connaissances. La biologie moléculaire est d’abord un outil d’analyse, de diagnostic, d’identification et de caractérisation, et la génomique un outil particulièrement performant pour comprendre le fonctionnement du génome.

Les biotechnologies contribuent ensuite à l’amélioration, quantitative et qualitative, de la production, mais aussi de la santé animale et végétale. Elles peuvent enfin être utilisées à des fins de préservation, de réhabilitation de l’environnement – bioremédiation, dépollution –, ou encore pour reconstituer des milieux perturbés par les activités humaines.

Les biotechnologies ont encore un potentiel de développement très important dans les pays du Sud. Leurs applications – parmi lesquelles les OGM – soulèvent cependant des interrogations, auxquelles vient s’ajouter le débat de fond sur leurs impacts ainsi que sur l’identification et le partage des enjeux. Ce dernier aspect est particulièrement important au regard de notre rôle de collaboration avec les pays du Sud. Le but n’est pas de leur transférer les techniques du Nord mais d’arrêter des objectifs partagés, en adéquation avec leurs besoins. L’évaluation des impacts des OGM et le partage des objectifs et des enjeux sont à nos yeux deux questions prioritaires qui se posent à toute société face à toute innovation.

Les recherches du CIRAD utilisant la transgénèse ou les OGM ont d’abord pour objectif d’approfondir la connaissance du fonctionnement génétique des espèces tropicales afin de gérer plus efficacement les ressources biologiques. Les biotechnologies sont appliquées sur environ 25 espèces, très souvent pour des analyses de diversité ou encore pour mettre au point des méthodes de sélection par l’utilisation de gènes marqueurs. Pour ce qui est des OGM proprement dits, nous sommes d’ores et déjà parvenus à des réalisations significatives, qu’il s’agisse de la création de mutants d’insertion de riz – en collaboration avec d’autres partenaires publics et privés dans le cadre de Génoplante – afin de déterminer la fonction de chacun des gènes du riz ; de l’étude des gènes impliqués dans l’élaboration de la fibre chez le cotonnier afin de mettre au point des variétés mieux adaptées et de meilleure qualité ; ou encore d’analyses physiologiques sur l’hévéa afin de mieux comprendre les phénomènes déterminant la qualité du latex.

Nos recherches ont également pour but d’étudier l’application de la transgénèse aux productions du Sud lorsque l’intérêt le justifie, en travaillant sur divers procédés de transferts de gènes, en comparant les avantages des plantes transgéniques et les risques économiques, écologiques et sociaux que pourrait entraîner leur développement, en examinant enfin leur impact sur les milieux et leur intégration dans les systèmes de production. Parallèlement, et conformément à sa mission, le CIRAD contribue aussi par son action de formation à renforcer la capacité d’expertise des pays du Sud afin que ceux-ci puissent décider en toute connaissance de cause de la politique à adopter en la matière.

Nous travaillons également, en particulier sur le riz, à l’amélioration des techniques de transformation génétique en supprimant les gènes dits intermédiaires, pour éliminer, par exemple, une résistance aux antibiotiques, ou pour jouer sur la localisation du gène afin d’éviter qu’il ne s’exprime dans le pollen, les graines ou toute partie vouée à être consommée, ou encore pour développer l’inductibilité, c’est-à-dire faire en sorte que le gène – la production de toxine, par exemple – ne s’exprime qu’en cas de stress – en l’occurrence l’attaque d’insectes.

Autre objectif de nos recherches : maîtriser l’impact des plantes transformées sur l’environnement. C’était le but de notre essai de caféiers en Guyane, destiné à tester les flux de gènes et les impacts sur les abeilles, ou encore de nos essais en cours en Chine et en Afrique du Sud sur le cotonnier, destinés à tester les effets sur les insectes cibles et non-cibles et à vérifier l’intérêt économique des variétés transgéniques.

Un domaine moins connu, enfin, est celui des maladies animales tropicales, telles que la peste des petits ruminants ou la peste bovine, pour lesquelles nous avons pu mettre au point des tests de diagnostic et des vaccins dits recombinants grâce aux techniques de transgénèse.

Deux types d’essais sont entrepris par le CIRAD. Les essais en enceintes confinées, soumis au contrôle de la Commission du génie génétique (CGG), ont été pour la plupart menés en métropole sur le riz, le caféier, le cotonnier, l’hévéa, ou encore sur le bananier, en collaboration avec l’université belge, jusqu’en 2003. Les essais dits de dissémination, c’est-à-dire en champ, sont quant à eux soumis à l’autorisation de la Commission du génie biomoléculaire (CGB). Ce fut le cas d’un essai de cotonnier à Montpellier, stoppé en 2000, ou de l’essai de caféier en Guyane, détruit par des inconnus le 29 août dernier, et dont nous n’avons pu sauver que quelques plants remis en enceinte confinée. Nous participons également en Colombie, dans le cadre de Génoplante, à un essai de multiplication de semences des mutants d’insertion de riz, pour lequel nous avons demandé, sans y avoir été tenus, l’avis de la CGB en plus de celui de la commission locale de biosécurité. Nous n’entendions pas mettre en place une expérimentation sans respecter pour le moins les réglementations applicables en France.

La demande des pays en voie de développement est très forte. Leur besoin d’augmenter leur production agricole va de pair avec la nécessité de l’adapter aux contraintes du milieu tropical, beaucoup plus élevées que celles des zones tempérées. Nous intervenons beaucoup dans le domaine de la formation afin de renforcer les capacités dans tous les domaines, biologiques, juridiques et réglementaires, ou encore liés à la biosécurité, conformément à la convention de Carthagène. Le CIRAD joue également un grand rôle d’expertise.

M. le Président : C’est à la suite de la destruction de votre essai de riz qu’a eu lieu le procès de Montpellier. Ne s’agissait-il pas pourtant d’un essai en milieu confiné ? Quelles justifications ont été avancées, dans la mesure où seuls les essais en champ étaient condamnés ? La présidente de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), Mme Marion Guillou, nous a déjà parlé de votre essai de caféiers. Pourquoi l’a-t-on détruit ?

Enfin, peut-on estimer la part globale des pertes de production dans les milieux tropicaux en l’absence de traitements ?

M. Philippe FELDMANN : L’essai de Montpellier, qui portait sur des riz transgéniques en serre confinée de type S2, située sur le campus du CIRAD, a été détruit en juin 1999, à l’occasion du tour d’Europe effectué par une « caravane paysanne » à laquelle participaient des paysans indiens. Une partie de ces plants aurait dû être replantée en champ au Centre français du riz, en bordure de la Camargue, quelques mois plus tard. Toutes les informations relatives à cet épisode ont été rassemblées dans notre CD-ROM. Nous n’y rapportons que des éléments factuels, sans prises de position autres que celles exprimées au cours de la procédure judiciaire. Il est à noter qu’aucune plainte n’avait été déposée par le CIRAD nominativement contre José Bové, René Riesel et Dominique Soullier, qui n’avaient pas été identifiés au moment des faits, mais seulement plus tard, lors de l’enquête de gendarmerie, au vu des cassettes des journaux télévisés.

L’enjeu du procès de Montpellier était avant tout de défendre la recherche publique. Les deux expérimentations détruites avaient été réalisées sur financements publics européens dans le but de répondre à la problématique de la lutte contre les insectes, mais également aux questions posées par les gènes inductibles afin d’éviter toute conséquence sur les insectes pollinisateurs en jouant sur la localisation du gène dans certains tissus.

Les arguments avancés par les promoteurs de cette destruction reposent d’abord sur une certaine conception du principe de précaution – nous avons repris certains rapports émanant, entre autres, de l’Assemblée nationale pour la définition du principe de précaution. Or non seulement nous respections la réglementation, mais encore nos travaux visaient précisément à développer des méthodes et des techniques destinées à répondre à certaines interrogations. Il arrive un moment où, pour évaluer un impact, la recherche ne peut se contenter de simulations en enceinte confinée et doit se poursuivre dans les conditions réelles de développement des plantes.

Beaucoup en viennent à croire qu’un être vivant ne serait finalement qu’un ensemble de gènes qui pourraient tout définir. Si tel était le cas, une plante, incapable de se déplacer, disparaîtrait sitôt que l’environnement auquel elle est adaptée évoluerait. L’expression d’une plante dépend certes de facteurs génétiques, mais aussi de l’influence de son environnement – eau, luminosité, etc. Une plante est d’abord le résultat d’une interaction entre le génotype et l’environnement. Certains gènes, dans un contexte donné, vont s’exprimer d’une certaine façon, mais donneront autre chose dans un autre contexte. La partie génétique et la partie environnementale ne viennent qu’après. Imaginer que l’on puisse se contenter d’expérimentations sans reproduire les conditions d’environnement finales revient à s’exposer à des risques très importants que l’on n’aura pu évaluer.

Notre essai de caféiers était destiné en premier lieu à vérifier l’efficacité d’une transformation génétique destinée à lutter contre la chenille de la mineuse des feuilles, qui pose de gros problèmes, au Brésil notamment. La localisation en Guyane permettait de conjuguer les conditions tropicales et le sérieux des mesures de contrôle et de protection propres à un pays développé, en particulier dans une zone où le caféier n’existe pas à l’état sauvage. Les jardins les plus proches étaient distants de plusieurs dizaines de kilomètres de l’expérimentation, elle-même située en pleine forêt tropicale. Les risques de dissémination étaient donc nuls.

Le deuxième objectif était d’évaluer les flux de gènes en installant des plantes pièges à pollen dans des coupes en forêt parfois longues de plus d’un kilomètre pour favoriser le transfert des gènes, ainsi que des ruchers dont le miel était analysé à chaque récolte, avant d’être systématiquement détruit.

Cet essai était prévu sur cinq ans, le caféier mettant trois ans à fleurir. Il a été détruit la quatrième année… Nous n’avons que des résultats préliminaires en termes de flux de gènes. Nous avons pu en apprendre davantage sur l’expression des transgènes dans les feuilles et les différents tissus. Nous verrons, au terme de l’analyse des résultats sur les flux de gènes, si un nouvel essai peut être envisagé. Encore faudrait-il identifier les causes et les motivations de la destruction du premier, pour lequel nous n’avons eu ni revendication ni témoin : il était situé en pleine forêt, à 60 kilomètres de Kourou et 40 kilomètres de Sinnamary…

M. Benoît LESAFFRE : Vous trouverez une description très précise de cet essai dans le CD-ROM qui reprend le contenu de notre site Internet. Non seulement il avait été approuvé par la CGB mais, du fait qu’il était situé dans un milieu naturel où le caféier n’existe pas à l’état sauvage, le risque de contamination était totalement nul.

M. Philippe FELDMANN : Plus précisément, il s’agit de risque de contamination en termes de flux de gènes par le pollen, puisqu’il n’existe pas de plante apparentée en Guyane. Ce n’est pas le cas en Afrique, par exemple, où d’autres questions se posent, qui nécessiteront d’autres expérimentations. Cela n’exclut pas la possibilité d’une dissémination par les graines, mais celles du caféier ont cette caractéristique de n’avoir aucune « dormance » : elles germent le jour où elles tombent. Ne restaient que les souches ; l’essai a été totalement labouré et les restes brûlés et détruits sous contrôle des services de protection des végétaux qui reviendront s’assurer régulièrement de l’absence de toute repousse.

M. Benoît LESAFFRE : Précisons qu’il n’a jamais été question de commercialiser quoi que ce soit. Il s’agissait bien d’un essai de recherche, financé sur fonds publics.

M. Philippe FELDMANN : Peut-on limiter les pertes de production dans les milieux tropicaux ? Nous disposons de tout un arsenal chimique, variétal, biologique, cultural, pour lutter contre les parasites et les maladies. Les OGM ne sont qu’une solution parmi d’autres. Seule la mise en œuvre de moyens intégrés permet de répondre à des contraintes qu’il faut définir au cas par cas, selon les endroits et les productions. On estime que les pertes de semences liées aux insectes sont de 30 à 50 % en zone tropicale. Cela dit, ce discours doit être relativisé dans la mesure où le développement de la plante en l’absence d’insectes peut favoriser indirectement l’apparition d’autres facteurs pathogènes – les champignons, par exemple. Certains équilibres se sont créés, et mieux vaut bien préciser ce dont on parle avant d’avancer une solution. Reste que le cotonnier est un exemple particulièrement intéressant : c’est, de loin, la plante la plus consommatrice d’insecticides, lesquels, de tous les produits chimiques utilisés en agriculture, sont par essence les plus dangereux pour l’homme et pour les animaux. Le cotonnier est une plante très sensible à de nombreuses attaques d’insectes, car ses résistances naturelles sont très réduites. Les techniques classiques d’amélioration génétique ne pouvant, dès lors, donner de grands résultats, la mise au point de plantes transgéniques apparaît potentiellement comme une solution à même de réduire l’utilisation de certains insecticides, sous réserve de ce que j’ai dit plus haut : lutter de façon trop privilégiée contre un insecte dominant revient à favoriser les autres… Il faut adopter des approches plus globales associant l’utilisation de plants transgéniques à d’autres méthodes culturales, ne serait-ce que pour éviter le phénomène classique d’apparition de résistances.

Vous trouverez à ce propos, dans le CD-ROM, un petit « quiz » que la Confédération paysanne avait qualifié de « simpliste », alors que nous-mêmes avons parfois eu du mal à y répondre ! Force est de reconnaître que certaines questions très simples, voire simplistes, appellent des réponses autrement moins évidentes. Cela montre que l’état de notre information ne nous permet pas de répondre à nombre d’interrogations pourtant simples que suscitent les OGM et la transgénèse. Ce questionnaire pédagogique se révèle bien plus utile que nous ne l’imaginions, ne serait-ce que pour introduire un débat ou une conférence. La question des principales raisons des pertes de production dans les pays du Sud y est posée. Vérifiez par vous-mêmes…

M. le Rapporteur : Certains pays du Sud ont-ils refusé les expérimentations en plein champ ? Vous a-t-on demandé d’arrêter certaines expérimentations ? Pour quelles raisons ? Quels incidents avez-vous connu en dehors de ces deux épisodes ?

M. Philippe FELDMANN : Plusieurs pays refusent les OGM et certains ont été jusqu’à refuser l’aide alimentaire américaine pour éviter tout risque d’introduction de maïs transgénique. D’autres, pris entre la crainte du risque et l’urgence d’une situation de famine, ont trouvé un compromis en acceptant l’aide alimentaire sous forme de maïs broyé pour empêcher toute germination.

Jamais nous n’avons entrepris d’expérimentations en champ dans d’autres pays que la France, si ce n’est en Colombie, dans un centre de recherche agronomique international et dans de parfaites conditions de contrôle. Nous travaillons en partenariat avec ces pays pour répondre à des questions de développement. Si la solution transgénique apparaît comme la seule possible, nous aurons un débat qui aboutira peut-être à une proposition. Mais d’ores et déjà, nous sommes confrontés à une très forte demande de plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest, soumis à de fortes pressions des Etats-Unis qui n’hésitent pas à financer les expertises – je vous laisse imaginer avec quels types d’experts – et désireux de disposer, grâce à notre appui, d’une réelle capacité d’expertise indépendante. Le problème pour nous est de savoir si, compte tenu de nos possibilités budgétaires et des conditions dans lesquelles nous menons nos expérimentations, nous serons capables de répondre à cette demande.

