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N° 2833

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 26 janvier 2006

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA MISSION D'INFORMATION (1)

SUR LA GRIPPE AVIAIRE : MESURES PRÉVENTIVES

Président

M. Jean-Marie LE GUEN,

Rapporteur

M. Jean-Pierre DOOR,

Députés.

--

TOME II 

Le H5N1 : une menace durable pour la santé animale

(1) La composition de cette mission figure au verso de la présente page.

La mission d'information sur la grippe aviaire : mesures préventives est composée de : M. Jean-Marie LE GUEN, Président ; Mme Bérengère POLETTI, M. Jean-Michel BOUCHERON, Vice-Présidents ; Mme Jacqueline FRAYSSE, M. Claude LETEURTRE, Secrétaires ; M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur ; MM. Gérard BAPT, Gabriel BIANCHERI, Jérôme BIGNON, Mme Françoise BRANGET, MM. Gérard CHARASSE, Roland CHASSAIN, Alain CLAEYS, Gérard DUBRAC, Yannick FAVENNEC, Jean-Claude FLORY, Mmes Arlette FRANCO, Geneviève GAILLARD, Catherine GENISSON, M. François GUILLAUME, Mme Paulette GUINCHARD, MM. Pierre HELLIER, Denis JACQUAT, Mme Janine JAMBU, MM. Marc JOULAUD, Marc LE FUR, Michel LEJEUNE, Germinal PEIRO, Daniel PREVOST, Serge ROQUES, Rudy SALLES.

S O M M A I R E

Pages

INTRODUCTION....................................................................................7

I. L'epizootie de grippe aviaire : une menace durable 13

A. une epizootie sans precedent et difficile à maîtriser 13

1. Une épizootie qui s'étend dans l'espace et se prolonge dans le temps 13

1.-1. Les pics d'épizootie de grippe aviaire : un phénomène récurrent 14

1.-2. Une épizootie aujourd'hui inédite par sa distribution géographique et par la longueur du cycle viral 15

2. Le virus H5N1 : une « épée de Damoclès» 19

2.-1. Les virus influenza A, courants dans le monde animal, sont des virus « variables, imprévisibles et non sélectifs » 19

2.-2. H5N1 : un virus virulent, stable et apte à franchir la barrière des espèces 22

3. Des facteurs favorables à la propagation du virus expliquent l'ampleur de l'épizootie 30

3.-1. Des facteurs favorables à l'émergence d'un virus hautement pathogène 30

3.-2. Des facteurs favorables à la propagation du virus 33

b. la difficile maitrise de l'epizootie rend indispensables la solidarite et la coordination internationales 44

1. Une application inégalement efficace des préconisations de lutte contre la maladie animale 45

1.-1. Les préconisations internationales pour traiter l'épizootie : un souci de rigueur et de pragmatisme 45

1.-2. Exemples de politiques de lutte contre l'épizootie : des efforts et des résultats inégaux 58

2. La mobilisation internationale : une urgence absolue pour maîtriser l'épizootie 76

2.-1. Conforter la solidarité internationale 77

2.-2. Instaurer une gouvernance sanitaire 85

2.-3. Pour l'ingérence sanitaire 92

II. La progression de l'épizootie dans le monde justifie les mesures de précaution prises en France par le gouvernement 99

A. La France est en alerte 99

1. Une évaluation permanente du risque lié à la grippe aviaire par l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) 99

1.-1. Le rôle de l'AFSSA dans le dispositif de veille français 100

1.-2. Les avis successifs de l'AFSSA sur l'influenza aviaire 103

1.-3. Un renforcement des moyens de l'AFSSA dans la lutte contre la grippe aviaire 112

2. Une surveillance renforcée sur le terrain 112

2.-1. Des contrôles plus nombreux 112

2.-2. Les interventions complémentaires de différents acteurs 114

3. La mise au point de plans d'intervention et d'exercices réguliers de simulation 117

3.-1. Un dispositif déconcentré sous la forme de plans d'urgence particuliers départementaux 117

3.-2. Un dispositif contraignant 118

3.-3. Une mobilisation des acteurs à travers des exercices de simulation 121

B. Depuis août 2005, le gouvernement a su renforcer le dispositif de précaution mis en place 124

1. Un confinement progressivement généralisé à l'ensemble du territoire national 124

1.-1. L'extension progressive du dispositif de protection 125

1.-2. L'accueil des mesures de confinement par les professionnels 127

2. Les restrictions aux importations de produits en provenance de pays contaminés 128

3. L'interdiction des rassemblements d'oiseaux vivants 129

4. L'interdiction du transport et de l'utilisation des oiseaux « appelants » pour la chasse 130

4.-1. Les mesures prises 130

4.-2. Les réserves des chasseurs 131

5. La vaccination de certains élevages 133

5.-1. La vaccination n'a pas été d'actualité au début de la crise 133

5.-2. La décision de vaccination a été prise au regard de certaines particularités 135

5.-3. Le plan français : une vaccination ciblée 137

5.-4. Les réserves suscitées par la vaccination préventive en France 139


C. des mesures ont été prises en faveur de la filière avicole, durement touchée par l'extension de l'épizootie 142

1. Les difficultés rencontrées par la filière avicole 142

1.-1. L'importance économique d'un secteur en mutation 142

2.-2. Les conséquences de la grippe aviaire : une menace sur les exportations et une baisse importante de la consommation intérieure 143

2. Les aides à la filière : un accompagnement des conséquences économiques de la crise 147

2.-1. Les conséquences de la crise ne sont pas à ce jour exactement quantifiables 147

2.-2. L'objectif des aides : compenser partiellement les pertes subies par la filière et redonner confiance au consommateur 149

3. La gestion de la crise à moyen et long terme 155

3.-1. Une réévaluation de la situation économique de la filière avicole et l'adaptation des aides financières 157

3.-2. Un soutien aux exportations 159

3.-3. Vers une restructuration de la filière 160

RECOMMANDATIONS DE LA MISSION 163

AUDITIONS AUXQUELLES LA MISSION A PROCÉDÉ 165

Le présent rapport a été établi d'après les éléments d'information dont disposait le Rapporteur à la date du 29 mars 2006

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

L'épizootie de grippe aviaire est désormais au cœur des préoccupations des autorités politiques et sanitaires du monde entier : aucun Etat ne se sent plus à l'abri de la maladie qui, longtemps circonscrite à l'Asie du Sud-Est, semble désormais avoir entamé une inexorable progression vers des continents jusque-là préservés, comme l'Europe, touchée il y a quelques mois, et l'Afrique il y a quelques semaines.

Le virus H5N1 à l'origine de l'épizootie est d'une particulière virulence : hautement pathogène, il se diffuse très rapidement et tue la quasi-totalité des animaux qu'il infecte. C'est un virus de nature aviaire : il contamine les oiseaux, aussi bien sauvages que domestiques. L'éradication de la grippe aviaire constitue un véritable défi lancé à la communauté vétérinaire du monde entier, mais aussi aux scientifiques non vétérinaires car s'il est vrai que cette maladie est avant tout un problème de santé animale, les experts n'excluent pas qu'elle puisse, un jour, affecter la santé humaine si le virus parvenait, après mutation génétique, à s'adapter à l'homme.

Pour le moment, même s'il a contaminé un certain nombre de personnes dans le monde, il est passé à l'homme dans sa structure génétique d'origine et l'a conservée une fois dans l'organisme humain : il est resté un virus aviaire. De ce point de vue, l'expression couramment utilisée de « grippe aviaire » prête à confusion, dans la mesure où elle fait référence à une maladie humaine, la grippe, mais avec un qualificatif emprunté à la science vétérinaire. Celle-ci désigne d'ailleurs la maladie par les termes d'« influenza aviaire », exempts de toute ambiguïté quant à la nature exclusivement animale de l'affection.

Mais la confusion ne se résume pas à une simple question de terminologie. Elle résulte aussi du fait que les spécialistes envisagent très sérieusement le risque d'une transmission du virus H5N1 à l'homme puis d'une contamination inter-humaine. L'hypothèse d'une adaptation de ce virus à l'organisme humain est étayée par le constat fait depuis plusieurs années que « 80 % des nouvelles maladies affectant l'homme sont d'origine animale », comme l'a indiqué M. Bernard Vallat devant la mission.

Avec l'aggravation de l'épizootie au cours de l'été 2005 en Asie du Sud-Est, où elle sévit depuis 2003, la crainte d'une pandémie grippale s'est emparée des esprits, alimentée par la découverte régulière de cas de contamination humaine et la constatation, chez les malades, d'un taux de létalité élevé, de l'ordre de 50%.

Le risque de pandémie a alors focalisé l'attention de tous, reléguant au second plan la question de la santé animale. Alors que l'Organisation mondiale de la santé animale, l'OIE, ne cessait d'appeler à un renforcement rapide et substantiel de l'aide aux pays les plus touchés par l'épizootie, l'Organisation mondiale de la santé, l'OMS, multipliait ses appels en faveur de la mise en place de dispositifs nationaux de préparation à une éventuelle pandémie. Il en est résulté une certaine confusion, qui a probablement fait perdre un peu de temps sur le front de la lutte contre l'influenza aviaire.

Celle-ci, tout en restant très virulente en Asie du Sud-Est, a continué de progresser vers l'ouest. Les pays jusqu'alors indemnes ont soudainement réalisé qu'ils n'étaient pas à l'abri de l'épizootie et qu'il était de leur intérêt bien compris de venir en aide aux pays touchés, aide qu'au demeurant, l'exigence de solidarité nationale commandait impérativement. Dans cette perspective, les principales organisations internationales compétentes pour la santé humaine, la santé animale et l'aide au développement - OMS, OIE, FAO, Banque mondiale - ont réuni à Genève, au mois de novembre 2005, des centaines d'experts et les représentants d'un certain nombre de gouvernements, pour évaluer les besoins de la lutte contre la grippe aviaire et une éventuelle pandémie et chiffrer l'aide internationale à mobiliser en conséquence. C'est sur un plan d'action sur trois ans, pour un montant d'un milliard de dollars, que les participants se sont mis d'accord. Rendez-vous a alors été pris pour une nouvelle conférence destinée à réunir les moyens financiers nécessaires.

Cette seconde conférence, dite des donateurs, s'est tenue les 17 et 18 janvier 2006 à Pékin. L'importance de cet événement, eu égard à l'enjeu que représente la maîtrise de l'épizootie pour la planète, a conduit le Rapporteur et le Président de la mission à décider de participer à la Conférence, avec la délégation officielle française. Ils entendaient exprimer ainsi, par leur présence, l'intérêt que la représentation nationale porte à la gestion de cette crise majeure de santé animale, aux conséquences potentiellement dangereuses pour l'homme. Le Rapporteur reviendra, plus loin, sur cette manifestation internationale et les engagements qui y ont été pris.

Il reste maintenant à honorer ces engagements, et dans les meilleurs délais si l'on veut limiter un tant soit peu les dégâts que l'influenza aviaire est en train de causer dans de nombreuses régions du monde. C'est, aujourd'hui, la priorité : si l'on en croit M. Bernard Vallat, « nous assistons à une évolution rapide de la situation, caractérisée par la transformation progressive de l'épizootie en panzootie ». Sachant que la plupart des experts s'accordent à considérer la progression de l'épizootie comme un facteur aggravant du risque de pandémie, l'urgence impose une mobilisation totale de tous les pays, sans exception, de l'Union européenne en particulier, ainsi que la mise en place d'un dispositif mondial de surveillance, d'alerte et d'intervention très performant, capable de mener à bien l'éradication de l'actuelle épizootie.

C'est dans ce contexte plutôt alarmiste que la mission d'information est amenée à publier son deuxième rapport que, conformément au plan de travail qu'elle s'était fixée au moment de sa constitution à l'automne dernier, elle avait décidé de consacrer à l'épizootie d'influenza aviaire. Le Rapporteur rappellera, pour mémoire, que la mission avait opté pour une organisation de ses travaux en trois temps : d'abord, un état des lieux des moyens pharmaceutiques et de protection individuelle d'ores et déjà disponibles en cas de pandémie ; puis, un bilan de la situation sur le front de l'épizootie ; enfin, une évaluation du plan gouvernemental de préparation à la pandémie, actualisé au mois de janvier.

Pour élaborer ce deuxième rapport, la mission entendait, d'une part, prendre la mesure exacte de l'épizootie au plan mondial, d'autre part, apprécier les conséquences de la crise en France, où les premiers cas de grippe aviaire furent découverts au mois de février, d'abord sur des oiseaux sauvages, puis dans un élevage domestique. Pour ce faire, elle a, d'une part, décidé d'organiser des déplacements dans les pays les plus touchées, d'autre part, d'entendre des personnalités qualifiées sur le sujet de l'influenza aviaire ainsi que les représentants des professionnels concernés en France.

· S'agissant des déplacements à l'étranger, votre Rapporteur a indiqué plus haut qu'il s'était rendu en Chine, en compagnie du Président de la mission, pour assister à la conférence des donateurs, au mois de janvier. Ils ont pu, à cette occasion, rencontrer des responsables chinois en charge du dossier de la grippe aviaire. Ils se sont également arrêtés au Vietnam et à Hong Kong pour faire le point de la situation dans cette région du monde d'où est partie l'épizootie.

Au mois de février, votre Rapporteur a conduit une délégation en Turquie où des foyers d'influenza aviaire, mais aussi des cas de contamination humaine, certains mortels, avaient été constatés au début de l'année. Dans les premiers jours de mars, le Président de la mission et plusieurs autres membres de la mission se sont rendus au Sénégal et au Mali pour évaluer le risque de contamination du continent africain par le H5N1 et le dispositif de surveillance et d'alerte mis en place, notamment avec l'aide de la France.

Votre rapporteur évoquera tout au long de ce rapport les principaux enseignements que lui-même et ses collègues ont tirés de leurs différents déplacements. Mais un compte rendu complet de ces voyages sera prochainement publié sous forme d'annexe au présent rapport.

· S'agissant des auditions auxquelles la mission a procédé, une quinzaine, la plupart ouvertes à la presse, elles ont permis d'interroger un certain nombre de personnalités en charge du dossier dans les principales organisations internationales compétentes (OIE, FAO), des vétérinaires membres d'organismes spécialisés présents dans les pays touchés, comme le CIRAD ou l'IRD, ou encore les représentants du seul fabricant français de vaccins animaux.

Pour l'appréciation de la situation française, la mission a entendu le Ministre de l'agriculture, M. Dominique Bussereau, mais également des représentants de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, l'AFSSA, de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage, l'ONCFS, des fédérations de chasseurs, des éleveurs et des industriels de la filière avicole.

Ce large panel de témoins a permis à la mission d'avoir un aperçu de toutes les questions que l'actuelle épizootie pose en termes scientifiques, économiques, politiques et diplomatiques, la problématique majeure restant celle des moyens à mettre en œuvre pour enrayer la progression de la maladie. A cet égard, il est apparu à la mission que la solution de la vaccination des oiseaux et des volailles ne faisait pas l'unanimité au sein de la communauté scientifique ni parmi les responsables politiques des pays touchés : le Rapporteur évoquera plus loin les termes du débat sur ce point, central aujourd'hui.

La mission a par ailleurs pu mesurer à quel point la transparence de l'information était une condition essentielle de l'efficacité du dispositif de lutte contre la grippe aviaire : si certains Etats ne jouent pas le jeu de la vérité et tronquent, ou dissimulent, la réalité de l'épizootie sur leur territoire, le combat ne pourra pas être gagné. La facilité avec laquelle le virus circule d'un pays à l'autre impose une coopération de tous les Etats pour se tenir informés mutuellement de l'évolution de la situation sur leurs territoires respectifs. La communauté internationale ne saurait admettre de la part de tel ou tel Etat une rétention de l'information qui risquerait de priver la lutte contre l'épizootie d'une large part de son efficacité.

A cet égard, la mission d'information a émis le souhait de voir un « devoir d'ingérence sanitaire » confié à l'OMS, vis-à-vis de gouvernements qui seraient soupçonnés de ne pas communiquer toutes les données en leur possession.

S'agissant de la France, qui est restée longtemps indemne de grippe aviaire avant de connaître ses premiers cas au mois de février, elle a été placée très tôt, au nom du principe de précaution, sous le régime de la prévention de la maladie. Les décisions prises par le Gouvernement sont allées, parfois, au-delà des préconisations de l'AFSSA : ainsi, dès l'automne 2005, le confinement des volailles a été imposé dans une vingtaine de départements, jugés les plus exposés au risque de contamination, puis étendu à d'autres départements, que l'AFSSA, pour sa part, ne jugeait pas particulièrement menacés. L'évolution de la situation, marquée notamment par l'apparition de cas de grippe aviaire dans la région de la Dombes, a rétrospectivement donné raison au Gouvernement qui, dès le départ, depuis l'aggravation de l'épizootie au cours de l'été 2005, a privilégié l'anticipation et la prudence, en dépit des réserves que certains ont pu émettre sur son action.

Avant de revenir en détail sur la situation de la France et sur les mesures arrêtées par le Gouvernement pour tenter d'empêcher la propagation du virus H5N1 sur le territoire national, votre Rapporteur se propose de dresser un bilan des données disponibles sur l'épizootie actuelle et de chercher à identifier les facteurs qui peuvent expliquer les difficultés rencontrées pour la maîtriser.

I. L'EPIZOOTIE DE GRIPPE AVIAIRE : UNE MENACE DURABLE

A. UNE EPIZOOTIE SANS PRECEDENT ET DIFFICILE À MAÎTRISER

1. Une épizootie qui s'étend dans l'espace et se prolonge dans le temps

Qualifiée de « véritable désastre économique » par M. Joseph Domenech,1 , l'épizootie2 de grippe aviaire provoquée par le virus H5N1 est aujourd'hui endémique en Asie, gagne progressivement du terrain depuis 2005 en Europe, franchissant les frontières de l'Union européenne, et a atteint l'Afrique en février 2006. Avec environ 150 millions de volailles mortes ou abattues, l'épizootie infecte des pays « d'autant plus vulnérables que leurs économies sont encore faibles et leur milieu rural en voie de développement. Sur certains marchés, l'approvisionnement en viande de volaille a été totalement interrompu, alors même que celle-ci représente une source de protéines majeure. Les plus touchés sont les petits éleveurs dans les villages, qui n'ont pour vivre que quelques volailles de basse-cour. C'est un problème économique d'une ampleur inégalée à ce jour... »3 .

Désastre économique, l'épizootie a aussi des conséquences graves en termes de santé humaine et pourrait en avoir de plus graves encore. Au 28 mars 2006, 184 cas humains, dont 103 décès, ont été dénombrés, tous liés aux flambées aviaires. Mais, dans tous les cas, le virus H5N1, dont la structure est restée complètement aviaire, est peu contagieux pour l'homme. Pour autant, le risque de pandémie existe, et il est d'autant plus grand que l'épizootie n'est pas maîtrisée. Tous les experts scientifiques s'accordent, en effet, sur le point suivant : plus le virus circule, plus s'accroît le risque de son adaptation à l'homme par mutation, notamment par recombinaison avec des virus humains4. M. Joseph Domenech a rappelé que face à ce risque, « la FAO et l'OIE disent et redisent que la solution consiste à lutter contre la maladie à sa source, c'est-à-dire chez l'animal » et qu'il s'agit de « rompre le cycle » afin d'empêcher « toute infection humaine ».

Dans cette logique, la conférence internationale sur la grippe aviaire et la grippe pandémique humaine qui s'est tenue à Genève du 7 au 9 novembre 2005, organisée conjointement par la FAO, l'OIE, l'OMS et la Banque mondiale, a mis l'accent sur l'impérative nécessité de concentrer les efforts sur la lutte contre la maladie animale, tout en préparant l'éventualité d'une épidémie humaine. Par la suite, à la conférence des pays donateurs qui s'est tenue à Pékin les 17 et 18 janvier 2006, sur les 1,9 milliards de dollars (1,6 milliard d'euros) que la Banque mondiale et les pays donateurs se sont engagés à verser, un milliard de dollars ont été « fléchés » sur la lutte contre l'épizootie animale et 900 millions sur la prévention de la pandémie humaine. Conscients de l'importance de l'enjeu, votre Rapporteur et votre Président se sont rendus à Pékin pour assister à cette conférence internationale, où ils faisaient partie de la délégation française.

1.-1. Les pics d'épizootie de grippe aviaire : un phénomène récurrent

Il est vraisemblable qu'il y a eu, de tout temps, des épisodes de grippe aviaire. Plutarque raconte5 ainsi la mort d'Alexandre le Grand, au printemps 323 avant JC : à son retour des Indes, Alexandre arrive à Babylone. Les habitants de la ville, située à 90 kilomètres au sud de Bagdad, sont étonnés, depuis un moment, par le comportement étrange d'oiseaux tombant à terre, morts. Alexandre est aussitôt frappé par une maladie inconnue et il meurt en deux semaines. On ne saura sans doute jamais si cette mort mystérieuse est liée à la maladie des oiseaux...

Dans son livre « Histoire de la surveillance et du contrôle des maladies animales transmissibles »6, M. Jean Blancou, ancien directeur de l'OIE, retrace depuis l'Antiquité des épisodes qui étaient vraisemblablement des épizooties de grippe aviaire. Mais ce n'est que dans les années 1900 que la grippe aviaire a réellement été identifiée comme telle. Cette maladie fut décrite en 1878 chez des poulets en Italie par Perroncito, et, en 1902, Centanni et Savonuzzi ont démontré qu'elle était due à un « agent filtrable ». A partir de 1933, date à laquelle les virus Influenza ont été identifiés, les connaissances sur la grippe aviaire ont progressé.

Si on s'en tient aux cinquante dernières années, on a dénombré, depuis 1959, 25 pics d'épizootie de grippe aviaire à virus hautement pathogène, survenus à intervalles réguliers dans toutes les régions du monde.

Devant la mission d'information, M. Philippe Vannier7 en a fait le bilan suivant : « Au Mexique, entre 1994 et 2003, épizootie à H5N2 : un milliard de volailles mortes ou abattues. En Pennsylvanie, entre 1996 et 1998, épizootie à H7N2 : 2,4 millions de volailles mortes ou abattues. En Australie, en 1997, épizootie à H7N4 : 300 000 volailles mortes ou abattues. À Hong Kong, entre 1997 et 2003, épizootie à H5N1 : 3 millions de volailles mortes ou abattues. En Asie du Sud-Est, entre 2003 et 2004, épizootie à H5N1 : 100 millions de volailles mortes ou abattues. À Taïwan, en 2004, épizootie à H5N2 : 66 000 volailles mortes ou abattues. En Italie, en 1999 et 2001, épizootie à H7N1 : 17 millions de volailles mortes ou abattues. Aux Pays-Bas, en 2003, épizootie à H7N7 : 30 millions de volailles mortes ou abattues ».

On ajoutera à cette liste une épizootie en Pennsylvanie de 1983 à 1985, due au virus H5N2, avec un taux de mortalité avoisinant les 90%, et qui a nécessité l'abattage de 17 millions d'oiseaux, ainsi qu'une épizootie de virus H7N3 au Pakistan en 1994-1995. Plus récemment, en 2004, au Canada, le virus H7N3 a été responsable d'une importante épizootie.

Si, parmi les flambées aviaires précédemment recensées, certaines ont été lourdes de conséquences - ainsi, l'épizootie survenue au Mexique à partir de 1994 n'a été endiguée qu'en 2003, des mesures de lutte n'ayant pas été prises assez rapidement - l'OMS rappelle que « seulement 7 avaient entraîné une propagation importante, et une seule s'était étendue à d'autres pays »8. En tout état de cause, aucune n'avait eu l'ampleur et les conséquences de celle qui sévit aujourd'hui, au point de faire peser un risque sur la santé humaine.

1.-2. Une épizootie aujourd'hui inédite par sa distribution géographique et par la longueur du cycle viral

a) Une extension géographique continue

L'épizootie s'est étendue de l'Extrême Orient (Corée, Chine, Japon, Vietnam) jusqu'en Indonésie, puis en Asie centrale (Russie, Kazakhstan), ensuite en Asie mineure (Turquie). Plus tard, elle a atteint l'Europe orientale (Roumanie, Bulgarie) et, plus récemment, l'Afrique, après avoir touché, peu de temps auparavant, les pays de l'Union européenne (voir tableaux ci-après : situation de l'épizootie au 28 mars 2006 et principales étapes de la propagation de l'épizootie par continent).

Cette extension de la zone d'épizootie s'est faite, de l'avis unanime des experts, à partir de la Chine, traditionnellement considérée comme la région du monde « épicentre de l'activité des virus grippaux et le berceau des pandémies »9 Une très récente étude10 menée par une équipe internationale de virologues, parmi lesquels le Professeur J. S. M. Peiris, que votre Rapporteur a rencontré à Hong Kong, confirme que la région d'origine de la souche du virus actuellement en circulation est le sud de la Chine, et qu'à partir de 1996, il s'est introduit, à plusieurs reprises, dans des régions proches (comme le Vietnam) ou plus lointaines (comme l'Indonésie). Il n'est donc pas fortuit que les premières flambées officiellement recensées à l'origine des 18 premiers cas humains, dont 6 furent fatals, aient été détectées en 1997 à Hong Kong, proche de la Chine du Sud

Le virus H5N1 n'est réapparu officiellement que vers la fin de l'année 2003, date à laquelle il s'est brutalement et massivement manifesté. La première observation d'un phénomène inhabituel a été faite en Corée, à la mi-décembre 2003, où les vétérinaires se sont inquiétés de la mort subite d'un grand nombre de poulets dans un élevage industriel près de Séoul. Le 12 décembre, le responsable des services vétérinaires du pays a adressé une alerte à l'OIE, et le 16 décembre, la maladie s'était propagée à deux autres élevages. A partir de janvier 2004, la situation a évolué de façon alarmante, le Japon signalant une flambée massive dans la région de Kyoto. Au Vietnam, l'extension des flambées aviaires devenait rapidement évidente : en trois semaines, plus de 400 flambées étaient décelées. D'autres flambées sont survenues pendant l'été et l'automne 2004, au Cambodge, en Indonésie, en Thaïlande et au Vietnam ; fin août, la Malaisie, qui avait été épargnée au cours de la première vague, a notifié ses premières flambées.

Depuis, l'épizootie s'étend, et selon la constatation que l'OMS faisait en 200511 : « Jamais auparavant la grippe aviaire n'avait provoqué de flambées simultanées dans un nombre aussi grand de pays, et jamais auparavant la maladie ne s'était propagée si largement et si rapidement, jusqu'à toucher des zones géographiques immenses ». Ce constat paraît, rétrospectivement, annonciateur de la propagation de l'épizootie en Europe et en Afrique... Et on peut redouter aujourd'hui que l'épizootie ne s'étende à d'autres continents. Ainsi, M. Bernard Vallat12 a indiqué que la menace était désormais réelle pour les continents américain et australien : « L'Australie, dont je reviens, s'y prépare : elle estime la probabilité d'apparition de cette souche H5N1 chez ses oiseaux sauvages très élevée. Le Canada et les États-Unis également s'attendent à la voir apparaître très prochainement » ; il a précisé que le virus viendrait « pour les Australiens, d'Indonésie ; pour les Américains, par le Nord ».

Situation de l'épizootie A (H5N1) au 28 mars 2006

(source : www.invs.sante.fr)

« Depuis le début de l'épizootie (décembre 2003), 52 pays ou territoires ont notifié des infections chez des oiseaux sauvages ou d'élevage: Afghanistan; Albanie; Allemagne; Arabie Saoudite; Autriche; Azerbaïdjan; Birmanie ; Bosnie-Herzégovine; Bulgarie; Cambodge; Cameroun; Chine; Chypre; Corée du Sud; Croatie; Danemark; Egypte; France; Gaza ; Géorgie; Grèce; Hong Kong; Hongrie; Inde; Indonésie; Irak; Iran; Israël; Italie; Japon; Jordanie; Kazakhstan; Koweït; Laos; Malaisie; Mongolie; Niger; Nigéria; Pakistan; Pologne; Roumanie; Russie; Serbie et Monténégro; Slovaquie; Slovénie; Suède; Suisse ; Thaïlande; Turquie; Tchéquie ; Ukraine; Vietnam.

« Sur le continent européen, des épizooties dues au virus A(H5N1) ont touché des élevages de volaille dans 7 pays: Albanie, Chypre, France, Roumanie, Russie, Turquie et Ukraine.

« Par ailleurs, des oiseaux sauvages, le plus souvent des cygnes, ont été trouvés porteurs du virus A(H5N1) dans 16 autres pays d'Europe à ce jour: Allemagne, Autriche, Bosnie-Herzégovine, Bulgarie, Croatie, Danemark, Grèce, Hongrie, Italie, Pologne, Serbie-Monténégro, Slovaquie, Slovénie, Suède, Suisse et la Tchéquie.

« L'infection par le virus a également été identifiée chez des mammifères des chats domestiques en Allemagne et en Autriche. Des infections chez des félins avaient déjà été identifiés en Asie en 2003-2004 Aucun de ces cas n'a été à l'origine d'une transmission documentée à l'homme. Selon l'OMS, aucun élément scientifique ne permet, à ce jour, d'évoquer un rôle potentiel dans la transmission du virus A(H5N1) à l'homme par les chats domestiques.

« Une infection a également été documentée des mustélidés (vison et fouine) en Allemagne et en Suède. Ces animaux sauvages très sensibles aux virus de la grippe, se sont probablement contaminés en mangeant des cadavres d'oiseaux infectés ».

Principales étapes de la propagation de l'épizootie par continent

(source : Agence France Presse - Au 23 mars 2006)

ASIE :

Corée du Sud (19 décembre 2003) ; Vietnam (8 janvier 2004) ; Japon (12 janvier 2004) ; Thaïlande (23 janvier 2004) ; Cambodge (24 janvier 2004) ; Laos (27 janvier 2004) ; Indonésie (2 février 2004) ; Chine (4 février 2004) ; Malaisie (7 août 2004) ; Russie, Sibérie (23 juillet 2005) ; Kazakhstan (2 août 2005) ; Mongolie (12 août 2005) ; Turquie (13 octobre 2005) ; Irak (2 février 2006) Azerbaïdjan (9 février 2006) ; Iran (14 février 2006) ; Inde (18 février 2006) ; Géorgie (24 février 2006) ; Birmanie (13 mars 2006) ; Afghanistan (16 mars 2006) ; Pakistan (20 mars 2006).

EUROPE :

Roumanie (15 octobre 2005) ; Croatie (26 octobre 2005) ; Ukraine (5 décembre 2005) ; Grèce (11 février 2006) ; Italie (11 février 2006) ; Bulgarie (11 février 2006) ; Slovénie (12 février 2006) ; Autriche (14 février 2006) ; Allemagne (14 février 2006) ; France (19 février 2006) ; Hongrie (21 février 2006) ; Slovaquie (23 février 2006) ; Bosnie (27 février 2006) ; Suisse (1er mars 2006) ; Pologne (5 mars 2006) ; Albanie (7 mars 2006) ; Serbie (9 mars 2006) ; Suède (15 mars 2006) ; Danemark (20 mars 2006).

AFRIQUE :

Nigeria (8 février 2006) ; Egypte (17 février 2006) ; Niger (27 février 2006) ; Cameroun (11 mars 2006) ; Israël (20 mars 2006).

Depuis, le H5N1 a été retrouvé à Gaza (23 mars), en Jordanie (23 mars) et en Tchéquie (27 mars).

b) un cycle viral exceptionnellement long

Les experts s'accordent pour dire que le virus est présent de façon endémique en Asie depuis 1996. Cette date a été avancée par la FAO lors de sa troisième session qui s'est tenue à Rome du 19 au 26 novembre 200513. L'étude citée plus haut14 tire des résultats de l'analyse épidémiologique et phylogénétique menées depuis trois ans sur les virus H5N1, la conclusion que la souche actuellement en circulation persiste depuis 10 ans, notamment en Chine. Depuis cette date et les flambées de 1997, il a sans doute toujours circulé, même si le développement des flambées aviaires n'a été manifeste qu'à la fin 2003.

Gagnant tous les jours du terrain, même si, dans certains pays d'Asie, les mesures de lutte donnent des résultats positifs, l'épizootie s'installe aussi dans la durée. Devant la mission, M. Bernard Vallat a insisté sur le fait que le monde allait devoir vivre durablement avec, au-dessus de la tête, « cette épée de Damoclès». Il a estimé que le cycle du virus devrait vraisemblablement se prolonger encore pendant quelques années : « La circulation du virus dans la faune sauvage est cyclique (...) mais nul ne sait si ce cycle sera de plusieurs mois ou de plusieurs années - je pencherais pour plusieurs années... ».

2. Le virus H5N1 : une « épée de Damoclès»

2.-1. Les virus influenza A, courants dans le monde animal, sont des virus « variables, imprévisibles et non sélectifs »15 

a) Les oiseaux, hôtes naturels des virus Influenza A

La grippe aviaire est une maladie animale dénommée par les vétérinaires « influenza aviaire », due à un virus de la famille des Orthomyxoviridae comprenant plusieurs genres (ou types) dont Influenzavirus, virus isolé pour la première fois en 1933 et caractérisé par deux composants antigéniques majeurs : les antigènes internes et les antigènes externes.

Les antigènes internes définissent trois types de virus : A, B et C. Les virus de type C sont fréquents, mais n'occasionnent en général que des affections bénignes, tandis que les virus de type B sont responsables de manifestations plus graves. Les virus B et C sont essentiellement humains ; seul le type A, qui affecte également les mammifères, a été isolé chez les oiseaux.

Les antigènes externes sont représentés par l'hémagglutinine H et la neuraminidase N , qui définissent des sous-types. Comme l'indique l'AFSSA16 , « des virus porteurs de toutes les hémagglutinines (H1 à 16) et de toutes les neuraminidases (N1 à N9) ont été isolés chez les différentes espèces aviaires ». Les oiseaux sont donc les réservoirs de tous les sérotypes de virus. Cette constatation fait dire à l'AFSSA que « les oiseaux sauvages sont des hôtes naturels principaux des virus Influenza de type A ».

Bien qu'hémagglutinine et neuraminidase puissent s'associer selon différentes combinaisons chez les virus aviaires, certaines paraissent néanmoins privilégiées, sans qu'à ce jour on n'en connaisse précisément le mécanisme sous-jacent.

b) Qu'est ce qu'un virus aviaire ?

L'adaptation progressive et la circulation prolongée de souches d'un sous-type donné au sein d'une espèce animale peut conduire à l'acquisition de caractères particuliers qui permettent de différencier des lignées génétiques au sein du sous-type. Ainsi peut-on distinguer, par exemple, dans le sous-type H1N1, une lignée porcine et une lignée aviaire. Selon la définition proposée par l'AFSSA, « on qualifiera de « virus aviaire » un virus influenza A isolé d'oiseaux et/ou dont tous les gènes sont aviaires (comme démontré par comparaison de leur séquence avec celles disponibles dans les banques), c'est-à-dire homologues de gènes rencontrés chez des souches virales circulant normalement chez les oiseaux »17.

Ce point est extrêmement important, car si la transmission du virus H5N1 à l'homme est encore limitée, c'est parce que le virus a conservé, pour le moment, sa structure purement aviaire. Mais la grande adaptabilité génétique des virus influenza, qui se traduit par des mutations entraînant de faibles modifications ponctuelles ou des réassortiments entre deux virus, peut aboutir à l'apparition d'une nouvelle combinaison H-N, contre laquelle les défenses immunitaires de l'hôte (animal ou humain) n'offriront aucune protection. Là résiderait le risque de pandémie18.

c) Virus non pathogènes et virus pathogènes

M. Philippe Vannier a relevé, devant la mission, la coexistence, dans le monde animal, de souches non ou faiblement pathogènes et de souches hautement pathogènes : « Dans le domaine animal, on compte quinze sous-types liés à l'hémagglutinine (H) et neuf sous-types liés à la neuraminidase (N). La peste aviaire, appelée improprement grippe aviaire, est liée essentiellement à deux sous-types : le H5 et le H7, voire le H9, qui entraînent des signes cliniques très marqués dans la population animale, aviaire en particulier. Mais l'affaire se complique par le fait que, dans le H5 comme dans le H7, on trouve des souches faiblement pathogènes qui n'entraînent aucun signe clinique sur les animaux, et des souches hautement pathogènes qui diffèrent des premières par une simple mutation génétique entraînant une modification des séquences des acides aminés, et qui sont seules responsables de la peste ou grippe aviaire ».

Des virus faiblement pathogènes circulent couramment chez les oiseaux. Ainsi, en France, de 2000 à 2003, une enquête conjointe de l'Unité sanitaire de la faune de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) et de l'AFSSA a montré la présence de virus Influenza, faiblement, voire non pathogènes, sur plusieurs espèces d'oiseaux capturés dans l'estuaire de la Loire et dans la Dombes (sur des canards colvert, des sarcelles d'hiver, des foulques et des cormorans). Plus récemment, en octobre 2005, les autorités canadiennes ont déclaré la présence d'une souche non pathogène du virus H5N1 chez des oiseaux sauvages au Québec et au Manitoba.

A ce jour, toutes les flambées épizootiques de la forme pathogène de la grippe aviaire ont été provoquées par des virus des sous-types H5 et H7, ce qui fait dire à l'AFSSA que « seuls les virus appartenant aux sous-types H5 et H7 ont acquis la capacité à acquérir de la virulence à partir de souches faiblement ou modérément pathogènes ».

L'émergence de souches pathogènes s'explique par des mutations virales dans le site de clivage de l'hémagglutinine, qui constitue un déterminant majeur de la virulence. L'hémagglutinine commande, en effet, la pénétration du virus dans la cellule, mais pour que cette fonction soit effective, elle doit être clivée par des protéases cellulaires, sinon les virions produits ne sont pas infectieux19. Les virus hautement pathogènes sont donc dotés d'une signature : un ensemble d'acides aminés sur le site de clivage de l'hémagglutinine, qui les distingue de tous les autres virus et qui leur confère leur virulence.

Le pourvoir pathogène des virus influenza : une affaire de bilboquet

Des virus plus pathogènes que d'autres

Parmi ces virus, certains sous-types sont potentiellement plus dangereux : ceux comportant les hémagglutinines H7 ou H5. Les virus appartenant à ces sous-types circulent régulièrement chez les volailles, entraînant parfois une mortalité élevée. Dans ce cas, les virus sont dits « hautement pathogènes ». Le pouvoir pathogène et la virulence de ces sous-types H5 ou H7 sont la conséquence de mutations pouvant être observées sur l'hémagglutinine de ces virus.

Une affaire de bilboquet

L'hémagglutinine est constituée de deux parties :

-La partie globulaire (ou HA1)

-La partie formant une tige (HA2)

Pour simplifier, la tige est fixée à la surface du virus par une de ses extrémités et porte la partie globulaire à son autre extrémité, comme un bilboquet.

Pour être fonctionnelles et permettre l'infection, les deux parties de l'hémagglutinine doivent être séparées l'une de l'autre. Cette coupure ou clivage se fait tardivement dans la synthèse des virus. L'hémagglutinine est d'abord synthétisé dans la cellule, puis assemblée avec les autres composants nécessaires à la fabrication de nouveaux virus. En fait, les virus qui viennent d'être fabriqués portent une hémagglutinine dont les deux parties HA1 et HA2 ne sont pas encore séparées. Ces nouveaux virus ne sont pas capables d'infecter une cellule. Le clivage des deux parties HA1 et HA2 de l'hémagglutinine est réalisé par une protéase, le plus souvent dans le milieu extra-cellulaire. La coupure se fait au niveau d'un domaine particulier de l'hémagglutinine appelé «  site de clivage ». Chez certains virus H5 ou H7, ce site de clivage est modifié du fait de mutations qui entraînent l'ajout de multiples acides animés basiques. La coupure se fait alors à l'intérieur de la cellule avant la libération des virus. Ils acquièrent ainsi la possibilité de se multiplier dans des tissus et organes normalement peu ou pas infectés par les virus grippaux, ce qui leur confère un avantage important pour leur diffusion dans l'organisme infecté...

Quid des récentes épizooties ?

La souche H5N1, qui circule actuellement en Asie, comporte ces mutations de virulence réalisant un site de clivage «  polybasique ». De même, la souche H7N7, responsable de l'épizootie qui a sévi aux Pays-Bas au printemps 2003, comportait un tel site de clivage «  polybasique ». Cependant, d'autres caractéristiques des virus, telles que la capacité à échapper à la réponse innée, déterminent leur virulence lors de leur transmission à l'homme. En effet, le virus H5N1 apparaît hautement virulent chez l'homme. En revanche, le virus aviaire H7N7, responsable de l'épizootie aux Pays-Bas, a donné lieu à 89 cas d'infection chez l'homme, se traduisant pour la plupart par des conjonctivites. Seuls 7 cas de syndrome grippal ont été recensés, dont un fatal... 20 

2.-2. H5N1 : un virus virulent, stable et apte à franchir la barrière des espèces

« Il n'est jamais simple de comprendre pourquoi un agent pathogène qui dispose d'un arsenal génétique donné dispose de tel ou tel spectre de pathogénicité»21. Si, au fil des auditions auxquelles la mission d'information a procédé, il est apparu que de nombreuses inconnues demeuraient, certaines caractéristiques épidémiologiques du virus H5N1 sont toutefois établies.

a) Un virus particulièrement virulent

Le virus H5N1 est un sous-type de virus pouvant acquérir de la virulence22 à partir de souches faiblement ou modérément pathogènes.

L'acquisition du caractère pathogène

Par quel processus le virus H5N1 a-t-il acquis ce caractère pathogène ? M. Philippe Vannier a proposé le scénario suivant : « Les oiseaux sauvages sont fréquemment porteurs de souches faiblement pathogènes d'influenza aviaire. Mais un contact inter-espèces, dans certaines conditions bien précises, entre un canard sauvage, par exemple, et une espèce beaucoup plus sensible comme le poulet de chair ou la dinde, va donner lieu à une réplication importante du virus, au cours de laquelle pourra survenir une mutation. Durant une première phase préclinique d'infection de l'élevage par une souche H5 ou H7 faiblement pathogène, étape silencieuse pendant laquelle les animaux présenteront peu de signes cliniques, le virus va se répliquer et une mutation pourra survenir. Cela peut ne pas être le cas ; mais plus la réplication est importante, plus la probabilité augmente. Arrive alors une phase clinique, où l'élevage manifeste des signes patents d'infection par la souche H5 ou H7 devenue hautement pathogène. Ce n'est toujours pas une épizootie, mais un foyer isolé ; celle-ci n'apparaîtra que lorsque le virus se sera fortement propagé dans le voisinage. »

L'AFSSA reprend cette explication et précise qu'à l'origine de l'épizootie, il y a sans doute eu un « contact entre les volailles domestiques et les oiseaux sauvages migrateurs, souvent porteurs sains d'un virus qualifié de faiblement pathogène ; ce dernier pouvant alors acquérir, en circulant à l'intérieur des troupeaux, un caractère hautement pathogène dans un délai qui se situe entre quelques semaines à quelques mois et enclencher une épizootie »23. L'OMS fait la même analyse: « A une date inconnue, avant 1997, la souche H5N1 du virus grippal aviaire a commencé à circuler parmi les populations avicoles de certaines partie d'Asie et s'est tranquillement installée. Comme d'autres virus aviaires des sous-types H5 et H7, le H5N1 n'a provoqué au début qu'une maladie bénigne, avec des symptômes tels que l'ébouriffement des plumes et un problème de ponte, qui sont passés inaperçus. Après des mois de circulation chez les poulets, une mutation du virus a donné lieu à une forme hautement pathogène capable de tuer les poulets en 48 heures, avec un taux de mortalité voisin de 100%. C'est en 1997 que le virus est apparu pour la première fois sous sa forme hautement pathogène... »24. Ce scénario a prévalu lors de la grave épizootie survenue au Mexique entre 1994 et 2003, où le virus H5N2, d'abord non pathogène, est devenu pathogène.

Ainsi qu'on le verra plus loin, il semble maintenant que les oiseaux sauvages puissent être porteurs du virus sous sa forme hautement pathogène.

Une maladie extrêmement grave

Le virus H5N1 provoque chez les espèces aviaires une maladie grave qui lui a valu le surnom d'« Ebola du poulet ». Les symptômes en sont décrits par l'AFSSA : « Après une période d'incubation de 3 à 5 jours, les signes suivants peuvent apparaître : diminution de l'appétit, réduction considérable de la production d'œufs, puis évolution vers une mort subite des volailles (avec ou sans symptômes digestifs, respiratoires ou nerveux), la mortalité pouvant atteindre de 90 à 100 %. »25. L'AFSSA rappelle aussi que si la maladie est fortement virulente chez les poulets et les dindes, certaines espèces sont plus résistantes que d'autres. Ainsi, les canards peuvent être infectés par des souches pathogènes en ne présentant que des signes cliniques très discrets. Ce qui peut être une bonne nouvelle pour eux ne l'est pas forcément pour la maîtrise de l'épizootie, dans la mesure où ils sont capables d'excréter dans leurs fientes du virus hautement pathogène sans présenter les signes de la maladie, rendant très difficile son repérage et facilitant, par voie de conséquence, la contamination de volailles plus réceptives. De ce fait, comme l'a signalé M. Joseph Domenech, le mélange des espèces (poulets et canards), très fréquent en Asie, porte une large part de responsabilité dans l'ampleur de l'épizootie.

Une virulence accrue

Au fil du temps, le virus H5N1 n'a pas perdu de sa virulence mais l'a, au contraire, sensiblement accrue. L'OMS fait état d'études selon lesquelles la comparaison d'échantillons révèle qu'il est devenu progressivement plus pathogène chez les volailles et chez le « modèle souris » : « les souches virales actuelles comparées à des souches virales de 1997 et de 2003 sont devenues plus virulentes lorsqu'elles sont injectées expérimentalement à des poulets et des souris »26. De l'avis de Mme Sylvie Van der Werf, chef de l'unité de recherche génétique moléculaire des virus respiratoires de l'Institut Pasteur27, s'agissant des volailles domestiques, des scénarios pessimistes sont à craindre dans la mesure où « dans l'espèce humaine, quand un nouveau virus arrive, il frappe une population non immunisée au départ, avec un fort taux de contamination et de troubles cliniques. Puis la population s'immunise progressivement et le virus s'adapte et devient alors moins virulent. Mais ce schéma n'est pas valable dans la population des volatiles où la durée de vie est très courte et où des animaux naïfs sont produits sans arrêt. Nous sommes dans une configuration d'un virus nouveau frappant des individus sans cesse nouveaux ».

Il est permis de s'interroger sur le lien entre l'augmentation de la virulence du virus et la contamination d'espèces que les experts décrivaient auparavant comme peu réceptives au virus. Il affecte ainsi maintenant un large éventail d'oiseaux domestiques et sauvages. M. Jean-Claude Manuguerra, responsable de la cellule d'intervention biologique d'urgence à l'Institut Pasteur, a dressé la liste suivante : canards, poules, dindes, oies, hérons, perroquets, aigles, flamands roses, pies, cygnes28 . Le cas des pigeons est particulièrement significatif. Ainsi, lors de plusieurs auditions, la mission avait clairement entendu que cette espèce semblait ne pas pouvoir être contaminée. Mme Barbara Dufour, spécialiste de la grippe aviaire à l'École nationale vétérinaire de Maisons-Alfort avait notamment expliqué que les pigeons : « très nombreux en ville... ne sont pratiquement pas réceptifs au virus influenza aviaire et, quand celui-ci parvient à les atteindre, ils développent très peu de signes cliniques »29 .

Or, il semble qu'en Turquie, des pigeons atteints du H5N1 aient été retrouvés morts : c'est ce qui a été indiqué à plusieurs députés membres de la mission d'information au cours d'un déplacement à Ankara. Le virus a d'ailleurs été aussi identifié sur des pigeons dans d'autres pays, comme en Roumanie. Ces éléments nouveaux ont motivé l'avis de l'AFSSA du 21 février 2006 sur l'influenza aviaire relatif à l'évolution du risque sanitaire représenté par les pigeons, canards ou cygnes détenus dans les jardins publics, pour les volailles, et pour les citadins ou certains personnels particulièrement exposés. Dans une recommandation faite à l'issue d'une réunion d'experts sur l'influenza aviaire hautement pathogène en Europe, qui s'est tenue au siège de l'OIE les 27 et 28 février 2006, cette organisation s'engage « à finaliser le travail sur les lignes directrices pour la surveillance des oiseaux sauvages en collaboration avec la FAO, en y incluant les rôle des espèces telles que celle des pigeons ».

Devant la mission, M. Philippe Vannier a, par ailleurs, fait état d'études chinoises qui ont montré que : « certaines espèces [de passereaux] pourraient être porteuses du H5N1 hautement pathogène ».

b) un virus stable, résistant et contagieux

Le virus H5N1 est d'autant plus virulent qu'il est stable, résistant et contagieux.

Une stabilité acquise depuis deux ans

Une des caractéristiques principales des virus Influenza est d'être « variables ». Or, le virus H5N1 est, au contraire, un virus stable : selon M. Bernard Vallat : « cette souche est (...) très stable : depuis deux ans qu'elle sévit, ses caractéristiques pathogènes sur l'animal ne se sont pas modifiées, ce qui explique qu'elle continue à contaminer d'autres pays ».

Le virus H5N1 a été identifié pour la première fois en 1959, en Écosse, puis à nouveau en Grande-Bretagne en 1991. Il avait alors provoqué des flambées aviaires rapidement maîtrisées. Depuis 1996, date à laquelle il est réapparu en Chine sous une forme endémique, le virus H5N1 a changé au contact d'autres virus grippaux, par mutations cumulées, tout en gardant des caractéristiques moléculaires stables. Vers 2002, il y a eu une rupture du génome, mais depuis, sa structure génétique est stable30. Comme l'a souligné M. Philippe Vannier devant la mission : « depuis 1996, le génotype Z de Quinhai est devenu prédominant, avec une rupture probablement vers 2002-2003 »31.

Ce génotype Z du virus H5N1 s'est bien adapté à l'oiseau au point, selon M. Jean-Claude Manuguerra (cf. référence supra), d'avoir éliminé les autres types de virus chez les volailles en Asie et d'y être « omniprésent ». Cette stabilité, témoin d'une grande adaptation à ses victimes, pourrait être un des éléments d'explication de la durée inhabituelle de l'actuel cycle viral.

Une résistance qui s'affirme

Le virus H5N1 trouve un environnement favorable dans l'eau douce, dans les fientes des animaux et dans la terre. Il peut survivre longtemps dans son environnement, notamment à basse température : son délai de conservation peut aller jusqu'à 30 jours à 0°C dans l'eau douce contaminée et à 40 jours dans les déjections d'oiseaux. M. Philippe Vannier a même indiqué, devant la mission, que selon certaines études, le virus pouvait survivre 105 jours à 4°. On peut ainsi expliquer la prédominance épidémique en saison d'hiver. Compte tenu de ces éléments et de l'infection, établie, des oiseaux migrateurs, certains virologues pensent que le virus est vraisemblablement présent dans les plans d'eaux en Sibérie, où il se conserve dans la glace, se reproduisant et se diffusant donc d'année en année, rendant d'autant plus difficile l'éradication de la maladie.

Si le virus est thermosensible (sensible à la chaleur) - certains épidémiologistes et ornithologues pensent que la circulation du virus va s'atténuer avec le réchauffement printanier et estival - , des expériences ont montré qu'il avait amélioré sa résistance et qu'il peut maintenant se maintenir trois fois plus longtemps quand il fait chaud (6 jours au lieu de 2, à 22°C).

De surcroît, c'est un virus très contagieux, qui se transmet essentiellement par voie directe, notamment par les sécrétions respiratoires et les matières fécales des animaux malades, mais qui, du fait de ses modes de conservation, peut aussi se propager de façon indirecte par l'exposition à des matières contaminées (par l'intermédiaire de la nourriture, de l'eau, de l'air, de la terre...). Il se transmet ainsi facilement d'une exploitation à l'autre avec les déplacements des oiseaux, des personnes (notamment lorsque les chaussures ou les vêtements sont contaminés), les véhicules, les équipements, la nourriture et les cages.

Une extension de la gamme d'hôtes du virus

Les virus grippaux ont normalement une grande « spécificité d'espèce », ce qui signifie que, lorsqu'ils infectent une espèce en particulier (homme, certaines espèces d'oiseaux, porcs, chevaux ou autres mammifères), ils se limitent à elle et ne provoquent que rarement des infections chez d'autres espèces. « Sur les centaines de souches de virus grippaux aviaires A, quatre seulement ont provoqué des infections humaines : H5N1, H7N3, H7N7 et H9N2 »32. Mais l'infection humaine provoquée par ces virus n'entraîne, en règle générale, que des symptômes légers et une maladie bénigne : des conjonctivites et quelques syndromes grippaux, pour la plupart sans gravité.

Par ailleurs, on considérait que, pour être capable d'infecter l'homme, le virus devait d'abord effectuer des recombinaisons grâce à un hôte intermédiaire, comme le porc33. Or, la flambée de grippe aviaire à Hong Kong en 1997 a mis en évidence que l'homme peut être directement, et gravement, infecté par un virus grippal purement aviaire comme le H5N1, et être ainsi l'espèce chez laquelle s'échangent des gènes viraux. Cette constatation n'a jamais été démentie par la suite, et tous les cas humains, s'il restent aujourd'hui limités, ont tous été graves, et, pour la moitié, mortels. C'est sur la base de cette constatation que l'OMS a déclenché l'alerte à la pandémie : « Une telle observation a donné aux infections humaines par le H5N1 une importance plus grande, car elle représente un signe d'alarme indiquant l'imminence possible d'une pandémie »34.

Les explications scientifiques sur la contamination par le virus aviaire d'autres espèces, et notamment l'homme, ne sont pas encore établies avec certitude. Une explication avancée tiendrait à l'une des caractéristiques du virus H5N1, qui est sa capacité à développer des stratégies pour échapper à ce que l'on appelle la « réponse immune innée » de l'hôte du virus. Cette réponse innée induit normalement une forte inhibition de la réplication des agents infectieux.35

Le virus H5N1 a par ailleurs étendu sa gamme d'hôtes à d'autres mammifères que les hommes. Dès le début de l'année 2005, l'OMS indiquait qu'« on a en outre pu démontrer récemment que le virus provoquait une maladie grave et le décès chez des espèces qui, auparavant, n'étaient pas considérées comme sensibles aux virus grippaux A, notamment les chats domestiques infectés expérimentalement et des tigres infectés en captivité naturellement ; l'infection a été associée à l'alimentation avec des cadavres de poulets »36.  Lors de son audition, Mme Sylvie Van der Werf a évoqué devant la mission ces cas d'infections de félins par le virus : « La capacité des virus de type H5N1 à infecter l'homme, et qui dépend d'associations de gènes assez spécifiques, tient au fait qu'ils ont fait des allers et retours entre les volailles domestiques terrestres et les oiseaux sauvages, notamment aquatiques. Ces sauts d'espèces permanents ont abouti à la sélection d'un virus tout à fait particulier, virulent sur les volailles, mortel pour certaines espèces aquatiques, capable d'infecter une grande variété d'oiseaux, mais également bon nombre de mammifères, jusqu'à des léopards et des tigres. Certains zoos ont connu de véritables hécatombes ».

Aussi, la découverte du virus H5N1 sur un chat en Allemagne, dans l'île de Rüngen, où plus de 100 oiseaux sont morts, n'a pas vraiment été une surprise. Ce premier cas de contamination d'un mammifère en Europe a été suivi de trois autres, deux chats et une fouine37.

Si l'avis formulé le 28 février par l'OMS se veut rassurant, indiquant notamment qu'à ce jour, on n'a jamais établi de lien entre un cas humain et une exposition à un chat malade, il n'en reste pas moins que la question de la transmission du virus aux chats et du risque potentiel qui pourrait en résulter pour l'homme doit être traitée avec la plus extrême prudence.

Avis de l'OMS du 28 février 2006

« Grippe aviaire à H5N1 chez le chat domestique »

Rien ne permet actuellement d'affirmer que les chats domestiques jouent un rôle dans le cycle de transmission des virus H5N1. A ce jour, on n'a jamais établi de lien entre un cas humain et une exposition à un chat malade. Aucune flambée chez le chat domestique n'a été signalée.

Contrairement à ce qui se passe pour les oiseaux domestiques et sauvages, rien ne permet d'affirmer que les chats domestiques constituent un réservoir du virus. Toutes les informations dont on dispose montrent en revanche que l'infection chez le chat se produit en association avec des flambées de H5N1 chez les oiseaux domestiques ou sauvages.

Des études expérimentales, publiées en septembre 2004, ont démontré que le virus H5N1 pouvait infecter les chats domestiques et qu'il pouvait ensuite se transmettre d'un chat à un autre. Au cours de ces expériences, les chats ont développé la maladie à la suite de l'inoculation directe d'un virus isolé sur un cas humain mortel, ou après avoir été alimenté avec de la viande de volaille contaminée crue.

La panzootie actuelle de H5N1 chez l'oiseau, qui a commencé à la mi-2003 en Asie du Sud-Est, s'est accompagnée de quelques rapports anecdotiques d'infection à H5N1 chez des chats domestiques. On pense qu'à chaque fois, l'origine la plus probable de l'infection a été la consommation par l'animal de viande de volaille contaminée. Plusieurs études publiées ont montré la possibilité pour les grands félins en captivité de contracter l'infection à H5N1. En décembre 2003, deux tigres et deux panthères, nourris avec des carcasses fraîches de poulets, sont morts brusquement dans un zoo en Thaïlande. Les analyses qui ont suivi ont identifié le virus H5N1 dans des échantillons de tissu.

En février 2004, on a décelé le virus chez une panthère longibande, morte dans un zoo près de Bangkok. Un tigre blanc est lui aussi mort de cette infection dans le même zoo en mars 2004.

En octobre 2004, des tigres en captivité, nourris avec des carcasses fraîches de poulets, ont commencé à mourir en grand nombre dans un zoo de Thaïlande. En tout, 147 tigres sur 441 sont morts de l'infection ou ont été euthanasiés. Les enquêtes ultérieures ont établi qu'il y avait eu, à un certain degré, transmission du virus entre tigres. »

3. Des facteurs favorables à la propagation du virus expliquent l'ampleur de l'épizootie 

Les caractéristiques génétiques propres au virus H5N1 sont des éléments d'explication de l'ampleur de l'épizootie. Mais sans doute ce virus a-t-il développé sa pathogénicité dans un contexte favorable qui explique qu'il ait pu s'installer et ensuite se propager en Asie. Depuis 2005, le virus a accru, selon l'expression de M. Bernard Vallat, sa « capacité de se déplacer ».

Sur tous ces points, il demeure encore des « zones grises », selon l'expression de M. Joseph Domenech. Toutefois, à la lumière des travaux de la mission, le Rapporteur tentera de faire ici le point des connaissances acquises à ce jour.

3.-1. Des facteurs favorables à l'émergence d'un virus hautement
pathogène

a) La « croissance spectaculaire de la production avicole »38a créé un environnement favorable

M. Joseph Domenech a estimé, devant la mission, que l'ampleur de la crise actuelle s'expliquait par « l'extraordinaire développement en Asie, depuis une décennie, d'un élevage de volailles ». Le nombre de volailles était estimé à 120 millions dans le monde en 1968 : il y en a aujourd'hui plus de 13 milliards, dont près de 6 millions en Asie de l'Est et du Sud-Est. Par définition, les zones à forte densité de bétail sont exposées à l'introduction et à la propagation des maladies infectieuses. Le secteur avicole constitue, pour sa part, un environnement favorable à la pénétration du virus : les oiseaux sauvages, porteurs naturels des virus influenza, les transmettent aux volailles domestiques, selon le scénario d'acquisition de virulence décrit plus haut. Plus les volailles sont nombreuses, plus le virus a l'occasion de se propager et d'acquérir ce caractère pathogène.

Mme Barbara Dufour a souligné devant la mission que cette densité animale était liée à la densité humaine : « en Asie du Sud-Est, les modes de vie et d'élevage sont complètement différents de ce que nous connaissons chez nous. La densité humaine et animale est très élevée, sans commune mesure avec les campagnes européennes ; les gens élèvent beaucoup de volailles, animaux dont les protéines sont parmi les moins chères ». La FAO constate également que « dans les mégalopoles à croissance rapide, il existe de grandes concentrations de volailles »39 : il s'agit en effet de fournir des protéines à une population croissante.

b) Petits élevages et élevages intensifs ont leur part de responsabilité dans le développement de l'épizootie

Une responsabilité partagée

Le développement du secteur avicole ne s'est pas fait de façon homogène, et M. Joseph Domenech rappelle que des élevages « des plus intégrés - en Thaïlande notamment, mais également en Malaisie et en Chine (coexistent avec des) petits élevages villageois dispersés dans des régions peu accessibles ». La FAO estime que « plus de la moitié des volailles sont élevées de manière intensive dans de grandes ou moyennes exploitations qui appliquent des mesures assez strictes de prévention et de confinement (« biosécurité »). Toutefois, une grande partie de la volaille est élevée par de petits éleveurs dont on estime le nombre à 200 millions, chacun disposant d'environ 15 volatiles (canards, poulets, oies, dindons et cailles, principalement) »40.

Chaque type d'élevage porte, en raison de ses caractéristiques propres, une part de responsabilité dans le développement de l'épizootie.

Petits élevages

Mme Barbara Dufour a ainsi présenté le rôle des petits élevages dans la propagation du virus : « En Asie du Sud-Est, les modes de vie et d'élevage sont complètement différents de ce que nous connaissons chez nous. La densité humaine et animale est très élevée, sans commune mesure avec les campagnes européennes ; les gens élèvent beaucoup de volailles, animaux dont les protéines sont parmi les moins chères. Les modalités d'élevage n'ont pas grand-chose à voir avec ce que nous connaissons chez nous : certes, il existe des élevages industriels, mais il y a surtout beaucoup d'élevages familiaux en plein air, avec une très grande proximité des animaux entre eux et des hommes avec les animaux, notamment au Vietnam et en Thaïlande. Les mesures de stamping out - éradication de la maladie par une dépopulation des animaux malades et de ceux appartenant aux élevages des alentours et qui pourraient être contaminés - sont par conséquent beaucoup plus difficiles à appliquer, d'autant que les moyens humains et matériels sont nettement insuffisants dans ces pays. En outre, les petits éleveurs rechignent, légitimement, à abattre leur principal moyen de subsistance. »

A ces petits élevages sont liées des pratiques culturelles, comme les marchés de volailles vivantes, caractéristiques surtout de l'Asie. « Ces marchés où se mélangent les espèces sont probablement une des causes de la diffusion très importante de la maladie », comme le constate M. Joseph Domenech. En outre, la FAO fait état de l'insalubrité des étals de poulets, du manque d'abattoirs centralisés et de l'habitude de tuer les poulets sur les lieux de vente.

Élevages intensifs

Dans les élevages intensifs, les espèces domestiquées, qui présentent une grande homogénéité génétique, ont, par définition, échappé au processus naturel de sélection, et constituent une cible de choix pour les virus grippaux. De surcroît, le virus étant très contagieux, la promiscuité entre animaux dans ce type d'élevages favorise sa propagation.

Cependant, comme le précise la FAO, « si l'on peut ainsi facilement expliquer la propagation des virus dans les élevages domestiques, le mécanisme d'introduction dans et entre les unités de production intensive reste à élucider, dans la mesure où ces unités sont supposées fonctionner avec un degré de prévention plus élevé (bio-exclusion) ; les oiseaux vivants ne seraient peut-être donc pas les seuls vecteurs d'introduction du virus. Dès que les zones d'élevages industriels à haute densité sont touchées, l'infection peut se propager très rapidement entre unités, et les énormes quantités de virus produites peuvent être aisément transmises à d'autres unités, à l'homme et à l'environnement. Le cycle de transmission, très hypothétique, décrit ici peut être résumé comme le passage du virus « de voies aériennes à des routes et chemins terrestres ». La FAO avance certains éléments d'explication comme « la présence de réserves forestières et de points d'eau naturels dans les zones de production, le mouvements des animaux, la contamination des camions, des aliments pour l'élevage et d'autres équipements, et bien entendu, l'hygiène des exploitations »41.

Devant la mission, M. Joseph Domenech a fait observer que la communauté internationale devra à terme « déterminer les différentes options de restructuration du secteur avicole et mettre au point des modalités de reconstitution des cheptels ».

Mélange d'espèces

Certains modes d'élevage, mélangeant des espèces dont la symptomatologie à l'égard de la maladie est diverse, ont également été mis en cause, notamment par M. Joseph Domenech : « Les études dites d'analyse de risque ont mis en parallèle des informations de tous ordres - situations sanitaires, modes d'élevage, etc. - afin d'arriver à des explications. Fin 2004, au bout d'un an, les études ont mis en évidence l'existence d'un lien réel entre les élevages de canards en milieu ouvert et la grippe aviaire : les systèmes d'élevage de canards en plein air, qui se transportent par milliers d'un champ à l'autre, après les récoltes de riz, sont un des réservoirs majeurs du virus en Asie, qui se maintient ainsi, en plus, à bas bruit car, à la différence des autres volailles, seule une partie des canards expriment la maladie. Les études menées au Vietnam ont abouti exactement aux mêmes conclusions, à tel point que l'on a pu prédire où arriverait la maladie. »

3.-2. Des facteurs favorables à la propagation du virus

Les éléments d'analyse qui précèdent valent pour l'installation du virus en Asie du Sud-Est. Mais comment expliquer selon les termes de M. Philippe Vannier, la « globalisation (d'un) phénomène jusqu'alors relativement localisé » ? Sur ce point, une large part d'incertitude demeure et M. Joseph Domenech avait mis en avant les « zones grises » qui subsistent encore sur « l'épidémiologie de l'influenza aviaire ». Si le rôle du négoce de volailles dans la propagation du virus est apparu évident dès le début de l'épizootie, ce n'est qu'à partir de 2005 que le rôle de la faune sauvage a été envisagé. Depuis, les scientifiques sont de plus en plus convaincus que la faune sauvage migratrice porte et transporte le virus sous sa forme hautement pathogène, l'introduisant dans des populations de volailles situées sur leurs voies de migration. Pour autant, les responsabilités respectives du négoce et de la faune sauvage ne sont pas encore clairement établies, comme l'a fait remarquer M. Philippe Vannier : « Nous ne savons pas tout, notamment sur l'évolution de la situation épidémiologique, qu'il s'agisse de la faune sauvage, des mouvements d'animaux ». Mme Sylvie Van der Werf42 a manifesté la même prudence : «  Les oiseaux migrateurs jouent sans doute un rôle mais il y a aussi les activités humaines avec le commerce mondial. Il y a aussi les déplacements par le biais des roues de voitures ou semelles de chaussures. Le schéma actuel de développement de l'épidémie ne colle pas avec une contamination strictement liée aux migrateurs. Personne n'a une vision parfaitement claire des voies de la diffusion mondiale du virus ». L'évolution de l'épizootie en Turquie illustre bien la difficulté qu'il y a d'établir une ligne de partage entre les deux causes de propagation du virus, qui sont au demeurant parfois concurrentes. Ainsi, dans ce pays, M. Joseph Domenech a distingué les premiers foyers survenus à l'automne 2005 dans l'Ouest, « clairement liés à la faune sauvage » et les foyers du début de l'année 2006, dans l'extrême Est, liés aux « circuits classiques de transports commerciaux ».

a) le négoce, légal ou clandestin, facteur de propagation du virus

Le rôle du négoce est double. Il est tout d'abord source de diffusion de la maladie d'un foyer initial sur une zone relativement délimitée géographiquement : les marchés d'animaux vivants ont largement contribué à la propagation du virus en Asie. Il est, ensuite, l'un des éléments d'explication de la capacité du virus à se déplacer d'une zone à une autre beaucoup plus éloignée. Compte tenu des spécificités du virus précédemment décrites (résistance, mode de contamination par le biais de matières, d'équipements ou de véhicules souillés...), les échanges commerciaux, par les mouvements qu'ils induisent, sont autant d'occasions pour le virus de se diffuser dans l'environnement. Le commerce aussi bien des oiseaux domestiques que des oiseaux sauvages destinés notamment aux oiselleries a en effet connu, au cours de la dernière décennie, une large progression et que les axes de communication se sont multipliés.

Plus généralement, les échanges internationaux contribuent, de façon significative, à la propagation internationale de la maladie. De l'audition de M. Didier Houssin43, il ressort très clairement que l'un des modes de propagation de l'épizootie est lié aux « transferts d'animaux dans le cadre d'opérations commerciales plus ou moins organisées ». Il constatait ainsi que la propagation du virus suivait la ligne du transsibérien, le long duquel s'effectuent des transports d'oiseaux, ce qui expliquerait l'élargissement de la zone d'épizootie vers l'Europe. Telle est aussi l'analyse de M. Philippe Vannier, pour lequel une des causes les plus importantes de l'extension de l'épizootie « mais souvent la moins connue, reste le négoce, autrement dit le commerce d'oiseaux vivants, légal ou illégal. La situation en Sibérie, telle que l'analyse l'AFSSA, apparaît à cet égard très troublante : les cas recensés au Kazakhstan, en Mongolie, en Sibérie et tout récemment à Toula suivent non pas les routes des oiseaux migrateurs, mais la ligne du transsibérien ! ».

Concernant l'arrivée du virus H5N1 en Afrique, certains experts formulent l'hypothèse selon laquelle les cas de grippe aviaire découverts en février au Nigeria seraient la conséquence d'importations de volailles vivantes infectées par le virus. M. Samuel Jutzi, directeur du département production animale à la FAO, observe ainsi : « Il est possible que le virus se soit installé au Nigeria, loin des sites habituels des oiseaux sauvages ». Selon les statistiques des Nations Unies, ce pays importe, en effet, tous les ans près d'1 million de poussins, pour alimenter de nombreux élevages familiaux qui représentent près de 60% de la production de poulets du pays et des élevages industriels. Or, le Nigeria a bénéficié du support technique de la Chine pour développer son industrie de la volaille. Les importations de poussins et de poulets vivants en provenance de Chine sont officiellement bannies depuis 2004, mais il se pourrait que de nombreux volatiles continuent à arriver dans le pays par des filières illégales.

Le rôle du négoce dans l'introduction de souches pathogènes du virus dans un pays justifie donc les mesures drastiques prises pour empêcher toute importation d'animaux vivants et de produits animaux en provenance de pays contaminés.

Cependant, ces mesures peuvent être détournées, et le rôle spécifique du commerce illégal d'oiseaux (espèces exotiques destinées aux oiselleries, oiseaux domestiques, oiseaux destinés aux élevages de gibier) dans la propagation de l'épizootie, esquissé par M. Didier Houssin dans sa formule  « opérations commerciales plus ou moins organisées » et confirmé explicitement par M. Philippe Vannier, a été vigoureusement dénoncé devant la mission par M. Allain Bougrain-Dubourg44 : « Les trafics illégaux d'animaux contribuent de façon significative à la propagation de la maladie. Rappelons, à ce titre, que les transports illégaux d'animaux sont soupçonnés d'être à l'origine de l'apparition de foyers aviaires dans 14 provinces d'Indonésie... ». La Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) estime à environ cinq millions le nombre  «d'oiseaux, acheminés clandestinement à partir d'Asie du Sud-Est, d'Afrique ou d'Amérique du Sud vers l'Europe, et transportés dans des conditions extrêmes de promiscuité et d'hygiène ». Le risque de contamination est d'autant plus grand que le commerce illégal échappe, par définition, à tout contrôle.

b) la faune sauvage comme vecteur de propagation à longue distance

-- Des soupçons ont attiré l'attention de la mission

M. Joseph Domenech a souligné, devant la mission, que l' : « on a soupçonné [les oiseaux migrateurs]de jouer un rôle dès le début de la crise : comment, sinon, expliquer qu'une dizaine de pays aussi éloignés que le Vietnam et le Japon aient pu être touchés en l'espace de deux ou trois mois ? Les circulations commerciales ou humaines ne pouvaient expliquer à elles seules le phénomène ».

Ces soupçons ont été progressivement confirmés par les faits à partir de la mi-2005. Les travaux de la mission ont donc débuté à un tournant de l'épizootie, à l'automne 2005, à un moment où l'hypothèse que les oiseaux migrateurs soient l'un des vecteurs du virus H5N1 était considérée comme probable, mais pas forcément démontrée. L'absence de recul scientifique sur les événements explique ainsi que des positions parfois divergentes aient pu être soutenues au cours des auditions auxquelles la mission a procédé.

Depuis, si certains éléments ont pu être établis avec certitude, beaucoup d'inconnues demeurent encore sur le statut virologique des oiseaux migrateurs sauvages. Pour M. Joseph Domenech, au-delà d' « évidences épidémiologiques claires (...), il reste encore beaucoup de questions auxquelles on ne sait pas répondre. Le risque lié à la faune reste mal apprécié et personne ne peut prédire ce qui se passera ». Quant à M. Bernard Vallat, il estime que : « tant que nous n'aurons pas accumulé des données scientifiques sur le statut virologique des oiseaux aquatiques et migrateurs sauvages, nous aurons du mal à hiérarchiser les actions qui doivent être menées »45. Au cours de la réunion qui s'est tenue les 27 et 28 février 2006 dernier à Paris au siège de l'OIE, les experts ont constaté que « les connaissances sur le vecteur de la grippe aviaire restent très modestes » et ont recommandé  « d'accélérer les recherches sur le rôle des oiseaux sauvages, notamment migrateurs ». Aussi, la mission sera-t-elle particulièrement attentive aux résultats de la conférence internationale des experts, qui se réunira à Paris en juin 2006 pour faire le point des connaissances sur la question. Ce sont, en effet, les réponses à ces interrogations qui fourniront les éléments nécessaires pour décider de mesures adaptées aux nouvelles données de l'épizootie, car, comme l'a fait remarquer M. Didier Houssin, « les oiseaux ne sont pas comme les nuages atomiques : ils franchissent les frontières... ».

Si des évidences épidémiologiques se sont imposées, il a fallu que soit confirmée scientifiquement l'hypothèse d'un portage sain du virus H5N1 par la faune sauvage.

-- Des évidences épidémiologiques

- La faune sauvage est de plus en plus atteinte par le virus H5N1

Dès la mi-octobre 2004, la possibilité pour la faune sauvage d'être infectée par le virus a été nettement mise en évidence quand, en Belgique, les autorités aéroportuaires ont saisi deux aigles montagnards introduits clandestinement sur un vol en provenance de Thaïlande : les tests pratiqués sur les deux oiseaux ont été positifs pour le H5N1 hautement pathogène. Des éléments le confirmant se sont précisés à partir de la mi-2005, devenant par la suite de plus en plus probants.

A la fin d'avril 2005, sur le lac Quinhai, dans une zone marécageuse isolée du centre de la Chine, 5000 à 6000 oiseaux migrateurs sont morts en quelques semaines. Cet événement, tout à fait inhabituel et largement inexplicable à l'époque, a attiré l'attention des scientifiques, qui ont livré récemment les résultats de leurs travaux46 .

Depuis, le phénomène a pris de l'ampleur et a particulièrement été mis en évidence en Europe, où il est rare qu'un jour se passe sans qu'un oiseau sauvage ne soit trouvé mort victime du virus H5N1. Mme Ilaria Capua, chef du laboratoire de référence de Venise pour l'OIE, constatait d'ailleurs récemment que « c'est la première fois que l'on voit la grippe aviaire s'étendre à tant d'oiseaux sauvages »47 . S'agissant des espèces touchées, on notera que les oiseaux aquatiques (oies, canards, cygnes, laridés comme les goélands et les mouettes) sont une cible privilégiée pour le H5N1, en raison de leur biotope (les plans d'eau douce et saumâtre constituent des haltes migratoires pour leur nourrissage et leur reproduction), qui offre au virus de bonnes conditions de conservation et d'excrétion (importante par voie cloacale et contaminant ainsi les eaux de surface). Mais toutes les espèces sauvages sont maintenant susceptibles de porter le virus, ainsi que l'atteste l'apparition de cas de pigeons ou de passereaux infectés. Aujourd'hui, le virus est présent dans la faune sauvage dans presque tous les pays d'Europe, ainsi qu'en atteste le nombre important de cygnes morts. Selon M. Jean-Luc Guérin, maître de conférence à l'école nationale vétérinaire de Toulouse et membre du groupe national d'experts « Pestes aviaires » au ministère de l'agriculture, cette mortalité élevée chez des cygnes est révélatrice de la présence virale dans la faune sauvage. En effet, les cygnes sont une espèce partiellement migratrice qui est « vraisemblablement une victime de la circulation du virus dans des espèces moins sensibles avec lesquelles il partage les plans d'eau »48 .

Les relations entre les zones d'épizootie et les flux migratoires

Certaines des caractéristiques de la répartition régionale du virus peuvent s'expliquer par les déplacements des oiseaux aquatiques sauvages qui « migrent par les voies occidentales et centrales de l'Asie (routes migratoires reconnues reliant le nord de la Chine et de la Sibérie au sud-est, au sud et à l'ouest de l'Asie »49. Ainsi, depuis la fin juillet 2005, le virus s'est propagé en dehors de son foyer initial en Asie et a d'abord affecté les volailles et les oiseaux sauvages en Russie et dans les régions adjacentes du Kazakhstan ; presque simultanément, la Mongolie a signalé la détection du virus hautement pathogène chez des oiseaux sauvages. Des foyers aviaires ont, depuis, été repérés dans la région de Toula au Sud de Moscou, en Ukraine, en Roumanie, en Croatie et en Turquie. Pour M. Joseph Domenech, ce scénario d'expansion géographique claire et nette était largement prévisible, au regard des cartes des migrations et des couloirs migratoires. Ainsi qu'il l'a souligné devant la mission : « L'épisode du lac Quinhai, première alerte sérieuse, a été suivi d'une extension sur le Kazakhstan et en Mongolie, où là encore, des oiseaux migrateurs ont été massivement atteints, sans contact immédiat avec des volailles. En juillet, nous avons alerté la communauté internationale sur une possible extension vers le Sud et l'Ouest à l'occasion des périodes de migration, autrement dit à partir de la fin de la période de nidification, octobre novembre, jusqu'à maintenant. Et malheureusement, des foyers sont bien apparus en Roumanie, Croatie, Turquie, Ukraine, et l'épizootie continue à progresser sur les parties occidentales de la Russie ».

M. Didier Houssin a fait la même analyse devant la mission : « la zone d'épizootie n'a cessé de s'élargir et, surtout, de nouveaux foyers sont apparus en Turquie, en Roumanie et en Croatie, qui ont donné beaucoup plus de poids à l'hypothèse d'un rôle des oiseaux migrateurs dans la propagation. La planète a, du reste, découvert la réalité de ces voies de migration, jusqu'alors seulement connues de quelques ornithologues et spécialistes du Museum d'histoire naturelle... ». Sa crainte que « cette hypothèse [ne soit] encore renforcée si, par malheur, de nouveaux foyers apparaissaient en Afrique ou au Moyen-Orient » s'est malheureusement confirmée.

M. Philippe Vannier a attiré l'attention de la mission sur les relations entre ces flux migratoires et l'apparition des foyers aviaires, indiquant que « les cas relevés en Roumanie et en Turquie, pays traversés par des flux migratoires, s'articulent bien avec les cas apparus plusieurs mois auparavant en Sibérie orientale, en Mongolie et au Kazakhstan», et suivent le flux migratoire « mer Caspienne-Est Afrique ». Par ailleurs, le foyer découvert tout récemment à Toula, au sud de Moscou, pourrait découler d'une contamination par un flux migratoire différent de celui cité plus haut, dit « mer Noire - Méditerranée » ou encore « Est-Atlantique ».

Sur ces deux flux migratoires et sur leur lien direct avec l'élargissement de la zone d'épizootie, il a toutefois posé deux interrogations. S'agissant, tout d'abord, du flux « Mer Caspienne-Est Afrique », il a observé que « la mission dépêchée par l'OIE au Kazakhstan, en Mongolie et en Sibérie rapporte très clairement que les foyers observés dans ces zones ne correspondent pas au démarrage des flux migratoires. Ce qui soulève des questions, mais sans forcément apporter de réponses claires ». En ce qui concerne le flux « mer Noire-Méditerranée », il a relevé que l'hypothèse d'une contamination de ce flux « pose bon nombre de questions qui n'ont pas reçu de réponse : c'est en avril-mai et non en octobre, date à laquelle la majorité des espèces ont déjà migré, que l'apparition de ces foyers aurait dû logiquement survenir. Quoi qu'il en soit, à défaut de réponses certaines, la plus grande prudence est de mise, prudence qui inspire d'ailleurs les deux avis émis par l'AFSSA les 19 et 21 octobre derniers ».

-- L'hypothèse d'un portage sain du virus H5N1 pathogène par les oiseaux sauvages : un débat désormais clos

Le point qui a focalisé les interrogations et les controverses était de savoir dans quelle mesure les oiseaux migrateurs peuvent être infectés par le virus H5N1 et le propager sur une large zone, autrement dit s'ils peuvent être porteurs sains (c'est-à-dire sans symptômes) du virus, ou tout au moins s'ils sont capables de le transporter sur de longues distances, pendant un délai d'incubation suffisamment long, et être ainsi un des vecteurs de transmission de l'épizootie.

Ce portage marque une évolution dans les relations entre le virus et ses hôtes naturels

Si la possibilité de portage du virus par la faune sauvage a été difficile à admettre, c'est parce qu'elle est la marque d'« une évolution dans la relation stable jusque là entre le virus H5N1 et son réservoir naturel chez l'oiseau sauvage »50.

Les oiseaux sauvages sont en effet des hôtes naturels des virus grippaux non pathogènes, comme on l'a vu plus haut, ainsi que l'a rappelé M. Philippe Vannier lors de la table ronde du 8 mars 2006 : « On sait depuis plusieurs années que la faune sauvage est porteuse du virus H5N1 - et autres - non pathogène. Nous l'avons trouvé dans des les plans d'épidémiosurveillance avec une prévalence de quelques pour cent, rarement plus de 3% des échantillonnages ». Cependant, et de l'avis général des scientifiques, avant 2005, il était peu fréquent que des oiseaux sauvages meurent d'une infection par un virus de la grippe aviaire hautement pathogène : dans de très rares cas, des virus pathogènes avaient été isolés chez des oiseaux migrateurs, généralement trouvés morts à proximité de volailles touchées par une flambée. Mme Barbara Dufour a ainsi exposé, devant la mission, un processus de vaccination naturelle : « Des enquêtes anciennes sur des virus faiblement pathogènes ont bien montré que le taux d'infection des oiseaux migrateurs, en particulier des ansériformes, était très élevé dans le Nord et très faible dans le Sud, comme s'ils se débarrassaient du virus au cours de leur migration. Les virologistes ont émis plusieurs hypothèses, parmi lesquelles les deux suivantes : les virus se conservent mieux dans des eaux froides et douces que dans des eaux chaudes et salines ; les oiseaux naissent dans le Nord et sont donc immunologiquement plus costauds lorsqu'ils arrivent dans le Sud ». Cette thèse a également été développée par M. Philippe Vannier lors de son audition : « On sait, dans le cas d'autres espèces animales, et lorsque la faune sauvage est stable, que lorsqu'une souche est très pathogène, ou bien elle tue, ou bien elle immunise : dans un cas comme dans l'autre, elle se stérilise progressivement ». Pour ces raisons, l'OMS indiquait que les oiseaux sauvages n'ont pas été, tout au moins au début de l'épizootie, « des agents de la transmission en aval »51.

Le virus faiblement pathogène porté par les oiseaux sauvages a progressivement acquis un caractère pathogène au contact des volailles domestiques et par la suite, les interactions entre les espèces sauvages et domestiques ont abouti à la contamination de la faune sauvage. M. Philippe Vannier, poursuivant sa démonstration, a décrit le processus : « Il en va tout autrement lorsque la faune sauvage n'est pas stable, c'est-à-dire lorsqu'il y a des intrants et des sortants. Il suffit que le réservoir demeure pendant quelques semaines à quelques mois pour que les intrants se recontaminent et régénèrent par leurs excrétions une source nouvelle de virus. La dynamique des populations complique extraordinairement la relation hôte-virus, au point que je suis incapable de dire ce qui va se passer dans la Dombes ».

Quand bien même la possibilité pour la faune sauvage d'être infectée par le virus H5N1 était établie, des doutes subsistaient sur la capacité des oiseaux à porter le virus sur de longues distances, comme le faisait remarquer M. Philippe Vannier : « la forte mortalité relevée chez les oiseaux migrateurs ne correspond pas à une explication cohérente du rôle des oiseaux migrateurs dans une transmission à longue distance : lorsqu'on a la grippe, on ne va pas courir un marathon... On imagine mal un oiseau manifestant des signes cliniques d'infection voler sur des milliers de kilomètres ». M. Jean-Roch Gaillet52  avait été plus catégorique devant la mission : « Avec le H5N1, il ne peut y avoir de portage sain sur un oiseau sauvage ». La position de M. Allain Bougrain-Dubourg fut beaucoup plus nuancée : « On a rendu des oiseaux migrateurs responsables de l'infection de certaines zones avant de s'apercevoir que les oiseaux soupçonnés n'étaient pas référents : ou bien ils étaient en période de mue, donc ils ne volaient pas, ou bien ils allaient dans d'autres directions... Rien ne prouve que les migrateurs infectés l'aient été en transportant le virus : les zones où l'on a retrouvé le plus d'oiseaux morts coïncident avec celles où l'on trouve de fortes concentrations d'élevage. Ajoutons qu'un oiseau meurt au bout de trois jours, un canard en huit, quinze jours au grand maximum : dans tous les cas, ils sont dans l'incapacité de faire un vol migrateur de cinq à six mille kilomètres. Je parle évidemment du virus H5N1 hautement pathogène et non de virus « simples » dont les oiseaux sont fréquemment porteurs. On pourra me démontrer le contraire. Notre position est la suivante : on ne dit pas que les oiseaux migrateurs ne peuvent pas véhiculer le virus H5N1 ; mais si cela est arrivé, c'est dans des zones d'élevages concentrés ; au surplus, les oiseaux n'ont pas la capacité physiologique de se déplacer dès lors qu'ils sont infectés ».

La possibilité de portage sain du virus a été scientifiquement établie

Dans une note d'information transmise à la mission d'information, M. Jean Hars, vétérinaire à l'Office national de la chasse et de la faune sauvage, responsable de la division maladies transmissibles, fait état d'un rapport de l'OIE du 14 octobre 2005, qui indiquait qu'en Sibérie occidentale, dans la région où de nombreux foyers étaient apparus durant l'été, le virus H5N1 avait été isolé sur des oiseaux tués à la chasse, donc apparemment sains ou a minima capables de voler. Il en concluait que « ces données permettent d'émettre l'hypothèse d'un portage sain ou apparemment sain de virus H5N1 par des oiseaux sauvages ».

Cette constatation empirique a été validée par des études scientifiques. M. Philippe Vannier a ainsi cité, devant la mission, les travaux du professeur Webster, « qui a inoculé les souches isolées à Hong Kong entre 1997 et 2003 à des lots de canards, dont un quart n'a pratiquement pas manifesté de signes cliniques. (Ces travaux) tendent à prouver l'existence d'une résistance chez certaines espèces, et, sans doute aussi, la présence de « porteurs sains », autrement dit d'animaux capables d'héberger le virus, de le multiplier et de le transmettre, sans en être victimes eux-mêmes ».

A la mi-février, les résultats d'une étude publiée par une équipe internationale de virologues53 - au nombre desquels figure le Professeur Peiris, dont le rôle a été fondamental dans la mise en évidence du virus du SRAS, et que votre Rapporteur a rencontré à Hong Kong -  fait apparaître que « 6 souches H5N1 hautement pathogènes ont été détectées chez des canards sains du sud de la Chine juste avant leur migration vers le nord, ce qui indique qu'ils ont pu transmettre le virus au cours de leur déplacement. On peut donc faire le lien entre les cas survenus aux portes de l'Europe et ceux du sud de la Chine. De plus, lorsqu'on infecte expérimentalement des canards domestiques avec du virus H5N1 prélevé chez des canards sauvages apparemment sains, la majorité survivent et excrètent du virus jusqu'à une semaine après l'infection ». De surcroît, cette étude, en comparant les virus responsables de différentes flambées aviaires, a établi que les souches provenant des pays les plus récemment touchés, tous situés le long des voies de migration, et notamment la Turquie, étaient identiques à plus de 99 % de leur génôme à celles découvertes sur les oiseaux migrateurs morts au lac Qinghai.

Lors de la table ronde du 8 mars 2006, qui concluait le cycle des auditions de la mission consacrées à l'épizootie, M. Philippe Vannier a été formel : « Le rôle des oiseaux sauvages dans le portage du H5N1, dont on doutait encore jusqu'en octobre, ne fait désormais plus aucun doute : c'est une évidence, ce qui doit nous conduire à envisager plusieurs scénarios possibles pour l'avenir ».

Les oiseaux migrateurs, porteurs de la maladie, peuvent donc disséminer le virus, d'autant plus que le délai d'incubation décrit par l'étude précitée est largement suffisant pour permettre aux oiseaux migrateurs de se déplacer sur des milliers de kilomètres ; Mme Barbara Dufour a rappelé devant la mission qu'« un oiseau est capable de parcourir des centaines, voire des milliers, de kilomètres en quelques jours ».

Quelles perspectives pour le printemps en Europe?

Une importante mortalité a été constatée cet hiver dans la faune sauvage en Europe. Comme le note l'AFSSA dans son avis du 14 février 200654, ce phénomène s'explique par la vague de froid intense ayant sévi cet hiver en Sibérie, qui a poussé les oiseaux à quitter la zone de la mer Noire et de la mer Caspienne pour gagner des zones européennes aux températures plus clémentes. Les voies de migration habituelles ne sont pas ici en cause.

En revanche, la menace peut venir des remontées d'oiseaux migrateurs en provenance d'Afrique au tout début du printemps. L'Afrique est un lieu d'hivernage non seulement pour les oiseaux ouest-européens, mais aussi pour les populations venues d'Asie et d'Europe de l'Est. La contamination pourrait se faire sur les lieux d'hivernage, en l'occurrence des zones humides où tous les oiseaux se rassemblent. Au début du printemps, les oiseaux européens contaminés pourraient, en regagnant leurs zones d'origine, transporter le virus H5N1 et ainsi contaminer des oiseaux domestiques.

Il est donc indispensable de détecter ce risque par une surveillance de la faune sauvage sur ce continent, nécessité d'autant plus impérieuse depuis que des foyers d'influenza aviaire ont été constatés dans des élevages au Nigeria, au Niger, en Égypte et au Cameroun.

M. Emmanuel Camus55 a exposé à la mission le rôle de vigie joué par le CIRAD et les modalités des campagnes de surveillance qu'il réalise en Afrique, avec le soutien de la France. Cet organisme a dépêché des équipes sur chaque zone sensible, où sont concentrés les oiseaux migrateurs, pour déterminer s'ils sont porteurs du H5N1. Ces équipes sont ainsi intervenues au Mali, dans la boucle du Niger, en Éthiopie, dans la vallée du Rift, aux bords du lac Tchad, au Maroc et en Mauritanie. Cependant, compte tenu des difficultés pour réaliser cette surveillance, évoquées plus haut, les premiers résultats d'analyses de laboratoires ne seront disponibles qu'à la fin du mois de mars 2006.

Dans l'attente de ces résultats, la plus grande prudence est de mise pour l'ensemble des pays concernés par les migrations de printemps, même si l'on peut entendre la note d'espoir apportée par M. Bernard Vallat lors de son audition : « Nous pensons que la circulation du virus chez les oiseaux sauvages ne sera que temporaire, comme cela s'est toujours produit avec les autres souches d'influenza aviaire depuis des siècles : les oiseaux sauvages finissent par s'adapter et s'en débarrasser. Reste à savoir combien ce phénomène cyclique prendra de temps ».

B. LA DIFFICILE MAITRISE DE L'EPIZOOTIE REND INDISPENSABLES LA SOLIDARITE ET LA COORDINATION INTERNATIONALES

Les spécificités du virus H5N1 - sa virulence, sa stabilité, sa résistance - exigent l'application rapide et stricte de mesures de lutte contre les foyers de grippe aviaire. En outre, ces mesures doivent être adaptées aux modalités de propagation du virus et prendre en compte les nouvelles données relatives au rôle de la faune sauvage.

Des préconisations de lutte contre l'épizootie existent ; elles ont été établies par les grandes organisations internationales, comme l'OIE. Quand elles sont appliquées, elles donnent des résultats probants. Par contre, dans des pays où la volonté politique ou les moyens, financiers ou structurels font défaut, l'épizootie ne peut être maîtrisée, entraînant des conséquences d'autant plus graves que, comme que le soulignait M. Bernard Vallat devant la mission : « un seul pays défaillant peut mettre en danger tous les autres ».

Il importe que la communauté internationale tire les leçons de ce qui s'est passé en Asie où les mesures de lutte n'ont pas été prises à temps, favorisant ainsi une large extension de l'épizootie, et se mobilise très fortement pour l'Afrique dont M. Bernard Vallat « a le sentiment qu'elle s'installe dans l'endémicité », ainsi qu'il l'a déclaré devant la mission.

1. Une application inégalement efficace des préconisations de lutte contre la maladie animale

1.-1. Les préconisations internationales pour traiter l'épizootie : un souci de rigueur et de pragmatisme

Depuis le début de l'épizootie de grippe aviaire, jamais les travaux des deux grandes organisations regroupant « tous les grands pays ayant des activités liées à l'élevage »56  que sont l'OIE57, créée en 1924 à l'initiative de la France, et la FAO, ne se sont autant trouvés au coeur de l'actualité et n'ont alimenté les termes du débat public. Ces deux organismes ont des compétences qui se recouvrent, l'OIE étant spécifiquement dédiée à la santé et au bien-être des animaux, la FAO se consacrant, pour sa part, à la production animale.

a) Le rôle de l'OIE et de la FAO

Ces deux organismes ont signé le 24 mai 2004 un accord de partenariat visant à coordonner leurs actions en matière de lutte contre les maladies animales, dans le cadre de leurs mandats respectifs. Au terme de cet accord, l'OIE met « en place des normes, directives et recommandations relatives aux maladies animales et aux zoonoses, conformément aux dispositions de l'accord SPS58  de l'OMC » ; la FAO élabore, pour sa part, des directives et des recommandations sur les « bonnes pratiques agricoles liées à la gestion des maladies animales et zoonoses59 ».

C'est donc au premier chef l'OIE qui est investie du pouvoir « normatif » en matière de politique sanitaire animale au niveau mondial. Ses prescriptions sont élaborées au sein de quatre commissions spécialisées, avec l'aide de « 170 laboratoires de référence et centres collaborateurs et (...) la collaboration d'experts scientifiques issus de tous les pays membres »60, et sont répertoriées dans deux codes : le code des animaux terrestres et le code des animaux aquatiques. L'influenza aviaire fait l'objet d'un chapitre et d'une annexe dans le code des animaux terrestres, ainsi que d'une fiche technique. Ces textes constituent, toutefois, davantage des préconisations que des normes juridiques : ils n'ont pas en eux-mêmes un caractère obligatoire ; seule la déclaration de maladie est une formalité obligatoire. Le caractère obligatoire de ces textes est toutefois indirect, car l'accord SPS confère aux normes, directives et recommandations édictées par l'OIE un caractère de référence dans les échanges entre les Etats membres de l'OMC. M. Bernard Vallat l'a rappelé devant la mission : « « L'OMC nous reconnaît pour édicter les normes visant à assurer la sécurité du commerce mondial des animaux et de leurs produits ». Ce n'est qu'en mettant en œuvre les préconisations de l'OIE que les pays membres peuvent être déclarés indemnes de grippe aviaire dans le cadre l'accord SPS. Le caractère normatif des règles posées par l'OIE en matière de lutte contre l'épizootie se déduit donc de l'obligation de résultat (statut indemne).

Les textes de l'OIE servent de base aux réglementations nationales et régionales ; comme, par exemple, la directive communautaire n° 2005/94/CE du Conseil européen du 20 décembre 2005 concernant des mesures communautaires de lutte contre l'influenza aviaire.

Dans le cadre de leur collaboration définie précédemment, l'OIE et la FAO ont adopté, en novembre 2005, un document définissant une stratégie globale pour un contrôle progressif de la grippe aviaire hautement pathogène (« A global strategy for the progessive control of highly pathogenic avian Influenza ») qui reprend l'ensemble de leurs préconisations.

Il importe de noter que toutes ces mesures doivent être adaptées en fonction de la situation locale. Ainsi, il est indiqué en préalable au chapitre 3-8-9 du code des animaux terrestres que « l'influenza aviaire a des répercussions et une épidémiologie très variables selon les régions du monde, et il est donc impossible de proposer des lignes directrices spécifiques applicables à toutes les situations potentielles ». Telle est aussi l'analyse de la FAO, pour laquelle « il n'existe pas de solution unique à toutes les situations et le défi consiste à trouver l'équilibre qui permet de choisir des mesures de contrôle efficaces, réalisables et socialement acceptables protégeant à la fois les moyens de subsistance des éleveurs à court et à long terme, et la santé publique ».

C'est pourquoi les « préconisations n'entrent pas dans le détail des politiques choisies par chaque État », comme l'a souligné M. Bernard Vallat, pour lequel toutefois est essentiel le respect d'une « règle d'or » à laquelle les pays ne devraient pas déroger, compte tenu des caractéristiques épidémiologiques du virus : assurer la détection précoce de la maladie et une réponse rapide des autorités sanitaires. Selon lui, « La rapidité de la réponse exige des plans d'urgence préétablis, comme en France, afin que chacun soit à son poste et sache ce qu'il doit faire dès que sera déclenchée la situation d'urgence, soit prêt à circonscrire le foyer pour que le virus ne puisse pas diffuser. C'est la règle d'or ».

Une seule obligation s'impose aux États : la déclaration des foyers domestiques de grippe aviaire. En effet, l'une des principales missions de l'OIE est de collecter et de diffuser des informations à caractère scientifique et épidémiologique sur la situation zoosanitaire mondiale ; pour cela, elle gère un système mondial d'information zoosanitaire, basé sur l'engagement des pays membres de déclarer les principales maladies animales. Ces déclarations se font sur la base d'une liste de maladies notifiables, parmi lesquels figure l'influenza aviaire hautement pathogène. Une procédure d'alerte et de suivi informe la communauté internationale des événements épidémiologiques pertinents survenus dans les pays membres, et le point sur la situation de l'influenza aviaire est fait chaque jour, à partir des notifications immédiates venant des pays membres. Cette liste doit, en principe, correspondre à une situation réellement constatée, mais, comme l'a fait observer M. Bernard Vallat, il existe des « dissimulations » qui sont le fait de « pays voyous ».

On notera que la définition de l'influenza aviaire à déclaration obligatoire se réfère exclusivement à l'infection chez les volailles61, l'OIE considérant que « par essence, aucun pays ne peut se déclarer indemne d'influenza aviaire chez les oiseaux sauvages ». Cependant, compte tenu de la probabilité accrue de rencontres d'oiseaux domestiques avec des oiseaux sauvages susceptibles de les contaminer, l'OIE recommande maintenant, sans toutefois l'imposer, la déclaration de cas de détection du virus H5N1 dans la faune sauvage.

Dans la mesure où il n'existe aucun traitement contre l'influenza aviaire, les seules actions possibles sont la prévention de l'apparition du virus ou son élimination. Aussi les préconisations de l'OIE s'articulent-elles autour de trois axes majeurs : la surveillance, les mesures de biosécurité et la vaccination, chacun correspondant à une gradation dans le niveau de l'épizootie. Sachant, comme l'a fait valoir M. Bernard Vallat devant la mission, « qu'il n'est pas possible de contrôler directement le virus sur les oiseaux sauvages », ces « stratégies de prévention et de contrôle » consistent principalement à « agir sur les oiseaux d'élevage ».

b) Les normes de surveillance

La surveillance est un élément déterminant de la lutte contre l'épizootie, dans la mesure où elle rend possible la détection précoce des cas d'infection. La riposte peut ainsi être mise en œuvre le plus rapidement possible. La surveillance doit permettre de valider les cas de suspicion dans un délai le plus court possible (selon M. Bernard Vallat, il ne doit pas être supérieur à 48 heures pour un maximum d'efficacité).

Cette surveillance doit être adaptée aux situations locales et prendre en compte les facteurs de risque tels que la fréquence des contacts entre les volailles et les oiseaux sauvages, les différents niveaux de biosécurité, les systèmes de production ou le regroupement de différentes espèces sensibles, y compris des oiseaux d'eau domestiques. Si les pays disposent donc d'une grande marge de manœuvre, des lignes directrices sont cependant posées s'agissant de l'organisation administrative de cette surveillance et de ses modalités.

Le système de surveillance doit être placé sous la responsabilité de l'administration vétérinaire, qui doit notamment inclure les composantes suivantes : un système officiel permanent, afin de pouvoir détecter l'influenza aviaire à déclaration obligatoire et mener les investigations nécessaires ; une procédure assurant le recueil rapide des prélèvements provenant des cas suspectés d'influenza aviaire à déclaration obligatoire et leur transport, dans les meilleurs délais, vers un laboratoire apte à réaliser les tests nécessaires au diagnostic de la maladie ; un système d'enregistrement, de gestion et d'analyse des données de diagnostic et de surveillance.

Le programme de surveillance de l'influenza aviaire inclut impérativement un système d'alerte précoce sur l'ensemble de la chaîne de production, de commercialisation et de transformation, afin d'assurer la déclaration des cas suspects. Ce système repose sur les éleveurs et les agents zoosanitaires au contact quotidien des volailles qui sont tenus de signaler toute suspicion d'influenza aviaire. Dans cette tâche, ils sont aidés par l'administration vétérinaire ainsi que par les vétérinaires du secteur privé et des personnels para- vétérinaires. Toutes les suspicions doivent faire l'objet d'un examen immédiat et, si le cas ne peut être résolu par les investigations épidémiologiques ou cliniques, il y a lieu de soumettre les prélèvements à un laboratoire agréé.

Les stratégies de surveillance visant à identifier l'infection doivent être exercées en permanence et combiner surveillance passive et surveillance active. Trois types de surveillance coexistent :

- la surveillance clinique ne doit pas être sous-estimée car elle constitue le premier maillon de la chaîne de surveillance, ainsi que l'a rappelé M. Philippe Vannier devant la mission : « ce sont les symptômes cliniques qui alertent en premier lieu ». L'OIE insiste sur l'importance « du suivi des paramètres de production (accroissement de la mortalité, diminution de la consommation de nourriture ou d'eau, présence de signes cliniques d'affection respiratoire ou chute de la production d'œufs) [qui] est essentiel à la détection précoce de l'infection par le virus de l'influenza aviaire à déclaration obligatoire. La chute de la consommation de nourriture ou de la production d'œufs est en effet parfois le seul indicateur de certaines infections par l'influenza aviaire à déclaration obligatoire hautement pathogène » ;

- la surveillance virologique a pour objectifs de surveiller les populations à risque, de confirmer les cas cliniques, de suivre les résultats sérologiques positifs et de tester la mortalité « normale » pour assurer la détection précoce de l'infection ;

- la surveillance sérologique vise à détecter les anticorps dirigés contre le virus influenza ; elle est notamment préconisée pour la surveillance des élevages vaccinés.

Dès lors qu'un cas est détecté par le biais de cette surveillance, il y a lieu d'appliquer les mesures de biosécurité.

c) Les mesures de biosécurité, premières lignes de défense

Selon M. Bernard Vallat, les mesures de biosécurité constituent « les premières lignes de défense » et, pour un maximum d'efficacité, leur mise en œuvre doit être la plus rapide possible.

D'une manière générale, afin de prévenir le déclenchement d'un foyer, il y a lieu d'appliquer des mesures de prophylaxie sanitaire, dont les principales sont : l'absence de contact entre les volailles et les oiseaux sauvages, notamment les oiseaux aquatiques ; la non introduction, dans les élevages, d'oiseaux dont l'état sanitaire n'est pas connu ; la surveillance des contacts avec les personnes ; des procédures de nettoyage et de désinfection correctes et la présence, de préférence, d'une seule classe d'âge par exploitation .

Puis, quand un foyer se déclare, des mesures d'urgence drastiques visant ce foyer même sont indispensables : abattage de tous les oiseaux ; élimination des carcasses et de tous les produits d'origine animale ; nettoyage et désinfection et respect d'un délai minimum avant l'introduction de nouveaux oiseaux (le délai idéal est estimé à 21 jours).

Par ailleurs, en dehors du foyer, il y a lieu de mettre en oeuvre un assortiment de mesures dites de biosécurité dont le niveau doit être adapté à la hauteur du risque.

La biosécurité, définie comme l'ensemble des bonnes pratiques d'hygiène, comprend des mesures de bioexclusion afin d'éviter de véhiculer le virus et des mesures de bioconfinement pour l'empêcher de circuler. C'est l'analyse des principaux risques d'introduction du virus (par des objets ou véhicules contaminés notamment) ou de transmission du virus (par la vente d'oiseaux sur les marchés, par les mouvements d'oiseaux sauvages ayant été en contact avec de la volaille de basse-cour) qui déterminera les mesures à prendre. Ainsi, l'abattage de la volaille infectée dans l'exploitation et, à titre préventif, dans un rayon de plusieurs kilomètres autour d'elle (mesures dites de « stamping out », se définissant comme l'éradication de la maladie par une dépopulation des animaux malades et de ceux appartenant aux élevages alentour qui pourraient être contaminés) est une mesure de bioconfinement, mais ce n'en est qu'une, certes la plus urgente, parmi d'autres. La mise en quarantaine bloquant les mouvements dans une zone plus ou moins étendue permettra, elle aussi, de circonscrire l'infection. A titre d'exemple d'application de ces préconisations, on peut notamment citer les mesures prises par les pouvoirs publics en Israël dès la détection du virus le 18 mars 2006 : 400 000 volailles ont été abattues, non seulement dans les élevages contaminés mais aussi dans un rayon de trois kilomètres, et un cordon sanitaire a été établi autour des localités placées en quarantaine.

L'ensemble de ces mesures doit, en outre, être appliqué dans le respect de principes d'hygiène stricts qui permettront la décontamination. La FAO indique que « les fientes d'oiseaux sont le plus grand danger ; le virus aime l'humidité et la saleté. Il est donc capital de désinfecter complètement les objets qui ont été souillés par les déjections d'oiseaux - cages, vêtements, chaussures -  avant de pénétrer sur les lieux d'élevage ». Elle constate que « le virus de l'influenza aviaire est plus simple à éliminer car il est très sensible aux détergents qui détruisent la graisse contenant la couche extérieure du virus. Cette couche est nécessaire pour pénétrer dans les cellules des animaux et les détergents détruisent donc l'infectivité »62.

d) La vaccination : ni panacée, ni facilité

La vaccination pourrait a priori être considérée comme une solution simple et efficace pour éliminer la grippe aviaire, comme elle l'est pour d'autres maladies affectant les volailles ; elle est ainsi pratiquée avec succès pour la maladie de Newcastle, maladie à déclaration obligatoire au sens défini par l'OIE, et dont les symptômes sont proches de ceux de l'influenza aviaire.

Des vaccins contre l'influenza aviaire sont disponibles sur le marché. M. Michel Bublot63  a rappelé devant la mission qu'il existait deux grands types de vaccins contre la grippe aviaire, les vaccins inactivés et les vaccins vecteurs : « Les vaccins classiques sont fabriqués en cultivant le virus de la grippe sur des œufs embryonnés ; le virus est alors inactivé, autrement dit tué et formolé avec un adjuvant huileux. Contrairement au vaccin humain, le vaccin aviaire, pour des raisons de coût, n'est pas purifié. Les vaccins dits « vecteur fowlpox » sont issus des biotechnologies. La souche vaccinale est le virus fowlpox, responsable, sous sa forme pathogène, de la variole aviaire (qui n'a rien à voir avec la variole humaine), modifié pour exprimer un gène protecteur de la grippe, l'hémagglutinine, antigène majeur de la grippe. Le vaccin est produit en cultures de cellules et lyophilisé - le virus reste donc vivant ».

Cependant, comme l'a exprimé M. Joseph Domenech, « la vaccination n'est ni une panacée ni un outil de facilité », mais, dans certains cas, « elle est inévitable ». Devant la mission, M. Louis Egron, représentant la société Intervet, fabricant de vaccins, a souhaité «briser le mythe de l'injection miracle ». La décision de vaccination contre l'influenza aviaire hautement pathogène relève en effet d'une analyse complexe dans laquelle il faut prendre en compte les éléments suivants :

-- La vaccination exige des conditions de mise en œuvre strictes

* Il faut disposer de vaccins d'une qualité irréprochable. M. Michel Bublot a rappelé devant la mission que le niveau d'exigence pour la qualité de ces vaccins posé dans son entreprise était le même que pour les vaccins humains. Aussi, les doutes sur la qualité de vaccins qui auraient circulé un temps sur le marché chinois ne peuvent qu'inquiéter. M. Jean-Luc Angot, directeur adjoint de l'OIE, a récemment déclaré qu'en Chine, il est arrivé que « des foyers se soient déclarés à cause de vaccins qui ne répondaient pas aux normes internationales »64 . M. Bernard Vallat l'a confirmé devant la mission : « La qualité des vaccins est évidemment essentielle : on sait que certaines productions de vaccins n'étaient pas sous le contrôle du gouvernement chinois, ce qui a posé des problèmes non seulement en Chine, mais dans certains pays voisins ».

* La vaccination suppose des manipulations matérielles très lourdes. En premier lieu, des conditions d'hygiène rigoureuses doivent être appliquées, et le conditionnement des vaccins doit respecter des conditions de conservation strictes, de température notamment. M. Michel Bublot a ainsi rappelé qu'« un vaccin parfaitement correct à sa sortie d'usine perd toute efficacité s'il séjourne dans une voiture à trente degrés, ou encore s'il est mal injecté, par des personnes qui n'ont pas l'habitude ». Par ailleurs, la vaccination doit être effectuée dans des conditions qui en garantissent l'efficacité ; or, comme l'a fait remarquer M. Philippe Vannier lors de son audition : « lorsqu'il s'agit de vacciner une population animale, tout dépendra de la façon dont aura été effectuée la vaccination, souvent en urgence. Vous ne pouvez pas être certain que chaque animal sera vacciné dans les mêmes conditions, ni même que vous trouverez des opérateurs capables d'effectuer correctement l'opération : il faut compter deux journées et demie pour vacciner, individu par individu, un élevage de quelques milliers de poules. Il faut compter avec des vaccinateurs passant d'élevage en élevage, sans avoir nécessairement un niveau de formation très élevé, et exposés à des problèmes de biosécurité. Tout cela doit être intégré dans la stratégie à mettre en œuvre ».

La vaccination par injection n'est pas facile, car elle implique de vacciner les volailles une à une. A ce jour, aucun autre mode d'administration plus pratique, notamment oral, n'a été mis au point. M. Michel Bublot a clairement indiqué que : « Merial n'a aucune solution pour vacciner par voie orale. Au-delà des effets d'annonce de certains, j'attends de voir les résultats ».

M. Pascal Paulet, représentant de la société Intervet, fabricant néerlandais de vaccins, a confirmé à la mission les difficultés éprouvées pour mettre au point un vaccin oral dans la mesure où les souches de virus influenza sont, par nature, instables : « On utilise fréquemment en aviculture les vaccins buvables ou respiratoires, que l'on pulvérise sur les animaux : c'est le cas notamment pour la maladie de Newcastle ou la bronchite infectieuse. Mais il s'agit de virus relativement stables, que l'on parvient à atténuer par des méthodes de culture, afin d'obtenir une souche vaccinale qui ne produira plus de symptômes sur les animaux. Malheureusement, la chose est impossible avec les souches de virus influenza, par nature peu stables. Nous sommes obligés de passer par des vaccins dits classiques, où le virus est cultivé sur œuf puis tué avant d'être injecté sur les animaux, ou éventuellement par des vaccins vecteurs, qui utiliseront un autre virus comportant de petits morceaux du virus influenza. Or, ni les uns ni les autres ne peuvent être administrés autrement que par injection. Nous ne parvenons pas à trouver un virus ou une bactérie potentiellement vecteur stable et surtout efficace. ».

Sur ce point, M. Joseph Domenech a été plus optimiste : « il faut mettre au point un vaccin administrable par voie orale ou par nébulisation, à l'exemple de ce qui s'est fait pour la maladie de Newcastle. Les chercheurs chinois nous ont annoncé, voilà une quinzaine de jours, la mise au point d'un vaccin mixte Newcastle-grippe aviaire, administrable via l'eau de boisson : si la chose était confirmée, ce serait une avancée considérable ».

* Les délais de mise en place de l'immunité protectrice doivent aussi être pris en compte. M. Michel Bublot a fait observer qu'« avec le vaccin inactivé, l'immunité protectrice se met en place dans un délai de quatorze à vingt et un jours. On s'est aperçu, à l'occasion d'une vaccination en anneau à Hong Kong, que des animaux vaccinés depuis moins de dix-huit jours pouvaient répliquer le virus s'ils étaient infectés. Une étude hollandaise publiée dans une revue américaine a également montré que la protection n'était pas complète avant deux semaines. Le vaccin vecteur, en revanche, induit une immunité complète après une semaine seulement - nos études comme celles des Chinois l'ont prouvé. Autrement dit, en vaccinant les poussins à un jour, on peut avoir en une semaine des poulets parfaitement protégés, alors qu'il faudrait attendre presque un mois avec le vaccin inactivé ». Ce problème de délai d'immunisation est compliqué par le fait que les espèces ont des réactions très diverses s'agissant de l'induction de l'immunité ; ainsi, comme l'a indiqué M. Michel Bublot : « si les canards peuvent être vaccinés plus précocement que les poules et les dindes, l'immunité à peu près « solide » n'apparaît vraisemblablement que six semaines après la première injection ». Selon M. Philippe Vannier : « C'est là un sérieux inconvénient lorsque l'on intervient dans des conditions d'urgence, où l'on souhaite évidemment une induction d'immunité la plus rapide possible ».

-- La vaccination comporte certains risques

* Les vaccins disponibles ne procurent pas une immunisation totale. En effet, il ne s'agit pas de vaccin contre le virus H5N1 lui-même, mais contre des virus « cousins » H5N2 et H5N3. Ces vaccins procurent une immunisation croisée jugée satisfaisante car celle-ci doit surtout porter sur la partie H du virus, c'est-à-dire l'hémagglutinine. Immunisation satisfaisante ne signifie toutefois pas immunisation parfaite : une volaille vaccinée peut être malade, mais en présentant des symptômes atténués, échapper à la surveillance des éleveurs et diffuser ainsi le virus.

* Au regard de l'enjeu de la vaccination tel qu'il a été posé par M. Philippe Vannier devant la mission : « le but d'une éventuelle vaccination, à supposer qu'elle doive être mise en place, n'est pas tant, dans notre contexte précis, de protéger cliniquement les animaux que de limiter au maximum, voire d'empêcher toute excrétion virale chez les animaux vaccinés et ensuite infectés ... Ce n'est pas la maladie mais le virus qui doit disparaître65 », le principal inconvénient de la vaccination est le risque de portage d'un virus non apparent par les oiseaux vaccinés. En effet, la grippe aviaire n'est pas une maladie systémique (infectant les tissus et le sang) mais localisée dans certains organes, notamment le poumon. Cette particularité, comme l'a noté M. Philippe Vannier, a des conséquences sur l'efficacité de la vaccination : « Dans le cas d'une maladie dite systémique, avec une virémie entrant dans le système sanguin, la vaccination par voie parentérale, intramusculaire, induit souvent des anticorps de nature sérique qui, la plupart du temps, bloqueront totalement la réplication au niveau du sang. Le problème est que les virus de la grippe saisonnière humaine comme de l'influenza aviaire se développent au niveau du poumon, et qu'il est très difficile d'induire par une injection parentérale une immunité locale, qui bloquera au niveau local la réplication du virus chez un patient infecté après avoir été vacciné. Celui-ci pourra continuer de ce fait à excréter de petites quantités de virus ».

Certes, les travaux réalisés par les industriels et validés par les centres de recherche montrent que les vaccins actuels peuvent induire une bonne immunité au regard de l'excrétion virale. Cependant, M. Philippe Vannier a précisé à la mission que si «  l'on sait d'ores et déjà empêcher l'excrétion virale, en conditions expérimentales sur des volailles correctement vaccinés ; dès que l'on se met à vacciner des volailles par millions, on n'est plus du tout certain de parvenir au même niveau d'efficacité ». Les animaux vaccinés peuvent donc produire des anticorps qui leur permettent de lutter contre le virus et ne pas développer les symptômes de la grippe aviaire. Pour autant, cela ne signifie pas que le virus soit absent de leur organisme : ils peuvent en être excréteurs et le transmettre aux autres volailles. La vaccination peut dès lors cacher une circulation silencieuse du virus, d'autant plus grave qu'elle empêche la détection précoce et la mise en œuvre de mesures rapides, comme l'a exposé M. Philippe Vannier : « Si vous ne détectez pas immédiatement « l'élevage index », le premier atteint, le virus va se mettre à circuler à bas bruit, sournoisement, jusqu'au moment où l'on constatera une très forte mortalité dans quinze élevages à la fois. On s'apercevra que le virus est là ; le problème est qu'il était ailleurs, depuis bien longtemps, et qu'il s'est diffusé subrepticement. Le temps de repérer tous les élevages infectés et de procéder aux abattages, le risque de voir les défenses enfoncées se sera considérablement accru ».

Ce risque rend donc indispensable la mise en place d'un programme de surveillance, notamment grâce à des prises de sang destinées à vérifier la présence d'anticorps. Dans la mesure où, comme l'a indiqué M. Philippe Vannier, on utilise, non pas un vaccin H5N1, mais des « vaccins H5N2 ou H5N3, dont le sérotype de neuraminidase différent permet la différenciation des anticorps induits par le vaccin ou la souche sauvage », on peut distinguer les oiseaux vaccinés de ceux qui ont été infectés par le virus. On peut aussi avoir recours à des oiseaux sentinelles, qu'on ne vaccine pas pour pouvoir établir, le cas échéant, qu'ils sont entrés en contact avec le virus en circulation. Cette surveillance nécessite des infrastructures et des moyens adaptés et elle est d'autant plus difficile à mettre en place qu'elle doit être différenciée selon les espèces. En effet, sur certaines espèces, la recherche d'anticorps est inopérante. M. Philippe Vannier a ainsi précisé que « la technique ELISA66 pour la neuraminidase n'ayant pas été validée chez le canard, la fiabilité du test différentiel n'est pas absolue et oblige de prévoir d'autres indicateurs dans le plan de surveillance » (par exemple, donc, les oiseaux sentinelles).

* La vaccination est un frein aux exportations de volailles par le pays qui la pratique. Les réticences des pays importateurs sont tout d'abord liées aux doutes sur la présence de virus chez les volailles vaccinées. M. Bernard Vallat a rappelé qu' « une région qui recourt à la vaccination peut théoriquement continuer à exporter, mais à la condition de démontrer qu'elle dispose d'un système de surveillance capable de garantir l'absence totale de circulation du virus dans la population vaccinée. Mais une fois cela écrit, les pays font ce qu'ils veulent : ils sont parfaitement en droit d'envoyer une mission et il n'est pas bien difficile de trouver une faille dans un système de surveillance ».

En outre, la composition des vaccins n'est pas favorable aux exportations. En effet, comme M. Bernard Vallat l'a fait observer à la mission : « les vaccins les plus efficaces contiennent un excipient composé d'une huile minérale en principe non recommandée pour la consommation humaine : il fait l'objet d'une recommandation négative du Codex en termes d'ingestion par l'homme. Aucun gouvernement ne prendra la responsabilité de laisser consommer cette huile, même si les quantités absorbées par l'homme à la suite de la consommation d'animaux vaccinés resteraient limitées... Il faut vingt-huit jours pour que l'organisme vacciné élimine le vaccin, ce qui complique d'autant plus les choses que la vie économique d'une volaille oscille entrent trente jours et quatre mois ».

-- La position de l'OIE : la vaccination, un recours « quand les lignes de défense sont enfoncées ».

Pour l'ensemble de ces raisons, M. Bernard Vallat a exprimé devant la mission une position très claire : la priorité doit être donnée à la détection précoce et aux mesures rapides et « ce n'est que dans la mesure où les lignes de défense sont enfoncées et que l'analyse de la situation n'a été faite que tardivement que l'OIE recommande la vaccination ».

Dès lors que le principe de la vaccination est retenu, deux scénarii sont envisageables, selon la gravité de la situation. Le premier est la vaccination en anneau autour de la zone infectée ; sur la portée de l'anneau, l'OIE ne définit aucune norme, mais conseille de procéder à des études épidémiologiques sur les élevages susceptibles d'être affectés dans la zone afin de déterminer la dimension de cet anneau virtuel. M. Bernard Vallat a rappelé que dans le cas de « la Turquie, nous avons expressément recommandé la vaccination dès que la maladie a commencé à flamber dans tout le pays... La situation avait été suffisamment grave pour que nous préconisions la vaccination en anneau dans les régions où les foyers étaient assez concentrés, et la vaccination par provinces entières à partir du moment où un certain nombre de foyers étaient recensés dans une même province ». Les autorités publiques turques ont pour leur part expliqué à la délégation de la mission, les raisons qui les ont conduites à différer une décision de vaccination.

La deuxième étape est la vaccination généralisée quand le virus a franchi l'anneau et que la situation échappe à tout contrôle. En outre, dans certains cas, la vaccination généralisée peut également constituer un outil temporaire permettant à des pays dépassés par les événements de mettre au point des mesures de lutte supplémentaires pour lutter contre l'épizootie. Il s'agit, en fait, de gagner du temps pour pouvoir revenir aux méthodes sanitaires décrites plus haut : « Cette préconisation ne vaut évidemment qu'à titre provisoire, le but de cette politique étant de laisser le temps au pays de prendre les mesures structurelles qui lui permettront de revenir aux méthodes de police sanitaire habituellement préconisées. Ainsi le Vietnam, qui a commencé à vacciner en 2004, sera d'ici à quelques mois prêt à arrêter la vaccination, car il aura entre-temps pu bénéficier des ressources internationales, améliorer ses réseaux et modifier sa législation et la politique de décentralisation qu'il avait jusqu'alors appliquée ». C'est dans cette logique que l'OIE recommande aujourd'hui la vaccination généralisée au Nigeria, ainsi qu'elle l'avait fait en 2004 au Vietnam. C'est aussi, nous le verrons, la stratégie retenue par la Chine.

Pour les raisons énumérées ci-dessus, et parce qu'elle risque, de surcroît d'être l'expression d'une méfiance à l'égard des services vétérinaires d'un pays et de leur capacité à détecter la maladie, comme s'en est expliqué M. Bernard Vallat lors de la table ronde du 8 mars 2006, la vaccination préventive n'est pas non plus recommandée, sauf pour certains cas très particuliers d'oiseaux rares, dans les zoos par exemple. On reviendra sur les raisons très particulières qui justifient la position de la France sur ce point.

M. Bernard Vallat considère qu'en matière de lutte contre l'épizootie, « les textes existants sont en principe satisfaisants ; encore faut-il veiller à leur application ». Afin d'appréhender la réalité de la situation et de faire le point de l'application des mesures de surveillance, de biosécurité et de vaccination, la mission a estimé nécessaire d'effectuer des déplacements dans des pays touchés, affectés à des degrés divers, et plus ou moins récemment. De ces déplacements, les membres de la mission ont retiré un enseignement simple : les pays qui ont suivi avec méthode les préconisations de lutte contre l'épizootie ont vu leur situation s'améliorer. Par contre, en l'absence de volonté politique et de moyens suffisants, l'épizootie ne peut être maîtrisée et fait donc courir un danger immense de contagion dans d'autres pays.

1.-2. Exemples de politiques de lutte contre l'épizootie : des efforts et des résultats inégaux

a) La situation en Asie : entre espoir et inquiétude

L'examen de la situation en Asie est particulièrement intéressant. Ce continent vit en effet depuis maintenant plus de deux ans avec le H5N1. Même si le recul n'est pas suffisant, il est tout de même possible d'apprécier si les options retenues par les autorités en fonction des préconisations de l'OIE et de la FAO (abattage ou vaccination), et compte tenu des spécificités locales, ont eu des résultats probants à moyen terme.

Dès le début de l'épizootie, le virus a pu être combattu efficacement dans certains pays. Ainsi, en 1997, lors des toutes premières flambées à H5N1, l'application drastique de mesures de biosécurité à Hong Kong - destruction en trois jours de 1,5 millions d'oiseaux constituant toute la population de la Région administrative spéciale (RAS) - a, selon l'OMS, évité « une pandémie en éliminant immédiatement le risque de nouvelles expositions humaines »67. Le virus n'est réapparu qu'en 2003 et a été efficacement combattu en Corée et au Japon, où ont été très rapidement mises en œuvre des mesures de lutte permettant à ces pays de retrouver leur statut de pays indemne de grippe aviaire. Par ailleurs, certains pays comme le Laos ou le Cambodge connaissent des flambées aviaires limitées car la densité de volailles y est bien moindre que dans les pays voisins.

En revanche, dans d'autres pays comme la Thaïlande, le Vietnam, l'Indonésie et la Chine, les flambées n'ont pas été maîtrisées dès le début de 2003. La situation est endémique en Asie où le virus représente une menace permanente : il est ainsi significatif qu'un pays comme la Malaisie ait vu réapparaître le virus après un an d'absence, tout comme le Cambodge, en février 2006. L'épizootie est difficile à contenir, et entre février et mars 2006, trois grands pays asiatiques, l'Inde, le Pakistan et l'Afghanistan ont été atteints à leur tour.

- En Thaïlande : une situation relativement stabilisée

La Thaïlande est l'un des premiers pays où est apparue la grippe aviaire en 2003. Il est le deuxième pays à avoir annoncé des cas humains dès 2004 (17) et le troisième pays, après le Vietnam et l'Indonésie, en nombre de cas et de victimes humaines (19 cas dont 14 mortels en 2004 et 2005). Toutefois, aucun cas nouveau n'a été enregistré depuis le début de l'année 2006.

Ce pays était, et demeure, l'un des principaux exportateurs de volailles du monde, ce qui explique, selon M. Joseph Domenech, « l'engagement politique majeur des autorités politiques et des acteurs économiques, surtout dans le secteur de la production intégrée et intensive ». Compte tenu de cette considération économique, la ligne directrice est de « ne pas vacciner et de s'en tenir aux mesures d'abattage d'urgence », afin de ne pas mettre un frein aux exportations. Cette politique d'abattage massif, appliquée dès 2004, s'est traduite par la destruction de plus de 70 millions de volailles, et est généralisée dans les zones où les cas surviennent ; une décontamination systématique est en outre pratiquée, et une indemnisation des éleveurs est prévue.

La maladie existant à l'état diffus dans le pays et pouvant donc resurgir régulièrement, un réseau de volontaires a été mis en place et participe notamment à la surveillance clinique, virologique et sérologique. Ce quadrillage du territoire, associé, en cas de suspicion, à la réaction rapide des autorités, a donné de bons résultats : il arrive qu'aucun cas nouveau ne soit enregistré pendant de longues périodes. Le dernier rapport de suivi (n°86) de l'OIE au 9 février 2006 note que « trois mois se sont écoulés depuis le dernier cas d'influenza aviaire hautement pathogène en Thaïlande, pays où s'applique une politique d'abattage sanitaire avec indemnisation ».

Deux spécificités de ce pays sont à noter :

- Le nombre important de coqs de combat, qui sont des centaines de milliers, et qui posent un réel problème de santé publique : le dernier cas humain, le décès d'un enfant en décembre 2005, est lié à la proximité de ces animaux. Leurs déplacements pour participer à des combats sont un moyen de propagation de la maladie : c'est pourquoi des restrictions ont été imposées à ces déplacements, provoquant le mécontentement des propriétaires qui souhaiteraient pouvoir vacciner ces bêtes précieuses. Or, même pour les coqs de combat, la vaccination n'est pas autorisée.

- Dans de nombreux élevages, les espèces sont mélangées : des canards sont élevés en liberté et, dans la mesure où ils sont porteurs de la maladie sans en montrer les signes, ils sont d'efficaces propagateurs du virus. Il est donc prévu d'obliger à terme les propriétaires à garder ces animaux dans des espaces clos, mais c'est une mesure qui sera coûteuse et qu'il sera donc difficile à faire appliquer à court et même moyen terme.

La Thaïlande a retiré dès 2005 les bénéfices économiques de la mise en œuvre de cette stratégie: la production est repartie à la hausse avec un million de tonnes « équivalent carcasse » (la production mondiale est de 80,4 millions de tonnes ; la Thaïlande est actuellement le onzième producteur mondial).

- En Indonésie : une situation préoccupante

M. Joseph Domenech a estimé, devant la mission, que « le cas le plus préoccupant est celui de l'Indonésie ». Les premiers cas humains y sont apparus en 2005 (17 dont 11 fatals), et le phénomène s'accentue depuis le début de l'année 2006 : 10 cas, dont 9 mortels, ont été confirmés. Dans la mesure où les cas humains sont incontestablement liés aux flambées aviaires, il est permis de s'interroger sur la réalité de la situation dans ce pays. Le dernier rapport fait à l'OIE par l'Indonésie date du 21 décembre 2005 et faisait état de foyers dans toutes les divisions administratives du pays. Cependant, les cas déclarés sont, somme toute, assez peu nombreux : ainsi, dans la région d'Aceh, un foyer est signalé avec un seul animal malade, et un autre en compte seulement 3, ce qui peut paraître surprenant, compte tenu de la virulence et la contagiosité du virus H5N1. Il est donc légitime de se demander si, réellement, tous les cas ont fait l'objet d'une déclaration, et si d'autres foyers ne sont pas apparus depuis décembre 2005... Pour M. Joseph Domenech, il semble évident que, dans la mesure où « l'abattage n'est pas indemnisé », « les éleveurs cachent les foyers » et il craint donc que la « totalité du pays ne soit atteinte ».

La stratégie retenue, combinant abattage et vaccination, s'est avérée inefficacement appliquée. Selon M. Joseph Domenech, l'abattage est « mal fait », On observera d'ailleurs que, dans le tout dernier rapport adressé à l'OIE par les autorités sanitaires du pays, il est indiqué qu'aucun abattage récent n'a été pratiqué. Au surplus, M. Joseph Domenech estime que « la campagne de vaccination telle qu'elle est menée depuis deux ans est l'exemple même de ce qu'il ne faut pas faire ».

