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° 279

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 11 octobre 2007.

AVIS

PRÉSENTÉ

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

SUR LE PROJET DE loi de finances pour 2008 (n° 189),

TOME IV

DÉFENSE

par M. Jean-Michel BOUCHERON,

Député

Voir le numéro 276 (annexes n°s 9 et 10).

INTRODUCTION 5

I – UN CONTEXTE INTERNATIONAL TROUBLÉ PAR DES MENACES MULTIDIMENSIONNELLES 7

A – LA MONDIALISATION DES MENACES ET LEUR MULTIPLICATION 7

1) Des menaces sans frontière 7

2) La multiplication des menaces de nature non militaire 14

B – LES NOUVELLES MENACES CONDUISENT À REDÉFINIR LES LIENS ENTRE DÉFENSE ET SÉCURITÉ 18

1) Un seul espace de défense : la fin de la dichotomie entre sécurité intérieure et extérieure 18

2) Un multilatéralisme affaibli, l’échec de l’unilatéralisme américain 20

3) Maintenir la prédominance du politique sur le militaire 21

II – DE NOUVELLES MISSIONS POUR UNE NOUVELLE ARMÉE. 23

A – QUELLES MISSIONS POUR NOS ARMÉES ? 23

1) Vers une nouvelle doctrine d’emploi de la force 23

2) L’Europe de la défense, un objectif pour la réforme de nos armées ? 26

3) La défense au service de la sécurité 27

B – QUELLE ARMÉE POUR CES MISSIONS ? 30

1) Quels contrats opérationnels ? 30

2) Quelle organisation de l’armée de terre ? 31

3) Quelle rationalisation territoriale et quelle interarmisation ? 33

III – QUELS ÉQUIPEMENTS ? 35

A – L’IMPASSE BUDGÉTAIRE DUE AUX GESTIONS PRÉCÉDENTES 35

1) Des programmes ambitieux aux coûts importants 35

2) Une prise en compte insuffisante de l’évolution des conflits 36

B – LA NÉCESSITÉ D’OPÉRER LA REVUE DES PROGRAMMES DANS UN CADRE EUROPÉEN 37

C – CONCILIER APPROCHE CAPACITAIRE, NÉCESSITÉS OPÉRATIONNELLES ET INDUSTRIELLES, PRÉVISIBILITÉ BUDGÉTAIRE RAISONNABLE 39

IV – LE BUDGET 2008 43

A – UN BUDGET D’ATTENTE 43

1) Le maintien de l’effort financier en faveur de la défense 43

2) Le respect des grands équilibres 45

B – UN BUDGET DE TRANSITION 46

CONCLUSION 49

EXAMEN EN COMMISSION 51

ANNEXE : Liste des personnalités entendues 55

Mesdames, Messieurs,

Le budget de la mission Défense pour 2008 revêt un aspect singulier. D’abord parce qu’il précède une remise à jour de la pensée stratégique dans notre pays, le vote d’une nouvelle loi de programmation militaire, précédée par la publication d’un livre blanc sur la défense et la sécurité. Le budget 2008 intervient également dans un contexte international troublé, porteur de menaces multiformes.

Les principales menaces auxquelles notre pays est confronté ont évolué dans leur nature. Les menaces terroristes sont devenues premières, et les risques qu’elles font peser sur la sécurité de nos concitoyens sont d’autant plus grands que des groupes toujours plus discrets peuvent entrer en possession d’armes déstabilisantes. D’autres menaces, liées par exemple à l’approvisionnement énergétique ou l’accès aux matières premières, demeurent potentielles. Par ailleurs, nos forces armées peuvent être fragilisées dans le cadre d’opérations, qu’elles interviennent dans un cadre national, dans le cadre de l’Union européenne, de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord ou de l’Organisation des Nations Unies, par des adversaires souvent moins bien équipés et moins nombreux. Ces situations de menace asymétrique n’en sont pas moins difficiles car l’action de nos forces est alors fortement contrainte, tant dans ses finalités que dans les moyens employés. Comment adapter les forces armées françaises à une telle évolution du contexte international ?

Le projet de loi finances pour 2008 tente difficilement d’apporter une réponse à ces questions, comte tenu de la diversité des options qui s’offrent aujourd’hui aux décideurs en matière de défense et de sécurité. Ces nombreuses alternatives doivent faire l’objet d’une réflexion, qui est actuellement en cours et qui associera le Parlement notamment lors des débats sur la future loi de programmation militaire.

Le budget 2008 de la mission Défense connaît en effet des évolutions limitées. Le montant des crédits de paiement augmente d’environ 1,3 % pour se situer à 35,9 milliards d’euros. Celui des autorisations d’engagement progresse de moins de 0,5 % à 36,8 milliards. Cette évolution est répartie de manière relativement équilibrée entre chaque programme relevant de la mission, les évolutions majeures étant liées à des mesures de redéfinition du périmètre de chaque programme. Dans l’ensemble, le budget de 2008 s’efforce donc de tenir les engagements en matière de défense dans un cadre budgétaire contraint.

Pourtant, les exercices consultatifs et législatifs doivent pouvoir s’affranchir du passé Ils doivent au contraire s’efforcer de bâtir des solutions nouvelles à partir d’analyses prospectives ancrées dans les réalités géopolitiques. L’avis de la Commission des Affaires étrangères sur le budget de la Défense pour 2008 se veut un élément à apporter aux réflexions actuelles, dont les conséquences à long terme seront considérables.

Il faut porter un regard renouvelé sur ces questions, et ne pas hésiter à délimiter clairement les missions à donner à nos armées. C’est l’ambition du présent rapport.

I – UN CONTEXTE INTERNATIONAL TROUBLÉ PAR DES MENACES MULTIDIMENSIONNELLES

La situation de la France est paradoxale. Engagée dans de nombreux conflits – opérations de maintien de la paix sous la bannière de l’Union européenne, opérations nationales comme en Côte d’Ivoire ou sous l’égide de l’OTAN en Afghanistan… –, elle ne participe pas à la guerre en Irak, source de difficultés majeures pour les pays ayant choisi de la mener. Pour autant, elle n’est pas prémunie contre les menaces que le terrorisme international et la prolifération font peser sur la sécurité de son territoire et de sa population. A l’inverse, aucune menace étatique conventionnelle ne doit être redoutée.

A – La mondialisation des menaces et leur multiplication

Les facilités offertes à la circulation des marchandises et des hommes, la disparition de l’antagonisme majeur entre deux grandes puissances, les évolutions profondes de l’organisation politique des sociétés humaines ont conduit à l’apparition ou au renforcement de menaces nouvelles et difficiles à cerner avec exactitude.

1) Des menaces sans frontière

a) La question terroriste

Les modes d’action et d’organisation du terrorisme ayant évolué, il convient aujourd’hui de ne plus se contenter de protéger les populations. Une action menée contre les structures aidant au développement du terrorisme est nécessaire.

– Les transformations du terrorisme international

Les attentats contre le World Trade Center ont mis en lumière aux yeux du public une évolution de fond perceptible depuis plusieurs années. A un terrorisme soutenu par des Etats ou des organisations internationales connues et hiérarchisées s’est substitué un ensemble de cellules agissant au nom d’une cause commune sans organisation véritablement structurée.

Favorisé par les nouvelles technologies de l’information et de la communication, le développement de ce qui a pu être qualifié « d’hyper-terrorisme » ou de « terrorisme transnational » a dores et déjà provoqué des réactions de la part des pouvoirs publics. Afin d’interdire la formation de groupuscules sur leurs territoires, de nombreux Etats ont adopté des mesures afin de renforcer la sécurité intérieure. D’autre part, la lutte contre le terrorisme a fait l’objet d’engagements internationaux de nombreux Etats dans les diverses organisations à objet explicitement militaire ou non.

– La nébuleuse Al Qaida

Symbole plus que monopole du terrorisme contemporain, la mouvance islamiste radicale a fédéré un nombre important de rancoeurs jusqu’ici isolées en leur fournissant un but général, des figures emblématiques, des ennemis définis, des modes opératoires et une assise territoriale dans des Etats au pouvoir central et à l’administration défaillants, ce que l’on appelle les Etats faillis. La frontière entre le Pakistan et l’Afghanistan en est le symbole. Les groupes musulmans d’inspiration fondamentaliste représentent également une menace importante dans de vastes zones en Afrique (Machrek principalement mais aussi Afrique de l’Est) ou en Asie (Thaïlande, Philippines, Indonésie). Le terrorisme islamiste est aussi présent dans des conflits aux implications parfois plus complexes, comme les revendications ouïgoures en Chine ou les actions menées par des organisations basées en Tchétchénie, en Ingouchie, dans les deux Osséties ou au Daghestan.

Il est tentant de donner à cet ensemble un « label » unique. La transformation du Groupe salafiste pour la prédication et le combat algérien en « Organisation d’Al-Qaida au Pays du Maghreb islamique» renforce les convictions de ceux imaginant une unification progressive de ces mouvances et un affrontement planétaire entre les Etats occidentaux et le terrorisme islamiste. Ce serait pourtant faire peu de cas de la grande diversité des groupes et organisations associés à Al Qaida et au terrorisme d’inspiration islamiste, qui s’appuie bien souvent sur des conflits locaux non résolus. A tout le moins, les opérations menées contre les chiites par des groupes sunnites en Irak indiquent qu’il est vain de chercher un ennemi unique dans le fondamentalisme musulman. Le label Al Qaida devient dans ces conditions une sorte de franchise donnant une médiatisation internationale à des mouvements dont la renommée n’aurait sans cela pas dépassé les frontières des pays dans lesquels ils conduisent leurs actions.

La prévention d’une telle menace est donc d’autant plus difficile à organiser. Elle nécessite de connaître les modes de recrutement, les réseaux fournissant l’équipement et les sites de formation et d’entraînement de groupes terroristes particulièrement discrets. Elle implique donc de disposer de moyens permettant le recueil de renseignement de toutes origines, à la fois humaines et techniques. Elle implique une capacité d’usage de la force ciblé sur les structures clés auxquelles les groupes terroristes recourent pour mener à bien leurs actions.

b) La prolifération

L’une des craintes majeures de ce début de siècle serait un mouvement de prolifération incontrôlé qui délégitimerait les instruments de non prolifération. L’existence de réseaux de prolifération privée, comme on en a vu au Pakistan, fait également craindre un couplage avec la menace terroriste à moyen et long terme.

– Les armements nucléaires

Le système international de lutte contre la prolifération des armes nucléaires rencontre des difficultés depuis sa conception. L’instrument juridique principal, le Traité de Non prolifération, date de 1968. Il interdit à tous les Etats, sauf les cinq membres du Conseil de sécurité des Nations Unies, de chercher à disposer d’armements utilisant l’énergie de l’atome. Son organe exécutif, l’Agence internationale de l’énergie atomique, veille au respect de ce traité et à ce que les Etats non dotés de l’arme nucléaire puissent bénéficier des usages pacifiques de l’atome, engagements repris dans un accord passé entre chacun de ces Etats et l’Agence appelé « accord de garanties ».

Le TNP est issu de négociations difficiles. Prix de leur renonciation au développement d’une telle arme, les Etats non dotés de l’arme nucléaire au moment de la signature reçurent plusieurs compensations. D’abord, l’assurance que la renonciation des autres Etats non dotés serait effective, ce que le pouvoir d’inspection de l’Agence internationale est censé garantir. Ensuite, que le statut d’Etat non doté ne serait pas un obstacle à l’accession d’un pays à la technologie nucléaire civile. Enfin, un certain nombre de stipulations du Traité étaient vouées à garantir que la situation stratégique ne serait pas figée : les articles X.1 et X.2 prévoient une possibilité de retrait du TNP pour les Etats et une durée de validité initialement limitée pour un tel accord alors que l’article VI rappelle que le Traité a pour but ultime la fin de la course aux armements ainsi que le désarmement général, notamment nucléaire.

Des compensations supplémentaires ont été offertes en dehors du cadre du TNP et sont parfois désignées sous le vocable « assurances positives et négatives de sécurité ». Les premières sont contenues dans la résolution 255 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, en date d 19 juin 1968, qui impose aux Etats dotés de l’arme nucléaire de venir en aide aux Etats non dotés en cas d’attaque ou de menace d’attaque nucléaire. Les garanties négatives désignent les actes selon lesquels les Etats dotés de l’arme nucléaire renoncent à faire peser la menace d’une attaque nucléaire sur les Etats non dotés qui ne seraient pas alliés à un des cinq Etats dotés de l’arme.

Pérennisé en 1995, ce système visait à apporter des garanties en échange de la renonciation au développement de l’arme nucléaire et a obtenu quelques résultats. Plusieurs pays ont définitivement renoncé à posséder l’arme atomique, parmi lesquels le Brésil, l’Afrique du Sud, la Suède, ces deux derniers ayant même interrompu leurs recherches alors qu’elles étaient presque sur le point d’aboutir.

Les moyens d’action de l’Agence pour contrôler les engagements des Etats ont également été renforcés. Ainsi, suite à la découverte de programmes nucléaires clandestins en Irak en 1991, un nouveau régime de contrôle a été instauré dans le cadre du programme dit « 93+2 », qui donne à l’Agence des pouvoirs plus étendus. Les mesures nouvelles doivent être approuvées dans le cadre de protocoles additionnels aux accords de garanties. Leur cadre général est défini dans le Protocole additionnel aux Accords de garanties, approuvé en 1997 par le Conseil des Gouverneurs de l’Agence.

Mais des difficultés majeures pèsent depuis l’origine sur ce système. Certains Etats n’ont pas signé le traité de non prolifération : Israël, l’Inde et le Pakistan. Les deux derniers ont même procédé, en 1998, à des essais nucléaires.

Les contrôles effectués par l’Agence rencontrent également certaines limites. D’abord, trente Etats signataires du TNP ne sont pas soumis à des accords de garanties généralisées. De plus, les protocoles additionnels n’ont pas été étendus à tous les accords de garanties.

La Corée du Nord a pour sa part dénoncé le traité de non prolifération en janvier 2003. Cette longue crise a mis en lumière le défaut majeur du système mis en place par le traité. En effet, toute sanction trop forte contre un Etat soupçonné de chercher à se doter de l’arme nucléaire risque à terme de favoriser la dénonciation du traité par cet Etat tandis qu’une sanction trop faible est de peu de poids face à l’avantage politique majeur qui découle de la détention de la force nucléaire. L’essai nucléaire apparemment raté auquel la Corée du Nord a procédé à la fin de l’année 2006 a souligné l’importance de négociations entre tous les acteurs concernés pour faire face à cette menace. L’accord signé le 13 février entre les six parties aux négociations (les deux Corées, le Japon, la Chine, la Russie et les Etats-Unis) semble avoir grandement atténué le risque de prolifération nord-coréen. Le processus de démantèlement des installations nucléaires dans ce pays a été initié engagé le 5 novembre par des experts américains.

