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N° 3548

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 21 décembre 2006

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

en application de l'article 29 du Règlement

au nom des délégués de l'Assemblée nationale à l'Assemblée

parlementaire du Conseil de l'Europe (1) sur l'activité de cette Assemblée

au cours de la quatrième partie de sa session ordinaire de 2006

par M. Bernard SCHREINER

Député

ET PRÉSENTÉ A LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

(1) La composition de cette délégation figure au verso de la présente page.

La Délégation de l'Assemblée nationale à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe est composée de  : MM. René André, Georges Colombier, Claude Evin, Pierre Goldberg, Armand Jung, Jean-Pierre Kucheida, Jean-Claude Mignon, Marc Reymann, François Rochebloine, André Schneider, Bernard Schreiner, en tant que membres titulaires, et MM. Alain Cousin, Jean-Marie Geveaux, Mmes Claude Greff, Arlette Grosskost, MM. Jean-Yves Hugon, Michel Hunault, Denis Jacquat, Jean-Claude Lefort, Jean-Marie Le Guen, Guy Lengagne, François Loncle, Gilbert Meyer, Rudy Salles, en tant que membres suppléants.

S O M M A I R E

Pages

INTRODUCTION 5

I. INFORMATIONS GÉNÉRALES SUR LE 7

DÉROULEMENT DE LA SESSION

A. Liste des recommandations et résolutions adoptées 7

B. Interventions des parlementaires français 9

II. LES GRANDS DÉBATS DE LA SESSION 15

A. Les problèmes budgétaires du Conseil de l'Europe 16

1. Le débat d'actualité 16

2. Une délégation française très mobilisée 21

B. Création d'un Centre européen en mémoire des victimes 24

de déplacements forcées de populations et du nettoyage

ethnique

C. Les questions internationales 29

1. Les zones de crise 29

a. Le débat de politique générale sur la situation dans 29

les Balkans

b. Le débat d'urgence sur le Liban 35

2. L'OCDE et l'économie mondiale 44

3. Les questions migratoires 50

a. Le débat d'urgence sur l'arrivée massive de 50

migrants irréguliers sur les rivages de l'Europe

du Sud

b. L'image des demandeurs d'asile, des migrants et 53

des réfugiés véhiculée par les médias

D. Les questions de société 55

1. Ratification de la Convention-cadre pour la protection 55

des minorités nationales par les Etats membres du

Conseil de l'Europe

2. Conciliation de la vie professionnelle et de la vie 59

familiale

ANNEXES 69

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

La quatrième partie de la session de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE) s'est déroulée du 2 au 6 octobre 2006, à Strasbourg.

Deux sujets ont plus particulièrement mobilisé la délégation française. En premier lieu, les problèmes budgétaires du Conseil de l'Europe, découlant notamment de la lenteur des négociations au sein du Comité des Ministres, sources d'un retard important sur le calendrier habituel, ont fait l'objet d'un débat d'actualité qui a permis à de nombreux membres de l'Assemblée de faire part de leurs vives préoccupations sur ce sujet capital pour l'avenir de l'institution Conseil de l'Europe. En second lieu, la création d'un Centre européen en mémoire des victimes des déplacements forcés de populations et du nettoyage ethnique, écartée lors de la session de janvier 2005, est revenue à l'ordre du jour. La délégation française a fait valoir les mêmes réserves sur ce dossier que celles qu'elle avait émises lors du premier débat.

Les questions internationales ont également occupé une large part de l'ordre du jour avec un débat d'urgence sur le Liban, un débat de politique générale sur la situation dans les Balkans, l'examen de la contribution de l'OCDE à l'économie mondiale et celui de deux aspects des problèmes migratoires dont un débat d'urgence sur l'arrivée massive de migrants irréguliers sur les rivages de l'Europe du sud.

Enfin, s'agissant des questions de société, l'Assemblée s'est penchée sur la ratification de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales et sur la conciliation de la vie professionnelle et de la vie familiale.

Au cours de cette session l'Assemblée a entendu :

- M. Ivo SANADER, Premier ministre de Croatie ;

- M. Sali BERISHA, Premier ministre d'Albanie ;

- M. Adnan TERZIC, Président du Conseil des Ministres de Bosnie-Herzégovine ;

- M. Terry DAVIS, Secrétaire général du Conseil de l'Europe ;

- M. Sergey LAVROV, Ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie, Président du Comité des Ministres ;

- M. Angel GURRIA, Secrétaire général de l'OCDE ;

- M. Thomas HAMMARBERG, Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe.

Après avoir fait état des textes adoptés et donné des précisions sur les interventions des membres de la délégation française, le présent rapport reproduira, pour plusieurs débats importants, les textes adoptés et les interventions des membres de la délégation française.

*

* *

I. INFORMATIONS GÉNÉRALES SUR LE DÉROULEMENT DE LA SESSION

A. Liste des recommandations et résolutions adoptées

N° Titre Doc

-------------------------------------------------------------------------------------

Recommandation 1763 L'équilibre institutionnel au Conseil de 11017

l'Europe

Recommandation 1764 Mise en œuvre des arrêts de la Cour 11020

européenne des Droits de l'Homme

Recommandation1765 Débat de politique générale sur la situation 11050

dans les Balkans

Recommandation 1766 Ratification de la Convention-cadre pour la 10961

protection des minorités nationales par les

Etats membres du Conseil de l'Europe

Recommandation 1767 Arrivée massive de migrants irréguliers sur 11053

les rivages de l'Europe du Sud

Recommandation 1768 L'image des demandeurs d'asile, des migrants 11011

et des réfugiés véhiculée par les médias

Recommandation 1769 La nécessaire conciliation de la vie 11019

professionnelle et de la vie familiale

Recommandation 1770 La promotion de l'autonomie locale aux 11009

frontières du Conseil de l'Europe

Résolution 1516 Mise en œuvre des arrêts de la Cour 11020

européenne des Droits de l'Homme

Résolution 1517 Débat de politique générale sur la situation 11050

dans les Balkans

Résolution 1518 L'OCDE et l'économie mondiale 11012

Résolution 1519 La situation culturelle des Kurdes 11006

Résolution 1520 Développements récents au Liban dans le 11056

contexte de la situation au Proche-Orient

Résolution 1521 Arrivée massive de migrants irréguliers sur 11053

les rivages de l'Europe du Sud

Résolution 1522 Création d'un centre européen en mémoire 10925

des victimes des déplacements forcés de rév.

populations et du nettoyage ethnique

Résolution 1523 L'intérêt pour l'Europe que le développement 11026

économique de la Russie se poursuive

B. Interventions des parlementaires français

Séance du lundi 2 octobre, après-midi :

Rapport d'activité du Bureau de l'Assemblée

Equilibre institutionnel au Conseil de l'Europe

Intervention de Mme Josette Durrieu sur la situation en Europe du Sud-Est.

Intervention de M. Jean-Guy Branger sur la nécessité de limiter la prolifération d'organes dépourvus de légitimité démocratique et gros consommateurs de crédits.

Séance du mardi 3 octobre, matin :

Situation dans les Balkans

Interventions de :

- Mme Josette Durrieu prônant l'intégration européenne des Etats de la région ;

- M. Jean-Marie Geveaux sur les problèmes posés par les minorités, sur la situation économique des pays de la région et sur la question des réfugiés ;

- M. Daniel Goulet en faveur d'un renouvellement des méthodes de coopération et d'une implication forte des parlementaires dans le processus en cours.

Séance du mardi 3 octobre, après-midi :

Débat d'actualité sur le budget du Conseil de l'Europe pour 2007

Interventions de :

- M. Bernard Schreiner appelant à la défense des prérogatives du Conseil de l'Europe et à une action des parlementaires pour modifier l'attitude des Gouvernements des pays membres ;

- M. Jean-Guy Branger critiquant la création d'une Agence européenne des droits fondamentaux et demandant de renforcer l'efficacité de la Cour européenne des droits de l'homme ;

- M. Guy Lengagne mettant en évidence l'importance très relative des sommes à trouver pour assurer un fonctionnement correct du Conseil de l'Europe.

Séance du mercredi 4 octobre, matin :

Communication du Comité des Ministres

Questions de :

- M. Bernard Schreiner sur la situation budgétaire du Conseil de l'Europe ;

- Mme Josette Durrieu sur la position de la Russie face aux modifications géostratégiques en cours.

Ratification de la convention cadre pour la protection des minorités

Interventions de :

- M. Bernard Schreiner expliquant la position française vis-à-vis de ce texte ;

- Mme Josette Durrieu explicitant la situation des minorités en France et resituant cette question en matière de droits de l'homme.

   

Séance du mercredi 4 octobre, après-midi :

L'OCDE et l'économie mondiale

Interventions de :

- M. Rudy Salles présentant la contribution orale de la commission des migrations, des réfugiés et de la population ;

- M. Francis Grignon insistant sur le développement des politiques de formation dans les pays du sud et se prononçant pour un élargissement de l'OCDE ;

- M. Michel Hunault réclamant des politiques plus efficaces en matière de lutte contre la pauvreté.

La situation culturelle des Kurdes

Intervention de M. Jacques Legendre en tant que Président de la commission de la culture, de la science et de l'éducation.

Séance du jeudi 5 octobre, matin :

Débat d'urgence sur le Liban

Interventions de :

- M. Jacques Legendre demandant le rétablissement du dialogue pour renforcer l'intégrité territoriale et l'indépendance du Liban ;

- M. François Rochebloine insistant sur le caractère déstabilisateur de la politique israélienne au Liban ;

- M. Rudy Salles réclamant le désarmement du Hezbollah qui menace l'indépendance du Liban et la sécurité d'Israël.

Débat d'urgence sur l'arrivée massive de migrants irréguliers sur les rivages de l'Europe du Sud

Intervention de M. Jean-Marie Bockel demandant une meilleure coordination entre les pays concernés par ces vagues d'immigration et le renforcement des politiques de co-développement.

Séance du jeudi 5 octobre, après-midi :

Création d'un centre européen en mémoire des victimes des déplacements forcés de populations et du nettoyage ethnique

Interventions de :

- M. Bernard Schreiner pour demander le renvoi de ce texte en commission puis pour marquer son opposition à la création de ce centre ;

- M. Jacques Legendre faisant part de son malaise face à ce texte ;

- M. Yves Pozzo di Borgo se déclarant opposé à la création d'un tel centre.

L'image des demandeurs d'asile, des migrants et des réfugiés véhiculée par les médias

Intervention de M. Marc Reymann insistant sur la nécessité de faire confiance aux journalistes et d'éviter toute mesure susceptible de contrarier ou d'orienter leur travail.

Vendredi 6 octobre, matin :

Conciliation vie professionnelle et vie familiale

Interventions de :

- M. Francis Grignon expliquant que l'équilibre de chacun repose sur trois piliers : l'équilibre familial, l'équilibre profession-nel et l'équilibre personnel ;

- M. Gilbert Meyer insistant sur le rôle de la pratique dans les administrations et les entre-prises ;

- M. André Schneider développant l'expérience française dans ce domaine.

L'ensemble des documents et débats de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe est consultable sur le site :

http://conseil-europe.assemblee-nationale.fr

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II. LES GRANDS DÉBATS DE LA SESSION

Les problèmes budgétaires du Conseil de l'Europe ont constitué un point fort de l'ordre du jour de la session d'octobre, de nombreux parlementaires s'inquiétant de l'enlisement des négociations sur le Budget 2007 et du peu d'intérêt marqué pour le Conseil de l'Europe par les gouvernements des pays membres. La seule décision du Bureau de consacrer un débat d'actualité à ces questions, alors que bien d'autres sujets étaient envisageables, montre à la fois l'inquiétude et la mobilisation des membres de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe.

Autre point marquant, le retour du débat sur la création d'un Centre européen en mémoire des victimes des déplacements forcés de population et du nettoyage ethnique. Le rapport présenté étant une copie presque parfaite de celui qui avait été rejeté en janvier 2005, la délégation française, après avoir demandé en vain le renvoi en commission, a fait valoir son opposition persistante à ce projet.

Les questions internationales ont également occupé une large partie de l'ordre du jour. Deux régions en crise, les Balkans et le Liban, ont fait l'objet de débats spécifiques mais l'Assemblée s'est également intéressée à l'économie internationale avec son débat annuel sur l'OCDE et l'économie mondiale et aux questions migratoires avec l'examen de deux rapports : l'un portant sur l'arrivée massive de migrants irréguliers sur les rivages de l'Europe du Sud et l'autre concernant l'image des demandeurs d'asile, des migrants et des réfugiés véhiculée par les médias.

Enfin les questions de société ont également été présentes, l'Assemblée s'étant penchée sur la ratification de la Convention cadre pour la protection des minorités nationales et sur la conciliation vie professionnelle et vie familiale.

A.  LES PROBLÈMES BUDGÉTAIRES DU CONSEIL DE L'EUROPE

1. Le débat d'actualité

Preuve de l'importance accordée par l'Assemblée aux négociations budgétaires en cours, ce débat a été organisé le mardi 3 octobre et a été introduit par M. Paul Wille, parlementaire belge chargé des questions budgétaires au sein de la commission des questions économiques et du développement, qui a notamment déclaré : « Il convient de dénoncer une situation hallucinante et un enlisement totalement inacceptable, qui contraint l'Assemblée à accepter un budget à croissance zéro et à consentir un effort de réduction de 170 000 euros. Le Comité des ministres devait établir des priorités, il ne l'a pas fait ! Avec les États membres, il entend imposer de substantielles économies, qui seront préjudiciables à l'Assemblée. Des postes permanents seront gelés, et la diminution de l'allocation budgétaire pour le personnel temporaire affaiblira considérablement l'action du Conseil de l'Europe. Une véritable euthanasie ! »

M. Terry Davis, Secrétaire général du Conseil de l'Europe est ensuite intervenu pour faire valoir la difficulté de la tâche qui lui est demandée et lancer un cri d'alarme pour l'avenir du Conseil de l'Europe : « Il y a deux manières de tuer une organisation internationale comme le Conseil de l'Europe. La première est de la supprimer et de confier ses responsabilités à une autre, c'est ce qui s'est passé avec le transfert du volet intergouvernemental de l'UEO à l'Union européenne. L'autre possibilité, c'est de l'affamer à mort en lui refusant les ressources qui lui permettent de vivre, surtout si une autre organisation a de l'argent et est prête à reprendre ses responsabilités, ce qui est bien le cas de l'Union européenne. »

Premier intervenant de la délégation française, M. Bernard Schreiner a appelé à une augmentation des crédits affectés au Conseil de l'Europe, seul moyen d'éviter la marginalisation de cette institution :

« Si notre Assemblée a tenu à organiser ce débat d'actualité sur la situation budgétaire du Conseil de l'Europe, c'est que la situation est grave. Je souhaite ici exprimer la préoccupation du groupe PPE.

Après des années de croissance zéro - je dis bien : des années - et malgré de réels efforts de rationalisation, nous voilà en face de budgets en diminution pour toutes les instances de notre organisation, à l'exception de la Cour européenne des Droits de l'Homme. Et l'enlisement actuel des débats au sein du Comité des Ministres ne présage rien de bon pour l'avenir.

Les causes de cette situation sont très simples : tout provient du refus des gouvernements de tenir compte des besoins budgétaires croissants et, pour l'essentiel, légitimes de la Cour européenne des Droits de l'Homme.

Il faut dire clairement que cette situation est à la fois incompréhensible et inacceptable. Je ne prendrai que deux exemples pour illustrer mon propos.

Les mêmes pays qui chipotent sur nos crédits, acceptent sans sourciller de financer des structures qui sont certes utiles mais dont la légitimité démocratique n'est en rien comparable à celle de notre Assemblée. Je veux parler ici du Forum de la démocratie et du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux. Dans une période budgétaire tendue, la priorité doit être accordée au Conseil de l'Europe et à son Assemblée, quitte à servir un peu moins bien d'autres organisations.

Dans le même ordre d'idées, il est tout à fait extravagant, et je pèse mes mots, que les pays membres de l'Union européenne refusent toute augmentation de crédits au Conseil de l'Europe alors qu'ils s'apprêtent à mettre en place une Agence des droits fondamentaux. Celle-ci fera le même travail que celui que nous avons fait, et très bien fait, jusqu'à présent et - M. le Président l'a révélé - son budget sera dès le départ considérable : 15, 30 millions d'euros. La création de cette Agence est un véritable non-sens, sauf à accepter, à plus ou moins longue échéance, la disparition du Conseil de l'Europe.

Face à cette situation, que faire ?

Il nous faut tout d'abord balayer devant notre porte et éviter de donner prise aux critiques en multipliant, au détour des textes que nous adoptons, les structures nouvelles et comités nouveaux de toutes sortes.

Politiquement, il n'est pas tenable, mes chers collègues, de solliciter des crédits de nos gouvernements et d'accepter la création d'organisations budgétivores à l'utilité discutable.

Des efforts de rationalisation ou de redéploiement ont été faits, et la rigueur de gestion doit rester notre ligne directrice. Mais, mes chers collègues, ne nous voilons pas la face. Si tous ces efforts doivent être faits, ils ne suffiront pas, et nos gouvernements devront accepter d'augmenter les crédits du Conseil. Toute autre décision de leur part signifierait la marginalisation du Conseil de l'Europe. C'est une logique que je ne peux accepter. C'est pourquoi nous devons nous mobiliser pour faire pression sur nos exécutifs afin de sortir de la situation actuelle. Je l'ai déjà fait en interpellant mon gouvernement. Mes collègues de la délégation française continuent de le faire.