Il explique l'échec de cette stratégie pour trois raisons. La première est liée à l'organisation administrative et politique de ce pays : « Malheureusement, l'abattage est mal fait, parce que non indemnisé. La vaccination, elle aussi, est mal faite, par manque de moyens et d'engagement politique, mais également à cause d'une décentralisation extrêmement poussée des services vétérinaires. (...). Ses services centraux sont très peu écoutés, insuffisamment dotés par le gouvernement ». La deuxième raison tient à la structure du secteur avicole : « Si la vaccination et la biosécurité ont apporté de véritables acquis dans les élevages intégrés performants, le virus continue à circuler dans la production traditionnelle, largement majoritaire, et de nouvelles provinces s'infectent ». La troisième est la conséquence du manque de moyens financiers : « Il faut impérativement que l'Indonésie se ressaisisse ; elle semble en prendre le chemin, mais cela exige de gros efforts financiers dont elle est pour l'heure incapable, ce qui explique que la qualité des vaccinations (et des vaccins) ne soit pas toujours adéquate et que l'abattage de volailles ne fasse pas l'objet d'une indemnisation des éleveurs ».

- Au Vietnam : une situation qui s'est améliorée grâce à la vaccination

Le Vietnam a été, dès janvier 2004, affecté par des flambées aviaires ; c'est le premier pays où des cas humains sont apparus (32 en 2004), et c'est dans ce pays qu'ils ont été les plus nombreux (93 dont 42 mortels). En 2005, les 61 cas, dont 19 mortels, ont été enregistrés pendant le premier semestre et, depuis, aucun autre cas n'est à déplorer.

Ces statistiques sur les cas humains sont à rapprocher de l'évolution des flambées aviaires. Le Vietnam est un pays à risque car il s'y pratique l'élevage des canards en plein air et donc le mélange des espèces, ainsi que l'a décrit M. Joseph Domenech devant la mission : « Les zones à risque, nord et sud, correspondent aux zones de riziculture des deltas du Fleuve rouge et du Mékong, où des dizaines de millions de canards sont élevés en systèmes nomades ouverts, qui se déplacent en camions ou... à pied. Il n'est pas rare d'être arrêté sur la route par un troupeau de milliers de canards ».

Le Vietnam a connu un fort « niveau d'infestation » en 2004. Au pic de la première vague de l'épizootie, 60 % des villes étaient atteintes, et de décembre 2003 à mars 2004, 45 millions de volailles, soit 17 % du cheptel, sont mortes ou ont été abattues. Au cours d'une deuxième vague, d'avril à décembre 2005, 200 foyers se sont déclenchés dans 22 provinces sur les 64 que compte le pays, et 5 millions de volailles ont été abattues. Depuis décembre 2005, l'épizootie s'atténue, et le dernier rapport des autorités vietnamiennes à l'OIE, en date du 26 janvier, indique qu'aucun nouveau foyer n'a été signalé depuis le 2 décembre 2005, au point que les autorités vietnamiennes étaient, lors de la visite de votre Rapporteur et de votre Président en janvier dernier dans ce pays, sur le point de déclarer l'ensemble des élevages indemne de grippe aviaire, les 200 foyers constatés à l'automne 2005 ayant été maîtrisés.

L'amélioration de la situation au Vietnam n'est pas le fruit du hasard, et l'observation faite par M. Joseph Domenech : « L'investissement du gouvernement vietnamien a été très fort » a pu être vérifiée sur place par votre Rapporteur et votre Président, notamment au cours de leur entretien avec M. Bui Ba Bong, vice-Ministre de l'agriculture.

La « stratégie de l'éradication par l'abattage n'étant plus jouable », une stratégie de vaccination généralisée a été adoptée, non sans réticences au début, comme l'a souligné M. Joseph Domenech devant la mission : « Nos recommandations de passer directement à la vaccination avaient alors été très imparfaitement entendues, pour diverses raisons - et notamment ces préjugés selon lesquels la vaccination animale était dangereuse, insuffisamment efficace et de nature à donner de fausses certitudes. Nous avons eu sur ce point de sérieux désaccords avec nos collègues de l'OMS en 2004, aujourd'hui totalement oubliés : l'OMS est désormais officiellement favorable à la vaccination vétérinaire - lorsqu'elle est justifiée, s'entend. La vaccination n'est ni la panacée ni un outil de facilité ; mais, dans le cas du Vietnam, elle était inévitable. Il aurait fallu abattre la quasi-totalité des volailles pour se débarrasser du virus, et, au surplus, l'on n'y serait jamais arrivé. Au bout d'un an et demi, le Vietnam s'est résolu à engager des campagnes de vaccination massives » La campagne de vaccination généralisée a concerné à ce jour 160 millions de poulets et 80 millions de canards.

Associées à la vaccination, qui sera poursuivie, d'autres mesures sont appliquées et figurent dans le plan national intégré pour le contrôle de la grippe aviaire et de préparation et réponse au risque pandémique (2006-2008). Il prévoit notamment la poursuite d'un fort niveau de communication et d'information sur la grippe aviaire ; l'interdiction des élevages en zones urbaines, et des restrictions importantes sur les élevages en zone rurale (notamment des canards) ; la réglementation et le contrôle sanitaire des élevages, des abattoirs et des marchés ; des exercices de simulation de situations épidémiques ; la surveillance épidémiologique et les contrôles du transport des volailles.

Les craintes de voir de nouveaux foyers réapparaître à l'occasion du nouvel an lunaire, propice aux déplacements des hommes et des animaux, ne se sont pas concrétisées à la fin du mois de janvier 2006, ce qui témoigne d'une relative maîtrise de l'épizootie. Cependant, le virus se maintenant toujours dans l'environnement et la situation étant préoccupante dans certains pays proches (Chine notamment), il importe, comme le suggère M. Joseph Domenech, d'avoir suffisamment de recul et « dans six mois, nous devrions pouvoir porter un jugement d'ensemble sur cette nouvelle stratégie, qui montrera que les outils fonctionnent s'ils sont utilisés à bon escient ».

- A Hong Kong : un haut niveau de protection

C'est à Hong Kong, en 1997, que les premières flambées aviaires avaient été à l'origine de 18 cas humains dont six décès. Depuis, des flambées limitées chez l'homme ont été recensées : en février 2003, deux cas, dont un mortel, ont été déclarés. Mais depuis 1997, aucun foyer de grippe aviaire n'a été détecté à Hong Kong ; cette région administrative spéciale (RAS) de Chine n'a déclaré à l'OIE que des cas dans la faune sauvage. Les cas humains survenus en 2003 sont donc vraisemblablement liés aux contacts entre Hong Kong et la Chine continentale.

Cette situation indemne de grippe aviaire est le résultat de mesures préventives et d'un système de surveillance rigoureux mis en place dès 1998, cette RAS bénéficiant d'un statut administratif lui permettant d'élaborer sa politique de santé humaine et animale de façon autonome. Votre Rapporteur a été impressionné par son niveau de préparation à la pandémie et par l'efficacité de l'ensemble des mesures prises pour lutter contre l'épizootie.

Celles-ci s'articulent autour des points suivants :

- un contrôle strict des importations qui doivent toutes provenir de fermes enregistrées, des certificats sanitaires étant exigés ;

- le renforcement de la biosécurité dans les fermes avicoles du territoire,  qui possèdent toutes des systèmes de protection empêchant les contacts avec l'extérieur. Des procédures d'isolation des animaux, de désinfection et de nettoyage, ainsi qu'une gestion de la circulation dans les élevages, sont mis en place. Des animaux sentinelles sont utilisés pour détecter toute infection, ce qui permet de contrôler l'efficacité des vaccins en vérifiant le niveau des anticorps ;

- afin de briser le cycle des virus aviaires et de réduire les probabilités de contamination sur les marchés de vente, les autorités locales ont imposé des jours de repos (quatre jours par mois pour les marchés de vente en gros et deux jours pour les marchés de détail) pendant lesquels toute activité commerciale doit cesser afin de permettre une désinfection systématique des lieux ;

- depuis juin 2003, tous les poulets sont vaccinés et ceux importés doivent l'être aussi, cette disposition visant essentiellement la Chine continentale, principal fournisseur avec 110 000 volailles par jour. Des mesures de restriction des importations peuvent être décidées ; ainsi, le 16 mars 2006, toutes les exportations de volailles vivantes en provenance de Chine ont été suspendues après l'annonce de foyers dans la province du Guangdong qui enserre la RAS ;

- des mesures pour contrôler les réserves naturelles d'oiseaux migrateurs entrent en vigueur dès qu'est signalé un cas de détection du virus ; toutes les réserves sont à ce moment fermées. Ainsi, la réserve de Mai Po, qui accueille chaque année environ 100 000 oiseaux de plus de 340 espèces sur les routes migratoires qui vont de l'Australie et de l'Asie du Sud-Est jusqu'en Mongolie et Sibérie, a déjà été fermée plusieurs fois. Les réserves pouvant devenir des réservoirs du virus, elles sont activement surveillées : le nombre des échantillons testés est de 500 dans la réserve de Mai Po, située dans les nouveaux territoires où sont recensées 150 fermes avicoles.

Le niveau de sécurité est donc d'une grande exigence, adaptée à la configuration géographique et démographique (petit territoire densément peuplé) de cette zone à très haut niveau de vie. Votre Rapporteur a pu constater que le plan de lutte contre les pandémies grippales d'origine aviaire est du même niveau de qualité, tout comme l'est celui de la recherche scientifique sur le virus H5N1. Celle-ci est développée tant par l'Institut Pasteur dirigé par le professeur Ralf Altmeyer que par l'Université de Hong Kong dont l'équipe du département de microbiologie est composée de scientifiques de renommée internationale (Kwok-Yung Yuen et Malik Peiris) que votre Rapporteur a rencontrés.

La recherche sur le virus H5N1 à Hong Kong

Associés à des flambées de grippe aviaire, des cas d'infection et de mortalité chez les hommes ont été signalés à Hong Kong dès 1997. L'étude et la caractérisation des souches du virus H5N1 à pouvoir pandémique et de leur adaptation à l'homme sont au centre des recherches menées par les scientifiques à Hong Kong, tout particulièrement à l'Institut Pasteur et à l'Université de Hong Kong.

Centre de recherche conjoint HKU-PCR

(University of Hong Kong - Pasteur research centre)

La recherche sur la grippe aviaire au sein du centre de recherche conjoint HKU-PRC est centrée sur l'étude de la mutation du virus H5N1 lui permettant d'acquérir la caractéristique de transmissibilité interhumaine. En effet, les virus se lient aux cellules hôtes par l'intermédiaire de récepteurs présents à la surface cellulaire. La transmissibilité interhumaine du virus H5N1 dépendra notamment de ses capacités à utiliser les récepteurs cellulaires humains, acide sialique a2-6, au lieu des récepteurs cellulaires aviaires, acide sialique a2-3.

Depuis décembre 2004, les instituts asiatiques du réseau international de l'Institut Pasteur (IP) ont mis en place un consortium visant à étudier les infections respiratoires émergentes, dont la grippe aviaire. Ce réseau comprend les IP de Phnom Penh, Nha Thrang et Ho Chi Minh Ville (Vietnam), Séoul, Shanghai, Nouméa et Hong Kong.

L'IP du Cambodge et le HKU-PCR ont mis en œuvre une coopération visant à étudier l'adaptation des virus H5N1 aux récepteurs cellulaires humains a2-6. L'analyse des séquences a révélé que les souches identifiées par les scientifiques de l'IPC ont, en effet, une signature moléculaire unique au niveau de l'hémagglutinine (HA de type 5) pouvant induire une telle mutation. Les chercheurs au HKU-PCR analysent actuellement la capacité de l'hémagglutinine de ces souches à se fixer sur les récepteurs aviaires et humains, et à les utiliser pour pénétrer dans les cellules.

En collaboration avec l'unité de virologie structurale de l'Institut Pasteur à Paris, les conséquences de ces mutations au niveau de la structure HA sont également évaluées. HKU-PRC a démarré une collaboration avec l'équipe du professeur Malik Peiris( l'un des découvreurs du coronavirus du SRAS) du département de microbiologie de l'université de Hong Kong sur les modèles expérimentaux pour l'analyse de l'entrée virale et donc de la pathogénicité.

Université de Hong Kong - HKU

Dirigé par le professeur Kwok-Yung Yuen, le département de microbiologie de la HKU mène depuis plusieurs années des recherches fondamentales et appliquées sur les maladies infectieuses émergentes en général, et sur les virus de la grippe aviaire en particulier. L'équipe de ce département, qui comprend notamment MM. Peiris et Guan, maintient des liens étroits avec les plus grands instituts travaillant sur les maladies infectieuses ; ses membres sont souvent sollicités par des organismes internationaux comme l'OMS. Cette équipe possède plus de 50 communications scientifiques publiées ces dernières années dans des conférences, des revues et des journaux à comité de lecture (Journal of virology, Avian diseases, The Lancet, the new England journal of medecine, Nature). Cette équipe a notamment publié un article qui a eu un grand retentissement (Chen. H et Al. Establishment of multiple sublineages of H5N1 influenza virus in Asia : Implications for pandemic control. PNAS. 2006) et que les Professseurs Yuen et Peiris avaient annoncé à votre Rapporteur lors de sa visite, donc dès avant sa publication en février 2006. Cet article présente des arguments de poids quant au rôle des oiseaux migrateurs dans l'extension de l'épizootie et donne des indications sur l'évolution réelle de la situation épidémiologique en Chine.

- En Chine : de larges zones d'ombre et des inquiétudes

C'est à partir de la Chine que le virus H5N1 s'est propagé depuis 1996. Pourtant, ce n'est qu'en 2004 que ce pays s'est résolu à déclarer les premiers cas de grippe aviaire et qu'en 2005, outre la reconnaissance de ces foyers, elle a officialisé l'apparition de cas humains dont le nombre ne cesse d'augmenter (15 dont 10 mortels au 8 mars 2006), confirmant ainsi indirectement la présence de foyers aviaires non maîtrisés. Plusieurs témoins ont attiré l'attention de la mission sur le fait que le nombre de cas humains était, selon toute vraisemblance, sous-déclaré par les autorités chinoises. Il est probable, également, que le nombre de provinces officiellement atteintes par la maladie animale (16 provinces sur 26) soit sous-estimé : selon l'étude citée précédemment68, la situation est endémique depuis 10 ans. M. Joseph Domenech a indiqué que la Chine était « lourdement infectée dans sa partie Sud en 2004 avant de connaître en 2005 une extension vers le Nord-Est, mais également vers le Nord-Ouest, cette fois probablement liée aux oiseaux migrateurs ». Au cours de l'entretien qu'ils ont eu avec des représentants du ministère de l'agriculture chinois, votre Rapporteur et votre Président n'ont pas obtenu plus d'éléments que les informations officielles.

Compte tenu de la taille du cheptel de volailles (14 milliards de têtes sur un an), mais plus encore des conditions d'élevage et de mise sur le marché des animaux, la situation ne peut qu'être endémique dans ce pays immense. Hormis quelques régions d'élevages industrialisés fournissant la grande distribution et l'exportation, situés à l'Est du pays (provinces du Shandong et de Jiangsu), les élevages chinois sont très éclatés, de petite taille et tournés vers l'autoconsommation ou les marchés locaux. Les conditions d'élevage sont donc propices à la dissémination des maladies animales : promiscuité entre les différentes espèces, insalubrité, absence de règles d'hygiène lors de la manipulation d'animaux, coûts de la prophylaxie...

Face aux conséquences dévastatrices de l'épizootie (22 millions de volailles abattues), les autorités chinoises ont mis en place, comme l'a exposé M. Joseph Domenech, des « stratégies mixtes conjuguant les trois outils principaux : l'abattage des foyers détectés, les mesures de biosécurité - désinfection, vidage des élevages, cordons sanitaires, fermeture des marchés, contrôle des mouvements - et la vaccination en anneau autour des foyers, ou dans les zones à risque »69. En novembre 2005, les autorités chinoises ont annoncé une campagne de vaccination généralisée de tout le cheptel (estimé à 14 milliards d'animaux par an).

Cette politique a, certes, permis de réduire le nombre des foyers, et M. Joseph Domenech l'a admis : « le nombre de foyers, même en tenant compte des sous déclarations, a incontestablement baissé depuis l'année dernière. Nous avons pu vérifier par nous-mêmes à plusieurs endroits, avec des collègues chinois, que les mesures d'abattage, de fermeture des marchés, de désinfection ou de vaccination en anneau ont été parfaitement appliquées ».

Cependant, globalement, selon M. Bernard Vallat, « la situation sanitaire en Chine n'est pas bonne » et les obstacles à une amélioration réelle sont nombreux. Tout d'abord, la vaccination de masse risque, outre les problèmes de qualité de vaccins exposés par M. Joseph Domenech : « A côté des neuf ou dix laboratoires soumis à des contrôles de qualité, un certain nombre de laboratoires de petite taille - souvent des laboratoires d'universités - ne soumettent pas leurs produits à des contrôles aussi rigoureux, d'où des problèmes de qualité », de poser des problèmes logistiques, ainsi que le pressent M. Michel Bublot : « La Chine prévoit d'y consacrer un million de personnes... Sans un vaccin oral, un tel plan est techniquement impossible ». Ce scepticisme est partagé par M. Bernard Vallat : « La Chine a décidé de vacciner l'ensemble de son cheptel ; non seulement je ne pense pas que la capacité de production chinoise suffira, mais il faudra des années pour couvrir le territoire. La Chine dispose d'un million de personnes, pour vacciner par injection individuelle cinq milliards d'oiseaux. Je crois qu'il faudra y affecter des effectifs plus nombreux ».

En matière d'indemnisation des éleveurs, si le principe en a été posé en novembre 2005 par les autorités nationales  - au cours de l'entretien que votre Rapporteur et votre Président ont eu avec des représentants du ministère de l'agriculture, la somme de 1 euro « en moyenne » par volaille abattue a été avancée - de fortes disparités régionales sont à craindre, Pékin n'indemnisant l'abattage que dans une certaine proportion, le reste relevant des gouvernements provinciaux. Le niveau d'indemnisation dépendra donc largement du degré d'engagement des provinces. Le risque de non déclaration ou de ventes d'animaux malades reste ainsi élevé. Enfin, la structure décentralisée étatique a été mise en cause par M. Bernard Vallat : « le gros problème, en Chine, reste la décentralisation : par exemple, une nouvelle maladie détectée dans une province ne peut être déclarée à l'administration centrale qu'avec l'autorisation du gouverneur lui-même, qui peut être en déplacement, ce qui implique d'attendre... ».

L'article précité70 insiste sur la nécessité absolue de lutter en priorité à la source de l'épizootie, c'est-à-dire en Chine. Cela ne peut se faire que si ce pays accepte que les flambées aviaires ne soient pas dissimulées aux yeux de la communauté internationale « sous une chape d'ignorance », selon l'expression de M. Bernard Vallat.

b) Le cas de la Turquie

Une délégation de la mission, conduite par votre Rapporteur, s'est rendue en Turquie du 12 au 14 février, et a été reçue par les autorités turques, en particulier le Ministre de l'agriculture Mehmet Mehdi Eker et le secrétaire d'état à la santé Neckdet Unuvar.

Les membres de la délégation se félicitent de la volonté de transparence des autorités turques, qui doivent faire face à une situation difficile du fait de la multiplication des foyers.

La généralisation de l'épizootie

Le tableau ci-après, publié par l'Ambassade de France à Ankara, est parlant.

Etat de la situation au 18 janvier 2006 (Ambassade de France en Turquie)

A la date du 18 janvier 2006 (11 heures), le Centre national de coordination grippe aviaire recensait les foyers suivants (source : site internet du Ministère de l'agriculture) :

1.- 24 foyers avérés dans 13 départements :

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  Igdir (Aralik et Igdir-centre, 26.12.2005 et 04.01.2006)

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  Erzurum (Horasan, Erzurum-centre et Senkaya, 4 et 7. 01.2006)

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  Sanliurfa (Hilvan,04.01.2006)

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  Erzincan (Centre/Caglayan, 06.01.2006)

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  Bitlis (Adilcevaz, 06.01.2006)

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  Agri (Eleskirt, Hamur et Dogubeyazit, 06.01.2006)

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  Yozgat (Akdagmagdeni, 07.01.2006)

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  Ankara (Beypazari, 07.01.2006)

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  Bursa (Gürsu, 07.01.2006)

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  Istanbul (Küçükçekmece et Gaziosmanpasa, 07.01.2006)

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  Van (sans précision, 09.01.2006)

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  Aydin (sans précision)

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  Kars (sans précision)

2.- 59 foyers suspects dans 25 départements, à Mus, Kars, Yozgat, Bayburt, Sanliurfa, Ardahan, Erzurum, Isparta, Izmir, Elazig, Diyarbakir, Karaman, Sivas, Konya, Siirt, Samsun, Eskisehir, Mugla, Karabük, Batman, Van, Malatya, Gaziantep, Hatay et Tekirdag.

Les autorités sanitaires turques ont jusqu'à présent admis quatre décès liés à la grippe aviaire (trois frères et soeurs d'une même famille originaire de Dogubeyazit et une adolescente, originaire elle aussi de Dogubeyazit). Ces victimes auraient été en contact avec les volailles avant de les consommer. Un peu plus de vingt personnes auraient au total contracté le virus de la grippe aviaire.

La Turquie a connu l'apparition d'un premier foyer, lié aux oiseaux migrateurs, le 5 octobre 2005, qu'elle a cru vaincre, car il était très isolé, et de ce fait relativement facile à régler.

Mais un deuxième foyer s'est déclaré à la fin du mois de décembre 2005, prélude à une généralisation de l'épizootie.

Lors du voyage de la délégation, un mois après la publication de ce tableau, la situation s'était aggravée : les autorités turques évoquaient 97 cas confirmés et 60 cas suspectés de grippe aviaire, tout en insistant sur le fait qu'aucun élevage industriel de volailles n'avait été touché, ces derniers assurant la plus grande partie de la consommation domestique (85%, nous a-t-on indiqué).

Il semble que l'exemple turc de transparence ait été inégalement suivi dans la région. La probabilité qu'il existe des foyers dans les pays limitrophes, en particulier en Syrie et en Azerbaïdjan,71 est très forte et les autorités turques se sont inquiétées auprès des membres de la mission du manque de transparence de leurs voisins.

Cet exemple illustre, à l'évidence, la nécessité de mise en œuvre au niveau international d'un droit d'ingérence sanitaire, sur lequel votre Rapporteur reviendra plus loin.

Nous manquons d'éléments sur l'origine de l'épizootie mais il est probable que les vols d'oiseaux migrateurs ne sont pas seuls en cause et des mouvements commerciaux ont aidé à la diffusion de l'épizootie mais que des mouvements commerciaux ont aidé à la diffusion de l'épizootie.

En outre, une grande partie des foyers se situant au Kurdistan, il est à craindre que toutes les déclarations n'aient pas été faites dans ces zones où le contrôle des autorités politiques centrales est imparfait.

Les difficultés rencontrées

Le premier problème rencontré en janvier a d'abord été lié aux conditions climatiques, qui ont conduit les paysans à rentrer les volailles à l'intérieur des maisons, ce qui explique que des enfants, habitués à jouer avec les oiseaux, aient été contaminés.

Le principal problème, aujourd'hui, est celui du manque d'infrastructures et, donc, de l'accès aux basses-cours des régions reculées d'Anatolie et du Kurdistan. La maîtrise du territoire par l'État n'est pas parfaite et il existe un problème récurrent de contrôle par l'Etat de certaines zones.

D'autre part, l'Etat manque de moyens : la Turquie est un pays dual, proche du niveau des pays européens dans sa partie occidentale, mais sous-développé dans ses régions orientales.

Une réponse rapide et professionnelle des autorités

De l'avis unanime des représentants des organisations internationales rencontrées sur place, il apparaît que la réponse des autorités turques a été rapide et professionnelle mais qu'aujourd'hui, la dispersion de l'épizootie sur le territoire constitue un défi difficile à relever.

La réponse a été rapide : 1 800 000 animaux ont été abattus ; la moitié était suspectée d'avoir été contaminée par la maladie, l'autre moitié a été éliminée en application du principe de précaution. D'autre part, la chasse a été interdite sur l'ensemble du territoire, de même que les transports d'animaux. Mais l'accès aux régions touchées, qui se situent à des altitudes élevées et connaissent, en hiver, des températures négatives, est difficile et complique la tâche des responsables turcs.

L'abattage est un problème pour les habitants car les volailles constituent à la fois un revenu et une alimentation (à travers les œufs). Un système de bons a été mis en place pour indemniser les éleveurs, qui commencent tout juste recevoir les sommes dues. Mais dans un pays où vivent plusieurs millions d'analphabètes, un tel mécanisme suscite la méfiance.

Le débat sur la vaccination n'a pas encore été tranché, mais il semble difficile que celle-ci fonctionne, en particulier pour des raisons économiques car la vaccination représenterait un coût d'un euro par volaille, soit une part trop importante du prix de vente pour que l'opération soit envisageable.

Un problème majeur : la communication

Il est important de souligner qu'il existe incontestablement une évolution de la culture turque vers plus de transparence, de l'avis unanime de l'ensemble des organisations internationales.

La réponse des autorités n'a pas toujours été coordonnée mais, surtout, s'est révélée d'une qualité inégale selon les régions. Dans les provinces isolées où les cas de grippe aviaire sont survenus, les autorités locales étaient mal informées et la population a accueilli avec suspicion les informations en provenance d'Ankara. À deux reprises, des villageois s'en seraient pris, selon certains interlocuteurs de la délégation, à des personnes qui avaient signalé des cas suspects. Il reste donc beaucoup à faire en termes de stratégie de communication.

c) En Afrique : une menace pour un continent fragilisé

- La situation générale

Sur la situation en Afrique, M. Bernard Vallat a déclaré, devant la mission : « Notre sentiment est que l'Afrique s'installe dans l'endémicité comme cela avait été le cas pour l'Asie où, trois ans après le début de l'épizootie, de nouveaux foyers animaux, et même humains, continuent d'apparaître, y compris en Chine ».

Trois grands itinéraires de migration passent par l'Afrique, qu'empruntent les oiseaux venus de l'Est de l'Asie. Vecteurs potentiels du virus H5N1, ces oiseaux migrateurs survolent la côte est de l'Afrique, le long de l'océan indien et font escale, en hiver, dans la vallée qui s'étend sur 5.000 kilomètres, du nord de la Somalie au centre du Mozambique. Jusqu'à une date récente, on considérait donc que l'Afrique de l'Est était la plus menacée et, en particulier, la vallée du Rift. En fait c'est au Nord Nigeria que les premiers cas identifiés sont apparus et ont été formellement déclarés le 8 février 2006

Au 27 mars 2006 la situation en Afrique était la suivante, au sens de l'OIE72. Les pays africains touchés étaient l'Egypte, le Cameroun, le Niger et le Nigeria. La situation politique de certains pays, qui connaissent des troubles, voire une situation de guerre civile, conduit à une certaine prudence car il est fort possible que des cas de grippe aviaire ne soient pas détectés dans ces zones.

Il semblerait que nous soyons en présence de deux sources d'infection.

L'une proviendrait des oiseaux migrateurs et aurait déjà provoqué des victimes humaines en. Egypte qui aurait été contaminée, après la Turquie par ces oiseaux. L'examen d'une carte semble accréditer cette hypothèse et il est fort probable que l'ensemble du Moyen Orient est aujourd'hui touché puisque l'Irak, Israël et la Jordanie ont déclaré des foyers.

Par contre, les foyers constatés dans l'Afrique de l'ouest trouveraient, semble-t-il, leur origine dans le commerce des poussins d'un jour. Des importations de poussins infectés provenant de pays contaminés seraient à l'origine des premiers foyers recensés au Nigeria et peut être au Niger et au Cameroun.

- Les pays touchés en Afrique orientale : l'Egypte

L'Égypte, étape majeure des routes migratoires, pourrait jouer un rôle crucial dans la propagation de l'épizootie. L'élevage de poulets est important dans ce pays où plus de 800 millions de volatiles sont consommés chaque année et où près de 2 millions d'Egyptiens travaillent dans le secteur agricole. De nombreux égyptiens pratiquent l'élevage domestique de la volaille et la quasi-totalité des toits d'immeubles et des cours hébergent des poules, des canards et des pigeons. Sur les 26 gouvernorats que compte ce pays, 19 sont atteints par le virus H5N1. Depuis l'annonce des premières infections animales, l'interdiction de transport et de vente à l'étal de volailles vivantes a été décrétée et il est procédé à l'abattage sanitaire des volailles infectées. La situation n'est cependant pas sous contrôle et l'apparition de deux cas humains (un premier cas humain a été confirmé le 20 mars ; un deuxième le 27 mars) ne fait que renforcer les craintes sur la situation sanitaire du pays.

-La situation des pays touchés en Afrique de l'ouest

L'épidémie de grippe aviaire qui a d'abord touché le Nigeria progresse, mais aucun cas humain n'est à déplorer dans les trois pays qui, à ce jour, ont déclaré des foyers. Pour le Nigeria, il faut noter qu'une recherche active de cas chez l'homme a été menée conjointement avec des agences internationales.

La situation au Nigeria

La flambée de grippe aviaire à virus H5N1 hautement pathogène, qui été initialement confirmée pour un seul élevage de volailles au Nigeria le 8 février dernier, s'étend dorénavant à plusieurs régions du pays. A ce jour, on a découvert des foyers de grippe aviaire dans plus de 130 élevages, répartis dans 11 des 37 Etats du pays. Au total, quelque 450.000 oiseaux sont morts ou ont été abattus depuis le commencement de la flambée, début janvier 2006.

Fin février, les laboratoires locaux avaient détecté le virus dans 7 états contigus au nord et au centre du pays (Kaduna, Kano, Plateau, Katsina, Bauchi, Yobe et Nasarawa) et dans le territoire de la capitale fédérale, Abuja. Au cours de la première semaine de mars, le virus a été découvert dans trois autres Etats, Anambra, Benue et Rivers, situés dans le sud du pays.

Les mesures de lutte prises dans les élevages ont été l'abattage, la désinfection et l'élimination des carcasses. Le gouvernement fédéral a lancé officiellement son programme d'indemnisation des éleveurs la dernière semaine du mois de mars. Le paiement des indemnités a commencé dans l'Etat de Kano.

Les moyens d'analyser les échantillons humains et animaux dans le pays ont été renforcés avec l'aide de l'OMS et des Centers for Disease Control and Prevention (Etats-Unis d'Amérique). Plus de 60 échantillons prélevés sur des patients en cours d'investigation ont été analysés. A ce jour, tous les résultats ont été négatifs pour l'infection au virus hautement pathogène H5N1.

La situation au Niger

Compte tenu de l'apparition au Nord Nigeria de l'épizootie en février 2006 et de l'importance des échanges économiques et sociaux avec ce pays voisin, le Niger fait désormais partie des pays situés en première ligne : deux foyers d'infection animale (canards domestiques) ont été déclarés le 28 février, à Magaria et Danbardé (zone frontalière avec le Nigeria au Sud de Zinder), mais il n'existe aucun cas de contamination humaine.

Seule la partie frontalière avec le Nigeria (extrême sud du pays), essentiellement le sud de Zinder, est touchée. Le Nord du pays, en particulier l'Aïr, le Ténéré le Djado, est hors d'atteinte de l'épizootie, qui se transmet localement, d'élevages à élevages sans intervention prouvée, pour l'instant, de migrateurs.

Le conseil des ministres du 28 février a pris les mesures suivantes :

· Interdiction de l'importation de la volaille, des produits et sous-produits avicoles ;

· Interdiction de circulation de volailles entre les villages, les communes, les départements et les régions ;

· La création de comités régionaux, départementaux, communaux et locaux de surveillance de la grippe aviaire ;

· La destruction et l'enfouissement des cas suspects des oiseaux morts et des objets ayant été en contact avec ces oiseaux ;

· L'abattage systématique de la volaille dans les zones infestées ;

· La mise en place des périmètres sanitaires et périmètres infectés ;

· La mise sous surveillance sanitaire des personnes ayant été en contact avec des oiseaux suspects dans les zones infectées.

En cas d'abattage effectué dans les zones infectées, dans le respect des conditions fixées par le Ministre des ressources animales, le gouvernement apportera un appui financier pour aider à la reconstitution du cheptel détruit.

La situation au Cameroun

Les autorités camerounaises ont annoncé, le 11 mars, qu'un test effectué sur un canard d'un élevage de Maroua avait révélé la présence du virus H5N1. Il s'agit du premier cas de grippe aviaire détecté au Cameroun, les tests effectués sur de la volaille morte au Centre et au Sud du pays s'étant révélés négatifs. Aucun cas humain n'a par ailleurs été détecté au Cameroun.

Avant ces analyses, le gouvernement camerounais avait pris des mesures préventives, dont, notamment la suspension d'importations des volailles, produits dérivés et porcs en provenance des pays infectés.

- La préparation dans des pays non touchés par la grippe aviaire : les exemples du Sénégal et du Mali

Une délégation de la mission, conduite par son Président, s'est rendue au Sénégal et au Mali au début du mois de mars afin d'étudier les mesures de prévention contre la grippe aviaire mises en place dans ces pays, et le dispositif de surveillance des oiseaux migrateurs avant leur retour en Europe, le Sénégal,étant le carrefour maritime et aérien de l'ouest africain. Il abrite une demi-douzaine de parcs nationaux où des centaines de milliers d'oiseaux migrateurs transitent chaque année pour l'Europe ou d'autres parties de l'Afrique. Le plus important est le parc national du Djoudj, où s'est rendu la délégation, avec une superficie de 16.000 hectares sur le fleuve Sénégal, près de la frontière mauritanienne ; il constitue la première zone humide d'importance au sud du Sahara.

Lorsque ce voyage a été décidé, l'Afrique n'était pas encore touchée par la grippe aviaire et, au moment où ces lignes sont écrites, les renseignements demeurent succins et susceptibles d'évolution.

La principale difficulté pour lutter contre la grippe aviaire réside dans le manque de moyens des pays touchés, qui ont néanmoins mis en place, dans les deux pays visités par la délégation, la législation préconisée au niveau international. En particulier, l'arrêt des importations en provenance des pays infectés a été décidé, dès le 16 novembre 2005 par le Mali qui a également mis en place, le 18 octobre 2005, un comité technique de coordination pour la lutte contre la grippe aviaire.

Il en a été de même pour le Sénégal, qui a mis en place un Comité National de lutte contre la Grippe Aviaire (CONAGA), auquel participe l'institut Pasteur de Dakar (IPD), qui dispose d'un laboratoire de type P3 pouvant réaliser les diagnostics de grippe aviaire73 .

Il convient de souligner que, suite à l'atelier Régional Interministériel de Dakar (22-23 février 2006) organisé par le Président Wade, l'OMS et le bureau de surveillance des pathologies vétérinaires de l'Union Africaine (IBAR/UA) ont proposé l'IPD comme laboratoire référent pour le diagnostic du virus de la grippe aviaire hautement pathogène. En effet, si les structures vétérinaires doivent rester les intervenants de première ligne pour la description des foyers et des cas, ainsi que pour la surveillance épidémiologique animale, aujourd'hui seul l'IPD a la capacité, au Sénégal et dans la zone, d'identifier le virus H5N1, en attendant la mise en place d'autres laboratoires fonctionnels. Les laboratoires de référence internationaux en Europe risquent en effet d'être rapidement débordés.

Cette situation illustre la nécessité pour le Gouvernement français de renforcer son appui à l'Institut Pasteur, et à son réseau international, comme votre Rapporteur l'a souligné dans le rapport sur le risque épidémique qu'il a présenté avec Mme Marie-Christine Blandin devant l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques au mois de mai 2005.

Le Comité National de lutte contre la Grippe Aviaire du Sénégal s'est réuni régulièrement, mais son action n'a pu réellement débuter qu'après un déblocage de premiers fonds nationaux dans le contexte de l'apparition du foyer nigérian.

Pratiquement tous les pays voisins (Mauritanie, Mali, Guinée-Bissau, Guinée, Gambie, Cap-vert) ont également mis en place des cellules de veille et de riposte.

A ce jour, aucun cas animal n'a été confirmé sur les différents prélèvements réalisés dans l'ensemble de ces pays. Par ailleurs, aucun cas suspect humain n'a été notifié.

La mobilisation s'est effectuée au plus haut niveau puisque les chefs d'Etat se sont réunis à Dakar le 13 février 2006 sur le thème de la grippe aviaire. Des dispositions ont été prises pour commencer à mobiliser l'aide internationale avec l'ouverture d'un compte bancaire dédié à la gestion des fonds qui pourraient être dégagés.

Les problèmes de fond spécifiques à l'Afrique demeurent, le premier d'entre eux étant le manque de moyens car, quelle que soit la qualité des dispositifs nationaux, si les techniciens chargés des prélèvements ne disposent même pas de l'essence nécessaire pour faire marcher leurs mobylettes, ou des écouvillons nécessaires aux prélèvements, il est difficile de disposer d'un réseau de surveillance performant.

Se pose également avec acuité la question de l'apport en protéines de volailles : un pays comme le Mali compte 26 millions de volailles qu'il sera très difficile de remplacer si on devait les abattre.

D'autre part, dans des pays frappés par des maladies ayant disparu en Occident, par exemple le choléra, et où les enfants peuvent mourir de rougeole et les adultes de tuberculose, il est facile de comprendre qu'il existe une hiérarchie dans les questions de santé publique qui rend plus difficile la mobilisation autour des thèmes de santé animale. Malgré cette situation, l'Etat malien a mis en place un plan d'urgence, d'un coût de 862 094 646 FCFA, auquel il apporte 322 600 000 FCFA, ce qui illustre à la fois une prise de conscience doublée d'une volonté d'agir des autorités d'un pays pourtant démuni.

2. La mobilisation internationale : une urgence absolue pour maîtriser l'épizootie

L'épizootie n'est pas maîtrisée et elle s'étend chaque jour. Or, « plus il y aura de virus circulant chez les volailles dans le monde, plus le risque d'apparition de dangereuses souches mutantes pour l'homme sera élevé ». Cette mise en garde de M. Bernard Vallat74, faite après l'annonce de l'atteinte de l'Afrique par le virus H5N1, résume le lien indissociable entre santé animale et santé humaine. Les pays développés ne peuvent voir avec indifférence la situation se dégrader sur les continents asiatique et africain ou dans certains pays d'Europe moins favorisés. Cette solidarité relève avant tout d'une exigence morale internationale. Mais d'une façon plus pragmatique, voire égoïste, il est de l'intérêt bien compris de l'ensemble de la communauté internationale d'intervenir, comme l'a exprimé sans ambages M. Bernard Vallat : « il est de l'intérêt des pays riches, pour se protéger eux-mêmes, de les(...) aider ».

2.-1. Conforter la solidarité internationale

Sur les 167 pays membres de l'OIE, M. Bernard Vallat estime que 140 ne peuvent pas faire face, seuls, à la grippe aviaire. Cette donnée du problème est très claire et la communauté internationale, tout particulièrement les pays les plus riches, ne peut se dispenser d'agir fortement et rapidement, sous peine de perdre sa crédibilité. La conférence de Pékin des 17 et 18 janvier derniers a été un moment fort de la mobilisation contre la grippe aviaire, même si l'on peut regretter qu'elle ait été tardive. Compte tenu de l'évolution de la situation de l'épizootie et notamment de son extension au continent africain, il importe que les promesses qui y ont été faites soient honorées le plus rapidement et le plus complètement possible.

a) La mobilisation contre l'épizootie a été tardive

La mobilisation financière de la communauté internationale sur la grippe aviaire s'inscrit dans la continuité de la conférence ministérielle de l'OMC qui s'est tenue à Doha en novembre 2001, au cours de laquelle avait été mise en avant la nécessité d'adapter l'assistance aux besoins des pays en développement et en transition, et de ne plus se contenter d'une aide générique mais de mettre en place une assistance technique ciblée afin d'aider ces pays à respecter les normes internationales. Cette conférence a débouché sur des engagements de la Banque mondiale, des grandes agences onusiennes, de l'OIE, notamment à travers le « dispositif pour le développement des normes et du commerce international » (SDTF).

La prise de conscience de l'importance de la lutte contre l'épizootie a été décalée par rapport à la progression des flambées aviaires. En effet, dès que celles-ci se sont étendues au début de l'année 2004, les organisations internationales, notamment l'OIE et la FAO, ont alerté sans délai l'opinion internationale. Une consultation d'urgence de ces deux organisations s'est ainsi tenue à Rome en février 2004, mais n'a pas mobilisé les acteurs internationaux. Ce retard dans leur prise de conscience et dans leurs réactions a été souligné devant la mission par M. Bernard Vallat : « Il est dommage que, depuis deux ans, nos appels répétés n'aient pas été entendus. Si nous avions aidé dès le début des pays comme le Vietnam ou l'Indonésie, où est apparue cette souche, à la contrôler, puis à l'éradiquer, le risque d'une pandémie humaine aurait été écarté. Les investissements qui auraient dû être faits à ce moment-là et que nous préconisions, avec la FAO, auraient été dérisoires en comparaison des ressources qu'il va falloir désormais investir pour éliminer le virus chez l'animal dans une dizaine de pays, et du coût de prévention de la pandémie humaine. Cette analyse a enfin été entendue, mais trop tard : compte tenu de l'ampleur de la maladie chez l'animal, on a parlé, lors de la conférence de Genève - que nous avons organisée en novembre avec la FAO - d'un coût de 500 millions de dollars pour éradiquer l'épizootie dans les pays infectés ou à risque, alors qu'au début, 50 millions auraient suffi pour bloquer le virus dans sa zone d'apparition ».

Ce retard a donc non seulement permis une diffusion massive du virus, mais a également coûté très cher. En effet, lors de la réunion régionale de Bangkok du 26 au 28 février 2005 tenue sous l'égide de l'OMS, de la FAO et de l'OIE, au cours de laquelle les experts avaient insisté une nouvelle fois sur la nécessité de multiplier les mesures de prévention de l'épizootie, le montant nécessaire à la lutte contre l'épizootie pour l'ensemble de la zone Asie avait alors été chiffré à 500 millions de dollars. M. Bernard Vallat avait, lui, estimé que les sommes disponibles n'atteignaient que 10 millions de dollars75 . Cette somme correspondait au coût représenté par l'élimination des volailles et l'indemnisation des éleveurs, aux dépenses liées au renforcement des mesures de biosécurité et à la mise en place de mécanismes de contrôle. A la fin 2005, un rapport de la Banque mondiale estimait que les pays en développement allaient avoir besoin, au bas mot, de 1,2 à 1,4 milliard de dollars pour assurer la lutte contre les foyers de grippe aviaire et faire face à la menace de pandémie.

D'autres réunions internationales se sont depuis régulièrement tenues : consortium de recherche sur la grippe aviaire (FAO, OIE, OMS, CSIRO/AAHL-Australie76 ) à Melbourne en octobre 2004 ; deuxième réunion régionale FAO/OIE sur la lutte contre la grippe aviaire en Asie, à Ho Chi Minh Ville en février 2005 ; conférence scientifique internationale OIE/FAO/OMS sur la grippe aviaire, à Paris en avril 2005 ; consultation FAO/OIE/OMS sur la grippe aviaire et la santé humaine : mesures de réduction des risques liés à la production, à la commercialisation et au contact direct avec des animaux en Asie à Kuala Lumpur en juillet 2005.

Mais il faudra attendre la conférence internationale sur la grippe aviaire et la grippe pandémique humaine, organisée à Genève du 7 au 9 novembre 2005 par les trois grandes agences onusiennes (FAO/OIE/OMS) et la Banque mondiale, pour que la communauté internationale, alarmée par l'augmentation des cas humains et par la confirmation, en octobre, de foyers de H5N1 aux portes de l'Europe, prenne réellement la mesure du risque que fait peser sur la santé humaine une épizootie de grippe aviaire non maîtrisée. L'heure n'était alors plus à la polémique entre l'OMS, dont la priorité est la santé humaine, et l'OIE et le FAO qui privilégient la lutte contre la maladie animale pour protéger la santé humaine. Les quatre organisations internationales souhaitaient recentrer les actions sur la maîtrise du virus H5N1 chez la volaille et cherchaient à obtenir les moyens politiques et financiers d'une intervention efficace à cet égard. En comparaison des sommes mobilisées, certes légitimement, par les pays les plus riches pour constituer des stocks de médicaments et de vaccins, les 30 millions de dollars77  alors disponibles pour lutter contre l'épizootie apparaissaient dérisoires. La conférence de Genève s'est terminée par l'annonce d'un « chiffre choc » : un milliard de dollars serait affecté à la lutte contre l'épizootie de grippe aviaire et à la prévention d'une pandémie grippale.

b) Les promesses faites à la conférence de Pékin doivent être honorées

- La conférence de Pékin : un succès

Le début de l'année 2006 a été marqué par la conférence internationale des pays donateurs qui s'est tenue à Pékin (International pledging conference on avian and human pandemic influenza) les 17 et 18 janvier, à l'initiative du gouvernement chinois, de la Banque mondiale et de l'Union européenne. Elle avait pour objectif de confirmer les stratégies ayant fait l'objet d'un consensus à Genève, de rassembler des fonds et définir les mécanismes par lesquels ceux-ci seraient gérés. Les principaux intervenants (Commission européenne, FAO, OIE, OMS, représentants de l'Union africaine et de l'ASEAN) ont rappelé les grandes orientations adoptées à Genève et ont réaffirmé l'importance de concentrer les efforts sur la lutte contre la maladie animale, tout en préparant l'éventualité d'une pandémie humaine.

Cette conférence a été un succès : la Banque mondiale et les pays donateurs se sont engagés à verser, sur trois ans, 1,9 milliards de dollars au lieu du 1,4 milliard estimé nécessaire par la Banque mondiale. Ces sommes sont constituées, pour 900 millions de dollars, de prêts (500 millions pour la Banque mondiale et 400 millions pour la Banque asiatique de développement) et, pour 1 milliard de dollars, de dons, se répartissant entre des actions bilatérales, des dons aux organisations internationales et aux ONG, et des efforts supplémentaires de recherche. Un milliard de dollars sera consacré à la lutte contre l'épizootie animale et 900 millions à la lutte contre la pandémie humaine. Les sommes ainsi dégagées constituent un volant de ressources devant permettre de faire face à la fois aux dépenses urgentes et aux dépenses structurantes à long terme.

La déclaration de Pékin, adoptée à l'unanimité, a notamment précisé les recommandations accompagnant les aides. Celles-ci devront servir :

- au niveau national, à l'élaboration de systèmes d'alerte rapide et de plans d'urgence, ce qui passera par une amélioration de la qualité des services vétérinaires et une meilleure capacité de diagnostic, la diminution de l'exposition des populations au virus aviaire et la constitution de stocks de médicaments, ainsi que l'évaluation régulière des dispositifs ;

- au niveau régional, à la mise en place de réseaux de communication et d'échanges d'information, en particulier entre laboratoires ;

- au niveau international, à la transparence et l'échange des données épidémiologiques et scientifiques, l'augmentation de l'effort de recherche allant de pair avec un effort accru de coopération en matière de connaissance du virus et de recherche sur les vaccins.

Les donateurs principaux de la Conférence de Pékin

- les Etats-Unis, pour 334 millions de dollars, très majoritairement consacrés aux programmes bilatéraux ;

- l'Union européenne, pour 250 millions de dollars, dont 122 versés par la Commission Européenne et 128 par les Etats membres (dont 35 pour le Royaume-Uni, 31 pour la France (soit 26,4 millions d'euros), 28 pour l`Allemagne, 13,7 pour les Pays-Bas, 9 pour la Suède, 6,8 pour l'Italie) ;

- le Japon, pour 156 millions de dollars ;

- l'Australie, pour 70 millions de dollars ;

- la Banque Asiatique de Développement, pour 68 millions de dollars;

- la Russie, pour 44,7 millions de dollars.

Certains pays comme le Canada, la Nouvelle-Zélande et la Corée, ne pouvant avancer de chiffre à ce stade, se sont engagés à annoncer leurs dons ultérieurement.

La Chine, quant à elle, en insistant sur le fait qu'elle avait elle-même grand besoin de fonds pour la lutte sur son territoire, a annoncé un don de 10 millions de dollars.

Contribution de la France

La France a annoncé une contribution totale de 26,4 millions d'euros aux efforts internationaux de lutte contre l'épizootie et de prévention d'une possible pandémie.

La contribution française se répartit entre un volant multilatéral et un volant bilatéral :

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- pour le premier volant, il s'agit d'une contribution de 10 millions d'euros aux programmes de l'Organisation des Nations unies pour l'Agriculture et l'Alimentation (FAO/OAA), de l'Office International des Epizooties (OIE), et de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS), ainsi que du financement de dix postes d'assistance technique sur trois ans pour un montant de 4,2 millions d'euros ;

- s'agissant du volant bilatéral, il recouvre, d'une part, une contribution de 9,2 millions d'euros, dont 6,6 millions via l'Agence Française de Développement (AFD) et 2,6 millions du ministère de la Santé, pour financer des actions de coopération et d'appui aux Instituts Pasteur et, d'autre part, une contribution de 3 millions d'euros pour le financement d'actions bilatérales consacrées à l'AFD au Laos (2 millions) et au Cambodge (1 million).

Cette contribution place la France parmi les principaux contributeurs mondiaux et en tête des donateurs européens, avec le Royaume-Uni.

La conférence de Pékin marque indéniablement une avancée dans la mobilisation mondiale contre la grippe aviaire ; elle a conforté le rôle des agences techniques des Nations Unies et, pour la première fois à un tel niveau, de l'OIE. De la bonne coordination de ces aides dépendra l'efficacité des moyens mis en œuvre pour lutter contre l'épizootie.

En avril 2006 se tiendra une réunion de suivi de la conférence de Pékin, qui réunira les acteurs majeurs de la lutte contre la grippe aviaire. La mission d'information sera particulièrement attentive au bilan, qui sera préparé par la Banque mondiale et les agences des Nations Unies, des actions engagées et des difficultés rencontrées depuis la Conférence de Pékin.

Les suites de la conférence de Pékin

Pour l'heure, il apparaît que les mécanismes se mettent en place, mais avec retard. Pour M. Bernard Vallat, les responsables de ces lenteurs en sont « les bailleurs de fonds bilatéraux ou régionaux qui n'ont pas tenu leurs engagements », et non la Banque mondiale.

En dehors des actions bilatérales qui relèvent de la gestion de chaque pays, les fonds promis - dons et prêts - vont être mobilisés par le biais de deux mécanismes principaux.

- La Banque mondiale a mis en place un mécanisme de financement à hauteur de 500 millions de dollars (420 millions d'euros), conçu de manière à permettre aux pays d'avoir accès à des financements pour renforcer leurs systèmes vétérinaires et de santé. M. Bernard Vallat a décrit à la mission le mécanisme mis en place : « la Banque mondiale a décidé de combiner ses fonds propres, mobilisés sous forme de prêts, avec les fonds apportés par les donateurs bilatéraux, dans des actions d'appui à des programmes nationaux, financés pour partie par des prêts, pour partie par des dons. Elle nous a chargés d'effectuer un diagnostic structurel de tous les services vétérinaires des pays bénéficiaires, de façon à engager des programmes structurels de moyen terme visant à améliorer la gouvernance, qui aideront à liquider la grippe aviaire, mais également à prévenir des crises similaires à l'avenir ». Ce mécanisme est donc conçu pour s'appliquer de manière flexible, les prêts pouvant être complétés par des dons dans le cadre d'opérations soutenues par la Banque mondiale. Ce point est important car, comme l'a fait remarquer M. Bernard Vallat, de nombreux pays sont réticents à l'idée de s'endetter car ils n'en ont pas la capacité financière.

Le dispositif se met progressivement en place, et c'est dans ce cadre qu'au début du mois de février 2006, la Banque mondiale a donné son accord à l'octroi d'une subvention de 4 millions de dollars à la République kirghize (cette subvention est la première à être accordée par ce mécanisme), pays où aucun cas de grippe aviaire n'a été signalé, mais qui, en raison de sa situation géographique, suscite des inquiétudes. Des discussions sont également en cours avec la Turquie. Un projet avec le Nigeria est, on le verra plus loin, en voie d'achèvement.

- Par ailleurs, un fonds fiduciaire (« Trust fund ») a été institué auprès de la Banque mondiale afin de recevoir les dons (bilatéraux, de certaines institutions internationales ou de l'Union européenne). Ce fonds n'est pas un passage obligé de l'aide, mais cet outil connaîtra sans doute une montée en puissance progressive car il permettra une coordination et une gestion des aides versées aux pays bénéficiaires de plusieurs types d'aides de plusieurs donateurs. Lors de la Conférence de Pékin, le Vietnam et le Laos ont témoigné de cette nécessaire coordination.

M. Bernard Vallat s'est montré, somme toute, relativement optimiste sur la capacité de la communauté internationale à mobiliser les fonds promis : « le résultat final devrait être satisfaisant, en dépit des retards constatés », a-t-il estimé devant la mission.

En Afrique, la communauté internationale joue sa crédibilité

La mission souhaite que cet optimisme ne soit pas démenti, mais l'urgence de la situation en Afrique n'est, en tout état de cause, pas compatible avec le moindre retard dans l'arrivée de l'aide internationale. Tous les experts s'accordent pour considérer que c'est parce que le foyer initial détecté au Nigéria n'a été contrôlé que tardivement par rapport à la suspicion que le virus s'est ensuite rapidement propagé à d'autres exploitations nigérianes. Or, le foyer du Nigeria s'est déjà étendu au Niger au et Cameroun, pays ayant des frontières communes très étendues. L'Egypte est le quatrième Etat africain à avoir diagnostiqué la présence du virus, le 17 février 2006. Les propos du Docteur André Ndikuyézé, représentant de l'OMS au Gabon, sont inquiétants : « en tant qu'épidémiologiste, je peux vous assurer qu'il y a beaucoup plus de quatre pays touchés. Ces pays sont les seuls qui ont osé annoncer leurs résultats. Malheureusement, d'autres n'ont pas eu ce courage et n'ont pas pris les mesures nécessaires, ce qui est un facteur supplémentaire de propagation de l'épizootie ». L'ensemble du continent risque d'être infecté, et il sera alors très difficile d'éliminer le virus, a prévenu M. Bernard Vallat devant la mission. Or, la grippe aviaire constitue une menace spécialement inquiétante sur ce continent : la cohabitation entre les volailles et l'homme y est la règle et accroît le risque de transmission du virus à une population déjà fragilisée par la malnutrition et les maladies comme le paludisme ou le Sida. En outre, les abattages massifs de volailles, principale arme pour stopper la propagation du virus, auront inévitablement un impact nutritionnel et économique.

Lors de leur déplacement en Afrique, les membres de la mission ont trouvé des autorités publiques mobilisées et motivées, mais qui se heurtent cruellement à l'absence de moyens matériels pour mettre en place une surveillance efficace

C'est la raison pour laquelle la mission a fortement réagi aux propos de M Bernard Vallat, qui a regretté devant elle que « presque deux mois après la conférence de Pékin, les bailleurs de fonds ne se soient manifestés qu'à hauteur de 50 millions de dollars ». Il a dénoncé « le plus mauvais élève ... l'Union européenne, qui n'a toujours pas décidé de quelles manières seraient affectés les financements promis à Pékin. Les directions générales impliquées - santé et protection des consommateurs, développement, relations extérieures - sont toujours en discussion. S'agissant du cas particulier de l'Afrique, les «  30 millions d'euros...ne sont toujours pas affectés et le mécanisme n'est toujours pas décidé. Il y a vraiment là, pour un pays membre, matière à interpeller la Commission ». Aussi, la mission a-t-elle, sur-le-champ, adopté une motion qu'elle a transmise au Premier Ministre, dans laquelle elle indique avoir pris connaissance, avec consternation, du fait que l'Union européenne, qui avait été, avec la Banque mondiale, à l'initiative de la conférence de Pékin, n'avait pas encore dégagé les fonds ni mis en place les procédures nécessaires pour aider les pays en voie de développement victimes de l'épizootie de grippe aviaire.

Motion adoptée par la mission d'information le 8 mars 2006

et transmise à Monsieur le Premier Ministre

Une délégation de députés membres de la mission revient d'un déplacement au Sénégal et au Mali, où elle a pu constater que ces pays avaient accompli, dès le mois d'octobre 2005, un effort louable de prévention de la grippe aviaire, mais qu'ils se heurtaient à un manque criant de moyens pour mettre en œuvre leurs dispositifs.

Au cours de sa réunion de travail de ce matin, la mission a pris connaissance, avec consternation, du fait que l'Union européenne n'avait pas encore dégagé les fonds ni mis en place les procédures nécessaires pour aider les pays en voie de développement victimes de l'épizootie de grippe aviaire.

La nécessité d'éviter que cette épizootie ne se transforme en endémie constitue un devoir impérieux. Il y va de la crédibilité de l'Union européenne dans cette affaire : elle doit être capable de gérer l'urgence.

La mission d'information demande solennellement au gouvernement français d'agir le plus vite possible auprès de l'Union européenne, qui doit être rappelée à son obligation de respecter ses engagements.

Face à cette mise en cause, la réaction de la Commission européenne a été immédiate, et ses services ont indiqué dès le lendemain qu'une partie de l'aide promise (50 millions de dollars sur les 122 millions promis à Pékin) serait débloquée début avril, expliquant que le retard était dû à la mise en place du fonds fiduciaire multi donneur.

Il est donc crucial que le projet d'accord portant sur 50 millions de dollars pour le Nigeria, pour lequel une équipe de la Banque mondiale a été dépêchée sur place pour élaborer un accord mobilisant un ensemble de pays donateurs et des partenaires comme la FAO et l'OIE, entre le plus rapidement en vigueur. Cet accord devrait permettre d'aider à la mise en place de réseaux d'alerte et de surveillance et de soutenir la campagne de vaccination généralisée préconisée par l'OIE et la FAO, dont on sait qu'elle exigera des moyens matériels considérables. A ce jour, le déblocage des fonds doit être approuvé par les instances dirigeantes de la Banque.

Pour les pays européens, la maîtrise de la situation en Afrique présente un intérêt tout particulier : le rôle des oiseaux migrateurs dans la diffusion de l'épizootie étant avéré, le danger représenté par le retour des oiseaux de leurs zones d'hivernage constitue un menace potentielle non négligeable.

Or, M. Emmanuel Camus avait exposé les difficultés auxquelles se trouve confronté le CIRAD dans ses activités de surveillance de la faune sauvage, alors qu'il fournit, depuis le début de la crise en Afrique, un appui à des enquêtes épidémiologiques ainsi qu'à l'acheminement des prélèvements. Ses équipes sont intervenues au Mali, dans la boucle du Niger, en Éthiopie dans la vallée du Rift, aux bords du lac Tchad, au Maroc et en Mauritanie. Sur place, trois vétérinaires et trois ornithologues, travaillant en binômes, enchaînent les prélèvements car, compte tenu du calendrier des migrations, la « fenêtre de tir est très étroite » et « les scientifiques ne peuvent rester plus de quinze jours dans chaque pays ». Souhaitant capturer les volatiles vivants pour les relâcher une fois les prélèvements achevés, il a dû être fait appel, faute de moyens propres, aux sociétés de chasse locales qui connaissent les lieux fréquentés par les oiseaux.

Par ailleurs, une fois les prélèvements effectués, se pose le problème de leur analyse : ils doivent être expédié à Venise, où se trouve le laboratoire de référence européen sur l'influenza aviaire. Au problème de transport lié à l'acheminement des prélèvements, s'ajoute celui lié au délai de réalisation des analyses par un laboratoire submergé par les demandes. Pour toutes ces raisons, M. Emmanuel Camus annonçait que les résultats des centaines de prélèvements effectués ne seront connus au mieux que fin février. Mais très récemment, le site du CIRAD annonçait que : « Les premiers résultats d'analyses de laboratoires, destinés avant tout aux pays dans lesquels les prélèvements sont effectués, sont attendus dans le courant du mois de mars 2006 ». D'ici là, les migrations de retour seront déjà largement commencées, voire, pour certaines, terminées.

2.-2. Instaurer une gouvernance sanitaire

a) Un enjeu fondamental à moyen et long terme, dans un monde propice aux maladies émergentes

Sans une mobilisation de l'ensemble de la communauté internationale, l'épizootie ne pourra être maîtrisée car, comme le soulignait M. Bernard Vallat : « certains pays riches peuvent facilement appliquer ces préconisations - c'est une question de volonté politique - mais il n'en est pas de même pour une centaine de pays membres qui n'ont pas les ressources nécessaires pour maintenir un système minimal ». C'est pourquoi il a lancé devant la mission un appel pressant : « aussi notre message principal est-il de dire que la communauté internationale doit s'organiser dans le cadre d'une véritable gouvernance sanitaire. Il est de l'intérêt de chacun de veiller à ce que tous les États du monde aient une organisation minimale capable de détecter rapidement tout nouveau phénomène sanitaire, fût-il naturel ou intentionnel - je pense au bioterrorisme -, afin d'être en mesure de réagir. La détection rapide est la clé de la prévention... Il est de l'intérêt des pays riches, pour se protéger eux-mêmes, de les y aider. Ce message vaut tant pour la grippe aviaire que pour la prévention mondiale des maladies émergentes d'origine animale : 80 % des nouvelles maladies affectant l'homme sont d'origine animale. Il y a donc un lien très fort à établir entre la santé publique et la santé animale dans le nouveau contexte mondial ».

La mobilisation contre la grippe aviaire servira de toute évidence au-delà de l'actuelle épizootie, dans un environnement mondial favorable à l'apparition de maladies émergentes que la FAO décrit ainsi : « De manière plus générale, les flambées d'influenza aviaire peuvent être considérées comme faisant partie du processus de transformation qui affecte la planète. La dynamique du commerce crée des conditions propices pour que des virus, des bactéries et des parasites se transmettent dans le monde entier et touchent ainsi l'homme, les animaux et les écosystèmes. Le changement climatique modifie la répartition et l'abondance des insectes vecteurs, influe sur la migration des oiseaux et sur les concentrations de bétail. L'urbanisation, la hausse des revenus et les changements d'habitudes alimentaires font augmenter la demande des produits animaux. Selon les prévisions, l'industrie de la volaille continuera à croître rapidement dans la plupart des pays de l'Asie au cours des deux prochaines décades. On considère que les épidémies d'influenza aviaire, de SRAS, de fièvre aphteuse, de peste porcine classique, de fièvre de la vallée du Rift reflètent toutes les instabilités de l'environnement productif, et peut-être de l'agroécologie en général ».

b) Une chaîne nationale de commandement est indispensable

L'« organisation sanitaire minimale » définie par M. Bernard Vallat implique de multiples acteurs : éleveurs, réseaux d'alerte et de surveillance, services vétérinaires, laboratoires de diagnostic, équipes techniques chargées de l'application des mesures de biosécurité, forces de l'ordre chargées du respect des zones de confinement, etc. La lutte contre l'épizootie exige, ainsi que l'a noté M. Bernard Vallat, que « chacun soit à son poste et sache ce qu'il doit faire dès que sera déclenchée la situation d'urgence ». Cela nécessite une « chaîne nationale de contrôle »78, à défaut de laquelle « il ne peut y avoir de politique sanitaire efficace ».

Cette opinion est partagée par M. Joseph Domenech, pour lequel: « ces maladies hautement contagieuses créent un véritable état de guerre, qui exige un commandement centralisé, des stratégies offensives et des relais qui les appliquent sur le terrain sans discuter. On ne peut pas laisser place à la moindre déviation ou interprétation, au gré des autorités locales ».

Or, l'organisation politique et administrative de certains États n'est pas compatible avec une telle exigence. Devant la mission, M. Bernard Vallat a relevé, à cet égard, le cas de la Chine, dont le « gros problème reste la décentralisation » et celui des pays d'Afrique : « Un des grands problèmes de ces pays - le Nigeria fait figure de cas d'école - tient à l'absence de chaîne de commande nationale ». A contrario, il a donné en exemple le système français, émettant, par la même occasion, des doutes sur l'efficacité du système des Etats-Unis : « La France est un des seuls pays au monde à avoir la chance de disposer d'un système de détection centralisé, en l'occurrence les directions départementales des services vétérinaires (DSV), les DSV rapportant directement à la direction générale de l'alimentation (DGAL), au ministère de l'agriculture, qui rapporte à Bruxelles et à l'OIE. Le système des États-Unis est loin d'avoir la même efficacité, du fait de son organisation fédérale, avec un ou deux vétérinaires fédéraux par État, chaque État appliquant sa propre législation en matière de lutte contre les épizooties ».

Si la communauté internationale n'a que peu de prise sur l'organisation politique et administrative d'un pays - quoique M. Bernard Vallat ait cité en exemple le Vietnam qui a engagé, sur les recommandations de l'OIE et de la FAO, une réforme de ses structures administratives -, elle peut toutefois contribuer à renforcer les deux maillons essentiels de la chaîne de la gouvernance sanitaire que sont les réseaux vétérinaires nationaux et les éleveurs.

c) Une vigilance vétérinaire doit être instaurée

Cet objectif passe par la mise en place d'un véritable maillage vétérinaire sur le terrain et l'adoption de réformes structurelles.

- un maillage vétérinaire

Une stratégie basée sur la détection précoce et la réaction rapide exige un maillage vétérinaire minimal, reposant sur un réseau alliant vétérinaires privés et services vétérinaires nationaux sous la responsabilité de l'Etat. Les deux font souvent défaut. M. Bernard Vallat a décrit un phénomène mondial de désertification des campagnes par les vétérinaires : « Se pose également le problème du maillage rural vétérinaire, particulièrement dans les zones peu attractives. Dans le monde entier, les vétérinaires sont tentés de déserter les campagnes pour une activité plus lucrative en milieu urbain : il faut stopper cette tendance mondiale. Il est du devoir de la puissance publique de maintenir un réseau minimal dans les campagnes, et de disposer d'un service vétérinaire public capable de faire appliquer les lois».

En Asie, la situation est loin d'être idéale, mais les autorités publiques se sont engagées sur la voie préconisée par l'OIE et la FAO. Ainsi, au Vietnam, votre Rapporteur a pu noter qu'avec l'appui de l'organisation non gouvernementale « Agronomes et Vétérinaires sans frontières » (VSF-CICDA), a été mis sur pied un pôle de compétence « services vétérinaires / grippe aviaire » de dix personnes, dont six vétérinaires vietnamiens, pour appuyer spécifiquement les services vétérinaires dans quatorze provinces dès 2006. Cette même ONG a produit un guide (en langue locale, à l'intention des professionnels para-vétérinaires) de prévention et contrôle de la grippe aviaire dans les petits élevages, document qui fait autorité au Vietnam et dans les autres pays de la région.

En revanche, la situation est particulièrement critique en Afrique, où, sauf quelques rares cas comme l'Afrique du Sud, aucun État ne dispose de service vétérinaire digne de ce nom. Selon l'analyse de M. Bernard Vallat, les fonctions publiques vétérinaires ont été démembrées lors de réformes de structures préconisées par la Banque mondiale il y a une vingtaine d'années, qui porte donc une large part de responsabilité dans la situation actuelle : « Se pose également le problème, déjà relevé à Pékin, de la gouvernance en Afrique où les fonctions publiques ont été démembrées par les ajustements structurels. Si les pays se sont effectivement mobilisés et ont pris en compte nos messages techniques, leurs services vétérinaires sont incapables de mettre en œuvre une législation, aussi bonne soit-elle. Nous avons du reste eu la satisfaction de voir que la Banque mondiale, après avoir contribué à déstabiliser les fonctions publiques en Afrique, voudrait maintenant revenir en arrière et nous aider à y améliorer la gouvernance ; malheureusement, cela suppose une action de fond qui prendra des années ».

- des mesures structurelles

La détection précoce de la maladie et la réponse rapide des autorités sanitaires  ne peuvent être mises en place que s'il existe un service vétérinaire national, et celui-ci doit impérativement fonctionner sous la responsabilité de l'État. Or, la restructuration, voire la création de toutes pièces de services vétérinaires, ne peut se faire dans l'urgence ; aussi faut-il agir dès à présent et mobiliser les fonds nécessaires. Si M. Bernard Vallat a reconnu, devant la mission, l'importance de débloquer des fonds d'urgence, il a insisté sur la nécessité absolue de financer en parallèle « des améliorations structurelles pour lutter contre ces maladies animales .Faute de quoi, les fonds d'urgence seront rapidement dilapidés et il faudra s'attendre à d'autres crises dans les mois qui viennent ». Il évalue entre 15 et 20 millions de dollars l'effort nécessaire pour mettre à niveau les services vétérinaires d'un pays. Ainsi, pour quinze à vingt pays, il estime le « devis » global à 500 millions de dollars, ce qui correspond à la moitié des sommes promises à Pékin pour la lutte contre la maladie animale. La communauté internationale devra donc très certainement consentir des efforts supplémentaires, d'autant plus que la conférence de Pékin s'est tenue alors que l'influenza aviaire n'avait pas encore été constatée en Afrique : lors de son audition par la mission - c'était en décembre 2005 -  M. Bernard Vallat avait averti que si l'Afrique était touchée, «  le devis grimperait très vite ».

Dès 2001, un accord entre l'OIE et la Banque mondiale reconnaissait que les services vétérinaires étaient un « bien public international » et que leur mise en conformité avec les normes internationales constituaient une priorité en termes d'investissements publics.

Ce sont donc les normes établies par l'OIE dans les chapitres 1.3.3 et 1.3.4 du code sanitaire pour les animaux terrestres et relatifs à l'évaluation des services vétérinaires qui doivent servir de référence pour cette mise à niveau des services vétérinaires nationaux. Posant comme préalable que chaque État doit mettre sur pied une organisation vétérinaire nationale contrôlée par lui, ces textes énoncent des critères de structure, d'organisation, de ressources, de compétences, de rôle du secteur privé et des personnels para professionnels. Des critères à la fois quantitatifs et qualitatifs sont fixés. Peuvent ainsi être associés aux services nationaux des vétérinaires privés et des para-professionnels, dans certaines conditions79. Ce point est particulièrement important dans des pays qui n'ont pas toujours les moyens d'assurer la formation de vétérinaires et où certaines opérations peuvent sans dommages être réalisées par des para professionnels compétents.

La mise à niveau des structures sanitaires avait déjà été amorcée avant la conférence de Pékin, notamment dans le cadre du dispositif pour le développement des normes et du commerce international (STDF) précité. Ainsi, l'OIE a engagé une action de formation pour les représentants nationaux de cet organisme et pour les services vétérinaires nationaux. Le programme « Alive », auquel participent, depuis 2004, vingt organisations régionales et internationales, dont quatre grands bailleurs de fonds (Banque mondiale, Union européenne, États-unis et France), vise, pour sa part, à un renforcement des services vétérinaires en Afrique.

À Pékin, a été adopté le projet de soutien aux services vétérinaires des pays en voie de développement pour les aider à appliquer les normes internationales de qualité (« Ensuring good governance to address emerging and reemerging animal disease threats / Supporting the veterinary services of developing countries to meet OIE international standards on quality »), présenté par l'OIE et la FAO. Y est reconnue la responsabilité particulière des services vétérinaires, dans ses composantes publique et privée, pour prévenir et contrôler l'épizootie. Son adoption devrait donner une impulsion supplémentaire à la restructuration de ces services dans la mesure où il servira de référence à des accords portant sur des financements issus de la conférence de Pékin.

d) Il faut mobiliser les éleveurs

- des éleveurs aujourd'hui peu formés et pas indemnisés

Les services vétérinaires ne peuvent fonctionner sans l'appui des éleveurs ; il ne peut y avoir, en effet, de bon système de surveillance dans lesquels ils ne soient pas impliqués. La capacité de détection rapide de foyers de grippe aviaire dans un pays est largement dépendante des informations qu'ils peuvent donner. M. Bernard Vallat a insisté sur «  la nécessité de disposer de réseaux d'éleveurs organisés et formés à un minimum de notions sanitaires de base pour toutes les espèces animales, particulièrement celles destinées à la consommation humaine ».

Ce problème est d'autant plus crucial que dans de nombreux pays, il existe un nombre important de poulaillers de basse-cour qui ne sont pas intégrés au système de surveillance et qui ne sont même pas toujours répertoriés. Aussi, les éleveurs ont-ils un rôle spécifique à jouer dans cette vigilance.

Mais, outre leur manque de formation, dans les petits élevages familiaux notamment, un obstacle majeur s'oppose à cette collaboration : l'absence d'indemnisation. La perspective d'une indemnisation, gage d'une relation de confiance entre les éleveurs et les pouvoirs publics, incite fortement à la transparence. Plusieurs témoins ont insisté devant la mission sur ce point jugé essentiel. Ainsi, M. Bernard Vallat : « L'éleveur, à plus forte raison s'il est pauvre, doit impérativement être assuré, lorsqu'il déclare la maladie, d'être payé rapidement pour ses bêtes et au juste prix. Chaque heure compte. Si cela n'est pas prévu, l'éleveur dissimulera les volailles mourantes, le virus commencera à se diffuser dans le village et le coût de l'éradication sera multiplié par plus de mille entre l'intervention sur la première ferme infectée et celle sur un département ». Selon l'analyse très pragmatique de Mme Barbara Dufour : « les petits éleveurs rechignent, légitimement, à abattre leur principal moyen de subsistance ». Ainsi, en Indonésie, où aucune indemnisation en cas d'abattage n'est prévue, M. Joseph Domenech a relevé que les foyers aviaires sont sous-déclarés, contribuant largement à l'aggravation de la situation. Pour M. Philippe Vannier, l'absence d'indemnisation de l'éleveur constatant des cas d'infection dans son élevage est une cause de propagation de l'épizootie : « loin d'être incité à déclarer ces cas aux autorités sanitaires, il va, bien au contraire, les camoufler, enterrer les cadavres et prier en espérant que son élevage ne sera pas tué ».

S'il est indispensable que le principe de l'indemnisation soit posé, ses modalités d'application sont également déterminantes. Ainsi, en Chine, la fixation du montant de l'indemnisation à un euro par volaille abattue risque de ne pas être assez incitatif, d'autant qu'il y aura vraisemblablement des disparités régionales. Lors de l'entretien qu'ont eu votre Rapporteur et votre Président au ministère de l'agriculture chinois, leurs interlocuteurs sont restés très elliptiques sur le sujet. A contrario, en Roumanie, la décision de créer un fonds spécifique accordant aux éleveurs une indemnisation en fonction d'un prix moyen du marché local pour chaque espèce (environ 7 euros pour une poule ou un canard, 11 euros pour une oie et 15 euros pour une dinde) a indéniablement contribué, en incitant à une déclaration rapide des cas, à la diminution des foyers d'infection.

- la nécessité de définir une norme d'indemnisation

Pour l'heure, comme l'a rappelé M. Bernard Vallat, il n'existe « aucune norme mondiale uniformisant les modalités d'indemnisation, du fait des différences entre les règles législatives des pays membres : ainsi, en France, on n'indemnise que pour les animaux vivants que l'on abat ; les animaux déjà morts de la maladie ne sont pas pris en compte. Il est seulement prévu une indemnisation « juste et rapide », à charge pour le législateur de chaque pays d'en définir les modalités. Le sujet est complexe et suscite des débats à n'en plus finir dans chaque pays ».

Tentant de poser les conditions idéales de l'indemnisation, M. Bernard Vallat a estimé qu'elle devrait être :

- la plus élevée et la plus rapide possible ;

- assurée par le biais d'un « fonds de compensation » dont la gestion « doit rester nationale et impliquer étroitement les ministères des finances et de l'agriculture, sans attendre l'apparition du premier foyer. Il faut que les représentants des éleveurs soient constitués en comité, chargé de définir les modalités de l'indemnisation et associant tous les partenaires - les finances notamment ».

2.-3. Pour l'ingérence sanitaire

« Le respect des obligations des pays membres en matière de surveillance et de notification des maladies animales ainsi qu'en matière de qualité des services responsables garantit une vigilance et une réponse rapide appropriées en toutes circonstances ». Cette constatation de l'OIE sur son site Internet résume l'enjeu de la transparence.

Devant l'attitude de certains « pays voyous », selon l'expression de M. Bernard Vallat, la mission avait, dans son premier rapport80, adopté une recommandation visant à « favoriser l'obtention par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) d'un véritable pouvoir d'ingérence sanitaire (enquêtes et contrôles) ». Ses travaux ultérieurs l'ont renforcée dans sa conviction.

a) Contraindre les États à plus de transparence

Une transparence insuffisante

La grippe aviaire étant une maladie à déclaration obligatoire, tous les foyers aviaires devraient en principe figurer sur la liste quotidiennement publiée sur le site Internet de l'OIE. Or, comme l'a déploré M. Bernard Vallat : « Il est des pays dont nous ne savons absolument rien : ainsi l'Irak, ou certains pays d'Afrique en proie aux guerres civiles, tels la Somalie, la Sierra Leone, le Liberia. La situation n'est guère satisfaisante, non plus, dans plusieurs Républiques d'Asie centrale : l'Ouzbékistan met souvent un mois à nous envoyer ses rapports... Il y a encore beaucoup à faire au niveau international ».

Certains pays, pour des motifs très particuliers tenant à des situations d'instabilité et de fragilité (guerres civiles, par exemple), ne se conforment pas à leurs obligations de transparence ; cette situation, dont on ne peut, en tout état de cause, se satisfaire, est du moins explicable.

D'autres pays, en revanche, n'ont pas cette « excuse » et leur défaut de transparence peut être mis sur le compte de cette attitude de déni qui est une constante en cas d'épidémies. Ainsi, chacun se souvient que les autorités chinoises ont d'abord nié l'épidémie de SRAS dans leur pays. Il en fut de même pour la grippe aviaire : quand les experts scientifiques chinois ont décrit ce phénomène dans la réserve naturelle de Qinghai, les autorités chinoises ne l'ont pas reconnu. Le déni est aussi une façon d'exercer sa souveraineté : on ne reconnaît pas aux autres États le droit d'intervenir dans des affaires qui sont considérées comme relevant des autorités nationales.

Des motivations économiques ont pu aussi inciter au défaut de transparence. M. Joseph Domenech a ainsi fait observer à la mission qu'« au début de la crise, en 2004, l'information sanitaire était pratiquement un secret d'État, dans la mesure où un pays qui se déclarait infecté voyait immédiatement ses exportations bloquées. Non seulement il était parfois difficile de repérer les foyers par défaut de surveillance, mais les autorités ont souvent eu un réflexe de rétention de l'information, qui a duré plusieurs mois ». Il a aussi rappelé que le gouvernement thaïlandais avait été soupçonné « de cacher la vérité pour protéger les producteurs et empêcher l'effondrement des exportations ». Dans un pays dont les exportations représentaient, en 2003, près de 7% des échanges mondiaux de viande de volaille, il est vrai que les déclarations de foyers aviaires ont été lourdes de conséquences.

Vers plus de transparence

Selon M. Joseph Domenech, au début de la crise, « les programmes mis en place ont d'abord visé à résoudre le problème de la transparence de l'information ». Il reste encore beaucoup à faire, même si des progrès sont à noter.

* Le dispositif de recherche active de l'information qu'a décrit M. Bernard Vallat devant la mission a eu un indéniable effet incitatif : « pour contrer les efforts de dissimulation de pays que certains appellent « pays voyous », nous avons un dispositif de recherche active de l'information, via les médias et Internet, et nous collectons les informations spontanées apportées tant par des éleveurs que par de simples citoyens, que nous soumettons aux gouvernements concernés. Cela se passe très bien car il n'y a plus, aujourd'hui, de gouvernements qui cherchent délibérément à dissimuler des informations qui pourraient avoir des conséquences sur la santé publique et les pays voisins ; notre système a montré son efficacité ». M. Joseph Domenech a, pour sa part, signalé le rôle du « système international de surveillance et d'alerte, dénommé GF-TADs81 », qui participe, lui aussi, à la transparence.

* Les motivations économiques, qui ont pu naguère pousser des États à dissimuler les foyers, sont aujourd'hui celles qui incitent à plus de transparence. C'est le cas de la Chine, comme l'a expliqué M. Bernard Vallat : « Nous savons aujourd'hui que la situation sanitaire en Chine n'est pas bonne, en tout cas sur le plan de la santé animale, et les Chinois ont longtemps dissimulé cette situation. Mais la Chine bouge et, surtout, veut devenir un exportateur de produits animaux sur le marché mondial, en commençant par les volailles et les lapins avant de s'attaquer au secteur des porcs. Elle a très bien compris qu'elle ne parviendrait pas à devenir un exportateur important si elle ne faisait pas d'efforts de transparence vis-à-vis de notre organisation ».

C'est la raison pour laquelle, à l'issue de la réunion des experts vétérinaires des 27 et 28 février derniers sur l'influenza aviaire hautement pathogène en Europe, l'OIE a recommandé, pour favoriser une transparence absolue lors de la détection d'oiseaux malades, que des sanctions commerciales sur les exportations de volailles ne frappent pas les pays ayant déclaré des cas de grippe aviaire sur des oiseaux sauvages.

* Par ailleurs, les réseaux de laboratoires et de surveillance sont, selon M. Joseph Domenech, une « excellente méthode pour améliorer tant la qualité du travail que la transparence ». Il est donc extrêmement important d'accéder à la fois au souhait des pays africains d'installer en Afrique un laboratoire de référence, et à celui de l'OIE et de la FAO d'en créer un pour les pays de l'Est de l'Europe.

* Enfin, la transparence est posée dans la déclaration de Pékin comme condition fondamentale pour lutter contre la grippe aviaire. Les États se sont en effet engagés à échanger des « données épidémiologiques et scientifiques ». La réalisation de cet engagement par tous les signataires, sans exceptions, devra faire l'objet d'une vigilance toute particulière. Votre Rapporteur a par exemple noté que si, dans son discours, le Premier Ministre chinois a promis de « partager les séquences génomiques », il n'avait pas expressément mentionné le « matériel biologique ».

b) Faire appliquer le Règlement sanitaire international (RSI)

Dès lors que la communauté internationale assume ses engagements financiers, elle pourrait légitimement exiger des États qu'ils respectent les préconisations internationales de lutte contre l'épizootie. Dans la mesure où, comme l'a relevé M. Pascal Lamy82 , Directeur général de l'Organisation mondiale du commerce, « nous vivons dans un système international toujours régi par le traité de Westphalie, qui accuse quelque trois cent cinquante ans d'âge sans avoir jamais donné lieu à aucun ajustement », ce n'est juridiquement pas possible. Précisons que la philosophie du traité de Westphalie de 1648 est de considérer que les affaires intérieures d'un État ne concernant que lui, les autres États ne peuvent s'y ingérer, sauf s'il les menace ou viole un traité.

Cette philosophie vient d'être remise en question en matière de santé publique à l'occasion de la réforme du Règlement sanitaire international (RSI) adoptée en 2005 par l'OMS. L'histoire du RSI remonte aux épidémies de choléra ayant sévi en Europe entre 1830 et 1847, et qui ont déclenché une activité diplomatique intense concernant les maladies infectieuses et la coopération multilatérale en santé publique, dont l'aboutissement fut la première Conférence sanitaire internationale, tenue à Paris en 1851. A la fin du XIXe siècle, huit conventions sur la propagation transfrontalière des maladies infectieuses avaient déjà été négociées. En 1948, la Constitution de l'OMS est entrée en vigueur et en 1951, les Etats membres de l'OMS adoptaient le Règlement sanitaire international. En 1969, ce Règlement a été révisé, avant d'être modifié en 1973, puis en 1981.

Son objectif initial était de surveiller et de combattre six graves maladies infectieuses : choléra, peste, fièvre jaune, variole, fièvre récurrente et typhus. Au début des années 1990, la résurgence d'anciennes épidémies bien connues, telles que le choléra en Amérique du Sud, la peste en Inde ainsi que l'émergence de nouveaux agents infectieux, comme le virus Ebola, ont suscité l'adoption, par la 48ème Assemblée mondiale de la Santé de 1995, de la résolution WHA48.7 demandant la révision du Règlement.

La version révisée du RSI est parue en 2005 et entrera en vigueur en juin 2007. Y est inscrite la notion nouvelle d'« urgence de santé publique de portée internationale », définie comme la situation « constituant un risque de santé publique pour d'autres États du fait de la propagation internationale de la maladie et pouvant exiger une riposte internationale coordonnée ». L'urgence de santé publique est caractérisée par plusieurs critères : gravité des répercussions de l'événement sur la santé publique, caractère inhabituel ou inattendu de l'événement, risque que celui-ci se propage sur le plan international, et/ou risques d'entraves aux échanges ou aux voyages qui pourraient résulter de l'événement. Lorsque tous ces critères sont réunis, les États sont alors soumis aux obligations suivantes :

- évaluer les événements survenant sur leur territoire et déclarer à l'OMS tous ceux qui pourraient constituer une urgence de santé publique de portée internationale ;

- répondre aux demandes de vérification de l'information à propos de ces événements ;

- intervenir sur les risques de santé publique entraînant une menace de propagation sur le plan international ;

- développer, renforcer et maintenir la capacité de détecter, de notifier certains événements de santé publique, et d'y répondre ;

- assurer des activités d'inspection et de contrôle systématiques dans les aéroports internationaux, les ports et à certains postes frontières pour éviter la transmission internationale des maladies ;

- fournir une justification sur le plan de la santé publique et sur le plan scientifique à propos des mesures supplémentaires entravant les échanges internationaux de manière significative.

En contrepartie, les États peuvent bénéficier de l'appui des ressources en santé publique internationale.

Le RSI (2005) ne comporte pas de mécanisme de sanctions à proprement parler envers les États qui ne respecteraient pas ses dispositions, mais les conséquences possibles découlant du non respect du Règlement, en particulier en termes économiques, représenteraient sans nul doute un puissant moyen de pression.

La transmission à l'homme du virus H5N1 pourrait, fort probablement, correspondre à la définition du cas d'urgence de santé publique internationale, a fortiori en cas de pandémie, si le virus mutait. Pour autant, il faudra attendre 2007 pour que le RSI s'applique, sauf s'il était donné suite à la demande, faite par plusieurs États, d'une entrée en vigueur anticipée.

S'agissant des maladies animales, le RSI, destiné à lutter contre la propagation de maladies humaines, ne s'applique pas. Sans doute serait-il nécessaire que des dispositions similaires soient adoptées en matière de santé animale, tant on sait les liens étroits entre santé humaine et santé animale.

II. LA PROGRESSION DE L'ÉPIZOOTIE DANS LE MONDE JUSTIFIE LES MESURES DE PRÉCAUTION PRISES EN FRANCE PAR LE GOUVERNEMENT

Depuis l'aggravation de l'épizootie durant l'été 2005, la France a décidé de faire application du principe de précaution : « Nous allons effectivement très loin dans l'application du principe de précaution », a confirmé le Ministre de l'agriculture, M. Dominique Bussereau83 , devant la mission.

Les mesures successives prises depuis le mois d'août s'inscrivent dans le cadre du « plan gouvernemental de prévention et de lutte Pandémie grippale », adopté initialement au mois d'octobre 2004 et réactualisé une première fois au mois de mai 2005, puis une seconde fois en janvier dernier. Il comporte des dispositions propres à l'influenza aviaire applicables en dehors de toute pandémie grippale mais qui continueraient à s'appliquer une fois la pandémie déclarée.

La France n'a toutefois pas attendu l'été 2005 pour se préoccuper du risque de contamination de ses oiseaux par l'influenza aviaire. Elle mobilise depuis plusieurs années des moyens adaptés à la surveillance de l'avifaune sauvage et des élevages domestiques sur le territoire national, pour se prémunir, dans toute la mesure du possible, contre le risque d'apparition de foyers de maladie et, le cas échéant, de propagation du virus.

L'une des originalités du dispositif mis en place est la collaboration qu'il réalise entre des structures administratives dédiées à la surveillance de la santé animale en général, et des hommes et femmes de terrain, qui connaissent bien le monde des volatiles de par leur activité professionnelle - les éleveurs de volailles - ou leur occupation de loisir principale - les chasseurs - et qui, tous, sont en mesure d'identifier rapidement toute anomalie dans le comportement ou l'état de santé des oiseaux domestiques ou en liberté.

A. LA FRANCE EST EN ALERTE

1. Une évaluation permanente du risque lié à la grippe aviaire par l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA)

Le dispositif de veille sanitaire dont la France est aujourd'hui dotée repose sur le principe d'une séparation entre évaluation et gestion du risque : la première relève d'une expertise scientifique indépendante, la seconde incombe à l'autorité politique. Celle-ci prend sa décision au vu de l'appréciation des experts, qui ne la lie, au demeurant, en aucune manière, du moins d'un point de vue juridique : elle peut s'y conformer en tous points, l'ignorer ou bien encore n'en tenir que partiellement compte.

Cette liberté d'action par rapport à l'expertise explique qu'il puisse y avoir un décalage entre l'avis des experts et la décision politique. Dans le dossier de la grippe aviaire, le Gouvernement, à plusieurs reprises, n'a pas suivi l'avis de l'AFSSA. Pour la directrice générale de l'Agence, Mme Pascale Briand84 , entendue par la mission , « Il n'y a pas à s'étonner d'éventuels décalages entre les avis de l'AFSSA et certaines décisions en matière de gestion du risque : cela tient tout simplement au fait que la France a décidé de séparer l'évaluation du risque de sa gestion, précisément pour donner une marge de manœuvre aux décideurs, amenés à intégrer d'autres paramètres que la simple évaluation scientifique du risque au moment de prendre leurs décisions ».

1.-1. Le rôle de l'AFSSA dans le dispositif de veille français

L'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA), créée le 1er avril 1999, est, avec l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) et l'Institut national de veille sanitaire (InVS), l'un des trois établissements publics de l'Etat dont la création résulte de la loi du 1er juillet 1998 relative à la veille sanitaire et la surveillance des produits destinés à l'homme.

L'AFSSA occupe une position originale dans le dispositif de veille sanitaire. Elle est, dans ce domaine, le seul établissement dont la finalité principale soit l'évaluation du risque. Sous la triple tutelle des ministères de la santé, de l'agriculture et de la consommation, elle évalue les risques sanitaires et nutritionnels des aliments destinés à l'homme et à l'animal en France. Les articles R-1323-1 à R-1323-29 du code de la santé publique précisent son statut d'établissement public à caractère administratif et détermine les principes de son organisation.

a) Les missions de l'AFSSA

Les missions de l'agence sont définies par la loi du 1er juillet 1998. Elles sont de trois ordres :

-- une mission d'évaluation des risques nutritionnels et sanitaires pour toutes les catégories d'aliments destinés à l'homme ou à l'animal, intégrant l'ensemble de la chaîne alimentaire, de la production à la consommation ;

-- une mission de recherche et d'appui scientifique notamment en matière de santé animale et de maladies d'origine animales ;

-- des responsabilités spécifiques en matière de médicament vétérinaire - notamment le pouvoir de délivrer, de suspendre ou de retirer les autorisations de mise sur le marché des médicaments vétérinaires. L'AFSSA intègre en son sein l'Agence nationale du médicament vétérinaire.

L'AFSSA a un rôle de veille et d'alerte mais ne dispose pas de pouvoirs de contrôle direct ni de police sanitaire, qui relèvent des ministères concernés sauf pour ce qui est du médicament vétérinaire. L'agence émet des avis, formule des recommandations, accomplit des recherches, fournit l'expertise dans le cadre de l'appui scientifique et technique, mène des actions d'information ou de formation. Elle a accès à toutes les informations nécessaires pour exercer ses missions. Pour tout ce qui relève de la sécurité sanitaire des aliments, elle est consultée systématiquement sur tous les projets réglementaires et législatifs de son champ de compétence. Elle a la faculté de s'auto-saisir ou de l'être par les ministères et par les associations agréées de consommateurs.

b) La procédure d'élaboration des avis

L'article L. 1323-4 du code de la santé publique dispose que « pour évaluer les risques sanitaires et nutritionnels, l'agence est assistée par des comités d'experts spécialisés ». Au nombre de dix, ces comités couvrent les différents domaines de compétence de l'AFSSA : nutrition humaine, santé animale, biotechnologie, eau... Chacun de ces comités est composé de spécialistes choisis, ainsi que l'a indiqué Mme Pascale Briand devant la mission « par sélection après appel à candidatures, en équilibrant les compétences jugées nécessaires dans chaque domaine ».

Le dossier de la grippe aviaire est suivi par CES « santé animale », à propos duquel Mme Pascale Briand a précisé : « Composé d'un président et de quinze membres nommés par le Ministre sur proposition de l'agence, il peut, en cas de besoin, constituer des groupes de travail dont les membres sont choisis en concertation avec l'AFSSA et nommés par le directeur de l'établissement. Nous avons ainsi un groupe de travail, présidé par le chef du laboratoire de l'unité « grippe aviaire » à Ploufragan et qui réunit des ornithologues, des virologistes humains et animaux, etc. ».

S'agissant de la procédure applicable en cas de saisine, Mme Briand a apporté les indications suivantes : « Une saisine qui arrive est aussitôt enregistrée au niveau du CES ; le travail est alors confié à des rapporteurs et, lorsque le sujet le justifie, à un groupe de travail. Le but est d'avoir une mobilisation suffisante pour répondre dans les délais, tout en assurant une exploration du sujet aussi vaste que possible. Ces premiers travaux sont menés avec un appui et une coordination scientifiques assurés par les unités de la direction de l'évaluation des risques. Un rapport est ensuite établi au niveau du CES qui se prononce sur un avis, autrement dit sur un texte qu'il valide avant de le faire porter à la signature du directeur de l'agence ».

Pour les cas d'urgence, qui appellent une réponse rapide de l'AFSSA, une procédure moins lourde est prévue, que Mme Briand a ainsi décrite : « Pour les saisines où le délai de réponse est très court - vingt-quatre ou quarante-huit heures -, nous avons une procédure d'urgence : les réunions font place à des contacts téléphoniques entre experts, sachant toutefois que, compte tenu de notre mobilisation sur ce sujet depuis maintenant plusieurs années, et qui s'est encore intensifiée ces derniers mois, nous disposons d'ores et déjà d'une base de réflexion importante ». L'Agence peut ainsi faire preuve d'une grande réactivité et fournir aux pouvoirs publics, dans des délais très courts, une expertise aussi complète que possible, prenant en compte les données scientifiques les plus récentes.

Sur le dossier de la grippe aviaire, Mme Pascale Briand a observé que « l'AFSSA a su faire preuve de réactivité face à la crise récente, en multipliant les réunions des CES et des groupes de travail, et en mettant rapidement en place une cellule d'appui ou d'urgence afin de coordonner les travaux et de répondre le plus rapidement possible aux demandes dont nous étions saisis - une dizaine, dont la première portait sur l'évaluation du risque de contamination de la faune sauvage en raison de flux migratoires. Sur ce point, nous avons répondu tout en soulignant que le rôle des flux migratoires n'était qu'une hypothèse parmi d'autres, dont celle, évoquée à maintes reprises, d'une contamination liée aux transports de volailles. L'analyse des foyers survenus en Russie justifiait, par exemple, de relativiser l'hypothèse des flux migratoires, compte tenu d'autres éléments, en particulier la localisation des foyers le long du Transsibérien. Notre souci, à cet égard, a toujours été de ne jamais accorder un poids excessif à une hypothèse donnée, sans se préoccuper des autres points méritant attention, pour ne pas tirer de conclusions qui auraient pu poser problème par la suite ».

L'Agence a été également appelée à émettre des avis sur des sujets très spécifiques, comme l'augmentation du risque liée à l'apparition de nouveaux foyers en Turquie et en Roumanie, les risques liés à l'importation de guano ou la vaccination des volailles domestiques. Mme Pascale Briand a indiqué que l'Agence s'était auto-saisie « de la question de l'aggravation de la situation sanitaire en Turquie et aux confins de l'Europe, en insistant sur le déficit d'information, et particulièrement sur le manque cruel de données de contexte et d'épidémiosurveillance dans les pays touchés et à leur périphérie ».

Il faut souligner que l'AFSSA mène à bien ses missions avec des moyens qui restent modestes, ainsi que l'a noté Mme Pascale Briand : « Les forces mobilisées sur ce sujet à l'AFSSA se résument à une quinzaine de personnes, en première ligne les experts mobilisés dans les CES ; encore avons-nous procédé par redéploiement, en renforçant l'équipe du laboratoire de Ploufragan, autrement dit en anticipant sur des moyens supplémentaires annoncés ». Votre rapporteur tient à rendre un hommage particulier aux personnels de l'AFSSA, qui conduisent depuis des années des travaux délicats dans un contexte difficile, avec un enjeu capital.

1.-2. Les avis successifs de l'AFSSA sur l'influenza aviaire

L'avis rendu par l'AFSSA le 25 août 2005 est le premier d'une longue série, de l'ordre de la quinzaine. Il est d'une grande importance car il a servi de point de départ à la mise en œuvre par le Gouvernement d'un dispositif de prévention qui, sur certains points, est même allé au-delà des recommandations de l'AFSSA, au nom du principe de précaution. Compte tenu des nombreuses incertitudes scientifiques qui subsistaient à l'époque - toutes, d'ailleurs ne sont pas levées encore aujourd'hui - le Gouvernement a opté pour une sécurité maximale et a maintenu par la suite le cap qu'il avait choisi, en dépit des critiques que son action a suscitées ici ou là : l'évolution de la situation lui a rétrospectivement donné raison.

a) L'avis du 25 août 2005

On trouvera, ci-après, le texte de l'avis que l'AFSSA a rendu, après avoir été saisie par les Ministres chargés de la santé et de l'agriculture, sur l'évaluation du risque d'introduction par l'avifaune, et en particulier par les oiseaux migrateurs, de virus Influenza hautement pathogènes pour les espèces domestiques ou pour l'homme :

« Considérant la situation depuis 2003 d'épizootie de grippe aviaire se propageant dans le sud est asiatique et les évènements tout récemment décrits (mortalité d'oiseaux sauvages due à un virus Influenza H5N1 en Sibérie, en Mongolie, et dans le Nord de la Chine ; épizootie d'Influenza H5N1 en Russie et au Kazakhstan)...

« Considérant que les migrations d'oiseaux d'est en ouest, comme d'ouest en est, sur de longues distances sont globalement très rares, que les flux d'oiseaux migrateurs de Sibérie orientale, de Chine et de Mongolie ont lieu plutôt vers l'Océanie, l'Asie du Sud-Est et l'Inde, que ceux de Sibérie occidentale plutôt vers la mer Caspienne, la péninsule arabique, le Sinaï, l'Ethiopie et plus généralement l'Afrique ;

« Considérant qu'en revanche des flux migratoires importants de populations d'oiseaux d'Europe occidentale appartenant à des espèces très diversifiées, migrent vers des zones africaines où elles peuvent rencontrer et cohabiter pendant l'hivernage avec des populations d'oiseaux d'Europe de l'Est, de Russie et d'Asie, rendant l'inter-contamination par des virus Influenza aviaires possible, notamment lors des rassemblements autour des plans d'eau ;

« Considérant que même si les populations d'Europe occidentale de quelques rares espèces de canards (fuligules, milouin et morillon) peuvent, pour une faible part de leurs effectifs (environ 10%), migrer vers l'Europe de l'Est et la mer Caspienne, le comportement de ces canards plongeurs rend le risque de contact avec des volailles domestiques très faible ;

« Considérant que les données actuellement publiées relatives à l'isolement de virus Influenza Aviaires Hautement Pathogènes (IAHP) à partir de l'avifaune i) concernent seulement des oiseaux morts, ii) qu'il n'a, à ce jour, jamais été décrit dans les conditions naturelles d'oiseaux sauvages vivants et porteurs sains de virus IAHP, iii) que dans les essais très limités d'infection expérimentale, il n'a pu être montré qu'une réplication virale très faible associée à une absence de signes cliniques ou une expression clinique faible, limitée à quelques espèces de passereaux et de mouettes, qu'expérimentalement la virulence des virus H5N1 asiatiques pour les canards colverts s'est considérablement accrue, et iiiii) que seuls des virus Influenza faiblement pathogènes (IAFP) - présents par ailleurs sur nos espèces d'avifaune autochtone - ont été isolés d'oiseaux sauvages vivants ;

« Considérant, dans l'état actuel des connaissances, qu'il est très peu probable qu'un oiseau sauvage, contaminé par un virus Influenza hautement pathogène, donc malade, puisse néanmoins migrer sur de longues distances ;

« Considérant que les flux majeurs de migrations traversant l'Europe et plus particulièrement la France, le long de la façade atlantique et de l'axe Rhin-Rhône, sont susceptibles de concerner des zones d'élevage plein air, notamment de palmipèdes gras (élevés pour le gavage) et de gibiers, et le caractère mouvant de ces « couloirs » qui ne sont néanmoins pas des voies de circulation strictement délimitées ou strictement suivies ...

« Le groupe d'expertise collective d'urgence estime que :

- le risque d'introduction directe par l'avifaune, et en particulier par les oiseaux migrateurs, sur le territoire national, à partir des foyers asiatiques incluant les cas récents identifiés en Sibérie, de virus Influenza hautement pathogènes pour les espèces domestiques et/ou pour l'homme, est nul à négligeable,

- le risque d'introduction indirecte sur le territoire national à partir de zones africaines de migration communes à différentes espèces en hivernage, est réel,

sous réserve néanmoins de la possibilité de contamination entre espèces d'oiseaux appartenant à des familles voire à des biotopes différents, (exemple : passage des anatidés vers les limicoles, voire les passereaux). Il est néanmoins estimé modéré, tant qu'il n'est pas décrit d'oiseaux sauvages porteurs sains de virus Influenza Hautement Pathogènes et donc capables de migrer. Ce risque est néanmoins différé au plus tôt au printemps 2006, lors du retour vers l'Europe, des oiseaux ayant hiverné en Afrique,

- le risque d'exposition des volailles domestiques à un virus IAHP qui aurait été malgré tout introduit par des oiseaux migrateurs, ne peut actuellement être évalué qu'au regard des connaissances acquises et des données disponibles, pour la plupart, relatives à des virus Influenza aviaires faiblement pathogènes.

« Cette approximation étant relevée, le risque d'exposition, au regard des résultats des enquêtes de terrain, ciblées et non exhaustives, est estimé :

« élevé pour les élevages plein air de canards à gaver,

« faible à très faible pour les élevages plein air de l'espèce Gallus gallus,

« _inconnu (ou insuffisamment connu) pour les élevages plein air de gibier, de pintades, de dindes et d'autruches pour lesquelles, on ne dispose pas ou peu de résultats d'enquêtes,

« faible pour les élevages de volailles conduits en claustration (à l'exception des élevages fermés faisant usage d'eau issue d'étangs voisins susceptibles d'héberger des oiseaux migrateurs et des élevages de canards reproducteurs pour lesquels le risque n'a pas encore été évalué) ; »

« En conséquence, sous réserve que l'extrapolation des connaissances acquises avec des virus Influenza aviaires faiblement pathogènes soient valables pour des virus hautement pathogènes, le risque de contamination d'élevages domestiques, résultat de la combinaison de deux probabilités associées à deux évènements devant survenir simultanément (la probabilité d'introduction et la probabilité d'exposition), peut être estimé comme suit :

- modéré pour les élevages plein air de canard,

- faible pour les élevages plein air de l'espèce Gallus gallus,

- inconnu pour les autres productions. »

Toutefois, l'AFSSA recommandait, « du fait de données manquantes capitales,

-- que des études complémentaires notamment en épidémiosurveillance soient :

- menées sur une plus large palette d'espèces d'oiseaux migrateurs (incluant les anatidés déjà partiellement étudiés) appartenant à des familles diversifiées et jugées pertinentes, et en prenant aussi en compte les migrations de printemps au retour d'Afrique,

- étendues à l'ensemble des productions des filières avicoles élevées en plein air (notamment gibiers),

- renforcées par une surveillance virologique des productions les plus à risque de contamination (canards notamment) ainsi que de certaines catégories de population d'oiseaux pouvant servir de sentinelles, tels que les oiseaux utilisés à la chasse comme « appelants »,

-- qu'une évaluation des risques de contacts directs ou indirects entre les volailles plein air et l'avifaune soit conduite dans le cadre d'une étude sur des élevages plein air ciblés, et ce afin de mieux cerner le risque d'exposition des volailles domestiques,

_-- qu'une attention particulière soit portée aux élevages fermés utilisant comme eau de nettoyage et/ou d'abreuvement, des eaux de surface provenant de plans d'eau pouvant héberger des espèces d'oiseaux migrateurs,

-- qu'il soit rappelé que l'usage des appelants par les chasseurs reste une pratique à haut risque au regard du risque Influenza aviaire, que les animaux servant d'appelants ne doivent pas être entretenus au contact direct ou indirect de volailles domestiques ou de toute autre espèce réputée sensible ».

b) Les avis ultérieurs de l'AFSSA

Le site Internet de l'AFSSA mentionne pas moins d'une trentaine d'avis ou de prises de positions de l'Agence sur la question de l'influenza aviaire depuis août 2005. Mais Mme Pascale Briand a fait observer à la mission que l'AFSSA s'était penchée sur le dossier de la grippe aviaire bien avant que la situation ne s'aggrave : « l'Agence s'était déjà auto-saisie de cette affaire et avait produit un rapport, publié en 2002 sous le titre : Le risque de transmission à l'homme des virus influenza aviaire, qui faisait le point sur une série de questions - risques de transmission du virus à l'homme, populations humaines à risques, incidences possibles de la vaccination, aviaire notamment, etc. L'AFSSA travaille donc depuis longtemps sur le sujet ».

Parmi les derniers avis rendus par l'AFSSA ces dernières semaines, votre Rapporteur en mentionnera ici cinq, qui portent sur des sujets particulièrement importants.

-- la vaccination des élevages : l'avis du 3 novembre 2005

Dans son avis du 25 août 2005, l'AFSSA avait abordé la question de la vaccination des élevages domestiques français : elle « n'est actuellement envisageable que si la menace d'exposition (des élevages) se précisait, ou pour protéger au printemps les bandes plein air des espèces identifiées à risque (canard). Les critères d'alerte pour déclencher cette vaccination restent par ailleurs à définir avec précision ». Pour les experts de l'AFSSA, l'un de ces critères pouvait être la détection du H5N1 dans la faune sauvage ou domestique de pays de l'Europe de l'Est. Ils considéraient, en revanche, comme envisageable la vaccination des canards prêts à gaver, sous certaines conditions.

Dans les semaines qui ont suivi cet avis, l'AFSSA a accumulé des données nouvelles qui l'ont conduite à réévaluer sa position sur la vaccination des élevages. Son avis du 3 novembre 2005 souligne que celui du 25 août était « partiel et non définitif », relevant qu'il n'y avait pas, à l'époque, de foyers d'influenza aviaire en Europe ni, par ailleurs, de preuves de la transmission du H5N1 par des oiseaux migrateurs apparemment sains. Depuis, il est apparu que les oiseaux sauvages étaient probablement impliqués dans la diffusion du virus ; au surplus, des foyers d'influenza aviaire ont été détectés en Europe de l'Est.

Dans l'avis rendu le 3 novembre, l'AFSSA considère le recours à la vaccination comme possible dans certaines conditions, distinguant la vaccination préventive de celle d'urgence.

Pour la première, l'Agence estime que « Seule la vaccination préventive de canards prêts à gaver avec un vaccin à virus inactivé conférant une protection suffisante et permettant de différencier les canards vaccinés des canards infectés par le virus H5N1 HP (hautement pathogène) peut être envisagée. Cette vaccination devrait être initiée, en tenant compte des délais d'administration vaccinale et de développement de l'immunité protectrice, dès lors que des observations laissent à penser que les courants migratoires Est-Atlantique ou Rhin-Rhône sont contaminés (notamment succession de foyers en France ou dans des pays de l'Union européenne situés sur ces axes sans qu'une source imputable à une cause autre que les oiseaux migrateurs puisse être invoquée). Cette vaccination pourrait se limiter aux départements de Vendée (85) et de Loire Atlantique (44), éventuellement des Landes (40), qui cumulent les deux types de risques, contamination et dissémination ».

Pour ce qui concerne la vaccination d'urgence : « (...) en cas d'apparition de foyers dans une zone de forte densité avicole et d'insuffisance avérée de l'efficacité des seules mesures de police sanitaire révélée par la multiplication dans le temps et l'espace des foyers, une vaccination d'urgence en anneau devra être envisagée, avec le souci de préserver prioritairement les lignées génétiques des élevages de sélection ainsi que les volailles sensibles et/ou à durée de vie longue et/ou à haute valeur économique (reproducteurs et multiplicateurs des espèces poule, dinde, canard, ainsi que les pondeuses, et éventuellement les dindes de chair) ».

-- une réévaluation du risque de propagation du virus H5N1 : l'avis du 14 février 2006

Saisie le 10 février par le ministère de l'agriculture et de la pêche d'une demande de réévaluation de ses avis précédents, à la suite de la découverte de cas d'influenza aviaire, d'une part au Nigéria, d'autre part en Grèce et en Italie, l'Agence, qui s'était, au demeurant, auto-saisie la veille de cette question, a rendu un nouvel avis le 14 février 2006.

Des données nouvelles ont conduit l'AFSSA à faire évoluer sa position par rapport à celle qu'elle avait exprimée dans son avis du 25 août 2005 : d'abord, l'apparition de foyers de grippe aviaire en Afrique ; ensuite, la mise en évidence d'oiseaux sauvages apparemment sains mais porteurs et/ou excréteurs du virus H5N1, rendant plausible l'hypothèse de la transmission du virus sur le longues distances par les oiseaux migrateurs ; un hiver particulièrement rigoureux en Europe de l'Est, qui a sans doute amené des oiseaux non migrateurs à se déplacer vers l'Europe occidentale.

Pour toutes ces raisons, l'AFSSA a considéré que « Dès lors, le risque d'introduction de virus Influenza aviaire H5N1 HP (hautement pathogène) par les oiseaux de l'avifaune sauvage, notamment par les espèces migratrices, est considéré comme aggravé par rapport à l'évaluation conduite au mois d'août 2005 (avis 2005-SA-0258), et les mesures de protection de l'avifaune domestique par rapport à une telle introduction doivent être réexaminées, voire renforcées ». Les experts de l'Agence, « considérant le risque aggravé de contamination de l'avifaune française » ont donc recommandé le confinement général des oiseaux d'élevage et, dans les zones exposées où le confinement ne peut être envisagé, la vaccination préventive. L'avis distingue les élevages de volailles, ceux de basse-cour et les espèces d'oiseaux rares détenus par des zoos ou des parcs ornithologiques :

« - pour les élevages de volailles :

o Le respect de l'ensemble des mesures de biosécurité (annexe de l'avis 2005-SA-0318 : Cf. annexe 3) sur tout le territoire et de privilégier l'application de la claustration lorsqu'il est possible de la mettre en œuvre ;

o L'obligation de claustration totale, autant qu'il est possible, des volailles dans les zones humides à risque (annexe 1 et annexe 2) ainsi que dans les trois départements (Landes, Loire-Atlantique, Vendée) à très haute densité d'élevages d'anatidés ;

o La vaccination préventive des espèces (canards, oies) pour lesquelles la claustration ne pourrait pas être mise en oeuvre, avec un vaccin à virus inactivé, assortie de la mise en place d'une surveillance post-vaccinale, dans les zones humides à risque des départements (Landes, Loire-Atlantique, Vendée) à très haute densité d'élevages d'anatidés. Cette vaccination devrait être initiée dès que possible, compte tenu des délais d'administration vaccinale et de développement d'une immunité protectrice par les oiseaux vaccinés ;

- pour les élevages de basse-cour :

o Un recensement des élevages de basse-cour sur l'ensemble du territoire, accompagné par un suivi systématique de ces élevages par un vétérinaire sanitaire ;

o L'application des mêmes mesures de biosécurité et de confinement que pour les élevages de volailles ;

o Une vaccination préventive faite par un vétérinaire sanitaire, lorsque le confinement n'est pas possible dans les zones humides des trois départements à très haute densité d'élevages d'anatidés, assortie d'une surveillance post-vaccinale ;

- pour les espèces d'oiseaux rares détenues par les parcs ornithologiques et zoologiques à des fins de démonstration pour le public :

o La vaccination des oiseaux qui ne peuvent pas être confinés, maintenus dans toute la mesure du possible dans des conditions telles que tout contact direct avec les volailles domestiques ou avec les oiseaux sauvages libres puisse être exclu. ».

Au vu de ces recommandations, le Gouvernement a pris dès le lendemain, le 15 février, un arrêté ordonnant le confinement sur l'ensemble du territoire national et organisant la vaccination de certains élevages dans plusieurs départements français : votre Rapporteur reviendra plus loin sur cet arrêté.

-- les risques de contamination humaine : trois avis plutôt rassurants

L'avis du 21 février 2006 sur le risque sanitaire présenté par les pigeons des villes

L'Agence a été saisie, le 2 février, d'une demande d'évaluation du risque sanitaire représenté par les pigeons, canards ou cygnes détenus dans les jardins publics pour les citadins et les professionnels intervenants dans ces jardins.

Dans son avis rendu le 21 février, l'AFSSA évalue « en l'état actuel des mesures de surveillance et de maîtrise, le risque sanitaire représenté par les cygnes, canards ou pigeons qui seraient infectés par un virus influenza aviaire hautement pathogène (H5N1 HP) lignée asiatique, détenus dans les jardins publics ou les parcs urbains, vis-à-vis des professionnels et des usagers, comme nul à négligeable ».

Au-delà de la problématique « grippe aviaire », la surpopulation de pigeons dans les centres urbains présente de sérieux inconvénients, notamment d'ordre sanitaire. Les membres de la mission ont exprimé le souhait qu'une solution soit trouvée à terme pour réguler la présence des pigeons dans les villes.

L'avis du 26 février 2006 sur la consommation de denrées issues de volailles

Au printemps 2005, l'Agence s'était auto-saisie de l'évaluation du risque de transmission de l'influenza aviaire lors de l'ingestion de denrées animales ou de denrées alimentaires d'origine animale issues de volailles ou de gibier à plume. Elle entendait réactualiser la réponse qu'elle avait donnée en 2000 sur la question.

Le 23 février 2006, l'AFSSA a rendu un avis plutôt rassurant, considérant que si des foyers de grippe aviaire devaient apparaître sur le territoire national, la probabilité de contamination du consommateur par ingestion de denrées serait :

« -- pour tous les produits consommés cuits, quelles que soient leur origine et leur nature : nulle ;

« -- pour les produits consommés sans traitement thermique préalable ou ayant subi un traitement d'efficacité non connue vis-à-vis des Influenzavirus :

● pour les produits issus d'élevage professionnel :

·__ pour les oeufs, viandes, et produits transformés issus de volailles d'espèces sensibles (Gallus gallus, dindes, pintades, faisans, perdrix, cailles), ou d'espèces très peu réceptives (pigeons) : nulle ;

·__ pour les produits issus d'espèces peu sensibles (canards, oies, autruches) : nulle à négligeable ;

● pour les produits issus de basse-cour familiale :

·__ pour les oeufs, viandes : nulle à négligeable ».

Dans ces conditions, l'avis indique que les experts qui ont travaillé sur le sujet « ne recommandent pas de mesures particulières concernant la consommation des produits alimentaires issus de volailles et de gibier à plume chassé et ce, même dans l'hypothèse où des foyers d'Influenza aviaire apparaîtraient chez les volailles sur le territoire national. Néanmoins, pour éviter une éventuelle contamination par voie non alimentaire (nasale ou oculaire) à partir de volailles de basse-cour et de gibier à plume issu de la chasse, les mesures d'hygiène générales habituelles doivent être appliquées lors de leur préparation (notamment lors des opérations de plumaison et d'éviscération) et au cours de la manipulation des denrées ».

L'avis du 3 mars 2006 sur le rôle des chats comme vecteurs possibles du virus et source de contamination

L'Agence a évalué, d'une part, le risque de contamination des chats par le virus H5N1 hautement pathogène, d'autre part, le risque sanitaire que les chats pourraient représenter pour les élevages et les basses-cours ainsi que pour l'homme. Elle a naturellement intégré, dans son évaluation, la découverte en Allemagne, quelques jours plus tôt, le 28 février, d'un chat mort porteur du H5N1.

Dans son avis, l'AFSSA conclut :

« - on ne peut pas exclure le portage passif du virus H5N1 HP par le chat, comme pour d'autres espèces animales pouvant entrer en contact avec des oiseaux infectés. Cependant ce phénomène, qui a pu avoir lieu depuis le début de la panzootie notamment dans les pays asiatiques, n'a pu être démontré scientifiquement et mis en cause épidémiologiquement dans la transmission du virus à l'Homme.

- la transmission active du virus à l'homme supposerait qu'un chat soit infecté et qu'il puisse excréter le virus H5N1 en quantité suffisante dans des conditions de contact suffisamment étroit pour infecter un être humain exposé. Dans les conditions naturelles, l'ensemble des éléments disponibles ne permet pas d'affirmer que la séquence complète de ces évènements ait jamais été réalisée. Elle reste néanmoins théoriquement possible, sans qu'en l'état actuel des connaissances, on puisse mieux en préciser la probabilité.

Au total, en combinant la probabilité d'émission de virus par le chat, la probabilité de contact efficace et la réceptivité de l'Homme au virus H5N1 HP, le risque d'infection de l'homme, à partir du chat, peut être estimé comme nul à négligeable. Il reste en tout état de cause inférieur au risque d'infection des oiseaux par le chat, en raison de la plus faible réceptivité de l'Homme ».

1.-3. Un renforcement des moyens de l'AFSSA dans la lutte contre la grippe aviaire

Pour faire face à l'augmentation du nombre d'analyses, l'AFSSA bénéficiera d'un financement exceptionnel de 830 000 euros. Mme Pascale Briand a indiqué à la mission : « On nous a annoncé un renforcement de nos moyens pour un montant de 830 000 euros, qui devrait normalement nous permettre de compléter des aménagements et surtout de recruter cinq personnes sur ce sujet. Mais comme nous ne pouvions pas attendre, nous avons redéployé en anticipant cette augmentation de moyens ; autrement dit, à défaut de monter en puissance, nous nous sommes adaptés pour répondre à la situation actuelle. Ajoutons que le renforcement de l'appui scientifique et technique - tests et diagnostics - ne doit pas se faire au détriment de notre potentiel de recherche, notamment en vaccinologie. D'où notre besoin urgent de ces cinq recrutements. Il faut également espérer que ces 830 000 euros ne sont pas accordés pour une seule année, mais bien intégrés en base, compte tenu de la durée prévisible de la crise ».

La crise actuelle montre la nécessité de renforcer, dans l'intérêt de la santé humaine, les recherches sur la santé animale : dans cette perspective, l'accroissement des moyens de l'AFSSA est une nécessité.

2. Une surveillance renforcée sur le terrain

2.-1. Des contrôles plus nombreux

Les épizooties passées ont montré que l'apparition d'une souche hautement pathogène survenait généralement quelques semaines à quelques mois après l'introduction d'une souche faiblement dans des élevages de dindes, de poulets ou de poules. Il est donc indispensable d'exercer une surveillance des élevages de volailles, afin de pouvoir repérer le plus tôt possible la présence du virus.

Cette surveillance est à la fois active et passive. La surveillance active des élevages est assurée par les services vétérinaires départementaux, organisée par le ministère de l'agriculture (direction générale de l'alimentation) et coordonnée scientifiquement par l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA). Elle a pour but de repérer la présence de souches H5 ou H7 apathogènes (ne provoquant aucun symptôme) dans les élevages des espèces les plus sensibles au virus, telles que les dindes, et dans des élevages de plein air exposés aux contaminations de la faune sauvage. Elle suit les lignes directrices de la Commission européenne, à laquelle un bilan annuel est adressé. Un échantillonnage de chaque type d'élevage « à risque » est réalisé en préservant une certaine représentativité de l'ensemble du territoire. Dans les élevages désignés, des prélèvements sont effectués et analysés régulièrement. En cas de résultat positif, des recherches sont engagées pour déterminer l'origine de la contamination et éviter qu'elle ne touche les élevages voisins.

La surveillance passive des élevages est réalisée par les éleveurs et par les vétérinaires disposant d'un mandat sanitaire. Les éleveurs sont sensibilisés aux critères d'alerte impliquant un appel de leur vétérinaire : il guettent toute anomalie susceptible d'être la manifestation d'un début d'influenza aviaire. Ils sont tenus de déclarer la suspicion au directeur départemental des services vétérinaires. La suspicion entraîne la séquestration de l'élevage et la mise en œuvre d'analyses. Les contraintes ne sont levées que lorsque tout risque d'infection a été écarté.

La surveillance active de l'avifaune sauvage est réalisée par des campagnes de prélèvements sur les oiseaux des espèces reconnues comme "réservoirs" des souches dites faiblement pathogènes des virus influenza, et par la conduite d'analyses en cas de mortalité significative inexpliquée.

Quant à la surveillance passive de l'avifaune sauvage, elle permet de repérer les cas de mortalité anormale et de recueillir, aux fins d'analyse, les cadavres d'oiseaux.

Une veille épidémiologique est assurée au niveau mondial par l'Office international des épizooties (OIE), avec laquelle le ministère chargé de l'agriculture est en liaison permanente.

Devant la mission, le Ministre de l'agriculture a confirmé que la surveillance sur le terrain avait été sensiblement renforcée depuis le mois d'août 2005 : « (L'alerte précoce repose aussi) sur un programme de surveillance des oiseaux sauvages et domestiques, mis en place en France depuis 2000 et renforcé dès le mois d'août 2005. Il s'agit tout à la fois d'une surveillance active - des oiseaux sauvages sont capturés, des prélèvements sont analysés, et des élevages sont inspectés - et d'une surveillance passive : toute mortalité anormale d'oiseaux sauvages ou domestiques fait l'objet d'une enquête épidémiologique et d'analyses. En 2005, 1 500 oiseaux sauvages et plus de 1 200 élevages ont fait l'objet d'une surveillance sans que le virus H5N1 de souche asiatique n'ait été détecté ».

Par ailleurs, au cours de l'année 2005, compte tenu de l'évolution défavorable de la situation épidémiologique internationale, il a été décidé de renforcer le plan de surveillance, notamment en augmentant sensiblement - de 118 à 300 - le nombre de prélèvements dans les élevages de canards, et en élargissant le champ des espèces couvertes (pintades, cailles, tous les élevages de canards reproducteurs).

2.-2. Les interventions complémentaires de différents acteurs

Un maillage serré du territoire national garantit une surveillance de qualité des oiseaux sauvages et domestiques. Il résulte de l'action concomitante et coordonnée notamment des vétérinaires, des chasseurs et des éleveurs.

a) Les vétérinaires

Près de 5 000 agents du ministère dont un millier de vétérinaires sont présents en permanence sur le terrain : dans les élevages, les abattoirs, les établissements agroalimentaire, aux frontières. Ce sont des spécialistes de la sécurité sanitaire des aliments. Ils sont en alerte permanente 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Leur action s'organise autour de 5 axes : détection de toute suspicion ; mise en oeuvre des plans d'urgence ; participation aux exercices de simulation organisés régulièrement dans tous les départements pour améliorer ces plans et préparer les services à agir et réagir en temps réel ; surveillance aux frontières, dans les 33 postes d'inspection frontaliers ; surveillance des élevages domestiques et de la faune sauvage.

De plus, 8 600 vétérinaires praticiens titulaires d'un mandat sanitaire assurent un rôle de surveillance pour les services vétérinaires sur l'ensemble du territoire, tout au long de la chaîne de production, des élevages à la distribution.

La mobilisation et la compétence des vétérinaires engagés dans la lutte contre l'influenza aviaire sont évidentes. M. Denis Lambert85  leur a d'ailleurs rendu hommage devant la mission : « Je veux simplement qu'on dise et redise clairement que la situation est sous contrôle, que les vétérinaires et les services de l'État font parfaitement leur travail et qu'ils sont capables d'éradiquer cette épizootie comme ils l'ont démontré dans d'autres occasions. Ce n'est pas assez dit ».

b) Les chasseurs

On compte en France environ 1.400.000 chasseurs. C'est sur eux que repose principalement la surveillance de l'avifaune sauvage. Ils sont structurés autour de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCSF).

Devant la mission, M. Jean-Roch Gaillet a ainsi décrit le rôle de l'Office : il se décompose « entre une surveillance dite passive, par le biais du réseau SAGIR86, qui consiste à collecter les animaux morts ou gravement malades, et une surveillance active sur des oiseaux collectés par piégeage, à fins de baguage, ou tués à la chasse, donc vivants ou collectés juste après leur mort ».

S'agissant du réseau SAGIR, M. Gaillet a donné les précisions suivantes : « Créé en 1986, le réseau SAGIR, qui a été beaucoup sollicité depuis le mois d'août, collecte en gros 4 000 animaux malades ou morts chaque année, dont environ 15 % d'oiseaux, grâce à des interlocuteurs techniques présents sur le terrain, à raison de deux par départements : un dans chaque fédération départementale des chasseurs et un dans chaque service départemental de l'ONCFS, ce qui témoigne de la collaboration, indispensable, entre les fédérations de chasseurs et l'Office. Les Ministres de l'agriculture successifs ont eu beaucoup de chance de pouvoir recourir aux services de ces personnes pour un travail qui, autrement, aurait dû être demandé à la puissance publique. Cette liaison entre l'associatif et le public se passe globalement bien depuis 20 ans. Du point de vue du financement, les fédérations départementales supportent le coût des analyses de base, effectuées dans les laboratoires départementaux, qui sont sous la responsabilité des conseils généraux depuis les lois de décentralisation de 1981 et 1983. Il n'en reste que cinquante-cinq, qui assurent avec compétence leur travail en matière de santé animale - les autres ne s'occupent malheureusement plus que d'hygiène alimentaire ou ont tout simplement disparu.

« Les cadavres sont amenés par les interlocuteurs techniques au laboratoire, systématiquement accompagnés d'une fiche SAGIR pré-numérotée, ce qui permet de ne pas perdre d'informations en cours de route. En cas de suspicion d'influenza aviaire, le laboratoire transmettra les prélèvements adéquats auprès d'un des six laboratoires départementaux spécialisés dans la recherche du virus, qui procéderont à un premier screening, le processus se terminant au laboratoire de l'AFSSA à Ploufragan où peuvent être effectuées les analyses finales de typage de virus ».

« Ensuite, toutes les données produites par les laboratoires départementaux comme par les laboratoires de référence, dont celui de Ploufragan, sont encodées dans une base de données nationale au laboratoire de l'AFSSA-Nancy... »

« Afin de ne pas saturer le laboratoire de Ploufragan par un trop grand nombre d'analyses, a été mis en place un réseau de premier tri effectué dans six laboratoires départementaux, installations « top niveau » situées dans des départements d'élevage (Ain, Côte d'Or, Côte d'Armor, Touraine, Landes et Loire-Atlantique), qui recevront les oiseaux entiers ou simplement un prélèvement par écouvillonnage - opération simple qui consiste à passer un coton-tige dans le derrière de l'oiseau et éventuellement dans la trachée. Dès qu'il y aura une véritable suspicion d'influenza aviaire, on ne pourra plus passer par Chronopost ou les transporteurs classiques. Il faudra recourir au transport sécurisé, dont le prix est de l'ordre de 1.000 euros, sauf à l'assurer soi-même, en mobilisant pendant une journée un technicien et sa voiture. Le coût devra être pris en charge par le ministère de l'agriculture car on ne peut demander aux fédérations de chasseurs de le supporter ».

c) Les éleveurs de volailles

On compte, en France, environ 14.000 éleveurs et un peu plus de 15,2 millions de mètres carrés de bâtiments d'élevage, dont près de 4,3 millions dédiés au label (source : www.volaille-française.fr).

Il est évident que les éleveurs, au contact quotidien avec leurs oiseaux, sont particulièrement à même de remarquer tout comportement anormal dans l'élevage pouvant laisse supposer une contamination par le virus de l'influenza aviaire. Comme l'a fait observer M. Denis Lambert à la mission, « L'influenza aviaire chez la volaille existe depuis cinquante ans et les professionnels en ont une excellente maîtrise ». M. Michel Prugue87  s'est dit, pour sa part, totalement confiant dans la capacité de ses collègues éleveurs, « par une surveillance visuelle permanente et une remontée d'informations quotidienne », à « détecter un élevage suspect en temps réel et de prendre immédiatement les mesures adaptées - comme nous le faisons du reste pour toutes les autres maladies. Ceux qui ne connaissent pas le monde agricole peuvent être surpris d'une telle rapidité de réaction : mais c'est notre lot quotidien. Nous sommes surpris que cela surprenne... ».

Au demeurant, les éleveurs sont soumis à une obligation de déclaration de tout signe clinique évocateur de l'influenza aviaire : cette maladie est, en effet, réglementée et la non-déclaration est sanctionnée.

Pour assurer la surveillance des élevages dans les meilleures conditions possibles, les éleveurs se sont organisés, au niveau départemental, en « groupements de défense sanitaire », agréés par le Ministre de l'Agriculture, et qui réunissent les éleveurs français et leurs partenaires (services vétérinaires, organisations agricoles, vétérinaires libéraux et laboratoires départementaux) ; créés pour relayer l'action des services vétérinaires dans l'éradication des maladies animales contagieuses à l'homme (zoonoses), ils ont développé des plans de lutte collective contre des maladies animales entraînant des pertes économiques pour l'éleveur ou lui fermant des portes commerciales. Pour M. Bernard Vallat : « Le système français des groupements de défense sanitaire, dans lesquels les éleveurs organisent eux-mêmes des actions de formation à l'intention des adhérents, est (...) un des meilleurs du monde et je m'efforce de le promouvoir au niveau mondial ».

3. La mise au point de plans d'intervention et d'exercices réguliers de simulation

Le plan gouvernemental de prévention et de lutte « pandémie grippale » du 6 janvier 2006, qui remplace celui du 11 octobre 2004, prévoit, en cas de détection d'un cas suspect d'influenza aviaire, la mise en œuvre d'un plan d'intervention, selon un protocole établi par un plan d'urgence national qui indique les actions à conduire en cas de suspicion ou de confirmation d'un foyer d'influenza aviaire dans un élevage.