La difficulté à adopter une position réellement efficace a été clairement révélée lorsqu’il s’est agi de contrôler les activités nucléaires de l’Irak ou de la Libye. Le cas iranien révèle la même impasse. L’appréciation de la menace représentée par un Etat disposant de l’armement nucléaire doit pourtant être mesurée. En matière de dissuasion, il est fréquent de considérer que la maîtrise de l’arme nucléaire impose un comportement plus stable de la part de son détenteur. Puissance régionale, l’Iran peine à acquérir un statut qu’il recherche depuis des décennies. Entouré de pays dotés de l’arme nucléaire (Israël, l’Inde, le Pakistan, la Chine, la Russie) ainsi qu’une flotte américaine, la volonté de l’Etat iranien d’acquérir les technologies nécessaires au développement d’une arme nucléaire doit être considérée comme un besoin de sécurité dans une région dangereuse. Il n’y a pas de tradition agressive ou expansionniste de l’Iran ou de l’islam chiite contrairement au projet révolutionnaire du fondamentalisme sunnite personnifié par Ben Laden.

– Les armements radiologiques, biologiques et chimiques (RBC)

Les armements nucléaires requièrent un niveau technologique tel que leur développement ne peut être réalisé que par un Etat. La surveillance des armements connus et des équipements civils pouvant entrer dans un schéma de production d’armes nucléaires est donc potentiellement efficace contre cette menace.

Les armes radiologiques utilisent de la matière fissile sans pour autant déclencher d’explosion nucléaire. Elles sont plus simples à développer. L’effet recherché n’est pas la puissance de l’arme mais bien la terreur que provoquerait la dispersion d’éléments radiologiques. Ce n’est donc pas une arme de dissuasion au service des Etats mais elle pourrait séduire les terroristes. Il n’existe pas de mécanisme international de contrôle de l’usage des matières fissiles. Rien n’interdit ni l’usage de matières fissiles dans les armes employées par les Etats, ni la détention par des organismes non militaires de matières permettant la construction d’armes radiologiques. Dans le cadre de la Conférence du désarmement, l’idée d’un traité d’interdiction de production des matières fissiles a été lancée mais les négociations n’ont toujours pas été officiellement ouvertes.

En matière d’armements biologiques, la France est partie à la Convention d’interdiction des armes biologiques de 1972. Celle-ci ne comporte pas d’instrument de vérification, à la différence du Traité de non prolifération. De ce fait, un mécanisme de suivi multilatéral a été mis en place et permet de traiter plusieurs questions précises, notamment les moyens d’universaliser la Convention, à laquelle 159 Etats sont d’ores et déjà parties. Une nouvelle Conférence d’examen doit avoir lieu en 2011, après celle organisée en 2006 qui a approuvé la création d’un secrétariat permanent élargi.

La lutte contre la prolifération des armes chimiques est l’objet de la Convention sur les armes chimiques entrée en vigueur en 1997. Elle est un instrument de non prolifération particulièrement avancé, puisque son objectif est l’éradication totale d’une classe d’armes, sous l’égide d’une instance de contrôle : l’Organisation internationale des armes chimiques (OIAC). 182 Etats sont parties à la convention, ce qui lui confère un caractère de quasi-universalité. Six Etats sont possesseurs d’armes chimiques et déclarés comme tels auprès de l’Organisation : les Etats-Unis, la Russie, l’Inde, la Corée du Sud, l’Albanie et la Libye. Les deux premiers possèdent des stocks largement supérieurs à ceux des quatre autres. Les Etats-Unis ont annoncé avoir détruit plus de 45 % de leurs réserves, quand la Russie affirme avoir réduit les siennes de 22 %. Mais des efforts restent à fournir en vue d’une suppression totale des stocks d’armes chimiques. D’ores et déjà, tant les Etats-Unis que la Fédération de Russie ont demandé le report de la date à laquelle leurs stocks devront avoir disparu, celle de 2012 n’étant pas tenable pour des raisons techniques et financières.

– La réalité de la menace balistique

Plusieurs Etats s’efforcent depuis quelques années d’accroître significativement leurs capacité en matière de vecteurs balistiques, tant qualitativement que quantitativement. Il a parfois été affirmé que la menace qu’un tel développement faisait peser sur l’équilibre de la planète était majeure.

Les systèmes de contrôle de l’augmentation du nombre de missiles visent en général à la fois à lutter contre la prolifération balistique et à contribuer au désarmement nucléaire. Certains ont été conçus pendant la guerre froide. Les premières négociations visant à réduire le nombre de missiles et de têtes nucléaires déployés par les deux grandes puissances ont débuté en 1969 et ont été désignées par les acronymes Salt I et Salt II (pour Strategic arms limitation talks).

Les dernières négociations ont abouti à un traité, quelques mois avant l’effondrement de l’Union soviétique. Ce traité de réduction des armes stratégiques (Strategic arms reduction treaty dit « Start I ») fixe à 6 000 le nombre de têtes nucléaires et 1 600 le nombre total de missiles stratégiques (de portée supérieure à 5 500 kms) déployés par les Etats-Unis et la Russie. Signé en 1993, un nouveau traité dit « Start II » fait suite à celui-ci. Ce dernier vise à interdire d’équiper les missiles stratégiques de plusieurs têtes nucléaires aux trajectoires indépendantes (on parle de mirvage, de l’anglais Multiple independantly targeted reentry vehicule) mais est considéré comme dépassé du fait de la signature du traité « Sort ». Le traité sur la diminution du potentiel offensif stratégique (Strategic offensive reduction treaty ou « Sort ») signé en 2002 à Moscou vise à réduire le nombre de têtes nucléaires à l’échéance 2012. Ce traité souffre pourtant de plusieurs limites, notamment l’absence de mécanisme de contrôle du respect de leurs engagements par les Etats. La signature du traité « Sort » a interrompu les négociations engagées afin d’aboutir à un nouveau traité de réduction des armes stratégiques, « Start III », qui aurait encore abaissé le plafond maximal de vecteurs balistiques et de têtes nucléaires déployés.

Fondé sur les mêmes mécanismes, le traité de 1987 sur les forces nucléaires de portée intermédiaire (dit « traité FNI ») vise à supprimer les arsenaux américains et russes de missiles de courte et moyenne portée (de 500 à 5 500 kms) lancés depuis le sol. Ce traité a fait l’objet de mesures de vérification contraignantes.

L’accord bilatéral le plus connu est sans doute le traité anti-missiles balistiques dit ABM (pour Anti-ballistic Missile). La portée de ce dernier texte est précisément de donner toute son importance à l’armement nucléaire : en interdisant à l’un des deux Etats parties (la Russie et les Etats-Unis) de se doter de moyens anti-missiles suffisamment développés, il favorise l’équilibre créé par la détention simultanée de moyens de dissuasion.

Un instrument multilatéral de surveillance de la prolifération balistique existe également. Créé en 1987, le Régime de contrôle de la technologie des missiles est un regroupement informel et volontaire de pays qui veulent empêcher la prolifération des vecteurs non pilotés d’armes de destruction massive et qui s’efforcent de coordonner les efforts de prévention à cet égard par le biais de régimes nationaux de licences d’exportation. Les membres d’origine sont le Canada, la France, l’Allemagne, l’Italie, le Japon, le Royaume-Uni et les Etats-Unis. Trente-quatre pays (1) sont aujourd’hui parties à l’accord. Celui-ci impose à chacune de ses parties de mettre en place un système de licences nationales d’exportation pour les missiles et les technologies connexes, ce qui permet d’évaluer l’ampleur de la prolifération balistique.

Au-delà du simple contrôle, le Code de conduite de La Haye contre la prolifération des missiles balistiques est le premier instrument multilatéral de lutte contre la prolifération des missiles balistiques. Elaboré au sein des structures du régime de contrôle de la technologie des missiles, sa version définitive a été adoptée en 2002 par 93 États. Il s’efforce d’agir sur la demande de vecteurs pour réduire le nombre de moyens balistiques en circulation, alors même que le régime de contrôle s’applique à l’offre de technologie. Le code de conduite fixe ainsi plusieurs principes : modération dans l’élaboration, la production et le déploiement de missiles, transparence sur l’évolution des technologies, conciliation entre le droit des Etats à l’utilisation pacifique de l’espace et interdiction d’utiliser des programmes spatiaux pour dissimuler des programmes balistiques.

Il convient pour autant de ne pas exagérer les implications d’une telle évolution. D’abord, la détention de missiles ne garantit pas un accroissement important de la force de frappe si ces derniers ne véhiculent pas d’armes de destruction massive. Il revient donc aux systèmes de contrôle de la prolifération de ces armes de jouer leur rôle de régulateur, l’augmentation du nombre de vecteurs n’étant pas en soi un danger significatif.

La mise en avant de la menace purement balistique peut même conduire à des solutions dont les conséquences sur les équilibres internationaux sont particulièrement importantes. Dès la fin des années 1990, les américains avaient annoncé leur intention de déployer un bouclier de défense anti-missiles, la National Missile Defense (NMD), chargé de protéger leur territoire. Les Etats-Unis ont depuis affirmé leur volonté d’implanter une défense anti-missiles en Europe centrale et ont pour ce faire annoncé le 13 décembre 2001 leur décision de se retirer du Traité ABM. Fondée entre autres sur une appréciation encore discutée de la menace nucléaire que fait peser l’Iran sur l’Europe, cette décision a sans doute favorisé la suspension par la Russie de son application du traité sur les forces conventionnelles en Europe, intervenue cet été. Les russes menacent également de se retirer du traité sur les forces nucléaires intermédiaires signé en 1987.

– La prolifération NRBC et les acteurs non étatiques

L’étendue des accords internationaux visant à ralentir la course aux armements des Etats ne permet pas de lutter contre un autre type de menace pourtant liée : l’obtention d’armes de destruction massives par des acteurs privés. Le contrôle des éléments entrant dans la composition des armes NRBC n’est pas entièrement assuré par les instruments juridiques déjà évoqués et qui restent essentiellement intergouvernementaux.

Il a déjà été fait usage d’armes chimiques ou bactériologiques à des fins terroristes. L’attentat au gaz sarin dans le métro de Tokyo en 1995, l’envoi d’enveloppes porteuses de bacilles de la maladie du charbon aux Etats-Unis durant le mois de septembre 2001 prouvent qu’un tel risque reste plausible.

La menace que constituerait la détention par un groupe terroriste d’une arme biologique ou radiologique, beaucoup plus vraisemblable que celle d’une arme nucléaire, est le risque le plus important qui pèse sur les Etats. Pour se protéger, la lutte contre la constitution de réseaux terroristes et l’affaiblissement de ceux existant déjà apparaît comme l’instrument le plus adapté.

2) La multiplication des menaces de nature non militaire

Les forces armées seront sans doute plus fréquemment confrontées à des ennemis non étatiques à l’avenir. L’opposition entre Etats prendra quant à elle une forme principalement non militaire. Ces nouveaux risques sont un exemple révélateur de la complexité nouvelle des missions de sécurité, parce qu’ils mêlent stratégies étatiques, rôle des acteurs privés, secteurs d’activité civils et utilisation de la force armée.

a) Les menaces pesant sur les ressources naturelles

La dépendance des puissances industrielles vis-à-vis des matières premières produites hors de leurs territoires rend très vraisemblables les menaces de nature diverse pesant sur la sécurité de leur approvisionnement. Dans le même ordre d’idées, les grands phénomènes écologiques peuvent avoir des conséquences importantes sur la stabilité internationale.

– Les ressources énergétiques

Différents types de menaces pèsent sur l’équilibre entre offre et demande d’énergie. Certaines concernent les sites de production, d’autres les infrastructures de transport. Toutes voient leur importance accrue du fait des tensions importantes du marché des matières premières énergétiques. L’Europe ne semble pas agir de manière suffisamment coordonnée dans ce domaine.

La reprise de la croissance économique mondiale, soutenue par les pays émergents au premier rang desquels la Chine et l’Inde, a considérablement renforcée la demande d’énergie, notamment d’énergies fossiles dont ces deux grands pays sont largement dépourvus. La montée rapide du prix du baril n’a pas permis de compenser le déficit d’investissement capacitaire dans les pays producteurs au cours des dernières années. Dès lors, une baisse brutale de l’approvisionnement, qu’elle soit consécutive à des perturbations de la production ou du transport, pourrait poser de réelles difficultés une fois épuisées les réserves des Etats consommateurs d’énergies fossiles.

Ce contexte conduit les grands Etats à infléchir leur politique étrangère. Les Etats-Unis ont depuis longtemps inclus dans leurs objectifs diplomatiques et militaires la sécurisation de leur approvisionnement en énergie, en intervenant militairement notamment dans la région du Golfe. La Chine mène une politique active notamment en Afrique afin d’établir des liens avec des pays susceptibles de lui assurer la sécurité énergétique. L’Europe échoue à définir une politique énergétique unique. Il lui est d’autant plus difficile d’adapter ses objectifs diplomatiques à l’objectif d’assurer ses ressources énergétiques. Une politique énergétique commune est nécessaire mais là comme ailleurs la France a intérêt à se distinguer des Etats-Unis et du « tout militaire ». D’abord parce qu’elle n’en a pas les moyens. Ensuite parce que c’est une impasse. L’énergie étant régie par le marché, la sécurisation de son approvisionnement doit se penser au niveau mondial, la recherche de relations privilégiées avec les fournisseurs étant à terme inefficace.

Les politiques étrangères et les stratégies militaires devront dans l’avenir être coordonnées pour sécuriser les sources d’approvisionnement en énergie et en matières premières.

– Les ressources naturelles

Les énergies non renouvelables n’épuisent pas la question des ressources nécessaires à la survie des économies des pays développés. Les matières premières nécessaires à l’industrie en sont le deuxième aspect, crucial puisque dans ce domaine la France est, à l’instar de ses partenaires européens, largement dépendante des approvisionnements étrangers. Les menaces pesant sur la disponibilité de telles ressources ressemblent à celles existant en matière de ressources énergétiques et concernent à la fois le transport et la production de ces matières premières.

L’accès à des ressources suffisantes en eau, notamment en eau potable, peut conduire à des conflits régionaux qui peuvent peser sur l’équilibre international. A cet égard, l’importance du partage des ressources du Jourdain entre Israël et ses voisins, Territoires palestiniens compris, est sans doute trop rarement soulignée lorsqu’il est question des conflits agitant cette région. La position d’acteur international de la France lui impose toutefois de prendre en compte cette dimension dans l’action qu’elle mène hors de ses frontières.