Je suis un ancien de cette maison et je n'accepterai pas sans réagir de voir dépouiller petit à petit le Conseil de l'Europe. Au nom du rôle qu'il a joué après la guerre, de celui qu'il joue auprès des nouvelles démocraties et de celui qu'il jouera demain pour la protection des droits de l'homme, de la démocratie et de la paix sur notre continent, le Conseil de l'Europe doit être défendu. Je partage entièrement les arguments de notre collègue Wille, je partage entièrement les arguments de notre Secrétaire général. Monsieur le Secrétaire général, nous sommes derrière vous dans cette bataille afin que le Conseil de l'Europe vive toujours mieux, et, surtout, défende mieux la démocratie. »

M. Jean-Guy Branger a réclamé l'entrée en vigueur rapide des mesures visant à améliorer le fonctionnement de la Cour européenne des droits de l'homme et un effort de rationalisation permettant d'éviter les doublons et gaspillages, tout en plaidant pour un renforcement des moyens financiers du Conseil de l'Europe :

« Je suis intervenu hier à propos de l'évolution institutionnelle de notre Conseil de l'Europe. Je prends de nouveau la parole dans le débat, demandé d'abord par notre collègue, le Président Schreiner, à propos plus particulièrement du budget de notre Organisation.

Vous savez tous que le Comité des Ministres applique depuis plusieurs années la règle de la "croissance zéro en termes réels". Or deux éléments doivent être pris en considération : évidemment, depuis 2001, une inflation, même faible, ronge notre marge de manœuvre ; et, surtout, la charge de la Cour européenne des Droits de l'Homme s'est considérablement accrue.

Bien entendu, nous sommes tous d'accord pour favoriser l'influence de la Cour européenne des Droits de l'Homme, de plus en plus sollicitée. Je souhaite, pour ma part, très vivement que les progrès dans la ratification du Protocole 14 permettent rapidement l'entrée en vigueur de cette réforme dont dépend l'efficacité de notre Cour.

Je ne souhaite pas seulement cette réforme pour des raisons d'efficacité juridique, mais surtout pour que puisse se développer une jurisprudence qui exerce un effet déterminant sur la stabilité politique et sociale de tous les États membres.

En prenant le parti de la Cour, je souhaite en même temps que son renforcement ne se fasse pas aux dépens des autres organes du Conseil de l'Europe, en particulier de notre Assemblée. En effet, comme je l'ai indiqué dans le débat d'hier, nous devons lutter contre une prolifération institutionnelle qui pèse à la fois sur notre budget et sur l'audience de nos travaux.

Je souhaite également que cesse la multiplication de doublons par l'Union européenne et d'abord la création d'une "Agence européenne des Droits de l'Homme". C'est le fondement même du Conseil de l'Europe. Nous devons réagir ! Ce n'est pas convenable. Extrêmement coûteux, ce nouvel organisme risque de causer des conflits de droit, puis de juridiction affaiblissant finalement les droits de l'homme en Europe.

De même, je souhaite le maintien et même le développement d'accords partiels aussi essentiels que la Pharmacopée, le groupe Pompidou, Eurimages ou encore le Greco.

La France a l'honneur d'héberger sur son sol l'Assemblée des 46. Soyez sûrs, mes chers collègues, que je plaiderai pour la garantie des moyens de fonctionnement du Conseil de l'Europe et leur développement pour le plein accomplissement de ses missions. C'est donc au Gouvernement français que je ne manquerai pas de m'adresser, notamment à l'occasion du débat budgétaire, pour lui demander de prendre toutes ses responsabilités vis-à-vis de notre organisation. »

M. Guy Lengagne s'est déclaré effaré par ce débat face à la modestie des moyens supplémentaires dont aurait besoin le Conseil de l'Europe pour fonctionner correctement :

« Monsieur le Président, Monsieur le Secrétaire Général, en vous écoutant, je me disais que ce débat était totalement surréaliste. Surréaliste, car, mon cher Terry, à vous interroger sur la façon dont vous alliez pouvoir, dans cet ensemble de 800 millions d'habitants, trouver trois millions d'euros ici, sept millions par là, je me suis dit : mais sur quelle planète suis-je tombé !

Néanmoins les chiffres n'ont de valeur que si on les compare. Certains de mes collègues avaient appelé mon attention sur les difficultés financières du Conseil de l'Europe. J'avais alors demandé le montant de la participation de mon pays, la France. On m'a livré le chiffre de 37 millions d'euros. J'ai répondu qu'il devait y avoir une erreur de zéro quelque part. Trente-sept millions d'euros pour le Conseil de l'Europe, ce n'était pas possible ! Au même moment, je discutais dans ma région de l'éventuelle construction d'une passerelle "roro", permettant aux camions de descendre des navires qui relient la Grande-Bretagne et la France. La construction de cette passerelle s'élevait à 40 millions d'euros, un coût supérieur aux 37 millions d'euros accordés par la France en faveur du Conseil de l'Europe.

Je me suis ensuite reporté au budget de la Communauté d'agglomération de 130 000 habitants que je préside : 57 millions d'euros au titre du fonctionnement, 30 millions d'euros au titre de l'investissement. Quant au budget de la ville que j'ai dirigée pendant vingt ans, ce sont 60 millions d'euros annuels. Il y a quelque chose qui ne va pas, me suis-je dit.

J'ai considéré qu'il serait intéressant de voir ce qui se passait dans la maison d'à côté. Je rappelle que le fonctionnement de notre Assemblée parlementaire - je ne parle pas des 200 millions d'euros évoqués par M. Terry Davis - représente 15 millions d'euros contre 1,322 milliard d'euros pour le Parlement européen. C'est dire que le budget de fonctionnement de notre Assemblée parlementaire ne représente qu'un peu plus de 1 % du budget de la maison d'à côté. Je continue à penser que quelque chose ne va pas.

Ainsi que plusieurs d'entre vous l'ont déjà relevé, la défense des droits de l'homme, le respect de la démocratie constituent notre travail.

J'appelle votre attention sur une particularité de notre Assemblée. Demandez autour de vous si les habitants de vos circonscriptions connaissent le nom des parlementaires européens. J'ai fait le test. Personne ne m'a jamais répondu. Ils sont inconnus. Pour autant, je ne dis pas qu'ils ne travaillent pas, mais œuvrant à Bruxelles ou au Luxembourg, ils n'ont aucun contact avec la population, faute de temps. Or, la force de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, est de représenter les parlements nationaux. Dès lors, nous sommes en constant rapport avec la population et nous pouvons faire passer les idées que nous défendons auprès de nos concitoyens. Pour cette seule raison, le Conseil de l'Europe et son Assemblée parlementaire sont irremplaçables.

Le Président van der Linden l'a rappelé à plusieurs reprises : ne nous voilons pas la face. Nous portons une part de responsabilité. Mon ami, M. Branger, l'a indiqué à l'instant : nous sommes parlementaires ; c'est nous qui votons les budgets de nos nations, c'est nous qui pouvons intervenir dans le débat. Je vais vous faire bondir : j'ai le sentiment que nous pourrions, sans dommages pour les pays, doubler le budget du Conseil de l'Europe. Trente-sept millions d'euros aujourd'hui pour la France, soixante-quatorze millions d'euros demain. C'est très largement supportable. Le budget de la France ne le verrait même pas et ma conviction est que les budgets des autres nations, plus faibles ou plus importants, ne le verraient pas non plus.

Mes chers collègues, il nous faut prendre notre bâton de pèlerin, aller plaider dans nos assemblées, soit au Sénat, soit à l'Assemblée nationale, et faire en sorte que le budget ne soit pas ridicule.

Monsieur le Président, mon cher Terry Davis, j'ai honte que nous soyons amenés aujourd'hui à tenir un débat de cette nature. Il y va de la dignité de notre Assemblée et, au-delà, de la dignité des droits de l'homme. »

2. Une délégation française très mobilisée

La délégation française n'a pas attendu ce débat d'actualité pour s'inquiéter de la situation de blocage des négociations budgétaires et ne s'est pas contentée de ce dernier.

Dès avant la session d'octobre plusieurs de ses membres, à l'instigation de son Président, avaient interpellé le Gouvernement par le biais d'une question écrite ainsi libellée :

« Depuis de nombreuses années, le budget du Conseil de l'Europe connaît une croissance zéro alors que l'une de ses institutions, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), doit, pour faire face à l'augmentation constante du contentieux, disposer de moyens toujours plus importants. Cette situation a, bien entendu, des implications sur le budget des autres entités du Conseil de l'Europe, et notamment celui de son Assemblée parlementaire (APCE) qui dispose de moins en moins de moyens pour faire face à ses missions alors qu'elle a déjà réalisé de gros efforts d'économie. Ces efforts doivent d'ailleurs être poursuivis et il est tout à fait clair que l'APCE doit, comme le Conseil de l'Europe, recentrer ses activités sur ses missions essentielles, notamment celles liées à la défense des droits de l'homme, conformément aux orientations qui lui ont été données par les chefs d'État et de gouvernement lors du troisième sommet. En avril dernier M. Terry Davis, Secrétaire général du Conseil de l'Europe, a soumis au Comité des ministres un document intitulé « Priorités 2007 - Conséquences budgétaires » proposant deux options possibles. Celle qui a la préférence de M. Terry Davis et de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE) consiste à financer les besoins supplémentaires de la CEDH en dehors d'une croissance zéro en termes réels (option 1). Les délégués des ministres, contrairement au calendrier qu'ils avaient eux-mêmes adopté, n'ont pu à ce jour ni s'accorder sur les priorités pour 2007, ni fixer le plafond des contributions des différents États membres. Face à cette situation de blocage, le Secrétaire général du Conseil de l'Europe a décidé de saisir officiellement le Comité des ministres de projets de budget et de programmes d'activités pour 2007 élaborés en fonction de l'option 1 décrite ci-dessus. Considérant que toute autre solution aurait des conséquences néfastes pour les autres instances du Conseil de l'Europe et que le blocage actuel du Comité des ministres est préjudiciable au Conseil de l'Europe et tout en étant conscient que les efforts de rationalisation évoqués ci-dessus doivent être poursuivis, M .... demande à M. le ministre des affaires étrangères si la France, pays hôte du Conseil de l'Europe, entend prendre une initiative pour débloquer la situation au sein du Comité des ministres et soutenir les propositions du Secrétaire général du Conseil de l'Europe, seules à même d'assurer à toutes les instances de cette institution les moyens suffisants pour assurer les missions qui leur ont été confiées par le dernier sommet des chefs d'État et de gouvernement qui s'est tenu à Varsovie. »1

Par ailleurs, le Président Bernard Schreiner a alerté le Gouvernement par plusieurs courriers : deux lettres à Monsieur le Ministre des affaires étrangères en date du 21 mars et du 12 avril 2006 et une lettre à Monsieur le Premier ministre en date du 5 octobre 2006.

Il a également choisi d'interroger M. Sergey Lavrov, Ministre des affaires étrangères de la Fédération de Russie et Président du Comité des ministres lors de la séance du mercredi 4 octobre :

« Considérant que le débat budgétaire pour 2007 au sein du Comité des Ministres est difficile ;

Considérant que M. Terry Davis a fait des propositions que je soutiens totalement,

Demande au Président du Comité des Ministres,

Comment pense-t-il arriver à permettre à la Cour européenne des Droits de l'Homme de disposer des moyens nécessaires à son fonctionnement, sans grever à l'excès les budgets des autres instances du Conseil de l'Europe qui ont déjà réalisé de très gros efforts d'économie ? »

En réponse, M. le Président du Comité des Ministres a donné les indications suivantes :

M. LAVROV (Interprétation) rappelle que la présidence russe s'est engagée à mettre pleinement en œuvre les décisions du Troisième Sommet et que la question des ressources est pour cela essentielle. Le Comité des Ministres vient de commencer l'examen du budget 2007, qui pose la question de l'augmentation des ressources de la Cour européenne des Droits de l'Homme. Il apparaît clairement que le Secrétaire Général n'a que deux possibilités : la croissance zéro ou la recherche de ressources en dehors du budget ordinaire.

Les avis divergent au sein du Comité des Ministres. Si chacun comprend la nécessité d'apporter davantage de ressources à la Cour, beaucoup craignent que l'augmentation du nombre des affaires n'ait une incidence sur les autres activités du Conseil. Or il importe que les valeurs, les principes et les activités qui y sont liés soient préservés ensemble et non de façon sélective.

La proposition d'augmentation du budget qui a été faite hier paraît néanmoins irréaliste dans la situation actuelle.

M. Schreiner a repris la parole pour poser une question supplémentaire :

« Monsieur le Président du Comité des Ministres, je vous engage à lire le compte rendu du débat que nous avons tenu hier soir concernant le budget, au cours duquel nous avons tous soutenu la proposition du Secrétaire Général. Vous le comprendrez donc votre réponse ne nous satisfait absolument pas. Nous ne pouvons l'accepter.

Vous l'avez dit, le Sommet de Varsovie nous demande d'engager de nouvelles actions. Nous sommes des gestionnaires, des parlementaires responsables : si les gouvernements nous confient des actions supplémentaires, qu'ils nous donnent les moyens de les réaliser. Et quand j'entends parler de faire des économies, je me demande, si nos gouvernements ne veulent pas la mort lente du Conseil de l'Europe !

M. LAVROV a alors apporté les indications complémentaires suivantes :

M. LAVROV (Interprétation) considère que M. Schreiner s'inquiète sans raison. L'examen du budget vient de commencer, il n'est donc pas possible d'en donner les détails mais seulement de dresser un tableau de la situation actuelle. La discussion au sein de l'organe compétent n'est pas achevée, quand ce sera le cas, le ministre est persuadé que l'on parviendra à une solution mutuellement acceptable.

Il est tout à fait favorable à la mise en œuvre de l'ensemble des décisions du Troisième Sommet, mais il faut prendre garde que l'une d'entre elles n'ait pas des incidences négatives sur d'autres activités du Conseil. »

Les membres de la délégation française ont exprimé leur volonté de poursuivre ces actions, notamment lors des débats parlementaires afférents à la loi de finances pour 2007, souhaitant que le Gouvernement du pays hôte du Conseil de l'Europe fasse un geste susceptible de débloquer une situation incompréhensible et d'entraîner d'autres pays dans la nécessaire revalorisation des crédits du Conseil de l'Europe.

B. CRÉATION D'UN CENTRE EUROPÉEN EN MÉMOIRE DES VICTIMES DE DÉPLACEMENTS FORCÉS DE POPULATIONS ET DU NETTOYAGE ETHNIQUE

Lors de la session de janvier 2005, une proposition de recommandation ayant le même objet n'avait pas été adoptée par l'Assemblée, suite notamment à une forte mobilisation de la délégation française.2

A peine 18 mois plus tard le même rapporteur présente un rapport identique à 99 % au précédent mais qui comporte, outre une proposition de recommandation, une proposition de résolution dont l'adoption n'est pas soumise aux règles de majorité qualifiée dont l'application avait provoqué l'échec en 2005.

Face à cette situation un peu « curieuse » sur le plan de la procédure, la délégation française, restant opposée sur le fond à cette proposition, a tout d'abord demandé le renvoi en commission de ce texte, le rapporteur n'ayant tenu aucun compte des observations faites au cours du premier débat.

Le Président de la délégation, M. Bernard Schreiner, a formulé ainsi cette demande :

« Conformément à l'article 37 de notre Règlement, je demande le renvoi en commission du rapport, ce pour trois raisons.

Premièrement, le rapport de la commission des migrations est à 99 % identique à celui présenté au mois de janvier 2005. La commission aurait dû retravailler le document en fonction des critiques émises à l'époque. Malheureusement, elle s'en est abstenue. Il faut donc lui donner l'occasion de réparer cette erreur.

Deuxièmement, vu les compétences de notre commission de la culture, de la science et de l'éducation, le centre envisagé mériterait largement son avis.

Troisièmement, la création d'une telle structure a un coût financier, sur lequel le rapport reste totalement muet. Je souhaiterais en conséquence que la commission des affaires économiques analyse l'impact budgétaire de ce centre sur les finances de notre organisation, dont nous connaissons l'état catastrophique. »

La proposition de renvoi en commission ayant été rejetée, le débat s'est engagé et M. Jacques Legendre, premier intervenant de la délégation française, a fait part de son « malaise » face à ce texte :

« Mes chers collègues, j'avoue un certain malaise au moment de me prononcer sur ce texte.

Certes, il existe bien entendu un large consensus au sein de notre Assemblée. C'est le fond même de notre combat pour condamner tout ce qui peut ressembler à l'holocauste, aux génocides, aux déplacements forcés de populations au motif de purification ethnique. Oui, tout cela est contraire aux fondements même du Conseil de l'Europe. Nous les condamnons tous et depuis longtemps.

Toutefois, force est de constater que nous avons déjà eu un débat sur ce thème et que nous n'avions pas pu trouver une majorité qualifiée, montrant ainsi qu'un certain nombre d'entre nous s'interroge, par-delà ce qui nous rassemble, sur le fond historique du débat auquel nous sommes appelés.

Je représente ici un pays qui n'est guère concerné par les déplacements ethniques. Nous avons eu assez de malheurs pour ne pas avoir à connaître celui-ci. Je ne parle donc pas à partir d'une passion nationale. Cependant, historien de métier, je n'ignore pas que tout ce qui était derrière ces déplacements du XXe siècle fait que l'on y mêle parfois des victimes qui ont incontestablement droit à notre soutien et à notre compassion, avec parfois, leurs instruments conscients ou inconscients, en particulier pour les crimes nazis. En l'occurrence, il faut tout de même rester précis : on ne peut pas globaliser ; on ne peut pas tout mettre sous le même vocable.

