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N° 2831

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 25 janvier 2006.

RAPPORT D'INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l'article 146 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES FINANCES, DE L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN

sur

Les perspectives démographiques de la France et de l'Europe à l'horizon 2030 : analyse économique

ET PRÉSENTÉ

PAR Mme Béatrice PAVY,

Députée.

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COMMUNICATION DU RAPPORTEUR 5

EXAMEN EN COMMISSION 17

ANNEXE : Étude de MM. Gérard-François Dumont et Jean-Marc Zaninetti sur les perspectives démographiques de la France et de l'Europe à l'horizon 2030 : analyse économique (mai 2005) 25

L'action politique et l'adoption de mesures de politique économique sont trop souvent caractérisées par une vision à court terme.

Or la dynamique des populations, qui fait partie des fondamentaux de l'évolution des sociétés et s'avère essentielle pour la compréhension des évolutions économiques, doit être envisagée à moyen et long terme : les perspectives démographiques analysées dans l'étude de MM. Gérard-François Dumont et Jean-Marc Zaninetti, annexée au présent rapport, mettent en évidence que, dans le cas de l'Europe, la faible dynamique démographique a pour corollaire une moindre croissance économique potentielle.

L'Europe doit se préparer à faire face aux évolutions inéluctables - même s'il existe différents scenarii d'évolution plus ou moins favorables - et prendre les mesures de moyen et long terme dans les domaines suivants : le renouvellement de sa population active pour assurer l'existence décente de la population âgée, l'intégration de la population immigrée, la mobilisation des réserves d'activité existantes, l'amélioration de la relation formation-emploi, la gestion des âges au travail et, enfin, la conciliation entre famille et travail.

La France, par comparaison avec les autres pays européens, devra surmonter certains handicaps durablement installés, comme son marché de l'emploi particulièrement dégradé, avec un faible taux d'emploi des jeunes, des diplômés et des personnes de plus de 55 ans, ses problèmes de financement de la protection sociale, sa tendance à la hausse anticompétitive des charges sociales et fiscales, sa difficulté à intégrer véritablement les générations issues de l'immigration, notamment.

Quel avenir démographique pour l'Europe au sein du monde ?

Les Nations-Unies estiment que le total de la population du monde pourrait atteindre entre 7,7 milliards en 2050, selon l'hypothèse de fécondité la plus basse, et 10,6 milliards, dans l'hypothèse la plus haute (1). Dans une hypothèse médiane, ce total est évalué à 9 milliards d'habitants en 2050 sous l'effet de la décélération, en cours et prévisible, du taux d'accroissement démographique. Du fait d'une croissance démographique beaucoup plus modérée en Europe que dans le reste du monde, la part de l'Europe, Russie comprise, dans la population mondiale s'est amenuisée, passant de 22 % en 1950 à 11 % en 2005.

Cependant, le XXIe siècle ne sera pas conforme à l'idée que beaucoup s'en font, car il sera « le siècle du vieillissement », avec des intensités et des conséquences différenciées selon les territoires. Le vieillissement résulte naturellement du phénomène de la transition démographique, pratiquement terminée dans les pays industriels, alors que la plupart des pays du tiers-monde l'entament à peine. L'élévation de l'espérance de vie augmente progressivement le nombre des personnes âgées : c'est la gérontocroissance, concept forgé par M. Gérard-François Dumont en 1996. L'élargissement des générations a cessé depuis les années 1960 en Europe et dans les années 1980 en moyenne mondiale.

Selon le scénario médian des Nations-Unies, pour une population de 9 milliards d'habitants, en 2050, l'âge médian dans le monde pourrait progresser de 10 ans pour s'élever à 37,8 ans, niveau assez proche de la situation française d'aujourd'hui. Au sein de ces populations, la diminution de la population européenne deviendrait de plus en plus sensible au fur et à mesure que l'on avance dans le temps : selon les différents scénarii, elle pourrait baisser de 10 % ou de 24 % selon l'hypothèse la plus basse. Dans tous les cas, le poids de l'Europe continuerait donc à s'amenuiser dans le monde.

Car l'Europe connaît, en outre, un recul historique de la fécondité depuis 1990, avec des intensités différentes selon les pays. En 2005, l'âge médian en Europe est de 39 ans, alors qu'il n'était que de 29 ans en 1950. L'espérance de vie est nettement plus élevée en Europe qu'en moyenne mondiale et ce, malgré la dégradation des conditions de vie en Europe centrale et orientale, héritage du système soviétique, dégradation responsable de la stagnation observée de l'espérance de vie moyenne en Europe depuis 1990 et en particulier, du recul de l'espérance de vie du sexe masculin. Il existe donc une réelle divergence entre les deux parties du continent européen.

Les conséquences économiques du vieillissement européen

Ce scénario d'évolution est économiquement préoccupant car il implique une forte pression à la baisse de la consommation et une raréfaction des ressources humaines. L'attractivité migratoire de l'Europe ne change que peu de choses aux tendances de ce mouvement naturel. Bien que les études des Nations-Unies n'excluent pas la possibilité d'une reprise démographique, l'impact de la gérontocroissance est certain, déjà inscrit dans la pyramide des âges de l'Europe de 2005 et, en fonction des comportements de fécondité, ses effets ne commenceraient à se dissiper qu'à long terme. Le scénario de base de l'évolution de la population européenne, tel qu'établi par l'Institut statistique de l'Union européenne, figure dans le tableau suivant :

Scénario de base d'Eurostat, EU-25

(entre parenthèses, en milliers)

2005-2050

2005-2010

2010-2030

2030-2050

Population totale

-2,1 %

(-9.642)

+1,2 %

(-5.444)

+1,1 %

(+4.980)

-4,3 %

(-20.066)

Enfants (0-14)

-19,4 %

(-14.415)

-3,2 %

(-2.391)

-8,9 %

(-6.411)

-8,6 %

(-5.612)

Jeunes (15-24)

-25,0 %

(-14.441)

-4,3 %

(-2.488)

-12,3 %

(-6.815)

-10,6 %

(-5.139)

Jeunes adultes ((25-39)

-25,8 %

(-25.683)

-4,1 %

(-4.037)

