N° 3809
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
TREIZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 25 octobre 2011.
AVIS
PRÉSENTÉ
AU NOM DE LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES,
SUR LE PROJET DE loi de finances pour 2012 (n° 3775)
TOME VII
DÉFENSE
ÉQUIPEMENT DES FORCES – DISSUASION
PAR M. François CORNUT-GENTILLE,
Député.
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Voir le numéro : 3805 (annexe n° 11)
S O M M A I R E
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Pages
INTRODUCTION 9
PRÉAMBULE : SUIVI DES RECOMMANDATIONS PARLEMENTAIRES 11
I. — SUIVI DES RECOMMANDATIONS DU RAPPORTEUR EN 2011 11
II. — SUIVI DES RAPPORTS TRAITANT DE L’ÉQUIPEMENT DES FORCES 14
A. RAPPORT D’INFORMATION SUR LA FIN DE VIE DES ÉQUIPEMENTS 14
B. RAPPORT D’INFORMATION SUR LE RENFORCEMENT DE LA FONCTION D’ANTICIPATION STRATÉGIQUE 15
C. RAPPORT D’INFORMATION SUR LA SÉCURITÉ DES APPROVISIONNEMENTS STRATÉGIQUES DE LA FRANCE 18
PREMIÈRE PARTIE : LA COOPÉRATION FRANCO-BRITANNIQUE, UNE RÉPONSE À LA CRISE ? 21
I. — LA DÉFENSE FACE À LA CRISE 21
A. LE PLF 2012 PRÉSERVE LES SECTEURS PRIORITAIRES 24
1. Les grandes orientations du PLF 2012 24
a) Un nouveau cadre pour les engagements pluriannuels 24
b) L’évolution générale des crédits du programme 146 27
c) Le maintien de la priorité accordée aux équipements 29
d) La part croissante des dépenses de fonctionnement 29
2. Une annuité budgétaire sous contrainte 30
3. La reproduction d’une bosse ? 32
B. LES MESURES CONJONCTURELLES 35
C. L’IMPACT DE LA CRISE SUR L’INDUSTRIE ET SUR L’EXPORT 41
1. Une fragilité croissante des PME 41
a) Une fragilité financière 41
b) Le soutien de l’État aux PME 42
c) Les fonds souverains et les investisseurs étrangers 44
2. Des exportations sous contraintes 48
a) Des exportations en baisse 50
b) Des opportunités à saisir 52
c) L’enjeu des contreparties 54
d) Le nouveau cadre juridique des exportations 56
II. — LES LEÇONS DE LA CRISE 58
A. LES FAIBLESSES DE LA POLITIQUE INDUSTRIELLE FRANÇAISE DE DÉFENSE 58
1. Quelle stratégie pour les industries de défense ? 58
2. Le pilotage de la politique industrielle de défense 61
a) La place centrale de la DGA dans l’organigramme étatique 61
b) Un pilotage dispersé dans les faits 63
c) Prendre exemple sur nos partenaires et clarifier les responsabilités 64
3. La taille critique des entreprises françaises 66
a) L’absence de groupes de taille internationale 66
b) Les entreprises de taille intermédiaire et les PME 68
B. INVESTIR DANS LA RECHERCHE POUR PRÉSERVER L’AVENIR 71
1. Un secteur de la défense de plus en plus exposé 71
2. Assurer l’avenir en formant les ingénieurs ? 78
a) Une école polytechnique de plus en plus éloignée de la défense 78
b) Les autres écoles d’ingénieurs sous tutelle de la DGA 80
C. UNE EUROPE DE LA DÉFENSE EN PANNE 82
1. Les divergences des acteurs communautaires de défense 85
2. Le bilan très contrasté des coopérations 88
a) Les coopérations militaires 88
b) Les coopérations industrielles 90
c) Interdépendance mutuelle ou repli national ? 92
3. Vers un décrochage militaire européen ? 94
III. — LES ACCORDS FRANCO-BRITANNIQUES : UN NOUVEL ÉLAN 97
1. Le traité relatif aux installations radiographiques et hydrodynamiques 99
2. La coopération de défense 100
3. La coopération industrielle 102
C. LES CONDITIONS DE RÉUSSITE DE CES ACCORDS 105
DEUXIÈME PARTIE : ANALYSE DES PROGRAMMES D’ARMEMENT 111
I. — PLUS DE POLYVALENCE POUR PLUS D’EFFICACITÉ ? 111
A. LA POLYVALENCE DES ÉQUIPEMENTS 111
B. DE NOUVEAUX SERVICES INTERARMÉES 112
C. FAUT-IL ALLER PLUS LOIN DANS LE DÉCLOISONNEMENT ? 115
II. — LA DISSUASION, PIERRE ANGULAIRE DE NOTRE SYSTÈME DE DÉFENSE 121
A. L’ÉVOLUTION DU CONTEXTE INTERNATIONAL 121
1. Les doctrines américaines et russes 122
2. La persistance du risque de prolifération 123
B. LA DOCTRINE FRANÇAISE ET L’EUROPE 125
1. Les risques d’un changement de doctrine 125
a) L’erreur de la suppression d’une des deux composantes 125
b) Quelle participation de la dissuasion à la réduction de la dépense publique ? 127
2. Le volet nucléaire de l’accord franco-britannique 128
3. Quelle place pour la dissuasion dans l’Europe de la défense ? 129
C. LES MOYENS DE LA DISSUASION FRANÇAISE 130
3. La composante océanique 139
4. Les transmissions, troisième composante de la dissuasion 142
5. Les moyens de recherche et de simulation 142
III. — LE MILIEU TERRESTRE 149
A. COMMUNICATION, RENSEIGNEMENT ET GUERRE ÉLECTRONIQUE 149
1. Les capacités terrestres de renseignement 150
2. Les radars terrestres 153
3. Les capacités terrestres de communication 154
4. Les capacités terrestres de guerre électronique 156
B. LES CAPACITÉS LOGISTIQUES TERRESTRES 157
C. LES CAPACITÉS TERRESTRES D’ENGAGEMENT ET DE COMBAT 161
1. Les équipements du fantassin 161
a) FELIN 161
b) Les effets personnels et l’armement individuel 167
c) Les robots et les drones terrestres 169
2. Les véhicules 169
a) Les véhicules légers 169
b) Les véhicules à protection anti-EEI 170
c) Les véhicules blindés modulaires 173
d) Les chars 177
3. La capacité de feu dans la profondeur 181
4. Quel avenir pour l’industrie française d’armement terrestre ? 188
a) Panorama de l’industrie française 188
b) Une concurrence forte 189
c) L’avenir de l’industrie d’armement terrestre en France 193
D. LES HÉLICOPTÈRES DE L’ARMÉE DE TERRE 195
1. Les hélicoptères de reconnaissance et d’attaque 196
2. Les hélicoptères de manœuvre et d’assaut 199
3. Un secteur économique rude 203
E. PROTECTION ET SAUVEGARDE 206
IV. — LE MILIEU MARITIME 213
A. LES SYSTÈMES EMBARQUÉS DE DÉTECTION ET DE GUERRE ÉLECTRONIQUE 214
1. Les capacités optiques 214
2. Les radars embarqués de surveillance aérienne 214
3. Les sonars 216
4. Les systèmes embarqués de guerre électronique 216
B. LES BÂTIMENTS DE PROJECTION 217
1. Le porte-avions 225
2. Les frégates 231
3. La lutte anti-mines 240
4. Les sous-marins d’attaque 241
5. Le missile de croisière navale Scalp naval 246
6. Les armements anti-navire et anti-sous-marin 247
7. Les hélicoptères embarqués 251
E. LES MISSIONS DE SURVEILLANCE ET DE SAUVEGARDE MARITIMES 252
F. L’INDUSTRIE NAVALE FRANÇAISE DE DÉFENSE À UN TOURNANT 258
V. — LA TROISIÈME DIMENSION 261
A. LE SYSTÈME DE COMMANDEMENT ET CONDUITE DES OPÉRATIONS AÉRIENNES 261
B. LES CAPACITÉS AÉRIENNES DE RENSEIGNEMENT 265
C. LES CAPACITÉS AÉRIENNES DE GUERRE ÉLECTRONIQUE 275
D. LES CAPACITÉS AÉRIENNES DE PROJECTION ET DE SOUTIEN 276
E. LES CAPACITÉS AÉRIENNES D’ENGAGEMENT ET DE COMBAT 281
1. Les avions de chasse 282
2. Les Caracal 292
3. Les drones d’attaque 294
4. Les avions d’entraînement 295
5. L’armement air-air 296
6. L’armement air-sol 298
7. Les missiles de croisière 301
F. LA DÉFENSE AÉRIENNE 302
1. La posture permanente de sûreté aérienne 304
2. Les systèmes terrestres de la défense antiaérienne 305
3. Les systèmes navals de défense surface/air 307
4. La consolidation franco-britannique en marche dans l’industrie missilière 309
G. LA DÉFENSE ANTI-MISSILES BALISTIQUES (DAMB) 312
VI. — LE MILIEU SPATIAL 318
1. Le renseignement d’origine électromagnétique (ROEM) 324
2. Les capacités spatiales d’observation 325
C. L’ACCÈS À L’ESPACE 328
D. LA SURVEILLANCE DE L’ESPACE 329
E. QUEL AVENIR POUR L’INDUSTRIE SPATIALE EUROPÉENNE ? 331
TRAVAUX DE LA COMMISSION 333
I. — AUDITION DE M. GÉRARD LONGUET, MINISTRE DE LA DÉFENSE ET DES ANCIENS COMBATTANTS 333
II. — AUDITION DE L’AMIRAL ÉDOUARD GUILLAUD, CHEF D’ÉTAT-MAJOR DES ARMÉES 353
III. — AUDITION DE M. LAURENT COLLET-BILLON, DÉLÉGUÉ GÉNÉRAL POUR L’ARMEMENT 375
IV. — EXAMEN DES CRÉDITS 387
ANNEXES 391
ANNEXE I : RÉCAPITULATIF DES PRINCIPAUX ÉQUIPEMENTS DES ARMÉES 391
ANNEXE II : PRINCIPAUX MATÉRIELS DÉPLOYÉS HORS DE MÉTROPOLE 397
« La puissance militaire est à la sécurité ce que l’oxygène est à la respiration : on n’y prête guère attention sauf lorsqu’on vient à en manquer » (1).
La défense participe à la crédibilité et à l’autorité de la France sur la scène internationale, au même titre que la politique économique. Malgré la crise, les décisions prises pour asseoir la crédibilité budgétaire de la France ne doivent pas porter atteinte à la crédibilité de sa défense avec des décisions mettant en péril les capacités opérationnelles des forces. Dans le même temps, des investissements de défense non maîtrisés peuvent fragiliser les plans de redressement des finances publiques.
Crédibilité budgétaire et crédibilité militaire vont de pair. Les objectifs de rétablissement des comptes publics et de renforcement des capacités opérationnelles des forces doivent être en permanence, d’une part, pris en compte par les décideurs politiques, budgétaires et militaires, et, d’autre part, expliqués et compris par les citoyens.
Dans un souci de mise en perspective, le rapporteur a souhaité examiner l’accord de coopération franco-britannique signé en novembre 2010 en matière de défense. Cet accord constitue un événement majeur pour la France et le Royaume-Uni : confrontées à des crises budgétaires majeures, les deux puissances militaires européennes se sont rapprochées pour procéder à des partages de souveraineté inédits jusqu’à présent. Il est encore prématuré de tirer les premiers enseignements de cet accord, mais sa réussite, indispensable pour préserver les capacités militaires françaises, est conditionnée à une évolution du modus operandi de l’État en matière de défense. Il convient d’identifier les grands axes de cette évolution pour éviter que les conservatismes et les inerties de l’appareil étatique ne l’emportent.
Avec le même souci de mise en perspective, les crédits destinés à la dissuasion et à l’équipement des forces pour 2012 ne peuvent se satisfaire d’une présentation sommaire. Reprenant la ligne éditoriale des précédents avis budgétaires, le rapporteur a engagé une analyse approfondie des équipements, alliant les approches techniques, budgétaires, opérationnelles, industrielles et internationales afin de mieux comprendre la destination, l’usage et la cohérence de ces crédits.
Le rapporteur avait demandé que les réponses à son questionnaire budgétaire lui soient adressées au plus tard le 19 septembre 2011. À cette date, 32 réponses lui étaient parvenues, soit un taux de 39 %. Au 10 octobre 2011, date limite résultant de l’article 49 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances, 83 réponses étaient parvenues, soit un taux de 100 %. Ce résultat traduit une forte mobilisation de l’ensemble des services du ministère que le rapporteur tient à saluer. En 2009 et 2010, nombre de réponses avaient fait l’objet d’une mesure de classification empêchant leur utilisation et leur publication. Cette année, le rapporteur avait demandé, d’une, part que ces mesures soient justifiées et, d’autre part, qu’elles soient appliquées avec plus de discernement. Cette demande a été satisfaite dans la mesure où les « fiches programmes » retraçant l’état d’avancement et les crédits associés à chaque opération d’armement n’ont pas été systématiquement classifiées. De même, le caractère confidentiel de certaines données a été expliqué. Cette évolution est positive et doit désormais s’inscrire dans la durée, permettant au Parlement d’exercer pleinement ses prérogatives constitutionnelles et organiques. |
PRÉAMBULE : SUIVI DES RECOMMANDATIONS PARLEMENTAIRES
Les décisions en matière de défense, et plus spécifiquement celles qui concernent l’équipement des forces ont surtout des conséquences de moyen et de long terme. Si l’analyse des choix budgétaires reste utile, il est indispensable de s’inscrire dans une perspective plus large. Le rapporteur regrette que les recommandations parlementaires ne soient généralement pas reprises et n’impactent que marginalement la politique conduite par le ministère de la défense.
Depuis 2009, le rapporteur demande au ministère d’établir un suivi des recommandations des avis budgétaires mais aussi des rapports parlementaires traitant de l’équipement.
Dans son avis sur le projet de loi de finances, le rapporteur invitait à « repenser l’idée de défense » au travers d’une nouvelle définition des menaces, d’une relance de l’Europe de défense et d’une réforme de l’OTAN. Constatant la difficile compatibilité de nos ressources avec nos objectifs opérationnels, il invitait à réfléchir à une meilleure mutualisation des capacités à l’échelle européenne. Il soulignait enfin l’importance d’une réflexion prospective estimant que si cet exercice n’était pas fait, « les décisions d’aujourd’hui [pourraient] sacrifier des capacités dont les forces armées auront besoin dans un contexte conflictuel différent de celui d’aujourd’hui et d’hier » (2). Il a demandé au ministère de détailler les suites réservées à ces préconisations.
Réponse (3) : Pour le programme 146, la priorité en faveur de l’effort d’équipement sera maintenue malgré la baisse des crédits de l’ensemble de la mission défense. Les ajustements opérés dans le cadre de la construction du budget triennal consistent principalement à reporter le lancement de plusieurs programmes nouveaux.
Par ailleurs, s’agissant des crédits de paiement, les incertitudes sur les recettes exceptionnelles issues de l’attribution aux opérateurs privés des bandes de fréquences 800 MHz et 2,6 GHz sont en passe d’être levées, avec l’arrivée attendue pour la fin 2011 de 936 millions d’euros pour 850 millions d’euros prévues initialement.
Enfin, la programmation budgétaire triennale prévoit une stabilité des crédits d’équipements jusqu’en 2013 permettant de préserver les grands contrats d’armements finalisés en 2009, souvent dans le cadre de commandes pluriannuelles (Rafale, FREMM, VBCI, Barracuda et FELIN).
Constatant le déficit capacitaire en matière de ravitaillement, le rapporteur avait déposé, avec Jean-Claude Viollet, rapporteur pour avis des crédits dévolus à l’armée de l’air, un amendement permettant aux armées de signer un contrat de location-vente pour trois avions multirôles (MRT) de type A330 pour une période de 12 ans. Les avions devaient décharger les appareils tactiques, notamment les KC 135, des missions ancillaires (transport de personnels et de fret) qu’ils accomplissent aujourd’hui. Cette opération devait également limiter le recours aux contrats d’affrètement.
Le rapporteur pour l’armée de l’air avait quant à lui déposé un amendement visant à assurer une rénovation a minima de la flotte de Mirage 2000D pour éviter toute rupture capacitaire, en laissant au ministère de la défense le temps de réfléchir plus largement à l’avenir de cette flotte. Il proposait notamment d’intégrer immédiatement les pods de renseignement électronique ASTAC sur l’ensemble de ces avions.
Ces deux amendements ont été adoptés par la Commission et votés lors de l’examen en séance publique des crédits de la mission « Défense ».
Réponse :
Amendement n° 2-37 au PLF 2011 (pod ASTAC)
Cet amendement a augmenté de 10 millions d’euros les crédits du P146 pour permettre d’intégrer les pods de renseignement électromagnétique ASTAC sous les Mirage 2000D sans attendre la rénovation mi-vie de ces avions repoussée au-delà de 2013. Cette intégration anticipée doit permettre d’éviter toute rupture capacitaire lors du retrait des Mirage F1CR en 2014.
L’EMA a formalisé le besoin (note n° D-11-005352 DEF/EMA/PLANS/COCA/DR du 20 juin 2011).
La DGA a préparé un contrat avec l’industrie dont la notification est prévue d’ici la fin de l’année 2011 pour un montant cohérent avec les ressources.
Amendement n° 2-38 au PLF 2011 (MRT)
Cet amendement a augmenté de 20 millions d’euros les crédits du P146 pour permettre de souscrire un contrat de location achat (leasing) de 3 avions de transport de type A330 pour une période de 12 ans.
L’objectif était de renforcer les capacités de transport des forces et de décharger les C-135 de certaines missions ancillaires (transport de personnel et de fret). Ces avions devaient pouvoir être transformés ultérieurement en MRTT, c’est-à-dire en mesure de remplir également des missions de ravitaillement, avec un engagement de l’industriel sur le coût, la durée et la date de la transformation dès le début de la location.
Dans le domaine du transport aérien, le déficit capacitaire, induit notamment par le retard de l’A400M, porte principalement sur le fret, alors que les 3 A310 et les 2 A340 actuellement à la disposition des armées sont adaptés au besoin de transport de passagers.
Après examen, la mesure n’est pas mise en œuvre à ce stade pour les raisons suivantes :
- Compte tenu des transformations nécessaires sur les avions, EADS ne dispose pas avant courant 2012 d’A330 adaptés au transport de fret et transformables ultérieurement en MRTT ; ainsi il n’est pas possible de consommer la ressource de 20 millions d’euros de CP mise en place en LFI 2011.
- La mesure envisagée par l’amendement parlementaire a un coût global élevé, et son financement menacerait le lancement du programme MRTT ; en effet elle porte sur un leasing sur 12 ans ; son coût global se situe à plus de 20 millions d’euros/an hors coût de MCO induit dans l’armée de l’air, soit a minima un alourdissement de la trajectoire financière pluriannelle de la programmation de 250 millions d’euros ; une telle dépense n’est pas provisionnée dans la trajectoire pluriannuelle de la programmation et sa couverture « sous enveloppe » menacerait le lancement du programme MRTT escompté en 2013.
- Dans ce contexte, compte tenu des moyens de transport aérien existants, il n’est pas jugé possible d’aller au-delà des mesures palliatives au retard de l’A400M décidées en 2010 (prolongation de la durée de service des Transall C160 de 2015 à 2018, achat de 8 cargos aériens légers CASA CN235, pérennisation de l’accord-cadre SALIS d’affrètement d’Antonov 124).
Le rapporteur se félicite de la prochaine notification du contrat pour les pods Astac. Quant aux MRT, il ne peut que regretter que la décision soit de nouveau reportée alors que l’opération en Libye a montré que la France n’était en plus en mesure d’assurer ses ravitaillements en vol (cf. infra).
Dans son rapport d’information sur la fin de vie des équipements militaires (4), Michel Grall estime qu’il faut « optimiser les procédures et mieux anticiper les besoins ». La fin de vie doit être utilisée « comme un levier d’influence et un vecteur de partenariat ». Ces deux éléments ne sauraient toutefois aboutir sans « un pilotage politique » affirmé. Le rapporteur a interrogé le ministère sur les suites réservées à ces propositions.
Réponse : La prise en compte dans le coût des programmes de la fin de vie d’un équipement, quelle que soit sa destination finale (cession, démantèlement), se fait conformément aux procédures prévues dans l’instruction générale n° 125 DEF/EMA/PLANS/COCA et n° 1516/DEF/DGA/DP/SDM du 26 mars 2010 relative au déroulement et à la conduite des opérations d’armement (du stade d’initialisation jusqu’au stade de retrait du service).
L’instruction générale précitée définit une démarche systématique d’estimation du coût global des opérations d’armement. La gestion de fin de vie des équipements y est donc intégrée, dès les premiers stades, dans l’estimation et la présentation des coûts (1) globaux de l’opération.
Pendant le stade d’utilisation de l’équipement, la structure en charge de la maîtrise d’ouvrage du soutien en service de l’équipement (structure relevant des armées ou de la DGA) prépare le retrait du service. Elle fournit les éléments de coût global dont elle assure l’estimation et la dépense, conduit l’optimisation logistique (optimisation des rechanges, des cycles d’entretien, etc.) de la fin du stade d’utilisation, tient ou fait tenir à jour les inventaires et les cartographies des substances dangereuses, identifie les équipements périphériques de l’environnement du système concernés par le retrait du service en vue de statuer sur leur devenir et rédige le dossier de retrait du service. In fine, le chef d’état-major des armées ou le délégué général pour l’armement approuvent le dossier de retrait du service de l’équipement, lançant ainsi le stade de retrait du service.
Lorsque le choix d’une cession est fait, les armées ou la DGA ont pour mission de procéder à cette cession avec l’appui des structures de soutien.
Lorsque la destination finale de l’équipement est le démantèlement, cette mission est confiée aux organismes qui sont en charge du maintien en condition opérationnelle (MCO), selon la répartition donnée en annexe.
(1) Le stade de retrait du service comprend les coûts de démantèlement, d’élimination, de dépollution et le cas échéant les gains de cession espérés.
Le rapport d’information faisait d’ores et déjà le point sur le dispositif actuellement en place et rappelé dans la réponse du ministère. Il est regrettable que le ministère ne soit pas allé plus loin et qu’aucun travail de réflexion n’ait été engagé, en lien avec les ministères concernés, pour par exemple mieux valoriser à l’export nos matériels d’occasion. Le rapport identifiait des pistes sérieuses, notamment pour les véhicules terrestres ; le ministère n’apporte malheureusement aucun élément sur ce dossier.
Publié en juin 2011, le rapport d’information du sénateur Robert Del Picchia dresse un bilan de la fonction d’anticipation stratégique au sein des structures françaises. Constatant que « le printemps arabe a pris par surprise un dispositif français dont les faiblesses bien connues », il cherche à « poser un diagnostic lucide et, surtout, [à] rouvrir le débat, autour de trois pistes de propositions pour renforcer, coordonner et rendre audible l’expertise française en la matière, au service de la décision » (5).
Réponse : Liminaire : la réponse ne porte que sur le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, auquel le ministère de la Défense a largement contribué, à la différence du Livre blanc sur la politique étrangère et européenne de la France. Par ailleurs, le rapport de M. del Picchia étant paru le 8 juin 2011, les mesures présentées, visant à renforcer la fonction d’anticipation stratégique, doivent être appréciées de manière tendancielle.
Trois ans après la parution des deux Livres blancs sur la défense et la politique étrangère et européenne, le rapport de M. del Picchia présente une vision contrastée du renforcement de la fonction « anticipation » au sein de l’État, tout en soulignant les efforts manifestes engagés en la matière par le ministère de la défense : renforcement de la gouvernance et de la coordination à l’échelle du ministère, développement des moyens, tant humains que budgétaires, consolidation de la prospective opérationnelle, lancement de réflexions prospectives transverses, etc. Cet investissement significatif et singulier a permis de dégager, au cours de l’année 2011, des premiers résultats qui participent du renforcement de la crédibilité et du caractère opérationnel du processus de préparation de l’avenir du ministère de la Défense. L’ensemble des actions engagées répondent ainsi concrètement aux trois interrogations posées par M. del Picchia :
1. Comment renforcer les capacités d’anticipation stratégique ?
2. Comment créer une véritable « communauté de la pensée stratégique française » ?
3. Comment mieux associer l’expertise à la prise de décision ?
1. Les capacités en matière d’anticipation stratégique relèvent non seulement des moyens mobilisés, mais également des stratégies mises en œuvre. Le ministère de la défense a donc tout naturellement fait porter son effort sur ces deux composantes :
En termes de gouvernance, la création formelle, en septembre 2010, du Comité de cohérence de la recherche stratégique et de la prospective de défense (CCRP), présidé par la Délégation aux affaires stratégiques (DAS) et associant l’État-major des armées (EMA), la Délégation générale pour l’armement (DGA) et le Secrétariat général de l’administration (SGA), a donné lieu à l’identification de huit thèmes de travail conjoints portant sur : « Les conflits de demain : les types d’engagement dans les champs classiques et nouveaux : quelles menaces, quelles modalités, quels impacts ? » ; « L’équilibre entre investissement, technologie, coûts et place de l’homme ? » ; « La gouvernance mondiale, la multipolarité, la montée en puissance des émergents : quelle stratégie européenne et française ? » ; « La sécurité environnementale et les ressources stratégiques : quelles stratégies européenne et nationale ? » ; « L’arc de crises : quelles évolutions ? » ; « La résilience » ; « L’externalisation, la privatisation et l’évolution des normes internationales » ; « L’autonomie stratégique et le partage capacitaire européen ». Chacune de ces thématiques, conduite alternativement par la DAS, l’EMA, la DGA et le SGA, donne lieu à l’élaboration d’un court rapport, agrémenté d’annexes, voire d’une cartographie spécifique. À ce jour, cinq d’entre elles ont été achevées ; les trois dernières seront traitées entre septembre et décembre 2011.
Au-delà de cette approche partagée, l’enjeu actuel porte sur l’identification et la mise en œuvre pérenne de process et méthodes à dimension prospective. L’objectif porte tout à la fois sur le renforcement du caractère innovant (« penser l’impensable ») des réflexions stratégiques conduites au sein du ministère, mais également dans la définition de pratiques de travail, et dans l’exploitation d’outils spécifiques (collaboratifs), de nature à conforter le développement d’une communauté de la prospective de défense.
Parallèlement, l’accroissement des moyens consacrés à l’anticipation stratégique ne devrait pas être remis en cause par la dégradation des perspectives budgétaires et des contraintes opérationnelles qui en découleront :
- après avoir créé une sous-direction ad hoc (« Prospective et politique de défense »), la DAS entend poursuivre ses efforts au cours des 18 prochains mois dans les domaines de la veille, de la dotation en outils spécifiques (aide à la construction de scenarii innovants, laboratoire de travail en groupe, etc.) et de la formation du personnel ;
- l’EMA ambitionne une montée en puissance rapide et qualitative de la prospective opérationnelle, mise en œuvre par le Centre interarmées de concepts, doctrines et expérimentations (CICDE), en renforçant et spécialisant les personnels consacrés à cette fonction ;
- enfin, la DGA s’est engagée dans une profonde refonte de sa direction de la stratégie, dont l’objectif à l’horizon des 12 mois est de renforcer l’association du processus de préparation de l’avenir en matière de technologies et de capacités à la prise de décision ministérielle.
