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N
° 2861

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 14 octobre 2010.

AVIS

PRÉSENTÉ

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

SUR LE PROJET DE loi de finances pour 2011 (n° 2824),

TOME IV

DÉFENSE

par M. Jean-Michel BOUCHERON,

Député

Voir le numéro 2857 (annexes n° 10 et 11).

INTRODUCTION 5

I – EUROPE : DU DECROCHAGE À LA PERTE D’AUTONOMIE ? 7

A – UN CONSTAT : LE MONDE SE RÉARME, SAUF LES EUROPÉENS. 7

1) Des chiffres révélateurs 7

2) Le retard technologique européen 10

B – NI L’OTAN NI L’UE NE PEUVENT RELANCER LA DÉFENSE EUROPÉENNE 12

1) L’impasse communautaire 12

2) L’Alliance Atlantique en quête de redéfinition 14

3) La défense anti-missiles, un cas emblématique 16

C – L’EUROPE DE LA DÉFENSE PAR LES ETATS ET LES COOPÉRATIONS BILATÉRALES 18

1) Relancer la relation de Saint-Malo 18

2) La situation difficile de l’Allemagne 20

3) D’autres partenaires à choisir au cas par cas 21

II – LES MARGES DE MANœUVRE REDUITES DE LA FRANCE 23

A – DES ENGAGEMENTS MAJEURS QUI CONTRAIGNENT LES CHOIX 23

1) Dispositif extérieur : le poids des opérations en Afghanistan, la nouvelle présence militaire en Afrique 23

2) Le coût de la réintégration dans l’OTAN 26

B – LE MAINTIEN DES PRIORITÉS STRATÉGIQUES 27

1) Renseignement et lutte contre le terrorisme 27

2) Le démarrage des efforts en matière de guerre cybernétique 29

3) Le maintien à niveau de la dissuasion nucléaire 30

4) Transport tactique et aéromobilité de théâtre : la sortie du tunnel ? 31

C – DES INCERTITUDES CONCERNANT CERTAINS SECTEURS CLÉS 32

1) Drones : le choix américain par défaut 33

2) Les trous capacitaires dans le domaine spatial et le transport stratégique 34

3) Des dépenses d’équipement au détriment des programmes futurs ? 35

III – DES EQUILIBRES BUDGETAIRES QUI ENGAGENT L’AVENIR 37

A – LA POURSUITE DE LA RÉFORME DU MINISTÈRE 37

B – LES RESSOURCES EXCEPTIONNELLES ET L’AVENIR DE LA LPM 38

1) Des recettes très incertaines 39

2) Quel financement pour les budgets à venir ? 40

C – LA RÉUSSITE À L’EXPORTATION, CLÉ DE NOS BUDGETS D’ÉQUIPEMENT FUTURS 41

1) Un bilan global satisfaisant 41

2) Des contrats qui engagent l’avenir de certains programmes 43

CONCLUSION 45

EXAMEN EN COMMISSION 47

ANNEXE – Liste des personnalités rencontrées par le rapporteur 51

Mesdames, Messieurs,

La fin de l’année 2010 sera riche en événements aux conséquences stratégiques majeures pour la France. Le sommet franco-britannique du 2 novembre, le sommet des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Alliance Atlantique à Lisbonne les 19 et 20 novembre prochains, les restrictions parfois brutales des budgets de la défense de nos partenaires européens, tous ces éléments créent un contexte géopolitique nouveau.

A l’heure où toutes les grandes puissances modernisent leur outil de défense, l’Europe marque le pas. L’Union européenne, malgré l’adoption du traité de Lisbonne n’assume pas de responsabilités dans le domaine de la défense, la plupart des Etats membres voient sans regret leurs dépenses militaires se réduire année après année et les projets de coopérations se raréfient.

Une telle situation est porteuse d’un risque, désormais avéré, de perte d’autonomie. Le rattrapage technologique vis-à-vis des Etats-Unis étant désormais fortement compromis voire hors de portée, il est pourtant crucial que les Européens s’entendent pour définir quelques domaines dans lesquels ils souhaitent préserver leur liberté de décision. Seuls les Etats peuvent lancer les coopérations indispensables au maintien de cette autonomie stratégique minimale, et la France a un rôle éminent à jouer dans à ce titre.

Il est en effet impossible, pour notre pays, de prétendre assumer la modernisation de nos armées de manière purement nationale. Tous les domaines doivent pouvoir être ouverts à d’éventuelles coopérations. Il ne s’agit plus de mettre en place des partenariats stratégiques dans le but, souvent illusoire, de réduire les coûts. Il y va désormais du maintien du niveau technologique de nos armées, et de notre indépendance : sans partager certains programmes avec des partenaires de notre niveau, nous serons forcés, comme c’est déjà le cas, de recourir à des solutions développées par les principales puissances, notamment les Etats-Unis, sans garantie sur le retour technologique qui nous est assuré.

Le budget de la défense pour 2011 reflète ces incertitudes, tout en donnant les moyens aux armées de mettre en œuvre les réformes indispensables décidées depuis plusieurs années. Avec 38,4 milliards d’euros en crédits de paiement, et 42 milliards d’euros en autorisation d’engagement, il semble respecter globalement les prévisions effectuées dans le cadre de la loi de programmation militaire.

Pour l’essentiel, les postes de dépense sur lesquels aucune réduction n’est envisageable, compte tenu de l’état actuel de la menace que l’enlèvement de cinq compatriotes a récemment dramatiquement rappelé, sont préservés, notamment le renseignement, désormais défini comme la fonction « connaissance et anticipation » de nos armées.

Par ailleurs, les dépenses d’équipement font l’objet d’efforts marqués pour permettre l’exécution des grands programmes structurant pour notre outil de défense, dans les domaines clés des théâtres d’aujourd’hui, notamment le transport tactique et l’aéromobilité de théâtre. Nos moyens de dissuasion nucléaire bénéficient également des ressources indispensables à leur modernisation.

Le choix des dépenses privilégiées par le budget 2011 reprend les grandes décisions stratégiques actées depuis plusieurs années, qui visent à réduire le format de nos armées en améliorant leur niveau technologique. C’est dans les sources de financement que demeure l’incertitude. Pour de multiples raisons, la disponibilité des recettes tirées des cessions de fréquences et des ventes de biens immobiliers se révélera en 2011 plus indispensable que jamais. De la même manière, la vente de certains matériels à l’exportation doit être assurée, afin d’éviter de se trouver, d’ici quelques années, dans une situation particulièrement inconfortable vis-à-vis des industriels de la défense.

I – EUROPE : DU DECROCHAGE À LA PERTE D’AUTONOMIE ?

La part des dépenses militaires de l’Europe n’a cessé de décroître, depuis plusieurs années, alors même que les autres puissances s’engageaient dans d’importants programmes de modernisation et de développement de leurs outils de défense. Le contexte économique actuel ne permet pas d’espérer un changement et l’atténuation de ce décalage.

Face à cette situation, l’Union européenne s’avère incapable de lancer les projets structurants pour les équipements et les armées de demain. L’Alliance Atlantique, en pleine redéfinition à quelques jours d’un sommet de ses chefs d’Etats, apparaît pour ce qu’elle a toujours été : une organisation militaire dominée par les Américains, qui y imposent leurs choix stratégiques.

Afin d’éviter que le décrochage, bien réel, ne conduisent à une perte d’autonomie des Européens dans le domaine de la défense, il est indispensable que les Etats membres, au premier rang desquels la France et le Royaume-Uni, se lancent dans des coopérations bilatérales afin de préserver leur autonomie militaire.

A – Un constat : le monde se réarme, sauf les Européens.

La seule appréciation de l’effort de défense par les chiffres tend à montrer un recul du poids de l’Europe dans le monde. Sujette à critique, cette approche est toutefois confirmée par l’analyse des différences technologiques entre l’Europe et la première puissance militaire mondiale, les Etats-Unis.

1) Des chiffres révélateurs

Les chiffres (1) indiquent clairement que l’Europe n’a pas suivi l’évolution des dépenses militaires dans le monde. Celles-ci sont passées d’environ 1 100 à 1 500 milliards de dollars (constants) entre 1992 et 2009, soit une augmentation d’environ 40 %. Dans le même temps, les dépenses en Europe ont baissé, de 427 à 424 milliards de dollars sur la même période.

Tous les autres continents ont vu leurs dépenses augmenter considérablement : l’Asie et l’Afrique voient leur effort de défense pratiquement doubler sur la période, alors que les dépenses dans le Moyen-Orient et sur le continent américain augmentent respectivement de 50 % et 30 % entre 1992 et 2009. Le graphique suivant illustre ces chiffres : l’Europe n’a pas suivi le rythme de réarmement du monde, qui a commencé, au tournant du 21ème siècle, avec la fin de la période post-guerre froide et la dissipation de l’illusion d’un « nouvel ordre mondial » d’où la guerre serait bannie.

Ramenée au produit intérieur brut, la dépense militaire des pays européens reste, en tendance, inférieure à celle des principales puissances mondiales et régionales.

En-dehors de cas particuliers, comme le Japon où la Constitution limite la dépense militaire à 1 % du PIB, la plupart des Etats non européens dépensent plus que les membres de l’Union européenne pour leur défense, malgré des réductions importantes de leur effort de défense depuis les années 1990.

Les cas les plus emblématiques sont ceux des Etats-Unis, où la dépense militaire n’est jamais descendue en dessous de 3 % du PIB, alors qu’elle n’atteint ce chiffre qu’en Grèce, du fait principalement d’effectifs pléthoriques et du poids des retraites.

A l’inverse, si la Russie a considérablement réduit la part de la richesse nationale consacrée à la défense, elle a engagé, depuis quelques années, un effort considérable de mise à niveau de ses armées. Il est ainsi certain que plusieurs postes de dépenses en équipement, mais aussi, de recherche et développement ne subiront pas les effets de la crise actuelle. Il s'agit essentiellement de la modernisation de l’arsenal nucléaire (missiles intercontinentaux de type RS-24 et SS-27 Topol-M) ; de la finalisation de la constellation Glonass (GPS russe), du remplacement du parc aérien militaire à hauteur d’une centaine d’appareils (chasseurs et chasseurs bombardiers) et de la continuation du plan de modernisation du parc de blindés.

De la même manière, la Chine, avec un effort de défense représentant officiellement 2 % de son PIB de manière inchangée sur la période, voit en réalité ses dépenses fortement augmenter, du fait d’une croissance économique proche de 10 % par an. Depuis 1989, certains analystes estiment que l’augmentation du budget militaire chinois serait en réalité de 15 % par an, pour un total actuel compris entre 85 et 115 milliards de dollars, ce qui en ferait le deuxième budget mondial. A ce rythme, le budget chinois devrait rattraper celui des Américains dans dix ans.

Part de la dépense militaire en % du PIB

 

1993

2000

2003

2006

2007

2008

Union européenne

France

3,3

2,5

2,6

2,4

2,3

2,3

Royaume-Uni

3,5

2,4

2,5

2,4

2,4

2,5

Allemagne

1,9

1,5

1,4

1,3

1,3

1,3

Grèce

4,4

4,3

3,1

3,5

3,3

3,6

Italie

2

2

2

1,8

1,7

1,7

Espagne

1,7

1,2

1,1

1,2

1,2

1,2

Pays-Bas

2,2

1,6

1,6

1,5

1,5

1,4

Pologne

2,6

1,8

1,9

1,9

1,9

2

Suède

2,5

2

1,7

1,4

1,4

1,3

Principaux budgets non européens

Etats-Unis

4,5

3,1

3,8

3,9

4

4,3

Russie

5,3

3,7

4,3

3,6

3,5

3,5

Chine

2

1,8

2,1

2

2

2

Europe hors UE

Suisse

1,5

1,1

1

0,8

0,8

0,8

Norvège

2,7

1,7

2

1,5

1,5

1,3

Turquie

3,9

3,7

3,4

2,5

2,2

2,2

Asie

Japon

1

1

1

1

0,9

0,9

Corée du Sud

3,4

2,6

2,5

2,6

2,6

2,8

Taïwan

4,7

2,4

2,3

2

2

2,1

Inde

2,9

3,1

2,8

2,6

2,5

2,6

Pakistan

5,7

3,7

3,7

3,3

2,9

2,6

Australie

2,1

1,8

1,8

1,8

1,8

1,8

Amériques

Canada

1,8

1,1

1,1

1,2

1,2

1,3

Brésil

1,6

1,8

1,5

1,5

1,5

1,5

Venezuela

2,1

1,5

1,2

1,6

1,3

1,4

Moyen-Orient

Egypte

4,3

3,2

3,3

2,7

2,5

2,3

Israël

11,6

7,8

8,6

7,6

7,2

7

Arabie Saoudite

12,5

10,6

8,7

8,3

9,2

8,2

Syrie

6,7

5,5

6,3

4,4

4,1

3,4

L’Europe apparaît donc, singulièrement, comme la seule zone géographique poursuivant une logique de désarmement. Les conséquences de la crise économique récente sur les finances publiques renforcent le risque de décrochage européen dans le domaine militaire.