S’agissant de ses propres ressources, la sécurisation des moyens d’approvisionnement de ses populations en eau doit être renforcée, certaines grandes métropoles comme Paris pouvant se révéler vulnérables à une attaque prenant pour cible ses ressources en eau.

Les pays développés disposent de ressources agricoles suffisantes. Mais la question des famines et leurs conséquences dans la déstabilisation de larges zones géographiques doivent être prises en compte afin de prévenir certains conflits. De plus, la sécurité alimentaire est une donnée importante à laquelle la France et l’Union européenne ne peuvent être indifférentes.

– Le réchauffement climatique

Le réchauffement de la planète n’apparaît pas être une menace directe sur notre sécurité à très court terme. Cela étant, les phénomènes météorologiques brutaux sont déjà devenus un élément de notre quotidien imposant des contraintes nouvelles en matière de sécurité civile, comme la tempête de 1999 l’a montré. Ce phénomène peut avoir pour conséquence une aggravation de certains risques majeurs, liés à une amplification de phénomènes migratoires incontrôlés mais aussi à une intensification de certains conflits régionaux, notamment pour le contrôle de ressources en eau. La multiplication de catastrophes naturelles fait partie de ces effets probables et indésirables.

Des instruments, notamment internationaux, ont été développés pour lutter contre ce phénomène. Le protocole de Kyoto à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques est le plus célèbre d’entre eux. Le fait que les Etats-Unis n’aient pas ratifié ce texte en limite singulièrement la portée, bien que son application en l’état par l’Union européenne ait d’ores et déjà permis des avancées importantes dans ce domaine.

La volonté de réduire le réchauffement ne permettra sans doute pas d’inverser ce processus. Certains des effets dont il est porteur doivent donc être considérés comme des menaces crédibles sur notre sécurité, et être traités comme tels.

b) La concurrence de la Chine : et si la guerre était économique ?

La libéralisation économique de la Chine et sa participation au commerce mondial rendent peu probable une évolution rapide de cette dernière vers une posture agressive du point de vue militaire. Puissance économique mondiale en développement rapide, celle-ci peut être vue comme un partenaire commercial important et un marché à cibler en priorité. Il n’en reste pas moins qu’elle constitue un concurrent redoutable aux méthodes innovantes.

Le développement de la Chine est un défi pour notre économie, à plusieurs titres. En premier lieu, les entreprises chinoises bénéficient de coûts de main d’œuvre très bas, et peuvent dès lors concurrencer les exportateurs français sur les marchés étrangers. Cette menace est pourtant à relativiser, tant la part des filiales de grands groupes internationaux au sein des exportations chinoises est importante.

La question de la protection des innovations et des secrets industriels semble plus préoccupante. Les autorités chinoises tendent à privilégier le développement d’entreprises associant sociétés chinoises et étrangères plutôt que l’implantation de filiales étrangères sur leur territoire. Ceci marque sans doute la volonté de favoriser les transferts de technologies. Pour autant, la défense de la propriété industrielle et intellectuelle peut être difficile dans un pays dont le système juridique connaît des évolutions marquées depuis quelques années.

Par ailleurs, la Chine se révèle très active dans un domaine qui se révélera sans doute stratégique dans les prochaines années : la création de fonds d’investissements dits « souverains », c’est-à-dire dotés de fonds publics et pilotés par les autorités d’un Etat. Certaines études évaluent à près de 2 500 milliards les sommes que ces derniers détiennent, les perspectives de croissance étant très importantes, pouvant conduire ces fonds à représenter environ 12 000 milliards de dollars en 2015. La création en 2007 du fonds Chinese Investment Co., doté de plus de 200 milliards de dollars, a contribué à accélérer la prise de conscience du risque que font peser ces nouveaux acteurs en termes de prise de contrôle par des capitaux étrangers d’entreprises détentrices de secrets ou d’actifs industriels stratégiques.

c) La résurgence de la Russie, puissance ancienne

La Russie a les moyens de la puissance, tant militaires qu’économiques. Elle reste l’un des principaux détenteurs de moyens de projection de la puissance nucléaire, et ses armées sont d’un niveau technologique avancé dans des domaines importants. Par ailleurs, ses capacités de production énergétiques en font un acteur majeur dans ce marché dont on a souligné le caractère stratégique. Si l’utilisation de sa puissance militaire restera sans nul doute limitée aux missions de dissuasion et de maintien de la stabilité aux frontières, c’est en tant que force politique émergente que la Russie peut être perçue.

Le renouveau de la puissance russe est autant dû à une modification de la posture internationale de ce pays qu’à la croissance économique, rapide, qu’elle a connue ces dernières années. En effet, si les ressources de l’Etat se sont accrues, la situation du pays reste cependant fragile, y compris en matière de collecte des impôts et de réformes des pratiques administratives, parmi lesquelles la modernisation de l’armée figure en bonne place. En revanche, la modification de l’attitude adoptée par la Russie dans de nombreuses instances internationales est notable. L’approche des élections présidentielles et la vague de nationalisme qu’elles suscitent permettent peut-être de l’expliquer. Les ambitions stratégiques, voire territoriales, de la Russie doivent être prises en compte à l’avenir, sous peine de pousser à une crispation croissante de la part d’un pays estimant ne pas être à sa place.

La Russie ne peut pas être considérée comme une menace. Un risque de déstabilisation interne est parfois mis en avant pour justifier une attitude de méfiance vis-à-vis de ce pays sans pour autant que des éléments concrets et convaincants ne soient apportés pour soutenir cette position. Aujourd’hui, l’idée selon laquelle la Russie pourrait un jour mener une campagne d’agression contre l’Europe occidentale apparaît chimérique. Les menaces principales qui pèsent sur notre pays sont principalement liées à des acteurs non étatiques et rendent dès lors obsolète la séparation entre sécurité intérieure et extérieure.

B – Les nouvelles menaces conduisent à redéfinir les liens entre défense et sécurité

Les forces armées souveraines doivent être adaptées à l’apparition de menaces diffuses portées par des acteurs qui n’ont pas les impératifs de responsabilité vis-à-vis de leurs populations qu’ont les Etats. Plus libres de leurs mouvements, ils peuvent tenter des actions qu’un Etat ne se permettrait pas. La sécurité nationale, entendue comme la protection de la population, du territoire et des intérêts du pays, passe désormais par une action combinée des services militaires et civils, à l’intérieur et à l’extérieur de nos frontières. Une telle réforme de nos forces armées implique sans doute une mise à jour des mécanismes multilatéraux de maintien de la stabilité internationale.

1) Un seul espace de défense : la fin de la dichotomie entre sécurité intérieure et extérieure

a) L’usage normalisé de la force

Les débats sur la puissance des Etats se concentraient traditionnellement sur leur capacité à faire et à remporter une guerre contre des Etats ennemis. Caractérisé par des menaces plus diffuses sur la sécurité de leurs populations, le nouveau contexte international oblige les Etats à modifier leur comportement en profondeur et à ne plus envisager le recours à la force comme une solution ultime visant à détruire un rival immédiat.

La lutte contre le terrorisme est une illustration majeure de cette évolution. En effet, toute séparation entre les services de sécurité intérieure d’avec ceux œuvrant hors de nos frontières méconnaît les changements importants qu’a connus la menace terroriste du fait de la mondialisation des échanges et des communications ainsi que de l’accroissement de la liberté de circuler des personnes.

De la même manière, il convient de préparer les services de la Défense à agir contre des menaces à l’œuvre sur notre territoire, que celles-ci soient ou non d’origine militaire. Les forces militaires seront donc probablement toujours plus associées à des opérations comme la lutte contre les trafics de matières dangereuses, la protection des sites sensibles et la surveillance du territoire. Toutefois, il ne faut pas que ce nouveau concept de sécurité globale, qui reste à construire, soit trop large et en vienne à confondre terrorisme et petite délinquance, émeutes à caractère social et fondamentalisme islamique.

La lutte contre le terrorisme implique en effet une action continue menée par tous les Etats. L’alternative que constituent des actions ponctuelles menées dans les régions d’accueil des principaux groupes terroristes se révèle inutile si parallèlement nous n’étions pas porteurs de projets politiques recueillant le soutien des populations locales.

b) Quel bilan des guerres d’Irak et d’Afghanistan ?

Les guerres d’Irak et d’Afghanistan ont des origines bien différentes. Dans le premier cas, l’objectif était de contrôler la production pétrolière. Les arguments de démantèlement d’un programme d’armes de destruction massive, qu’on savait laissé à l’abandon, et de lutte contre le terrorisme apparaissaient comme des prétextes utilisés par les américains pour rallier la communauté internationale. La France s’est opposée à cette entreprise par la voix du Président de la République, Jacques Chirac, et ce à juste titre. Faute de projet politique crédible pour l’Irak, le terrorisme s’est installé là où il n’existait pas. Dans le second cas, il s’agissait de supprimer des bases utilisées par des groupes terroristes pour mener des actions dans le monde entier et de renverser un régime qui opprimait la population et qui servait de couverture à cette entreprise terroriste.

La situation en Irak ne peut pas être qualifiée de succès pour les Etats-Unis. Le pays est soumis à une instabilité violente et chronique, et les réseaux terroristes et mafieux se multiplient, engagés non seulement dans des actions contre l’occupant mais également contre les ressortissants d’autres communautés irakiennes. L’installation d’autorités nationales qui ne recueillent pas l’unanimité ne permet pas d’envisager une substitution aux forces étrangères avant plusieurs années, et les efforts déployés pour crédibiliser et décommunautariser les forces de sécurité irakiennes ne semblent toujours pas porter leurs fruits. L’invasion de l’Irak a, pour le moment, favorisé le développement du terrorisme dans ce pays.

En Afghanistan, la chute du régime taliban et la création de nouvelles institutions a modifié dans une certaine mesure le climat politique du pays. Cependant, ni les bases situées sur la frontière avec le Pakistan, ni les réseaux terroristes talibans n’ont été détruits. Au contraire, utilisant le ressentiment de la population contre l’occupation étrangère et contre un régime dont la légitimité est également sujette à caution, certains groupes ont augmenté leur activité terroriste, menaçant tant la sécurité intérieure de l’Afghanistan que la stabilité des pays voisins, par exemple le Pakistan. L’économie de la drogue est repartie de plus belle, favorisant les groupes terroristes qui assurent localement la sécurité sur le terrain et la subsistance des populations.

c) Vers une évolution de la lutte contre le terrorisme ?

Frappés sur leur propre sol en 2001, les Etats-Unis ont engagé une action ouverte contre le terrorisme : punir les Etats servant de base arrière aux groupes terroristes, mieux surveiller leur population et leur territoire pour prévenir le passage à l’acte. Sans chercher systématiquement à évaluer la pertinence d’une telle approche, la plupart des autres Etats ont emboîté le pas à l’administration américaine, en focalisant leur attention sur les zones au sein desquelles les renseignements disponibles indiquaient une forte activité terroriste.

Du fait de l’impasse des actions militaires menées sur des théâtres extérieurs, la question se pose de l’efficacité de cette démarche d’affrontement direct. Il semble qu’une partie importante de l’opinion américaine, et des acteurs de la défense des Etats-Unis, ont accepté l’idée que la « guerre contre le terrorisme » sera plus longue que prévue et impliquera sans doute une action de fond contre les causes du terrorisme autant que contre ses manifestations. Sans exclure l’usage de la force contre certains éléments particulièrement actifs au sein des groupes terroristes, une telle démarche permettrait une action complémentaire en réduisant l’adhésion des populations aux thèses les plus radicales.

2) Un multilatéralisme affaibli, l’échec de l’unilatéralisme américain

Plus ciblé, l’usage de la force s’impose dans des situations où les Etats se trouvent confrontés à des adversaires irréductibles. Une telle situation implique une réflexion sur le cadre juridique encadrant le recours à la force.

a) Les difficultés rencontrées par l’Organisation des Nations unies

La difficulté à obtenir sur chaque sujet l’unanimité des membres permanents du Conseil de sécurité a pu conduire à contourner ce qui a été présenté comme un obstacle à la résolution de difficultés réelles.

L’intervention de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord au Kosovo en 1999 avait constitué un précédent, celle-ci ayant eu lieu sans l’accord de l’Organisation des Nations Unies. Toutefois, l’OTAN s’était par la suite tournée vers l’ONU afin de régulariser juridiquement son action. L’invasion de l’Irak en 2003 par des forces armées coalisées conduites par les Etats-Unis n’a pas fait l’objet d’une telle démarche. Elle n’a été ni approuvée, ni condamnée par le Conseil de sécurité de l’ONU.

b) L’impasse de la politique des « coalitions ad hoc »

Lors de la seconde invasion de l’Irak, les Etats-Unis ont fait part de leur volonté de se soustraire aux contraintes du multilatéralisme. En appelant les Etats qui partagent leurs préoccupations à se joindre à leur opération, ils ont créé une coalition des Etats volontaires, dite Coalition of the willing.

Les difficultés rencontrées par les Etats-Unis pour légitimer auprès d’autres Etats leur intervention en Irak sont une preuve que le respect des règles imposées par le multilatéralisme reste le facteur le plus important de légitimation d’une action militaire dans le monde. Au demeurant, on pourrait ajouter que les opposants à cette initiative, qui étaient majoritaires, avaient raison.

Cet état de fait n’exclut pas la possibilité pour l’ONU de donner mandat à des organisations régionales pour le rétablissement et le maintien de la paix dans leurs zones de compétence. Simplement, il rend vaine toute tentative de contourner le système international de sécurité, y compris dans le cadre d’actions destinées à agir préventivement contre le terrorisme.

Tirant les conclusions de cette situation, le renforcement du multilatéralisme que permettrait une réforme de l’Onu pourrait donner les moyens à la communauté internationale de remplir les missions qu’elle s’est elle-même assignée.

3) Maintenir la prédominance du politique sur le militaire

L’étendue des menaces incite à accorder un rôle dans la protection de notre population et de notre territoire tant aux forces armées qu’aux services civils de l’Etat. L’utilisation des personnels et des équipements militaires ne peut plus être réservée à des situations de guerre ouverte qui pourraient se révéler de plus en plus rares à l’avenir. A l’inverse, la participation de civils à des missions relevant du militaire pour certaines de leurs dimensions est admise depuis longtemps.