3.-1. Un dispositif déconcentré sous la forme de plans d'urgence particuliers départementaux

Le plan d'urgence national est décliné au niveau départemental sous la forme de plans d'urgence particuliers qui prévoient :

1. les actions à conduire en cas de suspicion ou d'infection d'un ou de plusieurs élevages, y compris les mesures spécifiques à prendre dans les établissements hébergeant des oiseaux de lignée ou d'espèce rare et/ou protégée ;

2. les acteurs, y compris les prestataires de services privés, leur rôle et leur protection ;

3. les stocks de matériels, de produits et d'équipements de protection individuelle ;

4. les actions de préparation comme le recensement des élevages, la formation et la sensibilisation des acteurs, des exercices.

Les plans départementaux se traduisent par des protocoles de sécurité sanitaire précis, régulièrement testés, aussitôt mis en œuvre en cas de détection d'un cas d'influenza aviaire. Les agents de la Direction départementale des services sanitaires (DDSV) interviennent sur l'élevage infecté pour empêcher la propagation du virus à d'autres élevages et éviter la transmission du virus aux personnes les plus exposées, c'est-à-dire les personnes qui travaillent dans l'élevage et les équipes spécialisées qui interviennent dans la zone contaminée.

3.-2. Un dispositif contraignant

Le dispositif découlant des plans départementaux obéit, conformément au schéma national, à une gradation de mesures variant selon qu'il s'agit d'une simple suspicion ou d'un foyer avéré. Il correspond à la pratique habituelle en matière de lutte contre les épizooties.

-- Mesures en cas de suspicion d'influenza aviaire dans un élevage de volailles

Dès l'apparition d'un cas suspect il est possible pour l'autorité préfectorale de promulguer un dispositif contraignant pouvant aller jusqu'à l'abattage. Pendant cette phase, le préfet conserve un certain pouvoir d'appréciation.

Les principales mesures en cas de suspicion d'influenza aviaire dans un élevage de volailles sont les suivantes :

la prise d'un arrêté préfectoral de mise sous surveillance ;

la séquestration de l'élevage ;

les prélèvements pour analyses ;

la mise en place des dispositifs de contrôle de tous les mouvements (personnes, autres animaux, etc.) et de désinfection des véhicules qui sortent de l'élevage ;

une enquête épidémiologique visant à déterminer les élevages pouvant être à la source de l'infection, ceux pouvant avoir été contaminés à partir de cet élevage, et les produits et denrées ayant quitté l'élevage et pouvant être contaminés ;

Au-delà de ces mesures, en fonction de la plausibilité de l'infection et du risque de dissémination, peuvent être décidés l'abattage préventif et la mise en place de zones réglementées destinées à limiter les mouvements autour du foyer. Cette dernière mesure a été appliquée dans l'Ain, où est apparu le premier foyer de grippe aviaire, et où, immédiatement, l'abattage du cheptel et la mise en place d'un vide sanitaire de 21 jours dans l'exploitation ont été ordonnés.

-- Mesures en cas d'infection avérée (foyer confirmé)

Les mesures de police sanitaire mises en œuvre en cas d'infection avérée sont radicales car elles ont pour but de créer une barrière qui interdit toute diffusion de l'épizootie.

Les principales mesures prévues sont :

-- la prise d'un arrêté préfectoral portant déclaration d'infection ;

-- des mesures sur l'élevage infecté :

· en cas de virus hautement pathogène, l'abattage immédiat sur place des volailles ;

· la destruction des cadavres et de tous les produits ne pouvant être désinfectés ;

· le nettoyage et la désinfection des locaux ;

-- des mesures autour de l'élevage infecté : mise en place d'une zone de protection (rayon minimal de 3 kilomètres) et d'une zone de surveillance (rayon minimal de 7 kilomètres, incluant la zone de protection de 3 kilomètres) ; réglementation de la circulation à l'entrée et à la sortie de l'exploitation ; installation de pédiluves obligatoires pour les visiteurs (éleveur, vétérinaire,...) et de rotoluves contenant un désinfectant pour les véhicules entrant ou sortant de l'exploitation ; limitation des mouvements au strict nécessaire.

-- L'organisation administrative et financière du plan d'urgence départemental

Au niveau central, il faut noter que, face à l'épizootie de grippe aviaire, le Ministre de l'agriculture a décidé d'affecter un inspecteur vétérinaire à la préparation et au suivi des plans d'urgence au sein de l'administration centrale du ministère de l'agriculture, en liaison avec le Délégué interministériel à la lutte contre la grippe aviaire (DILGA).

Chaque direction départementale des services vétérinaires dispose, de longue date, d'un plan d'urgence lui permettant d'intervenir sous quarante-huit heures pour éradiquer le virus dans un foyer, en y abattant les volailles.

Les services vétérinaires sont équipés du matériel d'abattage adéquat mais également des équipements de protection - combinaisons, masques - nécessaires à ce type d'opérations.

Les moyens des directions départementales des services vétérinaires ont été récemment renforcés : 3 millions d'euros ont été affectés à l'éradication d'éventuels foyers. 260 000 masques de protection avaient été d'ores et déjà livrés en janvier 2006 à ces services.

Les équipes d'intervention ont trois missions précises : séquestrer l'élevage, établir un périmètre de protection et éradiquer le virus par l'abattage du troupeau. Toutes les volailles sont abattues sur l'élevage, les cadavres et les œufs sont détruits de manière à éliminer le virus.

L'euthanasie des volailles est organisée par le directeur départemental des services vétérinaires, sous la direction du préfet.

En outre, les services de l'Etat dans le département (DDASS, DDAF, gendarmerie, services de l'équipement, SDIS...) et, en tant que de besoin, ceux des collectivités territoriales concernées sont sollicités pour organiser la protection des personnes, contrôler les accès routiers, mettre en place la signalisation, etc.

L'État prend en charge les pertes subies par l'éleveur touché : valeur de remplacement des animaux abattus, compensation de la perte de production liée au blocage de l'exploitation, remboursement des produits et denrées détruits sur ordre de l'administration, et frais liés à la désinfection. L'État prend également en charge les visites vétérinaires de contrôle et les analyses de laboratoire.

3.-3. Une mobilisation des acteurs à travers des exercices de simulation

Les procédures prévues par les plans d'urgence sont parfaitement rodées, comme l'a souligné le Ministre de l'agriculture devant la mission : « Les plans d'urgence contre l'influenza aviaire sont inscrits de longue date dans les actions du ministère. Des sessions de formation et des exercices de simulation sont régulièrement organisés pour assurer le maintien du caractère opérationnel des plans d'urgence. Un exercice de simulation régional a eu lieu en Bretagne en novembre 2005. Quatre régions - Auvergne, Midi-Pyrénées, Pays-de-Loire et Rhône-Alpes - et la moitié des départements sont programmées pour un exercice en 2006. Le prochain aura lieu en Auvergne au mois de mars ». En outre, quatre-vingts sessions de formation seront organisées en France métropolitaine et dans les DOM-TOM pour les vétérinaires sanitaires.

Un exercice régional, auquel a assisté une délégation de la mission, s'est déroulé les 3 et 4 novembre en Bretagne, à Kergloff, pour « évaluer le volet santé animale des plans en tenant compte des aspects de santé publique, notamment pour la protection des personnes intervenantes dans les exploitations. (Cet exercice) relève d'une logique d'anticipation destinée à se préparer à faire face à l'éventualité d'une épizootie de type grippe aviaire dans un élevage breton » (communiqué de presse de la préfecture de la région Bretagne - 18 octobre 2005).

Exercice régional « grippe aviaire » 3 et 4 novembre 2005

dans la commune de Kergloff (Finistère)

Communiqué de presse - préfecture de la région Bretagne - 18 octobre 2006

Un scénario conçu spécialement par les services de l'Etat définit précisément la chaîne des opérations simulées pour restituer l'environnement d'une crise telle qu'elle pourrait se produire dans un contexte de suspicion de grippe aviaire.

Un scénario faisant intervenir tous les départements à partir d'un foyer finistérien.

Le scénario retenu pour cet exercice s'organise autour d'un foyer primaire de grippe aviaire «hautement pathogène» avec forte mortalité dans une zone dense d'élevage avicole du Finistère, limitrophe du Morbihan et des Côtes d'Armor.

Suspectant la contamination de certaines de ses volailles par le virus de la grippe aviaire un éleveur finistérien alerte la direction départementale des services vétérinaires. Il s'agit d'un élevage situé sur la commune de Kergloff qui a donné son accord pour participer à cette simulation. Un périmètre de surveillance est rapidement mis en place, touchant les départements limitrophes du Morbihan et des Côtes d'Armor. Un périmètre de protection plus rapproché de 3 km entoure l'élevage de Kergloff. L'élevage est situé à proximité d'un abattoir où ont été abattues au cours des semaines précédentes, des animaux provenant d'une zone où sévit une grippe aviaire hautement pathogène. Une enquête épidémiologique doit être réalisée pour rechercher les élevages en lien avec cette exploitation. Aucun cas de contamination à l'homme ne sera simulé ni testé à l'occasion de cet exercice à portée strictement animale.

A partir de ce foyer principal finistérien, l'exercice s'étendra rapidement aux trois autres départements bretons diversement concernés :

· Le Morbihan sera touché par le périmètre de surveillance de 10 km délimité autour du foyer initial.

· Les Côtes d'Armor, également concernés par le périmètre, présenteront deux élevages épidémiologiquement en lien avec l'élevage touché par le foyer primaire.

· L'Ille-et-Vilaine, situé hors périmètre, présentera également un site d'élevage lié épidémiologiquement avec l'élevage du Finistère.

Toutefois, pour éviter toute gêne excessive pendant le déroulement de l'exercice, le périmètre de protection de 3 km ne sera pas strictement appliqué. De même, les opérations d'abattage prévues en réalité en cas de mise en œuvre de ce plan d'urgence seront simulées, les techniques d'abattage ayant déjà été testées dans le cadre d'exercices antérieurs.

Un exercice répondant à plusieurs objectifs

Cet exercice à pour objectifs principaux de tester :

· certains points techniques des plans d'urgence, leur correction éventuelle et leur validation (techniques de prélèvements, procédures d'enquêtes épidémiologiques, élaboration des périmètres de protection et de surveillance),

· La coordination de l'ensemble des services publics intervenant dans ce type d'événement et leur capacité à mobiliser les moyens nécessaires : directions départementales des services vétérinaires, directions départementales des affaires sanitaires et sociales, gendarmes, pompiers, préfectures, directions départementales de l'équipement, direction régionale des affaires sanitaires et sociales et collectivités locales,

La capacité à mettre en œuvre le volet de protection des personnes intervenants dans les foyers suspects au moyen notamment des masques et tenues appropriées et à assurer leur intervention dans la durée,

· La capacité à mettre en alerte les professionnels de la santé,

· L'efficacité des systèmes internes de transmission de l'information au sein des services publics

· Les modalités de communication ciblées vers les professionnels et le grand public.

Les membres de la délégation présents à Kergloff ont pu mesurer tout l'intérêt de cet exercice : non seulement il a aidé chacun des acteurs concernés à appréhender précisément l'étendue de son rôle dans la chaîne des opérations, mais il a aussi mis en évidence les points forts et les faiblesses du dispositif retenu. Il a permis de tester en grandeur réelle le scénario qui serait appliqué en cas de détection d'un élevage infecté, ce dont se sont félicités les participants et les observateurs, car c'est en rôdant les procédures prévues qu'on aboutira à la réaction la plus rapide et la plus efficace sur le terrain pour circonscrire un foyer.

Votre Rapporteur en veut pour preuve le cas de Versailleux, dans l'Ain, où un élevage de dindes avait été découvert contaminé par le H5N1 au mois de février. Les mesures prises immédiatement pour circonscrire le foyer primaire et empêcher la diffusion de la maladie ont permis d'éviter l'apparition d'autres foyers. Le dispositif a ainsi pu être allégé le 17 mars.

Allègement des mesures de protection contre l'influenza aviaire

dans les élevages de volailles dans l'Ain

Ministère de l'agriculture et de la pêche, Paris, le 17.03.2006

« A la suite du foyer d'influenza aviaire à virus H5N1 dans un élevage de dindes situé à Versailleux dans le département de l'Ain, les mesures prévues par la réglementation européenne pour prévenir tout risque de diffusion de la maladie ont été prises le 24 février.

« Dans le périmètre centré autour de la Dombes, comprenant une zone de protection de 70 communes et une zone de surveillance de 249 communes, un contrôle des mouvements de volailles a été mis en place. Conformément aux recommandations européennes, les entrées et sorties de volailles ainsi que les expéditions de viandes de volailles et d'œufs ont fait l'objet de restrictions afin d'éviter des circulations de volailles hors de la zone. Les mesures ont perturbé fortement la commercialisation normale de ces élevages. Pour cette raison, et dans un but de soutien économique, il a été proposé aux éleveurs des mesures de retrait par abattage des volailles qui ont permis d'indemniser en totalité les volailles dont la commercialisation était suspendue.

« Les mesures sanitaires, appliquées avec efficacité par les éleveurs ont à ce jour permis d'éviter la propagation du virus à d'autres élevages et le risque d'émergence d'un nouveau foyer diminue au fil des jours. Compte tenu de la bonne maîtrise sanitaire de la zone, les mesures applicables dans les zones soumises à restriction vont être progressivement assouplies, conformément aux règles sanitaires européennes et comme cela avait été annoncé dès le 24 février.

« A compter du 18 mars, soit 21 jours après la désinfection préliminaire de l'élevage infecté, les entrées et sorties de volailles vivantes et la commercialisation des viandes seront possibles sans restriction. La vente directe d'œufs sera de nouveau autorisée.

« Le 27 mars, le périmètre des zones de restriction ne concernera plus que les cas liés à la faune sauvage et il sera régulièrement adapté en fonction de leur évolution. »

Et le 29 mars, le préfet de la région Rhône-Alpes a suspendu la zone élargie de surveillance concernant 32 communes du Rhône et 9 de l'Isère. Cependant, les communes de l'Ain et 48 communes du Rhône restent placées en « zone de surveillance ».

B. DEPUIS AOÛT 2005, LE GOUVERNEMENT A SU RENFORCER LE DISPOSITIF DE PRÉCAUTION MIS EN PLACE

La France est restée longtemps préservée de toute contamination par le virus H5N1, alors que la grippe aviaire touchait progressivement des pays d'Europe centrale, puis l'Italie, l'Allemagne... Toutefois, depuis l'été 2005, à chaque étape de la progression de la maladie à l'extérieur de nos frontières, le Gouvernement a pris, au nom du principe de précaution, les mesures qui s'imposaient pour limiter les risques de contamination en France.

La gestion par le Gouvernement du risque de grippe aviaire en France a été - malheureusement, pourrait-on dire - rétrospectivement légitimée par les faits : non seulement l'épizootie n'a pas cessé de progresser vers l'Europe de l'Ouest et en Afrique, mais le premier oiseau mort de grippe aviaire en France, un canard sauvage, a été trouvé le 13 février dans la commune de Joyeux, dans le département de l'Ain. D'ailleurs, le 15, avant même que la présence du H5N1 sur cet oiseau ne soit officiellement confirmée, un arrêté a renforcé à nouveau le dispositif en place, notamment en généralisant le confinement sur l'ensemble du territoire et en organisant la vaccination de certains élevages. Quelques jours plus tard, après d'autres cas constatés dans la faune sauvage, un élevage de dindes, dans l'Ain également, à Versailleux, a été à son tour infecté : la volaille domestique n'est donc plus, elle non plus, à l'abri de la contamination.

1. Un confinement progressivement généralisé à l'ensemble du territoire national

Le risque de contamination des élevages domestiques par la faune sauvage a conduit le Gouvernement à prendre, dès le début de l'automne 2005, des mesures de confinement des élevages, afin de réduire les occasions de contact avec des oiseaux sauvages susceptibles d'être contaminés par le H5N1. Dans un premier temps limité à quelques départements jugés les plus exposés, le dispositif a été peu à peu étendu, au vu, notamment, de la progression de l'épizootie vers l'Europe occidentale.

Les mesures prises sont parfois allées au-delà des recommandations de l'AFSSA. Mme Pascale Briand ne s'en est pas étonnée devant la mission : « l'AFSSA ne recommandait pas le confinement ; le fait que les pouvoirs publics l'aient décidé ne nous choque pas pour autant : c'est dans la logique de la distinction évaluation/gestion du risque ».

1.-1. L'extension progressive du dispositif de protection

Depuis l'automne 2005, le dispositif de confinement est monté peu à peu en puissance, le Gouvernement adaptant sa réponse à l'évolution de la situation.

a) L'arrêté du 25 octobre 2005 : les premiers confinements

A deux reprises, le 19 et le 21 octobre 2005, l'AFSSA a considéré qu'il n'y avait pas lieu de recommander, pour le moment, la « claustration » des élevages de volailles, mais n'excluait pas de revoir son appréciation en cas d'évolution de la situation en France et dans les pays limitrophes.

Le Gouvernement n'a pas suivi cet avis, estimant, au nom du principe de précaution, que le confinement devait être mis en œuvre dans les départements jugés « à risque particulier », c'est-à-dire comportant des zones humides susceptibles d'accueillir des oiseaux migrateurs d'eau (estuaires, lacs, étangs ...).

L'arrêté du 24 octobre 2005 a ainsi ordonné le confinement des élevages de plein air dans 21 départements. Dans l'hypothèse où le confinement ne peut être assuré, des mesures d'effet équivalent, évitant donc strictement les contacts avec la faune sauvage, peuvent être mises en œuvre, moyennant une visite vétérinaire préalable. Les départements concernés sont : l'Ain, l'Aube, les Bouches-du-Rhône, la Charente-Maritime, la Haute-Corse, le Gard, la Gironde, l'Ille-et-Vilaine, l'Indre, les Landes, la Loire-Atlantique, la Manche, la Marne, la Haute-Marne, la Meurthe-et-Moselle, la Meuse, le Bas-Rhin, le Haut-Rhin, la Seine-Maritime, la Somme, la Vendée.

Ce dispositif était initialement applicable jusqu'au 1er décembre 2005. Il a été prolongé, sur décision des autorités européennes jusqu'au 31 mai 2006.

Dans les départements concernés, cette disposition est venue renforcer l'interdiction générale, édictée par l'arrêté pour l'ensemble du territoire national, d'abreuver et d'alimenter les volailles à l'extérieur, et d'utiliser des eaux de surface dans les élevages.

b) Le 27 octobre : l'extension des mesures de confinement à 5 départements supplémentaires

Un arrêté du 28 octobre 2005 a ajouté cinq départements à ceux visés par l'arrêté du 24 octobre. Il s'agit de l'Aude, de l'Eure, de l'Hérault, du Loiret et du Morbihan.

c) Le 19 janvier 2006 : 32 nouveaux départements concernés par le confinement

A l'issue d'une réunion interministérielle sur la grippe aviaire tenue le vendredi 13 janvier 2006, destinée de faire le point sur la situation et les mesures à adopter, il a été décidé d'étendre le dispositif de confinement des volailles à 32 départements supplémentaires : L'Eure-et-Loir, le Finistère, l'Isère, la Loire, les Pyrénées-Orientales, le Rhône, la Savoie, la Haute-Savoie, la Seine-et-Marne, les Alpes-de-Haute-Provence, les Hautes-Alpes, le Calvados, le Cher, la Côte d'Or, la Côte d'Armor, la Dordogne, le Doubs, le Jura, le Loir-et-Cher, le Lot, le Maine-et-Loire, la Mayenne, la Moselle, la Nièvre, le Pas-de-Calais, la Haute-Saône, la Saône-et-Loire, les Yvelines, les Deux-Sèvres, le Vaucluse, l'Yonne, le Territoire de Belfort.

Au total, 58 départements étaient donc, désormais, placés sous le régime du confinement.

d) Le 15 février 2006 : la généralisation du confinement à l'ensemble du territoire national.

L'apparition de nouveaux foyers d'influenza aviaire en Europe, comme en Afrique, a conduit le Gouvernement à renforcer une nouvelle fois le dispositif du confinement. Une réunion interministérielle s'est tenue le 15 février, au cours de laquelle il a été décidé que « Tous les oiseaux détenus par des éleveurs ou par des particuliers présents sur le territoire métropolitain, qu'il s'agisse de volailles d'élevage ou de basses-cours, de gibier d'élevage ou d'oiseaux d'agrément, devront être confinés. En cas d'impossibilité, des mesures d'effet équivalent devront être prises. Les contrôles vétérinaires seront renforcés. Les élevages de canards et d'oies, situés dans les zones humides à risque des départements des Landes, de Loire-Atlantique et de Vendée, pour lesquels le confinement ne pourrait être mis en œuvre, seront vaccinés ».

La veille, l'AFSSA avait rendu un avis, déjà évoqué plus haut, dans lequel elle estimait que l'avifaune française est désormais soumise à un risque aggravé de contamination.

Au cours de la réunion du 15 février, la décision a également été prise de recenser toutes les basses-cours. La mise en œuvre de cette mesure sera sans doute délicate, en raison, d'une part, du grand nombre et de la dispersion des basses-cours en France, d'autre part, de la protection garantie au domicile privé et qui rendra les contrôles sur place difficiles. Il s'agit donc, pour les pouvoirs publics, davantage de convaincre que de contraindre.

Ainsi, depuis la mi-février, tous les élevages domestiques français sont confinés ou, si le confinement ne peut être réalisé, protégés de l'avifaune sauvage dans des conditions équivalentes. Le Gouvernement, on l'a vu, a agi par étapes, adaptant son plan de protection des volailles françaises en fonction de l'évolution de la situation sur le front de l'épizootie. Il a maintenu sa ligne de conduite, dictée par le souci de ne prendre aucun risque. M. Dominique Bussereau, Ministre de l'agriculture, a souligné devant la mission : « il est du devoir des pouvoirs publics d'adapter la riposte à l'évaluation de la menace ». Il a admis que : « S'agissant du confinement, nous allons effectivement très loin dans l'application du principe de précaution » Et lorsqu'il s'adressait en ces termes à la mission, la décision de généraliser le confinement à l'ensemble du territoire français n'avait pas encore été prise : l'audition a eu lieu le 25 janvier. L'explication qu'il a alors donnée pour justifier l'extension du confinement vaut, bien évidemment, pour la décision prise ensuite d'un confinement généralisé : « Si, pour notre part, nous avons étendu le confinement, c'est non seulement à cause des événements de Turquie, mais également pour préparer nos éleveurs au retour des oiseaux migrateurs à partir de février et les inciter à réfléchir à leurs modes de fonctionnement ».

Mais c'est aussi à une plus grande vigilance que les éleveurs sont appelés, depuis la découverte, quelques jours après la réunion du 15 février, d'un élevage de dindes infecté par le H5N1, dans l'Ain, à Versailleux. Il s'agissait pourtant, là, de volailles confinées. L'AFSSA a mené une enquête sur les causes de cette infection. Elle indique, sur son site Internet, que « la contamination des animaux a très probablement eu une origine indirecte (vecteurs mécaniques). En effet, compte tenu de la qualité du confinement des animaux dans cet élevage, l'entrée d'oiseaux sauvages dans le bâtiment comme source de contamination semble très improbable ». Et d'observer : « le confinement, en ce qu'il empêche le contact direct entre les oiseaux sauvages (et leurs déjections) et la volaille, est efficace pour réduire le risque d'infection de ces dernières par le virus IA, mais (il) n'est rien sans les mesures de biosécurité qui doivent absolument l'accompagner. Ces mesures doivent avoir comme résultat d'empêcher la pénétration de matières contaminées (boue, plumes,...) dans le bâtiment ».

1.-2. L'accueil des mesures de confinement par les professionnels

La mise en œuvre du dispositif de protection des élevages n'a pas été sans mal. La succession d'arrêtés étendant progressivement le confinement a été plutôt mal accueillie par les professionnels de la filière avicole. Ainsi, M. Yves de La Fouchardière88  a fait observer devant la mission d'information : « la succession d'annonces n'est pas heureuse. Nous avons particulièrement mal vécu les moments où, contre l'avis de l'AFSSA, on a étendu peu à peu le confinement à de nouveaux départements ». Le Ministre de l'agriculture a lui-même admis devant la mission que l'adoption de mesures successives « n'est certes pas l'idéal en termes de communication, mais je préfère ne pas confiner tout en même temps, même si les poulets de Loué ne se voient pas appliquer la même règle selon qu'ils sont élevés dans la Sarthe ou dans la Mayenne... Les élus de la Sarthe affirment que le confinement en Mayenne fait peur aux Sarthois, et les élus de la Mayenne me demandent pourquoi le confinement n'est pas obligatoire dans la Sarthe ! ».

Sur le plan pratique, le confinement risque, s'il doit se prolonger, de poser des difficultés aux éleveurs de volailles labellisées. M. Michel Prugue a souligné devant la mission que pour l'élevage « en plein air, qui concerne la volaille de Bresse, ou en liberté pour le poulet des Landes et les palmipèdes, (...), les souches ont été sélectionnées pour rester en contact de la nature. Sitôt passée la période d'emplumement, les animaux vivent à l'extérieur et ne peuvent être confinés : non seulement nous ne disposons pas des bâtiments nécessaires, mais ces variétés de volailles ne supportent pas le confinement ». Il a aussi souligné que pour les élevages label rouge qui ne vivent pas en permanence dehors - « la plus grande partie de la production » - leur confinement a rapidement créé des problèmes : « Les éleveurs qui ont confiné leurs animaux sitôt l'arrêté publié ont assez rapidement rencontré certaines difficultés - piquage, mortalité accrue - bien que le raccourcissement des jours en hiver fasse normalement baisser l'agressivité chez les animaux. Inversement, l'arrivée du printemps marque le retour d'une phase dite ascendante, d'où une recrudescence des problèmes liés à l'enfermement », même si, a-t-il ajouté, » certains éleveurs pensent pouvoir les maîtriser (...). Nous avons indiqué aux pouvoirs publics que nous pourrions porter la durée de confinement de nos jeunes animaux de quatre à huit semaines maximum ».

2. Les restrictions aux importations de produits en provenance de pays contaminés

Sitôt qu'un foyer est déclaré ou même suspecté dans le monde, il est interdit au niveau européen d'importer les oiseaux et leurs produits - plumes ou viandes - en provenance du pays touché.

Dans ce domaine la France ne fait qu'appliquer les décisions de la Commission européenne, dont on trouvera un exemple ci-après.

Communiqué de la Commission européenne - vendredi 17 mars 2006

Grippe aviaire : restriction des importations de volaille et de produits avicoles en provenance d'Israël, suite à la confirmation de la présence du virus H5N1

« La Commission a décidé d'interdire les importations de volailles vivantes, de viande de volaille, d'œufs et de produits avicoles en provenance d'Israël après que les autorités israéliennes ont confirmé aujourd'hui l'existence de deux foyers de grippe aviaire H5N1 hautement pathogènes et la présence de deux autres foyers suspects dans des élevages de dindons des régions de Ha Darom et de Jérusalem. Les importations de produits avicoles traités thermiquement restent autorisées, tout comme l'importation de viande et de produits à base de viande provenant de volailles abattues avant le 15 février 2006 (donc avant la période d'incubation du virus). La décision prise aujourd'hui sera examinée par le Comité permanent de la chaîne alimentaire et de la santé animale qui doit se réunir jeudi ».

L'action du Gouvernement dans ce domaine consiste à appliquer avec détermination les mesures décidées par l'Union européenne. Les services vétérinaires des 33 postes d'inspections frontaliers français qui contrôlent la bonne application des mesures d'interdiction d'importation de volailles et produits dérivés en provenance des pays infectés ou suspects, sont en état d'alerte permanent. Depuis le début de l'année 2004, 130 000 contrôles ont été réalisés.

3. L'interdiction des rassemblements d'oiseaux vivants

Par arrêté du 24 octobre 2005, le Gouvernement a interdit « tout rassemblement d'oiseaux, en particulier à l'occasion de foires, marchés, expositions, concours ». Toutefois, dans les départements autres que ceux jugés à risque, le préfet peut accorder des dérogations, subordonnées au respect de conditions sanitaires précisées par instruction du Ministre chargé de l'agriculture.

Cette interdiction a ainsi conduit les organisateurs du Salon de l'Agriculture, qui devait se tenir, quelques mois plus tard à Paris, du 25 février au 5 mars, à exclure la présence d'oiseaux lors de la manifestation. Interrogé par la mission sur ce point, lors de son audition le 25 janvier, M. Dominique Bussereau a indiqué : « Nous ne sommes plus qu'à un mois de l'ouverture et il aurait été extraordinairement compliqué de gérer des oiseaux venant, qui d'un département où le confinement est de règle, qui d'un département où il ne l'est pas, qui de pays étrangers, etc. (...).Aussi, après avoir pris l'avis des autorités sanitaires de la ville de Paris et de la préfecture de police, les organisateurs du salon, sans me consulter, ont pris leurs responsabilités comme des grands et décidé d'appliquer une mesure d'interdiction en compensant l'absence des oiseaux, toujours très appréciés, par un plus grand nombre d'autres animaux ».

Le 15 février, la décision fut prise d'interdire « tout rassemblement d'oiseaux, en particulier à l'occasion de foires, marchés, expositions, concours, (...) sur le tout le territoire métropolitain ».

Le 20 février, l'AFSSA, appelée à se prononcer sur le risque sanitaire lié aux rassemblements d'oiseaux domestiques et d'ornement, a recommandé l'interdiction de tels rassemblements, eu égard à l'aggravation notable de la situation épidémiologique européenne dans l'avifaune sauvage, à la réceptivité d'un grand nombre des oiseaux concernés aux virus Influenza aviaire et à la capacité des oiseaux d'ornement à contaminer les élevages de production, notamment ceux de basse-cour.

Plusieurs députés membres de la mission se sont faits l'écho des difficultés que cette interdiction générale créait pour les éleveurs qui vendent leurs volailles vivantes sur les marchés ou les foire. Dans la mesure où la période de vente ne dure que deux ou trois mois dans l'année, la saison se terminant en juillet, c'est aujourd'hui que les professionnels doivent savoir s'ils peuvent mettre leurs élevages en production et, si la réponse est négative, à quelle indemnisation ils auront droit.

4. L'interdiction du transport et de l'utilisation des oiseaux « appelants » pour la chasse

4.-1. Les mesures prises

Si le Gouvernement n'a pas jugé nécessaire, jusqu'à présent, d'interdire la pratique de la chasse en France, à la différence d'autres Etats, comme la Turquie, il a néanmoins décidé d'interdire l'utilisation des oiseaux « appelants » pour la chasse au gibier d'eau, eu égard au risque de contamination de l'avifaune sauvage par le virus H5N1.

On précisera que les appelants sont des oiseaux - oies, canards de surface, canards plongeurs, foulque macroule et vanneau huppé - souvent élevés en captivité et utilisés par les chasseurs dans le milieu naturel pour attirer leurs congénères sauvages de passage pendant leur trajet migratoire.

Bien qu'ils n'aient que très rarement le temps d'être en contact direct avec les oiseaux migrateurs qui se posent, le risque de contamination par les fientes est le même que pour les oiseaux d'élevage en plein air.

En outre, les appelants se posent sur des plans d'eau susceptibles d'être infectés par le virus H5N1. A votre Rapporteur qui l'interrogeait sur le risque de contamination des appelants par l'eau, M. Philippe Vannier a répondu : « Des études scientifiques ont montré que le virus peut y persister (dans l'eau) entre plusieurs jours et plusieurs semaines, en fonction de la température - jusqu'à 105 jours à 4° (...). L'eau peut donc être considérée comme dangereuse pour les animaux ».

Les appelants sont donc exposés à un risque de contamination et constituent des vecteurs potentiels du virus.

Dans son avis du 25 août 2005, l'AFSSA estimait que « l'usage des appelants reste une pratique à haut risque au regard du risque Influenza aviaire (et) que les animaux servant d'appelants ne doivent pas être entretenus au contact direct ou indirect de volailles domestiques ou de toute autre espèce sensible ».

Devant la mission, M. Philippe Vannier a rappelé que « l'AFSSA a toujours estimé qu'ils (les appelants) représentaient un niveau de risque d'autant plus important qu'ils sont incontestablement au contact de la faune sauvage et que l'on n'a aucune certitude sur ce qu'ils deviennent lorsqu'ils retournent chez leurs propriétaires. Les vacciner ? Certainement pas. Je ne pourrais que conseiller d'éviter de les utiliser sous peine de cumuler les facteurs de risque dans ces zones humides ».

Après que la Commission européenne ait décidé, le 21 octobre, d'interdire l'usage des appelants, un arrêté du ministère français de l'écologie et du développement durable en date du 24 octobre 2005 a interdit le transport et l'emploi d'appelants vivants sur tout le territoire national jusqu'au 1er décembre 2005. Un arrêté du 29 novembre a prorogé cette interdiction jusqu'à la fermeture de la chasse.

4.-2. Les réserves des chasseurs

Devant la mission d'information, les responsables des organisations représentatives de chasseurs ont regretté la mesure d'interdiction prise par le Gouvernement, observant qu'elle n'avait été assortie d'aucune dérogation alors que les premières décisions de confinement des élevages prises concomitamment prévoyaient des aménagements possibles. Mme Charlotte Dunoyer89 a ainsi déclaré : « L'interdiction des appelants dans la chasse aux oiseaux d'eau, prise pour toute la saison cynégétique, revient à interdire purement et simplement ce mode de chasse pendant un an. On comprend d'autant plus le désarroi des chasseurs que cette mesure, parmi toutes celles prises à titre de précaution, est la seule à n'être assortie d'aucun aménagement ni d'aucune dérogation, à la différence de celles prises pour les élevages en plein air ou les rassemblements d'oiseaux, lesquels peuvent faire l'objet d'exceptions dès lors que l'analyse de risque est favorable, ou des oiseaux de zoo, qui peuvent être vaccinés. Pour les appelants : aucune dérogation, aucun aménagement, aucune concertation, alors que plusieurs experts avaient montré qu'il aurait pu y avoir des aménagements tout en maîtrisant le risque de contamination ».

Les chasseurs ont deux reproches principaux à adresser à la décision ministérielle en cause.

D'une part, elle prive les autorités responsables de la lutte contre la grippe aviaire d'un outil d'observation de la progression du virus H5N1 dans l'avifaune sauvage car les appelants auraient pu être utilisés comme oiseaux-sentinelles. Ainsi, Mme Charlotte Dunoyer a-t-elle indiqué à la mission : « Nous avons ainsi été sollicités par le ministère de l'agriculture pour mettre en place un système de surveillance sur les canards appelants à raison de 600 appelants dans dix départements. Les fédérations s'étaient préparées à cette opération fin septembre, mais aucune suite n'a été donnée du fait de l'interdiction des appelants. Je trouve dommage de s'être ainsi privé d'un système de détection précoce de la grippe aviaire ». M. Gilles Deplanque90 , pour sa part, a noté : « Nos oiseaux appelants pourraient être des sentinelles très utiles pour détecter le virus : ils sont pour la plupart en permanence sur les plans d'eau, dans les marais (...), à charge pour la Direction des services vétérinaires d'assurer (leur) suivi épidémiologique et sanitaire (...) ».

D'autre part, les chasseurs de gibier d'eau ne peuvent concevoir la pratique de leur loisir sans appelants. M. Éric Kraemer91  a ainsi expliqué à la mission sa conception de la chasse : « Mais chasser sans mes appelants, c'est vivre sans ma femme... C'est aussi profond que cela ! Sans appelants, l'oiseau sauvage passe au-dessus de la mare sans s'arrêter, car il n'est pas attiré par ses congénères. Il faut l'attirer pour qu'il s'y pose. Sinon, il passe son chemin. Et c'est triste à mourir... ». Mme Charlotte Dunoyer a insisté sur le fait que la chasse « représente le deuxième loisir des Français. Or, sur le terrain, les mesures décidées sont ressenties comme un signe d'opprobre, une mise au ban de la société, au mépris des acquis culturels, économiques et sociaux. La chasse est une fête ; ne la tuons pas, utilisons-la plutôt intelligemment ».

Si les membres de la mission ont été attentifs aux objections des chasseurs, ils n'en sont pas moins restés convaincus de la nécessité de prendre, vis-à-vis des appelants, toutes les précautions qui s'imposent pour limiter le risque de contamination de ces oiseaux. La décision prise par le Gouvernement d'interdire l'usage des appelants leur semble donc tout à fait justifiée.

5. La vaccination de certains élevages

Il sera ici traité exclusivement de la vaccination préventive de certains élevages, dont la mise en œuvre a été décidée par la France en février 2006. Il y a lieu, pour des développements sur les avantages et les inconvénients de la vaccination sur un plan plus général, de se reporter au chapitre premier du rapport (« la vaccination : ni facilité, ni panacée »).

5.-1. La vaccination n'a pas été d'actualité au début de la crise

Dès l'automne 2005, l'AFSSA estimait, dans un avis rendu le 3 novembre, que le recours à la vaccination préventive pouvait se justifier, compte tenu des nouvelles données relatives au rôle des oiseaux migrateurs. Cependant, elle préconisait de la limiter à certaines espèces (les canards) et à certains départements (Vendée, Landes et Loire-Atlantique). Cet avis n'avait été suivi d'aucune décision immédiate des pouvoirs publics.

Lors de son audition devant la mission, le 25 janvier 2006, le Ministre de l'agriculture, M. Dominique Bussereau, n'envisageait toujours pas de recours à la vaccination préventive : « Pour l'instant, il n'est prévu de faire appel à la vaccination que si la situation sanitaire venait à déraper et que l'on rentrait dans une situation endémique. Tel n'est pas le cas en France et l'AFSSA ne la recommande donc pas. Nous ne pourrions le faire qu'en cas de menace grave ou si la situation devenait réellement épizootique. Mais si la vaccination a l'avantage de protéger les animaux, elle a l'inconvénient de masquer la diffusion du virus ; ce sont autant de paramètres qu'il faut intégrer dans la réflexion, tout comme la question de savoir s'il faut une ou deux injections. Les Chinois ont, par exemple, engagé une campagne de vaccination massive. Pour l'instant, gardons-la comme arme immédiate en cas de problème ; dans le cadre de la réflexion à terme, je serai très preneur d'un travail en commun avec l'INRA, les services sanitaires et autres partenaires afin de savoir s'il est possible d'envisager un jour une vaccination préventive à l'image de la vaccination humaine. Mais ce que l'on nous dit de l'état actuel de la science, c'est que cela n'est ni souhaitable ni possible. »

On retrouve, posés dans ces propos, les termes du débat sur la vaccination, que votre Rapporteur a présentés dans le chapitre premier du présent rapport. Jusqu'à ce que des oiseaux migrateurs porteurs du virus H5N1 soient détectés dans les pays de l'Union européenne et en France, les autorités publiques ont préféré garder en réserve l'arme de la vaccination, dont l'usage n'est pas sans inconvénients.

Toutefois, le Gouvernement s'était préparé à l'éventualité d'un recours à la vaccination. Ainsi que l'a rappelé M. Louis Egron92 , des contacts ont été pris dès le mois de novembre avec les fabricants de vaccins : « En tant que laboratoire fabricant, nous n'avons clairement aucun pouvoir de décision en matière de stratégie de vaccination. Nous ne pouvons qu'apporter notre savoir-faire en fonction des caractéristiques particulières de nos produits. En revanche, nous avons été depuis quelques mois amenés à fournir et à assumer une responsabilité de moyens. Nous avons d'abord été contactés en novembre dernier par les autorités pour fournir des dossiers sur les vaccins que nous commercialisons communément de par le monde et qui, jusqu'à ce jour, n'étaient pas autorisés en Europe. Ces dossiers ont été examinés par la commission d'autorisation de mise sur le marché en décembre et nous avons obtenu une ATVAP, c'est-à-dire une autorisation temporaire de vente aux professionnels ».

La phase d'appel d'offres ayant été finalisée le 10 février 2006, toutes les dispositions ont été prises pour que le vaccin soit disponible et qu'un stock de sécurité soit constitué, comme l'a confirmé M. Louis Egron : « Nous avons été en mesure de mettre très rapidement à disposition des autorités un stock, conformément aux clauses de l'appel d'offres - ce qui n'était pas sans poser des difficultés, sachant qu'il faut compter quatre mois entre la décision de lancer la mise en production d'un lot et son arrivée sur le terrain. Il faut d'abord, en effet, produire les antigènes et les contrôler, et dans un second temps, fabriquer le produit fini et en contrôler l'efficacité. Ceci explique que les autorités françaises aient souhaité constituer un stock de sécurité, aujourd'hui en voie de constitution : dès le 21 février, l'équivalent de trois millions de doses-poule (0,5 ml par volaille) était mis à disposition ». Le dispositif était donc prêt à être mis en œuvre : « Concomitamment a été décidée la vaccination des canards non confinés dans certaines zones humides de trois départements français. Dès réception des vaccins arrivant de notre usine de production, nous les avons expédiés, après les contrôles d'usage, pratiquement le jour même, dans trois centres de grossistes répartiteurs situés à proximité des sites d'utilisation, en l'occurrence les Landes, la Loire-Atlantique et la Vendée».

5.-2. La décision de vaccination a été prise au regard de certaines particularités

A partir du mois de janvier 2006, des oiseaux migrateurs touchés par le virus H5N1, quittant les zones froides de Sibérie, ont été découverts dans quasiment tous les pays d'Europe confirmant ainsi l'hypothèse selon laquelle ils pouvaient être un des facteurs de contamination des élevages, et créant ainsi de nouvelles conditions épidémiologiques. Dans ce contexte, le principe de la vaccination préventive en France a été posé le 15 février, peu après la détection du premier cas de grippe aviaire sur un canard sauvage et juste avant l'infection d'un élevage dans le département de l'Ain.

La France a été l'un des deux seuls pays européens à prendre cette décision, avec les Pays-Bas, dont il faut rappeler qu'ils avaient été traumatisés par la crise de grippe aviaire à H7N7 de 2003 qui avait été à l'origine d'un décès humain.

Notre pays présente, par rapport à ses partenaires européens, des particularités tenant, d'une part, à sa production, d'autre part, à la configuration géographique de certaines zones humides qui crée une situation épidémiologique complexe. Ainsi que l'a souligné M. Philippe Vannier devant la mission : « Tous ces éléments sont liés et doivent être intégrés dans une stratégie à court et à long terme ». Ils ont vraisemblablement lourdement pesé dans la décision des pouvoirs publics.

a) Les spécificités de la production française

M. Philippe Vannier93 a insisté sur « les spécificités de l'élevage français pour certaines espèces ». Le secteur des volailles de qualité sous label, pour lequel le confinement pourrait poser problème à terme, représente une part importante de la production (10% des volailles produites, 20% de la consommation intérieure et 40% des ventes en grandes surfaces). S'agissant plus spécifiquement des canards, la France est le deuxième producteur mondial (derrière la Chine) et, très largement, le premier producteur européen. Elle produit ainsi près de 12 millions de canards prêts à gaver élevés, pour la moitié, dans des départements incluant des zones identifiées comme exposées au risque de contamination par les oiseaux migrateurs ; ces zones se caractérisent, par ailleurs, par la densité d'autres élevages de volailles. Ces canards appartiennent, en outre, à des lignées génétiques de haute valeur marchande. Enfin, les anatidés ont une réceptivité particulière au virus H5N1 : des signes cliniques peu manifestes après l'infection.

L'élément qui a fait pencher la balance en faveur de la vaccination est la difficulté de réaliser le confinement, destiné à éviter le contact avec l'avifaune sauvage. Comme le souligne l'AFSSA dans son avis du 3 novembre : « [une mise en claustration] ne semblerait pas applicable pour les élevages de canards prêts à gaver, d'oies, de gibiers (faisans, perdrix et colvert) et d'autruches qui ne disposent pas actuellement d'équipements en bâtiments adaptés ». Ceci a d'ailleurs été confirmé à la mission par M. Philippe Vannier qui a, toutefois, modulé son propos selon les départements : « les structures de bâtiments en Loire-Atlantique et en Vendée autorisent davantage le confinement que dans les Landes où la chose est impossible ».

b) La complexité de la situation épidémiologique dans certaines zones humides

M. Philippe Vannier a confirmé à la mission combien sont grandes les incertitudes devant l'évolution épidémiologique de certaines zones humides françaises : « nous aurons beaucoup à apprendre, au jour le jour, au fur et à mesure des événements épidémiologiques, notamment dans la faune sauvage. Nous ne savons pas tout, nous ne pouvons pas tout deviner et surtout nous devrons nous adapter à la complexité de la situation épidémiologique, dans les Dombes et ailleurs. Il m'est toutefois possible de m'appuyer dans mes explications sur deux situations précises, celle des Landes et celle, beaucoup plus préoccupante, des Dombes. On peut malheureusement craindre que la situation épidémiologique ne se complique davantage au cours des semaines à venir et que le virus soit identifié dans d'autres régions de France et d'Europe, comme cela vient d'être le cas dans les Bouches-du-Rhône. La probabilité en tout cas en est assez élevée ».

Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, il a posé très clairement les termes de l'enjeu : « Si l'on n'arrête pas la production, les éleveurs seront obligés de sortir leurs volailles dès avril-mai, parce qu'elles auront pris du poids : là encore, deux scénarios sont possibles. Ou bien l'on prend délibérément le risque, en les exposant à des contacts avec la faune sauvage, de voir apparaître de temps en temps des foyers. Cette option politique, au demeurant parfaitement envisageable, peut toutefois être lourde de conséquences commerciales pour tout le pays ...Ou alors, on refuse de s'en remettre au hasard...et l'on décide de vacciner pour essayer de maîtriser, durant une période limitée et sur une population elle aussi limitée, la circulation du virus ».

Les pouvoirs publics français ont choisi le deuxième scénario, conformément à l'avis formulé par l'AFSSA le 14 février 2006, qui ne fait que confirmer celui rendu le 3 novembre. L'Agence a recommandé « une vaccination préventive faite par un vétérinaire sanitaire, lorsque le confinement n'est pas possible dans les zones humides des trois départements à très haute densité d'anatidés, assortie d'une surveillance post-vaccinale ».

5.-3. Le plan français : une vaccination ciblée

a) Le contexte juridique européen

La grippe aviaire frappant au cœur de l'Union européenne, les autorités communautaires ont pris de nouvelles mesures, dont celle, controversée, de la vaccination. La directive 2005 /94 /CE du 20 décembre 2005 concernant des mesures communautaires contre l'influenza aviaire a étendu la possibilité de recourir à la vaccination à titre de prévention, alors qu'elle n'était autorisée jusque là qu'en cas d'urgence94. Pour que les autorités nationales puissent pratiquer cette vaccination, elles doivent y être autorisées, à une majorité qualifiée, par la commission européenne, après avis favorable du comité permanent de la chaîne alimentaire et de la santé animale (CP-CASA).

Le 21 février 2006, la France et les Pays-Bas ont présenté à leurs partenaires européens des plans de vaccination ciblée de certaines volailles, afin de prévenir la contamination par le virus H5N1. Le plan néerlandais prévoit la vaccination des volailles élevées en plein air et concerne l'ensemble du pays. Le plan français consiste à vacciner seulement les oies et les canards dans trois départements à zones humides. Il reprend strictement les préconisations de l'AFSSA.

Ces plans n'ont pas fait l'unanimité au sein de l'Union européenne et ont suscité des discussions, notamment au sein du CP-CASA. Malgré tout, et même si, au moment de la décision finale, quatre pays (Allemagne, Danemark Autriche et Portugal), ainsi que la Commission européenne, ont émis des réserves scientifiques et économiques à une telle campagne de vaccination, le feu vert a été donné à la France et aux Pays-Bas par la Commission européenne (décision 2006 /148 du 24 février 2006).

b) La vaccination contrôlée et obligatoire de certaines espèces et dans certaines zones, à défaut de confinement,

A la suite de cette décision, deux arrêtés ont été publiés le 24 février 2006 relatifs, l'un à la vaccination contre l'influenza aviaire des volailles domestiques, l'autre à la vaccination contre l'influenza aviaire des oiseaux détenus dans les établissements zoologiques.

S'agissant des volailles domestiques, l'arrêté prévoit un champ d'application de la vaccination très limité, en fonction des facteurs de risque. Elle ne s'applique qu'aux oies et aux canards et ne concerne que trois départements : Landes, Loire-Atlantique et Vendée. De surcroît, le choix est laissé aux éleveurs d'organiser le maintien des volailles à l'intérieur des bâtiments plutôt que de recourir à la vaccination.

Des mesures minimisant les risques liés à la vaccination sont prévues. Tout d'abord, un examen pré-vaccinal des troupeaux vise à assurer l'adéquation des normes de santé et de biosécurité, conformément aux préconisations de l'OIE, rappelées par M. Bernard Vallat devant la mission : « On ne vaccine que des animaux dont on est certain qu'ils n'ont jamais été au contact du foyer primaire, jamais un animal infecté ou en incubation : c'est une règle d'or ».

Afin de répondre à l'une des principales critiques faites à la vaccination qui est, on l'a vu, de ne pas protéger à 100% contre la grippe aviaire et de ne pas permettre de suivre la propagation éventuelle du virus, un suivi postvaccinal rigoureux des oiseaux vaccinés est obligatoirement mis en place. Afin de ne pas passer à côté de signes cliniques atténués chez les espèces vaccinées, des oiseaux-sentinelles (une volaille non vaccinée par groupe) permettra de s'assurer que le virus n'est pas présent dans l'élevage vacciné et feront l'objet de tests réguliers. Au surplus, une surveillance épidémiologique est rendue possible par l'utilisation, non pas d'une souche vaccinale H5N1 mais de souches vaccinales voisines du H5N1, comme l'a expliqué M. Louis Egron à la mission : « la seule valence retenue aujourd'hui pour la vaccination en France est la souche H5N2 pour les raisons évoquées précédemment - proximité antigénique du H5N1 permettant une immunité croisée et la différenciation entre un animal vacciné et un animal contaminé ». L'autre société retenue dans l'appel d'offres français, Fort Dodge, fournit, pour sa part, un vaccin H5N3 qui a les mêmes propriétés sérologiques.

c) L'application du plan de vaccination

Le plan de vaccination concerne à priori 900 000 animaux sur les trois départements. La vaccination a débuté dès le 25 février, l'AFSSA ayant préconisé qu'elle soit initiée le plus tôt possible, compte tenu des délais d'administration vaccinale et de développement d'une immunité protectrice par les oiseaux vaccinés. Dix-huit vétérinaires ont encadré le travail des techniciens chargés d'inoculer le vaccin. L'opération a duré deux semaines, mais une deuxième injection sera nécessaire, quatre semaines après la première. Le coût global est évalué à 1,6 million d'euros, entièrement pris en charge par l'État.

En fait, dans les départements de Vendée et de Loire-Atlantique, la majorité des éleveurs ont renoncé à la vaccination, au profit du confinement. Les services vétérinaires départementaux de Loire-Atlantique ont indiqué que seuls cinq élevages sur les trente-huit initialement recensés ont été vaccinés, faute d'avoir trouvé une solution de confinement. En Vendée, aucune vaccination préventive n'a été appliquée. Par contre, la vaccination a été pratiquée dans les 148 élevages des Landes (600 000 animaux).

5.-4. Les réserves suscitées par la vaccination préventive en France

La vaccination préventive des animaux rares détenus par les parcs ornithologiques et zoologiques fait l'objet d'une unanimité et l'arrêté du 24 février 2006 les concernant est, en tous points, conforme aux préconisations de l'OIE. M. Bernard Vallat a rappelé que son organisation a spécifiquement traité de ces animaux : « Le problème s'est posé notamment des parcs zoologiques où il était hors de question d'abattre massivement des oiseaux rares et des espèces parfois en voie de disparition. Aussi avons-nous créé pour ce genre de situation la notion de « compartiment » définie au niveau international, un compartiment vacciné étant réservé aux espèces rares, oiseaux d'ornements, volières particulières, etc. : il est extrêmement difficile d'aller abattre en zone infectée les oiseaux d'ornements des particuliers ».

Par contre, la vaccination des animaux d'élevage suscite des réserves, d'autant plus qu'il n'y a pas, pour l'heure, de recul scientifique sur cette pratique. Elles ont été abordées au cours de table ronde que la mission a organisée le 8 mars dernier sur le sujet.

a) Les réserves économiques

La vaccination n'est pas neutre économiquement, comme l'a rappelé M. Bernard Vallat : « Plus nous vaccinerons, plus nous amoindrirons notre potentiel à l'exportation. Une certaine méfiance s'installera vis-à-vis de la France alors que la confiance est précisément un facteur essentiel dans les décisions d'importation ».

C'est pourquoi l'autorisation donnée par l'Union européenne à la France de procéder à la vaccination préventive est accompagnée de restrictions obligatoires à l'exportation. Ainsi, les volailles vivantes vaccinées, leurs œufs et poussins d'un jour ne pourront être exportées vers un autre pays de l'Union européenne ou vers un pays tiers, ni circuler hors de France. En France même, les volailles vaccinées ne pourront être transportées que vers des élevages eux-mêmes vaccinés, vers des lieux où est garantie une complète séparation entre volailles vaccinées et volailles non vaccinées ou vers des abattoirs pour abattage immédiat. La viande et autres produits dérivés des volailles vaccinées pourront être commercialisés dans l'Union européenne et vers les pays tiers à condition qu'ils soient garantis en provenance de structures ayant respecté les contrôles énoncés plus haut et que l'élevage d'origine ait été inspecté par un vétérinaire 48 heures avant l'abattage, certifiant sa conformité aux règles de santé animale.

A ces restrictions obligatoires s'ajouteront inévitablement les réticences des consommateurs, que la vaccination ne rassure pas vraiment. C'est, d'ailleurs, pourquoi les éleveurs des départements de Loire-Atlantique et de Vendée ont préféré trouver des solutions de confinement, par crainte de perdre des marchés alors que les ventes sont déjà en baisse. On relèvera le jugement plus optimiste porté par M. Yves de La Fouchardière devant la mission : « La vaccination des oiseaux domestiques me paraît le seul moyen de redonner durablement confiance aux consommateurs »

b) Les réserves scientifiques tenant à la maîtrise de l'épizootie

M. Bernard Vallat a rappelé la position de l'OIE relative à la vaccination préventive : la vaccination ne doit être utilisée que si la maladie est endémique et que les mesures classiques de maîtrise de l'épizootie (abattages sanitaires, contrôles des mouvements de volailles) sont restées vaines. De ce fait, elle considère que la vaccination n'est pas une priorité en France, et dans l'Union européenne en général, dans la mesure où la réglementation vétérinaire et les services vétérinaires y sont bien développés. M. Bernard Vallat a fait observer qu'« un pays qui vaccine n'a pas confiance dans ses services vétérinaires. Il envoie de ce fait un signal de non préparation » et considère donc « je ne peux, en tant que représentant de mon organisation, me départir [de ses positions] en approuvant la demande d'un pays, dont je m'efforce par ailleurs de promouvoir le modèle au niveau mondial, de déroger en matière de vaccination ». Il observe, de surcroît, que : «  même la Roumanie, où l'on retrouve dans la vallée du Danube un système comparable à la Dombes, ne s'est pas encore résolue, officiellement du moins, à appliquer la vaccination alors que l'on y compte des dizaines de foyers d'infection ».

Pour sa part, M. Philippe Vannier a insisté sur l'inconvénient principal de la vaccination, qui est de « passer à côté d'une détection précoce », malgré la mise en place d'une surveillance post vaccinale. Il a illustré son propos par l'exemple de l'élevage de Versailleux, où les signes cliniques ont été détectés immédiatement, ce qui a permis d'éradiquer le foyer sans délai et d'éviter ainsi que le virus ne se propage à d'autres élevages : « la vaccination peut poser un problème par le fait que, la protection induite masquant les symptômes cliniques, elle peut en retarder la détection précoce et par le fait la mise en œuvre des mesures de police sanitaire. L'exemple de Versailleux, où quatre cents dindes sont mortes du jour au lendemain alors que le vétérinaire n'avait remarqué aucun signe clinique le soir précédent, prouve à quel point cette souche H5N1 est hautement pathogène. Or cette sévérité même est en quelque sorte un avantage dans la mesure où elle permet une détection très précoce - l'inconvénient étant la très haute contagiosité ».

Votre Rapporteur, comme ses collègues, ont, évidemment, été sensibles à ces réserves qui, cette fois-ci, n'ont pas été déterminantes, compte tenu du caractère limité et ciblé de la vaccination. Elles devront, en revanche, être prises en considération le jour où une vaccination préventive plus étendue, voire généralisée, serait envisagée.

C. DES MESURES ONT ÉTÉ PRISES EN FAVEUR DE LA FILIÈRE AVICOLE, DUREMENT TOUCHÉE PAR L'EXTENSION DE L'ÉPIZOOTIE

1. Les difficultés rencontrées par la filière avicole

1.-1. L'importance économique d'un secteur en mutation

a) L'enjeu économique

Produisant chaque année près de deux millions de tonnes95 de volailles, la France se situe au premier rang des producteurs européens et au cinquième rang mondial (derrière les États-Unis, la Chine, le Brésil et le Mexique). Elle est aussi le deuxième producteur mondial de canards.

M. Denis Lambert a rappelé devant la mission que la « filière représente 65 000 emplois » : 50 000 salariés et 15 000 éleveurs. La filière recouvre, outre les éleveurs, trois autres grands secteurs : les accouveurs (120 entreprises et 6 500 emplois), les fabricants d'aliments (340 usines et 4 000 emplois) et les industriels (170 entreprises d'abattage, de découpe et d'élaboration et plus de 32 000 emplois). À titre d'illustration, M. Denis Lambert a ainsi présenté à la mission le groupe qu'il préside : « Premier groupe avicole français, LDC possède 20 sites en France, quatre en Pologne et deux en Espagne, soit 12 000 salariés dont 10 000 en France, et plus de 3 000 éleveurs ».

b) La crise de la grippe aviaire affecte un secteur en profonde mutation

Comme il a été indiqué en première partie du rapport, les deux dernières décennies ont été marquées par une très forte progression de la production avicole. La viande de poulet est une viande relativement facile à produire : s'il faut un an pour élever un porc et trois ans pour un boeuf, quarante-cinq jours suffisent pour élever un poulet. Ceci explique sans doute qu'alors que la production mondiale de viande a été multipliée par 2,6 entre 1970 et 2005, celle de la volaille a été multipliée par 5,3. Cette explosion a abouti à une standardisation des produits qui a favorisé l'émergence de nouveaux pays producteurs, comme le Brésil ou la Thaïlande. Ces nouveaux acteurs sont plus à même de s'adapter à l'évolution de la consommation telle que l'a décrite M. Michel Prugue : « la consommation évolue et tend à délaisser la carcasse entière pour des produits élaborés dont la matière première provient souvent d'autres régions du monde ».

Les pays traditionnellement producteurs ont subi de plein fouet les effets de la concurrence. Alors que, après un ralentissement en 2004, la production mondiale a connu en 2005 une hausse de 3% pour atteindre un niveau de 80,3 millions de TEC, l'Union européenne n'a pas profité de cette hausse et a même enregistré un recul l'année dernière : elle ne représente plus que 13 % du commerce mondial.

La France n'a pas été épargnée par ce mouvement général de restructuration, ainsi que l'a reconnu M. Michel Prugue : « Le secteur de la volaille était depuis longtemps entré dans une phase de reflux. L'épisode de l'ESB, en détournant le consommateur de la viande rouge, avait « boosté » la consommation de volaille et, par le fait, contrecarré ce mouvement structurel en retardant l'échéance ». M. Denis Lambert a, pour sa part, souligné que la filière fonctionne « déjà structurellement en situation de surcapacité » et qu'elle « avait connu une baisse de 20% ces dernières années ». Votre rapporteur observe, sur ce point, que cette tendance n'est donc pas spécifiquement liée à la crise provoquée par la grippe aviaire.

Devant ces difficultés, la filière avait déjà réagi de deux façons, comme l'a rappelé M. Michel Prugue. D'une part, elle a pris l'initiative de réduire ses capacités de production : « Nous avions réagi en fermant 1,5 million de mètres carrés, grâce à des aides de l'État ». Elle a, d'autre part, choisi de jouer la carte de la qualité, principalement en direction du marché intérieur, par le biais des « labels rouges [qui] bénéficiaient de l'avantage de faire état de l'origine de leur production, en contrepartie d'un cahier des charges spécifiques » et qui, s'ils « sont plus coûteux, garantissent une meilleure relation entre le producteur et ses clients ».

2.-2. Les conséquences de la grippe aviaire : une menace sur les exportations et une baisse importante de la consommation intérieure

Pour n'être donc pas apparue comme un coup de tonnerre dans un ciel serein, l'épizootie de grippe aviaire a, cependant, aggravé les difficultés préexistantes de la filière.

a) Les restrictions aux importations de produits français

Pour l'heure, sont particulièrement sensibles les conséquences de la baisse de la consommation intérieure. Toutefois, les effets des mesures de restriction totale ou partielle à l'importation de produits avicoles français, conséquence de l'annonce d'un foyer de grippe aviaire en France, ne tarderont pas à être ressentis. Le choc risque d'être d'autant plus rude que l'équilibre de la filière dépend largement des exportations, ainsi que l'a exposé M. Michel Prugue : « Nous exportons 40 %, soit 715 000 tonnes sur un total de deux millions de tonnes, produit par 20 000 éleveurs. Sur les 60 % restant pour le marché intérieur, 60 % vont aux ménages via les GMS - les grandes et moyennes surfaces - et les circuits traditionnels, 18 % dans la restauration hors domicile et 22 % dans la transformation, produits élaborés et autres ».

M. Yves de La Fouchardière craint tout particulièrement pour l'avenir de la génétique aviaire, faisant observer à la mission que : « La France exporte une quantité considérable de poussins, qu'il s'agisse de dindes, de canards et surtout de reproducteurs - nous détenons 30 % du marché de la génétique aviaire ».

Les conséquences des mesures d'embargo risquent d'être fortes, dans la mesure où, sur la liste des pays ayant notifié ce type de restrictions, figurent les pays considérés comme des marchés traditionnels pour la France, comme les pays du Proche-Orient.

L'INSEE (Institut national de la statistique et des études économiques) s'est livré à une première estimation des perturbations liées à la grippe aviaire. Prenant en compte l'embargo décrété par 43 pays sur les exportations de volailles et anticipant un repli de 10 % des autres pays, l'Institut estimait, le 20 mars 2006, que les exportations avicoles pourraient baisser de 22% dès le premier semestre 2006, soit une perte de 70 millions d'euros pour la filière.

Liste des pays ayant notifié des mesures de restriction, totale ou partielle, à l'importation de produits avicoles français.

(source : Ministère de l'agriculture et de la pêche, 19 mars 2006)

Afrique : Afrique du Sud, Angola, Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Congo, Egypte, Guinée Bissau, Kenya, Mali, Maroc, Mayotte, Nigéria, Sénégal, Tanzanie, Tchad, Togo

Amérique : Canada, Etats-Unis, Panama

Asie : Chine, Corée du Sud, Hong Kong, Indonésie, Japon, Malaisie, Philippines, Singapour, Sri Lanka, Thaïlande, Taïwan, Vietnam

Europe : Biélorussie, Bulgarie, Croatie, Roumanie, Russie, Serbie

Moyen-Orient : Barhein, Emirats Arabes Unis, Israël, Jordanie, Liban, Oman, Qatar, Syrie, Territoire palestinien, Turquie, Yémen

Océanie : Australie (en outre : Nouvelle-Calédonie et Polynésie française).

On aura relevé que sur cette liste figurent la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française. La position des autorités de ces deux territoires d'outre-mer ne laisse pas d'étonner votre Rapporteur.

b) Une forte baisse de la consommation intérieure

La menace de la grippe aviaire a eu, depuis le mois d'octobre, un très fort impact sur la consommation de volailles. Devant la mission, M. Denis Lambert a évalué globalement la chute de la consommation à « 15 à 30% - peut-être davantage si l'on en croit les chiffres avancés par la grande distribution ». Cette baisse s'est logiquement accompagnée de celle des cours, de l'ordre de 15 à 20%.

Naturellement, la chute n'a pas été linéaire. M. Dominique Bussereau, Ministre de l'agriculture, a rappelé devant la mission, le 25 janvier, les différentes fluctuations du marché : « Le marché intérieur a été fortement perturbé avec une chute brutale de la consommation de viandes de volailles de plus de 20 %, dès la seconde quinzaine d'octobre. À partir de novembre, la consommation s'est stabilisée à un niveau inférieur de 15 % à la normale. L'écart s'était pratiquement résorbé au cours de la période des fêtes de fin d'année, où les ventes ont été correctes pour les volailles festives, alors même que le calendrier n'était pas favorable à la multiplication des repas de famille. Malheureusement, au cours des deux premières semaines du mois de janvier 2006, la baisse de consommation de viandes de volailles a repris pour atteindre en moyenne 8 % dans les grandes et moyennes surfaces et 20 % sur le marché de Rungis, par rapport à 2005. La baisse de consommation des produits sous label s'est aggravée au cours de la seconde semaine du mois de janvier et atteint actuellement 20 % ».

Récemment, après une très forte baisse enregistrée lors de la semaine de fin févier au cours de laquelle un foyer de grippe aviaire a été détecté dans le département de l'Ain, des signes encourageants de reprise de la consommation ont pu être notés. La Fédération des entreprises du commerce et de la distribution (FCD), qui regroupe les principaux distributeurs français, notait, dans un communiqué du 7 mars, que « les ventes de volailles en volume n'avaient baissé que de 15% la dernière semaine de février par rapport à la même période de l'année 2005 et après des baisses de 25 à 30% enregistrées au cours de deux semaines précédentes ». Elle signalait notamment la remontée de la consommation de poulets entiers, par rapport aux produits élaborés qui accusaient eux une baisse. Cette tendance favorable a été confirmée pour la semaine du 14 mars et la FCD parle d'une « vraie reprise de la consommation ».

Il est difficile de prévoir si cette reprise sera durable. Pour partie au moins, elle est le résultat de campagnes promotionnelles lancées par plusieurs enseignes, sources d'un effet d'aubaine pour les consommateurs. Il est à noter, en effet, que les enseignes qui ont mené des opérations de promotion enregistrent des hausses de consommation supérieures à la moyenne. On relève par ailleurs, au-delà des résultats positifs généraux, des disparités par produits : les volailles entières qui ont fait l'objet de promotions montrent une évolution favorable, alors que les découpes de volailles accusent une baisse plus importante dans toutes les enseignes (autour de 25%). Il est cependant probable qu'après s'être donné un temps de réflexion, les consommateurs français ont réagi positivement et rationnellement aux informations qui leur ont été données. D'ailleurs, la baisse de la consommation a été moindre en France que dans certains pays : en Italie par exemple, elle s'est effondrée de 70%.

M. Denis Lambert a estimé, devant la mission, que la filière avicole « ne porte aucune responsabilité dans cette affaire », dans la mesure où « sa production est parfaitement saine ». En fait, la baisse de consommation de viande de volaille traduit la perte de confiance, voire la peur des consommateurs. Ce comportement est lié à l'amalgame malheureux fait entre maladie animale et maladie humaine, dont les médias ont été en partie responsables ; il a été alimenté, selon M. Denis Lambert, par des « actions de communication répétées et maladroites ». Aussi, a-t-il souhaité que « l'on distingue bien l'influenza aviaire et la pandémie grippale. Il faut bannir l'expression de grippe aviaire ». L'observation des produits principalement touchés est très révélatrice du caractère irrationnel des attitudes de consommation. Ce sont surtout les volailles entières qui ont fait les frais de la crise, tandis que les ventes d'œufs sont restées quasiment stables. Celles de produits transformés n'ont, paradoxalement, été que peu affectées, alors que, comme l'a fait remarquer M. Michel Prugue, les modalités d'étiquetage font que le consommateur n'est « jamais informé de la provenance de la matière première principale ».

Pour M. Michel Prugue, la filière avicole française est en quelque sorte victime des efforts de transparence et de traçabilité qu'elle a entrepris depuis plusieurs décennies et qui, dans le contexte de grippe aviaire, ont alimenté les réflexes de peur : « Dès les années soixante, bien avant que l'on ne parle de traçabilité et de sécurité sanitaire, nous avons mis au point des systèmes de cahiers des charges et de contrôle, dont beaucoup rêvent encore. La transparence est quasi totale et nous pouvons répondre à pratiquement toutes les questions ; or, nous avons l'impression que c'est précisément cela qui nous porte préjudice aujourd'hui. Les informations précises que nous demandent politiques et médias se transforment en autant de messages anxiogènes pour la population, pèsent lourdement sur la consommation et en viennent à pénaliser les bons élèves, ceux-là mêmes qui apportent toutes les garanties ».

Il importait de limiter, dans toute la mesure du possible, les conséquences de la crise pour la filière, à laquelle M. Dominique Bussereau a rendu hommage devant la mission, en reconnaissant qu'elle « souffre de la situation », mais qu'elle « joue le jeu et est sérieuse : elle n'a aucun intérêt à voir démolir son instrument de travail ». Les pouvoirs publics ont donc mis en place un ensemble de mesures de soutien. Celles-ci visent à la fois à compenser le préjudice déjà subi et à rétablir la confiance des consommateurs afin de limiter les pertes à venir.

2. Les aides à la filière : un accompagnement des conséquences économiques de la crise

A ce jour, il est trop tôt pour opérer un recensement définitif des besoins de la filière ; aussi, votre Rapporteur estime t-il que les aides d'ores et déjà accordées par le Gouvernement ne constituent qu'une étape dans la mise en place d'un dispositif plus complet.

2.-1. Les conséquences de la crise ne sont pas à ce jour exactement quantifiables

L'impact de la crise est largement lié au niveau de la consommation. Or, celle-ci peut remonter sensiblement, comme on l'a constaté au début du mois de mars. S'il est hasardeux d'anticiper son niveau, il est d'ores et déjà possible d'appréhender les conséquences, en termes d'activité, de la baisse de la consommation que M. Denis Lambert estime à 20% : « Notre filière représente 65 000 emplois ; une baisse de 2 %, c'est 13 000 emplois perdus dans des zones où l'emploi est déjà rare, sans compter les emplois induits, fournisseurs et sous-traitants. Si la chute atteint 40%, ce seront 35 000 emplois directs et indirects perdus. En termes de coûts, une baisse de 20% se traduit par une perte de 400 millions d'euros : 200 millions d'euros pour les outils de production et 200 millions d'euros pour le monde agricole. D'ores et déjà, on nous annonce des cessations d'activité chez les producteurs et dans les entreprises de transformation ; c'est, enfin, un coup d'arrêt à notre recherche, alors que la France produit 30 % de la génétique avicole mondiale. Sans parler de la situation catastrophique des accouveurs, déjà contraints à la restructuration et qui se retrouvent à produire des poussins que les abattoirs ne prendront pas ».

Le 6 mars 2006, la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) et sa fédération spécialisée, la Confédération française de l'aviculture (CFA) avançaient le chiffre de « 40 millions de pertes mensuelles pour les aviculteurs et les entreprises avicoles » et soulignaient que « plusieurs milliers d'emplois sont menacés du fait de l'aggravation de la crise de la grippe aviaire». Selon les industriels et les syndicats, la filière pourrait perdre 8 000 à 10 000 emplois dans les prochains mois si la crise s'aggrave. Le groupe Doux, qui a vu ses ventes chuter de 25 à 30% depuis octobre 2005, a annoncé, pour la période allant du 13 mars au 30 juin 2006, des mesures de chômage partiel, qui seront appliquées par roulement pour en minimiser l'impact sur les salariés. Pour leur part, les groupes LDC (8 000 emplois) et Gastronome (4 000 emplois) ont annoncé avoir supprimé respectivement 800 et 600 emplois au cours des dernières semaines pour faire face à la crise. Sont concernés, pour l'instant, des contrats à durée déterminée ou des emplois intérimaires. Cependant, M. Denis Lambert n'a pas caché que la poursuite de la crise entraînerait des mesures plus drastiques, comme le recours au chômage partiel ou des suppressions d'emplois : « Pour ce qui est de l'emploi, nous jouons sur la flexibilité ; tant que nous en resterons à moins 10 ou moins 20 %, nous pourrons éviter les plans sociaux ».

La situation est d'autant plus tendue aujourd'hui que la filière avait pu, au début de la crise, amortir le choc économique par la capacité de stockage de la filière, comme l'a rappelé M. Michel Prugue : « Depuis que l'alerte a été donnée en novembre 2005, la distribution annonce une chute de la consommation et les industriels enregistrent, à leur tour, des baisses d'activité qui se ressentent encore plus aujourd'hui dans la mesure où ils avaient, dans un premier temps, stocké. Les éleveurs, eux aussi, ont commencé à souffrir, mais le véritable choc pour eux arrive seulement aujourd'hui, car les congélateurs des entreprises sont désormais pleins et elles n'achètent plus ; le coût économique des stocks va d'ailleurs vite atteindre un niveau insupportable. Des dispositions ont été prises en leur temps pour permettre d'absorber les productions en cours - il faut entre deux mois et demi et quatre mois selon les produits. Mais, aujourd'hui, le choc est là. On sait qu'une baisse d'activité de 30 à 40 % va immanquablement conduire à transformer le faible bénéfice résiduel en perte ». Cet effet retard, qui a pu d'abord masquer l'ampleur de la crise, devra donc être pris en compte.

Face à cette situation, M. Michel Prugue a fait part à la mission du sentiment de la filière : « Nous sommes débordés ». L'intervention des pouvoirs publics est donc cruciale. Le dispositif d'aides a été mis en place après négociation avec la filière.

2.-2. L'objectif des aides : compenser partiellement les pertes subies par la filière et redonner confiance au consommateur

Devant la mission, le 25 janvier 2006, M. Dominique Bussereau, Ministre de l'agriculture, avait tracé les grandes lignes du dispositif : « S'agissant des mesures que nous mettons au point avec la filière - une nouvelle réunion aura lieu aujourd'hui même -, 1 million d'euros sur les 6 millions d'euros annoncés financeront des spots radio d'information sur la qualité de la volaille française.... Du côté des mesures de soutien aux éleveurs, nous envisageons une aide directe aux producteurs de poulets standard et label, pour un montant total de 4 millions d'euros, gérée par les préfets dans chaque département et plafonnée à 3 000 euros par exploitation, conformément aux nouvelles règles européennes. Parallèlement, une enveloppe de 500 000 euros est prévue au titre d'une aide directe aux éleveurs des volailles dites « démarrées », particulièrement affectés par la fermeture des marchés en ville, et une autre de même montant pour les entreprises d'accouvage ... À ma demande, des instructions ont été données par mon collègue du budget afin que des reports d'échéances d'impôts et de taxes soient mis en œuvre pour toutes les entreprises de la filière : accouveurs, transformateurs, marchés et abatteurs. Avec Jean-Louis Borloo et Gérard Larcher, nous avons mis au point un dispositif de financement des indemnités de chômage technique qui pourrait intervenir dans les entreprises de la filière dans les prochains jours. J'ai demandé aux caisses locales de la MSA que des reports de cotisations sociales patronales des entreprises de transformation et personnelles des éleveurs soient accordés ; mon collègue Xavier Bertrand a effectué la même démarche pour les entreprises sous régime industriel... ».

Ces engagements du Ministre de l'agriculture ont été concrétisés au début du mois de mars : 52 millions d'euros, s'ajoutant aux 11 millions annoncés au mois de janvier, ont été débloqués et seront utilisés sous trois formes :

· une campagne télévisée rappelant que, la volaille française étant « parfaitement sous contrôle », sa consommation est donc sans risques ;

· des aides destinées aux éleveurs, pour 20 millions d'euros ;

· 30 millions d'euros d'aides accordées à la filière avicole (industries, abattoirs, découpe) ;

· Une enveloppe de 20 millions d'euros est venue compléter, le 23 mars, le dispositif d'aide aux industriels de la filière.

-- Les aides financières à la filière

Les aides aux éleveurs:

À l'enveloppe de 20 millions d'euros débloquée en faveur des éleveurs, s'ajoutent les 5 millions d'euros annoncés dès janvier 2006. Deux circulaires d'indemnisation des éleveurs ont été signées le 3 mars 2006. La circulaire DPEI/SPM/DEPA/C2006-4015 met en place un dispositif visant à compenser la baisse d'activité dans le secteur de la volaille constatée entre le 1er novembre 2005 et le 30 avril 2006.

Ces aides seront versées aux éleveurs de volailles de chair, aux éleveurs de reproducteurs et aux éleveurs de poulets démarrés ayant subi une durée de vide sanitaire entre deux bandes de volailles d'une durée supplémentaire d'au moins une semaine pour les productions standard et de deux semaines pour les productions sous signes de qualité, ou ayant subi une baisse de leur marge brute suite à l'alourdissement des contraintes d'élevage dues à l'obligation de confinement décrite précédemment. Elles seront calculées en prenant en compte les aspects financiers, économiques et sociaux de chaque exploitation avec une attention spéciale portée au chiffre d'affaires. Ces aides seront, dans un premier temps, versées dans le cadre du règlement communautaire CE n°1860/2004 (aide de minimis96) dont le plafond s'élève à 3 000 euros. Par ailleurs, une mesure de soutien spécifique aux éleveurs de volailles en plein air, engagés dans des filières de qualité, particulièrement affectés par l'obligation de confinement des volailles, a été notifiée à la Commission européenne.

Une seconde circulaire, sous la référence DPEI/SPM/DEPA/C2006-4016, concerne spécifiquement les éleveurs de volailles situés dans des périmètres de protection définie autour du foyer découvert dans le département de l'Ain. A la suite de la découverte de plusieurs cas d'influenza aviaire dans ce département, un dispositif sanitaire a été mis en place, comprenant notamment des mesures de restriction de mise sur le marché de la viande de volailles dans la zone de protection, laquelle comprend 70 communes. Deux types d'aides sont prévus : une aide pour l'indemnisation partielle de la production en cours et une aide à l'allongement des vides sanitaires ; ces aides ne sont pas limitées par les plafonds prévus par le régime « de minimis » précité.

L'ensemble de ces mesures est complété par un dispositif de fonds d'allègement de charges d'emprunts pour les éleveurs récents investisseurs et les jeunes agriculteurs, et par une prise en charge des cotisations de la Mutualité Sociale Agricole des producteurs en difficulté.

Conformément à l'engagement pris devant la mission par M. Dominique Bussereau de « débloquer le plus vite possible les fonds afin de soulager les trésoreries en difficulté », les deux circulaires du 3 mars ont été transmises aux préfets de département et de région pour une mise en œuvre immédiate. Des avances sur indemnisation ont été mises en paiement dès le 7 mars, pour des demandes formulées sur la base de déclarations sur l'honneur. Les actions en recouvrement liées à des contentieux sociaux ou fiscaux ont été suspendues dans l'attente d'un examen au cas par cas de l'ensemble des dossiers.

Les aides aux entreprises industrielles

Ces aides font l'objet de la circulaire DPEI/SDEPA/C2006-4019- SG /DAFL/SDFA/C2006-1503 du 15 mars 2006. Ce texte vise les entreprises industrielles spécialisées dans l'abattage et la transformation, les entreprises de sélection génétique, d'accouvage et de commerce en gros dans le domaine de la volaille de chair qui sont « confrontées à des difficultés depuis octobre 2005 liées à la chute de la consommation, la baisse des exportations et à la diminution des prix dans un contexte de sur approvisionnement du marché ». Pour y faire face, il sera attribué à ces entreprises une aide dont le montant maximum sera de 150 000 euros par entreprise (versée dans le cadre de la réglementation communautaire concernant les aides de minimis aux entreprises). Cette aide vise à prendre en charge les pertes subies par l'entreprise entre le 1er novembre 2005 et le 30 avril 2006 en « raison des réductions d'activité et de baisse des prix consécutives à la médiatisation de la crise de l'influenza aviaire ».

Les entreprises pourront aussi bénéficier de mesures fiscales, dont M. Denis Lambert avait signalé l'importance : « Nous avons déjà demandé des reports de charges fiscales : les préfets nous ont reçus, et les trésoriers-payeurs généraux ont pris des engagements ». Celles-ci seront accordées sous forme de reports ou de dispenses pour les échéances fiscales du premier semestre en matière d'impôt sur les sociétés et d'imposition forfaitaire annuelle, de taxe professionnelle et de taxe foncière. En matière de taxe sur la valeur ajoutée et de taxes assimilées (taxe d'abattage et redevances sanitaires), des délais de paiement pourront être accordés et les remboursements de crédits de TVA seront en outre accélérés. Enfin, les entreprises possédant une créance sur l'État dans le cadre des dispositifs de crédits d'impôt pour dépenses de recherche et de report en arrière des déficits sont autorisées à solliciter le remboursement de ces créances sans attendre les échéances prévues.

-- Redonner confiance aux consommateurs

Un enjeu majeur pour la profession

La baisse de la consommation étant liée à la perte de confiance dans les produits proposés à la vente, il importe avant tout de rétablir cette confiance.

M. Denis Lambert a d'ailleurs souligné devant la mission qu'il comptait davantage sur une campagne de communication que sur des aides aux éleveurs pour redresser la situation de la filière : « Pour ce qui est des aides gouvernementales, les indemnités prévues sont infimes : nos pertes, réelles et démontrables, avoisinent les 200 millions d'euros. Nous proposons de les rassembler dans un fonds de communication : l'argent serait ainsi mieux utilisé qu'en le dispersant en versements individuels. De surcroît, l'État et les collectivités territoriales les plus concernées pourraient abonder ce fonds afin que nous puissions communiquer le plus rapidement et puissamment possible sur le thème : "Il faut manger de la volaille" ». Il a insisté sur la nécessité de « rassurer le consommateur en communiquant rapidement et intensivement sur le fait qu'il est sain de manger de la volaille et qu'elle ne représente aucun risque pour la santé ».

Ce thème n'est d'ailleurs que la traduction concrète de l'avis de l'AFSSA du 23 février 200697, évoqué plus haut, selon lequel il n'y a aucun risque à consommer de la volaille. Il importe donc que les campagnes de communication fassent passer ce message auprès des consommateurs.

Les campagnes d'information

Si la proposition de créer un fonds de communication formulée par M. Denis Lambert n'a pas été retenue, les pouvoirs publics ont cependant engagé plusieurs campagnes de communication et M. Michel Prugue, devant la mission, a « salué les efforts financiers du ministère de l'agriculture pour développer une communication grand public ».

L'organisation de ces campagnes a été confiée au Centre d'information des viandes (CIV) et comme l'a expliqué son directeur  M. Louis Orenga, la confiance ne pourra être rétablie que dans la transparence de l'information : « Dans toute gestion de crise alimentaire, quand le taux de personnes inquiètes vis-à-vis d'un produit de consommation atteint les 30 à 40 % de la population, l'action promotionnelle n'est plus efficace. Poursuivre alors des campagnes pour vendre à tout prix risque de faire empirer les choses et de donner l'impression de vendre un produit peu sûr. Il faut alors simplement informer, livrer l'état des connaissances scientifiques avec leur part d'incertitude et de risques que d'ailleurs, le plus souvent, les consommateurs suspectent vaguement. De surcroît, cela évite que se répandent les rumeurs aux effets souvent dévastateurs 98».

Une première campagne d'information, à laquelle a été consacré un million d'euros, a été lancée le 23 novembre 2005, alors que les baisses de consommation atteignaient 30 %. Avec le soutien de l'AFSSA, des messages ont été diffusés à la radio et dans la presse quotidienne régionale. Des documents d'information ont été distribués aux associations de consommateurs, aux collectivités et aux professionnels de la restauration. Ce n'est qu'à la suite de ces opérations que, conformément aux principes exposés par M. Louis Orenga, les professionnels ont fait des promotions sur les volailles. Ces actions conjointes ont permis, comme l'a souligné M. Dominique Bussereau devant la mission, « d'infléchir la baisse de consommation de viande de volailles durant la période des fêtes de fin d'année ».

Mais ensuite, a constaté le Ministre de l'agriculture, la situation a de nouveau évolué défavorablement : « Comme cette baisse a repris, j'ai décidé de débloquer 1 million d'euros supplémentaire pour une nouvelle campagne de communication ». Une deuxième campagne a donc été engagée en février, dont le Ministre a présenté les grandes lignes devant la mission : des « spots radio d'information sur la qualité de la volaille française » ont été financés et, par ailleurs, un document a été « diffusé à 8 millions d'exemplaires auprès des familles, des associations de consommateurs, mais également des hôpitaux, médecins, collectivités territoriales, auprès de tous ceux qui ont un rôle de « faiseur d'opinions ». Cette initiative a ainsi rejoint les préoccupations de M. Denis Lambert pour qui : « la communication devra naturellement être ciblée prioritairement vers le grand public, mais également vers les professionnels de la santé ». Cette deuxième campagne, venue, comme la première, en appui de ventes promotionnelles, a eu des effets positifs sur la consommation, ainsi qu'il a été indiqué précédemment.

Deux autres campagnes, auxquelles seront consacrés au total 2,5 millions d'euros sont en préparation, l'une d'information et l'autre de promotion. Lancée le 27 mars, une campagne télévisée d'information sur la sécurité sanitaire des volailles et les mesures prises pour lutter contre l'épizootie de grippe aviaire a un but pédagogique : « L'objectif est de donner au consommateur une information fiable et transparente » (www.agriculture.gouv.fr). Puis, la campagne de promotion de la volaille, mettant en valeur ses qualités, sa diversité et ses recettes, lui succèdera fin avril sur les radios ; ses modalités doivent encore être discutées entre le Gouvernement et les professionnels. Elle sera accompagnée d'animations dans les commerces.

Les pouvoirs publics et les professionnels de la filière jouent indéniablement des rôles complémentaires. De plus, la filière, dont la mobilisation pour les actions de promotion a été très forte, s'est appuyée sur la grande distribution qui a fait preuve de son entière coopération, ainsi qu'a tenu à le souligner M. Denis Lambert : « Les grands distributeurs sont habitués à anticiper les comportements du consommateur : s'ils peuvent vendre de la volaille, ils la mettent en rayon. Qu'ils profitent de la faiblesse du marché, nous le comprenons : ce ne sont pas des enfants de chœur... Mais ils n'hésitent pas à mettre en avant nos produits, à accueillir nos éleveurs pour faire de l'animation et relancer le marché ».

Il est très difficile de mesurer les effets à moyen terme de ces campagnes de communication. Sans doute faudra-t-il engager des fonds supplémentaires pour ces actions, comme le suggérait M. Yves de La Fouchardière devant la mission : « à moins de 15 ou 20 millions d'euros, on ne pourra pas faire de communication sur la relance de la consommation de volailles. Je sais ce qu'il en coûte aujourd'hui aux Fermiers de Loué ».

La poursuite et l'accentuation des efforts de communication sont d'autant plus nécessaires qu'il faut également compenser les effets négatifs de certaines déclarations ou décisions administratives parfois maladroites ou malencontreuses. Ainsi, en dépit de la position très nette - dont les membres de la mission se sont félicités - de l'Association des maires de France, qui s'est prononcée en faveur du maintien de la viande de volaille au menu des cantines scolaires, les préfets ont dû rappeler à certains élus, qui n'avaient pas suivi cette ligne de conduite, les termes de l'avis de l'AFSSA du 23 février 2006 évoqué plus haut. De même, l'avis formulé le 26 octobre 2005 par l'Autorité européenne de sécurité des aliments sur le risque de consommer des œufs crus, ou encore la récente décision de la FIFA (Fédération internationale de football association) d'éviter de mettre de la volaille au menu des repas pendant la prochaine Coupe du monde ont pu alimenter la méfiance des consommateurs.

En tout état de cause, votre Rapporteur souhaite que l'Europe s'engage plus fortement pour la défense de la filière. L'Union européenne avait, en effet, annoncé qu'elle financerait une campagne pour aider les aviculteurs. Force est de constater que sur ce point comme sur d'autres (en particulier la mise en œuvre des engagements pris à la conférence internationale des donateurs de Pékin, cf. supra), elle se perd souvent en conjectures et en réunions alors qu'il faudrait agir vite.

3. La gestion de la crise à moyen et long terme

2.-3. La gestion de la crise à moyen et long terme

Si la crise se prolongeait, comme il y a tout lieu de le craindre, des mesures supplémentaires s'imposeront. Le Premier Ministre a d'ailleurs réuni, le 10 mars dernier, l'ensemble des organisations concernées par la production avicole pour une table ronde sur la grippe aviaire, au terme de laquelle il a annoncé des initiatives et appelé à la constitution d'un « pacte national » autour de la filière (voir encadré ci-dessous). Dans ce contexte, il serait souhaitable que la filière soit unie pour affronter la crise. Or, à la différence de l'industrie laitière ou de celle de la viande bovine, il n'existe pas, pour l'instant, d'organisation professionnelle qui fédère les différents acteurs du monde avicole. Aussi, serait -il opportun de favoriser la création d'une interprofession avicole, comme M. Michel Prugue en a formulé le vœu devant la mission : « nous militons depuis des années pour la création d'une interprofession avicole qui rassemblerait toutes les familles professionnelles ; elles pourraient ainsi débattre ensemble des mêmes problèmes, en évitant les contrevérités ».

Communiqué du Premier Ministre

à la suite de la table ronde sur la grippe aviaire

Paris, Hôtel de Matignon, le 10 mars 2006

Le Premier Ministre Dominique de Villepin a réuni des représentants des organisations concernés par la production avicole (Eleveurs, industriels, salariés, représentants du commerce et de la distribution, restaurateurs, médecins, vétérinaires, représentants des collectivités territoriales, des associations de consommateurs et des parents d'élèves).

Avec la progression du virus de la grippe aviaire, la filière avicole est confrontée depuis plusieurs semaines à une baisse de la consommation de volaille en France et aux embargos de plus de quarante pays.

Pour y faire face, le Premier Ministre a rappelé que son action s'appuyait sur trois principes :

- la transparence de l'information,

- l'exigence de protection,

- l'accompagnement des conséquences économiques de la crise.

Sur la base de ces trois principes :

- les mesures sanitaires nécessaires ont été prises pour lutter contre le développement de l'épizootie ;

- le soutien économique à la filière est à présent effectif. Les aides aux éleveurs sont versées depuis le mardi 7 mars ; celles aux entreprises ont fait l'objet d'une circulaire signée hier. Le Premier Ministre a indiqué que ces aides seraient réévaluées en fonction des besoins et que des propositions d'intervention nouvelles allaient être très prochainement soumises à la Commission européenne ;

- des initiatives ont été engagées vis-à-vis des pays tiers qui ont pris des mesures d'embargo. Le Premier Ministre a demandé à Christine Lagarde de rencontrer nos partenaires afin de leur présenter les dispositions sanitaires très rigoureuses prises par notre pays. Il leur sera ainsi proposé de mettre en oeuvre le principe de régionalisation qui vise à limiter les procédures d'embargo aux seuls produits issus de départements qui présentent un foyer de grippe aviaire en élevage ;

- enfin, le Premier Ministre a félicité les acteurs économiques présents pour les initiatives déjà prises, notamment dans la grande distribution, qui ont permis de soutenir la consommation de volaille ces deux dernières semaines. Il a rappelé que l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) avait souligné, dans son avis du 23 février 2006, qu'il n'y avait pas de risque à consommer de la viande de volaille. Il a remercié les organisations qui avaient d'ores et déjà engagé des actions de soutien à ce secteur et a encouragé à la constitution d'un « pacte national » autour de la filière qui représente plus de 50 000 emplois et 15 000 élevages.

Les organisations participantes ont pu mesurer l'engagement des éleveurs, des industriels, des salariés, des commerçants et des distributeurs en matière de sécurité sanitaire et la mobilisation déterminée des éleveurs à assurer un niveau de qualité irréprochable à leur produit.

Dominique de Villepin a demandé à Thierry Breton, Xavier Bertrand, Dominique Bussereau et Renaud Dutreil de poursuivre au cours des prochains mois le dialogue engagé ce jour dans un climat de confiance avec toutes les parties prenantes.

Il reste que les décisions dépendent pour une large part de l'Union européenne. C'est pourquoi, du reste, les présidents de six régions du grand Ouest (Aquitaine, Bretagne, Centre, Limousin, Pays de la Loire et Poitou - Charentes), représentant 80% de la production avicole nationale, ont, le 16 mars 2006, adressé à M. José Manuel Barroso, le Président de la Commission européenne, une lettre dans laquelle ils demandent des « mesures afin de rétablir la situation économique et sociale de la filière avicole ».

La gestion à moyen et long terme de la crise nécessite une réévaluation de la situation économique de la filière avicole et l'adaptation des aides financières accordées à la filière, des mesures de soutien aux exportations et, enfin, une action de restructuration de la filière.

3.-1. Une réévaluation de la situation économique de la filière avicole et l'adaptation des aides financières

Devant la mission, les représentants de la filière avicole ont émis la crainte que les aides qui leur seraient accordées ne soient pas à la mesure du problème. Pour M. Denis Lambert, au regard des « pertes réelles et démontrables », les « indemnités prévues sont infimes ». M. Michel Prugue a fait la même analyse : « Pour ce qui est des aides publiques, laissons de côté le plafonnement à 3 000 euros par exploitation, en application de la règle de minimis. Je ne vous donnerai qu'un exemple : notre coopérative - 600 producteurs - a décidé d'affecter 600 000 euros, plus 200 000 euros de cotisations sur les éleveurs, à un fonds qui devrait permettre, pour peu que la consommation ne s'effondre pas davantage, de limiter pour 2006 la baisse de résultat dans les élevages à 15 ou 20% - autrement dit de parer au plus pressé. Les 5 millions d'euros annoncés par le Gouvernement, s'ils sont répartis comme prévu, permettront seulement de prendre en charge la cotisation de l'éleveur... De notre côté, nous aurons consacré pratiquement 30% de nos moyens financiers à geler des mètres carrés. Mais si nos résultats s'effondrent à moins 30, moins 40 %, nous ne saurons plus faire. Nous devrons demander à l'État et à l'Europe beaucoup plus d'argent pour soutenir les producteurs ».

Même si les sommes débloquées ont été supérieures aux 5 millions d'euros mentionnés par M. Michel Prugue - le Gouvernement ayant notamment fait usage de la marge de manœuvre dont il disposait sur les allégements fiscaux et sociaux compatibles avec les normes européennes - ces aides sont jugées insuffisantes par la filière. La FNSEA et la CFA estiment qu'il est impératif d'agir sur deux points : déplafonner les aides et alléger le marché.

Relayant ces préoccupations, le Ministre de l'agriculture a présenté le 20 mars 2006 à ses homologues européens un mémorandum demandant des mesures de soutien communautaires. Il y est demandé :

- le relèvement du plafond des aides nationales, fixé à 3 000 euros par élevage, « afin de tenir compte des difficultés rencontrées par les aviculteurs » ;

- la mise en place d'indemnités visant à réduire la production tout en soutenant le marché : des indemnités pour les stocks des industriels de la volaille, pour des réductions d'activité et, si la crise devenait plus importante, pour les achats et la destruction de volailles.

Votre Rapporteur estime sur ce point que l'on ne peut pas faire l'économie de mesures de réduction de la production, d'autant que les stocks s'élèvent aujourd'hui en France à 30 000 tonnes et que leur coût économique atteint, selon l'expression de M. Michel Prugue « un niveau insupportable ». On ne peut que se féliciter de l'appel d'offres lancé le 20 mars auprès des entreprises avicoles pour qu'elles cèdent à des associations caritatives 1 060 tonnes de volailles entières en vue de leur distribution gratuite. Le Gouvernement dédommagera les entreprises et prendra en charge le coût du transport jusqu'au centre de collecte.

La Commission européenne a d'ailleurs entr'ouvert la porte à ces demandes d'aides communautaires supplémentaires. Mme Mariann Fischer Boel, commissaire européenne à l'agriculture, a annoncé que des « instruments juridiques allaient être présentés à la fin du mois d'avril ». Pour le moment, Bruxelles a privilégié les aides nationales et n'a jusqu'ici puisé sur les fonds communautaire que pour soutenir les exportations. Un autre système d'aides est en théorie déjà possible, qui prévoit un cofinancement communautaire d'aides aux éleveurs touchés par un embargo ou obligés d'abattre leur volaille en raison de l'apparition d'un foyer de grippe aviaire. Mais aucun État membre n'y a, pour le moment, recours, car aucun élevage avicole n'est actuellement touché par les mesures vétérinaires justifiant le versement de l'aide communautaire. La Commission a accepté l'idée d'un réaménagement du dispositif actuel afin d'affecter des fonds communautaires à des éleveurs qui ne sont pas sous le coup de « restrictions vétérinaires », mais sont néanmoins affectés par une baisse de la consommation. Elle a présenté, le 29 mars, une proposition permettent à l'Union européenne de cofinancer à hauteur de 50% le coût des mesures de soutien aux éleveurs. Cette proposition, qui tient compte de «graves perturbations du marché résultant directement d'une perte de confiance du consommateur due à des risques pour la santé publique ou animale», sera transmise au Parlement européen et au Conseil et devrait être adoptée d'ici la fin du mois d'avril.

3.-2. Un soutien aux exportations

Dans un secteur aussi dépendant des exportations, la crise de la grippe aviaire risque d'avoir des conséquences redoutables. C'est pourquoi il importe de soutenir les exportations, en rétablissant des conditions de concurrence équitables et en incitant nos partenaires importateurs à appliquer le principe de « régionalisation ».

Les personnalités auditionnées par la mission ont mis en avant les distorsions de concurrence dont était victime la filière avicole française, avant même que n'éclate la crise. Certains pays producteurs de volailles sont loin de respecter le niveau d'exigence sanitaire que se sont fixés les éleveurs français, comme l'a indiqué M. Michel Prugue : « Cela dit, il sera difficile d'expliquer aux producteurs français, qui ont su être compétitifs à l'export, qu'ils ne le sont plus aujourd'hui en raison de coûts de main-d'œuvre, de taux de change, de critères de bien-être animal et de contraintes sanitaires que le Brésil, par exemple, n'a pas à supporter, et qu'ils devront fermer des mètres carrés de bâtiments pour voir des viandes d'importation remplacer les leurs dans les préparations élaborées ! A cet égard, je trouve parfaitement anormal que le consommateur ne soit jamais informé de la provenance de la matière première principale d'un produit transformé. Ce ne serait, ni de la distorsion de concurrence, ni du protectionnisme... ». M. Denis Lambert n'est pas d'un autre avis : « Les importations du Brésil et des pays tiers atteignent 800 000 tonnes : elles ont été multipliées par cinq en cinq ans, alors que les règles sanitaires au Brésil sont loin d'être aussi draconiennes que les nôtres : par exemple, les volailles brésiliennes sont nourries aux farines de viandes, interdites chez nous. L'interdiction du Nifursol en Europe, suite aux pressions américaines, nous empêche d'élever nos dindes dans de bonnes conditions. Pendant ce temps, les Américains et les Brésiliens utilisent des arsenicaux interdits en Europe depuis trente ans ! Mais de cela, on ne parle pas ».

La filière souhaite donc jouer, comme elle l'a toujours fait, la carte de la transparence afin de rétablir des conditions de concurrence équitables. Cela n'est possible que si les règles de l'étiquetage des produits transformés changent. L'information du consommateur est d'autant plus nécessaire en cette période de crise, comme le soulignait M. Denis Lambert : « Il faut savoir, par ailleurs, que la Thaïlande, quoique frappée depuis longtemps par l'influenza aviaire, exporte librement en Europe de la viande de volaille cuite servant à des préparations culinaires qui se vendent fort bien, et sous des marques françaises très connues ; mais de cela, le consommateur ne se soucie guère ».

Dans le mémorandum qu'il a présenté à Bruxelles, M. Dominique Bussereau a demandé des « mesures pour l'étiquetage des volailles afin de mieux mentionner l'origine et assurer une traçabilité complète ». Votre Rapporteur ne peut que soutenir cette initiative, de même que lui paraît entièrement justifié le principe de régionalisation. En effet, depuis que la France a déclaré à l'OIE qu'un des ses élevages a été touché par le virus H5N1, et alors qu'aucun autre cas n'a été diagnostiqué et que la situation apparaît parfaitement maîtrisée, la France n'est plus considérée, au regard des règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), comme indemne de grippe aviaire. L'embargo décrété par les pays importateurs frappe indistinctement toutes les productions françaises, car ainsi que l'a justement souligné M. Philippe Vannier devant la mission le 8 mars : « vues du Japon ou des États-Unis, la Dombes et la France, c'est pareil, et l'on aura tôt fait d'assimiler un produit sortant de France à un produit infecté ». Devant ces conséquences disproportionnées, la mise en œuvre du principe de régionalisation, qui vise à limiter les procédures d'embargo aux seuls produits issus de départements présentant des foyers de grippe aviaire en élevage, apparaît comme une solution rationnelle. M. Philippe Vannier a d'ailleurs souligné que : « les efforts de l'OIE sur la compartimentation ou de l'Union européenne sur la régionalisation, s'ils sont très utiles pour l'avenir, ne sont pas forcément bien assimilés au niveau des transactions commerciales ». L'acceptation de ce principe par nos partenaires commerciaux serait sans doute favorisée s'il était posé comme règle par l'OMC.

3.-3. Vers une restructuration de la filière

« Si la crise s'accentue, il faudra d'autres mesures structurelles », ainsi que l'a souligné M. Michel Prugue devant la mission ; l'enjeu, à terme, reste celui de l'adaptation de la filière avicole aux conditions de fond du marché mondial. Cependant, les modalités de la restructuration de la filière n'entrent toutefois pas dans le champ d'investigation de la mission. Cette restructuration ne pourra, en tout état de cause, être engagée que lorsque l'on aura une vision plus exacte des conséquences de la crise actuelle.

Votre Rapporteur a toutefois relevé certaines initiatives d'ores et déjà prises par la filière pour limiter l'impact de la crise et qui pourraient préfigurer la future restructuration. M. Yves de La Fouchardière les a ainsi longuement développées devant la mission: « Considérant que la filière était durablement touchée, nous avons décidé de nous-même d'engager un plan de cessation d'activité. Cette décision a étonné la profession. La coopérative des Fermiers de Loué y a investi 3,5 millions d'euros puisés dans ses réserves afin de permettre à nos producteurs les plus anciens de partir en préretraite en leur accordant une dotation de 14 000 euros par poulailler arrêté. Il n'existe pas d'assurance en la matière : il faut se débrouiller ou disparaître. En arrêtant 10% du parc de Loué, nous sommes encore loin de la réalité du moment. Il ne faut pas avoir peur d'envisager des plans de cessation d'activité : cela n'a rien d'agréable, mais ceux qui resteront n'en seront que plus solides. Mais nous n'aimerions pas nous retrouver déshabillés si demain le ministère décidait de généraliser ce type de mesure alors que Loué en a pris l'initiative, et sur ses propres fonds. La décision que nous avons prise visait bien à préserver l'avenir : en indemnisant les cessations d'activité, nous anticipons sur des départs à la retraite et un papy-boom prévisible tout en préservant nos plus jeunes adhérents, financièrement les plus fragiles parce qu'en période de remboursement, du dépôt de bilan. Autrement dit, les anciens partent un peu plus tôt et les jeunes sont confortés dans leur exploitation grâce au maintien du rythme des rotations. Indemniser un allongement du vide sanitaire n'aurait de sens qu'à partir du moment où nous serions sûrs de retrouver nos niveaux de vente antérieurs ; or ce ne sera pas le cas. Et quand bien même nous y parviendrions un jour, les éleveurs et les bâtiments les plus anciens ne seraient plus en activité. Aussi avons-nous préféré investir dès maintenant 3,5 millions d'euros afin de préserver une filière qui croit en l'avenir plutôt que d'attendre la fin 2006 pour constater que tous les jeunes seront tombés ; s'il ne reste plus que les anciens, la filière aura totalement disparu dans dix ans. »

En tout état de cause, la restructuration du secteur exige une réflexion approfondie et relève de décisions nationales et communautaires, voire mondiales dans la mesure où toute réforme conduira nécessairement à mettre en jeu les règles du commerce international qui relèvent de la compétence de l'OMC.

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Au cours de ses réunions des 5 et 12 avril 2006, la mission d'information a examiné le rapport, présenté par M. Jean-Pierre Door, rapporteur. Après un débat auquel ont pris part M. Jean-Marie Le Guen, Président, MM. Gérard Bapt, Gabriel Biancheri, Jérôme Bignon, Gérard Charasse, Roland Chassain, Alain Claeys, Mmes Jacqueline Fraysse, Geneviève Gaillard, Catherine Génisson, MM. François Guillaume, Pierre Hellier, Marc Joulaud, Marc Le Fur, et le Rapporteur, la mission d'information a, à l'unanimité, adopté ce rapport et, conformément à l'article 145 du Règlement de l'Assemblée nationale, autorisé sa publication.

RECOMMANDATIONS DE LA MISSION

LA SOLIDARITE INTERNATIONALE

1. Inciter la commission européenne et le Fonds mondial à tenir les engagements pris lors de la conférence des donateurs à Pékin les 17 et 18 janvier 2006.

2. Soutenir le réseau des Instituts Pasteur en Afrique et en Asie.

3. Soutenir les actions menées par le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) et l'Institut de recherche pour le développement (IRD).

4. Encourager la création de laboratoires P3 pour diagnostiquer sur place le virus H5N1, en Afrique et en Asie.

L'INGERENCE SANITAIRE

1. Demander à l'OMS l'entrée en vigueur immédiate du nouveau Règlement Sanitaire International (RSI).

2. Étendre le champ d'application de la notion d'« urgence de santé publique de portée internationale », prévue dans le Règlement Sanitaire International, aux maladies animales ayant des conséquences pour la santé humaine.

3. Proposer à l'OMC de procéder à une mise au point juridique sur la propriété intellectuelle des souches virales.

LA RECHERCHE

1. Développer la recherche en santé animale, notamment en vue de la mise en point d'un vaccin buccal contre le virus H5N1.

2. Développer la coordination et la coopération au niveau européen en matière de politique de prévention dans le domaine de la santé animale.

3. Engager des investigations élargies sur les conséquences de l'évolution des structures avicoles sur la pathogénicité du virus H5N1.

UN SOUTIEN AUX EXPORTATIONS

1. Proposer au Gouvernement, à l'occasion de la crise actuelle, de relancer des négociations en vue de modifier les règles d'étiquetage, afin d'assurer la traçabilité des produits transformés.

2. Intervenir auprès de l'OMC pour que les restrictions commerciales ne soient pas applicables aux pays n'ayant déclaré des cas de grippe aviaire que sur des oiseaux sauvages.

EN FRANCE

1. Intervenir auprès des autorités européennes pour leur proposer de mettre en œuvre le « principe de régionalisation » qui vise à limiter l'embargo aux seuls produits avicoles issus de départements ayant connu des cas de grippe aviaire en élevage.

2. Demander au Gouvernement d'arrêter un dispositif sanitaire permettant la tenue de marchés de volailles vivantes.

3. Inviter le Gouvernement à dégager des perspectives sur les mesures de confinement, pour permettre aux éleveurs de prendre, le cas échéant, des dispositions en matière d'équipement des exploitations.

4. Demander au Gouvernement d'intervenir auprès des autorités des territoires d'outre mer qui ont interdit l'importation de volailles en provenance de métropole, afin qu'elles rapportent leur décision.

AUDITIONS AUXQUELLES LA MISSION A PROCÉDÉ

SOMMAIRE DES AUDITIONS

Les auditions sont présentées dans l'ordre chronologique des séances tenues par la Mission.

- Table ronde sur les données scientifiques disponibles concernant la grippe aviaire et le risque de transmission du virus à l'homme, avec le professeur Jean-Philippe DERENNE, chef du service de pneumologie et de réanimation à l'hôpital de La Pitié-Salpêtrière, le docteur Jean-Claude DÉSENCLOS, chef du département des maladies infectieuses de l'Institut national de veille sanitaire (InVS), Mme Sylvie VAN DER WERF, chef de l'unité de recherche génétique moléculaire des virus respiratoires (GMVR) de l'Institut Pasteur, M. Philippe VANNIER, directeur de la santé animale à l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) (Compte rendu de la réunion du mercredi 26 octobre 2005) 169

- Audition du professeur Didier HOUSSIN, Directeur général de la santé au ministère de la santé et des solidarités, Délégué interministériel à la lutte contre la grippe aviaire (Compte rendu de la réunion du mercredi 2 novembre 2006) 193

- Audition de Mme Bernadette MURGUE et de M. Vincent ROBERT, chargés de mission au département « sociétés et santé » de l'Institut de recherche et de développement (IRD) (Compte rendu de la réunion du mercredi 7 décembre 2005) 213

- Audition de M. Bernard VALLAT, Directeur général de l'Organisation internationale des épizooties (OIE) (Compte rendu de la réunion du mercredi 7 décembre 2005) 223

- Audition de M. Michel BUBLOT et de Mme Charlotte SANDRET, représentants des laboratoires MERIAL (Compte rendu de la réunion du mercredi  7 décembre 2005) 235

- Audition de Mme Barbara DUFOUR, spécialiste de la grippe aviaire à l'Ecole nationale vétérinaire de Maisons-Alfort (Compte rendu de la réunion du mardi 13 décembre 2005) 246

- Audition de Mme Sophie VILLERS, directrice générale de l'alimentation au ministère de l'agriculture et de la pêche, accompagnée de Mme Jacqueline DUNCAT, inspectrice générale de la santé publique, mise à disposition de la direction générale, et de M. Olivier FAUGÈRE, sous-directeur (Compte rendu de la réunion du mardi 13 décembre 2005) 255

- Audition conjointe de Mmes Charlotte DUNOYER, Françoise PESCHADOUR et M. Philippe BETTIG, représentant la Fédération nationale de la chasse, et de MM. Gilles DEPLANQUE et Éric KRAEMER, représentant l'Association nationale des chasseurs de gibier d'eau (Compte rendu de la réunion du mercredi 14 décembre 2005) 263

- Audition de M. Jean-Roch GAILLET, chef de l'unité de suivi sanitaire de la faune l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) (Compte rendu de la réunion du mercredi 14 décembre 2005 279

- Audition de M. Allain BOUGRAIN-DUBOURG, président de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) (Compte rendu de la réunion du mercredi 14 décembre 2005) 291

- Audition de M. Pascal LAMY, Directeur général de l'Organisation mondiale du commerce (en visio-conférence depuis Genève) (Compte rendu de la réunion du mardi 10 janvier 2006) 299

- Audition de M. Joseph DOMENECH, Chef des services vétérinaires de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) (Compte rendu de la réunion du mardi 10 janvier 2006) 307

- Audition de M. Dominique BUSSEREAU, Ministre de l'agriculture et de la pêche (Compte rendu de la réunion du mercredi 25 janvier 2006) 323

- Audition de M. Emmanuel CAMUS, Directeur du département d'élevage et de médecine vétérinaire du CIRAD, accompagné de M. Renaud LANCELOT, directeur adjoint (Compte rendu de la réunion du mercredi 1er février 2006) 337

- Audition de Mme Pascale BRIAND, Directrice générale de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) (Compte rendu de la réunion du mercredi 1er février 2006) 351

- Audition de M. Denis LAMBERT, président de la société L.D.C., et de M. Yves de LA FOUCHARDIERE, directeur de la coopérative des Fermiers de Loué (Compte rendu de la réunion du mercredi 22 février 2006) 359

- Audition de M. Michel PRUGUE, secrétaire général de la Confédération française de l'aviculture (Compte rendu de la réunion du mercredi 22 février 2006) 375

- Table ronde sur la question de la vaccination des oiseaux contre la grippe aviaire, avec M. Bernard VALLAT, Directeur général de l'organisation internationale des épizooties (OIE), M. Philippe VANNIER, directeur de la santé animale à l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA), MM. Louis EGRON et Pascal PAULET, représentants de la société INTERVET S.A (Compte rendu de la réunion du mercredi 8 mars 2006) 385

Table ronde sur les données scientifiques disponibles concernant la grippe aviaire et le risque de transmission du virus à l'homme, avec le professeur Jean-Philippe DERENNE, chef du service de pneumologie et de réanimation à l'hôpital de La Pitié-Salpêtrière, le docteur Jean-Claude DÉSENCLOS, chef du département des maladies infectieuses de l'Institut national de veille sanitaire (InVS), Mme Sylvie VAN DER WERF, chef de l'unité de recherche génétique moléculaire des virus respiratoires (GMVR) de l'Institut Pasteur, M. Philippe VANNIER, directeur de la santé animale à l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA)

(Compte rendu de la réunion du mercredi 26 octobre 2005)

Présidence de M. Jean-Marie LE GUEN, Président

M. le Président : La « grippe aviaire » est préoccupante à deux titres : à cause de l'épizootie, dont nous suivons la progression dans le monde et, surtout, du risque de pandémie virale humaine qu'elle pourrait provoquer.

La tâche qui incombe à la mission d'information est inédite à l'Assemblée nationale, dans la mesure où c'est la première fois que nous sommes appelés à gérer en temps réel un risque sanitaire avéré. Nous apprécions l'action menée par les pouvoirs publics, singulièrement par le Gouvernement, mais notre rôle sera d'en appréhender et d'en évaluer tous les aspects, dans le cadre du contrôle que la représentation nationale a pour mission d'exercer sur l'action du Gouvernement en général.

Je précise que notre rapporteur, Jean-Pierre Door, a déjà remis un rapport sur le risque épidémiologique au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, et que je suis moi-même le rapporteur pour avis de la Commission des affaires culturelles, familiales et sociales sur le budget de la sécurité sanitaire. En outre, tous les députés ici présents ont déjà travaillé sur ces questions, dans le cadre de leur vie professionnelle ou de leur activité parlementaire.

Nous chercherons à apporter une réponse à la crise actuelle dans un cadre de travail collectif et pluraliste - tous les groupes de l'Assemblée nationale sont représentés dans la mission d'information -, l'enjeu consistant à « construire de la confiance ». À cet effet, nous nous appuierons sur le débat, sur la transparence et, en l'absence de vérité scientifique, sur le recueil des informations les plus sûres. Nous voulons être une source crédible d'information pour les Français, en même temps qu'une instance d'évaluation du dispositif de préparation et son efficacité.

Si la formule de la mission d'information a été retenue, c'est parce que, contrairement à celle de la commission d'enquête, elle ne fixe pas de limite à la durée des travaux des députés. Nous apprécierons nous-mêmes cette durée mais nous n'attendrons pas l'achèvement de nos travaux pour rendre publics des recommandations ponctuelles ou des rapports d'étape, en fonction des circonstances, c'est-à-dire du développement de la menace, voire, le cas échéant, de la crise.

Nous accueillons ce matin quatre experts : Mme Sylvie Van der Werf, chef de l'unité de recherche génétique moléculaire des virus respiratoires de l'Institut Pasteur, le GMVR, qui nous introduira dans le monde des virus d'influenza ; le professeur Jean-Philippe Derenne, médecin clinicien, chef du service de pneumologie et de réanimation à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière, co-auteur d'un ouvrage de référence - « Pandémie : la grande menace » - qui abordera les questions purement médicales ; le docteur Jean-Claude Désenclos, chef du département des maladies infectieuses de l'Institut de veille sanitaire, l'InVS, qui, en sa qualité d'épidémiologiste, décrira les différents scénarios possibles ; M. Philippe Vannier, vétérinaire, directeur de la santé animale à l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, l'AFSSA, qui interviendra sur la problématique de l'épizootie.

Je propose, avec l'accord du rapporteur, que nous intercalions des séries de questions entre les interventions de nos invités.

Mme Sylvie VAN DER WERF : Je vais m'efforcer de faire le point sur les caractères de la virologie grippale intéressant l'homme, en commençant par rappeler qu'il existe une multitude de virus grippaux, répartis en plusieurs types et sous-types.

Les virus responsables des épidémies saisonnières - c'est-à-dire les virus de type B, de type A (H3N2) et de type A (H1N1) - circulent en permanence et se manifesteront, cette année encore, au cours de l'hiver. Tous les virus grippaux présentant la caractéristique de varier continuellement, nous sommes contraints de réactualiser chaque année la composition vaccinale, sur la base de l'ensemble des données recueillies l'année précédente par les laboratoires appartenant au réseau mondial de l'Organisation mondiale de la santé. Pour ce qui est de l'hémisphère nord, l'OMS émet sa recommandation en février en vue de la production des vaccins qui seront disponibles dans les officines au mois d'octobre.

D'autres virus grippaux circulent parmi des espèces animales comme les chevaux, les porcs et surtout les oiseaux, plus particulièrement les oiseaux aquatiques migrateurs, canards et autres. C'est en effet chez ces derniers que peuvent être retrouvés tous les virus grippaux connus. Ils restent généralement cantonnés aux oiseaux et n'ont pas le pouvoir d'infecter les espèces mammifères, à commencer par l'homme. Il arrive néanmoins exceptionnellement que l'homme soit infecté après une exposition forte à un air très chargé en virus, comme ce fut le cas lors de l'épizootie de grippe du poulet survenue à Hong Kong en 1997 : dix-huit cas de transmission du virus avaient alors été diagnostiqués, occasionnant six décès. La transmission a été stoppée par une éradication à la source, c'est-à-dire par l'abattage massif d'animaux. Le virus a cependant continué à circuler avec vitalité en Asie parmi les diverses espèces d'oiseaux, évoluant au fil des passages d'une espèce à l'autre. C'est ainsi qu'a été constatée, fin 2003, une explosion des infections chez les volailles et les oiseaux sauvages en Asie du sud-est, accompagnée de l'apparition de nouveaux cas de maladie chez l'homme : 121 cas ont été confirmés depuis lors, dont 62 décès, au Vietnam, en Thaïlande, en Indonésie et au Cambodge.

L'infection de l'homme, inhabituelle, suppose une exposition forte de l'individu à la source de contamination. Ainsi, bien que les virus H5N1 ne se transmettent pas efficacement d'un individu à l'autre, ils ont déjà parcouru la première étape vers l'adaptation à l'homme, c'est-à-dire vers une menace de pandémie, ce qui est d'autant plus grave qu'ils se traduisent dans la majorité de cas par une maladie sévère. Le danger, c'est qu'ils acquièrent cette capacité à se transmettre d'homme à homme. Pour ce faire, deux mécanismes sont imaginables : soit les virus, profitant du nombre croissant d'élevages contaminés, accumulent par hasard un ensemble de caractéristiques qui les rendent de plus en plus transmissibles ; soit, au cours de l'hiver, un sujet est infecté à la fois par un virus de la grippe saisonnière et par un virus de la grippe aviaire, et des échanges de matériel génétique interviennent à cette occasion, conférant en bloc au virus résultant de cet échange l'ensemble des caractéristiques nécessaires à son adaptation à l'homme et à une transmission accélérée.

Quels sont les moyens susceptibles d'être mis en œuvre ?

Les premières mesures sont relatives à la surveillance, en particulier virologique. Il s'agit d'abord de détecter et d'isoler les virus responsables des infections grippales : nous réalisons cette surveillance dans le cadre de l'épidémie de grippe saisonnière, pour suivre sa propagation, identifier les virus incriminés, analyser leur évolution et vérifier qu'ils sont adaptés à la composition vaccinale de la saison en cours. Il s'agit ensuite de déterminer les possibilités d'infection par les virus H5N1, notamment parmi les voyageurs entrant sur le territoire national en provenance de zones infectées : des méthodes ont été développées par le réseau des laboratoires de l'OMS afin de confirmer, lorsqu'ils reçoivent un prélèvement, la nature du virus découvert, de vérifier qu'il est resté complètement aviaire, mais également de dresser le bilan de ses caractéristiques antigéniques, afin de maintenir les vaccins à jour face à son évolution constante. En cas de pandémie, il faudra évidemment poursuivre ce type de travail sur le territoire national : détecter les cas et suivre l'évolution génétique et antigénique du virus.

Un autre moyen de lutte est l'utilisation des antiviraux. Les virus H5N1 sont sensibles à une certaine classe d'antiviraux, les anti-neuraminidases, commercialisés sous la forme de deux médicaments : le Tamiflu et le Relenza. Il importe aussi de suivre l'éventuelle apparition de résistances car les antiviraux deviendraient alors inopérants. Les virus H5N1 ont certes la potentialité de développer des résistances, mais on sait que des virus devenus résistants sont moins vivaces que les virus sensibles ; on peut par conséquent s'attendre à ce que leur diffusion dans la population soit nettement moins efficace et que, mis en compétition avec des virus sensibles, ils soient rapidement éliminés.

Une stratégie d'utilisation d'antiviraux, en cas de pandémie, passerait à la fois par le traitement, appliqué très précocement, et la prévention, de façon à éviter le développement de la maladie. Les antiviraux n'empêcheront en effet pas totalement l'infection mais réduiront la durée de la maladie, la multiplication du virus et par conséquent sa capacité de propagation. Les anticorps apporteront une réponse immunitaire protectrice. À cet égard, les laboratoires, au fur et à mesure de la circulation du virus pandémique, devront évaluer régulièrement le taux de population immune, de façon à pouvoir définir une prophylaxie.

M. Denis JACQUAT : Je me méfie de l'idée selon laquelle une « exposition forte » serait nécessaire à la contamination. Après les catastrophes du sang contaminé et de Tchernobyl, la France a été accusée d'une certaine frilosité et il ne faudrait pas commettre la même erreur avec la grippe aviaire, en évacuant l'éventualité de contaminations à la suite d'expositions fugaces, lors du plumage des volailles, par exemple. Nous sommes responsables devant l'opinion publique et nous devons informer sans affoler. Ne nous trompons pas.

M. Pierre HELLIER : Avec quelle rapidité le diagnostic de la grippe peut-il être établi avec certitude ? Est-il certain que le Tamiflu et le Relenza n'empêchent pas l'apparition des anticorps ?

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : J'insiste sur la première question de M. Hellier : quel est le délai nécessaire pour obtenir un diagnostic biologique et viral de la grippe ?

Quels sont les laboratoires de référence français ? Combien y en a-t-il ? Quelles sont les méthodes biologiques de dépistage qu'ils appliquent ?

Enfin, comment les virus se recombinent-ils en passant par l'intermédiaire d'autres vecteurs animaux ?

M. le Président : Le diagnostic des souches est certes crucial mais, en période de pandémie, un diagnostic de masse serait tout aussi essentiel. Avez-vous les moyens de mener à bien une telle opération ?

D'autre part, les passages du H5N1 de l'oiseau vers l'homme qui ont été étudiés se sont-ils accompagnés d'un début de mutation virale ? Est-il possible, à partir du nouveau virus apparu chez l'homme, de commencer à travailler à un nouveau profil vaccinal ?

L'inefficacité du passage de l'homme vers l'homme est-elle avérée ?

Mme Sylvie VAN DER WERF : S'agissant de la notion d' « exposition forte », j'aurais du mal à la préciser, d'un point de vue quantitatif. En théorie, une seule particule virale infectieuse peut suffire à contaminer un individu. Cependant, même en Asie, notamment au Vietnam, où les volailles sont omniprésentes sur les marchés et où il existe de nombreux élevages familiaux, le simple fait de passer à une dizaine de mètres d'un animal infecté ne suffit pas à attraper la maladie. En revanche, il est vrai que l'opération de plumage a donné lieu à plusieurs cas d'infection par le virus H5N1.

Je crains de ne pouvoir fournir une réponse quantifiée pour mesurer ce que j'ai qualifié d'« exposition forte » ; tout dépend de la quantité de virus présente sur des particules comme les poussières en suspension ; la concentration de virus à laquelle le sujet est exposé doit être importante pour initier l'infection. Je répète que le virus H5N1 est inadapté à l'homme, dans le sens où la quantité de virus nécessaire à l'infection doit être plus élevée - même si on ne peut pas la quantifier - que dans le cas de la grippe saisonnière. Mais d'autres facteurs entrent en ligne de compte : toute la population est « naïve » et par conséquent réceptive à ce virus, contrairement à ce qui se passe pour le virus grippal saisonnier, auquel nous sommes confrontés chaque année ; la charge virale nécessaire à l'infection dépend aussi de l'état de santé de chacun : certains sont plus sensibles que d'autres au risque infectieux.

J'ai volontairement employé le terme d' « inefficace » à propos de la transmission interhumaine de la grippe aviaire. Certes, dans quelques cas cliniques, elle semble être la seule option envisageable, les personnes touchées n'ayant jamais été exposées à des volailles infectées mais ayant par contre été au contact, de manière proche et prolongée, à des personnes malades. L'exemple le plus probant est celui d'une maman, en Thaïlande, qui avait soigné sa petite fille atteinte. Mais, dans tous les cas où une infection interhumaine était soupçonnée, l'analyse du virus a établi que celui-ci avait conservé une nature totalement aviaire, sans aucune recombinaison du matériel génétique.

Nous n'avons malheureusement pas encore décrypté l'ensemble des conditions nécessaires à l'adaptation à l'homme d'un virus aviaire. Plusieurs éléments ont cependant été identifiés et il est vrai que, dans certains cas détectés de passage de l'oiseau à l'homme, certaines de ces signatures particulières ont été retrouvées. Le réseau des laboratoires de l'OMS s'attache actuellement à séquencer entièrement le matériel génétique du virus pour aller à la recherche de ces signatures et suivre la moindre de ses évolutions vers l'adaptation. Ce dont on est sûr, c'est que l'évolution ne procède pas d'une modification unique mais d'une combinaison de signatures particulières.

Un vaccin prototype a été élaboré à partir d'un virus isolé au Vietnam en 2004. Il a fallu modifier certaines de ses caractéristiques par des méthodes de génie génétique, afin de lui faire perdre de sa virulence - il ne faut pas, en effet, que le virus ainsi obtenu pour le vaccin tue le substrat de production, c'est-à-dire l'œuf de poule embryonné, ni exposer inutilement les producteurs de vaccin à une source de contamination trop forte. Des lots pilotes, produits par différents laboratoires pharmaceutiques, subissent à l'heure actuelle des essais cliniques. Il s'agit de déterminer les conditions optimales d'utilisation en termes de nombre d'injections, de dosage et d'apport d'adjuvants. Ce vaccin pandémique est destiné à une population « naïve », contrairement aux vaccins employés contre la grippe saisonnière. Il faut donc installer une immunité protectrice à partir de rien, ce qui nécessite au minimum deux injections, à trois semaines d'intervalle. Il faudra aussi vraisemblablement employer des adjuvants comme stimulants de la réponse immunitaire. Enfin, il conviendra de calculer la quantité de virus minimale à intégrer pour que le vaccin soit efficace, sachant que moins on en mettra, plus on pourra fabriquer de doses.

Le diagnostic est effectué grâce à des techniques moléculaires extrêmement rapides : le résultat peut être obtenu vingt-quatre à trente-six heures après la détection d'un cas. Le goulet d'étranglement se situe au stade de l'acheminement des prélèvements. Les groupes d'experts ont beaucoup travaillé pour mettre au point des kits de prélèvement utilisables partout et améliorer les modalités d'acheminement des prélèvements vers les laboratoires agréés disséminés sur tout le territoire français, sachant qu'en cas de diagnostic positif sur le virus H5N1, ils sont ensuite adressés à l'un des deux centres nationaux de référence, situés à Paris et Lyon, de façon à confirmer le résultat et surtout à isoler le virus afin de le caractériser plus finement.

M. le Président : Ce schéma n'est pas réaliste du point de vue opérationnel : vous n'aurez pas les moyens de traiter une masse de 50 000 prélèvements par exemple.

Mme Sylvie VAN DER WERF : Je vous confirme que c'est totalement exclu. Aujourd'hui d'ailleurs, c'est à partir des informations communiquées par les réseaux de surveillance de médecins généralistes et de pédiatres qu'il est possible de suivre la diffusion du virus grippal dans chaque région. Il n'y a pas de diagnostic spécifique réalisé.

M. le Rapporteur : Tous les laboratoires hospitaliers de France ont-ils la capacité d'effectuer ces diagnostics ?

Mme Sylvie VAN DER WERF : Ces diagnostics nécessitent tout de même un minimum de technicité et un laboratoire de sécurité de type P3. Une liste de laboratoires compétents techniquement, ouverts sept jours sur sept et vingt-quatre heures sur vingt-quatre, a été dressée. Ceux-ci pourront être agréés pour réaliser les diagnostics selon des techniques mises au point par le centre de référence. Nous leur fournirons également des témoins positifs permettant de valider le diagnostic.

M. Jean-Claude FLORY : Une fois que la mutation du virus aura été décelée, combien de temps faudra-t-il compter pour fabriquer des vaccins pandémiques ?

Mme Jacqueline FRAYSSE : Je souhaiterais que nous posions nos questions aux intervenants une fois qu'ils se seront tous exprimés.

M. le Président : Mme Van der Werf va répondre à la question de M. Flory.

Mme Sylvie VAN DER WERF : Pour produire un vaccin pandémique adapté, le délai raisonnable serait de six mois.

M. le Président : Je propose que les trois autres intervenants s'expriment, après quoi nous les interrogerons. Je vous rappelle que nous n'avons pas pour ambition de résoudre tous les problèmes dès ce matin, mais de progresser dans la connaissance du risque.

M. Jean-Philippe DERENNE : Du point de vue clinique, trois aspects me semblent importants : la grippe est une maladie virale, mais ses complications peuvent être virales ou bactériennes ; la grippe pandémique est différente de la grippe usuelle.

La grippe est une maladie virale, transmise presque exclusivement de façon respiratoire, par le biais des gouttelettes de salive émises lors de la toux. La contagiosité est très forte, le nombre de particules virales atteignant un à dix millions par millilitre. Elle est d'autant plus grande que les individus sont proches : autrement dit, la grippe s'attrape par exemple dans le métro. La contagiosité dépend du statut immunitaire du sujet qui inhale les particules virales, selon qu'il est vacciné, immunodéprimé, âgé, bébé de moins d'un an, etc.

La grippe usuelle se caractérise tout d'abord par une phase d'incubation de trois jours, pendant laquelle le virus se multiplie sans aucun symptôme. Ensuite, ceux-ci apparaissent brutalement : de gros frissons, de la fièvre, des maux de tête, des douleurs musculaires et de la toux. Chez le sujet normal, qui se contente de prendre du paracétamol, la fièvre tombe au bout de trois jours mais on assiste parfois, au quatrième jour, à un regain, ce phénomène étant qualifié de « V viral ». La guérison, sans aucune séquelle, intervient alors dans 90 % des cas, ce qui confère à la grippe une réputation de bénignité.