-16,0 %

(-15.271)

-8,0 %

(-6.375)

Adultes (40-54)

-19,5 %

(-19.125)

+4,2 %

(+4.170)

-10,0 %

(-10.267)

-14,1 %

(-13.027)

Travailleurs âgés (55-64)

+8,7 %

(+4.538)

+9,6 %

(+5.024)

+ 15,5 %

(+8.832)

-14,1 %

(-9.318)

« Seniors » (65-79)

+44,1 %

(+25.458)

+3,4 %

(+1.938)

+37,4 %

(+22.301)

+1,5 %

(+1.219)

Personnes très âgées (80+)

+180,5 %

(+34.026)

+17,1 %

(+3.229)

+57,1 %

(+12.610)

+52,4 %

(+18.187)

Source : Commission européenne, livre vert, 16 mars 2005

Les enjeux des perspectives démographiques sont donc considérables et doivent être pris en compte de façon urgente pour l'action collective.

Le scénario médian des Nations-Unies montre que la population active potentielle de l'Union européenne commencerait à diminuer après 2015. L'indice de remplacement (2) des actifs passerait de 1,09 aujourd'hui à 0,76 en 2020, soit un potentiel de remplacement de 3 départs en retraite sur 4 seulement. La population active potentielle de l'Union à 25 pourrait baisser de 48 millions de personnes entre 2020 et 2050, soit en une génération. L'élargissement aux États des Balkans et à l'Ukraine ne modifierait pas la perspective, car ces pays pourraient représenter, dans la même période, plus de 20 millions d'actifs.

Faut-il s'y résoudre, en considérant que la baisse du potentiel de remplacement accompagnera la perte d'emplois en Europe au profit des pays en développement, c'est-à-dire s'accommoder des effets négatifs de la mondialisation ? Votre Rapporteur ne le pense pas.

Accessoirement, le différentiel de croissance démographique avec les États-Unis - qui gardent une population en expansion et un chômage faible - se répercutera sur l'activité économique, à nouveau au détriment de l'Europe.

Dans le scénario de l'élargissement de l'Union européenne à la Turquie, ce pays constituerait l'État le plus peuplé, avec la population la plus jeune et la population active de loin la plus nombreuse (elle représente actuellement 16 % de la population de l'Union, et 19 % en 2020).

Cet élargissement aurait trois conséquences : rajeunir l'Union, augmenter significativement la taille de son marché intérieur, accroître l'effectif de la population active potentielle. Vue de façon purement quantitative, écartant toute considération géostratégique ou culturelle, cette adhésion produirait un fort effet de levier démographique. Il s'agit du seul élargissement, parmi ceux envisagés, susceptible de minorer le problème de compétitivité posé par le vieillissement et la pénurie de main-d'œuvre en Europe entre 2020 et 2050.

Toutefois, c'est ici le choix politique qui prime, car l'adhésion de la Turquie risquerait de nuire à l'émergence de l'Europe comme puissance politique, et nécessiterait une énergie qui ne serait alors plus portée sur le processus d'approfondissement.

Les situations nationales au sein de l'Union sont diverses. Treize des pays de l'Union conserveraient une croissance démographique d'ici 2020, dont la France avec 2,7 pour mille. Douze pays verraient leur population stagner ou décliner. Toute l'Europe orientale et balkanique connaîtrait un processus de dépeuplement, notamment la Roumanie et la Bulgarie, comme par ailleurs les États issus de l'Union soviétique. Hors des frontières de l'Union, de fortes croissances s'observent au Maghreb et en Albanie : ces pays assurent le remplacement des générations (2 à 2,46 enfants par femme). On constate donc une baisse importante de la fécondité dans les pays de la rive sud de la Méditerranée, où, à l'horizon 2020, le Maroc serait le seul pays à remplacer encore ses générations. La Norvège et l'Islande se situent également à un niveau moins affaibli (1,97 enfant par femme).

Selon les hypothèses retenues dans le scénario intermédiaire des Nations-Unies, l'âge médian de la population de l'U. E. progresserait de 4,5 ans entre 2005 et 2020, pour atteindre le niveau moyen de 44,5 ans.

La pénurie de main-d'œuvre : une tendance déjà visible

L'indice de remplacement de la population active est variable suivant les pays. La plupart des pays de l'Union ne sont pas encore concernés par les risques de pénurie de main-d'œuvre, mais certains d'entre eux se situent déjà en dessous du potentiel de remplacement de départ en retraite : les Pays-Bas, la Finlande, la Suède, la République tchèque, le Danemark et l'Italie. Ces pays sont à l'avant-garde d'une tendance qui concernera l'ensemble de l'Union après 2010. Au contraire, la pression à l'entrée sur le marché du travail est forte en Turquie ou en Algérie : leur niveau d'indice de remplacement (506 jeunes pour 100 seniors dans ce dernier pays) appelle des politiques de développement appropriées et, à défaut, un fort potentiel d'émigration. Pour l'Europe, la question des migrations de remplacement est posée.

L'état de réalisation des objectifs de Lisbonne

Le Conseil européen de Lisbonne de mars 2000 a fixé l'objectif d'un taux d'emploi de 70 % en 2010 pour les personnes âgées de 15 à 64 ans. Cet indicateur tient lieu de référence pour évaluer le niveau d'insertion d'une population sur le marché du travail. Où se situent les États membres au regard de cet objectif ?

Quatre pays de l'Union l'ont déjà réalisé : le Royaume-Uni, les Pays-Bas, la Suède et le Danemark sont en situation de plein emploi. L'Autriche, la Finlande et Chypre s'approchent de l'objectif européen avec des taux d'emploi autour de 69 %. La France, comme l'Allemagne et l'Espagne n'ont pas atteint l'objectif, tandis que les taux d'emploi les plus faibles s'observent en Grèce, en Italie, en Slovaquie, en Hongrie, à Malte et en Pologne.

L'Union doit-elle envisager de s'ouvrir plus largement à l'immigration ?

La question de l'immigration de remplacement dans le contexte de « l'hiver démographique » européen se pose.