Il serait ainsi curieux que, d'une manière ou d'une autre, ici, au Conseil de l'Europe, nous semblions oublier les solutions trouvées par nos pays à l'issue de la Seconde Guerre mondiale pour réinstaller progressivement une nouvelle Europe avec moins de conflits, moins de divisions. Nul ici ne veut, d'une manière directe ou indirecte, que soient oubliées les responsabilités qui furent celles du régime nazi, notamment dans les déplacements de populations qu'il a organisés pour son propre compte et dans ses intérêts.

Je regrette effectivement que l'initiative d'une commission n'ait pas été soumise à d'autres commissions, par exemple, la commission de la culture, de la science et de l'éducation, qui a également, dans ses fonctions, à connaître de ces questions.

J'approuve la suggestion de faire examiner tout cela par des représentants de toutes les commissions concernées, pour que nous voyions vraiment le problème dans sa totalité. En effet, mes chers collègues, il serait néfaste que, à l'issue de ce débat il y ait, sur un sujet aussi sensible et important, une division au sein du Conseil de l'Europe. Nous sommes tous contre l'holocauste, nous sommes tous contre les génocides, nous n'admettons pas la purification ethnique. Nous voulons transmettre aux générations les valeurs qui sont les nôtres. Je souhaite que nous allions au-delà de cette proposition et que nous parvenions à un très large consensus au sein du Conseil de l'Europe, mais je ne suis pas sûr que nous en soyons capables aujourd'hui. »

M. Bernard Schreiner a alors rappelé les raisons de son opposition à ce dispositif :

« Monsieur le Président, je suis déjà intervenu tout à l'heure et vous connaissez tous mon sentiment. Je n'entends pas ignorer les souffrances de toutes ces populations qui ont été déplacées et déracinées. Je rejoins pleinement l'argumentation de mon collègue et ami Jacques Legendre.

Cependant l'examen de ce rapport a déjà été renvoyé en janvier 2005. Je regrette fort, comme l'a fait M. Legendre, que d'autres commissions n'aient pas été consultées. Pour faire un travail vraiment sérieux - et je reprends vos termes, Monsieur le rapporteur - il aurait fallu prendre l'initiative de consulter ces commissions.

En outre, nous avions émis des critiques, notamment en ce qui concerne le mot « déporté ». En France, ce terme a un sens juridique précis : il désigne les personnes qui ont été envoyées dans les camps d'extermination, les camps de la mort qu'avaient ouverts les nazis. Cet amalgame est source d'ambiguïté. De même, il convient de condamner le nettoyage ethnique, mais comment intégrer cette notion dans les différentes conventions internationales ? Je pense vraiment qu'il aurait fallu rédiger ce rapport avec davantage de précision.

Par ailleurs, on me dit que l'aspect financier n'est pas important. Pourtant, mes chers collègues, mardi soir, nous avons débattu du problème financier de notre Assemblée. Nous avons soutenu les propositions de notre Secrétaire Général. Le Conseil de l'Europe commence à être asphyxié. Veut-on sa mort lente ? Et l'on veut maintenant créer un nouveau centre ! Or personne n'a essayé de mettre dans ce rapport quelque idée en ce qui concerne les moyens de financement. Si l'on veut créer, il faut aussi s'en donner les moyens. Pour le moment, nous ne les avons pas.

Je sais bien que, dans certains pays, ce problème des déplacements, que je ne réfute absolument pas, est très sensible. D'autres pays ont, pour cultiver la mémoire et pour éviter que cela ne recommence, créé des centres. Ainsi, en Alsace, pas loin d'ici, a été inauguré l'année dernière un mémorial qui concerne ces personnes que nous appelons chez nous « les malgré-nous », c'est-à-dire tous ces jeunes Alsaciens, Mosellans et même Luxembourgeois qui ont été enrôlés dans la Wehrmacht. Ce centre de la mémoire n'a pas été créé par le Conseil de l'Europe, mais pris en charge par les pays d'implantation. Là encore soyons responsables !

Pour toutes ces raisons, je le regrette, je ne peux approuver ce rapport tout en reconnaissant - et surtout ne me faites pas dire, ce que je n'ai jamais pensé - que les populations déplacées n'ont pas eu à en souffrir ! »

M. Yves Pozzo di Borgo s'est également prononcé en défaveur de ce texte :

« Ce rapport nous propose, à peu près inchangée, la création d'un centre à la mémoire des victimes des déplacements forcés. Notre délégation avait déjà exposé toutes les raisons qui motivaient notre réprobation lors du premier examen de la Recommandation au surplus, il y avait coïncidence avec le soixantième anniversaire de la commémoration de la libération du camp d'Auschwitz-Birkenau.

De nouveau, le projet relatif à ce centre prévoit qu'il ne s'intéresserait pas aux persécutions qui conduisirent à l'extermination de six millions et demi de personnes, vieillards, femmes et enfants compris, au motif de leur appartenance ethnique. Le projet de résolution évacue les victimes de la Shoah d'une simple phrase : le centre ne traitera pas de "la déportation des juifs durant la Seconde guerre mondiale" puisque "de nombreuses initiatives et divers centres" traitent de cette question.

Dès lors, comment le public, notamment le public jeune, habitué à une communication de plus en plus précise, claire et courte, percevrait-il un centre du Conseil de l'Europe à la mémoire des victimes des déplacements de populations au XXe siècle, excluant par principe la déportation et l'extermination ?

Plutôt que la création d'un centre dont la mission politique demeure indéfinie et qui obérera notre budget si insuffisant, pourquoi ne pas envisager d'autres solutions ? N'oubliez pas qu'il s'agit d'un devoir de mémoire s'adressant essentiellement à la jeune génération. Alors, notre Assemblée ne devrait-elle pas reprendre ses travaux sur la définition d'un socle commun des manuels d'histoire des 46 États membres, afin d'éviter des manipulations des différents événements constitutifs de chacune de nos histoires nationales ? On le voit bien à travers les multiples interventions de ce jour.

Ces travaux avaient été engagés avant la chute du mur de Berlin. Ne seraient-ils pas à reprendre, maintenant que le continent entier a retrouvé son unité, mais que subsistent les germes de vieux antagonismes régionaux ?

Pourquoi ne pas passer des conventions avec les centres de recherche européens, comme le CNRS français, où l'esprit des chercheurs, absents des débats politiques ou des intérêts régionaux, pourra nous aider à mieux développer ce devoir de mémoire. »

A l'issue de ce débat, l'Assemblée a tout d'abord examiné la proposition de résolution. Un premier vote donne le même nombre de voix pour et contre le texte et aurait donc du aboutir à son rejet mais le Président de séance arguant du fait que le vote de certains parlementaires n'avait pu être pris en compte (et bien que ces parlementaires aient clairement indiqué leur opposition au texte ...) décide de faire procéder à un deuxième vote qui permet l'adoption de la résolution par 43 voix contre 42.

La proposition de recommandation sera quant à elle rejetée n'obtenant que 41 voix pour et 40 contre, très loin de la majorité des deux tiers nécessaire à son adoption.

A l'issue d'un cheminement plutôt tortueux, le débat sur la création de ce centre de la mémoire, marqué par de nombreuses bizarreries de procédure, s'achève donc dans une certaine confusion. Malgré l'adoption à une voix de majorité de la résolution, on peut estimer que le rejet de la proposition de recommandation et le contexte général du débat devraient contribuer à enterrer cette proposition malgré l'obstination dont ont fait preuve ses promoteurs.

C. LES QUESTIONS INTERNATIONALES

1. Les zones de crise

a. Le débat de politique générale sur la situation dans les Balkans

Le rapporteur de la commission des questions politiques, M. Mátyás Eörsi, a mis en évidence l'importance capitale de l'année en cours pour la région des Balkans puisque 2006 a vu le Monténégro accéder à l'indépendance et débuter les négociations sur le statut du Kosovo. Il a plaidé pour un soutien aux pays de cette région passant par la mise en place d'une plate-forme de dialogue sur la situation de l'ensemble des Balkans occidentaux.

Après les interventions de M. Sali Berisha, Premier ministre de l'Albanie, et de M. Adnan Terzic, Président du Conseil des Ministres de Bosnie-Herzégovine, un large débat s'est engagé auquel ont pris part plusieurs membres de la délégation française.

Première intervenante française, Mme Josette Durrieu a prôné l'intégration européenne des Etats de la région :

« Je remercie le Premier ministre de l'Albanie et le Président du Conseil des ministres de la Bosnie-Herzégovine ainsi que notre rapporteur.

Nous nous employons les uns et les autres à rappeler que les Accords de Dayton ont dix ans. Le résultat ? Dix ans de stabilité et de paix ! Mais notre collègue finlandais a eu raison de rappeler la présence militaire : la partie sera vraiment gagnée le jour où effectivement, les militaires ne seront plus là.

Nous commentons tous l'évolution de la situation, le bilan de Dayton aujourd'hui. À l'évidence, la sécession ou l'indépendance du Monténégro cette année crée une situation nouvelle. L'éventualité de l'indépendance du Kosovo serait une autre situation nouvelle. Osons dire qu'en introduisant des ruptures, nous générons des risques. Saurons-nous les maîtriser ? C'est la première question que nous devons nous poser.

À l'évidence, il y aura des frontières avec des situations nouvelles pour les minorités déjà dramatiquement touchées par les problèmes antérieurs. 200 000 Monténégrins vivent en Serbie : quel est leur statut aujourd'hui ? Sont-ils apatrides ? Étrangers ? Citoyens monténégrins vivant en Serbie ? C'est un problème. De plus 100 000 Serbes vivent au Monténégro. Bref, la situation évolue. Eh bien maîtrisons la !

Ma troisième remarque concerne essentiellement la Bosnie-Herzégovine. Dayton ne doit pas être une coquille vide. Les accords continuent à garantir l'unité de la Bosnie. Tout cela comporte des risques mais j'ai beaucoup apprécié l'intervention du Président du Conseil, sa sagesse et la force de son propos. Où sont la cohérence et la logique dans tout cela ? Or il n'y a pas de politique maîtrisée sans cohérence ni logique.

Pour ce qui en est du Monténégro, nous validons un droit reconnu, une légitimité. C'est une ancienne République fédérée. Soit ! Le Kosovo, nous en avons conscience, sera un précédent.

Par ailleurs - c'est un argument majoritaire en ce qui concerne les minorités - il y a 90 % d'Albanais au Kosovo et 90 % de Serbes en Republika Preska. Tout cela est complexe, je crains effectivement des risques. Je souhaite que nous les maîtrisions.

L'avenir, c'est l'intégration européenne de ces États. Je la veux de toutes mes forces. Je pense, comme vous tous ici, que tous ces États de l'Europe du Sud-Est sont éminemment européens. Toute notre histoire est passée par là. Néanmoins, l'intégration européenne - on l'a dit hier à propos de la Macédoine - passe par une intégration à l'intérieur des sociétés de chacun de ces États afin qu'ils deviennent multiethniques. L'intégration devra passer à l'intérieur de votre propre espace par une véritable coopération entre États.

Et pourquoi l'intégration européenne ? La protection ? Monsieur le Premier ministre Berisha, l'Europe est capable de se doter d'une défense européenne. Sera-t-elle contre l'hégémonie américaine ? Si la démarche n'est pas bonne, elle le sera effectivement. En tous cas, elle se fera pour l'autonomie européenne. N'est-ce pas l'essentiel aujourd'hui ?

L'Europe du marché est faite. L'Euro est en place. L'Europe que vous voulez est faite. L'Europe de la justice est en marche : nous sommes bien placés ici pour le savoir. Reste à la finir cette Europe si nous le voulons. Ce sera l'Europe de la défense qui exige une Europe politique puisque ce sera le dernier acte souverain auquel nous consentirons.

Voulez-vous l'Europe de la défense ? Voulez-vous l'Europe politique autant que je la veux ? Sachez que je suis française et que j'ai voté non au referendum parce que je ne sens pas d'aspiration à aller jusqu'au bout. Hier, le Premier ministre de Croatie a déclaré justement : « il faut inculquer l'Europe ». Quelqu'un vient de dire et c'est mieux : « il faut créer une inspiration d'Europe ». Pour ma part, je dirais : « faisons rêver notre jeunesse, la vôtre et la nôtre, sur l'Europe ! »

M. Jean-Marie Geveaux a insisté sur divers problèmes, notamment ceux posés par les minorités et les réfugiés :

« Lorsqu'en 1991, la guerre éclate en Yougoslavie, l'Europe réalise effarée, qu'à quelques heures d'avion de ses principales capitales, on tue au nom de l'appartenance ethnique. Elle redécouvre que les Balkans abritent des populations d'origine ethnique, culturelle, religieuse, différentes, véritable puzzle dont les pièces ont été assemblées avec difficulté et souvent de force au cours des siècles précédents.

Quinze ans après, la paix est revenue dans la région. Mais, soyons lucides, elle est fragile et ne repose pas sur des bases solides. Sous les cendres, le feu couve.

L'année 2006 est riche en événements. Le rapport de M. Eörsi, que je tiens à féliciter, tombe à un bon moment. En tout premier lieu, le retour à la stabilité politique et la mise en place de nouvelles structures est une tâche ardue.

Lors du redécoupage de la République fédérale yougoslave, les nouveaux États ont privilégié la mise en place d'institutions confédérales et ont accordé une large place à la représentation des minorités ethniques. Cependant, force est de constater que certains de ces nouveaux États sont fragiles. La multiplication des institutions et la décentralisation génèrent une dilution des responsabilités et un blocage politique.

Ce constat est criant en Bosnie-Herzégovine. Dans cette enceinte, nous avons d'ailleurs débattu en juin dernier des difficultés de ce pays à réformer sa Constitution.

Au Kosovo, l'envoyé spécial de l'Onu a toutes les peines du monde à trouver un compromis entre les aspirations indépendantistes des représentants de Pristina et le refus d'aller plus loin qu'une très large autonomie proposée par les autorités de Belgrade.

Néanmoins, signe encourageant parmi ce sombre tableau, l'indépendance du Monténégro. Ce petit pays a retrouvé sa souveraineté, sans heurts, à la suite d'un processus démocratique qu'il convient de saluer.

Je suis intervenu, en juin dernier, à ce sujet pour apporter mon soutien à l'adhésion de ce pays au Conseil de l'Europe.

Second sujet de préoccupation et pas des moindres, la situation économique. Le taux de chômage est important, il oscille souvent entre 30 % et 70 %. L'instabilité politique décourage les investissements étrangers. Il n'est donc pas étonnant que la corruption et la criminalité organisée prospèrent.

Enfin, véritable épée de Damoclès suspendue au-dessus de tout accord politique, le problème crucial des réfugiés.

Selon le Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations Unies, la région compte 127 000 réfugiés, dont 107 000 Serbes qui ont fui la Bosnie et la Croatie pour s'abriter en Serbie. Les heurts entre communautés perdurent et les émeutes de mars 2004 qui ont éclaté au Kosovo contre la minorité serbe en sont une bonne illustration. La stabilité et la paix dans cette région passent par un règlement apaisé de cette question.

Les États doivent favoriser la tolérance, affronter le passé et tenter d'éteindre les rancœurs. Une remise à plat du droit de propriété doit être réalisée et le retour des réfugiés encouragé. C'est dans cet esprit que la France plaide pour que tous les États de la région coopèrent pleinement avec le tribunal pénal international afin de traduire les criminels de guerre en justice.

La situation dans les Balkans reste donc incertaine. Le retour à une paix civile et à la stabilité politique conditionne l'avenir de cette région. L'intégration à l'espace européen est à ce prix.

Je citerai, pour conclure, un extrait de la déclaration finale du sommet de Zagreb qui s'est tenu en 2000 : «Démocratie, réconciliation et coopération régionales, d'une part, rapprochement de chacun de ces pays avec l'Union européenne, d'autre part, forment un tout». 

Dernier intervenant français, M. Daniel Goulet a plaidé pour un renouvellement des méthodes de coopération et pour un renforcement du rôle des parlementaires :

« J'aurais pu faire l'économie de mon intervention car je vais prolonger les excellentes interventions que nous avons entendues plus particulièrement celle de notre collègue turc qui vient de s'exprimer. Il s'agit dans ce grand débat qui vient pour la énième fois devant notre Assemblée, de faire une sorte de rapport d'étape pour dresser un état des lieux, penser à ce que nous avons dit ou décidé, nous souvenir des résolutions que nous avons prises. Nous devons nous placer dans le cadre d'un examen de conscience afin de nous demander si nous avons tenu complètement le rôle qui était le nôtre.

Peut-être n'avons-nous pas su intervenir avec beaucoup plus d'autorité, de volonté, et de force politique, auprès de nos instances nationales qui, au bout du compte, dans les chaînes des interventions sont celles qui ont pour mission de concrétiser ce que nous avons décidé ici. Nous le savons bien, tout le monde le sait, nous n'avons pas les moyens d'intervenir nous-mêmes pour que s'appliquent concrètement les résolutions que nous avons prises, les meilleures résolutions sans doute. Aujourd'hui, et je peux m'en réjouir, nous sommes nombreux à en parler sur un rapport d'étape qui engage en fait l'avenir avec encore plus d'autorité.

Cher rapporteur, vous avez bien marqué les points sur lesquels nous devons maintenant être utiles à cette région des Balkans qui reste une sorte de baril de poudre alors qu'un rien peut rallumer les querelles en suscitant de nouveaux désagréments. Nous en serions responsables, même si nous n'avons pas toutes les responsabilités. Nous serions coupables.