L’association d’administrations différentes s’avère nécessaire dans tous les domaines intéressant la sécurité du territoire et de la population ainsi que la défense des intérêts de la France. Les forces armées seront sans doute amenées à jouer un rôle majeur du fait des compétences dont elles disposent, des moyens qu’elles peuvent mettre en œuvre, de l’expertise qu’elles ont développée sur ces questions. Pour autant, les orientations doivent être fixées par des autorités politiques. Il convient donc de choisir le cadre dans lequel les choix seront arrêtés.

Le rôle du Parlement dans ces matières pourrait dès lors être revalorisé. Une meilleure identification des lieux de décision en matière de politique militaire permettrait un contrôle plus efficace par les instances parlementaires de l’évolution de la stratégie suivie par la France dans l’emploi de ses forces armées. Un tel changement imposerait d’informer le Parlement voire de l’associer aux réflexions préalables à toute modification dans la posture militaire de notre pays. Au vu du contexte international particulièrement fluctuant, de telles réorientations seront vraisemblablement plus fréquentes, et commandent dès lors une évolution des missions, de l’organisation, du format et de l’équipement de nos armées.

II – DE NOUVELLES MISSIONS POUR UNE NOUVELLE ARMÉE.

La modification du contexte stratégique liée à la dislocation du bloc dominé par l’Union soviétique a déjà été prise en compte, à la fois dans la manière de concevoir l’action des forces armées mais également dans leur organisation et leurs équipements. L’apparition de nouvelles menaces et la prévisibilité de certaines évolutions autorisent à pousser plus avant cette reconfiguration.

A – Quelles missions pour nos armées ?

Une nouvelle doctrine stratégique doit imposer la prise en compte des menaces pesant réellement sur notre sécurité au détriment de scénarii peu probables d’engagement dans un conflit de grande ampleur. Cette réflexion serait également menée dans un cadre européen, dont l’importance en matière de défense pourrait aller croissante. Ces avancées s’inscrivent dans le cadre d’un impératif global : intégrer la défense à une mission générale de sécurité.

1) Vers une nouvelle doctrine d’emploi de la force

a) Faut-il refaire les scénarios du livre blanc ?

Le Livre blanc pour la Défense de 1994 est devenu rapidement obsolète. Il s’est efforcé de prendre en compte toutes les conséquences de la disparition de la menace constituée par les membres du Pacte de Varsovie, sans imaginer les évolutions historiques qui ont suivi. Le pari était d’ailleurs impossible à tenir.

Visant à donner un cadre d’action précis aux forces armées françaises, ce document comportait six scénarios d’engagement, classés selon leur probabilité d’occurrence. En premier lieu, l’intervention dans le cadre d’un conflit régional ne mettant pas en cause nos intérêts vitaux. En deuxième lieu, une même opération impliquant toutefois une menace sur nos intérêts vitaux, si par exemple une puissance nucléaire régionale est partie au conflit. Le troisième scénario est déclenché par une attaque portée contre le territoire français ultra-marin. La quatrième hypothèse est celle d’une intervention décidée dans le cadre d’un accord de défense bilatéral. Le cinquième type de missions envisagées est celui d’opération en faveur de la paix et du droit international. Le dernier élément est considéré comme très peu probable, mais est évoqué parce qu’il implique un risque exceptionnel. Il s’agit de l’éventualité d’une attaque majeure contre l’Europe occidentale.

Le degré de probabilité de ces scénarios a évolué et de nouvelles données sont apparues. L’hypothèse extrême d’une attaque majeure contre l’Europe est devenue improbable, en l’absence d’adversaire déclaré ou potentiel disposant de forces armées massives et de moyens de projection en adéquation. Par ailleurs, les interventions régionales sont de plus en plus souvent conduites dans un cadre multilatéral. Même si la tentation est forte, notamment de la part des américains, de vouloir s’affranchir de la tutelle des Nations Unies pour éviter les blocages, il est difficile d’imaginer une opération extérieure qui n’implique pas l’accord de l’Onu. De nouvelles organisations s’efforcent d’ailleurs de se développer et de devenir des organisations régionales de référence en matière de maintien de la sécurité pour l’Onu. Pour finir, les conflits régionaux tels qu’envisagés dans le Livre blanc de 1994 faisaient référence à des situations pouvant impliquer des forces armées adverses dotées de forces blindées et aériennes en nombre important. L’intervention de forces françaises face à de telles puissances n’est pas très probable à moyen terme. Le plus probable est que nous continuions à être impliqués dans des opérations de stabilisation quand deux Etats sont en conflit par des factions interposées, comme au Liban, ou éventuellement en cas d’opération contre-terroriste à l’étranger.

En effet, les scénarios du Livre blanc restaient marqués par une logique interétatique. Or, si les Etats sont les principaux responsables du maintien de la paix et de la sécurité dans le monde, leur action est de plus en plus souvent menée dans un cadre multinational et contre des menaces portées par des acteurs non étatiques. Ainsi, l’opération menée par les forces de l’Organisation de l’Atlantique Nord en Afghanistan ne correspond que marginalement au cinquième scénario, qui n’envisage d’actions dans la durée que pour rappeler qu’elles ne doivent pas impliquer trop fréquemment les forces françaises. De plus, les cas d’intervention pour parer une menace qu’un Etat, même allié, ne se trouverait pas en mesure de contenir doivent être étudiés, la prévention d’actions terroristes pouvant impliquer de mettre en œuvre ce type d’opérations. Il faut toutefois veiller encore à ce que toute intervention s’inscrive dans le cadre d’un règlement politique clair accepté par les populations sous peine de voir la situation d’enlisement à laquelle on assiste en Afghanistan se répéter.

b) Prendre comme base la stratégie européenne de sécurité

Publié le 12 décembre 2003, le document intitulé « Une Europe sûre dans un monde meilleur » est un point de départ intéressant pour la redéfinition du rôle des armées françaises. Il permet en effet de bénéficier de données plus récentes que celles du Livre blanc de 1994. Surtout, son utilisation favorise la cohérence des orientations militaires nationales avec les choix de nos partenaires européens et favoriserait donc l’émergence d’une défense européenne commune.

La stratégie européenne souligne la variété des cas dans lesquels les forces armées des Etats membres pourraient être employées dans le futur. En plus des menaces liées à la prolifération des armes de destruction massive et au terrorisme, elle rappelle qu’une action militaire peut être nécessaire pour faire face à des situations dans lesquelles un Etat n’arrive plus à remplir sa fonction souveraine de maintien de la sécurité intérieure. Les liens existant entre les cas de déliquescence des Etats, la criminalité organisée et les risques accrus d’instabilité régionale sont présentés, dans la stratégie européenne, comme une des menaces les plus importantes sur la sécurité future du continent. Surtout, elle insiste sur le fait que la force militaire ne peut pas tout et que seule la conjonction des mesures politiques et de la force militaire peut aider au règlement des conflits. A ce titre, les seize opérations à la fois civiles militaires de l’Union européenne qui se sont déroulées depuis le 1er janvier 2003, bien que n’ayant pas été de haute intensité, ont toutes été un succès.

A cet égard, trois objectifs sont recensés, qui peuvent servir de point de départ aux réflexions sur l’utilisation des forces armées françaises. D’abord, pouvoir affronter les menaces, ce qui impliquera sans doute des missions lointaines comportant des aspects non strictement militaires. Ensuite, assurer la stabilité aux frontières de l’Union européenne. L’absence de conflit majeur dans les Balkans depuis qu’une force européenne y est implantée est révélatrice de l’efficacité de telles opérations. Une attention plus forte doit dès lors être accordée aux pays du Caucase Sud et à la zone méditerranéenne, en faisant de la résolution des conflits au Moyen-Orient une priorité. Enfin, construire un ordre international stable reposant à titre principal sur le multilatéralisme, en s’appuyant sur toutes les organisations existantes, à la fois l’organisation universelle qu’est l’Organisation des Nations Unies mais également les organisations spécialisées comme l’Organisation mondiale du commerce ou les institutions financières internationales, ainsi que les organisations régionales comme l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, le Conseil de l’Europe, l’Union africaine, le Mercosur ou l’Association of Southeast asian nations. Afin d’affirmer cette dernière orientation, la promotion de la démocratie et de la bonne gouvernance, le respect du droit international, tant public que pénal, et son adaptation aux menaces sont les pistes privilégiées par l’Union européenne. Trois impératifs politiques sont déduits de ces considérations : l’Union doit être plus active, son action doit être plus cohérente et sa coopération avec ses principaux partenaires doit être renforcée.

Il nous faut conduire un processus itératif qui nous verrait prendre en compte les acquis de la stratégie européenne de sécurité pour définir notre propre politique et en même temps profiter de l’exercice conduit par la commission du livre blanc pour voir de quelle manière nous pourrions approfondir et faire évoluer cette stratégie. Ces travaux pourraient déboucher au deuxième semestre 2008, lors de la présidence française de l’UE. Certains éléments innovants semblent particulièrement pertinents au regard de la complexité des missions de la défense nationale dans le monde contemporain. La volonté européenne d’associer tous les éléments de sa politique internationale, à savoir les instruments commerciaux, diplomatiques, militaires et liés à l’aide au développement permet en effet de traiter des situations toujours plus variées en conférant une efficacité maximale à la prévention, à la résolution et à l’accompagnement nécessaire aux sorties de crise. De même, les armées françaises pourraient se voir également attribuer de nouvelles missions, comme le désarmement mené conjointement avec des forces locales. Nous pouvons également être amenés à participer à des opérations de lutte contre le terrorisme dans des Etats étrangers, à condition que ces opérations recueillent le soutien des populations locales, ou l’aide à la formation des forces de police afin qu’elles agissent dans un cadre démocratique. Enfin, la stratégie européenne rappelle la nécessité d’agir en coopération avec des partenaires proches, notamment les Etats-Unis, la Russie, des rapprochements étant à envisager avec le Japon, la Chine, le Canada et l’Inde.

2) L’Europe de la défense, un objectif pour la réforme de nos armées ?

a) Articuler nos missions de défense avec la stratégie européenne

La stratégie européenne de sécurité fait d’ores et déjà partie de notre politique de défense et de sécurité. Il nous faut poursuivre encore la construction de l’Europe de la défense et la future présidence française nous offre l’occasion d’aller dans ce sens.

L’Europe de la défense nécessite que l’on puisse faire émerger des critères de convergence notamment en matière de dépenses de défense. Aujourd’hui, nombre de pays européens ne consacrent qu’environ 1 % de leur produit intérieur brut à la défense ce qui est insuffisant. La France, le Royaume-Uni et la Grèce sont les pays dont l’effort financier en faveur de la défense est le plus important, en proportion de leur Produit intérieur brut. Seuls les deux premiers s’efforcent de maintenir leurs dépenses d’investissement à un niveau important, notamment dans le domaine de la recherche. Il est difficile de faire reposer l’Europe de la défense sur la mise en commun de moyens dont le financement serait aussi déséquilibré. Les moyens d’action de l’Union dans ce domaine restent donc, à l’heure actuelle, principalement juridiques et dépendant de décisions souvent intergouvernementales.

b) Donner un cadre européen au futur Livre blanc

Afin de rendre plus aisée encore l’articulation entre les missions remplies par les forces françaises et la politique extérieure européenne, cet impératif pourrait être intégré au futur Livre blanc sur la défense et la sécurité. Au-delà de cette possibilité, une association plus profonde de nos partenaires européens à cet exercice peut être envisagée.

Si ce type de document n’existe pas dans tous les autres Etats membres de l’Union, une telle démarche est fréquente dans de nombreux pays, notamment les puissances militaires majeures. La National Security Strategy américaine de 2006, le nouveau chapitre Strategic Defence Review de 2002 et le livre blanc britannique de 2003, le ivre blanc allemand de 2006 sont autant d’exemples de la volonté de nos principaux partenaires de développer une pensée prospective en matière de défense. De plus en plus fréquemment, ces réflexions associent les concepts de défense et de sécurité, comme cela sera le cas pour le Livre blanc français.

Il est nécessaire de bâtir une pensée stratégique européenne commune et l’élaboration d’un nouveau livre blanc français est l’occasion d’aller dans ce sens.

Ainsi, des liens plus étroits pourraient être établis entre l’approche prospective française et les évolutions de la stratégie européenne de sécurité. L’un des objectifs majeurs de cette réflexion serait la définition d’intérêts communs européens afin de prévoir les moyens de les défendre. Une telle approche pourrait même conduire à dessiner les contours d’une défense européenne, dont les conditions de mise en œuvre seraient liées aux cas de menace sur des intérêts de l’Union européenne.

Parallèlement, il est sans doute nécessaire d’aller plus loin dans les stratégies de rapprochement des livres blancs. On peut envisager par exemple que la France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne élaborent un véritable livre blanc commun à l’horizon 2010 et renoncent à leurs instruments nationaux.

3) La défense au service de la sécurité

a) Quelles missions de sécurité intérieure ?

La sécurité intérieure recouvre des aspects militaires et civils. Pour les premiers, l’action des forces armées s’impose. Applicable depuis 1995, le plan Vigipirate permet de confier aux armées des missions intérieures de sécurité, notamment en matière de contrôle de l’espace aérien et des approches maritimes. De plus, des moyens militaires terrestres sont mobilisés pour renforcer la sécurité du territoire. Le niveau d’alerte a été augmenté à la suite des attentats de Londres le 7 juillet 2005.

Pour les aspects civils, sur le territoire de la République, celles-ci ne peuvent pas intervenir sans réquisition judiciaire, conformément à l’article L 1321-1 du Code de la défense. Les moyens militaires viennent donc renforcer sur demande ceux du ministère de l’intérieur, sauf décision du gouvernement attribuant au commandement militaire la responsabilité du maintien de l’ordre public.

Cette situation a été confortée par l’évolution de la gendarmerie nationale. Le décret n° 2002-889 du 15 mai 2002 avait déjà donné au ministre en charge de l’intérieur le pouvoir d’employer la gendarmerie nationale. Des projets actuels pourraient amener les forces de gendarmerie à passer sous la tutelle du ministre en charge de l’intérieur dès 2009, sans pour autant que les gendarmes ne perdent leur statut militaire.

La mission générale de protection du territoire sera ainsi menée principalement par les autorités civiles, les forces militaires intervenant là où les moyens spécifiques auxquels elles pourront faire appel sont nécessaires et sur demande des autorités civiles. Une telle évolution est susceptible de simplifier certains aspects de la lutte contre le terrorisme, principale menace sur la sécurité de la population.

La prévention des atteintes aux intérêts de la France passe également par un rapprochement entre des services aujourd’hui éclatés. Un tel constat est particulièrement flagrant en matière de renseignement, à la fois anti-terroriste et en matière d’intelligence économique.