La hiérarchie des dépenses militaires reste donc largement inchangée, le budget américain dépassant de cent milliards de dollars la somme des onze suivants.

Dépenses de défense en milliards de dollars courants (2009)

2) Le retard technologique européen

Au-delà des montants consacrés chaque année par les différentes puissances à leurs armées, la qualité de la dépense, et ses résultats en termes d’avance technologique, sont loin d’être favorables à l’Europe. Ainsi, le réarmement du monde se traduit par un niveau très important des dépenses d’équipement dans le domaine militaire.

Estimation des dépenses d'équipement en 2009 (en milliards de dollars)

Par ailleurs, la comparaison de l’effort européen de recherche avec le niveau des crédits consacrés à ce domaine par les Américains révèle un décrochage technologique réel.

Montant des budgets de recherche-développement militaire en 2008, en milliards d’euros

En chiffres bruts, les dépenses de recherche américaines dans le domaine de la défense sont sans commune mesure avec les dépenses européennes, les Etats-Unis consacrant plus de 50 milliards d’euros aux budgets de recherche et développement en 2008 contre 8,4 milliards pour l’Europe dans son ensemble (2). En matière de recherche et technologies, notion plus proche de la R&D dans le civil, l’avance américaine est également considérable, le budget annuel américain (7,3 milliards d’euros en 2008) représentant près du triple de celui de l’Europe (2,5 milliards d’euros) (3). La structure des budgets russes et chinois ne permet pas une présentation des dépenses de recherche militaire.

Plus précises, des études ciblant précisément le retard technologique européen révèlent également un décrochage par rapport aux Etats-Unis. Seulement 45 % des technologies sont à un même stade de développement en Europe et aux Etats-Unis (24 % en France).

Au contraire, 13 % des technologies n’ont pas encore quitté les laboratoires européens, alors qu’elles sont déjà disponibles en environnement opérationnel aux Etats-Unis (31 % pour la France). 15 % des technologies européennes fonctionnent dans un environnement seulement représentatif de l’environnement opérationnel, alors qu’elles sont disponibles en environnement opérationnel aux Etats-Unis.

Pour 19 % des technologies stratégiques étudiées (environ 600 technologies considérées comme cruciales pour les systèmes d’armes futurs), un fossé technologique peut se produire au détriment de l’Europe. En effet, les technologies sont aux portes de l’environnement opérationnel aux Etats-Unis, alors qu’elles ne sont pas encore sorties des laboratoires européens. La plupart de ces technologies passeront dans un avenir plus ou moins proche au stade opérationnel aux Etats-Unis au profit d’un nouveau programme d’armement ou d’un programme en cours. L’écart budgétaire entre les Etats-Unis et l’Europe représente un risque majeur d’aggravation de ce retard, d’autant que l’éclatement des dépenses de défense entre les Etats européens provoquent de nombreuses redondances, et réduit donc les capacités de rattrapage de l’Europe.

Le retard technologique européen est particulièrement marqué dans les domaines suivants : composants électroniques ; systèmes électromagnétiques intégrés multi-fonctions ; armes à énergie dirigée (laser ou micro-onde forte puissance) ; défense anti-missiles balistiques (alerte et neutralisation) ; furtivité ; opérations en réseaux (fusions multi-senseurs et multi-plateformes).

La position actuelle de l’Europe vis-à-vis du reste du monde est donc source d’inquiétudes, portant notamment sur la capacité des Européens à assurer de manière autonome leur propre sécurité dans le futur. Face à ce défi, force est de constater que les deux institutions intéressées à la défense de l’Europe, l’Union européenne comme l’OTAN, n’ont pas apporté les preuves de leur efficacité pour bâtir une défense européenne.

B – Ni l’OTAN ni l’UE ne peuvent relancer la défense européenne

Le retard accumulé par les Européens, tant en volume que dans le niveau technologique de leurs outils de défense, ne peut être résorbé par des actions purement nationales. Mais les deux organisations sur laquelle la stratégie française pour une défense européenne est fondée, à savoir l’Union européenne et l’Alliance Atlantique, rencontrent aujourd’hui de grandes difficultés. D’autres moyens devront donc être employés pour développer les coopérations indispensables au maintien de notre autonomie de défense.

1) L’impasse communautaire

Depuis l’adoption du traité dit de Lisbonne, l’Union européenne dispose d’instruments juridiques renforcés dans le domaine de la sécurité et de la défense. La politique de défense et de sécurité commune peut désormais s’appuyer sur l’agence européenne de défense, créée en 2003 et reconnue par le traité sur l’Union européenne de 2009, ainsi qu’un mécanisme juridique nouveau, la coopération structurée permanente.

Malgré ces avancées, aucun projet concret structurant n’est actuellement envisagé dans le cadre communautaire. Après deux présidences pour lesquelles les questions de défense n’étaient pas une priorité, la présidence espagnole s’est efforcée de prolonger les initiatives lancées par la présidence française de l’Union européenne : l’Erasmus militaire ; la création d’une flotte européenne de transport aérien, dotée d’un commandement européen commun ; le programme européen de modernisation d’hélicoptères ; l’initiative d’interopérabilité aéronavale européenne ; le programme de déminage maritime ; le programme de drones de surveillance ; le programme de mise en réseau des systèmes de surveillance maritime existants ; la coopération dans le domaine des forces spéciales.

Toutefois, ces projets présentent des états d’avancement très différents. Si le programme d’échanges d’officiers et d’élèves officiers – Erasmus militaire – fait l’objet d’un calendrier ambitieux, la plupart des autres programmes sont soutenus par quelques Etats membres, et accompagnent plus qu’ils ne structurent des coopérations déjà existantes, comme c’est le cas pour la coopération dans le domaine de transport aérien, qui n’interviendra qu’une fois livré l’avion de transport militaire A400M.

Au-delà de ces projets, imaginés il y a plus de deux ans, les nouveautés introduites par le traité de Lisbonne sont un échec et n’ont pas permis de dépasser les limites traditionnelles de l’Union européenne dans le domaine de la défense. Ainsi, l’agence européenne de défense, malgré des moyens plus importants dans le domaine de la recherche et technologie (172 millions d’euros en 2009 soit plus du double du budget de 2007), n’a pas hérité de nouveaux programmes majeurs depuis l’adoption du plan de développement des capacités de 2008, dont les douze secteurs ont fait l’objet d’une révision en 2009 afin de concentrer l’activité de l’AED sur trois d’entre eux : partage d’informations, systèmes de lutte contre les missiles de courte portée lancés du sol par un tireur isolé, lutte contre les engins explosifs improvisés.

L’arrivée d’un nouveau directeur, toujours en attente de nomination, pourrait aider à relancer certains pans de l’activité de l’agence, mais il n’est pas prévu, à l’heure actuelle, de lui confier un programme de grande ampleur dans un avenir proche.

En plus de la reconnaissance de l’agence européenne de défense, le nouveau traité sur l’Union européenne prévoit, aux articles 42 et 46, la mise en place d’une coopération structurée permanente (CSP) entre les Etats « qui remplissent des critères plus élevés de capacités militaires et qui ont souscrit des engagements plus contraignants en la matière en vue des missions les plus exigeantes ». Conçue comme une coopération renforcée exclusivement réservée au domaine de la défense, la CSP peine pourtant à émerger.

Certains Etats membres, dont la France, forts d’une position avancée dans le domaine militaire, souhaitent faire de la CSP un instrument exclusif permettant d’inciter les autres à accroître leurs efforts de défense. D’autres Etats membres s’efforcent, au contraire, d’assouplir la définition des critères de capacités militaires requis, ce qui autoriserait pratiquement tous les Etats à participer à cette coopération, vidant de son sens l’intention des rédacteurs du traité.

La Belgique, qui exerce actuellement la présidence de l’Union européenne, s’est engagée à faire aboutir ces discussions, mais un compromis sera très délicat à trouver. La position de l’Union européenne, qui apparaît très en retrait dans le domaine de la défense, s’illustre également par des initiatives récentes concernant le marché des équipements de défense.

Faisant suite à une initiative de la présidence suédoise adoptée lors du conseil Affaires générales et relations extérieures des 16 et 17 novembre 2009, un projet de « level playing field » (4) vise à renforcer l’égalité des chances des entreprises dans le secteur de la défense, dans le cadre de la directive sur les marchés publics de défense, notamment en favorisant la concurrence et en limitant la portée du régime d’exception, créé par l’article 346 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, pour le marché des matériels de guerre. C’est la porte ouverte aux filiales européennes d’entreprises américaines sans contrepartie outre-Atlantique.

Plusieurs industriels, notamment français, redoutent que ce texte, et sa transposition par les Etats membres, n’ouvre la voie aux concurrents de l’industrie européenne, notamment les entreprises américaines, qui bénéficient pour leur part d’un marché national de défense très difficile à pénétrer. En refusant de prendre en considération l’origine nationale des entreprises appelées à concourir à un appel d’offres, le risque est grand, en effet, que des sociétés agissant pour le compte d’industries étrangères ne bénéficient d’un traitement égal aux concurrents européens, sans que cette situation ne soit réciproquement appliquée dans d’autres régions du globe.

Alors même que la position des Européens dans le concert des puissances mondiales semble toujours moins importante, l’Union européenne n’est pas en mesure d’apporter les initiatives permettant de garantir l’autonomie militaire de l’Europe. Parallèlement, l’Alliance Atlantique apparaît plus occupée à réactualiser ses missions et ses objectifs, et à rationaliser son fonctionnement, contexte qui n’est pas propice à la mise en place de stratégies structurantes.

2) L’Alliance Atlantique en quête de redéfinition

A la veille d’un nouveau sommet des chefs d’Etats et de gouvernements, les 19 et 20 novembre prochains à Lisbonne, l’Alliance Atlantique doit apporter des réponses à des questions de fond concernant son avenir.

Mandaté par les chefs d’Etats lors du précédent sommet de Strasbourg – Kehl en 2009, un groupe de douze experts, présidé par l’ancienne Secrétaire d’Etat américaine Madeleine Albright, a rendu un rapport en mai 2010. Plusieurs questions restent en suspens à l’heure actuelle.

D’abord, l’équilibre entre les missions de protection du continent européen et la projection de forces hors du territoire de l’Alliance Atlantique. Certains Etats souhaitent recentrer l’OTAN sur sa mission de sécurité collective, issue de l’article 5 du traité de Washington, mais la possibilité d’intervenir dans des crises internationales devrait être maintenue.

En deuxième lieu, la possibilité d’élargir l’OTAN à de nouveaux membres continue de faire débat. Si les ambitions d’OTAN « globale », réunissant toutes les démocraties de la planète, ne semblent pas d’actualité, les engagements pris lors du sommet de Bucarest concernant l’adhésion de l’Ukraine et de la Géorgie devront être précisés. L’accession au pouvoir de Dmitri Ianoukovitch en Ukraine semble reporter la possibilité d’intégrer ce pays à l’OTAN, le nouveau président n’en faisant plus une priorité. Concernant la Géorgie, aucun engagement nouveau n’a été proposé dans le cadre du rapport d’experts. L’adhésion de ces deux pays semble définitivement abandonnée au profit d’un rapport de coopération avec la Russie, évidemment plus pertinent.

En troisième lieu, la possibilité de doter l’OTAN de moyens d’action civils, afin de permettre à l’organisation de réaliser l’ensemble des opérations de gestion de crises, devra être examinée. A l’heure actuelle, l’Union européenne bénéficie sans doute de capacités supérieures dans ce domaine.

Enfin, des débats importants sont actuellement en cours concernant la position de l’OTAN vis-à-vis de la dissuasion nucléaire. Plusieurs Etats européens, dont l’Allemagne, souhaitent que l’Alliance s’engage en faveur de « l’option zéro », qui vise à une disparition progressive des armes nucléaires. Il se confirme que la tentation neutraliste et antinucléaire des Verts allemands s’exprime aujourd’hui avec autant de vigueur par la voix des libéraux. Pour d’autres, dont la France, la dissuasion nucléaire reste un élément essentiel de l’architecture de défense européenne.

En plus de la redéfinition de sa nature et de ses missions, l’Alliance Atlantique doit décider de l’avenir de son organisation, l’OTAN, qui traverse aujourd’hui une grave crise financière. Plus de 10 milliards d’euros de projets d’investissements capacitaires se sont accumulés et restent aujourd’hui en attente de financement, alors que le budget annuel d’investissement (Nato security investment programme - NSIP) de l’Alliance s’élève entre 650 et 700 millions d’euros. En 2010, le NSIP présente un déficit prévisionnel d’au moins 296 millions.

Les arbitrages budgétaires décidés en 2010 ont abouti à des économies importantes qui se traduisent essentiellement par des reports de dépenses au-delà de 2015 ; à hauteur de 1,5 milliards d’euros. Une contribution exceptionnelle a été demandée par ailleurs aux Alliés en 2010 pour combler le déficit du NSIP, ce qui représente 33 millions d’euros pour la France.