2. Si la crédibilité et la pertinence d’une anticipation stratégique à vocation opérationnelle doivent naturellement se fonder sur un panel d’expertises à l’offre diversifiée, les limites des capacités nationales en la matière demeurent évidentes, en particulier dans certains domaines de recherche (économie de la défense par exemple). Les dix-huit derniers mois ont vu la mise en œuvre d’initiatives à dimension interministérielle, de nature à encourager le développement d’une communauté française de la recherche stratégique :
- la création du Conseil supérieur de la formation et de la recherche stratégique (CSFRS), sous la forme d’un groupement d’intérêt public (GIP), vise notamment à rapprocher acteurs publics (ministères, grandes écoles) et privés (grandes entreprises…), sur la base d’une approche intellectuelle et scientifique qui se veut innovante (décèlement précoce), mais également cohérente avec les conclusions du LBDSN (continuum sécurité-défense). Le ministère de la Défense en est membre fondateur et, par l’entremise de la DAS, y joue un rôle déterminant (deuxième contributeur budgétaire ; pilote des premiers projets mutualisés ; partenariat avec l’Agence française de développement ; etc.). Telle qu’engagée, l’action du CSFRS en matière de soutien à la réflexion stratégique nationale complète utilement les dispositifs ministériels – en particulier Défense – existants ;
- la réactivation par le Centre d’analyse stratégique (CAS) du Réseau interministériel de veille et de prospective (RIVP) vise très clairement à faire vivre une communauté de compétences, de concepts, de méthodes et de pratiques en matière de prospective publique. Regroupant près d’une vingtaine de dispositifs publics d’anticipation, veille et prospective, il a d’ores et déjà permis de structurer un réseau de veille et d’échanges susceptibles de concourir à l’anticipation des risques, menaces et opportunités pour les intérêts français afin d’orienter en temps utile les politiques et les dispositifs de prévention et de réponse. Le RIVP achève actuellement sa première analyse stratégique partagée, associant l’ensemble du Réseau, portant sur les conséquences de la bascule stratégique vers l’Asie en matière de politiques publiques françaises et européennes. Par ailleurs, une plate-forme électronique (Internet et Intranet) sera mise en place à compter de septembre 2011. Elle permettra d’accroître la visibilité de la communauté française en matière de prospective stratégique et fournira un outil de travail collaboratif. Le ministère de la Défense y participe également depuis sa création (représentation DAS) ;
- le ministère a également contribué à cet effort national en regroupant ses capacités de recherche stratégique sous la conduite de l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM) (1). En charge de la recherche stratégique du ministère, d’actions de formation au profit de l’enseignement militaire supérieur et des relations avec le monde universitaire, l’IRSEM a d’ores et déjà été en capacité de fédérer une importante communauté de chercheurs, dépassant très largement celle de la Défense. La prochaine rentrée universitaire devrait ainsi donner lieu à la création d’une chaire « Défense » avec HEC. L’ambition actuelle porte notamment sur le soutien à la relève stratégique (développement d’une communauté de chercheurs de haut niveau pour les questions de sécurité et de défense), pour laquelle des dispositifs spécifiques (augmentation sensible des bourses de thèse ; création d’un « fonds de mobilité » ; etc.) ont été créés. Si l’IRSEM est rattaché organiquement à l’EMA, il est supervisé par le CCRP afin de s’assurer de la cohérence globale des priorités et actions engagées en matière de prospective et de réflexion stratégique de Défense ;
- enfin la DAS poursuit sa politique, initiée en 2009, en matière de réflexion stratégique, prenant en compte la mutation de l’environnement politique et stratégique du ministère (rôle dévolu au CCRP au sein du ministère de la défense, création de l’IRSEM et mise en place du CSFRS) et visant notamment à renforcer les mesures de suivi de la production et à accroître la valorisation des productions en la matière. Elle a donné lieu à la mise en place d’un contrôle qualitatif (évaluation des études ; outil de suivi des études), fondé sur un suivi administratif et budgétaire renforcé et à l’exploitation accrue des travaux, tant au sein du ministère qu’auprès de la communauté française et internationale de Défense. À cette fin, la mise en ligne des études (non classifiées ni jugées sensibles) a été systématisée.
3. Enfin, en réorganisant profondément sa gouvernance en matière de prospective et réflexion stratégique, en renforçant ses capacités et ses processus de production ad hoc et en fondant son action sur une approche « réseau-centrée » (internationale/interministérielle/ministérielle), le ministère de la Défense a sensiblement amélioré au cours des dix-huit derniers mois – comme le souligne le rapport de M. del Picchia — le processus décisionnel de l’anticipation stratégique, en y associant pour une très large part la communauté des experts.
(1) Arrêté portant création de l’IRSEM en date de septembre 2010. L’IRSEM est notamment né de la fusion du Centre d’études en sciences sociales de la Défense (C2SD), du Centre d’études d’histoire de la défense (CEHD), du Centre d’études et de recherches de l’école militaire (CEREM) et de l’équipe de recherche du Centre des hautes études de l’armement (CHEAr).
Le rapport d’information du sénateur Jacques Blanc (6) cherche à identifier les matières premières stratégiques nécessaires à notre défense, et, plus largement, à la continuité de nos activités économiques, ainsi que les dispositions déjà prises ou restant à prendre pour prévenir d’éventuelles ruptures d’approvisionnement, en France et dans l’Union européenne. Le thème de la sécurité des approvisionnements avait déjà été abordé par le Livre blanc et le rapporteur avait souligné l’importance de cette question dans son avis budgétaire de 2011.
Réponse : Comme le décrit le chapitre « Matières premières » extrait du Plan Prospectif à 30 ans (PP30) de la DGA : « Plus que les matières premières dans leur ensemble (minerai, pétrole…), ce sont aujourd’hui les matériaux et constituants ainsi que les procédés de mise en œuvre, qui s’avèrent critiques pour le développement et l’utilisation des capacités militaires ».
En effet, les difficultés potentielles identifiées dans l’immédiat concernent plus des filières de semi-produits technologiques avec les technologies de mise en œuvre nécessaires à leur élaboration, que leur source d’origine métallique ou minérale directe.
Parmi les difficultés en approvisionnements stratégiques pour les besoins de défense, on peut citer :
- les fibres de carbone : elles entrent dans le processus de fabrication de pièces en matériaux composites, pour lesquelles l’approvisionnement en précurseur est aujourd’hui essentiellement réalisé à partir du Japon. Plusieurs industriels du domaine aéronautique militent en faveur du développement d’une filière européenne, voire française. Des contacts ont été pris d’une part avec les sociétés produisant de la fibre basse performance, SGL en Allemagne ou Fisipe au Portugal pour qu’elles développent une filière haute performance. Ces actions sont réalisées en concertation avec l’Agence Européenne de Défense et la Communauté Européenne, et entrent dans le cadre plus général des travaux engagés sur la « non-dépendance européenne ». D’autre part, la DGA est en contact avec la région Aquitaine qui envisage la mise en place d’une usine de fabrication du précurseur (PAN — Poly Acrylo Nitrile) à côté de l’usine Soficar, qui fabrique déjà des fibres de carbone, localisée à côté de Pau.
- le titane : il existe également un degré de criticité élevé concernant son approvisionnement qui se fait sous forme d’éponge. La fourniture des éponges de titane se fait essentiellement à partir des États-Unis et de la Russie actuellement, et la DGA maintient une vigilance constante sur l’évolution des marchés liés à ce matériau. Pour lever cette criticité vis-à-vis des applications aéronautiques, une joint-venture (UKAD) a été mise en place pour répondre en particulier aux besoins d’Airbus entre KBHT et le français Aubert & Duval.
- les oxydes de terres rares : le groupe Rhodia est le leader mondial de la formulation à base de terres rares. Il assure ses approvisionnements en étant associé à l’Australien Lynas via l’exploitation du gisement de Mount Weld (considéré comme le plus important au monde).
En outre, Areva et Rhodia viennent de signer un accord pour développer et exploiter ensemble des gisements mixtes d’uranium et de terres rares situés « un peu partout dans le monde », et en particulier au Kazakhstan. En 2007, Areva s’était déjà associée à Northern Minerals pour exploiter des gisements d’uranium et de terres rares en Australie.
En complément de ces exploitations directes de minerai, la voie de l’approvisionnement par le recyclage commence à être exploitée. Un processus de recyclage des poudres luminophores, concentrées en terres rares et contenues dans les lampes basse consommation, vient d’être mis au point. Ces poudres pourront désormais être recyclées dans les usines Rhodia à Saint-Fons (69) puis à La Rochelle (17), cette dernière détenant un savoir-faire unique en Europe en matière de séparation des terres rares. Les terres rares issues des batteries NiMH seront quant à elles traitées sur le nouveau site de recyclage d’Umicore, à Hoboken.
Bien que la société Solvay ait lancé une offre amicale sur le groupe Rhodia, l’approvisionnement en oxydes de terres rares n’est pas considéré comme critique pour ses besoins par la DGA.
- les platinoïdes : la DGA a mis en place des actions de soutiens aux milieux académique et au CEA sur la mise au point de nouvelles technologie pour diminuer drastiquement (plus de 90 %) les quantités de platine utilisé dans les nouvelles technologies de production d’énergie alternative comme les PAC (pile à combustible) par exemple.
Dans la problématique de l’approvisionnement des matériaux stratégiques, il convient également de prendre en compte le traitement des obsolescences induites par l’application des directives et réglementations européennes (directive cadre sur l’eau (DCE), REACh). La liste des substances interdites dans les annexes de ces réglementations va conduire à l’éviction des produits comme le Chrome IV ou le Cadmium par exemple, ce qui réduira les disponibilités militaires. Dans ce contexte, la DGA a mis en place des actions de soutiens aux PME sur le développement de procédés de substitution par des produits respectueux de l’environnement et ne présentant pas de problème d’approvisionnement à court ou moyen terme.
L’analyse et l’étude de la criticité des approvisionnements étant une posture permanente, la DGA a activement participé au Groupe de travail du comité de coordination de la recherche et la prospective de mai 2011 sur la thématique « raréfaction des ressources », ceci en prévision d’une possible réactualisation prochaine du LBDSN.
PREMIÈRE PARTIE : LA COOPÉRATION FRANCO-BRITANNIQUE, UNE RÉPONSE À LA CRISE ?
L’aggravation de la crise économique et financière conduit la quasi-totalité des pays occidentaux à réduire leurs dépenses, l’effort portant en grande partie sur les budgets de la défense. Le budget pour 2012 doit être analysé à la lumière des conséquences de cette crise sur nos outils de défense et, plus généralement, de son impact sur les grands équilibres mondiaux. L’accord franco-britannique signé en 2010 pourrait être une réponse à ces difficultés avec un effort de mutualisation des moyens et des ressources.
Au cours de l’été 2008, l’économie mondiale est entrée dans une de ses plus graves et profondes crises économiques et financières. Comme le souligne Gilles Carrez, rapporteur général du budget, « les États développés vivent la fin d’un cycle économique vieux de trente ans et caractérisé par un accroissement constant de l’endettement de l’ensemble des agents économiques – États, ménages, entreprises et institutions financières. Ce cycle laisse une trace profonde sur l’endettement public et une interrogation sur les moyens de résorber cette dette sans connaître une période prolongée de stagnation économique. […] La décennie 2010 s’ouvre donc sur une dégradation de la situation budgétaire des administrations publiques jusqu’alors inconnue en temps de paix » (7).
Comme le montre le graphique ci-après, les prévisions de l’OCDE confirment cette analyse pour le second semestre 2011, estimant que « la croissance économique dans les économies du G 7 hors Japon restera à un taux annualisé de moins de 1 % au second semestre de 2011 ». Selon Pier Carlo Padoan, chef économiste à l’OCDE, « le risque d’une période de croissance négative au cours de la période à venir s’est renforcé » (8).
Croissance des pays du G7 (hors Japon) (en %) |
Source : OCDE. |
La situation des finances publiques en France est en constante dégradation depuis le milieu des années 1970. Le graphique suivant montre que cette dégradation se traduit par un fort endettement public et un déficit public structurel.
Évolution de la dette et du déficit public en France |
Source : OCDE. |
Dans ce contexte, l’assainissement des comptes publics devient urgent. L’OCDE considère que « la France doit rompre définitivement avec la dérive des comptes publics afin d’éviter que la stabilité macroéconomique ne soit menacée » (9). La Cour des comptes souligne elle aussi les conséquences d’une telle dérive budgétaire, faisant valoir que « le niveau de déficit atteint en 2010 est tel que la dette risquerait de s’emballer si aucun effort de redressement n’était opéré, ce que met en évidence un scénario tendanciel à l’horizon de 2020. Un effort structurel de réduction du déficit d’un point de PIB par an permettrait toutefois de la stabiliser puis de la réduire ».
Sans un effort significatif, l’indépendance financière, et partant la marge de manœuvre politique, de la France serait menacée. « La dette négociable de l’État [est en effet] détenue à hauteur de 67,7 % par des non résidents à la fin de 2010 et, si la diversification des créanciers de l’État peut utilement réduire les risques et contribuer à satisfaire les besoins d’emprunts, l’accumulation des dettes accroît la dépendance de l’État vis-à-vis des marchés financiers et réduit ses marges budgétaires » (10).
Le chemin du désendettement est étroit : « l’État ne peut plus compter sur d’importantes cessions d’actifs financiers pour réduire son endettement. La valorisation boursière des actions cotées et parts d’OPCVM (11) qu’il détient est passée de 181 milliards d’euros fin 2007 à 84 milliards d’euros fin 2010. […] Il est donc impératif de prévenir l’emballement de la dette publique en réduisant le déficit. Un effort structurel de réduction du déficit de 1,0 point de PIB par an pendant cinq ans jusqu’à ce qu’il soit nul […] permettrait d’endiguer la progression de la dette à 86 % du PIB en 2013 puis de la réduire jusqu’à 72 % en 2020 » (12).
Les mesures traditionnelles de redressement des comptes publics sont de moins en moins efficaces au fur et à mesure que la crise financière s’aggrave. Le rapporteur général du budget estime que « l’impact de cette crise sur les finances publiques est profond et durable et [que] le retour à un niveau d’endettement public brut conforme aux critères de Maastricht, qui hier était un objectif à portée de main, n’est plus aujourd’hui réalisable dans un avenir proche. Alors que la part de la dette publique brute dans la richesse nationale pourrait atteindre plus de 87 % en 2012, la progression des intérêts de la dette contraint l’État à geler ses dépenses. Le risque de voir l’action publique perdre ses marges de manœuvre du fait de l’endettement devient donc réalité » (13).
Au-delà des difficultés financières rencontrées, c’est le modèle de développement économique qui est aujourd’hui remis en cause. La crise a produit « un effet de loupe sur l’état des finances publiques des différents pays européens : la France est apparue comme un pays qui cumule un fort déficit, une accélération de sa dette publique et une médiocre performance de moyen-long terme en matière de déficits. La consolidation des finances publiques est rendue plus impérative par les niveaux atteints par l’endettement public. En effet, l’endettement public a désormais atteint des niveaux inconnus en temps de paix ». Partant de ce constat, le conseil d’analyse économique souligne qu’un « modèle de croissance financé à crédit n’est clairement plus une option possible depuis la crise : la contrainte de finances publiques s’impose à nous maintenant pleinement » (14).
Comme le rapporteur le soulignait lors de la discussion générale du projet de loi de finances rectificative le 6 septembre dernier, la défense « doit participer à l’effort collectif ». Pour autant, les efforts demandés ne doivent pas fragiliser la crédibilité de notre pays ni remettre en cause les restructurations engagées depuis quatre ans. Le rapporteur a donc analysé, d’une part, la situation des crédits alloués aux équipements et à la défense en 2012 et, d’autre part, les possibles conséquences d’événements exogènes sur les ressources de la défense en mettant l’accent sur le risque industriel et sur les exportations.
Dans un contexte de resserrement budgétaire, le budget de la défense apparaît globalement préservé et les priorités de la loi de programmation militaire sanctuarisées. L’équilibre financier reste cependant fragile et soumis à des aléas forts, notamment en ce qui concerne les ressources exceptionnelles. Les conditions d’exécution du budget 2011 pèseront fortement sur l’année à venir, surtout si les surcoûts ne sont pas compensés et que toutes les recettes ne sont pas au rendez-vous.
Sur le plan de la nomenclature budgétaire, le programme 146 est globalement stable avec la disparition de deux sous-actions (15) correspondant à des programmes en voie d’achèvement. En revanche, le ministère modifie la présentation des présentations des autorisations d’engagement (AE) au travers des tranches fonctionnelles.
La distinction entre AE et crédits de paiement (CP) est justifiée par l’écart existant entre la date de signature du contrat, c’est-à-dire l’engagement juridique de l’État, et la date de paiement réel, une fois le service fait constaté. En matière de défense, le délai peut être assez conséquent, surtout que le ministère a choisi de globaliser ses commandes, c’est-à-dire d’engager en une fois des sommes très importantes, les paiements étant échelonnés dans le temps.
Ce mécanisme ne permet cependant pas d’avoir une vision consolidée des engagements passés et de leur impact sur les paiements futurs. De même, il n’est pas possible à l’heure actuelle de distinguer les AE engagées des AE affectées : les premières sont la conséquence d’un engagement juridique tandis que les secondes ne correspondent à une prévision budgétaire.
Pour pallier ces difficultés et donner une meilleure visibilité pluriannuelle, le ministère a décidé d’utiliser les possibilités offertes par le progiciel Chorus en appliquant plus strictement l’article 8 de la loi organique relative aux lois de finances (16). Il a ainsi créé un nouvel agrégat dénommé « tranche fonctionnelle d’investissement ». Elle devient le support d’une affectation d’autorisations d’engagement sur un projet dont la réalisation s’effectuera sur plusieurs années et pourra nécessiter des engagements juridiques répartis sur plusieurs exercices. Dès le lancement du projet, le coût total sera ainsi connu. Il aurait été possible de prévoir dès le départ un montant équivalent d’AE mais cela nuirait à la lisibilité en raison de l’augmentation conséquente du stock d’AE non engagées. De surcroît, le ministère du budget fixe chaque année un plafond des engagements et il aurait fallu déroger régulièrement à cette règle pour pouvoir lancer les opérations.
Ce changement de présentation apparaît particulièrement complexe puisqu’il va falloir reconstruire a posteriori les tranches fonctionnelles de tous les programmes en cours. Le processus ne sera par ailleurs pas mis en place pour tous les programmes dès 2012 ; les arbitrages seront rendus progressivement et le système n’atteindra son format final qu’en 2013 ou 2014.
Question : Présenter la mise en œuvre des tranches fonctionnelles pour les équipements de la défense. En indiquer les conséquences sur la nomenclature budgétaire et sur la programmation pluriannuelle.
En quoi ce nouveau système va-t-il améliorer la transparence et la lisibilité du budget ?
Réponse :
L’article 8 de la LOLF instaure que « pour une opération d’investissement, l’autorisation d’engagement couvre un ensemble cohérent et de nature à être mis en service ou exécuté sans adjonction ». Cette référence à une tranche fonctionnelle d’investissement tend à éviter le fractionnement d’une opération d’investissement en plusieurs phases successives, qui pourraient masquer au Parlement la véritable ampleur des dépenses. La transparence est plus grande car le coût estimé d’une opération est annoncé avant le début du lancement de l’opération en question.
La tranche fonctionnelle (TF) est donc le support d’une affectation d’autorisation d’engagement (AE) sur un projet dont la réalisation s’effectuera sur plusieurs années. Il pourra nécessiter des engagements juridiques répartis sur plusieurs exercices.
Ainsi, désormais, le processus budgétaire du ministère de la défense en matière d’équipement revêt trois étapes :
- affectations : ensemble des commandes (y compris sur années ultérieures) pour une opération donnée. De manière générale, pour les programmes d’armement, une tranche fonctionnelle correspond à un stade tel que le stade de réalisation ; pour certaines grosses opérations, la maille sera plus fine et pourra correspondre à un ou plusieurs exemplaires. Ainsi, chaque SNA Barracuda est financé à partir d’une TF spécifique ;
- engagements : commandes prévues dans l’année ;
- paiements.
La demande d’AE du ministère en loi de finances doit tenir compte des affectations et des engagements et si elles existent des AE affectées non engagées (AEANE).
La soutenabilité budgétaire des affectations doit être garantie par une programmation pluriannuelle des tranches fonctionnelles instrumentée dans CHORUS et par la régulation des engagements annuels via notamment le plafond d’engagement fixé en lien avec la direction du budget.
Mise en œuvre de cette disposition dans les PAP 2011 et 2012
TF créées en 2009 et 2010
La mise en œuvre récente (2010) de cette disposition liée aux nouvelles fonctionnalités offertes par CHORUS n’a pas permis lors de la création de chaque TF d’affecter le montant nécessaire en autorisations d’engagement. C’est pourquoi un besoin de régularisation de ces « TF historiques » est nécessaire pour les « charger » en totalité. Deux options étaient possibles, soit un chargement au fil de l’eau, qui déroge au cependant au concept même des TF, soit un chargement (LFI ou LFR) en une seule fois, cette option étant certes plus conforme à l’esprit de la LOLF.
Les différents échanges avec la direction du Budget n’ont pas permis de régulariser en une seule fois ces TF, c’est donc un chargement au fil de l’eau qui sera opéré.
TF créées en 2011
Lors des arbitrages en AE relatifs au PLF 2011, le ministère de la défense a obtenu 1 milliard d’euros d’AE supplémentaires par rapport aux AE nécessaires à l’engagement en 2011, afin de mettre en place cette nouvelle disposition pour les tranches fonctionnelles créées en 2011 uniquement, c’est-à-dire les tranches fonctionnelles n’existant pas encore dans CHORUS (Barracuda, MUSIS, RDIP, etc.).
Ainsi pour chaque tranche fonctionnelle nouvellement créée, c’est le montant total de la TF en AE qui a été affecté.
TF à créer en 2012
Lors des arbitrages en AE relatifs au PLF 2012, pour les nouvelles TF 2012 afférents à des contrats au stade de réalisation, le ministère de la défense n’a demandé que les AE à hauteur des engagements de l’année pour des raisons de confidentialité vis-à-vis des industriels. Les TF seront complétées en 2013 ou 2014 suivant la date de signature des contrats principaux.
S’agissant de la mission Défense, cette disposition concerne en 2012 :
- le programme 146 pour les opérations stratégiques « PEM » et « Dissuasion » ;
- le programme 212 pour les opérations stratégiques « Infrastructure de défense » « Dissuasion » et « logement familial » ;
- le programme 178, opération stratégique « EPM » ;
- le programme 144, opération stratégique « ADM ».
Le montant 2012 des autorisations d’engagement qui seront affectées sur tranches fonctionnelles pour la mission défense est de 8,05 milliards d’euros.
Pour le ministère de la défense, malgré quelques imperfections (régularisation des historiques, contrainte de confidentialité avec les industriels), l’intérêt principal de ce dispositif réside dans l’établissement d’une programmation à moyen – long terme avec une visibilité sur les engagements et les paiements futurs. Les arrêtés de reports préciseront à quelles opérations d’investissement se rapportent les crédits à reporter.
Si l’amélioration de la lisibilité constituera, à terme, un avantage appréciable, la coexistence de plusieurs agrégats affaiblit, à ce stade, la compréhension et risque d’entretenir une certaine confusion. Il est primordial que la mise en œuvre de cette mesure fasse l’objet d’un suivi très attentif et d’un compte rendu détaillé dans le rapport annuel de performance.
Le budget 2012 respecte la logique de la programmation pluriannuelle dans ses grandes orientations avec une baisse des autorisations d’engagement (AE) et un maintien des crédits de paiement (CP). Les années précédentes, beaucoup de commandes ont en effet été passées ; il convient désormais d’en assurer le financement. Comme le montre le tableau suivant, les AE du programme 146 sont en diminution de plus de 1,3 milliard d’euros. Les crédits de paiement évoluent en revanche favorablement avec un gain de 340 millions d’euros. Les écarts concernent l’ensemble des actions même si l’essentiel de la baisse se concentre sur le commandement et la maîtrise de l’information.
Pour la dissuasion, la hausse s’explique par la commande des opérations de maintien en condition opérationnelle du M51 et de l’ASMP-A ainsi que par l’adaptation au M51 du sous-marin nucléaire lanceur d’engins (SNLE) Le Triomphant. Les AE du commandant et de la maîtrise de l’information étaient élevés en 2011 pour assurer la commande du satellite MUSIS à hauteur de 1,1 milliard d’euros. En matière de projection, de mobilité et de soutien, le volume reste globalement stable, la commande des NH 90 en 2012, soit 835 millions d’euros, équivalant à celle de 768 millions d’euros pour les porteurs polyvalents terrestres (PPT) en 2011. En 2011, l’action projet et sauvegarde permettait de commander le troisième sous-marin nucléaire d’attaque (SNA) Barracuda et de poursuivre le programme des frégates multimissions FREMM. La commande de la rénovation des avions de patrouille maritime Atlantique 2, des missiles moyenne portée (destinés à succéder au Milan) et d’un missile antinavire léger (ANR) ne suffit pas pour maintenir les AE au même niveau qu’en 2011. Enfin en matière de protection et sauvegarde, le ministère prévoit d’affecter 555 millions d’euros en AE pour renouveler les bâtiments de soutien et d’assistance hauturier de la marine. Il convient toutefois de souligner qu’il n’est pas prévu d’engager ces sommes mais uniquement de les affecter. Ces crédits sont toutefois retracés dans le tableau final des engagements de l’action. Il convient donc de préciser comment ces sommes seront utilisées. En tout état de cause, la distinction entre affectation et engagement doit être utilisée avec prudence car cela peut contribuer à l’augmentation mécanique du stock d’AE à reporter et ainsi nuire à la lisibilité budgétaire annuelle.
Comme le montre le tableau suivant, l’investissement reste une priorité du ministère de la défense avec une attention particulière accordée aux équipements.
Crédits de titre 5 "Investissement" de la mission "Défense" (en millions d’euros) | ||||||||||
LFI 2010 |
LFI 2011 |
Évolution annuelle |
PLF 2012 |
Évolution annuelle | ||||||
Programme |
AE |
CP |
AE |
CP |
AE |
CP |
AE |
CP |
AE |
CP |
144 |
130 |
181 |
142 |
158 |
8,6 % |
- 14,9 % |
152 |
138 |
6,4 % |
- 14,0 % |
178 |
489 |
455 |
450 |
418 |
- 8,5 % |
- 9,1 % |
465 |
440 |
3,2 % |
5,0 % |
212 |
1 356 |
789 |
2 456 |
1 063 |
44,8 % |
25,7 % |
1 367 |
1 015 |
- 79,6 % |
- 4,7 % |
146 |
8 397 |
8 648 |
8 930 |
7 795 |
6,0 % |
- 11,0 % |
8 136 |
7 881 |
- 9,8 % |
1,1 % |
Total |
10 372 |
10 073 |
11 979 |
9 432 |
13,4 % |
- 6,8 % |
10 120 |
9 474 |
- 18,4 % |
0,4 % |
Source : PAP 2011 et PAP 2012. |
Les AE baissent certes par rapport à 2011 mais restent à un niveau équivalent à celui de 2010. Les CP en revanche progressent, inversant la tendance de l’année précédente. Au total, les dépenses d’investissement représentent environ 25 % du budget total de la défense et un peu moins de la moitié des crédits hors titre 2.
Si le rapporteur se félicite de la priorité donnée aux équipements, il a souhaité examiner l’évolution des crédits de fonctionnement qui avaient déjà augmenté en 2010 de 40,9 % pour les AE et de 16,4 % pour les CP. Le tableau ci-après présente cette évolution pour le programme 146.