En France, plusieurs services ont pour mission la collecte, le traitement, l’analyse et la transmission de renseignements. Ceux relevant du ministère de l’Intérieur à savoir la direction de la surveillance du territoire et la direction des renseignements généraux ont été fusionnés en une seule entité, la direction centrale du renseignement intérieur. Au sein du ministère de l’économie et des finances, le service à compétence nationale chargé du traitement du renseignement et de l’action contre les circuits financiers clandestins, dit « TRACFIN », et la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières poursuivent tous deux des activités de renseignement.

Au sein du ministère de la défense, trois directions interviennent dans cette matière, chacune dans un domaine spécifique. La direction du renseignement militaire a pour principale mission d’apporter à l’état major des armées et au ministre de la défense les renseignements de nature militaire intéressant l’action des forces armées. La direction de la protection et de la sécurité de la défense est chargée de protéger les hommes et les matériels nécessaires à l’accomplissement des missions de la défense, partout où ces derniers sont déployés. La direction générale de la surveillance extérieure est vouée par nature à recueillir des renseignements hors du territoire.

La coordination des efforts de ces différents services a été faite jusqu’à présent en fonction du domaine pour lequel les renseignements étaient souhaités. Instance rattachée au Premier Ministre, le Secrétaire général à la Défense Nationale coordonne les différentes sources de renseignement intéressant la sécurité du territoire au sein du comité interministériel pour le renseignement créé par le décret n°62-1208 du 17 octobre 1962 modifié le 20 avril 1989 . Le haut responsable chargé de l’intelligence économique, dont la création résulte d’un décret du 31 décembre 2003, a vocation à améliorer l’efficacité des différents services en matière de renseignement économique et à centraliser les démarches menées en ce sens.

La multiplicité des instances de coordination n’est pas satisfaisante. Pour autant, la fusion de tous les services aurait un double inconvénient. Elle réduirait d’autant la lisibilité des objectifs poursuivis. Surtout, elle ne permettrait pas de prendre en compte les compétences spécifiques de chacune de ces entités, souvent parvenues à un niveau d’excellence dans un ou plusieurs domaines du renseignement.

Plusieurs solutions sont envisageables afin de faciliter le travail en commun dans le secteur hautement stratégique du renseignement. Aux Etats-Unis, un Director of National Intelligence créé par la loi du 17 décembre 2004 « Intelligence reform and terrorism prevention act » a reçu autorité sur la communauté du renseignement (Intelligence community) qui rassemble toutes les agences gouvernementales en charge du renseignement, à la fois militaires et civiles. Il est le conseiller pour le Président pour les questions de renseignement et assiste à ce titre au National Security Council.

L’application d’une telle réforme en France impliquerait de reconnaître l’existence d’une communauté du renseignement, ce qui pourrait s’avérer complexe. La création d’un conseil du renseignement impliquant tous les services précités et rattaché au Président de la République permettrait de mieux coordonner leur activité et de l’orienter dans de plus nombreux domaines.

En plus de leur mission de surveillance, les forces armées peuvent en effet participer à la lutte contre le terrorisme par l’échange d’informations. Dans ce domaine, les sécurités extérieure et intérieure sont étroitement liées. Sans supprimer les différents services de renseignement, dont la particularité des rôles est indéniable, l’association entre eux pourrait être renforcée en réunissant tous les services, quel que soit leur ministère de rattachement, au sein d’un organisme unique placé sous la tutelle du chef de l’Etat.

Une telle structure pourrait également remplir des fonctions d’intelligence économique notamment en faveur des petites et moyennes entreprises, qui ne disposent pas des moyens d’assurer elles-mêmes à la fois la protection de leurs technologies et la prospective sur les mouvements internationaux qui font évoluer leur marché. L’action du Haut responsable chargé de l’intelligence économique a déjà permis de fixer un cadre général et d’établir des priorités dans cette matière. Une meilleur association des acteurs du renseignement, qui impliquerait nécessairement les services relevant du ministère de la défense, serait sans nul doute un facteur d’amélioration important de l’action de la France dans ce domaine.

b) Quelles conditions pour une opération extérieure ?

Les nouvelles menaces conduisent à repenser l’architecture du système de défense de la France. Celle-ci doit combiner l’action sur le territoire national et les opérations extérieures pour remplir sa mission de sécurité.

A l’heure actuelle, la stratégie militaire française poursuit trois objectifs : la construction d’un environnement international stable, le respect des engagements de la France parmi lesquels figurent la politique européenne de sécurité et de défense ainsi que les accords de défense bilatéraux, la défense des intérêts nationaux. Pour ce faire, deux types d’instruments sont utilisés. Le premier n’implique pas la mise en place d’opérations extérieures de sécurité. Il s’agit de la posture permanente de sûreté, qui associe la dissuasion, la prévention des conflits et la protection des moyens d’action de la France. Le second en revanche est constitué par les moyens de « projection-action », les opérations extérieures.

Les missions de dissuasion et de protection ne seront sans doute pas modifiées. La dissuasion, notamment nucléaire, continuera à jouer un rôle central dans notre politique de défense parce qu’elle est à la fois un moyen d’interdire toute agression majeure contre la population et le territoire français mais également un facteur majeur de maintien de la place de la France dans le monde. La protection des moyens d’action de la France est le corollaire des ambitions de notre pays.

En revanche, une association différente des fonctions de prévention et de projection pourrait être envisagée. Comme établi par la stratégie européenne de sécurité, de nombreuses menaces proviennent d’une insuffisance des actions visant à éviter la déliquescence d’un Etat. Les forces armées françaises pourraient dès lors être employées dans des missions à l’étranger afin d’aider un Etat, ou une organisation régionale, à prévenir l’apparition prévisible d’une menace comme dans le cadre du renforcement des capacités africaines au maintien de la paix (opération ReCAMP) qui vise, depuis 1998, à former, entraîner et équiper les forces de sécurité mises à disposition de l’Union africaine.

B – Quelle armée pour ces missions ?

Les conditions d’engagement des forces militaires sont nécessairement influencées par l’évolution des menaces perceptibles et à prévoir. Le contexte international actuel impose donc une redéfinition du format, de l’organisation et des caractéristiques générales des armées françaises.

1) Quels contrats opérationnels ?

La loi de programmation militaire pour 2003-2008 pose pour chaque armée un objectif à atteindre en matière d’interventions extérieures.

L’armée de terre doit ainsi être à même de déployer jusqu’à 20 000 hommes simultanément sans limitation de durée, voire jusqu’à 26 000 pour une durée d’un an. Alternativement, l’armée de terre doit pouvoir engager jusqu’à 50 000 hommes dans un conflit majeur qui impliquerait les membres de l’Alliance Atlantique. La marine doit pouvoir engager une force navale comprenant le groupe aéronaval et son accompagnement, un groupe amphibie capable de projeter un groupement de type blindé léger de 1 400 hommes, ainsi que des sous-marins nucléaires d’attaque. L’armée de l’air se voit assigner l’objectif de projeter une centaine d’avions de combat avec leurs ravitailleurs, les moyens de transport aérien suffisants pour acheminer 5 000 hommes à 1 500 kilomètres en trois jours ainsi que les moyens de communication et de commandement nécessaires pour remplir ces missions.

Les indicateurs de performance fournis par le ministère de la défense montrent une progression de chacune des armées dans ces domaines. L’armée de l’air et la marine sont cependant défaillantes dans des secteurs particuliers (groupe aéro-naval, avions de chasse, transport aérien). Ces difficultés peuvent être dues aux particularités des matériels employés. Ainsi, le porte-avions Charles-de-Gaulle subit actuellement son intervention périodique d’entretien et de réparation. Les indicateurs associés à la réalisation du contrat opérationnel peuvent avoir évolué, comme c’est le cas pour celui concernant les avions de combat. Enfin, l’indisponibilité des matériels explique la faible performance en matière de transport aérien.

D’autres moyens de défense ont été soumis par la loi de programmation à un contrat opérationnel. Elément majeur de notre politique étrangère et de notre stratégie militaire, la posture de dissuasion nucléaire se doit d’assurer à la fois la disponibilité des moyens et leur crédibilité. Un tel objectif doit être maintenu.

En revanche, il est nécessaire de s’interroger sur les conditions d’emploi de nos forces à l’extérieur. Aujourd’hui, l’engagement des forces françaises à l’étranger est toujours plus fréquent et il n’est pas sûr que l’objectif de 20 000 personnels déployés soit suffisant. Sauf à remettre en cause les critères qui doivent nous conduire à agir, ainsi que l’Union européenne, en-dehors de nos frontières, la question qui est posée aujourd’hui n’est pas celle de la réduction du format de l’armée de terre mais celle de la réduction du nombre de nos opérations extérieures.

La démarche contractuelle comporte de nombreux avantages, à la fois pour les forces armées, qui disposent dès lors d’une référence précise permettant d’organiser leur activité, mais également pour les autorités politiques qui disposent d’un indicateur précieux permettant de peser dans des négociations diplomatiques. Cette méthode doit être conservée.

2) Quelle organisation de l’armée de terre ?

Quelle que soit l’évolution du contrat opérationnel de l’armée de terre, une modification de son organisation pourrait s’imposer. L’armée de terre doit approfondir son évolution et le statut d’armée d’emploi qu’elle revendique n’est qu’une première étape. Son utilisation sur des terrains toujours plus variés et dans des conflits aux formats et à l’évolution difficilement prévisibles fait de son adaptation une condition nécessaire au respect par la France de ses engagements internationaux en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationales.

Il est difficile de dessiner un format précis de l’armée de terre dans l’avenir. L’évolution du format et de l’intensité des conflits, liée à un contexte international instable, peut rendre obsolètes certaines conclusions qui paraîtraient de bon sens aujourd’hui. Les leçons tirées des engagements nombreux et variés des dernières années permettent toutefois d’imaginer quelques pistes de réformes plus générales. Les armées de terre britannique et américaine s’efforcent de se transformer en forces dites « médianes », à la fois plus facilement projetables (donc équipées de peu de matériels lourds) et polyvalentes (pour faire face à des situations complexes et variables). L’organisation générale de l’armée de terre française pourrait correspondre peu ou prou à cet objectif. Avec deux brigades blindées, deux brigades mécanisées, deux brigades légères blindées amphibies, deux brigades légères « protégées » (disposant de transports de troupes identiques à ceux des brigades blindées) et deux brigades légères spécifiques (parachutiste et infanterie de montagne), l’armée de terre française répond de manière semblable à l’objectif que s’est également fixé l’armée de terre britannique, à savoir deux brigades blindées lourdes, trois brigades mécanisées, une brigade légère, une brigade amphibie et le rattachement d’une brigade amphibie à la Navy. L’armée de terre française pourrait toutefois voir son efficacité renforcée dans certains domaines. Toutefois, l’une des évolutions possibles serait de considérer que la nécessité de mettre en place des forces médianes amène à abandonner l’organisation en réservoir de forces et à mettre en place des unités polyvalentes regroupant tous les types de moyens. L’avantage d’une telle solution serait de permettre à ces unités d’être toujours déployées au complet de s’entraîner ensemble.

La présence de troupes au sol sur un territoire étranger est de plus en plus souvent requise dans le cadre des conflits actuels. Pour être efficace dans ce contexte, l’armée de terre doit pouvoir réagir plus rapidement et faire bénéficier des partenaires de coalition de compétences diversifiées.

La rapidité de la réaction dépend entre autres de la simplicité de la chaîne de commandement. A l’heure actuelle, plusieurs structures coexistent : le chef d’état major de l’armée de terre, le commandement de la force d’action terrestre et le commandement de la force logistique terrestre. Le premier est un organisme déconcentré de l’état major de l’armée de terre. Le commandement logistique est placé quant à lui sous la responsabilité du commandement de la force d’action, par délégation du chef d’état major. Par ailleurs, le commandement de l’aviation légère de l’armée de terre et celui de la légion étrangère relèvent directement du chef d’état major de l’armée de terre. Malgré les différences importantes qui peuvent exister entre chacun de ces commandements, une simplification poursuivrait à la fois un objectif d’efficacité et d’économie de moyens.

En matière d’acquisition de matériel, l’armée de terre a rencontré des problèmes particuliers. Les retards pris dans certains programmes, notamment ceux de véhicules de combat et de transports tactiques, ont eu pour conséquence une utilisation intensive d’équipements anciens, dont le vieillissement s’est trouvé dès lors accéléré. Afin de résoudre cette difficulté, une réforme est à envisager, qui permettrait de raccourcir le délai entre l’expression des besoins opérationnels de l’armée de terre et la réalisation par la délégation générale pour l’armement d’un programme spécifique. Si le rôle de l’état major des armées, lieu de centralisation de l’expression des besoins de chaque arme, ne peut être mis en cause, il convient peut-être de mettre au point une procédure spécifique aux besoins opérationnels urgents concernant l’armée de terre, dont les impératifs évoluent particulièrement vite du fait notamment de la variété des situations auxquelles elle participe.

Enfin, les règles d’utilisation des matériels ont d’ores et déjà fait l’objet d’une actualisation. Afin de réduire l’usure des équipements et donc de réduire le coût de leur maintien en condition opérationnelle, un projet expérimental de répartition des matériels en quatre parcs est mené. Une telle organisation permet de différencier les équipements utilisés par les unités pour leur entraînement particulier et leurs opérations, ceux servant aux camps d’entraînement, ceux qui doivent être conservés opérationnels en cas d’alerte rapide et ceux qui ne sont que d’un usage rare, comme les chars lourds.

3) Quelle rationalisation territoriale et quelle interarmisation ?

La professionnalisation de l’armée française a eu des conséquences majeures sur son organisation. La loi de programmation militaire 1996-2002 a ainsi réduit les effectifs militaires d’environ 150 000 hommes et augmenté les personnels civils d’environ 5 000. Cette réforme a eu lieu sans diminution des missions à remplir, et dans un cadre budgétaire contraint. Une telle situation a imposé de repenser l’organisation de l’activité des armées afin d’amplifier le travail en commun.

L’évolution des conflits dans lesquels l’armée française est engagée conduit à recommander un approfondissement de la logique d’interarmisation. Celle-ci peut être utilement menée dans plusieurs domaines, comme les infrastructures accueillant les forces sur le territoire national, l’organisation du commandement des opérations et les matériels mis à disposition.

Une simplification des structures existantes est sans doute possible. A l’heure actuelle, il existe au moins trois schémas territoriaux de commandement. L’état major des armées a ainsi élaboré une organisation territoriale interarmées de défense qui suit le tracé des sept zones de défense telles que définies dans le code de défense. Il existe en revanche cinq commandements régionaux de l’armée de terre (les zones Terre) et deux régions aériennes disposant d’un commandement spécifique sous l’autorité du chef d’état major de l’armée de l’air. Une simplification de ces dispositions est envisageable, bien qu’elle impliquerait sans doute un renforcement important de l’autorité de l’état major des armées.