Ce contexte de difficultés financières a conduit l’OTAN à réfléchir à une réforme d’ampleur de son fonctionnement, sur trois volets. La réforme du siège doit ainsi simplifier la préparation et la mise en œuvre des décisions du conseil et du comité militaire en mutualisant l’expertise des personnels civils et militaires. Il est envisagé de regrouper l’état-major international et le secrétariat international début 2011. Près de 300 comités et sous-comités existent au siège de l’OTAN. Des études pour réduire leur nombre sont en cours. Les premiers résultats des travaux permettent d’envisager une diminution de moitié de l’ensemble.

En deuxième lieu, les quatorze agences de l’OTAN, qui œuvrent dans des domaines très variés, devraient être réorganisées pour aboutir à la constitution de trois pôles : « acquisition », « logistique » et « communication ».

Enfin, l’imposante structure de commandement de l’OTAN devrait être allégée. L’objectif affiché est une réduction importante du nombre des états-majors, avec une baisse des effectifs de l’ordre de 40%, 8 000 hommes contre 13 500 actuellement. La France estime que le nombre d’états-majors opérationnels pourrait être ramené de 13 à 8.

Confrontée à des interrogations essentielles, l’Alliance Atlantique souffre par ailleurs d’un déséquilibre croissant entre les Etats-Unis et les autres membres, ce qui interdit de voir dans l’OTAN l’organisation à même d’offrir à l’Europe les clés de son indépendance.

3) La défense anti-missiles, un cas emblématique

A l’heure actuelle, l’OTAN poursuit un programme visant à doter l’Alliance d’une capacité de défense anti-missiles de théâtre, correspondant à une menace balistique de moins de 3 000 km de portée. L’essentiel des investissements, estimés à 833 millions d’euros sur dix ans, dont 97 millions d’euros pour la France, visent à développer des outils de commandement et de contrôle communs, permettant de raccorder les systèmes nationaux existants, tant capteurs qu’intercepteurs.

Toutefois, les Etats-Unis, suite à l’abandon des implantations tchèque et polonaise du système anti-missiles américain annoncé par le Président Obama le 17 septembre 2009, militent activement pour doter l’OTAN d’un système de défense anti-missiles dite « de territoire », censée protéger des menaces balistiques de plus de 3 000 km de portée.

Relancé en 1983 par le président Reagan sous la forme d’une nouvelle « guerre des étoiles », le concept de bouclier anti-missiles a subi, depuis lors, une série de transformations aux Etats-Unis. Après une réduction importante des objectifs, désormais limités à l’interception d’un faible nombre de missiles, la publication, le 1er février 2010, d’un rapport mandaté par le Congrès sur la défense anti-missiles balistiques a permis de préciser les intentions américaines dans ce domaine après en avoir souligné les nombreux échecs techniques.

Désormais, en plus du développement des moyens d’interception contre les missiles de portée inférieure à 1 500 km, les Etats-Unis disposent de trois systèmes de défense contre les moyens balistiques, dont deux (les missiles SM3 embarqués sur frégates Aegis et les missiles GBI, basés au sol) sont déjà déployés. Forts de cette avance déterminante, les Américains souhaitent impliquer l’OTAN dans la mise au point d’une défense anti-missiles couvrant le territoire européen.

La France dispose de certaines capacités en matière de défense anti-missiles de théâtre, comme les intercepteurs Aster ou le démonstrateur Spirale. Par ailleurs, elle développe un programme de détection et d’alerte avancée, reposant sur un des radars de très longue portée, basés au sol, et un segment satellitaire, utilisant le retour d’expérience du démonstrateur Spirale. Ce programme, dont la finalisation n’interviendra pas avant 2020, représente un investissement global de 894 millions d’euros, dont 720 millions pour la mise en orbite du système satellitaire définitif, et 174 millions d’euros pour la partie radars. Toutefois, ce système n’est pensé qu’en complément de la dissuasion nucléaire, la France ne pouvant compter que sur des intercepteurs protégeant contre des attaques de missiles de moins de 600 kilomètres de portée, à tête non largable.

Si la France dispose donc de moyens en matière de défense anti-missiles de théâtre, la prédominance américaine en matière de défense de territoire est écrasante. Le souhait exprimé par les Américains est de faire participer l’OTAN à la mise en place, en Europe, du système Phase adapted approach, qui vise au déploiement, en quatre temps, de matériels développés aux Etats-Unis, notamment des missiles SM3, afin de lutter contre une attaque balistique iranienne.

La participation de l’OTAN à un système anti-missiles couvrant le territoire européen impliquerait nécessairement, en l’état, un financement par l’Europe d’un programme bénéficiant presque totalement aux industriels américains, et dont le contrôle serait assuré par les Etats-Unis. Contrairement à la France, qui développe des moyens nationaux de défense anti-missiles de théâtre, la grande majorité des Etats européens comptent uniquement sur les moyens américains dans ce domaine. Il y a sans doute là le symbole le plus concret de la démission d’un continent qui a un PIB comparable à celui des Etats-Unis.

Par ailleurs, la mise au point d’une défense anti-missiles de territoire va à l’encontre du principe même de la dissuasion. Il n’est pas anodin que les Etats favorables au désarmement nucléaire de l’Europe, notamment l’Allemagne, souhaitent présenter la défense anti-missiles comme un substitut plausible à la dissuasion nucléaire. La France, pour sa part, estime qu’aucune défense anti-missile n’ayant prouvé son imperméabilité, ce type de systèmes ne peut être conçu que comme complément à la dissuasion. Si l’objectif est réellement de protéger le territoire européen contre une attaque balistique iranienne, la dissuasion nucléaire dont disposent les Européens, en propre ou à travers l’OTAN, est évidemment suffisante.

Les discussions actuellement en cours au sein de l’OTAN concernant la défense anti-missiles sont un exemple frappant du déséquilibre actuel entre les Européens et la puissance américaine. Afin de reconquérir une autonomie qu’elle est en train d’abandonner, l’Europe, qui ne peut compter sur l’Union européenne pour jouer un rôle majeur dans ce domaine, ne peut exister que par des coopérations bilatérales entre les Etats les mieux dotés dans le domaine militaire.

C – L’Europe de la défense par les Etats et les coopérations bilatérales

Tous les Etats européens souffrent d’une grave crise de leurs finances publiques. Cette situation rend d’autant plus urgentes la mise en place de coopérations structurantes entre les principales puissances militaires européennes. Face à la renonciation, peut-être temporaire, de l’Allemagne, au bureaucratisme des procédures européennes qui contribue au blocage du système, et à la difficulté de lancer des synergies entre l’OTAN et l’Union européenne, seules les coopérations entre les Etats qui souhaitent réellement travailler ensemble, au premier rang desquels la France et le Royaume-Uni, peuvent faire progresser la défense de l’Europe.

1) Relancer la relation de Saint-Malo

La situation des armées en Grande-Bretagne est largement conditionnée par les difficultés budgétaires que connaît le pays. Suite à l'annonce du plan d'économies globales du ministre des finances George Osborne, le Royal United Services Institute estime que la réduction du budget de défense sera d'environ 15% entre 2010 et 2014. Cette réduction devrait toucher les programmes d'armement (production moins rapide des porte-avions, des sous-marins, réduction des commandes d'hélicoptères…) mais aussi les dépenses de fonctionnement. Le nouveau gouvernement, élu en mai 2010, a donc annoncé sa volonté de revoir la stratégie de défense et de sécurité du pays.

Soucieux d’échapper à sa dépendance aux technologies américaines, le Royaume-Uni semble ouvert à des coopérations de long terme avec la France. Le sommet du 2 novembre, réunissant le Président de la République et le Premier ministre britannique, a permis de lancer, dans ce domaine, des partenariats stratégiques pour l’avenir. On peut se réjouir du résultat obtenu, qui permet de poser les bases de nombreuses coopérations militaires entre nos deux pays. Ce succès est vital pour la défense de l’Europe, à l’heure où les institutions communautaires sont en panne.

Ces propositions visent à conférer à l’un des deux pays la responsabilité principale d’un programme, tout en garantissant à l’autre pays le développement et le maintien de son savoir-faire national sur les technologies clés. Le but n’est pas d’étendre l’interdépendance, mais bien de partager les savoir-faire en laissant chaque Etat maître de ses choix.

Un accord juridique prévoit ainsi la création d’une unité franco-britannique interarmées projetable, de plusieurs milliers d’hommes, devrait progressivement monter en puissance. Non permanente, contrairement à la brigade franco-allemande, elle permettra, à terme, de lancer des opérations extérieures communes. Les premiers exercices conjoints sont prévus à partir de l’année prochaine.

Le rapprochement des programmes de dissuasion nucléaire, sans mettre en commun les forces de frappe nucléaire des deux pays, permet de partager les ressources françaises de simulation, afin de faciliter la modernisation des deux arsenaux. Une unité marginale devrait être ouverte au Royaume-Uni, ouverte aux scientifiques des deux Etats, mais l’essentiel de la transformation des forces nucléaires françaises et britanniques aura lieu en France, dans un laboratoire implanté en Bourgogne. A partir de l’année prochaine, l’ensemble de la recherche nucléaire militaire sera faite en coopération. Des partenariats pour les opérations de maintenance et l’ensemble des composants des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (hors machinerie nucléaire et armes nucléaires) sont également prévus.

Dans le domaine des drones, prenant acte du retard européen dans le domaine des aéronefs sans pilote moyenne altitude – longue endurance, un projet de drone de nouvelle génération sera développé. Celui-ci pourrait s’inspirer du drone Mantis, actuellement construit par l’entreprise britannique BAe Systems. De plus, un programme commun de démonstrateur de drone de combat est annoncé.

Les programmes en matière de drones sont d’une importance cruciale pour l’avenir de nos armées. Ils correspondent parfaitement aux nouvelles conditions d’emploi de la force, qui ne sont plus celles d’un affrontement classique entre Etats, mais la multiplication de conflits asymétriques et lointains. Dans une zone désertique, l’apport de drones d’observation de longue endurance, ou de drones de combat pouvant frapper précisément une cible éloignée, est particulièrement important.

Le sommet de Londres du 2 novembre a également lancé une coopération en matière de missiles qui devrait permettre, à terme, l’émergence d’un maître d’œuvre industriel européen unique. Dans l’immédiat, la France et la Grande-Bretagne développeront en commun le successeur du missile de croisière Scalp/Storm Shadow et un programme de missile aérien de courte portée.

En matière aérienne, la Grande-Bretagne a annoncé la construction d’un nouveau porte-avions doté de catapultes, donc conforme aux standards français, d’ici 2016. Une telle décision permettra de créer une véritable force aéronavale britannique à l’horizon 2020. Un programme de coopération pour la maintenance des avions de transport A400M, et une formation commune des pilotes de ces aéronefs, devraient être lancés en 2011. Les flottes de ravitailleurs aériens devraient également être partagés.

D’autres partenariats sont évoqués, en matière de recherche, de lutte contre les mines, de communication par satellite, de guerre cybernétique, de lutte contre le terrorisme. Ils seront confiés à un groupe de haut niveau, qui prend la suite des travaux lancés depuis plusieurs années Au total, 43 domaines de coopération avaient été examinés, et continueront de faire l’objet de propositions de coopération dans l’avenir.

La multiplication des partenariats franco-britanniques est indispensable pour renforcer la défense de l’Europe, en l’absence d’impulsion au niveau communautaire. Seules ces deux puissances, qui représentent la majorité des dépenses de défense en Europe, et deux tiers des dépenses de recherche militaire, peuvent lancer des programmes structurants pour les forces armées européennes. Cette coopération est d’autant plus cruciale que l’autre partenaire de référence, l’Allemagne, paraît aujourd’hui avoir abandonné jusqu’au principe de développement de ses investissements militaires.

2) La situation difficile de l’Allemagne

Traditionnellement peu encline à développer son outil de défense, et siège d’un débat croissant sur l’engagement de ses forces en Afghanistan, malgré l’importance des restrictions d’engagement de son armée, l’Allemagne semble avoir réduit encore davantage ses ambitions militaires depuis l’arrivée au pouvoir d’une nouvelle coalition, en septembre 2009.

Ainsi, dans le cadre du plan de réduction du déficit public lancé en 2010, le budget de la défense allemande devrait diminuer d’environ 14% entre 2010 et 2014, passant de 31,1 à 26,9 milliards d’euros.

A moyen terme, la baisse du budget de défense aura des répercussions sur l’organisation du ministère de la défense et plus particulièrement les forces armées. En effet, un des scénarios proposé par la commission de structures consiste en une réduction de 252 000 soldats aujourd’hui à 163 500 dans les années à venir. La conscription sera suspendue à court terme, et pourrait disparaître définitivement, impliquant, comme cela a été le cas en France, des coûts importants lors des premières années.

Dans ce contexte, l’Allemagne semble privilégier une baisse générale du format de ses armées sans chercher à développer de programmes porteurs pour l’avenir. Ainsi, le ministère de la défense allemand a annoncé que les commandes d’hélicoptères NH90 pourraient être ramenées de 122 à 80, celles d’hélicoptères Tigre de 80 à 40. Par ailleurs, il est probable que l’Allemagne commande moins d’avions de transport militaire A400M que prévu et renonce à participer au projet de drone Talarion d’EADS.