Évolution des crédits de titre 3 « fonctionnement » du programme 146 (en millions d’euros) | ||||||
LFI 2011 |
PLF 2012 |
Écart | ||||
AE |
CP |
AE |
CP |
AE |
CP | |
Dissuasion |
1 070 |
571 |
427 |
380 |
- 150,5 % |
- 50,5 % |
Commandement et maîtrise de l’information |
790 |
57 |
460 |
122 |
- 71,7 % |
53,4 % |
Projection — mobilité — soutien |
128 |
57 |
587 |
170 |
78,2 % |
66,7 % |
Engagement et combat |
235 |
188 |
200 |
406 |
- 17,6 % |
53,6 % |
Protection et sauvegarde |
11 |
13 |
25 |
27 |
53,5 % |
51,3 % |
Préparation et conduite des opérations d’armement |
131 |
133 |
154 |
164 |
15,0 % |
19,0 % |
Total |
2 365 |
1 019 |
1 852 |
1 269 |
- 27,7 % |
19,7 % |
Source : PAP 2012. |
Les AE baissent de près de 28 % tandis que les CP continuent d’augmenter passant de 1 milliard d’euros à plus de 1,2 milliard d’euros. Cette situation s’explique par l’importance des engagements de 2011. Par ailleurs, l’entrée en service de nouveaux équipements induit nécessairement un surcoût de MCO lié à l’appropriation des matériels par les forces mais aussi à leur complexité technologique. La moindre opération de remplacement implique désormais des matériaux coûteux qu’il faut souvent remplacer plutôt que réparer.
Si les crédits prévus en 2012 apparaissent isolément assez satisfaisants et préservent l’essentiel de l’effort de défense, ils restent en deçà des orientations pluriannuelles. De surcroît, ils sont encore soumis à de forts aléas, notamment en ce qui concerne les conditions de la fin de l’exécution budgétaire pour l’année 2011.
Comme le montre le tableau suivant, les budgets annuels n’ont pas respecté la trajectoire prévue par la LPM, avec un écart cumulé de plus de 1,8 milliard d’euros en deux ans.
Évolution du budget de la défense (en crédits de paiement et hors pensions) (en milliards d’euros) | ||||
2011 |
2012 |
2013 |
Total | |
LPM |
30,66 |
31,86 |
32,81 |
95,33 |
LFI, PLF et LPFP |
30,15 |
30,51 |
31,02 |
91,68 |
Écart |
- 1,7 % |
- 4,4 % |
- 5,8 % |
- 4,0 % |
Source : projets annuels de performance, LPFP et LPM. |
La programmation pluriannuelle des finances publiques ne prévoit pas de rattraper ce décalage en 2013 puisque les crédits budgétaires devraient encore être inférieurs de 1,79 milliard d’euros à la prévision de la LPM.
Les ressources exceptionnelles devraient limiter l’écart et assurer le financement de la programmation. Pourtant, comme le montre tableau ci-après, le ministère pâtit d’un décalage récurrent depuis 2009.
Évolution des recettes exceptionnelles (en milliards d’euros) | |||||
2009 |
2010 |
2011 |
2012 |
2013 | |
LPM |
1,61 |
1,22 |
0,54 |
0,20 |
0,10 |
Actualisation (1) |
0,59 |
0,10 |
1,02 |
1,09 |
1,07 |
Écart cumulé |
- 1,02 |
- 2,14 |
- 1,66 |
- 0,77 |
0,20 |
(1) Sommes encaissées pour 2009 et 2012 et prévisions actualisées à partir de 2011. | |||||
Source : ministère de la défense et des anciens combattants. |
À supposer que les prévisions actualisées soient respectées, les recettes exceptionnelles n’apporteront d’ici 2013 que 20 millions d’euros supplémentaires. Cet abondement ne suffit nullement à compenser l’insuffisance des crédits budgétaires. L’exécution des crédits en 2009 et 2010 a par ailleurs montré que cette ressource est très fortement aléatoire : en son absence, le ministère doit trouver des solutions palliatives, insatisfaisantes sur le moyen et le long terme. La mobilisation des reports de crédits ou le bénéfice d’une moindre inflation ne saurait durablement équilibrer le budget du ministère.
Comme l’a observé le délégué général pour l’armement lors de son audition, le budget de la défense est en situation d’équilibre précaire, le moindre décalage pouvant avoir des conséquences durables. « Si [des] recettes venaient à manquer, le report de charges s’aggraverait d’autant et nous sortirions du domaine du soutenable » (17).
L’aléa évoqué par le délégué général apparaît fort, surtout que le ministère de la défense a d’ores et déjà été soumis à des mesures de régulation au cours de l’année 2011. En outre, le financement des OPEX n’est, à ce jour, pas encore assuré par un abondement interministériel et pourrait dégrader encore plus le bilan de cette année. À ce stade, les mouvements de gestion restent relativement peu élevés, avec une baisse de 54,5 millions d’euros pour les AE et de 42,5 millions d’euros pour les CP (18).
La loi de finances rectificative de septembre 2011 a ainsi annulé près de 210 millions d’euros, l’essentiel de l’effort portant sur l’équipement des forces avec 208 millions d’euros de moins en autorisations d’engagement et 158 millions d’euros de moins en crédits de paiement. Le ministre de la défense a indiqué que « cette baisse n’est pas identifiable dans la mesure où [le ministère essaie] de l’absorber grâce [à ses] capacités de trésorerie et d’endettement ». Cette décision n’a cependant pas conduit à la suppression de « dépenses d’équipement ou de fonctionnement significatives » (19). Il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’un élément de contrainte supplémentaire quand les marges de manœuvre sont déjà inexistantes.
Comme l’a rappelé le rapporteur lors de la discussion générale de la loi de finances rectificative, il faut prendre garde au « risque sérieux de décrochage qui viendrait […] ternir les quatre années d’efforts exceptionnels que nous avons fournis jusqu’à présent » (20) si d’aventure la défense devait faire face à d’autres mesures de régulation avant la fin de l’année. Comme le montre le graphique suivant, le surcoût OPEX est en effet en augmentation très forte.
Évolution du surcoût OPEX (en millions d’euros) |
(1) réserve interministérielle de précaution, loi de finances rectificative ou remboursements ONU. Source : ministère de la défense et des anciens combattants. |
Le surcoût devrait donc atteindre au moins 1,2 milliard d’euros en 2011, soit une hausse de près de 40 %. Ce phénomène est conjoncturel et lié à l’intervention de la France en Libye ; il n’en constitue pas moins un facteur de déséquilibre majeur qu’il convient d’anticiper au plus vite. Comme l’ont indiqué le ministre de la défense et la ministre du budget, un abondement interministériel devrait couvrir ce besoin. Il conviendra toutefois de s’assurer que la compensation intervient suffisamment tôt pour que les services puissent liquider les opérations et évitent ainsi d’augmenter les reports.
Le caractère pluriannuel des opérations d’armement impose d’examiner l’évolution des crédits sur le long terme. Avec la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), une distinction plus nette s’est faite entre les AE et les CP. Le ministère de la défense a par ailleurs décidé de globaliser ses commandes, ce qui explique les pics temporaires d’AE en début de programmation. Le décalage existant avec les CP devrait néanmoins se résorber au fur et à mesure. Le graphique suivant montre toutefois une aggravation de la tendance.
Évolution des crédits de titre 5 de la mission « Défense » (en milliards d’euros) |
Source : rapports annuels de performance pour 2006 et 2007, lois de finances initiale pour 2008 et 2009 et projet annuel de performance pour 2012. |
Même en isolant les engagements antérieurs, le schéma montre bien que les crédits de paiement actuellement prévus ne suffisent pas à couvrir les engagements. Le projet annuel de performance précise même que, pour le programme 146, il y a aura quelque 46 milliards d’euros d’engagements non couverts à la fin de l’année 2012. En d’autres termes, la charge reportée sur les années à venir correspond à plus de trois exercices budgétaires. Le rapporteur souligne le caractère glissant des engagements qui justifient parfaitement un décalage. En revanche, il s’inquiète de cette évolution, craignant la reproduction d’une « bosse » : lorsque le ministère ne pourra plus financer les programmes qu’il a prévus, il lui faudra opérer des coupes, ce qui serait opérationnellement catastrophique, industriellement dangereux et financièrement coûteux puisqu’il faudra malgré tout indemniser les industriels.
Le rapporteur a souhaité avoir une vision plus précise de ces décalages et a donc demandé au ministère d’établir un récapitulatif des engagements et des paiements pour les principaux programmes d’armement depuis 2006. Le tableau suivant présente l’état de consommation ou les prévisions de consommation de 35 programmes (21).
Évolution des crédits de 35 programmes d’armement (en millions d’euros) | |||||||
2006 |
2007 |
2008 |
2009 |
2010 |
2011 prévu |
2012 prévu | |
Engagements |
4 311,3 |
3 240,6 |
4 652,0 |
12 890,2 |
3 335,7 |
4 966,5 |
3 291,3 |
Paiements |
3 717,4 |
3 708,0 |
4 618,7 |
5 935,0 |
5 141,0 |
4 437,8 |
5 354,0 |
Source : ministère de la défense. |
Ces données font apparaître un écart cumulé entre les engagements et les paiements qui atteint plus de 5,3 milliards d’euros à la fin de l’année 2010. Comme le montre le graphique suivant, la situation se dégrade encore en 2011 ; elle devrait s’améliorer en 2012 à supposer que les prévisions d’exécution soient scrupuleusement respectées.
Écart cumulé entre les engagements et les paiements de 35 programmes d’armement (en millions d’euros) |
Source : ministère de la défense. |
Le schéma ne donne pas une image réaliste de la situation entre 2006 et 2008 puisque l’essentiel des paiements de ces années étaient dus à des engagements antérieurs. En revanche, on constate bien que le fort niveau d’engagement de 2009 ne commence à se résorber qu’à compter de 2012 même s’il restera encore près de 3,8 milliards d’euros d’engagements à couvrir.
Le risque de reproduction de bosse est donc bien lié aux décisions intervenues ces dernières années qui s’ajoutent aux conséquences des arbitrages antérieurs. En d’autres termes, le stock antérieur n’a pas été apuré, il a même été augmenté.
Au vu de la dégradation du contexte économique et financier, le Gouvernement a mis en place deux grandes mesures conjoncturelles afin de maintenir l’activité à court terme et d’assurer l’avenir en développant les secteurs stratégiques.
Lancé en 2008, le plan de relance a permis d’avancer des commandes d’équipements ou de lancer de nouvelles opérations. Au total, la défense bénéficie de plus d’un milliard d’euros en autorisations d’engagement et de 1,2 milliard d’euros de crédits de paiement répartis entre les exercices 2009 et 2010. Au-delà de 2010, la poursuite des paiements sur les opérations engagées au titre du plan de relance sera réalisée sur les crédits de la mission défense.
Le tableau suivant présente l’état de paiement des opérations d’armement relevant du plan de relance.
Opérations financées par le plan de relance (en millions d’euros) | |||||
Nom de l’opération |
AE |
CP payés |
Reste à payer | ||
2009 |
2010 |
2011 | |||
Achat du troisième BPC |
439,2 |
191,4 |
124,8 |
21,3 |
101,7 |
Maintien de la cadence de production du Rafale |
0 |
77,7 |
102,2 |
2,2 |
|
Achat de 5 Caracal |
227,5 |
64,8 |
87 |
6,8 |
68,9 |
Maintien de la cadence de production du VBCI |
0 |
91,6 |
76,8 |
||
Achat de 4 engins amphibies rapides |
58,2 |
24,1 |
20 |
0,9 |
13,2 |
Achat de munitions pour blindés |
431 |
6 |
11,3 |
0,7 |
413 |
Achat de stations sol et marine Syracuse |
3 |
19,3 |
17,2 |
4,5 |
- 38 |
Achat de 200 petits véhicules protégés |
36,6 |
12,7 |
14,4 |
9,5 | |
Achat de nouvelles capacités d’emport pour le Rafale |
4,5 |
0,8 |
3,7 |
0 | |
Achat de petits bâtiments pour la marine |
12,5 |
3,5 |
5,3 |
0,5 |
3,2 |
Prédéveloppements de MUSIS |
10 |
5 |
5 |
0 | |
Achat de 15 Aravis |
15 |
10,1 |
4,8 |
0,1 | |
Achat d’équipements optroniques pour les fantassins |
11 |
5,9 |
5,9 |
0,6 |
- 1,4 |
Transformation de 2 Falcon en avion de surveillance maritime |
18,8 |
11,6 |
14,6 |
- 7,4 | |
Achat de munitions d’artillerie |
44,5 |
16 |
11,9 |
1,7 |
14,9 |
Achat de leurres pour hélicoptères |
13,5 |
8,7 |
1,6 |
3,2 | |
Améliorations pour hélicoptères |
8,7 |
4,9 |
0,4 |
3,4 | |
Mise à hauteur de centres de simulation Rafale |
0 |
12,1 |
1,6 |
||
Achat de données de géographie numérique |
14 |
5,3 |
3,9 |
0,1 |
4,7 |
Achat de roquettes pour le Tigre |
7,8 |
2,9 |
3,7 |
1,2 | |
Mise à niveau des moyens d’essai de la DGA |
12,2 |
10 |
2,3 |
- 0,1 | |
Évolution du système de préparation du Rafale |
25 |
1 |
5,6 |
18,4 | |
Nouvelles fonctionnalités sur le Rafale |
24,3 |
6,3 |
18 |
0 | |
Achat de groupes électrogènes pour l’armée de terre |
9,4 |
2,1 |
7,2 |
0,1 | |
Anticipation de la fusion Martha-SCCOA |
9,3 |
4,1 |
0 |
5,2 | |
Achat de Pod Damocles |
37,9 |
20 |
4,3 |
13,6 | |
Auto-défense des hélicoptères de manœuvre |
4,8 |
3,7 |
11,8 |
- 10,7 | |
Achat de 3 drones SDTI |
5,2 |
3,4 |
1,4 |
0,4 | |
Total plan de relance (1) |
1 483,9 |
625 |
566,7 |
39,3 |
617,1 |
(1) y compris les compléments apportés par le programme 146. Source : ministère de la défense. |
Les AE et les CP du plan de relance ne correspondent pas nécessairement : le maintien des cadences de production du Rafale ou du VBCI ne nécessitent par exemple aucun engagement d’AE puisqu’il ne s’agit que d’avancer la date de réalisation d’opérations déjà programmées. Les opérations engagées grâce à l’abondement d’AE du plan de relance ne sont en revanche pas toutes terminées et le ministère devra dégager près de 620 millions d’euros pour les achever. Cette somme apparaît parfaitement raisonnable et compatible avec les ressources disponibles.
Le rapporteur a par ailleurs interrogé le ministère sur l’impact économique de ce plan. Il ressort que les PME ont pu en bénéficier à hauteur de 30 % dans le secteur terrestre. Au total, le rapport annuel de performance pour 2010 estime que les opérations dans le domaine de la défense et de la sécurité ont créé quelque 2 800 emplois.
Question : Indiquer les mesures prises pour mettre en place les « instruments de mesure permettant d’évaluer l’impact sur l’activité et l’emploi » du plan de relance, la Cour des comptes notant qu’ils n’existent « toujours pas ».
Réponse :
Évaluation de l’impact économique
Les 28 opérations conduites dans le cadre du plan de relance de l’économie en matière d’équipement des forces sont d’ampleurs variées, tant en durée (la livraison des tapis de poser pour hélicoptères s’est achevée en septembre 2009, alors que la livraison du dernier engin de débarquement rapide est prévue au dernier trimestre 2012) qu’en montant (l’acquisition des nouvelles capacités d’emport pour le Rafale dans le cadre du plan de relance représente moins de 4 m€ de « CP relance » sur 2009-2010, alors que l’opération relative au BPC représente 315 millions d’euros de paiements sur ces deux années). Certaines de ces 28 opérations se décomposent par ailleurs en plusieurs commandes à des industriels différents.
Au regard de la taille et de la complexité des différentes opérations, la plupart des titulaires sont de grands maîtres d’œuvre industriels. Des PME sont néanmoins titulaires de la commande de tapis de poser pour hélicoptères et de la moitié des commandes de petits bâtiments de formation et de servitude pour la marine. C’est également le cas pour plusieurs contrats relatifs aux investissements dans les centres DGA. Les maîtres d’œuvre des autres opérations sont amenés à sous-traiter pour partie les travaux. Le groupement des industries françaises de défense terrestre (GICAT) a déclaré estimer à 30 % la part revenant à des PME pour les opérations du plan de relance concernant ses adhérents.
En terme de localisation, les meilleures estimations qui ont été réalisées conduisent à identifier les régions Pays-de-Loire et Provence-Alpes-Côte d’Azur comme étant les deux premières bénéficiaires des opérations relance en matière d’équipement des forces (part estimée à plus de 20 % des investissements chacune). Les régions Île-de-France, Rhône-Alpes, Centre, Aquitaine et Midi-Pyrénées ont chacune des parts d’investissement qui peuvent être estimées entre 5 et 20 %.
Une décomposition estimative pour quelques opérations phare est présentée ci après :
Les investissements relatifs à l’acquisition du troisième BPC irriguent 16 régions au premier rang desquelles les Pays de Loire (plus de 100 millions d’euros), puis Provence-Alpes-Côte d’Azur et la Haute-Normandie (plus de 10 millions d’euros chacune).
Les investissements relatifs à l’acquisition des 5 Caracal se répartissent sur 17 régions au premier rang desquelles Provence-Alpes-Côte d’Azur (plus de 100 millions d’euros) puis les régions Aquitaine et Île-de-France (plus de 10 millions d’euros chacune).
Les investissements relatifs à l’opération VBCI concernent 14 régions au premier rang desquelles la région Île-de-France (entre 30 et 60 millions d’euros), puis Rhône-Alpes (entre 20 et 40 millions d’euros), Midi-Pyrénées, Auvergne et Limousin (entre 10 et 20 millions d’euros chacune).
Les investissements relatifs aux engins de débarquement rapides concernent la Bretagne (entre 25 et 35 millions d’euros) et Provence-Alpes-Côte d’Azur (entre 20 et 30 millions d’euros).
Les investissements relatifs aux pods Damocles concernent 6 régions avec en premier lieu la région Île-de-France (plus de 10 millions d’euros) puis Midi-Pyrénées (entre 1 et 10 millions d’euros).
Les investissements relatifs à la transformation de 2 FALCON gouvernementaux en avion de surveillance maritime concernent essentiellement les régions Île-de-France et Aquitaine (plus de 10 millions d’euros chacune) et la région Centre (entre 1 et 10 millions d’euros).
Les investissements relatifs à l’acquisition de stations Syracuse concernent 5 régions avec au premier rang les régions Midi-Pyrénées, Pays de Loire et Île-de-France (plus de 10 millions d’euros chacune).
La première région concernée par les investissements relatifs aux nouvelles fonctionnalités Rafale est Provence-Alpes-Côte d’Azur (plus de 10 millions d’euros).
La première région concernée par les investissements relatifs aux évolutions du système de préparation de mission du Rafale et de ses missiles aéroportés est Provence-Alpes-Côte d’Azur (plus de 20 millions d’euros).
Les principaux investissements relatifs aux centres de simulation Rafale se situent en Île-de-France (plus de 35 millions d’euros) et en Bretagne (plus de 10 millions d’euros).
La principale région concernée par l’opération PVP est Rhône-Alpes (plus de 20 millions d’euros).
Concernant le report de la baisse de cadence de la production du Rafale, les sites du titulaire sont en Aquitaine et en Île-de-France.
La consolidation des estimations permet d’évaluer globalement l’impact des 28 opérations relance conduites en matière d’équipement des forces à 68 300 hommes-mois (sur la base de l’indicateur de la mission Relance).
Lancé en juin 2009 pour financer des investissements d’avenir, le grand emprunt dispose d’une enveloppe de 35 milliards d’euros et cible cinq secteurs stratégiques : l’enseignement supérieur et la formation (11 milliards d’euros), la recherche (7,9 milliards d’euros), les filières industrielles et les PME (6,5 milliards d’euros), l’économie numérique (4,5 milliards d’euros) et le développement durable (5,1 milliards d’euros). Les filières industrielles de l’aéronautique, du spatial, de l’automobile, du ferroviaire et de la construction navale sont retenues comme prioritaires.
Ce plan reprend les conclusions du rapport remis au Président de la République par Alain Juppé et Michel Rocard en novembre 2009 qui soulignait que « les investissements […] devront répondre à l’objectif de la transition vers un nouveau modèle de développement et s’inscrire dans une perspective de long terme, pour préparer l’avenir par un effort d’investissement ciblé et exceptionnel ». La commission qu’ils présidaient avait défini huit critères pour déterminer les projets à retenir :
« – investir dans des domaines qui représentent un enjeu stratégique de moyen ou long terme dans une logique « transformante », en vue de la transition vers un nouveau modèle de développement ;
– se concentrer sur des domaines dans lesquels la France dispose d’avantages comparatifs ;
– financer des dépenses exceptionnelles d’investissement susceptibles de faire la différence (ne pas financer des dépenses courantes ni se substituer aux arbitrages budgétaires) ; chaque fois que cela est possible, il doit y avoir un actif nouveau en contrepartie de l’apport de l’État ;
– pallier les défaillances de marché (problèmes de financement liés à un horizon trop long ou à un risque élevé…) par une intervention conjointe ou en appui à une action privée ;
– agir sur des secteurs pour lesquels l’investissement de l’État peut permettre un déblocage ou l’atteinte d’une taille critique et entraîner des externalités positives ;
– rechercher chaque fois que possible un effet de levier vis-à-vis des financements privés ainsi que d’autres financements publics, locaux ou communautaires ;
– assurer un retour sur investissement, financier ou socio-économique, et pouvoir faire l’objet d’une évaluation de l’intervention publique » (22).
Si le secteur de la défense n’est pas explicitement mentionné, il n’en reste pas moins que la recherche militaire entretient des relations étroites avec le secteur civil et qu’elle a souvent servi de facteur d’entraînement. Le Livre blanc appelle d’ailleurs à ce que « la France et l’Europe [… favorisent] les synergies entre la recherche civile et la recherche de défense et de sécurité. En effet, 60 % de la recherche financée par la défense ont des retombées dans le secteur civil, contre 20 % seulement en sens inverse. Les ministères de l’intérieur et de la défense devront donc intensifier leurs relations avec les grands établissements publics de recherche, les industriels, les universités mais aussi les plus petits laboratoires. Ils devront être représentés à haut niveau dans les programmes de l’agence nationale de la recherche (ANR). Le volume d’appels à projets provenant de partenariats entre les ministères de l’intérieur et de la défense devra être augmenté. Les programmes de technologies duales, civiles et militaires, occuperont une place plus importante dans la programmation annuelle de l’agence nationale de la recherche. Le programme budgétaire « recherches duales » dépendant du ministre chargé de la défense sera plus clairement orienté vers la recherche de base dans le domaine de la défense et de la sécurité. Sa mise en œuvre devra évoluer d’une logique de subvention vers une logique de financement de projets identifiés » (23).
Malgré l’intérêt de cette synergie, la défense n’a pas été intégrée au grand emprunt. Cette mise à l’écart s’explique notamment par le fait que la défense dispose déjà d’une ligne budgétaire spécifique pour les investissements stratégiques que ce soit au sein du programme 146 ou programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense ». Les ressources de ces deux programmes apparaissent toutefois limitées et les rapporteurs de la commission de la défense appellent à leur revalorisation de façon constante et répétée. Par ailleurs, le grand emprunt ne finance que des projets nouveaux et ne peut venir soutenir des opérations déjà engagées. L’application de ce principe a conduit par exemple le commissaire général à l’investissement René Ricol à écarter du grand emprunt l’A400M alors qu’il s’est déclaré ouvert sur l’avion civil A 350 (24).
Les entreprises de défense profitent toutefois de la dynamique créée par le grand emprunt, notamment lorsqu’elles ont une activité duale. Elles peuvent par exemple bénéficier de la création de fonds d’amorçage, dotés de 500 millions d’euros, pour accompagner la création de PME innovantes dans des secteurs prioritaires. De même, 1,5 milliard d’euros est consacré à l’aide aux PME et entreprises de taille intermédiaire innovantes pour obtenir les financements nécessaires à leur développement. L’industrie aéronautique et spatiale civile bénéficie enfin de deux milliards d’euros ; or les entreprises de ce secteur ont presque toujours une activité civile et une activité militaire.
Les conséquences de la crise économique et financière dépassent le seul cadre budgétaire : les entreprises de défense sont directement concernées et notamment les PME qui étaient déjà dans une situation fragile. Le durcissement des marchés internationaux aggrave par ailleurs les difficultés nationales et réduit un peu plus les débouchés commerciaux pour les entreprises françaises.
Les PME de défense souffrent d’une visibilité imparfaite, le ministère de la défense ne traite plus directement avec elles puisqu’il a délégué l’essentiel des responsabilités de maître d’œuvre à des grands groupes. Les PME peinent par ailleurs à trouver des financements. Faute de trouver les ressources nécessaires, elles risquent alors de passer sous le contrôle de fonds étrangers, alors même qu’il s’agit de secteurs sensibles.
La contraction des ressources publiques conduit à une baisse des commandes publiques en matière de défense ce qui diminue d’autant les ressources des entreprises. L’effet varie cependant en fonction de la taille de la société mais plus encore de l’état de ses fonds propres. Les grands groupes disposent souvent d’une assise financière suffisante pour trouver des solutions temporaires, notamment en recourant au système bancaire. En revanche, les PME peinent à trouver des capitaux d’autant plus que leurs fonds propres ont déjà été largement entamés par les difficultés de trésorerie générées par CHORUS.
Dans leur rapport d’information sur les PME de défense, MM. Dominique Caillaud et Jean Michel rappelaient que certaines PME ont dû faire face à « des retards de paiement pouvant atteindre 13 mois et des montants qui représentent parfois 10 % du chiffre d’affaires annuel » et qu’elles n’avaient de « ressources propres [suffisantes] pour faire face à un tel aléa surtout que les banques [ne les ont] pas aidé[es] dans cette crise, bien au contraire » (25). Les projets innovants portés par les PME sont trop risqués, trop peu rentables et souvent avec un horizon trop lointain. Ce problème semble assez spécifique à la France. Comme le relève Louis Gallois, président d’EADS, « les entreprises de taille moyenne en Allemagne n’ont pas le même problème de financement que leurs équivalentes françaises. [Elles] ont trouvé auprès du secteur bancaire local et auprès d’un certain nombre de familles, à travers des fondations, le moyen d’assurer leur transformation de PME en entreprise de taille moyenne (ETI) » (26).
La mobilisation de ressources pour développer les fonds propres est d’autant plus difficile que les PME ont souvent des problèmes de trésorerie. Elles se concentrent alors sur le besoin immédiat, délaissant naturellement les enjeux de long terme pourtant stratégiques. Cette situation est particulièrement nette dans le domaine de la défense, les PME de défense n’ayant presque jamais accès au paiement direct par l’État. Comme le relève le rapport d’information de MM. Dominique Caillaud et Jean Michel, l’article 115 du code des marchés publics introduit une exception au principe du paiement direct du sous-traitant par le pouvoir adjudicateur : pour les contrats de défense, il faut que le « montant [du] contrat de sous-traitance [soit] égal ou supérieur à 10 % du montant total du marché » (27). Compte tenu de l’importance des contrats, les sous-traitants de défense sont presque toujours payés par le primo-contractant. Or ce dernier n’est tenu à aucun délai réglementaire de paiement, hors ceux prévus par le contrat. Dans les faits, les grands groupes peuvent donc faire supporter les aléas conjoncturels sur la trésorerie des PME, sans avoir nécessairement à payer d’intérêts moratoires. Comme l’ont préconisé les rapporteurs de la mission d’information, le rapporteur considère que cette disposition doit être modifiée pour mettre fin ou, à tout le moins, corriger significativement cette exception.