Vous dites que cette année 2006 revêt une importance capitale pour l'ensemble d'une région qui connaît des changements déterminants : il faut donc saisir l'occasion. Au fil des résolutions, vous avez fixé un certain nombre de repères. Il nous faut maintenant être concrets. Les mots, les discours, ça suffit, nous en avons entendu de toutes les couleurs, à toutes les sessions. L'excellent rapport de notre collègue Johnson en était vraiment un. Moi-même, en 1999, je me suis rendu sur les lieux pendant une semaine. J'avais envisagé un certain nombre de démarches sur place. Je suis revenu dans cette Assemblée, la résolution a été adoptée pratiquement à l'unanimité. Aujourd'hui, en 2006, il était important de taper du poing sur la table en disant : trop c'est trop. Ça suffit ! Il faut passer dans le concret.

Je reprends quelques points du rapport qui m'apparaissent importants. Il faut adopter une autre méthode de coopération. Les diplomates, nous les connaissons, et nous ne sommes pas des diplomates, Dieu nous en préserve, mais nous avons quand même, parlementaires, un certain nombre de prérogatives qui n'excluent pas que nous fassions de la coopération parlementaire dans la diplomatie. Lorsque nous entretenons de très bonnes relations avec des collègues dans cette région, nous pouvons peut-être fixer des points d'ancrage pour faire un certain nombre de choses. J'en veux pour preuve que nous pourrions très bien être à l'origine d'échanges universitaires, que nous pourrions avoir aussi une implication un peu plus forte dans l'action que nous mènerions auprès de nos gouvernements, s'agissant par exemple des visas.

Monsieur le rapporteur, nous pouvons vous féliciter parce que vous avez bien répertorié tout ce qui va moins bien, tout ce qui pourrait aller mieux. À nous de savoir dans quelle direction nous devons maintenant nous diriger.

Nous serions bien inspirés de forcer notre volonté, de consolider notre démarche de manière à être utile, sinon, nous n'aurions servi à rien. Je ne pense pas que telle soit votre démarche, Monsieur le président de la commission des questions politiques, ou la vôtre, Monsieur le rapporteur. En ce qui me concerne, j'entends apporter ma contribution au niveau du Parlement national français de la même façon que je compte le faire ici. Le moment est venu. Plus tard, il serait trop tard : nous endosserions une responsabilité qui ne devrait pas être la nôtre. Les générations futures en jugeront. »

A l'issue de ses débats, l'Assemblée a successivement adopté :

- la résolution n° 1517 qui demande aux pays de la région de poursuivre leurs efforts en matière de démocratie et de droits de l'homme et appelle les pays membres et l'Union Européenne à accroître l'aide qui leur est accordée ;

- la recommandation n° 1765 qui demande notamment au Comité des Ministres de renforcer ses programmes d'assistance aux pays de la Région et d'envisager la nomination d'un représentant spécial pour les Balkans occidentaux.

b. Le débat d'urgence sur le Liban

Ouvrant le débat, M. Göran Lindblad, rapporteur de la commission des questions politiques, a déploré les événements qui se sont déroulés au Liban en juillet et août 2006 et dans la bande de Gaza depuis le début de l'offensive militaire israélienne en juin 2006. Il a considéré qu'on ne pourrait trouver une solution politique durable aux problèmes de la région que par le dialogue politique entre toutes les parties concernées, y compris les pays qui n'ont pas été directement mêlés aux hostilités.

M. Jacques Legendre, premier intervenant français, a lui aussi plaidé pour le rétablissement du dialogue entre les différentes parties à ce conflit et souhaité le rétablissement de l'indépendance et de la pleine souveraineté du Liban :

« Quel gâchis que ce qui s'est produit cet été ! Nous sommes ici des parlementaires désireux de paix. Nous souhaitons qu'Israël puisse vivre dans des frontières reconnues en pleine sécurité. Nous souhaitons que les Palestiniens bénéficient enfin d'un territoire qui soit à eux avec leurs autorités reconnues et choisies librement. Nous souhaitons que l'État libanais soit renforcé dans l'intégralité de son territoire et dans sa pleine indépendance.

Avons-nous progressé vers cet objectif après les événements de l'été ? Ce sont les extrémistes qui ont gagné parce qu'à leurs provocations, on a répondu d'une manière telle qu'ils ont pu apparaître aux yeux d'une bonne partie de l'opinion de cette région comme les véritables défenseurs de leur cause. Nous devons tout faire pour revenir à la raison. On ne fera pas avancer les choses sans les Palestiniens. Si les Palestiniens sont réduits à se déchirer, s'ils sont réduits au désespoir et engagés dans une quasi guerre civile, nous savons bien que là nous ne faisons que fabriquer de futurs terroristes. Il n'y a rien de plus dangereux que de réduire les gens au désespoir.

De la même façon, ce n'est pas en détruisant l'État libanais qu'Israël assurera la paix à sa frontière. C'est évidemment au contraire en favorisant la mise en place de structures étatiques réelles et fortes de l'État libanais sur sa frontière qu'Israël sera assuré que son territoire ne soit plus utilisé pour des agressions qui sont inacceptables et que nous condamnons tous.

Mes chers collègues, il nous faut lancer ici un message fort, afin que la raison, si cela est possible, revienne dans cette région si chère à notre cœur.

Je suis aussi président de la commission de la culture, de la science et de l'éducation. Nous savons bien que se trouvent, sur ces territoires, certains des lieux de mémoire chers aux grandes religions du Livre, qui réveillent chez nous tous sinon des passions, du moins des sentiments très forts. Il doit être dit à cette occasion qu'il est indispensable de ne pas s'en prendre à ces lieux de mémoire afin de ne pas raviver des conflits qui peuvent durer très longtemps.

Notre civilisation est également menacée peut-être par une « guerre des civilisations » et par la réapparition de guerres de religions. Ce n'est pas ainsi que l'on fait avancer la civilisation. En appelant ici à la raison, en rappelant, en particulier, que le Proche-Orient a besoin d'un État libanais stable, rendu maître de ses frontières, grâce à l'appui de la communauté internationale, capable de faire respecter son territoire et d'imposer le respect de la loi à toutes les composantes et à toutes les milices et de s'opposer à toute agression depuis son territoire, alors, nous ferons progresser la cause de la paix.

Voilà ce qui nous motive. Je crois, mes chers collègues, qu'il faut aujourd'hui demander aux uns et aux autres de se parler. On n'avancera que par le dialogue avec tous. »

M. François Rochebloine a dénoncé l'offensive israélienne sur le Liban :

« La paix, oui, la paix maintenant.

C'est, je crois, le souhait unanime qui devrait monter de toutes les travées de cette Assemblée au moment où nous évoquons le destin du Liban et de toute la région de la méditerranée orientale. Notre débat aura du moins le mérite de démontrer qu'il existe une instance européenne démocratique où se manifeste une attention réelle et constante pour une situation dramatique, un conflit qui semble se renouveler sans cesse. Quel contraste - contraste malheureux ! - avec l'attitude présente de l'Union européenne qui s'est montrée incapable de définir quelques lignes communes et qui est véritablement absente de la période de reconstruction qui s'ouvre désormais.

Je me félicite personnellement de la détermination avec laquelle mon pays, la France, a su mettre en évidence ce que l'offensive israélienne avait d'inacceptable et prendre rapidement les initiatives qui convenaient pour persuader la communauté internationale d'agir en vue de la cessation rapide d'un processus dévastateur.

Je me dois, en cet instant, de souligner le risque que la politique du Gouvernement israélien fait courir, pour un profit inexistant, à la sécurité et à l'unité du Liban qui venait, à grand peine, de se libérer de la tutelle syrienne dans ce qu'elle avait de plus pesant et de plus manifeste. La reconstitution de l'unité politique libanaise, en dépassant des solidarités historiques complexes qui faisaient le jeu de la puissance occupante depuis trente ans, était un gage de stabilisation dans la région. L'intervention israélienne, motivée sur la forme par l'enlèvement de deux soldats, a eu une ampleur tout à fait disproportionnée à la cause - je n'ose dire au prétexte - qu'un hasard bienveillant venait de lui fournir.

Ce n'est certainement pas en détruisant les premières fondations de la reconstitution de l'État libanais, miné par trente ans de conflit et d'occupation, qu'Israël peut prétendre contribuer à la paix. Au contraire, sa politique alimente les fervents de division, d'affrontement et de mort.

L'offensive de cet été a entraîné, nous le savons, un nombre élevé de victimes dans les populations civiles - cela vient d'être rappelé -, tuées ou mutilées du fait de l'emploi d'armes très destructrices telles que les bombes à fragmentation et à sous-munitions. Comment ne pas relever qu'en Israël même, les populations civiles se sont trouvées exposées par les répliques du Hezbollah, les pertes les plus sensibles ayant touché les villages chrétiens de Galilée ? Il y a, vous en conviendrez, une terrible correspondance, aujourd'hui, entre la politique de désintégration poursuivie par Israël au Liban et les effets des armes employées par ses troupes sur les populations civiles.

Oui, il est urgent que la paix revienne, que le Liban retrouve son unité et son intégrité et qu'il se voie ainsi donner une chance sérieuse de constituer à nouveau, dans une région si fortement ébranlée par d'innombrables conflits et divisions, un foyer d'équilibre et de respect mutuel. »

M. Rudy Salles a centré son intervention sur la nécessité de désarmer le Hezbollah :

« Le conflit qui a éclaté en juillet dernier au Proche-Orient, a suscité étonnement et inquiétude dans l'opinion publique internationale.

Étonnement tout d'abord parce que la plupart de nos concitoyens pensaient que le Liban avait recouvré la paix et, surtout, la souveraineté. En effet, après le retrait apparent des Syriens à la suite de l'assassinat de Rafik Hariri, nombreux étaient ceux qui pensaient que le Liban était à nouveau un pays libre et indépendant. Inquiétude ensuite parce que les guerres au Proche-Orient sont souvent annonciatrices de mouvements déstabilisateurs dans le monde que personne ne sait arrêter. Inquiétude enfin parce que le nombre de victimes a été plus lourd que prévu.

Deux questions se posaient alors et se posent toujours : la sécurité d'Israël peut-elle être assurée et l'indépendance du Liban peut-elle être restaurée ?

Pour ce qui est de la sécurité d'Israël, tout le monde sait bien qu'une menace aussi importante que le Hezbollah, oblige l'État hébreux à redoubler de vigilance. La décision d'intervenir en territoire libanais répondait à cette inquiétude.

Concernant l'indépendance et la souveraineté du Liban, il y en avait bien les apparences, mais celles-ci ne correspondaient pas à la réalité sur le terrain. En effet, comment un pays peut-il être considéré comme souverain lorsque des pans entiers de son territoire sont sous le contrôle de milices armées répondant aux ordres de puissances étrangères ? C'est effectivement comme cela que se présente le Hezbollah. Ce qui a les apparences d'un parti politique présent à la fois au parlement et au Gouvernement du Liban, est une organisation disposant d'une force armée possédant plus de 20 000 missiles, financée et entraînée par des puissances étrangères. Le Sud Liban, qui fut évacué par Israël sans condition en 2000, est depuis lors aux mains du Hezbollah qui ne répond en aucune manière aux ordres de l'État libanais.

Cette organisation, bien connue depuis une vingtaine d'années pour avoir été à l'origine de nombreux attentats dans le monde, a pris le Liban en otage et, par ailleurs, menace en permanence la sécurité d'Israël. C'est pour cette raison qu'Israël s'est vu contraint d'intervenir l'été dernier afin de neutraliser cette menace. On pourra toujours s'interroger sur le bien-fondé de cette intervention qui fut difficile et qui n'a pas réussi à éradiquer totalement le danger.

Néanmoins, cette initiative a forcé la communauté internationale à se plonger à nouveau sur cette question. Ainsi, l'occasion a été donnée de constater que la Résolution 1559 prévoyant le désarmement des milices et du Hezbollah en particulier n'avait pas été respectée. Aussi la communauté internationale a-t-elle pris de nouvelles initiatives pour faire face à cette situation en adoptant la Résolution 1701 et en déployant une nouvelle Finul renforcée.

Toutefois, au bout du compte, on peut se demander si ces efforts ne resteront pas vains et si la communauté internationale, une fois de plus, ne fera pas preuve d'impuissance. En effet, pour parvenir à pacifier la région, pour garantir à la fois la sécurité d'Israël et la souveraineté du Liban, il faut désarmer le Hezbollah et l'empêcher de poursuivre les programmes qu'il s'est fixé.

À ce propos, les déclarations récentes du leader de la milice chiite Hassan Nasrallah ont de quoi nous inquiéter, puisqu'il affirme que le Hezbollah ne se laissera pas désarmer et demande en outre la démission du Gouvernement libanais. Quand on connaît les liens unissant le Hezbollah à l'Iran, quand on connaît les ambitions nucléaires de ce pays, on mesure l'urgence qu'il y a à régler ce problème sur le territoire libanais.

Je crois malheureusement que le désarmement sera difficile à obtenir par le biais de la négociation politique. Il ne faut pas s'attendre à ce que le Hezbollah prenne l'initiative, à l'issue d'une négociation, de déposer les armes. Il importe donc que la Finul dispose d'une mission claire, d'une mission militaire, pas d'une mission d'observation. Si la Finul n'est pas en mesure de désarmer le Hezbollah, alors personne n'y parviendra à sa place et elle risque très vite de se trouver dans une situation pire encore que celle de l'été dernier.

J'en appelle donc à la communauté internationale afin qu'elle assume ses responsabilités pour éviter des risques majeurs qui ne manqueraient pas d'arriver. Il vaut mieux agir que réagir car dans ce dernier cas, les actions sont rendues très difficiles.

Enfin, je demande solennellement que notre Assemblée exige la libération des deux otages israéliens détenus par le Hezbollah, ainsi que l'otage prisonnier du Hamas. Cette prise d'otages sans qu'aucune nouvelle ne soit donnée aux familles n'est pas acceptable. Il faudrait qu'à tout le moins, la Croix Rouge puisse effectuer des visites humanitaires afin que des nouvelles relatives à leur état de santé ou à leurs conditions de détention soient portées à la connaissance de l'Onu et des familles.

Le Conseil de l'Europe doit faire passer ce message pour obtenir un engagement ferme de la communauté internationale qui ne se contente pas du faible résultat d'aujourd'hui proposant un cessez-le-feu dont la fragilité n'est malheureusement plus à démontrer. »

L'Assemblée a ensuite adopté la résolution n° 1520 : 

1. L'Assemblée parlementaire déplore les tragiques événements qui se sont déroulés au Liban en juillet et août 2006, et qui se sont soldés par la mort de plus de 1 100 Libanais, y compris 530 combattants du Hezbollah, et de 40 civils et 117 soldats israéliens, ainsi que par la destruction d'infrastructures. Parmi les victimes se trouvent également deux soldats israéliens enlevés, qui n'ont toujours pas été libérés, ainsi que leur famille. L'Assemblée condamne les actes terroristes du Hezbollah et sa politique de violence menant à de nombreux tirs de roquettes contre des cibles civiles en Israël. Elle condamne, de la même façon, l'usage disproportionné de la force par Israël et les attaques pratiquées sans discernement contre des cibles civiles.

2. L'Assemblée se félicite des efforts entrepris par la communauté internationale pour mettre fin aux hostilités, en particulier de l'adoption de la Résolution 1701 des Nations Unies, ainsi que du déploiement d'une force internationale de maintien de la paix. Elle prend note avec satisfaction du rôle joué par l'Union européenne dans la formation de cette force et de sa participation en termes d'effectifs militaires. On doit se féliciter également qu'une aide humanitaire ait été rapidement mise en place à la suite de cette crise et que l'engagement ait été pris de contribuer à la reconstruction du Liban.

3. De leur côté, les parties au conflit doivent assumer leurs responsabilités. La Résolution 1559 des Nations Unies demandant le désarmement du Hezbollah doit être appliquée et il faut restaurer la souveraineté pleine et durable du Liban sur son propre territoire.

4. L'Assemblée est vivement préoccupée par les pratiques de déstabilisation de l'Iran et de la Syrie dans la région, et par leur soutien passif et/ou actif aussi bien aux activités terroristes qu'à la fourniture d'armes (par exemple les roquettes utilisées par le Hezbollah).

5. En outre, l'Assemblée se déclare vivement préoccupée par ce qui se passe dans la bande de Gaza depuis le 27 juin 2006, date du début de l'offensive militaire israélienne, à la suite de la capture d'un soldat israélien par des militants palestiniens. Les incursions ont provoqué jusqu'à présent la mort de plus de 200 Palestiniens, dont beaucoup étaient des civils, et la destruction d'infrastructures civiles de première importance.

6. La détention par Israël de M. Aziz Dweik, président du Conseil législatif palestinien (CLP), arrêté le 6 août 2006, ainsi que d'une quarantaine de parlementaires et de ministres palestiniens suscite, elle aussi, de graves préoccupations. L'Assemblée souligne que ces personnes ont été légitimement élues.

7. En revanche, l'Assemblée se félicite des déclarations par lesquelles le Premier ministre Olmert et le Président Abbas se sont dit prêts à se rencontrer sans conditions préalables, ainsi que de l'annonce du Sommet du Proche-Orient, qui aura lieu prochainement.

8. De même, les récentes tentatives de former, au sein de l'Autorité palestinienne, un gouvernement d'union avec le Fatah ne peuvent inspirer qu'un prudent optimisme. Ce processus devra se poursuivre en dépit des difficultés et des obstacles.