Néanmoins, même en dehors d'une pandémie, des complications peuvent toucher des individus identifiés et auxquels il est recommandé de se faire vacciner : les personnes âgées de plus de soixante-cinq ans ou frappées par une maladie chronique - immunodéprimés, diabétiques, transplantés ou cancéreux. Ces complications sont essentiellement respiratoires : bronchites et, pire, pneumonies, très graves par nature. Les pneumonies virales, précoces, peuvent très mal tourner, faute de traitements. Pour les pneumonies bactériennes, qui surviennent au quatrième, cinquième ou sixième jour, il existe des traitements. Permettez-moi de faire remarquer aux élus de la nation que les poussées de bronchopathie chronique liées à des virus respiratoires n'intéressent absolument personne, alors qu'elles constituent l'un des plus gros postes de dépenses de santé : les statistiques font apparaître un surcroît très net d'hospitalisations en réanimation au moment des pics d'épidémies grippales, et certainement pas lors des pics d'émission d'ozone...

Chez l'enfant, la grippe se distingue par des signes digestifs, avec une complication éventuelle, le syndrome de Reye, sorte d'encéphalite avec hypertension intracrânienne, qui laisse des séquelles et se conclut même par un décès dans 20 % des cas.

La grippe usuelle, selon les années, est plus ou moins bénigne, mais se montre davantage agressive sur les enfants ou sur les personnes âgées. Elle a par ailleurs pour conséquence d'accroître l'absentéisme au travail parmi les personnes âgées de vingt à soixante ans.

Les historiens ont dénombré trente et une grippes pandémiques depuis 1581, dont trois sont plus connues : la grippe espagnole de 1918-1919, qui a frappé en trois fois, au printemps 1918, à l'automne 1918 et au printemps 1919 ; la pandémie de 1957, due à un virus H2N2 ; celle de 1968, due à un virus H3N2. La pandémie de 1918-1919 était, semble-t-il, imputable à un virus aviaire pur, capable de sauter sur l'homme alors que, pour les deux dernières, les virus s'étaient recombinés à partir d'un mélange homme-oiseau passé par le cochon.

La mortalité de la pandémie de 1918 a été initialement estimée à 20 ou 22 millions de personnes. Des études ultérieures ont révisé les chiffres à la hausse : en 1982, on a parlé de 27 à 39 millions de morts puis, plus récemment, de 50 à 100 millions. Si le représentant de l'Organisation des Nations unies a agité le spectre de 150 millions de morts pour une future pandémie, c'est en extrapolant à partir du triplement de la population mondiale enregistré depuis un siècle. Sommes-nous menacés par le retour de la grippe espagnole sous une autre forme ? S'agissant de l'origine de ce virus, plusieurs hypothèses ont été émises, dont celles de la Chine et des États-Unis. L'armée américaine, pendant la Première Guerre mondiale, a perdu 43 000 hommes à cause de la grippe et 23 000 au combat. En Allemagne, 400 000 personnes sont mortes à cause du virus. Si cette grippe a été qualifiée d'« espagnole », c'est simplement que le roi d'Espagne a été touché, même s'il en a guéri, contrairement à Klimt, Schiele, Apollinaire, Rostand et beaucoup de dames de la Comédie française, ce qui a permis quelques promotions imprévues...

En 1918, des cas d'encéphalites avec pneumonies virales hémorragiques œdémateuses, mais aussi bactériennes, ont également été signalés. La grippe était considérée comme une maladie bactérienne car une bactérie avait été identifiée, en 1890, au cours d'une pandémie précédente, comme responsable de la maladie. Or les médecins, lors de la pandémie de grippe espagnole, ont eu la surprise de trouver de temps en temps cette bactérie - haemophilus influenzae - mais beaucoup plus souvent du pneumocoque, voire du staphylocoque doré, et parfois rien du tout. C'est seulement en 1933 que le virus de la grippe a été identifié.

Les pandémies de 1957 et 1968 ont été beaucoup moins mortelles : de l'ordre de un à trois millions de morts chacune.

La grippe espagnole avait beaucoup touché les enfants de moins d'un an, presque personne entre un et quatorze ans, énormément de sujets de quinze à soixante-cinq ans et presque personne après soixante-cinq ans. La pandémie de 1957 a essentiellement touché les plus de soixante-quinze ans. Celle de 1968 a surtout atteint les moins d'un an et les plus de soixante-quinze ans. Une nouvelle symptomatologie apparaît chez la centaine d'individus touchés par la souche de grippe aviaire H5N1 non mutée : deux seulement avaient plus de cinquante ans et presque tous les autres avaient moins de dix-huit ans.

M. Jean-Claude DÉSENCLOS : Quels risques la grippe aviaire fait-elle courir à la santé humaine ? Pourquoi et comment ces risques peuvent-ils se matérialiser ? Quel est le risque pour l'homme lors du contact direct avec les produits aviaires ? Quels sont les risques secondaires à moyen terme, pour l'homme, d'une épizootie incontrôlée, sur toute la planète ? Une pandémie humaine pourrait survenir à la suite d'une mutation ou d'une recombinaison du virus, qui s'adapterait alors à l'homme : la population dans son ensemble serait alors vulnérable, et dépourvue de vaccin disponible.

Le virus de la grippe humaine se transmet de personne à personne à partir d'un malade, par voie aérienne, par l'intermédiaire de gouttelettes respiratoires ou, indirectement, via l'environnement contaminé. Le virus de la grippe aviaire, pour sa part, est rarement transmis à l'homme car, pour des raisons biologiques et génétiques, il lui est inadapté. On ne constate habituellement pas de transmission secondaire d'homme à homme à partir des sujets malades. La transmission du virus aviaire à l'homme à partir des oiseaux nécessite un contact étroit et intense avec des oiseaux malades ou morts de la grippe aviaire ou avec leur environnement contaminé. Elle s'opère alors par voie respiratoire, par un aérosol contaminé de virus ou, indirectement, par l'environnement contaminé.

Le risque de transmission de la grippe aviaire H5N1 à l'homme est très faible, les chiffres en attestent. On estime à 150 millions au bas mot le nombre d'oiseaux touchés par l'épizootie H5N1 en Asie. Les personnes qui ont été en contact avec ces oiseaux malades ou morts et leur environnement se chiffrent donc probablement à plusieurs centaines de milliers. Or 121 cas humains seulement ont été répertoriés à ce jour, mais des cas très graves, puisque 60 décès ont été répertoriés parmi ces personnes.

Même si le nombre de cas est sans doute sous-estimé par rapport à la réalité, le risque pour l'homme est faible et, surtout, il peut être réduit par des mesures de prévention simples, qui ont montré leur efficacité lors d'une épizootie de H7N7, aux Pays-Bas, en 2003. Celles-ci consistent à séparer autant que possible les travailleurs des animaux touchés, à leur faire utiliser des masques, éventuellement à leur prescrire des antiviraux et à les vacciner contre la souche de grippe qui circule pour éviter les recombinaisons. Le risque de SRAS, le syndrome respiratoire aigu sévère, pour le personnel de soin a pu être maîtrisé grâce à l'usage des masques FFP2 par le personnel soignant.

H5N1 pose toutefois un problème inquiétant : la mortalité très élevée observée chez les personnes contaminées, qui atteint 50 %. Il est du reste tout autant agressif pour d'autres espèces animales comme les tigres ou les chats.

Le risque d'une pandémie à partir de l'épizootie aviaire pourrait survenir si le virus aviaire se recomposait avec un virus grippal humain ou s'il mutait mal, de façon purement aléatoire. Le virus recomposé serait alors plus adapté à la transmission interhumaine et pourrait par conséquent se diffuser parmi la population humaine. Une contamination serait possible, pour toutes les classes d'âge, car personne ne serait immunisé. Cette recombinaison du virus pourrait se produire chez le porc ou chez l'homme lui-même. La probabilité de cette recombinaison augmente bien sûr avec la persistance et l'intensité de l'épizootie H5N1, mais aussi avec la densité de population concernée par l'infection et avec l'intensité des échanges entre population animale et population humaine.

M. le Président : Pouvez-vous recentrer votre propos sur les problèmes épidémiologiques ? Certains ne comprennent pas forcément pourquoi nous sommes aujourd'hui confrontés à un défi mondial. Le Président des États-Unis en personne préconise la mise en quarantaine des personnes atteintes par le virus. Qu'en pensez-vous ?

M. Jean-Claude DÉSENCLOS : J'y viendrai dans un instant. L'importance du contrôle de l'épizootie dans les pays pauvres d'Asie est d'autant plus grande. Il est indispensable que nous leur apportions notre aide car ils n'y arriveront pas seuls.

Les trois pandémies du siècle dernier indiquent que 30 % au moins de la population pourrait être touchée, avec une mortalité susceptible de dépasser celle de la grippe saisonnière et qui ne se limiterait pas aux groupes à risques.

Je vais m'attarder quelques instants sur le taux de reproduction, c'est-à-dire le nombre de nouveaux cas induits par un malade. L'épidémie commence lorsque ce taux excède un. Pour la grippe saisonnière, il est compris entre 1,5 et 2,5. Lors des pandémies du passé, il variait de 1,5 à 3. L'autre paramètre à prendre en compte est l'intervalle séparant deux cas successifs, qui, pour la grippe, est de deux jours seulement : la transmission est donc très véloce et exponentielle. Dans ces conditions, il est illusoire de penser que les malades pourraient être placés en quarantaine, d'autant que des transmissions auront lieu non seulement lors de contacts rapprochés mais aussi lors de contacts sociaux : si j'étais porteur du virus, vous tomberiez tous malades dans les deux jours qui viennent !

Pour prévenir une pandémie par recombinaison de l'actuel virus H5N1, très pathogène pour l'homme, il faudrait pouvoir contrôler l'épizootie depuis son déclenchement, ce qui n'est pas le cas. Il importe également de détecter la survenue de cas humains porteurs de virus mutés ou recomposés, ce que les programmes de surveillance, notamment sous l'égide de l'OMS, s'emploient à faire au mieux en Asie comme en Europe. Dès que nous est signalé le cas d'une personne arrivant d'un pays sensible et susceptible d'être touchée par la grippe aviaire, nous effectuons une évaluation et, le cas échéant, nous recherchons la présence du virus. Depuis le début de l'épizootie, 200 personnes ont ainsi été signalées, une dizaine d'entre elles, qui correspondaient à des critères d'exposition, ont été testées, mais tous les examens se sont révélés négatifs.

M. le Président : Je ne crois pas que les médecins français soient invités à prévenir l'Institut de veille sanitaire lorsqu'ils diagnostiquent un cas de grippe chez une personne arrivant d'Asie.

M. Denis JACQUAT : Les centres 15 sont en alerte.

M. le Président : Mais les médecins n'appellent pas le centre 15 lorsqu'ils diagnostiquent une grippe chez un patient. Du reste, ils ne pensent pas forcément à lui demander s'il revient d'Asie. Je n'ai pas l'impression que la sensibilisation des médecins à laquelle vous faites allusion soit effective dans la pratique.

M. Jean-Claude DÉSENCLOS : En tout cas, l'information est donnée, à l'aéroport, aux personnes en provenance d'Asie du Sud-Est, je l'ai encore vérifié il y a peu. Le système est peut-être imparfait mais il fonctionne : le centre 15 effectue un premier tri, selon que la personne a été en contact rapproché ou non avec des volailles. En l'état actuel de choses, il n'y a aucune raison de prendre des mesures plus radicales.

La détection précoce est essentielle, de même que la décentralisation des tests, pour que les capacités de diagnostic soient plus proches des malades éventuels. La tendance centralisatrice de la France, de ce point de vue, constitue un handicap.

En l'absence de vaccin, l'usage des antiviraux pourra retarder voire bloquer le développement de la pandémie, à condition que le taux de reproduction du virus reste relativement faible, ce qui est possible au tout début de la pandémie, si le virus s'adapte progressivement à l'homme. Il convient donc d'être en mesure de répondre rapidement et de disposer de stocks d'antiviraux d'oseltamivir en quantité suffisante : 14 millions de traitements sont actuellement disponibles, soit une couverture de l'ordre de 23 % de la population.

La réduction des contacts sociaux, associée à l'utilisation d'antiviraux, pourrait aussi avoir une certaine efficacité. Quant au recours aux caméras thermiques pour détecter les personnes fiévreuses, il a fait l'objet de deux études mais les modélisations mathématiques sont peu concluantes : moins de 20 % des personnes malades seraient identifiées. Il faudrait réduire le trafic aérien de plus de 90 % pour retarder d'une à deux semaines l'arrivée de la pandémie sur le territoire européen. Enfin, l'utilisation de masques constitue un moyen de lutte efficace, en particulier pour le personnel soignant, mais on ne dispose pas d'étude comparative sur les effets qu'aurait l'extension du port du masque à toute la population.

L'enjeu consiste à gagner du temps pour se rapprocher du moment où le vaccin sera produit. C'est une stratégie de course contre la montre, au cours de laquelle la mise en œuvre de mesures imparfaites mais complémentaires peut diminuer l'impact initial de l'épidémie, en attendant le vaccin, qui sera efficace dès la deuxième vague.

La crise actuelle met en évidence les lacunes des connaissances sur la grippe et la nécessité de consacrer beaucoup d'énergie à de nouveaux travaux de recherche.

M. le Rapporteur : Le système de surveillance existe, avez-vous dit, mais il est « imparfait ». Le mot me gêne... Pouvez-vous en en dire davantage ? Que faudrait-il faire pour qu'il ne soit plus imparfait ?

M. Jean-Claude DESENCLOS : Il n'est certainement pas parfait, en ce sens que quelqu'un qui revient d'Asie du Sud-Est avec 40° de fièvre ne consultera pas nécessairement tout de suite, ou consultera un médecin qui ne pensera pas forcément à l'interroger sur son voyage, ou encore, s'il appelle le centre 15, pourra tomber sur quelqu'un qui a oublié la consigne... La surveillance est un état d'esprit qui va du malade au médecin, puis de celui-ci vers les autorités de santé publique qui doivent se mobiliser rapidement et efficacement. Or beaucoup de médecins n'ont pas du tout envie de déclarer des infections à l'autorité sanitaire. Si imperfection il y a, elle est sans doute de nature culturelle, s'agissant en particulier de la culture de santé publique du corps médical. Dans les pays nordiques ou anglo-saxons, les médecins collaborent beaucoup plus facilement lorsqu'on leur demande de signaler des cas.

M. le Président : Il va donc falloir mener un travail de surveillance un peu plus particulier sur les personnes présentant un syndrome grippal ; les médecins doivent penser à leur demander si elles reviennent d'Asie du Sud-Est et, si oui, le signaler afin que puisse être mené le travail d'investigation épidémiologique. Il est vrai que nous n'avons pas cette culture en France ; il nous appartient, sans alourdir outre mesure les procédures, de faire avancer l'idée de santé publique et d'épidémiologie.

M. Philippe VANNIER : Je vous recommande au préalable deux excellentes publications : la première, de la FAO, sur l'Asie du Sud-Est99, la seconde, du laboratoire de référence de l'OIE, sur l'historique de l'influenza aviaire.

Dans le domaine animal, on compte quinze sous-types liés à l'hémagglutinine (H) et neuf sous-types liés à la neuraminidase (N). La peste aviaire, appelée improprement grippe aviaire, est liée essentiellement à deux sous-types : le H5 et le H7, voire le H9, qui entraînent des signes cliniques très marqués dans la population animale, aviaire en particulier. Mais l'affaire se complique par le fait que, dans le H5 comme dans le H7, on trouve des souches faiblement pathogènes qui n'entraînent aucun signe clinique sur les animaux, et des souches hautement pathogènes qui diffèrent des premières par une simple mutation génétique entraînant une modification des séquences des acides aminés, et qui sont seules responsables de la peste ou grippe aviaire. Les souches faiblement pathogènes sont une banalité dans le monde animal, notamment de la faune sauvage, depuis des décennies.

Un peu d'histoire vous montrera que les cas cliniques d'influenza se retrouvent dans le monde entier.

Au Mexique, entre 1994 et 2003, épizootie à H5N2 : un milliard de volailles mortes ou abattues. En Pennsylvanie, entre 1996 et 1998, épizootie à H7N2 : 2,4 millions de volailles mortes ou abattues. En Australie, en 1997, épizootie à H7N4 : 300 000 volailles mortes ou abattues. À Hong Kong, entre 1997 et 2003, épizootie à H5N1 : 3 millions de volailles mortes ou abattues. En Asie du Sud-Est, entre 2003 et 2004, épizootie à H5N1 : 100 millions de volailles mortes ou abattues. À Taïwan, en 2004, épizootie à H5N2 : 66 000 volailles mortes ou abattues. En Italie, en 1999 et 2001, épizootie à H7N1 : 17 millions de volailles mortes ou abattues. Aux Pays-Bas, en 2003, épizootie à H7N7 : 30 millions de volailles mortes ou abattues.

Autrement dit, la grippe ou peste aviaire n'est pas un phénomène récent. Cela étant, on a recensé, entre 1959 et 1998, dix-sept épizooties, mais huit entre 1997 et 2004, dans douze pays. Je reviendrai sur les facteurs qui expliquent cette fréquence plus élevée.

Qu'y a-t-il aujourd'hui de nouveau par rapport à ces cas historiques ? Premièrement, la durée de l'épizootie : il est rare de voir une épizootie durer plus de deux ans dans le monde. Deuxièmement, sa sévérité, autrement dit le niveau de pathogénéicité de la souche dans la population animale. Troisièmement, la forte mortalité observée dans la faune sauvage, phénomène tout à fait nouveau. Quatrièmement, le nombre de cas humains, mais qui doit être apprécié à la lumière de la durée exceptionnelle de cette épizootie et des conditions spécifiques de l'élevage aviaire en Asie du Sud-Est.

Parmi ces spécifiés, l'une, fondamentale, est le mélange permanent d'espèces, particulièrement entre les canards et les autres oiseaux dans des élevages essentiellement en plein air. Une autre particularité est la très forte densité de populations animales et humaines, surtout sur les marchés, très nombreux en Asie, où, par ailleurs, la chaîne du froid n'est pas respectée et où les clients, pour des raisons liées à des habitudes culturelles, tiennent à acheter la bête vivante et à l'abattre eux-mêmes pour la consommer rapidement. Les marchés asiatiques concentrent ainsi des milliers de volatiles, au milieu desquels la population humaine, dense, est fortement exposée. Autre particularité : la taille des structures de production. Les petits élevages, comme ceux pratiqués en Asie du Sud-Est, sont, d'après la FAO, davantage susceptibles de développer des épizooties en raison de la fréquence des cas d'infection. Ce à quoi vient s'ajouter l'absence totale d'infrastructures efficaces d'État et d'organisations professionnelles, qui permettraient de juguler efficacement l'épizootie, et des considérations économiques, tenant à l'absence d'indemnisation de l'éleveur constatant des cas d'infection dans son élevage : loin d'être incité à déclarer ces cas aux autorités sanitaires, il va, bien au contraire, les camoufler, enterrer les cadavres et prier en espérant que son élevage ne sera pas tué.

Autant de raisons déterminantes qui expliquent la « non-maîtrise » de l'épizootie dans le sud-est asiatique. L'exemple de la Chine est révélateur : pas d'infrastructures permettant une lutte efficace, à quoi vient s'ajouter une très probable forte sous-déclaration : 56 cas seulement ont été déclarés contre plus de mille en Thaïlande et au Vietnam. Inversement, au Japon, quatre élevages ont été infectés, apparemment par des oiseaux sauvages, mais sans doute par des souches faiblement pathogènes, et en Corée, des infections ont été détectées sur des élevages de canards ne présentant même pas de signes cliniques, ce qui montre l'efficacité des systèmes de vigilance dans ces deux pays où l'infection a été très rapidement jugulée. Très différente est la situation en Thaïlande et au Vietnam, en raison de la multitude de petits élevages et, aussi, du fait que certains foyers n'ont pas été repérés au début ou l'ont été trop tard pour être efficacement éteints.

Quels sont les origines et les mécanismes d'induction de ces épizooties, passées et actuelles ?

Toute épizootie a deux grandes causes : la première, la plus importante mais souvent la moins connue, reste le négoce, autrement dit le commerce d'oiseaux vivants, légal ou illégal. La situation en Sibérie, telle que l'analyse l'AFSSA, apparaît à cet égard très troublante : les cas recensés au Kazakhstan, en Mongolie, en Sibérie et tout récemment à Toula suivent non pas les routes des oiseaux migrateurs, mais la ligne du Transsibérien ! Ajoutons que, dans la plupart des foyers actuels, y compris en Russie, aucune enquête épidémiologique fiable n'a été diligentée par les autorités. Il n'en est heureusement pas de même en Roumanie et en Turquie : un remarquable travail a été conduit par les autorités turques, qui rend hautement probable l'hypothèse d'une transmission par les oiseaux migrateurs.

La forte mortalité relevée chez les oiseaux migrateurs, ai-je dit, est un fait nouveau, et qui, au surplus, ne correspond pas à une explication cohérente du rôle des oiseaux migrateurs dans une transmission à longue distance : lorsqu'on a la grippe, on ne va pas courir un marathon... On imagine mal un oiseau manifestant des signes cliniques d'infection voler sur des milliers de kilomètres. Mais les récents travaux du professeur Webster, qui a inoculé les souches isolées à Hong Kong entre 1997 et 2003 à des lots de canards, dont un quart n'a pratiquement pas manifesté de signes cliniques, tendent à prouver l'existence d'une résistance chez certaines espèces, et, sans doute aussi, la présence de « porteurs sains », autrement dit d'animaux capables d'héberger le virus, de le multiplier et de le transmettre, sans en être victimes eux-mêmes. Or les cas relevés en Roumanie et en Turquie, pays traversés par des flux migratoires, s'articulent bien avec les cas apparus plusieurs mois auparavant en Sibérie orientale, en Mongolie et au Kazakhstan. Cela pourrait signifier que le flux migratoire dit « mer Caspienne - Est-Afrique » serait contaminé. En revanche, la mission dépêchée par l'OIE au Kazakhstan, en Mongolie et en Sibérie rapporte très clairement que les foyers observés dans ces zones ne correspondent pas au démarrage des flux migratoires. Ce qui soulève des questions, mais sans forcément apporter de réponses claires : si l'on a bien isolé des souches H5N1 hautement pathogènes sur des oiseaux migrateurs morts en Asie du Sud-Est, on n'en a encore jamais trouvé sur des oiseaux migrateurs vivants. Autrement dit, l'hypothèse des oiseaux migrateurs est hautement probable, mais pas encore totalement démontrée.

Le foyer découvert tout récemment à Toula, au sud de Moscou, pourrait découler d'une contamination par un flux migratoire différent de celui cité plus haut, dit « mer Noire - Méditerranée » ou encore « Est-Atlantique », encore que cette hypothèse pose bon nombre de questions qui n'ont pas reçu de réponse : c'est en avril-mai et non en octobre, date à laquelle la majorité des espèces ont déjà migré, que l'apparition de ces foyers aurait dû logiquement survenir. Quoi qu'il en soit, à défaut de réponses certaines, la plus grande prudence est de mise, prudence qui inspire d'ailleurs les deux avis émis par l'AFSSA les 19 et 21 octobre derniers.

Plus généralement, l'accroissement de la fréquence des foyers d'influenza aviaire au cours des sept derniers mois peut s'expliquer par plusieurs raisons sur lesquelles tous les spécialistes mondiaux de la question sont à peu près d'accord.

En premier lieu, la vigilance accrue de l'ensemble des acteurs, autorités, éleveurs et structures, aidés par de meilleurs outils de diagnostic. Les techniques de biologie moléculaires, très décentralisées, permettent désormais un diagnostic et un typage rapides et se sont banalisées dans le monde vétérinaire. Il y a quelques années, personnes n'aurait parlé de ces pauvres dindons morts dans l'île de Chios... Aujourd'hui, quelques heures après leur mort, c'est l'affolement général et toute la planète est au courant de leur sort ! C'est dire à quel point la vigilance s'est accrue, peut-être même exagérément.

Il n'est pas non plus impossible, de l'avis des spécialistes, que les changements climatiques aient eu un effet sur les flux migratoires. Cette hypothèse ne peut être totalement écartée.

Mais la raison essentielle tient à l'évolution des structures de production avicoles dans les dix dernières années. L'augmentation du nombre d'élevages en plein air n'est pas anodine sur le plan de la santé animale. En effet, il faut bien différencier les causes du démarrage d'un foyer et les conditions qui permettront la propagation de l'épizootie. Parmi ces conditions, la densité des élevages, qui, par exemple aux Pays-Bas, a joué un rôle déterminant lors de la crise de 2003 : on comptait 25 élevages au kilomètre carré aux Pays-Bas, de même qu'au Nord de l'Italie où 17 millions de volailles ont été abattues entre 1999 et 2001. Je ne suis pas certain que cette densité soit aussi élevée en France.

Le déclenchement d'un foyer, puis l'extension d'une épizootie sont liés à l'interaction de multiples facteurs, et celle-ci n'est jamais simple. On connaît en tout cas très bien les causes et les mécanismes de départ des épizooties historiquement recensées depuis dix ans.

La première cause est évidemment l'introduction d'une souche hautement pathogène par le biais du négoce, c'est-à-dire par l'échange d'animaux. Chacun a en mémoire l'épizootie de fièvre aphteuse en 2001, en France, provoquée par le négoce de moutons infectés, crise que la France a, au demeurant, remarquablement gérée : elle a pu limiter considérablement le nombre de foyers alors que les moutons infectés n'exprimaient pratiquement pas de signes cliniques de fièvre aphteuse. Le négoce, légal ou illégal, est la première cause d'introduction de souches pathogènes dans un pays. C'est ce qui explique les mesures drastiques prises pour empêcher toute importation d'animaux vivants et de produits animaux dans l'Union européenne.

La deuxième raison, malgré tous les points d'interrogation qui demeurent, tient aux oiseaux migrateurs. Les cas roumains et turcs amènent en tout cas à se poser la question, à défaut d'avoir une réponse certaine.

Le troisième mécanisme, classique, quoique peu connu des non-spécialistes, part des souches faiblement pathogènes, très banales en Europe : les prélèvements effectués montrent un taux de prévalence d'environ 4 %. Les oiseaux sauvages sont fréquemment porteurs de souches faiblement pathogènes d'influenza aviaire. Mais un contact inter-espèces, dans certaines conditions bien précises, entre un canard sauvage, par exemple, et une espèce beaucoup plus sensible comme le poulet de chair ou la dinde, va donner lieu à une réplication importante du virus au cours de laquelle pourra survenir une mutation. Durant une première phase préclinique d'infection de l'élevage par une souche H5 ou H7 faiblement pathogène, étape silencieuse pendant laquelle les animaux présenteront peu de signes cliniques, le virus va se répliquer et une mutation pourra survenir. Cela peut ne pas être le cas ; mais plus la réplication est importante, plus la probabilité augmente. Arrive alors une phase clinique, où l'élevage manifeste des signes patents d'infection par la souche H5 ou H7 devenue hautement pathogène. Ce n'est toujours pas une épizootie, mais un foyer isolé ; celle-ci n'apparaîtra que lorsque le virus se sera fortement propagé dans le voisinage. En Asie du Sud-Est, ce sera très rapide du fait des petits élevages, du négoce et des marchés. En Europe, la présence d'un ou plusieurs foyers créerait une situation grave, mais pas dramatique : tout dépend de la précocité du diagnostic. Plus rapidement on sait quels élevages sont infectés, plus facilement on peut maîtriser la propagation de l'infection avant qu'elle ne tourne à l'épizootie. En revanche, un retard dans la détection des premiers cas, conjugué à une grande densité des élevages et une propagation non maîtrisée par voisinage ou commerce, entraînera, comme en Hollande en 2003, une véritable épizootie, d'autant que les poulets et les dindes sont extrêmement sensibles au virus, tant sur le plan clinique que sur celui de la réplication.

En conclusion, il n'y a, pas plus en France qu'en Europe, de crise sanitaire : à ma connaissance et à ce jour, aucun foyer n'a été détecté ou déclaré. En revanche, il existe une menace réelle qu'il ne faut ni exagérer ni sous-estimer.

M. le Président : Il n'est pas question, dans l'heure qui nous reste, de mettre sur pied un plan de lutte contre la pandémie... Soyons modestes dans nos objectifs et restons-en à la phase de compréhension des données du problème.

M. Pierre HELLIER : Apparemment, on décède de pneumopathie. Faut-il utiliser le vaccin Pneumo 23 ? A-t-on intérêt à associer deux anti-viraux ? Un vaccin antigrippal peut être mis au point en six mois à partir du moment où le virus mutant a été isolé, mais combien de temps faudra-t-il attendre pour qu'il soit réellement disponible ? Autre point : si une personne revient de l'étranger avec une grippe et qu'elle appelle le 15 ou le médecin, il est presque déjà trop tard : elle aura pu prendre les transports en commun pour rejoindre son domicile. La petite affichette dans les aéroports ne suffit pas. Il faudrait un dépistage plus précis au moment de l'arrivée en France.

M. Daniel PREVOST : Seuls une vaccination et un abattage systématique des volailles domestiques dans les pays touchés permettront de réduire au plus vite la pression infectieuse. Cette stratégie défendue par la FAO et l'OMS ne tient pas compte de l'instabilité génétique des virus grippaux de type A impliqués dans la grippe aviaire, et de leur capacité à « réassortir » leur matériel génétique et à fusionner, voire à récupérer le bagage génétique d'un virus mort. Quel peut être le danger de ces mutations pour la population ? L'AFSSA a-t-elle mis en place un système de surveillance de la faune sauvage ?

Mme Geneviève GAILLARD : Je remercie tous nos invités pour la clarté de leurs interventions. Nous sommes vigilants, certes, mais que fait-on sur le plan médical, voire vétérinaire, dans les pays en voie de développement où les foyers comme les risques sont les plus importants ? Si l'on ne prend pas le problème à la source, le risque ne pourra logiquement qu'augmenter. Comment l'Europe et la France peuvent-elles intervenir dans ces pays et les aider, dans l'immédiat et pour le long terme, à limiter ces épizooties et leurs conséquences humaines ?

M. le Président : La Russie et la Chine ne sont pas des pays en voie de développement...

Mme Geneviève GAILLARD : Disons les pays où les politiques sanitaires ne sont pas formidables...

M. le Président : Osons le dire : où il y a du laxisme.

Mme Geneviève GAILLARD : ...et les populations humaines et animales beaucoup plus concentrées.

M. François GUILLAUME : Peut-on envisager une campagne de vaccination contre la peste aviaire, en dépit de la propension du virus à muter ? On a toujours hésité entre la vaccination et l'abattage systématique. Dans le cas de la fièvre aphteuse, la vaccination, particulièrement efficace, avait été abandonnée pour des raisons commerciales et l'épizootie a justement frappé de plein fouet un pays, la Grande-Bretagne, qui ne l'avait jamais pratiquée. La vaccination contre la peste aviaire, si elle est possible, n'est-elle pas préférable à l'abattage ?

M. Marc JOULAUD : M. Vannier a rappelé à juste titre les spécificités des systèmes de production asiatiques et le fait que le phénomène n'avait rien de nouveau. L'organisation et la structuration des filières avicoles en France constituent-elles à ses yeux une garantie ou une chance face à une éventuelle extension du problème ? Nos filières doivent-elles envisager une vaccination systématique pour continuer leur activité ? Enfin, doit-on envisager des mesures de restriction pour les importations de volailles d'Amérique du Sud ?

M. Jean-Claude FLORY : À supposer que les oiseaux migrateurs soient des vecteurs potentiels, se pose la question des lieux d'hivernage. Des points de suivi et de repérage ont-ils été mis en place dans le cadre de l'OMS ? Par ailleurs, on sait que la cuisson à 60° détruit le virus. Certains prônent la congélation. Mais quelle est la durée de vie du virus dans les animaux morts ?

M. le Président : Nous avons entendu, en nous réveillant ce matin, que l'Autorité européenne de santé des aliments déconseillait de gober les œufs... Quel sens peut avoir une telle recommandation ? La conclusion de M. Vannier était très précise ; or nos œufs sont, en gros, français, ou sinon d'origine européenne. Cette recommandation quelque peu alarmiste ne risque-t-elle pas d'avoir des répercussions dramatiques ?

M. Jean-Michel BOUCHERON : Ces exposés ont montré à quel point le facteur temps était fondamental. Quel est l'avis de nos invités sur l'efficacité de l'alerte ? Jugent-ils les esprits correctement mobilisés, qu'il s'agisse des médecins qui doivent signaler les cas douteux, ou des agriculteurs, qui doivent être assurés d'être indemnisés s'ils détectent eux-mêmes des signes d'infection ?

Mme Sylvie VAN DER WERF : Le délai de disponibilité du vaccin de six mois s'entend entre le moment où le virus pandémique faisant l'objet d'une transmission interhumaine est identifié et celui où les premières doses sortent des unités de production. Il faut ajouter le temps de produire et de mettre à disposition les quantités suffisantes.

M. Jean-Philippe DERENNE : Comprenez bien que, face à une pandémie grippale, il n'existe pas un médicament ou une stratégie permettant de traiter 100 % des cas. S'agissant de l'alerte, pour ce qui concerne non les animaux, mais les hommes, la déclaration de l'OMS du 2 septembre100 est parfaitement claire : le risque de pandémie est grand, le risque va persister, l'évolution de la menace n'est pas prévisible, le système d'alerte est faible, une intervention préventive est possible mais elle n'a jamais été tentée, et enfin, je cite, « la réduction de la morbidité et de la mortalité au cours d'une pandémie sera freinée par le manque de vaccins et d'antiviraux... » Formulation très diplomatique pour annoncer une situation peu rassurante !

De quoi disposons-nous concrètement ? Tout d'abord de mesures d'éviction, comme les éventuels systèmes de quarantaine, le port des masques FFP2, le lavage des mains, autant de procédures très importantes qui, à elles seules, ont permis d'éviter une pandémie avec le SRAS, beaucoup moins transmissible, il est vrai, que le virus de la grippe. Ces mesures concernent prioritairement tous ceux qui sont exposés professionnellement ou occasionnellement au risque d'infection.

S'agissant des médicaments, associer deux antiviraux serait très bien... si nous en avions deux. Malheureusement, et pour diverses raisons, nous ne disposons pas d'un panel de médicaments comme nous en avons pour traiter le staphylocoque. On connaît deux catégories d'antiviraux efficaces : les inhibiteurs de la protéine M2, amantadine et rimantadine - mais il semble bien que les Chinois s'en soient servis pour traiter les poules, ce qui a donné des souches intégralement résistantes à l'amantadine - et les inhibiteurs de la neuraminidase - le « N » du sigle H5N1. Nous disposons de trois sortes d'inhibiteurs de la neuraminidase : le Tamiflu, produit par le laboratoire Roche, est le seul médicament dont nous disposons en quantité, mais sa fabrication est liée à l'approvisionnement en anis étoilé, intégralement produit en Chine. Roche aurait, paraît-il, trouvé le moyen de fabriquer un produit de synthèse sans avoir recours à l'anis étoilé, ce qui ferait ainsi sauter un goulet d'étranglement. Le deuxième médicament, le Relenza, était fabriqué par le laboratoire GlaxoSmithKline (GSK), mais celui-ci l'a mis de côté. En effet, à la différence du Tamiflu, facilement administrable par voie orale, le Relenza, détruit dans le tube digestif, n'est actif qu'en intraveineuse - ce qui pourrait être très utile dans certains cas - ou par inhalation, avec un système très compliqué... GSK étudie la possibilité d'un conditionnement en aérosols ; malheureusement, ceux-ci sont contre-indiqués pour les asthmatiques. Le troisième médicament devait être fabriqué par Johnson & Johnson, un des plus gros laboratoires mondiaux, mais celui-ci l'a finalement jugé insuffisamment rentable. Son inventeur crie au secours sur Internet et cherche un partenaire industriel.

Nous nous retrouvons donc dans une situation extrêmement délicate, puisque nous n'avons finalement qu'un seul produit en quantité. Or on sait qu'il n'est jamais bon d'avoir un fusil à un seul coup face aux maladies infectieuses : il suffirait d'une très mauvaise utilisation pour fusiller la seule arme dont nous disposons, ce qui serait notamment le cas si le Tamiflu était prescrit à tout va, n'importe comment et à n'importe qui.

Quelle est la particularité du Tamiflu ? Il n'est actif que contre la grippe. Il est actif en préventif et en curatif. Concrètement, il n'est vraiment efficace qu'au cours des douze premières heures. Passée la quarante-huitième heure, le Tamiflu n'a plus aucune efficacité. Comme il n'est pas toujours facile de diagnostiquer avec certitude une grippe en quelques heures, on ne peut traiter les malades que sur une présomption clinique. Si l'on a beaucoup de médicaments, cela ne pose pas de problèmes. Mais si l'on en a peu... Il faut à cet égard féliciter le Gouvernement - nous y sommes pour quelque chose - d'avoir ramassé tout le Tamiflu et de l'avoir mis sous la garde de l'armée pour que personne ne puisse s'en procurer, et qu'il soit disponible le jour où nous en aurons réellement besoin. De surcroît, il se conserve huit à dix ans s'il n'est pas en gélules, trois ou quatre ans seulement s'il est conditionné en gélules. On peut donc en mettre de côté pour très longtemps. Une pandémie est une guerre infectieuse ; or nous n'avons qu'une arme et elle doit être sous bonne garde.

Venons-en aux complications de la grippe. Les principales sont d'origine bactérienne. Deux germes sont plus particulièrement concernés : le pneumocoque et le staphylocoque doré. Il existe effectivement un vaccin contre le pneumocoque, le Pneumo 23, d'une efficacité de l'ordre de 80 % et grosso modo sans effets secondaires majeurs. On peut donc encourager la vaccination, au moins pour les groupes à risques ; l'effet du Pneumo 23 dure cinq ans et je n'ai jamais vu d'effets secondaires, ce qui n'est pas toujours le cas avec la vaccination antigrippale. Non seulement nous disposons de nombreux médicaments contre le pneumocoque, mais il n'existe pas de pneumocoque résistant aux antibiotiques. Un pneumocoque dit « résistant » n'est qu'un pneumocoque moins sensible aux traitements et qui doit être traité avec des doses plus élevées. Cela n'a rien à voir avec la résistance d'un staphylocoque doré. Aucun pneumocoque ne résiste à six grammes d'amoxycilline par exemple. De nombreuses stratégies sont donc possibles.

Il en va tout autrement pour le staphylocoque doré, car si les souches sauvages sont très sensibles aux antibiotiques, des souches résistantes sont apparues, face auxquelles nous risquons de ne pas avoir suffisamment d'antibiotiques efficaces. C'est là que pourra se poser un problème d'approvisionnement, et, avant, de prévision des besoins.

M. Philippe VANNIER : Le problème des œufs rejoint celui de la survie du virus dans les animaux morts. Je ne comprends pas l'information que, tout comme vous, j'ai apprise par la presse ce matin. À partir du moment où aucun foyer n'est recensé ni en Europe ni en France, cette recommandation ne repose à mon sens sur rien de logique.

M. le Rapporteur : Mais qui a lancé cette information ?

M. le Président : J'ai entendu que ce serait l'Autorité européenne de sécurité des aliments, l'AESA.

M. Philippe VANNIER : L'AESA a été créée dans la foulée des autres agences d'évaluation des risques. Le principe de la séparation entre analyse du risque et gestion du risque a été appliqué au niveau européen puisque, à côté de la DG « Sanco »101 de la Commission européenne, a été instituée une autorité européenne de sécurité des aliments dont le siège est à Parme. Elle peut être saisie par le Parlement européen, par les États et, surtout, par la Commission et notamment par sa DG « Sanco ». Elle a toute compétence en matière d'analyse et d'évaluation du risque dans les domaines de la sécurité des aliments et de santé animale. Je suis certain que l'AESA n'a émis aucun avis sur cette question. Je ne vois aucune explication rationnelle à cette recommandation sur la consommation des œufs en Europe, dans la mesure où on n'y a détecté aucun foyer de peste aviaire.

Sur la question de la survie du virus dans les animaux abattus, l'AESA émettra prochainement un avis. Il faut se souvenir que, sauf cas très particuliers, les animaux infectés n'entrent jamais dans la chaîne alimentaire en Europe. Il en va tout autrement en Asie ou dans les pays où, faute de protéines, les gens n'hésitent pas à consommer des animaux morts de grippe aviaire, ce que personne ne ferait ni en France ni en Europe. Sitôt un foyer détecté, les systèmes de contrôle et de gestion sanitaires empêchent les animaux d'entrer dans la chaîne alimentaire : ils sont détruits. À supposer que quelques animaux atteints ne soient pas détectés, ce qui est peu probable, la survie du virus dépend de plusieurs facteurs assez compliqués, en premier lieu de la cuisson et de certains traitements technologiques.

M. le Président : Réinsistons sur le fait que nous ne sommes absolument pas dans cette situation. Si une crise était avérée, d'autres mesures seraient prises pour éviter tout risque pour la santé humaine. Mais nous n'en sommes pas là du tout.

M. Philippe VANNIER : Vous avez raison de le rappeler.

S'agissant la vaccination, un avis de l'AFSSA sortira dans les jours à venir sur l'utilisation possible des vaccins pour le cas où une épizootie de peste aviaire surviendrait en France. Sans préjuger des conclusions des experts, plusieurs facteurs doivent être pris en considération, à commencer par les options de gestion et les impératifs économiques, qui relèvent du Gouvernement, mais également des producteurs. La question s'est posée pour la fièvre aphteuse : faut-il vacciner pour mieux maîtriser dans l'immédiat, auquel cas quid du risque de fermeture des marchés à long terme, alors qu'avec l'abattage, les marchés peuvent être rouverts à très brève échéance ? En revanche, si l'épizootie n'est pas maîtrisée, l'outil vaccinal peut être très intéressant. Mais il ne faut pas perdre de vue que, d'une part, la dérive du virus sur le plan génétique, et donc antigénique, n'est pas totalement connue, et, d'autre part, qu'une vaccination massive peut masquer une infection et, de ce fait, en affecter la maîtrise.

La question de la stabilité du virus H5N1 mérite également quelques précisions, que Mme Van der Werf voudra bien compléter. Depuis 2003, des porcs ont été infectés en Chine, mais sont restés des « culs-de-sac épidémiologiques », en ce sens que s'ils ont séroconverti, on n'a pas pour autant relevé de recombinaisons ni de transmissions importantes de porcs à porcs depuis deux ans. Par ailleurs, si plusieurs génotypes de virus H5N1 ont bien été identifiés dans divers pays d'Asie, il semblerait que cela ne soit pas lié à une dérive génétique du virus, mais davantage à une évolution variable selon les pays en partant d'un ancêtre commun, probablement à Hong Kong.

Mme Sylvie VAN DER WERF : La capacité des virus de type H5N1 à infecter l'homme, et qui dépend d'associations de gènes assez spécifiques, tient au fait qu'ils ont fait des allers et retours entre les volailles domestiques terrestres et les oiseaux sauvages, notamment aquatiques. Ces sauts d'espèces permanents ont abouti à la sélection d'un virus tout à fait particulier, virulent sur les volailles, mortel pour certaines espèces aquatiques, capable d'infecter une grande variété d'oiseaux, mais également bon nombre de mammifères, jusqu'à des léopards et des tigres. Certains zoos ont connu de véritables hécatombes.

M. Philippe VANNIER : L'utilisation de la vaccination dépend de différents facteurs. L'AFSSA rendra dans les jours qui viennent un avis, à la demande des ministères de l'agriculture et de la santé, car il faut savoir anticiper afin d'avoir les outils disponibles pour le cas où le problème arriverait. Cela suppose un cahier des charges bien arrêté vis-à-vis des industriels chargés de produire les vaccins - pour peu qu'il y ait lieu de les utiliser, ce qui n'est pas encore le cas.

Le risque lié à la faune sauvage a été anticipé depuis déjà plusieurs années par une surveillance à la fois active et passive. Sous l'égide de la DGAL102 du ministère de l'agriculture, un plan de surveillance a été mis en place avant même 2003, renforcé en 2004 et en 2005, auquel collaborent l'AFSSA, l'Institut Pasteur, l'Office national de la chasse et de la faune sauvage dont le rôle est très important, et le Muséum d'histoire naturelle qui compte des ornithologues très compétents. Les chasseurs eux-mêmes sont impliqués, dans le cadre du réseau SAGIR103 piloté par l'AFSSA, dans cette surveillance active de la faune afin de pouvoir détecter, le plus précocement possible, une éventuelle souche hautement pathogène - sachant que les souches faiblement pathogènes sont d'une banalité consternante depuis des années. Parallèlement, est assurée, à travers les fédérations départementales de chasseurs, une surveillance passive des mortalités anormales. Un maillage de réseaux a été organisé afin que tout un chacun n'aille pas ramener pour analyse un merle mort en Bretagne... Il faut savoir raison garder. Une panoplie d'outils parfaitement fonctionnels a été mise en place et renforcée, qui, à défaut de tout maîtriser, traduit en tout cas une réelle prise en compte du risque.

Sur les lieux d'hivernage en Afrique du Nord, je ne suis pas certain qu'il y ait quelque chose à faire. Il faut prendre en compte le retour des oiseaux migrateurs en 2006, qui auront été en contact avec des oiseaux des flux « Mer Caspienne - Est-Afrique », peuvent avoir échangé des souches hautement pathogènes et pourraient éventuellement en ramener. Le risque sera à cet égard peut-être plus élevé qu'il ne l'est dans l'immédiat - mais on peut se tromper.

L'organisation de nos filières avicole est très spécifique et du type plutôt « entreprises ». Le risque est beaucoup plus difficilement maîtrisable sur les petits élevages d'éleveurs amateurs ou même d'éleveurs fermiers qui n'ont pas nécessairement la même sensibilisation sanitaire que les structures plus organisées. Les responsables professionnels sont en tout cas particulièrement vigilants. Tout foyer de peste aviaire, même s'il ne causait pas un drame sur le plan de la santé animale - nous avons les moyens de le maîtriser -, créerait à coup sûr un risque catastrophique en termes de marché. Il faut donc agir immédiatement à la moindre suspicion. Des plans d'urgence prévoyant un dispositif d'indemnisation sont établis au niveau national : il faut les diffuser largement, ainsi que l'a recommandé l'AFSSA dans un de ses derniers avis. Tout cela est parfaitement organisé au niveau des structures de l'État. Plus que de l'organisation de la filière, c'est du parfait emboîtement, au niveau du pays, des structures professionnelles et des structures d'État que dépendra la rapidité de la réaction. Depuis plusieurs années, des systèmes d'abattage rapide des foyers d'épizootie ont été mis au point et validés, avec des procédés de gazage en camions permettant une euthanasie rapide des volailles.

M. Jean-Claude DESENCLOS : La question d'un renforcement des contrôles aux frontières a été soulevée. L'installation de caméras thermiques dans les aéroports permettrait certes de détecter les voyageurs ayant de la fièvre, mais seulement une très faible proportion des porteurs de virus de la grippe aviaire ou de grippes endémiques revenant de l'étranger : au mieux 20 % en fonction des périodes d'incubation. Autrement dit, ces outils très coûteux n'empêcheront pas les 80 % qui restent de développer la maladie une fois rentrés chez eux. Leur impact sera donc très limité. Ce ne sont pas eux, quoi qu'on ait dit, qui ont permis de gérer le SRAS, mais des mesures rigoureuses de détection et d'isolement des malades - avec, il est vrai, l'avantage d'une période d'incubation beaucoup plus longue.

Pour l'instant, le virus en Asie du Sud-Est ne s'est pratiquement jamais transmis de malade à malade. Le dépistage des patients a d'abord pour but de leur donner au plus tôt un traitement efficace, sachant que la mortalité est très élevée, puis de les placer dans des conditions propres à éviter toute transmission du malade au personnel soignant. Il peut également arriver que l'on trouve, parmi ces patients, un virus en train d'évoluer ; il est très important de le détecter au plus vite. Au-delà de toutes ses imperfections, nous avons un système qui fonctionne et qui met en relation, de façon efficace et quotidienne, les services médicaux, les centres 15, les DDASS, l'InVS, et assure l'interface avec les deux centres nationaux de référence chargés de caractériser les virus. L'opération qui prend le plus de temps reste le transport des prélèvements. D'où l'importance d'une capacité de diagnostic performant, décentralisée dans les principaux laboratoires hospitaliers de France. Un effort s'impose à ce niveau dans l'organisation de la détection et de la surveillance en France.

Rappelons enfin que contrairement à ce qui a pu être dit ce matin, le Conseil supérieur d'hygiène publique et la Direction générale de la santé ne recommandent pas dans le calendrier vaccinal la vaccination contre le pneumocoque pour les personnes âgées. La recommandation concerne les jeunes enfants avant deux ans pour le vaccin conjugué heptavalent, dans le but d'éviter les formes graves, invasives ou méningées et certains groupes à risques très ciblés pour le vaccin polyoside 23 valence.

Mme Geneviève GAILLARD : J'aurais aimé que l'on réponde à ma question, assez fondamentale.

M. le Président : Nous n'en sommes pas encore aux questions thérapeutiques, encore que les réponses soient relativement connues : la FAO a proposé d'intervenir...

Mme Geneviève GAILLARD : Comment ? Avec quels moyens ?

M. le Président : Les estimations vont de 200 millions à un milliard de dollars. La question qu'il faudra nous poser ne se limite pas seulement à l'aspect de solidarité, aussi légitime soit-il ; elle touche également à la capacité d'action dans les États qui ne veulent pas de la transparence politique. Et cette question-là n'est pas encore posée.

Mme Geneviève GAILLARD : C'est bien pour cela que je la pose.

M. le Président : Dans certains des États cités tout à l'heure, le problème ne se pose pas seulement en termes de moyens financiers ou techniques, mais également en termes politiques.

Mme Catherine GENISSON : Et de devoir d'ingérence.

Mme Geneviève GAILLARD : C'était inclus dans ma question.

M. le Président : J'entends bien. Mais elle est tellement structurante que nous ne saurions y répondre aujourd'hui.

Il me reste à remercier nos invités. Nous n'avons aucunement l'ambition d'avoir clos le sujet ; nous n'avons fait que l'introduire. Nous allons maintenant continuer à travailler et approfondir les points dont cette table ronde a révélé l'importance.

Audition du professeur Didier HOUSSIN, Directeur général de la santé au ministère de la santé et des solidarités, Délégué interministériel à la lutte contre la grippe aviaire

(Compte rendu de la réunion du mercredi 2 novembre 2006)

Présidence de M. Jean-Marie LE GUEN, Président

M. le Président : Monsieur le professeur, nous vous remercions d'avoir répondu à notre invitation. Nommé directeur général de la santé le 30 mars dernier, puis délégué interministériel à la lutte contre la grippe aviaire le 30 août, vous êtes chargé de l'actualisation du plan de lutte contre une pandémie grippale, qui devrait entrer prochainement dans les faits.

Nous ne vous interrogerons pas aujourd'hui sur la problématique générale du plan, puisque le ministre et vous-même viendrez nous l'exposer dans sa version actualisée d'ici à quelques semaines. Je voudrais vous interroger sur l'actualité en vous demandant ce qui, selon vous, va ou ne va pas dans la gestion de la crise ? Certains trouvent que l'on en fait trop, au risque de créer une psychose, d'autres s'inquiètent. Je souhaiterais que vous évoquiez aussi la problématique du stockage des matériels, lequel dépend bien évidemment de l'utilisation que l'on compte en faire. Pourriez-vous, enfin, préciser votre rôle de délégué interministériel ? Votre responsabilité s'étend-elle, au-delà de la santé humaine, à l'épizootie de grippe aviaire proprement dite ? Quelle autorité vous donne votre position de délégué interministériel par rapport aux autres ministères, dans la préparation comme dans l'application du plan de lutte contre la pandémie ?

M. Didier HOUSSIN : J'organiserai mon exposé autour de trois aspects, en commençant par préciser mon rôle, puis en évoquant l'actualité dans ses dimensions les plus générales, avant d'en venir au problème plus précis du stockage.

Le rôle du délégué interministériel à la lutte contre la grippe aviaire (DILGA) est très précisément défini dans le décret n° 2005-1057 du 30 août 2005 qui désigne un délégué interministériel à la lutte contre la grippe aviaire, placé auprès du Premier ministre et qui peut s'appuyer sur toute une série de ministères, dont celui auquel j'appartiens en tant que directeur général de la santé (DGS). J'ai d'abord un rôle de coordination interministérielle : ma tâche consiste à réunir des membres de différents ministères qui ont travaillé, travaillent ou travailleront sur la grippe aviaire et qui n'auraient peut-être pas pu facilement se rassembler, faute de chef de file bien défini. Ces personnes se retrouvent au cours d'une réunion hebdomadaire que j'ai baptisée « mardi-grippe », consacrée à un sujet donné : doctrine d'emploi des produits, DOM-TOM, coordination des groupes de travail « intérieur » et « santé », collectivités territoriales, coopération civile et militaire, entreprises, etc. Je tiens évidemment les comptes rendus de ces réunions à votre disposition.

M. le Président : J'imagine que tout cela reste relativement confidentiel...

M. Didier HOUSSIN : Cette activité de coordination interministérielle s'exerce également dans le cadre de la communication : j'anime un groupe qui, tous les mardis aussi, rassemble les responsables « communication » des différents ministères pour mettre en place un plan de formation, d'information et de sensibilisation le plus cohérent possible.

J'ai aussi une mission de suivi des mesures décidées par les ministres dans le domaine tant de la santé que de l'agriculture. Mon rôle est de m'assurer de leur mise en œuvre et de leur bon état d'avancement. Si tel n'est pas le cas, il me revient évidemment d'alerter le Premier ministre.

J'ai également un rôle d'évaluation en continu de la pertinence des mesures décidées. Il est indispensable de veiller en permanence à la bonne actualisation des scénarios et de rester au courant des évolutions des savoirs et des techniques, pour pouvoir corriger immédiatement le tir si besoin est.

J'ai enfin une mission de cohérence générale au niveau international ou européen, où je me dois d'essayer de faire en sorte que les actions de la France soient en cohérence avec les initiatives prises dans les différentes instances et inversement. Il serait par exemple dramatique qu'un plan européen soit préparé en total décalage avec le plan français ou avec le plan OMS. Je me dois également de faire en sorte que les dispositions arrêtées en France soient en harmonie avec les mesures de lutte contre les épizooties prises au plan international. Sur le plan interne, s'agissant par exemple de la doctrine d'emploi des produits disponibles, je m'efforce d'éviter tout décalage entre les diverses catégories professionnelles concernées - professionnels de santé, pompiers, etc. - et je m'assure de la bonne déclinaison de ce qui est décidé au niveau des grandes entreprises, des collectivités territoriales et des associations.

À ce titre, ma présence peut être nécessaire aux côtés des ministres : le ministre de la santé, mais également le ministre de l'agriculture - j'étais avec lui ce matin même pour recevoir des associations de consommateurs - ou le Premier ministre. Je suis en quelque sorte le garant d'une certaine unité d'action, mais si j'ai un pouvoir de suggestion ou d'incitation, je n'ai aucun pouvoir de décision ni d'autorité.

Sur le plan pratique, toutes ces missions représentent une charge de travail importante que je dois mener parallèlement à mes fonctions de directeur général de la santé.

Venons-en à l'actualité, en commençant par un bref historique des événements. On sait depuis longtemps - je l'ai moi-même toujours entendu, y compris comme étudiant - que la pandémie grippale est une des menaces sanitaires identifiables les plus importantes qui pèsent sur l'espèce humaine. Dès la fin des années 1990, la préoccupation « influenza aviaire - passage à l'homme - risque de pandémie grippale» est redevenue d'actualité à l'occasion d'une épizootie survenue en Asie, et a repris consistance à mesure que l'épizootie s'étendait et qu'apparaissaient les premiers cas humains. Mais le point de départ, à mes yeux, reste l'appel de l'OMS enjoignant les pays à se préparer.

La France a réagi rapidement dès le début 2004 et s'est engagée, sous l'égide du SGDN104, dans l'élaboration d'un plan d'ensemble, dont on peut peut-être regretter qu'il ait été classifié « défense ». Ce plan gouvernemental, qui distingue une phase pré-pandémique et une phase pandémique, a été mis en avril 2005 sur le site du ministère de la santé. Il prévoit toute une série de mesures que je ne détaillerai pas ici.

Fin juin, un exercice a été organisé sous l'égide du SGDN, qui a permis de prendre conscience de la réalité du danger, mais également de détecter les points à améliorer dans le dispositif. Sont notamment apparues la nécessité d'une meilleure prise en compte des Français à l'étranger, et celle de construire un véritable volet « communication-formation-information », la classification « défense », par définition peu propice à la communication, ayant pu, à cet égard, constituer un certain handicap, car nous aurions pu communiquer tout au long de l'élaboration du plan. Un autre point a été souligné, la nécessité d'accentuer la coopération internationale. Un renforcement de la cohérence de l'action de l'État est enfin apparu indispensable : je suppose que ce point fait partie des motivations qui ont conduit à la désignation d'un délégué interministériel.

Parallèlement a été engagé un processus d'acquisition de moyens de protection - j'y reviendrai à propos du stockage.

Les événements récents ont été essentiellement marqués par l'actualisation du scénario dominant, selon lequel le risque tiendrait avant tout à l'arrivée en France d'une personne contaminée alors que vient de se déclencher une transmission interhumaine dans un pays d'Asie. Ce scénario reste à mon avis le numéro 1. L'actualisation du scénario a surtout découlé de l'observation d'un élargissement, en juillet-août, de la zone d'épizootie vers le Sud - l'Indonésie - et le Nord-Ouest - Chine, Mongolie, Sibérie, Kazakhstan, etc. Cette évolution a montré le caractère non maîtrisé des foyers d'épizootie, déjà très nombreux en Thaïlande et au Vietnam, et a conduit à s'interroger sur le mode de propagation. Deux hypothèses prédominaient fin août : celle du rôle d'éventuels oiseaux migrateurs, encore peu solide bien que l'on ait retrouvé des oiseaux sauvages malades, et celle liée aux transferts d'animaux dans le cadre d'opérations commerciales plus ou moins organisées, particulièrement le long du Transsibérien.

À la suite de cet élargissement de la zone d'épizootie et à mesure que les Européens percevaient un rapprochement du phénomène, la situation est devenue plus complexe à gérer. Si la situation en termes de santé humaine est restée assez stable, avec quelques cas humains seulement dans les pays les plus touchés, la zone d'épizootie n'a cessé de s'élargir et, surtout, de nouveaux foyers sont apparus en Turquie, en Roumanie et en Croatie, qui ont donné beaucoup plus de poids à l'hypothèse d'un rôle des oiseaux migrateurs dans la propagation. La planète a, du reste, découvert la réalité de ces voies de migration, jusqu'alors seulement connues de quelques ornithologues et spécialistes du Museum d'histoire naturelle... Je suis pour ma part convaincu du rôle de ces oiseaux dans l'apparition des foyers détectés en Turquie et en Roumanie ; cette hypothèse serait encore renforcée si, par malheur, de nouveaux foyers apparaissaient en Afrique ou au Moyen-Orient. Les spécialistes s'accordent sur le fait que les oiseaux ne sont pas comme les nuages atomiques : ils franchissent les frontières... La possibilité ne peut donc être exclue de voir des oiseaux éventuellement porteurs du virus arriver jusqu'en Europe de l'Ouest, dans les zones humides de rassemblement de migrateurs.

Dans un tel contexte, les questions de communication deviennent délicates à gérer, car plusieurs niveaux de préoccupations s'entrecroisent légitimement, à tel point qu'il devient difficile de présenter la situation de manière globale.

Nous avons d'abord une préoccupation de santé humaine, qui porte sur une menace sanitaire considérable à terme - sans que nous puissions dire si le terme sera court, moyen ou long -, et à laquelle il est de la responsabilité des gouvernements de se préparer ; ce premier niveau de préoccupation, même s'il ne revêt pas une priorité immédiate pour les habitants de France, amène nécessairement à parler du sujet, ne serait-ce que parce qu'il faut débloquer des financements importants et que l'on ne peut le faire sans l'accord des représentants de la Nation.

Dans le même temps, nous avons à faire à un problème de santé animale d'ores et déjà très préoccupant dans la mesure où, dans de nombreux pays, l'épizootie n'est pas maîtrisée et n'est d'ailleurs peut-être même plus maîtrisable. La mobilisation internationale à laquelle appellent la FAO, l'OIE et l'OMS impose bien évidemment d'en parler. Il reste que ce phénomène demeure extra-français, même si l'amalgame est vite fait entre la santé des animaux en Asie du Sud-Est et la santé des animaux en France. Je suis moins préoccupé par la survenue éventuelle d'un foyer d'épizootie en France, que nous devrions être en mesure de détecter et d'éradiquer rapidement, que par la capacité de l'homme à se débarrasser de foyers infectés en Asie, et plus encore, le cas échéant, en Afrique. Ce deuxième niveau de préoccupation « santé animale », évidemment connecté à la problématique « santé humaine », apparaît donc très international dans sa dimension ; s'il mérite, sur le plan national, que l'on prenne des mesures, il ne saurait susciter une inquiétude exagérée.

Vient enfin un troisième niveau de préoccupation très immédiat et qui intéresse chacun d'entre nous : la sécurité alimentaire. La population se préoccupe légitimement de savoir si ce qu'elle mange est convenable, ce qui l'amène à entrer dans des considérations où le rationnel n'a pas toujours sa place. Très rapidement, les Français se sont interrogés sur la sécurité de la consommation des volailles et des œufs et il est difficile dans pareilles circonstances de leur tenir un discours parfaitement convaincant. Un discours scientifique aura toujours tendance à dire qu'il n'y a pas de risques, mais qu'il vaut mieux prendre telle ou telle précaution, ce qui, dans un contexte d'inquiétude générale sur le plan de la santé humaine comme de la santé animale, a tendance à aggraver les doutes et donc à influer sur la consommation de volailles. Certains signes permettent d'espérer que ce phénomène restera transitoire, mais la situation demeure très fragile : si, d'aventure, un nouveau foyer d'épizootie est découvert un peu plus près de chez nous et a fortiori en France, il sera difficile de maîtriser la peur, qui se répercutera sur la consommation. Le ministre de l'agriculture a rencontré à ce propos les associations de consommateurs ce matin même.

La communication apparaît donc bien comme le sujet aujourd'hui le plus difficile, du fait de la grande perméabilité entre les thématiques comme entre les zones géographiques concernées. Ajoutons que, bien souvent, la presse est au courant avant les pouvoirs publics de ce qui se passe à l'étranger, en Turquie ou ailleurs.

J'en viens au troisième sujet : le stockage. S'agissant du stockage des produits, sont stockés, pour ce qui concerne la grippe aviaire, premièrement, des médicaments pour soigner des malades, que la France a achetés en grandes quantités et qu'elle achètera en plus grandes quantités encore. Il s'agit en l'occurrence d'une antineuraminidase, sous la forme de l'oseltamivir, qui a prouvé son efficacité, en gélules et en vrac. Le but est d'avoir stocké à la fin de l'année, dans une première étape, près de 14 millions de traitements.

M. le Président : Ce qui veut dire 140 millions de gélules.

M. Didier HOUSSIN : En effet. Un traitement correspond en gros à dix gélules, à raison de deux gélules par jour pendant cinq jours. Nous aurons à notre disposition à la fin de l'année environ 14 millions de traitements d'oseltamivir, le Tamiflu, que l'industriel nous livre pour moitié sous forme de gélules, pour moitié sous forme de poudre conditionnée en bidons.

Par ailleurs, nous avons commandé 200 000 traitements d'une autre antineuraminidase, le Relenza, dont l'efficacité est voisine, mais qui présente l'inconvénient d'avoir un mode d'administration loco-régional - c'est un spray - et un conditionnement en petites boîtes, peu propice au stockage.

Il est prévu d'accroître les quantités stockées de façon à pouvoir traiter tous les malades, y compris dans l'estimation la plus forte du nombre de malades en cas de pandémie. Les antineuraminidases seront distribués gratuitement aux personnes malades, c'est-à-dire à ceux qui présenteront les symptômes de la grippe. Nous évoquerons plus tard les dispositifs d'acheminement et de distribution, qui relèvent d'une autre problématique.

M. le Président : C'est un point majeur, mais nous y reviendrons lorsque nous examinerons le plan de pandémie. Restons-en pour l'instant au stockage.

M. Didier HOUSSIN : Ces produits sont actuellement stockés dans des sites de l'armée.

Deuxième produit stocké, les masques de protection individuelle dits FFP2 - ce sigle correspond à une norme de filtration de particules solides et liquides. Nous en avons acquis d'ores et déjà environ 50 millions, à travers un marché UGAP105, livrés ou en cours de livraison, et stockés dans les grands hôpitaux. Une deuxième livraison de 68 millions de masques est prévue, pour lesquels la question du stockage n'est pas encore résolue. Des contacts ont été pris par le haut fonctionnaire de défense, M. Gérard Dumont, avec les ministères de l'Intérieur et de la Défense, pour trouver des sites de stockage. Enfin, une troisième commande en cours, via l'UGAP, de 80 millions de masques permettra d'atteindre l'objectif prévu : plus de 200 millions de masques FFP2 stockés d'ici la mi-2006. Ces masques sont pour l'instant achetés auprès de vendeurs asiatiques en attendant qu'un outil de production français se mette en place.

M. le Président : Précisons que l'on utilise quatre masques par jour : autrement dit, ces 200 millions de masques correspondent à 50 millions de jours-masques.

M. Didier HOUSSIN : En effet. Ce contingent, acheté par le ministère de la santé, sera prioritairement destiné aux professionnels de santé. Mais il est bien prévu - d'où la mise en place d'une capacité de production nationale courant 2006 - que d'autres professionnels en contact étroit et fréquent avec le public puissent progressivement s'en doter.

M. le Président : J'ai entendu dire qu'on allait installer des usines de production de masques.

M. Didier HOUSSIN : Je le confirme. Pour cela, les industriels doivent se doter de machines particulières capables de travailler le non-tissé. Plusieurs fabricants, comme Maco Pharma ou Bacou-Dalloz, se sont manifestés. Tous ne seront pas opérationnels au tout début 2006...

M. Marc LE FUR : Certains le sont déjà. J'ai, dans ma circonscription, une usine qui travaille en trois huit, sept jours sur sept.

M. Didier HOUSSIN : En effet, mais les quantités produites sont encore loin d'être à la hauteur des besoins.

M. le Rapporteur : Quel est le coût unitaire d'un masque ?

M. Didier HOUSSIN : Le prix arrêté dans les accords passés avec les industriels est de l'ordre de 35 centimes d'euro le masque.

M. Claude LETEURTRE : Quelle est la durée de vie d'un masque ?

M. le Président : Trois heures.

M. Didier HOUSSIN : On admet qu'un masque perd ses qualités de filtration en quelques heures. La question de l'efficacité est assez délicate. Ces masques ont une réelle efficacité dans la filtration des gouttelettes liquidiennes ; mais le virus peut se trouver ailleurs. Si vous vous léchez les doigts juste après avoir serré la main d'un malade, le masque ne vous servira à rien... Il y a des mesures et des comportements d'hygiène à adopter. Nous devrons, dans les mois à venir, nous faire une idée plus précise de l'efficacité de ces masques. Un travail en cours de publication a d'ores et déjà montré que le port de masques à Hong-Kong durant l'épidémie de SRAS a entraîné une diminution significative du nombre d'affections respiratoires. Mais nos données sont encore insuffisantes.

M. Pierre HELLIER : S'agissait-il de ce type de masques ?

M. Didier HOUSSIN : Il s'agissait de masques plus rudimentaires. J'aurais tendance à penser que les FFP2 conféreront un niveau de protection nettement plus important qu'un simple masque en tissu.

M. Pierre HELLIER : Mais ils sont plus difficiles à supporter...

M. Didier HOUSSIN : C'est l'envers de la médaille. On s'y fait...

M. le Président : On peut évidemment choisir de mourir...

M. Didier HOUSSIN : La question du stockage des futurs lots de masques achetés par les administrations, l'intérieur, la défense, etc., n'est pas encore résolue. Mais peut-être sera-t-elle plus facilement réglée par les ministères de l'intérieur et de la défense que par le ministère de la santé.

M. le Président : Ce n'est pas vous qui centralisez les achats pour les différents ministères ?

M. Didier HOUSSIN : La délégation interministérielle n'est pas le lieu de rassemblement de toutes les commandes. Le dossier « masques » a été confié au haut fonctionnaire de défense du ministère de la santé. Une réunion est d'ailleurs prévue cette semaine pour faire un point sur la commande de masques par les pouvoirs publics, et surtout pour faire en sorte qu'ils soient payés au juste prix. D'autres structures, les grandes entreprises notamment, seront vraisemblablement amenées à en acheter et nous n'avons aucune maîtrise sur la façon dont ces accords seront conclus avec les industriels.

M. le Président : L'installation d'usines résulte-t-elle d'un simple accord verbal avec l'industriel ou a-t-elle fait l'objet d'un contrat en bonne et due forme, avec éventuellement un pré-achat ou une subvention à l'achat de matériels ?

M. le Rapporteur : Y a-t-il un cahier des charges spécifiant comment les masques doivent être fabriqués ?

M. Didier HOUSSIN : Le masque FFP2 répond à des normes précises spécifiées dans le cahier des charges que le fabricant est tenu de respecter. Pour ce qui est des accords avec les industriels, un protocole d'accord définit les conditions dans lesquelles l'État et les industriels peuvent être amenés à s'entendre.

M. le Président : Nous recevrons dans quinze jours le responsable de cette question, M. Dumont, le haut fonctionnaire de défense.

M. Marc LE FUR : L'usine Bacou-Dalloz, située dans ma circonscription, a déjà produit 45 millions de masques. Mais cette unité, la principale en France et en Europe, est arrivée à saturation de sa capacité de production. Or, la création de nouvelles lignes de production pose non seulement un problème de délai de fabrication, mais également un problème économique à plus long terme dans la mesure où d'autres entreprises mettront, elles aussi, de nouvelles lignes de production en service. L'enjeu, pour les industriels, est de définir un modèle de production valable pour plusieurs mois. Le problème, avant celui du stockage, est bien celui de la garantie d'une production a minima sur notre territoire.

M. le Président : Nous le retrouverons sur tous les sujets : nous passons visiblement d'une économie de marché à une économie d'arsenal.

M. Didier HOUSSIN : En effet.

À côté des masques FFP2, il y a les masques dits antiprojections ou masques chirurgicaux, destinés à éviter que le malade ne projette des particules contaminantes. Ces masques, relativement plus simples à fabriquer, sont également plus disponibles. Des quantités importantes seront achetées : il est prévu d'acquérir, dans un premier temps, 250 millions de masques chirurgicaux à faire porter, à raison d'un masque toutes les quatre ou cinq heures, aux malades en contact avec leur entourage familial. La question du stockage n'a pas encore été abordée, dans la mesure où nous n'en sommes pas encore au stade de la livraison.

Troisième type de produit, les vaccins. Il y a déjà plusieurs mois, la France a lancé un appel d'offres européen et passé marché avec Chiron et Sanofi-Pasteur pour un total de 2,5 millions de doses de vaccins H5N1, c'est-à-dire contre le virus actuellement en circulation.

M. le Président : 2,5 millions de doses ou de traitements ?

M. Didier HOUSSIN : De doses, avec évidemment une incertitude sur le nombre de doses qui seront nécessaires pour un traitement.

M. le Président : Dans la mesure où nous sommes « vierges » face au virus, nous risquons d'avoir besoin de deux vaccinations successives pour acquérir une immunité satisfaisante. Mais certains fabricants soutiennent qu'en mettant un adjuvant et une dose plus forte, une seule injection pourrait suffire. À la différence du Tamiflu, où il vaut mieux parler en doses et non en traitements, il est préférable, s'agissant des vaccins, de parler en traitements plutôt qu'en doses.

M. Didier HOUSSIN : La stratégie d'utilisation de ce vaccin n'est pas encore définie avec une grande précision. Ce marché était avant tout destiné à mobiliser l'industrie et à l'amener à démontrer sa capacité à produire rapidement un vaccin d'un type nouveau, puisque dirigé contre un virus très différent de celui qui circule actuellement dans l'espèce humaine. On peut toutefois prévoir d'ores et déjà des utilisations possibles : on pourrait ainsi s'en servir en cas d'épizootie aviaire pour conférer une protection à certains professionnels exposés - la question reste ouverte. Enfin, dans l'hypothèse où apparaîtrait un virus pandémique génétiquement peu différent de l'actuel H5N1, peut-être serait-il possible d'utiliser ces premiers vaccins afin de protéger les populations prioritaires avant même qu'un vaccin spécifique du virus pandémique soit mis au point. Mais pour l'heure, si la livraison du vaccin aura bien lieu début 2006, les conditions de son utilisation ne sont pas encore réglées, compte tenu des incertitudes scientifiques qui demeurent.

Un deuxième vaccin a été commandé, dans les conditions particulières dites de sleeping contract - les fabricants ne livreront le vaccin que le jour où, le virus ayant été isolé, le vaccin pourra être produit -, à Chiron pour 12 millions de vaccins et Sanofi-Pasteur pour 28 millions de vaccins, qui ne seront évidemment disponibles et payés que le jour où ils pourront commencer à être produits. Ce type de contrat n'est pas sans susciter une certaine hésitation chez les industriels - vous avez vu récemment leur réaction face au gouvernement britannique - qui hésitent à investir pour un vaccin dont rien ne dit que l'on pourra l'utiliser dans les années à venir. Cette question n'est évidemment pas tranchée, mais elle est très importante et se pose à l'échelle internationale.

Sont enfin concernés des produits tels que les aiguilles et les seringues, les antibiotiques, les vaccins antipneumocoques, les respirateurs ou encore les caméras thermiques, mais ceux-ci ne posent pas les mêmes problèmes de stockage.

M. le Rapporteur : Notre système de veille actuel nous garantit-il l'alerte la plus précoce ? L'outil administratif dont vous disposez est-il suffisant en termes de moyens financiers et humains ? La coordination entre les systèmes vétérinaires et sanitaires d'alerte est-elle satisfaisante ? Comment une collectivité locale sera-t-elle informée de l'alerte ? Les maires et les présidents de conseils généraux ne devraient-il pas être parmi les premiers à être informés ? Qui gérera la communication en cas de crise, en direction tant des collectivités locales que de l'éducation nationale, des hôpitaux et des médecins ?

M. le Président : Cette dernière question touche davantage au plan de pandémie qui nous sera présenté en temps utile par le ministre de la santé.

M. le Rapporteur : Il reste que, en tant que maire, j'ai reçu voilà trois jours une lettre du préfet m'enjoignant d'interdire la vente de volailles vivantes sur mon marché... Il m'a fallu saisir la régie des marchés, vérifier sur place et apaiser les craintes.

M. le Président : Si la sphère médico-administrative et médico-scientifique communique à peu près correctement, je crois percevoir de gros dysfonctionnements de communication dans le domaine de la santé animale. Au niveau européen, force est d'admettre le dysfonctionnement du système, avec l'alerte sur la consommation d'œufs crus... Mais au niveau français également, l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) semble avoir du mal à prendre certaines décisions ; le ministre est même revenu sur certaines de ses recommandations en matière de confinement d'animaux. Non seulement ces dysfonctionnements posent problème pour l'agriculture et l'alimentation, mais ils augurent mal du reste. N'envisagez-vous pas de reprendre en main la problématique de la communication sur la santé animale, sachant que nous n'avons connu jusqu'à présent aucun dérapage, hormis une petite difficulté à La Réunion, pour ce qui concerne la santé humaine ?

M. Didier HOUSSIN : Si un foyer d'épizootie ou a fortiori des cas humains survenaient en France, nous serions rapidement alertés. La difficulté portera avant tout sur la gestion des cas suspects et finalement négatifs, mais qui n'en marqueront pas moins les esprits. Le risque de passer à côté d'un cas avéré n'est évidemment pas totalement nul mais, en France comme en Europe, les esprits sont en alerte et nous ne manquons pas de capacités de repérage, tant du côté de la santé animale que de celui de la santé humaine.

Beaucoup plus délicate est la situation dans les pays où, à l'évidence, les conditions sanitaires humaines et animales sont plus difficilement gérables compte tenu notamment des conditions de développement : la découverte, avec un grand retard, d'un important foyer d'épizootie aviaire, jusque-là passé inaperçu, dans un pays africain, ne surprendrait qu'à moitié ; il pourrait en être de même au Moyen-Orient ou en Asie. Si certains pays asiatiques, désormais échaudés, se sont employés à mieux organiser leur système d'alerte, des interrogations demeurent pour ce qui est de la Chine ou de l'Indonésie, qu'il s'agisse de la propension des éleveurs à signaler un cas suspect aux autorités compétentes ou de la compétence desdites autorités... Le renforcement des capacités de surveillance et de détection précoce des cas animaux comme des cas humains est à l'évidence un des principaux enjeux auxquels sont confrontées les grandes organisations internationales.

L'outil administratif, à commencer par celui de la délégation, est-il suffisant ? Aussitôt nommé, j'ai demandé au Premier ministre de pouvoir disposer d'une petite équipe, plus appropriée qu'une troupe imposante. J'ai très rapidement obtenu la mise à disposition d'un administrateur civil du ministère de l'intérieur et d'un représentant du ministère des affaires étrangères, qui sera très prochainement remplacé par un ambassadeur. Une vétérinaire avait également aussitôt été mise à ma disposition par le ministère de l'agriculture ; elle a depuis pris d'autres fonctions et son remplaçant vient d'être recruté. Enfin, le ministère de la santé a mis à ma disposition un IGAS106 qui est mon adjoint. Au total, l'équipe de la DILGA se compose de cinq personnes, plus une secrétaire en cours de recrutement.

Je m'interroge toutefois sur la nécessité de la renforcer dans deux domaines. Il nous faudra d'abord établir un contact plus ferme et plus net avec la Défense ; je suis actuellement en pourparlers pour obtenir un appui de ce côté. Un contact avec le ministère du travail nous serait également très utile pour toutes les questions liées à la sécurité au travail, aux réquisitions, retraits, relations avec les syndicats, etc. Nous en avons récemment évoqué la possibilité avec le directeur de cabinet du ministre. Mais je préfère en rester à une petite équipe, quitte à l'étayer ou, à l'inverse, la réduire au vu des besoins.

S'agissant de la coordination entre santé animale et santé humaine, les relations, très étroites, avec le ministère de l'agriculture ne me semblent pas faire de difficultés. Pour ce qui est de la communication, en revanche, la situation est plus délicate du fait de la confusion qui est faite entre les différentes données du problème - sécurité et hygiène alimentaire, santé animale ou santé humaine - et des télescopages entre les problématiques d'actualité, de court terme et de long terme. Et cela tient non pas à d'éventuelles difficultés d'articulation avec le ministère de l'agriculture, mais bien au sujet lui-même. Le Premier ministre m'a demandé de communiquer autant que possible ; je le fais autant que je peux, en articulation étroite avec les ministres de la santé et de l'agriculture, sous forme non pas d'annonces, mais plutôt d'une communication explicative, « à plat ». J'ai à cet égard demandé au service d'information du Gouvernement de m'aider. Il le fait.

Au moment où j'ai été désigné, la mise à jour du plan de lutte contre une pandémie était déjà enclenchée, à la suite de l'exercice du 30 juin. J'ai souhaité que le SGDN continue son travail de préparation de la révision du plan ; je ne me sentais pas en mesure de prendre le relais alors qu'il s'était jusque-là très bien acquitté de cette tâche. La première partie de la mise à jour est terminée, nous en sommes aux annexes ; le plan réactualisé devrait être rendu public d'ici à une semaine, sinon quinze jours. L'essentiel du travail a été réalisé, et fort bien, par le SGDN et les ministères concernés. Je ne suis intervenu qu'en appui.

Vous avez évoqué le problème des collectivités locales. J'en viens à la question de la problématique de la déclinaison de ce plan dans les territoires. Sitôt qu'il sera rendu public, une circulaire du ministère de l'intérieur sera envoyée aux préfets et une autre aux maires. Les préfets notamment sont demandeurs ; il n'est pas surprenant qu'ils aient commencé à se manifester. Les étapes d'acquisition des produits et de programmation stratégique feront donc place à une étape d'affinement des organisations, d'exercices et d'entraînements. Une réunion « mardi-grippe » sera très prochainement consacrée aux collectivités territoriales, avec l'association des maires de France, l'association des départements et l'association des régions afin d'aborder un sujet jusque-là laissé de côté - non sans raison : il fallait d'abord déterminer ce qu'il y avait à distribuer, donc prendre les choses dans l'ordre.

M. le Président : Pourquoi le ministre a-t-il, peut-être fort légitimement, pris une position différente de celle des experts de l'AFSSA ? Le gouvernement français a-t-il réagi vis-à-vis de la Commission de Bruxelles et de l'AESA107 en les appelant à une communication un peu plus rationnelle ?

M. Didier HOUSSIN : La communication de l'AESA, jugée maladroite, a eu pour effet, telle qu'elle a été rapportée par les médias en tout cas, de compliquer une situation déjà complexe. Cette difficulté aurait pu être évitée, mais cela dépassait notre capacité d'action. La question de la position française en matière de protection des élevages vis-à-vis des oiseaux migrateurs devra être posée au ministre de l'agriculture. Mais mon avis personnel est que, compte tenu de l'inquiétude de la population française, et conscient qu'il ne parviendrait pas à renverser l'orientation prise au niveau européen, le gouvernement français a préféré s'associer à l'orientation défendue par ses partenaires, favorables au confinement des élevages, plutôt que de prendre le risque de se retrouver en porte-à-faux ; il a cherché à préserver une cohérence à l'échelon européen.

M. le Président. : Mais le Gouvernement français est-il intervenu auprès de l'AESA pour lui demander de faire attention ? Une protestation, pour le moins, s'imposait...

M. Didier HOUSSIN : Je vérifierai. Si cela n'a pas été fait, cela pourrait ou devrait l'être...

M. le Président : Le problème était que cette communication n'était scientifiquement pas fondée et extraordinairement maladroite. Elle a jeté un trouble profond dans le monde de la santé animale.

M. Didier HOUSSIN : Le problème ne me semble pas tellement se poser au niveau de la santé animale. Si les chasseurs se sont insurgés contre l'interdiction d'utiliser des « appelants », le monde agricole, principalement concerné, s'est comporté de façon très positive. Plus problématiques ont été les réactions des consommateurs et l'inquiétude sur le plan de la sécurité alimentaire. C'est là que la communication de l'AESA a été maladroite, ou mal traduite, ou mal comprise. Associer à un discours sur le risque alimentaire lié à la grippe aviaire, pour l'instant totalement nul en Europe, des considérations générales d'hygiène alimentaire autour de la cuisson du poulet ou la crudité des œufs - tout un chacun sait qu'il vaut mieux manger le poulet cuit que cru en raison des salmonelles, et éviter de laisser traîner trop longtemps à température ambiante une mayonnaise ou une mousse au chocolat - a été maladroit.

M. le Rapporteur : Cela a été plus que maladroit : catastrophique !

M. le Président : Reconnaissons, en sens inverse, que l'argument selon lequel la consommation d'un poulet atteint de grippe aviaire est sans conséquence, le virus ne franchissant pas la barrière intestinale, est assez difficile à comprendre pour nos concitoyens...

M. Didier HOUSSIN : Je suis d'accord.

M. Claude LETEURTRE : Les mesures de confinement ont-elles été décidées pour des raisons de communication au plan européen, autrement dit pour rassurer, ou pour des motifs scientifiques ? L'impact économique n'est pas neutre...

M. Pierre HELLIER : Cette affaire de confinement est particulièrement désolante pour les poulets de Bresse : on a commencé par ordonner aux éleveurs de les enfermer avant de les autoriser à les ressortir entre quatorze et dix-sept heures !

M. Claude LETEURTRE : Les éleveurs de canards assurent qu'ils ne pourront pas faire de foie gras s'ils confinent leurs animaux.

M. Pierre HELLIER : Le problème est qu'ils peuvent être contaminés par des oiseaux migrateurs...

M. Claude LETEURTRE : Ceux qui sont infectés en Europe de l'Est descendent en Afrique, pas en France.

M. le Président : Rien n'est moins sûr.

M. Didier HOUSSIN : La décision du Gouvernement sur le confinement a été prise dans un souci de cohérence européenne, mais pas seulement : l'avis de l'AFSSA faisait état d'un risque négligeable, mais non d'un risque nul. Par exemple, on sait que certains oiseaux comme la grive litorne ou le vanneau ont la capacité de migrer d'Est en Ouest vers les zones humides d'Irlande, de Grande-Bretagne et de France. Dès lors que l'on admettait l'hypothèse de migrateurs porteurs et vecteurs de propagation du virus, l'idée d'un contact possible entre un oiseau migrateur malade et une volaille française n'avait rien de déraisonnable. D'autres pays européens ayant suivi ce raisonnement et annoncé qu'ils prendraient des mesures, la France, pressentant qu'elle ne pourrait renverser cette tendance, a préféré s'y associer, mais d'une manière assez minorante : bon nombre de nos élevages sont restés à l'air libre.

M. Marc LE FUR : Il reste que les mesures ainsi prises rassurent peut-être, mais en même temps inquiètent, d'autant que se conjuguent, vous-même l'avez souligné, une exigence immédiate face au risque d'épizootie et la crainte plus lointaine d'une pandémie. À cet égard, l'exercice de simulation prévu demain en Bretagne, et qui a été décidé en mai-juin, autrement dit avant cet emballement médiatique, ne devient-il pas depuis très compliqué à gérer ? Comment faire en sorte que les populations ne soient pas exagérément affolées ?

M. Didier HOUSSIN : Vous mettez le doigt sur la difficulté du sujet : comment concilier une stratégie de long terme de la plus haute importance pour la santé publique et la santé animale à l'échelle planétaire, dont la mise en œuvre génère nécessairement un certain degré d'inquiétude, et la gestion de l'actualité et du très court terme pour laquelle on aimerait ne pas susciter d'inquiétude exagérée ? Communiquer là-dessus n'est effectivement pas chose facile. Mais l'exercice de simulation de demain a été programmé pour que nous en tirions des leçons. Mieux vaut, me semble-t-il, en souligner les effets positifs dans nos actions de communication locales et nationales, plutôt que de l'annuler.

M. Marc LE FUR : Ce serait pire.

M. Didier HOUSSIN : En effet, ce serait dangereux. Toute la difficulté du sujet tient effectivement à ce télescopage permanent entre le long terme et le court terme.

M. le Président : Ce n'est pas vous qui gérez cet exercice ?

M. Didier HOUSSIN : J'y suis associé. Mais même si le ministère de l'agriculture, le ministère de la santé et le délégué apportent un appui en termes d'expertise et de compétences, y compris sur le plan de la communication, cela reste un exercice local, sous la responsabilité du préfet.

M. Marc LE FUR : Et il s'agit bien d'un exercice vétérinaire.

M. Didier HOUSSIN : Il avait été prévu à l'origine de faire émerger un cas humain pour tester l'enchaînement des processus ; nous avons préféré y renoncer pour ne pas mettre la barre trop haut en matière de communication.

M. Alain CLAEYS : La sécurité alimentaire vient incontestablement au premier rang dans la hiérarchie des peurs de nos concitoyens. Elle appelle, comme vous l'avez suggéré, une communication non pas globale, mais de proximité. Les contacts que vous établirez avec les préfets et les associations d'élus seront à mes yeux indispensables. Si vous parvenez à gagner cette première partie, les autres messages passeront plus facilement.

M. Pierre HELLIER : Si je comprends bien, l'exercice de demain vous échappe ou vous a déjà échappé quelque peu...

M. Didier HOUSSIN : Non. Parmi tous les exercices programmés depuis déjà assez longtemps, il était prévu une simulation sur le volet « sécurité et santé animale » en Bretagne. C'était une excellente idée et il nous appartiendra d'en tirer toutes les leçons en matière de rapidité de signalement, de mesures vétérinaires, etc. Le délégué interministériel le soutient, mais c'est une décision qui relève en premier lieu du préfet, et du ministre de l'agriculture. Nous avons seulement apporté notre contribution technique.

M. Pierre HELLIER : Je ne juge pas de son bien-fondé ; je suis seulement étonné que tout ne passe pas par vous.

M. Didier HOUSSIN : J'ai demandé une réunion de travail spécifique sur la programmation des exercices de l'année prochaine, en particulier sur ceux qui me paraissent indispensables, c'est-à-dire ceux concernant le fonctionnement des établissements de santé, la prise en charge des personnes à domicile, l'acheminement des produits de protection, et la continuité de la vie du pays. Une fois que j'aurai fixé les orientations générales, j'espère que tant les préfets que les élus se saisiront du sujet et organiseront les opérations au niveau local.

M. Pierre HELLIER : Il faut tout de même une coordination nationale pour éviter de voir fleurir les initiatives en tous genres.

M. le Président : J'imagine que le préfet ne fait pas cela sans l'autorisation de ses ministres... Je voudrais vous rassurer en vous annonçant que « seulement » 70 journalistes se sont inscrits pour assister à l'exercice qui se déroulera en Bretagne demain et après-demain ! Nos collègues Le Fur et Jacquat y assisteront, mais il est toujours possible à d'autres de s'inscrire.

Mme Paulette GUINCHARD : La confiance sera un élément déterminant de la réussite du plan, qu'il s'agisse de la livraison de matériels ou de la communication. Quelles responsabilités entendez-vous laisser aux collectivités locales ? Je suis inondée de demandes de maires.

M. le Président : Nous pourrions aborder cette question plus tard. Nous avons prévu que le délégué interministériel ou le ministre reviendrait devant nous dès que le plan actualisé sortira. Nous pourrons alors le passer au tamis. Venons-en aux questions sur le stockage.

Le problème du stockage pose, en amont, la question de la production industrielle et, en aval, celle de l'utilisation des moyens. Je me concentrerai sur le seul Tamiflu - même s'il faudrait nous indiquer où vous en êtes en ce qui concerne les antibiotiques destinés à traiter les surinfections bactériennes, le vaccin Pneumo 23, les ventilateurs, les bouteilles d'oxygène, etc.

S'agissant du Tamiflu, votre présentation nous pose problème sur le plan tant quantitatif que qualitatif. Vous nous parlez de 14 millions de traitements et sous-entendez qu'il sera utilisé en curatif. Or on peut craindre que la pandémie ne survienne en même temps qu'une grippe « régulière » ; s'y ajouteront les syndromes du stress, qui se traduiront par une prolifération de signes cliniques de maladie sans aucun substrat infectieux. Lors de l'affaire de l'anthrax aux États-Unis, le rapport entre ceux qui ont réellement contracté l'anthrax et ceux qui ont présenté des signes cliniques était de un à sept ! S'il est possible de pratiquer un test sur le premier voyageur suspect qui débarquera à l'aéroport, il sera parfaitement impossible de procéder à un diagnostic biologique de masse sur 50 000, 100 000 ou 500 000 cas, pour vérifier s'il s'agit réellement de la grippe pandémique. Or le Tamiflu n'est efficace que dans les 48 heures, plus vraisemblablement dans les 36, voire les 24 premières heures de l'infection. Comment, dès lors, peut-on raisonner en termes de traitement de masse ?

Une autre stratégie d'emploi est mise en avant : elle consisterait à traiter à titre prophylactique les soignants et les personnels « utiles », ce qui exige des quantités de Tamiflu largement supérieures à celles qui sont aujourd'hui stockées : à raison d'une dose par personne et par jour pour 4 millions de personnes à protéger, selon les estimations du plan - médecins et infirmières, mais également policiers, techniciens des centrales nucléaires, grands malades, immuno-déprimés, etc. -, cela fait quatre millions de comprimés par jour ! Ne sommes-nous pas très en-dessous en termes de stocks disponibles ?

Enfin, que savez-vous du processus de production du Tamiflu ? Les représentants du laboratoire Roche, que j'avais reçus dans le cadre de la préparation de mon rapport budgétaire pour la commission des affaires sociales, m'ont expliqué que personne d'autre qu'eux n'était capable, en tout cas à court terme, de fabriquer cette molécule qui exige un savoir-faire énorme et des usines extraordinairement compliquées. Ce discours est-il exact ou non ?

M. le Rapporteur : Ne faudrait-il pas parler du rôle des médecins de base et des infirmières pour l'aspect « diagnostic », afin de distinguer les cas de grippe réelle des fausses grippes ? Les généralistes et les infirmières jouent un rôle de premier plan en matière de prévention. Comment vont-ils communiquer ?

M. Didier HOUSSIN : Le stockage de 14 millions de traitements ne permet effectivement de prendre en charge qu'une population de malades légèrement en dessous du haut de la fourchette estimative arrêtée par l'Institut national de veille sanitaire (InVS). Aussi le ministre de la santé est très déterminé - et suivi, me semble-t-il - à faire en sorte que ce stock ne se limite pas à 14 millions de traitement et à faire acquérir des quantités plus importantes de Tamiflu comme de Relenza afin d'être sûr de traiter tous les malades - 21 millions au maximum, selon les estimations de l'InVS - tout en assurant un certain degré de protection aux professionnels particulièrement exposés. Cela dit, les capacités mondiales de production ne permettent pas d'espérer une livraison de ces quantités supplémentaires avant le courant 2006, sinon l'année 2007, même si la France a eu le mérite de se positionner très tôt. Il faut espérer que le processus, s'il vient à se déclencher, n'aille pas trop vite.

Le processus de production de l'oseltamivir est compliqué et comporte de très nombreuses étapes, jusqu'à un problème de granulation alcoolique dans des conditions peu faciles. La pharmacie centrale des armées, dont il faut d'ailleurs souligner le grand mérite, semble être capable de prendre en charge la dernière phase délicate de la granulation, ce qui nous permet d'acheter de la poudre en vrac. En revanche, une phase de la transformation fait appel à une chimie difficile et explosive, qui ne peut être mise en œuvre que sur deux ou trois sites industriels dans le monde. Lorsque Roche dit que c'est un processus complexe dont certaines phases sont très délicates et prennent du temps, cela ne semble pas faux.

M. le Président : Justement : avez-vous les moyens de le vérifier ?

M. Didier HOUSSIN : J'ai demandé à l'AFSSAPS s'il était possible de fabriquer ce produit d'une autre façon, soit par le biais d'une licence secondaire concédée par Roche, soit par un système de générique. Les informations que j'ai reçues confirment qu'il est difficile de produire ce médicament. Cela dit, si vraiment nous étions décidés à essayer de le faire, soit en fabriquant un générique, soit en poussant des industriels à devenir des sous-traitants pour Roche dans le cadre d'une licence secondaire, il faudrait analyser le processus de manière plus approfondie. Pour l'instant, nous nous sommes plutôt concentrés sur l'acquisition d'oseltamivir, considérant que nous serions en mesure d'en accumuler une quantité importante, ce qui n'est pas le cas pour de nombreux pays.

M. Jean-Michel BOUCHERON : A-t-on mesuré les coûts financiers et les contraintes juridiques que représenterait le lancement de chaînes de production secondaires, au-delà de l'accord passé avec le laboratoire ?

M. Didier HOUSSIN : La loi de santé publique offre au ministre de la santé la possibilité, en situation d'urgence, de demander des « licences d'office ». La question est de savoir si le stockage de produits en prévision d'un phénomène pandémique peut être, sur le plan juridique, assimilé à une situation d'urgence. C'est le même problème que pour les accords ADPIC108 de l'OMC. On peut estimer qu'il y a une situation d'urgence...

M. le Président : Surtout s'il faut huit mois pour fabriquer le médicament...

M. Didier HOUSSIN : Si donc cette analyse prévaut, nous disposons de l'instrument juridique qui nous permet de le faire. Reste la question de la faisabilité technique. A priori, cela semble difficile, mais sûrement pas impossible.

M. le Président : Il y a trois semaines, les représentants de Roche m'assuraient qu'ils fourniraient, qu'ils feraient ce qu'ils pourraient, qu'ils ouvriraient de nouvelles chaînes de production, etc. Dont acte. Trois semaines plus tard, les Indiens annoncent qu'ils vont fabriquer un générique. Réaction immédiate de Roche, qui se déclare prêt à accorder des brevets secondaires. Nous ne pouvons pas travailler en nous fiant à la seule bonne foi des laboratoires Roche. Ce qui est possible en Inde, en dépit de toutes les difficultés que l'on imagine, doit l'être tout autant au Brésil, en Israël, en France, en Grande-Bretagne, en Allemagne ou aux États-Unis ! On peut se féliciter que le gouvernement français soit plutôt leader dans l'achat d'oseltamivir, mais reconnaissons que, ce faisant, nous privons les autres... Cela peut poser problème lorsque, dans le même temps, on tient un discours de solidarité internationale.

M. Didier HOUSSIN : Vous avez raison. Du reste, les deux approches ne sont pas exclusives l'une de l'autre : il faut poursuivre la politique d'achat, tout en explorant les possibilités d'accroître notablement les possibilités de fabrication grâce à l'entrée en jeu d'autres opérateurs. Ce qui oblige évidemment à considérer les choses sur le plan international.

M. le Président : Je voudrais évoquer le problème économique auquel sont confrontés les fabricants de vaccins. Ainsi, Sanofi veut avoir des garanties économiques avant d'investir dans la construction d'usines supplémentaires. La situation se pose dans les mêmes termes pour les masques. Il y a deux ou trois ans, la Commission européenne avait, semble-t-il, refusé de discuter de la question avec les industriels du vaccin, les invitant à régler eux-mêmes la question. En attendant, il se pose un réel problème de modèle économique. Le ministère des finances a-t-il une doctrine ou un avis sur le sujet ?

M. Didier HOUSSIN : Pas à ma connaissance. Je ne vois que deux solutions. La première serait que les pouvoirs publics européens et nationaux donnent des garanties économiques suffisantes aux industriels afin qu'ils investissent dans de nouvelles unités de production, y compris dans l'éventualité où il n'en sortirait pas grand-chose avant longtemps...

M. Jean-Michel BOUCHERON : Quel est le coût d'une usine ?

M. Didier HOUSSIN : Ce sont des sommes très importantes.

M. le Président : De l'ordre de 600 ou 700 millions d'euros. Jean-Michel Boucheron est un spécialiste de défense : en nous entendant évoquer ces sommes, il nous considère comme de petits joueurs - et il a un peu raison !

M. Didier HOUSSIN : Le modèle « Défense » est très approprié en matière de pandémie et nous aurions tout intérêt à nous y référer le plus largement possible.

La deuxième solution, très présente dans l'esprit des industriels, consisterait à élargir fortement la couverture vaccinale en matière de grippe saisonnière. Pour l'instant, on essaie de vacciner environ 10 à 12 millions de Français : ceux qui ont plus de soixante-cinq ans,...

M. le Président : On en vaccine 80 %.

M. Didier HOUSSIN : Un peu moins.

...les patients atteints de maladies susceptibles de « décompenser », de même que les professionnels de santé. Tout cela est très utile en termes de santé publique et on peut sûrement progresser. Si l'on élargissait la couverture vaccinale de 12 à 20 millions de Français, et si l'on en faisait autant dans les autres pays, on induirait un besoin de croissance de l'appareil de production industrielle mondiale tel qu'il serait aisé, le jour où apparaîtrait un virus pandémique, de « switcher » les outils de production sur la fabrication du vaccin antipandémique pour en produire des quantités énormes - certes sans pour autant couvrir les besoins de la planète, qui compte 6 milliards d'individus.

La première question est de savoir si l'extension de la vaccination antigrippale aux enfants, aux plus de cinquante ans, etc., aurait un sens en termes de santé publique. Le problème est qu'une vaccination n'est jamais neutre : la vaccination antigrippale présente peu de risques, mais il n'y a pas de risque zéro. De surcroît, contrairement à la fièvre jaune, par exemple, pour laquelle l'immunité dure quinze ans, il faut revacciner chaque année, car le virus change toujours un peu. Dès lors, se profile le risque que nous avons connu pour l'hépatite B et d'autres vaccinations : les ligues anti-vaccinales sont actives et auraient beau jeu de mettre en avant le syndrome de Guillain-Barré survenu chez un jeune homme ou la sclérose en plaques survenue chez une jeune fille, d'accuser l'État de pousser à la vaccination, et de faire échouer l'élargissement de la couverture vaccinale contre la grippe saisonnière et la préparation à une pandémie grippale... La vaccination est toujours bien acceptée lorsque la maladie est très menaçante ou le bénéfice parfaitement clair. Mais rendre une vaccination obligatoire alors que la menace reste lointaine et qu'elle n'est pas exempte de risques, aussi faibles soient-ils, a fortiori s'il y a derrière des motivations économico-industrielles, c'est s'exposer à un danger. Je recommande la plus grande prudence. Je serais assez d'avis de mettre l'accent sur la couverture vaccinale conformément aux recommandations actuelles, quitte à envisager un élargissement progressif et fondé sur des raisons de santé publique - en prenant en compte notamment les maladies chroniques non prises en charge dans le cadre de la législation sur les ALD109, etc. -, mais je ne suis pas favorable à un à-coup trop brutal qui pourrait se retourner contre nos projets.

M. le Président : Je partage totalement votre avis. Les industriels nous poussent à vacciner tout le monde afin de disposer de rampes de lancement pour lutter contre le virus pandémique ; c'est une erreur, tout au moins dans le cas de la population française. Peut-être y a-t-il une alternative : l'Europe pourrait décider de fabriquer des vaccins pour les offrir aux populations qui en ont besoin en Afrique, au Moyen-Orient et dans d'autres pays en voie de développement. Au moins cette augmentation de la production serait-elle légitimée par des besoins de santé publique. Sinon, il faut trouver un autre modèle d'aide économique aux entreprises ; car celui d'une hyperproduction annuelle aura à coup sûr les effets que vous venez de décrire. N'oublions jamais que la France, pays de Pasteur, a mis soixante ans avant de parvenir à mettre en place la vaccination obligatoire. Soixante ans de débats entre l'Assemblée nationale et le Sénat !

M. Didier HOUSSIN : Et cela reste fragile.

M. Marc LE FUR : On sait qu'un masque coûte 35 centimes. Combien est payé le Tamiflu à l'unité ? Certains médecins ont dit qu'ils ne peuvent plus en trouver alors qu'ils s'en servaient pour soigner d'autres affections. Qu'en est-il ?

M. le Président : Ce n'est pas vrai. Le Tamiflu était très peu utilisé, tout simplement parce que son usage est compliqué : la grippe doit être prise à son tout début. Or les gens viennent généralement voir le médecin au bout de deux ou trois jours.

M. Marc LE FUR : Mais il servait bien à quelque chose.

M. le Président : Pratiquement pas. Il est très peu utilisé. Beaucoup de médecins soutiennent même qu'il est inefficace, ce qui n'est pas exact. C'est tout simplement que l'utilisation qu'ils en font n'est pas la bonne.

M. Marc LE FUR : Existe-t-il réellement un marché noir, ou « gris », du Tamiflu dans le monde ? Si oui, a-t-on réagi ?

M. Didier HOUSSIN : Une boîte de Tamiflu coûte environ une dizaine d'euros, soit un euro la dose.

M. le Président : Chez le pharmacien.

M. Didier HOUSSIN : Les propos de M. Le Guen sont justes : le Tamiflu n'était jusque-là guère utilisé contre la grippe saisonnière : son efficacité est relative et ses conditions d'administration sont telles qu'il arrive souvent après la bataille ; c'est pourquoi l'accent avait été mis à juste titre sur la vaccination. Il est toutefois utilisé dans certaines collectivités - de personnes âgées, par exemple - pour essayer d'éviter une épidémie lorsque quelques cas de grippe apparaissent. L'industriel étant un peu court en termes de capacités de production, nous sommes convenus que nous nous efforcerions de dire à la population qu'il n'y avait aucune justification à se précipiter sur le Tamiflu dans les pharmacies. Si une grippe saisonnière survenait durant les mois d'hiver, l'industriel remettrait sur le marché une quantité suffisante pour soigner un certain nombre de malades. Le problème est que les citoyens sont des gens rationnels et se demandent pourquoi, puisque l'État stocke, ils ne pourraient pas en faire autant. Nous avons beau essayer de leur expliquer que nos médicaments ne risquent pas de se périmer et que nous les donnerons gratuitement, cela n'empêche pas ceux qui souhaitent stocker de vouloir le faire.

M. le Président : Si vous remettez du Tamiflu sur le marché, il disparaîtra très vite. Les gens se rueront dessus.

M. Didier HOUSSIN : En effet. Et un marché noir s'est effectivement mis en place sur l'Internet, où les boîtes de Tamiflu se vendent, dit-on, à plus de 100 euros.

M. Gérard CHARASSE : Quelle est la durée de validité de ces médicaments ?

M. Didier HOUSSIN : Pour les boîtes de Tamiflu conditionné en gélules, la durée de péremption est de trois ans, et de cinq ans pour l'oseltamivir en poudre. Cela dit, nous allons essayer - le sujet a été abordé ce matin même lors de notre réunion hebdomadaire - d'aborder le sujet de la péremption en suivant l'exemple des États-Unis, c'est-à-dire en ayant une approche beaucoup plus pro-active du problème de la péremption. On peut programmer des études et des contrôles de manière à allonger le délai de péremption de certains produits. C'est une action de long terme, mais elle mérite d'être menée.

J'en profite pour évoquer un point dont j'ai parlé au ministre : la France va devoir changer d'échelle en matière de stockage pharmaceutique et se doter d'une structure de stockage qui soit gérée, maintenue à jour, sécurisée, etc., pour offrir une vision d'ensemble des stocks disponibles.

M. le Président : Monsieur le délégué interministériel, il me reste à vous remercier de cet échange très riche. Nous nous reverrons sans doute bientôt, sitôt que nous pourrons passer le plan de pandémie au tamis de nos interrogations - nous en avons un certain nombre.

Audition de Mme Bernadette MURGUE et de M. Vincent ROBERT, chargés de mission au département « sociétés et santé » de l'Institut de recherche et de développement (IRD)

(Compte rendu de la réunion du mercredi 7 décembre 2005)

Présidence de M. Jean-Marie LE GUEN, Président,

puis de Mme Bérengère POLETTI, Vice-Présidente

M. le Président : Notre mission d'information s'est d'abord penchée sur la question des moyens médicaux disponibles en cas de pandémie grippale, qui fera l'objet d'un premier rapport courant janvier. Nous poursuivons nos travaux par un deuxième cycle d'auditions consacrées à l'épizootie grippe aviaire, afin d'être « au rendez-vous » des problèmes qui pourraient se poser lors du retour des migrations. Nous aimerions connaître le regard que, fort de sa position sur le plan mondial et particulièrement en Afrique, l'IRD porte sur cette question.

Mme Bernadette MURGUE : Rappelons au préalable que la mission principale de l'IRD est d'aider les pays du Sud à développer leur recherche et que, dans ce cadre, il se préoccupe essentiellement de santé humaine. La santé animale au sens strict est du ressort d'autres organismes tels que le CIRAD, avec lequel nous collaborons, de même qu'avec plusieurs équipes de l'Institut Pasteur.

Établissement public à caractère scientifique et technique, placé sous la double tutelle des ministères chargés de la recherche et de la coopération, l'IRD conduit des programmes scientifiques centrés sur les relations entre l'homme et son environnement, et dont l'objectif est de contribuer au développement durable des pays du Sud. Doté d'un budget de 200 millions d'euros, employant plus de 1 600 chercheurs, ingénieurs et techniciens, dont plus de la moitié sont affectés dans 90 unités de recherche et de service, l'IRD est présent dans une quarantaine de pays. Ses activités scientifiques se répartissent entre trois départements de recherche : « Milieux et environnement », « Ressources vivantes », « Sociétés et santé ».

Ce dernier département compte une quinzaine d'unités de recherche, dont l'objectif général vise la sécurité sanitaire et la lutte contre les maladies liées à la pauvreté. Elle s'organise en trois domaines principaux : la lutte contre les grandes maladies liées à la pauvreté - VIH-sida, paludisme, tuberculose -, l'environnement et les maladies émergentes, ce qui nous amène à nous intéresser à la grippe aviaire, et enfin la santé de la mère et de l'enfant. L'accès aux soins, dimension transversale et sociale, est incorporé systématiquement dans toutes ces recherches.

Si la santé humaine constitue le cœur de nos activités, le département Sociétés et santé s'intéresse également aux zoonoses, en particulier à certaines affections à arbovirus, dont le virus « West Nile », affectant également les oiseaux, la fièvre jaune, la dengue, la fièvre de la vallée du Rift, certaines fièvres hémorragiques virales - Ebola, Hantan -, les rétrovirus, notamment le HIV, les trypanosomoses africaines et américaines, ou encore la leishmaniose contre laquelle nous avons mis au point un vaccin canin.

M. Vincent ROBERT : L'IRD n'est probablement pas l'interlocuteur le mieux placé pour vous parler du problème vétérinaire posé par la grippe aviaire. Ce sont le CIRAD et l'AFSSA qui, avec leurs vétérinaires et leurs épidémiologistes de haut niveau, pourront vous apporter des réponses plus précises. Cela dit, l'IRD peut vous intéresser pour sa connaissance des problèmes spécifiques du Sud.

Nous avons cru comprendre que vous étiez « à niveau » en matière de connaissances sur la grippe humaine et le risque pandémique...

M. le Président : Tout cela est effectivement acquis. Nous sommes relativement préoccupés par la persistance de foyers importants de grippe aviaire dans le Sud-Est asiatique, porteurs tout à la fois d'une menace de développement de l'épizootie et d'un risque croissant de passage à la pandémie : ce matin encore, la presse faisait état de nouveaux cas de transmission humaine en Chine. Certaines informations qui, jusqu'à présent, ne nous étaient pas parvenues commencent à filtrer. Autrement dit, sans pouvoir savoir tout ce qui se passe à l'intérieur, dans certains pays on devine bien qu'il y a un problème dans le Sud-Est asiatique.

Nous avons connu cet été la problématique de la grippe aviaire ; on nous parle aujourd'hui de migrations d'oiseaux, susceptibles d'être porteurs du virus, vers l'Afrique de l'Est et peut-être vers l'Afrique des grands lacs et l'Afrique centrale. Vous qui êtes sur le terrain, pressentez-vous un risque de contamination humaine dans ces zones ? La problématique africaine au regard du risque épizootique comme du risque pandémique nous est encore totalement inconnue. Présentez-la nous. Etes-vous en alerte ? Avez-vous des dispositifs sur place ? Estimez-vous le risque moins grand que dans le Sud-Est asiatique où les concentrations humaines sont telles que les relations entre l'homme, le poulet, le porc et le canard sont beaucoup plus étroites ?

M. Vincent ROBERT : Vous avez raison d'aborder le problème sous l'angle du risque. Tout le monde pressent l'existence d'un risque croissant, mais personne n'est capable de le mesurer alors qu'un risque est normalement quantifiable. Cela reste pour l'heure une inquiétude, une éventualité, non mesurables. Là est toute la difficulté du problème. Bon nombre d'informations sur ce qui se passe en Asie du Sud-Est vont dans le sens d'un risque croissant, notamment de dissémination du problème vétérinaire vers l'Europe, mais personne ne sait situer le seuil de risque intolérable ou, à l'inverse, supportable.

C'est un fait que la grippe est causée par la circulation de virus chez les oiseaux. Ce phénomène existe probablement depuis toujours, avant même l'apparition de l'homme sur la Terre. Il faut savoir vivre avec. Nous avons tous des peurs, des inquiétudes, et parfois même nous aimons à les rechercher : il y a des cinémas pour cela...

Malheureusement, nos sociétés sont redoutablement inefficaces en matière de gestion des craintes collectives. Se préparer au pire est certainement inenvisageable : le pire n'est jamais sûr et vous entendrez probablement des réponses très contrastées, davantage dictées par l'affectif et la philosophie personnelle que par des données objectives.

Il y a malgré tout deux façons de voir le problème : sous l'angle de la santé animale et sous l'angle de la santé humaine. Pour ce qui est du premier, nous sommes en plein dedans ; pour ce qui est du second - je parle évidemment de la grippe « aviaire humaine », non de la grippe saisonnière habituelle -, même si l'on sait que la grippe se manifeste tous les dix ou vingt ans par des bouffées épidémiques exceptionnelles entraînant une augmentation du nombre de cas et, donc, de la mortalité, dans les pays développés comme dans la zone tropicale, nous ne sommes pas du tout dedans. Je n'ai pas encore eu vent des suspicions dont vous faites état en Asie du Sud-Est...

M. le Président : On a signalé des cas de transmission humaine. Mais comment voyez-vous la situation en Afrique des grands lacs ?

M. Vincent ROBERT : Il n'y a pas que l'Afrique des grands lacs. Les grands couloirs de migration d'oiseaux sont bien connus : la vallée du Nil, les grands lacs qui ouvrent l'accès vers l'Afrique de l'Est et du Sud, les zones humides d'estivage du Sahel : le Sénégal, le delta intérieur du fleuve Niger, le lac Tchad, etc., qui déterminent les voies de passage à travers le Sahara. À ces grandes migrations Nord-Sud viennent s'ajouter, en fonction des espèces d'oiseaux, des migrations beaucoup plus locales et qui permettent d'envisager tous les scénarios possibles. Autrement dit, compte tenu de ce melting pot, on ne peut partir du fait que l'Asie du Sud-Est se trouve ainsi reliée principalement avec l'Est de l'Afrique pour exclure a priori une remontée de l'Afrique centrale vers l'Europe au prochain printemps. Les risques sont réels, ils existent mais personne ne pourra les chiffrer.

M. le Président : Mais avez-vous des équipes sur place ? L'OMS est-elle présente ? Etes-vous en alerte ?

M. le Rapporteur : Etes-vous intégrés à des réseaux sur place ?

Mme Bernadette MURGUE : Nous sommes impliqués a minima dans un programme sur le rôle des oiseaux migrateur au Sénégal, où il existe une grande zone de réserve ornithologique et où une équipe de recherche de l'IRD travaille aux côtés du CIRAD et d'un institut sénégalais de recherche agronomique, pour essayer d'évaluer la possibilité d'un transport de virus par les oiseaux migrateurs de cette zone. Si le besoin d'une réponse inter-institutionnelle est manifeste, aucune demande n'a pour l'heure été formulée par les pays du Sud eux-mêmes. Ils sont concernés, ils essaient de s'organiser mais c'est difficile.

À lire les documents de l'OMS, de la FAO et d'autres organisations, il pourrait y avoir deux types de risques : un risque accru de transmission du virus de l'oiseau à l'homme en Afrique, dans des zones à forte concentration humaine, mais ce qui paraît peu probable, et une transmission interhumaine, mais dans ce cas, le risque est le même qu'en Asie du Sud-Est ; le second risque serait de voir les oiseaux migrateurs infectés ramener au printemps prochain le virus en Europe, créant une situation relativement dangereuse. Mais le danger pour les pays du Sud eux-mêmes est difficile à estimer, d'autant que les moyens de surveillance et de diagnostic manquent. Certains pays ont interdit l'importation de volailles et tentent de s'organiser ; il nous appartient d'essayer, dans le cadre de partenariats, de mettre au point une réponse. Nous avons des perspectives...

M. le Président : J'avais entendu parler d'une conférence des ministres de la santé en Afrique centrale, et je pensais qu'ils avaient pris conscience du problème ; or vous êtes en train de nous laisser entendre qu'ils sont dépourvus de moyens et ont d'autres préoccupations !

Mme Bernadette MURGUE : C'est un peu plus nuancé... Les pays africains ne sont pas tous identiques. Certains ont les moyens de répondre, pas tous.

M. Pierre HELLIER : Existe-t-il actuellement sur place un dispositif de surveillance des oiseaux migrateurs et notamment de leur mortalité ?

Mme Bernadette MURGUE : Je ne peux vous répondre pour tout le continent africain. Au Sénégal en tout cas, l'IRD est impliqué, à la demande du ministère de la santé, dans une recherche sur l'évaluation du transport de virus par les oiseaux migrateurs.

M. Pierre HELLIER : Mais a-t-on noté une surmortalité, des signes d'infestation ?

Mme Bernadette MURGUE : Je ne peux vous répondre avec certitude.

M. le Rapporteur : Dans quels pays africains êtes-vous implantés ?

Mme Bernadette MURGUE : Dans les pays d'Afrique francophone essentiellement.

M. le Président : Donc, ni au Rwanda ni en Ouganda.

M. le Rapporteur : À vous entendre, la mobilisation avec les Etats africains n'est pas ce qu'elle devrait être...

Mme Bernadette MURGUE : Le risque étant très difficile à évaluer et le continent africain soumis à d'autres risques épidémiques, on peut légitimement se demander s'il faut dépenser je ne sais combien de millions d'euros dans un programme de surveillance pour une menace dont personne ne peut dire le niveau.

M. le Rapporteur : Mais on pourrait concevoir une surveillance très intense à un endroit stratégique...

Mme Bernadette MURGUE : Il y a deux types de surveillance. La surveillance passive consiste à observer ce qui se passe et, en cas de mortalité aviaire, à en déterminer la cause - il arrive aux volailles de mourir d'autre chose que du virus influenza. La surveillance active consiste à chercher en amont s'il existe véritablement un risque ; mais cela exige d'autres moyens. Même en Europe, on n'est pas capable de mettre cette surveillance active en œuvre partout.

M. Vincent ROBERT : Distinguons bien la surveillance entre les faunes sauvages et domestiques. S'agissant des oiseaux sauvages, il faut mentionner le rôle de nos collègues du Muséum National d'Histoire Naturelle, très impliqués dans le baguage et le suivi migratoire, et très sensibilisés à cette question. Il pourrait être intéressant pour vous de les auditionner.

M. Jérôme BIGNON : Nous entendrons, la semaine prochaine, M. Raymond Pouget, président de l'association nationale des chasseurs de gibier d'eau, également président de l'OMPO - Oiseaux Migrateurs du Paléarctique Occidental. Les chasseurs de gibier d'eau, évidemment très sensibilisés à la question, ont déjà mis en place des réseaux d'observateurs, avec des ornithologues, dans toutes les zones d'estivage d'Afrique. Très motivés, ils demandent à faire davantage encore et sont prêts à trouver de l'argent afin d'aider à la mise en place de protocoles associant les États africains et les instituts scientifiques. Il serait dommage de se priver de l'apport de ces personnes, qui agissent, par exemple, très efficacement dans la baie de Somme, et dans le cadre, évidemment, d'une coopération scientifique intelligemment construite.

M. François GUILLAUME : J'espérais entendre que votre organisation permettait une véritable observation dans les pays d'Afrique francophone... N'allons pas tabler sur les organisations locales et les observations remontant des villageois ! Quand on connaît l'Afrique, où les carcasses des chameaux crevés restent pendant des mois sur le bord des routes, qui peut imaginer que les gens s'intéresseront à un oiseau mort ? La surveillance ne peut reposer que sur des relations sérieuses entre équipes scientifiques des pays développés et des pays africains - ce qui limitera nécessairement le champ de l'observation, ne nous leurrons pas.

M. le Président : Vous êtes plutôt axés sur la santé humaine, soit. Et plutôt sur l'Afrique francophone, d'accord. Que l'Afrique ait d'autres fléaux sanitaires à combattre, « d'autres chats à fouetter », si je puis dire, que de s'occuper des oiseaux morts, on peut le comprendre. Mais je vous imaginais davantage mobilisés que vous ne l'êtes apparemment, en liaison avec l'OMS, l'OIE, etc., partenariats privés compris, sur l'étude de la santé animale et l'alerte éventuellement à donner au regard de la santé humaine, dans l'intérêt même des pays du Nord ! Mis à part une tentative au Sénégal, vous n'êtes pas impliqués dans les réseaux santé humaine, santé animale, détection, alerte, études, recherches, dans les territoires où vous travaillez.

M. Vincent ROBERT : Nous nous sommes précisément posé cette question en interne tout récemment, sous la pression des événements. Face à une demande sociale énorme - y compris dans cette salle -, l'IRD a clairement l'intention de faire davantage dans le domaine de la grippe aviaire et du risque potentiel d'une pandémie grippale. La direction de l'IRD est tout à fait disposée à y consacrer des moyens et à mettre en place une politique incitative afin d'aider à un redéploiement de nos équipes de recherche. Contrairement à ce que nous pourrions croire, l'élaboration d'une politique de recherche prend du temps. Un institut de recherche est par nature peu réactif : les chercheurs sont des gens qui travaillent sur le long terme et un programme de recherche n'apporte pas de réponse avant trois à cinq ans à partir du démarrage ; encore faut-il, avant qu'il ne démarre, trouver les crédits, constituer les équipes, mettre en forme les collaborations, assurer les complémentarités scientifiques, organiser les partenariats avec les nationaux des pays concernés car nous ne sommes pas complètement maîtres de nos recherches. Tout cela n'est pas facile, sauf dans les DOM-TOM où une culture administrative commune facilite quelque peu les choses.

L'IRD est donc tout à fait mobilisé en interne pour proposer un programme « affichable », mais qui n'apportera pas de solution dans l'immédiat. Nous sommes clairement centrés sur le Sud et nous nous efforçons de mobiliser nos partenaires pour les sensibiliser à un risque que nous craignons tous. S'il reste de nature strictement vétérinaire pour le moment, ses conséquences économiques sérieuses n'affecteront guère que la filière avicole, et l'Afrique est déjà passée au travers de problèmes autrement plus graves...

M. le Président : Quelle est la part de la protéine avicole dans la nourriture en Afrique ?

M. Vincent ROBERT : Elle n'est pas aussi importante qu'on pourrait le penser. Si la production d'œufs et de poulets de chair se développe rapidement autour des villes, le critère reste le prix de la viande. Or le poulet reste une viande chère dans pratiquement tous les pays d'Afrique. La moins chère est le bœuf, suivie par la chèvre et le mouton.

M. le Rapporteur : C'est le contraire de ce qui se passe chez nous !

M. Vincent ROBERT : Sur le plan de la santé humaine, tout porte à croire qu'un début de transmission interhumaine, prélude à une pandémie, se produira non pas en Afrique, mais en Asie du Sud-Est. Il en a toujours été ainsi, du fait de la promiscuité entre l'homme et les élevages d'oiseaux, sans oublier le rôle du porc, qui peut être un agent de transmission favorable.

M. le Président : J'entends bien que les problématiques de recherche sont structurées et régies par des procédures et des échéances assez longues. Estimez-vous pour autant que vous ne pourriez pas avoir une action favorisant, notamment, la surveillance épidémiologique dans les pays concernés ? Sans vouloir vous faire tout prendre en charge, on pourrait, à tout le moins, envisager que vous assuriez une transmission d'un savoir-faire ou, même moins encore, une sensibilisation. On comprend que les autorités administratives des pays concernés ne se préoccupent pas spontanément de noter les évolutions des taux de létalité. Un début d'approche épidémiologique, d'alerte, de veille sanitaire, n'entre peut-être pas forcément dans vos attributions, mais qui d'autre que vous, sinon, pourrait s'en charger ? Après tout, une centaine de personnes sont déjà mortes, avec des passages de l'homme à l'homme, décrits à l'OMS comme « non efficaces ». Il reste que ces passages ont bien eu lieu. Quand bien même le risque d'un déclenchement de la pandémie en Afrique est effectivement peu probable, qui peut y installer un système de veille sanitaire et épidémiologique ?

M. Vincent ROBERT : Outre l'orientation de recherche dont j'ai déjà parlé, une deuxième perspective a été dessinée la semaine dernière, à l'IRD, à la suite d'une réunion organisée au ministère des affaires étrangères et rassemblant tous les intervenants français impliqués dans la recherche sur la grippe aviaire. La question posée était de savoir comment aider nos partenaires du Sud. À la suite d'un premier tour de table peu fructueux, l'IRD a décidé, par souci de rapidité, de recourir à la procédure dite d'expertise collégiale, procédé en marge de la recherche et qui consiste à organiser des consultations internes dans le cadre d'un groupe de travail. Le but est d'apporter à nos partenaires africains une réponse rapide qui leur donnera une conduite à tenir et un premier plan d'action s'ils devaient se trouver brutalement face à une menace majeure sur le plan vétérinaire ou de transmission inter-humaine. La France est incontestablement un des pays du monde les plus en avance dans ce domaine. Elargissons notre réflexion, au mois sur le plan prospectif, au-delà de nos frontières, afin d'être en mesure de répondre aux besoins de pays historiquement frères, très liés à la France, en Afrique francophone notamment, si du jour au lendemain le besoin s'en faisait sentir.

(Mme Bérengère Poletti remplace M. Jean-Marie Le Guen à la présidence)

Mme Bernadette MURGUE : N'oublions pas non plus que les scientifiques de l'IRD peuvent intervenir en mettant des experts à la disposition de l'OMS.

M. Vincent ROBERT : Enfin, l'intervention de l'IRD dans le domaine de la grippe aviaire doit être intégrée dans une problématique plus large qui viserait l'ensemble des maladies émergentes infectieuses.

Mme Bernadette MURGUE : Dans le cadre de la recherche sur les maladies infectieuses, et suite aux recommandations du CICID, un comité d'initiative a été créé en juin 2005 afin de stimuler une réflexion française sur le thème des maladies d'émergentes, et de proposer à l'Agence nationale de la recherche (ANR) la mise en place d'un programme spécifique en 2006. Il n'a cessé, depuis, de s'enrichir de nouveaux membres, pour rassembler la plupart des acteurs français, publics et privés, de la recherche : l'AFSSA, le CEA, le CIRAD, le CNRS, l'IFREMER, l'INRA, l'INSERM, l'Institut Pasteur, l'IRD, l'InVS, le service de santé des armées, mais également des ONG comme Epicentre, et des partenaires privés comme SANOFI, etc.

Ce comité d'initiative s'est réuni à trois reprises en 2005, la première fois à l'IRD, la deuxième au CIRAD et la troisième à l'Institut Pasteur, pour finaliser une proposition de programme sur les maladies émergentes à soumettre à l'ANR.

La première tâche a été de définir son périmètre : à l'issue de nombreuses discussions, nous sommes arrivés à la conclusion qu'il fallait élaborer un programme sur les maladies émergentes infectieuses uniquement, mais prenant en compte la santé humaine, animale et celle des plantes, dans la mesure où il peut se produire des phénomènes communs, tout en préservant une dimension interdisciplinaire par une collaboration équilibrée des sciences du vivant et des sciences humaines et sociales, ainsi que la dimension internationale, incluant nécessairement la zone tropicale.

Le projet arrêté, après avoir été abondamment amendé par tous les participants, a recueilli le consensus. Le conseil d'administration et le directeur de l'ANR devraient prendre leur décision avant la fin de l'année. Nous ne savons pas encore s'il s'agira d'un programme « maladies émergentes infectieuses » à part entière ou s'il s'intégrera dans un programme existant. Les recherches sur la grippe aviaire pourraient trouver leur place dans ce cadre-là. Nous préférerions une solution autonome, qui nous permettrait de mettre en place des projets de recherche interdisciplinaires intégrateurs, prenant en compte tant les aspects économiques que les conditions d'émergence d'une maladie. Il perdrait, à notre sens, une grande part de son intérêt s'il devait être intégré à un programme existant, type « santé-environnement ». L'IRD se retrouve ainsi indirectement engagé dans la problématique de la grippe aviaire qui, rappelons-le, n'était pas, en mai et juin, d'une actualité aussi brûlante qu'aujourd'hui.

M. Pierre HELLIER : C'est une excellente idée, mais cela me paraît bien compliqué...

Mme Paulette GUINCHARD : En effet !

M. Pierre HELLIER : Toutes nos structures devront se mobiliser. Construire des programmes, je veux bien ; mais s'il survient une contamination interhumaine, il faudra bien que toutes les parties prenantes se coordonnent en urgence, sans attendre d'avoir élaboré un programme d'ensemble.

Mme Bernadette MURGUE : Je suis bien de cet avis, mais vous soulevez deux problèmes différents. L'IRD est un institut de recherche, non de surveillance.

M. Pierre HELLIER : Regardez les médecins : on leur demandera de se mobiliser pour la grippe, quelle que soit leur spécialité, et d'interrompre leurs pratiques classiques.

Mme Bernadette MURGUE : Le personnel « santé » de l'IRD n'est pas majoritairement composé de médecins...

M. le Président : Il n'est pas interdit de réfléchir aux maladies émergentes, nonobstant le problème actuel.

Mme Bernadette MURGUE : Exactement.

Mme Paulette GUINCHARD : Vous avez des gens sur le terrain, en Afrique francophone notamment. Si la pandémie y éclate, resterez-vous dans votre logique de recherche ? Il se posera des problèmes humains, y compris pour vos ressortissants. Que feront-ils ? Reviendront-ils tous ou participeront-ils à l'aide sur place ? Soutiendront-ils les efforts des États concernés ?

Mme Bernadette MURGUE : Si un début de transmission interhumaine était avéré et se mettait à dépasser un certain seuil, la réflexion s'instaurerait à l'évidence très rapidement, mais sous l'égide d'instances chargées de la surveillance, et avec lesquelles l'IRD collaborera en apportant le concours de ses chercheurs. Encore faut-il qu'une organisation de surveillance se mette en place, qui passera forcément par l'OMS, et ne peut être le fait d'un seul organisme.

Mme Paulette GUINCHARD : J'ai rencontré récemment des missionnaires habitant en République centrafricaine, originaires de ma région, et qui m'ont demandé comment elles devaient s'organiser si quelque chose arrivait... Je comprends que l'IRD est un organisme de recherche, mais vous aurez du personnel sur place. Avez-vous, dès à présent, imaginé ce que pourrait être leur participation, si, d'aventure, la pandémie survenait ?

M. Pierre HELLIER : C'était bien le sens de ma question.

M. Vincent ROBERT : Les personnels de l'IRD se comporteront comme le font traditionnellement tous les résidents français outre-mer. La France a, en la matière, une tradition constante : lorsqu'une crise survient - pour avoir travaillé pendant vingt-cinq ans en Afrique, j'en ai connu plusieurs -, on n'évacue pas. Les Français sont toujours les derniers à s'affoler et à envisager un rapatriement.

M. Pierre HELLIER : Nous n'en doutons pas.

M. Vincent ROBERT : Mais tout le monde ne le sait pas forcément ! Dans le cas qui nous préoccupe, cela se passera à l'évidence de cette façon. C'est précisément dans ces occasions que se manifeste ce qui fait notre force, c'est-à-dire la qualité de notre insertion locale, notre proximité et notre fraternité avec l'Afrique. Nous serons probablement les derniers à être rapatriés, s'il le fallait, mais je ne crois pas que cela s'imposera : face à une transmission virale, on n'est pas plus mal loti au fin fond d'un endroit d'Afrique où il ne se passe rien, qu'en première ligne, où le virus peut circuler davantage du fait des échanges internationaux et du trafic aérien. Ajoutons que la prise en charge médicale des expatriés français est souvent de bonne qualité. Nous agirons comme nous en avons l'habitude : il se produit souvent des alertes épidémiques face auxquelles nous n'avons pas toujours le médicament ou le vaccin adéquat, et l'expérience montre que les Français s'affolent beaucoup moins que les autres.