De même, la protection du territoire national peut être assurée avec un nombre plus réduit de bases. Des opérations de réduction du nombre de bases, accompagnées sans doute d’un regroupement des deux ou trois armées sur les mêmes lieux, interviendront certainement. Ces recompositions ne pourront pas, comme l’a indiqué le ministre de la défense être « menées dans le seul souci d’aménagement du territoire et non pas en fonction de l’impératif opérationnel, car cela reviendrait à sacrifier l’efficacité des armées pour des considérations politiques » (2). Les contraintes financières imposées à nos armées excluent effectivement la prise en compte d’autres contraintes que l’optimisation opérationnelle.

Cet objectif général d’amélioration de l’implantation territoriale des armées peut être décliné selon deux perspectives. Un regroupement de certaines unités dispersées, qui implique notamment de revenir sur certains héritages historiques conduisant par exemple à ce que 40 % des forces de l’armée de terre se trouvent dans la région terre Nord Est. De plus, un effort important peut être mené afin de réduire le nombre de personnels civils employés au soutien des forces armées. Des économies importantes, de l’ordre d’un milliard d’euros, pourraient être tirées de la réduction de ces effectifs.

L’interarmisation est un élément commun à tous les projets de reconfiguration territoriale des force armées. Il convient de définir le cadre idéal dans lequel son renforcement doit être mené. Le chef d’état major des armées, auquel le décret n° 2005-520 du 21 mai 2005 a confié des responsabilités majeures en matière de coordination de l’activité et de l’expression des besoins d’équipement des trois armes, garantit la cohérence des orientations suivies par chacune des trois armées dans leur organisation.

L’interarmisation pourrait être poussée à des niveaux plus opérationnels, la nécessité de la collaboration entre les trois armées étant une donnée majeure des engagements récents de l’armée française. A cet égard, les projets de mise en réseau de toutes les unités présentes sur un théâtre contribuent à renforcer encore la coopération entre les trois armes. Plus précisément, des équipements nouveaux doivent permettre le partage d’informations et la facilitation des communications qu’une telle association des trois armes implique. En la matière, deux impératifs doivent être poursuivis simultanément. D’abord, la capacité pour les armées françaises de coordonner leur action de manière autonome. Ensuite, la préservation d’un certain niveau d’interopérabilité afin de faciliter l’utilisation de forces françaises dans le cadre d’opérations multinationales.

En dernier lieu, un effort doit être mené pour que le périmètre de chaque armée n’excède pas ce qui lui est consubstantiel, à savoir la suprématie aérienne, terrestre ou navale. Une telle démarche implique la mutualisation de tous les services périphériques à l’activité militaire proprement dite. Les fonctions de support doivent donc être réunies dans des services uniques, qui fournissent leurs prestations indifféremment aux trois armées. Ce regroupement permettrait, en plus de l’économie qu’il représente, d’ajuster au mieux les équipements des armées à leurs besoins réels, en autorisant par exemple la mise au point d’un système informatique unique pour les trois armées dont la sécurité pourrait être renforcée.

L’interarmisation doit être la priorité absolue dans tous les domaines de l’organisation.

III – QUELS ÉQUIPEMENTS ?

Le changement de nature et d’origine des menaces oblige à revoir les équipements voués tant à les protéger qu’à accomplir leurs missions. L’utilité des équipements destinés à être engagés dans des conflits de haute intensité opposant deux armées nationales ou deux coalitions de nations doit faire l’objet d’une remise à jour. En revanche, d’autres domaines nécessiteraient un investissement accru, notamment l’acquisition de renseignements et leur transmission mais également la projection des forces et leur protection sur le terrain. Des ruptures technologiques sont également intervenues qu’il convient d’effectuer sous peine de rendre l’équipement de nos forces dépendant de matériels étrangers.

A – L’impasse budgétaire due aux gestions précédentes

Les grands programmes d’équipement de l’armée française ont été décidés en adéquation avec les hypothèses du Livre blanc sur la défense de 1994, et confirmés par les lois de programmation successives. Ces programmes d’équipement ne sont pas appropriés au contexte d’engagement de nos forces, les révisions nécessaires n’ont pas eu lieu, il est temps qu’elles interviennent.

1) Des programmes ambitieux aux coûts importants

La mise au point d’un char lourd et d’un avion de combat permettait à la France de faire face à une agression de son territoire par des forces conventionnelles nombreuses. De tels équipements, dont l’utilité lors du second conflit mondial avait été grande, ont été conçus de manière à ce que les forces françaises disposent de matériels leur garantissant la suprématie sur leur théâtre d’action.

La mise à disposition de ces matériels très performants en nombre suffisant pour faire face à une attaque de grande ampleur a nécessité un effort financier considérable. Ainsi, la livraison de plus de quatre cent chars Leclerc et de vingt dépanneurs spécifiques aura coûté plus de 5,5 milliards d’euros. Pour équiper les forces aériennes et aéronavales de 294 avions de chasse Rafale, environ 36 milliards d’euros seront nécessaires.

Emblématiques et souvent critiqués, ces deux programmes présentent pourtant un rapport coût / efficacité parmi les meilleurs du marché pour ces types de matériel. Bien qu’encore non exporté, l’avion Rafale fait partie des meilleurs avions de combat et sa polyvalence lui permet d’intéresser de nombreux acheteurs potentiels. Si aucun contrat à l’exportation n’a encore été signé, les raisons sont plutôt à rechercher dans la multiplicité des acteurs publics et privés français intervenant simultanément dans le cadre d’appels d’offres lancés par des autorités étrangères, alors même que nos principaux concurrents, notamment américains, réussissent à coordonner au mieux leur action. Ces acquisitions ont une symbolique politique importante, ce qui explique l’acharnement de l’administration américaine pour faire échouer les tentatives françaises. Pour améliorer l’efficacité de l’action des autorités françaises, une cellule opérationnelle pour la vente d’armes a récemment été mise en place auprès du Président de la République et associe des représentants des ministères impliqués à savoir ceux de la défense, des affaires étrangères et des finances. Cette innovation est positive.

Les choix en faveur de matériels de haut de gamme et technologiquement avancés ne sont donc pas en seuls en cause. C’est plutôt l’approche globale adoptée en matière d’équipements militaires qui a abouti à une situation actuelle difficile.

2) Une prise en compte insuffisante de l’évolution des conflits

Engagées dans des conflits asymétriques, aux prises avec des adversaires mal équipés mais connaissant bien le terrain, les forces armées françaises ont parfois exprimé des besoins qui ne correspondaient pas aux programmes déjà engagés.

Ainsi, le manque de véhicules de transport blindés, l’absence de moyen de transports tactiques aériens, les insuffisances des aéronefs de transport ont été rapidement mis en évidence dans les conflits auxquels la France a participé. Afin de couvrir ces nouveaux besoins, une révision à la baisse des objectifs de certains programmes a été engagée. La cible en matière de commandes de chars Leclerc par exemple a été abaissée en 1996, de 650 à 406, et s’est accompagnée d’une réduction dans les mêmes proportions de la cible en matière de dépanneurs spécialisés, de 30 à 20.

Pour autant, cette baisse a été sans doute insuffisante, et aurait pu porter sur d’autres programmes. En tout état de cause, les crédits nécessaires pour financer les nouveaux programmes d’équipement demandés par les états majors des armés ont été provisionnés mais le paiement effectif a été étalé sur des périodes plus longues, dépassant en réalité la date à laquelle la loi de programmation militaire devait être revue.

L’appareil de Défense a été pris de cour par la vitesse de l’Histoire, la réactivité a été faible, les politiques en sont responsables, mais pas eux seuls.

Il résulte de ces évolutions un besoin de financements supplémentaires important pour la seule réalisation des programmes déjà décidés. Environ 35 milliards d’euros restaient à payer au 31 décembre 2006 (hors programmes gérés dans le cadre de l’OCCAR (3)et de la NAHEMA (4)).

En l’absence de décisions concernant les programmes déjà engagés, les dépenses d’investissement futures se verraient fortement contraintes, puisqu’une dépense supplémentaire de cinq milliards d’euros serait nécessaire à partir de 2009. En 2005, une projection réalisée par l’état major des armées, le secrétariat général des armées et la délégation générale pour l’armement estimait que 40 milliards d’euros manqueront en 2015, avec une croissance des ressources en volume égale à 1 % et un maintien des dépenses en faveur de la défense à 2 % du produit intérieur brut.

Or, les besoins sont nombreux, à la fois pour renforcer certaines capacités des armées françaises mais également pour éviter tout retard technologique difficile à combler dans le futur. La réduction des objectifs assignés à certains programmes permettrait ainsi de libérer des ressources pour développer des équipements nécessaires. Pour faciliter encore davantage cette évolution, l’association de nos partenaires européens offre des perspectives.

B – La nécessité d’opérer la revue des programmes dans un cadre européen

Les Etats membres de l’Union européenne font face à des menaces similaires. Impliqués dans les missions décidées au titre de la politique européenne de sécurité et de défense, ils s’efforcent de donner à l’Union européenne les moyens de ses ambitions internationales. Membres, dans leur grande majorité, de l’Alliance Atlantique, ils sont sollicités pour participer aux missions que cette dernière décide, dont celles destinées à soutenir la politique menée par l’Organisation des Nations Unies. Bien que leurs armées restent de formats très différents et que leurs politiques étrangères puissent diverger, les conflits dans lesquels ces Etats se trouvent impliqués sont de nature comparable et pourraient dès lors révéler des besoins d’équipement identiques.

La mise à jour des programmes d’équipement français va s’imposer rapidement, ne serait-ce que pour tenir compte de l’évolution des conflits et des besoins exprimés par les forces déployées sur les théâtres d’opération. Il serait donc d’autant plus judicieux de mener cet exercice en coopération avec d’autres Etats européens (5). Au Royaume-Uni, le plan Delivering Security in a Changing World, Future Capabilities, decidé en 2004, envisageait de retirer certains matériels, de réduire le format des armées et celui des commandes d’équipement, sans pour autant garantir la situation financière du Ministry of Defense qui doit supporter les coûts de l’intervention britannique en Irak. De même, le format de la Bundeswehr allemande a été revu à la baisse en 2002 et le ministère de la défense rencontre des difficultés pour effectuer à temps les paiements engagés pour certains programmes. Enfin, en Italie, de nombreux coûts liés à l’équipement des forces sont supportés par le ministère de l’industrie du fait de l’évolution déjà importante du budget d’équipement du ministère de la défense.

Le contexte semble donc propice à une mise au point commune avec les Etats membres les plus actifs dans le domaine de la défense des besoins capacitaires de demain. La mise en réseau des forces engagées, la combinaison optimale des renseignements d’origines diverses, l’utilisation d’aéronefs sans pilote à la fois comme instrument de collecte d’information ou de combat, la mise à disposition et la protection de moyens d’observation spatiale de la planète sont autant de domaines dans lesquelles des coopérations peuvent être engagées ou approfondies.

Un choix contraire laisserait l’Europe de l’armement dans la situation paradoxale qui est la sienne actuellement. Celle-ci repose en effet sur plusieurs types d’initiatives. Structure européenne, l’Agence européenne de défense créée en 2004 a permis la mise en œuvre de plusieurs projets communs de recherche et de technologie. Cependant, l’Agence n’a pas pour mission pour le moment de décider de lancer des programmes et se contente d’aider les Etats qui souhaitent coopérer à le faire. Parallèlement, des initiatives regroupant quelques Etats membres ont été lancées comme la Restructuring defense industry letter of intent, souvent désignée sous le sigle LoI, qui associe les six Etats membres dont l’industrie de la défense est la plus importante : la France, la Grande-Bretagne, la Suède, l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie. Par ailleurs, des programmes d’armement sont conduits par l’Organisation conjointe de coopération en matière d’armement, créée en 1996 par la France, l’Allemagne, l’Italie et le Royaume-Uni, rejoints en 2003 par la Belgique et en 2005 par l’Espagne. De plus, des programmes particuliers associent quelques Etats membres et bénéficient aux seuls participants. C’est le cas par exemple de l’International Joint Program Office créé pour mettre en œuvre le programme de missile air-air de longue portée « Meteor », et qui associe la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et la Suède. Enfin, certains programmes menés en coopération entre pays européens sont gérés par des agences relevant de l’Organisation de l’Atlantique nord, comme c’est le cas pour l’hélicoptère NH-90 développé depuis 1992 par la France, l’Allemagne, l’Italie et les Pays-Bas (rejoints en 2001 par le Portugal) réunis au sein de l’agence NAHEMA (cf. supra).

Effectuer la revue des programmes français d’armement dans un cadre européen faciliterait l’adaptation des armées françaises à la vision prospective développée par l’Agence européenne de défense, baptisée Long Term Vision. Une telle mesure favoriserait également la construction d’une base industrielle de défense européenne qui est sans doute le niveau adéquat auquel l’autonomie de l’équipement des forces en Europe peut être défendue. En troisième lieu, un tel rapprochement favoriserait sans doute une meilleure coordination entre les politiques étrangères des Etats membres.

Si une revue des programmes est menée au niveau européen, elle devra établir un équilibre entre trois impératifs en matière d’équipements de défense. D’abord, choisir les programmes en fonction des objectifs assignés à la force, de telle sorte que les armées puissent obtenir sur le terrain les résultats nécessaires à l’accomplissement de leurs missions. En deuxième lieu, les équipements développés doivent répondre aux besoins ressentis sur le terrain suffisamment importants pour que les acteurs industriels ne doutent pas de l’engagement financier public. En troisième lieu, la durée des programmes doit être suffisamment encadrée pour éviter l’étalement des paiements.

C – Concilier approche capacitaire, nécessités opérationnelles et industrielles, prévisibilité budgétaire raisonnable

Les forces armées françaises manquent de moyens de projection, ce qui peut empêcher la France de disposer à tout moment des moyens qu’implique le rôle qu’elle entend jouer dans le monde. Le programme d’avions de transport de troupes A400M a comblé une partie de ses lacunes en augmentant les capacités de projection de forces. Le retard d’un an prévu avant la première livraison de ses appareils pose un problème dès lors qu’il impose, en cas de futures sollicitations, l’utilisation d’appareils déjà anciens.

En matière de projection de puissance, le choix de construire un second porte-avions s’avérerait sans doute judicieux. L’intérêt militaire de cette infrastructure n’est pas forcément supérieur à celui que représenteraient d’autres matériels, au coût global équivalent, utilisés simultanément. Ce type de bâtiment représente en revanche un élément de très grande importance du point de vue politique. La présence d’un porte-avions français au large d’un théâtre d’opérations renforce considérablement le poids de notre pays dans la zone. Quel que soit le cadre dans lequel un tel projet est entrepris, en coopération ou non, une telle décision emporterait des conséquences très positives.