9. L'Assemblée souligne à nouveau que, s'il était formé, tout gouvernement d'union devrait respecter les trois impératifs fixés par la communauté internationale, à savoir la reconnaissance d'Israël, l'adoption du principe de non-violence et l'acceptation des obligations et accords antérieurs.

10. L'Assemblée réitère sa conviction que la feuille de route reste une référence valable pour les négociations de paix et une solution biétatique.

11. On ne pourra trouver une solution politique durable aux problèmes de la région que par le dialogue politique entre toutes les parties concernées, y compris les pays qui n'ont pas été directement mêlés aux hostilités. Il ne fait aucun doute que le conflit doit être perçu dans le contexte plus vaste de la région du Proche-Orient, et non dans le périmètre restreint constitué par Israël, l'Autorité palestinienne et le Liban.

12. L'Assemblée estime, en outre, qu'une participation accrue de la communauté internationale est la condition essentielle de tout progrès vers un règlement politique et que l'Europe - en particulier l'Union européenne - doit s'engager activement à cet égard.

13. De son côté, le Conseil de l'Europe doit contribuer activement à la création, dans cette région, d'un climat positif pour pouvoir y favoriser un règlement politique. Le 3ème Sommet des chefs d'Etat et de gouvernement du Conseil de l'Europe, qui s'est tenu à Varsovie en 2005, a fixé des objectifs prioritaires clairs pour l'action à venir, notamment la promotion des valeurs démocratiques et du dialogue interculturel.

14. L'Assemblée juge particulièrement opportun de poursuivre un tel dialogue au niveau parlementaire avec toutes les parties concernées de la région.

15.  L'Assemblée est fermement persuadée que la seule voie pour établir la paix et la stabilité dans la région passe par la démocratie, le respect des droits de l'homme et la primauté du droit.

16. L'Assemblée demande aux dirigeants de l'Autorité palestinienne :

16.1. d'intensifier leurs efforts tendant à créer un gouvernement d'unité qui se conforme aux impératifs définis par la communauté internationale, tels que stipulés au paragraphe 9 ;

16.2. d'engager un dialogue politique avec Israël sur la base de la feuille de route ;

16.3. d'intensifier leurs efforts tendant à désarmer les groupes armés, y compris le Hamas.

17. L'Assemblée demande aux dirigeants d'Israël :

17.1. de mettre fin aux incursions militaires dans la bande de Gaza ;

17.2. de libérer les parlementaires et ministres palestiniens, contre lesquels aucune charge n'a été formulée ;

17.3. d'engager un dialogue politique sur la base de la feuille de route.

18. L'Assemblée demande aux dirigeants du Liban :

18.1. d'appliquer la Résolution 1559 des Nations Unies demandant le désarmement du Hezbollah ;

18.2. d'appliquer la Résolution 1701 des Nations Unies exigeant la libération immédiate des deux soldats israéliens enlevés ;

18.3. d'intensifier leurs actions visant à restaurer la souveraineté et le contrôle entiers et effectifs de l'autorité légitime sur la totalité du territoire libanais ;

18.4. d'entreprendre des réformes démocratiques supplémentaires, ainsi que de poursuivre la transformation démocratique du pays.

19. L'Assemblée prie instamment les dirigeants du Hamas de se conformer aux impératifs définis par la communauté internationale en ce qui concerne l'adoption du principe de non-violence, la reconnaissance d'Israël et l'acceptation des accords antérieurs.

20. L'Assemblée demande à la communauté internationale, en particulier au Quartet et à l'Union européenne :

20.1. d'intensifier leurs efforts en vue de parvenir à une solution politique durable ;

20.2. de soutenir l'idée lancée par le Parlement européen de convoquer une conférence sur la sécurité et la coopération au Proche-Orient ;

20.3. d'examiner attentivement la proposition du Parlement européen de créer un fonds de développement euro-méditerranéen ;

20.4. de contribuer généreusement à la reconstruction du Liban.

21. L'Assemblée demande aux parlements de la région, y compris à celui de l'Iran, de contribuer à la stabilité de la région et de s'engager dans un dialogue sérieux.

22. L'Assemblée décide de poursuivre le dialogue engagé avec le Conseil législatif palestinien, ainsi que d'intensifier ses efforts visant à faciliter les contacts entre les membres du CLP et la Knesset.

23. En même temps, l'Assemblée demande à sa commission des questions politiques d'étudier la possibilité d'engager, au niveau parlementaire, un dialogue sérieux avec les parlements de l'ensemble de la région.

2. L'OCDE et l'économie mondiale

M. Ignacio Cosidó, rapporteur de la commission des questions économiques et du développement, après avoir analysé les perspectives de l'économie mondiale a insisté sur les augmentations que connaissent depuis quelque temps les prix de l'énergie, la nécessité de préserver la stabilité financière mondiale et de progresser dans la libéralisation du commerce, et le développement de cadres plus efficaces pour la fourniture de l'aide internationale.

M. Rudy Salles, a présenté la contribution orale de la commission des migrations, des réfugiés et de la population :

« Il y a un an, je présentais, devant cette Assemblée, au nom de la commission des migrations, un rapport sur la politique de co-développement comme mesure positive de régulation des flux migratoires. Je constate que mon texte a aujourd'hui encore plus d'actualité qu'il y a un an, quand on songe aux arrivées en masse des migrants irréguliers de l'Afrique sub-saharienne et même de l'Asie sur les rives sud de l'Europe. Plus de 25 000 sont arrivés aux îles Canaries depuis le début de l'année, contre 2 000 en 2005, un nombre presque aussi dramatique à Lampedusa, ainsi qu'à Malte, en Grèce, à Chypre et en France.

Les ministres de l'Intérieur de ces pays, avec leurs collègues du Portugal et de la Slovénie, ont donc organisé une réunion en Espagne, vendredi dernier, pour discuter d'une stratégie pour faire face à ce problème.

La cause principale de ces migrations est le manque de perspectives pour les jeunes dans leur pays d'origine. Rappelons que la famine, les pandémies, la dictature, les guerres, la corruption sévissent dans nombre de pays d'origine, ce qui constitue un appel important pour les candidats au départ.

Je note avec satisfaction que l'OCDE a organisé une Conférence sur les migrations, les transferts de fonds et le développement économique des pays d'origine, ce qui va dans le sens de notre rapport. Faut-il rappeler que le total des transferts de fonds opérés fait chaque année par les migrants dépasse aujourd'hui largement les flux d'aides officielles pour le développement apportés par les pays de l'OCDE ?

L'une des recommandations de mon rapport sur le co-développement était précisément de faire en sorte que les migrants deviennent des agents du développement en créant à cet effet les conditions adéquates et favorables aux niveaux national, régional et international. Une autre de ses recommandations souligne l'importance d'encourager la participation des migrants à l'élaboration des politiques et des projets de co-développement et de promouvoir un retour des étudiants et migrants répondant aux besoins des pays d'origine.

Mes chers collègues, nos pays industrialisés, avec une population de plus en plus âgée, ont aussi besoin des migrants pour assurer le bon fonctionnement de nos économies. Certains secteurs sont déjà aujourd'hui très dépendants des travailleurs migrants. La commission des migrations, des réfugiés et de la population a étudié ces questions dans plusieurs rapports. C'est avec satisfaction que je constate que la gestion des migrations de travail, afin d'assurer et soutenir la croissance économique, représente également une des priorités de l'OCDE.

Je tiens enfin à féliciter le nouveau Secrétaire Général de l'OCDE, M. Ángel Gurría, d'avoir choisi les migrations internationales comme l'une des trois priorités de l'organisation pour les deux premières années de son mandat.

Je veux dire, pour conclure, que ce sujet constitue l'un des défis majeurs du XXIe siècle. Aucun pays d'accueil n'est aujourd'hui en mesure de régler les problèmes de migration en votant simplement des lois intérieures qui n'ont strictement aucun effet sur le problème dont nous parlons. Nous devons mettre en œuvre, au moins au niveau européen, un vaste plan de coopération. Nous devons encourager le co-développement de toutes nos forces. Si nous n'y mettons pas l'ardeur et les moyens nécessaires, alors nous serons responsables d'une situation migratoire très difficile, qui appauvrira les pays les plus pauvres et déstabilisera le fragile équilibre de la planète. »

Après l'intervention de M. Ángel Gurria, Secrétaire Général de l'OCDE, le débat s'est engagé et M. Francis Grignon y a pris part en se prononçant pour un développement des politiques de formation dans les pays du Sud et pour un élargissement de l'OCDE :

« Nous sommes appelés, comme chaque année, à débattre de l'évolution de l'économie, en particulier du rôle de l'organisation de coopération et de développement économique qui nous associe à nos principaux partenaires. Je m'en réjouis, car c'est l'occasion de débattre des grandes orientations que l'OCDE trace pour nos économies.

Le rapport très complet de notre collègue Ignacio Cosidó évoque à juste titre la nécessité de poursuivre la négociation des accords multilatéraux sur le commerce international dans le cadre de l'OMC.

L'invitation à abandonner toute subvention publique aux producteurs doit être respectée par tous les grands partenaires du commerce international. L'Union européenne a fait, à mon sens, la plus grande partie du chemin sans que la réciproque soit toujours respectée. Je pense, par exemple, au coton, dont les producteurs doivent supporter une concurrence largement faussée.

Le rapport insiste aussi fort justement sur la transparence du marché mondial des capitaux et sur l'impératif d'un environnement juridique stable, condition nécessaire aux investissements.

Quant au paragraphe 5 du projet de résolution, qui qualifie les flux migratoires intenses de positifs pour la croissance mondiale dans le cadre d'une mondialisation des marchés du travail, il me semble que l'approche devrait être moins passive, plus positive pour les pays d'origine. Nous ne pouvons ignorer ni l'impact sur nos sociétés de flux incontrôlés ni les causes qui poussent de plus en plus de candidats à quitter leur pays natal. Je pense en particulier aux pays d'Afrique, dont l'émigration vers l'Europe ne peut être la seule perspective pour leurs populations.

Par ailleurs, il me semble impératif d'orienter vers ces régions l'implantation d'industries manufacturières de main-d'œuvre plutôt que de les considérer comme des marchés d'exportation pour le Nord. Il est temps d'oublier nos comportements coloniaux. Ainsi, par la distribution de salaires, doit pouvoir s'enclencher un cycle vertueux de consommation locale et donc des développements à partir de cette injection initiale de pouvoir d'achat. Tant qu'un salarié africain ne gagnera que 70 euros par mois pour acheter un téléphone portable, un congélateur, un ordinateur ou une voiture qui vient d'un autre continent, l'Afrique stagnera.

En conséquence, l'aide publique de nos États vis-à-vis des pays en voie de développement doit se concentrer sur l'éducation. Pas de vraie démocratie sans éducation et pas d'eau, de pain ou de médicaments pour tous sans vraie démocratie. L'éducation est donc la condition sine qua non de tout développement.

La formation des personnes constitue le capital humain qui permettra à des investisseurs d'implanter des industries dans ces pays. J'espère que nous saurons dépasser nos égoïsmes pour aller dans cette direction.

Enfin, le rapport insiste, entre autres, sur les incertitudes en matière d'énergie et nous invite, à juste titre, à développer la recherche ainsi que la production d'énergies alternatives. Largement à l'abri d'une dépendance préjudiciable grâce aux investissements dans l'énergie nucléaire, la France prend conscience de l'important potentiel des bio-énergies. Mais le problème doit être désormais envisagé au niveau de toute l'Europe. Quand je pense "énergie", je ne pense pas seulement au carburant de nos voitures, mais aussi à la chimie du végétal qui devra à terme, j'en suis persuadé, compléter la chimie dérivée de nos ressources fossiles.

En conclusion, ne s'agit-il pas aujourd'hui, plutôt que de faire prévaloir une orthodoxie entre les 30 pays membres de l'OCDE, de prévoir l'élargissement de l'Organisation à nos partenaires que sont la Chine, l'Inde et la Russie. Cette évolution, plus conforme aux flux actuels du commerce mondial, deviendrait ainsi le cadre du fair trade, c'est-à-dire de cette concurrence loyale dont le développement a besoin tant entre États riches ou près de l'être qu'entre États de l'OCDE et pays en voie de développement. Ce serait en somme une solidarité au bénéfice de tous. »

M. Michel Hunault a centré son propos sur la lutte contre la pauvreté :

« Dans le cadre de ce débat annuel devant votre Assemblée sur les activités de l'OCDE et l'économie mondiale, je tiens à saluer à mon tour, la qualité du rapport de M. Cosidó, les intervenants entendus au nom des différentes commissions et votre exposé M. le Secrétaire général.

Jamais l'économie mondiale n'a connu une croissance aussi soutenue qu'en 2005 et 2006 notamment en Asie. Certes, comme il est écrit dans le rapport, l'économie mondiale est confrontée aux défis de la hausse des prix de l'énergie, des déséquilibres commerciaux et budgétaires de certains pays. Plus grave encore que ces défis, l'économie mondiale est confrontée aux déséquilibres et à l'accroissement des disparités entre pays riches et pays pauvres. Nous avons obligation de lutter contre la pauvreté. Alors que le secteur financier réalise des profits record, que jamais il n'y a eu autant de disponibilités financières, les inégalités s'accroissent entre les pays riches et pays pauvres ! Or, nous savons ici que l'économie mondiale ne peut s'exonérer de certaines préoccupations et exigences. La situation de misère, d'extrême pauvreté pour près de deux milliards d'êtres humains qui vivent avec moins de 1,5 dollar par jour, est une insulte à notre dignité humaine.

La misère est la cause première de l'immigration en provenance des pays pauvres. Aucun mur, aucune loi n'arrêtera l'immigration des populations en provenance des pays abandonnés qui réclament, à juste titre, leur part de dignité.

Dans ce débat, je voudrais mettre en relief des pistes pour conforter la croissance et l'économie mondiale vers une économie plus justement et mieux partagée. L'exigence d'une bonne gouvernance passe par la lutte contre toute forme de corruption et contre le blanchiment du produit de l'activité criminelle organisée. En effet, on sait qu'il existe une relation étroite entre le niveau de la pauvreté et celui de la corruption. Nous devons donc réagir et nous poser la question de la traçabilité des mouvements financiers dans le dessein de lutter contre la corruption qui sévit dans le domaine de l'aide accordée aux pays en voie de développement, trop souvent détournée de ses objectifs. Nous devons aussi veiller à orienter l'aide au développement vers l'éducation et la recherche, dans un monde où un enfant sur deux n'a pas accès à l'école ! Nous devons aussi engager, comme vous l'avez suggéré M. le Secrétaire général, une action urgente pour l'accès à l'eau potable et aux richesses les plus essentielles dont sont privés tant d'êtres humains.

Se pose aussi la question de l'efficacité des institutions de coopération notamment financières. A l'exemple de la BEI et de la BERD, au nom de la commission économique de notre Assemblée, je suis chargé de rédiger un rapport sur l'opportunité de créer une nouvelle institution financière, la banque Euro-Méditerranée, qui serait orientée vers le développement durable, le financement d'infrastructures et l'éducation dans les pays de l'Euro-Méditerranée.

Les déséquilibres et la pauvreté entraîneront l'économie mondiale vers le chaos si nous ne réagissons pas. On sait que c'est sur le terrain de la pauvreté, des frustrations, de l'ignorance que prospèrent la haine, le terrorisme et les conflits.

Monsieur le Secrétaire général a parlé à juste titre des déséquilibres démographiques dans les pays développés, où la population vieillit. Au-delà de la problématique du financement des retraites, se posera la question du financement de la dépendance des personnes âgées et handicapées.

Devant cette Assemblée parlementaire qui a vocation à œuvrer pour la dignité de l'homme, qui se doit de contribuer à construire un monde de paix et de prospérité, nous devons, à l'occasion de ce débat sur l'économie du monde, comme nous l'avons fait en juin 2005 lorsque nous avons débattu des priorités du troisième millénaire, appeler à la construction d'un nouvel ordre économique mondial : mais aussi œuvrer à rendre plus efficace les institutions politiques, juridiques et financières existantes.

Monsieur le Secrétaire général, vous avez souhaité des suggestions. Il me semble que, face aux défis du XXIe siècle, au premier rang desquels se trouve la pauvreté, il faudra se poser la question de l'efficacité des institutions existantes. Ne faut-il pas en créer de nouvelles pour rendre plus prospère l'économie du monde au service de toutes les nations ? »

A l'issue de ses débats l'Assemblée a adopté la résolution n° 1518 qui se prononce pour la poursuite de la libéralisation du commerce mondial, pour des politiques migratoires contrôlées et souligne quelques obstacles à la croissance mondiale (déficits publics et de la balance commerciale excessifs, hausse du prix de l'énergie ...). Ce texte réclame également un renforcement et une réorientation des politiques d'aide au développement et demande à l'OCDE de faciliter la discussion entre ses principaux Etats membres, l'Union européenne, les économies dominantes non membres de l'OCDE et les pays en développement dans le but de trouver un accord sur les éléments essentiels d'un nouveau programme économique mondial fondé sur la promotion d'une croissance économique durable, la libéralisation des échanges et le développement.