M. le Rapporteur : Quelles difficultés – ou facilités – rencontrez-vous en matière de brevets ? Et sur le plan des assurances ? J’imagine que vous n’en avez aucune…

M. Philippe FELDMANN : Nous avons produit, dans le cadre de Génoplante, plus de 50 000 lignées d’insertion de riz pour tenter de cibler tous les gènes potentiels afin d’identifier chaque gène et sa fonction. Cela suppose évidemment de faire des essais en champ, en Colombie. Génoplante est un Groupement d’intérêt scientifique (GIS) associant des entités tant privées que publiques, à des fins de valorisation. En donnant le moyen de contrôler le libre accès à certaines innovations, le brevet permet de se préserver la possibilité d’octroyer librement des licences et de développer au besoin des plantes transgéniques ou autres. Une clause a été introduite à notre initiative, dès la constitution du GIS Génoplante : cette « clause CIRAD » prévoit la possibilité d’un libre accès pour les petits paysans du Sud aux résultats obtenus, quand bien même ceux-ci auront été brevetés.

M. Benoît LESAFFRE : Cette clause a été reprise dans notre charte de propriété intellectuelle. Nous estimons qu’il est de notre mandat de donner à la paysannerie du Sud un libre accès à toutes les semences – OGM ou non – sur lesquelles nous travaillons. Il est à noter que nous avons 25 variétés non-OGM améliorées grâce à des techniques de sélection variétale assistée par génie génétique. Grâce aux travaux sur le génome, nous pouvons repérer, par des gènes marqueurs, les sites de résistance à un agresseur, par exemple, et cibler les croisements en conséquence.

M. le Rapporteur : Où en êtes-vous en matière de recherche animale ? Envisagez-vous des applications à la santé humaine – vaccins ou autres – à moyen terme ?

M. Philippe FELDMANN : Nous avons développé plusieurs vaccins recombinants, c’est-à-dire produits par des micro-organismes génétiquement modifiés, à l’exemple du vaccin contre l’hépatite B qui fut le premier du genre. Nous travaillons exclusivement dans le domaine de la santé animale. Mais ces recherches peuvent utilement servir à développer des techniques et méthodes applicables à la santé humaine.

M. Benoît LESAFFRE : Auquel cas le relais est pris par l’INSERM et surtout par l’Institut Pasteur, qui s’occupe notamment du volet « homme » des maladies vectorielles émergentes.

M. Philippe FELDMANN : Ces vaccins sont conçus de façon à éviter tout risque d’intégration de gène par l’organisme humain. Le vaccin recombinant a l’avantage de permettre une traçabilité et de savoir si les anticorps présents dans l’individu proviennent du vaccin ou d’une exposition à la maladie. Ainsi on n’abat que l’animal véritablement infecté. Quand on sait le nombre d’animaux qu’il a fallu tuer lors de la dernière épidémie en Grande-Bretagne, on mesure tout l’intérêt qu’aurait présenté un vaccin recombinant.

M. Gabriel BIANCHERI : La vaccination est un grand débat… J’ai pour ma part tendance à confondre brevet et séquençage des gènes. Ce que nous craignons aussi, c’est le monopole. Comment l’éviter ?

M. Philippe FELDMANN : La position française, unanimement partagée par les organismes de recherche, est de s’opposer à la brevetabilité du séquençage de gènes.

M. le Président : Nous avons adopté hier après-midi le projet de loi relatif aux inventions biotechnologiques. La position française est de refuser de breveter les gènes en tant que tels – ce que les Américains ont fait dans un premier temps –, mais seulement un gène dont on connaît la fonction, autrement dit son application directe.

M. Gabriel BIANCHERI : Mais d’autres que nous peuvent avoir une position différente et nous créer des problèmes…

M. Philippe FELDMANN : Effectivement, si l’on considère, comme l’ont fait dans un premier temps les Etats-Unis, que l’utilisation des techniques OGM permet de breveter une plante, il devient possible de bloquer l’innovation à ce stade. Jusqu’à présent, le privilège de l’obtenteur permettait à tout un chacun de se servir de n’importe quelle variété pour en fabriquer une nouvelle par croisement. Cela n’est plus possible avec une variété brevetée. Une bonne partie de la communauté internationale, à commencer par les obtenteurs de semences, est opposée au principe de la plante brevetée, sauf à y réintroduire le privilège de l’obtenteur.

M. le Président : Le texte du Sénat a été adopté conforme hier. Le privilège du sélectionneur, introduit à l’initiative du sénateur Bizet, permet de concilier le droit des brevets et le droit du certificat d’obtention végétale, qui depuis 1961 autorise tout un chacun à améliorer une plante, fût-elle élaborée par quelqu’un d’autre.

M. Philippe FELDMANN : Le problème est que toute une série de méthodes – et pas seulement des gènes – font déjà l’objet de brevets croisés alors qu’elles sont indispensables pour réaliser une construction génétique. Une étude a été confiée par le ministère de la recherche à l’INRA et au CIRAD pour trouver un dispositif d’échange et d’utilisation permettant de poursuivre une innovation sans être bloqué par ces brevets très complexes.

M. Benoît LESAFFRE : Force a été de constater que, même regroupée, la recherche française, tout comme du reste les universités américaines, avait du mal à valoriser ses brevets, contrairement aux multinationales. Nous vous avons remis, entre autres documents, le rapport réalisé par le groupe de travail à partir de la question suivante : comment mutualiser les brevets de la recherche publique française, voire européenne, afin de créer une sorte de « pool » et de nous donner une capacité à les défendre collectivement ? A elle seule, notre recherche publique est incapable de produire et de valoriser des brevets dans le domaine de la génomique végétale.

M. le Président : On ne trouve que l’Institut Pasteur dans les cinquante premiers organismes du monde… Même le CNRS n’y est pas.

M. Benoît LESAFFRE : En biologie végétale, c’est pire encore. Même les universités américaines sont confrontées à ce problème. Nous vous avons remis le rapport complet, plus une note de deux pages en anglais résumant la position des universités américaines.

M. Francis DELATTRE : Nous n’avons pas toujours été à la traîne… Cette situation ne date que de dix ans.

M. Gabriel BIANCHERI : Je reviens sur les vaccins recombinants. Dans quel délai serions-nous capables de produire des dizaines de milliers de doses de vaccin contre la fièvre aphteuse ?

M. Philippe FELDMANN : Je ne suis pas compétent pour vous répondre sur la fièvre aphteuse. Je l’ai seulement prise en exemple pour montrer l’utilité de ces vaccins. Aurions-nous besoins de tuer tant d’animaux si nous avions pu distinguer ceux qui avaient été vaccinés des autres séropositifs ?

M. Francis DELATTRE : Pour les pays du Sud, le soja constitue à n’en pas douter la source de protéines la plus intéressante. Avez-vous engagé des études dans ce domaine ? En France, la culture du soja se heurte au rythme de nos saisons : il nous faudrait au même moment l’humidité de mars et la chaleur de juin… Mais la technique du marquage permettrait-elle de mettre au point des variétés capables d’éliminer les pyrales, entre autres, sans avoir à créer un OGM proprement dit ?

M. Philippe FELDMANN : Le soja est effectivement une source très importante de protéines, utilisée pour l’essentiel sous forme de tourteaux destinés à l’alimentation du bétail. Les Etats-Unis en sont le premier et principal producteur.

M. Francis DELATTRE : Ils en ont pratiquement le monopole.

M. Philippe FELDMANN : Le Brésil et l’Argentine sont également deux gros producteurs de soja. L’Argentine produit beaucoup de soja transgénique et le Brésil a été contraint de l’autoriser, dans la mesure où les producteurs n’hésitaient pas à aller en Argentine acheter des semences de soja argentin, beaucoup plus facile à cultiver. Malheureusement, nous n’avons pas les moyens d’entreprendre des recherches d’envergure sur le soja, alors que la recherche américaine, et même brésilienne, y consacre des sommes plusieurs centaines de fois supérieures, et nous préférons travailler sur d’autres espèces moins étudiées par nos concurrents ou encore étudier les implications économiques de l’introduction du soja transgénique.

M. Benoît LESAFFRE : Le soja ne faisait pas partie des sujets à aborder en priorité au moment de la création du CIRAD. Depuis, la recherche internationale sur cette plante a tellement avancé que nous y lancer aujourd’hui n’aurait guère de sens et exigerait des moyens budgétaires hors de proportion.

M. Philippe FELDMANN : M. Delattre voulait également savoir si, par l’identification des gènes de résistance à la pyrale, nous pourrions développer des variétés non transgéniques plus résistantes. Plusieurs travaux sont déjà en cours pour parvenir à cet objectif par d’autres moyens, génétiques ou biologiques. Pour le cotonnier, il n’existe pas de solution satisfaisante, hormis la voie transgénique. Mais pour d’autres espèces, nous ne manquons pas de moyens d’action.

M. François GUILLAUME : La voie transgénique permettrait sûrement de réduire la dépendance alimentaire des pays du Sud, mais la solution à un problème aussi complexe ne saurait se limiter à l’addition de plantes transgéniques. Quelle est votre stratégie de recherche en la matière ? Ne vaudrait-il pas mieux commencer par des plantes non susceptibles de créer des problèmes de dissémination mais apportant un service évident – résistance à la sécheresse, réduction de l’aridité ou de la salinité des sols, etc. –, sans chercher à résoudre d’emblée toutes les difficultés – lutte contre les insectes et autres – qui se présentent ?

M. Philippe FELDMANN : Je pourrais répondre, de façon provocatrice, que « Terminator » est un excellent moyen d’éviter la dissémination… Par ailleurs, nombre de plantes ne produisent pas de graines ou de pollen viables, ce qui évite tout risque de dissémination. La grande peur suscitée par « Terminator » tient au fait qu’il supprime toute production de semences viables sur des plantes qui ne peuvent précisément être multipliées qu’en ressemant, ce qui conduit, de fait, le paysan à racheter systématiquement des semences. Cela dit, la technologie « Terminator » n’est qu’un brevet qui n’a jamais été mis en œuvre jusqu’à présent, déposé par Delta & Pine Land et racheté, depuis, par Monsanto. L’idée sous-jacente était certainement d’obliger le producteur à acheter des semences mais c’est déjà le cas pour tous les maïs hybrides dont les graines produites sont inutilisables en tant que semences.

Autrement dit, les techniques propres à éviter la dissémination existent potentiellement d’ores et déjà, reste à vérifier si elles n’ont pas d’effets néfastes sur le plan économique. Le meilleur exemple se retrouve avec les plantes qui ne fleurissent pas, comme certains tubercules ou encore certaines variétés de canne à sucre, ce qui évite tout flux de gènes. Une modification transgénique sur ces espèces ne présenterait donc aucun risque à cet égard.

Les travaux que nous avons menés sur le riz, dont certains ont été détruits, visaient quant à eux à empêcher l’expression du gène dans le pollen, celle-ci n’apparaissant qu’en cas d’attaque d’insectes et à un niveau correspondant aux besoins pour éviter toute production excessive de toxines. A supposer que le gène arrive sur un autre riz, le risque en cas d’ingestion par d’autres animaux serait considérablement réduit et ne tiendrait qu’à l’avantage sélectif dont bénéficierait la nouvelle variété en cas d’attaque massive d’insectes, par exemple. Dès lors, on entrevoit des solutions envisageables, sur lesquelles nous n’avons pas encore mobilisé en France assez de moyens et de compétences, en matière de génétique des populations notamment : il suffirait de faire en sorte que, sitôt qu’il migre d’un endroit à un autre, le transgène confère un désavantage sélectif à l’hybride qui se crée ailleurs. Autrement dit, l’important n’est pas que le pollen aille à quinze, vingt ou même cinq cents kilomètres, mais de savoir s’il est fécondant, s’il s’intégrera dans une variété similaire ou une espèce sauvage apparentée, et surtout s’il conférera aux générations suivantes un avantage sélectif permettant aux populations de s’étendre. Mais si le gène confère un désavantage sélectif, les générations ultérieures disparaîtront petit à petit en application des lois naturelles de l’évolution, sans qu’il soit besoin mettre au point des mécanismes de type « Terminator ». Cette réflexion, autrement plus large qu’une petite étude d’impact des flux de gènes, doit être développée avec le concours des meilleures compétences nationales et internationales.

M. Gabriel BIANCHERI : Et cela exigera des essais en plein champ…

M. Benoît LESAFFRE : Pour ce qui est de la résistance à la sécheresse ou à la salinité, nous ne travaillons pas sur la création d’OGM, mais sur les mécanismes de régulation naturellement présents dans la plante, que nous nous attachons à identifier et à développer par sélection végétale, assistée par marqueurs génétiques.

M. Philippe FELDMANN : Une thèse sera soutenue la semaine prochaine, qui fera le bilan de nos recherches sur le riz, où nous avons utilisé les OGM pour identifier les gènes et comprendre les mécanismes qui confèrent une tolérance à la salinité et à la sécheresse. Nous sommes parvenus à décrypter les gènes les plus importants et la façon dont, au niveau des racines, fonctionnaient les variétés les plus résistantes. Partant de là, nous déterminerons les critères de sélection à utiliser pour améliorer les variétés classiques.

M. François GUILLAUME : N’avez-vous jamais envisagé de prendre le gène d’une plante naturellement résistante à la sécheresse pour l’introduire dans le riz ?

M. Philippe FELDMANN : Tout peut être envisagé mais la tolérance à la sécheresse est un mécanisme extrêmement complexe, associant toute une série de fonctions, qu’il faudra décrypter au préalable avant d’espérer qu’un transgène puisse, pour certaines espèces, apporter un progrès significatif.

M. Serge ROQUES : Les expérimentations en plein champ sont incontournables si nous voulons rassurer les populations face aux craintes que suscitent les OGM. Mais peut-on les rassurer en se privant d’essais grandeur nature ?

M. Philippe FELDMANN : Le problème tient d’abord au manque de confiance de la société vis-à-vis des scientifiques comme des politiques. Une révolution technologique de cette ampleur pose forcément des questions éthiques très lourdes. Comment faire pour aboutir à des innovations sans impacts négatifs et pour amener la société à s’approprier réellement le sujet ? L’arrêt des expérimentations au champ pourra-t-il calmer le jeu ? Avec cinquante hectares en tout et pour tout en France, cela n’aura pas de répercussions gigantesques… Ce pourrait être une opération de communication relativement aisée, mais ce n’est pas ainsi que nous disposerons d’éléments objectifs et indépendants pour répondre aux inquiétudes de la société. Nous n’y parviendrons jamais sans nous mettre dans des conditions réelles de risque. Le but n’est évidemment pas de prendre des risques inacceptables et c’est la raison d’être de commissions telles que la CGG et de la CGB. Peut-être a-t-on des doutes sur la manière dont elles fonctionnent et dont leurs recommandations sont appliquées. C’est sans doute là-dessus qu’il faudrait travailler pour que le public se sente vraiment associé à leurs décisions.

M. Benoît LESAFFRE : Nous sommes en fait très proches des recommandations du rapport des « 4 Sages », que l’on pourrait résumer ainsi : oui aux essais en champ, à condition d’avoir auparavant procédé à tous les essais et modélisations possibles en laboratoire, afin que le test soit parfaitement calibré.

Qu’appelle-t-on « expertise indépendante » ? Cela a été tout l’objet du débat au Parlement sur la sécurité sanitaire. Sur qui s’appuyer pour évaluer le risque ? Quelle séparation doit-on instaurer entre l’évaluation et la gestion ? Nous pensons quant à nous que notre système d’évaluation et de gestion du risque doit progresser.

M. Serge ROQUES : Ne peut-on déjà s’appuyer sur les expérimentations en champ réalisées à l’étranger pour rassurer les populations ?