3) D’autres partenaires à choisir au cas par cas

La faiblesse de l’effort de défense allemand, et les perspectives de réduction marquée de ces dépenses à l’avenir, tendent à souligner, par effet de miroir, l’importance de développer de solides coopérations franco-britanniques. D’autres partenaires existent en Europe mais les coopérations possibles ne sauraient avoir l’ampleur des relations avec le Royaume-Uni.

Ainsi, les coopérations franco-italiennes, nombreuses à l’heure actuelle – torpilles lourdes, frégates, observation spatiale – n’ont pas connu une impulsion politique comparable à celle donnée aux partenariats franco-britanniques.

De la même manière, les autres grands pays européens, notamment la Pologne et l’Espagne, s’ils témoignent d’une volonté de participation aux projets existants, n’ont pas manifesté le souhait, contrairement au Royaume-Uni, de refonder leur outil de défense en y associant étroitement la France.

II – LES MARGES DE MANœUVRE REDUITES DE LA FRANCE

Les coopérations européennes sont indispensables au maintien de notre autonomie stratégique. A plus court terme, l’outil de défense français doit faire face à des défis importants et simultanés, en matière de déploiements de nos forces à l’étranger et de renforcement de nos capacités là où la menace est la plus tangible.

A – Des engagements majeurs qui contraignent les choix

La présence militaire française à l’étranger, en cours de révision, est de plus en plus majoritairement concentrée en Afghanistan, où l’évolution de la situation sécuritaire ne permet pas d’anticiper d’évolutions favorables rapides. Parallèlement, le choix de réintégrer l’ensemble des structures de commandement de l’OTAN génère des dépenses nouvelles qu’il faut assumer.

1) Dispositif extérieur : le poids des opérations en Afghanistan, la nouvelle présence militaire en Afrique

a) L’Afghanistan, première opération extérieure

Les prévisions concernant le coût des opérations extérieures pour 2010 sont proches du coût constaté en 2009, avec 867 millions d’euros contre 870 millions l’an passé. 630 millions d’euros sont inscrits au budget pour 2011, prolongeant ainsi la tendance d’intégrer le plus exactement possible le surcoût des OPEX dans le budget.

Sur cette somme, les opérations en Afghanistan représenteront, pour la première fois depuis 2002, plus de la moitié des dépenses totales, avec une prévision de 469 millions d’euros en 2010, contre 132 millions d’euros en 2002. L’augmentation des dépenses pour les opérations en Afghanistan est notable, passant de 32,3 à 39,1 millions d’euros par mois entre 2009 et 2010.

Une telle évolution a été faite à effectifs pratiquement inchangés, suivant par là les engagements du Président de la République de ne pas augmenter le nombre de troupes françaises combattantes en Afghanistan. Le dispositif français reste articulé autour de trois éléments : la Task Force Lafayette en Kapisa et dans le district de Surobi, le soutien à la formation de l’armée nationale afghane et le détachement aérien basé à Douchanbé (transport) et Kandahar (avions de combat).

Les coûts générés par les opérations en Afghanistan sont donc dus, en grande partie, à l’amélioration de l’équipement des troupes déployées. Ainsi, environ 116 millions d’euros ont été consacrés au renforcement de la protection contre les engins explosifs improvisés, et 69 millions d’euros pour améliorer les capacités de détection et d’action au sol. Si certains domaines continuent de faire l’objet de demandes de la part des personnels déployés, notamment pour mieux protéger les bases de stationnement des forces, les retours d’expérience des unités engagées en Afghanistan font apparaître un bon niveau de satisfaction générale quant aux matériels disponibles.

L’évolution de la situation sécuritaire dans le pays ne permet pas d’anticiper une baisse à court terme de l’effort exigé en Afghanistan. Les opérations Moshtarak, dans l’Helmand, et Hamkari, à Kandahar, menées au début de l’année 2010, sont encore trop récentes pour qu’un bilan soit tiré. Toutefois, elles ont provoqué une réaction des insurgés, qui ont accentué leur pression depuis leurs bastions au Sud, et ont développé de nouvelles implantations au Nord. Ainsi, les pertes enregistrées au premier semestre 2010 par la coalition sont supérieures de 30 % à celles enregistrées sur la même période en 2009.

Dès lors, les annonces américaines évoquant un retrait possible du théâtre afghan en 2011 doivent être correctement interprétées. La stratégie de l’OTAN, rappelée lors des conférences de Londres et Kaboul en janvier et juillet 2010, est de transférer progressivement aux Afghans la responsabilité de la sécurisation de leur territoire.

Ce transfert des responsabilités sera notamment débattu au prochain sommet de l’OTAN à Lisbonne. Il signifie le passage en une posture d’appui aux forces de sécurité afghanes, ce qui pourrait impliquer, à terme, une diminution des forces de la coalition. En l’état, cette diminution ne pourrait être que minime, la formation des forces de sécurité afghanes étant loin d’être achevée, et l’insurrection bénéficiant de bases solides, au Pakistan notamment, lui permettant de mener un conflit de longue durée contre la coalition.

Le poids des opérations en Afghanistan ne devrait donc pas diminuer à court terme. En revanche, la plupart des opérations extérieures connaissent une réduction significative du niveau d’engagement des forces françaises, et donc du surcoût qu’elles occasionnent.

En dehors de la mission Epervier, présente au Tchad, et qui pourrait évoluer en fonction notamment de la situation issue du référendum d’autodétermination au Sud-Soudan, aucune opération extérieure déjà existante ne devrait connaître de hausse d’effectifs. Certaines missions devraient voir leur volume encore diminuer, par exemple au Kosovo. Dès lors, l’opération en Afghanistan devrait rester, pour les années à venir, le principal engagement extérieur des armées françaises.

Effectifs moyens engagés en OPEX (hors Afghanistan)

Théâtres

2008

2009*

2010

2011 (est.)

Liban

1 761

1 558

1 515

1 458

Tchad

2 487

2 291

1 021

948

Centre Afrique

274

239

241

232

Côte d’Ivoire

2 270

1 427

1 166

1 108

Bosnie

103

29

1

1

Kosovo

1 848

1 416

813

739

Atalante

2

270

430

300

Haïti (séisme)

-

-

96

0

Autres

109

117

357

335

Total

8.854

7.347

5.640

5.121

Les conséquences financières de cette baisse globale du format des opérations extérieures actuelles, hors Afghanistan sont significatives.

Surcoût (en millions d’euros) des OPEX hors Afghanistan

Théâtres

2008

2009

2010

Liban

81,4

90,3

95,8

Tchad

203

179,9

97,3

Côte d’Ivoire

107,6

72,7

72

Bosnie

5,2

29

1

Kosovo

103,4

81,8

59

Atalante

np

21

37,2

Haïti (séisme)

-

-

5,2

Autres

37,4

35,1

31,3

Total Défense

537,9

483,3

397,8

L’engagement en Afghanistan représentera donc, en 2010, un surcoût supérieur à celui de l’ensemble des autres opérations extérieures réunies.

b) La nouvelle organisation des bases de défense

Le second aspect de la présence militaire française à l’étranger concerne les implantations permanentes de forces hors de nos frontières. Le choix a finalement été fait de retenir deux bases en Afrique, à Djibouti et au Gabon, en supprimant la base de Dakar, tout en créant, au Sénégal, un pôle de coopération militaire nécessitant la présence de 300 militaires français, contre 1 200 à l’heure actuelle.

La suppression d’une des trois bases françaises en Afrique va de pair avec la création d’une nouvelle base aux Emirats arabes unis. Inaugurée en mai 2009, elle devrait compter, fin 2010, environ 390 personnes dont 40 % de permanents. Son format précis n’est pas encore connu. A terme, cette nouvelle implantation devrait comporter :

o une base navale à Abou Dhabi (environ 200 personnes) ;

o une base aérienne à Al Dhafra mettant en œuvre six avions de combat (environ 130 personnes);

o un groupement terre interarmes (environ 270 personnes), permettant à Zayed Military City l’aguerrissement au combat urbain moyen-oriental dans un centre d’entraînement en zone désertique.

En 2009, le coût des implantations de défense à l’étranger était principalement composé de quatre éléments : les majorations de soldes (333 millions d’euros), le transport (4,7 millions d’euros), les contributions au pays d’accueil (30 millions d’euros annuels versés au gouvernement djiboutien), les dépenses d’activité et d’équipements (71,43 millions d’euros).

En 2010, la stabilité du dispositif africain ne devrait pas entraîner de dépenses nouvelles, avant de permettre des économies du fait de la baisse des effectifs au Sénégal. En revanche, la montée en puissance de la base d’Abou Dhabi devrait générer, pour les seules dépenses d’activité, une augmentation de 17 millions d’euros environ, passant de 13,1 à 29,9 millions d’euros en un an.

Le dispositif français déployé à l’extérieur de nos frontières est donc contraint par deux engagements forts : les opérations en Afghanistan et le développement d’une implantation nouvelle aux Emirats arabes unis.

2) Le coût de la réintégration dans l’OTAN

Les marges de manœuvre stratégiques françaises sont également affectées par le choix, annoncé en mars 2009, de réintégrer l’ensemble des structures de commandement de l’OTAN, à l’exception du groupe des plans nucléaires.

En 2009, la France disposait de 482 militaires et civils affectés au sein de l’Alliance dont 335 insérés au sein de la structure de commandement. Après le plan de mutation 2010, un effectif global de 792 militaires sera en place à l’OTAN. Le surcoût financier consécutif à la mise en place du personnel français dans la structure de commandement a été ainsi évalué à près de 25,4 millions d’euros en 2010, à 44 millions en 2011, à 54,2 millions d’euros en 2012.

Lorsque tous les postes seront pourvus, le surcoût généré par la réintégration dans l’OTAN devrait représenter 56,3 millions d’euros par an. Par ailleurs, afin de renforcer le processus indemnitaire et assurer un environnement humain de qualité pour le personnel et leur famille, des mesures d’accompagnement ont été envisagées.

Enfin, le renforcement de la présence française dans l’OTAN nécessite la pleine participation à l’ensemble des budgets, représentant un surcoût additionnel de 8 millions d’euros par an pour le budget fonctionnement, et 21 millions d’euros par an pour les investissements.

Au total, les surcoûts de la montée en puissance de la participation française à l’OTAN, hors budgets opérationnels, seront d’environ 85 millions par an en régime établi. Cette estimation ne tient pas compte des éventuelles mesures d’économies qui pourraient être décidées lors du prochain sommet de l’Alliance Atlantique à Lisbonne.

Au-delà des questions purement financières, la place de la France dans l’OTAN, symbolisée par l’attribution au général Abrial du commandement allié pour la transformation (ACT) situé à Norfolk, doit être défendue. En effet, le choix américain de supprimer le commandement interarmées Joint Forces Command (JFCom), également implanté en Virginie, fait craindre une perte progressive du lien entre les structures de modernisation des armées de l’OTAN et les équipes chargées de ces dossiers pour le compte de l’armée américaine.

Afin de maintenir ces relations, le déplacement de l’ACT au plus près des instances décisionnaires de l’armée américaine dans le domaine de la transformation, à Washington, doit être impérativement envisagé.

B – Le maintien des priorités stratégiques

Le déploiement des forces françaises à l’étranger, et l’effort financier que représente la réintégration dans les structures de commandement de l’OTAN, correspondent à des choix stratégiques effectués depuis longtemps. Dans le même temps, notre outil de défense doit évoluer pour prendre en compte les menaces actuelles, et anticiper sur l’avenir. Si les axes prioritaires dégagés par la loi de programmation militaire sont respectés dans l’ensemble, certains domaines risquent de ne pas bénéficier des efforts nécessaires au maintien à niveau de notre défense.

1) Renseignement et lutte contre le terrorisme

Actuellement, l’outil de renseignement français est considéré comme l’un des six permettant une couverture véritablement mondiale, derrière les Etats-Unis, la Russie, la Chine et la Grande-Bretagne, et devant l’Allemagne. Les événements survenus au Niger, avec l’enlèvement successif d’un puis de cinq ressortissants français, prouvent la nécessité de disposer d’un outil capable de réagir rapidement aux évolutions toujours plus rapide de la menace terroriste.

Ainsi, alors que les opérations en Afghanistan, et les missions conduites par l’armée américaine au Pakistan, visent à priver le réseau Al Qaida de ses bases historiques, l’activité de nouveaux réseaux, sur le continent africain, apparaît clairement comme une menace susceptible de développements rapides.

Succédant au groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), le réseau « Al Qaida au Maghreb islamique » (AQMI), qui utilise le nom d’Al Qaida tout en préservant une grande autonomie d’action par rapport aux réseaux pakistanais et arabes, disposent désormais de bases importantes dans la zone sahélienne, entre le Mali, le Niger, la Mauritanie et le sud de l’Algérie. Des incursions d’activistes islamistes ont été enregistrées au Sénégal. Des moyens français ont ainsi été déployés, notamment l’utilisation d’avions patrouilleurs Atlantique 2, en plus des personnels militaires dépêchés dans la zone suite aux enlèvements de citoyens français.