M. le Rapporteur : L'IRD n'est pas sous la tutelle du ministère de l'outre-mer...

M. Vincent ROBERT : Non. Seulement sous celle des ministères chargés de la recherche et de la coopération. Mais nous sommes présents dans tous les DOM-TOM tropicaux.

M. Jérôme BIGNON : Vous avez déclaré vouloir centrer votre action sur les maladies émergentes infectieuses. Est-ce à dire que, au-delà de la grippe aviaire, vous auriez quelque inquiétude particulière ?

M. Vincent ROBERT : Nous avons, en trois décennies, connu les épisodes du sida, puis du SRAS, aujourd'hui de la grippe aviaire ; on peut parier qu'il apparaîtra encore d'autres nouvelles maladies, à plus ou moins longue échéance. Nous ne pouvons vous les citer, puisque nous ne les connaissons pas encore, puisqu'elles n'ont pas encore émergé... C'est précisément l'ambition de ce programme de recherche, très en amont, destiné à analyser les conditions d'émergence d'une maladie. Potentiellement, les maladies infectieuses d'origine virale, bactérienne, parasitaire, liées à des champignons ou à toute autre cause ne manquent pas : les Américains en dressent régulièrement de longues listes consultables sur Internet. On y trouve, outre toutes les maladies d'ores et déjà identifiées, toutes celles qui affectent la faune sauvage et dont on pense, au motif qu'elles circulent chez les singes en Afrique, chez les gibbons en Asie ou ailleurs, qu'elles sont potentiellement capables de « prendre » un jour sur l'homme, à l'occasion de circonstances très particulières, puis de donner lieu à une transmission interhumaine.

Le programme « maladies émergentes infectieuses » représente pour nous un enjeu très important ; l'ANR, qui a désormais un an d'existence, est devenue un intervenant majeur dans le paysage français. Rien de grand en matière de recherche ne se fera sans l'ANR, dans la mesure où tous les financements passeront désormais par ce groupement d'intérêt public, à cheval sur plusieurs ministères mais auquel participent également des intérêts privés. Sa décision, qui devrait intervenir dans les semaines à venir, est très attendue.

Mme la Présidente : Madame, Monsieur, je vous remercie.

Audition de M. Bernard VALLAT, Directeur général de l'Organisation internationale des épizooties (OIE)

(Compte rendu de la réunion du mercredi 7 décembre 2005)

Présidence de Mme Bérengère POLETTI, vice-présidente,

puis de Mme Jacqueline FRAYSSE, secrétaire

Mme la Présidente : Monsieur le directeur général, vous êtes, à l'évidence, le mieux à même de faire le point sur l'étendue de l'épizootie de grippe aviaire et sur ses facteurs de propagation.

M. Bernard VALLAT : Seule organisation dédiée à la santé animale et au bien-être animal, l'OIE, dont le siège mondial est à Paris, a été créée en 1924 à l'initiative de la France. Elle compte 167 pays membres, dont tous les grands pays ayant des activités liées à l'élevage, et sa représentativité lui permet de préconiser des politiques sanitaires animales au niveau mondial. L'OMC nous reconnaît pour édicter les normes visant à assurer la sécurité du commerce mondial des animaux et de leurs produits, et, en collaboration avec l'OMS, celles applicables aux mouvements de personnes et aux maladies susceptibles d'être véhiculées à cette occasion.

L'OIE dispose d'un réseau mondial de 170 laboratoires, qui lui procurent toutes les données essentielles pour élaborer et actualiser ses préconisations sur les meilleures méthodes de lutte contre les maladies animales. Nous sommes également chargés de garantir la transparence mondiale sur la situation des maladies, en collectant les déclarations des États membres et en les mettant à la disposition des autres pays afin de les aider à se protéger. Cette engagement de transparence de nos adhérents n'est pas toujours respecté ; pour contrer les efforts de dissimulation de pays que certains appellent « pays voyous », nous avons un dispositif de recherche active de l'information, via les médias et Internet, et nous collectons les informations spontanées apportées tant par des éleveurs que par de simples citoyens, que nous soumettons aux gouvernements concernés. Cela se passe très bien car il n'y a plus, aujourd'hui, de gouvernements qui cherchent délibérément à dissimuler des informations qui pourraient avoir des conséquences sur la santé publique et les pays voisins ; notre système a montré son efficacité.

Le principal problème reste les pays pauvres. Seul un service public vétérinaire structuré permet de faire la différence entre une maladie avérée et une rumeur infondée. Encore faut-il des réseaux de vétérinaires sur le terrain : généralement, ce sont des vétérinaires privés. Mais il y a également la nécessité de disposer de réseaux d'éleveurs organisés et formés à un minimum de notions sanitaires de base pour toutes les espèces animales, particulièrement celles destinées à la consommation humaine. Aussi, l'OIE se doit-elle de porter un message de solidarité à destination des pays riches, afin qu'ils aident les services vétérinaires des pays pauvres à disposer des ressources minimales nécessaires pour détecter les maladies, les notifier et les combattre dans l'intérêt de tous : cela est au cœur de notre mandat.

L'OIE fonctionne avec des effectifs relativement réduits, par comparaison avec d'autres instances onusiennes. Il faut noter, à ce propos, que notre organisation n'est pas onusienne car elle a été créée avant les Nations unies. Elle est régie par un arrangement international dont la France est le dépositaire. Ce mécanisme perdure depuis 1924, à la satisfaction des États membres qui en souhaitent le maintien. Nous disposons d'un personnel permanent, mais nous faisons aussi appel à des réseaux, en particulier celui de 170 laboratoires de référence répartis dans le monde entier, ou encore celui des chefs des services vétérinaires des pays membres. On ne saurait lutter aujourd'hui contre une maladie animale dans un cadre strictement national : la lutte ne peut être menée efficacement que s'il existe une mise en réseau avec les pays voisins pour appliquer des politiques conjointes.

L'OIE est tout à fait à même de procurer aux gouvernements, comme aux organisations financières mondiales (Banque mondiale) et régionales (Banque asiatique, Banque africaine) ou aux pays membres de l'OCDE conduisant des programmes bilatéraux de développement et d'appui aux pays pauvres, les éléments techniques permettant d'orienter les aides qu'ils voudraient attribuer aux pays confrontés à l'influenza aviaire ou à ceux qui risquent d'accueillir le virus dans les mois à venir par le jeu du commerce international ou des migrations d'oiseaux sauvages infectés. L'Europe de l'Est a d'ores et déjà été infectée par le virus venant d'Asie, probablement transporté par des oiseaux sauvages. L'Afrique et le Moyen-Orient sont sous la même menace.

Il existe des centaines de souches du virus de l'influenza aviaire, parmi lesquelles certaines ont la faculté de se modifier pour s'adapter à l'homme d'une manière « efficace », en devenant transmissibles de l'homme à l'homme. Une nouvelle souche asiatique est apparue voilà deux ans, appartenant à la famille H5N1 - le virus de la grippe, et qui, outre les marqueurs H et N, comporte huit gènes qui, ensemble, déterminent son comportement en termes d'infectiosité et de pathogénéicité. Ses caractéristiques génétiques lui ont permis d'infecter plus d'une dizaine de pays en quelques mois et de tuer, fait extrêmement rare, plusieurs espèces d'oiseaux sauvages tout en restant capables d'en infecter d'autres qui conservent, cependant, la capacité, probablement pendant la période d'incubation, de franchir de longues distances, avant de devenir excréteurs du virus. Mais un oiseau malade ne peut pas parcourir de longues distances.

Cette souche est de surcroît très stable : depuis plus de deux ans qu'elle sévit, ses caractéristiques pathogènes sur l'animal ne se sont pas modifiées, ce qui explique qu'elle continue à contaminer d'autres pays : l'Ukraine vient de déclarer, tout récemment, trois ou quatre foyers. Elle a également démontré sa capacité à infecter l'homme : nous en sommes à environ 140 malades, dont la moitié sont décédés. Cela n'est pas nouveau, car il y a déjà eu des souches capables d'infecter l'homme. Mais au regard des millions de contacts infectants qui ont eu lieu en Asie entre les animaux infectés et les populations humaines, on peut en déduire que cette souche, en l'état actuel des choses, est très peu efficace pour infecter l'homme. La probabilité d'infection d'une personne en contact avec ce virus est vraiment très faible. Sinon, nous aurions eu infiniment plus de cas en Asie depuis le début de la crise.

On peut craindre que, soit par mutation, c'est-à-dire une modification génétique endogène, soit par réassortiment, c'est-à-dire un échange de matériel génétique entre deux souches différentes, ce virus ne se transforme et devienne infectant d'homme à homme. Mais, aucun scientifique ne peut calculer la moindre probabilité que ce phénomène se produise ; par ailleurs, s'il se produisait, nul ne peut dire si le nouveau virus serait aussi pathogène pour l'homme que le virus animal qui a réussi dans quelques cas à passer à l'homme. Nous pourrions avoir un nouveau virus qui apparaisse mais qui soit moins pathogène pour l'homme. La plus grande incertitude demeure sur ce point.

Il est dommage que, depuis deux ans, nos appels répétés n'aient pas été entendus. Si nous avions aidé dès le début des pays comme le Vietnam ou l'Indonésie, où est apparue cette souche, à la contrôler, puis à l'éradiquer, le risque d'une pandémie humaine aurait été écarté. Les investissements qui auraient dû être faits à ce moment-là et que nous préconisions, avec la FAO, auraient été dérisoires en comparaison des ressources qu'il va falloir désormais investir pour éliminer le virus chez l'animal dans une dizaine de pays, et du coût de prévention de la pandémie humaine. Cette analyse a enfin été entendue, mais trop tard : compte tenu de l'ampleur de la maladie chez l'animal, on a parlé, lors de la conférence de Genève - que nous avons organisée en novembre avec la FAO - d'un coût de 500 millions de dollars pour éradiquer l'épizootie dans les pays infectés ou à risque, alors qu'au début, 50 millions auraient suffi pour bloquer le virus dans sa zone d'apparition.

Tout porte à croire que ce type d'événement, tel que l'émergence de nouveaux germes pathogènes, est appelé à se reproduire beaucoup plus que par le passé, par le jeu de la globalisation et de l'accroissement sans précédent de la circulation des marchandises et des personnes, notamment du fait du tourisme. Les germes pathogènes dormants ont ainsi l'opportunité de conquérir de nouveaux territoires, mais aussi de subir des brassages génétiques auxquels ils n'avaient, jusqu'alors, pas accès et qui leur donnent l'opportunité d'acquérir de nouveaux matériels génétiques accroissant leur pouvoir pathogène, qui devient alors de plus en plus « efficace ». Aussi, notre message principal est-il de dire que la communauté internationale doit s'organiser dans le cadre d'une véritable gouvernance sanitaire. Il est de l'intérêt de chacun de veiller à ce que tous les États du monde aient une organisation minimale capable de détecter rapidement tout nouveau phénomène sanitaire, fût-il naturel ou intentionnel - je pense au bioterrorisme -, afin d'être en mesure de réagir. La détection rapide est la clé de la prévention. Encore faut-il que les pouvoirs en place puissent conduire des actions d'organisation et de formation des éleveurs. Le système français des groupements de défense sanitaire, dans lesquels les éleveurs organisent eux-mêmes des actions de formation à l'intention des adhérents, est à cet égard un des meilleurs du monde et je m'efforce de le promouvoir au niveau mondial.

Se pose également le problème du maillage rural vétérinaire, particulièrement dans les zones peu attractives. Dans le monde entier, les vétérinaires sont tentés de déserter les campagnes pour une activité plus lucrative en milieu urbain : il faut stopper cette tendance mondiale. Il est du devoir de la puissance publique de maintenir un réseau minimal dans les campagnes, et de disposer d'un service vétérinaire public capable de faire appliquer les lois. Les textes existants sont en principe satisfaisants ; encore faut-il veiller à leur application.

Certains pays riches peuvent facilement appliquer ces préconisations - c'est une question de volonté politique - mais il n'en est pas de même pour une centaine de pays membres qui n'ont pas les ressources nécessaires pour maintenir un système minimal. Il est de l'intérêt des pays riches, pour se protéger eux-mêmes, de les y aider. Ce message vaut tant pour la grippe aviaire que pour la prévention mondiale des maladies émergentes d'origine animale : 80 % des nouvelles maladies affectant l'homme sont d'origine animale. Il y a donc un lien très fort à établir entre la santé publique et la santé animale dans le nouveau contexte mondial.

(Mme Jacqueline Fraysse remplace Mme Bérengère Poletti à la présidence.)

M. le Rapporteur. Votre organisation est très appréciée. Vous nous avez indiqué que la surveillance se passait bien. Mais êtes-vous persuadé que la volonté de transparence de pays comme la Chine ait toujours été réelle ? Certaines informations n'ont-elles pas été communiquées un peu tard ? À vous entendre, les principaux foyers de grippe aviaire auraient été d'ores et déjà éradiqués si votre message avait été entendu il y a deux ans. Comment auriez-vous procédé ? Par un abattage systématique, comme l'a pratiqué Hong Kong il y a quelques années, ou par la vaccination des volailles à grande échelle ? La Chine parle de vacciner cinq milliards de volailles. Est-ce financièrement et techniquement possible ? Pour quelles raisons, enfin, des volailles vaccinées ne pourraient-elles pas être commercialisées ?

M. Pierre HELLIER : Je vous remercie pour ce message parfaitement clair, qui met également en avant le fait que l'actuelle souche est peu infectante pour l'homme à partir de l'animal, confirmant le bien-fondé du raisonnement selon lequel il faut d'abord s'attacher à circonscrire l'épizootie. Si l'on vous avait écouté, cela aurait coûté moins cher, certes. Mais peut-être est-on prêt maintenant à le faire : 500 millions de dollars, c'est finalement peu par comparaison avec les moyens que nos pays consacreront à la prévention de la pandémie humaine. Tant que le virus n'est pas transmissible de l'homme à l'homme, il n'est pas encore trop tard. Faut-il considérer la Chine comme un pays « voyou », pour reprendre votre expression ? Y en a-t-il beaucoup ? Sont-ils dans les zones à risque ?

M. Gérard CHARASSE : Combien dure la période d'incubation du virus ?

M. Gabriel BIANCHERI : Les moyens et mesures que vous aviez préconisés dès l'apparition des foyers restent-ils d'actualité ? D'autres dispositions méritent-elles, à la lumière du recul, d'être recommandées, sachant que tout ce qui pourra être fait contre la maladie animale ne pourra que gêner la diffusion d'un nouveau virus ?

M. Bernard VALLAT : La volonté politique de transparence de la Chine s'est manifestée après l'épisode du SRAS. Jusqu'alors, on ignorait pratiquement tout de la situation chinoise, dissimulée sous une chape d'ignorance.

Nous savons aujourd'hui que la situation sanitaire en Chine n'est pas bonne, en tout cas sur le plan de la santé animale, et les Chinois ont longtemps dissimulé cette situation. Mais la Chine bouge et, surtout, veut devenir un exportateur de produits animaux sur le marché mondial, en commençant par les volailles et les lapins avant de s'attaquer au secteur des porcs. Elle a très bien compris qu'elle ne parviendrait pas à devenir un exportateur important si elle ne faisait pas d'efforts de transparence vis-à-vis de notre organisation.

Nous avons très bien vu cette évolution. Mais si la volonté publique existe, le gros problème, en Chine, reste la décentralisation : par exemple, une nouvelle maladie détectée dans une province ne peut être déclarée à l'administration centrale qu'avec l'autorisation du gouverneur lui-même, qui peut être en déplacement, ce qui implique d'attendre... La France est un des seuls pays au monde à avoir la chance de disposer d'un système de détection centralisé, en l'occurrence les directions départementales des services vétérinaires (DSV), les DSV rapportant directement à la direction générale de l'alimentation (DGAL), au ministère de l'agriculture, qui rapporte à Bruxelles et à l'OIE. Le système des États-Unis est loin d'avoir la même efficacité, du fait de son organisation fédérale, avec un ou deux vétérinaires fédéraux par État, chaque État appliquant sa propre législation en matière de lutte contre les épizooties. Conscients du péril qui pourrait en résulter en cas de menace bioterroriste, les Américains cherchent le moyen de remédier à cette situation. De la même façon, la Chine travaille à un nouveau projet de loi qui donnerait aux services vétérinaires fédéraux beaucoup plus de pouvoirs qu'aujourd'hui par rapport aux gouverneurs. Pour l'instant, il faut compter, en Chine, six jours entre la détection d'un cas et sa déclaration. Il peut se passer beaucoup de chose entre-temps, notamment du côté des exportations de produits animaux contaminés. Cela est très préoccupant pour nous, et nous faisons pression sur la Chine pour qu'elle fasse au plus vite voter ce texte. Nous sommes optimistes car les Chinois ont préparé une déclaration contenant des engagements très forts, à l'occasion de la grande conférence mondiale des bailleurs de fonds destinée à aider les pays pauvres à ventiler les fonds qui leur permettront de contrôler la grippe aviaire ; cette conférence se tiendra à Pékin les 15, 16 et 17 janvier 2006. La Chine est un véritable bouillon de culture, mais les Chinois, tout doucement, prennent les mesures appropriées. Il faudra cependant attendre des années avant qu'ils ne disposent d'un service vétérinaire national de nature à éviter que la Chine ne représente un danger pour le reste du monde...

Il est des pays dont nous ne savons absolument rien : ainsi l'Irak, ou certains pays d'Afrique en proie aux guerres civiles, tels la Somalie, la Sierra Leone, le Liberia. La situation n'est guère satisfaisante, non plus, dans plusieurs Républiques d'Asie centrale : l'Ouzbékistan met souvent un mois à nous envoyer ses rapports... Il y a encore beaucoup à faire au niveau international. Il est de l'intérêt de tous d'aider ces pays et de faire pression sur le plan politique. Pour autant, il n'est pas question de leur imposer quoi que ce soit : toutes les normes publiées par l'OIE pour lutter contre les maladies ont été démocratiquement votées par tous les Etats membres qui ne sauraient, donc, s'y opposer aujourd'hui.

À chaque fois qu'apparaît une souche potentiellement défavorable à la santé animale, voire à la santé publique, l'intérêt général commande d'éliminer le virus. C'est ce qu'ont fait les Japonais et les Coréens lorsque la souche asiatique H5N1 est arrivée chez eux ; en appliquant les méthodes que nous préconisons, ils l'ont éliminé ; même la Malaisie, qui n'est pourtant pas encore un pays très développé, a su éliminer le virus dès son apparition. Le Kazakhstan, ne se sentant pas prêt, nous a immédiatement demandé d'envoyer une équipe afin de les conseiller. Il a constitué un comité interministériel avec nos experts et a parfaitement suivi nos recommandations : ils ont éliminé le virus. De même, la Roumanie et la Turquie ont su réduire au début les foyers au fur et à mesure de leur apparition et s'en débarrasser. Autrement dit, il n'est pas besoin d'être un grand pays riche ; il suffit d'employer les bonnes méthodes, de disposer d'un système de détection précoce avec des éleveurs organisés et dotés d'une formation minimale, de vétérinaires de proximité et de fonds de compensation.

Le fonds de compensation est fondamental. L'éleveur, à plus forte raison s'il est pauvre, doit impérativement être assuré, lorsqu'il déclare la maladie, d'être payé rapidement pour ses bêtes et au juste prix. Chaque heure compte. Si cela n'est pas prévu, l'éleveur dissimulera les volailles mourantes, le virus commencera à se diffuser dans le village et le coût de l'éradication sera multiplié par plus de mille entre l'intervention sur la première ferme infectée et celle sur un département. La gestion du mécanisme de compensation doit rester nationale et impliquer étroitement les ministères des finances et de l'agriculture, sans attendre l'apparition du premier foyer. Il faut que les représentants des éleveurs soient constitués en comité, chargé de définir les modalités de l'indemnisation et associant tous les partenaires - les finances notamment, mais également les forces de l'ordre qui doivent pouvoir prendre des mesures impopulaires, au besoin, afin de bloquer les mouvements de personnes et d'animaux là où apparaît le virus. La réponse doit être absolument interministérielle.

La rapidité de la réponse exige des plans d'urgence préétablis, comme en France, afin que chacun soit à son poste et sache ce qu'il doit faire dès que sera déclenchée la situation d'urgence, soit prêt à circonscrire le foyer pour que le virus ne puisse pas diffuser. C'est la règle d'or.

Quant à la vaccination, elle sert d'outil complémentaire lorsque les lignes de défense ont été enfoncées pour diverses raisons, soit parce que les mesures d'urgence ont été mal appliquées, soit parce que le pays n'était pas prêt. La vaccination est seulement un outil complémentaire lorsque les lignes de défense ont été enfoncées, mais ce n'est pas un outil idéal, aussi doit-elle être considérée comme un dernier recours. Les capacités de production mondiale des vaccins animaux devraient nous permettre de faire face à la crise dans des conditions relativement efficaces ; mais, plutôt qu'une vaccination nationale, nous préconisons, compte tenu de la lourdeur de la procédure - administration par injection, puis injection de rappel selon l'âge de l'animal - une vaccination en anneau autour de la zone infectée.Rien que pour la France, il faudrait vacciner trois milliards d'oiseaux. La Chine a décidé de vacciner l'ensemble de son cheptel ; non seulement je ne pense pas que la capacité de production chinoise suffira, mais il faudra des années pour couvrir le territoire. La Chine dispose d'un million de personnes, pour vacciner par injection individuelle cinq milliards d'oiseaux. Je crois qu'il faudra y affecter des effectifs plus nombreux. De surcroît, les vaccins les plus efficaces contiennent un excipient composé d'une huile minérale en principe non recommandée pour la consommation humaine : il fait l'objet d'une recommandation négative du Codex en termes d'ingestion par l'homme. Aucun gouvernement ne prendra la responsabilité de laisser consommer cette huile, même si les quantités absorbées par l'homme à la suite de la consommation d'animaux vaccinés resteraient limitées... Il faut vingt-huit jours pour que l'organisme vacciné élimine le vaccin, ce qui complique d'autant plus les choses que la vie économique d'une volaille oscille entre trente jours et quatre mois. Donc, en l'état actuel des vaccins disponibles, la vaccination n'est pas l'outil idéal. Nous l'avons très fortement recommandée au Vietnam dans la mesure où c'était la seule façon de préserver les voisins et le reste du monde, mais il faut avoir conscience de ses inconvénients. La règle d'or, c'est d'aider tous les pays du monde à avoir un service public capable de faire appliquer les lois, de leur donner des ressources internationales pour garantir l'indemnisation des éleveurs, et d'envoyer des équipes dans les zones infectées pour abattre les animaux qui ont été en contact avec ceux atteints, afin d'empêcher le virus de s'y maintenir.

M. Gabriel BIANCHERI : Avez-vous connaissance de recherches sur des vaccins administrables par voie orale, notamment avec de l'eau ?

M. Bernard VALLAT : Hors de la Chine, il n'existe que trois fabricants de vaccins. Ils n'ont pas beaucoup investi dans la recherche sur le vaccin buccal : ils savent bien que la meilleure façon de lutter contre la grippe des poulets, c'est de les abattre, et que la vaccination sera utilisée parcimonieusement. Il faudrait faire appel aux ressources publiques si l'on voulait faire du vaccin une arme appropriée. Inversement, dans le cas de la maladie de Newcastle, très proche mais heureusement non zoonotique, tous les éleveurs du monde considèrent que le vaccin est l'arme appropriée ; on n'a aucun mal à trouver des vaccins par voie orale à des coûts tout à fait compétitifs.

M. Pierre HELLIER : Au demeurant, la vaccination ne changera rien au problème de la confiance du consommateur dans ce qu'il mange. Les porteurs sains le restent-ils une fois vaccinés ? Par ailleurs, je voulais vous demander si Taïwan est ou non membre de l'OIE ? Car on pourrait se fier davantage aux déclarations des autorités taïwanaises qu'à celles du gouvernement chinois.

M. Gérard BAPT : J'avais posé la question de la création d'un fonds de compensation à Mme Margaret Chan, de l'OMS, lors de son audition par visio-conférence, en relevant que, plus l'indemnisation sera réduite, moins il y aura de déclarations précoces. Sa réponse a été très rapide et elle m'a renvoyé aux législations nationales qui organisent des prises en charge, au demeurant très inégales... Y aurait-il un moyen de faire adopter, au niveau international, le principe d'une compensation intégrale, afin de tuer dans l'œuf les manifestations épizootiques ?

M. Daniel PREVOST : Que pensez-vous de la prolongation des mesures de confinement des élevages prises par les services vétérinaires et sanitaires dans certains départements français ? Ces décisions vous paraissent-elles justifiées ? Les ventes ont baissé de 20 à 30 % dans certaines régions, particulièrement dans l'Ouest et les volailles labellisées comme les poulets de Loué ou de Janzé connaissent de gros problèmes de commercialisation, à la veille des fêtes de Noël. Je relève qu'une épidémie de maladie de Newcastle, qui s'était déclenchée dans un élevage de pigeons de ma circonscription, a été très rapidement circonscrite.

M. Gérard CHARASSE : Je rappelle ma question sur la durée de la période d'incubation chez les oiseaux migrateurs.

M. Bernard VALLAT : La période d'incubation dure entre deux et trois jours. Si un oiseau vole à 50 km/h pendant quarante-huit heures, il a le temps de parcourir des distances considérables.

Taïwan a adhéré à l'OIE avant la République populaire de Chine ; or, contrairement à l'ONU, notre règlement ne nous permet pas de radier un adhérent. C'est pour nous un problème majeur, les Chinois refusant d'entrer dans une salle de réunion où siège un Taïwanais. Nous sommes obligés de gérer cette affaire délicate au coup par coup en « oubliant » parfois d'inviter Taïwan... L'OMC a pu la régler, Taïwan ayant accepté la dénomination « territoire douanier séparé de Taïwan ». Malheureusement, les Chinois ont refusé notre proposition d'un « territoire sanitaire séparé de Taïwan », ce qui aurait pu ouvrir la voie à une réadhésion de Taïwan à l'OMS ! Toujours est-il que Taïwan est un membre parfaitement régulier de l'OIE et que la Chine participe à nos travaux. Le pis-aller que nous avons trouvé nous permet en tout cas de remplir nos mandats.

S'agissant de la maladie de Newcastle, je pense que si tous les éleveurs français vaccinaient notamment les pigeons et les faisans, le problème ne se poserait, pour ainsi dire, plus. Il faut d'autant plus vacciner que le vaccin est efficace, peu coûteux et facile à administrer. Les défaillances d'éleveurs négligents pénalisent l'économie de départements entiers.

Nous n'avons pas encore été en mesure d'établir une norme mondiale uniformisant les modalités d'indemnisation, du fait des différences entre les règles législatives des pays membres : ainsi, en France, on n'indemnise que pour les animaux vivants que l'on abat ; les animaux déjà morts de la maladie ne sont pas pris en compte. Il est seulement prévu une indemnisation « juste et rapide », à charge pour le législateur de chaque pays d'en définir les modalités. Le sujet est complexe et suscite des débats à n'en plus finir dans chaque pays. Pour notre part, nous poussons pour que l'indemnisation soit la plus élevée et la plus rapide possible.

Les financements que nous-mêmes et la FAO sollicitons pour harmoniser les politiques nationales de lutte contre l'influenza aviaire et améliorer la gouvernance des services vétérinaires ne sont pas très élevés. Nous avons joint nos forces avec la FAO pour créer cinq « structures miroirs » destinées à adapter les politiques aux spécificités des régions. Il faut compter 15 à 20 millions de dollars, hors vaccination, pour améliorer les actions des services vétérinaires d'un État. Quinze à vingt pays ont été pris en compte, pour un total de 500 millions de dollars ; si l'Afrique est contaminée par des oiseaux migrateurs, le devis grimpera très vite.

M. le Rapporteur : Précisément, quel est l'état actuel des services vétérinaires en Afrique ? L'IRD est pour l'instant dans l'expectative, espérant des actions communes... Comment agissez-vous dans les territoires sensibles ?

M. Gabriel BIANCHERI : Les colombophiles sont vent debout et vivent dans la crainte de mesures d'éradication. Leurs petits élevages peuvent atteindre une valeur considérable : un pigeon sorti vainqueur d'une course de mille kilomètres rassemblant vingt mille participants peut valoir des milliers d'euros. Les colombophiles craignent de ne jamais être indemnisés en cas d'éradication et, qui plus est, de perdre des lignées de reproducteurs. Travaux scientifiques à l'appui, ils soutiennent enfin que les pigeons pourraient être résistants au H5N1. Nous subissons une certaine pression...

M. Daniel PREVOST : Le confinement se justifie-t-il ? Les volailles labellisées se nourrissent d'habitude à l'extérieur ; leur enfermement pendant plusieurs mois pose de sérieux problèmes pour l'éleveur.

M. Bernard VALLAT : J'ai été particulièrement impressionné par la qualité de l'avis rendu par l'AFSSA sur la question du confinement. Les mesures prises vont bien au-delà de ses préconisations, que je jugeais suffisantes. Mais chaque pays membre de l'OIE est souverain...

La situation en Afrique est très inégale. Plusieurs pays comme la Namibie, le Botswana, l'Afrique du Sud, disposent de services vétérinaires tout à fait efficaces, à tel point que leur quota d'exportation de viande bovine vers l'Union européenne a été maintenu. Ils répondent aux normes et sont régulièrement inspectés par l'Office alimentaire et vétérinaire, l'OAV. Ils sont donc parfaitement capables, en cas d'infection, d'appliquer les mesures de réaction rapide que nous préconisons. Une trentaine de pays ont bénéficié de très forts appuis de la Commission européenne pour moderniser leurs services vétérinaires. Ils seraient de ce fait beaucoup mieux armés que les autres pour conduire des actions efficaces. Au total, sur une cinquantaine de pays, une trentaine seulement sont capables d'utiliser efficacement les aides extérieures.

Pour les autres, tout reste à créer. Si l'influenza arrivait, on ne pourrait pas compter sur une réaction rapide. Nous ne pourrions que préconiser des vaccinations en anneau pour essayer de contenir le virus et éviter qu'il n'aille dans le reste de l'Afrique, mais le problème de l'infection de l'Europe par des oiseaux migrateurs revenant d'hivernage restera en suspens.

Cela dit, le problème est tellement complexe et aléatoire que personne n'ose se risquer à un avis sur la possibilité de voir apparaître un virus en Europe porté par les migrations venues d'Afrique. Tout ce que l'on peut faire, c'est surveiller les oiseaux en Afrique - des programmes se mettent en place -, essayer de savoir si le virus y circule déjà et édicter des mises en garde à destination de l'Union européenne s'il est détecté en quantités significatives. Cependant, même si le virus arrivait dans l'Union européenne par l'Afrique, les dispositifs actuels, la réglementation communautaire et les législations nationales permettraient de le bloquer très vite, j'en suis sûr. On a vu comment la fièvre aphteuse apparue en France en 2001 dans le Maine-et-Loire a été immédiatement arrêtée en n'abattant que le bétail de deux étables, alors que les Pays-Bas ont dû abattre 300 000 bêtes. Depuis, les autres pays de l'Union ont amélioré leur dispositif. Si le virus arrivait, ce ne serait pas un réel problème.

Les pigeons véhiculent régulièrement des souches de grippe faiblement pathogènes qui ne présentent aucun danger majeur pour la santé publique, voire pour la santé animale. Aucun pigeon n'a été trouvé infecté par la souche asiatique, ce qui laisse à penser que le virus a du mal à contaminer le pigeon - tout comme l'homme ou le porc, du reste, d'ordinaire sensibles à la grippe. Ce qui n'a pas empêché le Vietnam de décréter un temps l'abattage national des pigeons... Outre le fait que la souche n'est pas particulièrement agressive pour le pigeon, la directive européenne permet aux pays membres de vacciner, par dérogation, les oiseaux des parcs zoologiques afin de ne pas avoir à abattre des flamands roses ou autres. Pourquoi ne pas étendre cette dérogation à des pigeons de course de grande valeur ? Ce dossier pourrait être très rapidement présenté à Bruxelles.

M. Gabriel BIANCHERI : À qui faut-il s'adresser ?

M. Bernard VALLAT : À la direction générale de l'alimentation, la DGAL.

M. François GUILLAUME : Quelle que soit la catégorie d'animaux concernés, c'est toujours la même alternative : on procède, soit à la vaccination, soit à l'abattage. La vaccination, même si elle est un peu plus facile à pratiquer sur des bovins, n'en resterait pas moins une action préventive possible si l'on pouvait disposer d'un vaccin buvable.

M. Bernard VALLAT : Il est de fait que le public accepte de moins en moins les abattages massifs d'animaux pour raisons sanitaires, à l'image de ces bûchers aux Royaume-Uni où six millions de bovins et de petits ruminants ont été exterminés pour éradiquer la fièvre aphteuse. Un tel schéma ne se reproduira plus, et c'est bien la raison pour laquelle j'ai insisté sur la nécessité d'une détection et d'une réponse rapides pour éviter un tel massacre ; dans ce cadre, la vaccination, en tant qu'outil sélectif, reste essentielle et nous préconisons de la pratiquer en anneau.

Cela dit, pour que cet outil sélectif devienne parfaitement acceptable, plusieurs obstacles doivent être franchis, à commencer par celui de la réticence du consommateur face à des animaux vaccinés. Dans le cas d'un bovin, il suffit d'attendre le temps nécessaire après la vaccination pour le mettre en marché, le temps que l'excipient soit totalement résorbé. C'est beaucoup moins gérable pour les volailles, compte tenu de leur courte durée de vie économique ; or le temps d'attente est le même puisqu'il s'agit souvent des mêmes excipients. Les multinationales n'ont pas réellement investi dans la vaccination contre l'influenza aviaire, sachant pertinemment qu'elle ne serait jamais qu'un outil de secours et non un outil global. Si vraiment l'on veut des vaccins administrables par voie orale, il faudra mettre les ressources publiques à contribution. Une plate-forme technologique sur la santé animale a été mise en place à Bruxelles, dotée de 50 millions d'euros ; elle pourrait subventionner des multinationales pour qu'elles élaborent des programmes à parité.

M. Gabriel BIANCHERI : Les Pays-Bas supportent de plus en plus mal le coût économique des abattages et poussent au rétablissement de la vaccination dans de nombreux domaines.

M. Bernard VALLAT : Il faut examiner les maladies au cas par cas. Pour les maladies épizootiques à haut pouvoir infectant comme la fièvre aphteuse ou l'influenza aviaire, nous ne préconisons pas la vaccination préventive systématique, mais un dispositif de détection précoce et un programme d'action rapide défini au niveau interministériel, dans le cadre duquel la vaccination sert d'outil de secours. N'oublions pas que le meilleur vaccin ne procure qu'une immunité de six mois contre la fièvre aphteuse ; il faudrait donc revacciner tous les six mois l'ensemble du cheptel, les bovins, mais également les porcs et les moutons, et contre les sept souches en circulation dans le monde ! Or le coût d'un tel vaccin est dix à quinze fois supérieur à celui d'un vaccin monosouche... C'est donc un phénomène très complexe qui ne peut être réduit à une approche générale. Protéger, en les vaccinant, tous les animaux pour ne plus avoir à les abattre, cela ne marche pas. Tout dépend des situations, des maladies mais également de l'offre de vaccins disponibles. Il n'existe pas de modèle prédéfini ; tout cela exige une analyse beaucoup plus complexe.

Mme la Présidente : Monsieur le Directeur général, je vous remercie.

Audition de M. Michel BUBLOT et de Mme Charlotte SANDRET, représentants des laboratoires MERIAL

(Compte rendu de la réunion du mercredi  7 décembre 2005)

Présidence de M. Jean-Marie LE GUEN, Président

M. le Président : Madame, Monsieur, nous vous remercions d'avoir accepté ce rendez-vous. Notre mission d'information travaille avant tout sur la pandémie humaine, mais s'intéresse également à la grippe animale et, davantage encore, à la jonction entre les deux problèmes. Nous avons tout à la fois une fonction de contrôle de l'action gouvernementale et un rôle d'information et de transparence - c'est pourquoi cette réunion est ouverte à la presse.

J'ai déjà eu l'occasion de faire connaissance avec votre laboratoire en allant visiter le centre de lutte contre les maladies infectieuses à Atlanta au mois de juillet dernier. J'ai appris à cette occasion que votre laboratoire était une joint-venture entre Merck et Sanofi. Nous aimerions entendre votre point de vue sur la situation actuelle de l'épizootie et son évolution.

M. Michel BUBLOT : Responsable d'un laboratoire de virologie, je suis aussi chef de projet sur les vaccins « grippe aviaire » de nouvelle génération. Je suis accompagné de Mme Charlotte Sandret, responsable de la communication Merial pour la France.

Issue du regroupement, en 1997, de Rhône-Mérieux, alors département « santé animale » de Rhône-Poulenc, devenu depuis Aventis, puis Sanofi, et des activités de santé animale des laboratoires américains Merck, Merial a en France une histoire très ancienne, qui remonte à la fondation en 1896, par Marcel Mérieux, disciple de Pasteur, de l'institut Mérieux, spécialisé après la seconde guerre mondiale dans la production de vaccins contre la fièvre aphteuse.

Dans le monde, Merial réalise un chiffre d'affaire de 1,8 milliard de dollars, emploie 5 000 salariés dont 1 700 experts et est présent dans 150 pays. Il s'agit donc d'une entreprise mondiale. En France, Merial SAS réalise un chiffre d'affaires de 567 millions d'euros dont 67 % à l'exportation et possède deux centres de recherche et développement, ainsi que quatre sites de production, trois à Lyon et un à Toulouse. Notre site de Lyon est capable de produire plus de 10 milliards de doses de vaccin aviaire par an. Nous sommes leader sur le marché français et n° 2 dans le monde, où nous talonnons Pfizer.

M. le Président : Présentez-nous vos vaccins.

M. Michel BUBLOT : Il existe deux grands types de vaccins contre la grippe aviaire.

Les vaccins classiques sont fabriqués en cultivant le virus de la grippe sur des œufs embryonnés ; le virus est alors inactivé, autrement dit tué et formulé avec un adjuvant huileux. Contrairement au vaccin humain, le vaccin aviaire, pour des raisons de coût, n'est pas purifié.

Les vaccins dits « vecteur fowlpox » sont issus des biotechnologies. La souche vaccinale est le virus fowlpox, responsable, sous sa forme pathogène, de la variole aviaire (qui n'a rien à voir avec la variole humaine), modifié pour exprimer un gène protecteur de la grippe, l'hémagglutinine, antigène majeur de la grippe. Le vaccin est produit en cultures de cellules et lyophilisé - le virus reste donc vivant.

La lutte contre la grippe aviaire dans les pays indemnes a pour but de prévenir la maladie par des mesures de biosécurité en élevage, jusqu'à l'abattage - confinement, désinfection, changement de tenue, etc. - et par des mesures de surveillance, domaine dans lequel la France a déjà prouvé sa réputation d'excellence ; la vaccination vient seulement en troisième position. Toute vaccination « grippe » est contrôlée et soumise à autorisation.

Dans les pays infectés, l'objectif est évidemment d'éradiquer la maladie par des mesures de sécurité - abattage, désinfection, restriction des déplacements -, par une surveillance accrue autour des foyers, et enfin par des vaccinations « en anneau » dans un rayon de dix kilomètres autour du foyer détecté.

Il existe de ce fait plusieurs politiques de vaccination contre la grippe aviaire. La vaccination préventive est limitée aux élevages à hauts risques, par exemple les canards prêts à gaver, en parcours extérieur. Les canards sont, on le sait, sensibles à la souche asiatique H5N1, mais les oiseaux sauvages, en particulier les canards, transportent également de nombreux autres virus de grippe transmissibles aux volailles, faiblement pathogènes... Ce risque est permanent.

M. le Président : Autrement dit, le H5N1 non pathogène existe aujourd'hui en France dans nos élevages de canards ?

M. Michel BUBLOT : Le risque d'infection par une souche faiblement pathogène H5N1, H5N3 ou d'autres sous-types encore existe.

M. le Président : Et ce H5N1 non pathogène, par sa propre mutation locale, sans importation extérieure, pourrait évoluer vers une forme plus pathogène - d'où votre recommandation de développer la vaccination préventive...

M. Michel BUBLOT : Il existe des dizaines de souches de grippe aviaire, les unes faiblement pathogènes et d'autres hautement pathogènes. On retrouve dans les premières tous les sous-types, de H1 à H16, mais seulement les sous-type H5 et H7 dans les souches hautement pathogènes. De ce fait, une souche faiblement pathogène H5 ou H7 peut passer des oiseaux sauvages aux volailles domestiques, se multiplier sans provoquer d'affection clinique visible puis, au hasard des réplications, modifier son matériel génétique et devenir soudain hautement pathogène. C'est pourquoi l'OIE recommande désormais de déclarer, outre les infections hautement pathogènes, les infections faiblement pathogènes par les souches H5 et H7, à cause de ce risque-là.

M. le Président : C'est très important. Alors, on vaccine ou pas ?

M. Michel BUBLOT : On peut recommander la vaccination préventive pour les élevages à haut risque, comme les canards en parcours extérieur, car nous savons qu'il y a déjà eu passage de souches faiblement pathogènes des canards sauvages vers les canards domestiques, ou encore pour les oiseaux rares dans les zoos, comme on l'a fait lors de l'épizootie aux Pays-Bas en 2003.

Deuxième politique possible, la vaccination d'urgence en anneau : sitôt qu'un foyer d'infection est détecté, on délimite un périmètre de quelques kilomètres (quatre ou cinq) dans lequel on abattra tous les animaux, et on vaccinera systématiquement tout autour dans un rayon plus large, d'une dizaine de kilomètres par exemple, avec, comme objectif, de circonscrire l'infection.

Troisième politique, la vaccination généralisée, qui se pratique dans les pays où la grippe est endémique : Vietnam, Chine, Indonésie ou encore Mexique, dans lequel sévissent d'autres souches, comme le H5N2.

M. le Président : Ce ne sont pour l'instant que des politiques potentielles. Dans quels scénarios préconisez-vous de les appliquer ? Comment déterminer s'il faut mettre en place la vaccination préventive ou la vaccination généralisée ?

M. Michel BUBLOT : Au niveau mondial, la vaccination n'est utilisée que dans les régions où la grippe aviaire est endémique, où les mesures de biosécurité n'ont pas permis d'éradiquer la maladie. Il est trop tard. C'est le seul moyen de diminuer la pression infectieuse, avec le confinement des élevages.

M. le Président : Cette politique est-elle vraiment mise en œuvre au Vietnam, en Chine ou en Indonésie ?

M. Michel BUBLOT : Oui et également au Mexique.

M. le Président : Mais ailleurs ?

M. Michel BUBLOT : Vous avez tous entendu parler du plan de vaccination des quatorze milliards de volailles chinoises ; à croire certaines annonces, entre 45 et 65 % des volailles auraient déjà été vaccinées.

M. François GUILLAUME : C'est le Gosplan...

M. le Président : Mais qui produira tous ces vaccins ?

M. Pierre HELLIER : Le problème reste que la vaccination se fait par injection. La Chine prévoit d'y consacrer un million de personnes... Sans un vaccin oral, un tel plan est techniquement impossible.

M. Jérôme BIGNON : Les appelants, aussi, sont au contact du milieu naturel et des autres oiseaux. Ces canards sont actuellement supposés confinés, mais on peut être certain qu'ils ne le sont pas totalement. Cette population est-elle à risque, et si oui, sa vaccination ne serait-elle pas de nature à diminuer le risque, tout en maintenant l'interdiction de les utiliser pour la chasse ? Les canards appelants se comptent par dizaines de milliers.

M. le Président : Quatre questions. De votre point de vue d'industriel, pensez-vous que les schémas théoriques que vous nous avez décrits sont concrètement mis en application ? Avez-vous, avec vos confrères, les moyens industriels de répondre à la demande ? Peut-on espérer des évolutions technologiques, l'arrivée d'un vaccin oral, par exemple, à court ou moyen terme ? Peut-on étendre la politique de vaccination préventive à d'autres catégories d'oiseaux que celles décrites ? Nos chasseurs, ai-je cru comprendre lors de leur audition, juste avant la vôtre, seraient heureux de pouvoir vacciner leurs appelants, pour être tranquillisés. Enfin, quel est finalement l'objectif stratégique de la vaccination ? S'agit-il de résorber le virus, ou de préserver l'animal ? Il y a là une certaine ambiguïté.

M. Michel BUBLOT : Les trois types de vaccination sont bel et bien utilisés. La vaccination préventive est appliquée dans certaines régions de l'Italie qui a demandé à pouvoir vacciner des élevages de dindes situés à proximité d'oiseaux sauvages, et régulièrement en contact avec ces derniers. À noter qu'il s'agit d'une vaccination contrôlée : il faut surveiller les élevages vaccinés pour vérifier qu'ils ne sont pas, malgré tout, infectés, ce qui est plus ou moins facile suivant les types de vaccins.

La vaccination d'urgence généralisée est mise en œuvre au Vietnam, qui utilise trois types de vaccins inactivés fabriqués par une société concurrente, mais également des vaccins chinois obtenus par génétique inverse, qui ont montré leur efficacité sur le canard et l'oie, et notre propre vaccin vecteur Trovac. L'objectif est bien de vacciner tous les animaux. L'opération a commencé par les régions à risque - delta du Mékong, région de Hanoi - et s'étend progressivement à tout le pays.

La Chine produit au moins trois types de vaccins. Elle dispose de vaccins inactivés classiques, mais fabriqués à partir d'une vieille souche anglaise proche de la souche H5N1 mais pas totalement similaire. Nous allons nous-même en produire, à la demande du gouvernement chinois. Je pense que cette année, nous produirons 300 millions de doses dans le cadre d'une joint venture constituée à Nanjing avec une société chinoise. La Chine a pour principe de ne vacciner qu'avec des vaccins chinois : la joint venture est pour nous le seul moyen d'entrer dans le business de ce pays.

La Chine a développé d'autres vaccins. Un vaccin de nouvelle génération obtenu par génétique inverse a été développé à l'université de Harbin, qui semble, à croire des études scientifiques très sérieuses publiées sur la question, donner d'excellents résultats sur l'oie et le canard. La même université a également développé un vaccin à vecteur très proche du nôtre. Les résultats, présentés lors de réunions scientifiques, mais non publiés, semblent témoigner d'une excellente efficacité. Il s'agit d'essais en stations isolées. Reste à savoir s'ils se confirmeront sur le terrain : lorsqu'un vaccin sort de Merial, il a été contrôlé, testé et nous savons qu'il répond aux spécificités attendues...

M. le Président : Faites-vous allusion à ce procès qui se déroule actuellement en Chine, où une usine de production aurait utilisé de l'eau distillée, certes moins coûteuse à produire, mais n'ayant pas le même effet ?

M. Michel BUBLOT : Il existe effectivement des problèmes de trafics de vaccins en Chine, mais ce n'est pas à cela que je faisais allusion. Je veux simplement dire qu'un vaccin parfaitement correct à sa sortie d'usine perd toute efficacité s'il séjourne dans une voiture à trente degrés ou encore s'il est mal injecté, par des personnes qui n'en ont pas l'habitude. De plus, l'immunité n'est pas acquise du jour au lendemain : il faut un certain temps. Enfin, la protection peut disparaître au bout de quelque mois. Autrement dit, de nombreux facteurs peuvent interférer, dont on ne saurait incriminer les producteurs de vaccins !

La Chine possède dix sites de fabrication, dont celui né de la joint venture avec Merial, et donc des capacités de production assez élevées. De là à pouvoir vacciner cinq milliards de volailles, la chose est difficile à contrôler. L'ouverture et la transparence s'améliorent, mais de là à atteindre 100 %...

M. le Rapporteur : Bref, elle s'améliore...

M. le Président : Et le vaccin oral, est-ce pour demain ?

M. Michel BUBLOT : En dépit de quelques annonces, aucun vaccin oral n'a été à ce jour enregistré. Nous allons démarrer un programme de recherche, mais cela risque d'être assez long. Le vaccin oral aurait l'avantage de pouvoir être utilisé sur les canards sauvages, mais il s'agit d'une problématique difficile. Merial a déjà une certaine expérience en matière de vaccination de la faune sauvage, puisque nous produisons le Raboral, développé par la société Transgene à Strasbourg, un vaccin vecteur de nouvelle génération utilisé sur les renards, qui a permis d'éradiquer la rage en Belgique, au Luxembourg et en France. On s'en sert maintenant aux États-Unis. Cela dit, nous n'avons encore aucune solution de ce genre pour la grippe aviaire, et la problématique n'est pas évidente. Merial n'a aucune solution pour vacciner par voie orale. Au-delà des effets d'annonce de certains, j'attends de voir les résultats. Mais il est possible qu'un vaccin sorte dans un avenir proche...

M. le Président : Quinze milliards de volailles en Chine, plus l'Indonésie et le Vietnam, cela fait du monde à vacciner. Les industries chinoise, française et américaine sont-elles capables de produire suffisamment de doses ?

M. Michel BUBLOT : Si tous les pays du monde se mettent à vacciner, nous ne pourrons pas satisfaire à la demande.

M. le Président : Mais s'il n'y a que la Chine, la France et les Etats-Unis ? Sans compter qu'il faut des œufs pour fabriquer les vaccins...

M. Michel BUBLOT : Le vaccin inactivé classique, cultivé sur œufs, est moins facile à produire. Et si une épizootie touche les volailles d'un pays, il n'y aura plus d'œufs... Le même problème se posera d'ailleurs pour le vaccin humain fabriqué par Sanofi Pasteur.

M. le Président : Avez-vous été contacté pour protéger les poules françaises chargées de produire des œufs destinés à la fabrication des vaccins humains ?

M. Michel BUBLOT : Nous avons évidemment des contacts avec Sanofi-Pasteur, notamment dans le cadre du pôle de compétitivité récemment mis en place dans la région lyonnaise. Un volet du programme « grippe » de ce biopole, qui réunit Bio-Mérieux pour les diagnostics, Sanofi-Pasteur pour les vaccins humains et Merial pour les vaccins vétérinaires, porte précisément sur cette question : peut-on vacciner ces poules dont les anticorps passeront inévitablement dans leurs œufs, sans pour autant amoindrir la capacité de ces œufs à produire du vaccin humain ? Personne ne connaît vraiment la réponse, mais Merial a là-dessus une certaine expérience dans la mesure où nous produisons des vaccins inactivés à partir d'œufs de poules vaccinées pour d'autres valences : on s'est aperçu qu'il suffisait d'injecter un peu plus de virus dans l'œuf pour compenser les interférences. Autrement dit, la difficulté semble être surmontable, mais cela reste à prouver. Nous devrions avoir la réponse courant 2006, car nous avons lancé des études pour répondre à cette question.

Si l'on compare les caractéristiques des vaccins inactivés et des vaccins vecteurs, on relève que les vaccins inactivés sont tout à fait excellents pour la vaccination en anneau de poulets adultes ; les vaccins vecteurs également, mais seulement sur les animaux n'ayant jamais été en contact avec le virus de la variole aviaire, par vaccination ou infestation. Si l'animal a développé une immunité contre le fowlpox, il ne sera que partiellement protégé par le vaccin vecteur. C'est la raison pour laquelle, au Vietnam ou au Mexique, où il y a du fowlpox un peu partout, on n'utilise le vaccin vecteur que sur le poussin d'un jour. En effet, contrairement au vaccin inactivé, le vaccin vecteur peut être utilisé dans les couvoirs alors que le vaccin inactivé n'est pas recommandé sur les volailles de moins d'une semaine, chez lesquelles il ne produit pas une bonne immunité. Il faut donc vacciner dans les élevages, dans des conditions plus difficiles.

M. le Président : Combien faut-il d'injections ?

M. Michel BUBLOT : Une seule injection suffit avec les vaccins vecteurs. Pour les vaccins inactivés, tout dépend des espèces : pour les canards et les dindes, il faut en général deux doses. Pour un poulet de chair, dont la durée de vie est très courte, une injection suffit. À noter que le vaccin vecteur fonctionne mal chez les canards et les dindes. Le vaccin inactivé s'administre par injection sous-cutanée ou intramusculaire, le vaccin vecteur en sous-cutanée.

Avec le vaccin inactivé, l'immunité protectrice se met en place dans un délai de quatorze à vingt et un jours. On s'est aperçu à l'occasion d'une vaccination en anneau à Hong Kong que des animaux vaccinés depuis moins de dix-huit jours pouvaient répliquer le virus s'ils étaient infectés. Une étude hollandaise publiée dans une revue américaine a également montré que la protection n'était pas complète avant deux semaines. Le vaccin vecteur, en revanche, induit une immunité complète après une semaine seulement - nos études comme celles des Chinois l'ont prouvé. Autrement dit, en vaccinant les poussins à un jour, il permet d'avoir en une semaine des poulets parfaitement protégés alors qu'il faudrait attendre presque un mois avec le vaccin inactivé.

M. le Président : La fabrication de vaccins exige, d'après les responsables de Sanofi Pasteur, des usines hautement sophistiquées. La Chine est-elle réellement parvenue à ce niveau de technologie ? Comment la classeriez-vous ?

M. Michel BUBLOT : Je peux vous assurer, en tout cas, que les vaccins qui sortent de l'usine de notre joint venture de Nanjing sont d'une qualité identique aux nôtres.

M. le Président : Nous parlons évidemment de vaccins de qualité. Mais le processus industriel fait-il appel à des technologies très sophistiquées, d'un niveau comparable à celui exigé pour produire du vaccin humain ?

M. Jérôme BIGNON : Ou du Tamiflu ?

M. Michel BUBLOT : Je n'ai pas visité notre site de Nanjing, mais c'est à ma connaissance le même niveau d'équipement qu'à Lyon, en Italie ou aux États-Unis.

M. le Président : Mais s'agit-il de haute technicité ?

Mme Jacqueline FRAYSSE : Est-ce facile à produire ?

M. Michel BUBLOT : Des ingénieurs français surveillent la production - ce qui ne veut pas dire que les Chinois soient incompétents...

M. le Président : Mais le processus est-il très compliqué ? Est-il contraignant sur le plan de la sécurité ? L'usine coûte-t-elle très cher ?

M. le Rapporteur : Quelle différence y a-t-il entre la production de vaccin inactivé et la production de vaccin vecteur ?

M. le Président : Pourrais-je fabriquer du vaccin dans mon garage ?

M. Michel BUBLOT : Évidemment non. Cela exige des bâtiments spécifiques, des installations spéciales, un niveau de confinement élevé et des normes pratiques de fabrication très strictes.

M. Pierre HELLIER : Des salles blanches, etc...

M. Michel BUBLOT : En effet, avec des pressions d'air négatives et un degré d'empoussièrement minimum. On ne peut pas faire du vaccin n'importe où. Monter une usine de production exige de gros investissements.

M. le Rapporteur : Un vaccin animal est-il plus facile à fabriquer qu'un vaccin humain ?

M. Michel BUBLOT : Pas du tout. La qualité des vaccins à usage vétérinaire est comparable à celle des vaccins humains. Pour les vaccins contre la grippe porcine, nous utilisons le procédé humain. Du reste, les deux étaient autrefois fabriqués dans les locaux de Merial, avant d'être transférés dans les locaux de Sanofi. Le procédé de production des vaccins inactivés contre la grippe porcine ou équine est exactement le même que celui du vaccin contre la grippe humaine.

M. le Président : Expliquez-nous alors comment vous êtes capables de faire de la culture cellulaire alors que vos confrères de Sanofi Pasteur se disent incapables d'en faire autant pour l'homme...

M. Michel BUBLOT : Il faut reconnaître que les vaccins vétérinaires produits sur cellules ne sont pas soumis aux mêmes contrôles. Ainsi, il ne peut y avoir que très peu d'ADN cellulaire dans un vaccin humain, ce qui constitue une difficulté. C'est vrai, Sanofi-Pasteur et d'autres sociétés travaillent sur les vaccins cellulaires ; c'est une alternative intéressante, mais ce n'est pas aussi facile qu'il y paraît. Dans le cas de notre vaccin vecteur produit sur cellules, nous ne cultivons pas un virus grippal, mais une souche fowlpox de variole aviaire. Nous n'avons donc pas eu besoin de changer notre procédé de fabrication : c'est exactement le même que pour le vaccin contre la variole aviaire. Nos vaccins inactivés quant à eux sont bien produits sur œufs.

M. le Président : Et les appelants ? Peut-on les vacciner ?

M. Jérôme BIGNON : Si j'ai bien retenu la leçon : vaccin inactivé, deux injections, immunité acquise en quinze jours, durée de l'immunité de deux mois...

M. Michel BUBLOT : Merial offre son expertise et ses produits aux autorités, mais ce n'est pas nous qui donnons les recommandations en matière de vaccination. Tout ce que nous pouvons dire, c'est que nos vaccins peuvent éventuellement servir sur les canards mais leur vaccination, comme celle des dindes d'ailleurs, est plus difficile.

M. le Rapporteur : Peut-on consommer tranquillement un animal vacciné ?

M. le Président : Il n'y a aucun problème.

M. Michel BUBLOT : Aucun. Les poulets sont vaccinés contre d'autres maladies et cela n'empêche pas de les manger.

M. le Président : M. Bignon n'a pas sa réponse pour le canard...

M. Jérôme BIGNON : J'ai déjà compris qu'il n'était pas si facile d'installer un cordon sanitaire autour des appelants. Et comme ils sont dans la nature, ils sont un facteur de risque pour les élevages. D'où ma question.

M. le Président : Je suppose que M. Bublot allait nous parler des problèmes de stocks...

M. Michel BUBLOT : Effectivement, ainsi que des tests de détection de l'infection sur un animal vacciné. Le vaccin vecteur n'exprimant qu'une partie du virus de la grippe, il est facile de mettre en évidence l'infection chez des animaux vaccinés. Des tests sont d'ores et déjà disponibles sur le marché. Chez les animaux vaccinés avec le virus inactivé, la chose est moins évidente par le fait que l'on a injecté toutes les protéines du virus de l'influenza. Des tests sont en cours de développement, en Italie notamment, mais non encore commercialement disponibles.

M. François GUILLAUME : C'est le même problème que pour la fièvre aphteuse : l'impossibilité de commercialiser des produits animaux vaccinés dans certains pays ?

M. Michel BUBLOT : Exactement.

Nos vaccins H5 inactivés sont produits à Noventa, en Italie, et nos vaccins vecteurs à Gainesville, aux États-Unis. Il serait également possible de fabriquer des vaccins contre la grippe à Lyon si nécessaire. Nos capacités actuelles de production par mois sont de 20 millions de vaccins inactivés et 80 millions de vaccins vecteurs. Nous sommes dans un processus d'augmentation des capacités de production. La demande devenant de plus en plus forte, il nous sera possible de les porter respectivement à 50 millions et 300 millions de vaccins par mois. La stabilité du vaccin est de 12 à 18 mois pour l'inactivé et de 24 mois pour le vecteur. Des essais sont en cours pour l'améliorer. Il faut compter deux mois - lorsqu'on dispose déjà d'antigènes - à cinq mois - lorsque l'on part de zéro - pour fabriquer le vaccin inactivé, et seulement deux mois pour le vecteur. Dans les deux cas, il faut ajouter un temps de contrôle d'un mois et le délai d'insertion dans une usine, entre un et trois mois. Au total, il faut compter au moins quatre mois entre la commande et la livraison. La France ne pourrait décider d'intervenir en vaccination d'urgence sans disposer au préalable d'un stock suffisant.

M. le Président : Vous a-t-elle commandé des stocks ?

M. Michel BUBLOT : Nous n'en sommes qu'au stade des discussions, dont nous ne pouvons rien vous dire pour l'instant.

Mme Charlotte SANDRET : Tout dépend également des autorisations de mise sur le marché.

M. Michel BUBLOT : Effectivement. Nous sommes en contact permanent avec les autorités françaises - DGAL, ANMV et AFSSA - auxquelles nous transmettons toutes les informations nécessaires sur nos vaccins.

M. le Président : Comment voyez-vous, à titre personnel et sans engager Merial, évoluer la demande mondiale ? Nous avons compris que le Vietnam, le Mexique, la Chine, etc., ont des besoins potentiels liés à une politique de vaccination généralisée. Avez-vous préparé des scénarios au niveau international comme au niveau français ?

M. Michel BUBLOT : Pour ce qui est des scénarios, au niveau international, je suis incapable de vous répondre. Pour ce qui est de la France et au niveau mondial, Merial a un plan d'augmentation de ses capacités de production, que je viens de vous indiquer. Nous pourrions aller plus loin encore en cas d'urgence, mais cela aurait des répercussions sur nos autres productions.

M. le Président : Vous avez un scénario pour une telle situation d'urgence ?

M. Michel BUBLOT : Bien sûr.

M. le Président : Ce scénario anticipe-t-il une infestation des élevages au moment d'un retour d'oiseaux migrateurs au printemps, par exemple, au point de déclencher une demande de vaccination générale ?

M. Michel BUBLOT : Nous n'avons pas vraiment étudié une telle éventualité. Nous n'avons fait que donner nos chiffres à la DGAL, qui sait désormais exactement ce que Merial peut produire. Mais il n'y a pas que la France ; d'autres pays nous ont contactés. Nous savons ce que nous pouvons produire ; si la demande est supérieure, nous ne pourrons pas fournir.

M. le Président : Avez-vous envisagé le scénario d'une explosion de la demande ?

Mme Charlotte SANDRET : La demande est évaluée au cas par cas, pays par pays ; de ce fait, nous manquons de visibilité. Chacun d'eux vient nous interroger sur nos capacités, nos prix, etc. Nous ne sommes pas en mesure de bâtir un scénario dans lequel le monde entier vaccinerait.

M. le Président : Autrement dit, vous n'avez jamais été sollicités par le ministère de l'agriculture sur un scénario possible, qui serait celui de l'apparition de quinze foyers d'infection, par exemple, ou de cinquante, avec les quantités à calculer pour des vaccinations en anneau, puis, éventuellement, pour vaccination générale, etc. ? Il n'existe pas de plan « grippe aviaire » sur le modèle du plan « pandémie grippale » ?

Mme Charlotte SANDRET : Nous n'avons pas été saisis de demandes de concertation, en tout cas pas à notre niveau. Nous avons évidemment été contactés par l'OMS et de nombreuses organisations internationales, mais la vaccination animale n'a pas été le premier sujet de préoccupation. Sitôt qu'on a parlé de grippe aviaire, on a d'abord songé au risque de pandémie humaine.

M. le Président : C'est logique. Mais depuis le temps qu'on y réfléchit, on aurait pu avancer...

Mme Charlotte SANDRET : La santé animale n'est venue qu'en second.

M. le Président : Merci pour toutes ces informations. Cela fait plaisir d'avoir affaire à une entreprise à moitié française...

Mme Charlotte SANDRET : Elle est française dans l'âme, je vous assure.

M. Michel BUBLOT : Lyon est vraiment notre premier centre pour la production des vaccins et la biomédecine vétérinaire, ainsi que pour la recherche-développement.

Audition de Mme Barbara DUFOUR, spécialiste de la grippe aviaire à l'Ecole nationale vétérinaire de Maisons-Alfort

(Compte rendu de la réunion du mardi 13 décembre 2005)

Présidence de M. Jean-Marie LE GUEN, Président

M. le Président : Notre mission d'information consacre l'essentiel de ses travaux au Plan de lutte contre la pandémie grippale, mais elle ne saurait, bien évidemment, ignorer la problématique de la grippe aviaire proprement dite. Elle est notamment préoccupée par le risque de progression géographique de l'épizootie dans le monde du fait des déplacements migratoires de millions d'oiseaux pendant l'hiver, vers les pays du sud. Nous ignorons pour le moment ce qui se passe exactement sur place, en Afrique, et nous nous interrogeons sur ce qui pourrait advenir au printemps, avec la vague des retours. Vous nous donnerez votre sentiment sur cette question. Vous nous direz, plus généralement, si vous estimez possible de maîtriser l'épizootie.

Mme Barbara DUFOUR : L'Asie du Sud-Est n'en est plus au stade de la menace, mais à celui de la catastrophe économique et humaine. En Europe, si des foyers de peste aviaire apparaissaient, il en serait sans doute de même. Ce serait sans doute quelque chose de très grave.

Je tiens d'abord à formuler des précisions d'ordre terminologique. L'expression « pandémie de grippe aviaire » est à éviter. Si le virus mute et s'adapte à l'homme, ce sera une pandémie de grippe humaine : les oiseaux n'auront plus rien à voir avec elle. Les suffixes « zootie » et « démie » doivent être respectivement réservés aux animaux et aux hommes : on ne peut parler aujourd'hui que de panzootie de grippe aviaire, d'épidémie asiatique très limitée de grippe aviaire, très faiblement transmissible à l'homme, et d'hypothèse de pandémie de grippe humaine.

On peut se féliciter que la France se soit préparée à ce risque pandémique, qui est permanent depuis des décennies et a encore de beaux jours devant lui. Mais il faut regretter l'utilisation de termes inappropriés, qui a créé une panique inutile parmi les consommateurs : la chute de la consommation de volailles n'a aucune raison objective. Il faut rassurer le consommateur : une pandémie peut arriver à n'importe quel moment avec ce virus H5N1, comme avec n'importe quel autre virus. Le monde des influenzas est très complexe et très divers. La menace plane en permanence au-dessus de nos têtes. Par exemple, du virus influenza faiblement pathogène a été détecté au Canada ; il peut devenir fortement pathogène à tout moment. Il n'y a donc pas matière à « surinquiéter » les citoyens, comme cela a été le cas ces derniers temps. Une pandémie se produira sans doute un jour mais personne n'est en mesure de prévoir ni quand, ni à partir de quel virus.

La seule cause d'inquiétude, c'est que l'épizootie actuelle en Asie du Sud-est a une ampleur et une durée jamais rencontrées jusqu'à présent. Pourquoi les mesures de lutte utilisées n'ont-elles pas eu l'efficacité attendue ? Quoique les organismes internationaux soient bien plus à même que moi d'analyser la situation, j'ai quelques éléments d'explication.

En Asie du Sud-Est, les modes de vie et d'élevage sont complètement différents de ce que nous connaissons chez nous. La densité humaine et animale est très élevée, sans commune mesure avec les campagnes européennes ; les gens élèvent beaucoup de volailles, animaux dont les protéines sont parmi les moins chères. Les modalités d'élevage n'ont pas grand-chose à voir avec ce que nous connaissons chez nous : certes, il existe des élevages industriels, mais il y a surtout beaucoup d'élevages familiaux en plein air, avec une très grande proximité des animaux entre eux et des hommes avec les animaux, notamment au Vietnam et en Thaïlande. Les mesures de stamping out - éradication de la maladie par une dépopulation des animaux malades et de ceux appartenant aux élevages des alentours et qui pourraient être contaminés - sont par conséquent beaucoup plus difficiles à appliquer, d'autant que les moyens humains et matériels sont nettement insuffisants dans ces pays. En outre, les petits éleveurs rechignent, légitimement, à abattre leur principal moyen de subsistance. Si le virus H5N1, hautement pathogène pour les volailles - la mortalité, dans les poulaillers, peut atteindre 80 à 90 % -, arrivait en France, les modalités de contrôle auraient une efficacité sans rapport avec celle des contrôles mis en oeuvre en Asie du Sud-Est, principalement pour des raisons liés aux moyens matériels et humains mobilisés. De surcroît, quand la concentration d'animaux est trop forte, la propagation du virus va plus vite que le stamping out. Même si cette méthode a été décriée, il faudrait sans doute recourir à la vaccination, au moins pour limiter les dégâts. Ce n'est pas une solution miracle mais, accompagnée de mesures d'abattage, elle devrait permettre à l'Asie du Sud-est de sortir de ses difficultés. C'est, toutefois, l'aide des pays développés qui devrait être déterminante.

S'agissant des oiseaux migrateurs, il faut noter que les migrations sont achevées depuis un mois. La France n'est pas traversée par les courants migratoires asiatiques proprement dits, mais les oiseaux qui passent au-dessus de nous sur le chemin de l'Afrique risquent de rencontrer là-bas des congénères venus de zones infectées. Certains scientifiques craignent qu'au cours de ces contacts, possibles notamment sur les plans d'eau, ce virus hautement pathogène puisse être transmis, diffusé puis ramené dans notre hémisphère lors de la migration suivante. Le risque existe, irréfutablement, et sera mieux cerné lorsque nous saurons exactement ce qui se passe en Afrique, et pas seulement en Afrique de l'Est.

M. le Président : Autant que je sache, la polémique scientifique sur la transmission par les migrateurs est close.

Mme Barbara DUFOUR : Oui : les scientifiques estiment que les migrateurs peuvent transporter le virus pathogène. Mais les interrogations étaient légitimes, dans la mesure où l'on était confronté pour la première fois à ce type de virus. Il faut savoir qu'un oiseau est capable de parcourir des centaines, voire des milliers, de kilomètres en quelques jours : il peut arriver en Europe alors qu'il incube encore le virus, c'est-à-dire avant d'en mourir. Mais l'existence d'un risque ne signifie pas qu'il est élevé, ni faible d'ailleurs : tout est question de probabilités.

Je précise néanmoins que l'influenza aviaire n'est pas une infection pérenne, que ce virus n'est pas persistant : les animaux en meurent ou s'en débarrassent, par leur immunité, en fabriquant des anticorps. Des enquêtes anciennes sur des virus faiblement pathogènes ont bien montré que le taux d'infection des oiseaux migrateurs, en particulier des ansériformes, était très élevé dans le Nord et très faible dans le Sud, comme s'ils se débarrassaient du virus au cours de leur migration. Les virologistes ont émis plusieurs hypothèses, parmi lesquelles les deux suivantes : les virus se conservent mieux dans des eaux froides et douces que dans des eaux chaudes et salines ; les oiseaux naissent dans le Nord et sont donc immunologiquement plus costauds lorsqu'ils arrivent dans le Sud, car ils sont devenus adultes. Les mélanges entre oiseaux infectés et sains peuvent être directs ou intervenir par l'intermédiaire du milieu, ce qui n'est pas la même chose, car dans ce dernier cas, le risque est moins important. Si des oiseaux contaminés ont migré en afrique et qu'ils ont contaminé des oiseaux qui migrent en Europe, certains d'entre eux mourront en Afrique et il est possible qu'un petit nombre d'entre eux reviennent au printemps avec le virus. C'est possible, bien sûr, mais dans ce cas nous cumulons plusieurs probabilités et la probabilité finale que cela se produise n'est pas forcément très élevée.

Des programmes de surveillance solides ont été développé depuis quelques mois, en particulier sous l'égide de la FAO, l'Organisation pour l'alimentation et l'agriculture, et avec l'appui d'instituts de recherche comme le CIRAD, le Centre de coopération internationale en recherche agronomique. Leur objectif est d'aider les pays africains à assurer la surveillance active et passive, consistant à mesurer la mortalité et à capturer des individus pour effectuer des prélèvements virologiques et sérologiques. L'Afrique de l'Ouest et l'Afrique de l'Est sont donc un peu en alerte, et j'imagine qu'il en est de même pour l'Afrique australe. J'ignore quelle est la sensibilité des systèmes de surveillance de ces pays mais des réseaux de veille sanitaire comme PROMED, dans leurs dépêches, font régulièrement état d'analyses effectuées sur des oiseaux morts. Cela donne à penser qu'il existe une certaine vigilance en Afrique.

M. Pierre HELLIER : L'Afrique devrait non pas être « un peu en alerte » mais très en alerte, et l'absence d'information sur la mortalité des oiseaux est très inquiétante.

Je n'ai pas compris pourquoi le virus disparaît davantage au retour qu'à l'aller.

La vaccination comporte des risques, qui tiennent surtout à la dissimulation des porteurs sains.

C'est vrai que la crise actuelle a pour cause la grippe aviaire. Mais nous devons aussi envisager le risque de pandémie de grippe humaine, probabilité élevée selon l'OMS.

Mme Barbara DUFOUR : S'agissant du retour migratoire, je n'ai formulé que des hypothèses, construites à partir de l'observation de virus faiblement pathogènes : les oiseaux sont probablement infectés dans le Nord et se débarrassent probablement le plus souvent du virus dans le Sud, où l'environnement lui est moins favorable, ou avant d'y arriver.

Tous les hivers, en France, 2 000 à 3 000 personnes meurent de la grippe ; c'est une réalité. Si une pandémie survient, des millions de décès risquent d'être décomptés, mais ce n'est qu'une probabilité, un scénario.

M. Pierre HELLIER : Sauf que nous avons, au cours des années, fabriqué des anticorps contre la grippe classique.

Mme Barbara DUFOUR : Si le virus H5N1 ou un autre se réassortissait et s'adaptait parfaitement à l'homme, le nombre de morts serait beaucoup plus élevé, je suis d'accord, mais nous parlons là au conditionnel. Pardonnez-moi mais, étant épidémiologiste, j'accorde une grande importance aux probabilités !

Pour identifier une population vaccinée, il faut utiliser un vaccin différent du virus qui circule. Il est possible de recourir à un vaccin, comprenant l'hémagglutinine impliquée, c'est-à-dire la partie pathogène du virus, en l'occurrence H5, associée à une neuraminidase différente de celle du virus circulant, par exemple N2. Ce vaccin protégerait efficacement, tout en étant distinct du H5N1. De surcroît, la grippe aviaire n'est pas une et indivisible : les oiseaux sont aussi divers que les mammifères. Un vaccin peut donc être adapté au poulet et à la dinde mais pas au canard et à l'oie.

M. le Rapporteur : Pourrions-nous avoir la liste des espèces de volatiles porteurs et non porteurs ?

Mme Barbara DUFOUR : Les ornithologues connaissent très bien cela. Un rapport récent de l'AFSSA, l'Agence de sécurité sanitaire des aliments, dresse la liste des espèces domestiques et sauvages réceptives et/ou sensibles au virus. De mémoire, la plupart des animaux de basse-cour, à savoir les poules, les pintades et les dindes, sont extrêmement sensibles au virus. Le canard, l'oie et l'autruche sont réceptifs, c'est-à-dire capables de multiplier le virus, mais moins sensibles, c'est-à-dire peu touchés par les signes cliniques. Toutefois, eu égard à la situation actuelle, les éleveurs de canard doivent s'alarmer de signes cliniques ou d'une morbidité inhabituels. Compte tenu de la médiatisation du problème, si un foyer éclatait dans un élevage français, il serait détecté extrêmement rapidement. Quant aux pigeons, très nombreux en ville, ils ne sont pratiquement pas réceptifs au virus influenza aviaire et, quand celui-ci parvient à les atteindre, ils développent très peu de signes cliniques.

M. le Président : Connaissez-vous les mécanismes biologiques qui conduisent à ces différences ?

Mme Barbara DUFOUR : Des scientifiques travaillent sur le sujet depuis des années, mais bien des inconnues demeurent. L'influenza aviaire est un monde à lui seul, avec seize hémagglutinines, neuf neuraminidases et toutes les combinaisons possibles, faiblement ou hautement pathogènes selon les cas.

M. le Rapporteur : Et que pouvez-vous nous dire sur la faune sauvage, sur des espèces comme les perdreaux, les perdrix ou les faisans ?

Mme Barbara DUFOUR : Il faut distinguer faune sauvage migratrice et faune autochtone. Des travaux démontrent que des virus faiblement pathogènes peuvent circuler entre plusieurs espèces. On retrouve ponctuellement des influenzas aviaires faiblement pathogènes parmi les petits oiseaux, comme les moineaux ou les passereaux, sur une proportion très faible d'individus, mais il n'est pas impossible qu'ils jouent un rôle dans la diffusion de ces virus dans les élevages ; nous manquons d'informations sur ce point. Le H5N1 constitue certes une menace mais pas plus que les autres influenzas aviaires qui planent quotidiennement au-dessus de nos têtes : la prochaine menace sera peut-être un H7, qui s'implantera brutalement chez nous. Cette remarque ne vise pas à vous inquiéter mais au contraire à vous rassurer.

M. Pierre HELLIER : Mais le H5N1, quand il contamine l'homme, en tue un sur deux ; l'idéal serait donc qu'il n'y ait plus d'animaux malades.

Mme Barbara DUFOUR : Les virus influenzas sont des maladies zoonotiques, ce n'est pas une nouveauté. Pour se débarrasser du virus qui frappe en ce moment, je ne vois qu'un moyen : aider les pays d'Asie du Sud-Est à mener une politique de lutte efficace, ce qui suppose des bras, de l'argent et de l'organisation.

M. le Président : Êtes-vous sûrs que cela suffise ? Peut-être faut-il aussi un peu de « neuramidinase politique » !

Mme Barbara DUFOUR : Je ne parlerai pas de la Chine, qui n'est guère transparente, mais je ne suis pas sûre que le Vietnam et la Thaïlande manquent de bonne volonté, et de transparence.

M. le Président : La Thaïlande a atteint un bon niveau de développement. C'est l'un des principaux exportateurs de poulets, avec deux grands groupes. Pourtant...

Mme Barbara DUFOUR : La Thaïlande est le pays qui a le plus intérêt à retrouver son statut indemne rapidement, pour les motifs économiques que vous venez d'évoquer mais aussi pour l'alimentation de sa population. Il ne retrouve pas son statut indemne, tout simplement parce qu'il n'y arrive pas.

M. le Président : C'est une question politique !

Mme Barbara DUFOUR : C'est un problème humain ; l'élevage thaïlandais est très traditionnel.

M. le Président : Je ne dis pas cela par manque de générosité, mais je m'interroge sur la faisabilité des mesures que vous préconisez. Voyez la Thaïlande :son niveau de développement économique, son potentiel médical et biologique, mais aussi l'existence de structures étatiques, en ont fait une plate-forme d'intervention médicale. Et pourtant, elle ne s'en sort pas. Ne soyons pas trop naïfs : nous savons qu'au Vietnam ou au Cambodge, de l'argent ne parvient pas à destination et qu'il serait difficile d'intervenir efficacement en Indonésie, pays à densité agricole très forte.

Mme Barbara DUFOUR : Vous me posez une question politique à laquelle je ne suis pas bien préparée à répondre ! Il ne faut pas tomber dans le manichéisme primaire. Éradiquer l'influenza aviaire coûterait de toute façon très cher.

M. Pierre HELLIER : On nous a parlé de 300 millions de dollars.

M. le Rapporteur : Et même de 500 millions !

Mme Barbara DUFOUR : Le problème de l'organisation est donc essentiel. Dans les pays du Sud comme l'Inde, où les hautes technologies se sont développées, la structure du monde rural reste très traditionnel, avec de nombreux paysans dans la misère : si vous venez chez quelqu'un pour détruire ses animaux sans l'indemniser, il va en cacher, mettez-vous à sa place !

M. le Président : Entre le paysan et la capitale, il y a des intermédiaires. Et donner de l'argent aux producteurs n'est pas toujours bien vu par le pouvoir étatique.

M. le Rapporteur : Quelle est la situation vétérinaire dans ces pays ?

Mme Barbara DUFOUR : Les services vétérinaires existent mais ne disposent pas de moyens sur le terrain ; leur structure pyramidale ne repose pas sur grand-chose. L'éducation et la formation au des éleveurs ne sont pas non plus au même niveau qu'en France.

M. le Président : Estimez-vous qu'une action forte au Cambodge et au Laos serait une bonne stratégie ou, au contraire, que la proximité avec le Vietnam ou la Chine poserait un problème ? La sauvegarde vis-à-vis du H5N1 serait-elle efficace sans traiter l'ensemble de la région ?

Mme Barbara DUFOUR : Oui. De toute façon, pour mener à bien l'éradication, il faudra bien partir de quelque part. Mais l'importance des flux d'oiseaux migrateurs et la libre circulation des volailles commercialisées posent un sérieux problème. Un pays situé dans une zone infectée peut néanmoins rester relativement sain, l'exemple de Hong Kong le prouve. L'enjeu consiste à s'appuyer sur des structures de terrain, afin de convaincre les éleveurs d'adhérer à ces mesures pour que leurs volailles cessent de mourir. En 2003, alors que les Pays-Bas et la Belgique étaient touchés par une très grosse épizootie, la France est restée indemne. Le virus, contrairement à celui de la fièvre aphteuse, ne se transmet pas par le vent sur des dizaines de kilomètres ; il passe par les oiseaux, ce qui nécessite des mesures de biosécurité, d'enfermement des volailles et de surveillance, voire d'élimination, de migrateurs. Le résultat passe par une volonté réelle d'aboutir mais aussi par une prise de conscience sanitaire à tous les niveaux y compris celui des éleveurs.

M. le Président : Recommanderiez-vous que la France mène une action bilatérale, insérée dans une stratégie mondiale ?

Mme Barbara DUFOUR : Absolument, et cela existe déjà : des agents du CIRAD et de l'IRD, l'Institut de recherche pour le développement, travaillent sur place, en particulier au Vietnam. Cette démarche mériterait d'être amplifiée.

M. Pierre HELLIER : Comment faire pour savoir ce qui se passe réellement en Afrique ? Des équipes travaillent-elles aussi sur place ?

Mme Barbara DUFOUR : Oui. Leurs dispositifs de surveillance, mis en œuvre avec la collaboration des autorités locales, commencent à obtenir des résultats. Ils n'ont pas relevé de phénomènes alarmants mais la surveillance ne fait que commencer, et l'hiver aussi.

M. le Rapporteur : Le virus H5N1 a-t-il été identifié en Afrique ?

M. le Président : Au Zimbabwe.

Mme Barbara DUFOUR : Mais des investigations de laboratoire plus poussées sont nécessaires pour savoir s'il s'agit du clone Z asiatique. De toute façon, si l'on cherche le virus influenza aviaire partout, on en trouvera partout ! Mais est-ce le virus asiatique, c'est une autre question.

Si une pandémie doit éclater, il est très probable qu'elle ne se déclenchera pas en France mais beaucoup plus logiquement en Asie du Sud-Est. Je souhaite donc faire passer un autre message. Si le virus influenza aviaire clone Z est implanté en Afrique, s'il revient au printemps et si des foyers infectieux apparaissent, les représentants du peuple pourraient-ils contribuer à dédramatiser cette épizootie auprès des consommateurs ? Il serait en effet terrible que le consommateur considère que la viande de poulet n'est plus consommable. Cela m'afflige beaucoup.

M. le Président : Je prends acte de votre appel, mais je souhaite aussi vous en adresser un. Il ne faut pas que le monde vétérinaire traite cette question dans un esprit de compétition avec le monde de la santé publique humaine. Sous-estimer la pandémie humaine pour défendre la problématique grippe aviaire est une mauvaise attaque en termes de communication. Le monde vétérinaire a des choses à dire, y compris sur le terrain humanitaire et économique. Aider ces pays à retrouver leur production protéique est légitime, mais cela n'impose pas de sous-estimer le risque de pandémie humaine pour faire passer le message.

Les 500 millions de dollars dont vous avez parlé sont de l'ordre du possible, l'argent est disponible, mais tout le monde doit tirer dans le même sens plutôt que de jouer la concurrence. L'assurance maladie représente un budget de 130 milliards d'euros par an. Le président Bush lui-même a parlé de 8 à 9 milliards de dollars. Il faut avoir des discussions réalistes, fraternelles et franches avec ces pays, y compris sur le plan des moyens humains que nous sommes prêts à mettre à leur disposition. La France dépensera 500 millions de dollars rien que pour son plan de lutte contre la pandémie grippale ; celui-ci est justifié mais nous pouvons trouver autant d'argent pour la santé animale.

M. le Rapporteur : Surtout au niveau européen.

M. le Président : La sauvegarde de l'équilibre protéique en Asie du Sud-Est est une question géopolitique fondamentale. En Chine, ce sera particulièrement compliqué, pour plusieurs raisons, à commencer par celle du coût, mais l'objectif n'est pas inatteignable.

Mme Catherine GÉNISSON : Les modalités des interventions ne sont pas évidentes

M. Pierre HELLIER : Nous faisons confiance à nos éleveurs pour fournir des produits de qualité. Élu du département où sont élevées les volailles de Loué, je puis vous assurer que les contrôles sont draconiens. Mais peu importe l'endroit où commencera la pandémie car, avec les modes de transports modernes, la diffusion sera très rapide. Il faudrait effectivement ne plus employer l'expression « grippe aviaire » pour parler de la pandémie mais elle est maintenant consacrée.

Mme Barbara DUFOUR : Je le dis aussi à l'intention des journalistes.

Si cette épidémie de grippe aviaire permet de nous préparer à une situation future qui arrivera un jour ou l'autre, nous aurons tous gagné notre temps. Ce qui me préoccupe, c'est la « surinquiétude » de l'opinion publique, qui se traduit par une baisse très importante de la consommation de volailles.

M. Pierre HELLIER : Baisse qui est particulièrement injustifiée puisque les éleveurs accomplissent des efforts de sécurisation inimaginables, depuis le grain jusqu'à l'assiette - il s'agit d'ailleurs aussi pour eux de se protéger. Par ailleurs, il faut absolument se donner les moyens d'agir à l'étranger afin de supprimer le risque de pandémie.

M. le Président : Madame, je vous remercie.

Audition de Mme Sophie VILLERS, directrice générale de l'alimentation au ministère de l'agriculture et de la pêche, accompagnée de Mme Jacqueline DUNCAT, inspectrice générale de la santé publique, mise à disposition de la direction générale, et de M. Olivier FAUGÈRE, sous-directeur

(Compte rendu de la réunion du
mardi 13 décembre 2005)

Présidence de M. Jean-Marie LE GUEN, Président

M. le Président : Notre mission travaille à la fois sur la pandémie grippale et sur la grippe aviaire. Elle s'est fixée pour tâche de contrôler les mesures prises par l'Exécutif pour faire face à la crise actuelle. Elle entend aussi donner à l'opinion publique l'information la plus transparente possible. Nous souhaitons que vous nous fassiez part de votre analyse de la situation au regard de la santé animale. Nous vous entendrons peut-être à nouveau lorsque nous serons passés à la problématique de la santé humaine.

Mme Sophie VILLERS : Précisément pour éviter tout amalgame entre santé animale et santé humaine, nous parlons d'« influenza aviaire » plutôt que de grippe aviaire. Le ministère de l'agriculture et de la pêche a pour rôle de prévenir les risques de diffusion éventuelle du virus, étant entendu que son action s'inscrit dans le cadre des dispositions communautaires arrêtées par l'ensemble des Etats membres.

Des plans de surveillance de l'influenza aviaire existaient déjà au niveau national, prévoyant des prélèvements dans les élevages. Ils avaient notamment été activés dans les directions départementales des services vétérinaires à la suite de l'épidémie de 2003 aux Pays-Bas. Quoique le virus H5N1, hautement pathogène, ne soit pas présent en France et qu'il ne s'agisse donc encore que d'un risque, il a été décidé d'intensifier notre surveillance car les foyers se rapprochent des frontières de l'Union européenne. Les mesures de prévention s'appliquent à plusieurs niveaux. Mais j'insiste : il n'y a pas actuellement de virus H5N1 en France.

Pour se prémunir contre le risque d'entrée du virus, l'Union européenne a interdit, sur l'ensemble de son territoire, l'importation des volailles et gibiers à plumes en provenance des pays infectés, ainsi que l'importation des oiseaux de volière en provenance de pays tiers, sauf dérogation expresse. Ces mesures sont mises en œuvre conjointement par le ministère de l'agriculture, au niveau de ses directions départementales, et le service des douanes, à travers le renforcement de la surveillance des points frontaliers et des quarantaines. Nous avons aussi accru la surveillance de l'avifaune sauvage et des élevages domestiques.

En ce qui concerne l'avifaune sauvage, la surveillance est à la fois active, avec des prélèvements dans les aires géographiques à plus haut risque, notamment les zones humides, susceptibles d'accueillir des rassemblements d'oiseaux migrateurs, et passive, par l'observation d'une éventuelle surmortalité significative, assurée par le réseau de surveillance mis en place en liaison avec l'Office national de la chasse et de la faune sauvage ainsi qu'avec l'ensemble des fédérations de chasse.

En ce qui concerne les volailles domestiques, l'objectif est d'éviter les contacts avec les oiseaux sauvages, en particulier au moment des migrations. La surveillance est graduée : nous nous sommes basés sur l'avis rendu par l'AFSSA, l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, qui a identifié vingt-six départements considérés comme les plus à risque car à forte concentration de volailles. Une mesure prise dès la fin août 2005 a appelé les éleveurs de volailles, sur tout le territoire national, à assurer l'abreuvement et l'alimentation des volailles à l'intérieur de bâtiments pour éviter que la nourriture n'attire des oiseaux sauvages, et, si cela n'est pas possible, de mettre en place des systèmes protégés. De surcroît, depuis octobre, des mesures de confinement sont obligatoires dans les vingt-six départements considérés comme à risque ; elles sont simplement conseillées dans les autres départements. Quand l'absence de bâtiments disponibles sur l'exploitation rend impossible le confinement, l'alimentation et l'abreuvement doivent tout de même être protégés et une visite vétérinaire sanitaire de l'exploitation doit être organisée en vue de vérifier que les mesures alternatives sont suffisantes pour prévenir le risque de contact.

M. le Rapporteur : Comment garantir le confinement des petits élevages familiaux, pour lesquels le confinement n'est pas possible ?

Mme Sophie VILLERS : La gestion des basses-cours est effectivement l'un des problèmes auxquels nous devons faire face. Ces nombreux élevages non professionnels sont, par nature, inconnus de l'administration. Mais on sait qu'ils sont nombreux. Le ministère de l'agriculture a donné consigne à chaque préfet d'installer un comité de pilotage et de suivi des mesures de lutte contre l'influenza aviaire, en y associant les professionnels concernés et les maires, afin de les sensibiliser à la nécessité de faire circuler l'information dans la commune, au moins pour protéger l'abreuvement et l'alimentation, ce qui est déjà une étape.

M. François GUILLAUME : Les mesures que vous présentez semblent souples mais ce n'est pas le cas de leur interprétation sur le terrain. Le directeur départemental des services vétérinaires de Meurthe-et-Moselle fait montre de beaucoup de brutalité : les maires doivent recenser tous les élevages de leur commune et il a été dit que le maintien d'un élevage à l'air libre, quelle que soit sa taille, serait passible d'une sanction. Par ailleurs, les volailles ou les œufs bénéficiant d'un label - il en existe dans beaucoup de départements - doivent accomplir un parcours à l'extérieur de l'exploitation, parcours exigé par le cahier des charges. Et puis, le commerce de poussins vivants - essentiellement au printemps -, de poulettes prêtes à pondre ou encore de volailles destinées à l'abattoir est considérable. Les consignes sont floues, varient d'un département à l'autre et constituent parfois un préjudice grave. Je réunis vendredi prochain tous les éleveurs de ma circonscription pour voir comment ils perçoivent les consignes données et peuvent les appliquer sans qu'elles portent préjudice à leur activité.

Mme Sophie VILLERS : Le ministère de l'agriculture ne sous-estime pas les difficultés sous-jacentes de ces mesures de surveillance, pour les basses-cours comme pour les élevages en plein air. C'est pourquoi des mesures alternatives sont autorisées pour les élevages de plein air, pour lesquels le confinement strict est impossible, sous réserve d'une surveillance sanitaire destinée à vérifier que les mesures prises sont pertinentes. Je ne pense pas que des amendes aient été infligées ; en tout cas, je n'en ai pas eu connaissance. Nous avons demandé à toutes nos directions départementales des services vétérinaires de faire remonter les éléments relatifs à la surveillance ; nous pourrons vous les transmettre. Il était important de faire prendre conscience très rapidement à toutes les personnes concernées, les professionnels comme les autres, de l'importance de leur mobilisation pour rendre les mesures efficaces ; viser seulement certains types d'exploitation seulement aurait été insuffisant, car tout le monde doit se sentir concerné. Le virus est absent en France, mais la remontée des flux migratoires suscite des craintes et nous serons d'autant plus réactifs que tous les acteurs auront été sensibilisés.

M. le Président : La France, sous l'autorité de votre ministère, mène-t-elle une action en Afrique ?

M. François GUILLAUME : Je n'ai pas obtenu de réponse à ma question sur les ventes de volailles au printemps. Et pourquoi ne faites-vous rien contre les pigeons ?

M. le Président : Sur ce dernier point, la réponse a été donnée lors de l'audition précédente : les pigeons sont indemnes.

Mme Catherine GÉNISSON : Pour les grosses exploitations, il est facile de trouver des mesures adaptées. Mais il est impossible d'empêcher les gens d'aller vendre le produit de leur poulailler ou de leur clapier sur les marchés. Quelles mesures simples et efficaces les pouvoirs publics pourraient-ils instaurer pour les petits élevages individuels, en particulier au printemps ?

Mme Geneviève GAILLARD : On sait aujourd'hui qu'il existe une menace potentielle de pandémie grippale mais on ignore quel virus d'influenza aviaire recombiné en sera à l'origine. En tout cas, le risque est plus fort au moment des migrations d'oiseaux sauvages ; celles-ci étant terminées dans notre pays, il faut maintenant attendre le printemps prochain. Vingt-six départements demeurent pourtant soumis à des mesures de confinement absolu et l'affolement des populations génère des pertes importantes pour les producteurs de volailles. Dans les Deux-Sèvres, une exposition de perruches a été privée de 5.000 oiseaux par le ministère de l'agriculture, celui-ci ayant refusé de reconnaître qu'ils n'avaient pu entrer en contact avec le virus influenza aviaire. Quelles mesures de bon sens envisagez-vous de prendre dans les jours prochains pour sauvegarder notre économie ? Ne convient-il pas de suspendre le confinement jusqu'à la reprise des flux migratoires ?

M. Marc JOULAUD : Entretenez-vous des contacts réguliers, localement ou nationalement, avec les filières avicoles, en particulier les filières de qualité ? Suivez-vous les conséquences économiques des mesures prises, de la production à la transformation ? Est-il envisagé, en cas d'aggravation de la crise, de soutenir les filières avicole et agroalimentaire ?

Mme Sophie VILLERS : La sensibilité spécifique des pigeons n'a pas été démontrée. De surcroît, les pigeons de villes ne fréquentent pas les zones humides. En revanche, des mesures particulières de surveillance ont été prises pour les pigeons voyageurs.

Je ne puis m'avancer sur les dispositions qui seront adoptées au printemps car leur ampleur dépendra de l'évaluation des risques à l'instant T. Si des foyers se déclarent à proximité immédiate, l'Union européenne pourra aussi instaurer des mesures contraignantes.

Mme Catherine GÉNISSON : Je prends acte de votre réponse mais il serait utile, pour désamorcer son inquiétude, que le public ait connaissance de la méthodologie retenue : il manque un discours public sur cette question.

M. le Président : Pour aller dans ce sens : en parallèle au plan de lutte contre la pandémie grippale, qui est public, ne faudrait-il pas élaborer l'équivalent pour l'épizootie ?

Mme Sophie VILLERS : C'est l'objet du plan de surveillance que j'ai commencé à décrire.

Les rassemblements de volailles sur les foires et marchés sont totalement interdits dans vingt-six départements et sont autorisés dans les autres départements sous réserve d'une évaluation du risque par les services compétents.

La France a décidé de proroger toutes ces mesures mais les comités de pilotage et de suivi départementaux ont pour consigne de les faire appliquer de façon pragmatique, en tenant compte des contraintes des éleveurs, et de nous faire remonter les difficultés rencontrées sur le terrain.

Par ailleurs, l'Office national de la chasse et de la faune sauvage a rédigé une note complémentaire localisant avec précision les principales zones humides, et croisant ces données avec les flux migratoires. Le ministère de l'agriculture, sur la base de ces nouveaux éléments, se propose d'accentuer les mesures de contrôle et de surveillance aux alentours immédiats des zones humides, où le contrôle dot être permanent, tout en assouplissant un peu le régime dans le reste des départements.

Une réunion réunissant tous les représentants de la filière se tient chaque mercredi au cabinet du ministre de l'agriculture, pour faire le point sur les difficultés rencontrées. Le ministère de l'agriculture a aussi mis en place un observatoire de suivi des prix et de la consommation, qui permet de connaître au quotidien l'évaluation de la situation : en volume, globalement, une baisse de la consommation de 15 % a été constatée par rapport à la même période de l'an dernier, les conséquences étant curieusement plus sensibles sur le poulet entier que sur la découpe ; de même, les prix ont chuté de 15 % en moyenne.

M. le Président : Avez-vous prévu des mécanismes compensateurs ? Ne serait-il pas préférable que les assurances interviennent plutôt que l'État et le contribuable ?

Mme Sophie VILLERS : Le système assuranciel ne couvre pas ce type de risque. Nous menons actuellement des discussions globales avec le secteur des assurances sur son potentiel d'intervention dans le domaine agricole ; un premier pas a déjà été accompli en ce qui concerne le risque climatique.

La réaction des consommateurs est toujours immédiate : ils peuvent se replier vers d'autres viandes. Le ministère de l'agriculture finance une campagne de communication, mise sur pied avec l'aide du CIV, le Centre d'information des viandes, qui passe actuellement sur les ondes ; elle a pour objectif de rassurer le consommateur.

M. le Président : La France a-t-elle une politique internationale de solidarité vétérinaire ?

Mme Jacqueline DUNCAT : Lors de la Conférence de Genève, au mois de novembre, la France s'est engagée pour une enveloppe de 10 millions d'euros, trois ministères au moins étant concernés : l'agriculture, la santé et les affaires étrangères. Une partie de cette aide serait versée à des organisations internationales, l'Organisation pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et l'Organisation mondiale de la santé animale (OIE) ; la seconde partie servirait à monter des actions de coopération technique, notamment en Afrique, qui devraient déboucher sur des résultats au plus tard en février. Je précise que des informations nous parviennent régulièrement d'Afrique : la semaine dernière, des prélèvements sérologiques réalisés en Algérie se sont révélés négatifs.

Mme Geneviève GAILLARD : Et en Afrique de l'Est ?

Mme Jacqueline DUNCAT : Par différents canaux, nous avons connaissance tous les jours de ce qui se passe dans le monde. Un observatoire international situé à Paris et disposant de correspondants dans le monde entier nous donne également des informations quotidiennement : nous avons été au courant des derniers foyers déclarés en Roumanie et en Ukraine ou encore, pour le Zimbabwe, qu'il ne s'agissait pas de H5N1.

M. le Président : Si je comprends bien, l'alerte a été donnée en août, la France s'est exprimée politiquement à la Conférence de Genève en novembre, mais l'argent n'a pas été débloqué et les actions internationales envisagées n'ont pas, par conséquent, été mises en œuvre.

Mme Jacqueline DUNCAT : Sur le terrain, non, mais les programmes techniques du CIRAD, le Centre de coopération internationale en recherche agronomique, sont pratiquement bouclés ; ils ne sont cependant pas actifs sur le terrain.

Mme Geneviève GAILLARD : Le ministère de l'agriculture s'appuie-t-il sur des associations comme « Vétérinaires sans frontières » ou « France vétérinaire international », pour enrichir sa connaissance de l'Afrique ? Notre mission pourrait d'ailleurs les auditionner.

Mme Jacqueline DUNCAT : Ces organismes sont pilotés par le ministère des affaires étrangères mais nous entretenons des relations plus ou moins formelles avec eux, et cela fonctionne bien. Certaines actions sont formalisées, d'autres pas.

Mme Sophie VILLERS : La France a été l'un des premiers pays à s'engager, au cours de la Conférence de Genève, et elle tiendra ses promesses. L'ensemble du plan devra être bouclé pour le 17 janvier, date à laquelle s'ouvrira la conférence des donateurs, à Pékin.

La France a la chance de bénéficier d'une expertise de haut niveau dans les différents domaines concernés, notamment en épidémiologie. Nous avons activé le réseau des structures de coopération, notamment « France vétérinaire international », ainsi que celui d'organismes comme le CIRAD, pour actualiser la liste des experts disponibles. Certains chercheurs étant déjà à pied d'œuvre en Asie du Sud-Est et en Afrique. Notre réseau d'attachés vétérinaires des postes d'expansion économique a également été alerté sur la nécessité de se mettre à la disposition des pays dans lesquels ils se trouvent pour les aider à mettre en œuvre leurs mesures de surveillance et de lutte. Nous avons donc une présence en Afrique et notre réseau international est mobilisé.

M. Pierre HELLIER : Vous avez raison de ne pas annoncer des mesures que vous pourriez être amenés à abandonner, car rien n'est pire pour la confiance que de se dédire. Il est préférable de discuter des mesures avec les filières avant de les prendre. Les entreprises de la filière sont prêtes à constituer des provisions pour risque spécifique, à condition de pouvoir bénéficier d'avantages fiscaux. Ce point mérite d'être étudié ; j'ai d'ailleurs fait une demande écrite en ce sens.

M. François GUILLAUME : Réunissez-vous régulièrement les directeurs départementaux des services vétérinaires des vingt-six départements concernés par le confinement, pour qu'ils vous fassent remonter les informations du terrain et que vous leur donniez des consignes claires, dès lors que la rigueur varie d'un département à l'autre ?

Des réunions périodiques sont évidemment organisées avec les représentants des professionnels mais ces derniers s'intéressent naturellement aux élevages importants, qui font l'essentiel de leurs adhésions. Or, les petits éleveurs sont les plus sensibles car ils sont moins bien informés. Les mesures doivent être claires et non coercitives à outrance.

Si les pigeons de ville n'étaient pas sensibles au H5N1, ce serait un bienfait de la nature ! En tout cas, même avec les meilleurs arguments scientifiques, vous ne parviendrez pas à convaincre un petit éleveur, contraint de confiner ses trois poules, alors qu'il voit des nuées de pigeons au-dessus de sa tête.

M. le Président : Un professeur de l'École vétérinaire a confirmé à la mission d'information que les pigeons de ville n'étaient pas sensibles au virus.

Mme Geneviève GAILLARD : Des phénomènes comparables sont constatés dans toutes les espèces mais variables d'une espèce à l'autre. Si le ministère de l'agriculture a pris des mesures pour les pigeons voyageurs, je considère que cette mesure a été prise sans aucun fondement scientifique, en l'état actuel des connaissances.

M. le Président : N'ouvrons pas de fausse polémique scientifique ! Beaucoup de députés urbains seraient ravis de pouvoir sévir contre les pigeons !

M. Olivier FAUGÈRE : Il n'est pas certain que le flux migratoire soit achevé. Une assemblée d'ornithologues européens, qui s'est tenue à Bruxelles, n'a pas été en mesure de conclure de manière aussi claire : il peut y avoir des oiseaux retardataires, ou encore des flux intra-européens. C'est pourquoi l'Union européenne a décidé de prolonger les mesures adoptées en octobre. Nous ne sommes cependant plus au cœur du risque épidémiologique, ce qui rend envisageable des adaptations temporaires si l'analyse du risque est plus rassurante. Cela pourrait changer lors du retour migratoire. Nous réfléchissons à des adaptations possibles des critères d'analyse du risque.

La politique à mener repose sur un trépied : vigilance internationale et surveillance du territoire national, pour identifier l'approche du virus H5N1 ; contact permanent avec les scientifiques pour évaluer le risque ; capacité de réaction en cas d'introduction du virus dans un élevage français. Chaque direction départementale des services vétérinaires dispose, de longue date, d'un plan d'intervention d'urgence lui permettant d'intervenir sous quarante-huit heures pour éradiquer le virus dans un foyer, en y abattant des volailles. Par contre, s'il s'agit de faune sauvage, nous ne pouvons pas faire grand-chose.

Nous réunissons bien entendu régulièrement l'ensemble des directeurs départementaux des services vétérinaires, et pas uniquement ceux des vingt-six départements concernés. Nous l'avons fait à deux reprises, ces derniers mois, spécifiquement sur le thème de l'influenza aviaire, pour sensibiliser à nouveau tout le monde à la lutte contre cette maladie. Nous serons bientôt en mesure de fournir tout le matériel nécessaire pour réagir à une arrivée du virus.

Sur les questions fiscales, pardonnez-moi, je n'ai aucune compétence.

M. Pierre HELLIER : Je souhaiterais que le ministère y réfléchisse.

Mme Sophie VILLERS : Cette question devra être soumise au groupe de travail de la filière. La direction générale de l'alimentation n'est pas la mieux placée pour répondre aux questions économiques, même si elle se sent concernée, au même titre que les autres directions du ministère.

Nous avons mis à la disposition des directeurs départementaux des services vétérinaires une boîte de dialogue informatique qui leur permet de nous interroger sur l'application des dispositions réglementaires, et les services centraux leur répondent dans les quarante-huit heures. Les questions et les réponses sont évidemment mutualisées, c'est-à-dire mises à la disposition de l'ensemble des directions départementales, pour éviter autant que faire se peut les écarts d'interprétation.

M. Olivier FAUGÈRE : J'ajoute que nous adressons une note hebdomadaire de situation aux directions départementales des services vétérinaires pour que le fil ne soit jamais interrompu.

Nous avons aussi décidé de mettre sur pied, dès le mois de février prochain, c'est-à-dire avant le retour des oiseaux migrateurs, en association avec la Société nationale des groupements techniques vétérinaires et l'École nationale des services vétérinaires, des sessions de formation décentralisées des vétérinaires sanitaires, car il faut bien convenir que la grippe aviaire n'est pas leur pain quotidien. Nous pensons intéresser 1.500 agents, c'est-à-dire au moins un par structure vétérinaire.

M. le Président: Mesdames, Monsieur, je vous remercie.

Audition conjointe de Mmes Charlotte DUNOYER, Françoise PESCHADOUR et M. Philippe BETTIG, représentant la Fédération nationale de la chasse, et de MM. Gilles DEPLANQUE et Éric KRAEMER, représentant l'Association nationale des chasseurs de gibier d'eau

(Compte rendu de la réunion du
mercredi 14 décembre 2005)

Présidence de M. Jean-Marie LE GUEN, Président

puis de Mme Bérengère Poletti, vice-présidente

M. le Président : Notre mission d'information, qui examine les mesures préventives de lutte contre la pandémie humaine, est amenée à s'intéresser également à la grippe aviaire. Après nous être attachés, dans un premier temps, à l'examen des dispositifs médicaux mis en place dans la perspective d'une pandémie, nous avons décidé d'entamer un deuxième volet plus spécifiquement consacré à l'épizootie, dans la mesure où nous sommes actuellement dans une période intermédiaire, entre les migrations d'automne et les retours d'hivernage au printemps.

Nous avons tout à la fois une fonction de contrôle parlementaire de l'action de l'exécutif et un rôle d'information, de rationalisation de cette information ainsi que de transparence en direction de l'opinion publique. Nous sommes convaincus que la transparence est une question centrale de cette crise potentielle. Après nous être intéressés aux problématiques de l'élevage, nous entendons examiner celle des oiseaux migrateurs. Votre expérience de terrain peut nous être précieuse.

M. Philippe BETTIG : Je vous remercie de réunir ce matin deux des trois grandes composantes de la chasse française, les fédérations et les grandes associations, la troisième étant l'Office national de la chasse et de la faune sauvage que vous entendrez tout à l'heure, après nous.

Alors qu'ils s'étaient déclarés prêts à participer aux actions préventives dès les premières alertes parues dans les médias, les chasseurs, et principalement les chasseurs de gibier d'eau, sont directement victimes des dispositions prises et se demandent déjà comment aborder les prochaines saisons de chasse, sachant que ce problème a tout lieu de perdurer pendant des années.

M. le Président : Je vous demanderai de concentrer vos propos sur la seule question de la grippe aviaire et non sur celle de la chasse : les premières victimes dont nous nous préoccupons, ce sont d'abord les hommes, ensuite les oiseaux... Vous ne manquez pas d'interlocuteurs auprès du ministère de l'agriculture et d'autres organismes pour évoquer les problèmes de la chasse. Nous nous intéressons ici à la grippe aviaire et nous savons que les chasseurs ont un rôle fondamental dans l'appréciation de la réalité, la surveillance et la connaissance du gibier, parallèlement à celles qu'en ont les scientifiques.

M. Philippe BETTIG : Nous sommes là-dessus complètement en phase. Depuis très longtemps, les chasseurs, les fédérations et l'Office national de la chasse surveillent toutes les maladies possibles du gibier dans le cadre du réseau SAGIR et sont prêts à participer à un dispositif spécifique à la grippe aviaire. Il reste qu'ils sont victimes de mesures à leurs yeux disproportionnées, dont ils souhaiteraient vous dire un mot, qui ne débordera pas sur l'essentiel...

Mme Françoise PESCHADOUR : Nous centrerons notre débat non sur la chasse en général, mais sur la vision qu'ont les chasseurs des mesures visant à prévenir les risques potentiels liés à la grippe aviaire. Notre responsable vétérinaire va d'abord vous en développer les aspects techniques.

Mme Charlotte DUNOYER : La problématique de la pandémie grippale doit être bien distinguée de celle de la grippe aviaire, maladie animale ; or ce n'est malheureusement pas toujours le cas. Ces deux phénomènes ont des origines différentes. Le risque d'une pandémie grippale mis en évidence par l'OMS tient à l'impossibilité d'éteindre les foyers de grippe aviaire en Asie du Sud-Est. Autrement dit, pour faire simple, une éventuelle pandémie a toutes chances de survenir là-bas et de nous arriver par avion. Ce risque est évidemment très grave à terme et l'on comprend que les pouvoirs publics s'en préoccupent de la manière dont ils le font.

Il y a par ailleurs un risque d'influenza aviaire, maladie animale bien connue des vétérinaires, des éleveurs et des autorités sanitaires. L'Europe a déjà eu l'occasion d'y faire face, notamment en Italie en 2000 et aux Pays-Bas en 2003. C'était à nos portes. Les mesures alors prises par le ministère de l'agriculture semblent avoir été appropriées, puisque aucun foyer d'influenza aviaire ne s'est déclaré en France ; quant aux foyers italiens et néerlandais, ils ont été circonscrits grâce à des mesures de police sanitaire classiques, au demeurant inscrites dans les textes réglementaires français et européens.

On peut regretter que, cette année, le mélange des problèmes de pandémie grippale et de grippe animale ait conduit à ce que les décisions en matière de santé animale soient prises non par le ministère de l'agriculture, mais par les responsables de la santé humaine. Nous avons ainsi l'impression que le ministère de l'agriculture n'a pas eu la décision pour la santé animale. Ont ainsi été arrêtées une série de mesures draconiennes, ordinairement appliquées en cas d'infection déclarée sur le territoire, qui ont surpris bon nombre d'acteurs du monde cynégétiques et probablement aussi du monde agricole, même si je ne veux pas parler à leur place. On peut également y voir l'expression de l'application du nouveau principe de précaution, désormais intégré dans la Constitution ; on relèvera ainsi que les mesures prises au niveau tant européen que français vont largement au-delà des préconisations de l'AFSSA et de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage en matière de gestion de risque. Si le principe de précaution consiste à aller plus loin que les recommandations des scientifiques, encore devrait-on songer à le contrebalancer par un principe de proportionnalité et prévoir un mécanisme d'aide financière pour soutenir des activités directement pénalisées par des mesures de prévention extraordinairement coûteuses.

L'interdiction des appelants dans la chasse aux oiseaux d'eau, prise pour toute la saison cynégétique, revient à interdire purement et simplement ce mode de chasse pendant un an. On comprend d'autant plus le désarroi des chasseurs que cette mesure, parmi toutes celles prises à titre de précaution, est la seule à n'être assortie d'aucun aménagement ni d'aucune dérogation, à la différence de celles prises pour les élevages en plein air ou les rassemblements d'oiseaux, lesquels peuvent faire l'objet d'exceptions dès lors que l'analyse de risque est favorable, ou des oiseaux de zoo, qui peuvent être vaccinés. Pour les appelants : aucune dérogation, aucun aménagement, aucune concertation, alors que plusieurs experts avaient montré qu'il aurait pu y avoir des aménagements tout en maîtrisant le risque de contamination.

La question est de savoir comment cela se passera l'année prochaine, sachant que le problème se reposera à coup sûr chaque année et pendant longtemps s'il est établi que les oiseaux migrateurs ont un rôle dans la diffusion de l'épizootie. Or les mesures arrêtées jusqu'à présent semblent être des mesures de crise et ne seront pas tenables à terme. Comment gérer cette situation dans le temps ? Va-t-on obliger toutes les activités en extérieur à rentrer sous terre tant que des oiseaux passeront au-dessus de nos têtes ?

M. le Président : Si le monde de la chasse est là aujourd'hui, c'est que nous pensons qu'il pourrait apporter quelque chose à la lutte contre la grippe aviaire et donc contre la pandémie, pour laquelle nous avons d'ores et déjà voté quelque 350 millions d'euros... Cette gestion du risque humain et sanitaire relativise quelque peu les inconvénients dont vous venez de faire état, que nous comprenons parfaitement, mais qui relèvent tout de même du loisir, du plaisir, de la culture et non du domaine de la sauvegarde de la vie. Recentrez vos propos et expliquez-nous comment vous pourriez contribuer à la réduction de ce risque, puisque l'on vous dépeint souvent comme les fantassins avancés de l'alerte sanitaire...

Mme Charlotte DUNOYER : J'allais précisément y venir, car nous avons besoin pour le moyen terme d'avoir une idée plus précise du risque migrateur - compte tenu des soupçons qui pèsent sur l'avifaune sauvage - grâce à une intensification des réseaux de surveillance des oiseaux sauvages, et notamment migrateurs, par les différents Etats membres, comme l'a du reste recommandé la Commission européenne. Le réseau SAGIR est à cet égard unique en Europe : organisé et géré à la base par les chasseurs, il a été créé avec l'Office national de la chasse en 1986. Le but est que les 1 400 000 chasseurs qui constituent un réseau particulièrement dense sur le terrain signalent et ramassent les animaux malades ou morts afin de les faire analyser, aux frais des fédérations départementales des chasseurs, dans les laboratoires vétérinaires. Les résultats sont mis en commun et gérés par l'AFSSA de Nancy sous la forme d'une banque de données. Le réseau SAGIR permet ainsi de disposer d'un historique des différentes maladies affectant la faune sauvage, en plus, évidemment, de son rôle de surveillance et d'alerte. Les autorités françaises ont fondé une grande partie de leur système de surveillance des oiseaux sauvages sur le réseau SAGIR, et elles ont demandé que ce réseau fonctionne en priorité pour détecter les oiseaux malades et c'est une action que les chasseurs mènent au quotidien. Les chasseurs ont assorti cette surveillance passive d'une surveillance dite active.

M. le Président : Quelle est la signification de l'acronyme SAGIR ?

Mme Charlotte DUNOYER : J'y aurais bien vu la fusion de « savoir » et d'« agir », mais il paraît qu'il n'y en a pas... Il faudrait interroger l'Office de la chasse.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Comment fonctionne exactement le réseau SAGIR ?

Mme Charlotte DUNOYER : À la base, il y a les chasseurs, qui signalent aux fédérations départementales les animaux morts ou malades, lesquels sont récupérés et envoyés aux laboratoires vétérinaires départementaux pour analyse : autopsies, recherche de germes pathogènes, éventuellement analyses virologiques ou toxicologiques dans des laboratoires spécialisés. Les résultats sont communiqués à la fois à l'Office, aux fédérations et à l'AFSSA de Nancy, où est saisi l'ensemble des données. Chaque animal trouvé a fait l'objet d'une fiche détaillant l'endroit où il a été trouvé, son espèce, son âge estimé, les indices alentour pour expliquer éventuellement la maladie, etc.

M. le Président : Ces réseaux, comme les réseaux épidémiologiques pour les maladies, ont prouvé leur utilité ; encore doit-on être sûr qu'ils fonctionnent correctement. L'AFSSA a-t-elle demandé des évaluations de ces réseaux ?

Mme Charlotte DUNOYER : Je ne pense pas. L'AFSSA, du fait qu'elle détient la banque de données, est en prise directe pour l'évaluer elle-même. Je n'ai pas eu connaissance de demande officielle de ce genre. Trois mille analyses sont réalisées par an. Cette surveillance est dite passive en ce sens qu'elle ne vise pas un protocole particulier : on alerte et on ramasse les animaux trouvés morts. Elle n'a donc pas de valeur hautement statistique, elle a une valeur d'alerte.

D'autres systèmes de surveillance active ont été développés par l'Office national de la chasse : l'examen d'oiseaux migrateurs vivants attrapés sur les réserves de l'Office, qui font l'objet de prélèvements, et la surveillance des « oiseaux sentinelles », c'est-à-dire des oiseaux domestiques évoluant à l'extérieur et donc en contact avec la nature et, éventuellement, des animaux sauvages. Nous avons ainsi été sollicités par le ministère de l'agriculture pour mettre en place un système de surveillance sur les canards appelants à raison de 600 appelants dans dix départements. Les fédérations s'étaient préparées à cette opération fin septembre, mais aucune suite n'a été donnée du fait de l'interdiction des appelants. Je trouve dommage de s'être ainsi privé d'un système de détection précoce de la grippe aviaire. Dans le Sud de la France, les canards appelants sont déjà utilisés pour révéler l'existence de la maladie dite du Nil occidental avant qu'elle ne touche le cheval et l'homme.

M. le Président : C'est un peu contradictoire avec la vaccination...

Mme Charlotte DUNOYER : En effet, dès lors que l'on n'est pas capable de faire la différence entre un vaccin et un virus.

M. le Président : Ce qui est malheureusement vraisemblable. Nous passons la parole à l'Association nationale des chasseurs de gibier d'eau.

M. Gilles DEPLANQUE : Les chasseurs de gibiers d'eau sont tout à fait prêts à contribuer à la préparation de mesures préventives, qui est le vif du sujet pour votre mission ; malheureusement, les chasseurs sont actuellement victimes de mesures répressives qui compromettent beaucoup notre possible contribution. Nos oiseaux appelants pourraient être des sentinelles très utiles pour détecter le virus : ils sont pour la plupart en permanence sur les plans d'eau, dans les marais...

M. le Président : Mais les autorités publiques ne manqueront pas d'exiger des garanties quant à la surveillance des appelants. Seriez-vous prêts à en assumer la responsabilité juridique ?

M. Gilles DEPLANQUE : On pourrait procéder par échantillonnage en sélectionnant des installations tests dans les départements où l'usage d'appelants est répandu, à charge pour la Direction des services vétérinaires d'assurer le suivi épidémiologique et sanitaire des oiseaux : c'est ce que nous avions proposé. Au demeurant, le risque d'une contamination par les oiseaux migrateurs devra très probablement être minoré lorsque nous disposerons de résultats crédibles. Il y a beaucoup plus de chances de voir des oiseaux migrateurs infectés par de la volaille domestique que de voir de la volaille infectée par des migrateurs...

M. le Président : Il semblerait que ce débat ait été tranché et que le problème de la contamination se pose au niveau des élevages et du transport de volailles, mais également au niveau des oiseaux migrateurs ; et si des interrogations subsistent au niveau du « comment », le fait est désormais acquis. Les représentants de l'Ecole vétérinaire de Maisons-Alfort entendus hier en convenaient, même s'ils n'étaient pas spontanément ravis de cette évolution de la doctrine : on considérait jusqu'alors que les migrateurs étaient par définition peu porteurs de ce type de maladie. Or, si, pour ce qui concerne l'axe transsibérien, les raisons de la propagation sont à rechercher du côté du commerce et du chemin de fer, il n'y a guère d'autres possibilités que les migrations pour l'axe Nord-Sud.

Ajoutons qu'il est difficile d'exiger du Cambodge, du Laos ou du Vietnam une fermeté que nous ne nous imposerions pas. Vous avez très certainement raison sur le fait que la pandémie humaine a toutes chances de se développer dans les milieux d'Asie du Sud-Est. Mais nous ne pouvons ignorer l'hypothèse d'avoir à faire face à une attaque sur deux fronts : une problématique de pandémie grippale d'un côté, une problématique d'épizootie aviaire de l'autre. Nous avons nous-mêmes été surpris par la progression de l'épizootie cet été. Or, une bonne partie de notre stratégie face à la pandémie est basée sur le vaccin, fabriqué à partir d'œufs, d'où la nécessité de préserver de la grippe aviaire les élevages qui fournissent ces oeufs, sinon on ne pourra plus fabriquer le vaccin... Dans la mesure où la France concentre une bonne partie de l'outil de production d'œufs comme de vaccins, nous sommes tenus d'être très vigilants. Or le scénario de deux attaques concomitantes, jugé totalement invraisemblable à l'origine, a pris une tournure nettement plus inquiétante à partir du mois d'août ; on s'interroge maintenant sur ce qui se passera au printemps. Sans doute allez-vous nous faire part de vos propres informations - y compris sur ce qui se passe en Afrique où vos connaissances pourraient être supérieures aux nôtres.

M. Gilles DEPLANQUE : Pas encore, malheureusement... Les chasseurs de gibier d'eau sont en tout cas prêts à s'investir sur le territoire national, mais également à contribuer à des actions préventives dans les zones d'hivernage africaines comme dans les zones de reproduction baltes et russo-sibériennes, qui nous intéressent au premier chef, et même en Sibérie orientale si nécessaire. Nous sommes en train d'élaborer un programme d'étude avec une structure internationale, l'OMPO - Oiseaux migrateurs du Paléarctique occidental - pour lequel nous recherchons des financements ; certains contributeurs, comme le conseil général de la Somme, se sont déjà manifestés. Le programme d'étude pour l'Afrique démarrera début janvier. La démarche est analogue à celle du réseau SAGIR : il faut récupérer les cadavres d'oiseaux morts « naturellement » - entendez hors faits de chasse - et il faut aller plus vite que les prédateurs ; il faut en récupérer en nombre suffisant pour pouvoir effectuer des analyses sérieuses. L'usage d'appelants n'est pas pratiqué dans cette zone. Viendra s'ajouter un prélèvement d'oiseaux recueillis par actes de chasse. Nous mobiliserons également un laboratoire virologique pour étudier la réaction du virus à la chaleur et au rayonnement ultraviolet. Il n'est peut-être pas évident que des oiseaux reviennent infectés d'Afrique, mais ces pistes de réflexion appellent à être approfondies. Voilà ce que les chasseurs de gibier d'eau se proposent de faire avec les chasseurs africains sur les zones d'hivernage.

Nous proposons également de maintenir le suivi des oiseaux migrateurs sur les trajets de retour en prélevant quelques dizaines d'oiseaux entre février et avril sur quelques installations de chasse de nui,t avec l'aide d'appelants, comme le ministère de l'agriculture l'avait déjà autorisé pour certaines études spécifiques. Ce suivi sanitaire et épidémiologique se poursuivrait dans les zones de reproduction par l'examen des cadavres et de sujets prélevés, puis sur les oiseaux lors des migrations d'automne, et ce deux saisons de suite, autrement dit en 2006 et 2007. Tel est le programme que nous entendons mener avec le concours des plus grands experts internationaux, mais également la contribution des chasseurs français, à la seule condition que la mesure répressive dont ils sont victimes soit levée afin qu'ils puissent entrer dans le processus de prévention : comment voulez-vous faire de la surveillance avec des oiseaux sentinelles enfermés ?

M. le Rapporteur : Qui est à l'origine de ces mesures « répressives » ? Sont-elles venues du ministère de l'agriculture, du ministère de l'environnement, ou d'ailleurs ?

M. Gilles DEPLANQUE : Le Comité permanent de la chaîne alimentaire et de la santé animale, le CASA, qui n'a pourtant aucune compétence en matière de chasse, s'est permis de donner son avis sur une technique de chasse spécifique et a proposé l'interdiction des appelants dans une zone à déterminer, que le Gouvernement français a immédiatement définie comme l'ensemble du territoire national... Le ministère de l'agriculture a pris des mesures sur le confinement dans certains départements et sur la détention des oiseaux dans tous les départements, mais, de son côté, le ministère de l'écologie a purement et simplement interdit l'usage et le transport des appelants pour la chasse des oiseaux d'eau à compter du 24 octobre... Du coup, nos sentinelles ne surveillent plus rien du tout. Écouvillonner des oiseaux cloîtrés n'a aucun intérêt.

M. Pierre HELLIER : C'est un débat certes difficile. Je serais d'accord pour utiliser des appelants, mais dans un cadre extrêmement surveillé et selon un protocole très précis. Sans aller jusqu'à totalement libérer l'utilisation des appelants, une expérimentation bien cadrée ne pourrait-elle pas être utile ?

M. Gilles DEPLANQUE : Je partage ce point de vue. Les chasseurs de gibier d'eau avaient eux-mêmes proposé des mesures destinées à garantir le respect du confinement, comme la mise en cage des appelants. Encore faut-il pouvoir les mettre à l'eau, en tout cas dans des installations pilotes, si l'on veut utiliser la compétence de ces oiseaux à capter le virus et que les oiseaux migrateurs puissent les contaminer. Il faudrait donc accepter un plus grand risque dans ces zones, avec un suivi sanitaire plus important.

M. Jérôme BIGNON : Ce sujet n'a pas échappé au Gouvernement, puisque le Premier ministre a demandé à Mme Nelly Olin de mettre en place un groupe de travail composé d'experts et de chasseurs pour étudier l'opportunité d'un dispositif d'oiseaux sentinelles. Ce groupe de travail est en voie de constitution. Il est à noter que si le ministère de l'environnement a compétence pour gérer l'utilisation des appelants, l'arbitrage a été pris à l'instigation du ministère de l'agriculture, c'est-à-dire dans une vision d'abord agricole : les chasseurs n'étaient pas visés... Pour ce qui est de la coopération internationale, l'IRD nous a annoncé qu'il était en train de se mobiliser en liaison avec l'Institut Pasteur et les réseaux existants en Afrique. Mais les chasseurs mènent depuis longtemps, grâce notamment au réseau de l'OMPO, un travail très efficace de comptage et d'observation, d'autant plus nécessaire que, s'agissant d'espèces migratrices, ces opérations doivent être répétées sur tout l'arc de migration. C'est la raison pour laquelle le département de la Somme a apporté sa participation au titre de la coopération décentralisée. Je verserai la délibération du conseil général au dossier des pièces annexes de la mission d'information. Nous essayons d'inciter d'autres collectivités à faire preuve de solidarité à l'égard de pays qui n'ont guère les moyens de se préoccuper du sort de leurs oiseaux, et qui ne consomment que peu de poulets. Il faut développer cette coopération sanitaire et mobiliser d'autres départements.

M. le Président : Arrive-t-il à des chasseurs occidentaux, notamment français, d'aller chasser l'oiseau, l'hiver, en Afrique ? On remarquera par ailleurs que la Sibérie occidentale et la Sibérie orientale sont beaucoup moins éloignées qu'il n'y paraît sur une carte : quelques centaines de kilomètres tout au plus. Êtes-vous certain qu'aucune contamination n'est possible entre les deux arcs de migration ? Pouvez-vous enfin nous parler des zones de chasse en Afrique et des pays concernés ?

M. Jean-Claude FLORY : Certains arguments sont tout à fait recevables, et notamment celui de la proportionnalité des mesures si le risque venait à diminuer. Quant à l'utilisation des appelants comme sentinelles, elle permettrait d'affirmer un rôle de surveillance dans lequel les chasseurs se sentent fortement engagés, pour peu, évidemment, qu'elle fasse l'objet d'un protocole rigoureux.

Nous évoquons aujourd'hui les zones d'hivernage en Afrique du Nord et de l'Ouest ; or le sud de la France est également un lieu d'hivernage, pour la bécasse africaine notamment. Le club des bécassiers avait, me semble-t-il, été sollicité en septembre ou octobre pour mener, éventuellement, des missions d'expertise en Roumanie ou dans des pays alentour. Cette affaire s'est-elle concrétisée ? Enfin, on parle souvent de migrations de printemps, alors que certains mouvements commencent dès février, parfois chez des espèces qui ne sont pas forcément à risque, comme les colombidés, qui ne sont peut-être pas porteurs, mais d'autres espèces peuvent l'être. Avez-vous prévu différents seuils d'intervention dans le cadre du réseau SAGIR ? Des consignes de réactivation des informations seront-elles distribuées dès janvier-février à chacun de vos correspondants dans les départements, eux-mêmes en liaison avec tous les acteurs locaux ?

Mme Geneviève GAILLARD : Je voudrais tout d'abord dire que je partage les propos de ma consœur Mme Dunoyer : il est toujours bon, devant la presse, de rappeler la différence entre la pandémie et l'influenza aviaire, pour en finir avec les amalgames permanents sur ces sujets, en France et ailleurs.

La DGAL, que nous avons auditionnée hier, nous a annoncé que le ministère de l'agriculture se préparait, dans les semaines qui viennent, à mieux cibler les zones à risques au regard des oiseaux migrateurs, et particulièrement les zones humides, prioritairement concernées. Avez-vous connaissance des études conduites dans ce sens au ministère de l'agriculture sur le meilleur ciblage des zones à risque ? Avez-vous été conviés à travailler sur ces thèmes ? Vingt-six départements se retrouvent dans une situation très pénible, y compris sur le plan économique du fait des élevages. Vous vous plaigniez tout à l'heure de l'absence de concertation sur les mesures prises. Est-ce toujours le cas ?

M. Pierre HELLIER : Quel est le cheminement précis d'un oiseau mort ramassé sur le terrain ?

(Mme Bérengère Poletti remplace M. Jean-Marie Le Guen à la présidence)

M. Gilles DEPLANQUE : Chaque espèce migratrice a sa propre zone de reproduction, son trajet migratoire, sa zone d'hivernage et circule en boucle au sein de ce que l'on appelle un flyway. Il peut arriver que différents flyways se superposent : c'est ce qui se passe en Sibérie, où les oiseaux du flyway paléarctique-zones afro-tropicales peuvent cohabiter, sur les zones de reproduction, avec des individus de mêmes espèces du flyway asiatique qui ne viennent pas chez nous. Il n'existe donc pas de barrière étanche, d'autant que certains oiseaux de Sibérie orientale viennent parfois sur notre territoire en suivant un trajet migratoire Est-Ouest pratiquement linéaire. Des travaux ont été menés sur le baguage, qu'il faudra approfondir ; l'OMPO a la chance d'avoir un réseau mobilisable dès maintenant, ce qui nous permet de commencer les travaux dès le 1er janvier. Ils concerneront les zones nord-africaines et ouest-africaines, et même jusqu'au Kenya : l'Afrique de l'ouest est donc également concernée. Nous sommes beaucoup moins présents en Afrique du Sud où ne se rendent guère que certains limicoles. Nous sommes du reste conduits à cibler les espèces, à raison de trois pour la migration descendante et trois pour la migration de retour. Les espèces sont donc différentes à l'aller et au retour.