M. Philippe FELDMANN : Avec plus de 70 millions d’hectares cultivés dans le monde, dont certains depuis très longtemps, nous commençons à disposer d’un certain nombre d’éléments qui, s’ils excluent la perspective d’une catastrophe d’envergure, n’en amènent pas moins à se poser certaines questions et, notamment, à se demander si toutes les précautions sont prises. Plusieurs études relativement avancées ont été conduites, y compris en France, sur les conditions dans lesquelles les OGM se sont développés aux Etats-Unis. Un séminaire est prévu le 8 décembre prochain pour tirer les conclusions d’une étude réalisée à la demande du ministère de la recherche, dont un volet, réalisé par une équipe de l’INRA, est spécifiquement consacré aux effets économiques du développement des OGM aux Etats-Unis.

M. le Président : Vos détracteurs affirment que les essais sont, en fait, des expérimentations pour le compte de semenciers. Nous avons bien compris que ce n’était pas le cas de votre essai de caféiers en Guyane, pourtant détruit par des anonymes. Et vos adversaires ajoutent qu’aucune de vos expérimentations ne traite de questions en rapport avec les besoins des pays du Sud. Là encore, vous démontrez le contraire puisque c’est la raison d’être de votre organisme. Mais pensez-vous que les OGM pourraient régler, dans l’absolu, des problèmes de production agricole dans les pays du Sud et réduire, par ricochet, la déforestation liée à l’augmentation des populations ainsi que les pollutions causées par les traitements destinés à lutter contre les agents pathogènes responsables des pertes de récoltes ?

M. Benoît LESAFFRE : Il est difficile de donner une réponse générale…

M. le Président : Le problème est que nous sommes au Parlement. Si vous voulez que nos collègues puisent rendre un avis éclairé, il faut nous donner le vôtre…

M. Benoît LESAFFRE : Jacques Diouf, directeur général de la FAO13, a dit récemment : « Aujourd’hui, nous n’avons pas besoin des OGM pour nourrir la planète ; demain peut-être. »

M. Francis DELATTRE : Il a été chez les jésuites !

M. Benoît LESAFFRE : On ne peut répondre à une telle question par oui ou par non. Deux écoles s’affrontent. Il y a ceux qui pensent que toutes les réponses aux problèmes de développement du Sud sont d’ordre technologique – OGM et autres – et qu’en augmentant la productivité de plantes ou d’espèces animales, on aura résolu le problème de la faim dans le monde. Encore faut-il des systèmes de culture adaptés, une juste rémunération des agriculteurs, des circuits de distribution efficaces – 30 à 50 % de la production agricole se perdent, dans les silos ou faute de circuits de distribution. Un des grands points faibles du Sud tient au manque d’organisations paysannes. Sans coopératives, à qui doit s’adresser l’agriculteur pour acheter des semences ? Les OGM ne résoudront pas le problème de la faim dans le monde. Mais s’interdire le recours à des technologies innovantes à même de répondre un jour à des questions auxquelles les technologies d’aujourd’hui ne répondent pas, c’est se fermer l’avenir. C’est ainsi qu’il faut poser le problème. Les recherches du CIRAD portent sur l’ensemble des systèmes agricoles et pas simplement sur la variété végétale ou l’espèce animale en tant que telles.

M. le Président : Je connais les réponses, mais nous avons affaire à un monde binaire et à des détracteurs qui utilisent des mots simples. Or les idées simples appellent souvent des réponses compliquées. Votre raisonnement est parfait pour un esprit cartésien, mais jamais vous ne parviendrez ainsi à faire mesurer l’intérêt que ces techniques pourraient présenter pour l’agriculture des pays du Sud.

M. Benoît LESAFFRE : Le coton est un exemple typique de ce sur quoi nous pouvons répondre : oui, l’introduction du gène Bt dans le coton permet d’éviter bon nombre de traitements phytosanitaires dont on connaît les effets particulièrement dangereux tant sur l’environnement que sur l’alimentation.

M. le Président : C’était précisément ma troisième question. Tout le monde s’accorde à reconnaître que, pour le coton, le besoin en produits phytosanitaires est réduit, les techniques culturales sont plus faciles, l’agriculteur enfin y trouve avantage.

M. Francis DELATTRE : Et la santé humaine également !

M. Philippe FELDMANN : Aucun chercheur n’affirmera jamais avoir trouvé la solution à tout…

M. le Président : Je le sais, je l’ai été !

M. Philippe FELDMANN : Si bien que, face avec un adversaire convaincu de détenir la vérité et utilisant un discours bien élaboré, la situation n’est pas à notre avantage : les chercheurs ne sont pas de grands communicateurs – mais certains finissent par le devenir ! Comme toute innovation, les OGM peuvent effectivement contribuer à résoudre les problèmes d’alimentation et de développement dans le Sud, Encore faut-il, comme avec n’importe quelle technique, évaluer leurs avantages, leurs inconvénients et leur impact.

La polémique autour des OGM aura au moins eu un mérite : on se préoccupe beaucoup plus qu’auparavant des conséquences économiques des innovations. Les questions que l’on se pose sur les OGM, on se les posera bientôt sur autre chose. Autrement dit, on a ouvert la boîte de Pandore. Jamais, jusqu’à présent, on n’avait parlé des espèces envahissantes, qui sont devenues un problème majeur dans le monde, et pas seulement dans le Sud. Les Etats-Unis ont chiffré à 1 000 milliards de dollars les conséquences économiques de l’introduction d’espèces exotiques sur leur sol ! Et l’Inde en est au même point…

Mais il y a plus important encore. Dès lors qu’il s’agit de santé publique, les vaccins recombinants ne gênent pas trop : les pauvres enfants leucémiques sauvés, nonobstant quelques « petites » erreurs typiques des risques liés aux OGM, on les accepte… Mais n’est-ce précisément pas là que les risques potentiels sont les plus importants, du fait même que c’est sur l’espèce humaine que l’on travaille ? Depuis la maladie de la vache folle, la fièvre aphteuse et autres catastrophes sanitaires d’envergure, la société a perdu confiance. Les OGM ont fait tomber des tabous, à commencer par celui de la barrière des espèces. Et le poisson dans les fraises, en termes de communication, c’est extraordinaire pour amener à se poser des questions sur les innovations… Il faudra se les poser pour les OGM, mais pour bien d’autres également. Reste qu’il ne faudrait pas que toutes ces inquiétudes, pour légitimes qu’elles soient, en viennent à bloquer toute innovation. Il va falloir parvenir à les gérer.

M. Benoît LESAFFRE : Il y a quarante ans, on a parlé de « révolution verte ». Les nouvelles variétés, non-OGM, mises en place à cette époque, grosses consommatrices d’engrais et de traitements phytosanitaires, ont considérablement perturbé l’équilibre des ressources naturelles et aggravé les pollutions. On a compris, depuis, que l’innovation n’avait de sens que si elle était étudiée et réfléchie au regard de son impact sur le milieu. OGM ou non, une innovation non intégrée dans le système de production et introduite sans étude d’impact aura fatalement des effets négatifs.

M. François GUILLAUME : Il arrive un moment où les politiques, éclairés par les scientifiques, doivent décider. Dès lors que les avantages paraissent l’emporter sur les inconvénients, il faut bien finir par prendre des décisions. Sinon, on trouvera toujours, étude après étude, des raisons supplémentaires pour ne pas avancer, cependant que le coût de la recherche deviendra exorbitant.

Les OGM sont-ils indispensables pour améliorer l’alimentation mondiale ? Il n’est en tout cas plus supportable de voir 800 millions de personnes mourir de faim pendant que d’autres gèlent leurs terres, remplissent les poubelles et deviennent obèses ! Sans doute les OGM sont-ils indispensables, mais cela ne suffira pas. On trouvera toujours des solutions aux problèmes techniques. Il suffit de voir les progrès de productivité que nous avons réalisés dans les pays tempérés, pour peu qu’on ne se mette pas à détruire toutes les recherches… Le problème principal est celui de la distribution des richesses. Peut-être devrons-nous donner, gratuitement, nos semences OGM aux pays du Sud mais il faudra également organiser le commerce des produits agricoles afin de protéger leurs productions de la concurrence des pays du Nord. Et cela, on sait le faire : créer, par exemple, un marché commun des pays d’Afrique protégé par une barrière douanière, comme nous l’avons fait en 1960. Et si le prélèvement douanier permet de subventionner les exportations des pays en voie de développement, ce sera tant mieux et le problème sera quasiment réglé !

Ne nous ingénions pas à multiplier les obstacles. Certains n’hésiteront pas à se servir de l’argument de l’organisation de la production pour interdire les OGM. Je suis d’accord avec notre président sur la nécessité d’un message clair : les OGM, cela ne suffira pas mais, de toute façon, il en faudra.

M. Benoît LESAFFRE : Nos économistes et ceux de l’INRA avaient dû répondre à la même question au Sénat, à propos de la réforme de la politique agricole commune (PAC). La première façon d’aider les pays du Sud à développer leur agriculture, c’est de leur permettre de produire sur place et de bénéficier d’un minimum de protection à l’échelle régionale. Le marché international n’en serait aucunement perturbé, sinon à la marge. Ne nous interdisons pas la technologie des OGM, mais ne réduisons pas la question de l’amélioration de la situation alimentaire de ces pays à celle d’une technologie particulière. Je reconnais que c’est un peu jésuite…

M. le Président : Quel est l’état d’esprit des chercheurs du CIRAD ? Lorsque je suis allé à Montpellier, je les ai sentis assez remontés… Notre retard dans le domaine de la biologie végétale est-il réel ? Est-il lié à cette polémique autour des OGM ?

M. Benoît LESAFFRE : La succession de pétitions et contre-pétitions montre que le monde des chercheurs est lui aussi partagé. Les biologistes sont plutôt partisans de la poursuite des essais en champ et ceux qui ont vu leurs travaux détruits en ont été particulièrement perturbés. En revanche, les chercheurs en sciences humaines et sociales sont plus portés à s’interroger sur l’acceptabilité des OGM par la société et à condamner les expérimentations en champ. Les deux populations apparaissaient assez nettement sur les listes des pétitionnaires.

Cette divergence entre les points de vue n’est pas inintéressante pour un petit établissement comme le nôtre, lorsqu’il s’agit de donner notre position. Nous essayons de tenir les deux bouts : nous affirmons haut et fort la nécessité de conserver une réelle capacité scientifique dans ce domaine, qui passe par la maîtrise du génie génétique, mais nous affirmons également le besoin d’aller le plus loin possible dans la compréhension des réactions et des peurs de la société face à l’innovation. Cette tension au sein d’un organisme de recherche est positive – dès lors, évidemment, qu’elle n’est pas stérile. Loin de m’en inquiéter, je suis plutôt satisfait de ce débat interne.

M. le Président : Lorsque j’étais allé à Montpellier, je n’avais vu que la première catégorie, celle qui criait contre la destruction des essais, pas la seconde.

Mme Chantal ROBIN-RODRIGO : Vous n’aviez vu que les biologistes…

M. Benoît LESAFFRE : Ils ne diront jamais qu’ils soutiennent les destructeurs, mais qu’ils comprennent leurs arguments…

Mme Chantal ROBIN-RODRIGO : Ce sont des chercheurs !

M. le Président : Je faisais partie des « 4 Sages ». Nous avions rendu un rapport très modéré. Mais une mission parlementaire se doit de pousser les arguments à bout. Pourquoi cette deuxième catégorie n’est-elle pas présente ?

M. Philippe FELDMANN : Nous parlons de personnes qui conduisent des actions de recherche dans un domaine où les sciences humaines et sociales sont peu représentées.

M. le Président : Combien avez-vous de chercheurs en sciences humaines et sociales ?

M. Philippe FELDMANN : Environ 130. Sur 850, cela fait beaucoup. Surtout comparés aux quatre qui travaillent directement sur les OGM…

M. le Président : Et sur la génomique ?

M. Philippe FELDMANN : Sur les 120 chercheurs qui travaillent sur l’amélioration des plantes, soixante s’occupent de génomique. Il y a dix ans, les quatre-cinquièmes travaillaient sur les sélections. Progressivement, les technologies biomoléculaires ont pris la plus grande place. Ceux, en tout cas, qui étaient impliqués dans les essais détruits ont subi un réel traumatisme.

M. Benoît LESAFFRE : Ceux-là étaient réellement traumatisés et ont vigoureusement réagi contre les destructions. Mais ceux qui relèvent davantage du champ des sciences sociales sont plutôt portés à écouter les questions posées et à les trouver légitimes.

M. Philippe FELDMANN : Bien que rien n’ait jamais été caché, c’est seulement en juin 1999 que la communauté du CIRAD a brutalement découvert que nous travaillions sur les OGM. Il s’en est suivi un débat intense. Nous avons mis en place un forum électronique ouvert à tous les personnels, des chercheurs aux ouvriers agricoles. Les positions ont été parfois très tranchées, mais tout le monde a été satisfait de voir que ces questions pouvaient être discutées. Reste que, pour ceux qui ont rejoint le CIRAD avec l’idée d’aider au développement des petites paysanneries du Sud, le message de la Confédération paysanne, dont ils se croyaient finalement assez proches, a été totalement déstabilisateur. Ils n’ont pas compris et pour eux, ce syndicat paysan se trompait de cible. Du reste, un des responsables de la Confédération l’a lui-même écrit.

Ce à quoi est venu s’ajouter un phénomène d’autocensure au niveau tant des politiques que des bailleurs de fonds et des responsables de recherches qui, compte tenu du climat ambiant, ont préféré ne pas développer de travaux sur des sujets « politiquement incorrects » par crainte de provoquer des incidents.

M. le Président : Autrement dit, la recherche s’est censurée elle-même.

M. Philippe FELDMANN : De fait. Le sixième PCRD14 a connu un véritable effondrement des financements destinés à la génétique et à la génomique, en relation directe avec les réactions apparues en France et ailleurs. La crainte d’avoir à gérer de tels phénomènes s’est traduite par de réelles difficultés dans la mobilisation des moyens. Nous avions, au CIRAD, diagnostiqué de gros besoins en matière d’évaluation des impacts et nous n’avons pas réussi à mobiliser les financements suffisants.

M. François GUILLAUME : Certaines craintes étaient parfaitement légitimes et honnêtes, mais ne sous-estimons pas les campagnes de désinformation et les cabales conduites par des organismes spécialisés qui ont fait de l’opposition aux OGM une véritable religion. Ne tombons pas dans leur piège : il faut répondre au besoin d’information de la société, sans pour autant oublier que nous avons à faire face à un combat de fond mené avec des moyens financiers considérables par des gens qui y ont tout intérêt.

M. Benoît LESAFFRE : Le mot d’autocensure est peut-être par trop simpliste. La destruction de notre serre de riz a traumatisé les chercheurs, mais également toutes leurs équipes. Notre essai sur le caféier était unique au monde. Il n’est pas sûr que ces gens soient prêts à redéposer un dossier si c’est pour travailler pendant deux ans à refaire un essai appelé à être détruit trois ans plus tard… Osons le dire : la perte de confiance est telle que ces recherches ne sont plus vraiment possibles au CIRAD si elles ne sont pas restimulées par des décisions venues de l’extérieur, de nature politique et sociétale.

M. le Rapporteur : Est-il possible de connaître les domaines et les fonctions de ceux qui ont signé pour ou contre les essais OGM ?