A l’autre extrémité du continent, le mouvement Al-Chabab, issu des tendances les plus dures de l’organisation dite des « tribunaux islamiques » somaliens, multiplient les provocations, et les coups de force. Une telle menace doit être prise au sérieux. Des ressortissants somaliens, présents sur le sol européen, quoique en faible nombre en France, pourraient être utilisés comme relais par les responsables somaliens du mouvement. Surtout, le risque existe d’une jonction, à travers le continent africain, entre AQMI et Al-Chabab.

Afin de faire face à la menace terroriste, il est vital de disposer de services de renseignement efficaces, et dotés de moyens suffisants. Entre 2009 et 2011, la fonction « connaissance et anticipation » des armées, qui intègre les crédits destinés au renseignement, a ainsi connu une progression importante en autorisations d’engagement. Signe d’un effort accru dans ce domaine, le budget, hors titre 2, passe de 3,7 à 4,5 milliards d’euros en deux ans, tandis que le niveau des crédits de paiement recule légèrement, de 2,3 à 2 milliards d’euros.

En matière d’observation par satellite, le programme européen MUSIS est destiné à remplacer les capacités nationales françaises fournies par les satellites Hélios 2, et les informations, échangées avec l’Allemagne et l’Italie, provenant respectivement des satellites SAR-Lupe et Cosmo Skymed.

Toutefois, en l’absence d’engagement ferme de nos partenaires (5) dans ce domaine crucial, la France a choisi de lancer seule une partie des investissements nécessaires, afin de disposer, d’ici fin 2016, de nouveaux satellites d’observation. Le coût de cette composante spatiale optique (CSO) nationale est estimé à 1,3 milliards d’euros. D’ici là, les satellites Hélios 2, dont le deuxième exemplaire (Hélios 2B) a été mis en orbite fin décembre 2009, ainsi que les satellites Pléiades, dont le lancement est prévu en 2011 et 2012, satisferont les besoins des armées dans le domaine de l’imagerie spatiale.

La plupart des autres investissements concernent le traitement de l’information, les interceptions de proximité et le renforcement des capacités informatiques des services de renseignement.

Sur le plan humain, les efforts fournis pour maintenir l’outil de renseignement français à son niveau sont également importants. Conformément aux engagements de la loi de programmation militaire, 690 nouveaux personnels devraient être attribués à la direction générale de la surveillance extérieure (DGSE), dont 420 spécialisés dans le renseignement technique et 270 dans le renseignement humain. Les embauches, tant en 2009 qu’en 2010, ont correspondu aux anticipations, tant en quantité (140 puis 150 nouveaux recrutements) qu’en qualité, compensant donc la quinzaine de départs à la retraite non remplacés au titre de la règle de réduction des effectifs en vigueur pour toute la fonction publique.

Du fait de la concentration voulue des nouveaux recrutements au sein de la DGSE, les deux autres services de renseignement des armées, la direction de la protection et de sécurité de la défense (DPSD) et la direction du renseignement militaire (DRM) voient leurs effectifs baisser très légèrement, de moins de 3 %.

Enfin, les projets de mutualisation des ressources du renseignement progressent. Le bilan du fonctionnement du conseil national du renseignement, et de l’activité du coordinateur national qui en organise les travaux, est jugé satisfaisant par les responsables des services. Permettant des échanges plus systématiques entre les services, cette structure impose également aux différentes administrations impliquées dans le renseignement de suivre les mêmes options stratégiques, résumées dans le plan national d’orientation du renseignement.

L’émergence d’une communauté française du renseignement, qui permettrait de faciliter la mobilité des agents entre les différents services, devrait être favorisée par la création de l’académie du renseignement, par décret n°2010-800 du 13 juillet 2010. Conçue comme une structure souple, l’académie propose des cycles de formations généralistes et techniques afin de rapprocher les cultures des différents services.

Le développement de pratiques communes, et d’un nouvel état d’esprit au sein des différents services de renseignement, permet également de faciliter la mutualisation des moyens techniques entre les diverses directions, évitant les doublons, et favorisant la spécialisation d’un service autour de quelques savoir-faire spécifique.

2) Le démarrage des efforts en matière de guerre cybernétique

Identifiée depuis plusieurs années, la menace sur les systèmes d’information, connaît, à l’instar de la menace terroriste, des évolutions brusques et rapides. Depuis 2007, les vecteurs d’attaque informatique ont largement évolué, occasionnant une propagation plus rapide au sein des systèmes d’information visés et augmentant la virulence des attaques.

Désormais, les virus informatiques peuvent être activés simplement en consultant des sites pour lesquels l’utilisateur accorde a priori sa confiance, comme les réseaux sociaux. En 2008, le virus « Conficker », exploitant une défaillance du système Windows, aurait ainsi fait passer le nombre de serveurs infectés de 2,4 à 8,9 millions en seulement 4 jours.

La lutte contre la menace cybernétique est d’autant plus malaisée que la doctrine, dans ce domaine, est encore balbutiante. En effet, la seule manière de connaître l’origine de certaines attaques est parfois de lancer à son tour une offensive sur les sources présumées afin de confirmer certains éléments.

Depuis la création de l’agence nationale de sécurité des systèmes d’information (ANSSI) en juillet 2009, la France a rationalisé ses outils de cyberdéfense. Afin de rapprocher encore les diverses centres d’expertise dans ce domaine, le regroupement des organismes spécialisés du ministère de la défense avec les centres opérationnels de l’ANSSI est prévu à brève échéance. L’Etat s’efforce également de sensibiliser les entreprises privées à la nécessité de renforcer leurs moyens dans ce domaine.

La montée en puissance de l’ANSSI se fait conformément aux prévisions, pour atteindre un plafond de 250 emplois en 2012. Les moyens de l’ANSSI seront complétés par ceux du ministère de la défense, qui développe des moyens techniques de lutte informatique défensive, et d’autres moyens techniques présents au sein de divers services du ministère.

3) Le maintien à niveau de la dissuasion nucléaire

La modernisation de la force nucléaire française, dans ses deux composantes, bénéficie, comme le renseignement et la guerre informatique, des ressources nécessaires à la poursuite normale des programmes. Avec un montant consolidé de 3,1 milliards d’euros pour 2011, la dissuasion nucléaire bénéficie d’un montant de crédits comparable à celui de 2010 (3,4 milliards d’euros l’an dernier). Ces dépenses permettent de financer des programmes de grande ampleur.

Pour la composante maritime, la nouvelle tête nucléaire océanique, destinée à équiper les missiles M51 présents sur les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins de nouvelle génération, devrait entrer en service à partir de 2015. Un tel programme représente des coûts importants :

– 2,9 milliards d’euros pour le remplacement des têtes ;

– 10,4 milliards d’euros pour la mise au point des deux versions du missile M51, qui doivent équiper, d’ici 2018, les quatre sous-marins lanceurs d’engins ;

– 17,2 milliards d’euros pour la mise au point de la nouvelle génération de sous-marins nucléaires lanceurs d’engin.

La modernisation de la composante aérienne se poursuit également, avec pour objectif le déploiement de flottilles de Rafale F3 équipée de missiles air-sol moyenne portée améliorés (ASMPA) embarquant la tête nucléaire aérienne de nouvelle génération. En raison des délais de livraison des nouveaux aéronefs, les munitions ASMPA seront adaptés aux Mirage 2000N actuellement en service.

Là encore les coûts occasionnés sont importants :

– 1,4 milliards d’euros pour le programme ASMPA, dont l’entrée en service se fait progressivement, le retrait du dernier missile ASMP étant prévu en 2011 ;

– 1 milliard d’euros pour la modernisation des têtes nucléaires afin d’équiper le missile ASMPA ;

Enfin, le maintien à niveau de notre outil de dissuasion implique que le programme de simulation soient menés à terme. L’ensemble des investissements prévus sont de 6,7 milliards d’euros pour l’ensemble du programme, sur lesquels 3,3 milliards d’euros ont déjà été investis en 2009.

Après quelques retards, la mise au point du laser méga joule, qui permet de reproduire les conditions de fonctionnement d’une arme nucléaire sans devoir procéder à un essai, désormais interdit par le traité d’interdiction des essais nucléaires de 1996, devrait permettre une entrée en service fin 2014. Principale dépense occasionnée par le programme de simulation, le coût global du laser mégajoule est estimé à 3 milliards d’euros. Près de 2 milliards d’euros ont déjà été consommés depuis le lancement du programme.

4) Transport tactique et aéromobilité de théâtre : la sortie du tunnel ?

Dernière priorité stratégique retenue par la loi de programmation militaire, le transport aérien, stratégique, tactique et de théâtre pourrait connaître une évolution plus favorable que celle endurée depuis plusieurs années du fait des erreurs commises par les industriels retenus pour les programmes phares engagés dans ce domaine.

Développé conjointement par l’Allemagne, la Belgique, l'Espagne, la France, le Luxembourg, le Royaume-Uni et la Turquie, le programme d’avion de transport militaire tactique et stratégique A400M, après avoir connu de multiples retards et dépassements de budgets prévisionnels, a été l’objet d’un nouvel accord entre les Etats parties et l’industriel, EADS, signé le 5 mars 2010.

Cet accord permet de préciser les points essentiels de l’avenir du programme. Un nouveau calendrier a ainsi été établi, prévoyant la livraison du premier avion à la France en 2013. 8 appareils sont prévus fin 2014, et 25 fin 2020. La cible de 50 appareils pour la France est inchangée.

Compte tenu des difficultés rencontrées dans ce programme, un accord financier a été élaboré pour supporter les 5,2 milliards d’euros de coûts supplémentaires annoncés par EADS. En acceptant une augmentation du prix unitaire de l’avion de 11 millions d’euros, soit un effort global de 2 milliards d’euros, et une participation hors contrat de 1,5 milliards d’euros aux investissements d’EADS (dont 400 millions d’euros pour la France), les Etats ont obtenu que l’industriel s’engage à pérenniser le programme.

Autre point noir traditionnel du transport aérien, l’entrée en service de l’hélicoptère NH90 en version terrestre (TTH), repoussée de dix mois en 2007, devrait finalement intervenir en décembre 2011. Le nouveau contrat signé par l’agence chargée du développement du programme NH90 (6) prévoit ainsi une livraison de 8 appareils par an pour trois premières tranches couvrant 65 des 133 appareils commandés. La commande des 68 derniers NH90-TTH devrait intervenir en 2015, puis 2012.

Le programme NH90, qui couvre également la livraison de 27 appareils de type NFH, destiné à la Marine, représente un coût global de 7,8 milliards d’euros. La version maritime du NH90, dont les premières livraisons étaient initialement prévues en 2005, n’a pu être livrée qu’en 2010. Les essais des exemplaires de présérie reçus sont en cours. La dernière livraison devrait intervenir en 2021.

C – Des incertitudes concernant certains secteurs clés

Dans l’ensemble, et conformément aux engagements pris dans le cadre de la loi de programmation militaire, les dépenses consacrées aux équipements dans le budget 2011 permettent de soutenir l’essentiel des efforts prioritaires pour notre outil de défense. Malgré une réduction de 11,2 à 10,1 milliards d’euros entre 2010 et 2011, hors dissuasion, la plupart des grands programmes d’armement sont assurés.

Ainsi, les principales livraisons attendues en 2011 concernent un aéronef spécialisé dans le recueil de renseignement électronique C160 Gabriel rénové ; 4 canons d’artillerie automoteurs Caesar ; 4036 équipements de fantassin Félin ; 11 avions de combat Rafale ; 6 hélicoptères de combat Tigre ; 100 véhicules blindés de combat d’infanterie ; 23 véhicules blindés légers ; 10 véhicules à haute mobilité ; 2 systèmes sol-air moyenne portée et leurs munitions ; 5 hélicoptères NH90 (4 en version maritimes, un en version terrestre).

Par ailleurs, l’année 2011 devrait permettre la commande des matériels suivants : un sous-marin nucléaire d’attaque Barracuda ; 7 hélicoptères de transport Cougar rénovés ; 200 petits véhicules protégés ; 900 missiles Mistral.

Toutefois, si les grands postes de l’équipement des forces semblent maintenus, quelques manques pourraient faire peser, à terme, des contraintes capacitaires nouvelles sur notre outil de défense. Il s’agit, notamment, des drones, de surveillance comme de combat, ainsi que de l’écoute électro-magnétique depuis l’espace et un certain nombre d’investissements pour le futur.

1) Drones : le choix américain par défaut

Les armées françaises déploient, à l’heure actuelle, plusieurs type de drones, notamment les systèmes intérimaires de drones de surveillance moyenne altitude – longue endurance SIDM et SDTI, et le système DRAC, mini drone tactique. Les versions définitives des systèmes intérimaires pourraient être livrées en 2016 ou 2017. Parallèlement, des programmes de recherche ont été lancés, notamment le Neuron, démonstrateur de drone de combat développé par Dassault.

Les manques identifiés dans le domaine des drones sont donc importants, notamment l’absence de drone de surveillance de longue endurance (MALE), et l’absence de drone de combat actuellement déployé.