Le recours à l'immigration extra européenne pourrait en effet compenser certains effets négatifs du vieillissement démographique à condition de mettre en place des politiques proactives d'intégration et d'égalité des chances, mais en réalité, l'Union pourrait mobiliser d'importantes réserves d'activité :

- il conviendrait d'optimiser la relation formation-emploi avec une évolution qualitative vers les besoins d'une économie de service fondée sur la connaissance et des parcours plus flexibles ;

- poursuivre l'amélioration de la condition de la femme, la parité et une politique familiale plus active ;

- mettre en œuvre une meilleure gestion des âges au travail en réservant la cessation précoce d'activité aux métiers à forte pénibilité, en facilitant l'activité au-delà de 60 ans, ou même 65 ans et en aménageant des transitions tout au long de la vie active.

À défaut de telles politiques, tous les pays européens sont menacés par les conséquences économiques du déclin démographique : selon les études de l'OCDE, la croissance potentielle annuelle du PNB en Europe pourrait passer de 2 à 2,25 % aujourd'hui à 1,25 % en 2040.

En 2003, la Commission européenne a présenté une communication sur « l'immigration, l'intégration et l'emploi » (3). Elle y relève que les flux d'immigration vont s'accroître et qu'ils seront plus que jamais nécessaires, contribuant à étaler sur une plus longue période les retombées de la transition démographique, mais sans pouvoir contrer les effets du vieillissement de la population. Le livre vert de la commission intitulé « Face aux changements démographiques, une nouvelle solidarité entre les générations » souligne en outre que l'immigration économique sera aussi, en grande partie, une immigration de peuplement imposant de gérer efficacement l'admission des immigrants, de conduire des politiques proactives d'intégration et d'égalité des chances, de parvenir à l'équilibre entre droits et devoirs respectifs des migrants et des sociétés d'accueil.

À l'enjeu démographique s'ajoute un enjeu économique lié à la globalisation. La mobilité internationale des travailleurs hautement qualifiés, des étudiants et des chercheurs, est aussi élevée aujourd'hui que celle des autres catégories de la population. Cette catégorie de migrants suscite l'attention croissante de la part des responsables politiques. Il y a lieu de s'inquiéter de l'aspiration de ces personnes hautement qualifiées par les États-Unis, et constater qu'attirer de tels types de travailleurs n'est pas toujours facile comme le montre l'échec partiel de l'Allemagne qui, à la fin des années 1990, n'a pu accorder que 8500 « green cards », permis de travail renouvelables, à des spécialistes en informatique alors qu'elle souhaitait en accorder 20.000. Alors que des immigrants étaient attendus en provenance de l'Inde, la majorité des bénéficiaires sont arrivés d'Europe de l'Est.

L'harmonisation des diplômes au niveau européen entreprise à partir des années 2000 devrait impliquer une augmentation des flux d'étudiants au sein de l'Union européenne, et une augmentation de la mobilité internationale des plus diplômés à long terme. Il faut faire en sorte que cette mobilité ne profite pas systématiquement aux pays anglophones, Royaume-Uni et Irlande, qui disposent d'avantages pour séduire les jeunes diplômés européens et tirer le meilleur parti de ce capital humain : l'avantage linguistique, le quasi plein emploi, des économies plus dynamiques et la flexibilité du marché du travail.

La situation de notre pays, ses points forts et ses handicaps,
par comparaison avec ses partenaires européens

Qu'en est-il de la situation de la France en particulier ? La fécondité de la France métropolitaine occupe la seconde place en Europe derrière l'Irlande. Le rapport des effectifs des générations de 15 à 24 ans à celui des générations âgées de 55 à 64 ans laisse notre pays en mesure de pourvoir aux flux des départs en retraite.

Mais si la situation démographique n'est pas trop défavorable, la situation réelle du marché du travail y est particulièrement dégradée, moins bonne que celle de la moyenne de l'Union européenne à 25. Les indicateurs du chômage français se situent dans la moyenne communautaire, mais le chômage caché, constitué de personnes potentiellement actives, qui renoncent à participer au marché du travail en raison de la difficulté de trouver un emploi, est très important.

La France souffre d'un taux de chômage des jeunes élevé et, à l'autre extrémité de la pyramide des âges, pas plus d'un français âgé de 55 à 64 ans sur trois est en situation d'emploi. Le rapport annexé souligne que la société française semble organiser « une pénurie structurelle d'emplois en mettant sa jeunesse dans une file d'attente d'études sans perspectives et en évinçant au plus vite les actifs âgés du marché du travail pour préserver autant que possible le noyau des actifs ayant un emploi de 25 à 54 ans ». La France arrive au dernier rang européen pour le taux d'emploi des diplômés du supérieur, 77,4 % contre 83,1 % en moyenne communautaire.

La pression démographique sur le marché du travail devrait prendre fin à partir de 2015 et le problème du remplacement des départs à la retraite ne devrait se poser que vers 2020 en France, alors qu'il se posera dès 2010 dans le reste de l'Europe. La pénurie globale de main-d'œuvre ne devrait donc pas se faire sentir avant 2020, même si une pénurie peut toucher tel ou tel territoire ou secteur d'activité avant cette date.

Toutefois, même si le redressement de la fécondité apparaît comme une réponse impérative aux enjeux à long terme du vieillissement, la gérontocroissance demeure inéluctable. Ainsi, par exemple, un relèvement de la fécondité à 2,35 enfants par femme, à l'horizon 2015, entraînerait une nouvelle période de croissance démographique et un rajeunissement sensible de la population par la base de la pyramide ; cette évolution aurait pour conséquence la relance de la consommation et le soutien de l'activité économique.

M. Gérard-François Dumont rejette pour la France un scénario tendanciel de l'immobilité, qui serait en complète contradiction avec la stratégie européenne de croissance ; il souhaite pour notre pays que soit privilégié un autre scénario « d'alternative stratégique ». Celui-ci implique que la France réalise les réformes de structure requises pour parvenir aux objectifs de Lisbonne, que ses taux d'activité s'alignent sur les modèles de l'Europe du Nord (Pays-Bas, Danemark, Suède) et que le chômage soit réduit à environ 3 %.

La France n'est pas le seul pays européen à connaître des difficultés face à son avenir.