M. le Président : Et le nombre des pour et des contre ?

M. Philippe FELDMANN : La pétition critique vis-à-vis des essais OGM rassemblait, au-delà des chercheurs en sciences humaines et sociales, des agronomes généralistes appartenant à une génération plus ancienne que la communauté des généticiens ou biotechnologistes, plutôt signataires de la contre-pétition.

M. le Rapporteur : Pouvons-nous en avoir la liste ? Précisons que ce ne sont pas les noms qui nous intéressent.

M. Benoît LESAFFRE : Très honnêtement, ce n’est pas possible. Après avoir procédé à cette analyse rapide, à la louche, nous n’avons pas conservé les fichiers. Pour partagée qu’elle soit, une telle appréciation serait difficile à restituer dans un rapport.

M. Philippe FELDMANN : Il est en tout cas à noter que les signataires de la contre-pétition étaient, pour ce qui concerne le CIRAD, plus nombreux que les signataires de la pétition contre les essais OGM.

M. Benoît LESAFFRE : La pétition des opposants aux essais rassemblait beaucoup plus de gens du CNRS et de l’université que de représentants du champ INRA-CIRAD. Les chercheurs plus proches de la recherche agronomique étaient généralement plus disposés à soutenir les expérimentations sur les OGM.

M. Philippe FELDMANN : Trois conseils régionaux ont voté des motions s’opposant à toute expérimentation.

M. le Rapporteur : Beaucoup plus !

M. Philippe FELDMANN : Les motions les plus fortes ont été votées par les conseils régionaux d’Ile-de-France, de Rhône-Alpes et de Languedoc-Roussillon…

M. le Rapporteur : Et de Bretagne.

M. Philippe FELDMANN : Or ces trois régions comptent beaucoup de chercheurs dans ce domaine. Cela a créé un réel traumatisme. Il y a trois semaines, à Lyon, lors de la conclusion du colloque du Bureau des ressources génétiques, le représentant du conseil régional s’est fait proprement huer par la communauté des chercheurs.

« Je traquerai jusqu’au bout les expérimentations », a-t-il prévenu, ajoutant que sa position n’était pas d’ordre scientifique, mais bien politique. Le conseil régional de Languedoc-Roussillon a également une position très arrêtée à cet égard, suscitant une très vive réaction des chercheurs de la région, qui ont parlé d’un coup de poignard dans le dos.

M. le Rapporteur : Dans ma région, la Bretagne, les conseillers régionaux ont pris position contre les essais, alors même que le Conseil économique et social, pourtant de même sensibilité politique, a clairement dit qu’ils faisaient fausse route.

M. Philippe FELDMANN : Cela a eu un énorme impact sur les chercheurs.

M. Benoît LESAFFRE : Imaginez ce qu’il en est en Languedoc-Roussillon : la base principale du CIRAD est à Montpellier, toute la génomique y est organisée en campus inter organismes associant les instituts de recherches, l’université, etc., sans oublier Agropolis… On imagine l’émoi qu’a suscité la position du conseil régional !

M. le Rapporteur : Une étude anglaise a démontré que le colza et la betterave génétiquement modifiés préservaient la biodiversité. Le plus amusant est que les associations écologistes contestent la représentativité des essais réalisés dans des stations de recherche et non dans des exploitations agricoles… Autrement dit, elles réclament des expérimentations en plein champ !

M. Benoît LESAFFRE : Nous avons un exemple comparable avec le papayer. A Hawaï, la culture du papayer, particulièrement sensible à une maladie virale, avait été totalement arrêtée. Les Hawaïens ont donc développé des variétés transgéniques résistantes au virus. Depuis, 40 000 hectares de papayers transgéniques ont été cultivés en remplacement de la canne à sucre. De surcroît, la pression virale est devenue si faible qu’il redevient possible de cultiver du papayer biologique, ce qui était infaisable avant l’introduction du papayer transgénique. Cet exemple n’est pas généralisable, mais il montre que, dans certains cas, les organismes génétiquement modifiés sont un réel progrès.

M. Serge ROQUES : Est-ce trop simplifier que de dire que les chercheurs favorables aux essais le sont pour des raisons scientifiques et ceux qui y sont opposés, pour des raisons d’ordre sociétal ?

M. Philippe FELDMANN : Effectivement, et c’est moins l’argument du risque inconsidéré que celui de l’absence de débat que les chercheurs opposés aux essais mettent au premier rang. La perspective d’une possible privatisation du vivant est également avancée, de même que les conséquences socio-économiques d’un monopole des semences. Mais tout cela relève davantage d’une analyse socio-économique que d’une étude biologique au sens plein du terme. Eux-mêmes reconnaissent ne pas encore disposer tous les éléments pour pousser davantage l’analyse.

M. Benoît LESAFFRE : La question de la propriété des semences OGM reste une préoccupation majeure et il faudra vraiment se la poser.

M. le Rapporteur : La Confédération paysanne a rappelé devant nous son hostilité aux études sur le vivant. Or j’ai appris qu’une expérimentation, à la demande de la filière laitière, était en cours sur le sang des vaches engraissées aux OGM et non plus seulement sur le lait. Et la Confédération paysanne se félicite de cet essai !

M. Gabriel BIANCHERI : Cela se comprend.

M. Philippe FELDMANN : La Confédération paysanne s’oppose au fait que l’on ne déclare pas OGM des animaux nourris aux OGM. Si des expérimentations permettaient de conclure à la présence d’OGM dans ces animaux, cela conforterait leur position.

M. Gabriel BIANCHERI : Ils approuvent celle-là parce qu’ils espèrent que les résultats confirmeront leurs thèses.

M. Philippe FELDMANN : Ils soutiennent que les expériences menées sur le lait auraient montré des modifications liées aux OGM mais qu’elles auraient été interrompues et le lait en question congelé et caché quelque part…

M. Gabriel BIANCHERI : Au tout début de la prophylaxie de la fièvre aphteuse, on nous demandait souvent de ne pas vacciner telle vache, nommément désignée, afin que les enfants puissent continuer d’avoir un lait « sain »… C’est dire combien le message a été dur à faire passer !

M. le Président : A-t-on formellement montré que le coton transgénique insecticide et herbicide présentait un avantage, premièrement sur le plan des rendements, deuxièmement sur le plan de la consommation de pesticides, troisièmement sur le plan économique ?

M. Philippe FELDMANN : En termes de rendement, les expérimentations montrent un progrès relatif. Hormis le cas d’infestation par les insectes cibles, l’avantage n’est pas avéré. La consommation d’insecticide spécifique aux insectes cibles diminue mais elle peut parfois augmenter pour les autres insectes dans la mesure où la disparition d’une espèce dominante peut favoriser la prolifération d’autres espèces. Mais globalement, l’utilisation des insecticides est réduite. Une étude réalisée en Inde par Monsanto fait même état de résultats incroyables, que les anti-OGM contestent. Quoi qu’il en soit, sur le coton nous disposons désormais de données chiffrées, en Afrique du Sud notamment, qui démontrent l’intérêt économique d’une variété transgénique produite par Monsanto par rapport à la même variété non transgénique, les économies réalisées compensant largement le surcoût lié à la cherté de la semence.

Pour le soja, autre exemple, l’utilisation aux Etats-Unis de variétés transgéniques résistantes aux herbicides facilite tellement la culture que les pratiques culturales s’en trouvent profondément modifiées. Pourtant, l’ensemble « soja transgénique plus herbicide spécifique » coûte beaucoup plus cher que l’ensemble « semences classiques et herbicides classiques ». Mais la diminution de la charge de travail est également un élément à prendre en considération, indépendamment des coûts économiques. Nous aurons des éléments plus précis à l’occasion du colloque qui se tiendra les 8 et 9 décembre prochains à l’INRA.

M. le Président : Sur quel sujet portent les travaux du CIRAD en Afrique du Sud ?

M. Philippe FELDMANN : Nous étudions les avantages et inconvénients du cotonnier transgénique, en termes d’impact économique comme de lutte contre les insectes.

M. Benoît LESAFFRE : En partenariat avec l’université de Pretoria.

M. le Président : En dehors du Brésil et de l’Argentine, dans quels pays du Sud se développent principalement les cultures d’OGM ?

M. Benoît LESAFFRE : Une soixantaine de pays cultivent des OGM. A croire un document datant de 2003, les surfaces dépassent 50 000 hectares dans 21 pays.

M. Philippe FELDMANN : Les Etats-Unis, l’Argentine, le Canada, le Brésil et la Chine sont aux premières places. Après l’Afrique du Sud viennent l’Uruguay, l’Inde, l’Australie, la Roumanie, le Mexique, le Honduras, l’Espagne, la Colombie, la Bulgarie, les Philippines et l’Indonésie. D’autres pays sont venus, depuis, s’ajouter à cette liste.

M. Benoît LESAFFRE : Cette statistique a été réalisée au niveau international en 2003.

M. le Président : Les pays voisins de l’Afrique du Sud cultivent-ils des OGM ?

M. Philippe FELDMANN : Non.

M. le Président : Il y en aurait au Burkina Faso…

M. Philippe FELDMANN : En effet. Pas des cultures commerciales mais des essais dans le but de mettre au point une réglementation en la matière. Les Etats-Unis exercent une très forte pression.

M. le Président : Monsanto dit travailler au Kenya…

M. Benoît LESAFFRE : Ce ne peut être qu’à un stade d’essais. Le ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche du Burkina Faso m’a lui-même demandé l’appui de la recherche française sur le plan tant scientifique que juridique. J’ai relayé sa demande auprès de nos tutelles mais nous ne sommes pas en situation de répondre à l’ensemble de la demande des pays de la zone francophone. Nous n’avons que quatre chercheurs spécialisés dans les OGM…

M. Philippe FELDMANN : Tous ces pays sont l’objet de fortes pressions de l’US AID, derrière lesquels on trouve Monsanto et autres, pour mettre en place une réglementation leur permettant d’y commercialiser leurs semences.

M. le Rapporteur : Y mène-t-on des recherches que l’on ne peut pas faire en France ?

M. Philippe FELDMANN : Certains pays ont une réglementation beaucoup moins contraignante. Mais le CIRAD s’est fixé pour règle de ne mener des expérimentations dans un pays étranger que si celui-ci le demande et en s’imposant des obligations au moins comparables à celles de la France. C’est ce que nous avons fait en Colombie et nous avons même demandé l’avis de la CGB, laquelle en a été très surprise…

M. Benoît LESAFFRE : La Colombie nous offre des conditions tropicales. La réglementation française permet les essais en champ, même si la société n’y est pas prête. Mais nous tenons à ce que nos expériences sur le riz en Colombie soient conformes aux règles édictées par notre propre pays. Nous nous interdisons de faire ailleurs ce que nous ne pourrions plus faire en France.

M. Francis DELATTRE : Le soja transgénique, avez-vous dit, autorise des itinéraires culturaux simplifiés sans labours. Peut-on dire que les OGM limiteraient ipso facto les rejets de CO2 dans l’atmosphère ?

M. Philippe FELDMANN : Le « minimum tilsage », comme l’appellent les Anglo-Saxons ou « semis direct », se développe beaucoup au Brésil. Des recherches sont en cours pour vérifier si les émissions de carbone en sont significativement réduites. La question est de savoir si cette pratique peut être généralisée. Ce n’est pas forcément la panacée.

M. Francis DELATTRE : On pratique de plus en plus d’itinéraires simplifiés en France…

M. Benoît LESAFFRE : On arrive rapidement à certaines limites, sans compter certains phénomènes d’irréversibilité auxquels il faut prendre garde.

Pour terminer, vous nous avez demandé dans votre questionnaire ce que nous pensions du projet de regroupement des commissions du génie génétique, du génie biomoléculaire et du Comité de biovigilance. Le débat sur la sécurité sanitaire a mis en évidence la nécessité de disposer d’un système d’évaluation des risques clair et transparent, de même que d’un système de décision et de gestion tout aussi clair et transparent. Or la « séparabilité » entre la Direction générale de l’alimentation (DGAL) et la CGB ne nous a pas paru toujours évidente, notamment lors de l’affaire des caféiers. Du reste, le rapport des « 4 Sages »…

M. le Président : Autrement dit, la CGB n’est pas indépendante du ministère de l’agriculture…

M. Benoît LESAFFRE : Je n’ai pas dit cela…

M. le Président : Vous-même reconnaissez être un peu jésuite !

M. Benoît LESAFFRE : La CGB fait plutôt bien son travail. Je trouve seulement que l’articulation entre les rôles de la CGB et la DGAL mériterait d’être clarifiée et simplifiée. L’idée, avancée dans le rapport des « 4 Sages », d’une commission d’experts scientifiques et d’une autre instance réservée au débat sociétal et politique a au moins le mérite de la clarté. Pourquoi ne pas évaluer le risque et le bénéfice dans le même endroit ?

M. le Président : Mais dans l’hypothèse où nous aurions deux instances, la commission dite de la société civile devrait-elle examiner chaque dossier au cas par cas ou donner de grandes orientations ?

M. Benoît LESAFFRE : Mon expérience, y compris au sein du ministère de l’environnement, me conduirait à privilégier la deuxième variante.

M. le Président : Moi aussi. Même si ce n’est pas forcément celle qui était dans les tuyaux à un moment donné…

M. Benoît LESAFFRE : Quoi qu’il en soit, il me paraît nécessaire de clarifier le rôle des commissions d’expertise. On ne saurait les accuser de n’être pas indépendantes, mais le système manque de clarté.

M. le Président : Messieurs, nous vous remercions. Nous avons battu des records de durée, mais cet échange était très intéressant.

M. le Rapporteur : Passionnant même !

Audition conjointe de
M. Didier MARTEAU, vice-président de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA)
et de M. Bernard LAYRE, président du Centre national des jeunes agriculteurs (CNJA)


(extrait du procès-verbal de la séance du 1er décembre 2004)

Présidence de M. Jean-Yves LE DÉAUT, Président

M. le Rapporteur : Mes chers collègues, notre Président Jean-Yves Le Déaut, nous rejoindra dans quelques instants. Nous remercions MM. Didier Marteau et Bernard Layre de leur présence ce matin. Avant d’en venir aux questions, je propose qu’ils nous présentent brièvement leur approche d’ensemble sur la question des OGM.

M. Didier MARTEAU : Je me félicite qu’une mission d’information ait été créée au sein de l’Assemblée nationale pour aborder un sujet que je connais assez bien, pour y avoir travaillé dans le cadre du Conseil national de l’alimentation et du Conseil national de la consommation, ainsi que de la Conférence de citoyens organisée en 1998 et présidée par M. Le Déaut. Depuis, on a malheureusement plutôt reculé : il est devenu difficile de parler objectivement des OGM, tant le débat est devenu polémique.

Peut-être d’ailleurs serait-il bon d’éviter l’expression OGM et de parler plutôt des biotechnologies car une image négative est systématiquement associée au terme OGM.

M. Bernard LAYRE : Je me réjouis à mon tour que les parlementaires aient décidé de prendre à bras-le-corps le sujet des OGM. On en était venu à douter de la volonté des pouvoirs publics d’intervenir en la matière. Nous souhaitons que votre mission parvienne à dépassionner ce débat et à y introduire l’objectivité qui lui fait défaut.

Bien que votre questionnaire pose les bonnes questions, peut-être manque-t-il celle de savoir si les OGM peuvent être acceptés par l’opinion publique. Car des maladresses ont été commises aussi bien par les syndicats, les professionnels des filières, les établissements semenciers, que par les pouvoirs publics. Il est d’autant plus important de maîtriser la communication que certains mots font peur.