Pour préserver et pérenniser ses PME, la France a « structurellement besoin d’investisseurs de long terme tels que les fonds souverains » (28). La Caisse des dépôts et consignations (CDC) est l’acteur privilégié d’une telle action ; bras bancaire de l’État, elle peut intervenir pour soutenir ces entreprises et créer un effet d’entraînement, les prestataires privés rechignant moins à s’engager dans un projet impliquant la Caisse.
Les interventions peuvent être directes ou au travers de fonds dédiés avec pour principaux outils CDC entreprises et le fonds stratégique d’investissement (FSI). En 2010, ces deux entités ont investi plus de 2,4 milliards d’euros dans plus de 400 entreprises. Il peut s’agir soit d’investissements directs, la Caisse possédant par exemple quelque 11,9 milliards d’euros de participations minoritaires, soit du financement de fonds de capital investissement. Plus de 210 fonds sont ainsi affiliés à CDC Entreprises comme par exemple Emertec et Emertec 2 : créés par CDC entreprises et le commissariat à l’énergie atomique (CEA), ces fonds visent les sociétés du secteur des technologies matérielles et de celui des micro et nanotechnologies. Au total, ces fonds réalisent plus du tiers des fonds d’amorçage et 18 % des fonds de capital risque en France.
Créé en 2008, le FSI intervient auprès des entreprises françaises dont les projets industriels sont créateurs de valeur et de compétitivité pour l’économie nationale. Le but n’étant pas de prendre le contrôle de ces entreprises, son intervention reste minoritaire mais soumise à un droit de participation à la gouvernance de l’entreprise par un représentant qui est souvent une personnalité extérieure au FSI. Ses actifs s’élèvent à 20 milliards d’euros dont six milliards de liquidités. Comme le montre le graphique ci-après, le FSI intervient dans tous les secteurs d’activité, la défense en représentant qu’une partie marginale de son activité.
Secteurs d’intervention du fonds stratégique d’investissement |
Source : site Internet du FSI. |
Si la défense ne bénéficie pas d’un traitement particulier, le fonds est néanmoins particulièrement attentif aux enjeux de souveraineté, « le critère de la souveraineté [entrant] dans l’équation quand il s’agit d’assurer le maintien de savoir-faire et de technologies sensibles » (29). Parmi les participations détenues par le FSI, on relève par exemple que le fonds détient 33,3 % du capital de STX France (chantiers navals), 26,12 % d’EUTELSAT (communications par satellites), 17,5 % de Daher (équipementier aéronautique) ou 4,87 % du capital de ZODIAC AEROSPACE (aéronautique).
Vu l’impact de l’action du FSI, la ministre de l’économie Christine Lagarde a décidé, en mai 2011, de renforcer les ressources du FSI à hauteur de 1,5 milliard d’euros dont 500 millions dès 2011.
● Face à l’ampleur du besoin de financement, il est également fait appel à des fonds souverains étrangers pour soutenir des sociétés françaises. Ces fonds souverains étrangers s’appuient sur les revenus issus de l’exploitation pétrolière ou minière, d’une épargne nationale forte ou d’importantes réserves de change. Contrôlés par un gouvernement national, ils gèrent des actifs financiers avec une logique de long terme afin de créer une épargne intergénérationnelle ou, dans le cas des puissances pétrolières, pour diversifier le PIB national. En janvier 2008, le Président de la République, s’adressant à des investisseurs saoudiens, estimait que la France a « besoin d’investisseurs financiers de long terme, capables de voir plus loin que les résultats trimestriels. [Ils sont] les bienvenus en France ». Il indiquait vouloir « faire une grande différence entre des investisseurs de long terme […] qui cherchent avant tout un rendement financier sur longue période, mais qui ne cherchent pas à déstabiliser les entreprises, qui ne cherchent pas à piller leur technologie, qui ne cherchent pas un contrôle stratégique sur leurs activités […] et des fonds activistes ou même d’autres fonds souverains aux intentions moins claires. […] La France sera toujours ouverte aux fonds souverains dont les intentions sont sans ambiguïté, dont la gouvernance est transparente et dont le pays d’origine pratique la même ouverture à l’endroit des capitaux étrangers » (30).
Ces fonds détiennent déjà des participations dans les grandes entreprises françaises de défense à l’exemple de Dubaï International Capital détenteur de 3 % du capital d’EADS ou Qatar Investment Authority qui possède 5 % de Lagardère.
S’il stabilise le capital, l’appel à des fonds souverains étrangers renforce dans le même temps la dépendance extérieure de sociétés stratégiques. Il peut également les fragiliser lorsque les États gouvernant ses fonds modifient leur politique ou subissent des changements institutionnels majeurs. L’Italie en fait l’amère expérience avec la Libyan Investment Authority, investisseur contrôlé par le gouvernement du colonel Kadhafi, qui détenait notamment 2 % de la holding italienne de défense Finmeccanica.
L’arrivée de capitaux étrangers dans les sociétés de défense doit sans cesse être analysée avec vigilance. Les investisseurs ne sont pas, par principe, de généreux donateurs. Lorsque la banque publique russe VTB a acquis 5 % des actions d’EADS à l’été 2006, les autorités françaises ont présenté cette opération comme strictement financière, arguant du fait que les modalités de gouvernance du consortium étaient établies par un pacte d’actionnaires n’intégrant pas la partie russe. Cette présentation était en fait un véritable veto à la volonté des autorités russes d’atteindre la minorité de blocage et de disposer d’un siège au conseil d’administration du groupe européen.
L’intérêt des pays émergents pour les secteurs stratégiques que sont l’aéronautique ou la défense est manifeste. Il s’est confirmé au printemps 2011 lorsque l’équipementier aéronautique Latécoère, qui souhaitait s’appuyer sur un grand groupe, a reçu plusieurs offres dont celles de Fokker-Stork (Pays-Bas) et d’Avic (Chine). Les opérations industrielles ne sont désormais plus limitées aux seules européennes ou américaines.
Question : Fournir une fiche détaillée sur les investissements étrangers opérés en 2010 et 2011 au sein d’entreprises du secteur de la défense.
Réponse : En termes quantitatifs, après que les années 2006 (31 opérations) et 2007 (39 opérations) eurent fait ressortir une augmentation sensible du flux d’investissements étrangers dans des activités ayant trait à la défense, un ralentissement avait été enregistré en 2008 (23 opérations) et surtout en 2009 (12 opérations seulement), ces deux années ayant été impactées par la crise économique. L’année 2010 (26 opérations) et la première partie de l’exercice 2011 (16 demandes d’autorisation déjà traitées de janvier à fin juillet) ont semblé marquer le retour à un niveau plus habituel du flux de ces investissements. À titre indicatif, une quinzaine de demandes restaient à instruire mi-août 2011 après que 3 autres ont été traitées (avis donné ou dossier retiré par le demandeur).
Environ soixante pour cent des projets d’investissements précités pour les années 2010 et 2011 (jusqu’à fin juillet) ont donné lieu à la fixation de conditions imposant des engagements aux investisseurs. Ces engagements pris envers l’État portent principalement sur la préservation, d’une façon pérenne, des capacités industrielles, capacités de recherche et développement et savoir-faire associés intéressant les activités de défense des entreprises françaises objets de ces investissements. Il s’agit de garantir au ministère de la défense et des anciens combattants la sécurité d’approvisionnement des composants et équipements que ces entreprises lui fournissent.
En termes d’origine des demandeurs, les États-Unis restent le premier pays d’origine des investisseurs étrangers en France dans les activités de défense, durant 2010 et cette première partie de 2011 (près de 36 % des opérations). Les pays membres de l’Union européenne comptent globalement pour un peu plus de la moitié des demandes (environ 52 % des opérations, dont près de 10 % pour le Royaume-Uni). Le reste du monde représente 12 %.
● Le Livre blanc sur la défense et la sécurité de 2008 souligne le risque que représentent de pareils investissements, relevant que « à l’instar de plusieurs pays européens, la France s’est dotée d’un régime de contrôle des investissements étrangers dans onze secteurs économiques « protégés ». Ce mécanisme lui permet de s’opposer à la prise de contrôle d’une entreprise française détenant des actifs stratégiques, ou de poser des conditions préservant ses intérêts de sécurité » (31). Parmi les onze secteurs identifiés, on relève notamment « la recherche, le développement ou la production de moyens destinés à faire face à une attaque terroriste chimique ou bactériologique ; les matériels conçus pour l’interception des correspondances et la détection à distance des conversations ; l’évaluation de la sécurité offerte par les produits et les systèmes des technologies de l’information ; la sécurité des systèmes d’information d’une entreprise opérant dans le domaine des secteurs d’activité d’importance vitale ; les biens et les technologies à double usage ; les moyens et les prestations de cryptologie ; les activités exercées par les entreprises dépositaires de secrets de la défense nationale ; la recherche, la production et le commerce de matériels de guerre ; l’étude et la fourniture d’équipements au profit du ministère de la défense » (32).
À la suite de la tentative d’offre publique d’achat (OPA) hostile du géant américain Pepsi sur le groupe agroalimentaire Danone en 2005, la France a renforcé son dispositif de contrôle. Dominique de Villepin, alors Premier ministre, déclarait que « les investissements étrangers lorsqu’ils concernent des technologies sensibles touchant notamment à la sécurité et à la défense, y compris dans leurs dimensions technologiques et sanitaires, [doivent être] mieux contrôlés » (33).
En application du décret du 31 décembre 2005 (34), l’article L. 151-2 du code monétaire et financier dispose que « le Gouvernement peut, pour assurer la défense des intérêts nationaux et par décret pris sur le rapport du ministre chargé de l’économie soumettre à déclaration, autorisation préalable ou contrôle » certaines opérations financières. Le I de l’article L. 151-3 du même code précise que cette mesure s’applique aux « investissements étrangers dans une activité en France qui, même à titre occasionnel, participe à l’exercice de l’autorité publique ou relève de l’un des domaines suivants :
a) Activités de nature à porter atteinte à l’ordre public, à la sécurité publique ou aux intérêts de la défense nationale ;
b) Activités de recherche, de production ou de commercialisation d’armes, de munitions, de poudres et substances explosives ».
Pour obtenir l’autorisation préalable, l’investisseur dépose un dossier de demande auprès du ministre chargé de l’économie qui a deux mois pour se prononcer, le silence valant acceptation tacite. L’autorisation peut être assortie de conditions particulières (maintien d’activités, exécution d’obligations contractuelles…). Les refus doivent être motivés par une présomption sérieuse d’infraction au code pénal ou par l’absence de garanties suffisantes quant à la préservation des intérêts nationaux.
La déclaration administrative auprès du ministère de l’économie vise quant à elle la création d’une entreprise par une entreprise de droit étranger ou une personne physique non résidente ; l’acquisition de tout ou partie d’une branche d’activité d’une entreprise de droit français par une entreprise de droit étranger ou une personne physique non résidente. Sont également concernées toutes les opérations effectuées dans le capital d’une entreprise de droit français par une entreprise de droit étranger ou une personne physique non résidente dès lors que, après l’opération, la somme cumulée du capital ou des droits de vote détenus par des entreprises étrangères ou des personnes physiques non résidentes excède 33,33 % du capital ou des droits de vote de l’entreprise française. De même, les opérations effectuées par une entreprise de droit français dont le capital ou les droits de vote sont détenus à plus de 33,33 % par une ou des entreprises de droit étranger ou une ou des personnes physiques non résidentes doivent être déclarées. La même procédure s’applique à l’octroi de prêts ou de garanties substantielles ou l’achat de brevets ou de licences, l’acquisition de contrats commerciaux ou l’apport d’assistance technique qui entraînent la prise de contrôle de fait d’une entreprise de droit français par une entreprise de droit étranger ou une personne physique non résidente ; aux opérations effectuées à l’étranger ayant pour effet de modifier le contrôle d’une entreprise non résidente, elle-même détentrice d’une participation ou de droits de vote dans une entreprise de droit français dont le capital ou les droits de vote sont détenus à plus de 33,33 % par une ou des entreprises de droit étranger ou des personnes physiques non résidentes. Pour respecter le principe communautaire de libre circulation des capitaux, le code distingue les opérations en provenance d’un pays tiers de celles issues d’un État membre de l’Union européenne.
● Ces procédures de contrôle ne sont pas propres à la France : aux États-Unis le Committee on Foreign Investment in the United States (CFIUS) assure cette mission. Créé en 1975, il est présidé par le Secrétaire du Trésor et réunit plusieurs ministères dont ceux de la défense, des affaires étrangères ou de l’intérieur. Il évalue l’impact des investissements étrangers dans des sociétés américaines sur la sécurité nationale. En Europe, d’autres États ont réagi à des prises de participation étrangère dans de grandes entreprises nationales : depuis mars 2011, l’Italie s’est ainsi doté un dispositif anti-OPA couvrant les quatre secteurs stratégiques que sont la défense, les télécommunications, l’énergie et l’agroalimentaire. Cette mesure a été prise en réaction à l’entrée dans le capital du groupe agroalimentaire italien Parmalat du français Lactalis. Désormais dans ces secteurs, toute prise de participation étrangère supérieure à 30 % est soumise à l’accord préalable des autorités gouvernementales.
L’arrivée de capitaux étrangers au sein d’entreprises nationales ne doit toutefois pas être analysée systématiquement comme un affaiblissement du tissu industriel national ou comme une menace. La volonté d’investir témoigne en effet de la qualité de notre base industrielle. S’il faut veiller à la préservation du patrimoine industriel européen, il convient d’éviter tout protectionnisme excessif. Comme le souligne le ministre allemand de l’économie, Rainer Brüderle, « l’Europe offre des conditions intéressantes pour des investisseurs étrangers. Cela doit rester ainsi » (35).
Parallèlement aux difficultés nationales, les entreprises françaises de défense doivent faire face à un resserrement du marché international et peinent de plus en plus à exporter leurs produits.
Le Livre blanc consacre la dimension stratégique des exportations, considérant qu’elles « constituent un volet essentiel de la stratégie industrielle du pays. Elles permettent d’allonger les séries et de réduire, ou à tout le moins de limiter, le coût unitaire des matériels commandés par l’État. Elles rendent les entreprises moins dépendantes du marché national, tout en contribuant au maintien de leurs compétences » (36). En insistant sur l’apport prépondérant des exportations pour la vitalité de l’industrie de défense française, les auteurs du Livre blanc soulignent surtout le volume insuffisant de la commande nationale pour garantir des volumes et des coûts compatibles avec des plans de charge industriels soutenables. Désormais, les bénéfices tirés de l’exportation des équipements sont intégrés dans l’équation financière des programmes. Ceci fait reposer sur des hypothèses commerciales la soutenabilité budgétaire des équipements en développement. D’aucuns pourraient parler ici de leurre tant l’incertitude et les aléas sont grands.
La France doit cependant mieux intégrer la dimension internationale à la fois dans la conduite de ses programmes nationaux et dans ses procédures de contrôle de vente de matériels militaires.
En ce qui concerne la conduite des programmes, l’instruction 1516 relative à la conduite des opérations d’armement n’accorde qu’une place mineure à l’export. Par culture et histoire, la direction générale de l’armement (DGA) se convertit très lentement à la politique de l’export. La DGA et les services en charge des exportations et de la promotion des entreprises françaises ont un prisme national très marqué.
La direction du développement international (DDI) de la DGA n’est pas le seul intervenant. Le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), rattaché au Premier ministre, supervise les exportations au travers de la commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG). D’autres organismes rattachés au ministère de la défense (SOFRESA, EUROTRADIA) ou au ministère de l’économie (UBIFRANCE, COFACE) interviennent à différentes étapes de la négociation des contrats d’armement. Au final, le dispositif public de soutien à l’exportation mériterait d’être rationalisé pour mieux appliquer les trois principes directeurs fixés par le Livre blanc :
« – assurer, au sein de l’État, et à tous les niveaux – interministériels et ministériels – la séparation des fonctions de contrôle et de soutien des exportations, laquelle garantit l’absence de conflit d’intérêts ;
– poursuivre dans la voie de la rigueur et de la rationalisation de ses procédures de contrôle ;
– dynamiser ses exportations d’armement, en renforçant les actions de soutien aux entreprises, pour les opérations préalablement autorisées et dans le respect des règles partagées avec ses partenaires européens et internationaux » (37).
Certains États, notamment en Europe de l’Est, disposent d’une structure unique pour développer leurs exportations d’armement comme Rosoboronexport, agence étatique russe créée en novembre 2000 qui a le monopole des exportations d’armement produits par les entreprises russes et des importations d’armement au profit des forces russes, ou comme l’agence ukrainienne Ukrspetsexport.
La rationalisation des structures répondrait en partie aux critiques de dirigeants de PME qui reprochent à l’État de se concentrer sur les seuls gros contrats. En délaissant les exportations de moindre volume, l’État prive notre pays d’opérations importantes, qui additionnées, contribueraient pour beaucoup à l’emploi et à la balance de notre commerce extérieur. Dans une tribune publiée en mai 2011, Rémy Thannberger, PDG du groupe Manurhin, spécialisé dans la fabrication de machines réalisant des munitions de petits et moyens calibres, déplore que les dispositifs publics de soutien à l’exportation en matière d’armement se concentrent principalement autour des grands industriels et de leurs produits phare. Il regrette que, « comme souvent dans notre pays, ce qui bénéficie de toutes les faveurs est le plus souvent gros, cher et high-tech, au sens courant du terme. C’est oublier que sans des produits industriels fiables, robustes et abordables, nous ne vendrons plus forcément demain nos produits les plus innovants » (38).
● En 2010, les exportations françaises d’armement ont connu un net recul par rapport à 2009 en s’établissant à 4,2 milliards d’euros comme le montre le graphique ci-après.
Prises de commandes françaises à l’étranger (en millions d’euros) |
Source : ministère de la défense. |
Confrontés à des difficultés budgétaires, la plupart des États européens ont engagé une réduction du format de leurs forces armées et ont renoncé à l’acquisition de nouveaux équipements. Les réformes engagées par la France ne sont pas isolées ni dans leur contenu ni dans leur ampleur.
En novembre 2010, les Pays-Bas ont par exemple annoncé une diminution massive des personnels civils et militaires de la défense néerlandaise avec 10 000 suppressions de poste sur un total de 69 000. Le 14 avril 2011, le ministère de la défense a précisé les économies opérées : réduction de 22 % du nombre de chasseurs F 16 passant de 87 à 68 appareils, démantèlement de deux bataillons de chars, retrait de quatre des dix chasseurs de mines, d’un des deux pétroliers-ravitailleurs. Selon le communiqué du ministère néerlandais de la défense, « ces mesures sont le résultat de la crise financière mondiale. Le gouvernement doit réduire ses dépenses de 18 milliards d’euros dont 635 millions d’euros doivent être économisés par le ministère de la défense. Par ailleurs, l’organisation de la défense doit économiser 175 millions d’euros et encore 150 millions d’euros à long terme afin de rendre financièrement supportable le budget de la défense. De plus, des disponibilités financières sont nécessaires pour engager un certain nombre d’innovations » (39).
La réduction des formats des armées européennes entraîne immédiatement une perte de chiffre d’affaires pour les entreprises françaises. Les surcapacités créées par les diminutions des formats des forces et la recherche d’économies budgétaires poussent les États à céder à des tiers une partie de leurs équipements (avions de chasse, hélicoptères, véhicules blindés, navires…). Cette offre d’équipements militaires d’occasion trouve de potentiels acquéreurs parmi les États désireux de doter leurs forces de matériels performants mais à coût réduit. Hors d’Europe, d’autres puissances militaires n’hésitent pas à placer sur le marché de l’occasion une partie de leurs équipements : le 29 juin 2011, le département de la défense australien a présenté un quasi-catalogue des équipements qu’il souhaite céder afin de financer la modernisation de ses forces. Seraient ainsi mis sur le marché 24 navires, dont un bâtiment de projection, des frégates, des chasseurs de mines, 70 avions de chasse, 120 hélicoptères et 600 véhicules blindés, des systèmes de communication.
Alors qu’elle réduit également le format de ses forces, la France est peu présente sur le marché de l’occasion. Une des dernières opérations importantes fut la cession au Brésil du porte-avions Foch en 2000. Dans son rapport d’information consacré à la fin de vie des équipements militaires, M. Michel Grall observe que « l’Allemagne, le Royaume-Uni et les États-Unis exportent leurs matériels d’occasion dans des quantités plus importantes et de façon plus systématique que la France. Notre pays est présent sur ce marché mais de façon relativement modeste, pour des raisons d’organisation, de gestion des matériels mais également de réglementation ». Il mentionne également des explications moins rationnelles, notant que « certains industriels craignent ce type de ventes, qui risque de cannibaliser les débouchés pour les matériels neufs. De même, la prospection du marché de l’occasion n’est toujours pas une priorité pour l’administration » (40).
● Hors de l’Europe, la dynamique des dépenses de défense demeure et ouvre des débouchés commerciaux aux industries européennes de l’armement.
Pendant les décennies de la guerre froide, États-Unis et URSS, et dans une moindre mesure la France, commerçaient dans leurs zones d’influence respectives. Aujourd’hui, l’émergence de puissances régionales soucieuses d’affirmer leur autonomie s’est traduite par un certain relâchement de ces liens historiques. Les États-Unis en font l’expérience, après avoir profité de l’effondrement des industries russes dans les années 1990 pour élargir leur territoire commercial. Aujourd’hui le Brésil, suivi par plusieurs États sud-américains, se tourne vers l’Europe pour diversifier leurs circuits d’équipement. De même, à l’automne 2010 et malgré la présence de troupes américaines sur leur sol, les Philippines ont décidé de signer avec la Chine un accord visant à la fourniture d’équipements militaires. L’Inde a surpris ses partenaires historiques en sélectionnant pour renouveler sa flotte de combat comme compétiteurs finaux deux avions de chasse européens, le Rafale et l’Eurofighter, excluant les offres américaines et russes.
Il serait cependant erroné de décréter la disparition des zones d’influence : la Russie use avec habileté des anciennes relations établies par l’URSS pour dynamiser ses exportations, notamment avec l’Algérie ou le Viêt-Nam ; de même, les États-Unis ont su user de l’OTAN pour conquérir des marchés auprès des États d’Europe orientale et centrale. Il n’en reste pas moins que l’Europe doit utiliser à bon escient cette ouverture du marché international et en profiter pour s’implanter dans des zones qui lui étaient jusque-là interdites.
La France doit saisir les nouvelles opportunités offertes par la volonté d’autonomisation des puissances régionales tout en veillant à préserver les liens historiques qu’elle a su établir avec certains États dans le monde. Les clients potentiels ont toutefois conscience de l’intérêt des entreprises européennes et essaient de tirer le meilleur parti de cette situation.
● Les exemples abondent.
Afin de moderniser son industrie d’armement, la Russie développe une stratégie assumée de partenariat avec des groupes étrangers sous condition de développement de capacités de production industrielle sur son territoire. L’accord franco-russe signé à Saint-Nazaire le 25 janvier 2011 et portant sur l’acquisition de quatre bâtiments de projection et de commandement s’inscrit dans cette logique. Il prévoit que le premier bâtiment sera construit à 80 % par STX Saint-Nazaire, le reliquat étant pris en charge par les chantiers navals OSK de Saint-Pétersbourg pour une livraison fin 2013. La réalisation du second bâtiment sera effectuée à 60 % en France et à 40 % en Russie, le troisième à 40 % en France et 60 % en Russie et 80 % de la construction du dernier reviendra à la Russie. Selon Jacques Hardelay, directeur général de STX France, « sans transfert, il n’y a pas de commande. Le risque existe mais si ce n’est pas nous, ce seront d’autres » (41). La Russie envisage également de conclure un accord avec l’italien IVECO pour acquérir des véhicules terrestres blindés, à condition qu’ils soient produits sur son territoire. Elle mène également des discussions pour des drones, aussi bien avec Israël qu’avec la France. Dans tous les cas, l’exigence d’une production sur le territoire russe est présente.
L’Espagne a développé une stratégie similaire en matière navale pour asseoir les capacités industrielles du groupe Navantia. L’accord de partenariat entre DCNS et Navantia pour le développement et la production de sous-marins de la classe Scorpène a donné lieu à de très fortes tensions entre les deux sociétés, aboutissant à un divorce officialisé le 12 novembre 2010. L’entreprise espagnole s’est appuyée sur ce partenariat pour acquérir des compétences industrielles lui permettant de développer en propre un sous-marin concurrent, le S80, avec l’aide de l’américain Lockheed Martin pour l’armement. En matière aéronautique, l’implication du groupe andalou Casa dans le programme A400M, avait pour objectif de faire entrer l’entreprise espagnole dans la catégorie des grands constructeurs mondiaux à l’égal d’Airbus ou de Boeing. Mais les difficultés techniques du programme n’ont pas permis à cette stratégie d’aboutir, l’A400M ayant été repris en main par la filiale Airbus Military.
La Chine s’est spécialisée dans la duplication de matériels étrangers pour conquérir le marché mondial en pratiquant un véritable dumping. Les autorités russes s’inquiètent ainsi de la concurrence de l’avion de chasse chinois FC-1, copie du MiG 29 russe, vendu trois fois moins cher, soit 10 millions de dollars américains pour le modèle chinois contre 35 millions de dollars pour l’original. Les deux aéronefs sont en concurrence sur des marchés jusqu’alors réservés à la Russie à l’instar de l’Égypte, provoquant la colère des constructeurs russes s’estimant dupés.
Le Brésil exige d’importants transferts pour conclure le contrat de renouvellement de ses avions de chasse, transferts qui donnent lieu à une véritable surenchère entre les trois concurrents.
Les Émirats Arabes Unis ont établi un contrat-cadre relatif aux transferts de technologies accompagnant la signature de tout contrat d’armement conclu avec une société étrangère. Les principales entreprises françaises ont accepté ce contrat cadre à l’exception de Thales.
En Afrique du Sud, l’industrie de défense s’appuie en particulier sur le groupe privé Denel dont le Gouvernement sud-africain est l’unique actionnaire. Par des alliances ou des regroupements avec de grands groupes industriels reconnus dans leur secteur (Saab, Safran, Rheinmetall…), Denel a élargi ses compétences dans les domaines aéronautiques et terrestres.
● Les sociétés françaises ont d’ores et déjà intégré l’obligation d’accompagner leur contrat à l’export de compensations technologiques et industrielles. Le président de Thales considère que « le marché international ne doit […] plus être vu comme offrant, ainsi que lors des décennies précédentes, des opportunités d’exportations directes, mais de plus en plus des contrats prévoyant une part importante de localisation sur place – sous peine de ne pas obtenir les marchés. Notre stratégie à l’international consiste dès lors à donner davantage de valeur ajoutée locale, en développant les filiales existantes et en créant des partenariats avec des groupes locaux pour conquérir de nouveaux marchés. Notre nouvelle organisation mise en place en 2010 devrait nous aider à être plus performants en la matière, même si cette conquête est un processus lent et difficile – la construction de compétences locales n’étant jamais aisée. Nous avons ainsi au Brésil une petite société spécialisée dans les radars civils de contrôle du trafic aérien : nous avons décidé d’étendre son offre de produits, afin de développer la valeur ajoutée locale, pour mieux accéder à des marchés perçus localement comme de souveraineté et de haute technologie » (42).