Les perspectives démographiques de l'Allemagne sont celles d'un pays en déclin dans le prochain quart de siècle, ce qui pèse lourd sur les perspectives économiques en Europe, car l'Allemagne est aujourd'hui la première économie de l'Union européenne et le principal débouché des exportations françaises. L'évolution de la population active potentielle irait vers une perte de 2 millions d'actifs en 2020, recul qui ne pourrait être compensé que par le recours à une immigration de remplacement massive, de l'ordre de 520.000 entrées annuelles. Dès 2020, l'Allemagne sera confrontée à une nette pénurie de main-d'œuvre, et manquera de main-d'œuvre pour alimenter sa croissance économique et même maintenir son haut produit intérieur brut actuel. À ces difficultés, s'ajoute celle d'un système scolaire peu performant et inégalitaire au détriment des femmes qui accèdent difficilement à l'enseignement supérieur.

De même, l'Italie connaît une pénurie démographique qui peut l'entraîner vers une récession, en particulier l'Italie du Nord qui risque d'affronter de graves problèmes d'offre de main-d'œuvre susceptibles de remettre en cause son modèle économique. L'Italie connaît une fécondité en dessous du seuil de remplacement depuis 1977 ; en conséquence, c'est aujourd'hui le pays le plus vieilli d'Europe. Ce pays ne pourra connaître de croissance économique qu'en trouvant le moyen d'atteindre les objectifs de Lisbonne, ce qui suppose un effort extrêmement important ; il devra aussi envisager une importante immigration de remplacement. Avec l'Allemagne, l'Italie est le deuxième pays malade de l'Europe.

L'Espagne est le seul des grands pays européens à pouvoir envisager une croissance économique aussi rapide pour la période 2005-2030.

Les atouts du Royaume-Uni - une économie de quasi plein emploi et un afflux d'immigrants actifs - pourraient lui permettre de devenir la première économie européenne en dépassant même l'Allemagne. Contrairement aux autres grands pays européens, le Royaume-Uni n'a pas d'effort particulier à faire pour atteindre les objectifs de Lisbonne. Il bénéficie d'un taux de chômage faible, d'un taux d'activité des 15/64 ans supérieur de 5 points à la moyenne communautaire, d'un marché du travail plutôt favorable : pas plus de 6 % des salariés sont en contrat à durée déterminée (CDD) contre 13,5 % en France. Pour ce qui concerne les taux d'emploi par niveau de diplôme, le Royaume-Uni fait mieux que la moyenne communautaire dans tous les segments du marché du travail. Enfin, ce pays, comme l'Europe du Nord, a su investir depuis longtemps dans l'éducation et la connaissance et préserver ses équilibres sociaux, tout en s'adaptant à un monde en mutation.

La prospective propose de s'interroger sur la hiérarchie des puissances économiques en Europe en 2030.

Cela est difficile à prévoir mais les fondamentaux économiques et démographiques sont en faveur du Royaume-Uni tant au plan quantitatif qu'au plan qualitatif. M. F. G. Dumont souligne tout l'intérêt de la comparaison avec la France, qui ne doit pas se limiter à la démographie, mais à l'ensemble des données qui témoignent des dommages de l'immobilisme et plus généralement, des raisonnements et attitudes malthusiennes.

Plus ou moins d'immigration en France ? Faut-il privilégier l'immigration de travail
et l'immigration des travailleurs qualifiés ou très qualifiés ?

L'immigration en France présente la particularité d'une forte intégration juridique et d'une faible intégration économique. Notre pays a l'un des taux de naturalisation les plus élevés de l'Union, politique d'intégration par la nationalité que la France partage avec les Pays-Bas et le Royaume-Uni. Si les possibilités de naturalisation y sont plus faciles que chez nos partenaires européens, notre pays est pourtant relativement peu attractif pour les travailleurs du point de vue de l'intégration économique : le taux d'emploi des étrangers se situe 20 points en dessous de celui des nationaux. En ce qui concerne les immigrés d'origine nord africaine, la différence s'étend aux enfants de la deuxième génération, tous de nationalité française.

Une comparaison doit nous conduire à réfléchir : alors qu'on compte 10 actifs pour 30 immigrants en France, le rapport n'est que de 10 pour 23 au Royaume-Uni. 2 immigrants sur 3 qui entrent en France ont un diplôme inférieur au niveau du baccalauréat, quand ils en ont un. Cette proportion d'immigrants peu instruits n'est que de 1 sur 3 au Royaume-Uni. En France, 15 % des immigrants disposent d'un diplôme de l'enseignement supérieur ; cette proportion s'élève à 40 % au Royaume-Uni.

Cette mauvaise intégration économique est un handicap spécifique qui alourdit sensiblement le coût politique de l'immigration et explique sans doute une partie de la réticence de l'opinion française devant le recours à l'immigration. (4)

Notre pays est en tête, au sein de l'OCDE, des pays d'accueil des demandeurs d'asile, avec environ 65.000 demandes par an. Or, la population des demandeurs d'asile, qui demeure en fait plusieurs années sur le territoire français, est privée du droit au travail et ne participe donc pas à la création de richesse.

Une autre caractéristique de la France tient à la forte proportion des familles parmi les migrants, ce qui explique le rapport de 3,1 immigrants pour un emploi, chiffre le plus bas de l'Union européenne. Les migrations pour motif familial constituent 73 % des étrangers admis pour une durée d'au moins un an en 2004. Mais plus de la moitié concernent des étrangers entrant en France pour rejoindre leur conjoint français.

Le rapport souligne que ce que nous considérons comme « l'exception française », c'est-à-dire une démographie relativement favorable, ne nous épargne pas pour autant les handicaps face à l'avenir. Si la situation économique de la France se rapprochait de celle du Royaume-Uni, elle compterait 1,5 million de chômeurs en moins et 3,5 millions d'emplois en plus.

*

* *

C'est pourquoi la France ne semble pas avoir intérêt à s'ouvrir plus largement à l'immigration tant qu'elle n'aura pas résorbé son chômage et amélioré son taux d'emploi, sauf si elle instaure une politique migratoire privilégiant l'arrivée de travailleurs.