C’est le progrès de l’expertise scientifique qui fera avancer le débat. Si nos campagnes ont évolué sur le plan économique, social ou technique, elles le doivent au progrès et aux chercheurs qui ont pu travailler librement. Les jeunes agriculteurs défendent la liberté de la recherche, qu’il s’agisse non seulement des travaux en laboratoire mais aussi des expérimentations en plein champ, dès lors que l’expertise scientifique les estime indispensables. Or, la très grande majorité les chercheurs de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) déclarent les expérimentations en plein champ nécessaires pour évaluer l’impact sanitaire, environnemental et agronomique des OGM.

Un autre sujet qui me tient à cœur est celui de la brevetabilité du vivant. Il est essentiel d’éviter qu’une firme conserve la maîtrise d’un génome qui lui rapporte des royalties pendant plus de vingt ans et lui permet de maintenir un certain nombre d’acteurs économiques dans la dépendance.

Beaucoup ont tendance à opposer OGM et agriculture biologique. J’estime pour ma part que c’est une démarche idéologique consistant à noircir les OGM tout en idéalisant l’agriculture biologique. Celle-ci a pu évoluer et devenir rentable, tout au long des cinquante dernières années, grâce à la sélection génétique.

M. le Rapporteur : Que pensez-vous du projet de regroupement de la Commission du génie génétique (CGG), de la Commission du génie biomoléculaire (CGB) et du Comité de biovigilance au sein d’un Conseil des biotechnologies ? Et quelle serait, selon vous, la composition la plus pertinente pour ce nouvel organisme ?

M. Didier MARTEAU : J’ai eu la chance de suivre les travaux de la Commission du génie biomoléculaire et en tant qu’utilisateur, je ne m’y retrouve pas. Les débats sont trop scientifiques. Par ailleurs, ces trois commissions ne permettent pas d’avoir une vision globale du problème. La Fédération nationale des syndicats d'exploitation agricole (FNSEA) est plutôt favorable à un système organisé autour de deux structures, l’une qui serait chargée de donner des avis scientifiques, l’autre qui serait chargée d’exprimer un point de vue d’ensemble.

M. Bernard LAYRE : Pour ma part, je ne suis pas sûr qu’il soit opportun de regrouper les organismes car il est utile de conserver une confrontation entre leurs différents points de vue. C’est ensuite au pouvoir politique de chapeauter ces différentes commissions au moyen d’une instance ayant une approche plus globale.

Mais je constate que l’on commence par une question portant sur les outils. Il me semble qu’il faudrait plutôt mener d’abord une réflexion sur les objectifs que l’on se fixe, et surtout se donner les moyens d’améliorer les conditions du débat afin que les citoyens soient informés de manière objective. On sait par exemple que le débat a connu un tournant lorsque José Bové a été l’invité de l’émission « 100 minutes pour convaincre ». C’est à partir de là que la confrontation des points de vue s’est affirmée, ce qui est une bonne chose.

M. le Rapporteur : Je précise, à cet égard, que notre mission d’information organisera des tables rondes contradictoires qui seront ouvertes aux médias et au public.

M. André CHASSAIGNE : Avez-vous le sentiment que les scientifiques sont objectifs sur cette question ?

M. Didier MARTEAU : Les scientifiques sont indépendants, c’est un fait, mais ils ont des avis très tranchés et parfois tellement contradictoires que l’on peut en arriver à douter de leur objectivité. C’est un vrai problème pour notre agriculture. Alors qu’elle a longtemps évolué dans un contexte serein, précisément parce que l’expertise scientifique lui donnait des points de repères, le climat s’est progressivement détérioré et un certain discrédit a frappé aussi bien les scientifiques que les responsables politiques et les professionnels. Après l’affaire du sang contaminé, il y a eu la maladie de la vache folle et la crise a été aggravée par des mesures qui n’étaient peut-être pas en rapport avec le nombre de décès relativement faible constaté. Toute l’alimentation est ensuite devenue un problème.

M. Bernard LAYRE : En tant qu’administrateur d’une coopérative impliquée dans les biotechnologies, je pense qu’il faut pouvoir compter sur des organismes neutres, sous tutelle des pouvoirs publics et n’ayant pas d’intérêts privés à défendre. Même si les chercheurs de certaines entreprises ont compris qu’il fallait assurer une meilleure transparence dans les dossiers, les enjeux économiques sont tels que je fais davantage confiance aux organismes publics.

M. le Président : Le futur Conseil des biotechnologies devrait être placé sous la tutelle du ministère de l’agriculture, du ministère de la recherche et du ministère de l’environnement. Que pensez-vous de cette triple tutelle ? Faut-il y ajouter celle du ministère de la santé ?

M. Didier MARTEAU : Non. Ce serait rendre le dispositif encore plus complexe, sans bénéfice évident.

M. le Président : Si nous vous posons cette question, c’est parce que les compétences de la CGB ne se limitent pas aux végétaux. Elles incluent les essais de thérapie génique, dont il nous paraît évident qu’ils relèvent du ministère de la santé. C’est d’ailleurs pourquoi le président de la CGB a toujours été un médecin.

M. Didier MARTEAU : Votre point de vue est tout à fait cohérent. Je dis simplement que la tutelle d’un quatrième ministère rendrait le dispositif plus complexe. Notre crainte est que le système soit paralysé.

M. Bernard LAYRE : S’agissant d’un sujet aussi délicat que celui des OGM, je comprends que l’on souhaite prendre un maximum de précautions. Mais je vous répondrai par une autre question : sachant qu’un médicament sur deux est issu du génie génétique, le ministère de l’agriculture exerce-t-il une tutelle dans ce domaine ? Je partage le point de vue exprimé par M. Marteau. On a quelque difficulté à comprendre la multiplication des tutelles dans un système qui est déjà très encadré.

M. le Président : Que pensez-vous précisément des procédures administratives de contrôle et d’évaluation des essais d’OGM ? Certains estiment qu’elles sont trop complexes et trop lourdes, notamment pour le développement de la science. Partagez-vous ce point de vue ?

M. Bernard LAYRE : Comme je le disais à l’instant, le sujet est tellement sensible que l’on a voulu multiplier les précautions. Il est donc logique que l’on ait mis en place un encadrement de la recherche assez lourd. C’était nécessaire pour crédibiliser le dispositif, même si le système peut paraître extrêmement lourd.

M. Didier MARTEAU : De manière générale, on est beaucoup plus exigeant en France que dans les autres pays, y compris européens. L’obtention d’une variété OGM prend à peu près deux fois plus de temps qu’aux Etats-Unis. S’agissant des essais, le système est très lourd et très coûteux. Ajoutez à cela qu’ils sont détruits dans une proportion comprise entre 60 et 70 %.

M. le Président : La question n° 4 du questionnaire qui vous a été remis est la suivante : « Pour assurer la coexistence de filières agricoles avec et sans OGM, serait-il utile de fixer une distance minimale pour limiter les risques de dispersion d’OGM d’un champ d’essai à un autre champ, par exemple d’agriculture biologique ? » Cette question est à rapprocher de la question n° 14 : « Est-il possible de mener une recherche sur les OGM sans recourir à des essais en plein champ ? N’est-il pas paradoxal de détruire des champs d’essais, alors que ceux-ci ont pour objectif d’étudier les risques potentiels que la culture d’OGM peut entraîner et que ceux-là mêmes qui détruisent ces champs souhaitent une meilleure information sur les risques de ces essais ? »

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Je compléterai la question. Vous avez dit qu’il n’y avait pas lieu d’opposer les OGM à la culture biologique. Sur quelle base vous appuyez-vous pour dire que les essais d’OGM en plein champ n’ont aucune influence sur la culture biologique ?

M. Bernard LAYRE : Jusqu’à présent, c’est la sélection génétique – la sélection des hybrides selon le terme des années 50 – qui a permis de faire évoluer notre agriculture. Les scientifiques estiment que la nouvelle sélection génétique permettra d’apporter une réponse aux enjeux de demain, qu’il s’agisse de l’alimentation ou de l’énergie, et que cela passe par les nouvelles biotechnologies, en particulier les OGM. La position traditionnelle du CNJA était que la sélection génétique devait être encouragée parce qu’elle bénéficie à tous, et à toutes les productions. Mais la désinformation et l’information partielle répandue par les médias ont eu pour résultat que l’opinion publique a tendance à idéaliser la culture biologique et à diaboliser les OGM. Les producteurs en viennent même à douter que les OGM soient demain un facteur de progrès. Nous prenons acte de cette situation, et nous sommes favorables à la coexistence de trois filières : la filière bio, la filière OGM et la filière non-OGM.

J’ajoute une précision : les OGM sont présents, en plus ou moins grande quantité, dans 70 % de notre alimentation. La lécithine de soja et l’amidon de maïs sont des additifs que l’on retrouve dans une majorité de produits alimentaires.

M. Didier MARTEAU : Il y a aussi toutes les levures, ainsi que bon nombre de médicaments.

Pour ma part, j’ai toujours prôné le respect du choix des utilisateurs, qu’il s’agisse des consommateurs ou des agriculteurs. C’est pourquoi j’ai toujours défendu la coexistence de filières séparées, contre ceux qui préconisent la banalisation des OGM en mélangeant les cultures OGM et non-OGM.

Le seuil à partir duquel la présence d’OGM doit être mentionnée sur l’emballage des produits est aujourd’hui de 0,9 % – et de 0,1 % pour les produits biologiques –, alors qu’il était de 3 % il y a quelques années. Mais il faut savoir que plus le taux est bas, plus l’application de la règle est coûteuse. Par ailleurs, si l’on abaisse encore ce seuil, la solution de facilité sera d’indiquer systématiquement la présence d’OGM, quel que soit le taux, afin d’éviter le risque de se voir reprocher un niveau d’information insuffisant. Ainsi, les consommateurs – mais aussi les transporteurs, les intermédiaires, les associations – ne pourront plus faire la différence entre produits OGM et non-OGM. Je souscris tout à fait à l’idée de distinguer trois filières mais je me demande s’il n’est pas suicidaire pour l’agriculture biologique de viser un taux de 0 % d’OGM.

M. le Rapporteur : Est-ce à dire que vous êtes opposé à la mention des OGM dans l’étiquetage des produits utilisés pour l’alimentation des animaux ?

M. Didier MARTEAU : C’est beaucoup plus compliqué que cela. Prenons le cas d’une vache qui a consommé des produits OGM et qui a ensuite allaité un veau. Devra-t-on mentionner que ce veau a bu du lait produit par une vache qui a consommé des OGM ? Autre exemple : une vache a vécu dix ans et a consommé des OGM pendant quinze jours ; doit-on le mentionner ? Et si oui, à partir de quelle quantité d’OGM consommés ? Cette question de l’étiquetage est d’une extrême complexité, et je vous mets en garde contre des règles trop rigides en la matière.

M. André CHASSAIGNE : Vous avez dit que l’évolution variétale bénéficie à toutes les productions. Est-ce à dire, par exemple, qu’il pourrait y avoir un jour une production bio à partir de semences issues de manipulations génétiques ?

Vous insistez aussi beaucoup sur la coexistence de trois filières. Mais comment cela peut-il se traduire dans l’organisation du territoire agricole ? Y aura-t-il des zones de production bio, des zones de production OGM et des zones de production non-OGM ? Si oui, de quelle taille seraient-elles ? Et comment les différencier ? Cette notion de coexistence des filières n’est-elle pas contradictoire ?

M. Bernard LAYRE : Des contradictions, il y en a eu beaucoup dans toute cette affaire ! Et d’abord en raison du manque de courage politique au niveau de l’Union européenne : n’est-il pas contradictoire d’interdire la production OGM tout en en autorisant les importations ?

Ensuite, il faut différencier le court terme et le long terme. Je n’ai pas de réponse toute faite au sujet de la production bio. Je sais simplement qu’elle a bénéficié de sélections génétiques, qu’elles aient résulté ou non de l’intervention de l’homme. Il y a toujours eu des croisements d’hybrides.

M. André CHASSAIGNE : Les manipulations génétiques et les croisements hybrides sont des choses différentes…

M. Bernard LAYRE : A mes yeux, non. C’est l’évolution variétale, dans laquelle l’homme est toujours intervenu.

Je peux vous faire part de mon expérience de producteur de maïs semence. Nos productions sont faites dans des îlots protégés par arrêté ministériel avec des zones d’isolement, où toutes sortes de cultures coexistent sauf du maïs, afin d’éviter la dissémination du pollen et d’obtenir les variétés les plus pures. Ces îlots peuvent aller jusqu’à 2000 hectares. La coexistence des filières se pratique ainsi sur le terrain depuis plus de trente ans.

M. le Président : Quel est votre taux de tolérance en matière de contamination ?

M. Bernard LAYRE : Il est interdit de dépasser 1 %. Mais les choses sont beaucoup plus compliquées que cela. On distingue notamment les semences autofécondées et les semences dites « aberrantes ». Je n’entre pas dans le détail, mais sachez que ce chiffre n’est pas représentatif d’une réalité beaucoup plus complexe.

M. le Président : Sur les semences bio, y a-t-il une tolérance de norme AB de 5 % ?

M. Didier MARTEAU : Les agriculteurs bio se sont imposés eux-mêmes des normes dans leurs cahiers des charges, en l’absence de réglementation concernant la présence d’OGM dans les cultures bio. Pour l’ensemble des cultures, la tolérance qu’ils se sont fixée en terme de pureté variétale, est généralement de 5 % mais sur les OGM, ils se sont imposé le taux de 0 ou 0,1 %. C’est plus sévère que les normes existant dans d’autres pays européens : l’Autriche est à 0,5 % par exemple, et la Suisse à 1 %. Ce manque de coordination pose d’ailleurs un problème de distorsion de concurrence.

Mme Odile SAUGUES : La norme « Ecocert » correspond-t-elle au cahier des charges auquel vous faites référence ?

M. Didier MARTEAU : Oui, ce cahier des charges fixe le taux d’OGM à 0,1 %. En termes de pureté variétale, le taux est généralement de 5 %. Je serai plus prudent concernant le taux des produits bio importés.

M. le Président : Qui a fixé ce taux de 0,1 % ?

M. Didier MARTEAU : Je préférerais que vous leur posiez la question, mais il me semble qu’il n’y a toujours pas de réglementation européenne sur ce point.

M. le Président : En effet.

Mme Chantal ROBIN-RODRIGO : Je rappelle que les représentants de la Confédération paysanne nous ont bien confirmé que la norme des 0,1 % leur est opposable et que si la proportion d’OGM est supérieure à 0,1 %, les agriculteurs ne sont plus considérés comme agriculteurs bio, ce qui est extrêmement grave pour eux.

Vous nous avez dit que la coexistence entre cultures OGM et cultures non-OGM est tout à fait possible, bien que des chercheurs nous aient dit le contraire car la pollinisation peut parfois s’étendre jusqu’à 25 kilomètres, et plus, des lieux d’expérimentation en plein champ. Dans ces conditions, comment la différenciation des cultures est-elle possible et quelles sont les distances nécessaires ?

M. Didier MARTEAU : Il faut distinguer selon les cultures. S’agissant du blé qui se reproduit par autofécondation, le problème de la pollinisation ne se pose pas. S’agissant du maïs, la pollinisation existe, mais il s’agit d’un pollen lourd. Nous le savons grâce à l’expérience des différents producteurs de semences. Quant à la repousse, elle est stérile.