M. le Rapporteur : Quelles sont-elles ?

M. Gilles DEPLANQUE : Je peux, de mémoire, vous citer le canard pilet et la sarcelle d'été pour la migration de retour, ce sont donc des oiseaux qui hivernent en Afrique et qui remontent chez nous ; pour la migration de descente, le fuligule milouin, le fuligule morillon et la sarcelle d'hiver, qui survolent notre territoire venant de leurs zones de reproduction - sans doute rajouterons-nous le vanneau huppé. Nous avons donc choisi des oiseaux qui, dans un sens ou un autre, passent par la France. Nous devons impérativement travailler avec une structure qui dispose déjà de réseaux sur place : il faudrait des années pour créer des réseaux opérationnels en Afrique, en Russie ou dans les États baltes. L'OMPO a ses réseaux, qui comptent plusieurs centaines de personnes. L'opération a déjà commencé à se mettre en place au Sénégal ; les réseaux africains ont commencé à être mobilisés sur la quête de cadavres d'oiseaux, et les réseaux baltes l'ont été pour la période d'avril à octobre.

Pour ce qui est du réseau national SAGIR, si nous voulons pouvoir faire de la veille sanitaire et de la prévention au-delà de février, il va falloir tuer de l'oiseau : on ne trouvera des cadavres qu'en cas d'épidémie, qu'il s'agisse de H5N1 ou d'autre chose. Il faudra, pour cela, cibler des installations de chasse de nuit avec appelants, lesquelles, munies des dérogations nécessaires, que le ministère accorde déjà, auront mission de tuer tant d'oiseaux pendant telle période à des fins scientifiques. Encore faudra-t-il le prévoir dans le dispositif sanitaire, au moins jusqu'à la mi-avril. Sur les zones plus au Nord et à l'Est, il faudra travailler avec les gouvernements des pays concernés et demander les autorisations nécessaires afin de prélever des échantillons, au demeurant très restreints, sur les zones de reproduction.

Pour ce qui est du nouveau ciblage des zones à risques, l'Association des chasseurs de gibiers d'eau n'a contacté pour l'instant que le ministère de l'écologie, qui a proposé une réunion de concertation avec le ministère de l'agriculture. La date n'a pas encore été fixée. Nous devrions proposer à cette occasion notre programme d'études ; le ministère de l'écologie étant intéressé tout à la fois par nos travaux et par une éventuelle participation financière du ministère de l'agriculture, nous avons donc tout lieu de penser que, cette fois-ci, la concertation ne sera pas ratée...

Mme Charlotte DUNOYER : Concernant le ciblage des zones, nous avons eu l'information - indirecte - selon laquelle le ministère voudrait redéfinir ces zones de manière plus précise. Jusqu'à présent, les départements en question avaient été ciblés à la suite d'une étude très rapide demandée aux experts de l'AFSSA, fondée, grosso modo, sur la présence de zones humides et non sur une réelle analyse de risque. Or, pour cibler une zone, il faut confronter un certain nombre de risques. Le ciblage d'une zone suppose en premier lieu d'identifier la présence d'oiseaux migrateurs potentiellement vecteurs de la maladie, puis il faut croiser ce risque avec celui qui découlerait de la présence d'élevages en plein air et même, en théorie, il faudrait le faire avec un troisième paramètre, qui est l'état sanitaire de l'avifaune locale.

Depuis un an, la fédération nationale des chasseurs travaille sur l'hypothèse d'un plan de prévention des risques naturels qui reprendrait exactement ce schéma théorique. Nous sommes conscients que les élevages ont fait d'énormes efforts pour se débarrasser de certaines maladies ; le problème est que ces affections ont eu, entre-temps, l'occasion de passer dans la faune sauvage, au point que certains oiseaux en sont effectivement atteints et peuvent constituer un risque qu'il nous faut impérativement identifier, ainsi que les zones à risque - le même problème s'est posé avec la peste porcine dans l'Est de la France. Nous ne pouvons pas attendre la possible survenue d'une épizootie sans avoir préparé une série de réponses scientifiques et de méthodologie, et relevé les « points rouges » ou clignotants, au demeurant relativement peu nombreux. Nous avons fait un travail d'évaluation des risques consistant à superposer trois cartes, la première répertoriant la présence d'animaux sauvages, la deuxième la présence des animaux d'élevage en plein air et la troisième l'état sanitaire de l'avifaune. Sachant que nous n'avons pas encore de données concernant l'état sanitaire relatif à la grippe aviaire, il faudrait au moins reprendre la carte des zones humides où la présence des oiseaux sauvages est la plus forte, et la carte précise des élevages de plein air, d'ores et déjà connus du ministère de l'agriculture. Cela revient à faire de la dentelle et je comprends que les autorités n'aiment guère cela, notamment lorsqu'il s'agit d'effectuer des contrôles. Il reste qu'il va bien falloir nous résoudre à faire dans la dentelle si nous sommes amenés à vivre avec cette menace pendant des années.

S'agissant du réseau SAGIR, le ministère de l'agriculture nous a donné, comme aux services vétérinaires, des consignes très strictes en matière de recherche des oiseaux morts : toute découverte d'au moins cinq oiseaux morts, sur la même zone et dans la même semaine, doit être signalée. Les cinq cadavres sont pris en charge par les interlocuteurs techniques SAGIR - il s'agit de personnels des fédérations ou de l'office -, qui en assurent la conservation, la congélation n'étant d'ailleurs pas conseillée, et les apportent le plus rapidement possible aux laboratoires vétérinaires départementaux. Ceux-ci procèdent à une première analyse, prise en charge par les fédérations départementales de la chasse, et qui vise à une autopsie et à des investigations classiques. Si une suspicion d'influenza aviaire est détectée, les DSV prennent la décision d'envoyer l'analyse au laboratoire de référence.

M. Philippe BETTIG : Les chasseurs étant présents sur le terrain douze mois sur douze, avec ou sans leur fusil, par exemple au printemps pour s'occuper de la reproduction, le réseau SAGIR n'a pas besoin d'être activé.

M. Éric KRAEMER : Responsable d'une association régionale - en Picardie - forte de quelque 20.000 chasseurs de gibier d'eau, j'aurai aimé vous faire part de leur ressenti. Ils ne chassent plus depuis plus d'un mois, faute d'autorisation pour transporter et utiliser leurs appelants, et en éprouvent un malaise profond, craignant que cette chasse populaire et ancestrale ne vienne à disparaître. Toute la difficulté pour moi est de leur faire comprendre le bien-fondé, non pas évidemment des mesures de santé publique, qu'ils ont parfaitement comprises, mais de dispositions qui ne touchent qu'eux seuls. Les dérogations fleurissent dans certains départements pour les éleveurs en plein air - c'est effectivement tout un pan économique qui est touché, et je pense que dans l'avenir, cela sera encore pire - qui peuvent sortir leurs volailles selon des horaires précis. Et nous avons appris, le 10 décembre, par la RTBF et Suisse-Info, que la Belgique et la Suisse allaient lever les mesures de confinement et autoriser les rassemblements de volailles ! Là, les chasseurs ne comprennent plus très bien. Or, quand on parle de nos routes migratoires, on constate que le gibier que l'on voit passer chez nous vient de la Belgique... Comment ne pas avoir l'intime conviction - même si je sais que tel n'est pas le cas - que l'on en veut à la chasse au gibier d'eau ? Comment vais-je pouvoir expliquer à quelque 250 000 chasseurs en France que la Belgique et la Suisse lèvent ces mesures, que les éleveurs bénéficient de dérogations, mais que les chasseurs français, eux, doivent continuer à enfermer leurs oiseaux et n'ont pas le droit d'aller à la chasse ?

Mme la Présidente : La mission d'information comprend la situation des possesseurs d'appelants, qui devraient, dans certains cas très réglementés, pouvoir faire l'objet de quelques dérogations. Il faudrait étudier le problème. Vous-même reconnaissez que personne ne leur en veut, mais qu'il se pose un réel problème de santé publique. C'est là-dessus qu'il faut appeler leur attention.

M. le Rapporteur : Le plan gouvernemental est en cours de préparation ; un peu de patience...

M. Éric KRAEMER : Je n'ai vraiment pas le sentiment que la population belge, sur le plan sanitaire, soit plus maltraitée par son gouvernement que la population française... J'ose en tout cas l'espérer !

M. François GUILLAUME : J'ai bien compris qu'il fallait trouver cinq oiseaux morts pour les signaler, mais sur quelle étendue ?

Mme Charlotte DUNOYER : Il s'agit d'un territoire assez restreint : une commune, ou autour d'un même étang...

M. François GUILLAUME : Certains oiseaux sont plus facilement porteurs du H5N1 que d'autres. Ainsi, les canards le transmettent très souvent et les pigeons pas du tout. A-t-on fait un inventaire et l'a-t-on diffusé sur le terrain, particulièrement chez les chasseurs dont le sens de l'observation est souvent plus développé ?

Mme Charlotte DUNOYER : Nous n'avons mis aucune restriction à cette surveillance. La DGAL nous a demandé d'être vigilants pour toutes les espèces d'oiseaux.

Mme Geneviève GAILLARD : Je ne suis pas une « fan » de la chasse, mais j'avais le sentiment que l'on pouvait chasser le gibier d'eau avec des appelants non vivants. Cette chasse-là est-elle interdite ? La consommation des oiseaux en tout cas ne l'est pas, puisque l'on sait qu'il est rigoureusement impossible d'être contaminé par cette voie. Votre discours extrême tendant à dire que vous ne pouvez plus chasser puisque vous n'avez pas d'appelants vivants mériterait d'être nuancé dans la mesure où vous pourriez utiliser d'autres techniques, comme les appelants non vivants...

M. Éric KRAEMER : La chasse aux appelants est d'abord une chasse de nuit dans laquelle on utilise des canards vivants qui, par leur chant, attirent leurs congénères sauvages.

Mme Geneviève GAILLARD : Il y a des appeaux...

M. Éric KRAEMER : Effectivement, mais ils sont très difficiles à utiliser de nuit. Pour résumer, chasser le gibier d'eau sans appelants, c'est comme chasser en plaine sans son chien, c'est partir au bal sans sa femme...

Mme Geneviève GAILLARD : Un chasseur sachant chasser doit savoir chasser sans son chien... Et au bal, vous pouvez trouver d'autres femmes, il y en a de très bien !

M. Éric KRAEMER : Mais chasser sans mes appelants, c'est vivre sans ma femme... C'est aussi profond que cela ! Sans appelants, l'oiseau sauvage passe au-dessus de la mare sans s'arrêter, car il n'est pas attiré par ses congénères. Il faut l'attirer pour qu'il s'y pose. Sinon, il passe son chemin. Et c'est triste à mourir...

M. Gilles DEPLANQUE : L'interdiction des appelants vivants revient à remettre totalement en cause la légalisation de la chasse de nuit, qui date de juillet 2000. Les appeaux fonctionnent de jour ; mais la nuit, vous ne voyez rien du tout. Les canards appelants attirent en permanence leurs congénères par leur chant, sans qu'il y ait besoin de les voir. Si vous supprimez le son dans cette pratique, qui se fait pratiquement sans vision, il ne reste plus rien du tout...

Mme Geneviève GAILLARD : Mais une heure avant le coucher du soleil, on doit voir un petit peu, tout de même...

M. Gilles DEPLANQUE : Je vais vous emmener à la hutte, Madame, et vous comprendrez comment cela se passe : on ne voit l'oiseau que lorsqu'il s'est posé. Quand il est en vol, on ne le voit pas du tout. La chasse crépusculaire peut effectivement se pratiquer dans certaines conditions, à la lune, dans de bonnes conditions de luminosité ; mais aux heures les plus sombres, sans appelants, vous aller tirer sur tout et n'importe quoi.

M. Jean-Michel BOUCHERON : Le sentiment que je retire de cette audition comme des autres, c'est qu'il règne le désordre le plus total au niveau européen. Que ces décisions soient contestables ou non, là n'est pas la question : ce qui est grave, c'est qu'elles diffèrent d'un pays à l'autre, et entre pays voisins, et il en va de la réglementation de la chasse comme de la production d'antiviraux. Avez-vous de votre côté une instance de coordination européenne, des interlocuteurs au niveau de la Commission européenne ?

M. Pierre HELLIER : On ne peut effectivement que regretter ce manque de coordination et de concertation sur le plan européen, et déplorer la décision des Belges et des Suisses. Il faut comprendre que les mesures mises en place sont contraignantes, pour les chasseurs comme pour les éleveurs, mais elles sont à nos yeux nécessaires. Ne pouvez-vous pas utiliser la stéréo au lieu de vos appelants ?

M. Philippe BETTIG : C'est illégal.

M. Éric KRAEMER : Ce n'est pas notre chasse. Pas ça, pas chez nous. On veut rester traditionnels...

M. Gabriel BIANCHERI : On a souvent l'impression qu'en France, les mesures sont prises par excès. C'est oublier que notre pays a toujours été celui qui s'en est le mieux tiré sur le plan sanitaire pour les maladies animales ! Excès peut-être, mais cela a marché... Cela dit, je reconnais que les appelants ont un rôle majeur à jouer en termes de prévention et d'alerte et qu'il est contradictoire de les interdire totalement. Il y a là quelque chose à éclaircir, et assez rapidement.

M. Marc LE FUR : On me dit que certains départements ont prévu des dérogations. Lesquelles, et dans quel cadre ? A-t-on au moins harmonisé la jurisprudence en la matière ?

M. Philippe BETTIG : Nous avons une organisation européenne : la Fédération des associations de chasseurs d'Europe, la FACE, autrement dit un observateur au niveau de Bruxelles, mais la décision ayant été prise, on l'a dit, dans le mauvais comité, les chasseurs français n'ont pas pu faire entendre leur voix, malgré l'intervention de la FACE.

Des dérogations ont été prévues dans le domaine de l'élevage, mais en aucun cas pour la chasse.

M. Marc LE FUR : Certains préfets en auraient accordé, m'a-t-on dit.

M. Philippe BETTIG : La première interdiction prise le 24 octobre jusqu'au 1er décembre nous a fait l'effet d'un coup de massue, mais a été relativement acceptée. Nous avons essayé de trouver des accommodements en identifiant les facteurs de risque. Nous avons présenté des propositions au ministère de l'écologie, qui les avait reprises, et proposé au Premier ministre des solutions de confinement prévoyant l'utilisation de cages, ce qui permettait l'utilisation des appelants, etc., sans malheureusement être entendus. Nous avons cherché un juste équilibre prenant en compte la nécessaire prévention et la surveillance, et le fait que nous sommes le pays d'Europe qui chasse le plus le migrateur : le jour où ils disparaîtront, il en sera de même pour la moitié des chasseurs français. Le gibier d'eau est plus particulièrement visé en raison du risque aquatique, mais on ne voit pas pourquoi d'autres espèces ne seraient pas également porteuses - n'a-t-on pas récemment trouvé un pigeon porteur du virus dans la banlieue de Moscou, il y a quelques semaines ? Nous sommes parfaitement conscients du risque et tout à fait désireux de participer au dispositif de surveillance, mais nous y participerions d'autant mieux que l'on trouvera des accommodements de nature à préserver ce qui est pour nous un loisir, mais surtout une véritable passion. Le canard en plastique et l'appeau ne remplaceront jamais l'appelant vivant, et nous refusons avec force les systèmes électroniques dont l'usage, hélas ! s'est considérablement développé depuis l'interdiction. Les grandes surfaces ont été dévalisées et cela est déplorable pour l'éthique cynégétique.

Mme Françoise PESCHADOUR : Je vois mal comment un chien robot pourrait remplacer un chien compagnon à la maison, et des formes en plastique remplacer nos appelants, fruit d'une sélection culturelle et d'une longue pratique du travail avec les animaux. Il n'y a pas de produit de substitution, ni d'ersatz. M. le Président, en début de séance, a quelque peu balayé nos arguments d'un revers de main au motif que la chasse n'était qu'un loisir face à une très lourde préoccupation de pandémie mondiale. Vous avez à juste titre rappelé que nous étions, pour le moment, confrontés à un problème de santé animale et que le réseau français a fait preuve de son excellence dans la gestion de ce risque. À preuve, l'épisode de grippe aviaire aux Pays-Bas avait été géré avec sérénité. Or les modèles appliqués avec succès dans l'élevage peuvent être transposés à la faune sauvage et les chasseurs peuvent contribuer au suivi de ce problème en offrant la solidité de leurs réseaux. Quelque opinion que l'on ait d'eux, leur aide peut être précieuse pour la société - quelle que soit l'opinion que l'on ait des chasseurs - dans la mesure où ils sont des hommes en contact avec la faune sauvage.

Le Parlement avait ardemment souhaité parvenir à une chasse apaisée. On ne peut négliger le fait qu'elle représente le deuxième loisir des Français. Or, sur le terrain, les mesures décidées sont ressenties comme un signe d'opprobre, une mise au ban de la société, au mépris des acquis culturels, économiques et sociaux. La chasse est une fête ; ne la tuons pas, utilisons-la plutôt intelligemment.

Mme la Présidente : Je vous remercie tous pour votre participation.

Audition de M. Jean-Roch GAILLET, chef de l'unité de suivi sanitaire de la faune l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS)

(Compte rendu de la réunion du mercredi 14 décembre 2005
)

Présidence de Mme Bérengère POLETTI, vice-présidente,

puis de M. Jean-Marie LE GUEN, Président

Mme la Présidente : Nous aimerions que, dans un premier temps, vous nous expliquiez le rôle de l'Office dans le dispositif actuel de prévention de l'épizootie. Nous passerons ensuite aux questions.

M. Jean-Roch GAILLET : Inspecteur de la santé publique vétérinaire, ISPV, au ministère de l'agriculture, j'ai été détaché à l'ONCFS spécifiquement sur ce sujet d'influenza aviaire. Je suis par ailleurs membre titulaire de l'académie vétérinaire de France, qui devrait sans doute émettre prochainement un avis sur cette maladie.

Établissement public à caractère administratif, l'Office national de la chasse et de la faune sauvage emploie 1.700 personnes. Le gros des troupes - 1.400 agents - est constitué par ceux que l'on appelait les gardes nationaux, aujourd'hui agents techniques ou techniciens de l'environnement. De son côté, la direction des études et de la recherche, composée de 114 chercheurs, regroupe les cinq centres nationaux d'études et de recherche appliquée , le CNERA, et l'unité sanitaire de la faune. Travaillent avec moi, sur l'influenza aviaire, un ISPV, Jean Hars, et le chef du CNERA chargé de l'avifaune migratrice, Jean-Marie Boutin, qui est plus spécifiquement en charge des problèmes migratoires, de l'étude des couloirs et des passages des oiseaux et de leur biologie. Nous sommes tous trois membres du comité d'experts de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, l'AFSSA. C'est donc sous cette double casquette que nous travaillons depuis fin août sur l'influenza aviaire - pour ce qui touche à la seule faune sauvage, s'entend.

M. le Rapporteur : Pouvez-vous nous définir précisément ce que vous appelez « faune sauvage » ?

M. Jean-Roch GAILLET : La définition administrative distingue la faune sauvage captive et la faune sauvage non captive, autrement dit tout ce qui vit en liberté, les insectes, les batraciens, les lézards et autres sauropsidés, les oiseaux et mammifères. Le gros de notre travail sur la faune sauvage s'effectue sur les espèces d'oiseaux non captifs, sédentaires ou migrateurs, et sur les mammifères terrestres non captifs, les mammifères marins étant plus spécifiquement traités par le Conservatoire du littoral. Bien que nous n'ayons pas en charge la faune sauvage captive, les agents de l'Office sont très souvent amenés à intervenir sur le poste d'inspection frontalier de Roissy ou dans les oiselleries à des fins d'identification, les compétences disponibles étant assez rares s'agissant de la connaissance des oiseaux protégés par la CITES110 ou la convention de Washington. Mais je précise qu'il ne s'agit que d'interventions à des fins d'identification.

Les actions « influenza aviaire » menées par l'ONCFS se décomposent entre une surveillance dite passive, par le biais du réseau SAGIR, qui consiste à collecter les animaux morts ou gravement malades, et une surveillance active sur des oiseaux collectés par piégeage, à fins de baguage, ou tués à la chasse, donc vivants ou collectés juste après leur mort.

Créé en 1986, le réseau SAGIR, qui a été beaucoup sollicité depuis le mois d'août, collecte en gros 4.000 animaux malades ou morts chaque année, dont environ 15 % d'oiseaux, grâce à des interlocuteurs techniques présents sur le terrain, à raison de deux par départements : un dans chaque fédération départementale des chasseurs et un dans chaque service départemental de l'ONCFS, ce qui témoigne de la collaboration, indispensable, entre les fédérations de chasseurs et l'Office. Les ministres de l'agriculture successifs ont eu beaucoup de chance de pouvoir recourir aux services de ces personnes pour un travail qui, autrement, aurait dû être demandé à la puissance publique. Cette liaison entre l'associatif et le public se passe globalement bien depuis 20 ans. Du point de vue du financement, les fédérations départementales supportent le coût des analyses de base, effectuées dans les laboratoires départementaux, qui sont sous la responsabilité des conseils généraux depuis les lois de décentralisation de 1981 et 1983. Il n'en reste que cinquante-cinq, qui assurent avec compétence leur travail en matière de santé animale - les autres ne s'occupent malheureusement plus que d'hygiène alimentaire ou ont tout simplement disparu.

Les cadavres sont amenés par les interlocuteurs techniques au laboratoire, systématiquement accompagnés d'une fiche SAGIR pré-numérotée, ce qui permet de ne pas perdre d'informations en cours de route. En cas de suspicion d'influenza aviaire, le laboratoire transmettra les prélèvements adéquats auprès d'un des six laboratoires départementaux spécialisés dans la recherche du virus, qui procéderont à un premier screening, le processus se terminant au laboratoire de l'AFSSA à Ploufragan où peuvent être effectuées les analyses finales de typage de virus.

Ensuite, toutes les données produites par les laboratoires départementaux comme par les laboratoires de référence, dont celui de Ploufragan, sont encodées dans une base de données nationale au laboratoire de l'AFSSA-Nancy, dont la dénomination a plusieurs fois changé (laboratoire central de lutte contre la rage, puis centre national d'études vétérinaires). L'exploitation de ces informations permet de répondre à bien des questions - présence de telle maladie dans tel département, par exemple - dont on aurait tort de croire qu'elles n'intéressent que des étudiants thésards. Cette base de données intéresse aussi les gestionnaires du terrain. Toute question émanant d'un député, par exemple si vous voulez savoir quelles maladies circulent dans votre département, recevra une réponse rapide... En revanche, compte tenu de la sensibilité des données sanitaires, cette base de données n'est pas sur Internet ni accessible à tous. Il est heureux que la participation de la Fédération nationale des chasseurs, sous statut associatif, nous dispense d'avoir à communiquer des données qui pourraient donner lieu aux interprétations les plus excessives et à toutes les confusions possibles. Cela dit, nous fournissons tous les éléments souhaités à des organismes tels que France-Nature Environnement ou la Ligue de protection des oiseaux : les seuls blocages sont motivés par les risques que nous ne saurions faire prendre à nos partenaires des filières animales, éleveurs ou transformateurs.

Le réseau SAGIR est financé pour moitié par les fédérations départementales des chasseurs et pour moitié par l'Office de la chasse de la faune sauvage. La gestion est également paritaire.

Plus de 40 000 animaux ont été ainsi encodés dans la base de données ; à raison de plus de cinquante analyses par animal, on imagine la richesse de cette base. Ajoutons que l'on y trouve désormais plus de 10 % d'espèce non chassées, ce qui témoigne de l'état d'esprit positif de nombre de fédérations départementales de chasseurs qui acceptent de financer l'analyse d'un vautour empoisonné ou de toute autre espèce protégée malade ou morte. C'est donc un système qui s'ouvre bien à la faune sauvage « non gibier ».

En cas de suspicion d'influenza aviaire hautement pathogène, nous nous retrouvons dans le cadre d'une maladie officiellement réputée contagieuse et nous nous mettons immédiatement aux ordres de la direction départementale des services vétérinaires, autrement dit sous la tutelle du ministère de l'agriculture, car qui dit maladie contagieuse dit ministère de l'agriculture, tout en continuant à nous occuper de la faune sauvage sur le terrain. Mais depuis 1986, le réseau SAGIR n'a jamais mis à jour un seul cas d'influenza aviaire hautement pathogène.

Une bonne surveillance dépend en premier lieu de la présence sur le terrain. Or, les gens les plus proches du terrain sont, en zone de chasse, les chasseurs et, dans les réserves naturelles, les birdwatchers, les observateurs d'oiseaux qui circulent à toute heure et en toutes saisons dans les réserves en cochant sur leurs calepins les oiseaux qu'ils ont pu voir. Leurs observations complètent utilement les informations du réseau SAGIR pour les zones où il n'y a pas de chasse. Il faut enfin que les fédérations départementales de chasseurs acceptent de supporter le coût des analyses. Nous nous efforçons de limiter le nombre d'analyses en ne collectant que des mortalités significatives, autrement dit les cadavres susceptibles de présenter un intérêt dans les recherches sur l'influenza. Un oiseau trouvé mort au bord d'une route à grande circulation aura toutes les chances d'avoir succombé à une collision avec un véhicule...

En second lieu, jusqu'en août, on s'intéressait principalement aux anatidés, principales victimes de la maladie. Le champ d'investigation a été élargi aux pigeons à la suite de la découverte de cas à l'est de Moscou, puis à l'ensemble des oiseaux après avoir analysé les cas de contamination de la faune domestique - des dindes avaient été touchées lors de l'épizootie de 1999-2000 en Italie. Afin de ne pas saturer le laboratoire de Ploufragan par un trop grand nombre d'analyses, a été mis en place un réseau de premier tri effectué dans six laboratoires départementaux, installations « top niveau » situées dans des départements d'élevage (Ain, Côte d'Or, Côte d'Armor, Touraine, Landes et Loire-Atlantique), qui recevront les oiseaux entiers ou simplement un prélèvement par écouvillonnage - opération simple qui consiste à passer un coton-tige dans le derrière de l'oiseau et éventuellement dans la trachée. Dès qu'il y aura une véritable suspicion d'influenza aviaire, on ne pourra plus passer par Chronopost ou les transporteurs classiques. Il faudra recourir au transport sécurisé, dont le prix est de l'ordre de 1.000 euros, sauf à l'assurer soi-même, en mobilisant pendant une journée un technicien et sa voiture. Le coût devra être pris en charge par le ministère de l'agriculture car on ne peut demander aux fédérations de chasseurs de le supporter.

M. le Rapporteur : Mais le diagnostic sera fait par le laboratoire départemental... Pourquoi les chasseurs devraient-ils supporter un transfert de laboratoire à laboratoire ?

M. Jean-Roch GAILLET : Il ne s'agit pas de diagnostic, mais de suspicion. Si une mortalité massive survient dans un endroit où, à défaut de pouvoir l'imputer à une des causes habituelles - principalement, pour les oiseaux lacustres, le botulisme qui peut survenir en période très chaude et sans vent, propice à la prolifération de la bactérie produisant la toxine - aucune autre affection ne peut être suspectée qu'une peste ou une influenza aviaire, on est immédiatement en situation de suspicion et cette suspicion fait que le transport d'animaux et de cadavres doit immédiatement être sécurisé. Et dans le cas spécifique de l'influenza aviaire, le ministère de l'agriculture sera mis à contribution pour le transport depuis les laboratoires départementaux d'analyses vétérinaires, les LADV, vers les laboratoires de référence ou de screening, transport que l'on ne peut demander aux chasseurs de supporter. N'oublions pas que le but principal est de protéger les élevages. Si l'influenza ne touchait que l'avifaune sauvage non captive, personne ne s'y intéresserait outre mesure : la faune sauvage vit par principe en équilibre avec ses maladies, ses parasites, ses virus, contrairement à nos chiens et nos chats stérilisés, vaccinés, antiparasités, etc. S'il n'y a plus d'équilibre, l'animal sauvage meurt. Le grand public a parfois du mal à le comprendre, mais c'est la vie...

Sur le plan des précautions à prendre, nous avons toujours préconisé, dans le réseau SAGIR, le port de gants pour les ramasseurs d'animaux morts, qui peuvent être porteurs de toutes sortes de maladies, qu'il s'agisse de l'influenza, de la tularémie chez le lièvre ou de l'échinococcose alvéolaire chez le renard. C'est une mesure de protection tout à fait classique.

La surveillance des oiseaux vivants, dite active, a débuté dès 2000 lorsque nous avons mis en place, en association avec le bureau santé animale de la direction générale de l'alimentation, un programme de collecte d'écouvillonnage cloacal sur des oiseaux capturés lors d'opérations de baguage. Entre 2000 et 2005, ont ainsi été relevées plusieurs dizaines de types de virus de l'influenza, tous non pathogènes, c'est-à-dire des souches de virus qui ne rendent pas ou très peu malade, dont personne n'imaginait l'existence jusque-là et dont les oiseaux s'accommodent très bien. Depuis l'agitation autour de la grippe aviaire, on sait très bien quelles souches circulent dans le monde et l'évolution de leur répartition, année après année. À noter que les virus influenza ne sont qu'une des pestes aviaires, l'autre sorte de peste étant due aux virus de la maladie de Newcastle, dont on détecte en gros un foyer par an en France et qui pose un véritable problème chez les pigeons voyageurs - à tel point que leur vaccination est demandée - mais également dans les élevages de faisans. Et comme il s'agit aussi d'une maladie contagieuse, nous avons pris les mesures qui s'imposaient pour circonscrire, puis éradiquer les foyers, ce qui a été le cas. La maladie de Newcastle a, du reste, utilement contribué à développer la surveillance active au jour le jour : la France a ainsi pu fournir à la Commission européenne un schéma très complet sur les virus de l'influenza aviaire circulant dans la faune sauvage, grâce à cette surveillance active qui existait préalablement, alors qu'un pays européen sur deux n'en avait aucune idée et les autres ne disposaient que de quelques éléments seulement. Grâce à la surveillance active, nous avions pris une certaine avance, ce qui nous a permis de calmer le jeu en rappelant que les maladies réputées très contagieuses n'étaient que le fait des virus hautement pathogènes, et que les autres étaient connus et suivis.

Ce qui se passe bien, c'est la surveillance réalisée sur des oiseaux sauvages lors d'opérations de baguage. Un nombre important d'oiseaux a ainsi été prélevé dans le cadre de deux programmes de recherche sur l'épidémiologie de l'influenza aviaire en Camargue, en Loire-Atlantique, mais également dans la Dombes avec l'école nationale vétérinaire de Lyon soutenue par le Conseil régional de Rhône-Alpes, et, dans une moindre mesure, dans la Somme. En revanche, cela « coince » un peu avec les canards appelants. Il était prévu d'en utiliser six cents, mais nous nous heurtons aux interdictions de transport et d'utilisation, dont le bien-fondé a du reste été plusieurs fois contesté par l'AFSSA et le comité d'experts auquel nous participons. L'utilisation des appelants faisait pourtant partie des actions de collecte proposées à Bruxelles.

Signalons enfin que l'ONCFS a un rôle d'expertise auprès de ses deux ministères de tutelles, le ministère de l'agriculture et de la pêche et le ministère de l'écologie et du développement durable ; notre expertise a sans doute été utile dans la détermination des zones dites à risques, où les oiseaux seront le plus susceptibles de revenir au printemps après avoir été, en Afrique, en contact avec des oiseaux migrateurs venant de zones contaminées.

M. le Rapporteur : Je vous remercie pour votre exposé parfaitement clair, serein et intéressant. En tant que responsable scientifique à l'office national de la chasse, que pensez-vous de l'application du principe de précaution ? Certaines décisions de confinement ne vous paraissent-elles pas trop restrictives, sinon prématurées ? Enfin, que préconiseriez-vous en matière de surveillance des zones d'hivernage africaines, qui semble être la prochaine étape des migrateurs ?

M. Jean-Roch GAILLET : Il est clair que ce n'est pas en France que le virus va recombiner et muter. Si pandémie il doit y avoir, elle viendra d'Asie et par avion. Les mesures prises sont logiques par rapport à ce qui peut arriver en avion, mais certainement pas pour ce qui touche à la faune sauvage française. Pour ce qui est des élevages, cela a été chaud en 1999-2000 et en 2003 : sept millions de volailles abattues en Italie, trente millions aux Pays-Bas, et cela a failli s'étendre à la Belgique... Il faut protéger les élevages, et les éleveurs sont des partenaires dans tous nos travaux sur la faune sauvage. Le ministère de l'agriculture a fait son travail et, du reste, a prévu suffisamment de souplesse dans l'application de ses arrêtés pour que tout se passe bien. J'ajouterais que même dans les élevages en plein air, les reproducteurs et une partie des animaux restent enfermés en hiver : le confinement n'est pas trop gênant, beaucoup moins en tout cas qu'au mois d'août. C'est pourquoi, contrairement aux Allemands et aux Hollandais - pour lesquels le confinement, du reste, est plus facile, les installations étant prévues pour des hivers plus rudes -, le ministère de l'agriculture français n'a pas décrété de confinement cet été, ce qui aurait pu tuer nos filières labellisées.

Les mesures prises par le ministère pour les élevages sont bonnes, d'autant qu'elles sont limitées dans le temps et évolutives. Reste que nous n'avions pris aucune mesure de blocage en 2003, hormis sur quelques camions de lisier, alors que la Belgique était menacée. Cette fois-ci, les cas les plus proches sont en Croatie, à deux heures et demi d'avion... Mais soit, il faut les subir : cette maladie, sur le plan agricole, est tellement grave qu'il est logique de faire attention. Lors de l'épisode de peste porcine dans le Bas-Rhin et en Moselle en 2003, tous les élevages de porc ont été bloqués, y compris jusqu'en Bretagne et en Pays de Loire. Il ne faudrait pas que, par manque d'une bonne mesure, la grippe aviaire n'arrive dans nos élevages, bloquant nos exportations de volailles, de produits animaux et même de génétique aviaire.

En revanche, s'agissant de l'interdiction des appelants, décidée par le ministère de l'écologie et du développement durable, la mesure est inutile et même nocive, sachant que l'observation sur les zones de chasses est réalisée par des chasseurs ou des techniciens de fédérations départementales des chasseurs. La première interdiction des appelants, jusqu'au 1er décembre, pouvait se comprendre comme une mesure d'urgence. Mais aucune raison technique ne justifiait de la proroger alors que les migrateurs étaient partis. Je ne suis pas certains que les chasseurs soient disposés, dans ces conditions, à reprendre la surveillance de terrain au printemps. Et, s'agissant de la surveillance active, je me demande quels canards appelants nous allons pouvoir collecter... De surcroît, cette interdiction aurait dû être gérée au même titre que les mesures du ministère de l'agriculture et donc prendre fin à la même date que les périodes migratoires, et non jusqu'à la fermeture de la chasse : c'est inutile et incompréhensible. Les avis que nous avions émis dans le cadre de l'AFSSA comme dans nos réponses à l'occasion de saisines du ministère de l'écologie n'ont pas été suivis, alors même que le comité permanent pour la santé animale de Bruxelles ne réclamait pas l'interdiction des appelants.

Pour ce qui est de l'Afrique, à laquelle j'ai souvent eu l'occasion de m'intéresser dans ma vie professionnelle, notre souci tient au fait que la principale zone d'échange et de possible contamination entre des oiseaux venant des zones infectées et les nôtres se trouve dans la corne de l'Afrique, Soudan ou Tchad, pays où il n'est guère facile de se rendre... En Afrique centrale et en Afrique de l'Ouest, en revanche, les partenariats noués depuis toujours entre la France et des pays comme le Sénégal, la Mauritanie, le Niger ou le Mali continuent de fonctionner et il y a une vraie pression d'observation ; dans d'autres pays, cela marche moins bien. S'il s'y produit une réelle aggravation de la mortalité, nous le saurons. Se pose ensuite un problème de logistique : comment transporte-t-on un cadavre suspecté d'être porteur de l'influenza jusqu'à un laboratoire compétent ? À la limite, il suffit d'envoyer un expert par avion, qui se chargera de faire un paquet totalement sécurisé et de le ramener à l'AFSSA de Ploufragan ou au laboratoire de référence communautaire de la Veterinary laboratory agency, la VLA, l'équivalente de l'AFSSA, à Weybridge, à côté de Londres. Ce n'est pas simple, mais c'est faisable...

M. François GUILLAUME : En vous écoutant, je pense qu'il serait utile d'organiser une réunion contradictoire entre les divers ministères concernés, l'Office de la chasse et les chasseurs... Visiblement, les positions sont contradictoires et certaines consignes, comme l'interdiction des appelants, prises en totale méconnaissance de la réalité du terrain. Vous avez répondu par avance à l'une de mes questions sur les appelants. Sur un autre point, je ne vois que trop ce qui se passera si les Français sont par trop sensibilisés à la nécessité de collecter les oiseaux morts : à chaque fois qu'un de ses administrés apportera un cadavre à la mairie, le maire, plutôt que de l'enterrer discrètement, préférera se retrancher derrière le principe de précaution et l'envoyer au laboratoire où afflueront des oiseaux morts dont l'analyse sera souvent inutile. Vous avez parlé d'un tri ; ne serait-il pas utile de commencer par un inventaire des animaux susceptibles d'être porteurs et de transmettre le virus, par exemple les canards ou les pigeons, au moins sous la forme d'une liste à diffuser aux maires afin qu'ils puissent effectuer un tri préalable ?

M. Jean-Roch GAILLET : Les maires sont en effet souvent mis sous pression à propos de toutes sortes de sujets, et celui-là en fera certainement partie !

Une réunion contradictoire aurait été à l'évidence bienvenue avant la prorogation de l'arrêté. Le ministère de l'agriculture y était tout à fait disposé, tant du côté de la DGAL que du cabinet ; mais du côté du ministère de l'écologie, cela n'a pas suivi.

Depuis 1986, le réseau SAGIR a acquis une certaine expérience en matière de collecte des oiseaux morts. Les trouver n'est finalement pas chose facile. Un oiseau mort n'est pas gros et la prédation est très présente : pour arriver avant le renard, il faut être assez bon... Ce dont nous sommes le plus submergés, ce sont les oiseaux qui ne présentent par avance aucun intérêt - celui qui s'est tué, par exemple, en percutant une vitrine. Mais, sur ce point, il y a eu une évolution du message : on nous dit maintenant qu'il l'a peut-être percutée parce qu'il avait l'influenza aviaire... Un premier tri serait toujours souhaitable : le bon sens existe toujours, même chez un maire d'une commune périurbaine ou urbaine, et la majorité d'entre eux calment le jeu...

M. François GUILLAUME : Mais les maires se méfient, à présent.

M. Jean-Roch GAILLET : De toute façon, nous sommes habitués à collecter, nous le ferons. Les agents techniques de l'ONCFS vont jusqu'à ramasser les cétacés lors d'échouages massifs alors que c'est totalement hors de leur champ de compétences. L'interlocuteur technique jouera le rôle de filtre pour ne pas submerger le laboratoire d'analyses inintéressantes. Dans chaque département, les services vétérinaires reçoivent des listes réactualisées en permanence, et les maires peuvent s'y référer : si des mortalités massives surviennent, le directeur départemental sera forcément amené à s'y intéresser.

S'agissant de l'inventaire des espèces à surveiller davantage, j'aurais dit la même chose que vous jusqu'à la fin août... Si les canards sont clairement des espèces à surveiller, force est de reconnaître que le H5N1 a tué en Croatie des cygnes captifs et le H7N7 en Italie principalement des dindes. Sans parler des pigeons à l'est de Moscou... L'éventail des oiseaux atteints est tel qu'il vaut mieux, en l'état actuel des mortalités, ne pas prendre de risque en écartant délibérément certaines espèces de ces inventaires. Il est plus sage de rester ouvert sur tous les oiseaux, non pas en application du principe de précaution, mais compte tenu du manque de données scientifiques. Les bécasses de Russie, indemnes, survolent la France et s'y posent pour rejoindre les Açores ; si je constatais une mortalité parmi les bécasses, j'aurais énormément de mal à en collecter une centaine, mais je ramasserais tout ce que je trouverais pour ne pas risquer de passer à côté d'un porteur de la maladie - sachant que, pour l'instant, on n'a encore jamais trouvé de H5N1 que sur des oiseaux sauvages morts.

M. Pierre HELLIER : Vous affirmez très clairement que les appelants ne feront jamais courir de risque d'intrusion du H5N1 ni dans les élevages avicoles ni dans les zones humides. J'aimerais en être certain. Si nous en avons réellement besoin comme sentinelles et si, en plus, ils ne font courir aucun risque, cela signifie que l'on s'est visiblement « planté » en les interdisant.

M. Jean-Roch GAILLET : Pour commencer, on n'a pas besoin de tous les appelants pour servir de sentinelles : il suffit de pouvoir en installer en quantité suffisante là où il faut. Ainsi, seule une distribution déterminée par tri statistique est nécessaire : dans le Nord Pas de Calais, en Picardie, il n'y a pas besoin de tous les appelants. Les éléments dont je vous ai fait état sont tirés d'une note préparée par M. Vallance, notre directeur des études et de la recherche, et moi-même, à destination du comité ORNIS du 14 novembre, lequel devait donner un avis au comité permanent CASA du 16 novembre ; mais je reconnais très honnêtement que les données scientifiques croisant appelants et problèmes sanitaires ne sont pas légion. Disons que cette note est l'application d'un bon sens vétérinaire...

M. Pierre HELLIER : C'est tout de même une affirmation forte...

M. Jean-Roch GAILLET : Mais qui reste de bon sens vétérinaire. Si, en revanche, la maladie arrive dans les élevages - c'est toujours par là qu'elle est arrivée -, toutes les mesures obligatoires du ministère de l'agriculture devront immédiatement s'appliquer et la chasse aussi bien que l'utilisation des appelants seront interdites dans les zones infectées comme dans les zones de surveillance ; le jogging et la promenade à cheval seraient aussi interdits ; comme en cas de fièvre aphteuse ou de peste porcine : la zone est bouclée. Là-dessus, il n'y a pas de discussion possible.

M. Pierre HELLIER : Le contact entre les appelants et les migrateurs n'est pas discutable, puisqu'ils ont précisément pour but de faire venir les oiseaux. Si un migrateur infecté est attiré par un appelant, il contaminera le plan d'eau...

M. Jean-Marie LE GUEN, Président, remplace Mme Bérengère POLETTI

M. Jean-Roch GAILLET : Je répondrai sur ce point à titre personnel, puisque je ne participe pas au comité d'experts sur la contamination des eaux. S'agissant de cette contamination par le virus influenza, on n'a rien relevé de ce genre lors des épizooties en Hollande ni en Italie. En revanche, un contact entre un oiseau migrateur malade et un appelant serait parfaitement possible, à ceci près que, pour l'heure, on n'a jamais trouvé d'oiseau migrateur vivant porteur du virus. Et un oiseau migrateur mort ne migre pas...

M. Pierre HELLIER : Il peut être un porteur sain.

M. Jean-Roch GAILLET : Avec le H5N1, il ne peut y avoir de portage sain sur un oiseau sauvage.

M. Pierre HELLIER et M. le Président : Ah bon ?

M. Jean-Roch GAILLET : Avec le H5N1 hautement pathogène, l'oiseau meurt.

M. Pierre HELLIER : Y compris le canard ?

Mme Bérengère POLETTI : Ce n'est pas ce qu'on nous a dit hier...

M. le Président : S'il y a eu des transferts du H5N1 par migrateurs, c'est bien qu'ils ont migré avec le virus, par définition ! C'est une tautologie !

M. Jean-Roch GAILLET : Peut-être, sur des zones très limitées, avec des élevages contaminés à proximité...

M. le Président : Absolument pas, la preuve en a été faite. Pendant très longtemps, ce débat a agité le monde vétérinaire, les uns soutenant que les migrateurs ne pouvaient pas être vecteurs du H5N1, les autres affirmant qu'au contraire, les migrations rendaient la chose possible. Le débat est désormais tranché : les migrations jouent bel et bien un rôle dans cette affaire.

Pour les appelants, le problème n'est pas qu'ils risquent d'être contaminés, mais qu'on les ramène à la ferme où ils pourront contaminer les volailles domestiques. Quant à votre comparaison avec l'Italie et la Hollande, elle n'est absolument pas adaptée : il s'agissait en quelque sorte de foyers sui generis, de mutations locales, alors que, dans le cas présent, nous sommes face à une infection mondiale, une « panzootie », avec des foyers disséminés un peu partout sur la planète et des oiseaux migrateurs d'ores et déjà porteurs avérés. Personne n'est certain qu'il ne se produira pas des attaques tout à la fois subreptices et simultanées. Il ne s'agit pas d'un foyer à un endroit, que l'on contingente et que l'on traite, mais d'une maladie qui se répand partout. Ce n'est pas du tout la même problématique.

M. Jean-Roch GAILLET : Pour une panzootie, elle ne se répand pas très rapidement...

Le contact entre oiseaux migrateurs et appelants est incontestable : c'est le principe même de cette chasse. Le seul risque possible serait celui d'une sorte de « passage de relais » d'oiseau à oiseau. On pourrait effectuer un test en injectant du H5N1 sur des oiseaux en conditions de laboratoire et voir combien de temps ils résistent ; en attendant, le virus n'a jamais été observé que sur des oiseaux migrateurs morts.

Il est, en revanche, un risque dont je veux bien discuter plus avant : celui du propriétaire d'appelants qui possède par ailleurs une basse-cour. De tout temps, et c'est expressément écrit dans le code rural, le mélange d'espèces sauvages et domestiques est interdit. On n'a pas le droit d'avoir des appelants au milieu d'une basse-cour. Cela dit, les difficultés que nous avons eues à répertorier les basses-cours montrent que la surveillance dans ce domaine n'est pas totale.

M. le Président : Nous avons tous en tête l'affaire des douanes britanniques, qui est un gag en soi, où des oiseaux en quarantaine, un perroquet et un serin, bien que séparés, se sont contaminés au H5N1 ! Il y a eu une promiscuité suffisante. Il faut espérer que nos agriculteurs seront plus vigilants que les douaniers britanniques...

M. Gérard DUBRAC : C'est sûr !

M. Jean-Roch GAILLET : Il n'en irait pas différemment au poste d'infection de Roissy : si les animaux mis en quarantaine sont bien isolés de l'extérieur, leur isolement intérieur, entre eux, est loin d'être garanti. Là où les Anglais se sont totalement « plantés », c'est sur le référencement des analyses : ils ont décelé la maladie sur le perroquet du Surinam avant de la découvrir sur les pinsons provenant d'Asie qui l'avaient contaminé ! Au final, tous sont morts...

M. Pierre HELLIER : Cela prouve bien que l'on peut trouver des porteurs pas trop malades.

M. le Président : Pas morts tout de suite, en tout cas.

M. Jean-Roch GAILLET : Mais ils avaient pris l'avion, dans une cage ! Cela n'a rien à voir avec un oiseau migrateur qui doit dépenser une énergie considérable pour voler sur des milliers de kilomètres.

M. le Président : Cette question est désormais réglée sur le plan scientifique : nos autorités vétérinaires elles-mêmes ont été obligées de valider l'hypothèse d'oiseaux migrateurs porteurs du H5N1.

M. Pierre HELLIER : Et contaminants.

M. Gabriel BIANCHERI : Les porteurs sains peuvent être des animaux guéris porteurs du virus ou bien des animaux résistants, mais hébergeant le virus. Le risque tient précisément à l'existence d'animaux qui, bien que ne développant pas la maladie, peuvent servir de véhicule au virus.

M. Jean-Roch GAILLET : Le portage sain du virus H5N1 hautement pathogène, en l'état actuel des connaissances, n'est pas envisageable.

M. le Rapporteur : Et d'un virus faiblement pathogène pouvant devenir hautement pathogène ?

M. Jean-Roch GAILLET : Une mutation est toujours possible, mais ce n'est pas la même chose. Est dit porteur sain un animal transportant le virus dont il ne souffre aucunement.

M. Pierre HELLIER : Reste qu'il existe une possibilité de contamination par les oiseaux migrateurs. Par conséquent, les appelants peuvent être contaminés, et contaminer le reste.

M. le Président : Force est de constater que le consensus au sein du monde vétérinaire n'existe pas. C'est bien dommage.

Monsieur, je vous remercie.

Audition de M. Allain BOUGRAIN-DUBOURG, président de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO)

(Compte rendu de la réunion du mercredi 14 décembre 2005)

Présidence de M. Jean-Marie LE GUEN, Président

M. le Président : Notre mission d'information travaille tout à la fois sur la pandémie grippale humaine et sur l'épizootie aviaire, les deux phénomènes étant intimement liés. Quelles appréciations pouvez-vous nous fournir sur cette affaire, particulièrement sous l'angle des oiseaux migrateurs ? L'audition précédente, celle de l'Office nationale de la chasse, a montré que l'idée que les migrateurs soient porteurs du virus était encore contestée dans le monde vétérinaire et dans les milieux de la chasse. Quel est votre point de vue sur la question ?

M. Allain BOUGRAIN-DUBOURG : Notre journal L'Oiseau Magazine consacre un dossier spécial sur la grippe aviaire ; je vous en ai apporté une maquette. Cet article synthétise notre position sur le sujet.

Entre le devoir de précaution élémentaire et la psychose hitchcockienne, la LPO a souhaité placer le curseur au niveau de la raison : on m'a récemment appelé de Bretagne pour me signaler une tourterelle turque - dûment identifiée par son collier - soupçonnée d'amener la grippe aviaire de Turquie, alors que les tourterelles turques vivent en France ! La grippe aviaire a donné lieu à une véritable psychose et, dès les premières informations, les oiseaux migrateurs ont été rendus responsables de la prolifération du H5N1 : en août 2005, c'étaient les oies à tête barrée - alors en pleine période de mue, donc incapables de migrer ; fin août, c'étaient trois mouettes infectées au nord d'Helsinki qui provoquaient un véritable drame... Bref, on a dit beaucoup de bêtises sur la responsabilité des oiseaux migrateurs.

Notre position est très claire, peut-être un peu normande : rien ne prouve que les oiseaux migrateurs soient responsables du développement du virus H5N1, mais rien n'interdit de le penser. C'est dire tout et son contraire, pensera-t-on ; ce n'est pas si simple. Car il y a plus dangereux que les mouvements des oiseaux migrateurs, à commencer par les trafics d'oiseaux qui, par définition, échappent à tout contrôle : cela représente 160 milliards de dollars au total, et concerne cinq millions d'oiseaux environ qui viennent clandestinement d'Asie du Sud-Est, d'Afrique ou d'Amérique du Sud, transportés dans des conditions extrêmes et vivant dans une promiscuité surréaliste, favorisant évidemment toutes les contaminations possibles. Ce trafic, en Europe, se concentre essentiellement sur Hambourg, Rotterdam, Bruxelles et Anvers. J'ai appris avec plaisir que l'Europe avait interdit le commerce de tous les animaux sauvages. Les douanes y sont particulièrement attentives, mais il faudra renforcer les contrôles, y compris sur les animaux d'élevage, car rien n'est plus simple que de changer des papiers.

M. le Président : Ces recommandations sont-elles bien appliquées dans les ports en question, de l'avis de vos correspondants locaux ?

M. Allain BOUGRAIN-DUBOURG : En théorie, oui. Il faut relever une réelle « maturité » de tout le secteur vétérinaire et un réel travail mené avec les muséums d'histoire naturelle et les associations de protection de la nature pour améliorer la formation des douaniers et intervenir au besoin. Ce qui n'a pas empêché, voilà seulement quelques mois, plusieurs centaines de vautours d'arriver en Italie... Quand bien même on parvient à démanteler des réseaux - ce qui tend à prouver notre efficacité - on ne sait jamais ce qui peut se passer par ailleurs.

M. le Rapporteur : Quels arguments plaident pour une réduction de la responsabilité attribuée aux oiseaux migrateurs, car on entend tout et son contraire ?

M. Allain BOUGRAIN-DUBOURG : On a rendu des oiseaux migrateurs responsables de l'infection de certaines zones avant de s'apercevoir que les oiseaux soupçonnés n'étaient pas référents : ou bien ils étaient en période de mue, donc ils ne volaient pas, ou bien ils allaient dans d'autres directions... Rien ne prouve que les migrateurs infectés l'aient été en transportant le virus : les zones où l'on a retrouvé le plus d'oiseaux morts coïncident avec celles où l'on trouve de fortes concentrations d'élevage. Ajoutons qu'un oiseau meurt au bout de trois jours, un canard en huit, quinze jours au grand maximum : dans tous les cas, ils sont dans l'incapacité de faire un vol migrateur de cinq à six mille kilomètres. Je parle évidemment du virus H5N1 hautement pathogène et non de virus « simples » dont les oiseaux sont fréquemment porteurs. On pourra me démontrer le contraire. Notre position est la suivante : on ne dit pas que les oiseaux migrateurs ne peuvent pas véhiculer le virus H5N1 ; mais si cela est arrivé, c'est dans des zones d'élevages concentrés ; au surplus, les oiseaux n'ont pas la capacité physiologique de se déplacer dès lors qu'ils sont infectés.

Sans doute avez-vous déjà abordé la question des migrations. Je sais que M. Jérôme Bignon est un éminent spécialiste des oiseaux migrateurs ! Pour faire simple, il y a trois zones ; tout part de l'extrême Nord, Asie centrale et Sibérie. De l'Asie centrale, les oiseaux descendent directement vers l'Asie du Sud-Est, voire vers l'Australie ; de la Sibérie, une voie descend vers l'Afrique de l'Est, enfin une autre passe plus à l'Ouest, vers Malte, survole la France, les oiseaux se retrouvant en Afrique de l'Ouest dans une zone allant du Sénégal à l'Éthiopie.

Or, compte tenu des conditions climatiques, les plans d'eau deviennent beaucoup plus limités que les années précédentes et donc, les concentrations plus importantes d'oiseaux pourraient favoriser les échanges potentiels, en admettant que le virus hautement pathogène touche ces oiseaux. Il y a toutefois une interrogation sur les conditions de vie du virus. Le virus apprécie d'ordinaire les eaux froides et douces alors que, dans ces zones, l'eau est généralement salée et chaude. Autrement dit, le milieu ne paraît pas a priori favorable au développement du virus hautement pathogène.

Se pose ensuite le problème du retour, lequel ne se produit pas au printemps, comme je l'ai entendu dire par le délégué interministériel en charge de ce dossier à l'émission « Mots croisés » : ainsi, les oiseaux comme les sarcelles d'été, canards pilets et autres reviennent dès la fin janvier, ou en février. C'est d'ailleurs ce qui est à l'origine des problèmes concernant la fixation des dates de fermeture de la chasse. C'est à ce moment-là qu'il pourrait y avoir un danger. On verra alors ce qui se passera. Mais entre-temps, dès lors que l'on n'exclue pas que les oiseaux migrateurs puissent être porteurs, il peut exister un risque potentiel lié aux vagues de froid, qui peuvent pousser des oiseaux des zones touchées à venir se réfugier chez nous, singulièrement dans les zones où il y a des plans d'eau, comme en Alsace - 110 000 canards -, en Camargue - 150 000 canards - et le grand Ouest - près de 200 000 anatidés. On a par exemple assisté à une concentration exceptionnelle de jaseurs boréaux au début de l'année, chassés par une vague de froid. Ce phénomène doit aussi être pris en compte.

Venons-en au dossier particulier des appelants.

M. le Président : Très bien ! Parce que jusqu'à présent, vous dites à peu près la même chose que les chasseurs...

M. Allain BOUGRAIN-DUBOURG : Il nous arrive de parler le même langage, mais il n'est pas toujours entendu par les élus !

Rappelons, pour commencer, qu'hormis quelques cas en Italie, aucun autre pays d'Europe n'utilise d'appelants. Cette singularité typiquement française est très récente : l'usage des appelants s'est peu à peu développé pour se normaliser seulement à la fin des années 1980. L'utilisation d'appelants indigènes était à l'époque interdite, jusqu'à ce qu'une série d'arrêtés ministériels ne libéralise peu à peu l'emploi d'oiseaux appelants non seulement indigènes, mais éventuellement exotiques, sur l'ensemble du territoire. La LPO et l'AFSSA avaient, sans obtenir gain de cause, mis en garde le Gouvernement contre les dangers de cette dérive et cette libéralisation, notamment lors de la parution des arrêtés de novembre 2003 et de juin 2005. « Ce projet d'arrêté », écrivait à l'époque l'AFSSA, « ne prévoit aucune obligation concernant l'état sanitaire des appelants vivants. Pourtant, ces derniers peuvent représenter un danger particulier nettement plus important que les oiseaux sauvages libres... Etant manipulés, mis en nature au contact d'oiseaux sauvages, repris, puis remis en élevage, ils cumulent tous les facteurs de risques. » L'AFSSA proposait de mettre en place un système de marquage individuel et permanent, et d'organiser une consultation des différents ministères intéressés. Ces recommandations, appuyées par les associations de protection de la nature, n'ont pas été entendues. Aujourd'hui, probablement plus de 1 500 000 appelants sont utilisés en France, que l'on peut transporter et échanger à sa guise, nonobstant quelques recommandations de la direction de la nature et des paysages, jamais suivies d'effets. Il n'y a aucune obligation : il n'est qu'à lire les petites annonces pour se rendre compte de l'ampleur surréaliste des échanges - et des ventes, car il y a du business derrière - auxquels peuvent donner lieu les appelants, du Nord au Sud. Pour toutes ces raisons, nous souhaitons que la peste aviaire soit l'occasion de revisiter la réglementation relative aux appelants, particulièrement sur le choix des oiseaux. Une dizaine d'appelants par chasseur ou par installation devraient suffire, alors qu'il y en a près d'une centaine, en se limitant à la seule espèce du canard colvert afin de réduire le risque de pollution génétique. Il ne faudrait pas utiliser d'espèces en mauvais état de conservation ; or tous les gibiers peuvent servir d'appelants. D'autres mesures sont nécessaires : assortir la détention d'appelants d'une déclaration annuelle obligatoire, instaurer un dispositif de marquage individuel des oiseaux, et enfin, intégrer les élevages d'appelants dans les dispositifs de veille sanitaire. Il faudrait donc rationaliser ce dossier « appelants ».

M. le Rapporteur : Que pensez-vous de la décision d'interdire les canards appelants ?

M. Allain BOUGRAIN-DUBOURG : J'y suis tout à fait favorable, par simple mesure de précaution. Si certains parlementaires se sont prononcés pour l'arrêt de la chasse, ce n'est pas la position de la LPO. Nous n'aimons guère voir tuer des oiseaux, mais nous sommes des gens raisonnables. En revanche, nous sommes pour l'interdiction des appelants.

M. le Rapporteur : Certains de nos interlocuteurs ont fait valoir le rôle que pourraient jouer les appelants comme oiseaux sentinelles.

M. Allain BOUGRAIN-DUBOURG : Soyons sérieux, c'est du Raboliot ! Nous avons sur nos plans d'eau des biologistes, y compris des chasseurs de très haut niveau, des agents de l'ONCFS ; on n'a pas besoin d'y mettre un canard accroché à une ficelle pour voir si le virus va s'y installer ! S'il y a des cas avérés, on les verra. Les conclusions émises lors des réunions avec les ministères concernés nous paraissent raisonnables : évitons la psychose ; si peste aviaire il doit y avoir, on a tout lieu de croire qu'elle se manifestera prioritairement dans les élevages et non dans la faune sauvage. Et si, par malheur, des mortalités anormalement élevées devaient être détectées, les directions des services vétérinaires comme les chasseurs en seraient immédiatement avisés par le circuit que vous connaissez. Mais imaginer que les appelants puissent nous aider à savoir si la peste aviaire débarque en France est parfaitement grotesque.

Enfin, si un cas était avéré dans une zone contaminée, on abattrait les oiseaux dans un rayon de trois kilomètres. La LPO rappelle qu'il existe une réglementation sur la condition animale et que les éventuels abattages devront s'effectuer dignement et dans le respect, si l'on peut dire, du bien-être animal, et non de la façon dont cela s'est fait dans certains pays.

M. le Président : Vous n'êtes pas favorable aux appelants et vous prônez une forme de régulation de leur usage. Dans le même temps, vous jugez improbable l'hypothèse d'un rôle des migrateurs. Logiquement, vous devriez être pour la levée de l'interdiction de leur utilisation...

M. Allain BOUGRAIN-DUBOURG : Je n'ai jamais dit que je ne croyais pas à l'hypothèse des oiseaux migrateurs, mais seulement que l'on en fait une psychose alors que l'essentiel du dossier se situe ailleurs. J'ai par ailleurs indiqué que la LPO était consciente de l'obligation de précaution ; c'est dans cet esprit que je juge l'appelant indésirable.

Dans nos centres de soins, nous sommes en contact direct avec les oiseaux. Qu'avons-nous fait depuis cet automne ? Nous avons demandé de réduire le nombre de manipulateurs des oiseaux en soins - un ou deux au lieu de huit à dix, afin de limiter les risques - de renforcer les mesures de protections sanitaires usuelles - port de gants, lavage des mains - et, pour tous les personnels en contact avec les oiseaux, de se faire vacciner contre la grippe saisonnière. On sait très bien que cela n'a aucun rapport, mais cela fait partie des mesures de précaution élémentaires que nous imposons. Nous nous sommes également interrogés sur la poursuite du baguage ; il est établi que cette opération ne présente aucun danger pour le bagueur dans la mesure où il ne travaille pas en zone confinée. Il faut, en revanche, se laver les mains entre chaque manipulation pour éviter toute transmission d'un éventuel virus pathogène d'un oiseau à l'autre. Pour schématiser, nous sommes dans un état d'esprit de rigueur et de précaution tout en appelant à cesser de tirer - si je puis dire ! - sur les oiseaux. Enfin, si un cas de grippe aviaire survenait en France - ce qui pourrait se produire - il est évident que nous souhaiterions l'interdiction totale de la chasse aux oiseaux, afin d'empêcher que les tirs ne dispersent les oiseaux au risque de favoriser la dissémination du virus. Il faudrait que le virus reste concentré sur une zone.

M. le Rapporteur : Pensez-vous pouvoir obtenir un consensus ou des attitudes communes avec l'Office national de la chasse et les fédérations ? Face à un problème aussi grave, pouvons-nous espérer voir les différents acteurs s'entendre pour travailler ensemble, ou à tout le moins côte à côte, au lieu de persister dans les contentieux ou les contradictions ?

M. Allain BOUGRAIN-DUBOURG : Je le souhaite de tout cœur. Nous avons toujours été des gens de dialogue et d'ouverture. On ne peut pas faire avancer une idée en enfonçant une porte fermée. Nous avons pu nous rencontrer entre gens responsables au conservatoire du littoral...

M. Jérôme BIGNON : C'est vrai.

M. Allain BOUGRAIN-DUBOURG : ...et aborder avec Jérôme Bignon, par exemple, des dossiers épineux en essayant de trouver des solutions constructives et durables. Je n'aime pas le fait que l'on puisse retirer la vie pour le plaisir, mais j'admets que cela existe et je souhaite que cela se fasse dans les conditions les plus responsables possible. C'est notre état d'esprit. Taxer la LPO d'anti-chasse me paraît d'autant plus malhonnête que je paie très cher de ne pas l'être davantage : bon nombre de nos adhérents appellent à une position plus radicale. Mais nous sommes des utilisateurs communs du milieu naturel et de la faune ; nous avons tout intérêt à nous retrouver pour préserver prioritairement les espaces et les espèces. Oui, je souhaite dialoguer et parvenir à un accord. C'est moi qui, au nom de Birdlife International, ai signé avec la FACE, l'association des chasseurs européens, une convention internationale qui développait une série d'approches communes, sur la directive « oiseaux » notamment. Un seul pays d'Europe a refusé de signer cette convention : la France. Tout est dit...

Mme Geneviève GAILLARD : De possibles cas d'influenza aviaire auraient été suspectés dans le delta du Danube, région que vous connaissez bien, qui accueille de très fortes concentrations d'oiseaux migrateurs. Avez-vous, au plan international, des réseaux qui permettraient de mettre en place un dispositif d'alerte et de lutte, afin d'écarter tout risque d'épizootie dans les pays d'Asie comme dans les pays africains et européens ?

M. Allain BOUGRAIN-DUBOURG : Birdlife International a pris le dossier en main, mais nous apportons notre contribution chaque fois que nous le pouvons. Le delta du Danube est l'une des zones au monde où la biodiversité est la plus riche, mais il n'est que de voir l'équipement des gardes et des naturalistes pour comprendre que les moyens manquent. Nous sommes précisément en train de mettre en œuvre une stratégie de coopération pour aider à une présence naturaliste plus rationnelle et plus fonctionnelle, y compris au regard de la peste aviaire. La Banque mondiale a débloqué la semaine dernière, à Genève, des budgets non négligeables pour créer un réseau vétérinaire dans les pays pauvres, et c'est une bonne chose. Cela prouve que, dès lors qu'un danger pourrait les affecter, les pays riches trouvent toujours les moyens d'équiper les pays pauvres... Mais lorsqu'il s'agit de criquets, il n'y a toujours pas d'argent alors que l'on sait comment faire -la France est sûrement un pays qui s'est le plus investi. Cela en dit long sur nos relations Nord-Sud...

M. le Président : Je ne vais pas toujours défendre le Gouvernement français,...

M. le Rapporteur : Cela arrive !

M. le Président : ...mais les mesures qu'il a prises visent également à défendre les pays du Sud et surtout leurs élevages, afin de préserver leurs approvisionnements protéiques.

M. Allain BOUGRAIN-DUBOURG : Je parlais de la Banque mondiale et de l'attitude européenne. J'adore faire cocorico : de la part d'un ami des oiseaux, cela ne surprendra pas !

M. Jérôme BIGNON : Je veux témoigner de la volonté constante d'Allain Bougrain-Dubourg de trouver des solutions et d'éviter que les rapports entre chasseurs et conservateurs ne tournent à l'affrontement judiciaire. Le chemin est long et compliqué, y compris pour les gens de bonne volonté. Il ne faut pas désespérer, mais bien poursuivre le débat et le faire évoluer culturellement. Allain Bougrain-Dubourg a maintes fois prouvé sa volonté dans ce domaine, fût-ce au détriment parfois de certains de ses amis, comme il l'a souligné.

Cette crise peut être l'occasion d'une réflexion de fond sur les conditions d'emploi des appelants, aussi bien pendant la crise actuelle que lorsque cette affaire sera résolue. Sans doute certaines pratiques ne sont-elles pas des plus vertueuses et certaines précautions sanitaires pas toujours respectées. Il y va de la protection des chasseurs eux-mêmes mais également et surtout de la préservation de la biodiversité : je suis sensible au risque de pollution génétique et j'ai le sentiment que certains chasseurs seraient prêts à faire ce pas et y réfléchir.

J'aimerais avoir des informations sur le comportement des oiseaux malades. J'ai entendu dire qu'ils sortaient du groupe ou, plutôt, que celui-ci avait tendance à les écarter pour se protéger, comme on le faisait autrefois pour les lépreux. On ne trouve donc pas les oiseaux malades dans le groupe. Comment peut-on les observer dans ces conditions, dans la mesure où par définition, ils sont perdus dans un univers plus vaste ?

M. Allain BOUGRAIN-DUBOURG : Cela ne se passe pas exactement ainsi. Lorsque des milliers d'oiseaux sont au sol, vous ne verrez pas les oiseaux malades, noyés dans la masse. Mais s'il y a un envol, ils resteront au sol et, comme n'importe quel animal fragile, chercheront à se dissimuler dans des buissons, des trous, etc. C'est là qu'on les retrouvera. Ce faisant, ils se seront naturellement séparés de la bande, mais je ne pense pas que les oiseaux agissent comme les dauphins, qui n'hésitent pas à éloigner un congénère malade : les « dauphins ambassadeurs » sont fréquemment des animaux atteints de pathologies ou de vieillesse et donc exclus du groupe. Il en va tout autant pour un oiseau blessé par un chasseur : il reste au sol. Les oiseaux se cachent pour mourir...

M. le Président : Avez-vous des relais en Afrique ?

M. Allain BOUGRAIN-DUBOURG : Oui, grâce notamment aux scientifiques du Muséum d'histoire naturelle. Nous avons également des correspondants, les naturalistes du Niger, du Sénégal, mais leurs moyens sont si maigres qu'il nous faut les aider un peu... Force est de constater que nous ne disposons pas d'un tissu de naturalistes capable de détecter immédiatement un cas hautement pathogène sur tel plan d'eau.

M. Jérôme BIGNON : L'initiative prise par les chasseurs de l'OMPO - Oiseaux Migrateurs du Paléarctique Occidental - vous paraît-elle intéressante ? Peut-on imaginer voir l'OMPO et la LPO travailler ensemble à un renforcement des moyens d'observation des pays du Sud, en coopération avec le Muséum, l'IRD et les organisations locales ?

M. Allain BOUGRAIN-DUBOURG : Nous y sommes très favorables.

M. Jérôme BIGNON : Peut-on imaginer...

M. Allain BOUGRAIN-DUBOURG : Une rencontre sur ce sujet ? Bien sûr, aussi bien pour une analyse des dossiers que la mise au point de protocoles et même, éventuellement, d'actions sur le terrain, en fonction de nos moyens.

M. le Président : Monsieur, nous vous remercions.

Audition de M. Pascal LAMY, Directeur général de l'Organisation mondiale du commerce (en visio-conférence depuis Genève)

(Compte rendu de la réunion du
mardi 10 janvier 2006)

Présidence de M. Jean-Marie LE GUEN, Président

M. le Président : Monsieur le Directeur général, je vous remercie d'avoir accepté de vous entretenir avec nous dans le cadre de cette visio-conférence, une méthode de travail encore peu répandue au Parlement mais qui a bien des avantages.

Notre mission d'information sur la grippe aviaire a comme fonction, non seulement d'exercer un contrôle parlementaire sur l'action du gouvernement, mais également de transmettre en toute transparence des informations à nos concitoyens, d'où la publicité donnée à nos travaux ; c'est, à nos yeux, un élément essentiel de la gestion du risque.

La première partie de nos travaux a été consacrée aux moyens médicaux dont disposent le Gouvernement français, mais également l'ensemble des États pour se protéger - tout en sachant que les dispositifs médicaux ne sont pas, loin s'en faut, les seuls moyens de lutte contre l'épizootie et le risque de pandémie. Le Tamiflu et le vaccin apparaissent comme les moyens potentiellement les plus efficaces ; mais une polémique a surgi sur la question de savoir si tous les pays auront les moyens de disposer des instruments médicaux nécessaires, ce qui pose des problèmes de divers ordres : problèmes de disponibilité générale, problèmes commerciaux, problèmes industriels, autant d'éléments du débat public international sur lesquels nous aimerions vous interroger.

Mais auparavant, pourriez-vous nous indiquer comment l'OMC appréhende le risque de pandémie, qui aura, évidemment, des conséquences sur le commerce international ? Êtes-vous en contact avec l'OMS ?

M. Pascal LAMY : Pardonnez-moi, tout d'abord, de ne pas être physiquement parmi vous, mais la technologie nous permet effectivement de multiplier des contacts qui, sans elle, ne seraient pas toujours possibles. C'est bien volontiers que j'essaierai de contribuer à vos travaux.

Ce problème qui, de potentiel, est devenu probablement réel, au carrefour entre une épizootie avérée et une possible pandémie, a effectivement de multiples dimensions ; l'OMC n'en appréhende qu'une petite part, l'essentiel étant traité, au plan international, par l'Organisation mondiale de la santé, l'Office international des épizooties et quelques autres institutions.

On pourrait légitimement se demander en quoi l'OMC, censée s'occuper des échanges commerciaux internationaux, est concernée par cette affaire : après tout, le commerce des médicaments est un commerce comme les autres. Il existe, en fait, un système de protection de la propriété intellectuelle, y compris dans le domaine pharmaceutique, et ce dispositif relève de la compétence juridique de l'OMC, depuis la signature de l'accord ADPIC sur les aspects des droits de la propriété intellectuelle qui touchent au commerce, voilà une dizaine d'années. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, ce n'est pas seulement dans le cadre de l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), mais aussi bien dans celui de l'OMC que sont traitées les questions de propriété intellectuelle en matière de brevets, notamment sur les médicaments.

Se pose dès lors la question de savoir si les règles régissant l'obtention et la gestion des brevets en matière de médicaments font ou non obstacle à la disponibilité des médicaments en question, étant entendu que ce n'est pas parce que les médicaments seraient « juridiquement disponibles » qu'ils le seraient effectivement : encore faut-il pouvoir les acheminer, les distribuer, etc. Mais, à la question : le fait que des formulations médicamenteuses et combinaisons de molécules soient la propriété intellectuelle d'entreprises privées peut-il constituer un obstacle à la mise à disposition de ces médicaments en cas d'urgence médicale, la réponse est non. Aucun obstacle juridique, à l'intérieur du périmètre OMC, lié à l'existence de brevets n'existe, qui serait de nature à empêcher la mise à disposition de médicaments en cas d'urgence - par exemple en cas de pandémie de grippe aviaire

Cette réponse est claire, totale et désormais exhaustive depuis que les cas de figure non prévus à l'origine dans les principes juridiques de l'OMC ont été réglés, à la suite d'une série de négociations. Le système mis en place il y a dix ans permettait aux pays développés, dotés d'une capacité de production pharmaceutique, de recourir, sous certaines conditions, à un système dit de licence obligatoire, par exemple, au cas où une firme pharmaceutique proposerait son médicament à un prix inacceptable ou refuserait purement et simplement le fournir. N'était toutefois pas couvert le cas, très complexe, des pays pauvres ne disposant pas de capacités de production pharmaceutique : il fallait adapter le système afin qu'ils puissent importer, par le biais d'une licence obligatoire dans le pays exportateur, des médicaments génériques. Le problème a été réglé au terme de négociations dont le point final a été mis à Genève juste avant la conférence ministérielle qui s'est réunie à Hong Kong au mois de décembre dernier. L'accord permet désormais des dérogations dans les cas où celles-ci apparaissent nécessaires. Il n'y a donc plus d'obstacle, et dans aucun pays, à la mise en œuvre du système de licence obligatoire dès lors que la situation la justifie. Autrement dit, un pays comme la France a la possibilité de discuter avec une entreprise détentrice d'un brevet - celui sur le Tamiflu, par exemple - les prix et les quantités. Si les prix proposés par l'entreprise correspondent à ceux que les autorités françaises sont prêtes à payer, il n'y a pas de problème ; mais si tel n'est pas le cas, les pouvoirs publics français, comme n'importe quel État souverain membre de l'OMC, ont la possibilité d'émettre une licence obligatoire . Sur ce point, qui n'est qu'un des multiples aspects du problème que vous étudiez, les choses sont désormais parfaitement claires et sans ambiguïté.

M. le Président : Merci d'avoir rappelé les principes en la matière et insisté sur les substantielles avancées de ces dernières années. Il reste que nous sommes toujours devant une double difficulté. D'une part, les États sont amenés à prendre des décisions - fabrication, stockage - alors même que le risque n'est pas avéré et dont certains, dans l'opinion publique, se demandent encore s'il se réalisera. D'autre part, le problème, en tout cas pour des pays comme le nôtre, se pose finalement moins au niveau du prix qu'au niveau du processus industriel. À entendre les fabricants, la demande dépassant les capacités d'offre, on ne peut que faire la queue en attendant son tour ; et lorsque nous suggérons de multiplier les chaînes de production, on nous répond, dans un premier temps, que le processus de fabrication est très compliqué, accessible seulement à quelques grands spécialistes mondiaux de la chimie fine, mais dans un second temps, que des licences seront accordées. Les États sont-ils en droit de faire jouer dès à présent la notion de licence obligatoire ? La question se posant moins en termes de prix qu'en termes de processus industriel, n'y a-t-il pas là matière à interrogation, y compris sur le plan juridique et sur celui du fonctionnement de l'OMC ?

M. Pascal LAMY : Notre business, si je puis dire, se limite au cadre juridique des échanges commerciaux internationaux - négociation des règles applicables, adoption, surveillance, éventuellement contentieux ; nous ne sommes pas compétents sur les questions de production. Sur le plan juridique, ma réponse est parfaitement claire : la République française a les moyens juridiques de se procurer les médicaments dont il est question à des prix qui lui conviennent, que ceux-ci soient produits sur le sol national, soit par le détenteur des brevets, soit par le biais d'une licence obligatoire, ou qu'ils soient importés, à une petite restriction près, applicable aux pays développés : la production étrangère à laquelle on fait appel doit être principalement utilisée pour l'approvisionnement du marché intérieur du pays étranger en question. La France peut aussi - je crois avoir lu dans la presse qu'un laboratoire pharmaceutique l'aurait conseillé - importer librement un médicament d'un pays où il n'existe pas de brevet pour le produit en question, autrement dit où il existerait des génériques disponibles. Enfin, cas extrême et marginal, la France pourrait aussi importer des génériques d'un pays non membre de l'Organisation mondiale du commerce - il en reste quelques-uns.

J'ai bien conscience que ma réponse laisse de côté la question des contraintes de production, qui peuvent effectivement constituer un problème, surtout pour le Tamiflu dont le principe actif est extrait d'une plante dont la disponibilité est assez limitée. Mais il s'agit d'un problème pratique et non plus juridique.

M. François GUILLAUME : La fabrication du Tamiflu connaîtrait, semble-t-il, un problème d'approvisionnement en matière première. Laissera-t-on jouer la règle du libre commerce, et les États se livrer à une surenchère pour tenter de s'approvisionner au mieux et récupérer l'essentiel du potentiel de production ? Par ailleurs, certains États peuvent être tentés de se servir de l'épizootie comme prétexte pour fermer leurs frontières et se protéger plus ou moins abusivement. Quelle serait, dans ce cas, la position de l'OMC ?

M. Alain CLAEYS : La difficulté, aujourd'hui, pour la fabrication du Tamiflu, se situe principalement au niveau de l'approvisionnement en matière première, avec un risque de pénurie. Le brevet vous paraît-il en la circonstance un outil adapté, dans la mesure où la difficulté réside précisément dans la maîtrise du processus de production ? Votre organisation, l'OMS ou d'autres ont-elles déjà mené une réflexion sur ce sujet ?

M. Pascal LAMY : M. François Guillaume se demande, en fait, si la survenance d'une épizootie et a fortiori d'une pandémie, pourrait amener à envisager des restrictions au commerce international ? Réponse : oui. En cas de menace sur la santé, les règles de l'OMC laissent aux États membres une grande liberté pour instaurer des contrôles et des obstacles aux échanges s'ils estiment que ces échanges présentent une menace pour la santé de leurs populations. Cette primauté de la protection de la santé publique sur la liberté des échanges fait partie des principes de bases de l'OMC, même s'il n'est pas le plus connu. On a parfois tendance à considérer que la liberté des échanges primerait sur tout autre principe... Tel n'est pas le cas. L'Union européenne peut fort bien installer des obstacles aux échanges, avec une très grande liberté d'appréciation, que ses partenaires peuvent remettre en cause s'ils estiment sa position abusive. Il faut que ces obstacles restent proportionnés aux risques encourus et ne constituent pas de restrictions déguisées ou non justifiées.

Ainsi, vous pouvez interdire l'importation de volailles ou de produits dérivés si vous avez de bonnes raisons de penser que les volailles en question pourraient être malades et faire peser un risque sur vos populations. Mais, par exemple, si l'Union décidait d'interdire l'importation tout à la fois de volailles, de porc et de bœuf, sans doute serions-nous amenés à réagir, et bon nombre de vos partenaires commerciaux avec nous, et à trouver que vous exagérez quelque peu ! Voilà le cadre dans lequel vous pouvez parfaitement ériger des obstacles aux échanges, dès lors qu'ils ne se transforment pas en opérations de protection indue de vos producteurs nationaux.

Alain Claeys a posé une question plus générale, plus politique, sur laquelle j'ai eu l'occasion de réfléchir dans le cadre de mes précédentes fonctions de commissaire européen et aujourd'hui, comme directeur général de l'OMC : celle de savoir s'il faut des brevets ou une protection de la propriété intellectuelle dans le domaine des médicaments. Deux thèses s'opposent. Si l'on suit la première, pour avoir des médicaments, il faut des molécules, donc de la recherche ; et pour investir dans la recherche, encore faut-il être assuré d'en tirer profit, dans la logique du système de capitalisme de marché qui domine actuellement. Quand on sait les sommes qu'il faut dépenser pour découvrir une nouvelle molécule, il paraît naturel de chercher à protéger le produit de la recherche. Mais une thèse inverse soutient que la protection de la santé, et particulièrement la lutte contre les pandémies - sida, malaria, tuberculose - est trop importante pour être abandonnée aux lois du système capitaliste et qu'elle doit être prise en charge sous une forme collective. Cette thèse se défend parfaitement sur le plan théorique ; il reste toutefois à trouver les ressources publiques qui le permettraient, et force est de constater qu'elles n'existent pas. Et si par miracle ce pouvait être le cas, encore faudrait-il se mettre d'accord sur leur répartition et leurs bénéficiaires. En dehors de quelques cas sur lesquels se sont focalisés les systèmes de recherche publique, en particulier les maladies dites rares ou orphelines, pour lesquelles le faible nombre de malades interdit tout espoir d'amortissement de la recherche, la plupart des maladies sont suffisamment répandues pour constituer un marché intéressant pour la recherche privée.

M. Alain CLAEYS : Je voudrais préciser ma question. Loin de nous l'idée de remettre en cause les brevets d'une façon générale. Le problème est que la possible pénurie est liée à la difficulté à maîtriser le processus de production. Avez-vous abordé ce sujet ?

M. Pascal LAMY : Non, du fait que les attributions de l'OMC se bornent aux règles juridiques. Nous n'intervenons pas sur les problèmes de production en tant que tels, ni sur les stratégies que peuvent poursuivre les Etats membres de l'Organisation mondiale de la santé en matière de capacités de production ou de stockage, en cas de besoin, comme on le fait dans le domaine de la sécurité énergétique ou militaire, par exemple. Cela dépasse le périmètre d'action de l'OMC.

M. Pierre HELLIER : Une question pratique : qui décide de la mise en œuvre de la procédure des licences obligatoires ? Sur quels critères ? Un État peut-il en décider tout seul ? Ou bien la décision revient-elle à l'OMC ?

M. Pascal LAMY : Ce sont les États membres de l'OMC qui décident eux-mêmes de l'émission de licences obligatoires, moyennant le respect des critères prévus dans l'accord, et notamment de l'obligation de notification préalable à l'Organisation et à ses membres dans les cas couvert par les négociations conclues avant la Conférence ministérielle. C'est donc une décision souveraine ; évidemment, si un État membre considérait que cette décision n'a pas été prise dans le respect des règles de procédure prévues, il pourrait faire valoir ses objections ; un éventuel contentieux pourrait s'ensuivre.

M. Pierre HELLIER : C'est donc l'État qui décide lui-même de s'attribuer une licence obligatoire ?

M. Pascal LAMY : Absolument.

Mme Geneviève GAILLARD : En amont de la possible pandémie humaine, il y a l'épizootie, dont nous connaissons l'étendue en Asie du Sud-Est et qui, tout récemment, a touché la Turquie. Il y a un pays sur lequel nous disposons de peu d'informations, alors même qu'il semble concentrer toutes les conditions d'une expansion de la grippe aviaire : la Chine, qui reste imperméable à toute coopération internationale. L'OMC a-t-elle ou non les moyens de « faire pression » sur ce pays pour qu'il prenne des mesures susceptibles de nous rassurer ?

M. Pascal LAMY : Je n'ai pas de réponse à cette question, pour la bonne raison qu'elle outrepasse totalement le périmètre de nos activités, sauf à vous conseiller de la poser à mon collègue directeur de l'OMS, voisine de quelques centaines de mètres, ici... La Chine, en tant qu'État membre, est tenue à un certain nombre d'obligations vis-à-vis de l'OMS. C'est à l'OMS et à ses membres d'en assurer le respect.

Cela dit, votre question est parfaitement légitime. En réalité, nous vivons dans un système international toujours régi par le traité de Westphalie, qui accuse quelque trois cent cinquante ans d'âge. Les États, souverains, ont exercé leur volonté westphalienne en créant ici ou là, selon une géométrie parfaitement non-cartésienne, une sorte d'archipel d'institutions internationales dédiées, certaines au commerce, d'autres à la santé, d'autres encore aux droits des travailleurs, à l'aide alimentaire, à la poste, ou aux télécommunications, sans liens de gouvernance entre elles autres que celui, parfois assez théorique, du substrat formé par tous les États qui en sont membres. Il y a, certes, quelques exceptions, des cas dans lesquels les membres des organisations concernées, dont l'OMC, ont clairement manifesté la volonté d'établir un lien entre, par exemple, le commerce et l'environnement en traitant du commerce des espèces protégées. Le cas qui vous préoccupe aujourd'hui n'en fait pas partie et reste donc une affaire interne à l'Organisation mondiale de la santé. La volonté politique du monde westphalien n'est pas allée jusqu'à créer un lien de conditionnalité entre les obligations contractées par les États membres dans le cadre de l'OMC et celles auxquelles les mêmes auraient souscrit dans celui de l'OMS.

Mme Geneviève GAILLARD : Imaginons que l'État français décide, dans l'attente d'informations précises, d'interrompre totalement ses échanges avec la Chine. Je suppose que celle-ci saisira immédiatement l'Organe de règlement des différends, l'ORD. Quant à l'OMS, elle répondra que ce n'est pas de son ressort tant que ce n'est pas un problème de santé publique. Cette affaire, très grave et internationale, pourrait être réglée par des contrôles très stricts des populations aviaires et avicoles ; or personne ne peut s'en occuper. C'est tout de même dramatique...

M. Pascal LAMY : Je n'ai pas dit cela, j'ai même dit le contraire : si l'Union européenne - car c'est elle qui, pour la France, est compétente en matière de commerce internationale depuis 1957 - décidait de mettre des obstacles au commerce avec la Chine, au motif que la limitation du risque de pandémie passe par une restriction des échanges commerciaux sino-européens, elle serait parfaitement en droit de le faire, à supposer que cette mesure soit proportionnée au risque encouru. Si la Chine considère que, ce faisant, l'Union européenne a outrepassé ce que lui permettent les règles en vigueur, elle fera appel au mécanisme de règlement : d'abord des consultations, puis une décision en première instance, voire en appel, comme cela s'est déjà produit à maintes reprises lors d'affaires similaires.

M. François GUILLAUME : Mais n'existe-t-il pas une procédure plus rapide de règlement du contentieux ? On sait bien que tout cela peut prendre beaucoup de temps, sans oublier que l'État qui s'estime lésé peut mettre en place des mesures de rétorsion ou de compensation. Cela peut durer des années ; espérons que la pandémie sera passée...

M. Jean-Pierre DOOR, rapporteur : À vous entendre, aucun obstacle ne s'oppose à la délivrance d'une licence obligatoire dès l'instant où il y a urgence médicale. L'OMS a-t-elle, comme les Etats, la possibilité de déclencher le processus d'obtention d'une licence obligatoire ? Ne serait-il pas plus simple de lui confier le soin de déclarer l'urgence sanitaire, plutôt que de laisser cette prérogative aux Etats ?

M. Pascal LAMY : Les choses peuvent aller très rapidement, monsieur Guillaume : si des restrictions aux échanges sont estimées nécessaires, ce sont les mesures nationales de protection qui priment ; et tant qu'elles n'auront pas été jugées illégitimes et condamnées par l'ORD, elles resteront en vigueur. Pour ce qui est des délais de règlement, la justice de l'OMC se compare très favorablement à des systèmes nationaux qui comportent deux degrés de juridiction. Le délai est de l'ordre de deux ans ; je ne connais pas beaucoup de cas en France où l'ensemble de la procédure, appel compris, tienne dans ce délai.

M. le Rapporteur, vous me demandez si l'OMS ne pourrait pas elle-même déclarer l'urgence. La réponse est négative. Je le sais d'autant mieux que l'Union européenne avait, il fut un temps, proposé par ma bouche une solution de ce genre, estimant qu'il aurait été plus simple, plutôt que de mettre en place des procédures applicables dans le cadre de l'accord ADPIC, de prévoir des dérogations aux règles sur la propriété intellectuelle dès lors qu'il y aurait urgence, constatée par l'OMS. Cela n'a pas été accepté, pour des raisons qui nous ramènent au traité de Westphalie : les États membres de l'OMC n'ont pas accepté l'idée d'un « pont » établissant un lien de gouvernance entre ce qui se passe à l'OMC et à l'OMS. C'est ainsi, et je ne peux, en tant que directeur général, qu'en prendre acte.

Est-ce que l'OMS, l'UNICEF, ou l'ONU-Sida pourrait recourir elle-même au système de licence obligatoire ? La réponse est également non à ma connaissance. Seuls des États souverains en ont la possibilité. Les organisations internationales ont simplement pour elles leur puissance d'acheteur, ce qui, dans certains cas, revient au même que les licences obligatoires pour influer sur les prix. Il reste que, sur le plan juridique, une barrière demeure, qui mérite sans doute réflexion.

M. le Président : L'un des laboratoires travaillant sur les vaccins a proposé une sorte d'union sacrée avec tous ses homologues afin de pouvoir répondre à la menace de pandémie, ce qui n'a pas manqué d'interpeller les autorités des États. L'OMC serait-elle choquée par l'existence momentanée, sur un sujet déterminé, d'un tel phénomène de concentration mondiale ?

M. Pascal LAMY : Bonne question ! Mais l'OMC n'a pas compétence en matière de concurrence internationale... Aucun accord n'a jamais porté sur ces questions. Il existe des systèmes nationaux, aux États-Unis, au sein de l'Union européenne et au Japon, mais pas de système international. Au début du cycle de négociation de Doha, l'Europe avait proposé de mettre sur pied un accord en matière de concurrence, mais cette proposition a été écartée. Il n'y a donc aucune règle internationale, et, donc, aucune autorité internationale ni a fortiori de compétences de l'OMC en matière de régulation de la concurrence hors des périmètres de souveraineté nationale. Les États peuvent passer des accords bilatéraux en la matière, mais il n'existe aucune norme mondiale en la matière. Peut-être en verrons-nous une un jour... Mais rien qu'en disant cela, je vais au-delà de ce que les États membres de l'OMC ont pour l'instant accepté.

M. le Président : Je vous remercie pour de cet échange très intéressant.

M. Pascal LAMY : C'est moi qui vous remercie d'être venus jusqu'à Genève par ce moyen de la visio-conférence : le fait est trop rare, au Parlement français, pour ne pas prendre le risque politique de vous en féliciter. Plus souvent nous l'utiliserons, mieux nous pourrons expliquer ce que nous faisons... et ce que nous ne faisons pas!

Audition de M. Joseph DOMENECH, Chef des services vétérinaires de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO)

(Compte rendu de la réunion du
mardi 10 janvier 2006)

Présidence de M. Jean-Marie LE GUEN, Président

M. le Président : La mission d'information sur « la grippe aviaire : mesures préventives » a à remplir tout à la fois un rôle de contrôle de l'action gouvernementale, au plan national comme au plan international, mais également un rôle d'information de nos concitoyens, qu'elle assure notamment en ouvrant ses réunions à la presse.

M. Joseph DOMENECH : C'est avec plaisir que je viens vous expliquer l'action de l'organisation à laquelle j'appartiens, la FAO, et ce que l'on peut penser de la crise internationale actuelle, de sa récente extension et des mesures à prendre pour éviter qu'un pays comme la France n'en soit affecté.

Il s'agit bien d'une crise sans précédent : l'épizootie de fièvre aphteuse d'il y a quelques années n'avait pas cette dimension « santé publique » que présente l'épizootie actuelle d'influenza aviaire. Avec environ 150 millions de volailles mortes ou abattues, c'est un véritable désastre économique dans les pays infectés, d'autant plus vulnérables que leurs économies sont encore faibles et leur milieu rural en voie de développement. Sur certains marchés, l'approvisionnement en viande de volaille a été totalement interrompu, alors même que celle-ci représente une source de protéines majeure. Les plus touchés sont les petits éleveurs dans les villages, qui n'ont pour vivre que quelques volailles de basse-cour. C'est un problème économique d'une ampleur inégalée à ce jour, encore limité au domaine animal.

L'épidémiologie de l'influenza aviaire est une affaire d'autant plus complexe qu'il subsiste encore nombre de « zones grises », des interrogations, en particulier sur le rôle précis de la faune sauvage ou sur celui du porc. Depuis deux ans, la responsabilité du porc dans la propagation du virus n'a pas été établie, ce qu'ont confirmé des enquêtes répétées, alors qu'il s'agissait d'un risque majeur que nous craignions et qui aurait pu être à l'origine d'une recombinaison du virus. Quelques rares cas d'infection du porc ont été détectés, en Indonésie notamment, mais on s'attendait à plus. Le virus aviaire apparaît donc peu contagieux pour l'homme et, semble-t-il, pour le porc.

Nombre d'inconnues subsistent également sur le rôle de la faune sauvage, de ces oiseaux migrateurs qui servent de « pool-réservoir » de virus et de gènes, particulièrement dans le sud de la Chine et qui sont très vraisemblablement à l'origine des dernières extensions géographiques de l'épizootie.

Dans ce schéma, l'homme apparaît comme un « cul-de-sac épidémiologique » : il n'est, et c'est heureux, infecté que très rarement et aucun individu à ce jour n'a communiqué son virus à un autre, sinon très exceptionnellement et à la suite de contacts très étroits. Il en est de même pour les carnivores, qui, pour certains, ont été contaminés ; mais ce sont, aussi, des « culs-de-sac épidémiologiques ».

L'ampleur de cette crise s'explique par l'extraordinaire développement en Asie, depuis une décennie, d'un élevage de volailles mélangeant les espèces et les systèmes, des plus intégrés - en Thaïlande notamment, mais également en Malaisie et en Chine - jusqu'aux petits élevages villageois dispersés dans des régions peu accessibles.

Et surtout, il faut compter avec les marchés de volailles vivantes, caractéristiques de l'Asie. Ces marchés où se mélangent les espèces sont probablement une des causes de la diffusion très importante de la maladie. A quoi viennent s'ajouter des pratiques culturelles particulières : les volailles vivent très souvent dans une grande promiscuité avec les hommes.

Dès le début de la crise, la FAO a réagi en finançant, sur ses ressources propres, des actions d'information et de communication via les méthodes habituelles - sites web, bulletins, émissions -, mais également toute une série de programmes de coopération technique pour un montant de 7,5 millions de dollars, effort d'autant plus remarquable que la FAO n'est pas un bailleur de fonds, mais un organisme censé recevoir des financements pour mettre en œuvre des programmes de développement.

Les actions entreprises au niveau national répondaient à de multiples buts : aider les pays à définir leurs stratégies, former les personnels de laboratoire et de surveillance, fournir des équipements de protection, essayer enfin de comprendre un phénomène qui a pris au dépourvu l'ensemble de la communauté internationale - début 2004, personne ne comprenait pourquoi cette crise s'était étendue en deux ou trois mois à autant de pays à la fois.

Au niveau régional, les programmes mis en place ont d'abord visé à résoudre le problème de la transparence de l'information. Au début de la crise, en 2004, l'information sanitaire était pratiquement un secret d'État, dans la mesure où un pays qui se déclarait infecté voyait immédiatement ses exportations bloquées. Non seulement il était parfois difficile de repérer les foyers par défaut de surveillance, mais les autorités ont souvent eu un réflexe de rétention de l'information, qui a duré plusieurs mois.

Une recette a déjà fait la preuve de son efficacité à l'occasion de crises précédentes, notamment celle de la peste bovine en Afrique : la constitution de réseaux de laboratoires de diagnostic et d'équipes de surveillance. La qualité du travail en est notablement améliorée, ce qui entraîne ipso facto une meilleure déclaration et une transparence accrue.

Des études ont également été conduites pour évaluer les impacts économiques, déterminer les différentes options de restructuration du secteur avicole et mettre au point des modalités de reconstitution des cheptels. Parallèlement, un énorme travail de coordination a été conduit avec l'OIE et l'OMS : conférences régionales et internationales, missions d'études conjointes, mise en place d'un réseau de laboratoires de référence commun à l'OIE et à la FAO. Il nous a fallu notamment mettre au point un mécanisme d'échange de souches - nous avons eu de gros problème sur ce point pendant les deux premières années - afin de mieux comprendre ce qui s'était passé et mieux nous préparer à l'avenir, grâce à des analyses génétiques précises.

Les études dites d'analyse de risque ont mis en parallèle des informations de tous ordres - situations sanitaires, modes d'élevage, etc. - afin d'arriver à des explications. Fin 2004, au bout d'un an, les études ont mis en évidence l'existence d'un lien réel entre les élevages de canards en milieu ouvert et la grippe aviaire : les systèmes d'élevage de canards en plein air, qui se transportent par milliers d'un champ à l'autre, après les récoltes de riz, sont un des réservoirs majeurs du virus en Asie, qui se maintient ainsi, en plus, à bas bruit car, à la différence des autres volailles, seule une partie des canards expriment la maladie. Les études menées au Vietnam ont abouti exactement aux mêmes conclusions, à tel point que l'on a pu prédire où arriverait la maladie. La surveillance peut désormais être beaucoup plus ciblée, la situation bien mieux suivie, voire anticipée, et l'alerte et la réponse beaucoup plus précoces - ce qui se traduit in fine par une meilleure déclaration, donc une plus grande transparence vis-à-vis de l'OIE, garant de l'information sanitaire internationale.

Il y a six mois environ, s'est posé le problème des oiseaux migrateurs. On les a soupçonnés de jouer un rôle dès le début de la crise : comment, sinon, expliquer qu'une dizaine de pays aussi éloignés que le Vietnam et le Japon aient pu être touchés en l'espace de deux ou trois mois ? Les circulations commerciales ou humaines ne pouvaient expliquer à elles seules le phénomène. Les événements de la mi-2005 ont mis assez nettement l'accent sur le rôle de la faune sauvage.

Ainsi, sur le lac de Quinhai, en Chine, 5 000 à 6 000 oiseaux migrateurs sont morts en quelques semaines, sans contact direct avec des oiseaux domestiques. Il fallait bien qu'ils aient ramené le virus de quelque part, probablement après l'avoir attrapé au contact de volailles domestiques dans le Sud. Encore a-t-il fallu qu'ils volent ensuite sur de grandes distances, ce qui met à mal le dogme selon lequel un oiseau malade ne vole pas... L'épisode du lac Quinhai, première alerte sérieuse, a été suivi d'une extension sur le Kazakhstan et en Mongolie, où là encore, des oiseaux migrateurs ont été massivement atteints, sans contact immédiat avec des volailles. En juillet, nous avons alerté la communauté internationale sur une possible extension vers le Sud et l'Ouest à l'occasion des périodes de migration, autrement dit à partir de la fin de la période de nidification, octobre-novembre, jusqu'à maintenant. Et malheureusement, des foyers sont bien apparus en Roumanie, Croatie, Turquie, Ukraine, et l'épizootie continue à progresser sur les parties occidentales de la Russie. Nous sommes donc bien dans un scénario d'expansion géographique claire et nette ; toute la question est de savoir si les pays nouvellement infectés pourront s'en débarrasser rapidement.

Est également posé le cas des pays peu armés pour obtenir une éradication immédiate, à commencer par l'Afrique.

Nos travaux ont permis d'établir toute une série de cartes illustrant la progression de l'épizootie dans le temps et les espèces atteintes, jusqu'aux événements récents de Turquie où chaque jour apporte des informations supplémentaires.

Une première série de foyers, clairement liés à la faune sauvage, était apparue dans l'Ouest de la Turquie, en même temps qu'en Roumanie et en Croatie, mais on pensait les avoir éliminés. De fait, les nouveaux foyers détectés dans l'extrême Est semblent déconnectés de ceux d'octobre dernier. Il s'agit probablement d'une nouvelle introduction ; le nombre et l'importance des nouveaux foyers, de même que la progression vers Ankara et l'Anatolie centrale tendent à montrer qu'elle remonte à plusieurs mois. Quant à la diffusion, elle suit clairement les circuits classiques de transport commerciaux.

L'examen des trajets migratoires et des populations d'oiseaux domestiques montre que l'Afrique de l'Est posera problème. Nous sommes en alerte totale, tout comme les pays concernés ; malheureusement, leurs systèmes de surveillance ne sont pas aussi performants que les nôtres : le fait qu'aucun foyer n'ait été détecté - et, du coup, aucun phénomène d'endémicité ou cas de transmission à la faune domestique - depuis que les oiseaux sont arrivés ne signifie malheureusement pas grand-chose. À défaut de savoir si cela surviendra ou pas, la seule solution reste d'intensifier la surveillance.

Le nombre de cas humains - 146 dont 76 mortels à ce jour - est fort heureusement réduit. Au regard des 150 millions de volailles atteintes, du relargage massif de virus dans la nature, des millions de personnes en Asie qui sont en contact étroit avec des animaux morts ou mourants, fréquemment consommés, le fait que nous soyons restés en dessous de cent morts prouve à l'évidence que ce virus est très peu contagieux pour l'homme. Face au risque de pandémie humaine, la FAO et l'OIE disent et redisent que la solution consiste à lutter contre la maladie à sa source, c'est-à-dire chez l'animal. Rompre le cycle empêchera toute infection humaine. La preuve en est que les pays qui se sont débarrassés du virus n'ont jamais eu de cas humain ; plus révélateur encore, l'exemple de la Thaïlande qui, pendant un an, n'a presque plus eu de foyers animaux et aucun cas humain. Une petite recrudescence de foyers a été constatée à la saison froide, accompagnée de quelques cas humains. Depuis, la situation a été reprise en main et plus aucun cas n'a été détecté. Il y a donc clairement une corrélation entre cas animaux et cas humains. Tel est le message sur lequel nous tenons à insister, car c'est là que réside la prévention contre la pandémie humaine.

Revenons sur l'évolution de la situation en Asie. Quatre pays ont été massivement infectés.

Le Vietnam a connu un tel niveau d'infestation en 2004 que la stratégie d'éradication par abattage n'était plus jouable. Nos recommandations de passer directement à la vaccination avaient alors été très imparfaitement entendues, pour diverses raisons - et notamment ces préjugés selon lesquels la vaccination animale était dangereuse, insuffisamment efficace et de nature à donner de fausses certitudes. Nous avons eu sur ce point de sérieux désaccords avec nos collègues de l'OMS en 2004, aujourd'hui totalement oubliés : l'OMS est désormais officiellement favorable à la vaccination vétérinaire - lorsqu'elle est justifiée, s'entend. La vaccination n'est ni la panacée ni un outil de facilité; mais, dans le cas du Vietnam, elle était inévitable. Il aurait fallu abattre la quasi-totalité des volailles pour se débarrasser du virus, et, au surplus, l'on n'y serait jamais arrivé. Au bout d'un an et demi, le Vietnam s'est résolu à engager des campagnes de vaccination massives.

Les zones à risque, nord et sud, correspondent aux zones de riziculture des deltas du Fleuve rouge et du Mékong, où des dizaines de millions de canards sont élevés en systèmes nomades ouverts, qui se déplacent en camions ou... à pied. Il n'est pas rare d'être arrêté sur la route par un troupeau de milliers de canards.

L'investissement du gouvernement vietnamien a depuis le début été très fort, celui des bailleurs de fonds internationaux beaucoup trop modéré. Ce fut là, en 2004, une erreur fondamentale. Heureusement, les choses ont changé depuis 2005 : le Vietnam a décidé de vacciner, les bailleurs de fonds se sont mobilisés, l'investissement du Gouvernement est énorme. Il faudra un peu de recul pour en mesurer les retombées, mais d'ores et déjà, après une vague d'intensification des foyers il y a trois ou quatre mois - qui coïncide avec l'arrivée de la saison froide, mais également la mise en élevage de bandes de volailles, en vue des fêtes du Têt - on assiste à une raréfaction des foyers, qui n'apparaissent plus que dans des élevages vaccinés trop récemment pour être immunisés ou chez des poulets de chair, que l'on n'envisageait pas de vacciner. Dans six mois, nous devrions pouvoir porter un jugement d'ensemble sur cette nouvelle stratégie, qui montrera que les outils fonctionnent s'ils sont utilisés à bon escient. Les fermetures des marchés, tragiques pour certaines catégories de population, ont pu être levées sous condition ; les décisions intempestives d'abattage de pigeons à Hô-Chi-Minh City ont été annulées : penser se débarrasser d'un virus en abattant la faune sauvage est totalement illusoire et même contre-productif - la faune essaimant encore plus, et le virus avec elle -, sans parler des conséquences sur la biodiversité.

Le vaccin pose évidemment des problèmes de logistique énorme du fait qu'il est injectable : il faut insister sur la nécessité de mettre au point un vaccin administrable par voie orale ou par nébulisation, à l'exemple de ce qui s'est fait pour la maladie de Newcastle. Les chercheurs chinois nous ont annoncé, voilà une quinzaine de jours, la mise au point d'un vaccin mixte Newcastle-grippe aviaire, administrable via l'eau de boisson : si la chose était confirmée, ce serait une avancée considérable.

Deuxième pays à problème, la Chine, lourdement infectée dans sa partie Sud en 2004 avant de connaître en 2005 une extension vers le Nord-Est, mais également vers le Nord-Ouest, cette fois probablement liée aux oiseaux migrateurs.

La Chine pose un problème particulier. Dans le Sud-Est, l'élevage est très développé et les densités très élevées ; de surcroît, dans ce pays immense, les réflexes de transparence ne sont pas ce qu'ils devraient être... Nous ne sommes pas toujours certains que la situation soit bien celle que l'on nous décrit. Cela dit, les échanges existent malgré tout : les Chinois ne refusent pas les missions d'expertise et d'appui, ils participent aux conférences et, même, en organisent eux-mêmes. Ils appliquent avec brio les stratégies mixtes conjuguant les trois outils principaux : l'abattage des foyers détectés, les mesures de biosécurité - désinfection, vidage des élevages, cordons sanitaires, fermeture des marchés, contrôle des mouvements - et la vaccination en anneau autour des foyers, ou dans les zones à risque. Cette stratégie marche très bien en Chine ; aussi avons-nous du mal à comprendre pourquoi nous ne pouvons pas disposer de tous les éléments statistiques qui nous permettraient de le démontrer avec beaucoup plus de force.

M. le Président : Nous avons entendu parler de faux vaccins ; on nous dit également que 16 provinces sur 26 seraient atteintes alors que mes informations me portent à penser qu'elles sont plutôt 26 sur 26... Qu'est-ce qui vous conduit à penser que les Chinois appliqueraient avec autant de brio une stratégie efficace ?

M. Joseph DOMENECH : Je dis simplement que dans un pays aussi grand, où le nombre de volailles avoisine la dizaine de milliards, le nombre de foyers, même en tenant compte des sous-déclarations, a incontestablement baissé depuis l'année dernière. Nous avons pu vérifier par nous-mêmes à plusieurs endroits, avec des collègues chinois, que les mesures d'abattage, de fermeture des marchés, de désinfection ou de vaccination en anneau ont été parfaitement appliquées. La vaccination a été massive et aucun foyer n'est réapparu dans les zones concernées durant les mois qui ont suivi. Notre regard sur le bilan global chinois est le suivant : la maladie y reste présente - de même qu'au Vietnam ou en Indonésie -, mais la situation est beaucoup moins grave qu'il y a deux ans et, du coup, le risque de contamination pour l'homme est beaucoup moins élevé qu'il y a deux ans. Le problème ne sera pas résolu avant des années, mais la Chine applique, dans ses décisions de vaccination notamment, des méthodes de coercition aux résultats assez étonnants.

Vous avez parlé de vaccins de mauvaise qualité. A côté des neuf ou dix laboratoires soumis à des contrôles de qualité, un certain nombre de laboratoires de petite taille - souvent des laboratoires d'universités - ne soumettent pas leurs produits à des contrôles aussi rigoureux, d'où des problèmes de qualité. De même, des antiviraux ont été utilisés en milieu avicole où cela est rigoureusement interdit. La Chine reste, c'est vrai, un problème ; mais si nous avions des informations statistiques plus complètes, nous verrions probablement beaucoup mieux que la mise en œuvre d'une stratégie mixte dans un pays lourdement infecté est de nature à réduire considérablement le nombre de foyers, donc le relargage de virus dans le milieu extérieur et, du coup, le risque de contamination pour l'homme et d'apparition d'un virus pandémique.

M. le Président : Le nombre de cas humains déclarés vous paraît-il crédible ?

M. Joseph DOMENECH : Évidemment non : il est sous-estimé. Cela dit, il a été, en 2004 tout au moins, sous-estimé dans la plupart des pays pour des raisons liées aux systèmes de suivi sanitaire - la situation sur ce plan n'était pas meilleure pour l'homme que pour l'animal... Depuis 2005 en tout cas, au Vietnam et en Thaïlande, les cas humains sont assez bien repérés.

La Thaïlande a choisi de ne pas vacciner et de s'en tenir aux mesures d'abattage d'urgence : 40 millions de volailles ont été abattues. En un an, la situation était redevenue extrêmement satisfaisante : début 2005, il restait très peu de foyers dans les milieux villageois et les élevages intensifs étaient totalement indemnes. Une nouvelle petite vague a été constatée en novembre, accompagnée de deux ou trois cas humains supplémentaires, mais sans comparaison avec celle de 2004. Depuis, plus aucun foyer n'a été détecté, grâce à une action massive et un engagement politique majeur du pays et des partenaires économiques, surtout dans le secteur de la production intégrée et intensive.

M. le Président : N'a-t-on pas assisté à des manifestations de paysans ?

M. Joseph DOMENECH : Périodiquement, des groupements politiques se saisissent de la question et accusent le gouvernement thaïlandais, tantôt de cacher la vérité pour protéger les producteurs et empêcher l'effondrement des exportations - de toute façon, le mal était fait dès 2004 et les exportations ne sont pas près de reprendre -, tantôt de ne pas se préoccuper suffisamment du problème... En dépit de ces accusations, nous devons constater que la surveillance comme les mesures d'abattages en Thaïlande ont été très efficaces et que les foyers ont quasiment disparu. Ce qui ne veut pas dire qu'elle pourra exporter à nouveau : le virus existe encore dans le pays.

Le cas le plus préoccupant est celui de l'Indonésie. Celle-ci applique une stratégie mixte : abattage et vaccination. Malheureusement, l'abattage est mal fait, parce que non indemnisé : aussi les éleveurs cachent-ils les foyers. La vaccination, elle aussi, est mal faite, par manque de moyens et d'engagement politique, mais également à cause d'une décentralisation extrêmement poussée des services vétérinaires, qui ne sont reliés que par une chaîne de commandement beaucoup trop faible. Or, ces maladies hautement contagieuses créent un véritable état de guerre, qui exige un commandement centralisé, des stratégies offensives et des relais qui les appliquent sur le terrain sans discuter. On ne peut pas laisser place à la moindre déviation ou interprétation, au gré des autorités locales. Il n'y a pas d'autre choix que cette stratégie d'attaque ; or l'Indonésie ne l'applique pas. Ses services centraux sont très peu écoutés, insuffisamment dotés par le gouvernement ; la campagne de vaccination telle qu'elle est menée depuis deux ans est l'exemple même de ce qu'il ne faut pas faire. Si la vaccination et la biosécurité ont apporté de véritables acquis dans les élevages intégrés performants, le virus continue à circuler dans la production traditionnelle, largement majoritaire, et de nouvelles provinces s'infectent. Nous ne sommes pas loin de penser que la totalité du pays est atteinte.

Il faut impérativement que l'Indonésie se ressaisisse ; elle semble en prendre le chemin, mais cela exige de gros efforts financiers dont elle est pour l'heure incapable, ce qui explique que la qualité des vaccinations (et des vaccins) ne soit pas toujours adéquate et que l'abattage de volailles ne fasse pas l'objet d'une indemnisation des éleveurs.

Ces quatre pays sont autant d'exemples de ce qui peut marcher, lorsque c'est correctement appliqué, et de ce qui à l'évidence ne marche pas lorsque tel n'est pas le cas. La FAO et l'OIE se sont concertées, il y a un an et demi, pour définir une stratégie globale pour le contrôle de la grippe aviaire hautement pathogène, avec laquelle les stratégies nationales et régionales doivent être en cohérence. Les outils existent : abattages dans les foyers, mesures de biosécurité, contrôle des mouvements, avec, en amont, une surveillance intensive permettant une détection immédiate. La vaccination est un outil majeur, mais seulement dans certains cas et si les vaccins sont de qualité, conformes aux standards de l'OIE. Les vaccins sont pour l'instant de type inactivé, mais peut-être les choses évolueront-elles sur ce plan plus vite qu'on ne le croit. Il faut enfin un suivi post-vaccinal rigoureux afin de faire la différence entre une circulation du virus à bas bruit et une véritable éradication.

Au niveau national, les situations variant selon les pays, chacun aura une stratégie différente selon les systèmes de production, la présence de cas humains ou pas, l'existence d'exportations ou pas, selon, enfin, la capacité du pays à répondre à la crise. La grippe aviaire est un problème multisectoriel qui nécessite donc une réponse multi-sectorielle, avec un engagement et une coordination de tous les acteurs. La preuve en est que, dans les pays où tel n'est pas le cas, c'est un échec. À l'inverse, en Thaïlande, c'est une réussite.

Cela dit, de nombreux problèmes réglementaires et politiques se posent. Il n'est pas aisé de fermer des marchés ni de sacrifier les volailles, dans les villages comme dans les grosses fermes où elles se comptent par dizaines de milliers. Le mélange des espèces et des types d'élevage ne facilite pas l'application des mesures préventives, mais une restructuration de la production avicole dans ces pays ne serait pas pour autant sans conséquences socio-économiques, en particulier pour les petits éleveurs villageois. Des méthodes de compartimentation sont à l'étude, mais restent pour l'heure difficilement applicables. Enfin, les pratiques traditionnelles à risque demeurent, qui exigent une action déterminée, mais de longue haleine, en particulier en matière de formation à tous les niveaux. Cet effort doit porter en premier lieu sur les laboratoires de diagnostic, les équipes de surveillance dans les services vétérinaires, mais également sur les éleveurs : il n'existe pas de bon système de surveillance dans lesquels ils ne soient pas impliqués.

Au niveau régional, il faut mettre l'accent sur la coordination et la coopération, mais surtout sur les réseaux de laboratoires et de surveillance : c'est une excellente méthode pour améliorer tant la qualité du travail que la transparence. Au niveau international, les organismes compétents doivent développer un partenariat étroit afin d'harmoniser les stratégies, de coordonner les programmes comme les réseaux de suivi, d'assurer la promotion et une coordination effective de la recherche. À signaler enfin une initiative internationale qui associe la FAO, l'OIE et l'OMS, et qui passe notamment par la mise en place d'un système international de surveillance et d'alerte : le GF-TADs111 . Crise internationale, la grippe aviaire appelle une réponse internationale.

M. le Président : Nous vous remercions de cet exposé très complet. La situation en Turquie peut-elle, à votre avis, être comparée à celle de l'Asie du Sud-Est ? Une contamination régionale est-elle à craindre vers la Crimée, l'Ukraine, l'Iran, l'Irak et autres pays alentour ? Autrement dit, allons-nous ressembler au sud-est asiatique ?

M. Joseph DOMENECH : Non, mais sur de si longues distances, la contamination n'a pu venir que de la faune. On peut donc craindre que ce qui s'est passé en Turquie ne se produise ailleurs, et notamment en Afrique - c'est notre hantise.

Nous nous attendions à des foyers en Turquie et sur les bords de la mer Caspienne. La réaction a donc été immédiate et l'éradication, à notre connaissance, a été réalisée. En revanche, les derniers événements en Turquie nous ont surpris.

Premièrement, le nombre de cas est supérieur à ce que le pays, pensions-nous, pouvait laisser se développer sans réagir. Nous supposions que la Turquie, aux confins de l'Europe, avait des systèmes capables d'une réaction rapide. Force est de constater que, dans les zones orientales, la surveillance est très insuffisante. Les équipes sont sur place, en liaison permanente avec nous comme avec l'OIE et l'OMS. Les foyers étaient probablement là depuis plus longtemps que prévu, puisque le virus qui a infecté les derniers foyers repérés autour d'Ankara venait probablement des régions Est. On sait en tout cas que la souche n'est pas la même que celle qui est arrivée dans l'ouest du pays en octobre et a, depuis, été éradiquée. Comment cette nouvelle introduction s'est-elle produite ? Nous n'avons aucune certitude pour l'instant. Probablement par la faune sauvage, mais il faudra enquêter davantage. La Turquie pourra-t-elle l'éradiquer rapidement ? Ce sera plus difficile qu'il y a deux mois, compte tenu du nombre de foyers et du caractère reculé des zones concernées.

Deuxième surprise, les cas humains. Nous pensions que les foyers seraient vite détectés, donc rapidement éradiqués par abattage, et que, du coup, les populations seraient alertées et sensibilisées aux mesures préventives - ne pas manipuler et découper des animaux malades, par exemple ; dans une telle hypothèse, les cas humains auraient été inexistants ou très exceptionnels. Il est clair que les cinq cas avérés à ce jour, plus la trentaine de cas suspects, nous prennent en défaut. Dans quatre cas - au sein d'une même famille - la contamination est liée au contact avec des volailles malades qui vivaient dans la maison et que les enfants touchaient tous les jours. Malgré cette explication, il faut impérativement vérifier de très près si cette souche, légèrement différente, n'a pas acquis un caractère plus contagieux pour l'homme. Pour l'instant, les laboratoires de l'OMS répondent que non ; mais il faut un peu de recul pour s'en assurer.

Le cas de la Turquie est certes inquiétant, mais cette évolution, sur le plan vétérinaire, ne peut nous laisser penser que nous allons nous retrouver dans la situation asiatique. La Turquie a la capacité de réagir et s'est mobilisée ; son gouvernement applique des mesures draconiennes.

M. le Président : Mais dans le Kurdistan iranien ou en Irak ? Et la Crimée ?

M. Joseph DOMENECH : Les foyers de Crimée en Ukraine ont été assez rapidement circonscrits. Plusieurs sont apparus dans les jours qui ont suivi, mais l'Ukraine ne semble pas trop prise en défaut et réagit de façon assez efficace. N'oublions pas que la grippe aviaire, avec la fièvre aphteuse, est une des maladies les plus contagieuse qui soit - au point qu'on l'appelait autrefois « peste aviaire ». Il ne faut pas s'étonner que, même en cas de détection et de réaction rapide, les foyers parviennent à se multiplier. Tout le problème est de faire en sorte qu'ils soient les moins nombreux et les plus restreints possible. On n'a pas vu en Roumanie, en Slovaquie, en Ukraine ni en Turquie - occidentale tout au moins - de situations similaires à celle de l'Asie du Sud-est où dix pays de la région ont été atteints en moins de quatre mois.

M. le Président : Et l'Afrique ?

M. Joseph DOMENECH : Pourquoi n'y observe-t-on pas de foyers ? Des sociétés ornithologiques nous reprochent d'accuser la faune d'être responsable de tout. Loin s'en faut : les transports d'animaux, de produits et d'hommes sont certainement une cause autrement plus importante ; pour autant, la faune ne peut être écartée.

Aucun foyer n'a été repéré, et c'est heureux. Pour commencer, les oiseaux sont arrivés voilà deux mois et resteront encore deux ou trois mois ; cette période est mise à profit pour réaliser tout un travail de surveillance et d'enquête. Dans certains pays comme la Russie, il avait fallu plusieurs semaines pour que l'introduction du virus s'observe, par des signes cliniques, sur les volailles domestiques notamment. Il faut donc tout un contexte épidémiologique et écologique de contact entre faune sauvage et oiseaux domestiques pour que la maladie prenne de l'ampleur. Ensuite, les conditions de surveillance ne sont évidemment pas les mêmes que chez nous : il peut se produire un phénomène à bas bruit qui, pour le moment, ne se voit pas. Il faut donc tout faire pour aider ces pays à davantage surveiller. Si le virus entre en Afrique et surtout en Afrique de l'Est, il faudra suivre la situation car les conditions de l'Asie - une extrême densité de volailles en contact avec la faune - ne s'y retrouvent qu'en très peu d'endroits. De nombreux parcs et réserves concentrent la faune, à l'écart des volailles dont la densité est par ailleurs très faible sur de très vastes zones. Autrement dit, les conditions d'endémicité, donc d'installation durable du virus, ne sont pas forcément réunies - en tout cas pas partout. De nombreuses organisations, dont la FAO, s'activent avec le concours d'institutions notamment françaises comme le CIRAD, pour conduire des enquêtes massives sur la faune, en espérant que toutes ces inconnues seront levées dans les mois à venir.

Mme Geneviève GAILLARD : Le meilleur moyen d'éviter le risque pandémique est, si j'ai bien compris, de lutter contre la grippe aviaire et de mettre en place tous les moyens nécessaires dans les pays contaminés, mais également dans ceux qui pourraient l'être. La communauté internationale a évidemment un rôle à jour sur le plan financier et humain, d'autant que les pays touchés n'ont souvent pas les moyens de conduire une action prophylactique et éradicatrice convenable. Nous conseilleriez-vous de concentrer l'aide internationale plutôt sur l'Asie, déjà contaminée, ou davantage sur l'Afrique ? Ou bien les pays riches doivent-ils se partager l'effort, les uns agissant plutôt vers l'Asie, les autres vers l'Afrique ? Pour l'instant, hormis le fait qu'un réseau de surveillance s'y développe, on peut se demander s'il y aura assez de moyens là-bas au cas où il s'y poserait des problèmes.

M. Joseph DOMENECH : La somme d'investissements qu'exige non pas la prévention, mais la préparation à une pandémie - inévitable à croire le dogme de l'OMS, dogme sur lequel nous n'étions pas d'accord en 2004 - est sans comparaison avec le coût de la lutte contre l'épizootie aviaire : le rapport est de cent à un... Nous avons évalué qu'il faudrait 500 millions de dollars pour combattre efficacement la grippe aviaire sur l'ensemble de la planète - dont plus de la moitié pour l'Asie. On peut mettre cette somme en rapport avec ce que la France va dépenser en stockage d'équipements protecteurs ou de Tamiflu...

M. Gabriel BIANCHERI : Nous sommes bien d'accord !

M. Joseph DOMENECH : Nous n'investissons pas assez, et c'est là une erreur stratégique majeure que nous commettons tous depuis deux ans. Faut-il faire plus en Afrique ou plus en Asie ? On ne peut que répondre : les deux, mon colonel... En Indonésie surtout, il serait calamiteux de ne pas faire un effort majeur en termes d'injection d'investissements, même si le gouvernement peut faire davantage. Il faut aussi aider le Vietnam, mais son gouvernement est totalement mobilisé et les choses commencent à bien se passer. La Chine est un cas particulier ; quant à la Thaïlande, elle y réussit très bien. L'Indonésie reste le pays cible, la première priorité. Second problème : la prévention en Afrique. Il faut commencer par un travail de surveillance et d'enquête sur la faune afin de comprendre quelles sont les espèces contaminées et les espèces réservoirs, et dans quelles conditions le virus passe de l'animal sauvage à l'animal domestique pour devenir endémique et susceptible de passer à l'homme. Or, travailler sur la faune est très difficile et également très coûteux : un prélèvement revient à plusieurs dollars. Cela suppose un investissement de l'ordre de 10 à 20 millions de dollars sur trois ans.

Il faut donc travailler dans les deux directions : la France, par la voix de M. Didier Houssin, le Directeur général de la Santé, l'a annoncé à Genève en novembre et le répétera probablement lors de la conférence de Pékin les 17 et 18 janvier prochains, où tous les bailleurs de fonds seront rassemblés. Sachant que, sur notre sol, nos services vétérinaires sont totalement en alerte et parfaitement formés à la surveillance animale, et qu'il vaut toujours mieux agir là où est la maladie, la France, comme les autres pays, devrait se mobiliser davantage qu'elle ne l'a fait dans l'appui aux pays d'Asie, mais également à ceux qui, en Afrique notamment, pourraient être infectés du jour au lendemain.

M. le Président : Cette affirmation est parfaitement légitime, mais permettez-moi deux remarques.

Premièrement, la maîtrise de l'épizootie ne nous garantit pas totalement contre la pandémie ; on ne peut pas mettre un signe d'égalité entre épizootie et pandémie.

Deuxièmement, je suis le premier à me battre pour le Sud, à ceci près que le sud-est asiatique n'est pas le Sud. Que l'Indonésie connaisse des problèmes - qui ne se limitent pas seulement au développement -, j'en suis d'accord. Mais tout de même, l'Asie du Sud-est est une des régions du monde qui, à ce qu'on nous dit tous les jours, créent le plus de richesses ! Un des problèmes posés au développement économique de la planète tient précisément à l'incapacité de ces pays à partager la richesse qu'ils produisent, y compris en direction de leurs propres habitants. Leurs besoins financiers doivent, à tout le moins, être relativisés... En revanche, ils ont de réels problèmes politiques d'organisation, de transparence et de souci de leurs populations - voilà une vraie question !

Je suis évidemment pour la solidarité, notamment envers l'Afrique. Mais nous parlons de la Thaïlande, de la Chine, de la Malaisie dont je préside le groupe d'amitié, de la région dite ASEAN +3, dans laquelle on met le Japon, la Chine et Singapour, excusez du peu ! Voilà des pays qui disposent tout de même d'outils financiers majeurs.

Le problème ne tient pas finalement à ces 500 millions de dollars dont nous aurions besoin ; le problème pour la Chine, c'est qu'il lui faut se regarder en face ! S'il faut 250 millions...

M. Joseph DOMENECH : Les besoins de l'Asie du Sud-Est, qui représentent la moitié du total, excluent la Chine, la Thaïlande, la Malaisie, le Japon et la Corée du Sud. Sont exclusivement concernés le Vietnam, le Cambodge, le Laos et l'Indonésie. Pas un sou n'est prévu pour les pays que vous avez cités.

M. le Président : Le problème ne tient pas tellement à ces 500 millions. Je suis bien d'accord avec vous sur le fait qu'ils ne devraient pas constituer un enjeu politique ni financier pour la communauté internationale : une telle somme est dérisoire si on la compare aux dépenses liées au risque pandémique. Mais ne négligeons pas les problèmes politiques que posent ces pays : en Birmanie, il n'existe pas d'élevages intensifs, mais bien des trafics à travers la frontière chinoise... La meilleure politique d'aide financière ne résoudra pas les insuffisances des administrations locales et de transparence.

M. Joseph DOMENECH : J'en suis bien d'accord.

M. Jérôme BIGNON : On peut se demander s'il ne faudrait pas donner à la communauté internationale un pouvoir d'ingérence dans ce domaine, sur le modèle de ce qui se fait en matière de nucléaire ou de droits de l'homme. On n'a pas encore imaginé l'ingérence en matière sanitaire.

M. le Président : Nous pourrions l'imaginer, après avoir entendu le directeur général de l'OMC, Pascal Lamy, juste avant M. Domenech. Nous avons des relations commerciales intensives avec ces pays : pourquoi ne pas exiger en contrepartie qu'ils garantissent un état de santé animale et humaine minimum ?

Mme Geneviève GAILLARD : Vous avez entendu la réponse de M. Lamy...

M. le Président : Nihil obstat. Parce que ce n'est pas son rôle : il n'est pas le grand policier de l'univers. Il se borne à constater. Nous avons l'ASEM112, qui réunit l'Union européenne et l'ASEAN113 + 3 : profitons de ces instances pour discuter avec nos interlocuteurs chinois, malais, japonais, de ce qu'ils font pour eux-mêmes et de ce qu'ils font pour nous en agissant pour eux-mêmes. Jusqu'à maintenant, tout cela est resté dans le domaine du non-dit. Il faut commencer à en parler, puisque cela nous concerne directement, et avec nous la santé du monde entier. Ayons le courage de demander à ces pays de réinvestir une partie des sommes considérables qu'ils gagnent autrement qu'en bons du trésor américain, et de se préoccuper un tant soit peu du niveau sanitaire de leurs populations et de leurs animaux !

M. le Rapporteur : Nous avons eu l'impression, à la lecture de certains communiqués, que l'OMS et la FAO tenaient des discours différents...

M. Gabriel BIANCHERI : Normal !

M. le Rapporteur : Pouvez-vous nous expliquer les motifs de vos différends ?

M. Joseph DOMENECH : Depuis deux ans, nous avons appris à mieux nous connaître, et nous avons énormément travaillé ensemble, en trio, avec l'OIE pour ce qui concerne le domaine vétérinaire, et avec l'OMS pour ce qui touche à la santé humaine.

En 2004, le discours de l'OMS, du type « la pandémie va arriver incessamment et causer des millions de morts », nous gênait. D'abord, on ne connaît pas le virus qui sera à l'origine de la pandémie : on ne peut donc pas prédire s'il sera ou non très contagieux, hautement pathogène ou non ; c'est impossible à prévoir. Sera-t-il, comme c'est le cas de celui qui nous occupe aujourd'hui, très pathogène, mais très peu contagieux pour l'homme ? Sera-t-il entre les deux ? Comment alerter ? Il y avait, là, un problème d'appréciation sur le message à faire passer, un problème de communication. L'appréciation de l'outil vaccinal également était une pomme de discorde.

Depuis, les choses ont évolué. Dorénavant, le discours de l'OMS est de dire : il y a un risque, et plus on tarde, plus il y a de chances de voir une recombinaison ou une mutation du virus se produire, et ce risque s'accroît à mesure que l'infection s'étend à d'autres régions. Nous ne pouvons qu'être en accord avec ce discours. Cela va arriver, probablement, parce que la biologie est ainsi faite ; reste que l'on ne sait pas quand, ni où, ni avec quelle ampleur - autrement dit combien de gens pourraient mourir. Pour le moment, tenons-nous en à cette conclusion commune : tant que le virus circule, la pandémie est possible dans la mesure où le virus peut soudainement acquérir de nouvelles caractéristiques facilitant sa transmission interhumaine. Nous ne pouvons que nous mettre en état d'alerte maximum au niveau international, et aider les pays démunis de systèmes d'alerte efficaces à détecter un début de pandémie, de la même façon que nous devons les aider à lutter contre l'épizootie.

M. le Président : On avait parlé, au moment de l'épizootie aux Pays-Bas, d'une transmission par le vent du virus en Belgique. Un tel scénario a-t-il été confirmé ?