L'avant-projet de loi sur l'immigration en cours de préparation devrait prévoir la création d'une nouvelle carte de séjour dite « capacités et talents », délivrée notamment aux travailleurs hautement qualifiés ou aux chercheurs, par exemple. Il importe en effet de faciliter et attirer la venue de ces travailleurs qui peuvent avoir un effet de levier sur le développement économique, par exemple dans le domaine des hautes technologies.

Il s'agit là d'une immigration bien ciblée que notre pays doit rapidement promouvoir afin de pouvoir attirer les travailleurs actifs. Cette politique est d'ailleurs préconisée par la Commission européenne, dans l'objectif de faire venir en Europe les « cerveaux » étrangers. On notera qu'au Royaume-Uni, près de la moitié des entrées sont le fait de ressortissants de pays développés - États-Unis, Australie, Afrique du Sud, Union européenne - venus occuper des emplois hautement qualifiés pour des périodes relativement brèves.

Selon le rapport, la situation démographique française n'appelle pas un recours plus large à l'immigration de façon générale, et notre pays dispose de possibilités de relancer la consommation en réorientant sa politique sociale vers deux priorités : résorber le chômage et soutenir le niveau de vie des familles.

L'avenir de notre pays se joue sur trois politiques fondamentales.

1) Il s'agit d'abord d'une meilleure articulation emploi-formation à tous les âges d'activité, du développement de l'apprentissage, d'assurer aux actifs la capacité d'évolution permanente dans les métiers de l'artisanat, de l'industrie, de la construction ou de la restauration. En ce qui concerne le maintien des seniors dans la vie active, le rapport présenté par l'OCDE le 22 novembre 2005 recommande également d'inverser rapidement la tendance actuelle à généraliser la préretraite et la dispense de recherche d'emploi pour les travailleurs plus âgés.

Le plan national d'action 2006-2010, actuellement en préparation, aboutira à un résultat positif s'il permet, comme le Gouvernement le prévoit, de faire remonter l'emploi des seniors de 38,5 % en 2006 à 50 % en 2010.

2) Le contexte de l'économie de l'information fondé sur la connaissance requiert une population de plus en plus qualifiée : il convient de remettre en question le modèle de gouvernance reposant sur la sélection d'une élite républicaine par un système de concours nationaux aux critères très sélectifs, pour promouvoir un système de formation supérieur plus modulaire avec des passerelles entre la vie active et la formation.

Une grande souplesse éducative est nécessaire : l'adaptation d'un diplôme aux besoins de l'économie doit être beaucoup plus rapide.

3) Il convient de promouvoir un système d'enseignement dont le but principal ne serait plus de sélectionner une élite dans des classes d'âge supposées pléthoriques, mais plutôt de permettre à chacun de construire ce qu'il peut à partir de ses compétences propres. Ce système est fondé sur le postulat que les générations sont de plus en plus nombreuses, ce qui entraînerait l'obligation de sélection. Ce postulat va s'avérer faux, aussi importe-t-il de former l'ensemble d'une classe d'âge.

En outre, il est indispensable de former les jeunes générations à la création d'entreprise : de nombreux domaines appellent la création d'entreprise, fut-elle limitée à un seul emploi. La création de son propre emploi par 2 % d'une classe d'âge suffirait à résorber les difficultés que nous connaissons aujourd'hui.

4) Il convient de réviser la politique de la famille s'agissant des prestations familiales, de l'assurance maladie, des retraites dont la charge croissante tue la création d'emplois et génère du chômage en élevant le coût du travail. Un effort très important doit être consenti pour rendre beaucoup plus fluide le marché du logement : coût, système des hypothèques qui équivaut à une fiscalisation du déménagement, mode de construction, manque de grands logements pour les familles, notamment.

5) Enfin, il s'agit de mener une politique résolue d'intégration des générations issues de l'immigration.

L'étude met donc en exergue l'importance des changements structurels nécessaires en France pour répondre aux besoins du présent et de l'avenir, changements nécessaires en tout état de cause, quelles que soient les évolutions démographiques futures. Votre Rapporteur juge utile que les préconisations qui émanent du rapport annexé soient prises en compte par l'ensemble des Rapporteurs spéciaux, afin qu'ils saisissent, chacun dans leur domaine de compétence, le Gouvernement des propositions de réforme qui s'imposent pour permettre à notre pays de surmonter ces évolutions démographiques inéluctables et leurs conséquences.

EXAMEN EN COMMISSION

Votre Commission a entendu, le 25 janvier 2006, M. Gérard-François Dumont, Professeur des Universités et Président de Population & Avenir, sur les perspectives démographiques de la France et de l'Europe à l'horizon 2030.

Votre Rapporteur spécial a rappelé que l'étude commandée à M. Gérard-François Dumont par la Commission a pour objectif de nourrir la réflexion sur les politiques économiques et sociales, afin de mieux préparer l'avenir au regard du vieillissement de la population en Europe. Cette étude comprend trois parties : tout d'abord, les perspectives démographiques de l'Europe dans le monde, puis les perspectives en France et dans l'Union européenne, et enfin les tendances et perspectives des migrations internationales en Europe.

M. Gérard-François Dumont a présenté les résultats de l'étude réalisée à la demande de la commission des Finances. La dynamique des populations, qui fait partie des fondamentaux de l'évolution des sociétés, est essentielle pour la compréhension des évolutions économiques. On comprend ainsi que le PIB de la Belgique est inférieur à celui de la France ne serait-ce qu'en raison de la différence de taille des populations, qui explique les capacités de création de richesses.

L'Europe est le seul continent dans le monde à avoir actuellement un accroissement naturel négatif. Cette contraction démographique n'est pas compensée par les apports migratoires. On compte ainsi 18 pays en dépopulation. L'Europe est aussi le continent le plus vieilli, comme permet de le constater la pyramide des âges. L'écart de dynamique en matière de fécondité entre l'Union européenne et les États-Unis explique les écarts économiques entre les continents.