3. Les questions migratoires

Déjà évoquées lors du débat sur l'OCDE, les questions migratoires ont fait l'objet de deux débats spécifiques : un débat d'urgence sur l'arrivée massive de migrants irréguliers sur les rivages de l'Europe du Sud et l'autre sur l'image des migrants véhiculée dans les médias.

a. Le débat d'urgence sur l'arrivée massive de migrants irréguliers sur les rivages de l'Europe du Sud

M. Christopher Chope, rapporteur de la commission des migrations, des réfugiés et de la population a introduit le débat en soulignant que le nombre des migrants irréguliers qui arrivent sur les côtes méridionales de l'Europe a atteint un niveau critique en 2006. L'Espagne a vu le nombre des arrivées dans les îles Canaries bondir de 4 700 en 2005 à environ 25 000 dans les neuf premiers mois de 2006 ; l'Italie a compté 16 838 arrivées cette année déjà, Malte en a enregistré 1 445 pendant les huit premiers mois de cette année et la Grèce a intercepté 900 arrivées par mer et arrêté 28 700 migrants irréguliers sur son territoire pendant la période allant de janvier à juin 2006. Il a estimé que ces pays doivent supporter le fardeau de ces arrivées et des mesures sont nécessaires pour aider tous les pays européens de destination de ces flux migratoires irréguliers. Il faut, d'un côté, répondre aux besoins humanitaires des nouveaux arrivants et respecter et garantir leurs droits humains. D'un autre côté, il est clair qu'il faut prendre des dispositions pour gérer ces flux migratoires.

M. Jean-Marie Bockel a réclamé une meilleure coordination des politiques migratoires en Europe et insisté sur la nécessité de renforcer de manière significative les politiques de co-développement entre les pays du nord et les pays du sud :

« Beaucoup a été dit sur la description des drames qui sont vécus. Responsables politiques que nous sommes, nous devons imaginer dans l'urgence des solutions humaines à des destinées bouleversées par l'exil. Cependant nous devons aussi prendre en compte l'impact sur nos sociétés de l'arrivée de dizaines de milliers de migrants « sans papiers », auxquels nous devons trouver des logements, du travail et des écoles pour leurs enfants.

J'approuve notre rapporteur quand il demande le plein respect des traités internationaux, en particulier de nos conventions. Je l'approuve aussi quand il rappelle le droit des États européens de réprimer l'action des passeurs. Ils doivent être traités comme les criminels qu'ils sont puisqu'ils font courir un danger de mort aux candidats à l'immigration après leur avoir fait subir les pires situations. La faute n'incombe pas à une prétendue « Europe forteresse » qui ne fait que se protéger.

À l'échelle des Vingt-sept, a fortiori des Quarante-six, l'Europe accueille sans doute plus d'un million de migrants réguliers chaque année. Je cite ces chiffres pour rappeler que nos États ne peuvent accueillir sans aucun contrôle tous les candidats à la migration économique.

Notre rapporteur nous invite à "examiner les causes profondes des migrations" pour trouver des solutions durables. Le chantier est immense. Nous en connaissons désormais les éléments déterminants. On sent bien, sur tous les bancs, que des accords s'esquissent. Il s'agit de négocier et de mettre en œuvre des accords de partenariat entre les États de départ et les États d'arrivée. Il est d'ailleurs souhaitable d'inscrire ces accords dans le cadre plus large d'une politique européenne commune de l'immigration.

Une fois établie une règle du jeu claire et concertée, encore faut-il la faire connaître et s'associer pour qu'elle soit respectée.

Cette coordination s'impose également à l'égard des mesures de régularisation massive évoquées par certains de nos collègues. La France, l'Italie, l'Espagne y procèdent aujourd'hui. Il ne faut pas "jouer perso" en la matière. Une fois régularisés dans l'espace Schengen, les migrants s'installent où bon leur semble. On voit bien alors que les mesures au coup par coup, sans coordination, fonctionnent comme un appel d'air. C'est la raison pour laquelle il faut aller au-delà.

Il faut également « mettre le paquet », si je puis dire, sur une politique de co-développement entre États du Nord et États du Sud de la Méditerranée. Pour être efficace, elle doit s'attaquer à plusieurs freins.

D'abord, il convient d'assurer une meilleure transparence dans l'allocation des crédits publics. Il n'est plus possible que seulement un quart des aides publiques au développement soit effectivement dépensé pour les objectifs prévus et que les trois quarts soient plus ou moins détournés.

Ensuite, il faut privilégier une concentration des aides au profit de l'amélioration de la santé, et surtout, de l'éducation, celle des filles devant bénéficier du même effort. C'est le seul facteur qui favorise aujourd'hui la diffusion de l'alphabétisation et, par conséquent, le maintien sur place des professions indispensables au développement.

Ce qu'on appelle volontiers la «bonne gouvernance» est indiscutablement la condition du redressement des économies africaines, de leurs progrès démocratiques ; c'est aussi la seule perspective durable qui, redonnant espoir à ces populations dont la moitié a moins de vingt ans, les encouragera ainsi à développer leur propre pays plutôt qu'à grossir les rangs des déracinés de nos banlieues.

Voilà ce qui me paraît être de manière concertée, la priorité des priorités. »

L'Assemblée a conclu ses débats sur ce point en adoptant :

- la recommandation n° 1767 qui demande notamment au Comité des ministres d'inviter le Comité de prévention de la torture à donner la priorité à la question des arrivées massives et des conditions de détention de ces migrants et de prendre les dispositions nécessaires pour lutter contre les réseaux criminels responsables de ces arrivées ;

- la résolution n° 1521 qui comporte de nombreuses pistes pour assurer un traitement de ces questions (coordination des politiques de migration, co-développement, coopération entre les pays concernés, garantie des droits humanitaires des migrants irréguliers ...) et demande à la commission des migrations d'approfondir ses travaux dans ce domaine en vue d'un prochain débat.

b. L'image des demandeurs d'asile, des migrants et des réfugiés véhiculée par les médias

Mme Tana de Zulueta, rapporteure de la commission des migrations, des réfugiés et de la population, a considéré que si aucune restriction injustifiée ne doit être appliquée à la liberté d'expression, les médias ont le devoir de donner une présentation exacte de la situation des migrants, des demandeurs d'asile et des réfugiés, et de rendre compte de la contribution positive de ces personnes à la société dans laquelle elles vivent. Elle s'est prononcée pour l'adoption d'un code de déontologie et la formation des journalistes à ces questions.

Même si des précautions ont été prises et si ses objectifs sont louables, ce rapport pouvait laisser à penser que l'Assemblée allait s'engager dans la voie du contrôle des journalistes sur ces questions. M. Marc Reymann s'est clairement prononcé contre ce genre de velléités et a demandé que l'on fasse avant tout confiance au professionnalisme des journalistes :

« C'est un sujet complexe et délicat qu'aborde Mme de Zulueta dans son rapport : celui de l'image donnée par les médias des demandeurs d'asile, des migrants et des réfugiés.

Précisons d'emblée que les catégories dont il est question ne constituent pas un ensemble homogène. Les demandeurs d'asile fuient un pays où ils se sentent menacés sur le plan politique notamment ; les réfugiés fuient la guerre ou d'autres conditions devenues intolérables ; les migrants réguliers ou clandestins sont à la recherche d'un travail correctement rémunéré, à la recherche d'une vie meilleure.

Pourtant il existe un point commun entre tous ces gens déracinés : pour nous Européens qui regardons ces visages inconnus sur nos écrans télévisés, ils sont des étrangers, des gens venus d'ailleurs avec des cultures, des habitudes, des aspirations différentes, des gens que nos sociétés devront progressivement intégrer mais des gens avec qui il nous faut vivre.

Les médias qui rendent compte de ces mouvements de migrants ont, bien sûr, une responsabilité particulière dans la présentation qu'ils en font : choix de privilégier l'émotionnel ou l'explication. Or souvent, notamment à la télévision, les médias ne disposent que de peu de temps pour présenter un sujet : quelques minutes avant d'aborder le sujet suivant. C'est bien peu pour traiter de questions complexes aux nombreuses résonances et implications, et le risque est grand de réveiller des réflexes de peur chez le téléspectateur.

A côté de cela, il existe en France et je le suppose, dans bien d'autres pays européens, des magazines d'information télévisés ou autres, qui se livrent à des enquêtes approfondies, à des exposés contradictoires qui permettent de s'informer plus exactement sur un thème précis. Je me souviens à cet égard d'un remarquable reportage diffusé dans le magazine de France 2 Envoyé spécial dans lequel le journaliste avait accompagné un groupe de migrants depuis leur départ en Afrique jusqu'à leur arrivée par bateau en Europe.

Il me paraît fondamental de faire confiance aux journalistes et reporters qui ont le plus souvent une conscience aiguë de leur rôle et de leur responsabilité dans la formation de l'opinion et se sont dotés de codes de déontologie et d'éthique. Rien ne serait pire que d'installer une sorte de tribunal des journalistes chargé de vérifier ce que Mme de Zulueta appelle "une présentation exacte de la situation des migrants". Qui décidera de l'exactitude de cette présentation ? Mystère !

Notre législation dispose par ailleurs de tous les outils nécessaires pour sanctionner les appels à la haine ou à la discrimination. Le citoyen désireux de s'informer a à sa disposition de nombreux médias aux opinions et engagements fort heureusement divers pour le faire. En effet, derrière l'image il y a bien sûr des enjeux politiques : quelle politique de l'immigration mener par exemple ?

La formation des citoyens et des responsables des médias, le développement de l'esprit critique à l'école, l'apprentissage de la lecture de l'image et son décryptage, sont les meilleurs remparts contre les dérives toujours possibles dans la présentation par les médias, des migrants ou d'autres catégories de populations comme les femmes ou les chômeurs, et le meilleur moyen de combattre les stéréotypes. »

L'Assemblée a conclu ses débats en adoptant la recommandation n° 1768 qui recommande notamment aux Etats membres d'adopter, si nécessaire, des législations interdisant les appels à la haine, à la violence ou à la discrimination, aux médias d'adopter des codes de déontologie et de prendre des mesures propres à éviter toute représentation stéréotypée des migrants. Ce texte demande également au Comité des ministres de soutenir La Commission européenne contre le racisme et l'intolérance (ECRI) dans son activité de suivi.

D. LES QUESTIONS DE SOCIÉTÉ

1. Ratification de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales par les Etats membres du Conseil de l'Europe

Le rapporteur de la commission des questions juridiques et des droits de l'homme, M. Boriss Cilevičs, a indiqué que seuls 8 Etats n'avaient pas encore ratifié la Convention. Quatre Etats membres - la Belgique, la Grèce, l'Islande et le Luxembourg - l'ont signée mais pas ratifiée. Quatre autres Etats membres - Andorre, la France, Monaco et la Turquie - ne l'ont ni signée, ni ratifiée. Il a souligné que son travail visait à comprendre les raisons qui s'opposent à la ratification de ce texte par ces pays.

M. Bernard Schreiner est intervenu pour rappeler que cette Convention était incompatible avec la Constitution française et que la France, tout en appliquant ses dispositions, ne pouvait donc pas la ratifier :

« Le rapport de notre collègue Boriss Cilevičs vise à inciter plusieurs pays, dont la France, qui n'ont ni signé, ni ratifié la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales à le faire.

Bien qu'il expose très clairement la position de mon pays, je tiens à vous rappeler les raisons pour lesquelles la France n'envisage pas de signer et de ratifier cette convention.

La doctrine française sur les minorités doit être appréciée à partir de deux notions fondamentales dans notre système constitutionnel : d'une part, l'égalité des droits de tous les citoyens, d'autre part, l'unité et l'indivisibilité de la République. Ces deux notions sont reprises dans l'article premier de notre Constitution qui dispose : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion ».

Un autre texte à valeur constitutionnelle, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, expose ces deux notions en rappelant à l'article premier que : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits » et dans son article 3 : « Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément. »

Ces deux textes montrent bien que la France ne reconnaît pas la notion de minorité nationale. Elle ne reconnaît que des citoyens jouissant tous des mêmes droits dans le cadre d'une république indivisible.

Et cet état de fait juridique est contrôlé par le Conseil constitutionnel qui, comme le rappelle le rapporteur, dans sa décision du 9 mai 1991, relative au statut de la collectivité territoriale de la Corse, a déclaré contraire à la Constitution la mention faite par le législateur de « peuple corse, composante du peuple français ». En effet, il ne saurait y avoir plusieurs peuples au sein d'une République indivisible.

Par ailleurs, selon l'article 54 de la Constitution, un engagement international qui comporterait une clause contraire à la Constitution ne pourrait être signé ou ratifié qu'après la révision de cette dernière. La France ne peut donc, sauf à modifier sa Constitution dans un sens qui serait contraire à toute sa tradition constitutionnelle, ratifier cette convention.

Cependant, mes chers collègues, malgré cette réalité, la France n'a pas à rougir de sa législation dans ce domaine, comme le reconnaît d'ailleurs le rapporteur.

Si la France se refuse à reconnaître des droits collectifs et à organiser des politiques de discriminations dites "positives", fondées sur la race, la culture ou la religion, elle a mis en place depuis plusieurs années des textes qui garantissent aux personnes résidant sur le territoire français une égalité effective de leurs droits.

Dès novembre 2001, une législation spécifique a été élaborée afin de lutter contre toute forme de discrimination. L'accent a été porté sur l'accès au travail, au logement et à l'école. Sur le plan éducatif, des zones d'éducation prioritaires ont été créées et l'attribution de bourses au mérite est encouragée. C'est dans ce sens que s'inscrit le plan d'action pour l'égalité des chances, voté en mars dernier.

Une instance particulière, la Haute autorité de lutte contre les discriminations, créée en décembre 2004, véritable médiateur, est chargée de veiller à l'application de ces textes. Ce dispositif a été renforcé par la loi du 3 février 2003 qui aggrave les peines punissant les infractions à caractère raciste, antisémite et xénophobe.

Si la France refuse le communautarisme, elle veille à ce que tous bénéficient des mêmes droits et respecte ainsi la tradition républicaine qui est la sienne depuis 1789. Si elle ne peut juridiquement ratifier la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales, elle respecte pleinement les objectifs de ce texte et c'est bien là le plus important. »

Mme Josette Durrieu est également revenue sur la conception française des minorités :

« La France n'a ni signé ni ratifié la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales.

Et pourtant, notre rapporteur convient que notre République s'est dotée, je cite «d'un arsenal juridique de lutte contre la discrimination sous toutes ses formes». Une loi récente a encore renforcé, sous le contrôle d'une autorité indépendante, la mise en œuvre du principe d'égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d'origine ethnique. «Quoiqu'il ne corresponde pas du tout à l'esprit de la Convention-cadre, au final, le système français est très protecteur des droits des personnes», reconnaît notre rapporteur au paragraphe 20 de son exposé des motifs.

Notre collègue Cilevičs souligne encore, au paragraphe 49, que «force est de constater que tous les États qui ne sont pas partie à la Convention-cadre respectent d'ores et déjà dans leur législation et leur pratique» les principes de cette Convention.

Marcel Proust, fin connaisseur de l'âme humaine, a écrit : «tous les quoique sont des parce que». Ne pourrait-on appliquer ce paradoxe à la situation de mon pays vis-à-vis de la Convention-cadre ?

Certes, nous n'avons pas signé ni ratifié la Convention, mais nous en avons énoncé les principes dès la déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789.

L'égalité des droits ne s'applique-t-elle pas au bénéfice de chaque citoyen quelle que soit son origine ethnique, à supposer que cette notion puisse avoir un sens juridique, et quelles que soient ses convictions politiques ou ses croyances religieuses ?

Je voudrais d'ailleurs nuancer l'affirmation contenue dans le paragraphe 18, selon laquelle la France, République laïque, confinerait l'exercice des croyances religieuses à l'espace privé.

La législation française dispose seulement que la République observe et garantit la neutralité des autorités publiques à l'égard de toutes les religions.

Il en découle que la loi votée par le Parlement l'emporte sur les normes fondées sur des prescriptions religieuses. Ainsi, les lois civiles organisant l'égalité de l'homme et de la femme, le mariage, les successions, l'emportent sur des prescriptions religieuses qui autoriseraient la polygamie et l'inégalité dans le consentement au mariage et dans les droits successoraux.

Si la protection des droits des minorités apparaît comme l'alternative à la remise en question des frontières des États à la suite des bouleversements de 1918 et de 1945, peut-on regarder la sacralisation de la notion de minorité comme seule garantie du respect des Droits de l'Homme en Europe ?

C'est que la notion même de minorité ne connaît pas de définition juridique, pas même dans la Convention-cadre. Et cette notion connaît une évolution considérable quand il ne s'agit plus seulement de protéger les populations historiquement distribuées de part et d'autre des frontières européennes, mais bien de faire place aux groupes récemment installés en Europe.

Peut-on encore parler, comme le fait le préambule de la Convention-cadre, de minorités historiques ?

La nation française n'est-elle pas en train de reconnaître sa dette à l'égard des soldats des anciennes colonies, qui contribuèrent, au péril de leur vie, à la victoire de 1918 et à la libération de 1945 ?

Pourquoi offrir à leurs descendants installés en France des droits particuliers, c'est-à-dire réduits ? Ils ont pleinement la nationalité française au titre du droit du sol où ils sont nés.

De plus, la France offre à 150 000 personnes chaque année la plénitude des droits de citoyen par le processus de «naturalisation».

Enfin, compte tenu de la composition nouvelle des minorités installées sur notre sol, est-il bien opportun de consacrer des droits particuliers derrière lesquels se profilerait un «statut personnel» archaïque et d'ailleurs rejeté par de nombreux individus qui pourraient être revendiqués comme membres par les leaders des communautés d'immigration récente ? Je pense aux femmes, qui feraient un marché désastreux avec la reconnaissance de normes alignées sur des coutumes perpétrant une inégalité d'un autre âge.