Le groupe Safran compte quant à lui un grand nombre de filiales à l’étranger, moins par souci de délocaliser la production que par impératif commercial. Pour Jean-Paul Herteman, président de son directoire, « la proximité commerciale reste incontournable : on ne va pas entretenir des moteurs d’avion à 10 000 kilomètres de l’endroit où ils sont exploités » (43). Ainsi, la filiale Turbomeca compte plusieurs entités géographiques : Turbomeca USA, Turbomeca Manufacturing et Turbomeca Canada pour les moteurs d’hélicoptères civils et militaires sur le continent nord-américain ; Turbomeca AustralAsia en charge notamment des moteurs d’hélicoptères Tigre et NH90 d’Australie. Avec le groupe sud-africain Denel, Safran a développé la filiale Turbomeca Africa qui produit des moteurs civils et militaires. Turbomeca do Brasil, associée à Turbomeca Americana Latina basée à Montevideo, effectue le support de moteurs exploités au Brésil et en Amérique du Sud. Le centre de réparation de Turbomeca do Brasil assure la révision et la réparation des moteurs Arrius, Arriel et Makila qui équipent principalement les hélicoptères Écureuil, EC135, Super Puma et Dauphin d’Eurocopter.
La signature de contrats à l’étranger reste un choix risqué. « Le risque de créer des concurrents à l’étranger à la suite d’opérations de localisation d’activités sur place est bien réel : c’est la raison pour laquelle [il faut essayer] d’avoir le contrôle des sociétés concernées ou au moins le management. Quand ce n’est pas possible, [il convient de s’efforcer] de garder des verrous technologiques. Tout est affaire de circonstances : plus on […] ouvre de marchés, avec des retours économiques importants pour la France, plus nous sommes ouverts à faire des concessions. [La] filiale TDA [de Thales] a par exemple vendu la licence de son mortier rayé de 120 millimètres à plusieurs pays, notamment au Japon et aux États-Unis, et le flux des royalties permet de financer les bureaux d’études travaillant sur les produits de nouvelle génération. Plus généralement, les transferts de technologie peuvent être une bonne affaire, y compris sur le long terme, s’ils sont bien gérés » (44).
Ces transferts peuvent également se transformer en un véritable pillage de savoir-faire : la main-d’œuvre locale, formée par les sociétés étrangères, peut être tentée, spontanément ou avec les encouragements de leurs gouvernements, de rejoindre des entreprises locales concurrentes avec le savoir-faire et les procédés industriels. Responsable de Snecma-Suzhou en Chine, Gérard Inizan reconnaît avoir « dû signer un gentlemen’s agreement avec les trente ou quarante groupes aéronautiques de la région de Suzhou afin de ne pas [voir] ses employés [débauchés par la concurrence] » (45). Ces éléments doivent cependant être relativisés : l’acquisition et la maîtrise de compétences aussi techniques demandent du temps et des moyens importants.
En revanche, une réflexion doit être engagée pour savoir si la France doit elle aussi exiger des transferts de technologie lorsqu’elle achète des produits militaires à l’étranger. Dans sa réponse à la question écrite de M. Yves Nicolin (46), le ministre de la défense reconnaît que « lorsqu’elle est en position d’acquéreur, la France, à l’inverse d’autres pays européens, a pour principe de ne pas solliciter de compensations ». Elle se rallie à la position de la Commission européenne qui considère les offsets comme un obstacle à l’émergence d’un marché européen des équipements de défense et les estime contraires aux principes du traité de l’Union Européenne.
Un code de conduite européenne sur les offsets a été adopté en octobre 2008, sous l’égide de l’agence européenne de la défense (AED). Il indique que « dans un marché fonctionnant parfaitement, les compensations n’existeraient pas. Néanmoins […] le marché de la défense [n’étant] pas parfait aujourd’hui » (47), le code ambitionne simplement la convergence des pratiques européennes en matière de compensations, et non leur suppression. Or, les autorités françaises agissent comme si la suppression était actée par l’ensemble des États européens, ce qui est loin d’être le cas comme le prouve la persistance du principe du juste retour industriel dans les programmes en coopération. En adoptant cette position, la France fragilise son tissu industriel face à des concurrents plus pragmatiques. En 2003, le ministère avait créé un « comité de coordination des contreparties économiques » chargé « de proposer un dispositif permettant de valoriser les achats du ministère chargé de la défense en tant que crédits d’offsets au profit des industriels du conseil des industries de défense (CIDEF) ayant des obligations d’offsets contractuelles vis-à-vis des États acheteurs » (48). Malheureusement ce dispositif n’est toujours pas entré en vigueur.
Hors de l’espace communautaire, la marge de manœuvre de la France est plus réduite, notre pays subissant, comme les autres États européens, la domination technologique américaine. Pour PierFrancesco Guarguaglini, PDG de Finmeccanica, « les sociétés européennes sont prêtes à partager [avec des sociétés américaines] toutes les technologies d’un produit pour accéder au marché américain alors que les firmes américaines ne feront jamais l’équivalent en Europe. Il y a toujours des limites au transfert de technologies américaines » (49).
Dans un marché de plus en plus concurrentiel, l’implication de la diplomatie est essentielle. Le PDG de Finmeccaninca souligne bien que « les relations que le gouvernement italien a établies avec certains pays […] sont importantes lorsque vient le temps de vendre nos produits. Il est important de disposer d’abord d’un parapluie, un accord politique, sous lequel on peut répondre aux demandes du client » (50). Cependant, cette implication politique et diplomatique ne saurait dédouaner complètement les industriels : il leur appartient de créer une véritable démarche exportatrice. Hans-Peter Keitel, président de la fédération allemande de l’industrie, rappelle d’ailleurs qu’une partie des exportations allemandes « ne sont pas voulues politiquement mais [sont] le résultat d’une dynamique économique naturelle » (51).
Cette dynamique peut être sujette, dans certaines régions, à des aléas politiques. Les révolutions arabes de l’automne 2010 et de l’hiver 2011 ont eu un impact encore difficilement chiffrable sur les exportations d’armement : report ou remise en cause de commandes, hausse des garanties pour risques… L’instauration par la communauté internationale d’embargo sur la vente d’armes à certains États peut également conduire à une révision des ambitions commerciales. La crise libyenne résume bien ces difficultés : la France négociait depuis plusieurs années la vente d’avions Rafale, vente aujourd’hui remise en cause. La Russie estime que l’embargo sur la Libye se traduit par un manque à gagner de l’ordre de quatre milliards de dollars américains.
Dans une étude dédiée au marché mondial des hélicoptères militaires, le cabinet Frost & Sullivan note en juin 2011 que « les développements en cours à travers le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord sont un souci pour beaucoup de gouvernements car aucun ne sait quelle révolution va réussir et quelle révolution va échouer » (52). Certains experts estiment que ces événements auraient toutefois un impact positif quelle que soit l’issue : si un nouveau régime s’installe, il cherchera à consolider son assise en renforçant ses capacités militaires ; si la continuité prévaut, les gouvernements en place veilleront à moderniser leurs forces armées pour garantir l’ordre intérieur. Une telle analyse ne vaut que si l’État « vendeur » n’est pas partie prenante aux évènements.
En 2010, le Parlement a adopté le projet de loi transposant les directives communautaires relatives aux transferts intracommunautaires de matériels de guerre et aux marchés de défense et de sécurité. Les textes d’application ont commencé à être publiés pour ce qui concerne les marchés publics avec le décret du 14 septembre dernier 53). Le dispositif devrait être complété dans le courant du mois d’octobre pour les transferts. Lors de l’examen du projet de loi, Yves Fromion, rapporteur de la commission de la défense, avait souligné qu’il convient de réduire les délais d’instruction des demandes, notamment en ce qui concerne les PME. La lourdeur des procédures constitue en effet un handicap pour nos industriels sur le marché mondial.
Question : Faire le point sur la procédure « simplifiée » de contrôle de l’importation et de l’exportation. Fournir des statistiques détaillées. Préciser le traitement réservé aux PME.
Réponse : Les demandes d’agrément préalable (AP) déposées par les exportateurs auprès du ministère de la défense et des anciens combattants sont, en règle générale, traitées en procédure normale, c’est-à-dire inscrites à l’ordre du jour de la commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériel de guerre (CIEEMG) plénière puis examinées par la commission.
Des procédures particulières peuvent également être mises en œuvre :
- la procédure continue pour les demandes d’agréments satisfaisant à des critères définis par la CIEEMG (pays destinataires, type de matériel, montant financier) et concernant des opérations simples. Cette procédure a été appliquée, au 1er trimestre 2011, à près d’un tiers des demandes d’AP ;
- la procédure regroupée qui consiste à regrouper la demande d’agrément préalable et la demande d’autorisation d’exportation de matériel de guerre (AEMG) ;
- la procédure accélérée engagée en cas d’urgence avérée.
Afin de réduire le nombre et les délais de traitement des demandes d’AP, il a été décidé d’augmenter la part du traitement des dossiers les moins sensibles par voie dématérialisée – procédure dite « en continu » – et de poursuivre la politique engagée ces dernières années visant à recourir aux procédures d’autorisation sous forme globale. 142 agréments préalables globaux (APG) ont ainsi été notifiés à ce jour se substituant à l’équivalent de plus de 1 600 AP individuels par an. Pour certaines entreprises, un seul APG remplace, dans certains cas, plus d’une centaine d’AP individuels par an. En complément, et sous réserve d’engagements pris par l’entreprise et de sérieuses garanties sur la qualité de ses propres procédures internes de contrôle, des AEMG sous forme globale (AGEMG) peuvent aussi être délivrées. Trente sociétés sont actuellement titulaires d’AGEMG.
Enfin, la création du poste de chargé de mission PME-PMI permet de fournir aux industriels de l’armement et en particulier aux PME-PMI une information sur la réglementation et les procédures du contrôle et d’obtenir, dans des délais compatibles avec les exigences de la vente à l’export, leurs autorisations (notamment les AP et les AEMG).
Ce chargé de mission PME-PMI a pour mission d’accompagner les industriels dans le suivi de leurs démarches administratives et ainsi leur faciliter le travail, notamment en les orientant dans le dispositif de contrôle. La création de cette fonction a également permis d’établir une communication efficace vers les industriels de l’armement, pour le contrôle. Des formations aux procédures de contrôle tout comme un comité de concertation État-industrie ont ainsi été mis en place. Le chargé de mission PME-PMI est un point de contact essentiel pour les PME.
Les difficultés économiques et financières mettent en évidence les fragilités du système français de défense. Une fois isolées, il convient de mettre en place les mécanismes adéquats pour assurer l’avenir de nos capacités. Trois thèmes concentrent les enjeux : l’industrie, la recherche et la coopération européenne.
En septembre 2011 (54), le délégué général pour l’armement a déploré publiquement que les préconisations du Livre Blanc n’aient pas été entendues, notamment en matière de regroupement des industries françaises. Il a particulièrement visé le secteur de l’électronique de défense et l’armement terrestre. Or dans ces domaines, l’État est actionnaire des principales sociétés, qu’il s’agisse de Thales, de Safran ou de Nexter. Le décalage entre les objectifs fixés par le Livre blanc et la mise en œuvre de ces projets peut s’expliquer par l’absence d’une stratégie industrielle portée au niveau politique. Il convient également de s’interroger sur le pilotage opérationnel de cette politique, les structures apparaissant trop dispersées. La structure de la base industrielle française doit enfin être analysée pour s’assurer qu’elle est adaptée à un marché international de plus en plus concurrentiel.
Sans une industrie de défense dynamique, la puissance militaire est illusoire. Fortes de ce constat, les deux puissances européennes, la France et le Royaume-Uni, ont défini une stratégie industrielle de défense de moyen et long terme et ont engagé dans un travail prospectif avec respectivement le Livre blanc et la Defence Industrial Strategy (DIS).
● En 2005, avec la publication de la DIS, est engagée une réforme profonde du mode opératoire existant entre l’État britannique et les industriels de défense. La DIS évalue en effet « avec précaution quelles capacités industrielles [il faut] retenir au Royaume-Uni pour s’assurer l’emploi de [leurs] équipements selon les modes opératoires [qu’ils ont] choisis pour préserver la souveraineté nécessaire et, ainsi, protéger [leur] sécurité nationale […]. La mise en œuvre de cette stratégie imposera des changements tant dans l’industrie qu’au gouvernement. L’industrie devra s’adapter pour fournir les capacités dont [ils ont] besoin, une fois les pics de production actuels passés. Le gouvernement, aussi, devra mener des améliorations dans les procédures d’acquisition, de soutien et de modernisation des équipements. Ensemble, l’industrie de défense et le gouvernement doivent changer leurs rapports, afin d’assurer les forces armées de continuer de disposer des équipements dont elles ont besoin. Agir ainsi aidera à donner à l’industrie de défense britannique un avenir assuré et brillant. Ceci requerra un effort continu des deux côtés dans les années à venir et cela ne sera pas facile ».
Réalisée par les ministères de la défense, de l’industrie et du budget, cette étude marque la volonté gouvernementale de restaurer l’industrie de défense nationale. Les auteurs sont conscients des enjeux et reconnaissent que « certaines sociétés considéreront les conclusions de cette stratégie difficiles mais [ils croient] que l’industrie, la City, le gouvernement et le pays ont besoin de cette transparence accrue [qu’ils proposent] pour aider l’industrie à se bâtir pour le futur » (55). Un certain consensus semble exister sur cette question puisque, malgré les alternances politiques, tous les gouvernements ont cherché à respecter les axes de la DIS.
Les Britanniques ont institué une nouvelle procédure entre l’État client et les industriels. Expérimentée dans le secteur des missiles, elle repose sur la création d’une équipe mixte (Team Complex Weapon) chargée du pilotage et du suivi du programme. Pour financer le développement et la production de plusieurs programmes de missiles, MBDA et l’État dans son ensemble (agence d’acquisition, états-majors, ministère du budget) ont signé un contrat cadre de dix ans. Cet engagement de long terme doit donner de la flexibilité dans la gestion d’ensemble, tant sur le besoin militaire, le volume de la commande que sur le rythme calendaire. Cette logique s’appuie sur la garantie donnée à l’industriel de disposer d’une ressource financière stable de 600 millions de livres par an sur la période. Auparavant, les contrats étaient de 750 millions de livres mais ils étaient remis en jeu chaque année, induisant un risque conséquent pour l’industriel. L’engagement de long terme permet à l’État d’économiser 1,3 milliard de livres au total et l’industriel de réduire ses coûts administratifs, d’optimiser son outil productif et de mieux planifier la charge de ses bureaux d’étude. Sur le plan de la production, les procédés peuvent également être optimisés avec des économies d’échelle, l’accent étant mis sur l’interopérabilité, la modularité et la réduction des stocks.
● En France, le Livre blanc a défini une stratégie industrielle de défense autour des « trois cercles » distinguant les équipements nécessaires aux domaines de souveraineté, ceux qui peuvent être partagés, notamment dans le cadre d’une « interdépendance européenne », et, lorsque la sécurité d’approvisionnement n’est pas directement en jeu, les équipements que la France peut acquérir sur le marché mondial.
S’ils permettent d’identifier les secteurs clés, ces trois cercles ne suffisent pas à définir une stratégie industrielle opérationnelle. Le recours au marché mondial est souvent subi et non choisi, faute de disposer de capacités nationales : la France achète ainsi ses avions radar AWACS et toutes ses munitions de petit calibre à l’étranger. De même, l’appel à une mutualisation européenne trahit plus l’insuffisance des industries françaises que la volonté de constituer des groupes de taille mondiale capables d’assurer le maintien des compétences sur le long terme. L’absence de déclinaison des orientations du Livre blanc dans un document opérationnel en affaiblit la portée.
Ceci souligne la faiblesse de la politique industrielle actuelle, comme le souligne le conseil d’analyse économique (CAE) selon lequel « la politique industrielle a mauvaise réputation » (56), y compris parmi les industriels. Pour Denis Ranque, président du cercle de l’industrie, « l’État n’a plus les moyens […] pour mener une politique industrielle : avec la mondialisation de l’économie, la déréglementation, les privatisations, il ne tient plus un rôle central […]. Avant, l’État était acheteur et actionnaire. C’est ainsi qu’il a structuré et impulsé nos plus grandes réussites industrielles. Cette approche est révolue et cela n’a pas de sens de vouloir la réactiver » (57).
La définition d’une politique industrielle est cependant indispensable, le CAE soulignant que « la promotion des exportations de biens est incontournable pour qui veut restaurer sa balance courante. Les trois quarts du commerce mondial portent sur des échanges de biens. Un pays durablement désindustrialisé n’a guère de chances d’équilibrer sa balance courante s’il n’a pas de biens à exporter ». De plus « la promotion de l’innovation peut difficilement réussir si elle ne s’ancre pas dans une économie industrielle dynamique. […] 85 % de la recherche des entreprises se fait dans le secteur industriel. Là aussi, un pays durablement désindustrialisé n’a que peu de chances de promouvoir une innovation dynamique ». Enfin, « l’absence d’une industrie performante inhibe le potentiel d’innovation d’un pays : à supposer même qu’on innove, l’absence d’activité manufacturière appauvrit le processus même d’innovation » (58).
De nombreux rapports parlementaires soulignent également la faiblesse voire l’absence d’une politique industrielle de défense et appellent les responsables politiques à reprendre la main sur ce domaine stratégique. Michel Grall souligne par exemple que chez nos partenaires, « la politique d’acquisition et de gestion de la fin de vie est placée sous l’autorité d’un responsable politique » et note que la France peine à « redonner à l’autorité politique les moyens de peser sur le cycle de vie et de définir une véritable stratégie en la matière » (59). De même, la première recommandation de Dominique Caillaud et Jean Michel insiste sur le fait qu’il faut « définir et appliquer enfin une politique générale en faveur des PME de défense » (60).
La définition d’orientations stratégiques doit également s’accompagner d’une organisation administrative efficace, à même d’assurer la mise en œuvre effectif des choix politiques. La France se caractérise historiquement par l’implication directe des services de l’État dans la politique industrielle : « à partir de la fin des années 1950, la France a mis en œuvre une politique industrielle de défense orientée vers la recherche de l’autonomie stratégique et technologique, structurée autour de grands projets exploitant les technologies de rupture (nucléaire, aéronautique, missiles), en s’appuyant, à quelques exceptions près, sur de grands groupes nationaux étatiques » (61). L’organisation actuelle reste marquée par cet héritage qui consacre le rôle central de la direction générale de l’armement.
● Constatant qu’une « politique rationnelle des fabrications d’armement – notamment la fabrication des armes les plus modernes – exige la concentration de l’autorité et des moyens qui favorise un meilleur emploi des hommes, un rendement plus élevé de l’infrastructure industrielle, une utilisation plus efficace des crédits » (62), le général de Gaulle a créé le 5 avril 1961 la délégation ministérielle pour l’armement. Elle devait permettre « une mise en œuvre plus efficace de la loi-programme destinée à doter le pays d’un armement thermonucléaire et d’une force d’intervention interarmées » (63).
Nommé le jour même, le premier délégué ministériel, le général Gaston Lavaud, est issu de l’armée de terre et occupait précédemment le poste de chef d’état-major interarmées. Son successeur, le général Michel Fourquet, est issu de l’armée de l’air. Ce n’est qu’en 1968 que la délégation est dirigée par un ingénieur de l’armement avec la nomination de Jean Blancard (X-Mines). Devenue délégation générale pour l’armement en 1977 et direction générale de l’armement en 2010, la structure n’est plus dirigée que par des ingénieurs militaires.
Le décret de 1961 dispose que le délégué ministériel pour l’armement « prépare, soumet à l’approbation du ministre des armées et fait exécuter les programmes d’études, de recherches et de fabrication d’armement, en collaboration étroite avec les chefs d’état-major compétents, selon des modalités fixées par instruction du ministre des armées » (64). Les modalités de conduite des programmes d’armement et la détermination des responsabilités respectives des acteurs sont aujourd’hui fixées par l’instruction 1516 du 26 mars 2010 (65).
En 1961, cinq grandes directions sont rattachées au délégué ministériel : la direction des recherches et moyens d’essais, la direction des poudres, la direction des études et fabrications d’armement, la direction technique et industrielle de l’aéronautique et la direction centrale des constructions et armes navales. Depuis 2010, le délégué a autorité sur six directions : la direction de la stratégie, la direction des opérations, la direction technique, la direction du développement international, la direction des plans, des programmes et du budget et la direction des ressources humaines.
En 50 ans, la DGA est passée d’une organisation très opérationnelle à une organisation plus fonctionnelle, marquant en cela une évolution de son approche, de sa place et de son apport au sein du ministère de la défense.
Aujourd’hui, elle compte 12 000 agents dont 2 000 officiers des corps de l’armement et 9 900 personnels civils (66). Les corps de l’armement sont notamment le corps des ingénieurs de l’armement, le corps des officiers techniques et administratifs de l’armement et le corps des personnels techniques d’études et de fabrications. Dans le cadre de la révision générale des politiques publiques et de la révision du format des armées, la direction générale ne doit plus compter que 10 000 agents d’ici à 2014. Pour atteindre ce chiffre, la DGA procède notamment à une rationalisation de ses services de soutien et une réduction de ses centres d’essais qui passent de 15 à 9.
Parmi de nombreuses et disparates attributions, la direction de la stratégie de la DGA a en charge la définition et l’animation de la politique industrielle de défense. La direction de la stratégie est cependant relativement faible par rapport aux deux poids lourds que sont la direction des opérations et la direction technique en charge plus directement de la conduite et du suivi des programmes d’armement. Dans une période de contraction des budgets, cette faiblesse institutionnelle de la direction de la stratégie conduit à en restreindre plus rapidement les moyens d’action pourtant cruciaux. Ceci contribue à altérer un peu plus la lisibilité et l’efficacité de la stratégie industrielle que la DGA revendique.
● La DGA assure également « la tutelle […] des établissements publics et des sociétés nationales, ainsi que […du] contrôle des entreprises privées participant aux recherches, études et fabrications d’armement » (67). Le nombre de sociétés nationales et d’établissements publics a considérablement diminué depuis les années 1960 mais la DGA a conservé cette mission. Elle a également conservé le mode de fonctionnement adapté à cette mission originelle alors que le statut et l’environnement des entreprises d’armement ont considérablement évolué.
L’État demeure très impliqué dans le capital des grandes entreprises de défense. Certaines sociétés sont en effet les héritières des arsenaux nationaux qui ont été progressivement privatisés. L’État détient ainsi 100 % du capital de Nexter, 99,9 % de celui de la SNPE et 73,9 % de celui de DCNS. L’État détient aussi des participations minoritaires mais suffisantes pour bloquer certaines décisions avec par exemple 27 % du capital de Thales, 30,2 % du capital de Safran. Plus récemment, l’État n’a pas hésité à entrer dans le capital de sociétés stratégiques grâce à l’action du FSI. STX France, anciennement Chantiers navals de l’Atlantique, est ainsi détenu à 66,6 % par STX Europe, filiale à 100 % du groupe coréen STX, et à 33,4 % par l’État.
Deux entreprises chefs de file bénéficient enfin d’un régime particulier : Dassault Aviation est la seule grande entreprise de défense dont l’État ne détient directement aucune part du capital, le groupe Aérospatiale devenu EADS ayant pris le relais. Le capital de Dassault aviation se partage entre le groupe industriel Marcel Dassault (50,55 %), EADS (46,32 %) et le flottant (3,13 %). Le capital du groupe EADS est quant à lui lié aux équilibres politiques et financiers retenus lors de la création de la société par la France, l’Allemagne et l’Espagne. La part française se monte à 22,46 % du capital, ces actions étant détenues par la société SOGEADE qui représente à la fois l’État (environ 15 %) et le groupe Lagardère (environ 7 %).
● La DGA occupe une place majeure dans le dispositif industriel de défense. Pourtant, elle doit partager le pilotage et la conduite de cette politique avec d’autres structures de l’État. La coordination entre les différents acteurs apparaît insuffisante et conduit, de fait, à un éparpillement des responsabilités qui affaiblit la lisibilité et la cohérence des actions.
Créée en 2004, l’agence des participations de l’État (APE) exerce « la mission de l’État actionnaire dans les entreprises et organismes contrôlés ou détenus, majoritairement ou non, directement ou indirectement, par l’État » (68), la liste des entreprises étant fixée par décret. La liste a été complétée en 2011 (69) ; depuis, l’APE est compétente en matière de défense pour Défense conseil international (DCI), DCNS, EADS, GIAT Industries, Safran, SNPE, SOGEPA et Thales.
Si l’agence doit travailler « en liaison avec l’ensemble des ministères chargés de définir et de mettre en œuvre les autres responsabilités de l’État », elle reste directement rattachée au ministre de l’économie auquel elle propose « la position de l’État actionnaire en ce qui concerne la stratégie des entreprises et organismes […], dans le respect des attributions des autres administrations intéressées […]. Elle met en œuvre les décisions et orientations de l’État actionnaire […]. L’agence examine, en liaison avec les ministères intéressés, les principaux programmes d’investissement et de financement des entreprises et organismes susmentionnés ainsi que les projets d’acquisition ou de cession, d’accord commercial ou de coopération et de recherche et développement. Elle propose au ministre chargé de l’économie la position de l’État actionnaire sur ces sujets et la met en œuvre » (70).
Cette prééminence du ministre de l’économie sur les autres ministères se retrouve au comité de direction de l’État actionnaire présidé par le ministre chargé de l’économie (le directeur du Trésor pouvant le représenter) et auquel participe notamment le ministre de la défense. De ce fait, le ministère de la défense se trouve en position d’infériorité alors même que ses services détiennent l’expertise pour les entreprises de défense. Cet équilibre institutionnel apparaît délicat et ne peut qu’engendrer des tensions, les deux ministères n’ayant pas forcément la même vision stratégique. Le ministère de l’économie peut par exemple se focaliser sur des aspects financiers parfois incompatibles avec des exigences opérationnelles à moyen ou long terme.
L’organisation du conseil d’administration du FSI souffre d’un écueil similaire : alors que le fonds est amené à intervenir dans des sociétés de défense (cf. supra), personne ne représente le monde de la défense au sein du conseil d’administration, pas même parmi les personnalités qualifiées.
● Les évolutions du monde industriel ont amené l’État à créer l’APE et à confier au ministre de l’économie le pilotage de la politique d’actionnariat de l’État. Dans le même temps, les prérogatives industrielles de la DGA ont cependant été maintenues, entretenant une certaine confusion. Il apparaît aujourd’hui impossible de faire cohabiter les deux systèmes.
Cette situation doit être corrigée, sauf à ce que l’État perde totalement la maîtrise et la connaissance du secteur. Dans leur rapport d’information consacré aux PME de défense, Dominique Caillaud et Jean Michel soulignent ainsi qu’ils n’ont pas réussi à obtenir d’état des lieux ni d’annuaire des PME de défense, « aucun service ne [disposant] de ces données statistiques, ni au sein du ministère de la défense, ni au sein des services en charge de l’économie et des PME au sens large ». De même, les actions engagées au profit des PME sont « insuffisamment coordonnées » (71), que ce soit au sein de l’État ou entre l’État et les acteurs privés.