En Europe, la Turquie est un « poids lourd » qui a fini sa transition démographique, mais dont l'effet de vitesse acquise lui permet de disposer d'une population encore en forte croissance, susceptible de créer des richesses. À part l'Albanie ou la Turquie, tous les autres pays d'Europe risquent, à des degrés divers, une pénurie potentielle de main-d'œuvre, avec des taux de remplacement de la population active inférieurs à 1. Cette faible dynamique démographique a pour corollaire une moindre croissance économique potentielle. L'Europe doit donc se donner les moyens de renouveler sa population active pour assurer l'existence décente de sa population âgée, au moyen de politiques d'intégration pour l'émigration et de mobilisation des réserves d'activité existantes, par une amélioration de la relation formation-emploi, la gestion des âges au travail et la conciliation entre famille et travail.

En ce qui concerne spécifiquement la France, on peut rappeler, à titre rétrospectif, sur la période 1950-2005, l'existence de deux phases démographiques, avec une forte baisse de la fécondité après la fin des « Trente glorieuses » en 1975. Le bond actuel de l'espérance de vie n'avait pas été prévu dans les années 1950 et les indices de dépendance sont encore freinés par l'héritage démographique des guerres mondiales, avec une baisse des personnes âgées de plus de 60 ans entre 1975 et 1980. Il en résulte une situation démographique singulière et paradoxale de la France au sein de l'Union européenne. Le marché de l'emploi est particulièrement dégradé, avec notamment un faible taux d'emploi des jeunes (29 % contre 37,6 % en moyenne dans l'Union européenne) et des diplômés (la France occupant le dernier rang des 25 États membres), mais un taux d'emploi des femmes plutôt élevé.

Cette situation particulière de la France au sein de l'Union européenne devrait perdurer d'ici 2030. Il n'y aura plus de pression démographique sur le marché du travail, la population active occupée dépendant des taux d'activité, mais il ne devrait pas y avoir de pénurie globale de main-d'œuvre avant 2020. De ce fait, aucun besoin d'immigration de remplacement ne se fait sentir. Deux scénarii d'évolution sont possibles : soit le scénario tendanciel d'une France immobile avec taux d'activité, d'emploi et de chômage stables, ce qui pose des problèmes de financement de la protection sociale, soit un scénario « haut » avec l'amélioration des qualifications et de l'insertion professionnelle, la mobilisation des personnes de plus de 55 ans et l'accroissement des gains de productivité, ce qui permettrait de résoudre les problèmes financiers au moyen d'une population active de 28 millions de personnes en 2030 contre 24 aujourd'hui.

La situation démographique est contrastée dans les autres grands pays de l'Union européenne. L'Allemagne est un géant fragilisé, dont l'économie a pu tirer parti de la dynamique temporaire des 900.000 Allemands d'ex-URSS venus s'installer en Allemagne. La formation doit y être adaptée, il subsiste des faiblesses, comme celle de l'enseignement de l'économie de l'information. La baisse de la population active est inéluctable, même en cas de fécondité rehaussée, en raison de trente années de taux de fécondité extrêmement bas. La perspective de dépeuplement est réelle, notamment dans les Länder de l'Est, qui perdent leurs jeunes femmes actives.

La situation de l'Espagne est paradoxale, avec un fort vieillissement et une baisse de la population active potentielle que compensent la baisse spectaculaire du taux de chômage, les fortes réserves d'activité, le niveau de la formation et la nature de l'immigration en provenance d'Amérique andine, dont la population est facilement naturalisable et intégrable, compte tenu de sa connaissance de la langue. L'Italie, pays le plus vieilli d'Europe, est sur le déclin, avec une baisse de la population active et un survieillissement ; on peut cependant se demander si les statistiques italiennes sont toujours très fiables et si le renforcement de l'État de droit dans le Mezzogiorno ne permettrait pas un développement économique important.

Après avoir dépassé économiquement la France, le Royaume-Uni pourrait devenir le premier pays en Europe, devant l'Allemagne, en raison d'une excellente capacité à attirer l'immigration entrepreunariale, sans période probatoire, qui fait plus que compenser le peu de réserve d'activités. Enfin, la Pologne connaît une baisse de sa population depuis 1998 et subit encore aujourd'hui un chômage de restructuration et une forte émigration vers l'Allemagne ; ce pays dispose cependant d'une réelle fenêtre démographique avec d'importantes réserves de population active créatrice de richesses après 2020, avant un fort vieillissement. Ce pays a tout à gagner de l'intégration européenne, source de dynamisme économique et d'amélioration des connaissances.

Pour conclure, on constate donc une grande diversité de situations nationales en Europe face aux quatre enjeux majeurs que sont la migration de remplacement, l'émigration entrepreunariale, l'émigration intra communautaire et l'intégration sociale des migrants extracommunautaires. Globalement, le poids relatif de l'Union européenne est en diminution dans le monde et la « gérontocroissance » certaine. Les tendances et perspectives diversifiées justifient le principe de subsidiarité dans l'action contre les risques d'extension de la dépopulation et la baisse projetée de la population active potentielle. Pour la France, l'accent devrait être mis sur une meilleure articulation entre emplois et formations, sur une politique sociale et familiale permettant d'enrayer les tendances haussières et anticompétitives des charges socio-fiscales, et sur une véritable intégration des générations issues de l'immigration. Il est cependant nécessaire de porter l'analyse au niveau régional pour approfondir la compréhension des facteurs d'évolution démographique et de l'emploi.

Après avoir remercié M. Gérard-François Dumont, le Président Pierre Méhaignerie lui a demandé si la France aurait intérêt à faciliter, comme c'est le cas en Espagne, l'intégration de populations qui travaillent et présentent une réelle utilité pour notre pays. Cette voie ne constitue-t-elle pas une autre stratégie possible ?

M. Gérard-François Dumont a indiqué que la notion d'immigré clandestin diffère en France et en Espagne. Dans ce dernier pays, il n'y a pas à proprement parler d'immigration clandestine : tout immigrant, lorsqu'il arrive sur le territoire espagnol, s'inscrit à la municipalité, afin notamment de bénéficier de certains avantages sociaux et de la scolarisation ; les régularisations concernent donc les immigrés ayant fait l'objet d'une inscription et ayant une activité professionnelle ; elles tendent à valoriser le travail et permettent aux intéressés de bénéficier notamment du droit à la retraite et de certains avantages sociaux. L'Italie procède aussi à des mesures de régularisation comparables.