Pour ma part, je défendrai le progrès que peut apporter la Convention européenne des Droits de l'Homme à toutes les personnes installées sur le territoire européen, qu'elles aient ou non la citoyenneté d'un de nos États, et que leur origine les relie à telle ou telle communauté d'origine géographique et/ou religieuse particulières.

La caractéristique même de l'Europe, c'est la conciliation entre diversité culturelle et principes d'égalité et d'universalité des droits, garantis tant par nos Constitutions que par la Convention européenne des Droits de l'Homme. »

A l'issue de ses débats, l'Assemblée a adopté la recommandation n° 1766 qui demande au Comité des ministres de poursuivre ses efforts pour amener les Etats encore réticents à ratifier la Convention et le Protocole n° 12 à la Convention européenne des droits de l'homme.

2. Conciliation de la vie professionnelle et de la vie familiale

Mme Antigoni Pericleous Papadopoulos, rapporteure de la commission sur l'égalité des chances pour les femmes et les hommes, a déploré que l'absence de mesures visant à concilier vie professionnelle et vie familiale pénalise en premier lieu les femmes, qui continuent à assumer une grande partie des tâches domestiques ainsi que l'éducation des enfants en bas âge et la charge de personnes âgées dépendantes. L'absence, l'insuffisance ou l'inaccessibilité des structures de garde et d'encadrement des enfants ou des personnes âgées contraignent les femmes qui doivent assumer des charges de famille à recourir au temps partiel, ou à renoncer à travailler.

Premier intervenant français, M. Francis Grignon a expliqué que l'équilibre de chacun reposait sur les trois piliers que sont l'équilibre familial, l'équilibre professionnel et l'équilibre personnel :

« Je remercie Mme Papadopoulos pour son rapport qui nous fait réfléchir à la liberté de nos jeunes mères de famille qui vivent en Europe.

L'équilibre et l'épanouissement d'une vie sont à trouver, à mon sens, dans la combinaison de trois satisfactions : familiale, professionnelle et personnelle.

En France, comme ailleurs, nous assistons à des changements dans la vie familiale : l'âge de la première maternité recule dangereusement et un Français sur deux déclare qu'il aurait souhaité avoir un enfant de plus. Si la difficulté d'accéder au marché du travail explique en partie cela, l'appréhension de faire garder ses enfants joue également un rôle.

La petite enfance mérite une attention toute particulière de la part des pouvoirs publics, lesquels doivent favoriser, sans aucune distinction, et j'insiste sur ce point, le développement des modes de garde. Qui mieux que les parents sait ce qui convient à son enfant ? Sûrement pas l'État ! C'est la liberté et la responsabilité des familles que je défends. On le voit bien dans l'attitude des familles, par exemple chez nous : un couple bi-actif et urbain sera très attiré par les crèches collectives à la naissance de son premier enfant, puis, lorsque la fratrie s'agrandira, il se tournera plus volontiers vers la garde à domicile ; un couple qui vit à la campagne préfèrera le système de l'assistance maternelle, à moins que les grands-parents ne le fassent. Cependant cela devient de plus en plus rare.

Je pense que le personnel de la petite enfance doit recevoir une formation telle qu'il soit susceptible de travailler au sein de plusieurs types d'accueil. En France, nous mettons en œuvre, depuis une dizaine d'années, un plan de rattrapage dans la construction de crèches, mais nous avons également voté, l'an dernier, une réforme du statut et de la formation des assistantes maternelles et accru l'aide financière accordée aux familles pour la garde à domicile, quel que soit l'âge de l'enfant.

Une vie professionnelle épanouie peut passer à mon sens par des arrêts temporaires d'activité. C'est une attitude qu'adoptent de nombreuses Françaises. Toutefois, nous avons observé un effet pervers à cette solution : elle est en quelque sorte une trappe à chômage ou même, pire, à pauvreté. En effet, à l'issue de trois ans de congé parental - durée maximale - la moitié des mères de familles se trouve au chômage. Bien souvent, ces femmes ont perdu confiance en elles vis-à-vis du marché du travail.

Pour y remédier, nous avons initié une réforme, qui a pris effet le 1er juillet dernier : les parents ont le choix de s'arrêter durant trois ans en bénéficiant d'une indemnité modeste, ou une seule année en bénéficiant d'une indemnité supérieure. Nous espérons que cela encouragera davantage les pères à opter pour ce type de congé.

Mes chers collègues, je souhaite évoquer encore une question qui n'est pas directement abordée par ce rapport : c'est celle du moment où les enfants grandissent. L'école et les activités périscolaires, quand elles existent, ne s'arrêtent pas - Dieu merci ! - à l'heure où ferment les bureaux. La présence des parents ou d'adultes responsables et protecteurs est moins nécessaire, mais reste très importante. L'investissement est tout aussi chronophage.

Nous réfléchissons aussi en France à des politiques ciblées vers les adolescents. Je suis convaincu que les parents sont les premiers éducateurs, autant dans la petite enfance que par la suite, et que ce sujet donnera lieu, dans l'avenir, à de nouvelles réflexions.

À côté de la vie familiale et professionnelle équilibrées, il faut bien sûr une vie personnelle équilibrée.

On peut se demander : ce qu'il reste, après le travail et les enfants, pour la vie personnelle des jeunes femmes et des couples. L'exercice d'une profession contribue et apporte aux femmes infiniment d'ouverture en terme de vie personnelle mais ne suffit pas.

Le rapport de Mme Papadopoulos reprend un certain nombre d'objectifs fixés par l'Union européenne et l'OCDE, qui seraient d'atteindre un taux d'activité des femmes de 60 %. J'y souscris, bien sûr, mais je crois surtout que c'est leur souhait. C'est au nom de cette liberté que nos efforts doivent être entrepris. D'ailleurs, qui aujourd'hui conseillerait à une jeune fille de ne pas faire d'études ? Personne. Cela est indispensable tant pour son épanouissement personnel qu'à son indépendance financière et morale. Les jeunes mères, je le sais, aspirent également à participer à la vie associative et politique, mais, bien souvent, ce souhait est freiné par la présence de jeunes enfants au foyer.

Mes chers collègues, je soutiens donc le rapport de Mme Papadopoulos, en insistant sur le fait que l'équilibre de chacun, homme ou femme, repose sur trois pieds : l'équilibre familial, l'équilibre professionnel, mais aussi l'équilibre personnel qui peut s'épanouir dans la vie culturelle, associative, politique ou dans d'autres domaines. »

M. Gilbert Meyer a insisté, à côté des nécessaires mesures règlementaires, sur l'importance des pratiques dans le milieu professionnel :

« Ce rapport dresse le constat que la difficulté de concilier vie professionnelle et vie familiale pénalise d'abord les femmes. Ce sont elles qui, traditionnellement, assument l'essentiel des responsabilités dans l'éducation des enfants en bas âge ou de la charge des personnes âgées, et l'essentiel des tâches domestiques. Ce sont également elles qui rencontrent les plus grandes difficultés à faire admettre leurs contraintes familiales dans leur milieu professionnel et dont les carrières sont souvent freinées pour cette raison.

Pour autant, il est nécessaire que les mesures visant à favoriser cette conciliation s'adressent aux hommes comme aux femmes.

Le rapport a le mérite de situer les enjeux de la conciliation non seulement en termes d'égalité des chances, mais aussi en termes économiques. Cet aspect est plus qu'important. En effet, la conciliation de la vie professionnelle et de la vie familiale a des conséquences sur le taux d'emploi des femmes. Le taux d'activité diminue avec le nombre d'enfants. Avec le vieillissement général de la population en Europe dans les années qui viennent, il sera nécessaire que les femmes soient très présentes sur le marché du travail.

La conciliation de la vie professionnelle et de la vie familiale est également très importante pour le taux de fécondité. En France, où les structures de garde collective sont développées quoique encore insuffisantes, le taux de natalité reste élevé. Nous atteignons le deuxième rang de l'Union européenne derrière l'Irlande. Ce n'est pas le cas dans d'autres pays. Or une natalité forte est un gage d'avenir pour nos États.

Il est bien sûr de la responsabilité des autorités publiques de créer des conditions favorables à la conciliation de la vie professionnelle et de la vie familiale, notamment en développant des structures de garde suffisamment nombreuses et financièrement accessibles et en accordant également un congé de maternité suffisant et un congé parental destiné aux deux sexes. C'est à ce prix que les femmes pourront aussi participer plus largement à la vie publique et politique de leur nation.

Les entreprises et les administrations doivent aussi prendre conscience de cette difficulté à concilier vie professionnelle et familiale de leurs salariés. En France, le ministère délégué à la cohésion sociale a mis en place, fin 2004, un label Egalité. Il récompense l'exemplarité des pratiques des entreprises, administrations ou associations dans la prise en compte de la parentalité dans le cadre professionnel, ainsi que le rappelle Mme Papadopoulos.

Dans de nombreux domaines, il n'est pas besoin de lois pour progresser. Ce sont les pratiques qu'il convient de faire évoluer. Concilier vie professionnelle et vie familiale doit notamment nous amener à réfléchir sur les horaires de travail. Ces derniers doivent être souples.

Il convient également de mettre un terme à une pratique trop courante en France : celle consistant à fixer des réunions en fin de journée alors que, dans l'immense majorité des cas, ces réunions peuvent s'organiser à des horaires plus compatibles avec la vie familiale.

Nous devons également réfléchir au développement du travail à temps partiel et du télétravail. Ils peuvent constituer des solutions pour les personnes ayant de jeunes enfants.

Enfin, il convient de prendre en compte tous les aspects culturels pour faire évoluer les mentalités, afin que la conciliation de la vie professionnelle et de la vie familiale devienne une réalité européenne. 

Monsieur le Président, mes chers collègues, il n'est pas admissible qu'en 2006 des hommes, mais surtout des femmes aient à faire un choix entre vie professionnelle et vie familiale. Je souhaite que le rapport que nous examinons fasse progresser les choses et, pour ma part, j'en soutiens les conclusions. »

M. André Schneider a développé l'expérience française dans ce domaine :

« Comment réussir à mener de front vie professionnelle et vie familiale ?

Ce dilemme est monnaie courante au sein des pays européens. Ce sont encore majoritairement les femmes qui s'interrogent. En effet, après la Seconde guerre, la part des femmes qui exercent une activité professionnelle, par nécessité ou par choix, n'a cessé de croître. L'expression de double journée pour les femmes est apparue dans les magazines ; en effet, les habitudes ont la vie dure et le partage des tâches ménagères et éducatives est loin d'être acquis.

Notre rapporteure encourage les États membres à prendre toutes les mesures nécessaires pour permettre aux femmes ou aux hommes, désireux de se consacrer à leur entourage, de pouvoir le faire dans de bonnes conditions et sans préjudice pour leur vie professionnelle. Je ne peux que lui apporter mon soutien, d'autant que la France a mis en place une législation qui va dans ce sens. Je déplore d'ailleurs que la France soit si peu citée dans le rapport.

Depuis plusieurs années la France s'inscrit dans cette démarche, notamment par l'intermédiaire de sa politique en faveur de la parité. C'est une nécessité, car, selon des statistiques publiées par l'INSEE en 2003, 77 % des femmes sont actives et le taux de fécondité reste élevé.

En complément du classique congé de maternité, désormais ouvert aux pères depuis 2002, plusieurs facilités sont proposées pour tenir compte de la parentalité dans le travail.

Plusieurs types de congés existent ; non rémunérés, ils suspendent le contrat de travail et permettent au salarié de retrouver son poste et de conserver ses avantages. Le congé parental permet ainsi aux parents de s'occuper de leurs enfants jusqu'à l'âge de trois ans. Le congé de présence parentale, d'une durée d'un an maximum, nouveau dispositif introduit en 2006, est destiné aux parents d'enfants accidentés ou gravement malades.

Pour les parents qui font le choix de renoncer à travailler pour s'occuper de leurs enfants, un système d'aides parentales existe. Depuis 2004, la prestation d'accueil du jeune enfant comprend notamment un complément de libre choix d'activité.

La prise en charge des enfants scolarisés est facilitée par la mise en place d'incitations fiscales. Les parents peuvent bénéficier d'un crédit d'impôt, plafonné, pour les frais de garde de leurs enfants, que ce soit par l'emploi d'un salarié à domicile ou pour des frais de garde à l'extérieur. Par ailleurs, le tarif des crèches publiques est calculé en fonction des ressources et de la composition du foyer.

Enfin, dernier volet de ces actions, il est indispensable d'assurer l'égalité salariale, afin que l'arbitrage n'intervienne pas nécessairement au détriment de l'emploi féminin.

L'égalité salariale est inscrite dans le code du travail français depuis 1972. Force est de constater que malheureusement, dans ce domaine, la loi reste lettre morte. C'est pourquoi, en mars 2006, une nouvelle loi a été votée avec pour objectif de réduire, d'ici à cinq ans, les écarts de rémunération entre hommes et femmes, en privilégiant les négociations au sein des entreprises.

Toutes ces mesures juridiques sont nécessaires, mais elles resteront sans effet tant que les mentalités et les comportements n'évolueront pas. C'est pourquoi il est important de sensibiliser les employeurs. En France, un label Egalité, mentionné par la rapporteure, récompense les entreprises et administrations qui appliquent la parité par des dispositifs concrets.

Bien entendu, Madame la rapporteure, je soutiendrai votre rapport. »

L'Assemblée a conclu ses débats en adoptant la recommandation n°1769 dont le texte est reproduit ci-dessous :

1. La conciliation de la vie professionnelle et de la vie familiale permet aux hommes et aux femmes d'accéder à une autonomie économique, de s'épanouir tant sur le plan professionnel que sur le plan personnel, tout en assumant leurs obligations familiales. Elle contribue à une meilleure participation des femmes et des hommes à la vie professionnelle, publique et politique.

2. L'Assemblée parlementaire constate toutefois que la conciliation de la vie professionnelle et de la vie familiale est un objectif qui est loin d'être atteint dans de nombreux Etats membres du Conseil de l'Europe. Or, l'absence de mesures facilitant cette conciliation pénalise en premier lieu les femmes, compte tenu du fait qu'elles continuent à assumer une grande partie des tâches domestiques ainsi que l'éducation des enfants en bas âge, et très souvent la charge de leur(s) parent(s) dépendant(s) ou d'autres personnes âgées dépendantes. Ainsi, l'absence, l'insuffisance ou l'inaccessibilité des structures de garde et d'encadrement des enfants ou des personnes âgées contraignent les femmes qui doivent assumer des charges de famille à recourir au temps partiel ou à renoncer à travailler.

3. Cette inégalité est encore accentuée par le fait que l'accès au marché du travail et la carrière professionnelle s'avèrent plus difficiles pour les femmes. Les inégalités de salaire qui persistent entre hommes et femmes justifient d'un point de vue économique que la femme cesse de travailler à la naissance des enfants. De plus, une culture du travail subsiste, qui tend à survaloriser les longues journées de travail en ignorant les contraintes familiales supportées par les employés - principalement les femmes.

4. L'Assemblée est convaincue que les mesures facilitant la conciliation de la vie professionnelle et de la vie familiale sont un facteur de croissance et d'emploi - particulièrement pour les femmes - et constituent une réponse aux défis posés par le vieillissement de la population. L'Assemblée soutient donc les efforts pour promouvoir la conciliation développés par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et de l'Union européenne qui, avec sa Stratégie de Lisbonne, a comme objectif un taux d'emploi des femmes de 60 % d'ici à 2010, ainsi que la mise en place de structures d'accueil pour au moins 33 % des enfants de moins de 3 ans et pour au moins 90 % des enfants ayant entre 3 ans et l'âge de la scolarité obligatoire.

5. L'Assemblée considère que la conciliation de la vie professionnelle et de la vie familiale est un processus «gagnant-gagnant» pour les travailleurs, les partenaires publics et les acteurs socio-économiques, qui doivent toutefois s'assurer que la conciliation de la vie professionnelle et de la vie familiale est un processus ciblant à la fois les femmes et les hommes, dans une perspective de promotion de l'égalité des sexes. Elle souligne par ailleurs que la volonté politique des Etats membres du Conseil de l'Europe est fondamentale pour définir des solutions innovantes et négociées favorisant la conciliation travail/famille et contribuer ainsi à une réelle promotion de l'égalité des chances pour les femmes et les hommes sur le marché du travail.

6. L'Assemblée rappelle la Recommandation n° R (96) 5 du Comité des Ministres du Conseil de l'Europe sur la conciliation de la vie professionnelle et de la vie familiale, dont les principes généraux restent valables et pertinents. Toutefois, les discriminations persistantes rencontrées par les femmes, sur le marché du travail en particulier, doivent amener le Conseil de l'Europe à encourager les Etats membres à mettre en place des mesures concrètes et à développer des politiques volontaristes. Ces politiques, à la fois incitatives et - si nécessaire - contraignantes, devraient amener les employeurs à promouvoir la conciliation de la vie professionnelle et de la vie familiale, et, par là même, l'égalité des chances des femmes et des hommes pour accéder au marché de l'emploi, faire carrière et gérer les contraintes familiales.

7. L'Assemblée recommande au Comité des Ministres d'évaluer la mise en œuvre de sa Recommandation n° R (96) 5 et d'identifier les mesures concrètes qui ont été ou qui peuvent être prises par les Etats membres ou les entreprises pour promouvoir réellement la conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle, en gardant à l'esprit l'objectif de promotion de l'égalité des chances pour les femmes et les hommes.