M. Joseph DOMENECH : Un virus aussi contagieux n'a pas forcément besoin d'un contact très étroit et prolongé. Une contamination est également possible par vecteur inanimé - cages ou camions infectés, par exemple - ou encore par l'eau. Imaginer une transmission par aérosol ou par le vent sur de courtes distances, pourquoi pas ? Cela dit, de telles possibilités restent limitées. La grippe aviaire n'est pas la fièvre aphteuse.

M. Pierre HELLIER : Je comprends l'utilisation de la vaccination dans les pays qui ne parviennent pas à juguler l'épizootie, mais êtes-vous certains de pouvoir distinguer un animal vacciné d'un animal spontanément malade ? Sur les migrations, votre discours assez affirmatif tranche avec ce que nous avons entendu jusqu'à maintenant : pour vous, les oiseaux migrateurs ont un rôle important dans la contamination, ai-je cru comprendre...

M. Gabriel BIANCHERI : Comment les oiseaux migrateurs transportent-ils la maladie ? S'agit-il de porteurs sains, naturels, ou résistants ? Je suis de ceux qui pensent que toute méthode de lutte contre la grippe aviaire doit en premier lieu minimiser l'incidence d'une recombinaison ou d'une mutation. Êtes-vous de cet avis ?

M. Joseph DOMENECH : Des méthodes existent pour différencier les anticorps post-vaccinaux des anticorps liés à la circulation du virus : c'est ce que nous appelons les stratégies DIVA114. Il suffit d'utiliser des vaccins qui ne contiennent pas les mêmes antigènes que la souche circulante : dans le cas de la grippe aviaire en Asie due à un virus H5N1, nous utilisons un vaccin H5N2. La protection est liée au H et la sérologie sur le N permet la différenciation. Un deuxième moyen de différenciation consiste à utiliser des oiseaux sentinelles - la chose est beaucoup plus facile qu'avec des ruminants. Il suffit de laisser un certain nombre d'animaux non vaccinés au milieu des animaux vaccinés, reconnaissables par une bague ou un plumage différent, et de pratiquer des examens sérologiques périodiques - et bien sûr des prélèvements en cas de mortalité. Une stratégie de vaccination impose ipso facto de se doter de moyens de surveillance efficaces de la circulation des volatiles. Au demeurant, le code sanitaire de l'OIE, revu en mai dernier, n'interdit pas les exportations de volailles de pays qui vaccinent...

M. Pierre HELLIER : À condition que l'on puisse les repérer.

M. Joseph DOMENECH : ...à condition que le pays soit en mesure de prouver l'absence de circulation de virus.

M. François GUILLAUME : Il n'en allait pas de même avec la fièvre aphteuse : un pays qui vaccinait ne pouvait pas exporter vers un pays dit « propre ».

M. le Rapporteur : Peut-on faire totalement confiance à ces stratégies ?

M. Joseph DOMENECH : Lorsque l'on vaccine correctement, on assure une protection à l'animal qui ne peut plus être infecté, ou sinon d'une manière très limitée : il n'excrétera pas le virus. Les données de terrain comme les données expérimentales montrent que le processus marche très bien. Reste que, pour réussir une campagne de vaccination, il faut couvrir la quasi-totalité du cheptel, ce qui n'est pas toujours aisé dans un pays comme le Cambodge ou le Laos, par exemple...

S'agissant des oiseaux migrateurs, la FAO a depuis plusieurs mois reconnu l'existence d'évidences épidémiologiques claires : l'arrivée du virus en Chine du Nord, en Mongolie, dans certaines régions de Russie, en Turquie - à l'origine -, en Crimée ou en Ukraine n'a pas d'autre explication. Cela dit, beaucoup de questions sont encore posées, auxquelles on ne sait pas répondre. Le risque lié à la faune reste mal apprécié et personne ne peut prédire ce qui se passera, faute de connaître les espèces qui peuvent servir de réservoir au virus et, parmi elles, celles qui tomberont malades et mourront, et celles qui resteront asymptomatiques, capables de transporter le virus sur de longues distances. C'est tout l'enjeu du travail d'investigation mené depuis quelques semaines et qui devra être poursuivi dans les mois qui viennent.

M. Pierre HELLIER : La surveillance sur les lieux d'hivernage des oiseaux migrateurs est-elle à votre avis suffisante ?

M. Joseph DOMENECH : Elle a commencé, nous en faisons beaucoup, mais il en faudrait beaucoup plus.

M. le Président : Notamment en Afrique ?

M. Joseph DOMENECH : Exactement.

M. le Président : Autrement dit, le niveau reste insuffisant.

M. Joseph DOMENECH : Oui. Depuis six mois, nous appelons à un effort majeur. Il aurait fallu mobiliser immédiatement une centaine de millions ; nous ne les avons pas eus... La FAO a fait ce qu'elle a pu, en menant cinq projets de coopération technique, mais nous ne sommes pas bailleurs de fonds ; nous avons pu mettre quelques millions - encore ne sont-ils qu'en train d'arriver. Les oiseaux, eux, sont là depuis deux mois...

M. le Président : Lorsque vous avez l'argent, trouvez-vous des experts disponibles ?

M. Joseph DOMENECH : Plus facilement pour l'influenza aviaire que lors de la dernière invasion de criquets en Afrique de l'Ouest : les spécialistes du criquet sont en voie de disparition, au point qu'il a fallu rappeler les retraités ! L'influenza étant un problème constant, qui a sévi récemment en Italie, au Mexique et aux Pays-Bas, nous pouvons compter sur une bonne vingtaine de laboratoires. Il n'est pas si difficile de mobiliser des experts.

M. le Rapporteur : Et le CIRAD ?

M. Joseph DOMENECH : Je viens d'y passer sept ans, à la direction du département élevage à Montpellier... Le CIRAD est un des outils français majeurs, qui nous permet de nous attaquer, avec Wetland115 et d'autres organismes, à la question des investigations sur la faune sauvage, notamment en Afrique. Le CIRAD est un outil français très apprécié.

M. le Rapporteur : Mais ce n'est pas suffisant.

M. Joseph DOMENECH : Évidemment non. Toutefois, ce n'est pas l'expertise qui manque, ni même la connaissance des endroits où il faut aller travailler : la faune est suivie et les migrations connues. Ce que l'on ne connaît pas encore, c'est la capacité de la faune à héberger et à transporter le virus. C'est là-dessus que nous avons pris beaucoup de retard.

M. le Président : Monsieur, nous vous remercions.

Audition de M. Dominique BUSSEREAU, Ministre de l'agriculture et de la pêche

(Compte rendu de la réunion du
mercredi 25 janvier 2006)

Présidence de M. Jean-Marie LE GUEN, Président

M. le Président : Monsieur le ministre, nous vous remercions d'être venu pour cette audition, ouverte à la presse.

M. Dominique BUSSEREAU : Sans vous retracer l'historique de l'influenza aviaire, je rappellerai seulement que la France s'emploie à appliquer strictement le principe de précaution, que vous avez voté et qui est dorénavant inscrit dans la Constitution. Aussi le Gouvernement a-t-il pris des mesures proportionnées à l'évolution de la situation sanitaire dans le monde et du risque estimé d'introduction du virus en France.

Je voudrais développer trois points : comment lutter contre l'introduction et la diffusion du virus en France ? Comment réagir s'il y avait apparition du virus ? Comment enfin soutenir les producteurs de volailles, qui souffrent à l'évidence des répercussions des mesures mises en place, mais également du déferlement médiatique auquel a donné lieu cette affaire ?

Pour lutter contre l'introduction et la diffusion de l'influenza aviaire sur le territoire français, nous avons décidé de mesures articulées autour de trois axes : l'interdiction d'importer des animaux et leurs produits en provenance des zones infectées ; la protection de nos élevages pour éviter le contact avec les oiseaux migrateurs et la diffusion du virus entre les élevages ; la mise en place d'un dispositif de surveillance, d'alerte et de réaction rapide.

Sitôt qu'un foyer est déclaré ou même suspecté dans le monde, il est interdit au niveau européen d'importer les oiseaux et leurs produits - plumes ou viandes - en provenance du pays touché. Ces interdictions ont concerné récemment la Turquie, la Roumanie, la Russie. Ce qui signifie que les services vétérinaires des postes d'inspection frontaliers sont en état d'alerte permanent. Depuis le début de l'année 2004, 130 000 contrôles ont été réalisés.

Les services des douanes ont également été alertés par mon collègue Jean-François Copé, ministre délégué au Budget et à la Réforme de l'Etat, afin de contrôler strictement les bagages des voyageurs en provenance des pays à risque - on y fait parfois des découvertes surprenantes !

Dès le mois d'août 2005, des recommandations ont été faites aux éleveurs pour leur demander d'éviter tout contact de leurs volailles avec les oiseaux sauvages. Un arrêté du 24 octobre 2005 leur a donné force réglementaire. Depuis cette date, sur l'ensemble du territoire national, l'abreuvement et l'alimentation des volailles à l'extérieur et l'utilisation des eaux de surface dans les élevages sont interdits. Dans des zones définies par l'AFSSA, dites à risque particulier, c'est-à-dire susceptibles d'accueillir des oiseaux migrateurs d'eau - estuaires, lacs, étangs -, ces mesures ont été renforcées par un confinement des volailles. Des mesures d'effet équivalent au confinement, quand on ne peut pas assurer complètement le confinement, mais qui évitent strictement le contact avec les oiseaux sauvages, sont possibles moyennant une visite vétérinaire préalable.

Depuis le 19 janvier, le confinement, initialement limité à vingt-six départements, a été étendu à cinquante-huit départements métropolitains. Pour éviter la diffusion du virus entre les élevages, les rassemblements d'oiseaux dans les marchés et les expositions ont également été interdits. En dehors des départements à risque, des dérogations peuvent être accordées au cas par cas par les préfets, sous des conditions sanitaires très strictes.

À ce jour, ces mesures ont bien été mises en place. Plus de 1 500 visites vétérinaires et plus de 600 contrôles de l'application du confinement ont été effectués. Voilà pour ce qui est des mesures de précaution.

L'alerte précoce et la réaction rapide sont essentielles : très contagieux entre les oiseaux, le virus impose de prendre le plus vite possible les mesures d'abattage pour éradiquer le foyer et stopper sa diffusion dans d'autres élevages.

L'alerte précoce repose d'abord sur une obligation de déclaration pour les éleveurs de tout signe clinique évocateur de l'influenza aviaire : cette maladie est réglementée et la non-déclaration est sanctionnée.

Elle repose également sur un programme de surveillance des oiseaux sauvages et domestiques, mis en place en France depuis 2000 et renforcé dès le mois d'août 2005. Il s'agit tout à la fois d'une surveillance active - des oiseaux sauvages sont capturés, des prélèvements sont analysés, et des élevages sont inspectés - et d'une surveillance passive : toute mortalité anormale d'oiseaux sauvages ou domestiques fait l'objet d'une enquête épidémiologique et d'analyses. En 2005, 1 500 oiseaux sauvages et plus de 1 200 élevages ont fait l'objet d'une surveillance sans que le virus H5N1 de souche asiatique n'ait été détecté.

Enfin, l'alerte précoce repose sur le réseau remarquable des services vétérinaires de l'Etat et des vétérinaires libéraux, qui constitue un maillage de plus de 12 000 personnes, extrêmement efficace, qui surveille et agit avec réactivité.

Les plans d'urgence contre l'influenza aviaire sont inscrits de longue date dans les actions du ministère. Des sessions de formation et des exercices de simulation sont régulièrement organisés pour assurer le maintien du caractère opérationnel des plans d'urgence. Un exercice de simulation régional a eu lieu en Bretagne en novembre 2005. Nous avons veillé à donner toutes les explications nécessaires pour ne pas affoler les populations. Quatre régions - Auvergne, Midi-Pyrénées, Pays de la Loire et Rhône-Alpes - et la moitié des départements sont programmés pour un exercice en 2006. Le prochain aura lieu en Auvergne au mois de mars.

Une formation accélérée des vétérinaires sanitaires à la détection de l'influenza aviaire est prévue au premier trimestre 2006 : quatre-vingts sessions seront organisées en France métropolitaine et dans les DOM-TOM. Enfin, un inspecteur vétérinaire a été spécialement affecté au suivi et à la préparation des plans d'urgence au sein de l'administration centrale du ministère de l'agriculture, en liaison avec le DILGA, le délégué interministériel à la lutte contre la grippe aviaire.

Ce dispositif est adapté à la menace actuelle, mais nous sommes prêts à aller au-delà. Afin de nous préparer au retour des oiseaux migrateurs en provenance d'Afrique au printemps, nous effectuons sur place des opérations de surveillance sanitaire. Une équipe du CIRAD est en train de prélever des oiseaux dans les principales zones de regroupement des migrateurs. J'ai demandé à Mme Alliot-Marie à pouvoir utiliser si nécessaire nos moyens aériens militaires pour rapatrier plus rapidement les échantillons en cas de besoin.

Si le virus apparaissait en France, nous serions en mesure de franchir de nouveaux paliers, à savoir le confinement généralisé des volailles sur l'ensemble du territoire national et éventuellement, si l'AFSSA le jugeait nécessaire, la vaccination des volailles élevées en plein air qui ne pourraient être confinées et seraient plus directement susceptibles d'être exposées.

Mais notre stratégie reste prioritairement fondée sur la surveillance, la détection précoce du virus et l'éradication dans les plus brefs délais d'un éventuel foyer. La vaccination est un niveau supplémentaire qui s'appliquerait aux animaux particulièrement exposés en cas de menace ou pour bloquer sa diffusion, par des vaccinations en anneau autour des zones infectées.

Un marché public a été lancé pour obtenir un stock d'urgence de 25 à 80 millions de doses de vaccin. Vingt millions de doses de vaccin seront disponibles d'ici à la fin février. Elles permettraient de vacciner, si nécessaire, en urgence, et après avis de l'AFSSA la totalité des volailles qui ne pourraient pas être confinées, en cas de menace au printemps.

En cas de foyer en France, toutes les dispositions ont été prises pour intervenir. La zone sera bloquée dans un rayon de dix kilomètres ; les animaux du foyer, et alentour si besoin est, seront abattus. Les services vétérinaires sont équipés du matériel d'abattage mais également des équipements de protection - combinaisons, masques - nécessaires à ce type d'opérations.

Des moyens financiers ont eux aussi été prévus. Le coût du programme de surveillance s'élève désormais à 1 million d'euros. Pour faire face à l'augmentation du nombre d'analyses, l'AFSSA bénéficiera d'un financement exceptionnel de 830.000 euros. Notre système informatique d'épidémio-surveillance a été conforté à hauteur de 250.000 euros en 2005 et s'est vu doter de 800 000 euros dans le budget 2006.

L'équipement des directions départementales des services vétérinaires a également été renforcé. 3 millions d'euros sont affectés à l'éradication d'éventuels foyers. 260.000 masques de protection ont d'ores et déjà été livrés à ces services.

Les mesures de protection dans les élevages sont accompagnées. L'État financera à hauteur de 45 euros les visites vétérinaires pour les élevages situés dans les départements à risque particulier et dans lesquels le confinement total est impossible. Un budget de 4 millions d'euros a été prévu à cet effet.

La menace de la grippe aviaire a eu un impact très fort sur la consommation de volailles et tous les parlementaires le savent bien. Le marché intérieur a été fortement perturbé avec une chute brutale de la consommation de viandes de volailles de plus de 20 %, dès la seconde quinzaine d'octobre. À partir de novembre, la consommation s'est stabilisée à un niveau inférieur de 15 % à la normale. L'écart s'était pratiquement résorbé au cours de la période des fêtes de fin d'année, où les ventes ont été correctes pour les volailles festives, alors même que le calendrier n'était pas favorable à la multiplication des repas de famille.

Malheureusement, au cours des deux premières semaines du mois de janvier 2006, la baisse de consommation de viandes de volailles a repris pour atteindre en moyenne 8 % dans les grandes et moyennes surfaces et 20 % sur le marché de Rungis, par rapport à 2005. La baisse de consommation des produits sous label s'est aggravée au cours de la seconde semaine du mois de janvier et atteint actuellement 20 %.

Or, vous le savez bien, la consommation de volailles ne présente aucun risque en France. L'infection par le virus H5N1 nécessite un contact étroit avec des oiseaux malades. Nos conditions de vie et d'élevage n'ont rien de similaire avec celles des pays d'Asie ou de la Turquie. Les volailles destinées à la consommation en France sont contrôlées et saines ; enfin, les importations en provenance des pays touchés sont interdites.

Pour aider nos éleveurs à surmonter leurs difficultés, des mesures de soutien ont été prises en concertation avec les professionnels de la filière. Une campagne d'information sur l'influenza aviaire, d'un coût de 1,3 million d'euros, financée par les crédits de mon ministère, a été lancée dès le 23 novembre dernier et a permis d'infléchir la baisse de consommation de viande de volailles durant la période des fêtes de fin d'année. Comme cette baisse a repris, j'ai décidé de débloquer 1 million d'euros supplémentaire pour une nouvelle campagne de communication. À ma demande, des instructions ont été données par mon collègue du budget afin que des reports d'échéances d'impôts et de taxes soient mis en œuvre pour toutes les entreprises de la filière : accouveurs, transformateurs, marchés et abatteurs. Avec Jean-Louis Borloo et Gérard Larcher, nous avons mis au point un dispositif de financement des indemnités de chômage technique qui pourrait intervenir dans les entreprises de la filière dans les prochains jours. J'ai demandé aux caisses locales de la MSA que des reports de cotisations sociales patronales des entreprises de transformation et personnelles des éleveurs soient accordés ; mon collègue Xavier Bertrand a effectué la même démarche pour les entreprises sous régime industriel.

Au niveau européen, je suis régulièrement intervenu au Conseil des ministres de l'agriculture pour que les subventions communautaires à l'exportation de viandes de volailles soient augmentées et permettent un déstockage des volailles aujourd'hui congelées. La Commission européenne a répondu favorablement à cette demande le 18 janvier dernier. Une mesure d'aide au confinement à hauteur de 5 millions d'euros a également été décidée.

Dans le cas où un foyer d'influenza aviaire surviendrait au sein de l'Union européenne, des mesures économiques seraient mises en œuvre pour compenser les pertes des éleveurs résultant de l'abattage des volailles contaminées, ainsi que des mesures de soutien au marché de la viande de volailles - campagnes d'information, stockage privé, cassage d'œufs, etc. -, ce qui n'est pas le cas actuellement.

Tel est, en conclusion, l'état des lieux des mesures prises par les pouvoirs publics. Nous avons tout lieu d'être fiers de notre système sanitaire, qui repose sur un modèle original alliant l'État et ses services, les vétérinaires privés et les éleveurs. Il a déjà fait la preuve de son efficacité lors de l'apparition de foyers de fièvre aphteuse en 2001, par exemple. Face à la menace de la grippe aviaire, la priorité est de lutter contre la maladie animale elle-même ; à cet effet, notre système sanitaire vétérinaire a été renforcé et mobilisé. Mais il est également impératif d'aller lutter contre l'influenza aviaire à l'étranger. C'est le sens de la proposition faite par le Premier Ministre à Mme Merkel la semaine dernière à Berlin d'une force d'intervention rapide européenne qui permettrait d'envoyer rapidement dans les pays touchés des équipes multi-disciplinaires d'experts. Cette idée a été reprise par nos amis allemands et une proposition conjointe a été formulée au Conseil des Ministres de l'agriculture européens du 23 janvier. Elle semble avoir reçu un accueil favorable, sans avoir pour autant encore donné lieu à des dispositions pratiques.

M. le Rapporteur : J'ai bien noté qu'il sera éventuellement possible de vacciner rapidement les volailles dès l'instant où une alerte pourrait être constatée. La filière avicole a souffert de la campagne médiatique des premiers mois. Vous avez évoqué avant-hier, avec le président de la FNSEA, le déblocage d'une enveloppe de 6 millions d'euros. Comment sera-t-elle répartie ?

Beaucoup d'agriculteurs s'interrogent sur l'application des mesures d'interdiction applicables au prochain Salon de l'agriculture au mois de mars. Dès lors que les volailles sont surveillées, connues, contrôlées par les services vétérinaires, cette interdiction est-elle véritablement légitime ? Ne va-t-on pas un peu trop loin ? Vous connaissez l'attachement de tous les Français à ce salon, véritable ferme au centre de Paris.

Si le confinement est relativement facile à mettre en œuvre dans les élevages d'une certaine importance, équipés pour nourrir les volailles à l'intérieur, il n'en est pas de même pour les exploitations plus petites. Ce confinement va-t-il perdurer, alors que les Pays-Bas ont pour leur part levé, sinon adouci les mesures de confinement. Là encore, n'allons-nous pas trop loin ? Ce sont les questions qui nous sont posées.

M. Dominique BUSSEREAU : S'agissant du confinement, nous allons effectivement très loin dans l'application du principe de précaution. Nos amis allemands ont confiné, puis « déconfiné » avant d'envisager de « reconfiner » totalement fin février... Si, pour notre part, nous avons étendu le confinement, c'est non seulement à cause des événements de Turquie, mais également pour préparer nos éleveurs au retour des oiseaux migrateurs à partir de février et les inciter à réfléchir à leurs modes de fonctionnement. Cela dit, préfets et DDSV ont reçu des instructions pour appliquer cet arrêté avec intelligence, sans brutalité, en étudiant les situations au cas par cas, en discutant avec la filière dans le cadre des comités de suivi ; un observatoire départemental de suivi des mesures et de l'état des filières a même été mis en place dans l'Yonne. Nous sommes conscients des difficultés qui en découlent pour les éleveurs, d'autant que la volaille élevée en plein air est chez nous symbole de qualité. Reste que cette décision a été prise par le Premier ministre et le Gouvernement, et nous sommes au maximum du principe de précaution ; nous l'adapterons naturellement en fonction des avis de l'AFSSA, des décisions de l'Union européenne et de l'évolution de la menace éventuelle. Nous essayerons d'agir de façon raisonnable et intelligente. La filière elle-même, bien qu'elle souffre de la situation, joue le jeu et est sérieuse : elle n'a aucun intérêt à voir démolir son instrument de travail.

S'agissant du Salon de l'agriculture, nous avons vu ce qui s'est produit lors de la Grüne Woche, son équivalent allemand : les mesures décidées au dernier moment ont eu le pire effet, déstabilisant une manifestation qui, pour la première fois, a vu diminuer le nombre de ses visiteurs - mais peut-être était-ce également dû au froid exceptionnel qui sévit à Berlin. Aussi, les organisateurs du Salon de Paris ont-ils préféré prendre leurs dispositions suffisamment en amont pour laisser à tout un chacun le temps de s'organiser. Nous ne sommes plus qu'à un mois de l'ouverture et il aurait été extraordinairement compliqué de gérer des oiseaux venant, qui d'un département où le confinement est de règle, qui d'un département où il ne l'est pas, qui de pays étrangers, etc., sans parler des très nombreux visiteurs dont beaucoup viennent du monde entier. Aussi, après avoir pris l'avis des autorités sanitaires de la ville de Paris et de la préfecture de police, les organisateurs du salon, sans me consulter, ont pris leurs responsabilités comme des grands et décidé d'appliquer une mesure d'interdiction en compensant l'absence des oiseaux, toujours très appréciés, par un plus grand nombre d'autres animaux. Cela n'empêchera pas la filière d'être présente dans les stands avec ses produits, ses documentations, ses vidéos, même si les poulets et les canards sont plus agréables à regarder, en particulier pour les enfants !

S'agissant des mesures que nous mettons au point avec la filière - une nouvelle réunion aura lieu aujourd'hui même -, 1 million d'euros sur les 6 millions d'euros annoncés financeront des spots radio d'information sur la qualité de la volaille française, ainsi que le document que je vous ai fait distribuer. Il sera diffusé à 8 millions d'exemplaires auprès des familles, des associations de consommateurs, mais également des hôpitaux, médecins, collectivités territoriales, auprès de tous ceux qui ont un rôle de « faiseur d'opinions » dans ce pays. Du côté des mesures de soutien aux éleveurs, nous envisageons une aide directe aux producteurs de poulets standard et label, pour un montant total de 4 millions d'euros, gérée par les préfets dans chaque département et plafonnée à 3.000 euros par exploitation, conformément aux nouvelles règles européennes. Parallèlement, une enveloppe de 500.000 euros est prévue au titre d'une aide directe aux éleveurs des volailles dites « démarrées », particulièrement affectés par la fermeture des marchés en ville, et une autre de même montant pour les entreprises d'accouvage. Les modalités de gestion sont en cours de discussion avec la profession. Si, pour les filières, la gestion de ces aides peut se concevoir au niveau national, c'est au niveau des départements que nous les gérerons le plus efficacement : les élus, les préfets et les vétérinaires connaissent bien le terrain, et les élevages sont connus. L'objectif est de les débloquer le plus vite possible afin de soulager les trésoreries en difficulté.

M. Pierre HELLIER : Nous pouvons faire confiance à nos éleveurs et à nos filières pour mettre en œuvre le principe de précaution : la preuve en a été faite lors des épisodes de fièvre aphteuse et d'ESB. Leurs souffrances ont à cet égard quelque chose d'injuste, d'autant que les volailles sous label souffrent plus que les autres. Pouvez-vous l'expliquer ?

Vous nous avez confirmé que le CIRAD est sur place et opérationnel pour assurer la surveillance des oiseaux migrateurs en Afrique, là où le risque au retour peut être important. Les mesures de confinement sont certes contraignantes, mais il n'y a rien de pire, psychologiquement, que de mettre une mesure en place pour la lever ensuite et finalement la remettre en place... Nos filières avicoles sont capables de faire face à une crise avec l'aide des services vétérinaires et de personnels performants. Nous ne sommes pas dans le cas de figure d'une contamination interhumaine qui aurait tout lieu de nous inquiéter ; je crois même qu'elle pourrait survenir en France sans aucune contamination animale. Reste que notre filière agricole souffre beaucoup et que les mesures que vous venez d'annoncer ne compenseront pas pour autant toutes ses difficultés.

M. Dominique BUSSEREAU : Si les volailles sous label souffrent davantage que les autres, c'est tout simplement parce que les gens savent qu'elles sont élevées à l'air libre : elles sont donc les premières concernées par le confinement - et exposées au battage médiatique.

Mme Geneviève GAILLARD : Toutes les mesures de précaution sont prises et nos réseaux vétérinaires sont très actifs et très présents. Ils ont déjà fait leurs preuves dans le passé face à d'autres maladies très contagieuses et particulièrement meurtrières. Mais la grippe aviaire, avec d'autres virus, existe depuis des années et nous n'en parlions pas autant. L'influenza aviaire à H5N1 me paraît avoir toutes les chances de ne pas être anéantie dans les semaines qui viennent, et les oiseaux migrateurs pas davantage. Autrement dit, nous risquons d'être confrontés à la même problématique l'année prochaine, et de même l'année d'après... Il faut donc que nous nous focalisions sur l'éradication des foyers de grippe aviaire dans le monde, mais également que nous préparions nos éleveurs à l'idée qu'ils devront rester soumis au principe de précaution pour les années à venir. Le ministère dispose-t-il d'éléments de prospective qui lui permettraient de se faire une idée de ce délai, aussi hypothétique soit-il ? Travaillez-vous là-dessus dans le cadre d'une cellule de prévision, au besoin en liaison avec d'autres ministères ? Informez-vous les éleveurs et les agriculteurs de la durée possible de cette épizootie, pendant laquelle il faudra continuer à prendre toutes précautions ? Enfin, prévoyez-vous, en liaison avec le ministère de la santé, de prévenir les Français que le risque de pandémie pourra durer des années, pendant lesquelles il faudra rester vigilant ?

M. le Président : Cette question est en effet essentielle. Le risque de pandémie est là et n'est pas près, en effet, de disparaître. Le problème est de savoir ce que sera le scénario de l'épizootie. Jean-Pierre Door et moi-même revenons d'Asie du Sud-Est, et l'on a vu des situations présentant des caractéristiques différentes. La Thaïlande fait figure de modèle : le virus est partout, mais immédiatement et efficacement combattu, très vite et très fort : a priori, l'épizootie paraît maîtrisée et les reprises sont de plus en plus faibles, avec de moins en moins de conséquences. C'est le modèle stabilisé. Le Vietnam a, quant à lui, pris conscience de la situation : son gouvernement tient des discours vertueux et commence à appliquer une véritable politique, mais la réalité sur le terrain reste difficile. Troisième cas, la Chine. Elle aussi reconnaît la situation, mais pas totalement, et présente de sérieuses lacunes en matière d'information : dans certaines provinces, des cas humains mortels ont été déclarés, mais aucun cas animal, ce qui est bizarre ! Dans de telles conditions, quels peuvent être les scénarios de la vie du virus, sachant que son extinction n'est pas envisageable du jour au lendemain, en tous cas pas par une mesure sanitaire ?

M. Dominique BUSSEREAU : Mme Gaillard et votre président ont posé la bonne question. Je me souviens qu'au moment de l'épisode du SRAS, qui lui aussi avait provoqué un grand émoi médiatique, j'étais allé en Chine avec Jean-Pierre Raffarin, alors Premier Ministre. Pékin était devenu une ville vide et morte ; les Chinois avaient mis en place une remarquable organisation avec des gardiens d'immeubles, mais j'ai souvent pu constater de profondes lacunes à côté d'une débauche de précautions. Dans de telles circonstances, les réactions sont souvent exacerbées ; il faut savoir raison garder et se méfier des emballements en période de risque pandémique.

La prévision est très difficile ; il faut que nous mettions en place le système. Nous le pourrons d'autant plus facilement qu'au printemps prochain, nous disposerons d'un certain recul, avec le retour des oiseaux migrateurs et les conséquences qu'il aura eues ou qu'il n'aura pas eues - ce que j'espère de tout cœur. L'idée d'une cellule de prévision, bâtie autour de l'AFSSA, par exemple, me paraît excellente. Je proposerai de la mettre en œuvre. Nous bénéficierons également du retour d'expériences sur l'adaptation des mesures décidées dans certains pays, en Turquie par exemple, où, après un moment d'affolement, les choses ont été reprises en main, y compris sur le plan sanitaire. Sachant que nous avons un maillage efficace et que nous avons su faire face à certaines maladies - nous avons su maîtriser et éradiquer immédiatement un début d'épidémie de Newcastle dans un élevage de canards en Vendée l'année dernière -, le retour d'expériences de ce printemps nous permettra d'avoir une bonne vision pour les années à venir d'un phénomène qui, effectivement, ne disparaîtra pas du jour au lendemain, quels que soient les progrès dans la lutte sur le terrain. Je retiens en tout cas votre excellente suggestion de mettre en place un double dispositif, sous la forme d'un instrument de veille et de prévision vétérinaire, mais également d'un instrument de prévision économique, au vu des données vétérinaires, à mettre en place avec la filière.

M. François GUILLAUME : Très concrètement, certains éleveurs, qui commercialisent des volailles vivantes sur les marchés, comme des poules prêtes à pondre, sont frappés de plein fouet par l'interdiction totale des rassemblements d'oiseaux. Cette disposition ne pourrait-elle pas être assouplie moyennant certaines précautions ? On ne trouve guère qu'un ou deux vendeurs de volailles vivantes sur nos marchés de campagne, qui n'ont rien à voir avec ceux d'Asie du Sud-Est. Les oiseaux pourraient, par exemple, être maintenus dans des caisses laissées dans les camions, tout en restant visibles par l'acheteur, les bêtes achetées étant directement enfermées dans des boîtes en cartons, sans autre contact avec l'extérieur que les trous de ventilation... Et si, d'aventure, il y avait plusieurs vendeurs de volailles vivantes, on pourrait les obliger à respecter une distance de sécurité.

Ce problème se pose dès maintenant : ces ventes ne durent que deux ou trois mois dans l'année. La saison se terminant en juillet, il n'est pas question d'attendre mai ou juin pour donner une réponse. La question est de savoir si l'on peut mettre les élevages en production aujourd'hui afin d'être prêt au moment des ventes ; si celles-ci ne sont pas possibles, c'est maintenant qu'il faut le dire, et prévoir immédiatement une indemnisation fondée sur le revenu attendu des volailles, qui ne serait pas grevé par des coûts de production. J'ai d'ores et déjà alerté votre directeur des services vétérinaires dans les mêmes termes, afin que vous soyez à même de prendre rapidement une décision.

M. Dominique BUSSEREAU : C'est une bonne suggestion, que je vais étudier.

M. Marc LE FUR : Je craignais un battage médiatique autour de l'exercice qui a eu lieu en novembre à Kergloff. Or, nos services ont démontré leur capacité de réaction et nos éleveurs leur professionnalisme, tant et si bien que le retentissement médiatique a finalement été positif. Nous avons souvent peur des médias, parfois avec raison; mais cette fois-là, pour le coup, cela a bien marché, ils auront été utiles.

Je ne voudrais surtout pas que l'on distingue entre le problème sanitaire et l'indemnisation économique : l'indemnisation est à fins sanitaires. Les éleveurs ne seront mobilisés dans l'éventuelle lutte sanitaire que pour autant qu'ils seront assurés d'être indemnisés. Nous avons pu le vérifier avec l'ESB. C'est parce que les éleveurs savaient qu'ils seraient indemnisés que les déclarations ont été satisfaisantes. Il ne s'agit pas de faire plaisir aux éleveurs ni même de compenser : l'indemnisation fait partie intégrante du combat sanitaire. C'est ce qui justifie l'indemnisation.

J'ai déjà eu l'occasion, monsieur le ministre, de discuter avec vos collaborateurs du problème spécifique des poulets démarrés. Je vous remercie d'envisager une enveloppe spécifique, mais à l'évidence, cette filière ne peut plus rien vendre après avoir perdu son seul réseau de vente, en l'occurrence les marchés.

Enfin, nos bâtiments d'élevage n'ont jamais été conçus pour le confinement. Nous allons devoir les clore alors qu'ils sont normalement laissés ouverts afin que la volaille puisse circuler. Cela n'a rien de dramatique si cela ne dure qu'un temps ; mais cela le deviendra si cette période se prolonge, ne serait-ce qu'à cause des déjections qui s'accumuleront dans les bâtiments. Nous ne tiendrons pas très longtemps, sauf à totalement réorganiser la conception de nos filières conçues pour les volailles en plein air.

M. Dominique BUSSEREAU : Je fais miennes vos remarques sur l'exercice de novembre dernier et sa médiatisation. Si le confinement devait durer, nous devrions naturellement nous adapter à cette nouvelle situation. Sur l'indemnisation, nous attendrons les propositions de l'inter-profession. Si l'apparition de foyers devait nécessiter des abattages, ceux-ci seraient évidemment co-financés par l'Europe.

Cela dit, le confinement n'interdit pas une certaine souplesse. Dans la Bresse, nous avons autorisé les volailles à sortir le matin. On peut faire confiance à l'intelligence des acteurs de terrain pour trouver des solutions adaptées. Un confinement ad vitam aeternam changerait évidemment tout, remettrait en cause les labels et les appellations d'origine contrôlée et exigerait des investissements très lourds pour réorganiser le fonctionnement de la filière de manière plus pérenne. Le confinement peut effectivement entraîner une mortalité du fait de l'entassement des oiseaux, de l'accumulation des déjections et du stress, empêchant d'atteindre le même niveau de qualité.

M. Yannick FAVENNEC : La Mayenne, qui a déjà beaucoup souffert il y a cinq ans avec la fièvre aphteuse - le foyer était dans ma circonscription - vient de se voir appliquer les mesures de confinement. N'aurait-il pas été plus sage d'annoncer le confinement de l'ensemble des départements sensibles en une seule fois, sachant que la répétition de ce genre d'annonce se traduit immédiatement par une baisse de la consommation de volailles et des conséquences sur l'ensemble de la filière ? Une troisième série de mesures sont-elles en préparation ? Quand cela s'arrêtera-t-il ? Toute communication sur ce sujet a des conséquences immédiates sur la consommation.

M. Dominique BUSSEREAU : J'en conviens tout à fait. Nous agissons en fonction des éléments que nous communique l'AFSSA sur les zones à risque et nous adaptons nos décisions en conséquence. C'est pourquoi nous décidons au fur et à mesure. Ce n'est certes pas l'idéal en termes de communication, mais je préfère ne pas confiner tout en même temps, même si les poulets de Loué ne se voient pas appliquer la même règle selon qu'ils sont élevés dans la Sarthe ou dans la Mayenne... Les élus de la Sarthe affirment que le confinement en Mayenne fait peur aux Sarthois, et les élus de la Mayenne me demandent pourquoi le confinement n'est pas obligatoire dans la Sarthe ! Il est vrai que chaque fois que l'on parle et on agit, on crée des répercussions médiatiques. Il reste qu'il est du devoir des pouvoirs publics d'adapter la riposte à l'évaluation de la menace. Nous avons la chance d'avoir une agence d'expertise indépendante qui donne ses avis ; mieux vaut suivre ses préconisations sur les zones à risque, dans la mesure où elle affine en permanence ses cartes, par exemple, la zone à l'est du Rhône en remontant vers la Saône-et-Loire n'était pas prise en compte.

M. Roland CHASSAIN : Ma circonscription de député maire correspond à toute la Camargue. Quels moyens de surveillance a-t-on mis en place sur ce vaste territoire ? Je voudrais aussi dire que l'information doit être faite avec prudence. En effet, nous vivons à 95 % du tourisme. Après les moustiques, les inondations, il ne faudrait pas que demain la grippe aviaire fasse fuir nos visiteurs... Ajoutons, en troisième lieu, que les chasseurs de gibier d'eau m'interpellent tous les jours à propos de leurs appelants. Pourquoi les avoir confinés alors qu'ils vivent toujours dehors et que le gibier, lui, vole où il veut sur notre territoire ?

M. Dominique BUSSEREAU : Sur les moyens de surveillance en Camargue, où nous agissons en collaboration avec l'Institut Pasteur, je transmettrai les éléments précis au secrétariat de la mission. Le confinement des appelants a été décidé par la ministre de l'écologie sur la base d'une décision communautaire interdisant l'utilisation de ces oiseaux dans les zones à risque. Élu d'une région d'estuaire, je sais le peu de bien que pensent les chasseurs de cette décision... Je ne peux que mettre nos vétérinaires à sa disposition pour lui permettre au besoin d'apporter des ajustements techniques.

M. le Président : Nous avons eu quelques problèmes de communication avec les chasseurs, venus nous expliquer qu'ils se sentaient frustrés dans la pratique de leur loisir... Rappelons que ce qui est d'abord en jeu, avant même la santé humaine, c'est l'économie de nos régions agricoles et des centaines de milliers d'emplois. Il serait bon d'apprendre à hiérarchiser les priorités... Le loisir est parfaitement respectable, mais l'activité économique et la santé humaine ne semblaient pas être leurs préoccupations premières. Vous pouvez être assuré du soutien de la représentation nationale, monsieur le Ministre. Il faut maintenir des priorités et des choix de société évidents ; certaines interpellations n'ont pas lieu d'être. On peut certes discuter sur des choix techniques, mais s'agissant des choix politiques, ils ne sont pas discutables.

M. Marc JOULAUD : Chaque annonce d'une extension du confinement est l'occasion d'un nouveau déchaînement médiatique, à tel point que les éleveurs non encore concernés en viennent à souhaiter un confinement général... Au moins n'auront-ils pas à gérer une nouvelle annonce, systématiquement comprise par l'opinion comme une nouvelle aggravation du risque ou une extension géographique du phénomène. Leur raisonnement est le suivant : autant confiner tout de suite, d'autant que les préfets ont une certaine latitude pour organiser la mesure sur le terrain. Pourquoi ne pas aller tout de suite plus loin dans le confinement, ce qui, d'une certaine façon, répondrait aux aspirations de la filière ?

M. le Président : Je ne suis qu'un élu urbain, mais je croyais qu'il existait une représentation syndicale agricole pour discuter de ces choses-là... Si le ministre avait décidé de confiner partout et tout de suite, j'ai idée qu'on lui aurait reproché d'aller un peu trop loin !

M. Marc JOULAUD : La filière de Loué, bien connue, souhaite aujourd'hui le confinement ; on le lui a refusé. Les conséquences se font sentir sur toute la filière agroalimentaire, quoique la volaille transformée soit moins touchée, contrairement à la volaille entière et particulièrement les labels, ce qui montre le caractère irrationnel de tout cela. Dans la région Pays-de-Loire, plusieurs centaines d'emplois dans la transformation et l'abattage sont concernés et le mouvement n'a fait que s'accentuer tout au long de 2005. Consciente de ce que le phénomène ne s'arrêtera pas dans les mois à venir, la filière mettra en place courant 2006 un accompagnement pour réduire de 10 à 15 % le nombre de bâtiments d'élevage, afin de limiter la production. Il va falloir apprendre à vivre avec ce risque, même si la menace d'épizootie en France est très faible. Le ministère de l'agriculture envisage-t-il d'accompagner cette réduction de voilure dans les bâtiments d'élevage, particulièrement du côté des éleveurs les plus âgés ?

M. Dominique BUSSEREAU : Vous avez parfaitement raison de poser cette question, mais c'est à la profession de nous dire ce qu'elle souhaite, et les avis sur le confinement sont pour le moins divergents entre les différents acteurs de la filière. Je suis très sensible au sort du poulet de Loué ; j'ai, comme certains d'entre vous, assisté au rassemblement au Mans de milliers de sociétaires, et la qualité de l'organisation de cette filière est à tous égards remarquable. Cette activité est pratiquée tantôt à plein temps, tantôt à titre de complément de revenu. Il est clair que si la menace perdure, nous devrons prendre des mesures structurelles. Mais annoncer d'ores et déjà une « réduction de voilure » serait psychologiquement du plus mauvais effet car cela laisserait entendre que la menace serait pérenne. Prévoyons des scénarios, discutons-en avec les professionnels, mais attendons le moment venu pour prendre des décisions. N'envisageons pas tout de suite un scénario qui montre que nous sommes alarmistes ad vitam aeternam.

M. Gabriel BIANCHERI : Sans être alarmiste, j'ai toutes raisons de penser, comme ma consœur Mme Gaillard, que le virus est là pour quelques années, et que, par voie de conséquence, le risque d'une pandémie humaine, par mutagénèse ou recombinaison, reste prégnant. Il risque donc d'y avoir une paralysie de la filière avicole et des aléas, trimestre après trimestre. Dans l'hypothèse où l'on aurait quelques années devant nous, la vaccination animale ne pourrait-elle pas être utilisée comme une arme de prévention, à plus forte raison si l'on parvient à mettre au point des vaccins par voie orale, et ne pas réserver cette vaccination aux cas d'urgence ?

M. Dominique BUSSEREAU : Pour l'instant, il n'est prévu de faire appel à la vaccination que si la situation sanitaire venait à déraper et que l'on rentrait dans une situation endémique. Tel n'est pas le cas en France et l'AFSSA ne la recommande donc pas. Nous ne pourrions le faire qu'en cas de menace grave ou si la situation devenait réellement épizootique. Mais si la vaccination a l'avantage de protéger les animaux, elle a l'inconvénient de masquer la diffusion du virus ; ce sont autant de paramètres qu'il faut intégrer dans la réflexion, tout comme la question de savoir s'il faut une ou deux injections. Les Chinois ont, par exemple, engagé une campagne de vaccination massive. Pour l'instant, gardons-la comme arme immédiate en cas de problème ; dans le cadre de la réflexion à terme, je serai très preneur d'un travail en commun avec l'INRA, les services sanitaires et autres partenaires afin de savoir s'il est possible d'envisager un jour une vaccination préventive à l'image de la vaccination humaine. Mais ce que l'on nous dit de l'état actuel de la science, c'est que cela n'est ni souhaitable ni possible.

M. le Rapporteur : La France dispose-t-elle des stocks nécessaires pour vacciner ses volailles au besoin ?

M. Dominique BUSSEREAU : Nous avons acheté plus de vingt millions de doses qui seront disponibles d'ici à la mi-février, dans l'hypothèse d'une vaccination d'urgence. Précisons qu'il en coûterait 30 millions d'euros s'il fallait vacciner 80 millions de volailles pendant six mois... Sans compter l'impact énorme sur les exportations : il faut savoir que la filière rapporte 1,3 milliard d'euros par an ; or, dès l'instant où nous vaccinerions, nous ne pourrions plus exporter. On imagine les conséquences sur le plan économique !

M. François GUILLAUME : Le confinement ne s'adresse pas de la même façon à tous les élevages : si les canards et assimilés doivent impérativement sortir dehors pendant une période de leur existence, il existe de nombreux élevages de poulets de chair ou de poules pondeuses où les animaux restent enfermés toute leur vie. Dès lors, la vaccination pourrait être envisagée comme une obligation pour les oiseaux allant pâturer ; par contre, elle ne serait pas nécessaire pour les animaux qui ne sortent jamais. Les stocks, la dépense et la charge en seraient réduits d'autant - surtout que, tant que nous n'aurons pas de vaccin buvable, l'opération sur des bandes de milliers de volailles reste des plus sportives, et souvent délicate.

M. Dominique BUSSEREAU : Nous sommes bien d'accord. Si l'on venait à trouver en France des oiseaux migrateurs infestés ou si des foyers apparaissaient dans des pays limitrophes, nous avons prévu de ne vacciner que les volailles qui ne pourraient être confinées, en commençant par les canards - 20 millions d'animaux - et en poursuivant avec les volailles pour un total estimé à 80 millions. Notre premier stock de 20 millions de doses pourra être complété à tout moment.

M. le Président : Les œufs ont-ils été touchés par la baisse des ventes ?

M. Dominique BUSSEREAU : Un peu, mais rien de significatif - ce qui montre bien à quel point tout cela est lié à des facteurs d'ordre psychologique. Il en est à peu près de même dans les autres pays européens.

M. Gérard CHARASSE : J'ai cru entendre parler d'un exercice en Auvergne...

M. Dominique BUSSEREAU : En effet. Je vous communiquerai la date lorsque je viendrai vous voir, dans huit jours.

M. Gérard CHARASSE : Notre filière avicole est particulièrement importante.

M. le Président : Monsieur le ministre, nous vous remercions.

Audition de M. Emmanuel CAMUS, Directeur du département d'élevage et de médecine vétérinaire du CIRAD, accompagné de M. Renaud LANCELOT, directeur adjoint

(Compte rendu de la réunion du mercredi 1er février 2006)

Présidence de M. Jean-Marie LE GUEN, Président

M. le Président : Messieurs, notre mission d'information a un rôle tout à la fois de contrôle de l'action gouvernementale et d'information de nos concitoyens. La complexité du sujet nous a conduits à travailler en plusieurs temps. Nous nous sommes d'abord penchés sur la préparation des moyens médicaux face au risque de pandémie grippale : un premier rapport, consacré à cette question, a été rendu public il y a quelques jours.

Le deuxième volet de nos investigations vous concerne très directement, puisqu'il porte sur l'épizootie de grippe aviaire, qui appelle un combat aussi bien national qu'international. Le rapporteur, Jean-Pierre Door, et moi-même avons pu assister, à Pékin, les 17 et 18 janvier derniers, à un début de mobilisation, même si certaines lacunes demeurent dans le dispositif international.

Le troisième temps de notre réflexion sera consacré à l'examen plus précis des éléments opérationnels du plan gouvernemental de préparation à la pandémie. Votre audition s'inscrit davantage dans le champ de notre deuxième rapport, mais sans doute avez-vous des choses à dire sur la santé humaine. Peut-être pourriez-vous commencer par décrire votre organisme et son rôle.

M. Emmanuel CAMUS : Le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement, le CIRAD, est un établissement public à caractère industriel et commercial, qui tire donc, en raison de son statut, un peu plus du tiers de ses ressources à l'extérieur. C'est, à ma connaissance, le plus gros organisme de recherche agronomique dans le domaine du « tropical » sur le plan mondial. Le CIRAD a trois missions : recherche, formation et appui au développement. Son directeur général devrait être nommé aujourd'hui même en conseil des ministres. Il compte sept départements, dont celui d'élevage et de médecine vétérinaire, que je dirige, consacré à la santé animale, à la production animale et à la gestion de la faune. Ces trois volets se retrouveront dans nos interventions sur la grippe aviaire.

Depuis cinq ans environ, nous avons développé des activités sur les maladies émergentes et, particulièrement, celles qui, certes, touchent avant tout les pays du Sud, mais menacent également le Nord. Nombre d'entre elles sont des zoonoses, c'est-à-dire qu'elles affectent tout à la fois l'homme et l'animal. Nous travaillons par exemple sur la blue tongue, maladie uniquement animale, présente en Corse et qui menace le littoral méditerranéen, sur la fièvre du Nil occidental, zoonose qui a circulé en Camargue, et sur d'autres maladies plus spécifiquement tropicales. Je signale qu'une quinzaine de vétérinaires, fonctionnaires du ministère de l'agriculture, opèrent dans mon département, ce qui permet de conjuguer la sensibilité tropicale, propre à leur mission, et le souci de protection du territoire français. Nous fournissons par ailleurs au ministère de l'agriculture une expertise sur les maladies tropicales, dans le cadre d'une convention avec la Direction générale de l'alimentation. Nous sommes également laboratoire de référence OIE et FAO pour une demi-douzaine de maladies tropicales. Nous coordonnons enfin un très gros projet intégré, EDEN - Emerging Deseases in a Changing European Environment -, qui rassemble une cinquantaine de partenaires européens et africains et vingt-quatre pays sur plusieurs maladies - Nil occidental, fièvre du Rift, malaria, etc. Nous sommes dont très impliqués dans les maladies émergentes.

M. le Président : Quel est l'objectif d'EDEN ? La connaissance, la recherche-développement, la lutte, l'alerte ?

M. Emmanuel CAMUS : Tout ce que vous venez de dire : recherche, pour mieux connaître les cycles épidémiologiques, modélisations, afin de prévoir les risques et anticiper l'apparition de ces maladies sur le territoire européen, voire les contrôler. Nos préoccupations sur la grippe y seront peut-être bientôt intégrées.

Pourquoi intervenons-nous sur la grippe aviaire ? Compte tenu de nos effectifs relativement limités, intervenir sur une nouvelle maladie est toujours une décision difficile, que nous prenons au vu de certains critères.

Premièrement, l'impact économique. La grippe aviaire est incontestablement une maladie aux conséquences dévastatrices sur les petits élevages des pays asiatiques. Deuxièmement, l'avancée des recherches. La grippe aviaire est, à l'évidence, une maladie extrêmement complexe dont on connaît peu de choses : pratiquement tout reste à faire en matière de connaissance de son épidémiologie. Troisièmement, la grippe aviaire est ce que l'on appelle trivialement une « maladie solvable » : nous savons que nous obtiendrons des financements afin de poursuivre des actions de formation, de recherche et d'appui au développement.

Aussi avons-nous décidé, à la suite de cette analyse, de nous investir sur la grippe aviaire, avec l'objectif clair d'intervenir dans le Sud et dans le domaine de la santé animale. Les compétences en matière de santé humaine ne sont pas les nôtres, même si nous sommes à la frontière entre l'humain et l'animal. Et si, indirectement, le but est de protéger le territoire français, notre premier objectif est de connaître et de contrôler cette maladie dans les pays du Sud, particulièrement en Asie.

Nous avons, pour cela, développé de nombreux partenariats, avec des organismes français - AFSSA, INRA, IRD, Institut Pasteur, Office national de la chasse et de la faune sauvage, en Europe avec le Royal Veterinary College de Londres, les laboratoires de Venise et de Pirbright, avec le laboratoire sud-africain d'Onderstepoort, l'école vétérinaire de Dakar et un organisme de recherche au Vietnam. Sur le plan international, nous travaillons en étroite relation avec l'OIE et la FAO, ainsi qu'avec une ONG, « Agronomes et Vétérinaires sans frontières ».

Dès l'apparition de l'épizootie au Vietnam, nous avons été sollicités pour nos compétences en épidémiologie. Nous sommes ainsi intervenus au Vietnam, au Cambodge, en Chine, pour donner des conseils sur les réseaux de surveillance à mettre en place, organiser des ateliers de formation et aider à la réflexion sur la reconstruction des filières, par exemple celle de l'élevage de canards, de très nombreux petits éleveurs de canards se retrouvant aujourd'hui sans ressources. Il faut imaginer la reconstitution de ces filières en fonction des données acquises sur la maladie, afin que les nouveaux élevages puissent mieux s'en protéger lorsque, inévitablement, elle réapparaîtra.

À l'été 2005, nous avons été appelés par la FAO pour lui apporter un appui sur la coordination de cinq programmes de coopération technique en Afrique de l'Ouest, en Afrique de l'Est, en Afrique centrale, au Moyen-Orient et en Europe de l'Est. L'objectif était double : d'une part, organiser des formations en épidémiologie ; d'autre part, surveiller les oiseaux migrateurs afin de vérifier si des oiseaux en provenance d'Europe de l'Est, où des foyers avaient été signalés, et arrivés sur certaines zones africaines entre décembre et fin février, étaient porteurs du virus H5N1 hautement pathogène et susceptible d'être transmis à des migrateurs remontant vers l'Europe ainsi qu'à l'avifaune sauvage et domestique africaine. Nous sommes ainsi intervenus il y a quinze jours au Mali et en Éthiopie, en association avec l'ONG Wetland International, l'Office national de la chasse, le Royal Veterinary College et plusieurs partenaires africains. Nous avons collecté à ce jour environ 800 prélèvements cloacaux, conditionnés sous froid, sur glace sèche ou dans l'azote liquide, et expédiés à Padoue. Ils devraient être actuellement en train de transiter à l'aéroport de Milan.

M. le Rapporteur : Quand ont été faits ces 800 prélèvements ?

M. Emmanuel CAMUS : Ces quinze derniers jours ; 700 au Mali, dans la boucle du Niger, et un peu plus de 100 en Éthiopie. Nous connaîtrons les résultats fin février. Il faut compter un bon mois : le laboratoire de référence de Padoue est totalement débordé.

M. le Président : Par quoi ?

M. Emmanuel CAMUS : Par toutes sortes de prélèvements qui lui arrivent du monde entier : c'est un des cinq laboratoires de référence... Sitôt qu'une suspicion est détectée en Turquie, par exemple, une série de prélèvements sont analysés sur place, mais ils doivent obligatoirement être apportés à un laboratoire de référence pour confirmation. On imagine la quantité de prélèvements qui arrivent chaque jour à Padoue, Weybridge et ailleurs.

M. le Président : Ne pourrait-on pas, dans cette période de crise, créer de nouveaux laboratoires de référence ? J'ai cru comprendre que la France n'en avait pas.

M. Emmanuel CAMUS : Il y a plusieurs niveaux de référence. En cas de foyer en Turquie, les Turcs s'adressent à un laboratoire de référence international ; la France a un laboratoire de référence national, celui de l'AFSSA à Ploufragan.

M. le Président : Ne peut-on proposer que Ploufragan devienne laboratoire de référence international ? Il a très certainement le niveau scientifique requis.

M. Emmanuel CAMUS : Certainement, mais il est tout aussi débordé... Nous l'avons contacté, voilà un mois de demi, pour faire face aux demandes de très nombreux pays africains qui commençaient à s'affoler et réclamaient un appui, des formations, etc. ; Ploufragan nous a répondu qu'il était tellement débordé qu'il ne pourrait pas nous aider avant début mars.

M. Gérard DUBRAC : Les prélèvements ont-ils été faits sur des animaux vivants ou morts ?

M. Emmanuel CAMUS : En majorité sur des animaux morts, chassés.

M. le Président : Chassés ou tombés ?

M. Emmanuel CAMUS : Chassés. Nous avions très peu de temps pour intervenir : appelés par la FAO fin décembre, il nous a fallu mobiliser une très grosse logistique. Les experts sont partis le 15 janvier, alors que les oiseaux devaient repartir fin février. Il nous reste encore à intervenir sur le lac Tchad - l'expert a dû partir cette nuit - et au Maroc. Nous n'avons pas le temps d'organiser un système de capture.

M. le Président : C'est logique.

M. Gérard DUBRAC : Mais a-t-on constaté une augmentation de mortalité dans ces zones ?

M. le Président : L'alerte mondiale a été lancée par l'OIE et l'OMS depuis plusieurs mois, sinon un an, et les nations se sont plus particulièrement mobilisées depuis la fin août. Comment se fait-il que la FAO ait attendu le 15 décembre pour vous missionner ?

M. Emmanuel CAMUS : La FAO est une très grosse machine. Elle a malgré tout réagi très rapidement en mobilisant ses fonds propres pour cette opération. Au demeurant, nous ne pouvions pas intervenir avant que les oiseaux migrateurs ne soient arrivés, autrement dit début décembre. Nous n'avons perdu qu'un mois. La machine administrative aura été tout à la fois rapide et lente...

M. le Président : Rapide par rapport à l'habitude, et lente par rapport aux besoins.

M. Emmanuel CAMUS : Rapide pour une organisation mondiale et lente en termes d'urgence.

Nous n'avons pas, à ma connaissance, constaté de mortalité particulière d'oiseaux sauvages.

M. Renaud LANCELOT : Nous n'avons pas constaté de mortalité anormale, rien qui laisse supposer une circulation du virus. Nous saurons exactement ce qu'il en est lorsque nous aurons les résultats des prélèvements, d'ici à un mois et demi. Cela dit, si les services vétérinaires des pays du Sud n'ont que peu de moyens, ils ne restent pas pour autant inactifs. Vous avez pu observer que plusieurs cas suspects avaient été repérés au Sénégal, en Éthiopie et en Afrique australe, mais tous les résultats ont été négatifs jusqu'à présent. Le dispositif est certes insuffisant, mais nous ne partons pas de zéro.

M. Emmanuel CAMUS : J'insiste sur la lourdeur de la logistique à mettre en place. Il faut rapidement mobiliser des experts - habituellement des binômes vétérinaire-ornithologiste -, informer les autorités locales et obtenir leur accord, accéder à des lieux parfois très éloignés des centres habités, conditionner les prélèvements, les expédier et faire en sorte que les compagnies aériennes acceptent de les transporter, en espérant que le transitaire fasse son travail - ce qui n'a pas été le cas en Italie où les prélèvements se sont retrouvés bloqués à la douane de Milan...

Après cette campagne d'hivernage, nous poursuivrons la surveillance durant toute la saison d'été, notamment pour observer les mouvements d'oiseaux au sein de l'Afrique - beaucoup moins bien connus que les trajets migratoires entre l'Europe, l'Asie et l'Afrique - par capture et installation de balises Argos. Nous devrions ainsi mieux connaître la dynamique de ces populations, élément fondamental si l'on veut comprendre la dynamique de la maladie.

Par ailleurs, nous avons très rapidement mis en place une cellule de communication - vous savez mieux que moi combien cet aspect est sensible - afin de bien montrer que notre intervention dans les pays du Sud concernait essentiellement l'animal, que nous n'étions pas compétents pour répondre à des questions sur les maladies humaines, et d'expliquer le but de notre dispositif.

M. le Président : À qui ? Aux gens du Nord ou aux gens du Sud ?

M. Emmanuel CAMUS : Aux deux.

J'en viens à la recherche. La grippe est une maladie extrêmement complexe et beaucoup d'éléments nous restent inconnus : les interactions entre la faune sauvage et la faune domestique, celles entre l'avifaune et le porc - vraisemblablement le maillon faible, favorable à un réassortiment du virus adapté à l'homme - l'influence du mode d'élevage... J'ai été très frappé au Vietnam, l'été dernier, en voyant à quel point l'élevage de plein air, avec transhumance, était important pour des millions de gens et profondément enraciné dans la culture du pays. Avant de chercher à modifier ces habitudes, il faudra commencer par les comprendre pour, ensuite, proposer des solutions de remplacement. Tous ces aspects doivent être pris en compte dans les travaux de recherche, que nous conduirons pour l'essentiel au Vietnam et au Cambodge, là où le virus circule et où, pensons-nous, se situe le foyer d'origine de la maladie. Mais il faudra vraisemblablement intervenir aussi en Afrique et à Madagascar où certains écosystèmes sont très proches de ce que l'on observe en Asie.

Tout cela représente pour nous un lourd investissement à long terme. Nous serons très rapidement à court de moyens humaines et financiers, alors que nous intervenons simultanément sur trois fronts : l'appui au développement, la formation - les besoins sont énormes : formation des services vétérinaires, mise en place de réseaux d'épidémiosurveillance et d'analyse de risque - et la recherche.

La France peut jouer un rôle pilote dans le domaine de la grippe aviaire dans les pays du Sud. Nous ne manquons pas d'atouts : le CIRAD, unique en son genre par sa taille, sa présence dans de nombreux pays, ses partenariats ; l'IRD, l'AFSSA, l'INRA, l'Institut Pasteur et d'autres organismes, qui interviennent dans ces zones ; nous avons également la chance d'avoir plusieurs vétérinaires français à des postes clés dans des organismes internationaux : le directeur général de l'OIE, Bernard Vallat, le responsable des services vétérinaires de la FAO, Joseph Domenech, les responsables de la grippe aviaire à la Banque mondiale, à la Commission européenne, etc., soit tout un réseau de vétérinaires français qui se connaissent bien, sont en relation de manière formelle ou informelle et qui peuvent aider pour des interventions de la France.

Notre pays s'est engagé à fournir des moyens financiers et des postes, mais ceux-ci ont, dans un premier temps, été destinés essentiellement aux organisations internationales. Le souci d'efficacité et de lisibilité commande qu'une partie de ces moyens soit directement fléchée sur des organismes français - dont, naturellement, le CIRAD.

M. le Rapporteur : Le CIRAD bénéficie-t-il de financements autres que français, européens, par exemple ?

M. Emmanuel CAMUS : Les financements du CIRAD proviennent, pour les deux tiers, essentiellement du ministère de la recherche, et le tiers restant en grande partie de l'Europe, mais également du ministère des affaires étrangères, un peu de l'AFD et le reste d'appels d'offres internationaux. Pour ce qui concerne le département élevage, le ratio est encore plus défavorable : 50 % de nos ressources propres doivent être cherchées à l'extérieur, en grande majorité auprès des fonds européens, mais également auprès de fondations privées du type Wellcome Trust.

M. le Président : Vous procurez-vous des ressources par le biais des brevets ?

M. Emmanuel CAMUS : Oui, mais relativement limitées. Nous venons de breveter des protéines vaccinales, mais il peut s'écouler cinq à dix ans avant d'en faire un vaccin diffusé et rentabilisé. Nous avons également mis au point des kits de diagnostic, fabriqués sous licence par des organismes privés.

M. le Rapporteur : Comment expliquez-vous la durée de cette épizootie qui remonte déjà à plusieurs années ?

M. Emmanuel CAMUS : Et ce n'est pas fini...

M. le Rapporteur : Quelle est, à votre avis, la probabilité de la voir s'étendre en Afrique et venir sur notre territoire ? Vous êtes aux premières loges en Afrique.

M. Emmanuel CAMUS : On s'est aperçu que les modes d'élevage en Asie avaient très fortement évolué ces dernières années : le cheptel de volailles, notamment de canards, a pratiquement doublé en cinq ans, notamment au Vietnam.

M. le Rapporteur : C'est très important...

M. le Président : Cette évolution est-elle spontanée ou résulte-t-elle d'une politique d'État ou encore des organismes internationaux ? Comment ce développement s'est-il mis en place ?

M. Emmanuel CAMUS : C'est vraisemblablement dû à plusieurs facteurs : une forte croissance des populations, une aspiration à un certain mieux-être, à une alimentation meilleure, plus carnée, l'opportunité de dégager des revenus plus importants, une perspective de développement qui ne pouvait qu'appeler le soutien des organismes internationaux. Et je ne peux pas imaginer que les autorités politiques de ces pays n'aient pas appuyé ce mouvement, au demeurant parfaitement logique et légitime.

M. le Président : Y a-t-il de la littérature à ce sujet ?

M. Emmanuel CAMUS : On doit pouvoir en trouver, tout au moins sur le Vietnam, plus difficilement sur le Cambodge. La Chine reste une « boîte noire », si je peux dire, même si elle a fait des efforts de communication et de transparence ces derniers temps. Nous devrions avoir plus de difficultés à obtenir les chiffres et surtout à connaître la situation en 1999 - à supposer que les Chinois la connaissent eux-mêmes.

M. Jean-Claude FLORY : Je suppose que, du fait notamment d'une forte urbanisation, les élevages familiaux disséminés un peu partout cèdent la place à des structures beaucoup plus denses et donc plus faciles à comptabiliser. N'était-il pas moins aisé de compter les volailles il y a cinq ans ?

M. Emmanuel CAMUS : Certainement. L'intensification a également joué un rôle, dans la mesure où le virus a beaucoup plus de possibilités de circulation et de réassortiment que dans un élevage plus extensif.

M. le Président : Nous avons entendu plutôt le contraire : les élevages industriels sont beaucoup plus faciles à protéger et à surveiller, nous a-t-on dit. On est allé jusqu'à nous expliquer qu'en Thaïlande, la seule politique d'avenir consiste à regrouper les élevages dans des structures industrielles...

M. le Rapporteur : Et de supprimer les petits élevages.

M. le Président : Or, cette politique serait à vos yeux un facteur de risque. Ce n'est pas nécessairement contradictoire, mais cette question mérite explications...

M. Emmanuel CAMUS : En effet, ce n'est pas totalement contradictoire. Un milieu très confiné et très concentré favorise la circulation du virus une fois qu'il est introduit ; reste qu'il est plus facile de surveiller ces élevages intensifs, d'y appliquer des mesures de biosécurité, de les vacciner et de les contrôler en cas d'épizootie.

M. Roland CHASSAIN : Quel est le budget du CIRAD ?

M. Emmanuel CAMUS : 176 millions d'euros.

M. Roland CHASSAIN : Les migrations de retour suivent deux couloirs : Espagne et Camargue. Allez-vous placer des sentinelles le long de ces trajets ? Les zones de rassemblement en Camargue, avec notamment l'étang de Vaccarès, sont importantes. Comment comptez-vous travailler ?

M. le Président : Sur le territoire national, cela ne dépend plus du CIRAD, mais du ministère de l'agriculture et des DDSV.

M. Emmanuel CAMUS : Exactement, et également de l'Office national de la chasse, à la Tour-du-Valat, qui continue, pendant tout l'hiver, à piéger les oiseaux et à effectuer des prélèvements. Sur tous ces sites sensibles, la surveillance est permanente.

M. Roland CHASSAIN : La grosse période se situera en mars-avril, lorsque les échassiers remonteront.

M. Emmanuel CAMUS : Tout à fait. Mais notre rôle s'arrête au sud de la Méditerranée, et, pour le reste, se limite à intervenir à titre de conseil ou d'avis auprès du ministère de l'agriculture.

M. le Président : Quelles sommes sont mobilisées dans le cadre d'EDEN ?

M. Emmanuel CAMUS : EDEN mobilise 23 millions d'euros, dont 11,5 fournis par la Commission européenne.

M. le Président : Et le reste par les pays. Autrement dit, vous êtes contributeur...

M. Emmanuel CAMUS : Essentiellement sous forme de salaires-chercheurs, temps-chercheurs, installations, etc.

M. le Président : Vous manquerez bientôt de moyens financiers et humains, avez-vous dit. Sentez-vous monter une crise du recrutement de personnels qualifiés ?

M. Emmanuel CAMUS : L'opération que nous menons en Afrique, Europe de l'Est et Moyen-Orient est financée par la FAO à hauteur de 831 000 dollars.

M. le Président : Laquelle FAO devrait être refinancée par la conférence de Pékin.

M. Emmanuel CAMUS : Tout à fait. C'est dans le cadre de cette intervention que nous avons pu recruter un vétérinaire en CDD ainsi qu'un post-doc en épidémiologie moléculaire. Nous avons également fait le pari de recruter en CDI un écologue de la santé : la grippe aviaire étant une affaire appelée à durer, il faut dès à présent investir en moyens humains sur ce thème.

Parallèlement à ces opérations coups-de-poing - surveillance de l'avifaune, formation accélérée, transfert de techniques de laboratoire -, nous devons développer les recherches à beaucoup plus long terme, ce qui suppose de répondre à des appels d'offres en provenance de l'ANR, de la Commission, de Wellcome Trust, etc. Or nous n'avons ni le temps de monter des dossiers aussi importants, ni les gestionnaires et les scientifiques capables de gérer et de réaliser de tels projets. Nous fonctionnons déjà à 120 ou 130 % de nos capacités ; nous n'avons abandonné aucune des thématiques de maladies tropicales sur lesquelles nous travaillons depuis longtemps, toutes extrêmement importantes : peste bovine, péri-pneumonie, blue tongue, autant de programmes qu'il est impossible d'arrêter pour mobiliser tous nos moyens sur la grippe aviaire. Jusqu'à présent, nous avons puisé sur nos propres forces, avec des personnels travaillant samedis et dimanches. La poursuite de cet effort exige impérativement des moyens financiers et humains supplémentaires. Pour l'instant, une douzaine de personnes travaillent sur la grippe aviaire, entre 10 % et 100 % de leur temps, soit quatre ou cinq équivalents temps plein.

M. le Rapporteur : Avez-vous lancé un appel à l'aide ?

M. Emmanuel CAMUS : Oui, à notre direction générale, ce qui nous a permis de bénéficier d'un recrutement, ainsi qu'en direction du ministère des affaires étrangères lorsque nous avons appris que la France prenait un engagement financier de l'ordre de 10 millions d'euros sur la grippe aviaire, en demandant qu'une partie de ces fonds soit dirigée vers le CIRAD. Ce à quoi on nous a répondu que ces crédits devaient être mis à disposition des organismes internationaux.

M. le Président : Cela vaut pour les 10 millions d'euros, mais pas pour les 26 millions d'euros promis au total. Autrement dit, il en reste 16...

M. Emmanuel CAMUS : Pouvons-nous espérer bénéficier d'une partie de ce delta ?

M. le Président : Nous avons été généreux lors du vote du PLFSS pour 2006... Nous avons mis de l'argent sur la table ; or vous n'avez rien vu arriver pour l'instant, c'est cela ?

M. Emmanuel CAMUS : Pas grand-chose, si ce n'est indirectement lorsque la FAO a reçu 750 000 euros par le biais de la représentation française à Rome. Reste que c'est à la FAO qu'est allé cet argent ; nous espérons qu'une partie reviendra au CIRAD, mais tout dépend de la bonne volonté du gestionnaire du fonds en question.

M. le Président : Y a-t-il eu des appels d'offres supplémentaires de l'ANR ?

M. Emmanuel CAMUS : Nous avons beaucoup milité depuis six mois en faveur d'un appel d'offres spécifique ANR sur les maladies émergentes ; on nous a répondu que des programmes de recherche existaient déjà dans le domaine des maladies infectieuses ou celui de la santé - environnement et que cela était suffisant. C'est dommage : un appel d'offres spécifiquement dédié aux maladies émergentes permettrait de développer plus rapidement des recherches sur ces sujets.

M. le Président : Nous avons souligné dans notre premier rapport le fait qu'il n'y ait pas dans l'ANR de chapitre dédié aux maladies émergentes. Nous le confirmerons et nous interrogerons le directeur de l'agence sur ce point.

M. Emmanuel CAMUS : Vous m'avez interrogé sur la probabilité de voir la grippe aviaire arriver en Afrique. Nous n'en sommes encore qu'à la phase de l'analyse du risque : les premiers résultats, qui seront connus à la fin du mois, nous donneront une première indication en nous disant si, oui ou non, le virus a été détecté en Afrique. Si c'est non, il faudra attendre les résultats sur d'autres sites - Maroc, lac Tchad - et ceux de la prochaine campagne, l'hiver 2006-2007 prochain. La probabilité n'est pas nulle : on sait que les oiseaux migrateurs ont été au contact de foyers d'infection en Europe de l'Est et qu'ils sont susceptibles de transporter le virus H5N1 hautement pathogène sur de longues distances. Mais pour l'instant, je ne peux répondre à cette question, et pas davantage sur le risque lié au retour des oiseaux migrateurs sur l'Europe.

M. le Président : Et sur la longévité du virus et la sévérité de l'épizootie ?

M. Renaud LANCELOT : Non seulement il y a eu cet énorme accroissement de la densité des volailles en Asie du Sud-Est, mais les services vétérinaires ne se sont pas mobilisés à la hauteur de la menace. Le virus a été détecté pour la première fois en 1997 à Hong-Kong : l'affaire avait fait quelque bruit puisqu'il y avait eu des cas de mortalité humaine. Mais, par la suite, le virus est devenu une sorte de sous-marin : on le soupçonne d'avoir tourné pendant longtemps en Chine, avant de réapparaître en 2003. Pendant toute cette période, il a eu largement le temps de s'adapter étroitement à l'animal et de devenir encore plus dangereux pour les volailles.

M. le Président : Cet élément est extrêmement important, et même décisif, au regard des conséquences à en tirer en matière de veille virologique et de ce que l'on a appelé l'ingérence sanitaire. Si ce virus n'avait pas tourné en sous-marin pendant toutes ces années, il ne serait pas aussi armé et difficile à combattre aujourd'hui.

M. Renaud LANCELOT : Il est même réapparu à Hong-Kong ces derniers jours.

Non seulement le virus s'est encore mieux adapté aux volailles, mais le développement de l'aviculture en Asie du Sud-Est, pour une bonne part, a surtout concerné l'élevage intensif, qui utilise des animaux au type génétique très homogène et peu variable. Il y a tout lieu de craindre que le virus se soit particulièrement bien adapté au type génétique de ces volailles domestiques, ce qui explique qu'il ait provoqué dans ces pays de véritables catastrophes économiques, d'autant plus graves que des pays, comme le Vietnam, ont délibérément souhaité développer de nouvelles filières d'élevage intensif, en les concentrant dans des bassins de production à l'écart des villes. D'où la nécessité de réfléchir à la reconstruction des filières en analysant les risques liés à cette évolution.

Du fait de cette masse de virus circulant en Asie du Sud-Est, la question était de savoir s'il allait pouvoir diffuser dans d'autres parties du monde. Jusqu'à l'été dernier, un certain nombre de personnes soutenaient que la faune sauvage était beaucoup plus victime que vecteur du virus ; beaucoup le pensent encore, le virus H5N1 hautement pathogène n'ayant encore jamais pu être isolé sur un oiseau sauvage vivant, mais seulement sur des animaux morts - ce dont on déduisait qu'ils s'étaient contaminés au contact d'oiseaux domestiques.

M. Roland CHASSAIN : On a retrouvé du H5N1 sur des oiseaux sauvages vivants en Camargue...

M. Renaud LANCELOT : Oui, mais pas la forme H5N1 hautement pathogène. La grippe aviaire est une maladie très compliquée. De nombreux virus circulent et, chaque année, on en isole de nouveaux, y compris en France, à tel point qu'une directive européenne oblige, depuis décembre, les services vétérinaires à déclarer toute identification d'un virus d'influenza aviaire.

L'examen de la carte des contaminations et des nouveaux foyers apparus cet été réduit peu à peu à néant cet argument : le doute est de moins en moins permis sur le rôle de la faune sauvage dans la diffusion du virus, même s'il n'est pas encore prouvé pour le moment. Toutefois, un article scientifique a rapporté que de jeunes colverts auxquels on avait inoculé le virus pouvaient survivre tout en portant le virus - en conditions expérimentales, il est vrai.

M. Roland CHASSAIN : Le canard colvert est un oiseau sauvage, mais il existe beaucoup de spécimens industriels désormais...

M. Renaud LANCELOT : Tout à fait, et c'est bien pour cela que le doute est encore permis.

Mme Geneviève GAILLARD : À vous entendre, il pourrait y avoir eu en Asie du Sud-Est une co-évolution entre un virus de la grippe aviaire et des variétés de canards ou de volailles particulières, d'où des conséquences catastrophiques. Cette vision des choses pourrait inciter à l'optimisme, dans la mesure où l'épizootie devrait finalement se cantonner aux pays dans lesquels vivent les variétés en question : la circulation du virus serait dans ce cas essentiellement liée aux transports d'animaux et aux échanges commerciaux. Mais dans le même temps, il n'y a plus de doute, à votre avis, sur le fait que la faune sauvage joue un rôle dans cette affaire... Je suis beaucoup plus réservée que vous sur cette hypothèse : personne n'a encore trouvé de virus H5N1 hautement pathogène dans la faune sauvage. Depuis trois ans que sévit l'influenza aviaire, on n'a jamais trouvé de foyer déclaré en Afrique, là où vit la faune sauvage ; on en a trouvé en Europe, mais avec des virus différents. Avez-vous déjà pu dresser un état des lieux contenant des éléments susceptibles de nous éclairer, ou tout cela reste-t-il à vérifier ?

M. le Rapporteur : Et pour les animaux à quatre pattes ? Peut-il y avoir un risque avec le porc, en particulier dans le cas d'élevages avicoles et porcins très rapprochés ? Y a-t-il une surveillance ?

M. Emmanuel CAMUS : Le porc pose beaucoup d'interrogations. C'est un des premiers objets des recherches que nous souhaitons développer au Vietnam. La très grande proximité entre la faune sauvage, les oiseaux domestiques, les porcs et l'homme est de nature à favoriser une évolution très rapide du virus.

M. le Président : Les cochons font-ils aujourd'hui l'objet d'une surveillance et de prélèvements ?

M. Renaud LANCELOT : Tout à fait, en particulier au Vietnam. De très nombreux prélèvements ont été opérés, pour l'instant toujours négatifs, à tel point que nous avons été conduits à relativiser l'importance que nous donnions au rôle du porc.

M. Emmanuel CAMUS : Pour ce qui est du rôle de la faune sauvage, nous n'affirmons rien ; nous disons seulement que c'est une hypothèse forte, alors que celui des transports d'animaux est une évidence. Il faut y regarder de plus près ; c'est tout l'objet de notre intervention en Afrique.

Mme Geneviève GAILLARD : On se focalise beaucoup sur la faune sauvage, et c'est normal ; mais au vu des résultats, tout porte à croire qu'il y a d'autres modes de contamination impliquant directement l'homme, mais dont on ne parle pas. Sans doute est-ce tabou... Tandis que la faune sauvage serait responsable de tous les maux du monde !

M. le Président : La discussion reste ouverte sur le plan scientifique. L'idée d'un rôle de la faune sauvage est relativement nouvelle, la théorie officielle depuis des années restant celle du commerce humain. Or, apparemment, celui-ci n'explique pas tout. Le problème n'est pas de prouver la « culpabilité », si je peux employer ce mot, de l'homme ni des oiseaux, mais de trouver une explication scientifique. Je dois dire, tout de même, que l'idée d'une « culpabilité » des oiseaux ne me semble guère porteuse d'avenir philosophique...

Messieurs, nous avons pu apprécier la qualité du travail que vous conduisez, mais également l'immensité des questions ouvertes et la difficulté à mobiliser les moyens qui s'imposent. À ce propos, disposons-nous d'effectifs suffisants de vétérinaires, ornithologues, chercheurs, dans la perspective d'éventuels recrutements ?

M. Emmanuel CAMUS : Très certainement. Qu'il s'agisse de vétérinaires, de virologistes, d'épidémiologistes, d'écologues, d'ornithologues, nous pouvons compter sur un réservoir suffisant.

M. le Président : Messieurs, nous vous remercions.

Audition de Mme Pascale BRIAND, Directrice générale de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA)

(Compte rendu de la réunion du mercredi 1er février 2006)

Présidence de M. Jean-Marie LE GUEN, Président

M. le Président : Nous vous remercions, Madame, d'être venue devant cette mission d'information dont la fonction est tout à la fois de contrôler l'action gouvernementale et d'informer nos concitoyens. Nous nous sommes intéressés, dans un premier temps, à la mobilisation des moyens médicaux nécessaires à la lutte contre une éventuelle pandémie ; nous avons ensuite travaillé à un deuxième rapport - il est en cours d'élaboration - plus particulièrement consacré à l'épizootie aviaire dans ses aspects nationaux et internationaux ; dans un troisième temps, nous aborderons la question des dispositifs opérationnels du plan de lutte contre la pandémie. Nous vous avons invitée dans le cadre de notre réflexion sur l'épizootie actuelle et son évolution.

Mme Pascale BRIAND : Sachant que vous avez déjà entendu M. Philippe Vannier, directeur de la santé animale à l'AFSSA, sur certains aspects techniques, je m'attacherai à vous décrire brièvement la place de l'AFSSA dans le dispositif de lutte contre la grippe aviaire, en rappelant ses différents niveaux d'intervention dans le cadre de son champ de compétence, circonscrit à l'évaluation du risque.

L'Agence ayant une mission de recherche, d'appui scientifique et d'expertise, elle est donc toute entière mobilisée sur la problématique de la grippe aviaire. Je mentionnerai aussi le rôle de l'agence nationale du médicament vétérinaire. L'aspect « information » de notre action n'a pas été oublié : une page spécifique de notre site est consacrée à la grippe aviaire ; on y trouve, évidemment, nos avis, mais également une série de liens intéressants.

Notre mobilisation en matière de recherche ne remonte pas à août dernier. L'Agence s'était, depuis longtemps déjà, engagée dans des travaux de recherche, avec notre laboratoire de référence situé à Ploufragan, où sont réunis des moyens tant de recherche que d'appui scientifique et technique. Ces travaux se sont notamment orientés sur les questions liées à la vaccinologie et, en liaison avec l'Institut Pasteur, au franchissement de la barrière entre les espèces. Ils se sont naturellement inscrits dans un continuum appui scientifique et technique/recherche/expertise, comme nous le faisons dans la plupart de nos recherches, Nous pouvons travailler sur l'ensemble des prélèvements parvenant au laboratoire de référence en cas de suspicion : on comprend tout l'intérêt de l'épidémio-surveillance et de l'analyse de ces prélèvements pour ce qui touche à la gestion du risque et à la recherche sur ce sujet.

Pour ce qui est de notre mission d'expertise, nous avons fait l'objet de plusieurs saisines depuis août dernier, et nous nous sommes également auto-saisis de questions touchant à la grippe aviaire ; mais bien avant, dans le prolongement des événements survenus à Hong-Kong en 1999, l'Agence s'était déjà auto-saisie de cette affaire et avait produit un rapport, publié en 2002 sous le titre : Le risque de transmission à l'homme des virus influenza aviaire, qui faisait le point sur une série de questions - risques de transmission du virus à l'homme, populations humaines à risques, incidences possibles de la vaccination, aviaire notamment, etc. L'AFSSA travaille donc depuis longtemps sur le sujet.

Pour ce qui est de l'appui scientifique et technique, nous assurons, dans le cadre du laboratoire de Ploufragan, la surveillance des élevages et de la faune sauvage - surveillance passive par l'examen des oiseaux morts, surveillance active par l'analyse d'échantillons prélevés sur des animaux vivants, en liaison notamment avec l'Office nationale de la chasse et de la faune sauvage. À signaler, également, une mission de transfert de compétences à des laboratoires vétérinaires départementaux de techniques susceptibles d'être déconcentrées, afin de démultiplier les capacités d'analyse de première intention.

Au niveau de l'Agence nationale du médicament vétérinaire, les problématiques abordées concernent notamment les demandes d'autorisation temporaire d'utilisation, voire d'autorisation de mise sur le marché, pour des vaccins destinés aux différentes espèces d'oiseaux.

L'expertise se déroule suivant une procédure collective classique, dans le cadre de comités d'experts scientifiques, les CES, en santé animale en l'occurrence, et au besoin de groupes de travail spécialisés - ce qui est le cas ici pour le problème qui nous préoccupe, puisqu'un groupe « influenza aviaire » a été constitué -, l'ensemble étant placé sous la responsabilité du directeur de la santé animale, Philippe Vannier, et de notre direction d'évaluation des risques.

Indépendamment de ce schéma général mis en place de longue date, l'AFSSA a su faire preuve de réactivité face à la crise récente, en multipliant les réunions des CES et des groupes de travail, et en mettant rapidement en place une cellule d'appui ou d'urgence afin de coordonner les travaux et de répondre le plus rapidement possible aux demandes dont nous étions saisis - une dizaine, dont la première portait sur l'évaluation du risque de contamination des élevages par les oiseaux migrateurs. Sur ce point, nous avons répondu en soulignant que le rôle des flux migratoires n'était qu'une hypothèse parmi d'autres, dont celle, évoquée à maintes reprises, d'une contamination liée aux transports de volailles. L'analyse des foyers survenus en Russie justifiait, par exemple, de relativiser l'hypothèse des flux migratoires, compte tenu d'autres éléments, en particulier la localisation des foyers le long du Transsibérien. Notre souci, à cet égard, a toujours été de ne jamais accorder un poids excessif à une hypothèse donnée par rapport aux autres, au risque d'orienter vers l'adoption de recommandations inadaptées.

Nous avons également été appelés à émettre des avis plus spécifiques, notamment sur la question d'une augmentation du risque lié à l'apparition de nouveaux foyers en Turquie, Roumanie et ailleurs, sur les risques liés à l'importation de guano, sur la vaccination des volailles domestiques ; plus récemment, nous nous sommes autosaisis de la question de l'aggravation de la situation sanitaire en Turquie et aux confins de l'Europe, en insistant sur le déficit d'information, et particulièrement sur le manque cruel de données de contexte et d'épidémiosurveillance dans les pays touchés et à leur périphérie.

Les forces mobilisées sur ce sujet à l'AFSSA se résument à une quinzaine de personnes au laboratoire, sans compter les experts mobilisés dans les CES, groupe de travail et unité d'évaluation ; nous procédé par redéploiement, en renforçant l'équipe du laboratoire de Ploufragan, autrement dit en anticipant sur des moyens supplémentaires annoncés.

M. le Président : On nous a dit que les laboratoires internationaux de référence étaient surchargés, mais que Ploufragan l'était tout autant. Où en est le plan de charge ? Comment comptez-vous résoudre ces difficultés, sachant que la situation ne risque guère de s'améliorer ?

M. le Rapporteur : Comment faire pour que l'unité Ploufragan devienne laboratoire international de référence sur le territoire français ?

Mme Pascale BRIAND : Ploufragan est laboratoire national de référence. Pour tout le territoire de la Communauté européenne, il n'y a qu'un seul laboratoire communautaire de référence, situé à Weybridge. Viennent ensuite des laboratoires capables d'analyser les prélèvements effectués dans d'autres pays ; une convention sera bientôt signée avec le CIRAD, et des collaborations importantes ont été mises en places, qui permettront de diriger une part des prélèvements sur notre laboratoire, pour peu évidemment que nous soyons en mesure de monter en puissance.

M. le Rapporteur : Quelle structure trouve-t-on à Venise ?

Mme Pascale BRIAND : Il y a, à Venise, un laboratoire de l'OIE, qui intervient également dans cette affaire. Nous avons à l'évidence besoin de renforcer les moyens de tous les laboratoires européens, pour assurer une épidémio-surveillance suffisante.

M. le Président : Avez-vous, ou aurez-vous bientôt, à Ploufragan, les moyens de faire face à une demande qui a tout lieu de croître et certainement pas de diminuer dans les années à venir ?

Mme Pascale BRIAND : On nous a annoncé un renforcement de nos moyens pour un montant de 830 000 euros, qui devrait normalement nous permettre de compléter des aménagements et surtout de recruter cinq personnes sur ce sujet. Mais comme nous ne pouvions pas attendre, nous avons redéployé en anticipant cette augmentation de moyens ; autrement dit, à défaut de monter en puissance par de nouveaux recrutements, nous nous sommes adaptés pour répondre dans l'urgence à la situation actuelle. Ajoutons que le renforcement de l'appui scientifique et technique - tests et diagnostics - ne doit pas se faire au détriment de notre potentiel de recherche, notamment en vaccinologie. D'où notre besoin urgent de ces cinq recrutements. Il faut également espérer que ces 830 000 euros ne sont pas accordés pour une seule année, mais bien intégrés en base, compte tenu de la durée prévisible de la crise.

M. le Président : Nous sommes bien d'accord. Pouvez-vous nous expliquer comment se prend un avis sur un sujet donné - le confinement des volailles, par exemple ? Comment sont composés vos groupes d'experts ?

Mme Pascale BRIAND : Nous avons dix comités d'experts scientifiques, en place depuis trois ans, constitués par sélection après appel à candidatures, en équilibrant les compétences jugées nécessaires dans chaque domaine. Le comité concerné dans cette affaire est principalement le CES « santé animale ». Composé d'un président et de quinze membres nommés par le ministre sur proposition de l'agence, il peut, en cas de besoin, constituer des groupes de travail dont les membres sont choisis en concertation avec l'AFSSA et nommés par le directeur de l'établissement. Nous avons ainsi un groupe de travail, présidé par le chef du laboratoire de l'unité « grippe aviaire » à Ploufragan et qui réunit des ornithologues, des virologistes humains et animaux, etc.

Classiquement, une saisine est aussitôt enregistrée au niveau de la direction et du CES ; le travail est alors confié à des rapporteurs et, lorsque le sujet le justifie, à un groupe de travail. Le but est d'avoir une mobilisation suffisante pour répondre dans les délais, tout en assurant une exploration du sujet aussi vaste que possible. Ces premiers travaux sont menés avec un appui et une coordination scientifiques assurés par les unités de la direction de l'évaluation des risques. Un rapport est ensuite établi au niveau du CES qui se prononce sur un avis, autrement dit sur un texte qu'il valide avant de le faire porter à la signature du directeur de l'agence.

Pour les saisines où le délai de réponse est très court - vingt-quatre ou quarante-huit heures -, nous avons une procédure d'urgence : les réunions font place à des contacts téléphoniques entre experts, sachant toutefois que, compte tenu de notre mobilisation sur ce sujet depuis maintenant plusieurs années, et qui s'est encore intensifiée ces derniers mois, nous disposons d'ores et déjà d'une base de réflexion importante qui contribue évidemment à la réactivité.

M. le Rapporteur : Nous avons cru vous entendre appeler les pouvoirs publics à davantage de souplesse dans leurs décisions, notamment en matière de confinement. Vous avez également évoqué, dans une revue, l'idée d'une vaccination préventive des canards. Maintenez-vous ces jugements ?

M. Marc LE FUR : Nous apprécions la qualité des experts réunis à l'AFSSA ; l'audition de M. Vannier nous avait déjà grandement impressionnés. La vraie question est celle du rapport entre l'avis d'experts et la décision, et par conséquent des décalages dans un sens ou un autre. Parfois, la décision va au-delà de l'avis que vous avez rendu : ainsi en a-t-il été du confinement des élevages et de l'interdiction de l'utilisation des appelants.

J'ai eu l'occasion de visiter le laboratoire de l'Institut Pasteur au Cambodge. Ses moyens doivent être incontestablement renforcés, ne serait-ce qu'à cause du danger que pourrait représenter demain le transport des prélèvements pour analyses. Le problème se pose également en France, avec notre laboratoire de référence à Ploufragan. Ces risques sont-ils réels ? Comment pourrait-on les éviter ?

M. François GUILLAUME : Avez-vous émis un avis avant que le ministre n'interdise la présence de volatiles vivants à l'occasion du concours général de l'agriculture, et plus généralement sur les marchés traditionnels ? Cette dernière mesure ne pourrait-elle pas être assouplie, dans des conditions à déterminer ?

M. le Président : Le problème se pose enfin de l'articulation avec l'Europe - articulation politique, que chaque gouvernement doit assumer, mais également scientifique. Avons-nous une « diplomatie européenne scientifique », une coordination scientifique, officielle ou officieuse, entre Français présents dans les instances européennes ?

Mme Pascale BRIAND : Il n'y a pas à s'étonner d'éventuels décalages entre les avis de l'AFSSA et certaines décisions en matière de gestion du risque : cela tient tout simplement au fait que la France a décidé de séparer l'évaluation du risque de sa gestion, précisément pour donner une marge de manœuvre aux décideurs, amenés à intégrer d'autres paramètres que la simple évaluation scientifique du risque au moment de prendre leurs décisions. N'oublions pas non plus qu'un avis ne vaut que pour le moment où il est donné et qu'il doit être actualisé. À chaque fois, les experts se sont très clairement prononcés : le niveau actuel du risque en France n'appelle pas de mesures de confinement particulières, mais justifie des mesures rigoureuses de bonne pratique visant à éviter autant que possible les contacts entre oiseaux sauvages et domestiques - en ne distribuant pas la nourriture à l'extérieur, par exemple. Au-delà de ces précautions, l'AFSSA ne recommandait pas le confinement ; le fait que les pouvoirs publics l'aient décidé ne nous choque pas pour autant : c'est dans la logique de la distinction évaluation/gestion du risque.

S'agissant de la vaccination, nos experts ont travaillé sur plusieurs scénarios, en réponse à une saisine initiale comportant plusieurs questions à ce sujet : à partir de quel moment la vaccination serait intéressante, comment, dans quelles conditions, etc. L'AFSSA a répondu que la vaccination pourrait être une mesure intéressante en complément d'autres dispositifs d'éradication classiquement appliqués en cas d'apparition de foyers, et dans la mesure où la situation apparaîtrait difficilement maîtrisable par les approches habituelles de gestion du risque. Nos avis indiquaient clairement que la vaccination pouvait se justifier dans les pays où la situation n'était pas maîtrisée, comme en Asie du Sud-Est, en Turquie ou aux portes de l'Europe, mais certainement pas en France, d'autant que la vaccination a ses limites : efficacité des vaccins très variable selon les espèces, risque d'un masquage des symptômes cliniques qui permettraient une identification et un diagnostic précoces, et retards dans le déclenchement des mesures d'éradication. C'est pourquoi, seule l'éventualité de vaccination des canards, espèce peu sensible et difficile à confiner, était envisagée dans cet avis. S'agissant des appelants, le message était parfaitement clair : nous ne préconisions pas de mesures d'interdiction lorsque nous avons donné notre avis, et nous n'avons pas eu lieu de modifier notre appréciation jusqu'à présent.

Pour ce qui concerne le transport d'échantillons, je ne peux vous répondre précisément sur le plan technique. Mais il est certain qu'à l'heure actuelle, les prélèvements sont transportés vers le laboratoire de référence dans des conditions propres à éviter tout risque de contamination.

M. Marc LE FUR : Si j'ai posé la question, c'est parce que nous voulions apporter notre soutien à la mise en place de laboratoires de proximité au Cambodge et au Vietnam pour, justement, réduire au maximum ce risque lié au transfert de prélèvements.

Mme Pascale BRIAND : J'entends bien, mais l'installation de laboratoires de proximité se justifie surtout par la nécessité d'obtenir des diagnostics le plus rapidement possible, en réduisant au maximum les délais de transfert, et d'entrer ainsi aussi vite que possible dans un système d'éradication systématique, sitôt le foyer détecté.

M. Marc LE FUR : Examinez-vous des échantillons en provenance d'Asie ?

Mme Pascale BRIAND : Non. Tout le problème, dans ces pays, est de faire porter l'effort sur la maîtrise de l'épizootie, c'est-à-dire le maillage vétérinaire, les laboratoires de diagnostic, l'indemnisation des abattages pour s'assurer de l'adhésion des populations - et cela vaut pour l'Asie du Sud-Est comme pour la Turquie et les pays environnants. C'est là-dessus que doit porter prioritairement l'aide, mais cela reste très difficile.

Pour ce qui est de l'articulation européenne et de la coordination scientifique, l'AFSSA est en lien permanent avec l'OIE, via son directeur général, Bernard Vallat, le CDC116 et les experts envoyés à la demande de la Commission ; nous avons nous-mêmes fourni une liste d'experts mobilisables sur les questions relatives à l'épizootie et Philippe Vannier, notre directeur de la santé animale, est lui-même membre du panel d'experts de l'EFSA117 sur ces questions. Nous assurons ainsi une coordination dans des conditions très pragmatiques.

M. le Président : Une présence active à Bruxelles évitera des divergences potentielles entre les points de vue scientifiques européens et français - après tout, il est normal que des experts venant de pays dont la géographie, les modes d'élevage, le vécu ne sont pas les mêmes aient parfois des points de vue différents. Et comme nous-mêmes plaidons pour une politique harmonisée au plan européen, nous sommes bien conduits à accepter des arbitrages qui ne correspondent pas à 100 % à nos positions. Mais nous serons d'autant plus capables de peser fortement sur les décisions de Bruxelles, et de faire prévaloir des solutions à nos yeux scientifiquement plus appropriées et plus proches de notre vécu, que nos capacités de recherche et d'expertise seront fortes et reconnues.

Mme Pascale BRIAND : Ce souci de cohérence européenne est d'autant plus important qu'il faut renforcer tant les contrôles aux frontières de l'Europe que nos capacités de collecte des données épidémiologiques.

Mme Catherine GÉNISSON : Je partage l'argument de notre président : il n'est pas question de remettre en cause des décisions prises par les autorités publiques européennes. Notre souci fondamental doit être moins de faire prédominer les positions scientifiques françaises au niveau européen que de parvenir à une évaluation et une recherche partagées, afin que la position commune puisse s'appuyer sur une base scientifique tout à la fois étayée et reconnue par tous. D'où la nécessité de mettre en place et de conforter les instances scientifiques européennes.

Mme Pascale BRIAND : Pour ce qui est de l'épidémiologie, il faut tout à la fois collecter davantage de données et, effectivement, les partager.

M. le Président : Madame, je vous remercie.

Audition de M. Denis LAMBERT, président de la société L.D.C., et de M. Yves de LA FOUCHARDIERE, directeur de la coopérative des Fermiers de Loué

(Compte rendu de la réunion du
mercredi 22 février 2006)

Présidence de M. Jean-Marie LE GUEN, Président

M. le Président : Depuis quatre mois, nous avons eu le temps d'approfondir nos connaissances sur la grippe aviaire. Il n'est donc pas nécessaire de revenir sur les données scientifiques concernant l'actuelle épizootie. Nous préférons que vous nous décriviez les difficultés auxquelles la filière avicole est aujourd'hui confrontée.

M. Denis LAMBERT : Premier groupe avicole français, LDC possède 20 sites en France, quatre en Pologne et deux en Espagne, soit 12 000 salariés dont 10 000 en France, et plus de 3 000 éleveurs. Nos éleveurs, comme ceux de Loué, sont formés depuis quarante ans aux maladies des volailles. Ils savent les détecter, isoler les bêtes malades, les soigner et, s'il le faut, les détruire. Ils sont assistés de plus de 50 techniciens sanitaires et tout un réseau de vétérinaires à plein temps. Nous nous appuyons aussi sur les laboratoires départementaux et les DSV. Le maillage vétérinaire français est, rappelons-le, le meilleur du monde.

Je le dis avec force, il n'y a strictement aucun risque de transmission du virus de l'animal à l'homme par voie alimentaire. Jamais le moindre cas de transmission de ce type n'a été constaté dans le monde ces dernières années. Le virus se transmet par voie respiratoire, via les sécrétions des volailles vivantes, les plumes ou la dispersion des fientes. De surcroît, les sucs gastriques détruisent tout virus présent dans notre alimentation. Enfin, toute cuisson à 70 % élimine le virus.

Il faut également le dire et le redire, le virus H5N1 ne se transmet pas à l'homme, sinon par voie respiratoire et lors de contacts fréquents et prolongés.

M. le Rapporteur : Nous savons déjà tout cela. Le ministre devant bientôt recevoir tous les représentants de la filière avicole, nous aimerions connaître les problèmes spécifiques qu'elle rencontre du fait de cette crise.

M. Denis LAMBERT : Mais les Français sont inquiets !

M. le Président : Lorsque nous avons besoin d'éléments scientifiques, nous nous tournons spontanément vers l'AFSSA plutôt que vers les industriels - et les consommateurs de la même façon ; si vous avez des arguments contradictoires à présenter à l'AFSSA, voyez avec elle... Nous demandons aux industriels de nous parler de problèmes industriels. S'ils nous parlent de problèmes scientifiques, nous avons le sentiment de perdre notre temps...

M. Pierre HELLIER : Comprenez, Messieurs, que nous avons eu tout le temps de nous informer ; nous avons conscience de vos difficultés et nous ne doutons pas de votre capacité à gérer vos élevages dans des conditions sanitaires correctes. Ce que nous aimerions connaître précisément, ce sont vos problèmes...

M. Denis LAMBERT : Nous sommes totalement d'accord avec les avis de l'AFSSA et nous nous empressons de les appliquer. Aucune vie ne peut être sacrifiée au chiffre d'affaires. Je suis donc sensible à l'inquiétude du public et des élus, et favorable à l'application du principe de précaution, même face à un risque non avéré. Encore convient-il, comme, du reste, la loi le prévoit, de l'appliquer de façon proportionnée au risque réel, afin d'éviter des dégâts collatéraux, bien réels, eux, dont les conséquences humaines peuvent être dramatiques ; souvenons-nous que l'épisode de la vache folle avait provoqué trente suicides dans les milieux agricoles.

Bien qu'elle ne porte aucune responsabilité dans cette affaire et que sa production soit parfaitement saine, la filière agricole, après avoir connu une baisse de 20 % ces dernières années, se voit aujourd'hui confrontée à une nouvelle chute de la consommation de 15 à 30 % - peut-être davantage si l'on en croit les chiffres avancés par la grande distribution. Le mouvement s'accélère : la baisse n'était que de 15 % il y a quinze jours. En Italie, la consommation de volaille s'est effondrée de 70 %. Notre filière représente 65 000 emplois ; une baisse de 20 %, c'est 13 000 emplois perdus dans des zones où l'emploi est déjà rare, sans compter les emplois induits, fournisseurs et sous-traitants. Si la chute atteint 40 %, ce seront 35 000 emplois directs et indirects perdus. En termes de coûts, une baisse de 20 % se traduit par une perte de 400 millions d'euros : 200 millions d'euros pour les outils de production et 200 millions d'euros pour le monde agricole. D'ores et déjà, on nous annonce des cessations d'activité chez les producteurs et dans les entreprises de transformation ; c'est, enfin, un coup d'arrêt à notre recherche, alors que la France produit 30 % de la génétique avicole mondiale. Sans parler de la situation catastrophique des accouveurs, déjà contraints à la restructuration et qui se retrouvent à produire des poussins que les abattoirs ne prendront pas.

L'influenza aviaire chez la volaille existe depuis cinquante ans et les professionnels en ont une excellente maîtrise. Jamais une volaille malade n'est commercialisée. De nombreux services de contrôle, professionnels et d'Etat, y veillent. De surcroît, la période d'incubation du H5N1 est très courte : une volaille malade non détectée mourrait très rapidement. Le risque de la voir arriver dans une assiette est quasiment nul. Le H5N1 sévit depuis huit ans en Asie ; s'il devait provoquer une catastrophe humaine, ce serait déjà chose faite. Mais un oiseau sauvage mort en France fait davantage peur que 100 000 volailles au bout du monde...

Les épizooties survenues en Europe ont été très rapidement éradiquées : aux Pays-Bas en 2003, l'influenza aviaire a disparu en moins de trois mois. En 2005, une épidémie de Newcastle, maladie tout aussi contagieuse que l'influenza, a été éradiquée en trois semaines par les services vétérinaires de Loire-Atlantique - preuve de leur efficacité.

On aurait tort de comparer l'influenza aviaire à l'ESB. La vache folle présentait un risque alimentaire réel ; ce n'est pas le cas avec l'influenza aviaire. L'ESB est la résultante de mauvaises pratiques, l'influenza un risque subi. L'ESB s'était traduite par des animaux malades ; pour l'instant, aucune volaille n'est touchée par l'influenza. Qui plus est, la filière bovine est largement subventionnée, alors que les aviculteurs vivent exclusivement du prix que paie le consommateur, et particulièrement pour la volaille labellisée. Pour l'ESB, l'État avait mis en place des moyens considérables : stockage, destruction des farines animales, aides directes aux producteurs, budgets de communication énormes. Pour l'influenza, la filière n'a jusqu'à présent touché aucune aide, alors qu'elle produit des animaux parfaitement sains et qu'elle n'a rien à se reprocher. La baisse de la consommation tient à l'attitude du consommateur, après des annonces répétées de maladies chez les animaux sauvages, aux décisions gouvernementales et aux nouvelles d'Asie. Le public craint une pandémie, dont la probabilité est quasiment nulle, et s'affole à l'idée de trouver des volailles malades dans son assiette, chose pratiquement impossible. Lorsqu'on voit les millions de morts dans le monde provoqués par le paludisme et le sida, ou dans notre pays par le cancer ou l'obésité, on peut légitimement déplorer qu'un risque si faible crée une telle panique.

M. le Président : Nous sommes encore intervenus ce week-end sur les ondes pour répéter qu'il n'y avait effectivement aucun risque pour le consommateur - et ce faisant, nous en prenons nous-même un... Je vous en prie, allez à vos conclusions ! À vous entendre, vous seriez victimes d'un complot généralisé, nous vivrions dans un fantasme généralisé alors qu'il n'y a rigoureusement aucune raison de s'affoler, et loin de présenter le moindre intérêt, le travail de la mission « grippe aviaire » et toute politique en la matière participeraient à cet affolement... Nous avons plutôt l'impression de lutter tous ici pour essayer tout à la fois de maîtriser un problème potentiel de santé publique au niveau mondial, et de défendre une certaine rationalité face aux craintes infondées du consommateur. Ne venez pas nous expliquer qu'il n'y a strictement aucun problème pour, ensuite, réclamer, à juste titre d'ailleurs, des compensations...

M. Denis LAMBERT : Loin de nous l'idée de reprocher aux politiques leur souci d'anticiper, d'appliquer les principes de précaution et de transparence, et d'informer le public. Il faut les en féliciter. Nous sommes solidaires des mesures prises, notamment lorsqu'il s'agit de confinement, de vaccination, de vigilance, de protection de nos personnels comme du consommateur. Je demande seulement que l'on distingue bien l'influenza aviaire et la pandémie grippale. Il faut bannir l'expression de « grippe aviaire », qui crée précisément la confusion. Le risque de transmission par voie alimentaire à l'homme est nul : je sais que vous le dites, mais ce n'est malheureusement pas ce que pensent 20 % des Français. Nos systèmes de production et de surveillance vétérinaire empêchent toute commercialisation de volailles malades, mais on ne le dit pas assez. Je demande aux pouvoirs publics d'appliquer un principe de précaution proportionné aux risques réels, dont il faut, aujourd'hui, reconnaître objectivement la faiblesse. En présentant en fanfare, et de manière répétée, des mesures de précautions extraordinaires, on accrédite l'idée que le risque l'est tout autant. Une conférence interministérielle à grand tapage pour un seul canard mort, n'est-ce pas un peu trop ?

M. le Président : Si vous pensez que le Gouvernement a eu tort de mener telle ou telle action, dites-le nous précisément, et pour quelles raisons.

M. Denis LAMBERT : Je viens de vous le dire...

M. le Président : Non, il faut être précis. On ne peut pas rester dans un halo de récriminations qui tendrait à faire croire que nous serions tous animés de mauvaises intentions à l'endroit de la filière avicole. Ce n'est pas du tout le cas.

M. Denis LAMBERT : Je suis convaincu que vous tous, ici, voulez que notre filière vive. Je vous décris seulement les conséquences d'actions de communication répétées et maladroites. On a beau dire que tout est sous contrôle, que nos services sanitaires sont bons, etc., lorsque l'on convoque sur place sept ministres pour un canard mort, les Français se posent des questions, et les journalistes aussi !

M. le Rapporteur : Vous savez bien que l'on ne pouvait pas cacher la présence d'un canard mort avec un test H5N1 positif, même si c'était le premier !

M. Denis LAMBERT : Et il y en aura peut-être d'autres. Je ne demande pas qu'on cache les choses : je veux simplement qu'on dise et redise clairement que la situation est sous contrôle, que les vétérinaires et les services de l'État font parfaitement leur travail et qu'ils sont capables d'éradiquer cette épizootie comme ils l'ont démontré dans d'autres occasions. Ce n'est pas assez dit.

M. le Président : Vous avez raison de parler de la communication. Mais croyez-vous réellement défendre les intérêts de votre filière en répétant sur les ondes, comme je l'entends depuis deux jours, que la consommation va baisser de 20, 30, 40 % ? Il n'était que d'entendre hier la déclaration de la fédération du commerce et de la distribution... Plus vous insistez sur la baisse de la consommation, plus vous y poussez. Chacun a sa conception de la communication, mais je suis, pour ma part, stupéfait par la façon dont les milieux professionnels croient défendre leurs intérêts. Si le Gouvernement réunit des ministres, c'est parce qu'il y a un choc dans l'opinion, mais également parce qu'il veut montrer qu'il s'occupe de la situation et qu'il la maîtrisera. Actuellement, on passe par un pic, qu'il vous faut, il est vrai, subir. Je comprends parfaitement que vous défendiez vos intérêts économiques, mais je doute que vous y parveniez en répétant à longueur de journée que la baisse est de 20, 30, 40 % et qu'elle sera bientôt de 70 % comme en Italie. Je suis persuadé que, ce faisant, vous incitez le consommateur à ne pas acheter. Cela étant, ce que je dis n'est pas une démonstration scientifique, seulement un jugement subjectif...

M. Denis LAMBERT : Je comprends parfaitement ce que vous venez de dire. Vous remarquerez, d'ailleurs, que notre groupe n'a absolument pas communiqué depuis le début de la crise. C'est la première fois que nous prenons la parole en public, et à votre demande.

M. Jean-Claude FLORY : Nous sommes là pour vous écouter et pour vous soutenir. Nous avons parfaitement conscience des difficultés majeures que traverse actuellement votre filière qui est un des fleurons de l'agro-alimentaire français, à l'image reconnue au plan international. Nous savons que l'enjeu est capital sur le plan de l'économie, de l'emploi, pour nos exportations comme pour notre consommation intérieure.

J'ai vu, hier soir, un reportage télévisé exemplaire à tous égards sur le plan pédagogique, qui expliquait que l'on pouvait consommer en toute sécurité les volailles françaises. La presse nationale comme la presse régionale, et particulièrement depuis qu'a été découvert le premier oiseau infecté, se sont, elles aussi, engagées dans une démarche véritablement pédagogique, alors même que le sujet est propice aux interprétations les plus alarmistes de la part d'un consommateur saturé d'informations les plus diverses. Et voyons les chiffres : la baisse de la consommation de volailles atteint 40 % en Grèce, 70 % en Italie,...

M. Marc LE FUR : Et 90 % en Turquie...

M. Jean-Claude FLORY : ...alors qu'elle reste aux alentours de 25 % en France.

M. le Président : Peut-être nous direz-vous quelle est la part de la grande distribution dans la baisse de la consommation...

M. Jean-Claude FLORY : Certes, c'est déjà énorme, mais la comparaison montre que certaines actions de communications n'ont pas été inutiles. On ne peut pas reprocher à un ministre de se rendre là où le virus a été détecté et de s'exprimer. S'il n'avait pas communiqué sur ce sujet, anticipé sur une problématique de santé animale qui pourrait devenir une problématique de santé humaine, quand bien même le risque reste faible, nos concitoyens n'auraient pas compris.

M. Pierre HELLIER : Je vous connais et je comprends vos angoisses. Sachez que, au sein de cette mission, nous avons toujours dit et répété que nous faisions confiance aux structures d'élevage françaises. Ce que nous aimerions savoir, c'est ce que vous pensez de la vaccination, du confinement. Comment comptez-vous vous y prendre ? Jugez-vous ces mesures réalisables ?

M. Gabriel BIANCHERI : Que pensez-vous de l'utilisation de filets pour protéger les élevages ?

M. Pierre HELLIER : Force est de reconnaître, également, que les médias jouent désormais un rôle tout à fait honnête par rapport à ce qu'il en était au départ. Et pourtant, le risque n'a pas diminué depuis.

M. le Rapporteur : Que pensez-vous des diverses mesures de précaution prises pour prévenir l'épizootie ? Que pensez-vous des propositions financières avancées par le Gouvernement - et qu'allez-vous réclamer, puisque vous rencontrerez le ministre très bientôt ? Que pensez-vous du comportement de la grande distribution, qui vient de faire état de pertes encore plus importantes - Rungis annonce moins 35 % ? Que pensez-vous enfin de la vaccination, sur laquelle la Commission n'a pas encore donné son accord, mais dont vous semblez partisan ?

M. Denis LAMBERT : Nous avons effectivement remarqué, depuis quinze jours, un véritable changement dans le comportement de la presse qui comprend - enfin - qu'il n'y a aucun risque. Mais je maintiens que la diffusion d'images montrant des vétérinaires avec des masques et des combinaisons n'est pas de nature à rassurer les Français.

Nous sommes favorables à une vaccination préventive généralisée des volailles en France et en Europe - cette décision doit évidemment être prise au niveau européen.

M. le Rapporteur : Quelles volailles ?

M. Denis LAMBERT : Toutes les volailles. Les nôtres, celles qu'on vous vend !

M. le Président : Alors çà, c'est nouveau... Prenez le temps de nous l'expliquer !

M. Yves de LA FOUCHARDIÈRE : Le virus de l'influenza aviaire n'est pas très compliqué. D'autres virus de maladies de volailles lui ressemblent beaucoup, notamment celui de la maladie de Newcastle, pour laquelle on dispose d'ores et déjà de vaccins efficaces, peu coûteux et utilisés à l'échelle mondiale. Je suis surpris d'entendre que vacciner un canard coûterait 1 euro. Pour lutter contre une maladie à virus, il arrive un moment où il n'y a guère mieux que le vaccin. Le seul problème est de faire admettre, à l'échelle européenne, la vaccination comme un protocole de prévention des maladies des animaux domestiques, afin de ne pas se retrouver interdits d'exportation du jour au lendemain. Bruxelles y travaille ; je ne sais pas quelle sera sa réponse. Sur le plan technique, en recourant au vaccin contre le H5N2, utilisé en Italie il n'y a pas si longtemps et compatible avec le virus H5N1, nous pouvons être certains de disposer de vaccins dans un délai très bref, à plus forte raison si les laboratoires sont assurés d'un marché important, comme on le fait pour la grippe humaine. La vaccination des oiseaux domestiques me paraît le seul moyen de redonner durablement confiance aux consommateurs.

M. le Rapporteur : Quel est le prix d'un vaccin ?

M. Yves de LA FOUCHARDIÈRE : J'ai lu dans la presse qu'il en coûterait 1 euro par canard. Je suppose que l'on y intègre des frais de manipulation des animaux. On vaccine d'ores et déjà les volailles pour toutes sortes de maladies pour dix centimes de franc à un franc la dose. Le vaccin de l'influenza aviaire sera peut-être un peu cher au départ, mais il devrait coûter moins d'un franc par volaille. Les palmipèdes doivent, en principe, recevoir deux injections, mais pour les oiseaux de type gallus, une simple injection suffit, qui peut se pratiquer au couvoir. On vaccine déjà contre la maladie de Marek, la maladie de Gumboro ou la bronchite infectieuse, autant d'affections inconnues du public mais qui provoquent classiquement des épidémies.

L'OIE a recommandé la vaccination dans les zones infectées, et l'AFSSA pour les palmipèdes dans les zones de passage des migrateurs. Pourquoi cette recommandation de l'AFSSA ? Parce qu'il s'agirait d'une très bonne expérimentation pour vérifier que la vaccination fonctionne. L'étape suivante sera la vaccination systématique. Lorsqu'on aura trouvé d'autres cas d'oiseaux sauvages, l'opinion européenne ne tardera pas à évoluer et à se rendre compte que pour protéger les oiseaux domestiques, il faut vacciner.

M. François GUILLAUME : Les contraintes de mise en œuvre de la vaccination contre l'influenza aviaire ne sont-elles pas plus lourdes que pour les maladies de Marek, Newcastle et autres ? Par ailleurs, ne craignez-vous pas les conséquences au niveau commercial ? Certains pays ne manqueront pas d'en tirer argument pour refuser vos exportations...

M. Yves de LA FOUCHARDIÈRE : Vous avez raison, mais cette question est d'ores et déjà un peu dépassée. Le monde entier contrôle désormais la santé de ses oiseaux sauvages : c'est ainsi que l'on a pu détecter le H5N1 sur un canard des Dombes et ailleurs en Europe. Jamais on n'avait songé à faire de tels contrôles auparavant. Si on l'avait fait il y a dix, quinze ou cinquante ans, on n'aurait pas manqué de trouver des virus d'influenza aviaire sur les oiseaux sauvages, comme on en trouvera demain sur des pigeons ou d'autres espèces, ce qui ne manquera évidemment pas, d'ailleurs, d'affoler les gens.

M. Gabriel BIANCHERI : Bien sûr !

M. Yves de LA FOUCHARDIÈRE : La capacité des oiseaux sauvages à constituer un réservoir d'influenza aviaire est évidente. Il s'agit désormais de protéger les oiseaux domestiques. Nous pouvons les manipuler, nous savons les vacciner avec des vaccins atténués, très faciles d'utilisation. Interrogez les laboratoires Merial : ils les diffusent déjà par millions de doses dans les pays étrangers.

Vous avez raison pour l'exportation. Mais à chercher du H5N1 partout dans le monde, on finira par en trouver partout. Les réticences des derniers pays finiront par tomber bientôt.

M. Gabriel BIANCHERI : Je suis d'accord.

M. François GUILLAUME : Même le Brésil ?

M. Yves de LA FOUCHARDIÈRE : Les Brésiliens n'avaient pas de fièvre aphteuse et se montraient très suspicieux en la matière : ils en sont aujourd'hui infestés... Ils auront de l'influenza aviaire tôt ou tard.

M. Marc JOULAUD : Cette position favorable à la vaccination vous est-elle propre ou est-elle partagée par l'ensemble de la filière ?

M. le Président : Bonne question !

M. Marc JOULAUD : Vous avez laissé entendre que le confinement par étapes avait eu un effet néfaste en termes de communication, qui s'est ressenti sur la consommation. Ne craignez-vous pas qu'une extension progressive de la vaccination, comme vous le souhaitez, n'ait pas un effet similaire et réduise d'autant le bénéfice escompté,  d'autant que la position de Bruxelles n'est pas encore calée sur le sujet ?

M. le Président : Vous réalisez sans doute que vos déclarations expriment un profond changement par rapport aux données dont nous disposions. Votre prise de position est orthogonale par rapport à celle du Gouvernement et de l'Union européenne. Si je comprends bien, vous considérez que puisque l'endémie va se généraliser, il est préférable d'anticiper : la psychose sera telle, estimez-vous, que la vaccination sera la seule réponse. Cette position est, à nos yeux, radicalement différente, pour ne pas dire explosive, par rapport à ce que nous savions. Est-elle propre à votre entreprise ou peut-on la considérer comme une position syndicale ? Enfin, quid de l'export ?

M. Yves de LA FOUCHARDIÈRE : Effectivement, la succession d'annonces n'est pas heureuse. Nous avons particulièrement mal vécu les moments où, contre l'avis de l'AFSSA, on a étendu peu à peu le confinement à de nouveaux départements. La mise en place de la vaccination dans trois départements aura, en revanche, l'intérêt de constituer une expérience de terrain française - tout aviculteur ayant un peu voyagé dans le monde sait que la vaccination connaît des succès, mais parfois des échecs, comme en Chine, lorsque l'approche n'est pas appropriée. Dès 2002, au moment des crises italienne et hollandaise, les Fermiers de Loué avaient envoyé à la DGAL un courrier, resté sans suite, demandant d'étudier au plus vite la question de la vaccination des volailles contre l'influenza aviaire - à l'époque H5N2 -, ne serait-ce que pour limiter les risques économiques et les abattages systématiques.

Quant au problème des exportations qui seraient rendues impossibles à cause de la vaccination, il est déjà là : je suis président d'une société de sélection dont 40 % des ventes se font à l'export et je peux vous dire que nous ne vendons plus de reproducteurs au Japon depuis qu'un canard infecté au H5N1 a été retrouvé dans les Dombes... Toutes les commandes du Japon, mais également de la Corée, ont été annulées. Le problème de la fermeture des frontières est d'ores et déjà posé.

M. Denis LAMBERT : Les grands exportateurs ne sont évidemment pas des ardents défenseurs de la vaccination... C'est pourquoi nous appelons à une décision européenne, voire mondiale. Mais ce sujet ne fait pas consensus au sein de la profession.

Pour ce qui est des aides gouvernementales, les indemnités prévues sont infimes : nos pertes, réelles et démontrables, avoisinent les 200 millions d'euros. Nous proposons de verser les aides qui nous sont proposées sur un fonds qui serait affecté à la communication. L'État et les collectivités territoriales les plus concernées pourraient l'abonder de telle manière que nous puissions rapidement engager des actions de communication sur le thème : « Il faut manger de la volaille »... L'argent serait ainsi mieux utilisé, plutôt que d'être dispersé en petits versements individuels.

M. le Président : Le message devrait être, non pas « Il faut manger de la volaille », mais « Vous pouvez manger de la volaille » !

M. Denis LAMBERT : Vous avez raison !

La gestion de ce fonds devrait être confiée aux professionnels de la filière, sous le contrôle, évidemment, de l'État, des vétérinaires et des scientifiques, et non à des tiers. La communication devra naturellement être ciblée prioritairement vers le grand public, mais également vers les professionnels de la santé.

M. le Rapporteur : Nous songions à proposer au président de l'Assemblée nationale d'organiser un repas de volaille pour tous les parlementaires !

M. Denis LAMBERT : Merci d'y avoir pensé : j'allais précisément vous le suggérer. Et nous offrirons la volaille...

Les thèmes de communication doivent être les suivants : la maladie ne se transmet jamais à l'homme par voie alimentaire ; les poulets qui arrivent dans l'assiette du consommateur sont sains et contrôlés à tous les stades ; toute maladie survenant chez un éleveur est immédiatement détectée et les mesures appropriées aussitôt prises pour éviter toute propagation ; ne pas manger de viande blanche peut être préjudiciable à la santé. Nous proposons également d'ouvrir une négociation entre les professionnels de la filière, les services de l'État et les acteurs de la grande distribution et de la restauration collective, afin de valoriser le produit d'origine France ou Europe.

M. Daniel PRÉVOST : La baisse des exportations ne date pas d'aujourd'hui : elles ont chuté de 24 % depuis 1998... Se pose également le problème des assurances : comment réagissent vos assureurs face à cette situation ? Peut-on enfin craindre une dépréciation du label ?

M. François GUILLAUME : Vous me semblez minimiser le risque commercial. On finira par trouver du H5N1 au Brésil, certes ; mais vous savez aussi bien que moi ce qui se passera. Sitôt que nous vaccinerons, le Brésil, notre grand concurrent en matière d'exportation de volailles, qui nous a dépassés depuis un moment déjà, fermera immédiatement ses frontières, et de nombreux pays avec lui. Le temps de réunir un panel à l'OMC, puis de mettre en œuvre les éventuelles mesures pour rétablir la situation, cela prendra des années. Jamais on ne compensera les pertes subies, et les marchés perdus le resteront. Voyez l'exemple de la fièvre aphteuse ; et pour avoir négocié l'ouverture du marché japonais au porc français, je sais que cela prend des années !

M. Pierre HELLIER : Je ferai, quant à moi, le pari de la vaccination : je crois que vous avez raison. Dans un premier temps, cette mesure pourrait effectivement nous porter préjudice, mais, de toute façon, le coup est déjà parti. Aurais-je davantage confiance dans un poulet vacciné ? Sans doute.

M. Denis LAMBERT : Ils sont déjà vaccinés contre d'autres maladies...

Je suis d'accord sur les risques à l'exportation. Mais il faut bien se rendre compte que, du fait des charges et de la fiscalité, l'exportation n'est plus un métier pour l'aviculture française. Il faut être réaliste : d'ici à cinq ans, il n'y aura plus aucune exportation de poulet français. Tout viendra du Brésil.

M. François GUILLAUME : C'est un autre problème...

M. Denis LAMBERT : C'est pour cela qu'un industriel français s'est installé au Brésil. Nous pouvons encore travailler sur nos marchés locaux. En revanche, il faut une position européenne globale. Les importations du Brésil et des pays tiers atteignent 800 000 tonnes : elles ont été multipliées par cinq en cinq ans, alors que les règles sanitaires au Brésil sont loin d'être aussi draconiennes que les nôtres : par exemple, les volailles brésiliennes sont nourries aux farines de viandes, interdites chez nous. L'interdiction du Nifursol en Europe, suite aux pressions américaines, nous empêche d'élever nos dindes dans de bonnes conditions. Pendant ce temps, les Américains et les Brésiliens utilisent des arsenicaux interdits en Europe depuis trente ans ! Mais de cela, on ne parle pas... D'une manière générale, je suis atterré par la position de l'Europe sur l'aviculture.

M. le Président : Vous ouvrez là un champ d'investigation qui va au-delà de celui de notre mission...

M. Denis LAMBERT : Nous sommes prêts à investir des millions pour préserver nos ressources énergétiques ; mais l'énergie du corps humain, autrement dit l'alimentation, personne ne s'en préoccupe !

M. le Président : Vous avez certainement raison, mais revenons à notre affaire...

M. Yves de LA FOUCHARDIÈRE : Je précise que la baisse de la consommation ne touche pas tant la volaille de Loué en tant que telle que la volaille entière. Il faut savoir, par ailleurs, que la Thaïlande, quoique frappée depuis longtemps par l'influenza aviaire, exporte librement en Europe de la viande de volaille cuite servant à des préparations culinaires qui se vendent fort bien, et sous des marques françaises très connues ; mais de cela, le consommateur ne se soucie guère...

M. Gabriel BIANCHERI : Tout à fait !

M. Yves de LA FOUCHARDIÈRE : On peut, certes, discuter de la vaccination et de ses inconvénients, notamment à l'exportation ; mais dès lors que l'Europe laisse entrer, au motif qu'elle est cuite, de la volaille provenant de pays touchés par l'influenza aviaire, on peut se demander si l'étanchéité des frontières n'est pas à sens unique... M. Guillaume a raison d'appeler à la prudence : c'est pourquoi nous n'envisageons la vaccination que dans le cadre d'une démarche européenne. Si on s'y était pris il y a trois ou quatre ans en écoutant davantage certains professionnels, nous aurions pu éviter la catastrophe que nous subissons aujourd'hui.

M. Gabriel BIANCHERI : Les Hollandais la réclament depuis longtemps...

M. le Président : Et que pensez-vous du rôle de la grande distribution dans cette crise ?

M. Denis LAMBERT : Il ne faut pas forcément la condamner. Les grands distributeurs sont habitués à anticiper les comportements du consommateur : s'ils peuvent vendre de la volaille, ils la mettent en rayon. Qu'ils profitent de la faiblesse du marché, nous le comprenons : ce ne sont pas des enfants de chœur... Mais ils n'hésitent pas à mettre en avant nos produits, à accueillir nos éleveurs pour faire de l'animation et relancer le marché. Reste que les employeurs comme les employés des grandes surfaces sont inquiets depuis que des plans anti-grippe aviaire humaine ont été mis sur pied dans la grande distribution, avec port de masques envisagé, vaccins, etc. Par leur comportement, ils alimentent l'inquiétude générale. En plus, lorsque les grands distributeurs voient un reportage alarmiste à la télévision, ils se disent que les consommateurs le voient aussi et qu'ils ne vendront pas de volailles le lendemain.

M. Gérard DUBRAC : Et ils n'en mettent pas en rayon...

M. Denis LAMBERT : Ils anticipent, mais ce ne sont pas eux les premiers responsables.

M. Gérard DUBRAC : Je ne partage pas ce point de vue : je crois, pour ma part, que la grande distribution a joué un rôle très néfaste dans cette affaire. Il y a un abattoir dans ma commune, qui traite 300 000 poulets par semaine. A onze heures du matin, ceux qui y travaillent ne savent toujours pas la quantité qu'ils doivent abattre... C'est ingérable. Tout simplement parce que la grande distribution anticipe systématiquement : au lieu de mettre dix mètres de rayons, elle en installe deux et les consommateurs sont d'autant moins tentés d'acheter. Les linéaires se sont réduits dans des proportions bien plus fortes que les abattages.

M. Gabriel BIANCHERI : Exact !

M. Denis LAMBERT : Il est vrai que nous travaillons à flux tendus. C'est précisément la raison pour laquelle nous proposons d'organiser une conférence qui rassemblerait, sous la houlette de l'État, les acteurs de la filière et la grande distribution pour parler de ces problèmes.

M. Gérard DUBRAC : Sur le plan de la communication, ce serait certainement plus utile que de s'en prendre à un ministre qui fait son travail sur le terrain... Le problème de l'industriel, c'est de voir comment ses partenaires, en l'occurrence quelques centrales d'achat, se comportent dans leur communication vis-à-vis du grand public. Ne plus proposer un produit, c'est garantir sa perte. Il n'y a qu'à voir dans quelles proportions les linéaires ont diminué. Une telle attitude est coupable.

M. Denis LAMBERT : Les chiffres varient très bizarrement d'un magasin à l'autre. Certains font plus, d'autres beaucoup moins, que la moyenne annoncée. Cela dépend d'abord du directeur et du chef de rayon. Certains vendent même davantage de volaille qu'avant.

M. Marc JOULAUD : À qui aviez-vous adressé votre demande sur la vaccination en 2002 ?

M. Yves de LA FOUCHARDIÈRE : À notre autorité statutaire, la DGAL. Nous savions que cette épidémie d'influenza aviaire ne serait pas la seule.

M. le Président : Je reprends vos propositions : premièrement, vaccination généralisée ; deuxièmement, concentration des aides sur une politique de communication...

M. Denis LAMBERT : Troisièmement, une conférence associant producteurs, distributeurs et dirigeants de la restauration collective : certains restaurants demandent d'enlever la volaille des menus...

M. Marc JOULAUD : La filière a-t-elle des mesures immédiates et concrètes à proposer en matière de fiscalité, d'allégement de charges ou de soutien à l'emploi ?

M. Denis LAMBERT : Nous avons déjà demandé des reports de charges fiscales : les préfets nous ont reçus, et les trésoriers-payeurs généraux ont pris des engagements. Pour ce qui est de l'emploi, nous jouons sur la flexibilité ; tant que nous en resterons à moins 10 ou moins 20 %, nous pourrons éviter les plans sociaux. Encore faut-il rassurer le consommateur en communiquant rapidement et intensivement sur le fait qu'il est sain de manger de la volaille et qu'elle ne représente aucun risque pour la santé. Mais le CIV, le Centre d'information des viandes, s'y est longtemps opposé.