Votre Rapporteur spécial a rappelé que la France constitue une exception, dans la mesure où les immigrés qui s'y rendent ont généralement tendance à y arriver avec leur famille.

M. Gérard-François Dumont a expliqué cette situation par le fait que les immigrés actifs arrivant en France ne sont généralement pas autorisés à travailler. Dès lors, les immigrants, qui sont le plus souvent poussés à quitter leur pays d'origine par de fortes contraintes, cherchent d'autres moyens pour s'établir sur notre territoire, en particulier par le biais du regroupement familial ou de la demande d'asile. La France est championne du monde en matière de demande d'asile : le nombre de ses demandeurs d'asile a été en 2004 supérieur à celui enregistré aux États-Unis. Cette situation pose le problème de la période probatoire instaurée par la France avant l'ouverture du marché du travail aux ressortissants des Vingt-cinq, période qui est particulièrement mal vécue dans certains pays d'Europe centrale, qui ne comprennent pas pourquoi ils seraient traités en citoyens de second rang jusqu'en 2011, date à laquelle la liberté de circulation des travailleurs sera vraiment effective. Il faudrait sans doute avoir une politique plus accueillante à l'égard des travailleurs migrants.

M. Jean-Pierre Gorges a estimé que les comparaisons de taux de chômage entre les pays, telles qu'elles sont pratiquées aujourd'hui, sont assez discutables, dans la mesure où la notion de population active diffère selon les États et où ces statistiques ne prennent pas suffisamment en compte la structure de cette population. Il a souhaité savoir si l'on pouvait disposer de ratios permettant de comparer le nombre de chômeurs par rapport à la composition de la population active selon les pays.

M. Gérard-François Dumont a indiqué partager ce constat critique. C'est la raison pour laquelle il a préféré, dans son rapport, utiliser la notion de taux d'emploi plutôt que celle de taux de chômage, qui pose en effet un problème de définition. Or, le taux d'emploi se révèle particulièrement faible en France.

Le Président Pierre Méhaignerie a rappelé que M. Émile Blessig a récemment déposé une proposition de loi sur la domiciliation résidentielle. Celle-ci tend à permettre une déclaration de domicile au plan local, qui présente plusieurs avantages : outre le fait qu'elle constituerait une formalité simple, elle serait un outil de gestion et d'information utile, notamment en matière d'immigration. De plus, elle favoriserait l'harmonisation européenne, dans la mesure où une dizaine de pays de l'Union disposent déjà d'un instrument comparable.

M. Gérard-François Dumont a approuvé une telle mesure, mais a rappelé qu'elle posait un problème au regard de la loi « Informatique et libertés ». La position de la CNIL, inspirée notamment par les événements de la seconde guerre mondiale, ne permet pas en effet aux communes de disposer de toutes les informations démographiques souhaitables. Par ailleurs, la loi du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité, qui prévoit une réforme du recensement, a créé une véritable « usine à gaz », qui se traduit par une perte de fiabilité de nos données démographiques. Dans les villes de plus de 10.000 habitants, les opérations s'étalent souvent sur cinq ans. Or la population y est mobile. Cela conduit l'INSEE à procéder à des ajustements statistiques, notamment sous forme d'intrapolations et d'extrapolations, qui sont source d'opacité et comportent des biais. Il vaudrait mieux revoir le système existant pour lui assurer toute la transparence nécessaire et permettre aux collectivités locales de gérer au mieux leur population. Cela est d'autant plus nécessaire que les outils statistiques français, qui ne permettent pas de remplir certaines des données d'Eurostat, tendent aujourd'hui à être disqualifiés : les corrections, fréquentes, ne sont pas explicitées, les modes de calcul demeurent opaques.

Le Président Pierre Méhaignerie a rappelé à cet égard les difficultés que connaissent les collectivités locales, en particulier dans les zones rurales, pour connaître précisément leur population, notamment les couples recomposés, ce qui a des conséquences non négligeables sur les finances locales et sur l'attribution de la DGF. Il a déploré à cet égard la position de la CNIL, qu'il a jugée totalement inadaptée.

M. Philippe Auberger a demandé quelles étaient les conséquences du regroupement familial, à la fois sur le taux de fécondité et le taux d'emploi.

Sur le taux de fécondité, M. Gérard-François Dumont a indiqué que la présentation des données démographiques consistant à distinguer les effets liés au solde naturel et au solde migratoire, est artificielle, dans la mesure où ces deux données sont interdépendantes. Il a souligné notamment l'existence d'un double phénomène : la présence d'une population immigrée féminine ayant un fort taux de fécondité et une tendance de certains immigrés à vouloir accoucher en France pour faciliter l'installation dans notre pays. Tel est le cas à l'hôpital de Mayotte. S'agissant du taux d'emploi, il a rappelé qu'il existait deux types de régularisations : les régularisations générales, concernant 100.000 personnes ou plus, et les régularisations ponctuelles, d'environ 20.000 personnes par an. Les chiffres de ces régularisations sont sous-évalués dans la mesure où celles-ci conduisent souvent les intéressés à faire venir en France également leur famille. Ces régularisations se traduisent par un accroissement de la demande d'emploi et peuvent donc contribuer à accroître le taux de chômage. C'est d'autant plus le cas lorsque l'intégration ne se fait pas dans des conditions satisfaisantes. Cela étant, les conséquences sur les taux d'emploi doivent être appréciées en fonction de la situation économique et migratoire locale.

M. Michel Diefenbacher a demandé s'il existe des statistiques montrant, pour les différents pays européens, de combien d'années il sera nécessaire de reculer l'âge de départ à la retraite pour que l'équilibre entre les retraités et les actifs soit stabilisé.

M. Gérard-François Dumont a indiqué qu'il s'agit d'un problème purement mathématique. Dans la mesure où l'espérance de vie des personnes âgées augmente de trois mois chaque année, toutes choses égales par ailleurs, quatre années de retraite supplémentaires doivent être payées. Toutefois, la question est plus large, notamment parce qu'il faut tenir compte des effets de l'évolution de la fécondité. Il y a déjà eu des caisses de retraite spéciales qui ont connu des situations de faillite. Aussi ne faut-il pas oublier, pour prendre les bonnes décisions en la matière, la dimension démographique.