Le problème est plus compliqué s’agissant du colza, puisqu’au risque de dissémination s’ajoute celui de la repousse non stérile qui peut s’étendre sur plusieurs années et qui est donc plus grave. Il faut en outre distinguer entre le colza oléique et le colza double zéro. Les distances de dissémination du pollen ont été étudiées pour la France, notamment grâce aux études de l’INRA. Pour le colza, par exemple, la pureté variétale exige une distance de 700/800 mètres. Pour le tournesol, la distance est de 300/400 mètres.

Par quels moyens peut-on réduire les distances ? Le premier moyen est la barrière de protection à l’intérieur du champ, qui est de l’ordre de dix, vingt ou trente rangs. Une variété « tampon » en bordure de champ freine la dissémination des OGM.

M. Bernard LAYRE : Des études précises ont été conduites par l’Association générale des producteurs de maïs (APGM), qui montrent que si la pollinisation peut être importante à une distance de quelques mètres, elle devient très faible à partir de quelques centaines de mètres. On a retrouvé des pollens marqués à près de 50 kilomètres, mais en quantités infimes.

Je voulais également préciser que la norme de 0,1 % que les agriculteurs bio se sont fixée pour les OGM est plus stricte que celle qu’ils ont retenue pour les pesticides. Ils s’autorisent 9 ppm de produits phytosanitaires dans les produits biologiques, ce qui est énorme, du moins par rapport à la norme fixée pour les OGM. La différence est très importante, elle résulte d’une situation d’urgence qui s’est peut-être traduite par une trop grande précipitation.

M. Didier MARTEAU : Je voudrais lever tout malentendu. Dire que la coexistence des cultures est possible ne signifie pas l’on peut parvenir à une étanchéité complète. On retrouvera toujours des traces.

M. François GUILLAUME : Il faut aussi souligner que la présence de pollen ne signifie pas forcément qu’il y aura pollinisation.

M. Didier MARTEAU : Cette remarque est importante. On sait que l’une de nos craintes majeures est qu’un croisement se fasse entre les variétés cultivées et les variétés sauvages, en particulier crucifères comme la ravenelle. Or, ce croisement est exceptionnel parce qu’il n’est pas naturel. Cela dit, il est toujours possible.

Mme Chantal ROBIN-RODRIGO : Notre mission d’information a pour objectif de nous permettre d’éclairer nos concitoyens sur les risques. Je suis tout à fait favorable aux expérimentations en plein champ, à condition que toutes les précautions soient prises. Tant que les scientifiques ne seront pas d’accord sur l’estimation des risques, je continuerai à poser des questions.

M. Gabriel BIANCHERI : Je souligne que nous avons pour les OGM des exigences que nous n’avons même pas pour les médicaments en ce qui concerne les effets paradoxaux. Les quatre-cinquièmes d’entre eux ne seraient pas mis sur le marché si les mêmes exigences leur étaient appliquées.

M. Bernard LAYRE : Sans vouloir être provocateur, je remarque aussi qu’il y a longtemps que nous ne roulerions plus en voiture si le niveau de tolérance par rapport aux accidents était aussi bas que celui qu’on applique aux OGM.

Mme Chantal ROBIN-RODRIGO : Dans cette logique, autant mettre fin à cette mission d’information…

M. François GUILLAUME : Il est une question à laquelle personne n’a répondu depuis que les travaux de notre mission ont commencé. On nous dit : OGM égal danger. Mais de quel danger s’agit-il ? Le risque de porter atteinte à la biodiversité existe, mais il est relativement limité. Et surtout, le problème n’est pas différent de celui qui se posait avec les hybrides. Il y a simplement un saut technologique majeur qui permet de modifier la plante pour obtenir des résultats que l’on obtenait auparavant avec les hybrides.

M. le Président : Avec cette différence majeure qu’un gène peut venir d’une autre espèce, y compris bactérienne. Le franchissement d’une barrière d’espèces est donc possible et c’est un vrai problème. Cela dit, le président de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) estime qu’il n’y aucun danger avéré à l’heure actuelle, et affirme que, s’il avait à choisir entre les OGM et les pesticides, il choisirait les OGM sans hésiter.

M. Didier MARTEAU : C’est là un point très important car les risques des autres produits ne doivent pas être négligés. Même les agriculteurs bio utilisent du soufre pour soigner leurs cultures le plus naturellement possible, mais les quantités utilisées deviennent dangereuses au-delà d’un certain seuil. On sait que des agriculteurs ont été victimes d’accidents. Si l’on peut créer une résistance naturelle aux insectes et aux maladies, ce serait un bien pour les agriculteurs – qui sont quand même les plus exposés – comme pour les consommateurs. Sans parler du gain économique qu’on pourrait en tirer car la culture des OGM se développe à l’étranger, notamment chez nos voisins espagnols.

M. Pierre COHEN : La peur de la dissémination pèse fortement sur le débat autour des OGM. Il semblerait, d’après ce que vous nous dites, que l’isolement soit facilement maîtrisable si l’on respecte certaines distances connues. Serait-il possible d’obtenir des chiffres précis sur le risque de dissémination qui nous permettrait d’objectiviser le risque ?

M. Bernard LAYRE : Je n’ai pas de chiffres. Mais techniquement, nous avons les moyens de réaliser les études nécessaires. Par ailleurs, j’ai oublié de préciser que les tests effectués sur les OGM coûtent vingt fois plus cher que pour d’autres produits.

A quelques jours du Téléthon, il serait également bon de se souvenir que personne ne s’est jamais élevé contre le développement du génie génétique sur l’homme, alors que de très fortes résistances – véhiculées par une mauvaise communication – se manifestent contre les plantes OGM. On sait, par ailleurs, qu’il va falloir doubler la production alimentaire dans les quinze ans à venir, et ce sur une même surface, de même qu’il nous faudra développer des sources d’énergie renouvelable. Peut-on, dans ces conditions, s’offrir le luxe de ne pas développer la recherche en biotechnologies ?

M. Didier MARTEAU : Nous disposons de deux études majeures : celle de l’INRA, conduite par M. Valceschini ; et celle de l’APGM sur les protections. S’agissant de ces dernières, j’ai déjà évoqué les distances de sécurité à l’intérieur du champ. La deuxième technique utilisée est le décalage de semis pour éviter des disséminations simultanées de pollen, même si, dans certains cas, ces techniques sont inutiles car un même champ peut accueillir des cultures différentes.

M. le Président : La FNSEA et le CNJA sont-ils favorables aux expérimentations en plein champ, et si oui, pourquoi ?

M. Bernard LAYRE : Nous y sommes favorables, parce que les experts nous disent qu’il n’est pas possible, dans un milieu confiné, d’évaluer toutes les conséquences des cultures d’OGM. Ces expériences sont nécessaires, dès lors que toutes les précautions sont prises.

M. Didier MARTEAU : Notre position est la même. Il faut se donner les moyens de répondre de manière précise à toutes les questions qui sont légitimement posées. Il est tout de même sidérant que ceux-là mêmes qui posent ces questions détruisent les essais qui ont pour but d’y répondre.

M. Bernard LAYRE : Alors que certaines plantes peuvent contribuer à améliorer les conditions environnementales, ceux qui se disent attachés à la protection de l’environnement ne veulent pas que l’on se donne les moyens de savoir comment y parvenir. Il y a là quelque chose d’assez incompréhensible.

Je voudrais répondre, M. le Président, à la question n° 5 du questionnaire : « Jugez-vous pertinente la définition d’un seuil de teneur en OGM au-delà duquel la présence d’OGM dans un produit alimentaire devrait être signalée au consommateur ? » Ma réponse est oui, au nom de la transparence qui est indispensable.

M. le Président : Si vous êtes favorables à l’expérimentation en plein champ, cela signifie-t-il que vous êtes également favorables, le cas échéant, à la mise en culture ultérieure ?

M. Bernard LAYRE : Bien sûr. Comment peut-on être favorable aux expérimentations en plein champ et ne pas être favorable à la mise en culture si ces expérimentations concluent à l’innocuité de cette culture pour la santé humaine, pour l’environnement et pour les sols eux-mêmes ? Il ne faut pas négliger les problèmes agronomiques, comme cela a été le cas avec les boues d’épuration

M. Didier MARTEAU : Je ne suis pas favorable, pour l’instant, à la production en plein champ, car trop de questions restent encore sans réponse et donc sans réglementation, notamment en matière de responsabilité. Par ailleurs, les conditions du marché ne nous permettent pas de nous engager dans de telles productions.

M. Bernard LAYRE : Je souscris tout à fait à ce que dit M. Marteau, et qui n’est pas contradictoire avec ce que je viens de dire.

M. Pierre COHEN : Je suis heureux de cette réponse, car notre mission d’information n’a pas encore entendu, du moins de la part d’acteurs du monde agricole, de propos aussi nettement favorables aux expérimentations en plein champ.

M. Didier MARTEAU : Mais soit dit en passant, nous n’aurons bientôt plus à nous poser la question ! Alors que la recherche française était en pointe il y a quelques années, les grands groupes quittent notre pays. Ils ne veulent plus entendre parler d’essais en France. Je ne sais pas si les essais couvriront, l’année prochaine, une surface totale supérieure à cinq hectares, autrement dit rien.

M. Pierre COHEN : Si l’on peut être favorable aux essais en plein champ sans être obligatoirement favorable, pour l’instant, à la production en plein champ, c’est pour les raisons que vous avez exposées, mais aussi parce que notre pays a intérêt à développer les études scientifiques s’il veut pouvoir prendre la parole dans l’arène internationale. C’est ce que nous ont dit les représentants de l’INRA.

M. François GUILLAUME : Si nous procédons à des expérimentations en plein champ, c’est bien pour savoir quels sont les inconvénients et les avantages des OGM. Il me paraît évident que si ceux-ci l’emportent, la conclusion à en tirer est l’autorisation de produire. Qu’ensuite, certains agriculteurs souhaitent ne pas s’engager dans la production d’OGM pour des raisons qui tiennent aux conditions du marché ou au souci de leur image, c’est leur droit. Les expérimentations ne doivent pas avoir pour but essentiel de nous permettre de participer aux colloques internationaux !

M. André CHASSAIGNE : Dans ce débat précis, il faut noter que depuis le début de nos auditions, on nous dit que les expérimentations doivent être justifiées par une utilisation future. La question du passage à la production ne devrait donc pas se poser.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Il y a cinquante ans, les chercheurs nous disaient que l’expérimentation sur les animaux vivants était indispensable, et que la recherche in vitro ne suffisait pas. Or, grâce à l’augmentation des crédits et à la manifestation d’une volonté politique, certains problèmes ont pu être résolus sans recourir à l’expérimentation sur les animaux. De la même manière, je suis convaincue que si nous faisons les efforts nécessaires, les modélisations en milieu confiné nous permettront d’avancer sans avoir systématiquement besoin de procéder à des essais en plein champ.

M. Bernard LAYRE : N’étant que le président du CNJA, je ne me permettrai pas de donner un avis scientifique. J’observe seulement que la majorité des chercheurs que j’ai rencontrés affirment que les travaux en milieu confiné ne leur permettent pas d’évaluer les conséquences d’une culture d’OGM.

Pour répondre à M. Guillaume, je pense qu’il ne suffit pas que les avantages l’emportent sur les inconvénients. Compte tenu de la sensibilité politique du sujet, pour que la production d’OGM soit possible, il me semble que c’est véritablement son innocuité qui doit être établie.

M. Didier MARTEAU : Je pense m’être mal exprimé. J’exclus la production d’OGM dans l’immédiat. Mais au-delà de 2005, je n’exclus nullement que l’on passe au stade de la production si les expérimentations montrent que c’est possible. D’autant que le risque zéro n’existant pas, il sera plus intéressant de faire de l’OGM et de réduire les traitements. Au demeurant, je rappelle que douze variétés de maïs OGM sont actuellement autorisées. Rien n’interdit à un agriculteur d’aller acheter des semences en Belgique ou en Espagne.

M. le Président : Il s’agit de variétés autorisées avant le moratoire de 1998.

M. Didier MARTEAU : Tout à fait et le paradoxe est que certaines variétés sont autorisées à l’importation mais ne peuvent pas être cultivées.

M. Francis DELATTRE : L’affichage « OGM » sur un produit donné revient pratiquement à le condamner à l’échec commercial. Il me semblerait donc honnête que l’on puisse mentionner également les avantages d’un produit OGM. S’agissant du maïs, par exemple, un affichage « OGM : deux fois moins de pesticides » devrait être autorisé. Pensez-vous que cela entrerait dans le cadre d’une politique de traçabilité honnête ?

M. Didier MARTEAU : Nous sommes plutôt opposés aux mentions du type « sans OGM », « sans boues » ou « sans pesticides ». La liste des produits concernés serait infinie et, en tout état de cause, cela ne valorise pas un produit.

M. Francis DELATTRE : Je pense que si des messages positifs ne figurent pas sur l’emballage, il y a peu de chances que les ventes décollent.

M. Didier MARTEAU : Ce n’est pas sûr. Les enquêtes montrent que les consommateurs qui s’aperçoivent, après être sortis du magasin, que le produit acheté contenait des OGM décident quand même de le garder.

M. le Président : Cela rejoint ce que vous avez dit tout à l’heure sur le fait que les OGM entrent, en fait, dans la composition de 70 % des produits alimentaires. Il faut souligner que, dans ce dossier, les dirigeants politiques, qu’ils soient de droite ou de gauche, n’ont pas été courageux. Ils n’ont pas su analyser en détail un problème, certes compliqué, ni fixer, à partir de là, des orientations claires. On est donc dans une réalité pleine de contradictions.

M. Bernard LAYRE : Il faut aussi savoir où positionner le curseur entre les pratiques qui relèvent de l’information des consommateurs et celles qui relèvent du marketing, peut-être moins objectives.

M. Francis DELATTRE : Sur les bouteilles d’eau minérale, la composition du produit apparaît. Pourquoi la même chose ne serait-elle pas possible pour les produits OGM ?

M. Bernard LAYRE : La plupart des consommateurs n’ont pas de référence. Le simple mot « phytosanitaires » provoque de vives réactions. Les informations qu’il convient de porter à la connaissance des consommateurs doivent avoir un sens pour eux.

M. Francis DELATTRE : C’est ce que l’on disait il y a dix ans et, aujourd’hui, on mentionne les conservateurs sur les emballages. Une information objective, me semble-t-il, suppose que l’on fasse apparaître les éléments entrant dans la composition du produit.

M. Bernard LAYRE : Une enquête menée auprès des consommateurs a fait apparaître, en 2002, que 10 % d’entre eux seulement lisent la composition des produits qu’ils achètent, et que 2 % comprennent effectivement ce qu’ils lisent. Je ne suis pas sûr que le fait de détailler plus avant la composition des produits soit d’une grande utilité.

M. Gabriel BIANCHERI : Il faut être conscient qu’il existe des mots clés. « OGM » en est un, qui n’attire guère. « Pesticides » en est un autre, qui fait peur également. Une meilleure information sur ces mots clés ferait avancer les choses.

M. le Président : A votre avis, que peut-on espérer des OGM ? Et quel bénéfice les agriculteurs peuvent-ils en tirer ? Peuvent-ils notamment contribuer à diminuer l’utilisation de pesticides, d’insecticides et de fongicides ?

M. Didier MARTEAU : Du point de vue de la communication, mieux vaut éviter le mot « pesticides ». Je préfère parler de produits phytosanitaires ou de médicaments des plantes.

Sur le fond, je rappelle que l’Europe importe environ 75 % de ses protéines. Le génie biomoléculaire nous permettra peut-être de répondre à nos besoins en la matière, notamment avec le soja.