M. Yves de LA FOUCHARDIÈRE : On a avancé le chiffre de 6 millions d'euros d'aides - plus exactement cinq millions, et un million accordé au CIV pour assurer la communication, mais TTC : si l'on enlève les 20 % de TVA sur les achats d'espaces publicitaires, on tombe à 800 000 euros... Quant aux 4 millions promis aux aviculteurs, ils ne représenteront guère que 300 ou 400 euros par exploitant : pour des producteurs qui perdent entre cinquante et cent fois plus... Sans oublier l'effet de la règle du cumul maximum d'aides à 3 000 euros par exploitation. L'effet d'annonce risque, au final, d'aboutir à un sentiment d'incompréhension. Voilà pourquoi nous avons pris sur nous d'interpeller tous les groupements de producteurs avicoles, en les invitant à mettre cet argent en commun sur un fonds de communication. Le ministère de l'agriculture n'a pas l'air d'accepter ce qu'il considère comme un détournement de fonds. Mais à moins de 15 ou 20 millions d'euros, on ne pourra jamais faire de communication sur la relance de la consommation de volaille - je sais ce qu'il en coûte aujourd'hui aux Fermiers de Loué.

M. François GUILLAUME : Cet argent ne devrait-il pas plutôt être réservé à des interventions sur le marché pour, éventuellement, dégager des stocks ? Vous avez parlé de la restauration collective. Au moment de l'ESB, les maires ont immédiatement exclu toute viande bovine des menus des cantines scolaires. Ressent-on aujourd'hui le même phénomène ? Sans compter que les morceaux de poulets sont peut-être importés de Thaïlande...

M. Yves de LA FOUCHARDIÈRE : Les deux principales centrales, SOGERES et SODEXHO, nous ont indiqué que leurs clients leur demandaient de supprimer la volaille des menus. Les budgets de communication devront être de l'ordre de ceux qui ont été consentis pour la vache folle si l'on veut rétablir l'équilibre ; de toute façon, cela coûtera beaucoup moins cher que de licencier 35 000 personnes. D'ailleurs, considérant que la filière était durablement touchée, nous avons décidé de nous-même d'engager un plan de cessation d'activité. Cette décision a étonné la profession. La coopérative des Fermiers de Loué y a investi 3,5 millions d'euros, puisés dans ses réserves, afin de permettre à nos producteurs les plus anciens de partir en préretraite en leur accordant une dotation de 14 000 euros par poulailler arrêté. A ce sujet, je réponds à une question qui a été posée : il n'existe pas d'assurance en la matière, il faut se débrouiller ou disparaître. En arrêtant 10 % du parc de Loué, nous sommes encore loin de ce qu'il va falloir faire. Il ne faut pas avoir peur d'envisager des plans de cessation d'activité : cela n'a rien d'agréable, mais ceux qui resteront n'en seront que plus solides. Nous n'aimerions cependant pas nous retrouver déshabillés si, demain, le ministère décidait de généraliser ce type de mesure, alors que Loué en a pris l'initiative, et sur ses propres fonds...

M. le Président : En fait, vous êtes en train de changer de modèle économique : au-delà du problème de la grippe aviaire, vous cherchez à anticiper une situation que vous jugez inéluctable, en vous concentrant sur le marché national...

M. Yves de LA FOUCHARDIÈRE : Européen.

M. le Président : ...et européen. Avez-vous bien conscience qu'en prenant cette position sur la vaccination, vous créez un choc national, puis européen, qui sera particulièrement violent ? Si la France vous suivait en décidant la vaccination, ce serait, au moins dans un premier temps, une véritable rupture.

M. Denis LAMBERT : C'est pourquoi, je le répète, nous souhaitons que cette position soit prise par l'Europe, et non par la France seule.

M. le Président : J'entends bien ; mais dès lors que vous aurez ouvert les vannes, dans l'état d'agitation économique qui s'ensuivra, je souhaite bonne chance au Gouvernement pour contenir le flot...

M. Gabriel BIANCHERI : D'autres pays la réclament.

M. le Président : Je ne porte pas de jugement : je constate seulement que nous sommes en train de changer de modèle économique.

Autre sujet : quel est votre sentiment sur le commerce international de poussins et autres oiseaux infectés, comme cela semble avoir été le cas entre pays infectés et pays encore indemnes...

M. Denis LAMBERT : Nous avions prévu de vous parler du Nigeria, où il est prouvé que l'arrivée du H5N1 n'est pas le fait des oiseaux migrateurs...

M. le Président : Ce n'est pas prouvé.

M. Denis LAMBERT : M. Bougrain-Dubourg l'a redit...

M. le Président : Vous le citez, mais seulement quand cela vous arrange !

M. Yves de LA FOUCHARDIÈRE : Nous pouvons citer d'autres spécialistes...

M. le Président : Le ministre, que nous entendions juste avant vous, nous a confirmé que ce n'était pas encore prouvé. Restons-en là et développez votre argumentation.

M. Denis LAMBERT : Il existe un commerce d'animaux, particulièrement de poussins vivants, entre la Chine ou d'autres pays et l'Afrique. C'est pourquoi l'on pense que le H5N1est vraisemblablement arrivé en Afrique par les poussins.

M. le Président : Autrement dit, pour parler clairement, vous émettez, en tant qu'industriels, une protestation contre cette forme de commerce... Réclamez-vous un contrôle renforcé ?

M. Yves de LA FOUCHARDIÈRE : La France exporte une quantité considérable de poussins, qu'il s'agisse de dindes, de canards et surtout de reproducteurs - nous détenons 30 % du marché de la génétique aviaire. Il va nous falloir trouver des protocoles au niveau européen évitant la fermeture des frontières. Nous y sommes parvenus avec la maladie de Newcastle, en répondant aux exigences de l'Angleterre qui refusait tout reproducteur issu de grands-parents vaccinés. Il suffira de faire travailler les experts sanitaires européens et français pour trouver le mode de fonctionnement adéquat. Quoi qu'il en soit, on finira tôt ou tard par aller à la vaccination, j'en prends le pari.

M. Gabriel BIANCHERI : Je partage ce jugement.

M. François GUILLAUME : La réduction du potentiel de production par le financement de départs volontaires permettra peut-être de faire face à la diminution de la consommation, mais elle revient à tuer l'avenir... Ne serait-il pas préférable, dans le cadre de vos relations contractuelles, de réduire le potentiel de production, sans organiser de départs, à charge pour l'État de compenser le différentiel entre le prix de revient et le prix de vente, afin de garantir le revenu du producteur, dans l'attente de jours meilleurs ?

M. Yves de LA FOUCHARDIÈRE : La décision que nous avons prise vise justement à préserver l'avenir : en indemnisant les cessations d'activité, nous anticipons sur des départs à la retraite et un « papy-boom » prévisibles, tout en préservant du dépôt de bilan nos plus jeunes adhérents, financièrement les plus fragiles parce qu'en période de remboursement. Autrement dit, les anciens partent un peu plus tôt et les jeunes sont confortés dans leur exploitation grâce au maintien d'un rythme de rotations. Prévoir une indemnisation sur le modèle que vous suggérez n'aurait de sens qu'à partir du moment où nous serions sûrs de retrouver nos niveaux de vente antérieurs ; or, ce ne sera pas le cas. Et quand bien même nous y parviendrions un jour, les éleveurs et les bâtiments les plus anciens ne seraient plus, alors, en activité. Aussi avons-nous préféré investir dès maintenant 3,5 millions d'euros afin de préserver une filière qui croit en l'avenir, plutôt que d'attendre la fin 2006 pour constater que tous les jeunes seront tombés ; s'il ne reste plus que les anciens, la filière aura totalement disparu dans dix ans.

M. Denis LAMBERT : Des aides au stockage - ou au déstockage, car des stocks se sont déjà constitués - nous aideraient évidemment à nous en sortir. S'agissant des échanges d'animaux vivants, je ne puis que suggérer au Gouvernement de renforcer la vigilance dans les aéroports et les gares, tant au niveau des voyageurs qu'à celui des marchandises. Le virus arrivera plus facilement par l'avion que par les oiseaux migrateurs.

M. Gabriel BIANCHERI : Nous sommes bien d'accord.

La petite coopérative d'abattage située près de chez moi demande, elle aussi, des aides au stockage afin de ne pas interrompre son activité. Elle a calculé que si la situation ne se dégradait pas davantage, elle pourrait supporter la crise pour peu qu'on la soulage de ses charges patronales. Elle aussi a anticipé les difficultés à venir : par solidarité, les producteurs les plus anciens ont accepté de ne pas remettre immédiatement de nouvelles unités en production, afin de préserver l'activité des jeunes les plus en difficulté. Autrement dit, même les plus petites structures ont d'ores et déjà pris, en interne, des dispositions qui seraient, au demeurant, parfaitement transposables.

M. le Rapporteur : Le Gouvernement s'oriente vers deux vaccins, l'un classique et l'autre issu des biotechnologies. Avez-vous une préférence particulière ?

M. Yves de LA FOUCHARDIÈRE : J'ai eu l'occasion d'examiner ce dossier de près. Non seulement nous sommes persuadés de l'excellence de notre système vétérinaire, mais nous reconnaissons la totale compétence de l'AFSSA pour émettre des recommandations, tout comme celle de la DGAL et des services départementaux. Si nous avons connaissance, grâce à nos propres réseaux, d'un vaccin présentant un intérêt particulier, nous présenterons nos suggestions, mais nous suivrons, en tout état de cause, la position du ministère.

M. le Président : Faites-vous partie de l'Association nationale des industries alimentaires, l'ANIA ?

M. Denis LAMBERT : Pas directement. Nous sommes adhérents de la FIA, la Fédération des industries avicoles, elle-même membre de l'ANIA.

M. le Président : L'ANIA a, vis-à-vis de l'AFSSA, un discours moins élogieux que le vôtre...

M. Denis LAMBERT : Je ne connais que le poulet, et un peu le secteur traiteur, qui représente 10 % de notre activité. Nous avons toujours approuvé, et aussitôt appliqué, les recommandations de l'AFSSA, en particulier sur le confinement.

M. le Président : Messieurs, nous vous remercions.

Audition de M. Michel PRUGUE, secrétaire général de la Confédération française de l'aviculture

(Compte rendu de la réunion du
mercredi 22 février 2006)

Présidence de M. Jean-Marie LE GUEN, Président

M. le Président : La mission d'information a souhaité vous rencontrer pour faire le point, avec vous, sur les conséquences de la crise actuelle liée à la grippe aviaire sur la filière avicole, et connaître les mesures que vous préconisez tant sur le plan économique que sur le plan sanitaire et réglementaire.

M. Michel PRUGUE : Représentant des aviculteurs, je suis moi-même producteur de poulets jaunes des Landes, le premier label qui fut agréé en France, en 1965, mais également président d'une coopérative agricole ayant une activité de production de volailles. Vous comprendrez que je sois très sensible au sujet... Vos connaissances en la matière étant, je suppose, déjà très complètes, je vais aborder directement le cœur du sujet, en vous exposant notre sentiment avant de vous faire part de nos attentes.

Au fil des décennies, notre filière s'est construite à partir de plusieurs débouchés, sur le marché national avec des produits standard et labellisés, et à l'exportation, toutes espèces confondues. Grâce à la compétence de ses éleveurs, de ses industriels, mais également de ses services publics et de son environnement vétérinaire, la France a su résister à une concurrence exacerbée. Dès les années soixante, bien avant que l'on ne parle de traçabilité et de sécurité sanitaire, nous avons mis au point des systèmes de cahiers des charges et de contrôle, dont beaucoup rêvent encore. La transparence est quasi totale et nous pouvons répondre à pratiquement toutes les questions ; or, nous avons l'impression que c'est précisément cela qui nous porte préjudice aujourd'hui. Les informations précises que nous demandent politiques et médias se transforment en autant de messages anxiogènes pour la population, pèsent lourdement sur la consommation et en viennent à pénaliser les bons élèves, ceux-là mêmes qui apportent toutes les garanties. D'où certaines réactions, parfois épidermiques et désordonnées, chez les éleveurs.

Depuis que l'alerte a été donnée en novembre 2005, la distribution annonce une chute de la consommation et les industriels enregistrent, à leur tour, des baisses d'activité qui se ressentent encore plus aujourd'hui dans la mesure où ils avaient, dans un premier temps, stocké. Les éleveurs, eux aussi, ont commencé à souffrir, mais le véritable choc pour eux arrive seulement aujourd'hui, car les congélateurs des entreprises sont désormais pleins et elles n'achètent plus ; le coût économique des stocks va d'ailleurs vite atteindre un niveau insupportable. Des dispositions ont été prises en leur temps pour permettre d'absorber les productions en cours - il faut entre deux mois et demi et quatre mois selon les produits. Mais, aujourd'hui, le choc est là. On sait qu'une baisse d'activité de 30 à 40 % va immanquablement conduire à transformer le faible bénéfice résiduel en perte.

Des accords internationaux ayant notablement limité nos possibilités à l'exportation, notre filière était déjà structurellement en situation de surcapacité. Nous avions réagi en fermant 1,5 million de mètres carrés, grâce à des aides de l'État. De surcroît, la consommation évolue et tend à délaisser la carcasse entière pour des produits élaborés dont la matière première provient souvent d'autres régions du monde. Dès lors, on peut se demander s'il ne faudrait pas intervenir à deux niveaux : au niveau structurel, analyser les tendances lourdes en matière de vente et de consommation pour la décennie qui vient, afin - ce n'est pas agréable à dire pour un représentant syndical - d'adapter notre capacité de production ; au niveau conjoncturel, estimer le poids de l'influenza aviaire et de ses conséquences pour les mois à venir, afin d'appliquer une logique de gel d'ateliers tout en indemnisant les éleveurs, dans le but de préserver ce potentiel de production. Ma coopérative, par exemple, a d'ores et déjà décidé d'affecter 1 million d'euros au gel temporaire de bâtiments ; nous n'avons pas voulu aller jusqu'à la suppression pure et simple, qui relève à notre avis de décisions collectives dépassant le cadre d'une entreprise.

M. le Président : Vous parlez de fermeture de bâtiments, alors que les volailles des Landes ne sont pas confinées...

M. Michel PRUGUE : En fait de bâtiments, il faut comprendre « capacités de production ». Nos volailles sont élevées dans des bâtiments seulement le temps de « faire la plume » ; ensuite, elles galopent en plein air et n'ont plus que des abris pour dormir la nuit, se restaurer et boire. De ce fait, il nous est impossible de totalement les confiner pendant toute la durée de leur vie. Nous pouvons, à la rigueur, allonger la durée de confinement initial, mais nous sommes obligés de les lâcher dans les dernières semaines, faute de quoi elles se griffent, se piquent et s'entretuent. C'est une particularité de ces races, que nous avons sélectionnées pour leurs qualités gustatives ; il ne faudrait pas que ce choix, qui répondait aux attentes du consommateur, nous porte à présent préjudice.

Cela dit, il sera difficile d'expliquer aux producteurs français, qui ont su être compétitifs à l'export, qu'ils ne le sont plus aujourd'hui en raison de coûts de main-d'œuvre, de taux de change, de critères de bien-être animal et de contraintes sanitaires que le Brésil, par exemple, n'a pas à supporter, et qu'ils devront fermer des mètres carrés de bâtiments pour voir des viandes d'importation remplacer les leurs dans les préparations élaborées ! A cet égard, je trouve parfaitement anormal que le consommateur ne soit jamais informé de la provenance de la matière première principale d'un produit transformé. Ce ne serait, ni de la distorsion de concurrence, ni du protectionnisme...

M. le Président : Quel est le facteur bloquant ? Une réglementation européenne ?

M. Michel PRUGUE : Je ne suis pas un spécialiste de ces questions... J'ai cru comprendre que cela tenait aux positions de l'Union européenne dans les négociations internationales et faisait partie des règles sur lesquelles il n'est pas possible de revenir.

M. le Président : Vous nous avez finalement moins parlé de la grippe aviaire en tant que telle que de l'évolution de la production. Si je comprends bien, cette crise sanitaire et ses conséquences économiques sont intervenues à un moment où la filière connaissait déjà une profonde mutation : la consommation s'orientant de plus en plus vers des produits préparés - on peut du reste se demander si les pouvoirs publics doivent favoriser une telle évolution, qui n'est pas sans conséquences, y compris sur la santé publique du fait notamment de leurs propriétés caloriques -, vous vous retrouvez victimes de règles injustes en matière d'étiquetage et de provenance. C'est un point qu'il faut souligner...

M. Michel PRUGUE : Cette question de l'origine est essentielle pour la profession, et désormais revendiquée dans tous les bassins de production. Les labels rouges bénéficiaient de l'avantage de pouvoir faire état de l'origine de leur production, en contrepartie d'un cahier des charges spécifique. Aussi, la profession a-t-elle souvent hésité à parler de provenance de matières premières pour éviter toute confusion à cet égard chez le consommateur. Mais dès lors qu'il s'agit de produits élaborés, la provenance des principaux ingrédients devrait être mentionnée, sans pour autant devenir un argument commercial, afin de préserver l'avantage reconnu aux labels rouges, IGP et AOC, plus coûteux mais qui garantissent une meilleure relation entre le producteur et ses clients.

Le secteur de la volaille était depuis longtemps entré dans une phase de reflux. L'épisode de l'ESB, en détournant le consommateur de la viande rouge, avait « boosté » la consommation de volaille et, par le fait, contrecarré ce mouvement structurel en retardant l'échéance.

M. le Président : C'est très honnête de votre part de le reconnaître.

M. Michel PRUGUE : Il est d'autres endroits où nous serions plus réticents à nous exprimer ainsi ; mais le peuple vous a confié un mandat et nous nous devons de vous donner toutes les informations.

Quelques restructurations avaient déjà eu lieu, mais nous avons profité d'un marché quelque peu artificiel, d'autant que les épizooties survenues en Hollande et en Italie nous avaient permis de préserver certains débouchés.

Cela dit, il n'est pas question de sombrer dans le fatalisme et de nous dire que, face à la pression des opérateurs internationaux, nous n'aurions plus qu'à fermer nos bâtiments... Les éleveurs français ont l'avantage de disposer d'une production céréalière sur leur territoire, ils ont fait tous les efforts possibles en matière sanitaire, en matière de différenciation des produits comme en matière de segmentation des marchés. Pourquoi devraient-ils baisser pavillon au motif que les différentiels monétaires, sociaux et autres leur seraient défavorables ? Je ne suis pas partisan d'une économie artificielle, mais une identification précise des distorsions de coûts et de concurrence devrait permettre de pallier ces différentiels. C'est ce qui se produit, nous dit-on, par le jeu des restitutions à l'exportation : c'est vrai, mais pour partie seulement.

Il faut également prendre en considération les intérêts particuliers de chacun, à tous les niveaux. Commençons par celui du consommateur, à qui l'on explique sans cesse qu'il paie trop cher son alimentation, et que l'on fera pression sur les vilains industriels et ces méchantes marques qui lui prennent trop d'argent... N'est-ce pas un peu abuser de la crédulité des citoyens ?

M. le Président : Très juste...

M. Michel PRUGUE : Du coup, la pression est mise sur le deuxième échelon, les industriels, amenés à s'organiser afin de préserver leurs comptes d'exploitation. Et au bout de la chaîne, on trouve le producteur. Ne versons pas pour autant dans le misérabilisme : ce secteur sait se défendre, mais quand on lui en laisse les moyens. Or, ce n'est pas lui qui décide des mises en production, ou si peu : il s'adapte, dans le cadre des partenariats contractuels qu'il a bâtis avec les coopératives, les industriels, voire la distribution. Encore faut-il que le contrat soit équilibré et qu'en cas de sinistre, les difficultés soient partagées. Voilà pour la partie structurelle.

Pour ce qui est de l'aspect conjoncturel, autrement dit de la grippe aviaire, le facteur le plus perturbant, pour nous, tient à ce que j'appellerai le voyeurisme des médias, et le comportement des politiques. On veut convaincre le public que le dispositif de sécurité sanitaire français est parfaitement fiable, qu'il démontre régulièrement son efficacité, y compris s'agissant de la volaille, mais, en même temps, on ne veut pas trop en parler, afin de ne pas affoler le bon peuple. Les médias, et parfois les élus, insuffisamment au fait de la réalité du monde agricole, développent des thèses si techniquement compliquées qu'elles en deviennent incompréhensibles et anxiogènes pour nos concitoyens. Je salue les efforts financiers du ministère de l'agriculture pour développer une communication grand public ; il n'en reste pas moins que nous sommes débordés. Comme me le faisait observer hier l'un de mes collègues à propos de la vaccination éventuelle des canards, la seule chose qui va intéresser les médias, c'est de savoir à quelle heure arriveront les vaccins en gare de Dax pour que les caméras ne manquent pas les premières injections ! Qu'est-ce que cela apporte au consommateur français ? L'important n'est-il pas de savoir que nous avons un système rationnel, efficace, et que les efforts de notre gouvernement comme des parlementaires visent à ce qu'il en toujours soit ainsi ?

M. le Président : Malheureusement, ni vous ni nous ne pouvons rien à cet état de choses. De surcroît, tout le monde s'accorde à constater que les médias font preuve d'une attitude plus rationnelle depuis quelques jours. Il nous faut faire avec l'exigence de transparence et la médiatisation, à défaut de pouvoir desserrer l'étau.

M. Michel PRUGUE : J'en conviens, monsieur le Président, mais ce serait une bonne chose si nous pouvions expliquer aux médias les limites à ne pas franchir, et convaincre les consommateurs de l'efficacité de notre système.

M. le Président : Très juste.

M. Michel PRUGUE : Nous pourrions également intervenir en direction des collectivités : pour le moment, personne ne songe à interdire la volaille dans les cantines...

M. Gérard CHARASSE : Vous êtes bien optimiste !

M. le Président : J'aimerais partager votre optimisme et nous ferons tout pour éviter un tel phénomène. Malheureusement, il faut nous attendre à un choc dans les prochaines semaines, et à des attitudes qui n'ont aucune raison d'être.

M. Michel PRUGUE : Un dernier point sur l'organisation de notre profession : nous militons depuis des années pour la création d'une interprofession avicole qui rassemblerait toutes les familles professionnelles ; elles pourraient ainsi débattre ensemble des mêmes problèmes, en évitant les contrevérités.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Est-ce à dire que le climat actuel n'est pas à favorable à une discussion sereine ?

M. Michel PRUGUE : Nous essayons d'y travailler, mais il est difficile d'aller contre certaines habitudes tenaces...

M. le Rapporteur : Pouvez-vous nous en donner un exemple ?

M. Michel PRUGUE : Par exemple, tant que nous ne pourrons pas débattre avec nos partenaires qui se situent en aval de la chaîne des prospectives de marché et des mesures d'adaptation qui en découleront pour les industriels comme pour les producteurs, comment pourrons-nous mener, même avec l'aide de l'État, une réelle communication grand public ? C'est pourtant ce qu'a réussi à faire la filière viande bovine...

M. François GUILLAUME : Précisons que Bruxelles ne reconnaît pas encore les interprofessions, pourtant mises en place en France par la loi de 1975, et qu'elle persiste à les considérer comme des ententes.

M. Michel PRUGUE : Vous avez raison, mais aucun système n'a vocation à durer ad vitam aeternam. Il faut savoir s'adapter à chaque période. Face à la mondialisation des échanges, il devrait être possible de dessiner des perspectives sur les futurs débouchés et d'organiser en conséquence nos productions à l'échelle du territoire français, sinon européen.

Le confinement ne pose pas de problème pour la production de volailles standard, naturellement confinées. N'oublions pas, cependant, que les virus sont dans l'air ambiant et peuvent s'introduire dans les bâtiments. Le secteur des labels rouges, plus particulièrement touché, voit coexister deux systèmes d'élevage. Le premier, qui concerne la plus grande partie de la production, utilise des bâtiments assez grands, avec des taux de chargement relativement faibles, et d'où les volailles sortent de temps en temps. Les éleveurs qui ont confiné leurs animaux sitôt l'arrêté publié ont assez rapidement rencontré certaines difficultés - piquage, mortalité accrue - bien que le raccourcissement des jours en hiver fasse normalement baisser l'agressivité chez les animaux. Inversement, l'arrivée du printemps marque le retour d'une phase dite ascendante, d'où une recrudescence des problèmes liés à l'enfermement. Toutefois, certains éleveurs pensent pouvoir les maîtriser.

Il n'en est pas de même avec l'autre système d'élevage, celui en plein air, qui concerne la volaille de Bresse, ou en liberté pour le poulet des Landes et les palmipèdes. Dans ces élevages, les souches ont été sélectionnées pour rester en contact de la nature. Sitôt passée la période d'emplumement, les animaux vivent à l'extérieur et ne peuvent être confinés : non seulement nous ne disposons pas des bâtiments nécessaires, mais ces variétés de volailles ne supportent pas le confinement. La première réaction des éleveurs a été d'envisager la vaccination des volailles, mais ils attendent l'avis des scientifiques sur cette possible solution. Il faudrait aussi évoquer les conséquences prévisibles de la vaccination sur les exportations.

Si la vaccination est impossible, que faire ? Ces éleveurs sont tous identifiés au sein des groupements de producteurs, leur production est planifiée, leurs bâtiments sont localisés, leurs effectifs d'animaux et les taux de mortalité sont connus au jour le jour, le moindre incident est systématiquement consigné dans des documents techniques quotidiennement tenus à jour ; et il y a, sur le terrain, en permanence, les techniciens des structures, les vétérinaires privés et ceux des services départementaux. Nous sommes persuadés que, par une surveillance visuelle permanente et une remontée d'informations quotidienne, nous sommes parfaitement capables de détecter un élevage suspect en temps réel et de prendre immédiatement les mesures adaptées - comme nous le faisons du reste pour toutes les autres maladies. Ceux qui ne connaissent pas le monde agricole peuvent être surpris d'une telle rapidité de réaction : mais c'est notre lot quotidien. Nous sommes surpris que cela surprenne...

M. le Président : À vous entendre, la vaccination pose des interrogations d'ordre économique - nous en avons déjà débattu - mais également d'ordre scientifique, que nous partageons. Et je ne doute pas de l'excellence de votre système de surveillance. Mais ne craignez-vous pas que l'infection par la faune sauvage d'un, de deux puis de trois élevages ne provoque une véritable déstabilisation stratégique de la filière, surtout si les caméras de télévision relaient l'événement ? Ne peut-on envisager une forme de confinement intermédiaire, à l'aide de filets par exemple ? Le ministre semblait ouvert à cette idée. Au moins éviterait-elle les mauvaises rencontres avec la faune sauvage.

M. Michel PRUGUE : La question n'est pas simple, car nous aurions effectivement à gérer une crise d'image si, par malheur, un de nos élevages était infecté. Il s'agit donc bien d'un problème de communication : quel message voulons-nous envoyer ? Nous avons indiqué aux pouvoirs publics que nous pourrions porter la durée de confinement de nos jeunes animaux de quatre à huit semaines maximum.

M. le Président : Sur une durée totale de combien ?

M. Michel PRUGUE : Huit semaines sur treize. Cependant, plus les jours s'allongeront, plus il sera difficile de tenir les animaux enfermés. Les filets empêcheront les oiseaux sauvages de s'approcher des élevages par le haut, mais pas de passer à côté. Jamais on ne voit un oiseau sauvage se poser au milieu de nos élevages dès lors qu'il n'y trouve pas d'alimentation ou d'abreuvement. Cela ne signifie pas que le risque soit exclu, mais tout est question de probabilité : un sur mille ou sur cinq mille, ce n'est pas pareil qu'un sur dix ou sur cent. Nous sommes comme vous : nous savons qu'un accident serait dramatique pour notre filière. Mais en prenant des mesures inadaptées ou de simple affichage, nous ne ferons qu'amplifier le phénomène et, finalement, précipiter les problèmes économiques. La solution la plus simple, si nous disposions de toutes les garanties scientifiques, serait la vaccination. Il doit être possible d'expliquer à nos concitoyens que nous vaccinons nos animaux contre l'influenza aviaire comme nous le faisons depuis longtemps contre la maladie de Newcastle ou de Gumboro. Pourquoi inquiéterions-nous ainsi le consommateur ? Confirmons-lui que nous vaccinons les volailles depuis des décennies contre d'autres maladies, et que c'est précisément cette mesure qui lui permet de trouver une alimentation saine dans les magasins. Pourquoi le cacher ? La vaccination est un moyen de protéger les populations humaines ; il en est exactement de même pour les animaux. Encore faut-il que les pouvoirs publics prennent la décision de vacciner en connaissance de cause, et donc que les scientifiques apportent toutes les garanties. Si tel est le cas, nous l'appellerons de nos vœux.

M. le Rapporteur : J'apprécie vos propos. L'OIE elle-même estime que la vaccination est nécessaire dès lors que les défenses sont enfoncées. Du reste, plusieurs expériences étrangères en ont démontré le bien-fondé. Tout dépendra effectivement de l'expertise scientifique.

Vous serez très prochainement reçus par le ministre. Que pensez-vous des dispositifs d'aide annoncés ? Quelles propositions présenterez-vous en retour au Gouvernement ?

M. Gérard CHARASSE : J'ai particulièrement apprécié votre intervention. Mais le prolongement de trois semaines du confinement initial ne remet-il pas en cause le cahier des charges associé au label ?

M. François GUILLAUME : La vaccination ne comporte-t-elle pas un risque au niveau du commerce international ? Certains pays ne manqueront pas d'en tirer prétexte ; et le temps de prouver l'innocuité du vaccin, nous aurons perdu des marchés, que nous ne récupérerons jamais.

M. Marc JOULAUD : Vous avez évoqué la difficulté des acteurs de la filière à s'entendre sur un discours commun dans le cadre d'une interprofession. Croyez-vous que la vaccination soit un sujet de nature à les réunir ?

M. Michel PRUGUE : Pour ce qui est des aides publiques, laissons de côté le plafonnement à 3 000 euros par exploitation, en application de la règle de minimis. Je ne vous donnerai qu'un exemple : notre coopérative - 600 producteurs - a décidé d'affecter 600 000 euros, plus 200 000 euros de cotisations sur les éleveurs, à un fonds qui devrait permettre, pour peu que la consommation ne s'effondre pas davantage, de limiter pour 2006 la baisse de résultat dans les élevages à 15 ou 20 % - autrement dit de parer au plus pressé. Les 5 millions d'euros annoncés par le Gouvernement, s'ils sont répartis comme prévu, permettront seulement de prendre en charge la cotisation de l'éleveur... De notre côté, nous aurons consacré pratiquement 30 % de nos moyens financiers à geler des mètres carrés. Mais si nos résultats s'effondrent à moins 30, moins 40 %, nous ne saurons plus faire. Nous devrons demander à l'État et à l'Europe beaucoup plus d'argent pour soutenir les producteurs.

M. le Rapporteur : Vous avez entendu la réponse de l'Europe...

M. Michel PRUGUE : Et nous connaissons la situation de l'État !

M. le Rapporteur : Qu'allez-vous dire au Ministre ?

M. Michel PRUGUE : Je reviens à ce que je disais tout à l'heure : adaptation structurelle et mesures conjoncturelles. La question est de savoir, dans le cadre plus général du débat sur l'avenir de l'agriculture française, ce que l'on veut faire de notre industrie avicole et des producteurs, et si l'on est décidé à mettre en œuvre un véritable plan de réorganisation, avec les moyens financiers appropriés, comme on a su le faire pour d'autres secteurs d'activité. Pour ce qui est du soutien aux éleveurs, nous avons à notre disposition la panoplie classique - report d'annuités, prise en charge des cotisations sociales, aide aux vides sanitaires en élevage, dégagement de volailles des élevages en vif, etc. - pour assurer aux éleveurs un peu de trésorerie et les aider à passer cette période difficile, en espérant que la crise s'estompe rapidement, que la pression médiatique retombe et que le consommateur reprenne ses habitudes alimentaires. Mais si la crise s'accentue, il faudra d'autres mesures structurelles.

Les obligations du cahier des charges pour les élevages labellisés ne se limitent pas au parcours extérieur : sont également définies les souches, la durée de l'élevage, l'alimentation, etc. Dès lors que nous pourrons démontrer que le produit ne subira pas d'atteintes qualitatives majeures, l'allongement du confinement me semble gérable. Nos collègues de Bresse, dont la situation est encore plus critique, partagent cet avis. S'il fallait tenir ainsi dix ans, il y aurait effectivement un problème ; mais pendant trois, six, voire douze mois, le consommateur ne sera pas lésé, d'autant que nous adapterons l'alimentation des animaux en conséquence.

Quelles seront les conséquences de la vaccination sur le commerce international ? Nous sommes de gros exportateurs en génétique, en accouvage et en produits entiers. C'est vrai que les producteurs doivent s'attendre à une baisse des exportations si des pays en profitaient pour fermer leurs frontières. Je suis toutefois surpris que personne n'ait jamais parlé du H5N2 qui a sévi aux États-Unis, et que les crises en Italie et en Hollande n'aient pas affolé outre mesure les populations...

L'intérêt d'une interprofession tient au fait que l'on obligerait ainsi les familles professionnelles concernées à se mettre d'accord ; ce faisant, la décision collective, une fois validée par les pouvoirs publics, deviendrait la règle. Sans interprofession, tout le monde peut dire oui en réunion, et faire le contraire ensuite... L'interprofession aurait effectivement été une instance tout à fait appropriée pour discuter de la pertinence de la vaccination par rapport à l'export. Mais, actuellement, les intérêts sont contradictoires dans toute la filière.

M. Daniel PRÉVOST : La question de l'interprofession est fondamentale. J'en discutais hier encore avec le Président de la FNSEA, M. Lemétayer, qui appelle la filière avicole à suivre l'exemple de la filière porcine.

M. Michel PRUGUE : L'interprofession ne réglera évidemment pas tous les problèmes du jour au lendemain, mais elle donnera au moins l'occasion à tous les acteurs de la filière de parler des mêmes problèmes en même temps. Dès l'instant où toutes les familles parviendraient à un consensus, il deviendrait possible de demander aux pouvoirs publics d'en faire une règle qui prenne force de loi pour tout le monde, et ce d'autant plus facilement qu'elle serait d'origine professionnelle. La filière palmipèdes s'est d'ores et déjà dotée d'une interprofession ; le débat sur l'influenza aviaire est désormais traité dans ce cadre, et cela marche. Qu'il s'agisse de gérer les volumes de production ou de modifier les règles de commercialisation, on ne demande pas à l'État d'intervenir, mais seulement d'adapter les règles en conséquence, une fois que les familles professionnelles se sont mises d'accord, et de les faire respecter. Dans ce mode de fonctionnement moderne, l'État jouerait son rôle d'orientation et de décision, et les professionnels assumeraient eux-mêmes leur avenir.

L'Europe, on le sait, n'est pas favorable aux interprofessions. Mais plus nous irons vers la mondialisation, plus nous aurons besoin d'organisations capables de déterminer des marchés pertinents et les productions correspondantes à assurer. Évidemment, il pourrait y avoir des entraves à la concurrence : je fais confiance à la Commission et à certains grands cabinets d'avocats pour intenter les procès appropriés ! Mais pourquoi interdirait-on aux producteurs et entreprises du bassin « poulet jaune des Landes » de se mettre d'accord pour définir des volumes et des prix pour un seul produit, alors que nous en aurions parfaitement le droit si nous n'avions qu'une marque et un seul opérateur économique ? Pensez-vous que le consommateur soit lésé lorsqu'il trouve sur les rayons à la fois du poulet jaune des Lande, du poulet du Gers, du poulet de Loué, etc., concurrents depuis toujours ?

M. le Rapporteur : Quelle part représente la filière avicole à l'exportation ?

M. Michel PRUGUE : Nous exportons 40 %, soit 715 000 tonnes sur un total de deux millions de tonnes, produit par 20 000 éleveurs. Sur les 60 % restant pour le marché intérieur, 60 % vont aux ménages via les GMS - les grandes et moyennes surfaces - et les circuits traditionnels, 18 % dans la restauration hors domicile et 22 % dans la transformation, produits élaborés et autres.

M. le Rapporteur : Nous vous remercions de votre franchise et de votre honnêteté intellectuelle. Nous vous souhaitons bonne chance dans vos discussions avec le Gouvernement, qui lui-même aura fort à faire à Bruxelles... La coopération communautaire n'a pas été à la hauteur de nos attentes.

M. Michel PRUGUE : Monsieur le rapporteur, je vous remercie au nom de tous les aviculteurs. Pour une grande partie des producteurs, les enjeux s'analysent moins en termes d'exportation ou de chiffre d'affaires qu'en termes de maintien d'une vie sociale dans nos zones rurales. Deux tiers d'éleveurs élèvent des volailles standard et un tiers de producteurs des volailles sous label ou bio et se répartissent à peu près harmonieusement sur le territoire national où, avec l'industrie agro-alimentaire, ils génèrent un nombre considérable d'emplois. C'est précisément ce souci de maintenir à tout prix, non pas des paysans en tant que tels, mais la vie sociale liée à l'activité avicole qui explique notre discours parfois passionné...

M. le Rapporteur : J'étais, il y a quelques jours, en Turquie avec plusieurs de mes collègues. Nous avons pu prendre la mesure des difficultés de la filière avicole là-bas, avant même que nous n'apprenions l'arrivée du H5N1 en France. Je me suis aussi rendu sur le terrain en France, avec le Ministre de l'agriculture, pour écouter les éleveurs de ma circonscription et nous avons eu, avec eux comme avec vous aujourd'hui, un dialogue tout à fait constructif. Je vous souhaite bonne chance. Et mangeons de la volaille !

M. Michel PRUGUE : Parfaitement !

Table ronde sur la question de la vaccination des oiseaux contre la grippe aviaire, avec M. Bernard VALLAT, Directeur général de l'organisation internationale des épizooties (OIE), M. Philippe VANNIER, directeur de la santé animale à l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA), MM. Louis EGRON et Pascal PAULET, représentants de la société INTERVET S.A

(Compte rendu de la réunion du mercredi 8 mars 2006)

Présidence de M. Jean-Marie LE GUEN, Président

M. le Président : Messieurs, je vous remercie d'être venus participer à ce débat sur les problèmes posés par la vaccination animale. Mais auparavant, je voudrais vous faire part des impressions des députés de la mission qui ont effectué un déplacement au Sénégal et au Mali il y a quelques jours.

Tout d'abord, nous avons noté qu'en dépit de la gravité de la situation en Afrique, et dans l'état actuel des choses, aucune alerte précise n'a été relevée dans ces deux pays. Nous avons trouvé des autorités politiques, administratives et scientifiques très motivées et conscientes du risque, des programmes d'action sérieux et de très bonne qualité, qui méritaient tout à fait le soutien et l'approbation des autorités scientifiques nationales et internationales - OIE, CIRAD, IRD, etc. Or, malgré les initiatives prises par les pays d'Afrique de l'Ouest, qui ont créé un forum d'actions contre la grippe aviaire et ouvert à cet effet un compte commun à la Banque africaine du développement, ces pays n'ont reçu aucun soutien financier international. La FAO, agence internationale de l'ONU elle-même, si l'on en croit son directeur, M. Diouf, n'a vu arriver, en tout et pour tout, à cette heure, que la somme dérisoire de 16 millions d'euros !

Une première conférence internationale s'était réunie début novembre à Genève, à l'initiative de la France et de l'Union européenne, où l'on avait sonné la mobilisation et fait taire les divergences d'approche entre l'OMS et l'OIE ; une deuxième conférence a eu lieu à Pékin à la mi-janvier, à laquelle notre rapporteur et moi-même avons assisté, où l'on a pu célébrer la mobilisation internationale, la Banque mondiale déclarant avoir reçu - pour partie sous forme de promesses, certes - 1,9 milliard de dollars. Et aujourd'hui, alors que les systèmes d'alerte et de surveillance doivent être financés de toute urgence - c'est une question de jours - on nous a raconté qu'au Mali, alors que les procédures et le savoir-faire sont là, ils n'ont pas d'argent pour payer l'essence de la mobylette du technicien vétérinaire chargé d'inspecter les élevages, qui se trouvent à 30 ou 40 kilomètres de la capitale ! Nous sommes stupéfaits, alors que ces sommes ont été mobilisées depuis un mois et demi, de découvrir que la Banque mondiale, d'ordinaire assez portée à donner des leçons de bonne gouvernance au reste la planète, est incapable de mettre un minimum d'argent à la disposition des pays les plus concernés qui, de leur côté, ont fait tous les efforts possibles et imaginables. Ce faisant, non seulement on les décourage, mais on décrédibilise la politique internationale.

J'appelle, par ce cri de colère et de mobilisation, les organismes internationaux payeurs à passer à l'action : il n'y a absolument aucune raison d'attendre des semaines pour débloquer les premières sommes, au demeurant très modestes au regard des enjeux économiques, sociaux et humains. Nous demandons solennellement à la communauté internationale, et le Gouvernement français aura certainement à cœur de relayer cet appel auprès de l'Union européenne, des organismes internationaux et notamment de la Banque mondiale, de libérer les financements au plus vite. Et s'il advenait que des promesses n'étaient pas concrétisées, il nous appartiendrait de clamer notre colère face à l'opinion publique mondiale et de dénoncer l'inconscience d'une communauté internationale, incapable de prendre ses responsabilités face à des pays particulièrement défavorisés et pourtant totalement conscients et mobilisés.

Mais peut-être M. Bernard Vallat, en tant que représentant d'une de ces organisations internationales, pourrait-il nous apporter des informations, voire nous rassurer pour partie...

M. Bernard VALLAT : La Banque mondiale travaille d'arrache-pied pour mettre en place des programmes nationaux au profit des pays qui en ont le plus besoin, et notamment des pays d'Afrique. Son conseil d'administration vient de décider l'affectation de 500 millions de dollars destinés à couvrir les engagements pris à Pékin, mais il s'agit très majoritairement de procédures de prêts. Or, de nombreux pays, compte tenu de leur situation, répugnent à s'endetter davantage. Le fonds fiduciaire, destiné à recevoir les dons de l'Union européenne et de bailleurs de fonds bilatéraux, n'a vu arriver à ce jour que 50 millions de dollars sur le milliard promis... Autrement dit, cette situation n'est pas le fait la Banque mondiale, mais bien des bailleurs de fonds bilatéraux ou régionaux, comme l'Union européenne, qui n'ont pas tenu leurs engagements.

M. le Président et M. le Rapporteur : Qui n'ont pas tenu leurs engagements ?

M. Bernard VALLAT : Parfaitement, et le plus mauvais élève est l'Union européenne, qui n'a toujours pas décidé de quelles manières seraient affectés les financements promis à Pékin. Les directions générales impliquées - santé et protection des consommateurs, développement, relations extérieures - sont toujours en discussion, d'autant que la mobilisation du financement passe par l'agence AIDCO.

M. le Rapporteur : Rappelez-nous les montants...

M. Bernard VALLAT : Sont attendus pour l'Afrique 30 millions d'euros. Mais ils ne sont toujours pas affectés et le mécanisme n'est toujours pas décidé. Il y a vraiment là, pour un pays membre, matière à interpeller la Commission.

Se pose également le problème, déjà relevé à Pékin, de la gouvernance en Afrique, où les fonctions publiques ont été démembrées et déstabilisées par des ajustements structurels. Si, ainsi que vous avez pu le constater, les pays se sont effectivement mobilisés et ont pris en compte nos messages techniques, leurs services vétérinaires sont incapables de mettre en œuvre une législation, aussi bonne soit-elle. Il y a vraiment un problème d'amélioration de la gouvernance ; mais nous avons eu la satisfaction de voir que la Banque mondiale, après avoir contribué à déstabiliser les fonctions publiques en Afrique, voudrait maintenant revenir en arrière et nous aider à y améliorer la gouvernance ; malheureusement, cela suppose une action de fond qui prendra des années.

Notre sentiment est que l'Afrique s'installe dans l'endémicité comme cela avait été le cas pour l'Asie où, trois ans après le début de l'épizootie, de nouveaux foyers animaux, et même humains, continuent d'apparaître, y compris en Chine. Nous avons toutefois la satisfaction de remarquer que la Thaïlande et le Vietnam n'ont plus de foyers depuis plusieurs mois. Il sera très intéressant de comparer l'effet des stratégies, très différentes, suivies par ces deux pays ; quoi qu'il en soit, le fait est que les mesures structurelles prises début 2004 commencent à y produire leurs effets. Il est donc important de débloquer des fonds d'urgence ; mais surtout, finançons en parallèle des améliorations structurelles pour lutter contre ces maladies animales. Faute de quoi, les fonds d'urgence seront rapidement dilapidés et il faudra s'attendre à d'autres crises dans les mois qui viennent.

M. Denis JACQUAT : Monsieur le président, je propose à la mission de rédiger une motion interpellant l'Union européenne. Cette situation n'est absolument pas normale et doit nous mobiliser. J'ai également sursauté en découvrant qu'il ne s'agissait pas de subventions, mais de prêts : autant dire que cela ne marchera jamais. Il est de notre devoir d'interpeller l'Union européenne sur ses défaillances.

M. le Président : J'approuve totalement votre demande. Cela dit, les prêts de la Banque mondiale ne représentent que 500 millions de dollars sur 1,9 milliard ; il y a également des contributions directes des États-Unis, du Japon, de l'Union européenne et de bailleurs bilatéraux - ainsi la France, qui contribue dans le cadre européen, mais qui intervient aussi directement à hauteur de 11 millions d'euros, sans compter les actions dans le cadre de la coopération ou par le biais d'organismes comme le CIRAD et l'IRD, etc. Reste que les manquements de l'Union européenne témoignent non seulement d'une absence de solidarité invraisemblable, mais également d'une imbécillité grave dans la mesure où la situation en Afrique nous touche très directement.

On a beau jeu, monsieur le directeur général, de critiquer le défaut de gouvernance de l'Afrique : celui de l'Europe en la matière est gravissime. De surcroît, nous avons eu le sentiment que les États africains avaient fait un effort tout à fait particulier, notamment sur la traçabilité des fonds, en ouvrant un seul compte à la BAD pour des programmes d'urgence. Sans doute pourrait-on faire mieux, mais je ne voudrais pas qu'à force d'exiger des critères de gouvernance et de transparence absolue, l'argent n'arrive jamais sur le terrain.

D'un autre côté, vous ouvrez un débat, que je trouve pour ma part tout à fait légitime, sur les politiques du FMI et de la Banque mondiale qui ont abouti, depuis une vingtaine d'années, à démolir toutes les politiques publiques d'éducation et de santé animale et humaine. Je trouve intéressant de vous voir pointer ainsi du doigt les graves déficits qui ont découlé du consensus de Washington. Malheureusement, nous sommes contraints par l'urgence, et si nous ne donnons pas le sentiment d'une mobilisation solidaire et immédiate vis-à-vis de ces gouvernements et administrations impliqués dans la lutte contre la grippe aviaire, non seulement nous n'arrêterons pas la progression de l'endémie, mais, à un moment ou à un autre, tous ces pays seront parfaitement fondés à nous reprocher d'être largement responsables de la situation dont ils souffriront et nous demain. On aurait tort de sous-estimer les lourdes conséquences d'un retard et d'un manquement de notre part dans le déblocage des aides d'urgence, non seulement en termes de santé, mais également en termes de crédibilité de nos politiques sur la scène internationale.

M. Gabriel BIANCHERI : En tant que parlementaires nationaux, nous ferions aussi bien de faire passer cet appel à notre interlocuteur naturel, autrement dit le Gouvernement de la France, à charge pour lui d'actionner les instances européennes. Il me semble que cela serait le circuit le plus normal.

Nous avons constaté deux choses lors de notre déplacement : premièrement, l'Afrique concentre toutes les conditions de l'apparition de foyers de plus en plus nombreux pour atteindre l'état endémique. Aux facteurs déjà connus ailleurs - concentrations aviaires, techniques d'élevage, activité commerciale intense et très différente de nos propres pratiques -, s'ajoute le va-et-vient des migrateurs, dont le rôle, bien qu'encore mal expliqué, est indéniable, qui font la jonction entre l'Afrique et l'Europe, et tout particulièrement la France... Autrement dit, nous avons tout intérêt, pour notre propre prévention, à lutter autant que faire se peut contre l'apparition de foyers dans ces pays. Ou alors, c'est qu'on n'a pas compris grand-chose...

Deuxièmement, les responsables que nous avons rencontrés au Sénégal et au Mali ont pris réellement conscience de la situation. Non seulement nous avons une action de prévention à conduire, mais nous avons affaire à des gens qui y sont disposés... Nous passerions à côté si nous ne leur donnions pas les moyens de le faire, ce qui, du coup, nous aidera à nous prémunir contre l'apparition de foyers supplémentaires d'infection.

M. le Président : Je suis parfaitement d'accord. La France et l'Europe jouent tout simplement leur crédibilité dans cette affaire. Si l'argent n'arrive pas rapidement sur le terrain - d'autant qu'une dizaine de millions d'euros suffirait largement pour commencer -, indépendamment de ce qui se passera sur le plan sanitaire, nous serons totalement décrédibilisés sur le plan politique et ce sera très grave pour l'avenir. Si l'endémie venait à s'installer de façon permanente dans certaines régions au monde, on ne manquera pas de rappeler que la France et l'Europe n'ont pas fait ce qu'il fallait en temps réel, tantôt à cause de procédures bureaucratiques, tantôt en raison d'égoïsmes nationaux, tantôt pour avoir fait la fine bouche sur leurs partenaires en Afrique... Nous porterons une responsabilité considérable. Il faut dénoncer les insuffisances de l'Union européenne et demander au Gouvernement français de se mobiliser dans ce sens.

M. le Rapporteur : Cela correspond à ce que nous avions constaté en Turquie voilà quinze jours : chacun, dans cette affaire, a tendance à « jouer perso ». Le gouvernement turc considère qu'il n'a pas de conseils à recevoir de l'extérieur, l'Allemagne également et j'apprends ce matin même le décès d'une fillette de neuf ans dans la province de Chine où je me trouvais il y a trois jours et dont le secrétaire général m'assurait n'avoir aucun cas humain à signaler...

Notre réunion de ce matin avait surtout pour but d'obtenir de la part de nos invités des informations précises sur les moyens de protection contre la propagation de la grippe aviaire, et notamment sur l'intérêt de la vaccination des animaux ; d'où la présence de MM. Égron et Paulet, représentants d'un laboratoire retenu par le Gouvernement pour la fourniture de vaccins animaux contre la grippe aviaire, de M. Vallat, directeur général de l'OIE, et de M. Vannier, directeur de la santé animale à l'AFSSA. Nous regrettons que l'école nationale vétérinaire de Maisons-Alfort ne nous ait envoyé aucun représentant alors que nous l'avons sollicitée depuis quinze jours, et que l'AFP rapporte ce matin une interview assez surprenante d'une de ses professeures, qui mélange maladie animale et maladie humaine.

M. le Président : En tant que député de l'opposition, mon travail premier n'est pas de défendre systématiquement les positions du Gouvernement ! Cela dit, nous sommes tous des décideurs politiques amenés à prendre des décisions. Il y a trois mois, cette professeure dont parle le Rapporteur et avec laquelle je débattais sur une chaîne de télévision, même si elle exprimait des réticences, conseillait au Gouvernement de préparer un plan de pandémie ! On ne peut accepter de voir des responsables scientifiques se couvrir un jour en disant que le Gouvernement fait bien ce qu'il faut et expliquer le lendemain qu'il vaudrait mieux parler d'autre chose ! Cet opportunisme dans le discours n'est pas acceptable.

M. le Rapporteur : M. Vallat, vous avez déjà soulevé la question de la vaccination, qui avait donné lieu à certaines polémiques : faut-il vacciner ou pas ? Certains pays vaccinent d'emblée, d'autres, comme le nôtre, seulement lorsque les défenses sont enfoncées, selon vos propres termes. Commençons par l'aspect scientifique et virologique avant d'en venir aux aspects économiques, qu'il s'agisse du coût de l'opération ou des conséquences sur le plan commercial.

M. Bernard VALLAT : L'OIE est l'organisation mondiale de référence ; ses préconisations n'entrent pas dans le détail des politiques choisies par chaque État.

La question de l'opportunité de se préparer à une pandémie ne nous dérange pas et nous sommes très à l'aise dans ce débat. Nous avons crié haut et fort que les financements affectés au contrôle du virus chez l'animal étaient globalement insuffisants par rapport au total des ressources débloquées depuis 2004, alors même que c'est la lutte contre la grippe aviaire chez l'animal qui est l'action la plus efficace pour éviter l'apparition d'une pandémie. Pour autant, nous n'avons jamais critiqué le principe de la préparation à cette pandémie. Mais nous continuerons à réclamer davantage de ressources pour lutter contre la maladie animale, désormais présente sur trois continents. L'Australie, dont je reviens, s'y prépare : d'après leurs analyses, la probabilité d'apparition de cette souche H5N1 chez leurs oiseaux sauvages est très élevée. Le Canada et les États-Unis s'attendent également à la voir apparaître très prochainement.

M. le Rapporteur : D'où proviendrait-elle ?

M. Bernard VALLAT : Pour les Australiens, d'Indonésie ; pour les Américains, par le Nord. Les résultats de leurs analyses, assez sophistiquées, les rendent pessimistes. La probabilité est forte de voir les cinq continents bientôt infectés.

M. le Président : Personne n'est plus à l'abri.

M. Bernard VALLAT : Nous pensons que la circulation du virus chez les oiseaux sauvages ne sera que temporaire, comme cela s'est toujours produit avec les autres souches d'influenza aviaire depuis des siècles : les oiseaux sauvages finissent par s'adapter et s'en débarrasser. On ne sait pas combien de temps cela va durer, mais on sait qu'il s'agit d'un phénomène cyclique.

Sachant qu'il n'est pas possible de contrôler directement le virus sur les oiseaux sauvages, notre stratégie consiste à agir sur les oiseaux d'élevage en préconisant des stratégies de prévention et de contrôle sur les animaux élevés pour la consommation. Nous préconisons, lorsque les pays en ont les moyens, une politique de police sanitaire stricte, ce qui suppose d'avoir tous les dispositifs appropriés de détection précoce - les heures comptent lorsque le virus apparaît dans un élevage - s'appuyant sur des réseaux d'éleveurs bien formés, des vétérinaires de proximité et sur un service public fort et capable de faire appliquer les législations. Cette stratégie, incontestablement la plus efficace, doit, bien entendu, être privilégiée dans tous les pays développés.

Malheureusement, sur 167 pays membres de l'OIE, 140 sont incapables d'appliquer une telle politique... Nous sommes donc obligés d'avoir des préconisations plus nuancées à l'égard de ces pays en développement et en transition, parmi lesquels on trouvera des pays relativement riches comme la Chine ou le Brésil, mais dont le PNB par habitant reste nettement plus faible que celui des vingt-cinq pays capables de conduire une politique de police sanitaire rigoureuse, stricte et efficace. Aussi leur recommandons-nous, sitôt que leurs lignes de défense sont enfoncées - ce qui a été le cas dans tous les pays d'Asie, à l'exception de la Malaisie, du Japon et de la Corée du Sud, qui ont su arrêter la maladie avec les mesures classiques - de procéder à des vaccinations en anneau. Si, malheureusement, les anneaux eux-mêmes sont enfoncés, la seule solution devient la vaccination globale de couverture, telle que la Chine essaie de la mettre en œuvre et que le Vietnam applique très sérieusement.

Cette préconisation ne vaut évidemment qu'à titre provisoire, le but de cette politique étant de laisser au pays le temps de prendre les mesures structurelles qui lui permettront de revenir aux méthodes de police sanitaire habituellement préconisées. Ainsi le Vietnam, qui a commencé à vacciner en 2004, sera, d'ici à quelques mois, prêt à arrêter la vaccination, car il aura entre-temps pu bénéficier des ressources internationales, améliorer ses réseaux et modifier sa législation et la politique de décentralisation qu'il avait jusqu'alors appliquées. Un des grands problèmes de ces pays - le Nigeria fait figure de cas d'école - tient à l'absence de chaîne de commandement nationale : chaque province appliquant une politique différente, aucun contrôle d'ensemble efficace n'est possible dans une situation d'épizootie. Aussi nos préconisations visent-elles avant tout à permettre à ces pays de se doter des moyens d'appliquer la politique la plus efficace, c'est-à-dire l'élimination du virus par la destruction des oiseaux malades ou susceptibles d'être infectés. C'est à cela que le monde devrait arriver à échéance de quelques années si l'aide internationale est efficacement mobilisée. Et malgré les retards constatés, nous n'avons aucune raison de penser que la grosse machine de la Banque mondiale et des autres donateurs ne se mettra pas en marche.

M. le Président : Méfiez-vous de l'utilisation des doubles négations dans notre langue si subtile...

M. Bernard VALLAT : Je veux dire que le résultat final devrait être satisfaisant, en dépit des retards constatés. Ainsi, la Banque mondiale a-t-elle décidé de combiner ses fonds propres, mobilisés sous forme de prêts, avec les fonds apportés par les donateurs bilatéraux, dans des actions d'appui à des programmes nationaux, financés pour partie par des prêts, pour partie par des dons. Elle nous a chargés d'effectuer un diagnostic structurel de tous les services vétérinaires des pays bénéficiaires de façon à engager des programmes structurels de moyen terme visant à améliorer la gouvernance, qui aideront à liquider la grippe aviaire, mais également à prévenir des crises similaires à l'avenir.

M. le Président : Vous venez d'introduire la question dans sa dimension politique globale. Il nous faudra également aborder les aspects plus scientifiques, puis économiques : le coût et les conséquences. Mais peut-être conviendrait-il que M. Vannier nous fasse part sans attendre d'éléments d'ordre virologique et vaccinologique, objet de bon nombre d'interrogations de nos collègues.

M. Pierre HELLIER : Je ne voudrais surtout pas me perdre dans une double négation pour arriver à une conclusion optimiste... La détection précoce que vous appelez de vos vœux, M. Vallat, nécessite, d'abord et avant tout, des gants, un peu d'essence et des kits de prélèvements : c'est tout ce que nous demandons pour le Sénégal et le Mali. Les frontières entre Sénégal, Niger et Nigeria sont totalement ouvertes. Pour optimiste qu'il soit, votre discours montre qu'il y a une série d'étapes dont la complexité est très préoccupante. Franchement, nous n'avons pas le temps d'attendre.

M. le Président : Je partage ce sentiment. Il nous faudra revenir sur ce débat entre l'urgence et le moyen terme. Mais avant d'en venir à l'orientation politique, je suggère que M. Vannier nous expose rapidement l'état de la science en matière de vaccin et de vaccinologie - animale, s'entend.

M. Philippe VANNIER : Je vais essayer d'être assez pragmatique par rapport aux enjeux. Il faut d'abord comprendre que le but d'une éventuelle vaccination, à supposer qu'elle doive être mise en place, n'est pas, dans notre contexte précis européen de lutte contre l'influenza aviaire, de protéger cliniquement les animaux, mais de limiter au maximum, voire d'empêcher toute excrétion virale chez les animaux vaccinés et ensuite infectés. Là est la clé de tout, sachant que la vaccination peut poser un problème, car, la protection induite masquant les symptômes cliniques, il peut en résulter un retard dans la détection précoce et, par le fait, dans la mise en œuvre rapide des mesures de police sanitaire. L'exemple de Versailleux, où quatre cents dindes sont mortes du jour au lendemain alors que le vétérinaire n'avait remarqué aucun signe clinique le soir précédent, prouve à quel point cette souche H5N1 est hautement pathogène. Or, cette sévérité de la souche hautement pathogène est en quelque sorte un avantage, dans la mesure où la gravité des symptômes permet une détection très précoce - l'inconvénient étant la très haute contagiosité. Dès lors, un vaccin doit impérativement limiter, voire empêcher l'excrétion virale des animaux vaccinés puis infectés ; or, tous les vaccins n'ont pas d'égales propriétés dans ce domaine.

Un deuxième problème tient au grand nombre d'espèces concernées sur lesquelles un même vaccin entraînera des réactions très diverses sur le plan de l'induction d'immunité. De surcroît, l'actuel vaccin nécessite deux injections à trois ou quatre semaines d'intervalle ; et si les canards peuvent être vaccinés plus précocement que les poules et les dindes, l'immunité à peu près « solide » n'apparaît vraisemblablement que six semaines après la première injection. C'est là un sérieux inconvénient lorsque l'on intervient dans des conditions d'urgence où l'on souhaite évidemment une induction d'immunité la plus rapide possible.

Des travaux réalisés par les industriels et validés par les centres de recherche montrent que les vaccins actuels, notamment chez les canards, peuvent induire une bonne immunité, y compris au regard de l'excrétion virale. C'est là un atout, mais qui n'élimine pas pour autant les inconvénients ci-dessus mentionnés. Par ailleurs, si vaccination il doit y avoir, il faudra impérativement pouvoir distinguer les anticorps induits par le vaccin et ceux induits par le virus « sauvage ». Un grand nombre de vaccins le permettent, au niveau notamment des anticorps spécifiques de la neuraminidase : il suffit d'utiliser contre le H5N1 des vaccins H5N2 ou H5N3, dont un sérotype de neuraminidase différent permet la différenciation des anticorps induits par le vaccin ou la souche sauvage. Reste toutefois un petit problème, du fait que la technique ELISA118 pour la neuraminidase n'ayant pas été validée chez le canard, la fiabilité du test différentiel n'est pas absolue et oblige de prévoir d'autres indicateurs dans le plan de surveillance.

M. le Président : Pour parler plus simplement, un vaccin H5N2 permet normalement de faire la distinction avec les anticorps du H5N1, mais vous nous dites que ce n'est pas aussi évident pour le canard...

Pardonnez-moi de rester un peu trivial dans mes explications, mais on vaccine contre la polio avec l'espoir de faire totalement disparaître la maladie du monde des hommes. Pourquoi ne pas en faire autant contre l'influenza aviaire ? A priori, si l'on vaccine, il n'y a plus de maladie... Pourquoi la vaccination ne ferait-elle pas disparaître la maladie dans les élevages ? A-t-elle des inconvénients, en dehors du prix et des conséquences commerciales ? Autant de questions simples auxquelles il faut répondre. On vaccine déjà les poulets contre des quantités de maladies, nous disait-on il y a quinze jours, sans que le consommateur ne s'en soucie outre mesure. Pourquoi n'en fait-on pas de même pour le H5N1 ?

M. Philippe VANNIER : La réponse est dans votre question : parce que la maladie n'a aucune importance... On sait se protéger contre elle. Le problème, c'est la circulation du virus sauvage qui continuerait à être excrété, certes en plus petites quantités, par les animaux vaccinés. On sait d'ores et déjà empêcher l'excrétion virale, mais en conditions expérimentales, sur quelques volailles correctement vaccinées. Mais dès lors que l'on se met à vacciner les volailles par millions, on n'est plus du tout certain de parvenir au même niveau d'efficacité au regard de l'excrétion virale. Or, le problème n'est pas clinique, mais épidémiologique. Ce n'est pas la maladie, mais le virus qu'il faut faire disparaître.

M. le Président : Pour résumer, le vaccin n'élimine pas totalement le virus de l'animal ; parfois même, il le laisse subsister en quantités importantes dans les excrétions, problème d'autant plus sérieux qu'un canard vivant en moyenne trois mois, il ne sera pas protégé durant six semaines. Et si le virus n'arrête pas de tourner dans les élevages, il y aura toujours beaucoup de canards tués et de dégâts économiques... Est-ce ainsi, schématiquement, qu'il faut vous comprendre ?

M. Philippe VANNIER : Le problème n'est même pas celui du nombre de canards tués et des conséquences économiques, en tout cas pas dans un premier temps, mais celui de la rapidité de détection et de mise en œuvre des mesures de police sanitaire dont parlait M. Vallat. Lorsque le virus sauvage arrive dans une population d'oiseaux domestique, il faut pouvoir détecter au plus vite les premiers foyers et mettre en œuvre les mesures d'abattage. Or ce sont précisément les symptômes cliniques qui alertent en premier lieu. Si vous ne détectez pas immédiatement « l'élevage index » par ces symptômes, le premier atteint, le virus va se mettre à circuler à bas bruit, sournoisement, jusqu'au moment où l'on constatera une très forte mortalité dans quinze élevages à la fois. On s'apercevra que le virus est là ; le problème est qu'il était ailleurs, depuis bien longtemps, et qu'il s'est diffusé subrepticement. Le temps de repérer tous les élevages infectés et de procéder aux abattages, le risque de voir les défenses enfoncées se sera considérablement accru. Voilà pourquoi l'AFSSA n'a recommandé la vaccination que dans certains cas très particuliers. C'est assez difficile à expliquer, mais la situation est elle-même très complexe et la problématique ne saurait se résumer à la vaccination, particulièrement dans la Dombes et dans certains types d'élevage où bien d'autres facteurs entrent en ligne de compte : il ne faut pas oublier les spécificités de l'élevage français pour certaines espèces. Tous ces éléments sont liés et doivent être intégrés dans une stratégie à court et à long terme, ce qui nécessite un certain recul.

M. le Rapporteur : Quelles sont actuellement les préconisations de l'AFSSA en matière de vaccination ? Vous estimiez, il fut un temps, qu'elle n'était pas nécessaire, avant de revenir sur cette position.

M. le Président : La vaccination n'empêchera pas le H5N1 de circuler, mais où est le problème si tous les poulets sont vaccinés, vous dira-t-on ? C'est vraisemblablement, et vous allez nous le confirmer, que vous ne voulez pas voir la France devenir une zone d'endémie.

M. François GUILLAUME : Le problème est que cette affaire est dominée par la crainte d'une pandémie humaine, ce qui n'était pas le cas avec des épizooties comme la fièvre aphteuse, elle aussi due à un virus très contagieux, et qui a fait des dégâts considérables, mais totalement intransmissible à l'homme. Si ce risque n'existait pas, il est parfaitement clair qu'il ne faudrait pas vacciner et en rester aux classiques méthodes d'abattage - la preuve en est que c'est ce que nous avons fait pour la fièvre aphteuse, alors que la vaccination est d'autant plus intéressante que les animaux qui en étaient frappés vivent dix, voire quinze ans, alors que les volailles ont une durée de vie beaucoup plus courte, et elles ont donc une période de fragilité proportionnellement très importante. Cela est compter sans les conséquences économiques. Mon hésitation est d'autant plus grande que, comme vous le faites remarquer, à juste titre, la vaccination n'empêche pas forcément une diffusion sournoise du virus dans les élevages - d'où un risque supplémentaire pour les animaux et, pis encore, pour l'homme compte tenu des mutations possibles et redoutées chez ce virus dormant.

M. Pierre HELLIER : Je veux être sûr d'avoir bien compris. Quand on vaccine une volaille malade, on n'empêche pas l'excrétion du virus, mais lorsque l'on vaccine une volaille non malade, empêche-t-on l'apparition, et donc l'excrétion, du virus ? Si l'on vaccine un être humain, parfaitement sain, contre la grippe, il n'exprimera pas le virus...

M. Philippe VANNIER : Ce n'est pas sûr.

M. Pierre HELLIER : Autrement dit, si l'on vaccine, on empêche la maladie, mais pas forcément l'excrétion du virus ?

M. Gabriel BIANCHERI : Quelle est l'explication la plus rationnelle à ce jour à la contamination de Versailleux ? Un vétérinaire avait relevé peu de temps auparavant un épisode diarrhéique dans cet élevage. A-t-on déjà relevé des signes avant-coureurs à la mort systématique quelques heures après l'arrivée du virus ? Le H5N1 n'était-il pas présent depuis plusieurs années dans l'avifaune qui s'y serait déjà adaptée ?

M. Jérôme BIGNON : Je suis l'objet de sollicitations précises et assez pressantes des chasseurs sur la vaccination des appelants. J'aimerais avoir une réponse scientifique à leur transmettre.

M. Gérard BAPT : En masquant la maladie, la vaccination n'accroît-elle finalement pas le risque de la voir se diffuser, voir de se transmettre à l'homme ? La durée de vie de la volaille étant très brève et l'effet du vaccin retardé, ne serait-il pas intéressant de chercher à transmettre l'immunité à l'œuf ou au poussin ?

Mme Catherine GENISSON : Si j'ai bien compris, on vaccine avec du H5N2 pour différencier les anticorps vaccinaux des anticorps « maladie ». N'y a-t-il pas moyen de différencier ces différents types d'anticorps tout en vaccinant avec le virus directement intéressé ?

M. Philippe VANNIER : Il est bien entendu que je ne parle que de la panzootie - je préfère utiliser ce terme pour éviter tout amalgame malheureux - et non de la pandémie humaine, totalement hypothétique pour la bonne raison que le virus n'existe pas encore.

Faut-il vacciner ? La grippe humaine est un bon exemple. Dans le cas d'une maladie dite systémique, avec une virémie entrant dans le système sanguin, la vaccination par voie parentérale, intramusculaire, induit souvent des anticorps de nature sérique qui, la plupart du temps, bloqueront totalement la réplication au niveau du sang. Le problème est que les virus de la grippe saisonnière humaine comme de l'influenza aviaire se développent au niveau du poumon, et qu'il est très difficile d'induire par une injection parentérale une immunité locale, qui bloquera au niveau local la réplication du virus chez un patient infecté après avoir été vacciné. Celui-ci pourra continuer de ce fait à excréter de petites quantités de virus, même si elles sont diminuées.

Pour ce qui est des volailles, la question est de savoir si l'on se place au niveau de l'individu ou de la population animale, deux notions essentielles en médecine vétérinaire comme en épidémiologie. Lorsque l'on vaccine des volailles dans de bonnes conditions avec de bons vaccins, Intervet ou Fort Dodge, par exemple, les tests réalisés font état d'excellents résultats, en termes d'induction, de protection clinique et également d'excrétion virale. Malheureusement, cela doit s'entendre en conditions expérimentales ; lorsqu'il s'agit de vacciner une population animale, tout dépendra de la façon dont aura été effectuée la vaccination, souvent en urgence. Vous ne pouvez pas être certain que chaque animal sera vacciné dans les mêmes conditions, ni même que vous trouverez des opérateurs capables d'effectuer correctement l'opération : il faut compter deux journées et demie pour vacciner, individu par individu, un élevage de quelques milliers de poules. Il faut compter avec des vaccinateurs passant d'élevage en élevage, qui n'auront pas nécessairement un niveau de formation très élevé, et seront de plus exposés à des problèmes de biosécurité. Par conséquent, vous ne pouvez être assuré, lorsque vous vaccinez une population, que celle-ci aura atteint un niveau d'immunité suffisant pour bloquer totalement la diffusion du virus au sein d'un même élevage ; or c'est un élément capital au regard de la nécessité d'une détection précoce. Tous ces éléments doivent être intégrés à la stratégie de vaccination, et voilà pourquoi la réponse à la question « faut-il vacciner ou non ? » n'est pas si simple. J'y reviendrai.

Les épisodes diarrhéiques ont-ils un lien avec la grippe aviaire dans le cas de Versailleux ? Pour les poules et les dindes en tout cas - je serai plus nuancé sur les canards et j'expliquerai tout à l'heure pourquoi l'AFSSA a recommandé, dans des conditions bien précises, la vaccination des oies et des canards -, la sévérité et le haut pouvoir pathogène de cette souche - et c'est en quelque sorte un avantage - amène une expression clinique peu ambiguë et immédiatement reconnaissable par un vétérinaire ou un éleveur un peu expérimenté.

A Versailleux, le vétérinaire, au seul vu des lésions et des mortalités, a détecté une très forte probabilité de peste aviaire et prévenu sans délai les autorités sanitaires qui, sans même attendre les résultats des laboratoires, ont décidé l'abattage préventif immédiat - et à juste raison, puisqu'aucun foyer secondaire n'a été détecté pour l'instant, alors que la période d'incubation dangereuse est passée. Ce qui prouve que les décisions prises, la détection précoce et les mesures appropriées de police sanitaire ont pleinement joué.

Le H5N1 existait-il auparavant dans l'avifaune sauvage française ? Soyons clairs : le H5N1 hautement pathogène n'existait certainement pas jusqu'à ce qu'il arrive en suivant les courants migratoires. L'avis de l'AFSSA a basculé le 14 février 2006, une semaine avant que le cas de la Dombes soit détecté, au moment où l'on a appris la mort de cygnes atteints de H5N1 en Grèce et en Italie, puis l'épisode du Nigeria, même s'il est probablement sans rapport direct. Les experts ont alors estimé que la situation était passée d'un risque non aggravé à un risque aggravé - et nous ne nous sommes pas trompés de moment, puisque le premier canard porteur a été retrouvé dans la Dombes une semaine plus tard.

En revanche, on sait depuis plusieurs années que la faune sauvage est porteuse du virus H5N1 - et d'autres - non pathogène. Nous l'avons trouvé dans les plans d'épidémiosurveillance avec une prévalence assez faible de quelques pour cent - rarement plus de 3 % des échantillonnages. Le rôle des oiseaux sauvages dans le portage du H5N1, dont on doutait encore jusqu'en octobre, ne fait désormais plus aucun doute : c'est une évidence, ce qui doit nous conduire à envisager plusieurs scénarios possibles pour l'avenir, et notamment dans la région de la Dombes.

S'agissant des appelants, l'AFSSA a toujours estimé qu'ils représentaient un niveau de risque d'autant plus important qu'ils sont incontestablement au contact de la faune sauvage et que l'on n'a aucune certitude sur ce qu'ils deviennent lorsqu'ils retournent chez leurs propriétaires. Les vacciner ? Certainement pas. Je ne pourrais que conseiller d'éviter de les utiliser sous peine de cumuler les facteurs de risque dans ces zones humides.

M. le Rapporteur : À ce propos, l'eau contaminée par le virus est à l'évidence dangereuse pour les animaux. À partir de quelle concentration virale est-elle dangereuse et pendant combien de temps ? Quelle peut y être la durée de vie du virus ?

M. le Président : Présente-t-elle un risque de contamination entre espèces - chien, chat, renard, etc. ?

M. Gabriel BIANCHERI : Le H5N1 peu pathogène peut-il induire dans l'avifaune une protection contre la souche hautement pathogène ?

M. le Président : Autrement dit, serait-il vaccinant ?

M. Philippe VANNIER : Je vous apporterai les réponses - lorsque j'en ai, mais il y a beaucoup d'incertitudes - après en avoir fini avec les premières questions.

La vaccination peut-elle, en masquant le virus, favoriser une mutation qui le rendrait transmissible à l'homme ? À l'évidence non, ne serait-ce que par le fait que des vaccins efficaces entraînent une diminution, voire la suppression de l'expression virale chez les animaux vaccinés. L'homme n'a jamais été que le révélateur d'une infection enzootique du virus dans un pays, caractérisée par une énorme proportion de volailles fortement infectées. Pour que l'homme s'infecte et en meure, il faut une exposition forte et efficace, c'est-à-dire des contacts étroits et prolongés avec des volailles en nombre important excrétant de grandes quantités de virus. Si on les vaccine, l'homme en sera d'autant protégé, quand bien même le virus sauvage continuerait de circuler à bas bruit. Au demeurant, il est d'autres moyens de protection plus efficaces, à commencer par le port d'un masque quand on sait que les volailles sont infectées.

Existe-t-il d'autres techniques permettant de distinguer les anticorps post-vaccinaux des anticorps post-infectieux ? Un moyen simple, que nous avons proposé dans nos recommandations, consiste à utiliser des sentinelles pour détecter la circulation du virus sauvage plutôt que la technique sérologique, non encore totalement validée chez le canard.

Pour ce qui est de l'eau, je n'ai pas toutes les réponses. Des études scientifiques ont montré que le virus peut y persister entre plusieurs jours et plusieurs semaines, en fonction de la température - jusqu'à 105 jours à 4°...

M. le Rapporteur : Plus de trois mois...

M. Philippe VANNIER : Plus la température s'élève, plus l'inactivation est rapide ; l'ensoleillement joue également. L'eau peut donc être considérée comme dangereuse pour les animaux ; sans doute a-t-elle joué un rôle épidémiologique dans la Dombes. Cela dit, la concentration virale est-elle suffisamment forte pour contaminer pendant longtemps des oiseaux ? Je l'ignore. Canards ou chats ? Je n'en sais rien. En tout cas, tant que la situation sanitaire de la faune sauvage dans la Dombes n'est pas éclaircie, je préconiserais qu'on ne s'y baigne pas.

M. le Rapporteur : Cela ne serait-il pas une réponse possible aux chasseurs, qui présentent parfois leurs appelants comme de possibles sentinelles ? Si l'eau est infectée pendant plusieurs mois, ce n'est plus l'appelant qui est un risque, c'est l'eau.

M. Philippe VANNIER : L'appelant n'est pas une bonne sentinelle. Les anatidés sont les espèces les plus résistantes à l'infection - même si cela ne permet pas de dire qu'elles sont totalement résistantes -  par un virus sauvage, précisément de celles qui peuvent être infectées sans pour autant l'exprimer précocement par des signes cliniques suffisamment visibles.

M. Bernard VALLAT : On ne vaccine que des animaux dont on est certain qu'ils n'ont jamais été au contact du foyer primaire, jamais un animal infecté ou en incubation : c'est une règle d'or. Dans tous les pays du monde, les animaux infectés ou soupçonnés d'être en incubation sont systématiquement abattus.

Nous avons eu de longs débats avec l'OMS, à l'origine totalement opposée à toute vaccination chez l'animal au motif qu'en atténuant l'expression de la maladie, celle-ci favoriserait la diffusion de virus, candidats potentiels à la mutation ou au réassortiment et futurs vecteurs de la pandémie. Nous l'avons rapidement convaincue que lesdits candidats à la mutation se trouvaient finalement dans des pays infectés, et qu'ils seraient beaucoup plus nombreux si l'on n'y vaccinait pas... Cette position a finalement prévalu pour le Vietnam, qui a été le premier à décider une vaccination de masse. Le débat sur la dangerosité de la circulation du virus chez les animaux vaccinés a donc eu lieu.

La différenciation entre les animaux vaccinés et les animaux qui auraient survécu à l'infection par un virus sauvage est un problème essentiel, sur le plan du commerce international, pour les pays qui ont décidé de vacciner. Le canard posant effectivement des problèmes de différenciation sérologique, il a été recommandé d'utiliser des sentinelles, c'est-à-dire des oiseaux non vaccinés, marqués, bagués et maintenus dans le troupeau, et qui meurent si le virus circule.

Le problème s'est posé notamment pour les parcs zoologiques où il était hors de question d'abattre massivement des oiseaux rares et des espèces parfois en voie de disparition. Aussi, avons-nous créé, pour ce genre de situation, la notion de « compartiments », définie au niveau international, un compartiment vacciné étant réservé aux espèces rares, oiseaux d'ornements, volières particulières, etc. : il est extrêmement difficile d'aller abattre en zone infectée les oiseaux d'ornements des particuliers... On peut donc dans certains cas imaginer des politiques vaccinales, en maintenant toujours des oiseaux sentinelles non vaccinés pour détecter une éventuelle circulation du virus.

Autre point délicat à gérer dans la vaccination : le délai de consommation de l'oiseau vacciné. Outre le fait que l'animal a une durée de vie économique relativement brève, la plupart des vaccins comportent un excipient huileux réputé toxique. Or, le point d'injection intramusculaire est souvent le bréchet, autrement dit la partie de l'oiseau qui a la plus grande valeur. Il faut attendre quelquefois quatre semaines pour que l'huile se résorbe au point d'injection et nous ne saurions donc recommander la mise en consommation immédiate des oiseaux vaccinés. Tant et si bien qu'entre le délai de l'apparition de l'immunité et celui de mise en consommation, il s'écoule un grand nombre de semaines, ce qui rend la vaccination peu compatible avec l'usage économique de certaines espèces, particulièrement le poulet.

M. le Rapporteur : Cette règle du délai de consommation est-elle partout respectée, y compris en Asie ?

M. Bernard VALLAT : Le Vietnam l'avait décrétée et avait même effectué des contrôles sur les marchés ; mais on sait qu'elle n'a guère été respectée, malgré la volonté des autorités.

M. le Président : Nous avons cru comprendre que l'immunité vaccinale ne pouvait se transmettre via l'œuf et le poussin.

M. Bernard VALLAT : Non, la vaccination ne se transmet pas.

M. le Président : Ce qui répond à la question de M. Bapt.

Mme Catherine GENISSON : Pourquoi ne développez-vous pas davantage la surveillance par des oiseaux sentinelles ?

M. Philippe VANNIER : Elle est systématiquement appliquée à chaque fois que l'on vaccine. Les Landes, par exemple, ont un plan de surveillance basé sur les oiseaux sentinelles, avec prélèvements virologiques, surveillance clinique, etc.

M. le Président : M. Egron, comment les représentants du laboratoire Intervet SA voient-ils leur produit et son insertion dans le dispositif vaccinal ?

M. Louis EGRON : Je me présente : je suis Vétérinaire Responsable du laboratoire Intervet ; Pascal Paulet, également vétérinaire, est davantage homme de terrain et connaît particulièrement l'aviculture.

Nous partageons totalement l'analyse de M. Vannier. L'utilisation de nos vaccins s'inscrit dans cette démarche. J'aimerais également briser un mythe qui revient fréquemment dans des questions naïves à propos de la vaccination : celui de l'injection miracle. Cette image d'Épinal mériterait d'être oubliée. Ce n'est pas aussi facile que cela. Tout dépend du contexte économique ou encore de la promiscuité des animaux. La stratégie vaccinale ne sera pas la même en Asie du Sud-Est et en France. La science nous oblige à un peu de modestie en la matière et nous vous expliquerons dans quel cadre nous avons positionné notre produit.

En tant que laboratoire fabricant, nous n'avons clairement aucun pouvoir de décision en matière de stratégie de vaccination. Nous ne pouvons qu'apporter notre savoir-faire, dans la stratégie qui pourrait être envisagée, en fonction des caractéristiques particulières de nos produits. En revanche, nous avons été depuis quelques mois amenés à fournir et à assumer une responsabilité de moyens. Nous avons tout d'abord été contactés en novembre dernier par les autorités pour, dans un premier temps, fournir des dossiers sur les vaccins que nous commercialisons communément de par le monde et qui, jusqu'à ce jour, n'étaient pas autorisés en Europe. Ces dossiers ont été examinés par la commission d'autorisation de mise sur le marché en décembre et, par la suite, nous avons obtenu une ATVAP, c'est-à-dire une autorisation temporaire de vente aux professionnels.

Il est à noter que la vaccination contre l'influenza aviaire s'effectue dans un cadre bien précis. Notre société n'a pas le droit de vendre directement ce produit aux vétérinaires : nous devons l'adresser aux directions des services vétérinaires, uniquement à leur demande et dans certaines circonstances. Nous avons donc cette responsabilité d'approvisionnement des services vétérinaires. Nous avons également été saisis d'une demande pour la vaccination des zoos, ainsi que M. Vallat vous en a parlé - j'y reviendrai.

Est ensuite intervenue la phase d'appel d'offres où différents critères, économiques et techniques, ont été pris en compte. L'expérience de notre société, première du monde dans le domaine du vaccin aviaire, nous a permis de présenter un vaccin appelé Nobilis Influenza, avec cinq valences possibles - sachant que la seule valence retenue aujourd'hui pour la vaccination en France est la souche H5N2, pour les raisons évoquées précédemment - la proximité antigénique du H5N1 permettant une immunité croisée et la différenciation entre un animal vacciné et un animal contaminé par le H5N1. Cette phase d'appel d'offres a été finalisée le 10 février.

Nous avons été en mesure de mettre très rapidement à disposition des autorités un stock, conformément aux clauses de l'appel d'offres - ce qui n'était pas sans poser des difficultés, sachant qu'il faut compter quatre mois entre la décision de lancer la mise en production d'un lot et son arrivée sur le terrain. Il faut d'abord, en effet, produire les antigènes et les contrôler, et dans un second temps, fabriquer le produit fini et en contrôler l'efficacité. Ceci explique que les autorités françaises aient souhaité constituer un stock de sécurité, aujourd'hui en voie de constitution : dès le 21 février, l'équivalent de trois millions de doses-poule (0,5 ml par volaille) était mis à disposition.

Concomitamment a été décidée la vaccination des canards non confinés dans certaines zones humides de trois départements français. Dès réception des vaccins arrivant de notre usine de production, nous les avons expédiés, après les contrôles d'usage, pratiquement le jour même, dans trois centres de grossistes répartiteurs situés à proximité des sites d'utilisation, en l'occurrence les Landes, la Loire-Atlantique et la Vendée.

Nous avons également gardé un stock pour la vaccination des oiseaux de zoos, rendue obligatoire il y a une semaine : l'opération a déjà été initiée dans 53 zoos sur les soixante répertoriés, ce qui représente un nombre de doses évidemment très faible par comparaison avec les besoins des élevages de consommation : l'équivalent de 150 flacons, alors que nous en avons réceptionné 5 000 et que le stock de précaution prêt à l'emploi devrait normalement atteindre 30 millions de doses d'ici à la fin mars, selon l'appel d'offres.

M. le Rapporteur : L'avenir ne serait-il pas dans la production d'un vaccin buvable, qui simplifierait considérablement la tâche ?

M. Louis EGRON : Nous connaissons évidemment les limites de l'utilisation des vaccins traditionnels. Une nouvelle société du groupe a été créée en 2003 aux Pays-Bas, Nobilon, spécialisée dans la mise au point de nouvelles technologies vaccinales mixtes à usage tant humain que vétérinaire. Mais là, vous imaginez bien que nous ne raisonnons plus en mois, pour la production d'un vaccin dont le procédé est connu, mais sur plusieurs années, à un horizon que l'on peut fixer vers 2008-2010.

Une précision encore à propos des zoos : la société Intervet International a décidé de donner gratuitement ses vaccins aux zoos européens ; les Pays-Bas, la Belgique, la Suisse et la France en ont déjà bénéficié.

M. François GUILLAUME : Quelles difficultés pose la mise au point d'un vaccin buvable ?

M. Pascal PAULET : On utilise fréquemment en aviculture les vaccins buvables ou respiratoires, que l'on pulvérise sur les animaux : c'est le cas notamment pour la maladie de Newcastle ou la bronchite infectieuse. Mais il s'agit de virus relativement stables, que l'on parvient à atténuer par des méthodes de culture afin d'obtenir une souche vaccinale qui ne produira plus de symptômes sur les animaux. Malheureusement, la chose est impossible avec les souches de virus influenza, par nature peu stables. Nous sommes obligés de passer par des vaccins dits classiques, où le virus est cultivé sur œuf puis tué avant d'être injecté sur les animaux, ou éventuellement par des vaccins vecteurs, qui utiliseront un autre virus comportant de petits morceaux du virus influenza. Or, ni les uns ni les autres ne peuvent être administrés autrement que par injection. Nous ne parvenons pas à trouver un virus ou une bactérie potentiellement vecteur stable et surtout efficace.

M. Pierre HELLIER : Si le virus de l'influenza aviaire est détruit par l'acidité gastrique, le vaccin le sera tout autant...

M. Pascal PAULET : On ne parviendra jamais à atténuer un virus influenza classique. Il faudra passer par un virus ou une bactérie vecteur, autrement dit un OGM, pour parler clair, éventuellement des plantes, qui exprimeront certains éléments du virus H5N1 et que l'on administrera, par ingestion ou par pulvérisation, aux animaux. Il est hors de question, en l'état des connaissances actuelles, d'atténuer le virus de base pour l'administrer à l'animal qui multiplierait le virus vaccinal au risque de le voir redevenir potentiellement dangereux. On peut faire inhaler un vaccin par l'animal, au moyen d'un simple pulvérisateur de jardin : c'est une technique classiquement utilisée pour vacciner les poulets contre la bronchite infectieuse ou la maladie de Newcastle.

M. le Président : Monsieur Vannier, introduisez le débat sur la politique vaccinale française.

M. Philippe VANNIER : Je rappellerai, d'abord, que l'AFSSA n'a qu'un rôle d'analyse du risque ; la décision relève du gestionnaire. Je ne voudrais pas outrepasser la mission de l'AFSSA et mon rôle particulier. Je peux en revanche planter le décor, sachant qu'interviennent des enjeux de type économique qui ne relèvent pas de l'analyse du risque, mais qui n'en devront pas moins être pris en compte par le gestionnaire dans la décision politique. Cela dit, quelle que soit la stratégie présente ou à venir, la France devra, à mon sens, préserver son statut indemne d'influenza aviaire, quand bien même il est clair que certaines zones pourront être infectées notamment par la faune sauvage.

Des experts se sont réunis hier et se retrouveront encore vendredi pour formuler un avis sur ce problème très compliqué de la vaccination.

M. le Président : À quel niveau ?

M. Philippe VANNIER : Celui de l'AFSSA : le ministre de l'agriculture nous a demandé une analyse du risque dans la perspective d'une évolution possible des mesures incluant une stratégie limitée de vaccination. Je ne peux évidemment anticiper sur nos conclusions.

Il m'est toutefois possible de m'appuyer dans mes explications sur deux situations précises, celle des Landes et celle, beaucoup plus préoccupante, de la Dombes. On peut malheureusement craindre que la situation épidémiologique ne se complique davantage au cours des semaines à venir et que le virus soit identifié dans d'autres régions de France et d'Europe, comme cela vient d'être le cas dans les Bouches-du-Rhône. Même si l'on ne peut pas savoir où, il faut garder à l'esprit que la probabilité est en tout cas assez élevée.

M. le Président : Et la probabilité, au vu de l'affaire de la Dombes, de voir un élevage français à nouveau touché ?

M. Philippe VANNIER : Les services vétérinaires français sont bien structurés : le cas de Versailleux montre bien que la situation n'a rien à voir avec la situation en Asie du Sud-Est et en Afrique. C'est un élément très positif. Notre système d'alerte et de vigilance et nos laboratoires sont parfaitement opérationnels ; nous avons tout lieu d'avoir confiance dans notre dispositif de police sanitaire. En revanche, nous aurons beaucoup à apprendre, presque au jour le jour, au fur et à mesure des événements épidémiologiques, notamment dans la faune sauvage. Nous ne savons pas tout, nous ne pouvons pas tout deviner et, surtout, nous devrons nous adapter à la complexité de la situation épidémiologique, dans la Dombes et ailleurs.

Pour ce qui est de la Dombes, nous sommes surtout face à l'incertitude. M. Vallat a parlé de l'élimination du virus pathogène dans la faune sauvage ; j'aimerais être aussi optimiste que lui... Peut-être a-t-il raison, mais deux situations totalement différentes doivent être prises en compte.

On sait, dans le cas d'autres espèces animales, et lorsque la faune sauvage est stable, que lorsqu'une souche est très pathogène, ou bien elle tue, ou bien elle immunise : dans un cas comme dans l'autre, elle se stérilise progressivement. De nombreux exemples montrent que, de ce point de vue, son pouvoir hautement pathogène est plutôt un atout qu'un inconvénient.

Il en va tout autrement lorsque la faune sauvage n'est pas stable, c'est-à-dire lorsqu'il y a des intrants et des sortants. La chose est beaucoup plus compliquée, car il suffit que le réservoir demeure pendant quelques semaines à quelques mois pour que les intrants se recontaminent et regénèrent par leurs excrétions une source nouvelle de virus. La dynamique des populations et leurs interactions compliquent extraordinairement la relation hôte-virus, au point que je suis incapable de dire ce qui va se passer dans la Dombes : les semaines à venir nous diront, de l'optimiste ou du pessimiste, quel scénario prévaudra. Cela a une implication forte. J'ai ici une carte de la Dombes, assez révélatrice en termes à la fois de densité d'élevages et de densité de zones humides. Dans le cas du scénario optimiste, celui d'une stabilisation d'ici à quelques mois dans cette région, nous aurons tout de même à passer une phase très critique, due au fait que les éleveurs de la Bresse, un peu plus au Sud, ne pourront pas confiner leurs volailles ad vitam aeternam, sauf à arrêter la production de poulets de Bresse. De deux choses l'une : ou l'on arrête la production, ou l'on confine.

M. Pierre HELLIER : Ou l'on vaccine...

M. Philippe VANNIER : Si l'on n'arrête pas la production, les éleveurs seront obligés de sortir leurs volailles dès avril-mai, parce qu'elles auront pris du poids : là encore, deux scénarios sont possibles.

Ou bien l'on prend délibérément le risque, en les exposant à des contacts avec la faune sauvage, de voir apparaître, de temps en temps, des foyers étalés dans le temps. On peut prendre ce risque, mais on s'en remet alors au hasard. Cette option politique, au demeurant parfaitement envisageable, peut toutefois être lourde de conséquences commerciales pour tout le pays : vues du Japon ou des États-Unis, la Dombes et la France, c'est pareil, et l'on aura tôt fait d'assimiler un produit sortant de France à un produit infecté. Cela est naturellement faux, et les efforts de l'OIE sur la compartimentation ou de l'Union européenne sur la régionalisation, s'ils sont très utiles pour l'avenir, ne sont pas forcément bien assimilés au niveau des transactions commerciales.

Ou alors, on refuse de s'en remettre au hasard au moment de la sortie, inéluctable, des volailles de leur confinement et l'on décide de vacciner pour essayer de maîtriser, durant une période limitée et sur une population elle aussi limitée, la circulation du virus. Mais cette option elle aussi a un prix : le risque de passer à côté d'une détection précoce, malgré le plan de surveillance et les sentinelles, de se retrouver avec plus d'un élevage infecté et contraint de subir des mesures de police sanitaire beaucoup plus drastiques -  et sur une zone bien plus étendue. Cela pèsera d'autant plus lourdement sur la commercialisation des volailles.

Je ne peux vous en dire davantage, car tout dépendra des conditions de vaccination et d'anticipation. Si les politiques décident de ne pas vacciner et que la situation échappe à toute maîtrise, on aura beau jeu de leur reprocher de n'avoir pas anticipé. Les semaines à venir seront capitales du point de vue de la compréhension de ce qui se passera dans la faune sauvage, notamment la période du 15 mars au 15 mai, qui verra le retour des passereaux, dont plusieurs publications chinoises ont montré que certaines espèces pourraient être porteuses du H5N1 hautement pathogène... Nous aurons beaucoup à apprendre de l'avenir afin de nous adapter, mais jusqu'où doit aller le degré d'anticipation ? Différents risques doivent être pris en compte, auxquels correspondent plusieurs scénarios, des plus pessimistes aux plus optimistes. La réponse n'est pas facile à donner et je regrette de ne pas pouvoir être plus péremptoire.

M. le Président : Ce que vous venez de dire pour la Dombes pourrait donc se produire dans d'autres zones humides françaises, qu'il serait utile de localiser.

M. Philippe VANNIER : Pas forcément. La Dombes a quelque chose de très spécifique : outre son statut d'AOC...

M. le Président : Mais le poulet de Saint-Sever dans les Landes doit être à peu près dans ce cas ! Sans parler des élevages de canards. La Loire-Atlantique également doit faire du canard, puisque je me suis laissé dire que la Bretagne produisait désormais du foie gras ! Les scénarios ne sont potentiellement pas très éloignés...

M. Philippe VANNIER. Vous avez raison, à ceci près que les structures de bâtiments en Loire-Atlantique et en Vendée autorisent davantage le confinement que dans les Landes où la chose est impossible. Il faudra, du reste, en tirer des leçons en termes d'évolution de la structuration. Je ne veux pas dire qu'il faille développer certains types d'élevage par rapport à d'autres, mais seulement que les structures d'élevage devront évoluer en fonction de ce risque qui, ne nous leurrons pas, va devenir permanent.

M. le Président : Je suis d'accord avec vous. Mais ne peut-on pas inventer un semi-confinement à l'aide de filets par exemple ?

M. Philippe VANNIER : On doit pouvoir inventer des systèmes qui permettent de remédier, pendant un laps de temps assez court, à un certain nombre de risques.

M. le Rapporteur : La décision de confinement avait été assortie d'une date, fixée au 31 mai 2006. Est-ce toujours d'actualité ?

M. Philippe VANNIER : Là encore, tout dépendra de la situation épidémiologique et de la pérennisation du virus dans les zones actuellement infectées - Dombes, Bouches-du-Rhône et dans d'autres zones possibles. D'où ce que je disais de la nécessité absolue de s'adapter et, en fonction de la situation, de mettre fin aux mesures ou, à l'inverse, de les prolonger. Mais pour l'instant, je suis incapable de me prononcer.

M. le Président. Monsieur Vallat, vous sembliez, dans une interview donnée voilà une dizaine de jours, prendre une certaine distance vis-à-vis de la position française. Pouvez-vous nous dire où vous en êtes sur ces questions ? Nous avons bien compris le schéma général défendu par l'OIE. S'agissait-il, en l'occurrence, d'un rappel à l'ordre que vous étiez plus ou moins tenu de faire en tant que responsable d'une organisation qui a des préoccupations à l'échalon mondial, ou avez-vous des appréhensions précises vis-à-vis de la situation française ?

M. Bernard VALLAT : Nous sommes face à un problème extrêmement complexe et j'appuie totalement les positions prises par Philippe Vannier. La circulation du virus dans la faune sauvage est cyclique, ai-je dit tout à l'heure ; mais nul ne sait si ce cycle sera de plusieurs mois ou de plusieurs années - je pencherais pour plusieurs années...

M. le Président : Moi aussi...

M. Bernard VALLAT : Les mesures dont nous discuterons maintenant resteront pertinentes pendant bon nombre de mois, si ce n'est bon nombre d'années. Je ne vous livre pas une position personnelle mais celle de notre organisation, assise sur les appréciations de notre réseau mondial d'experts : pour eux, un pays qui vaccine n'a pas confiance dans ses services vétérinaires. Il envoie de ce fait un signal de non-préparation. C'est pourquoi nous recommandons à tous les pays du monde de se constituer un stock stratégique de vaccins pour le cas où cela tournerait mal ; mais nous ne préconisons pas aux pays disposant de services vétérinaires comme ceux de la France de vacciner. C'est là, effectivement, une position de fond...

M. le Président : De doctrine...

M. Bernard VALLAT : ...dont je ne peux, en tant que représentant de l'OIE, me départir en approuvant la demande d'un pays, dont je m'efforce par ailleurs de promouvoir le modèle au niveau mondial, de déroger en matière de vaccination. Du reste, deux pays seulement sur les vingt-cinq de l'Union ont proposé des plans de vaccination ; les autres sont restés sur une position beaucoup plus attentiste, de crainte d'envoyer un signal négatif s'ils avaient présenté une demande. L'attitude des Pays-Bas s'explique par l'énorme traumatisme de 2003 - pratiquement trente millions de poulets avaient dû être abattus - qu'ils ne veulent revivre à aucun prix.

Les méthodes alternatives de confinement, filets et autres, que vous avez évoquées ont un coût certain. Il faut d'abord trouver les formules, puis conduire une analyse de risques en calculant le coût-bénéfice de certains investissements. Je suis persuadé que, tant que cette épée de Damoclès restera au-dessus de nos têtes, la solution sera à chercher du côté de ce type de structures, et non dans la vaccination. Il ne faut pas non plus oublier les conséquences sur notre politique d'exportations, notamment au sein de l'Union européenne, qu'il faudra soigneusement analyser. Plus nous vaccinerons, plus nous aliènerons notre potentiel à l'exportation. Une certaine méfiance s'installera vis-à-vis de la France, alors que la confiance est précisément un facteur essentiel dans les décisions d'importation. Certes, les normes de l'OIE sont intégralement reprises dans les directives européennes ; une région qui recourt à la vaccination peut théoriquement continuer à exporter, mais à la condition de démontrer qu'elle dispose d'un système de surveillance capable de garantir l'absence totale de circulation du virus dans la population vaccinée. Mais une fois cela écrit, les pays font ce qu'ils veulent : ils sont parfaitement en droit d'envoyer une mission pour aller vérifier si le système de surveillance est efficace. Il n'est pas bien difficile de trouver une faille dans un système de surveillance et les fraudes sont difficiles à maîtriser. Les précédents ne manquent pas : on s'est rapidement aperçu dans certains pays que la bague d'un oiseau sentinelle mort avait tôt fait de se retrouver à la patte d'un remplaçant ! D'où la grande prudence de mon organisation vis-à-vis de la vaccination dans des pays où les cas de contamination se retrouvent seulement dans la faune sauvage, et pratiquement pas dans les élevages domestiques. Même la Roumanie, où l'on retrouve dans la vallée du Danube un système comparable à la Dombes, ne s'est pas encore résolue, officiellement du moins, à appliquer la vaccination alors que l'on y compte des dizaines de foyers d'infection.

M. le Rapporteur : La question peut également se poser pour la Turquie, où l'on compte tout de même plus d'une centaine de foyers : les Turcs font du confinement, ou tout au moins le prétendent-ils, mais refusent de passer à la vaccination au motif qu'ils attendent une décision de votre part...

M. Bernard VALLAT : Pour la Turquie, nous avons clairement et expressément préconisé la vaccination dès que la maladie a commencé à flamber dans tout le pays. Le ministre a demandé un sursis de deux mois, le temps de maîtriser la situation ; apparemment, cela va mieux et ils ont décidé de ne pas vacciner. Mais la situation avait été suffisamment grave pour que nous préconisions la vaccination en anneau dans les régions où les foyers étaient localisés mais assez concentrés, et la vaccination par provinces entières à partir du moment où un certain nombre de foyers étaient recensés dans une même province.

M. le Président : Avez-vous eu connaissance de cette publication de l'Académie des sciences des États-Unis, reprise par le South China Morning Post ? Une vingtaine de chercheurs chinois et américains se sont penchés sur la vie et l'histoire du H5N1 - dont on apprend au passage qu'il sévit de manière endémique en Chine depuis une dizaine d'années sans que nous en ayons été particulièrement informés, et vous pas davantage, ce qui nous ramène à la question, majeure, de l'ingérence sanitaire... Ils auraient également mis en évidence l'apparition de sous-branches de virus H5N1, de sorte que les vaccins seraient souvent totalement inopérants et masqueraient les phénomènes de mutation virale, ce qui expliquerait l'apparition d'une souche hautement pathogène au lac Qinhai, à l'origine de la migration sibéro-européenne de l'épizootie. Cette étude, réalisée par des équipes installées à Hong Kong, est non seulement extrêmement critique à l'égard de la politique menée par la Chine, sur le plan historique et pratique, mais elle laisse planer un doute profond sur l'efficacité des vaccins. En avez-vous eu connaissance ? Qu'en pensez-vous ?

M. Bernard VALLAT : On sait qu'une souche assez proche de l'actuel H5N1 a effectivement circulé à bas bruit à partir de 1997 et l'on comprend mal pourquoi elle n'a explosé qu'à la fin 2003. Plusieurs hypothèses sont possibles : on sait que ce virus comporte huit gènes pouvant induire des comportements très différents. Certains H5N1 sont faiblement pathogènes : ce n'est donc pas dans le H ni dans le N que leurs caractéristiques pathogènes s'expriment, mais dans d'autres composantes de leur patrimoine génétique.

On peut aussi imaginer que la faune sauvage s'infecte à partir de la faune domestique, dans laquelle le virus avait jusqu'alors circulé à bas bruit, et serve de vecteur efficace dans certaines conditions. N'oublions pas pour autant que la transmission du virus par les facteurs dits commerciaux, mouvements d'animaux vivants et de produits, est autrement plus efficace que par le biais des oiseaux sauvages... D'où un schéma complexe de contagions croisées.

Si nous donnons la priorité à l'éradication du virus chez les oiseaux domestiques, c'est que nous faisons le pari que le phénomène chez les oiseaux sauvages sera cyclique - à ceci près que nous ne connaissons pas la longueur du cycle, qui pourrait durer plusieurs années. Au moins sommes-nous sûrs, en l'éradiquant chez l'oiseau d'élevage, d'arrêter tôt ou tard le problème. La vaccination est un outil extrêmement utile dans certaines situations, mais un outil provisoire.

M. le Président : Mais cette étude semble remettre en cause son utilisation, y compris en terrain endémique - et s'il en est un, c'est bien la Chine, contrairement à ce qu'ils disent... Or non seulement le vaccin sur ce terrain n'éteindrait pas l'incendie, mais il « travaillerait la bête » pour la faire évoluer !

M. Bernard VALLAT : Lorsqu'un pays compte des centaines, voire des milliers de foyers, le seul moyen d'éteindre l'incendie est de faire une vaccination de couverture, à condition de l'arrêter le plus vite possible et de revenir aux bonnes vieilles méthodes. La qualité des vaccins est évidemment essentielle : on sait que certaines productions de vaccins n'étaient pas sous le contrôle du gouvernement chinois, ce qui a probablement posé des problèmes non seulement en Chine, mais dans certains pays voisins. Cela dit, la Chine fait, depuis deux ans, de gros efforts de transparence et de contrôle des vaccins, mettant un terme à une période noire très préjudiciable.

M. le Président : Vous n'êtes pas que vétérinaire : vous êtes aussi légèrement diplomate !

M. le Rapporteur : Tout est dans le « légèrement » !

M. Pascal PAULET : Hong Kong, qui vaccine depuis 2003 à titre systématique avec des vaccins Intervet, est resté indemne. C'est donc que ces gens connaissent bien les différences de qualité entre différents vaccins et ce que l'on peut en attendre lorsqu'ils sont correctement produits. Quelques-uns de nos chercheurs ont réussi à recultiver des souches influenza à partir de vaccins a priori inactivés qu'ils avaient achetés en Chine... D'où le risque, évoqué par M. Vallat, d'une dissémination du virus par des vaccins mal inactivés.

M. le Président : Autrement dit, par des virus mal tués.

M. le Rapporteur : Un de ces chercheurs m'a confié à Hong-Kong : « Nous allons publier dans quelques jours quelque chose qui fera du bruit dans notre pays... ». C'était cet article.

M. Louis EGRON : Je me dois d'apporter quelques corrections à propos du site d'injection et du délai d'attente, ainsi que vous le verrez dans le RCP119 entériné par l'administration française, sachant que nos développeurs apportent jour après jour des éléments complémentaires. Globalement, le temps d'attente est de zéro jour, car il n'y a aucun risque à vacciner un animal. Quelle que soit la pathologie, il faut dire haut et fort à l'adresse du grand public, qui parfois se pose des questions surprenantes, que la vaccination est une bonne chose. Nous avons le privilège d'avoir lancé un vaccin contre la salmonellose, autre enzootie potentielle, qui contribue grandement à assainir la situation dans les élevages avicoles...

M. le Président : Nous sommes tous ici conscient de l'utilité des vaccins sur le plan sanitaire. Mais votre exemple de la salmonellose me fait immédiatement revenir au réflexe suivant : pourquoi ne vaccine-t-on pas tout le monde tout de suite et tout le temps ? Or ce n'est pas ce que vous proposez car, vous-même l'avez dit, c'est un peu plus compliqué que cela... Je ne veux pas donner de leçons de communication - nous avons tous à apprendre dans ce domaine -, mais faisons attention à nos comparaisons. La problématique de la vaccination n'est pas la même selon qu'il s'agit du H5N1 ou de la salmonellose.

M. Louis EGRON : Tout à fait. Reste que nous sommes face à un grave problème de communication, du fait de la non-information, de la désinformation ou de l'excès d'information dans le but de faire du catastrophisme. C'est regrettable.

S'agissant de l'administration proprement dite du produit, le RCP mentionne la présence d'un excipient qui laisse localement des traces, à tel point qu'il est fait état des précautions d'utilisation à prendre par les manipulateurs amenés à vacciner des milliers de volailles. En tant que responsable de pharmacovigilance, j'ai dix cas par an de vaccinateurs chevronnés qui se piquent malencontreusement au doigt, au pouce ou à la main... Le produit peut certes être administré par voie intramusculaire au niveau du bréchet, mais nous préconisons plutôt la voie sous-cutanée qui n'entraîne pas les mêmes réactions locales. Compte tenu du délai de mise en place de l'immunité, ce produit est plutôt destiné à des animaux à durée de vie un peu plus longue, reproducteurs ou pondeuses, par exemple. L'immunité acquise en deux injections donnera une protection pour pratiquement un an, ce qui laisse une marge de sécurité confortable. Pour ce qui est enfin de l'impact sur les œufs, nous travaillons à apporter des compléments d'information afin d'obtenir une AMM complète. On connaît les conditions d'obtention d'une AMM en Europe, particulièrement sévères au regard de celles d'autres pays. Chaque jour, nous apportons des éléments supplémentaires, ce qui explique que nous n'ayons pour l'instant qu'une autorisation temporaire.

M. Gérard BAPT : Nous sommes confrontés à un problème de gestion de l'information, c'est-à-dire de prévention de la panique. J'ai appris, en regardant la télévision, que les refuges SPA étaient surchargés de chats... M. Vallat assurait dans son interview que les oiseaux terrestres n'étaient pas concernés, alors que M. Vannier a parlé d'études chinoises montrant que les passereaux pourraient l'être... Chacun sait comment nos étourneaux se répandent dans les villes, colonisent les arbres, salissent les voitures : une attention particulière s'impose dans les déclarations si l'on veut gérer l'information et prévenir la panique !

M. le Président : Dites-nous en davantage sur les pigeons... En tant que député de Paris, je sais que le pigeon y est assez présent, à défaut d'être utile. Lorsque je réponds au maire de Paris que le pigeon n'est pas touché, j'aimerais en être sûr, surtout lorsqu'on apprend quinze jours plus tard que des pigeons sont infectés en Turquie ! Il risque d'y avoir un problème de crédibilité. Je crois à la transparence, premièrement parce que nous sommes en démocratie, deuxièmement parce nous avons tendance à croire que nos concitoyens sont des gens responsables, d'autant que nous avons été élus par eux...

M. Philippe VANNIER : L'AFSSA a rendu un avis sur les pigeons, qu'ils soient de ville ou ruraux. Jusqu'à présent, le pigeon était considéré comme hautement résistant au virus de l'influenza aviaire ; des infections expérimentales l'ont démontré. Toutefois, les mortalités observées dans certains pays montrent qu'il est sensible à cette souche H5N1, mais avec un degré de résistance nettement supérieur à celui des dindes, des poules et autres espèces.

M. le Président : Il ne développe peut-être pas les symptômes cliniques, mais est-il excréteur ? Si j'ai bien suivi votre logique, l'excrétion est plus dangereuse que l'expression... et l'excrétion est une caractéristique bien connue du pigeon parisien !

M. Philippe VANNIER : Tout n'est pas tout noir ou tout blanc. Les expérimentations ont montré que des pigeons inoculés n'étaient pas excréteurs. Cependant, à partir du moment où ils en meurent, ils en sont vraisemblablement excréteurs. Plus généralement, qu'entend-on par résistance ? Si vous inoculez cent poules avec le H5N1 hautement pathogène, vous les tuerez toutes très vite. Si vous inoculez cent canards, soixante-quinze mourront, mais vingt-cinq survivront et deviendront excréteurs pendant plusieurs semaines, ce qui sera dangereux. Si vous inoculez cent pigeons, les essais laissent à penser que quatre-vingts ou quatre-vingt-dix pourraient non seulement ne pas exprimer de signes cliniques, mais également ne pas excréter, ce qui, en termes épidémiologiques, est important. Mais une petite proportion pourra mourir...

M. le Président : Et excréter.

M. Philippe VANNIER : Compte tenu du caractère hautement pathogène du virus, on peut penser qu'ils ne seront pas dangereux : mourant rapidement, ils n'excrèteront que pendant un temps très bref. Or, c'est l'excrétion longue qui est importante sur le plan épidémiologique. Ce n'est évidemment qu'une image et il n'y a pas de réponse absolue : le pigeon avait toujours été considéré comme très résistant, y compris en termes d'excrétion, mais on s'est aperçu, à la lumière des événements récents, qu'il pouvait mourir du H5N1.

M. le Président : Qu'est-ce qui change dans notre analyse ? Est-ce le virus qui bouge ou notre connaissance qui s'approfondit ? Quel est le degré d'incertitude ?

M. Philippe VANNIER : Le virus a certes connu quelques phases de petite mutation. depuis 1996, le génotype Z de Quinhai est devenu prédominant, avec une rupture probablement vers 2002-2003. Depuis, il semble relativement stable, mais des génotypes prennent le pas sur d'autres. En revanche, nos connaissances sur cette souche hautement pathogène s'accroissent tous les jours, et nous en apprendrons encore beaucoup. Une part d'incertitude demeure : nous ne savons pas tout, notamment sur l'évolution de la situation épidémiologique, qu'il s'agisse de la faune sauvage, des mouvements d'animaux et surtout de la globalisation récente d'un phénomène jusqu'alors relativement localisé, certes dans une large zone, en Asie du Sud-Est. Mais ce virus peut aussi évoluer dans les mois ou les années à venir.

M. le Président : Monsieur Vallat, l'Australie et les États-Unis craignent-ils de devenir des zones endémiques, ou simplement des zones touchées ?

M. Bernard VALLAT : Ils craignent pour leur faune sauvage ; ils ont déjà prévu de confiner leurs élevages à risque et de constituer des stocks stratégiques de vaccins, comme cela est partout préconisé.

Les faits expérimentaux qualifiaient effectivement le pigeon d'animal très résistant à la grippe aviaire. La position que j'ai prise est seulement basée sur des faits épidémiologiques : alors que nous avons connu une infection massive en Asie, particulièrement dans les villes au niveau des petits élevages intra- et périurbains, le nombre de cas d'infection de pigeons a été minime. Ce qui m'amène à dire qu'il faut être moins pessimiste sur la gestion de la maladie sur le pigeon que sur d'autres espèces, et sur le risque pour les urbains amenés à côtoyer les pigeons des villes. On a, certes, relevé quelques cas, mais force est de constater que cette population n'est pas massivement sensible au virus ; c'est plutôt rassurant. Les recommandations déconseillant le nourrissage me semblent suffisantes pour protéger les populations, compte tenu, de surcroît, de la très faible capacité de cette souche virale à infecter les humains.

M. le Président : Messieurs, je vous remercie.

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N° 2833 tome 2 : Rapport de M. Jean-Pierre Door au nom de la mission d'information sur la grippe aviaire : le H5N1 : une menace durable pour la santé animale

1 Chef des services vétérinaires de la FAO (Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture), audition du mardi 10 janvier 2006

2 Selon les critères de l'AFSSA, l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, on passe de la notion de foyers isolés à celle d'épizootie lorsque la maladie affecte brutalement un grand nombre d'animaux à la fois dans une région donnée.

3 FAO : www.fao.org

4 Voir le premier rapport de la mission « Grippe aviaire, préparer les moyens médicaux »

5 « Vies parallèles », Vie d'Alexandre, Chapitre 73, paragraphe 2

6 Editions de l'OIE, août 2000.

7 Directeur de la santé animale à l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA), auditions du mercredi 26 octobre 2005 et du mercredi 8 mars 2006

8 Document : Grippe aviaire : évaluation du risque d'une pandémie, (http://www.who.int/csr/disease/influenza/WHO_CDS_2005_29fr/en/)

9 OMS, document précité : «  Grippe aviaire : évaluation du risque de pandémie »

10 « Etablishment of multiple sublineage of H5N1 influenza virus in Asia : implications for pandemic control » , H.Chen et Alii, Proceedings of the National Academy of Sciences USA, février 2006

11 Document précité : « Grippe aviaire : évaluation du risque de pandémie »

12 Directeur général de l'Organisation mondiale de la santé animale (OIE), audition du mercredi 8 mars 2006

13 www.fao.org/docrep/meeting/010/j6489f.htm

14 H. Chen et Alii, Proceedings of the National Academy of Sciences USA », février 2006

15 Cette formule est celle de l'OMS dans le document « grippe aviaire : évaluation du risque de pandémie », http://who.int/csr/disease/influenza/WHO_CDS_d2005_29fr/en/

16 Rapport du groupe de travail sur « Le risque de transmission à l'homme des virus influenza aviaires », juillet 2002

17 Rapport du groupe de travail sur « Le risque de transmission à l'homme des virus influenza aviaires », juillet 2002.

18 Cf. le premier rapport de la mission « Grippe aviaire : préparer les moyens médicaux »

19 Des explications scientifiques plus complètes peuvent être consultées sur le site de l'AFSSA : http://www.afssa.fr/ftp/afssa/31291-31292.pdf

20 Source : http://www.grog.org/documents/Le_pouvoir_pathogene_des_virus_influenza.pdf

21 Bernard Vallat, Le Monde du 25 février 2006.

22 La virulence est définie comme la capacité d'un virus d'induire une maladie grave

23 Fiche « Influenza aviaire », http://www.afssa.fr/ftp/afssa/34089-34090.pdf

24 Document précité : « Grippe aviaire : évaluation du risque de pandémie »

25 Fiche précitée.

26 Document précité.

27 Le Figaro, 17 mars 2006

28 Paris Match (2-8 mars 2006)

29 Audition du 13 décembre 2005

30 Mme Sylvie Van der Werf, chef de l'unité de recherche génétique moléculaire des virus respiratoires (GMVR) de l'Institut Pasteur, avance l'explication suivante : « L'analyse phylogénétique a également permis d'établir que ces virus A(H5N1) qui circulent actuellement dérivent du virus A/Goose/Guandong/1/96 dont dérivent également les virus H5N1 responsables des cas humains survenus en 1997 à Hong Kong, ainsi que ceux responsables de deux cas d'infection en février 2003, toujours à Hong Kong. Depuis 1997, les virus H5N1 ont circulé activement en Asie chez différentes espèces d'oiseaux, et fait l'objet de multiples événements de réassortiments qui ont abouti, dans un premier temps, à une diversification des génotypes, puis, à partir de 2002, à la prédominance des virus du génotype Z, auquel appartiennent tous
les virus responsables des cas humains observés depuis fin 2003. » (
http://www.diffusion.ens.fr/index.php?res=conf&idconf=961).

31 Idem

32 OMS, document précité : « Grippe aviaire : évaluation du risque de pandémie »

33 Le porc possède des récepteurs aux virus aviaires et aux virus humains. Il peut contracter les deux virus simultanément et, de ce fait, constituer une sorte de creuset dans lequel les gènes peuvent se mélanger et donner naissance à un nouveau virus

34 Document précité.

35 Ces différents mécanismes relatifs à la réponse immune innée ont fait l'objet des dix-huitièmes rencontres sur la grippe et sa prévention, qui se sont tenues à La Baule les 19 et 20 septembre 2005 (http://www.grippe-geig.com/iframes/iframe_rencontres.htm).

36 Document précité

37 Au cours des dix-huitièmes rencontres sur la grippe et sa prévention - La Baule, 19 et 20 septembre 2005 -, il a été fait état de la capacité du H5N1 à infecter les félidés, « attestée par différents rapports faisant état d'une d'une infection chez des tigres et des léopards, dans une colonie de tigres et d'autre part chez des chats, les uns et les autres nourris avec des carcasses de poulet cru. L'infection de chats a été confirmée expérimentalement, tant par inoculation du virus par voie intra trachéale qu'en les nourrissant avec des poussins infectés. De plus, l'infection de chats contacts sains exposés à des congénères infectés a été mise en évidence. Les chats infectés expérimentalement ont développé des signes cliniques (fièvre, léthargie, conjonctivite, insuffisance respiratoire) et le virus a été retrouvé non seulement au niveau des sécrétions et de l'appareil respiratoire, mais également excrété dans les fèces ainsi qu'au niveau de multiples organes (cœur, foie, rein, cerveau, intestin ».

38 Document de la FAO, http://www.fao.org/ag/againfo/subjects/fr/health/diseases-cards/avian_qa.html

39 Document de la FAO précité

40 Idem

41 Document précité.

42 Le Figaro du 17 mars 2006

43 Directeur général de la santé au ministère de la santé et des solidarités - délégué interministériel à la lutte contre la grippe aviaire - audition du 2 novembre 2005

44 Président de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), audition du mercredi 14 décembre 2005

45 Article du Monde du 25 février 2006.

46 Etude précitée : « Etablishment of multiple sublineage of H5N1 influenza virus in Asia : implications for pandemic control » , H.Chen et Alii, Proceedings of the National Academy of Sciences USA, février 2006

47 Déclaration faite en marge de la réunion des experts vétérinaires les 27 et 28 février 2006 au siège de l'OIE

48 Le Nouvel Observateur, 23 février 2006

49 FAO , document http://www.fao.org/ag/againfo/subjects/fr/health/diseases

50 OMS : http://www.who.int/mediacentre/factsheets/avian_influenza/fr/

51 OMS : http://www.who.int/mediacentre/factsheets/avian_influenza/fr/

52 Chef de l'unité de suivi sanitaire de la faune l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), audition du mercredi 14 décembre 2005

53 Etude précitée : « Etablishment of multiple sublineage of H5N1 influenza virus in Asia : implications for pandemic control » , H. Chen et Alii, Proceedings of the National Academy of Sciences USA, février 2006

54 Avis du 14 février 2006 sur le risque d'introduction sur le territoire national, par les oiseaux migrateurs, du virus H5N1 hautement pathogène, sur les mesures de biosécurité applicables aux oiseaux domestiques, sur le risque sanitaire lié aux rassemblements d'oiseaux domestiques ou d'ornement et sur l'opportunité du recours à une vaccination

55 Directeur du département d'élevage et de médecine vétérinaire du CIRAD (Centre de coopération internationale en recherche agronomique) - Audition du 1er février 2006

56 Audition de M. Bernard Vallat du mercredi 7 décembre 2005

57 Le nom statutaire de l'OIE est « Office international des épizooties » mais sa dénomination d'usage est, depuis 2003, Organisation mondiale de la santé animale.

58 Accord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires

59 Les zoonoses sont des maladies qui touchent surtout les animaux, mais on tend actuellement à appliquer ce terme aux affections transmissibles des animaux vertébrés à l'homme et inversement.

60 Audition de M. Bernard Vallat du mercredi 7 décembre 2006

61 L'article 2.7.12.1 du code des animaux terrestres de l'OIE énonce les critères scientifiques de la maladie provoquée par « un virus ayant un indice de pathogénicité intraveineux supérieur à 1,2 chez le poulet âgé de 6 semaines, ou bien entraînant une mortalité d'au moins 75 % chez les poulets âgés de 4 à 8 semaines infectés par voie intraveineuse. Les virus appartenant aux sous-types H5 et H7 n'ayant pas un indice de pathogénicité intraveineux supérieur à 1,2, ou qui entraînent une mortalité inférieure à 75 % lors d'une épreuve létale intraveineuse, doivent être séquencés pour déterminer si de multiples acides aminés basiques sont présents sur le site de clivage de la molécule d'hémagglutinine (HA0) ; si la séquence d'acides aminés est similaire à celle observée chez d'autres isolats de virus d'influenza aviaire à déclaration obligatoire hautement pathogène, l'isolat soumis à un examen doit être considéré comme le virus responsable de l'influenza aviaire à déclaration obligatoire hautement pathogène »

62 http://www.fao.org/ag/againfo/subjects/fr/health/diseases-cards/avian_qa.html

63 Responsable plateforme et projet de recherche virologie des laboratoires Merial, audition du mercredi 7 décembre 2005

64 Le Nouvel Observateur, 2 mars 2006

65 Table ronde du 8 mars 2006

66 Le test ELISA (acronyme de Enzyme Linked ImmunoSorbent Assay - essai d'un immunosorbent lié aux enzymes) est un test immunologique destiné à détecter et/ou doser une protéine dans un liquide biologique.

67 Document précité, « Grippe aviaire : évaluation du risque d'une pandémie »

68 Etablishment of multiple sublineage of H5N1 influenza virus in Asia : implications for pandemic control », H. Chen et Alii, Proceedings of the National Academy of Sciences USA», février 2006

69 Audition de M. Joseph Domenech, mardi 10 janvier 2006

70 Etude précitée : « Etablishment of multiple sublineage of H5N1 influenza virus in Asia : implications for pandemic control » , H.Chen et Alii, Proceedings of the National Academy of Sciences USA, février 2006

71 Cela a été confirmé après le retour de la Mission

72 C'est-à-dire ayant fait l'objet d'une déclaration

73 Le laboratoire de haute sécurité P3 a été construit en 1999. L'adaptation des techniques en place pour le diagnostic spécifique de la grippe aviaire a été réalisée par l'envoi en formation, à l'Institut Pasteur du Cambodge, au mois de février 2006, d'un technicien de l'Institut Pasteur de Dakar.

74 Entretien dans le Figaro du 17 février 2006

75 decrise.com/grippeaviaire3.htm

76 CSIRO : Australian Commonwealth Scientific and Research Organization

AAHL: Australian Animal Health Laboratory

77 Cf. http://gestiondecrise.com/grippeaviaire3.htm

78 A l'occasion de la réunion qui s'est tenue les 27 et 28 février à l'OIE sur l'influenza aviaire hautement pathogène en Europe, une recommandation a été adoptée, invitant notamment à ce que les plans d'urgence comportent une chaîne nationale de contrôle.

79 Article 1.3.4.5 du code sanitaire pour les animaux terrestres : « 1. Les Services vétérinaires doivent démontrer que, parmi leurs agents, ils disposent d'une véritable équipe de fonctionnaires à temps plein. Cette équipe doit comprendre obligatoirement des vétérinaires, des para-professionnels vétérinaires et du personnel administratif. Elle peut aussi inclure des vétérinaires et des para-professionnels vétérinaires à temps partiel et du secteur privé. Il est essentiel que toutes ces catégories de personnel soient soumises à des dispositions disciplinaires ayant un caractère réglementaire. Des données chiffrées relatives aux ressources de base des Services vétérinaires soumis à l'évaluation doivent être disponibles. 2. En sus des données brutes, quantitatives, concernant l'essentiel des ressources humaines disponibles, les fonctions des différentes catégories de personnel des Services vétérinaires doivent être décrites en détail. Cela est nécessaire pour analyser et estimer dans quelle mesure leurs aptitudes professionnelles sont adaptées aux diverses actions entreprises par les Services vétérinaires. Par exemple, cela peut porter sur le rôle des vétérinaires et des para-professionnels vétérinaires en activité sur le terrain. L'évaluation doit alors permettre de s'assurer que la surveillance des maladies animales est réalisée par un nombre suffisant de vétérinaires de terrain suffisamment expérimentés et qualifiés, qui sont eux-mêmes impliqués dans la visite des exploitations, et qui ne se contentent pas de faire confiance aux rapports prsentés par des para-professionnels vétérinaires ».

80 « Menace de pandémie grippale : préparer les moyens médicaux »

81 Global Framework for the Progressive Control of Transboundary Animal Diseases.

82 Audition du mardi 10 janvier 2006

83 Audition du mercredi 25 janvier 2006

84 Directrice générale de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments - Audition du 1er février 2006

85 Président de la société LDC, audition du mercredi 22 février 2006

86 Le réseau SAGIR est financé pour moitié par les fédérations départementales des chasseurs et pour moitié par l'Office national de la chasse de la faune sauvage. La gestion est également paritaire.

87 Secrétaire général de la Confédération française de l'aviculture, audition du mercredi 22 février 2006

88 Directeur de la Coopérative des Fermiers de Loué, audition du mercredi 22 février 2006

89 Responsable vétérinaire à la Fédération nationale de la chasse, audition du mercredi 14 décembre 2005

90 Représentant de l'Association nationale des chasseurs de gibier d'eau, audition du mercredi 14 décembre 2005

91 Représentant de l'Association nationale des chasseurs de gibier d'eau, audition du mercredi 14 décembre 2005

92 Représentant de la société Intervet SA, l'une des sociétés retenues par le Gouvernement français dans l'appel d'offres lancé pour la fabrication de vaccins animaux, table ronde du mercredi 8 mars 2006

93 Table ronde du mercredi 8 mars 2006.

94 Considérant n°20 de la directive 2005/94/CE du 20 décembre 2005 : « La vaccination contre l'influenza aviaire peut constituer un complément efficace des mesures de lutte et permettre d'éviter l'abattage et l'élimination massifs des volailles ou autres oiseaux captifs. Les connaissances actuellement disponibles semblent indiquer que la vaccination peut être utile non seulement comme mesure à court terme en cas d'urgence, mais également comme mesure à long terme pour faire barrage à la maladie lorsqu'il existe un risque élevé d'introduction du virus de l'influenza aviaire à partir d'animaux sauvages ou d'autres sources. Il y a donc lieu de prévoir des dispositions en matière à la fois de vaccination d'urgence et de vaccination préventive ».

95 La production est calculée en « tonne équivalent carcasse » (TEC). Cette unité est utilisée afin d'avoir une unité commune entre les carcasses, les produits transformés et les conserves. Oon convertit chaque rubrique de produit partiellement transformé en équivalent carcasse par application d'un coefficient de conversion qui permet d'évaluer le poids de carcasse originel. De même, les animaux vivants sont convertis en équivalent carcasse. La production mondiale a dépassé 80 millions de TEC en 2005.

96 Selon la réglementation communautaire, les « aides de minimis » sont les aides financières d'un Etat dont le montant, sur une période de trois ans, est réputé dénué d'effet substantiel pour la concurrence et le commerce entre États membres. Elle ne constitue pas alors une aide d'État. Pour les éleveurs, le plafond est de 3 000 euros et, pour les entreprises, de 150 000 euros.

97 Avis du 23 février 2006 relatif à l'évaluation du risque de transmission des virus influenza aviaires de sous-type H5 ou H7 hautement pathogènes, à l'homme, lors de l'ingestion de denrées animales ou de denrées alimentaires d'origine animale issues de volailles ou de gibier à plume.

98 Entretien dans le journal La Croix du 9 mars 2006.

99 Guiding Principles for Highly Pathogenic Avian Influenza Surveillance and Diagnostic Networks in Asia - FAO expert meeting on surveillance and diagnosis of Avian Influenza in Asia, Bangkok, 21-23 July 2004.

100 Comment faire face à la menace d'une pandémie de grippe aviaire : mesures stratégiques recommandées - OMS, 2005

101 DG « Sanco » : Direction générale « Santé et protection des consommateurs »

102 Direction générale de l'alimentation

103 Système de surveillance sanitaire de la faune sauvage nationale

104 Secrétariat général de la défense nationale

105 Union des groupements d'achats publics

106 Inspecteur général des affaires sanitaires

107 Agence européenne de sécurité des aliments

108 Aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce.

109 Affections de longue durée

110 Convention on International Trade in Endangered Species of Wild Fauna and Flora - Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction.

111 Global Framework for the Progressive Control of Transboundary Animal Diseases.

112 ASEM : Asia-Europe Meeting.

113 ASEAN : Association of Southeast Asian Nations

114 Differentiation Infected from Vaccinated Animals - différenciation des animaux infectés et des animaux vaccinés

115 Wetland Science Institute

116 Center for Disease Control and Prevention.

117 European Food Safety Authority

118 Le test ELISA (acronyme de Enzyme Linked ImmunoSorbent Assay - essai d'un immunosorbent lié aux enzymes) est un test immunologique destiné à détecter et/ou doser une protéine dans un liquide biologique.

119 Résumé des Caractéristiques du Produit.