Faire évoluer la stratégie n’implique pas pour autant un désengagement total de l’État avec une cession de l’ensemble des parts qu’il détient. La présence de l’État, au même titre que celle des salariés, est de nature à stabiliser le capital et à le soustraire, au moins partiellement, aux impératifs boursiers de court terme. Ces éléments sont précieux dans la mesure où le secteur de la défense est soumis à de fortes contraintes en termes de calendrier et de financement.
● L’implication de l’État dans les industries de défense pourrait apparaître surprenante, au regard de la situation allemande. Le président de la fédération allemande de l’industrie, Hans-Peter Keitel, souligne combien « nos structures industrielles sont différentes. En Allemagne, des PME très fortes ; en France, une volonté politique forte d’avoir des champions. En Allemagne, nous réservons traditionnellement à l’État un moindre rôle dans l’économie qu’en France » (72). Cette analyse doit toutefois être tempérée car les Länder sont fortement impliqués dans le développement industriel de l’Allemagne : ce n’est peut-être pas l’État fédéral qui intervient, mais la puissance publique reste très mobilisée.
L’Italie a retenu un modèle assez proche du système français puisque l’État détient de nombreuses participations dans l’industrie de défense et notamment 30 % du capital de Finmeccanica. Pour gérer ces actifs, le ministère italien de l’économie s’appuie sur la holding Fintecna (Finanziaria per i Settori Industriali e dei Servizi S.p.A.). Comme le montre le schéma suivant, cette structure détient par exemple plus de 99 % du capital de Fincantieri, concurrent direct du français DCNS.
Structure de la holding italienne FINTECNA |
Source : www.fintecna.it/partecipazioni.asp. |
● En France, la création de nouvelles structures voire d’instances interministérielles d’arbitrage ne suffira pas à assurer l’efficacité du dispositif. Une remise à plat du rôle et de la place des services existants est indispensable. La DGA doit-elle conserver des compétences aussi élargies ? Le ministère de l’industrie doit-il être renforcé ? L’État doit-il persister à ignorer la dimension duale (civile et militaire) des industries de défense en scindant ses structures d’intervention ? Les réponses à ces questions ne peuvent être que politiques. Elles sont attendues par l’ensemble des acteurs industriels de défense. Elles sont de nature à restaurer une véritable politique industrielle.
Au-delà des insuffisances politiques et administratives, l’industrie française de défense souffre également d’une trop grande dispersion. Une réflexion doit être engagée pour déterminer la taille critique que doivent atteindre nos entreprises pour devenir des acteurs régionaux ou mondiaux.
Le tableau suivant présente la situation des principales entreprises françaises de défense en 2010.
Commandes, chiffre d’affaires et résultats (Données en millions d’euros, sauf précision contraire) | |||||||
ENTREPRISE |
Prises de commandes |
Carnet de commandes |
Chiffre d’affaires |
Part à l’export. |
Résultat net |
Résultat courant | |
EADS (1) |
45,8 G€ |
389 G€ |
42 800 |
N.C. |
- 0,76 |
- 320 | |
(- 54 %) |
(- 3 %) |
(- 1 %) |
(56 %) (2) |
(1,572) |
(2,83) | ||
dont |
Airbus (2) |
23,9 G€ |
339,7 G€ |
28 060 |
- 1 371 | ||
(- 72 %) |
(- 5 %) |
(- 3 %) |
(1 831) | ||||
Eurocopter |
5,8 G€ |
15 G€ |
4 570 |
|
|
263 | |
(+ 20 %) |
(+ 8,9 %) |
(+ 2 %) |
|
|
(293) | ||
Astrium |
8,2 G€ |
14,6 G€ |
4 790 |
261 | |||
(+ 152 %) |
(+ 33 %) |
(+ 12%) |
|
|
(234) | ||
Défense & sécurité |
7,9 G€ |
18,8 G€ |
5 360 |
449 | |||
(+ 51 %) |
(+ 10 %) |
(- 5 %) |
(408) | ||||
Autres (ATR, Socata,Sogerma…) |
9,7 G€ |
1,9 G€ |
1 090 |
21 | |||
(- 43 %) |
(- 38 %) |
(- 18 %) |
(43) | ||||
DCNS |
6 921 |
14 363 |
2 503 |
31 % |
136 |
169 | |
(+ 70 %) |
(+ 44 %) |
(+ 4 %) |
(29 %) |
(129) |
(152) | ||
Dassault Aviation |
1,27 G€ |
9,4 G€ |
4 187 |
80 % |
267 |
591 | |
(- 1,32 G€) |
(- 24 %) |
(+ 22 %) |
(74 %) |
(257) |
(426) (3) | ||
Dont militaire |
0,79 G€ |
48 % |
23 % |
25 % |
|||
(- 69 %) |
(- 4 %) |
(- 3 %) |
(24 %) |
||||
SNPE |
N/C |
N/C |
542,9 |
52,6 % |
- 28 |
7,7 | |
(621,6) |
(544) |
(- 11 %) |
(53,5 %) |
(32) |
(- 4,3) | ||
NEXTER |
601 |
2 000 |
1 076 |
31 % |
164 |
184 | |
(- 54 %) |
(- 20 %) |
(+ 21 %) |
(18 %) |
(141) |
(146) | ||
THALÈS |
13 081 |
25 418 |
13 125 |
78 % |
- 45 |
- 92 | |
(- 6 %) |
(+ 3 %) |
(+ 2 %) |
(77 %) |
(- 128) |
(151) | ||
SAFRAN |
13 083 |
30 371 |
10 760 |
74 % |
508 |
878 | |
(+ 10 %) |
(+ 10 %) |
(+ 3 %) |
(76 %) |
(376) |
(698) | ||
dont |
Snecma |
5,6 G€ (4) |
12,8 G€ (4) |
4 211 |
78 % |
|
|
Sagem défense sécurité |
1 251 |
2 052 |
1 240 |
55 | |||
Turbomeca (hors Microturbo) |
1,1 G€ (4) |
2,9 G€ (4) |
940 |
73 % |
|||
Les éléments entre parenthèses renvoient à l’évolution par rapport à 2009 ou à la situation en 2009. | |||||||
(1) Données 2009 comparées aux données de 2008. | |||||||
(2) Dont l’activité « avions de transport militaire ». | |||||||
(3) Y compris le crédit d’impôt recherche qui est désormais ajouté au résultat opérationnel courant. | |||||||
(4) Estimations. | |||||||
Source : ministère de la défense. |
Plusieurs entreprises du secteur ont un chiffre d’affaire conséquent, qu’il s’agisse d’EADS ou de Safran ; mais dès lors que l’on compare les seules activités de défense, il apparaît que les chiffres d’affaires annuels ne dépassent jamais six milliards d’euros quand Lockeed Martin a un chiffre d’affaires de 40 milliards d’euros ou BAE Systems de 24,7 milliards d’euros. Au-delà des aspects financiers, la France ne dispose d’aucune entreprise capable de prendre en charge un programme d’armement dans son ensemble, y compris la partie munitionnaire ou les équipements de communication. La plupart du temps, des accords sont passés entre les groupes avec la désignation d’un chef de file.
Si les sociétés nationales sont considérées comme des interlocuteurs crédibles dans leur secteur, elles peinent à s’affirmer sur la scène internationale et souffrent d’un déficit majeur de visibilité. Le duel entre Boeing et EADS pour l’obtention du marché des avions ravitailleurs américains a d’abord été défavorable à l’entreprise européenne tant elle était méconnue sur le marché américain de la défense. Si Eurocopter est un industriel habituel, notamment pour les hélicoptères civils, le groupe EADS n’était alors pas identifié comme un interlocuteur pour les forces armées et le ministère de la défense.
La difficile émergence de sociétés européennes de grande ampleur s’explique en partie par la volonté des États de préserver des champions nationaux. Le secteur des sous marins est révélateur de ces divergences : DCNS et Navantia ont officialisé leur divorce et tout rapprochement avec TKMS est à exclure. En effet, l’Allemagne est prête à envisager une coopération voire une association à condition qu’elle se fasse presque exclusivement à son profit.
Si la France cherche à organiser l’industrie de défense européenne pour faire émerger de grands groupes, elle doit impérativement éviter toute attitude naïve ou angélique : il serait dangereux d’accepter de renoncer à des capacités ou de transférer des savoir-faire précieux au nom de principes généraux.
Comme l’ont souligné Dominique Caillaud et Jean Michel dans leur rapport sur les PME de défense (73), la France ne dispose que de très peu d’entreprises de taille intermédiaire. Les PME de défense sont généralement concentrées sur des activités de niche et ne parviennent pas ou ne souhaitent pas changer de taille. La lourdeur de gestion inhérente à toute structure constitue généralement le principal obstacle au développement. Par ailleurs, pour grandir, les entreprises ont besoin d’augmenter leurs fonds propres ; or beaucoup de PME sont la propriété d’une seule ou de quelques personnes et elles ont souvent du mal à voir d’autres acteurs intervenir. L’association de ces PME à leur dirigeant est d’ailleurs un sujet d’inquiétude : la succession n’est que rarement organisée et souvent la perpétuation du travail commencé n’est pas assurée.
La taille des PME est certes un avantage en termes de réactivité et de souplesse ; elle ne permet en revanche pas d’engager des actions de communication ni d’entretenir un réseau pourtant indispensable dans un domaine aussi confidentiel et aussi changeant que celui de la défense. La faible diversité de leur portefeuille de clients est un problème puisqu’elles ne peuvent pas répartir les risques entre les différents contrats. En outre, les marchés de défense sont par définition des opérations complexes, très réglementées et supposent une parfaite maîtrise des mécanismes juridiques et de la procédure d’autorisation de commerce des matériels militaires.
Faute des moyens adéquats, les PME sont généralement condamnées, d’une part, à n’intervenir que comme sous-traitant d’un grand groupe et, d’autre part, à ne rester que sur des marchés locaux, régionaux ou nationaux. Les pouvoirs publics ont cherché à dépasser ces limites et ont soutenu la création de structures dédiées aux PME ; ils ont également facilité leur intégration à des projets plus larges. Les entreprises ont également cherché à se regrouper que ce soit dans une logique d’intégration horizontale ou dans des structures ad hoc.
Dès la fin des années 1990, des structures parapubliques ont souhaité mieux prendre en compte la spécificité des PME innovantes et leur développement. Créé en 1989, le Comité Richelieu a ainsi donné de la visibilité à ces petites sociétés en agrégeant leurs doléances et en les adressant aux autorités politiques. L’action du comité a gagné de l’ampleur en 2010 avec la création du Pacte PME qui a vocation à faciliter le dialogue entre les grands groupes et les PME, la composition de l’association étant d’ailleurs parfaitement paritaire. En matière de défense, le ministère a créé la Financière de Brienne en 1993. Cette filiale de la Caisse des dépôts et consignations dispose de capitaux pour investir dans des entreprises de hautes technologies susceptibles d’intéresser le secteur de la défense. Elle bénéficie du réseau des partenaires de sa société de gestion (ACE management) et peut compter sur le soutien des services de la défense. Ces entités ont été des relais utiles mais elles ne suffisent pas à dépasser les obstacles administratifs et ne parviennent pas toujours à lever les fonds nécessaires.
Pour faire face au déficit de ressources, le Gouvernement a créé le fonds stratégique d’investissement. Malheureusement son rôle est encore mal connu : le fonds n’a par exemple jamais été sollicité par le ministère de la défense alors que nombre de PME mériteraient d’être accompagnées dans leurs projets. En parallèle de ces actions de long terme, les dispositifs OSEO ou RAPID facilitent l’accès des PME à la commande et aux financements publics.
LES DISPOSITIFS OSEO ET RAPID
OSEO est un établissement public à caractère industriel et commercial placé sous la double tutelle du ministère de l’économie, des finances et de l’industrie et du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche. Créé en 2005, il doit contribuer à faire de la France un grand pays d’innovation et d’entrepreneurs. Il soutient l’innovation au travers d’un accompagnement personnalisé et d’abondements financiers. Il facilite les financements bancaires en prenant en charge une partie du risque de l’opération. Il peut également financer directement certains investissements aux côtés des établissements bancaires, étant entendu que les avances qu’il accorde sont remboursables.
Lancé en mai 2010, le programme RAPID (régime d’appui à l’innovation duale) est un dispositif de subvention mis en œuvre conjointement par la DGA et la direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services (DGCIS). Il est accessible à toutes les PME et ETI de moins de 2 000 salariés et indépendante économiquement (pas de filiales de grands groupes). L’éligibilité est établie en fonction du caractère innovant du projet, de son adéquation par rapport aux besoins de la défense, des retombées économiques… Le programme disposait de 10 millions d’euros en 2010, ce montant ayant été porté à 40 millions d’euros en 2011.
Le Gouvernement a par ailleurs engagé un travail plus structurel consistant à intégrer les PME dans le circuit de l’innovation et à favoriser les synergies entre les différents acteurs du domaine. Les pôles de compétitivité associent, sur un territoire donné, des entreprises, des centres de recherche et des organismes de formation autour d’une stratégie commune de développement. L’objectif est de dégager des « synergies autour de projets innovants conduits en commun en direction d’un ou plusieurs marchés » (74). Le pôle Pégase installé dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur regroupe par exemple la filière régionale aéronautique et spatiale. Il réunit 8 grands groupes, 250 PME et 8 centres d’essais. Denis Ranque, président du cercle de l’industrie considère que les pôles de compétitivité sont un progrès majeur dans la mesure où ils « ont fait tomber les barrières entre public et privé, PME et grands groupes » (75).
Les PME ont quant à elles mis en place des stratégies de regroupement. Le cluster EDEN constitue un bon exemple de cette volonté de partage sans nécessairement procéder à des rapprochements capitalistiques. Installé dans la région Rhône Alpes, le cluster European Defence Economic Networks (EDEN) est une association fondée en 2008 qui regroupe des entreprises de défense possédant des capacités d’innovations suffisantes pour concurrencer les grands industriels français du monde de la défense et sécurité. L’association cherche également à faciliter la conquête de nouveaux marchés nationaux et internationaux pour ses membres. L’association est par exemple en charge de la promotion internationale de ses membres et participe à ce titre à des grands salons internationaux. Si les PME ne s’étaient pas réunies, elles n’auraient jamais eu accès à de telles manifestations. Le succès de cette initiative est manifeste et d’autres régions cherchent à créer des associations de type. La région Aquitaine a par exemple constitué le réseau AETOS autour de la filière drones, avec le soutien du groupe Thales.
Les événements économiques et financiers ont montré les faiblesses de notre tissu industriel ; ils ont également fait apparaître de façon encore plus nette les risques technologiques de long terme. La France apparaît en effet dans une situation de dépendance accrue et seul un effort de recherche très conséquent pourrait inverser cette tendance. Cet effort apparaît néanmoins difficile dans la mesure où l’actuelle programmation constitue une phase de production plus qu’une phase de développement et d’anticipation. La diminution des crédits consacrés à la recherche traduit bien cette évolution.
Le tremblement de terre et le tsunami qui ont frappé le Japon en mars 2011 ont atteint les capacités industrielles de la péninsule nippone avec des répercussions sur les économies étrangères. Selon Pierre Gattaz, président du groupement des fédérations industrielles, « la crise révèle la prédominance de l’industrie japonaise dans l’électronique et la dépendance française. Cela rend la réflexion sur une filière d’excellence française plus pertinente » (76).
La fédération des industries électriques, électroniques et de communication a d’ailleurs mis en place un observatoire de l’impact de la crise japonaise sur l’industrie électronique. Selon son tableau de bord, l’industrie électronique est fortement dépendante de l’industrie japonaise sur les composants magnétiques, les condensateurs, les résistances, les composants piézoélectriques, les microcontrôleurs, l’optoélectronique et sur la majorité des matériaux nécessaires à la fabrication de composants. Pour certains d’entre eux, des difficultés d’approvisionnement sont même signalées, notamment à long terme pour les microcontrôleurs. L’industrie française avait constitué des stocks de composants et matériaux pour éviter toute rupture. Il n’y a donc aucun risque capacitaire immédiat. En revanche, si le rétablissement de l’économie japonaise venait à tarder, les entreprises françaises seraient placées dans une situation difficile.
Cet exemple montre l’exposition de notre pays en matière d’approvisionnements stratégiques. Le développement des nouvelles technologies ayant par ailleurs créé de nouveaux besoins, notamment en matières premières, il appartient aux pouvoirs publics d’assurer l’accès à ces ressources. Comme le montre la carte ci-après, les gisements des matières premières stratégiques sont concentrés dans un nombre limité d’États.
Gisements de matières premières stratégiques |
Source : http://ec.europa.eu/enterprise/policies/raw-materials/critical/index_en.htm. |
La Chine a rapidement pris conscience des avantages politiques qu’elle pouvait tirer de son rang de premier fournisseur mondial, en particulier pour les terres rares. Quitte à être réprimandée par l’Organisation mondiale du commerce, elle a mis en place des quotas d’exportation, en baisse de 10 % par an depuis 2006. Le gouvernement chinois envisage également la constitution de réserves stratégiques. En septembre 2010, dans un contexte de tensions diplomatiques, la Chine a interrompu ses exportations de terres rares vers le Japon qui a pourtant besoin annuellement de 25 000 tonnes de terres rares pour alimenter son industrie technologique, 90 % de ces matériaux venant de Chine.
La diversification des fournisseurs en terres rares est devenue une priorité, afin de diminuer la dépendance jugée excessive à l’égard de la Chine. Compte tenu de son importance, ce sujet a été abordé de façon informelle lors du sommet du G20 à Séoul en novembre 2010. Des sociétés japonaises et coréennes se sont ainsi unies pour investir à hauteur de 2 milliards de dollars américains au Brésil dans des gisements de niobium, indispensable pour la sidérurgie. Les États-Unis, la Russie et l’Australie ont marqué leur intérêt pour des démarches de ce type, mais le coût d’exploitation de ces gisements demeure particulièrement élevé par rapport aux coûts chinois.
La liste des matériaux sensibles est susceptible d’évoluer rapidement. Le lithium, qui est indispensable pour les batteries électriques, peut par exemple devenir un enjeu géopolitique. En effet, 70 % des ressources mondiales de ce matériau sont situées en Bolivie. Plusieurs sociétés japonaises se sont d’ores et déjà porté candidates pour développer l’exploitation du lithium bolivien.
À terme, compte tenu de la forte demande, de la rareté de la ressource et de sa concentration dans quelques régions du globe, la hausse des cours des matières premières stratégiques apparaît inéluctable. Mais l’attention doit également porter sur l’activité de transformation de ces matières premières pour ne pas amplifier la dépendance extérieure. Le défi des matières premières stratégiques doit donc être abordé en terme de filière industrielle.
Les États producteurs de composants stratégiques ont enfin intérêt à contrôler l’usage qui en fait, voire à imposer des normes drastiques. La législation américaine de contrôle des exportations d’armement (ITAR (77)) donne par exemple à l’administration américaine une maîtrise de l’usage de tous les composants fabriqués aux États-Unis et utilisés par des industries étrangères d’armement. Cette pratique est appelée à se généraliser et risque de créer de nouveaux types de dépendance.
La France a récemment pris la mesure de l’enjeu des matériaux stratégiques en installant auprès du ministre de l’industrie un comité chargé de cette question. Le décret de création prévoit qu’il « a pour mission d’assister le ministre chargé des matières premières dans l’élaboration et la mise en œuvre de la politique de gestion des métaux stratégiques, en vue de renforcer la sécurité d’approvisionnement nécessaire à la compétitivité durable de l’économie » (78). Le comité réunit des acteurs du monde de la défense, qu’il s’agisse du ministre, du secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale, du président du groupement des industries françaises industrielles et spatiales ou de celui du groupement des industries de construction et activités navales.
Les gouvernements ont également cherché à limiter leur dépendance en soutenant les travaux de recherche visant à trouver des matériaux de substitution. Ils privilégient également la récupération des métaux sur des matériels usagés même si cette opération se révèle très complexe en l’état actuel des techniques employées. En février 2011, le gouvernement japonais a par exemple décidé de consacrer 370 millions d’euros à encourager les entreprises à développer leurs capacités de recherche pour réduire le recours aux terres rares, soit par des techniques de recyclage ou par des matériaux de substitution.
Pour éviter une trop forte dépendance technologique, la préservation et le développement d’une industrie nationale sont cruciaux. Ceci passe par une action résolue de soutien à l’innovation principalement portée par des PME. Le Livre blanc souligne bien que le « soutien des PME, au moins aussi dynamiques que les grands groupes en matière d’innovation, contribue […] directement au renforcement de la recherche. La France leur ouvrira davantage l’accès aux marchés de défense et incitera les grands groupes de défense et de sécurité à s’associer aux plus innovantes des PME ». L’effort en faveur de l’innovation et de la recherche permet en effet de « maintenir dans la durée les compétences critiques menacées par les cycles des équipements de défense » (79).
Les autorisations d’engagement consacrées aux études amont ont atteint en 2010 leur plus bas niveau depuis 2006. Les crédits de paiement se maintiennent en revanche au-dessus de la moyenne. Cette disparité d’évolution que retrace le graphique suivant montre bien la prééminence des engagements actuels. Le ministère n’engage plus de grands projets de long terme, se contentant d’entretenir a minima les compétences actuelles.
Évolution des crédits d’étude amont (en millions d’euros) |
Source : bilan d’activités 2010, DGA. |
Les difficultés budgétaires expliquent pour partie cette évolution. Faute de moyens, la France a par exemple du mal à développer un drone malgré le besoin opérationnel avéré. De ce fait, les industriels sont contraints de financer sur leurs fonds propres la plupart des projets, y compris ceux dont l’avenir est parfois incertain. Dans le contexte économique actuel, il est naturel que les opérateurs privés refusent de plus en plus de prendre un tel risque et diminuent leurs crédits de recherche en conséquence.
La répartition des crédits consacrés à la recherche apparaît également perfectible. La répartition des ressources entre les programmes 144 et 146 conduit à une duplication des services et à un alourdissement des procédures. Les entreprises privées ont fait le choix inverse et rapprochent les bureaux d’études des centres de production. Comme le souligne Jean-Paul Herteman, président du directoire de Safran, « General Electric a inventé le concept de centre d’excellence qui consiste à imbriquer bureau d’études et usine. C’est ce que nous avons appliqué à Bordes dans la nouvelle usine de Turbomeca où le bureau d’études constitue l’épine dorsale du site avec les ateliers de chaque côté. […] Le premier retour d’investissement à Bordes tient à la réduction drastique des cycles de production. Comme le bureau d’études est situé au sein de l’usine, si un souci apparaît, il peut être réglé en une heure » (80).
L’évolution des crédits des études amont est d’autant plus préoccupante que la plupart des pays européens réduisent leurs dépenses de recherche et technologie (R&T) et de recherche et développement (R&D). Le tableau ci-après récapitule cette tendance.
Évolution des crédits de R&T et de R&D (en milliards d’euros courants) | ||||||
2007 |
2008 |
2009 | ||||
R&T |
R&D |
R&T |
R&D |
R&T |
R&D | |
France (1) |
0,81 |
3,23 |
0,835 |
3,28 |
0,9 |
3,7 |
Royaume-Uni (2) |
0,77 |
4,01 |
0,65 |
3,21 |
0,53 |
2,77 |
Allemagne |
0,46 |
1,21 |
0,47 |
1,18 |
0,4 |
1,08 |
(1) Hors nucléaire (2) La baisse constatée en 2008 est principalement liée à la dépréciation de la livre sterling par rapport à l’euro. Source : ministère de la défense. |
La faiblesse des crédits alloués aux études amont s’explique également par des raisons calendaires. Comme le montre le graphique suivant, l’actuelle loi de programmation est durablement marquée « par l’achèvement des développements et la montée en puissance de la production de la plupart des grands programmes » (81). À compter de 2015, les forces disposeront de matériels neufs dans presque tous les domaines. Alors que les armées sont habituées à disposer de parcs assez hétéroclites, elles vont devoir apprendre à gérer des équipements neufs et souvent complexes.
Dates de mise en service des principaux équipements militaires |
Source : ministère de la défense. |
Ce phénomène calendaire peut avoir des conséquences particulièrement graves sur l’industrie : faute de programmes nouveaux, il sera difficile de maintenir l’activité des bureaux d’études et, partant, d’assurer la préservation des compétences d’ingénierie. La fidélisation des ingénieurs va devenir de plus en plus difficile, ces personnels pouvant être facilement tentés de quitter le secteur de l’armement pour des secteurs technologiques où la commande publique et privée demeure vive comme par exemple l’énergie ou la médecine.
Le président d’EADS Louis Gallois souligne bien que si « les industriels savent traiter les problèmes de sous-charge industrielle », ils ne savent pas « traiter les problèmes de réduction de charge dans les bureaux d’études s’ils conduisent en dessous du seuil critique » (82). Or les crédits dévolus actuellement à la recherche et au développement, qui figurent pour l’essentiel dans le programme 144 « Environnement et prospective de la défense », sont considérés comme nettement insuffisants par les industriels. Les rapporteurs de la LPM avaient déjà souligné ce point et le ministre n’a pas manqué d’en rappeler l’importance. Le ministère étant engagé dans « la réalisation du contrat capacitaire des armées », il est possible que, « la montée en puissance des investissements pour ces programmes […conduise à] une réduction concomitante des investissements dans l’innovation qui pourrait faire disparaître notre capacité d’innovation, détenue par un petit nombre de bureaux d’études extrêmement compétents. Il nous faut donc maintenir l’investissement dans cette direction en dégageant trois priorités pour la période 2011-2014 : la dissuasion – du reste, la capacité d’innovation en est une partie intégrante – ; la coopération avec le Royaume-Uni pour les drones ; l’offre technique de la France à l’OTAN dans le cadre de la défense antimissile balistique » (83).
Les objectifs affichés par le ministre peinent toutefois à prendre forme, plusieurs décisions venant remettre en cause l’importance donnée à la préparation de l’avenir. En 2010, le ministère a ainsi préféré acheter 11 Rafale plutôt que d’engager la rénovation de 77 Mirage 2000-D. Certes, cette décision est liée à l’absence de contrat d’export pour l’avion, mais elle montre bien que la production prime désormais le développement.
La réduction des crédits combinée à une période de production risquent d’avoir des conséquences graves sur l’export : faute de maintenir son avance technologique, ou du moins dans une proportion suffisante, la France va bientôt devoir renoncer à vendre ses équipements les plus évolués car elle ne pourra plus consentir au moindre transfert de technologie, sauf à exposer sa base industrielle à une nouvelle concurrence internationale.
Face aux défis technologiques et au risque de dépendance, la France doit pouvoir s’appuyer sur la qualité de son réseau de formation et notamment sur ses écoles d’ingénieurs. Chaque année, quelque 31 500 ingénieurs sont diplômés dans notre pays et seuls 20 % d’entre eux s’expatrient. Parmi les écoles, plusieurs sont sous la tutelle du ministère de la défense, au travers de la DGA. Si l’école polytechnique symbolise le mieux cette proximité de la formation avec les besoins étatiques, aujourd’hui les diplômés de ces écoles ne s’orientent que très minoritairement vers les services de l’État.
Le rapport d’activité pour 2009 de l’école polytechnique rappelle sa mission de « former des responsables de haut niveau pour les services de l’État, les entreprises et la recherche ». L’article L. 675-1 du code de l’éducation dispose quant à lui que « l’école polytechnique a pour mission de donner à ses élèves une culture scientifique et générale les rendant aptes à occuper, après une formation spécialisée, des emplois de haute qualification ou de responsabilité à caractère scientifique, technique ou économique dans les corps civils et militaire de l’État et dans les services publics et, de façon plus générale, dans l’ensemble des activités de la Nation ».