Les programmes d’armement de l’avenir doivent être adaptés aux menaces auxquelles les forces armées font face sur le terrain. Plusieurs domaines sont à explorer.

La capacité pour la France et l’Europe de maintenir leur autonomie d’appréciation de la situation depuis l’espace est indispensable. La coopération européenne dans le cadre du projet Galileo doit être relancée. S’agissant des besoins plus spécifiquement militaires, il existe une coopération franco-italienne en matière d’échanges de renseignement, la France fournissant des renseignements optiques tandis que l’Italie procure des renseignements d’origine radar. Six pays européens se sont déclarés intéressés par la mise au point d’un système européen d’observation de la Terre depuis l’espace. La mise en œuvre effective du programme MUSIS devra toutefois être décidée en 2008/2009.

La protection des matériels contre une agression éventuelle constitue le deuxième défi majeur s’agissant de l’utilisation militaire de l’espace. En effet, certains Etats développent des moyens de destruction de satellites, dont les armées françaises sont de plus en plus dépendantes pour leurs télécommunications et l’acquisition de renseignements.

La suprématie dans l’espace conférerait à celui qui pourrait la revendiquer un avantage décisif. Des apports financiers importants doivent être envisagés, au regard de l’évolution des budgets des grandes puissances dans ce secteur.

budgets publics consacrés à l’espace

(en millions d’euros)

2004

2005

2006

2007

2008

Etats-Unis

25800

32900

32300

31800

32350 dont 18 500 pour le Department of Defense

Russie

750

750

550

660

705 (part militaire inconnue)

Chine (1)

1500

2000

2000

2000

2000 (part militaire inconnue)

Japon

2252

2 021

2 070

2023

2100 dont 300 pour les programmes militaires

Royaume-Uni

315

314

290

305

500 dont 285 pour les programmes militaires

Allemagne

1025

760

60

950

1000 dont 75 pour les programmes militaires

Italie

1100

900

960

795

850 (part militaire inconnue)

France (2)

402

469

489

469

393 de programmes militaires

(1) Estimations

(2) Les sommes correspondent aux crédits de paiement votés en loi de finances initiale et correspondent aux seules dépenses en matière d’espace militaire

Une action éventuelle en matière de défense antimissile pose débat. La protection parfaite d’un vaste territoire contre toute attaque balistique est illusoire. Il est en effet hors de portée même de la puissance américaine de se doter de moyens de défense permettant de contrer une agression reposant sur la saturation de l’espace aérien par l’envoi de missiles en nombre très important. Toutefois, même si l’objectif final ne peut être atteint, il n’en reste pas moins vrai que les recherches et les technologies développées dans le cadre d’un tel programme pourront être utilisées dans d’autres domaines. Un investissement en recherche et développement est nécessaire pour que la France ne soit pas distancée technologiquement.

Les risques liés à l’acquisition par un groupe terroriste d’armements radiologiques, biologiques ou chimiques rendent nécessaire le développement d’équipements de détection et d’alerte afin de protéger au mieux les grands rassemblements. L’action de la France dans ce domaine est insuffisante à l’heure actuelle.

La participation croissante à des opérations multinationales et interarmées conduit à doter les forces armées françaises de systèmes de communication performants, intégrés et dont l’interopérabilité est garantie avec ceux de nos partenaires, notamment les Etats-Unis. Deuxième considération, la protection des systèmes existants doit être renforcée, l’augmentation de l’intégration donc de la complexité des systèmes actuels conduisant à accroître leur vulnérabilité.

Autre besoin majeur du terrain, la protection des troupes engagées dans des conflits asymétriques. Les programmes antérieurs envisageaient principalement des attaques utilisant des moyens technologiques avancés, et ont quelque peu négligé la défense des forces au sol contre des armes peu évoluées comme les bombes artisanales. La poursuite du programme de véhicule blindé de combat d’infanterie et celui de fantassin à équipement et liaisons intégrées améliorent en partie la situation des troupes françaises dans ce domaine. D’autres équipements permettraient toutefois de réduire le nombre de pertes humaines, de moins en moins tolérées par les opinions publiques.

Enfin, la France doit absolument investir d’avantage en matière de drones. Utiles en matière de renseignement mais également d’engagement et de combat, ces matériels seront sans nul doute utilisés de manière croissante sur les théâtres futurs. Ils permettent de remplir des missions diverses et suppriment le risque de pertes humaines. A l’heure actuelle, un drone de reconnaissance au contact et un système de drone tactique intégré sont opérationnels. Un drone de reconnaissance au rayon d’action plus important est développé avec difficulté dans le cadre du programme EuroMALE qui associe six pays européens dont la France. En attendant la disponibilité de ce dernier matériel, des produits américains et israéliens sont utilisés dans toutes les armées d’Europe, dont l’armée française. Des projets communs ont été initiés en Europe, comme le démonstrateur de drone nEUROn, et doivent être poursuivis sous peine de voir les armées du continent dépendre de fournisseurs étrangers dans ce domaine stratégique.

IV – LE BUDGET 2008

Face au renouvellement des menaces pesant sur la sécurité de la France, des décisions majeures doivent être prises pour réorienter l’effort de défense des années à venir. Le cadre annuel du budget 2008 n’est pas approprié pour de telles décisions qui pèseront sur le long terme. En attendant les exercices pluriannuels à venir, les crédits affectés à la défense doivent être maintenus à un niveau suffisant pour garantir que les forces armées pourront remplir efficacement leurs missions. Avec un montant 36,8 milliards d’euros en crédits de paiement et 35,9 milliards en autorisations d’engagement, le budget pour 2008 maintient les dépenses de défense à un niveau proche de celui des précédents budgets, qu’il faut examiner hors pensions pour obtenir un périmètre comparable. Dernier budget avant une refonte de l’appareil de défense français, le budget pour 2008 s’efforce de ne pas porter atteinte au statut international de la France et de laisser ouvertes toutes les perspectives pour l’avenir.

A – Un budget d’attente

La France ne peut maintenir sa place dans le concert des Nations si elle ne dispose pas des moyens de ses ambitions. Ceux-ci impliquent un investissement suffisant en faveur de la défense et des dépenses d’avenir d’un niveau suffisant.

1) Le maintien de l’effort financier en faveur de la défense

Les comparaisons internationales impliquent d’utiliser des normes comptables comparables. En matière de dépenses, il est d’usage d’utiliser les normes de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord. Celles-ci s’efforcent de cerner au mieux l’effort de défense en excluant les pensions des militaires et en ne prenant en compte qu’une partie des dépenses de gendarmerie.

L’effort financier de la France en faveur de la défense est maintenu depuis quelques années à un niveau d’environ 1,7% du produit intérieur brut en données comparables avec les autres pays membres de l’OTAN. Le maintien à ce niveau des dépenses de défense permet à la France de tenir son rang, mais reste inférieur aux 2% du produit intérieur brut que le Royaume-Uni consacre à sa défense et que le Président de la République avait fixés comme référence.

EVOLUTION DES DEPENSES DE DEFENSE (1)

DEPUIS 2002

en millions d’euros PPA courante pour le PIB (3)

Dépenses de défense

1998 

1999 

2000 

2001 

2002 

2003 

2004 

2005

2006 

2007

prévisions

France (2)

                   

M€ PPA courants

24 416

24 889

24 800

24 920

25 883

27 462

29 060

28 645

30 098

30 566

part dans le PIB

1,84%

1,82%

1,72%

1,66%

1,67%

1,72%

1,75%

1,68%

1,68%

1,65%

Allemagne

                   

M€ PPA courants

21 238

21 679

22 229

22 048

22 996

23 198

23 632

23 246

24 063

24 588

part dans le PIB

1,17%

1,17%

1,16%

0,93%

1,14%

1,12%

1,09%

1,05%

1,02%

1,01%

Royaume-Uni

                   

M€ PPA courants

31 216

30 816

32 237

33 392

35 151

36 027

37 063

37 938

38 680

40 127

part dans le PIB

2,48%

2,36%

2,34%

2,32%

2,27%

2,26%

2,20%

2,18%

2,08%

2,07%

Etats-Unis

                   

M€ PPA courants

245 006

251 149

265 563

271 125

309 029

363 152

411 829

414 196

445 051

412 170

part dans le PIB

3,02%

2,92%

2,96%

2,98%

3,28%

3,66%

3,84%

3,68%

3,76%

3,34%

Russie

                   

M€ PPA courants

nd.

nd

nd

nd

8 400

12 300

12 100

15 900

19 200

24 000

part dans le PIB

nd

nd

nd

nd

2,6%

2,6%

2,7%

2,7%

2,7%

2,6%

Chine (4)

                   

M€ courants

nd

nd

nd

nd

16 059

17 630

19 680

23 220

27 630

35 420

part dans le PIB

nd

nd

nd

nd

1,73%

1,4%

1,38%

1,35%

1,42%

1,53%

(1) Dépenses de défense hors pensions, les trois partenaires de la France n’ayant pas de forces de sécurité comptabilisées dans leurs dépenses de défense, la France ne retient que le coefficient d’activité militaire des forces de sécurité, soit 5% des dépenses de la gendarmerie(2) Il s’agit de l’ensemble des crédits votés par le Parlement en cours d’année (LFI, décrets d’avance, loi de finances rectificative, annulations). (3) Les budgets de défense sont calculés en monnaies courantes (indices nationaux) convertis en euros en utilisant le taux de PPA annuel par rapport à la France (ce taux permet de comparer plusieurs pays se prenant pour référence un Etat et en se basant sur son niveau économique donné par le PIB afin de déterminer le pouvoir d’achat d’un autre Etat par rapport à lui – ce taux est calculé par l’OCDE en fonction des PIB). (4) Il s’agit de chiffres officiels, une correction possible conduirait à multiplier par 1,4. Par ailleurs, une prise en compte de l’effet des niveaux différents de pouvoir d’achat pourrait conduire à une autre multiplication de ces montants, par cinq environ.

Source : Mémorandum statistique de l’OTAN - édition juin 2007

DEPENSES DE DEFENSE PAR HABITANT

EVOLUTION DEPUIS 1998

en dollars PPA

 

1998

1999

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

France

667

645

557

544

591

740

849

842

862

925

Allemagne

404

397

343

333

356

425

461

461

460

493

Royaume-Uni

637

622

605

596

636

724

820

886

910

1018

Etats-Unis

993

1 006

1 069

1 096

1 237

1 426

1 581

1 696

1 800

1 681

Chine

30

31

33

34

40

58

67

79

93

nd

Russie

367

347

358

319

354

448

414

405

415

nd

Source : Mémorandum statistique de l’OTAN - édition juin 2007 et International Institute for Strategic Studies ; Organisation pour la coopération et le développement économique et Institut national de la statistique et des études économiques pour les populations. Les dépenses de défense intègrent la gendarmerie et les pensions. Les chiffres chinois ont été convertis en parité de pouvoir d’achat et diffèrent dès lors des chiffres officiels.

D’autres méthodes comparatives permettent d’apprécier différemment la réalité des dépenses de défense dans le monde, en intégrant les données d’autres pays. Des études montrent ainsi qu’en 2006, les quinze premiers budgets de défense du monde représentent un total de plus de 1000 milliards de dollars. Sur ce total, la part américaine est majeure, puisque le budget des Etats-Unis représente à peu près la moitié de cette somme.


Sources : Mémorandum statistique de l’OTAN, « The military balance » de l’International Institute for Stratégic Studies

2) Le respect des grands équilibres

Afin de préparer l’avenir, les dépenses en capital ne doivent pas tomber en dessous d’un certain niveau. Là encore, la France fait partie des Etats investissant le plus dans le domaine de la défense. Le budget 2008 ne rompt pas avec cette tradition.

DEPENSES DE FONCTIONNEMENT – DEPENSES DE CAPITAL

COMPARAISON DEPUIS 2002

(en millions d’euros PPA constants 2007 part dans le PIB)

Dépenses de fonctionnement

2002

2003

2004

2005

2006

2007

prévisions

France(2)

18 718

18 804

19 270

18 576

19 101

19 295

Allemagne

20 031

19 884

19 294

19 318

18 589

18 267

Royaume-Uni

28 712

29 621

28 668

28 842

28 956

29 003

Etats-Unis

243 563

291 895

318 306

337 104

325 594

285 115

Russie

6 000

9 100

9 300

9 700

11 500

13 400

Japon

28 600

29 400

31 230

31 020

29 110

n. c.

Chine (4)

n. p.

n. p.

n. p.

n. p.

n. p.

n. p.

Dépenses de capital

2002

2003

2004

2005

2006

2007

prévisions

France (2)

9 574

10 660

11 421

11 160

11 449

11 271

Allemagne

6 153

5 871

5 973

5 691

5 910

6 321

Royaume-Uni

10 043

9 798

10 250

10 162

10 424

11 124

Etats-Unis

104 230

106 522

116 232

120 420

127 502

127 055

Russie

2 300

3 200

2 800

6 200

7 700

10 600

Japon

10 600

10 500

10 500

10 400

9 090

n. c.

Chine (4)

n. p.

n. p.

n. p.

n. p.

n. p.

n. p.

(1) Dépenses de défense hors pensions, les trois partenaires de la France n’ayant pas de forces de sécurité comptabilisées dans leurs dépenses de défense, la France ne retient que le coefficient d’activité militaire des forces de sécurité, soit 5% des dépenses de la gendarmerie(2) Il s’agit de l’ensemble des crédits votés par le Parlement en cours d’année (LFI, décrets d’avance, loi de finances rectificative, annulations). (3) Les budgets de défense sont calculés en monnaies courantes (indices nationaux) convertis en euros en utilisant le taux de PPA annuel par rapport à la France (ce taux permet de comparer plusieurs pays se prenant pour référence un Etat et en se basant sur son niveau économique donné par le PIB afin de déterminer le pouvoir d’achat d’un autre Etat par rapport à lui – ce taux est calculé par l’OCDE en fonction des PIB). (4) L’opacité du budget chinois de la défense ne laisse que transparaître la répartition suivante, identique d’une année sur l’autre à quelques centièmes près : 30% des dépenses de défense liés au personnel, 30% au fonctionnement, 40% pour l’équipement.

Source : Mémorandum statistique de l’OTAN - édition juin 2007

Avec environ 64 % de ses dépenses consacrées au fonctionnement en 2007, la France se place à peu près au niveau des Etats-Unis (69 %). Les chiffres russes sont des estimations (55 % des dépenses seulement seraient consacrées au fonctionnement, dépenses de personnel comprises). Le Royaume-Uni et l’Allemagne en revanche consacrent plus de 70 % de leurs dépenses de défense au fonctionnement de leurs armées.