Plusieurs propositions industrielles européennes ont été faites pour développer un programme de drone MALE : projet Talarion d’EADS, SDM de Dassault et Thalès. Un programme britannique, baptisé Mantis, pourrait faire l’objet d’un rapprochement avec Dassault. Les deux premiers posent un problème de coût, puisqu’ils sont estimés respectivement à un milliard et 700 millions d’euros, pour des performances parfois inférieures aux matériels existants.

Dès lors, ces différentes propositions pourraient céder devant les avantages comparatifs du système Predator américain, dont le prix unitaire est très inférieur au coût prévu par les projets européens. Le ministre de la défense, lors du salon Eurosatory du 14 juin dernier, a ainsi annoncé qu’il étudiait la possibilité de doter les armées françaises du dernier modèle de drone Predator-B, baptisé MQ-9 Reaper, qui dispose de capacités d’observation et de combat.

L’achat ou la location de drones américains, si elle devait durer, fait peser un risque de perte d’autonomie stratégique dans un domaine qui apparaît pourtant comme la clé de nombreux développements à venir des futurs matériels militaires. Ainsi, le choix français de ne pas développer de drones haute altitude – moyenne endurance, qui s’explique en partie par des réticences corporatistes au sein des différentes armées, pourrait rendre plus difficile la mise au point des forces aériennes du futur, dont le modèle pourrait être une combinaison entre avions pilotés et avions sans pilote (drones de combat).

De la même manière, la possibilité de mettre en service des drones de combat dans les armées françaises ne fait pas l’unanimité. Pourtant, la maîtrise de ces technologies est cruciale, afin d’éviter que la France ne perde pied dans un domaine qui fait l’objet de toutes les attentions des autres puissances exportatrices de matériels militaires, notamment les Etats-Unis et Israël.

La coopération franco-britannique dans le domaine des drones pourrait permettre à la France, et à l’Europe, de disposer de matériels développés sans intervention extérieure majeure. Toutefois, en attendant l’entrée en service de ce nouvel outil, du fait des retards accumulés et des indécisions successives, la France se trouvera sans doute obligée de recourir à des matériels américains pour combler ses manques. En matière de drones, des choix plus nets doivent être faits pour disposer d’un arsenal plus complet, et les décisions adoptées doivent être tenues pour éviter d’être dispensés.

2) Les trous capacitaires dans le domaine spatial et le transport stratégique

Pour l’écoute depuis l’espace et le transport aérien, les difficultés budgétaires et les retards industriels aboutissent à des coûts indus, lesquels réduisent encore davantage les capacités d’investissement pour le futur.

Ainsi, alors que le premier A400M n’est pas attendu avant 2013, l'armée de l'air n’aligne que 81 avions de transport : 49 C160 Transall, 13 Hercules C-130 et 19 Casa. Les armées doivent être dotées de 8 nouveaux CASA CN 235, dont les livraisons sont prévues entre 2011 et 2013, pour un coût global de 225 millions d’euros.

Une telle acquisition ne permet pas de combler toutes les lacunes capacitaires. Les C-160 Transall actuellement en service verront donc leur durée de vie prolongée, de 2015, date de retrait initialement prévue, à 2018. Pour ce faire, le rythme des retraits, de cinq par an prévus initialement, a été réduit à trois.

Une telle situation engendre des coûts importants de maintien en condition opérationnelle des aéronefs. Elle rend la situation particulièrement tendue pour les armées dans certains secteurs, les taux de disponibilité des avions de transport tactique étant de 85 % en 2009 après avoir atteint seulement 65 % en 2008.

Ainsi, le chef d’état-major de l’armée de l’air, le général Jean-Louis Palomeros, déclarait à la commission de la défense et des forces armées de l’Assemblée Nationale : « Les C160 restent, aujourd’hui, le cœur de notre flotte de transport. Mais malgré les efforts considérables que nous accomplissons, en particulier le service industriel de l’aéronautique, c’est une flotte qui est effectivement à bout de souffle. » (7).

En matière d’écoute depuis l’espace, la France dispose de deux démonstrateurs : les quatre satellites Essaim, mis en orbite en 2004, et le programme Elisa, dont le lancement est prévu en 2011, en même temps que le premier satellite Pléiades.

Ces deux projet permettent de préparer la mise en place d’un système complet, baptisé CERES, qui combine la mise en orbite de plusieurs satellites et la création de stations au sol. CERES doit notamment permettre d’allonger la durée de vie des systèmes d’écoute spatiale.

Toutefois, en raison des coûts, et des arbitrages budgétaires effectués, le programme CERES a pris du retard. La volonté française d’impliquer les partenaires du projet MUSIS ainsi que la Suède et la Suisse afin d’accélérer la réalisation du programme CERES n’a, pour le moment, convaincu que ces deux derniers pays. La décision finale des Suédois et des Suisses concernant l’ensemble du programme CERES ne sera connue qu’au début de l’année 2011.

Dès lors, en raison du retrait de service du démonstrateur Essaim, à la fin de cette année, et malgré le lancement du satellite Elisa, les retards pris dans le programme CERES, estimés entre deux et quatre ans, risquent de priver la France de tout moyen d’écoute spatial, une fois que le satellite Elisa sera désorbité.

Une telle situation ne fait pas poser de menace grave sur l’autonomie de décision de la France, même si elle prive certains de nos services de renseignement de moyens techniques cruciaux pour une partie de leurs activités. En revanche, elle est emblématique d’un risque qui pèse sur l’ensemble de nos investissements dans le domaine militaire, à savoir le sacrifice des développements d’avenir pour tenir les engagements d’équipements déjà pris.

3) Des dépenses d’équipement au détriment des programmes futurs ?

La loi de programmation militaire pour 2009 – 2014 prévoyait un effort considérable en faveur des équipements, de l’ordre de 102 milliards d’euros sur la période. Permettant la finalisation de nombreux programmes lourds, ces dépenses suivent, pour le moment, les orientations fixées il y a deux ans.

Toutefois, une partie des crédits affectés à ces postes a été tirée, en 2009 et 2010, des diverses mesures de relance de l’économie, notamment le plan de relance et, de manière indirecte, du grand emprunt. Or, dans un contexte de raréfaction de la ressource budgétaire publique, il devient nécessaire d’arbitrer dans le domaine des équipements entre les programmes déjà engagés et les investissements dans le futur.

Le budget de la recherche affiche ainsi une légère baisse par rapport à la loi de finances pour 2010, 801 millions d’euros étant consacrés aux programmes de recherche et technologie contre 814 millions en 2010. Par rapport à 2009, la réduction est encore pus significative, 821 millions d’euros ayant été autorisés par la loi de finances dans ce domaine.

Les dépenses de recherche et développement faisant l’objet d’une recollection une fois l’exécution des crédits terminée, seuls les chiffres pour 2010 sont connus. Ils font également apparaître une réduction, de 3,8 à 3,5 milliards entre 2009 et 2010. Le niveau atteint en 2010 est comparable à celui de 2008.

Cette réduction de l’effort de recherche s’accompagne d’interrogations concernant plusieurs programmes encore en développement, comme le programme de satellites d’écoute spatiale CERES. Ainsi, les projets de rénovation du Mirage 2000D, le développement et l’acquisition d’avions multirôle de transport et de ravitaillement MRTT, la modernisation des outils de simulation de certaines unités, pourraient être retardés.

De manière générale, le budget de la mission « Défense », du fait de la fin des apports du plan de relance de l’économie, est bâti sur un équilibre alliant réduction de la taille de l’outil défense, et modernisation de ses équipements, qui doit être tenu pour ne pas obérer les ressources nécessaires à l’avenir.

III – DES EQUILIBRES BUDGETAIRES QUI ENGAGENT L’AVENIR

Malgré la crise, le budget pour 2011, avec un montant de 38,4 milliards d’euros en crédits de paiement (31,19 milliards hors pension), et 42 milliards d’euros en autorisations d’engagement, respecte en apparence les engagements de la loi de programmation militaire, qui prévoyait, en son article 3, la mise à disposition de 31,23 milliards d’euros en 2011.

Afin de respecter le pari fait dans le cadre de la LPM, visant à réduire le format des armées tout en améliorant leur niveau d’équipement, plusieurs engagements doivent être tenus, pour garantir le montant des ressources disponibles.

A – La poursuite de la réforme du ministère

Après une première phase d’expérimentation, la réforme des implantations territoriales des armées doit être, en 2011, mise en œuvre intégralement. 60 bases de défense ont été retenues, dont cinq outre-mer et quatre à l’étranger. Un tel chiffre représente une réduction supplémentaire par rapport aux premières annonces, qui évoquaient environ 90 bases de défense. Les grandes bases (plus de 3000 hommes) ayant été retenues comme plus à même de dégager des économies de fonctionnement, c’est ce format qui a été privilégié, réduisant ainsi le nombre final d’implantations.

Plusieurs transferts d’unités seront nécessaires, en 2011, concernant tous les services dépendant du ministère de la défense. Au total, sept régiments et un état-major opérationnel de l’armée de terre seront dissous ainsi que deux bases aériennes (Reims et Taverny). Plusieurs sites du service de santé des armées, du service des essences et de la direction générale de l’armement devraient être fermés.

Le ministère poursuit ses efforts d’aide aux collectivités territoriales, et doit contribuer, sur la période 2009 – 2015, à hauteur de 320 millions d’euros aux programmes de restructuration des sites désaffectés par les armées. En 2011, ces programmes, mis en œuvre sous la forme de contrats ou de plans locaux de restructuration, devraient représenter 37,7 millions d’euros en crédits de paiement, et 65,2 millions en autorisations d’engagement.

Afin de profiter au mieux du caractère interarmées de la réforme, un nouveau service du commissariat des armées a été créé le 1er janvier 2010, issu de la fusion des commissariats de l’armée de terre, de la marine, et du service d’administration générale et des finances de l’armée de l’air. Sous l’autorité du chef d’état-major des armées, plusieurs fonctions de soutien sont désormais regroupées au sein d’un même opérateur. Le nouveau SCA devrait permettre de regrouper les 90 anciens organismes des commissariats aux armées au sein de 30 organismes rattachés.

La rationalisation de l’organisation territoriale de la défense s’accompagne d’une poursuite de la réduction des effectifs, de 7 586 équivalents temps plein, dont 6 005 emplois de militaires, et 1 925 civils. Les mesures d’accompagnement social de ces réformes sont désormais assurées par un opérateur unique, Défense mobilité, qui aide au reclassement des personnels de la défense. Par ailleurs, le plan de revalorisation des carrières militaires et civiles est poursuivi, pour un montant de 25 millions d’euros en 2011 (personnels civils) et 69 millions d’euros pour les militaires.

Les réductions d’effectifs constituent la première source d’économies attendues de la réforme du ministère de la défense, avec un montant estimé à 5,4 milliards d’euros sur la période 2008 – 2015. Les économies de fonctionnement attendues sur la période s’élèvent à 1,4 milliards d’euros, tandis que les investissements immobiliers nécessaires à la mise en place des nouvelles bases de défense, ainsi que les aides pour la valorisation des emprises de défense vendues par le ministère, représentent un coût de 400 millions d’euros. La réforme du ministère de la défense, si elle est réalisée conformément aux objectifs annoncés, devrait permettre de dégager 6,7 milliards d’euros d’économies sur la période 2008 – 2015.

La même logique d’économies de fonctionnement et de personnels est poursuivie dans le cadre de la réforme de l’administration centrale du ministère. Le regroupement, sur le site de Balard, de l’ensemble des implantations parisiennes du ministère, décidé en 2009, devrait permettre à terme de réduire les coûts de fonctionnement, et apporter des ressources financières grâce à la vente d’autres bâtiments. Réalisée dans le cadre d’un partenariat public – privé, la rénovation du site d’accueil devrait commencer en janvier 2012, et s’achever en juin 2014.

B – Les ressources exceptionnelles et l’avenir de la LPM

Désormais encadré par une programmation triennale, le budget de la mission « Défense » fait face, pour les échéances à venir, à des contraintes majeures. Si, pour la période 2011 – 2013, les prévisions font état d’un déficit d’1,2 milliard d’euros par rapport aux engagements de la loi de programmation, celles concernant les seuls crédits budgétaires font apparaître un manque supérieur à 3,6 milliards d’euros. Dès lors, l’apport de recettes exceptionnelles, désormais estimées à 3,2 milliards d’euros sur la période, contre 900 millions d’euros dans le cadre de la LPM, sera décisif. Il est peu probable qu’il se réalise, ce qui entraînera des tensions extrêmement fortes sur les budgets de 2012, 2013, 2014 et 2015.

1) Des recettes très incertaines

Les recettes exceptionnelles se répartissent en deux catégories distinctes : les cessions immobilières et la vente de fréquences Rubis, FELIN et Syracuse III.

Pour ces dernières, l’objectif, à terme, est de céder l’intégralité ou l’usufruit de certaines bandes de fréquences actuellement propriété du ministère de la défense. Dans certains cas, notamment pour les fréquences Syracuse, les armées loueraient une partie des capacités ainsi cédées, afin de satisfaire leurs besoins.