En 2010, le budget de l’école s’élève à 172 millions d’euros. En moyenne 500 élèves ingénieurs sont diplômés chaque année. En 2009, seulement 20 % des polytechniciens diplômés ont intégré un corps de l’État ; 51 % ont rejoint le secteur privé et 26 % ont poursuivi leurs études (doctorat…). Comme le montre le graphique ci-après, parmi ceux qui ont opté pour le secteur privé, moins de la moitié ont choisi l’industrie et près de 9 % ont préféré le secteur bancaire.
Secteurs d’activité des diplômés de l’école polytechnique |
Source : http://www.polytechnique.edu/accueil/entreprises/stages-orientation-insertion-professionnelle/carrieres. |
Au final, 3 % des diplômés de Polytechnique ont débuté leur carrière dans le secteur industriel « construction aéronautique, ferroviaire et navale et armement », soit un volume trois fois moins important que dans le secteur de l’énergie ou de la banque.
Les élèves qui optent pour une carrière au sein de l’État peuvent intégrer onze corps différents (84), avec une préférence marquée pour le corps des ingénieurs des mines relevant du ministère de l’économie, qui est compétent (85) en matière d’énergie, de transport, des nouvelles technologies et d’industrie au sens large, et pour le corps des ingénieurs des ponts, des eaux et des forêts relevant du ministère de l’agriculture et du ministère du développement durable (86),qui est compétent pour les questions liées au climat, au développement durable, à l’énergie, au logement, à la ville, à l’aménagement du territoire, aux transports et à l’agro-industrie.
La faiblesse du nombre d’élèves qui poursuivent une carrière au sein de la défense nationale conduit à s’interroger sur la pertinence de maintenir l’école sous la tutelle du ministre de la défense, comme le prévoit l’article L. 755-1 du code de l’éducation. Preuve de cette évolution, le site Internet de l’association des anciens élèves et diplômés de Polytechnique précise que le bureau des carrières est à « la disposition des X qui, à l’école et tout au long de leur vie professionnelle, attachent un intérêt particulier à la gestion de leur carrière, qu’ils réfléchissent à un pantouflage [ou] à une nouvelle orientation professionnelle » (87). Ces positions trahissent un état d’esprit particulièrement préoccupant et conduisent à s’interroger sur le sens du message délivré par les autorités de tutelle aux étudiants et sur les raisons de la faible attractivité des carrières étatiques. L’arrivée à la tête des anciens de l’X d’un président dont le parcours professionnel est demeuré dans le secteur privé confirme cette inexorable évolution de l’école.
Le statut militaire de l’école est-il adapté à son environnement économique ? En avril 2011, le ministre de la défense avait d’ailleurs déposé un amendement pour modifier sa gouvernance. Il relevait que « l’École Polytechnique est […] régie par une loi de 1970, aux termes de laquelle son administration est assurée par un conseil d’administration dont le président n’a pas de fonction exécutive, cette fonction étant confiée à un officier général. Dans le contexte de la montée en puissance du campus de Saclay, où l’École Polytechnique doit avoir un rôle fédérateur, il a été unanimement considéré – par le conseil d’administration, par les anciens de Polytechnique et, d’une manière générale, par toutes les personnes concernées – qu’il était nécessaire de modifier la gouvernance de l’École Polytechnique en faisant du président du conseil d’administration un président exécutif, ayant pour mission de représenter l’École, de négocier des accords de partenariat avec les universités et les établissements d’enseignement supérieur de la région parisienne, mais aussi au plan national et international. Bref, il convient que le président soit un patron exécutif à temps plein – étant précisé que le directeur général restera, lui, un officier général, afin de tenir compte de la spécificité militaire de Polytechnique » (88). Cette évolution n’a pas abouti, l’amendement ayant été retiré en séance.
Ces éléments montrent bien que la défense ne constitue plus un domaine privilégié pour les polytechniciens même si cet éloignement semble être moins net avec la crise économique et le resserrement du marché de l’emploi. Il n’en reste pas moins que l’objectif initial de formation des corps techniques de la défense est aujourd’hui passé au second plan (89).
● Membre du pôle ParisTech, l’école nationale supérieure de techniques avancées (ENSTA) accueille chaque année 120 élèves, dont 30 % de filles, sur titre ou par la voie d’un concours sélectif, commun avec l’école des mines et l’école des ponts. Elle indique, sur la page d’accueil de son site et dans sa brochure relative au cursus ingénieur, vouloir « former des ingénieurs capables d’assurer la conception, la réalisation et la direction de projets complexes dans l’environnement économique international » (90).
Or, selon l’école, seulement 5 % des diplômés des promotions de 2005 à 2009 ont opté pour un emploi dans la défense, essentiellement des ingénieurs de l’armement, l’ENSTA étant une école d’application de l’école polytechnique. Les diplômés s’orientent vers la finance, la banque et l’assurance (10 %), l’industrie aérospatiale (6 %), l’industrie navale (5 %), l’ingénierie nucléaire (5 %), les technologies de l’information (4 %), secteurs qui peuvent avoir une activité liée à la défense. Comme pour l’école polytechnique, la tutelle statutaire de la défense sur l’ENSTA ne semble pas suffire à maintenir un lien privilégié des étudiants et des diplômés avec la défense.
Le budget de l’ENSTA s’établit à 26,89 millions d’euros en 2010.
Jusqu’à son rapprochement avec l’ENSTA ParisTech, l’ENSTA Bretagne était appelée école nationale supérieure des ingénieurs des études techniques de l’armement (ENSIETA). Jusqu’en 1990, elle recrutait exclusivement des élèves militaires ; depuis elle s’est ouverte aux étudiants civils qui représentent aujourd’hui 80 % des effectifs. En dépit de ce changement et de la part des civils par rapport aux militaires, l’école est restée sous la tutelle de la DGA qui tient à garder le contrôle sur la formation scientifique des ingénieurs des études techniques de l’armement.
686 élèves ont suivi en 2010-2011 une formation à l’ENSTA Bretagne dont 506 dans le cycle ingénieur (20 % des élèves ont le statut de militaire), 86 dans le cycle de formation des ingénieurs en alternance (apprentis ou salariés en formation continue), 36 dans des formations spécialisées et 58 comme doctorants. 74 étudiants sont étrangers, soit 11 % de l’effectif. Le budget de l’école en 2010 est de 20,8 millions d’euros.
Comme le montrent les graphiques ci-après, les élèves militaires représentent 23 % des diplômés en 2010. Au terme de leur cursus, ils ont naturellement rejoint le ministère. Leurs camarades civils ont été recrutés par l’industrie navale (27 %), l’industrie aérospatiale (6 %). Le secteur bancaire et financier ne représente que 2 % des premiers emplois occupés.
Secteurs d’activité des diplômés de l’ENSTA Bretagne | |
Industrie navale et offshore |
27 % |
Défense |
23 % |
Hydrographie / Océanographie |
14 % |
Industrie automobile |
11 % |
Industrie aéronautique et spatiale |
6 % |
Industrie des technologies de l’information |
6 % |
Énergie |
5 % |
Enseignement / Recherche |
3 % |
Institution Financière / Banque / Assurance |
2 % |
Autre |
2 % |
Commerce / Distribution |
1 % |
Fonctions exercées | |
Ingénieur études, conception, R&D, expertise et essais |
73 % |
Ingénieur production, maintenance, logistique |
13 % |
Autre |
7 % |
Ingénieur chef de projet, chargé d’affaires |
5 % |
Ingénieur qualité, sécurité, sûreté |
2 % |
Source : http://www.ensa-bretagne.fr. |
● Installé à Toulouse et placé sous tutelle du ministère de la défense, l’institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (ISAE) est issu du rapprochement de l’école nationale supérieure de l’aéronautique et de l’espace (SUPAERO) et de l’école nationale supérieure d’ingénieurs de constructions aéronautiques (ENSICA). Il a pour mission de « dispenser un enseignement supérieur ayant pour objet la formation d’ingénieurs hautement qualifiés dans les domaines aéronautique et spatial et les domaines connexes » (91). Au total, il accueille près de 1 500 étudiants.
En 2010, 56 % des ingénieurs SUPAERO ont trouvé leur premier emploi dans l’aérospatiale et la défense. 22 % ont rejoint des sociétés de l’audit, du conseil ou de la finance. Parmi les dix premières entreprises recrutant dans ce cursus, figurent les grandes sociétés de l’aéronautique et de l’espace (Airbus, Astrium, Dassault-Aviation, CNES, Thales Alenia Space), mais aussi deux banques (Société Générale et BNP Paribas), Accenture, Capgemini et Altran.
Les promotions du cursus ENSICA compte 110 à 120 élèves. Cette filière est la seconde, après l’ENSTA Bretagne, à former des ingénieurs des études techniques de l’armement. Toutefois, la formation n’indique pas précisément le taux de diplômés rejoignant la défense, ces étudiants étant comptabilisés dans un agrégat plus large. La filière aérospatiale-défense représente au total 83 % des premiers emplois occupés en 2010 contre 3 % pour la banque, la finance et le conseil.
● Les statistiques sur le premier emploi des diplômés des écoles d’ingénieurs placées sous la tutelle du ministère de la défense démontrent l’excellence des formations qui y sont dispensées, tout en confirmant la faible attractivité de la défense pour ces ingénieurs. Le caractère très minoritaire des recrutements au profit de la défense s’explique partiellement par la diminution des effectifs de la DGA. Pour autant, même si les effectifs croissaient, la défense ne parviendrait pas à concurrencer les sociétés bancaires et financières. Que des ingénieurs formés aux métiers scientifiques et technologiques privilégient ces secteurs d’activité pose un véritable problème politique. L’industrie en pâtit également. En raison d’un carnet de commandes civiles et militaires chargé et courant sur plusieurs années, AIRBUS doit recruter annuellement un contingent important d’ingénieurs. Malgré la bonne image de la société et les bonnes perspectives dans un contexte économique dégradé, la filiale d’EADS reste en déficit d’ingénieurs.
Dans ce contexte, les liens historiques entre la défense et les écoles d’ingénieurs (92)ne doivent pas incliner à l’immobilisme et à l’autogestion. La tutelle de l’État doit se traduire par une stratégie dynamique des formations et orientations des diplômés privilégiant le service de l’État et les industries de souveraineté.
Depuis plusieurs décennies, le renforcement de l’Europe de la défense est présenté comme la solution aux difficultés nationales : la mutualisation des capacités opérationnelles et des efforts de recherche ainsi que l’émergence d’une industrie européenne doivent permettre l’émergence d’une Europe militairement et politiquement forte et d’une industrie rivalisant avec la puissance américaine. Le Livre blanc constate en effet qu’aucune « nation en Europe – pas même la France, ni le Royaume-Uni – n’a plus la capacité d’assumer seule le poids d’une industrie de défense répondant à l’ensemble des besoins de ses forces » (93).
Dans cette logique, la crise économique devrait conduire à une accélération du processus d’intégration. Or l’analyse de la situation à l’automne 2011 révèle un phénomène inverse. La défense européenne est moins structurée que jamais. Les récents engagements internationaux, et notamment l’opération en Libye, ont fait éclater au grand jour les divergences entre les États membres. Comme le montre le tableau suivant, des différences notables dans l’engagement national demeurent, qu’il s’agisse de la participation à des opérations internationales, de la part du budget consacré à la défense ou même du positionnement par rapport à l’OTAN.
L’implication des États européens en matière de défense | |||||||
Budget de la défense | |||||||
État |
Statut |
Membre de l’OTAN |
Participation à l’ISAF (1) |
Participation à l’opération en Libye |
En masse (2) |
% du PIB |
Par habitant |
Allemagne |
Oui |
Oui (2003) |
36 108 |
1,50 |
441 | ||
Autriche |
Neutre |
Non |
Oui (2004) |
2 401 |
0,87 |
287 | |
Belgique |
Oui |
Oui (2003) |
Oui |
4 048 |
1,20 |
375 | |
Bulgarie |
Oui |
Oui (2003) |
Oui |
659 |
1,95 |
87 | |
Chypre |
Non |
Non |
Oui |
339 |
2 |
424 | |
Danemark |
Non participant aux politiques européennes liées à la défense |
Oui |
Oui (2003) |
Oui |
3 117 (3) |
1,40 |
563 |
Espagne |
Oui |
Oui (2003) |
Oui |
12 196 |
1,16 |
264 | |
Estonie |
Oui |
Oui (2003) |
256 |
1,86 |
191 | ||
Finlande |
Neutre |
Non |
Oui (2003) |
2 686 |
1,57 |
503 | |
France |
Membre permanent conseil de sécurité des Nations Unies |
Oui |
Oui (2003) |
Oui |
39 190 |
2,04 |
608 |
Grèce |
Oui |
Oui (2003) |
Oui |
6 023 |
2,54 |
535 | |
Hongrie |
Oui |
Oui (2003) |
1 068 |
1,15 |
107 | ||
Irlande |
Neutre |
Non |
Oui (2003) |
988 |
0,60 |
221 | |
Italie |
Oui |
Oui (2003) |
Oui |
21 946 |
1,44 |
364 | |
Lettonie |
Oui |
Oui (2003) |
227 |
1,21 |
101 | ||
Lituanie |
Oui |
Oui (2003) |
289 |
1,08 |
87 | ||
Luxembourg |
Oui |
Oui (2003) |
179 |
0,47 |
360 | ||
Malte |
Neutre |
Non |
Non |
43 |
0,74 |
103 | |
Pays-Bas |
Oui |
Oui (2003) |
Oui |
8 733 |
1,53 |
528 | |
Pologne |
Oui |
Oui (2003) |
5 428 |
1,75 |
142 | ||
Portugal |
Oui |
Oui (2003) |
2 671 |
1,63 |
251 | ||
Roumanie |
Oui |
Oui (2003) |
1 609 |
1,39 |
75 | ||
Royaume-Uni |
Membre permanent conseil de sécurité des Nations Unies |
Oui |
Oui (2003) |
Oui |
39 596 |
2,53 |
641 |
Slovaquie |
Oui |
Oui (2003) |
967 |
1,53 |
178 | ||
Slovénie |
Oui |
Oui (2003) |
571 |
1,63 |
279 | ||
Suède |
Neutre |
Non |
Oui (2003) |
Oui |
3 510 |
1,22 |
376 |
République Tchèque |
Oui |
Oui (2003) |
2 262 |
1,65 |
215 | ||
(1) International Security Assistance Force – opération internationale engagée en Afghanistan sous l’égide de l’OTAN. | |||||||
(2) en millions d’euros pour l’année 2009 – source : agence européenne de la défense. | |||||||
(3) source SIPRI avec 1 euro = 7,45995 couronnes danoises. | |||||||
Source : www.sipri.org |
Au final, l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni concentrent près de 58 % de l’effort total. Seuls la France et le Royaume-Uni (94) consacrent plus de 600 euros par an et par habitant à leur défense, dépassant les 2 % du PIB. Les écarts financiers ne suffisent pas à expliquer l’impuissance de l’Europe de la défense. Les difficultés sont notamment liées à l’inconsistance des instances communautaires et au faible bilan des coopérations. Au final, le rapporteur s’inquiète d’un décrochage militaire du continent, quelques pays ne pouvant pas supporter l’ensemble de la charge.
Les États peinent à se défaire du pouvoir régalien essentiel qu’est la défense au profit d’une organisation internationale comme l’Union européenne. Ce transfert est d’autant plus difficile que les fondations de l’Union reposent sur des principes très éloignés des enjeux de sécurité. Par ailleurs, une politique communautaire de défense nécessite un effort budgétaire partagé, une convergence des intérêts vitaux, une perception proche des menaces et un accord sur la place à accorder à l’outil militaire. Or les États membres ne sont en accord sur presque aucun de ces points. En outre, nombre de pays sont engagés dans d’autres alliances et notamment au sein de l’OTAN, et ne voient donc pas l’intérêt d’approfondir la politique européenne de défense.
Pour faire émerger une politique commune de défense, les États ont cherché à doter l’Union d’instances spécifiques. La Commission essaie également de préempter ce domaine pourtant encore très nettement intergouvernemental. Ces initiatives pourraient être bénéfiques mais faute de coordination et cohérence d’ensemble, elles ne font qu’entretenir confusion et discorde.
● L’Union européenne a créé deux structures spécifiques à l’élaboration et à la conduite des opérations d’armement. L’agence européenne de défense et l’OCCAr devaient être les premiers éléments d’une organisation communautaire placée sous l’autorité du conseil des ministres de la défense.
Créée en 2004, l’agence européenne de défense (AED) cherche à renforcer les coopérations entre États membres pour combler les lacunes capacitaires européennes dans la gestion de crise. L’ensemble des États y participe à l’exception notoire du Danemark. Ce n’est qu’en juillet 2011 que le Conseil européen a adopté une décision précisant le statut, le siège et les modalités de fonctionnement de l’AED. Elle précise par ailleurs « la mission de l’agence ne porte pas atteinte aux compétences des États membres en matière de défense » (95), ce qui limite ab initio son autorité et sa capacité d’action, voire justifie le scepticisme de certains partenaires.
La première mission de l’agence est d’identifier et d’harmoniser les besoins capacitaires présents et futurs. Pour y faire face, elle peut proposer des programmes en coopération ou des collaborations opérationnelles avec des périmètres variables : tous les États ne sont pas nécessairement impliqués dans chacun des projets. La dimension « recherche et technologie » occupe également une place importante dans l’activité de l’AED qui peut initier des programmes, des études et des projets. Il lui appartient enfin d’œuvrer au développement d’une base industrielle et technologique de défense européenne, « sans préjudice des règles du marché intérieur et des compétences de la Commission européenne » (96). Il est difficile de trouver un juste équilibre entre l’ouverture du marché et la préservation des souverainetés nationales.
Parfois présenté comme le bras armé de la Commission ou comme un simple organe intergouvernemental, l’AED cherche encore sa place au sein du système communautaire. Sans une clarification stratégique de sa finalité et de son positionnement, elle devra se contenter d’actions modestes. Le rapporteur espère que Claude-France Arnould, nommée à la tête de l’agence en janvier 2011, saura user de son expérience diplomatique pour dépasser les disparités politiques et les intérêts nationaux et faire avancer l’AED.
Opérationnelle depuis 2001, l’organisation conjointe de coopération en matière d’armement (OCCAr) a géré et suivi le développement de plusieurs équipements dont certains sont entrés en service comme l’hélicoptère Tigre, ou le véhicule Boxer. Malgré ces succès, les difficultés du programme A400M et l’effacement de l’OCCAr au profit des agences nationales d’armement dans les négociations avec l’industriel ont porté atteinte à l’autorité de l’organisation. Patrick Bellouard, directeur de l’OCCAr, estime que, sur ce dossier, les difficultés sont de la responsabilité de l’industriel et indique que l’agence a « accordé une trop grande confiance à l’industriel à la signature du contrat commercial initial. [Les partenaires ont] voulu innover sur le plan de la contractualisation et [sont] allés trop loin dans la flexibilité. [Ils n’avaient] pas de visibilité sur ce qui se passait chez l’industriel » (97). Plus que la faute de l’industriel, cette analyse souligne la faiblesse du pilotage institutionnel du programme : alors qu’elle constatait une dérive du programme, l’OCCAr n’a jamais été en mesure d’inverser la tendance ni même d’alerter les États.
Faute d’une définition claire de leurs missions et de leurs moyens, AED et OCCAr doivent encore démontrer leur apport dans la construction d’une Europe de la défense forte.
● La Commission européenne profite de cette situation et de ses compétences en matière économique pour s’inviter dans le domaine de la défense. Dans sa communication du 5 décembre 2007, elle affiche sa volonté d’user de tous ses moyens juridiques pour « garantir une concurrence équitable dans le domaine des biens produits par l’industrie de la défense et d’éviter des distorsions de concurrence sur les marchés non militaires » (98).
La cible de la Commission est de limiter le champ de l’article 346 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) qui permet aux États de déroger aux règles communautaires pour protéger leurs industries de défense nationales.
ARTICLE 346 TFUE
1. Les dispositions des traités ne font pas obstacle aux règles ci-après :
a) aucun État membre n’est tenu de fournir des renseignements dont il estimerait la divulgation contraire aux intérêts essentiels de sa sécurité ;
b) tout État membre peut prendre les mesures qu’il estime nécessaires à la protection des intérêts essentiels de sa sécurité et qui se rapportent à la production ou au commerce d’armes, de munitions et de matériel de guerre ; ces mesures ne doivent pas altérer les conditions de la concurrence dans le marché intérieur en ce qui concerne les produits non destinés à des fins spécifiquement militaires.
Cet objectif a été repris par les directives 2009/43/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 mai 2009 simplifiant les conditions de transfert de produits liés à la défense dans la Communauté et 2009/81/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 relative à la coordination des procédures de passation de certains marchés de travaux, de fournitures et de services par des pouvoirs adjudicateurs ou entités adjudicatrices dans les domaines de la défense et de la sécurité, et modifiant les directives 2004/17/CE et 2004/18/CE.
L’absence d’un principe de préférence communautaire dans la seconde directive suscite bon nombre de critiques et fragilise le modèle économique concurrentiel que la commission veut imposer aux industries européennes de défense. L’ouverture des marchés publics à la concurrence internationale n’a cependant de sens que si nos partenaires se soumettent à la même règle. Or les marchés publics américains octroyés à des entreprises non-américaines n’atteignent que 34 milliards d’euros ; au Japon, ils ne dépassent pas 22 milliards d’euros. En Europe ils représentent 312 milliards d’euros. En refusant l’inscription du principe de préférence communautaire dans l’octroi de marchés publics, et notamment dans les marchés de défense et de sécurité, la Commission européenne fragilise la BITD européenne et fait la part belle à des sociétés, essentiellement américaines, qui peuvent présenter des offres à des prix particulièrement bas puisque leurs bénéfices sont déjà assurés avec leur marché domestique protégé.
Au final, la stratégie de la Commission européenne aboutit à des initiatives juridiques incomplètes, profite aux entreprises non européennes et freine la construction d’une véritable BITD communautaire. La crise aggrave ces dérives. Il ne semble pas que la Commission envisage de modifier sa position.
À défaut d’une politique européenne de défense, des coopérations bilatérales ou multilatérales ont été mises en place. Leur bilan se révèle contrasté et appelle à beaucoup de prudence.
Le bilan est particulièrement positif lorsque la coopération vise à partager des capacités militaires touchant au soutien et au transport. Les États impliqués mettent dans un pot commun leurs personnels et leurs équipements respectifs. Ce partage capacitaire est particulièrement poussé en matière de transport militaire aérien avec le commandement européen du transport aérien (EATC) : inauguré le 1er septembre 2010, il supervise les capacités françaises, belges, néerlandaises et allemandes soit 170 aéronefs.
En revanche les coopérations relatives à des capacités de combat s’avèrent plus difficiles à mettre en œuvre, les autorités politiques nationales hésitant à confier la vie de leurs soldats à des autorités étrangères.
Mention doit être faite de la brigade franco-allemande, seule force binationale au monde. Décidée lors du sommet franco-allemand de Karlsruhe de 1987, cette unité militaire commune est officiellement opérationnelle depuis 1990. La courte histoire de la brigade a été émaillée de querelles franco-allemandes notamment sur le partage de la charge financière. Un arrangement administratif de régularisation de plusieurs millions d’euros est intervenu en 2004. Brigade d’infanterie légère, elle regroupe au total près de 6 000 hommes, répartis dans différentes unités dont un bataillon d’artillerie, un bataillon de hussards, deux bataillons de chasseurs, un régiment d’infanterie et une compagnie de génie blindé. En terme de matériels, sont mis en œuvre des équipements français par les unités françaises (AMX 10 RC, VAB, VBL, postes de tir antichars MILAN, mortiers de 120 mm) et allemands par les unités allemandes (canons automoteurs Panzerhaubitze 2 000, véhicule de transport tout terrain blindé léger FUCHS, véhicule anti-char WIESEL TOW, poseur de pont BIBER, engin blindé du génie DACHS, lanceur de mines SKORPION, char démineur KEILER). En 1996, la brigade est engagée pour la première fois sur un théâtre extérieur, dans le cadre de la SFOR en Bosnie. Aujourd’hui, 500 de ses hommes participent aux opérations en Afghanistan.
Unité symbolique de la réconciliation franco-allemande et précurseur de l’Eurocorps, cette brigade souffre aujourd’hui des divergences politiques entre Berlin et Paris pour l’engagement de forces armées sur des théâtres extérieurs. Composée exclusivement d’unités terrestres avec une capacité d’entrée en premier, la brigade ne peut être engagée que si les deux États sont d’accord sur la nature, l’ampleur et les modalités de son intervention. Or, les doctrines militaires et les contraintes politiques sont particulièrement éloignées entre la France et l’Allemagne. En réalité, lorsque la brigade projette des hommes sur un théâtre extérieur, elle s’appuie sur des unités combattantes exclusivement allemandes ou françaises pour atténuer les contraintes diplomatiques. La brigade facilite les échanges entre les forces terrestres des deux États mais ne peut pas être objectivement présentée comme une force opérationnelle unifiée.
La brigade franco-allemande est subordonnée à l’EUROCORPS, état-major permanent installé à Strasbourg. Il compte un millier de personnes venant de France, d’Allemagne, d’Espagne, de Belgique et du Luxembourg. Il ne doit pas être confondu avec l’EUROFOR, autre état-major installé à Florence et créé en 1995 par la France, l’Italie, l’Espagne et le Portugal.
La Cour des comptes considère que ces corps militaires européens « n’ont d’européen que le nom. Leur création a répondu, [pour chacun d’entre eux], à une situation particulière et à des perspectives purement nationales ; créées par traités, leur statut n’est pas uniforme, et leur fonctionnement, comme la décision de les employer, sont régis par la règle du consensus, ce qui signifie qu’un seul des États membres peut bloquer n’importe quelle décision, ce dont, dans la pratique, les États ne se privent pas ». Partant de ce constat, elle s’interroge sur « les motifs justifiant le maintien et le développement de ces structures militaires permanentes » (99).
Les pays du triangle de Weimar (Allemagne, France et Pologne) ont également développé des coopérations. Constitué le 29 août 1991, ce groupe informel vise à faciliter les échanges entre les responsables politiques des trois pays et à mettre en œuvre des projets communs. En décembre 2006 à Mettlach, les chefs d’État et de gouvernements ont décidé la « future mise sur pied d’un groupement tactique à l’échelle du Triangle » (100). En juillet 2011, présidant l’Union européenne, la Pologne a annoncé la mise en œuvre en 2013 d’une force commune dont le commandement et les forces combattantes seront polonais, l’Allemagne apportant le soutien logistique et la France le soutien médical ainsi que les capacités opérationnelles du centre de commandement opérationnel du Mont Valérien. Initié pour faciliter l’entrée de la Pologne dans l’Union européenne et l’OTAN, le Triangle de Weimar a dû réviser ses objectifs une fois ses buts initiaux atteints. Désormais, il apparaît plus comme l’instrument de la Pologne pour éviter que le centre de gravité de l’Union européenne ne bascule trop à l’Ouest.
Question : Fournir une fiche détaillée sur les coopérations menées dans le cadre du triangle de Weimar.
Réponse :
La relance du volet Défense du Triangle de Weimar, engagée en 2009 dans le cadre des travaux préparatoires de la présidence polonaise du Conseil de l’Union européenne (2nd semestre 2011), a été avant tout marquée par une dynamisation des consultations entre administrations, notamment à l’échelon des directeurs des politiques de défense. Ces consultations ont permis de mettre en évidence une ambition partagée pour renforcer la politique européenne de défense et de sécurité commune et remobiliser sur cette problématique tant Mme Ashton et les structures qui l’appuient que les États membres.