En outre, les produits susceptibles de se substituer au pétrole constituent un marché énorme, sur lequel nous devons être compétitifs. Dans les vingt-cinq ans qui viennent, on va demander aux agriculteurs d’utiliser la moitié de la surface agricole pour des cultures non alimentaires, tout en nourrissant une population mondiale qui pourrait passer de 6 à 7 milliards d’habitants et à 9 milliards en 2050.

Enfin, on peut espérer que les biotechnologies répondent à certaines exigences alimentaires d’ordre qualitatif, par exemple l’abaissement du taux de cholestérol.

M. le Président : C’est ce que l’on disait il y a six ans. Mais je ne connais pas d’expériences dans ce domaine.

M. Didier MARTEAU : Des expériences sont menées, mais leurs résultats ne sont pas connus. Quoi qu’il en soit, ce sont des objectifs intéressants, le premier étant de répondre à la demande européenne plutôt que d’importer. C’est ce que je dis à ceux qui détruisent les essais : ils feraient mieux d’aller arrêter les bateaux !

M. le Président : Que pensez-vous précisément de la démarche de ceux qui détruisent les essais ?

M. Didier MARTEAU : Ils cultivent l’obscurantisme et la peur. En France, on préfère ne pas savoir et il est plus populaire de tenir un discours de refus catégorique. Je ne suis pas un « pro-OGM », je souhaite simplement que la recherche avance, dans l’intérêt des consommateurs comme des paysans. Le risque zéro n’existe pas. Ce qui compte, c’est que nous soyons en mesure d’évaluer les avantages et les inconvénients des OGM, du point de vue de la qualité des produits comme de la compétitivité de notre agriculture. Car si nous ne nous donnons pas les moyens de rester dans la course, l’agriculture française sera sinistrée comme le textile. Des règles infiniment plus strictes que celles appliquées dans les autres pays risquent d’aboutir à ce résultat. Déjà, la production française de viande blanche est en train de disparaître au profit du Brésil et de la Pologne. La tomate risque de subir le même sort.

M. Bernard LAYRE : A chaque fois que je regarde le journal télévisé, je constate moi aussi que l’on cultive la peur.

Quant à la question des bénéfices que l’on peut attendre des OGM pour l’agriculteur, le premier concerne la santé. Beaucoup d’agriculteurs souffrent d’avoir utilisé certains produits qui ont été mal évalués à une certaine époque.

D’autre part, nous n’avons pas évoqué le problème essentiel de la brevetabilité du vivant. Les réglementations appliquées aux Etats-Unis et en Europe sont très diverses. A nos yeux, il faut breveter les applications d’un gène, et non pas le gène lui-même.

M. le Président : C’est ce que prévoit la loi qui vient d’être adoptée lundi dernier, 29 novembre 2004..

M. Bernard LAYRE : C’est une très bonne chose. Actuellement, les coopératives subissent une concurrence déloyale de la part de certains établissements privés qui nouent des liens au niveau international. Il faut aussi avancer en matière de certificats d’obtention végétale. Il faut que votre mission travaille sur ce sujet.

M. le Président : Avant de vous poser les dernières questions, je voudrais vous signaler que notre mission d’information organisera des tables rondes sur divers sujets, y compris les problèmes juridiques, auxquelles participeront des acteurs très différents. Vous pourrez revenir à certaines d’entre elles.

M. le Rapporteur : Je vais me faire l’avocat du diable. En adoptant les OGM, ne craignez-vous pas d’être les otages d’un oligopole mondial ?

M. Didier MARTEAU : Cette question est essentielle, d’autant plus que le nombre des grands groupes va encore se réduire. Monsanto est à vendre.

Nous pensons qu’il faut d’abord préférer la certification à la brevetabilité. Les agriculteurs doivent également avoir la possibilité de choisir leur culture. S’agissant de la protection, la stérilité peut être une réponse aux risques de croisement et j’ai attiré l’attention de l’INRA sur ce point. Le « Terminator » n’est pas une folie, contrairement à ce que disent certains. Je précise que c’est là ma position personnelle, et non pas celle de la FNSEA.

M. Bernard LAYRE : S’agissant du problème de la dépendance des paysans à l’égard des semenciers, il faut expliquer que sur les variétés non-OGM en sélection d’hybrides, plusieurs entreprises ont leurs variétés croisées avec des souches différentes. C’est cela qui permet de mettre les entreprises en concurrence et d’éviter une trop forte dépendance. Au contraire, lorsqu’on découvre la fonction d’un gène, celle-ci est unique. Par contre, les applications de cette fonction peuvent être multiples et c’est à travers ces applications que la concurrence peut jouer pour éviter d’enfermer les agriculteurs dans une dépendance. C’est pourquoi j’insiste à nouveau sur l’importance de modifier les dispositions légales relatives à la brevetabilité.

M. le Rapporteur : N’y a-t-il vraiment aucun risque que le gène de stérilité soit disséminé sur d’autres plants ?

M. Didier MARTEAU : Non. Ce gène meurt. Mais les scientifiques de l’INRA seraient plus qualifiés que moi pour vous répondre. En ce qui concerne le colza, c’est la repousse qui pose le plus problème, en particulier en raison des risques de dissémination croisée avec les plantes crucifères.

M. Bernard LAYRE : Il faut aussi préciser que le phénomène d’hétérosis – c’est-à-dire la capacité à repousser partiellement avec la même productivité – caractérise certaines plantes et pas d’autres. C’est une donnée à prendre en compte.

M. Gabriel BIANCHERI : La stérilisation ne crée-t-elle pas aussi une forme de dépendance ?

M. Didier MARTEAU : Je ne dis pas que c’est la formule idéale. Mais à partir du moment où l’agriculteur est bien informé, il fait des choix qu’il assume.

M. le Président : M. Marteau, M. Layre, nous vous remercions.

Audition de M. Jean BIZET, sénateur,
président de la mission d’information sur les OGM constituée dans le cadre de la commission des Affaires économiques et du Plan du Sénat


(extrait du procès-verbal de la séance du 7 décembre 2004)

Présidence de M. Christian MÉNARD, Rapporteur

M. Christian MÉNARD, Président : Mes chers collègues, nous remercions le sénateur Bizet d’avoir bien voulu répondre à notre invitation. M. Bizet, vous avez été le président de la mission d’information sur les OGM constituée dans le cadre de la commission des Affaires économiques et du Plan du Sénat, mission dont les travaux ont débouché en 2003 sur un rapport particulièrement exhaustif sur ce sujet15. C’est donc avec beaucoup d’attention que les membres de notre mission d’information sont prêts à vous écouter.

M. Jean BIZET : Mesdames, Messieurs les députés, je vous félicite d’avoir créé cette mission d’information sur les enjeux des essais et de l’utilisation des organismes génétiquement modifiés. Ce dossier est devenu depuis quelques années un véritable sujet de société. Puisque vous avez évoqué le rapport de notre propre mission d’information, je veux rendre hommage à notre rapporteur, Jean-Marc Pastor. Tout en ayant des sensibilités politiques différentes, nous n’avons eu aucun problème à nous retrouver, et ce rapport a été adopté à l’unanimité des groupes politiques du Sénat.

J’aborderai successivement les réalités économiques, environnementales et sociologiques, avant de conclure brièvement.

S’agissant des réalités économiques, nous devons d’abord constater, que cela nous plaise ou non, que les cultures d’OGM occupent environ 65 millions d’hectares dans le monde, essentiellement au Canada, aux Etats-Unis, au Brésil, en Argentine et en Chine. Cela représente plus de deux fois la surface agricole utile française, sur laquelle les expérimentations occupent un peu moins de 20 hectares…

Deuxième réalité économique : la brevetabilité est incontournable. Elle relève notamment du traité ADPIC16. Tout pays qui n’aura pas breveté se trouvera à l’écart de cette nouveauté. Je rappelle cependant qu’il n’y a pas de brevetabilité du vivant – les espèces animales ou végétales ne sont pas brevetables – et que ce qui est brevetable, c’est le couple gène/fonction.

Une entreprise ayant déposé un brevet a donc plus d’avenir qu’une autre. C’est un fait. Je me réjouis que le Sénat ait adopté, il y a à peu près un mois, le projet de loi portant transposition de la directive communautaire 98/44/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 juillet 1998. Nous y avons ajouté un amendement, adopté par l’Assemblée nationale, tendant à introduire ce qu’on appelle l’exception du sélectionneur, de façon à permettre aux semenciers européens, et notamment français, de travailler sur un substrat végétal, sans être obligés de demander une autorisation à une multinationale, étant entendu que la brevetabilité commence là où s’opère la commercialisation.

Troisième réalité, également incontournable : la mondialisation des échanges. Le Canada, le Brésil, l’Argentine et les Etats-Unis ont saisi l’organe de règlement des différends au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Un panel s’est constitué, a décidé de recourir à une expertise scientifique à la demande de l’Union européenne, et a sollicité pour cela cinq experts anglo-saxons. Leurs réponses sont attendues pour le 17 décembre 2004 et le rapport définitif du panel pour le 24 juin 2005. Dans l’hypothèse où l’Union européenne serait condamnée, on sait déjà que les Etats-Unis ont fixé à 4 milliards de dollars la somme qu’elle devrait verser pour entrave à la liberté du commerce. Il serait regrettable que ce conflit interfère avec les travaux du Parlement français sur la transposition de la directive 2001/18/CE. Donner l’impression de légiférer sous pression de l’OMC, et, plus précisément, sous pression américaine, serait du plus mauvais effet.

J’ajoute que depuis les accords de Blairhouse, soit depuis 1992, nos importations de protéine végétale couvrent 75 % de nos besoins. Nous ne pouvons d’ailleurs faire autrement si nous voulons nourrir nos animaux.

Quatrième réalité économique : même après l’accord-cadre du 1er août 2004 qui a « relancé » le cycle de Doha, l’alimentation reste pour les Etats-Unis une arme vis-à-vis des pays en voie de développement. Ainsi, en 2003, la marge brute du coton OGM par rapport au coton traditionnel a été de + 74 % en Inde. Pour les Etats-Unis, avec 43 millions d’hectares cultivés en 2003, la production d’OGM a augmenté de 2,4 millions de tonnes, générant un bénéfice de 1,9 milliard de dollars supplémentaires et une diminution de l’utilisation de produits phytosanitaires à hauteur de 20 900 tonnes. Ces chiffres émanent de la dernière lettre d’information de Monsanto.

J’en viens maintenant aux réalités environnementales. Il faut se souvenir que les progrès qu’a accomplis notre agriculture sont essentiellement dus à l’utilisation des intrants, pour laquelle nous sommes, après les Etats-Unis, le deuxième pays au monde. Mais nous sommes aujourd’hui au sommet de la courbe de Gauss, et il est strictement impossible, en termes de production, que nous allions au-delà. Il faut tenir compte de cette réalité.

Deuxième réalité environnementale : nous devrons être de plus en plus attentifs, dans les années qui viennent, à la gestion de la ressource en eau.

Troisième point : la notion de développement durable est incontournable. Jean-Marc Pastor et moi-même avons rappelé, dans notre rapport, que le « World Wide Fund » (WWF) a mis au point un indicateur visant à mesurer la pression que l’homme exerce sur la nature, son « empreinte écologique ». Celle-ci équivaut à la quantité de terre productive ou d’espace marin nécessaire à la consommation d’une population donnée et à l’absorption des déchets ainsi produits. Notre planète compte 6 milliards d’habitants et dispose de 11,4 milliards d’hectares terrestres et marins, soit une biocapacité de 1,9 hectare par habitant et une empreinte écologique de 2,28 hectares par habitant. Dans son rapport « Planète vivante 2002 », le WWF a fait apparaître que l’empreinte écologique de l’Européen de l’Ouest était, en 1999, de 4,97 hectares, celle de l’Américain de 9,7 hectares, celle de l’Africain de 1,36 hectare. S’agissant du sort des générations futures, on ne peut pas lire ces chiffres sans être interpellé. Je ne dis surtout pas que les biotechnologies sont la réponse à tout, mais il me semble difficile de les rejeter si l’on veut répondre aux enjeux du développement durable.

Parmi les réalités sociologiques, la première est que l’acceptation sociétale n’est pas au rendez-vous. Une grande majorité de nos concitoyens sont opposés aux OGM. C’est une chose qui leur fait peur, à tort ou à raison, peut-être à cause d’un défaut d’explication, peut-être parce qu’ils ne veulent pas entendre, peut-être aussi parce que nous sommes un pays riche : le problème des Indiens ou des Chinois, étant d’abord de manger, leur approche du problème est forcément différente.

Deuxième réalité sociologique : bon nombre de nos concitoyens ont encore un pied dans le XIXsiècle. Dans une « société d’inquiétude », pour reprendre l’expression d’Alain Touraine, l’alimentation est considérée comme un repère, elle renvoie à nos racines. Dans un pays de culture latine, il est très difficile d’aborder le sujet de façon rationnelle, sans passion.

La troisième réalité sociologique est la difficulté du débat démocratique. Après la Conférence des citoyens organisée par Jean-Yves Le Déaut en 1998, et après plusieurs débats au Conseil économique et social, on s’aperçoit qu’il n’est aujourd’hui plus possible d’aborder le sujet sous l’angle exclusif de l’information. Il me semble que nous avons atteint un stade où, le passionnel l’ayant emporté sur le rationnel, il faut que le Parlement se saisisse de cette question et que la décision politique soit prise.

Enfin, toujours dans le domaine des réalités sociologiques, je suis extrêmement inquiet pour l’Etat de droit au regard de ce qui s’est passé cet été après les actions des « faucheurs volontaires ». Les actes que certains qualifient de « désobéissance civile » relèvent plutôt, à mes yeux, du vandalisme. Quand on porte atteinte au bien d’autrui, on doit s’attendre à en répondre devant la justice de son pays. Même sur un sujet délicat et conflictuel, l’Etat de droit doit être respecté.

Je voudrais insister, pour conclure, sur cinq points.

Tout d’abord, les groupes politiques du Sénat ont adopté le rapport de notre mission d’information à l’unanimité. Il faut s’en réjouir.

Deuxièmement, il me semble, je le répète, que nous sommes arrivés au terme du débat démocratique. Nous en sommes à un point où le passionnel l’a emporté. Il faut maintenant un débat politique et il est urgent qu’une décision politique soit prise. Pendant que nous tergiversons, d’autres pays, notamment la Chine, brevètent. A force d’attendre, nous faisons courir à nos agriculteurs le risque de devenir des ouvriers à façon de certaines multinationales. Alors que nous étions il y a quelques années les leaders en Europe, nous sommes maintenant derrière les Allemands et les Anglais.

Je souligne, troisièmement, la nécessité d’une législation adaptée. Le projet de loi transposant dans notre droit la directive 98/44/CE a été adopté par le Sénat à l’unanimité, moins l’abstention du groupe communiste. Comme je l’ai dit, nous avons amendé ce texte pour y introduire l’exception du sélectionneur, afin que nos semenciers soient dans une position plus confortable dans leurs négociations avec le détenteur du brevet sur le couple gène/fonction. Les Allemands ont adopté la même approche, et les autres pays de l’Union européenne devraient nous suivre. Par contre, la transposition de la directive 2001/18/CE reste à faire. On notera que le seuil de 0,9 % retenu pour l’étiquetage est le résultat d’un consensus politique et n’a aucune signification d’ordre scientifique. Les quinze ministres de l’agriculture européens ont mis 72 heures pour se mettre d’accord sur ce chiffre. Evidemment, le fait qu’il n’ait aucune signification scientifique n’est pas facile à faire comprendre à nos concitoyens. Certains pensent qu’ils sont sauvés au-dessous de 0,9 % et condamnés au-delà. La vérité est que le « mauvais OGM » est celui qui n’est pas mis sur le marché. Par ailleurs, la difficile question de la coexistence entre les cultures doit être réglée, de même que celle de l’assurance car elle a un impact économique important.