Sur la période 2011 – 2013, 2 milliards d’euros sont attendus comme produits de ces ventes. Les premières opérations devraient avoir lieu en 2011, notamment la signature d’un contrat prévoyant la location par les armées de certaines bandes ainsi cédées. Le bilan économique global de ces opérations pourra alors être effectué.

Parallèlement, plusieurs emprises militaires doivent être vendues, dans le cadre de la réforme de l’organisation territoriale des armées, constituant ainsi la deuxième partie des ressources exceptionnelles. Environ un milliard d’euros pourraient être tirés de ces projets de cessions qui concernent des bâtiments parisiens et d’anciennes implantations militaires régionales.

L’année 2010 a été décevante, puisque, sur les 700 millions d’euros prévus, seuls 100 millions d’euros environ seront vraisemblablement versés au budget de la défense du fait des cessions immobilières. Les difficultés rencontrées en 2010 sont principalement liées au mécanisme juridique imaginé jusqu’alors pour vendre les biens immobiliers de la défense.

Ainsi, des négociations avaient été entamées pour céder la plupart de ces biens à un consortium regroupant la Caisse des dépôts et la société de valorisation foncière et immobilière (SOVAFIM). Prévues pour fin 2009, la conclusion de l'opération était attendue pour 2010. Suite aux arbitrages interministériels rendus en début d'année, cette opération ne s'est finalement pas réalisée et la recette qui constituait la part principale des recettes 2010, n'a pas été encaissée.

Désormais, il est prévu une cession des biens parisiens au cas par cas en fonction de leur date de libération. Les ventes parisiennes sont estimées à 850 millions d’euros environ pour l’ensemble des biens restant à vendre, notamment l’îlot Saint-Germain, hors l’hôtel de Brienne, l’hôtel de l’artillerie - place Saint-Thomas d’Aquin, l’hôtel du génie, l’abbaye de Penthemont, l’hôtel de Penthemont, la caserne Pépinière, la caserne Reuilly, l'établissement officier d'administration principal Gley, les anciens ateliers de construction de Puteaux ainsi que la caserne Sully à Saint-Cloud.

Les cessions d’emprises régionales représentent une part plus faible des recettes immobilières attendues. En effet, dans le cadre de la réorganisation territoriale du ministère de la défense, de nombreux biens ont été cédés aux collectivités territoriales pour un euro symbolique, afin d’aider aux programmes de restructuration des sites anciennement utilisés par les armées. L’agence France domaines estime ainsi à 39 millions d’euros la valeur des biens ainsi repris par les collectivités territoriales. En 2011, environ 40 millions d’euros pourraient être tirés de la vente de biens immobiliers situés hors de Paris.

2) Quel financement pour les budgets à venir ?

La loi de programmation militaire pour 2009 – 2014 a été construite sur la base d’une stratégie en deux temps, définie par le livre blanc sur la sécurité et la défense de 2008. Ce dernier prévoyait ainsi, après un maintien en volume des dépenses de défense de 2009 à 2012, une augmentation de 1 % en plus de l’inflation.

Associée à la réforme du ministère – et aux diminutions de dépenses de personnels qui en résulteraient – cette stratégie devait permettre de dégager 18 milliards d’euros par an, en moyenne sur la période 2009 – 2020, pour améliorer l’équipement des armées. Le total des dépenses de défense entre 2009 et 2020 devait atteindre 377 milliards d’euros. Force est de constater, au vu des anticipations actuelles sur les budgets à venir, que cette seconde partie du livre blanc est devenue lettre morte.

En effet, dès à présent, les engagements pris au titre de la loi de programmation militaire d’ici 2014 ne pourront être tenus, en l’état actuel des finances. Les ressources exceptionnelles, évaluée à 3,77 milliards d’euros pour toute la période, sont en fait repoussées d’année en année.

Prévisions budgétaires de la LPM (en milliards d’euros)

 

2009

2010

2011

2012

2013

Ressources LPM totales

32,22

31,6

31,23

32,07

32,92

dont crédits budgétaires

30,61

30,39

30,66

31,86

32,81

recettes exceptionnelles

1,61

1,22

0,57

0,21

0,11

Lois de finances

31,4 (exécution)

30,11 (LFI)

30,16

30,52

31,02

recettes exceptionnelles

0,3 (exécution)

1,32 (LFI)

1,02

1,17

1,07

Pour les trois prochaines années, 3,6 milliards d’euros manqueront aux budgets de la défense par rapport aux engagements de la LPM, que sont censées compenser 2,37 milliards d’euros de recettes exceptionnelles dont les premiers résultats sont pourtant médiocres.

Déjà, l’exécution du budget 2010 sera très difficile, au regard du faible montant encaissé au titre des cessions d’actifs immobiliers. A partir de 2012, l’écart entre les crédits budgétaires prévus et ceux annoncés par la LPM dépasse systématiquement le milliard d’euros, ce qui fait craindre un net déficit dans le cas, le plus probable, où les recettes exceptionnelles n’atteignent pas le niveau souhaité.

Le coût des opérations destinées à pallier dans l’urgence les difficultés capacitaires traditionnelles réduira encore une ressource budgétaire pourtant réduite du fait de la contribution du ministère de la défense à la stratégie financière globale du gouvernement. Ainsi, les frais liés au rallongement de la durée d’utilisation des Transall et à l’achat de 8 Casa en attendant l’A400M, la possible utilisation de ravitailleurs britanniques du fait de l’absence du MRTT et la nécessité de financer à hauteur de 800 millions d’euros la livraison accélérée d’avions de combat Rafale du fait de l’absence de contrats fermes à l’exportation, vont créer nécessairement des difficultés pour les budgets futurs, jusqu’en 2014 et au-delà.

Des arbitrages budgétaires difficiles seront donc nécessaires dans les années à venir du fait d’un équilibre financier intenable à terme. Seules des réussites majeures à l’exportation permettraient d’alléger un peu le montant des économies qui devront être réalisées pour tenir les engagements les plus cruciaux en matière d’équipements.

C – La réussite à l’exportation, clé de nos budgets d’équipement futurs

Comme le souligne le rapport au Parlement sur les exportations d’armement, la France a consolidé, en 2009, sa place de 4ème exportateur mondial sur le marché de l’armement, malgré une vive concurrence. Toutefois, c’est la réussite de matériels spécifiques à l’export qui doit être garantie, dans la mesure où les contrats étrangers sont, pour certains équipements comme le Rafale, les seuls variables permettant d’assurer la poursuite du programme dans un contexte budgétaire très contraint.

1) Un bilan global satisfaisant

En 2009, plus de 8 milliards d’euros de prises de commandes ont été enregistrées par les entreprises françaises de défense, un résultat en hausse de 22 % par rapport à 2008. Avec plus de 7 % de parts de marché, la France s’impose comme le quatrième exportateur au monde, derrière le géant américain (52 % du marché mondial), la Grande-Bretagne (13 %), la Russie (8 %) et devant Israël (5 %).

La forte baisse enregistrée en 2001, dans un contexte international de crise ouverte peu propice au développement des exportations de défense, semble ainsi résorbée. Des contrats symboliques ont été passés, notamment l’annonce par la Russie de son intention d’acquérir quatre bâtiments de projection et de commandement sur le modèle du Mistral français, pour un contrat d’environ 500 à 600 millions d’euros. Une partie de cette commande serait fabriqué en Russie, qui n’a pas demandé à recevoir des bâtiments munis de systèmes d’armes.

De 2005 à 2009, les exportations françaises d’armement ont été réparties comme suit : 25 % vers le Proche et le Moyen Orient, 25 % vers les Amériques (les volumes d’exportations vers l’Amérique centrale et l’Amérique latine représentant presque cinq fois plus que les exportations vers l’Amérique du Nord), 19 % vers l’Asie et 16,5 % vers l’Europe. L’Afrique ne représente que 8 % des exportations militaires françaises sur la période.

La répartition des volumes d’exportation est largement influencée par les partenariats stratégiques signés par la France avec les Etats clés de certaines régions. Ainsi, sur la période 2005 – 2009, le Brésil représente environ 5,5 milliards d’euros de prises de commande, l’Inde 2,2 milliards, les Emirats arabes unis 2,3 milliards d’euros. L’Arabie Saoudite représente également un client important, avec plus de 3 milliards d’euros commandés sur la période.

Cependant, l’augmentation des prises de commandes ne peut suffire. Le caractère stratégique des matériels en cause fait des exportations d’armement un domaine soumis à des incertitudes particulièrement fortes sur la réalisation effective des contrats. Alors que 30 milliards d’euros de matériel militaire ont été commandés à la France entre 2005 et 2009, seulement 19 milliards ont été livrés sur la période.

 

Exportations d'armement 2005 / 2009 (en millions d'euros)

 

2005

2006

2007

2008

2009

Total

Livraisons

3814,7

4034,2

4539,6

3172,8

3726

19287,3

Commandes

4113,9

5754,3

5660,4

6583,5

8164,1

30276,1

Les difficultés budgétaires rencontrées par la grande majorité des Etats, du fait de la crise économique, rendent d’autant plus difficile la réalisation effective de l’ensemble des prises de commandes de matériels militaires. Pour certains programmes français et européens majeurs, une telle incertitude pourrait entraîner une impossibilité de réaliser les programmes conformément aux prévisions initiales.

2) Des contrats qui engagent l’avenir de certains programmes

Le calendrier défini par la loi de programmation militaire prévoyait, en 2011 et 2012, des livraisons de 10 avions de combat Rafale en 2011, et 7 en 2012. Toutefois, en raison des retards pris dans les exportations de ce matériel, et de la nécessité de produire 11 appareils par an pour maintenir le plan de charge de l’avionneur à son niveau minimal de maintien des compétences, les ressources du plan de relance ont été mobilisées pour avancer la livraison de 5 appareils, permettant de rétablir un calendrier de commandes de 11 Rafale en 2011 et 2012.

Dès lors, afin de maintenir un niveau de commandes suffisant pour l’industriel après 2012, il apparaît crucial que certains des contrats à l’exportation de l’avion de combat français soient couronnés de succès. Plusieurs dossiers sont actuellement en cours de finalisation.

Le prospect le plus sérieux est sans doute le renouvellement de l’aviation brésilienne. Portant sur un contrat de 36 appareils, ce marché semblait promis au matériel français, qui recueillait l’approbation du président de la République Lula. Toutefois, sous la pression de l’état-major de l’armée de l’air, la décision a été retardée. L’élection présidentielle brésilienne, dont le second tour a eu lieu le 31 octobre, en amenant une nouvelle personnalité au pouvoir, pourrait entraîner de remettre à plat les négociations sur ce contrat, bien que le président Lula et son successeur soient favorables à ce contrat.

Une autre commande possible de 60 appareils a été transmise par les Emirats arabes unis. Là encore, des difficultés persistent, portant notamment sur le niveau technologique demandé par les Emiratis. Ces derniers demandent notamment à ce que les Rafale qui leur seront livrés soient dotés de moteurs plus performants que le standard exportable. Pour le moment, les négociations semblent bloquées.

La commande de quinze Rafale, annoncé par le chef libyen Khadafi lors de sa visite en France en 2007, n’a pas été dénoncée pour le moment. Toutefois, aucune avancée n’a été pour le moment enregistrée dans ce domaine, et les livraisons ne pourraient donc intervenir avant quelques années.

Deux autres projets d’exportation du Rafale, en Suisse et en Grèce, bien que l’avion français soit bien placé dans les compétitions en cours, dépendront largement de l’évolution des finances publiques de ces deux pays.

Enfin, l’appel d’offres pour le renouvellement d’une partie de la flotte indienne, contrat représentant 126 unités, est en phase de lancement.

Au cas où aucune commande ferme n’était obtenue malgré ces nombreuses perspectives favorables, seul l’Etat français pourra, avec ses ressources propres, garantir un niveau de commandes suffisant à l’industriel pour terminer le programme de modernisation du parc aéronautique militaire français, faisant peser une contrainte nouvelle sur les budgets d’équipement futurs.

L’équilibre entre les exportations et les commandes nationales est également au cœur de l’évolution du programme européen d’avions ravitailleurs. Le MRTT (Multi-Role Transport Tanker – avion multirôle de ravitaillement en vol et de transport), destiné à remplacer la flotte actuelle de ravitaillement en vol (onze C-135FR et trois KC-135) et de transport stratégique de personnel ou de fret (avions de la flotte Airbus A310 et A340), par un parc unique de gros porteurs polyvalents, est ainsi développé par l’entreprise européenne EADS.

Les premières livraisons du MRTT son attendus en 2017, pour une mise en service en 2018. D’ici là, des mesures temporaires sont prévues, notamment la prolongation de la location de deux A340 TLRA (très long rayon d’action) et la modernisation des C-135FR en service. Des études sont menées afin d’examiner les possibilités d’utilisation des capacités britanniques de ravitaillement en vol.