M. Pierre Hériaud a demandé s'il est encore possible de concilier l'existence de mesures de politique économique caractérisées par une vision à court terme et les perspectives démographiques, qui doivent nécessairement être envisagées à moyen et long terme.

M. Gérard-François Dumont a souligné que, lorsqu'Alfred Sauvy soutenait le projet de création d'un code de la famille en 1939, il lui avait été répondu que cette initiative ne semblait pas urgente, compte tenu du contexte international. Il avait alors avancé que ce n'était pas la situation de 1939 qui était en jeu, mais la préparation du budget de 1960 ! De même, aujourd'hui, alors qu'on parle de développement durable, nous avons une responsabilité à long terme qui est essentielle. Or, l'endettement public pèse sur les générations futures. Il s'agit d'une injustice qui soulève le problème de la solidarité entre les générations. Nous sommes ici au cœur de la politique économique. Nous sommes ainsi passés d'une société qui considérait qu'une dose d'inflation n'était pas nocive à une société qui mène de manière systématique une politique de désinflation. Aujourd'hui, les taux d'intérêt réels sont beaucoup plus élevés qu'auparavant pour ceux qui s'installent dans la vie active, alors que les personnes âgées tirent bénéfice de cette situation. Cela ne résulte-t-il pas du vieillissement du corps électoral ? Ceux qui sont établis sont souvent ceux qui pèsent le plus dans la prise des décisions. Ainsi, par exemple, en matière d'urbanisme, la demande des citoyens est plutôt favorable à des plans locaux d'urbanisme sévères ; ce qui favorise une hausse du coût du marché du foncier et de l'immobilier. Il y a une logique économique qui tend à favoriser les personnes déjà installées.

M. Michel Bouvard s'est interrogé sur le taux d'emploi des diplômés de l'enseignement supérieur en France, qui est plus faible que celui constaté dans les pays voisins. Quel bilan peut-on dresser d'une comparaison entre la formation assurée par les universités françaises et les universités étrangères ? Quelles conclusions faut-il en tirer ? A-t-on trop privilégié l'accès aux formations supérieures, au détriment de formations davantage orientées vers l'insertion professionnelle ? Faut-il augmenter le nombre de diplômés de l'enseignement supérieur ?

M. Gérard-François Dumont a indiqué que le système d'éducation et de formation français est l'héritage des Trente glorieuses. Il est fondé sur une logique quantitative et sectorielle alors que la réalité est aujourd'hui qualitative et territoriale. Depuis la période des Trente glorieuses, l'économie a subi de profonds bouleversements, auxquels le système d'éducation et de formation ne s'est pas véritablement adapté.

L'avenir de la France réside dans l'industrie de la connaissance, ce qui suppose la capacité « d'apprendre à apprendre » ainsi que d'acquérir des connaissances. Il faut que des liens forts soient, par conséquent, établis entre la formation et le monde économique. Le système actuel est beaucoup trop complexe et centralisé. Deux exemples, tirés de l'expérience d'ancien recteur d'académie, sont à cet égard révélateurs. La connaissance de l'italien constitue un atout indéniable pour trouver un emploi dans les Alpes-maritimes. La décision d'accorder davantage de moyens à cet enseignement a pourtant rencontré la désapprobation immédiate de la hiérarchie. Alors que la formation à la création d'entreprises est nécessaire, il faut six à huit années pour créer un nouveau diplôme. Il faut par conséquent revoir les modalités d'application du principe de subsidiarité. Il est plus que nécessaire de procéder à une refonte d'ensemble du système pour l'adapter aux évolutions.

Le Président Pierre Méhaignerie a souligné que les enseignements à tirer du rapport montrent que les efforts doivent porter sur la capacité d'adaptation, l'intégration des étrangers et la connaissance la plus fine possible, au niveau des quartiers, des besoins et des moyens disponibles, notamment en matière de logements. Quelles conclusions le Rapporteur spécial tire-t-il de cette première expérience d'appel à une étude d'universitaire, pour un coût relativement modeste ?

Votre Rapporteur spécial a répondu qu'il n'existe pas de solution toute faite, compte tenu de la diversité, des spécificités et de l'histoire de chaque pays européen. Il conviendrait maintenant que chaque Rapporteur spécial dont le champ de compétences est concerné par le rapport sensibilise les ministères à la mise en place de réformes. Il convient également de tenir une conférence de presse sur le sujet. Une analyse plus précise au niveau des territoires apparaît enfin nécessaire, qu'il s'agisse de l'emploi ou de l'immigration.

Le Président Pierre Méhaignerie a ajouté qu'une comparaison des moyens et des politiques en matière de formation et d'immigration en Europe serait intéressante.

M. Michel Bouvard a souligné qu'il serait également utile d'étudier dans quelle mesure les ministères exploitent les données démographiques dans la définition de leurs objectifs.

Votre Commission a ensuite autorisé la publication du présent rapport d'information en application de l'article 146 du Règlement.

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ANNEXE

RAPPORT DE MM. GÉRARD-FRANÇOIS DUMONT ET JEAN-MARC ZANINETTI SUR LES PERSPECTIVES DÉMOGRAPHIQUES DE LA FRANCE ET DE L'EUROPE À L'HORIZON 2030 : ANALYSE ÉCONOMIQUE

(MAI 2005)

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N° 2831 - Rapport déposé en application de l'article 146 du règlement par la commission des finances sur les perspectives démographiques de la France et de l'Europe à l'horizon 2030 : analyse économique (Mme Béatrice Pavy)

1 () ONU, World Population Prospects, The 2004 Revision, ONU 2005.

2 () Il s'agit du rapport de l'effectif de la population âgée de 15 à 24 ans sur celui de la population âgée de 55 à 64 ans.

3 () Com 2003 - 336 final du 3 juin 2003

4 () Un sondage CSA réalisé pour la CNCDH sur la xénophobie fait apparaître que 56 % des personnes interrogées estiment que le nombre d'étrangers est « trop important » et pose un problème pour l'emploi. 18 % lient cette question à l'insécurité.