Quatrièmement, il me semble que nous n’avons pas pris conscience de notre fragilité en matière de recherche-développement. Nous ne répondrons aux enjeux du développement durable que par un saut technologique. Il est totalement illusoire d’y répondre par une stratégie de décroissance. Pourquoi les Etats-Unis n’ont-ils pas ratifié le protocole de Kyoto ? Pas du tout parce qu’ils sont opposés à ses objectifs, mais parce qu’ils ont fait le choix d’investir massivement dans la recherche-développement. Et lorsqu’ils auront trouvé des solutions, ils adopteront une démarche beaucoup plus coercitive que le protocole de Kyoto, et nous imposeront une évolution économique que nous aurons beaucoup de mal à suivre, si ce n’est en payant des « royalties ». Songez qu’en 2002, leurs dépenses de recherche-développement ont été de 38 % supérieures à celles de l’Union européenne, que le budget du « National Institute of Health »17 est 57 fois plus élevé que celui de l’INSERM, et qu’alors que six médicaments sur dix sont, de près ou de loin, issus des biotechnologies, sept sur dix sont d’origine américaine. Je rappelle que nous étions leaders sur les produits pharmaceutiques en 1960. Il faudrait donc faire un investissement massif dans la recherche.

Comment réagissons-nous ? Je vous donnerai l’exemple de Meristem Therapeutics, émanation de Limagrain, propriété des agriculteurs français qui était jusqu’à une date récente leader mondial de la recherche sur une variété de maïs transgénique susceptible d’entrer dans la production d’une lipase gastrique, une enzyme permettant de soulager les enfants atteints de mucoviscidose. L’an dernier, son président m’a appris qu’un fonds de pension retirait sa participation en raison des messages négatifs émanant de la société française à l’adresse des biotechnologies.

Enfin, je voudrais souligner que, depuis cinquante ans, l’agriculture a toujours été au rendez-vous de la modernité. J’aborde la question des biotechnologies en considérant qu’elles s’inscrivent dans le droit-fil de l’évolution de la sélection variétale. Les rendements moyens sont passés de 20 quintaux à l’hectare à 100 quintaux, grâce à l’hybridation. Les journaux de l’époque expliquaient que les oies gavées avec du maïs hybride allaient devenir aveugles… En ce début de XXIe siècle, c’est une autre modernité qui est devant nous, à l’écart de laquelle l’agriculture ne peut rester. Nous n’avons pas le droit de laisser nos agriculteurs subir une distorsion de concurrence par rapport aux agriculteurs d’outre-atlantique. Cela n’exclut pas l’existence d’une pluralité de pratiques agricoles, selon le choix des agriculteurs ou selon les régions, car le maïs Bt est inutile dans la Manche où la pyrale n’existe pas. De même, l’agriculture biologique est une « niche » intéressante, d’ailleurs davantage pour les transformateurs et les distributeurs que pour l’agriculteur lui-même.

Le professeur Bernard Chevassus-au-Louis, ancien Directeur scientifique de l’INRA, nous a commenté la découverte du « vrai-faux » OGM canola. Les chercheurs canadiens avaient mis en culture des milliers de cellules de canola. S’étant aperçus de l’existence d’une mutation qui avait donné naissance à une cellule résistance au Roundup, ils se sont demandés comment ils devaient classer cette plante. Cette mutation n’étant pas le produit d’une intervention humaine – les chercheurs n’avaient fait que la constater – devait-on la considérer comme un OGM ? A cette occasion, le professeur Bernard Chevassus-au-Louis s’est posé la question de savoir si les OGM ne seraient pas, au bout du compte, un simple passage obligé.

Aussi, veillons à ne pas fragiliser nos chercheurs qui doivent pouvoir continuent à décrypter le génome, animal ou végétal. Peut-être pourra-t-on bientôt utiliser une transgénèse excluant toute intervention d’éléments étrangers. On va dans ce sens, puisque la Commission du génie biomoléculaire refuse désormais de valider toute construction génétique faisant appel à un marqueur antibiotique, parce que cela perturbe nos concitoyens et que les progrès de la science ont fait qu’il est possible de s’en dispenser. Pourtant, quand on l’utilisait, le risque d’une contamination générant une résistance à un antibiotique avait été estimé à 10-17, c’est-à-dire pas loin de zéro.

M. Christian MÉNARD, Président : Merci, mon cher collègue, pour votre exposé. Vous avez évoqué la transposition de la directive 2001/18/CE. L’Assemblée nationale pourra s’y atteler au printemps prochain, après le dépôt de nos conclusions.

La mission d’information que vous avez présidée a remis un rapport en 2003. Quels sont les éléments que vous ajouteriez ou retrancheriez aujourd’hui ?

M. Jean BIZET : Ce rapport n’a pas pris une ride, puisque depuis sa rédaction, la seule évolution, et je le regrette, a été la transposition de la directive 98/44/CE.

M. Christian MÉNARD, Président : Pensez-vous, comme beaucoup de détracteurs des OGM, que ceux qui sont actuellement mis sur le marché n’ont pratiquement aucun intérêt économique, humanitaire ou sanitaire ?

M. Jean BIZET : Il est vrai que nos concitoyens ne voient pas, dans leur assiette, l’intérêt des cultures OGM. Celles-ci peuvent pourtant permettre de diminuer l’utilisation de produits phytosanitaires.

M. Christian MÉNARD, Président : Il est question de regrouper la Commission du génie génétique, la Commission du génie biomoléculaire et le Comité de biovigilance au sein d’un Comité des biotechnologies. Qu’en pensez-vous ? Par ailleurs, ce conseil devrait être placé sous la tutelle des ministères de l’agriculture, de la recherche et de l’environnement. Pensez-vous qu’il faudrait y ajouter celle du ministère de la santé ?

M. Jean BIZET : Je suis d’accord pour regrouper les trois instances au sein d’un même conseil et également pour placer ce conseil sous la tutelle du ministère de la santé.

M. Christian MÉNARD, Président : Sur ce dernier point, certaines des personnes que nous avons auditionnées ont estimé que ce serait une lourdeur administrative de plus.

M. Jean BIZET : Je pense qu’il vaut mieux, vis-à-vis de nos concitoyens, s’entourer d’un maximum de précautions.

M. Michel LEJEUNE : Comment évaluez-vous, d’un point de vue scientifique, le rapport entre les risques et les avantages des OGM ?

M. Jean BIZET : Jusqu’à présent, aucune étude n’a pu démontrer le moindre risque, la moindre pathologie spécifique en rapport avec la consommation d’OGM. Les tests effectués sur des animaux de laboratoire, que ce soit à 28 jours ou à 90 jours, n’ont par permis de conclure à l’existence de risques et on a maintenant une preuve « grandeur nature » avec les 280 millions d’Américains qui mangent des OGM depuis une dizaine d’années.

Les risques qui ont été repérés sont essentiellement d’ordre allergique et les substrats concernés sont désormais totalement écartés.

Cela dit, encore une fois, le débat n’est plus d’ordre rationnel. Je rappelle les propos de Pascal Lamy : « Les Etats-Unis considèrent que les OGM ne sont pas dangereux jusqu’à preuve du contraire, l’Union européenne estime qu’ils sont dangereux jusqu’à preuve du contraire. »

Quant aux risques environnementaux – pollinisation, repousse, résistance aux phytosanitaires –, ce sont les mêmes que pour les variétés classiques. Les agriculteurs savent qu’ils sont obligés de permuter leurs traitements en raison des risques de résistance.

En ce qui concerne les avantages, je reconnais qu’ils ne sont pas évidents, du moins s’agissant des OGM de première génération. Des rendements un peu meilleurs, un peu plus d’économies, un peu moins d’intrants. Mais il s’agit plus à mes yeux d’une question de principe. Si nous restons à l’écart de cette modernité, notre position va s’en trouver fragilisée.

M. Francis DELATTRE : Ne pensez-vous pas que ceux qui luttent le plus contre les OGM défendent en fait les intérêts des groupes agrochimiques ? D’après l’état actuel de nos connaissances, les OGM peuvent en effet diminuer de manière significative l’utilisation des intrants, qu’il s’agisse d’insecticides, de pesticides ou de fongicides, et sont la seule alternative disponible.

Par ailleurs, vous avez très justement souligné que la sélection variétale avait permis depuis cinquante ans d’importants progrès en productivité. Mais les détracteurs des OGM disent que l’on a fait évoluer les variétés en fonction également de leurs capacités à assimiler les nouveaux intrants. Et il est vrai que les fameux « packages » de Monsanto associant certaines variétés à certains produits phytosanitaires ont été une véritable aubaine pour les détracteurs des OGM. Les groupes agrochimiques européens, qui à un certain moment étaient à vendre, se sont d’ailleurs aperçus qu’ils pouvaient encore trouver un marché et ils ont finalement acheté les semenciers, y compris les semenciers français.

M. Jean BIZET : En effet, on peut dire que, d’une certaine façon, José Bové fait le jeu des multinationales américaines. Celles-ci n’ont pas particulièrement besoin de procéder à des expériences en France : elles ont 43 millions d’hectares à leur disposition de l’autre côté de l’Atlantique et on leur achète déjà 75 % de nos protéines ! Ce sont nos chercheurs et nos entreprises qui sont fragilisés par les destructions. On en vient presque à se demander si José Bové n’est pas un agent double !

Pour ce qui est des groupes chimiques, ils ont besoin d’acheter des semenciers. On ne peut pas se lancer dans les biotechnologies si l’on n’a pas un substrat. Or les semenciers français sont parmi les plus performants au monde. Le risque existe effectivement qu’ils soient achetés par des multinationales extra-européennes. Il faut préserver des entreprises comme Limagrain, malheureusement le dégât est déjà en partie fait.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Quelle différence faites-vous entre les essais en plein champ et la culture en plein champ ? Si l’on peut considérer que la recherche est indispensable, on n’est pas pour autant obligé d’accepter des cultures tous azimuts. Et n’y a-t-il pas des enjeux économiques pour un certain nombre d’entreprises multinationales ?

Par ailleurs, on s’est aperçu que les nitrosamines, qu’on ne connaissait pas il y a une quarantaine d’années, et qui proviennent directement d’une fabrication in vivo dans notre alimentation, étaient presque toutes cancérigènes. Il faut donc être très prudent. On sait aussi que les cancers, ou du moins certains d’entre eux, sont provoqués par une somme de facteurs internes et externes. Pensez-vous que les études toxicologiques, à 28 jours ou 90 jours, sont suffisantes ? Avant de se lancer dans la culture et la consommation d’OGM par les animaux et par les hommes, ne devrait-on pas développer des recherches à plus long terme ?

Pour ce qui est de la biodiversité, sur quels éléments vous fondez-vous pour affirmer que la dissémination des plantes génétiquement modifiées n’aura pas d’impact à long terme sur la biodiversité ?

Vous nous avez parlé d’une économie de 20 900 tonnes de produits phytosanitaires aux Etats-Unis. Ce chiffre peut tout vouloir dire. J’aimerais avoir des détails sur la lettre d’information de Monsanto que vous avez citée.

M. Jean BIZET : Je vous la laisserai à disposition.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Enfin, comment expliquez-vous que les assureurs refusent d’assurer les cultures OGM ?

M. Jean BIZET : Quand nous interrogeons les chercheurs, ils nous disent tous qu’à un certain moment, ils ont besoin de procéder à des expériences en plein champ car, même dans de très grandes serres, le biotope n’est pas entièrement identique à ce qu’il est dans la nature. Dans la mesure où toutes les précautions sont prises – castration, distances, décalage des semis –, où les protocoles sont validés par la Commission du génie biomoléculaire, où les ministères de l’agriculture et de l’environnement ont donné leur avis, je ne vois pas ce qui s’oppose aux expérimentations en plein champ. Même si, parmi les « faucheurs volontaires », il y a sûrement des personnes intellectuellement honnêtes, il est dommage que ces essais ne puissent être conduits jusqu’à leur terme, ce qui empêche que des réponses soient apportées aux questions légitimes qui se posent.

S’agissant de la toxicologie, aucun effet négatif n’a été prouvé sur les court et moyen termes. Sur le long terme, on n’a pas de réponse. Mais quelle expérience peut-on mener, en grandeur nature, au-delà de dix ans ? On peut seulement constater que les consommateurs américains consomment des OGM depuis plus de dix ans sans que des dominantes pathologiques soient apparues. M. Gérard Pascal, de l’INRA et de l’AFSSA, inverse le problème : a-t-on jamais procédé à des études aussi poussées pour déterminer le niveau de toxicité éventuelle de la salade, des tomates ou des pommes de terre ? Quand vous croisez deux variétés hybrides, vous réalisez un brassage de milliards de gènes, sans savoir quelles positions ils vont occuper. Quand vous effectuez une transgénèse, vous placez un gène codant pour une protéine donnée. C’est simplement un repositionnement de gène et une addition d’acides aminés. Je ne vois pas où est le problème, puisque l’on ne se pose pas autant de questions dans le cas d’une hybridation classique.

Pour ce qui est des tests de toxicité, tous les toxicologues – et je leur fais confiance – disent que les tests à 28 jours sont suffisants. Des tests à 90 jours ont fait apparaître que des rats étaient atteints d’une maladie dégénérative, ce qui a fait dire aux détracteurs des OGM que l’on avait découvert un effet toxique. En réalité, on avait simplement affaire à une pathologie de fin de vie.

Nous devons être très attentifs à la biodiversité, même si les 6 milliards d’hommes qui vivent sur Terre se nourrissent essentiellement avec une dizaine de céréales. Les biotechnologies ne doivent pas pour autant être synonymes d’uniformisation du vivant.

En ce qui concerne l’assurance, il est vrai que les assureurs ne sont guère enthousiastes. La raison en est l’absence de dispositions législatives, à laquelle la transposition de la directive 2001/18/CE devra remédier. Celle-ci répond à deux problèmes. Le premier est le seuil d’acceptation de la présence fortuite d’OGM dans les cultures biologiques. Si les agriculteurs biologiques veulent le zéro absolu pour les OGM, ils se condamneront eux-mêmes à mort, alors qu’ils admettent des tolérances pour d’autres produits. Les agriculteurs biologiques suisses acceptent un taux de 0,5 %. Le second problème est, précisément, celui de l’assurance. Il n’a pas de solution à ce jour, et il ne sera pas facile d’en trouver une. On peut imaginer que les producteurs d’OGM vont éditer un cahier des charges. Pour l’agriculteur qui respectera ce cahier des charges, il n’y aura pas de problème de responsabilité. Mais si un agriculteur biologique voisin voit ses cultures contaminées, des procès sans limite sont prévisibles.

M. Christian MÉNARD, Président : Sur le plan mondial, avez-vous connaissance de tentatives de solution ?

M. Jean BIZET : Non, mais je crois savoir que l’Allemagne est en train de travailler sur la question.

J’ajoute, de mémoire, que chaque fois qu’il y a eu un problème de contamination fortuite aux Etats-Unis, les entreprises ont payé. Cela dit, le fameux agriculteur canadien qui, lors du procès qui l’a opposé à Monsanto, a prétendu n’avoir jamais réutilisé ses semences, a constaté, comme par hasard, une repousse. Mais on sait très bien pourquoi il y a eu repousse.