Toutefois, le calendrier pourrait être accéléré ou, au contraire, ralenti, en fonction des décisions adoptées dans le cadre du programme de renouvellement de la flotte de ravitailleurs américains. Baptisé KCX, ce contrat, évalué à 35 milliards de dollars, a fait l’objet d’une décision destinée de toute évidence à favoriser le constructeur américain Boeing, après un premier appel d’offres remporté par le consortium euro-américain EADS – Northrop Grumman. Annoncé le 24 février 2010, le nouvel appel d’offres impose, plutôt qu’un critère de meilleur rapport qualité – prix global, une évaluation du « meilleur prix à performances données ». L’appareil initialement proposé par Boeing, inspiré du 767 déjà en service, correspond a priori à ces spécifications.

Toutefois, EADS, désormais seule depuis l’abandon de Northrop Grumman notifié le 8 mars 2010, a annoncé, le 28 avril 2010, son intention de répondre à l’appel d’offres avec un appareil, baptisé KC45 et très proche du KC30 livré à l’armée de l’air australienne. La réussite de l’offre européenne est très incertaine. Il faudrait, selon les spécifications du Pentagone, que la différence de prix entre les deux offres ne soit pas supérieure à 1 % pour que les capacités de l’avion européen, largement supérieures à celles du 767, soient prises en compte.

Ainsi, tant dans le domaine de l’aviation de combat que des avions ravitailleurs, la réussite des matériels militaires français et européens à l’exportation sera un élément décisif des équilibres budgétaires de la période post-2012.

CONCLUSION

Le budget de la mission « Défense » pour 2011 reflète la situation difficile dans laquelle se trouve l’ensemble des pays européens pour préserver leur autonomie militaire et stratégique.

L’amoindrissement des ressources budgétaires, qui vaut pour l’ensemble de nos partenaires européens, impose de trouver des solutions innovantes afin de se prémunir contre un décrochage technologique définitif. Dans les secteurs clés de l’avenir, les coopérations bilatérales, notamment franco-britanniques, sont devenues indispensables au maintien à niveau de notre outil de défense. Face à la passivité des institutions communautaires, et au risque de voir l’OTAN devenir une courroie de transmission des intérêts stratégiques des seuls Américains, il importe au plus haut point de bien cibler les choix d’investissements pour le futur, et de partager les efforts entre les Etats européens les plus conscients.

Au niveau national, l’essentiel des priorités définies en 2009 continuent de faire l’objet d’efforts sensibles. La lutte contre le terrorisme et la guerre cybernétique, les deux menaces les plus tangibles à l’heure actuelle, doivent continuer de mobiliser nos ressources, au premier rang desquelles le renforcement et la modernisation de notre outil de renseignement.

La réforme de l’ensemble de notre outil de défense doit continuer, afin de dégager les ressources nécessaires à la réalisation de nos grands programmes d’armement. Toutefois, au vu des perspectives financières difficiles pour la période qui succédera à la loi de programmation militaire, des choix doivent être faits en matière d’équipements futurs, notamment dans le domaine des drones, outil désormais indispensable mais délaissé jusqu’à aujourd’hui.

Les recettes exceptionnelles, et le développement des exportations de certains équipements comme le Rafale, devront être confirmés à l’avenir pour garantir la poursuite de la modernisation de nos armées. Sans ces apports extérieurs, les décisions à venir dans le domaine de la défense pourraient être encore plus difficiles que celles auxquelles nous sommes déjà confrontés.

EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa réunion du mercredi 3 novembre 2010, la commission examine les crédits de la mission Défense pour 2011.

Après l’exposé du rapporteur pour avis, un débat a lieu.

M. le président Axel Poniatowski. Je remercie M. le rapporteur dont je partage l’essentiel des conclusions, sauf en ce qui concerne l’OTAN. Je crois personnellement que l’accord que nous venons de signer avec le Royaume-Uni n’aurait pas été possible sans notre retour dans les structures militaires intégrées de l’OTAN.

M. Jacques Myard. Je remercie la présentation du rapporteur qui a été très réaliste. Quelle est l’évolution des CP pour 2011 ? La somme paraît en augmentation, mais qu’en est-il exactement, dans la mesure où nous n’avons pas le compte précis, les documents budgétaires n’étant pas suffisamment détaillés. Les chiffres de 37,4Mds€ en 2011 contre 37,14Mds€ que j’obtiens sont-ils exacts ? En ce qui concerne la place des Etats-Unis, il ne faut pas oublier la dimension monétaire et le fait que la chute programmée du dollar va entraîner leur affaiblissement, à la différence de la Chine. Les Etats-Unis deviennent une puissance relative, il ne faut pas se tromper ; la description que nous a faite le rapporteur sera amplifiée par cet aspect essentiel. Quant à l’accord avec le Royaume-Uni, je crois qu’il serait intervenu de toute façon, car l’OTAN est trop américain pour les Britanniques. Nous n’avons rien à attendre des Etats-Unis, qui sont nos concurrents et veulent tout contrôler comme dans les années 1960. Cela étant, l’accord franco-britannique d’hier ne peut fonctionner que si l’on investit. Or, les crédits sur cet aspect sont à la baisse. Il s’agit de prendre conscience que l’on doit maintenir un haut niveau d’équipement. Si les guerres changent, deviennent asymétriques, comme le rapporteur l’a dit, elles nécessitent néanmoins un haut niveau de recherche et des équipements performants.

M. Jean-Michel Boucheron, rapporteur pour avis. Sur la question des crédits, je suis d’accord avec Jacques Myard. Le problème ne porte pas sur le montant global des dépenses mais sur leur financement donc sur la question des recettes exceptionnelles que l’on a fixées à 1Md€ dans ce budget et dont je rappelle que, par rapport à ce qui était annoncé l’an dernier, nous n’avons réalisé que 10 %. Je n’ai pas de commentaire à faire sur les aspectes monétaires. En ce qui concerne l’OTAN, l’Union européenne vient de décider d’ouvrir ses marchés militaires aux entreprises américaines qui ont des filiales en Europe, selon une directive adoptée il y a quelques semaines. C’est une décision très grave, prise sans aucune réciprocité, nos entreprises européennes ne pouvant concourir sur les marchés du Pentagone. Rappelons que pour 40 % de notre technologie, nous sommes au niveau des Etats-Unis, mais que sur les 60 % restants, nous sommes en retard.

M. Jean-Marc Roubaud. Je suis heureux de constater que même avec les baisses de crédits annoncées, qui sont au demeurant sans comparaison avec ce qui se passe chez nos voisins, comme le rapporteur l’a rappelé, nous maintenons un effort qui garantit notre sécurité, comme en témoigne le montant des crédits consacrés à la lutte contre le terrorisme. Cette priorité doit être maintenue, car les menaces stratégiques des années 2010 ne sont pas celles des années 1980. Voterez-vous ce budget, M. le rapporteur ?

M. Jean-Michel Boucheron, rapporteur pour avis. Sur le terrorisme, les crédits sont effectivement au rendez-vous et sur le plan technologique, les options prises sont les bonnes. J’espère que cela sera efficace. Quant au deuxième point, je m’en remettrai à la sagesse de la commission…

M. Jean-Paul Lecoq. Quand on prépare un budget militaire, il faut des objectifs et avoir identifié ses adversaires. Quels sont-ils ? Le rapporteur a parlé du renforcement des efforts de la Chine sans la considérer comme un ennemi. Il a aussi parlé du bouclier antimissiles et des risques venant de l’Iran. C’est effectivement une zone sensible, mais il a aussi dit qu’il n’y aurait plus de guerres d’Etats. Je partage cette opinion. Cela étant, avant d’être en mesure de répondre à la mise en cause de notre sécurité, sans doute serait-il préférable d’accorder davantage d’aide à certains Etats pour qu’il ne soit plus nécessaire pour eux de se mettre dans une situation d’agression. On a parlé de cette question hier lors de l’examen des crédits de l’APD et de la question de la baisse de contributions aux organisations internationales. Sur un autre plan, nous sommes en guerre en Afghanistan. Tous ceux qui sont allés sur le terrain ont constaté que nos matériels ne sont pas au niveau et que nos soldats ne sont pas en sécurité, par exemple pour se protéger contre les engins explosifs improvisés. C’est la raison pour laquelle nous avons beaucoup de victimes. On ne sent pas dans ce budget que le nécessaire soit fait pour la protection de nos soldats sur les théâtres où nous intervenons. Quant à la question de la guerre technologique, nous ne pouvons pas la soutenir. Il nous faut soutenir notre action contre la pauvreté. Je note aussi que le rapporteur a démontré que ce que nous disions depuis toujours sur l’OTAN était fondé et que, plus largement, l’Europe que l’on nous impose n’est pas celle qu’il nous faut. Tous les arguments le montrent, les uns après les autres, budget après budget. Nous voterons bien sûr contre ce budget qui est contraire à notre philosophie.

M. Michel Vauzelle. Je vous demande pardon de poser une question annexe : y a-t-il une lisibilité des moyens donnés à l’armée pour la sécurité intérieure du pays, pour intervenir, le cas échéant, sur le territoire national ?

M. Jean-Michel Boucheron, rapporteur pour avis. Pour répondre à Monsieur Jean-Paul Lecoq, je ne crois pas du tout à la menace militaire iranienne. Les tensions autour de l’Iran consistent en un jeu de rôles : le Président Ahmadinejad se présente en leader du monde musulman contre l’Occident, Israël affirme que son existence est menacée, et les Etats-Unis souhaitent que les monarchies sunnites du Golfe continuent de se placer sous leur protection. J’estime que la France n’a pas d’intérêt dans l’embargo sur l’Iran.

Quant au bouclier de radars dont j’ai parlé, il est utile pour notre politique de dissuasion, car il permet de déterminer l’origine d’une agression. Je ne cible pas pour autant des Etats en particulier.

Quant à l’exhortation à combattre la misère que vous avez formulée, je suis d’accord avec vous. Prenez l’exemple de l’immigration turque : avant les Turcs venaient en Europe pour trouver du travail, aujourd’hui les Turcs établis en Europe retournent en Turquie chercher un emploi. Avec une croissance annuelle de dix pour cent (contre un pour cent pour l’Europe), la Turquie est bien plus attractive. Notre position vis-à-vis de ce pays et de sa place en Europe pourrait d’ailleurs être discutée.

Quant à l’équipement de nos troupes en Afghanistan, je ne me fais aucun souci majeur. La mise en place prochaine du système Félin est rassurante.

Au sujet des guerres technologiques que vous évoquiez, je pense qu’il faut trouver un juste équilibre entre le nombre d’hommes et les performances des armes nouvelles. Du fait des contraintes budgétaires que j’ai évoquées, il faudra, à court terme, revoir le format de nos armées.

Quant à l’Europe, je pense qu’on peut être, comme moi, un militant européen tout en émettant des critiques sur la méthodologie de la construction européenne. Toute coopération bilatérale entre Etats membres consolide l’Union européenne. Il y a deux moyens de renforcer l’Union européenne : soit par les institutions communautaires soit par des actions bilatérales. Il faut choisir la méthode la plus efficace.

M. Michel Vauzelle. Je me permets de vous interrompre pour préciser ma question : je n’ignore pas que la police et la gendarmerie sont en charge du maintien de l’ordre à l’intérieur de nos frontières. Mais il figure, dans le programme n°178 du projet de loi de finances pour 2011, programme intitulé « Préparation et Emploi des forces », une action n°7 dédiée au financement des missions intérieures (MISSINT). Y a-t-il une action de l’armée dans le cadre de la lutte anti-terroriste, notamment dans nos banlieues ?

M. Jean-Michel Boucheron, rapporteur pour avis. L’armée n’intervient sur le territoire national que pour deux types d’actions : d’une part, les opérations de sécurité civile en cas de catastrophes naturelles, comme la pollution des plages par une marée noire, et, d’autre part, le plan Vigipirate.

M. le président Axel Poniatowski. Monsieur le rapporteur, je vous remercie pour ces précisions utiles et complètes. Je mets maintenant les crédits de la mission Défense aux voix.

Le rapporteur pour avis s’en étant remis à la sagesse de la commission, la commission donne un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission Défense pour 2011.

ANNEXE

Liste des personnalités rencontrées par le rapporteur

Amiral Edouard Guillaud, chef détat-major des armées

– M. Laurent Collet-Billon, délégué général pour larmement

– M. Erard Corbin de Mangoux, directeur général de la sécurité extérieure

– M. Patrick Maisonnave, directeur des affaires stratégiques, de sécurité et du désarmement, ministère des affaires étrangères et européennes

– M. Charles Edelstenne, PDG de Dassault Aviation

© Assemblée nationale

1 () sources : Stockholm International Peace Research Institute et ministère de la Défense.

2 () Source : Agence européenne de défense.

3 () Idem.

4 () Terme économique désignant un environnement réglementaire soumettant toutes les entreprises d’un marché aux mêmes règles afin d’assurer la même compétitivité aux acteurs.

5 () Le programme MUSIS associe la France, l’Allemagne, la Belgique, l’Espagne, la Grèce et l’Italie.

6 () L’agence NAHEMA (Nato Helicopter Management Agency) représente les cinq pays à l’origine du projet NH90 : la France, l’Allemagne, l’Italie et les Pays-bas, rejoints en 2001 par le Portugal.

7 () Audition du 13 octobre 2010.