Les dépenses pour 2008 en faveur des équipements laissent à penser que le niveau moyen des dépenses en capital sera maintenu.

B – Un budget de transition

Le niveau global des dépenses en faveur de la défense et leur répartition entre dépenses de fonctionnement et dépenses d’équipement sont globalement préservés. Le budget de 2008 ne traduit pas d’orientations claires en matière de politique de défense, et souffre dès lors d’un certain nombre d’inerties.

Ainsi, parallèlement à l’effort fourni pour maintenir la France parmi les grandes puissances militaires occidentales, le ministère de la défense participe à l’objectif interministériel de diminution du nombre de fonctionnaires. Une baisse de 6 037 emplois, soit 3 037 équivalents temps plein travaillé, est décidée, dont 621 civils et 2 416 militaires. Conforme aux objectifs du gouvernement et en accord avec les conclusions de la revue générale des politiques publiques, cette diminution ne doit pas à terme mettre en péril l’efficacité des forces françaises. Le budget 2008 prévoit la suppression de 1933 équivalents temps plein travaillé pour le programme n°178 de la mission (Préparation et emploi des forces) et seulement 109 pour le programme n°212 (Soutien de la politique de défense).

Le présent rapport donne des pistes pour repenser l’interarmisation et envisager une restructuration profonde des fonctions support. En effet, le ratio entre personnels de support et personnels opérationnels, actuellement de 62 % / 38 % (6), n’est pas satisfaisant. Pour autant, la solution privilégiée par le Royaume-Uni, qui consiste à externaliser la gestion de la majeure partie des services périphériques n’a qu’un intérêt financier de court terme, et s’avère coûteuse in fine. Il conviendrait plutôt de définir au mieux les besoins et d’éviter les dépenses inutiles.

Concernant les surcoûts liés aux opérations extérieures, 352 millions d’euros sont demandés en autorisations d’engagement (360 en crédits de paiement) alors que les estimations de surcoût effectif pour 2007 dépassent les 600 millions d’euros. Il est évident que l’estimation exacte de ces sommes est très difficile par nature. Toutefois, un tel écart en l’absence de toute perspective de retrait des troupes françaises de quelque théâtre que ce soit rendra inéluctable une révision en cours d’année. L’effort qu’a représenté la création d’une ligne budgétaire réservée aux opérations extérieures est important et permet un meilleur contrôle du Parlement, il convient toutefois d’essayer dans la mesure du possible d’en accroître le réalisme.

Le budget pour 2008 fait preuve, en matière d’équipement, d’une certaine transparence. Il fait clairement apparaître que le montant des crédits dédiés aux équipements sera inférieur d’environ 250 millions d’euros à ce que la loi de programmation militaire imposait (600 millions une fois ajoutées les obligations découlant de la loi d’orientation pour la sécurité intérieure).

A rebours de cette orientation, les débats actuels relatifs à la construction éventuelle d’un deuxième porte-avions restent flous. Les choix que cet investissement impliquerait seront difficiles parce qu’ils comprendront nécessairement l’abandon de certains programmes prévus. Le présent rapport a esquissé des pistes permettant de choisir entre les programmes les plus utiles et les équipements voués à répondre à une menace qui a disparu. Le budget 2008 n’effectue pas encore ces choix, en provisionnant les crédits pour un deuxième porte-avions sans être accompagné d’une déclaration expliquant où les ressources nécessaires seront trouvées.

CONCLUSION

Le vote du budget de la défense pour 2008 n’est pas le lieu du nécessaire réexamen de notre politique de défense. Dernière annuité d’une loi de programmation militaire, il permettra seulement de constater que celle-ci aurait dû introduire une réorientation de nos options stratégiques, qui ne s’est pas véritablement réalisée.

Les prochains exercices législatifs qui suivront la parution du Livre blanc dans les mois à venir doivent éviter deux écueils. L’absence de choix clair conduit à des dysfonctionnements aux conséquences graves, personne ne se trouvant en position de modifier des orientations dont il est désormais évident qu’elles ne sont pas toutes pertinentes. A l’inverse, un cadre trop précis prive de souplesse un instrument qui, dans le monde actuel, doit avant tout être réactif et s’adapter à des situations toujours plus diverses.

La France doit rester un membre éminent et exemplaire de la communauté internationale. Une telle position implique un effort important et continu en faveur de sa défense. Son ampleur, qui a toujours été maintenue jusqu’ici, n’est pas en cause. Il s’agit plutôt de clarifier l’objectif général et le cadre dans lequel il est fourni. Ces points exigent des prises de position claires, appuyées sur des analyses rigoureuses, soutenues par des faits concrets.

L’armée française doit être réorganisée. Cette réorganisation doit avoir pour but la sécurité de notre territoire et de notre population, non pas contre des adversaires théoriques mais contre les menaces bien réelles que le monde contemporain porte en germe. Le budget de la mission Défense pour 2008 ne ferme aucune perspective. Il ne porte en revanche aucun projet précis et remet aux prochains mois les décisions parmi les plus importantes pour l’avenir de la France.

EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa réunion du 7 novembre 2007, la commission a examiné les crédits de la mission « Défense » pour 2008.

Après l’exposé du rapporteur pour avis, un débat a eu lieu.

Le Président Axel Poniatowski a remercié le rapporteur pour la qualité de son exposé et pour son objectivité. Il a souligné la complémentarité entre les deux Livres blancs en préparation : l’un sur la défense, l’autre sur la politique étrangère de la France. Les moyens militaires et de défense doivent en effet servir les ambitions assignées à notre diplomatie. Puis il a déclaré partager l’analyse du rapporteur sur les programmes militaires en insistant sur l’absolue nécessité d’un second porte-avions, indispensable pour assurer notre présence politique dans différentes zones du monde. D’un point de vue stratégique, le choix se situe effectivement entre l’absence de porte-avions ou au moins deux bâtiments. Le Président Axel Poniatowski a également indiqué partager les observations du rapporteur sur les drones et sur l’importance du renseignement et de la sécurité des informations. A l’instar de ce dernier, il a ensuite fait part de son scepticisme quant à l’avenir de la politique européenne de défense estimant que mis à part le Royaume-Uni et la France – dont la somme des budgets de défense représente à elle seule environ la moitié du total des crédits consacrés à la défense par les 27 Etats membres de l’Union européenne – les pays européens ne semblaient pas vouloir, à ce stade, aller de l’avant. Le Président Axel Poniatowski a en revanche fait part de son désaccord avec l’analyse que le rapporteur a faite de la situation iranienne. Tout en respectant un point de vue qui n’est pas le sien, il s’est inscrit en faux contre l’amalgame consistant à affirmer que le bouclier anti-missile voulu par les américains en République tchèque et en Pologne est la cause de l’obstination iranienne à vouloir se doter de l’arme atomique. Les deux sujets doivent être dissociés. Mettant en garde contre un risque réel de prolifération nucléaire dans la région du Moyen-Orient, il a salué la fermeté occidentale et en particulier française sur le dossier iranien. Aucune menace ne justifie en effet que l’Iran devienne une puissance nucléaire.

Le rapporteur pour avis a alors précisé qu’il n’avait pas déclaré que le programme nucléaire iranien était une conséquence du bouclier anti-missile mais au contraire que les Américains prétextaient de la menace nucléaire iranienne pour imposer ce bouclier. Il est un fait que l’Iran est entouré d’Etats qui disposent de la technologie nucléaire militaire (Russie, Chine, Inde, Pakistan et Israël, sans compter la flotte américaine qui navigue dans les eaux voisines) ; or trois de ces pays l’ont obtenu en dehors du traité de non prolifération. Dans ces conditions, on peut comprendre que le Président iranien veuille se doter de l’arme nucléaire, et que le programme nucléaire ait été accéléré après l’invasion de l’Irak par les Etats-Unis. Les Iraniens veulent se doter de l’arme atomique, et ils l’obtiendront tôt ou tard et personne n’y pourra rien. Des bombardements mettraient le feu à la région, a fortiori si les Américains demandent à Israël d’intervenir. A cet égard, le rapporteur a qualifié de « répétition générale » le survol récent de la Syrie par l’aviation israélienne. Cet épisode est en effet troublant lorsque l’on sait que les systèmes syrien et iranien de défense anti-aérienne et anti-missiles sont identiques. Réagissant aux propos du Président Axel Poniatowski sur le risque de prolifération, le rapporteur a estimé que la prolifération était déjà une réalité. Elle a commencé le jour où des Etats comme Israël, le Pakistan et l’Inde se sont dotés de l’arme nucléaire sans que la communauté internationale ne réagisse pour les en empêcher. L’équilibre de la terreur provoqué par l’arme nucléaire a eu un effet stabilisateur en Europe. Aller à la guerre serait pire que tout. Le rapporteur a alors estimé que le véritable danger ne se situait pas en Iran mais au Pakistan, foyer d’accueil du terrorisme international. Il a déclaré qu’il n’y avait pas d’exemple d’expansionnisme du monde chiite alors qu’il existe un projet sunnite de révolution mondiale.

M. Jacques Myard s’est réjoui de l’analyse du rapporteur qui inscrit la défense au cœur de la stratégie des affaires étrangères. Il a déclaré partager l’idée que la défense européenne est une utopie et qu’elle ne se fera pas car les Etats-Unis ont instrumentalisé l’OTAN. C’est la raison pour laquelle la France n’a rien à gagner à réintégrer le commandement militaire de l’Alliance atlantique ; au contraire, cette décision nous ferait perdre cinquante ans d’indépendance politique et diplomatique. Pour autant, la France est bien évidemment l’allié des Etats-Unis et il est clair qu’il n’existe pas d’alternative à l’OTAN. Il s’est alors exprimé sur les pressions exercées par les Américains pour que le projet européen Galileo de navigation par satellite ne voit pas le jour. Après que nos partenaires ont cédé – en particulier les britanniques et les allemands – il a déploré que les Etats-Unis aient finalement réussi à obtenir, en cas de tensions internationales, les clés du système européen de transmission des données militaires. M. Jacques Myard a également regretté que le budget de défense ne représente que 1,7 % du PIB, ce qui n’est pas responsable au vu des menaces qui se développent. Il est évident que la situation internationale va aller en se dégradant. Les problématiques internes et externes sont de plus en plus interdépendantes au sein de notre village planétaire. Rappelant la proposition qu’il avait faite il y a quelque temps de la création en France, à l’échelon départemental, d’une « garde nationale » pour assurer la sécurité des personnes avec des moyens appropriés, il a estimé que le temps était désormais venu d’opérer de véritables choix pour faire face aux évolutions de la situation internationale.

M. Jean-Michel Boucheron, rapporteur pour avis, a rappelé que le lancement du projet Galiléo avait donné lieu à un bras de fer entre les Etats-Unis et l’Europe, à l’issue duquel cette dernière avait préservé l’essentiel. Les pressions américaines ont induit des retards dans la réalisation du projet Galiléo, qui se heurte encore à des difficultés financières, mais l’Europe disposera prochainement d’une capacité dans ce domaine.

Après avoir chaleureusement félicité le Rapporteur pour avis pour l’intérêt de sa présentation, M. Jean-Paul Lecoq a indiqué qu’il ne partageait pas ses conclusions considérant qu’il n’était pas nécessaire de préparer la guerre pour préparer la paix. L’opinion du rapporteur sur l’Iran mérite attention, tout comme sa vision de la Russie. Incontestablement, le peuple russe est singulier et ses réactions peuvent surprendre. Il faut faire preuve de vigilance à son égard et éviter toute provocation. La France doit faire attendre sa voix, à laquelle les Russes sont très attentifs.

S’il faut choisir entre ne posséder aucun porte-avions nucléaire et se doter d’un deuxième, M. Jean-Paul Lecoq s’est dit en faveur de la première option. Les problèmes sociaux auxquels la France est confrontée et son alignement diplomatique sur les positions américaines rendent finalement sans utilité un second porte-avions français. Il faudrait par ailleurs que la diplomatie française s’intéresse de plus près à la politique étrangère et de défense chinoise : on a tendance à ne voir la Chine que comme une menace d’un point de vue commercial, mais elle pourrait aussi s’avérer une puissance militaire redoutable.

M. Jean-Michel Boucheron, rapporteur pour avis, a conclu qu’il soutenait justement la construction d’un second porte-avions pour que la sécurité de notre pays ne soit pas entièrement dépendante des Etats-Unis.

Après que le rapporteur pour avis a indiqué qu’il s’abstiendrait, la commission a émis un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission « Défense » pour 2008.

*

* *

ANNEXE

Liste des personnalités entendues

Ministère de la défense

- Général Jean-Louis Georgelin, Chef d’Etat-Major des Armées

- M. Francis Delon, Secrétaire général de la Défense Nationale

- M. Pierre Brochand, Directeur Général de la Sécurité extérieure

- M. François Lureau, Délégué Général pour l’Armement

- M. Michel Miraillet, Directeur chargé des affaires stratégiques

- M. Alain Juillet, Haut Responsable chargé de l’intelligence économique

Ministère des affaires étrangères et européennes

- M. Philippe Carré, Directeur des affaires stratégiques, de sécurité et du désarmement

EADS

- M. Denis Verret, Directeur Délégué aux affaires publiques

Dassault Aviation

- M. Charles Edelstenne, Président Directeur Général du groupe Dassault Aviation

© Assemblée nationale

1 () En plus des membres fondateurs, la liste des pays parties à l’accord est la suivante : Italie, Royaume-Uni, Canada, Japon, États-Unis d'Amérique, Norvège, Australie, Suisse, Suède, Allemagne, Royaume-Uni, Japon, Hongrie, Pays-Bas, Finlande, Canada, Pologne, Argentine, République de Corée, Espagne, Danemark

2 () M. Hervé Morin, ministre de la Défense, devant la Commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée Nationale le 3 octobre 2007.

3 () Organisation Conjointe de Coopération en matière d’Armement créée par la Convention de Farnborough, en 1998 signée par la France, l’Allemagne, l’Italie, le Royaume-Uni.

4 () NAto HElicopter Management Agency, agence d’hélicoptères de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord créée en 1992 et responsable notamment du programme d’hélicoptère de transport NH-90.

5 () Voir aussi Jean-Pierre Maulny, « Les difficultés budgétaires de la défense », Notes Défense et Sécurité de l’IRIS n°11.

6 () M. Hervé Morin, ministre de la Défense, devant la Commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée Nationale le 3 octobre 2007.