8. L'Assemblée invite par ailleurs le Comité des Ministres à adresser une recommandation aux Etats membres leur demandant :

8.1. de mettre pleinement en œuvre la Recommandation no R (96) 5 sur la conciliation de la vie professionnelle et de la vie familiale ;

8.2. de s'efforcer d'atteindre les objectifs fixés dans la Stratégie de Lisbonne de l'Union européenne (structures d'accueil pour au moins 33 % des enfants de moins de 3 ans et pour au moins 90 % des enfants ayant entre 3 ans et l'âge de la scolarité obligatoire), également dans les Etats non membres de l'Union européenne, et d'instituer un dialogue entre les gouvernements nationaux, les autorités locales et régionales, et les partenaires sociaux pour définir la manière d'atteindre au mieux ces objectifs ;

8.3. de prendre des dispositions facilitant la conciliation de la vie professionnelle et de la vie familiale qui ciblent les femmes et les hommes, y compris :

8.3.1. d'assurer l'égalité salariale entre les femmes et les hommes, pour que les décisions financières ne soient pas systématiquement prises au détriment de l'emploi féminin ;

8.3.2. d'identifier les besoins en structures de garde d'enfants et de recueillir les données concernant le nombre de personnes dépendantes afin de prévoir les dispositifs appropriés et d'en évaluer l'efficacité ;

8.3.3. d'engager un dialogue avec les travailleurs et les employeurs, les autorités locales et régionales, et le secteur privé pour réfléchir sur les principaux axes de travail de la conciliation et préserver l'employabilité des personnes ayant recours à ces dispositifs ;

8.3.4. de favoriser la mise en place de conditions de travail flexibles et librement consenties par les travailleurs, tout en assurant aux travailleurs ayant eu recours à ces dispositifs un accès égal aux promotions, primes, pensions, etc. ;

8.3.5. d'assurer une rémunération/indemnisation suffisante durant le congé maternité ;

8.3.6. de mettre en place, s'ils ne l'ont pas encore fait, un congé paternité rémunéré et d'encourager les hommes à y avoir recours ;

8.3.7. de «lisser» les coûts sociaux générés par une maternité et par les dispositifs favorables à la parentalité pour ne pas pénaliser les entreprises qui embauchent de futurs parents ;

8.3.8. d'instaurer le congé parental rémunéré, couvert socialement et qui puisse être utilisé de manière souple par le père et la mère, en veillant en particulier à s'assurer que les hommes puissent effectivement avoir recours à ce dispositif ;

8.3.9. de mettre en place un système de droits à pension tenant compte des périodes de non-emploi consacrées à l'encadrement d'enfants en bas âge ou de personnes dépendantes ;

8.3.10. d'assurer la mise en place de structures d'accueil et d'encadrement des enfants en bas âge et des personnes âgées dépendantes à charge, qui soient accessibles et flexibles, en particulier pour les familles monoparentales ;

8.3.11. de garantir aux parents qui le souhaitent une place à la crèche pour leur enfant ;

8.3.12. afin d'attirer du personnel qualifié, de rendre attractifs les métiers de l'aide aux personnes pour assurer des soins de grande qualité pour tous les enfants et les personnes âgées dépendantes ;

8.3.13. d'encourager les employeurs privés et publics à prendre en compte les contraintes familiales de leurs employés, à adopter des mesures favorisant la conciliation de la vie professionnelle et de la vie familiale, à faciliter la création de «crèches d'entreprise» et à récompenser les plus méritantes par une certification ou un label de qualité ;

8.4. de signer et ratifier, si ce n'est pas encore fait, la Charte sociale européenne révisée (STE n° 163), en particulier son article 27 portant sur le droit des travailleurs ayant des responsabilités familiales à l'égalité des chances et de traitement, et de mettre en œuvre les dispositions de la Charte.

ANNEXES

Autres interventions en séance

des membres de la délégation française

Séance du lundi 2 octobre :

RAPPORT D'ACTIVITÉ DU BUREAU DE L'ASSEMBLÉE

Intervention de Mme Josette Durrieu :

« Pendant cette session, Monsieur le Président, nous allons parler successivement du Kosovo, des Balkans, de la convention cadre sur les minorités. C'est dans ce contexte politique que l'on a voté, hier en Bosnie, en juin en Macédoine.

En Macédoine, dans ce petit pays fort sympathique qui a vécu un conflit ethnique redoutable en 2001 auquel on a mis un terme par les accords d'Ohrid - que l'on essaie de respecter et dans le cadre desquels on essaie de se maintenir -, on a voté au mois de juin : mais j'ai envie de dire combien la situation reste éminemment précaire, même si ces élections ont été considérées comme s'étant déroulées dans le cadre des normes que nous fixons. Une situation très précaire, un chômage à 37 % - mais c'est une autre question - et des clivages qui demeurent : il n'existe pas réellement de partis politiques, il n'y a pas de débat politique, pas de base politique et il y a une fragmentation inquiétante. Effectivement, un débat a lieu sur les problèmes ethniques avec une très forte personnalisation de ce processus politique.

Les élections ont été satisfaisantes, mais la situation ne l'est pas, car elle n'évolue pas suffisamment vite. Comme tout le monde, j'ai envie de dire que l'intégration sera une solution, mais sans effort des pays partenaires, elle n'aboutira pas. Or, il y aura une obligation de résultats.

Je pense qu'il faut trois formes d'intégration.

Premièrement, une intégration dans la société. Oui ou non, est-on capable de bâtir, dans ces pays, des sociétés multiethniques et démocratiques ? On a quand même réussi un tour de force avec la guerre au Kosovo : on voulait éviter des espaces ethniques et on a abouti à l'effet inverse !

Deuxièmement, cet espace régional constituerait-il une sous-région ? L'Europe du Sud-Est est une réalité. Mais les mots "Région" et "Balkans" ne doivent pas être prononcés. Pourtant, il faudra bien finir par dépasser cette idée, tant il est vrai que sont imbriqués les intérêts, le passé et l'avenir. L'Europe du Sud-Est entrera dans l'Europe avec ses problèmes spécifiques - pourtant, ils sont tous les mêmes, on s'en aperçoit en passant les frontières.

Troisièmement, intégration européenne. Oui, mais à une condition : que l'Europe ne devienne pas la marmite dans laquelle le jus va continuer à bouillir. Là, je ne suis pas d'accord ! Et Dieu sait si je souhaite que tous ces États entrent et entrent vite dans l'Union européenne, bien qu'il leur appartienne de progresser dans plusieurs domaines. A cette condition l'intégration européenne sera la solution. À quoi ? Tout simplement à la paix. »

ÉQUILIBRE INSTITUTIONNEL AU CONSEIL DE L'EUROPE

Intervention de M. Jean-Guy Branger :

«Notre Assemblée a judicieusement décidé d'organiser un débat d'urgence à propos de notre budget. Mon intervention dans le débat actuel doit donc être placée dans les tensions financières que nous connaissons. Dans leur communiqué du 19 mai 2006, les délégués de nos gouvernements ont réitéré l'importance de la poursuite du processus de réforme du Conseil de l'Europe tout « en gardant à l'esprit la nécessité de restrictions budgétaires ». Or, je constate que, dans le même temps, nous sommes invités, si je puis me permettre l'expression, à nous « serrer la ceinture ». Notre Organisation est poussée, par les mêmes ministres, à faire place à de nouvelles institutions.

Je voudrais les évoquer devant vous en soulignant les effets négatifs pour notre Assemblée de cette prolifération bureaucratique : la plupart de ces institutions n'ont qu'une très faible légitimité démocratique et cette prolifération contribue à affaiblir l'audience des travaux de notre Assemblée.

Ainsi, l'Assemblée avait fini par prononcer la cessation d'activité de l'Institut de la démocratie, qui était déjà un accord partiel. Le Forum pour l'avenir de la démocratie qui doit fonctionner « dans le cadre des structures existantes de l'Organisation » le fera à ses frais, ou plutôt à nos frais puisque seul le budget de l'Assemblée sera mis à contribution.

C'est d'autant plus grave que la composition de ce forum rassemblerait des représentants « de la société civile, de décideurs, de fonctionnaires, d'acteurs de terrain ou d'universitaires ». Je connais, bien sûr, la catégorie éminemment respectable des fonctionnaires, mais moins bien celle des hommes de terrain. Ne sommes-nous pas des hommes et des femmes de terrain, nous les élus au suffrage universel ? Et celle des décideurs ? Quelle est la légitimité politique de ces personnes pour débattre de « l'avenir de la démocratie » ?

La démocratie serait-elle à son tour une affaire trop sérieuse pour être confiée à des élus du suffrage universel ?

De plus, ce Forum ne manquera pas d'émettre des Recommandations qui auront pour source, pour le lecteur non averti, le Conseil de l'Europe, suscitant une confusion de plus en plus forte.

Je pourrais faire les mêmes observations à l'égard de la création d'un Centre de coopération interrégionale et transfrontalière, qui aurait son siège à Saint-Pétersbourg, filiale du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux dont les délégations sont d'ailleurs nommées par les exécutifs. Ce Centre serait composé de délégués nommés par les exécutifs dont on peut douter qu'ils fassent avancer la décentralisation nécessaire à la plupart de nos pays.

Quant à la création « sous les auspices du Conseil de l'Europe », d'un centre européen en mémoire des victimes des déplacements forcés de populations et du nettoyage ethnique, si je suis évidemment favorable au souvenir, la question qui se pose n'est pas seulement celle de son impact budgétaire aux dépends de l'Assemblée, ni même de la portée de ces travaux, mais bien celle de l'opportunité politique de créer un tel centre à la mémoire de personnes qui ont souffert des mouvements de populations consécutifs au deuxième conflit mondial. Le Conseil de l'Europe ne saurait patronner une institution sans le moindre examen des causes de ces déplacements : certaines terres avaient été soumises par le troisième Reich et certains de leurs occupants, qui en ont été expulsés, étaient eux-mêmes nazis ou collaborateurs du troisième Reich.

Enfin, je veux inviter des collègues de tous les États membres de l'Union européenne à expliquer à leur gouvernement l'erreur majeure que constituerait la création d'une agence européenne des droits de l'homme, dont le seul budget prévu serait supérieur à celui de notre Assemblée dans son ensemble. Cette agence, outre son coût, achèverait d'anéantir le rôle statutaire du Conseil de l'Europe et de la Cour européenne des Droits de l'Homme. Elle créera tôt ou tard des conflits de droit et de juridiction avec la Cour de Strasbourg et sa jurisprudence.

Ainsi, je souscris pleinement à la demande de restauration de notre budget mais je voudrais vous rendre attentifs, mes chers collègues, à cette prolifération bureaucratique qui affaiblit considérablement l'audience de nos travaux. Je vous le dis, on nous ronge par les racines !

Cette prolifération ne peut que contribuer à donner à l'opinion publique le sentiment que l'Europe est une usine à gaz pleine de doublons coûteux et incompréhensibles. Nous sommes là pour supprimer des tuyaux à gaz inutiles et rendre efficace encore plus notre institution. Je suis de ce point de vue d'accord avec les propos tenus par notre collègue de Puig. Par conséquent, prenons garde et soyons attentifs à tout ce qui nous est proposé. Nous devons lutter pour maintenir cette institution exemplaire. Elle l'était à sa création, je considère, après 30 ans de vie parlementaire, qu'elle est encore une institution de référence. »

Séance du mercredi 4 octobre, matin :

COMMUNICATION DU COMITÉ DES MINISTRES PRÉSENTÉE PAR M. SERGEY LAVROV, MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES DE LA FÉDÉRATION DE RUSSIE

Question de Mme Josette Durrieu :

« Considérant que le XXIe siècle verra la constitution de grands continents géopolitiques et que de nouveaux systèmes économiques supranationaux vont s'organiser, la Russie prendra toute sa place dans ce processus de globalisation, ses ressources énergétiques lui donnant un avantage concurrentiel,

Demande au Président du Comité des Ministres,

Quel est le projet d'intégration de la Russie et quelles sont ses priorités ? Aura-t-elle des relations privilégiées avec l'Occident et quelle sera la place de «l'axe oriental» et notamment celle de l'Asie Centrale ?"

Réponse :

Je ne pense pas que l'avenir de la politique mondiale et de l'économie mondiale passe par de nouvelles formations géopolitiques sur le modèle de groupes fermés qui cherchent à imposer leur volonté aux autres. Cela n'aboutirait qu'à de nouvelles lignes de clivage et à un regain de tension, et contredirait le principe, actuellement en train de s'imposer, de l'indivisibilité de la sécurité.

C'est pourquoi la Russie est favorable au renforcement des fondements collectifs et juridiques dans les relations internationales. Toute autre approche aurait des conséquences difficiles à prédire et pourrait même aboutir à un monde divisé entre civilisations.

Parallèlement aux centres traditionnels de la vie économique - les Etats-Unis, l'Union européenne, le Japon -, de nouveaux centres ont émergé, tels que la Chine, l'Inde et le Brésil, et la concurrence économique internationale s'est considérablement avivée. Dans ce contexte, l'entrée de la Russie dans l'arène économique mondiale et ses efforts pour diversifier la structure de ses exportations, jusqu'ici centrées sur la fourniture de carburant, d'énergie et de matière première, se heurtent à la résistance d'un certain nombre de partenaires.

Pour ce qui est des ressources énergétiques de la Russie, elles constituent en effet un avantage concurrentiel, que nous ne sommes pas disposés à brader. Cela ne signifie par pour autant que nous appliquerons une politique égoïste dans le secteur de l'énergie, même si nous avons bien l'intention de défendre nos intérêts. Mais les projets visant à intégrer les ressources énergétiques, d'où qu'ils viennent, sont utopiques.

Notre approche repose sur le principe de l'équilibre des intérêts, ceux des utilisateurs comme ceux des fournisseurs. C'est précisément cette approche qui a permis d'élaborer un ensemble de décisions prises lors du Sommet du G8 à Saint-Pétersbourg sur la sécurité énergétique mondiale.

La Russie poursuit régulièrement son objectif d'intégration à l'économie mondiale et à la politique mondiale. Ce choix est dicté par la mondialisation. Toutefois, la rapidité de nos progrès sur cette voie dépend, entre autres choses, de nos partenaires internationaux. Nous sommes réalistes. Comme avant, nous continuons à travailler à la libéralisation de notre système économique et commercial et c'est pourquoi nous sommes intéressés à adhérer à l'OMC, mais à des conditions normales, non- discriminatoires. Tenter de bloquer notre entrée à l'OMC nuit non seulement à la Russie, mais à l'économie mondiale tout entière, l'une des raisons étant, à mon sens, que la Russie est un énorme réservoir pour la croissance économique mondiale.

Je pourrais également évoquer nos relations dans le cadre de la CEI, de l'Organisation du Traité de sécurité collective (CSTO), de l'EurAsEC, de l'Organisation de coopération de Shanghai (SCO), de l'Union européenne et de l'OTAN, ainsi que la participation de la Fédération de Russie dans l'OSCE, des organisations subrégionales (Conseil des Etats de la mer Baltique, Conseil de la Région euro-arctique de Barents, Conseil arctique) et divers organes d'intégration dans la région de l'Asie-Pacifique. Nous participons au dialogue et à la coopération avec diverses structures d'intégration en Amérique latine (MERCOSUR, le Système d'intégration centraméricaine et d'autres). D'autres groupements, informels certes, n'en restent pas moins fort utiles : je citerai le G8, le Groupe de contact pour les Balkans, le Quartet international sur le Proche-Orient, le G6 sur l'Iran, la réunion trilatérale de haut niveau entre la Fédération de Russie, la France et la République fédérale d'Allemagne et le dialogue quadrilatéral entre la Fédération de Russie, la Chine, l'Inde et le Brésil. Toutes ces « configurations d'intérêt » spécifiques, de format divers et à géométrie variable, sont d'importants outils pour l'intégration mondiale de la Fédération de Russie. »

Séance du mercredi 4 octobre, après-midi :

SITUATION CULTURELLE DES KURDES

Intervention de M. Jacques Legendre, Président de la commission de la culture, de la science et de l'éducation :

« La commission de la culture, de la science et de l'éducation est fière de ce rapport. Il s'agissait d'un sujet difficile, y compris dans sa définition même. J'en relève encore une trace dans une impropriété qui distingue la version anglaise de la version française du texte. En anglais, on évoque une nation "stateless". Je ne pense pas que l'on puisse dire que les Kurdes soient apatrides comme dans la version française. Cela montre bien que les notions sont difficiles à cerner.

L'émotion a pu régner, en particulier au sein de la délégation turque, parfois peut-être la suspicion, la crainte que la commission ait des a priori. Je pense que nous nous situons bien au-delà et les remerciements qui ont été adressés à Lord Russell-Johnston et au secrétaire de la commission montrent que nous avons recherché la vérité et une approche aussi complète que possible. Il est bien clair que la Turquie n'était pas particulièrement concernée ; elle est d'ailleurs le seul État membre du Conseil de l'Europe à avoir accueilli sur son territoire le rapporteur de notre commission. Le problème intéresse l'ensemble des pays comptant des citoyens d'origine kurde.

Aujourd'hui, nous touchons au terme avec un rapport assez équilibré qui est soumis à notre Conseil. Nous allons débattre, comme il se doit, de quelques amendements qui ne changeront pas le fond du rapport. Le Conseil de l'Europe et notre Assemblée s'honorent de faire aboutir des textes d'une grande qualité. »

1 Plus de dix questions de ce type ont été posées.

2 Voir le document d'information de l'Assemblée nationale n°2211.