La lettre adressée en décembre 2010 par les ministres de la défense et des affaires étrangères du Triangle de Weimar à la Haute-représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité de l’Union européenne (UE) fournit une base de réflexion pour obtenir des résultats tangibles d’ici le Conseil européen de décembre 2011 qui pourrait être partiellement dédié aux questions de sécurité et de défense. À cette fin, elle propose des orientations concrètes :
1. l’amélioration des capacités de planification et de conduite des opérations européennes ;
2. l’amélioration de la déployabilité des groupements tactiques de l’UE, à travers notamment l’élargissement du financement en commun aux capacités critiques et une combinaison plus efficace des instruments civils et militaires en situation de réponse rapide à une crise ;
3. le renforcement des capacités militaires européennes, à travers des formules nouvelles de mutualisation ou de partage permettant d’optimiser l’utilisation de nos ressources ;
4. le renforcement de la coopération opérationnelle et capacitaire entre l’Alliance atlantique et l’UE.
Afin d’alimenter la réflexion des structures européennes qui ont reçu mandat en janvier dernier pour mettre en œuvre les orientations de la lettre, ainsi que celle des États membres, trois séminaires spécialisés se sont récemment tenus. Le premier portait sur les capacités de planification et de conduite, organisé par l’Allemagne à Ulm en mai 2011, le deuxième sur les groupements tactiques, organisé par la Pologne à Bruxelles en juillet, et le troisième sur les capacités, organisé par la France à Paris en juillet. Ce dernier visait plus particulièrement à identifier les coûts de la non-coopération entre États, les obstacles à la mutualisation et au partage de capacités et les moyens pour les surmonter. Les conclusions de cet exercice serviront de base au séminaire « Pooling and Sharing » de la présidence polonaise de l’UE qui se déroulera les 19 et 20 septembre 2011 à Cracovie.
En parallèle, l’Allemagne, la France et la Pologne participent de concert aux capacités de réaction rapide de l’UE. Dans ce cadre, un groupement tactique de l’UE en format « Weimar » est inscrit au tour d’alerte du 1er semestre 2013, depuis octobre 2009. La Pologne en assumera les fonctions de nation-cadre. La France y contribuera en apportant des capacités rares comme le soutien médical et en mettant l’état-major du Mont-Valérien à la disposition d’un commandant d’opération polonais en cas d’engagement. L’Allemagne assurera, pour sa part, le soutien logistique. Un arrangement technique a été conclu en ce sens le 5 juillet 2011.
Outre la mutualisation des capacités militaires, les coopérations cherchent également à développer des programmes d’équipement. Ceci se traduit par des coopérations industrielles, voire par la constitution d’une société commune dédiée comme HORIZON SAS, EUROTORP ou NHIndustries dont les actionnaires sont les industriels des États impliqués. D’importants équipements, en service dans les forces françaises, sont issus d’un programme en coopération à l’instar de l’avion de transport C-160 TRANSALL, des hélicoptères TIGRE et NH90, des missiles SCALP et ASTER. Les avions A400M, les FREMM et les frégates Horizon également.
Le bénéfice financier et industriel de ces coopérations est incertain. Dans son rapport public annuel de 2010, la Cour des comptes a recensé les travers spécifiques des programmes menés en coopération : durée excessive de gestation, inflation des spécifications techniques, absence de répartition industrielle judicieuse, pesanteur des procédures de conduite des programmes. « Fondamentalement, ces problèmes spécifiques aux programmes réalisés en coopération tiennent à ce que les différents partenaires étatiques ou industriels privilégient trop souvent la prise en compte de leurs propres intérêts » (101).
Au sein de l’Union européenne, les programmes d’armement menés en coopération respectent en effet le principe du « juste retour industriel » : chaque État doit bénéficier d’un quota d’activités industrielles à la hauteur de sa contribution financière. La priorité n’est plus la bonne réalisation du programme pour répondre à un besoin capacitaire partagé mais la répartition de l’activité industrielle générée par l’opération. Les exemples de l’A400M et de l’Eurofighter montrent les difficultés qu’une telle logique peut engendrer.
● Les dérives du programme A400M sont un bon indicateur des dérives induites par le système du juste retour. Le tableau suivant récapitule les responsabilités respectives des six États partenaires.
Partage des responsabilités industrielles – programme A400M | |
Pays partenaires |
Champ de responsabilité |
Allemagne |
Responsabilité générale fuselage Matériaux composites |
Belgique |
Éléments usinés d’aile Volets de commande de vol |
Espagne |
Ligne d’assemblage final Matériaux composites |
France |
Intégration générale des systèmes Carénage Éléments structurels majeurs |
Royaume-Uni |
Responsabilité générale sur l’aile |
Turquie |
Éléments structurels majeurs Volets de commande de vol |
Source : ministère de la défense. |
Ce partage ne s’appuie pas sur les compétences existantes des États ; au contraire, on a considéré que ce programme pouvait être l’occasion pour chaque partenaire de développer un secteur dans lequel il était plus faible. Plutôt qu’une addition des compétences, on a procédé à la juxtaposition des aspirations nationales. Le maître d’œuvre industriel se trouve dès lors dans une position inconfortable, sans compter qu’il doit gérer l’éparpillement de la production. Les seules entités dépendant directement du consortium Airbus Military sont par exemple réparties sur onze sites : Toulouse, Nantes, Saint-Nazaire, Méaulte, Madrid, Séville, Brême, Stade, Filton, Ankara, Bruxelles. Viennent s’y ajouter ceux des sous-traitants. Ce schéma industriel est générateur de surcoûts et de risques technologiques, deux dérives constatées sur le programme.
● Forts de la réussite de la coopération industrielle civile avec AIRBUS qui a su s’ériger en concurrent direct du géant BOEING, les principaux États européens ont décidé, au milieu des années 1970, de s’unir pour développer l’Eurofighter, avion de combat européen des années 1990 et 2000. Le 11 octobre 1984, la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Italie et l’Espagne s’entendent autour d’une fiche programme commune. Le projet est ambitieux : fédérer des industries aéronautiques nationales puissantes autour d’un seul et unique aéronef, militaire. Pour cela, il fallait faire converger les spécifications opérationnelles souhaitées par chacune des armées de l’air participantes, spécifications déterminant pour une large part les équipements embarqués et, partant, les industries qui seraient amenées à participer à l’opération. Le 1er août 1985, le programme essuie son premier échec avec le départ de la France qui opte pour un programme national d’avion multi-rôles, le Rafale. Cette décision ne fait qu’officialiser des divergences anciennes, la France contestant au Royaume-Uni le rôle de chef de file. Ce divorce est aussi la conséquence de la rivalité entre le Britannique BAE et le français Dassault. « Malgré les différentes harmonisations, les besoins des partenaires étaient trop différents. En outre, les enjeux industriels liés à la maîtrise d’œuvre du programme ainsi qu’au choix du moteur et du système d’armes ont forgé de nouveaux freins au développement d’un programme en coopération » (102). L’existence de champions nationaux de l’industrie d’armement qui soutiennent l’emploi et le commerce extérieur a été un des points majeurs de blocage.
Faute d’un accord, l’Europe dispose désormais de trois avions concurrents : l’Eurofighter, le Rafale et le Grippen suédois pour un marché militaire déjà limité et qui tend à se réduire avec la baisse des budgets de la défense.
Pour être pérenne et bénéfique, une coopération industrielle doit s’accompagner d’un partage des compétences et d’une rationalisation des capacités redondantes. Cela implique nécessairement que les États renoncent à des capacités et acceptent une situation de dépendance mutuelle. Dans un contexte de crise, on peut s’interroger sur la capacité d’un gouvernement à accepter l’abandon d’une quelconque activité avec ses répercussions sur l’emploi et l’activité de réseaux de sous-traitance.
Il est d’autant plus difficile d’organiser la BITD européenne que les États n’appréhendent pas tous l’enjeu industriel de défense sous le même angle. En Allemagne, en Italie ou en Espagne, la politique industrielle de défense s’intègre dans une approche plus globale alors qu’elle fait l’objet d’un suivi plus individualisé au Royaume-Uni. Là où elle est perçue comme instrument de souveraineté, elle sera ailleurs considérée comme un secteur industriel au même titre que l’automobile, la chimie ou l’électronique. Dans le premier cas, la volonté de préserver la souveraineté industrielle pourra justifier des sacrifices ; dans le second cas, la croissance économique devient prioritaire.
Malgré les déclarations d’intention, parmi lesquels figure la « Letter of Intent » (LoI) signée le 27 juillet 2000 par les ministres de la défense de France, d’Allemagne, du Royaume-Uni, de l’Espagne, de l’Italie et de la Suède, qui visait à rationaliser et à faire converger les politiques industrielles de défense des signataires, les logiques nationales prévalent.
Le groupe franco-hispano-germanique EADS est souvent cité en exemple de coopération réussie. Mais les tensions qui s’expriment dans la holding d’EADS et dans ses quatre filiales (Airbus, Eurocopter, Astrium, Cassidian) montrent la persistance des intérêts nationaux. Le partage des postes à responsabilité révèle par exemple la place croissante occupée par les Allemands au sein d’Eurocopter et de Cassidian avec des implications fortes quant à la stratégie industrielle menée au sein de ces entités. De même, l’Espagne a peu apprécié que les activités défense de CASA, et notamment le programme A400M, soient placées sous la tutelle d’Airbus Military.
Le seul groupe européen véritablement intégré est la société MBDA qui a pour actionnaires EADS, BAE et Finmeccanica, représentant l’Allemagne, la France, l’Italie et le Royaume-Uni. Avec la mise en œuvre du programme One MBDA, l’intégration européenne du groupe est particulièrement poussée. Toutefois, la signature de l’accord franco-britannique, qui fait de MBDA un pilier de la coopération industrielle, oblige la direction du groupe à faire œuvre de diplomatie et de doigté pour ne pas marginaliser l’actionnaire italien, la partie allemande ayant un statut quasi autonome au sein de la société.
En définitive, comme le montre le graphique suivant, la carte des principales industries de défense en Europe souligne la persistance des logiques nationales malgré la création de groupes ou filiales plurinationaux.
Organisation des industries de défense en Europe |
Source : http://www.armement.ead-minerve.fr/co/module_Atlas%20des%20industries%20de%20larmement_2.html |
Dans une tribune publiée le 14 septembre dernier, le général Stéphane Abrial, commandant allié pour la transformation de l’OTAN, faisait valoir que « notre effort de défense doit être soutenu », rappelant que « contrairement à ce que pourrait laisser croire un effet d’optique eurocentré, le monde ne se démilitarise pas, bien au contraire » (103). Pourtant, l’importance de l’effort de défense et les risques qu’emporte toute baisse de ces crédits ne semblent pas être des arguments suffisamment forts : tous les pays européens réduisent leurs budgets et leurs engagements internationaux.
Aux États-Unis, une logique inverse semblait prévaloir : la défense des intérêts vitaux du pays passe avant la soutenabilité du budget de la défense. En d’autres termes, la conjoncture économique ne doit pas impacter les investissements militaires, notamment parce qu’ils sont des éléments moteurs de l’activité industrielle américaine. Entre 2009 et 2011, le budget de la défense a ainsi constamment augmenté, entretenant le complexe militaro-industriel. Ce soutien public est un atout majeur dans la compétition mondiale : outre le fait que les industries américaines sont constamment en train de développer de nouveaux matériels, elles peuvent également proposer des produits à des prix attractifs puisqu’elles ont déjà amorti les investissements avec les contrats domestiques.
Cet écart entre l’Europe et les États-Unis tend toutefois à se réduire : le président Obama a ainsi indiqué que la défense allait devoir réduire son budget. Lors de son déplacement en Europe, le nouveau secrétaire américain à la défense, Leon Panetta a indiqué que les États-Unis sont « confrontés à de lourdes coupes qui vont avoir de réelles implications sur les capacités » de l’OTAN, le budget américain ne pouvant plus « absorber les chocs et combler les lacunes de l’Alliance » (104). Jusqu’alors la baisse des crédits en Europe n’avait pas de conséquence dans la mesure où les États-Unis continuaient à fournir des moyens aux pays qui avaient décidé de ces coupes. La générosité américaine n’est plus de mise et les États européens vont devoir assumer seuls leur défense. Le tableau ci-après montre bien la stabilisation du budget américain de défense.
Budget américain de la défense (en milliards de dollars américains) | |||||||||
2007 (2) |
2008 |
Évolution |
2009 |
Évolution |
2010 |
Évolution |
2011 |
Évolution | |
Procurement (équipement) |
80,9 |
98,2 |
21,4 % |
101,1 |
3,0 % |
104,8 |
3,7 % |
102,1 |
- 2,6 % |
RDT&E (1) |
75,7 |
77,3 |
2,1 % |
80,5 |
4,1 % |
80,2 |
-0,4 % |
75 |
- 6,5 % |
(1) Research, Development, Test and Evaluation — Recherche, développement, test et évaluation. (2) Les crédits sont présentés par année fiscale. Source : ministère de la défense. |
Si les États européens ne reviennent pas sur leur décision de réduction des crédits de défense, le risque est fort de voir rapidement l’Europe perdre son rang tant sur le plan militaire qu’industriel. Les tableaux suivants montrent que les budgets sont globalement en voie de réduction, au mieux de stabilisation.
Budget britannique de la défense (en milliards de livres constantes) | |||||
2007-2008 |
2008-2009 |
Évolution |
2009-2010 |
Évolution | |
Opérations d’armement (1) |
7,67 |
8,52 |
11,1% |
8,41 |
- 1,3 % |
R&D |
2,77 |
2,43 |
- 12,3 % |
2,49 (2) |
2,5 % |
dont R&T |
0,63 |
0,57 |
- 9,5 % |
0,55 |
- 3,5 % |
dont développement |
2,14 |
1,85 |
- 13,6 % |
1,94 |
4,9 % |
Soutien |
4,38 |
4,29 |
- 2,1 % |
4,21 |
- 1,9 % |
(1) Développement et fabrication (2) Estimation Source : ministère de la défense. |
Pour le Royaume-Uni, il convient de noter la tendance pour les dépenses de R&T, en baisse constante passés de 0,71 milliard de livres en 2004-2005 à 0,55 milliard de livres en 2009-2010.
Évolution des budgets d’équipement militaire | ||||
Italie |
Espagne | |||
2009 |
2010 |
2009 |
2010 | |
En milliards d’euros courants |
2,49 |
2,387 |
2,12 |
1,598 |
En % du budget de la défense |
11,30 % |
11,18 % |
17,40 % |
13,73 % |
Source : ministère de la défense. |
Si la diminution reste modérée en volume en Italie et en Espagne, elle est proportionnellement significative. Les crédits d’équipements espagnols baissent ainsi de près de 3,7 %.
Dans ce contexte, le risque est fort de voir rapidement l’Europe perdre son rang tant sur le plan militaire qu’industriel.
À propos des coopérations en matière de défense, la Cour des comptes a préconisé, dans son rapport public annuel de 2010, de prendre suffisamment de précautions pour éviter « de trop importantes déconvenues, en n’envisageant des coopérations que si les besoins militaires sont identiques, en essayant de « mutualiser » des programmes nationaux, comme cela a été fait pour les satellites d’observation, – la France développant la voie optique, l’Allemagne et l’Italie la voie radar, les trois pays échangeant les images obtenues – et en limitant autant que faire se peut les coopérations multilatérales, dont les inconvénients l’emportent souvent sur les avantages. Il serait ainsi préférable de privilégier les coopérations bi, ou à la limite, trilatérales, d’autres pays pouvant ultérieurement adhérer aux programmes en cours, sans pouvoir exiger d’en modifier le contenu » (105). En signant avec le Royaume-Uni un accord ambitieux de coopération de défense, le Président de la République a résolument engagé la France dans la voie du pragmatisme suivant les recommandations de la Cour.
Si 2010 est une étape importante et sans précédent de la coopération bilatérale franco-britannique, l’accord de défense s’inscrit dans un processus historique de plusieurs décennies. Les relations entre nos deux pays ont toujours été placées sous le double sceau de la méfiance et de l’impérieuse nécessité d’agir de concert.
Au lendemain de la seconde guerre mondiale, les deux puissances militaires européennes, seuls États européens membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies, montraient une forte convergence politique et militaire. L’échec de l’opération dite de Suez en 1956 marque pourtant une rupture : le Royaume-Uni va alors s’aligner sur les États-Unis pendant que la France opte pour l’autonomie stratégique. Sous l’impulsion du président Charles de Gaulle, ce fossé va se creuser : la France quitte le comité militaire de l’OTAN et développe son propre programme de dissuasion nucléaire ; le Royaume-Uni se heurte au veto français pour entrer dans l’Union européenne.
Avec la crise économique, la fin des années 1970 et les années 1980 marquent l’amorce de premières coopérations industrielles. Les logiques nationales continuent néanmoins à prévaloir. En 1985, le retrait français du programme Eurofighter (pour ensuite lancer le programme concurrent du Rafale) souligne les limites de ce rapprochement. La fin de la guerre froide et les déséquilibres géopolitiques qui en résultent ont relancé et accéléré le processus de convergence. Les deux armées ont appris à mieux se connaître et à se respecter notamment au cours de la première guerre du golfe ou durant les opérations en Yougoslavie. Sur le plan politique, la nécessité de disposer en Europe d’un outil de défense capable de pacifier le continent et de défendre les intérêts communs des États membres aboutit au sommet de Saint-Malo en décembre 1998. La déclaration finale signée par Jacques Chirac et Tony Blair souligne la prééminence et les convergences de vue française et britannique sur l’Europe de la défense. Des coopérations militaires et industrielles sont envisagées avec des ambitions accrues, notamment en ce qui concerne le porte-avions. La création de la société MBDA, impliquant notamment BAE et EADS, et la réussite du programme SCALP/STORM SHADOW concrétisent ces ambitions.
L’intervention américaine en Irak avec la participation active des forces britanniques aurait pu stopper ce processus, la France s’étant opposé à cette opération. Au contraire, à la fin des années 2000, le rapprochement s’accélère nettement, plusieurs événements autorisant à terme la signature de l’accord de novembre 2010. Après les attentats du 11 septembre 2001, la politique étrangère s’est réorientée vers l’Asie et moins vers l’Europe, laissant un peu de côté le traditionnel allié britannique. L’enlisement du programme américain JSF qui engage les finances britanniques, les divergences stratégiques dans la gestion des conflits irakien et afghan n’ont fait qu’accentuer cet éloignement. Dans le même temps, la France a décidé de réintégrer les différents comités militaires de l’OTAN, levant ainsi une hypothèque majeure à un rapprochement franco-britannique en matière de défense. L’implication des forces françaises et britanniques en Afghanistan, la réussite mondiale du groupe MBDA face à une concurrence exclusivement américaine et la crise économique et financière ont fini par convaincre les plus récalcitrants.
Plusieurs documents fondamentaux vont poser les jalons de l’accord de novembre 2010. Le Livre blanc français souligne ainsi la proximité des dissuasions nucléaires française et britannique. « Avec l’autre puissance nucléaire européenne, le Royaume-Uni, la France constate qu’il n’existe pas de situation dans laquelle les intérêts vitaux de l’un seraient menacés sans que les intérêts de l’autre le soient également » (106).
La Strategic Defense and Security Review d’octobre 2010 réaffirme la doctrine britannique en ce qui concerne les coopérations en matière de défense ; elle précise que le pays s’attachera « particulièrement à construire de nouveaux modèles de coopération bilatérale concrète avec les États dont les postures de défense et sécurité sont les plus proches des [leurs] ou avec ceux avec lesquels [le Royaume-Uni coopère] dans des opérations multinationales ». Des relations approfondies seront également établies avec les États avec lesquels le Royaume-Uni peut « partager des capacités, des technologies et des programmes » (107). Cette doctrine laisse une large place à la France, la revue notant que « le Royaume-Uni et la France sont des membres actifs de l’OTAN, de l’Union européenne et du Conseil de sécurité des Nations unies, sont des puissances nucléaires et ont des intérêts nationaux similaires. Nos forces armées sont de format et capacités comparables et il est clair que la France restera un des principaux partenaires stratégiques du Royaume-Uni » (108).
L’accord signé à l’issue du sommet du 2 novembre 2010, repose sur l’acceptation mutuelle d’une souveraineté partagée. Désormais, les deux plus grandes puissances militaires européennes reconnaissent officiellement qu’elles n’ont plus les moyens budgétaires suffisants pour disposer d’une capacité militaire globale et pour soutenir une industrie nationale de défense assurant une pleine souveraineté.
De cet aveu non de faiblesse mais de réalisme découle l’acceptation d’une mutuelle dépendance militaire et industrielle. Selon Antoine Bouvier, P-DG de MBDA, « l’accord franco-britannique n’a pas créé cette situation de dépendance mutuelle, mais seulement constaté qu’elle existait, qu’elle était la conséquence naturelle des réductions de budget. Plutôt que de se cacher cette situation et de laisser perdre par absence de décision des pans entiers industriels et technologiques, nos pays ont eu le courage politique de faire face et d’organiser leur interdépendance » (109).
Une telle interdépendance implique :
- un partage équitable, pour ne pas dire égal, de l’engagement financier ;
- un renoncement à certaines capacités militaires et, surtout, industrielles ;
- un accord sur le format et les missions de l’outil militaire, résultant d’un accord sur les menaces et les moyens pour y faire face.
Pour la première fois, la dissuasion n’est pas exclue du champ de la coopération, même si seule une mutualisation des capacités de recherche est prévue. Si de nombreux axes d’efforts ont été identifiés et que des groupes de travail ont été créés, la reconnaissance d’une dépendance mutuelle reste difficile à accepter et se heurte au conservatisme de certains responsables militaires.
Le traité « relatif à des installations radiographiques et hydrodynamiques communes » est assurément l’élément le plus novateur du sommet car il touche au nucléaire militaire, cœur et symbole de la souveraineté. Il ouvre la voie à une coopération inédite sur la sécurité et la sûreté des armes nucléaires, la simulation et la lutte contre le terrorisme nucléaire ou radiologique. Le directeur des applications militaires du CEA et le Chief Scientific Advisor du ministère britannique de la défense seront les deux animateurs de cet accord. Il est prévu de créer des installations radiographiques et hydrodynamiques dédiées en France sur le site de Valduc en Côte-d’Or et au Royaume-Uni à Aldermaston, dans le Berkshire. Il ne s’agit pas d’un partage des systèmes concourant à la dissuasion, mais uniquement d’une mise en commun des moyens d’étude.
Cette réalisation d’installations communes de simulation est cependant un pas politique majeur. Selon l’étude d’impact jointe au projet de loi de ratification, « le traité prévoit un partage équitable entre les deux États du coût d’investissement, du coût d’exploitation et de maintenance ainsi que du coût de démantèlement des installations à terme. Les économies réalisées par la France sont évaluées à 200 millions euros environ sur la période 2015-2020 et à un montant compris entre 200 et 250 millions euros après 2020 » (110).
Il serait réducteur d’analyser ce traité sous le seul angle budgétaire et des économies qu’il engendre. Ce serait nier sa réelle portée. Le préambule du traité est particulièrement clair, soulignant la forte convergence des deux États qui sont « conscients de leurs intérêts de défense communs et de l’importance de la dissuasion nucléaire, qui est un élément clé de leurs stratégies de défense nationales et alliées, et ayant à l’esprit qu’ils n’envisagent pas de situation dans laquelle les intérêts vitaux de l’une des Parties pourraient être menacés sans que ceux de l’autre le soient aussi » (111).
Les débats parlementaires ont fait apparaître le caractère novateur de cette démarche, nombre de parlementaires craignant que cet accord ne fragilise la souveraineté nationale. La dissuasion reste en effet perçue comme la manifestation ultime de la souveraineté étatique. Ses interrogations n’ont cependant pas empêché la ratification du traité au travers de la loi du 26 mai dernier (112).
Les coopérations militaires conventionnelles sont listées dans la déclaration franco-britannique de coopération de défense et de sécurité. Huit programmes ou équipements font l’objet de développements spécifiques :
- pour le groupe aéronaval, le « Royaume-Uni a décidé d’installer des catapultes et des dispositifs d’arrêt sur son futur porte-avions opérationnel. Ceci permettra aux avions britanniques et français d’opérer à partir des porte-avions des deux pays. À partir d’abord d’une coopération sur un groupe maritime autour du porte-avions Charles de Gaulle, le Royaume-Uni et la France se doteront, d’ici le début des années 2020, de la capacité à déployer une force aéronavale d’attaque intégrée franco-britannique composée d’éléments des deux pays. Ceci permettra à la Royal Navy et à la Marine française de travailler dans la plus étroite coordination pendant les 30 prochaines années » ;
- pour l’avion de transport A400M, les deux pays vont développer « un plan de soutien commun pour [leurs] futures flottes d’avions de transport A400M. Ceci permettra de réduire les coûts, d’améliorer la disponibilité des avions et d’ouvrir la voie à une coopération renforcée en matière de maintenance, de logistique et de formation, pour les opérations à partir du territoire national ou de l’étranger » ;
- pour les sous-marins nucléaires, il est prévu de développer « ensemble des équipements et technologies pour la prochaine génération de sous-marins nucléaires. À cette fin, [ils lanceront] une étude commune et concluron[t] des accords en 2011. Cette coopération [leur] permettra de soutenir et de rationaliser [leur] base industrielle commune et de réaliser des économies en partageant les activités de développement, les méthodes de passation des marchés et l’expertise technique » ;
- pour la guerre contre les mines maritimes, les deux pays harmoniseront leurs « plans concernant les équipements et systèmes antimines. Ceci pourrait renforcer l’efficacité, assurer l’interopérabilité et contribuer à soutenir la base industrielle franco-britannique dans le secteur sous-marin. À cette fin, [ils mettront] en place en 2011 une équipe de projet commune pour définir les spécifications d’un prototype de système antimines » ;
- pour les satellites de communication, il convient d’évaluer « le potentiel de coopération sur les futures communications militaires par satellite. [L’] objectif est de réduire les coûts généraux tout en préservant la souveraineté nationale ». Sera lancée une « étude de concept commune en 2011 pour les prochains satellites qui entreront en service entre 2018 et 2022 » ;
- pour les avions ravitailleurs, est actuellement étudiée « la possibilité d’utiliser les capacités excédentaires qui pourraient être mises à disposition dans le cadre du programme britannique FSTA (Future Strategic Tanker Aircraft) pour répondre aux besoins de la France en matière de ravitaillement en vol et de transport aérien militaire, dans des conditions financièrement acceptables pour les deux pays » ;
- pour les drones, il a été convenu « de travailler ensemble sur la prochaine génération de drones de surveillance moyenne altitude et longue endurance. Cette coopération permettra de partager les coûts de développement, de soutien et de formation, et de faire en sorte que [les] forces soient interopérables. [Les deux pays lanceront] en 2011 une phase d’évaluation concurrentielle financée conjointement, dans la perspective de développer de nouveaux équipements entre 2015 et 2020. Pour le plus long terme, [ils évalueront] ensemble les besoins et les options pour la prochaine génération de drones de combat à partir de 2030. En s’appuyant sur les travaux déjà engagés sous la direction du Groupe de travail franco-britannique de haut niveau, [ils élaboreront] au cours des deux années à venir une feuille de route technologique et industrielle commune. Ceci pourrait aboutir à la décision de lancer en 2012 un programme commun technologique et opérationnel de démonstrateur de 2013 à 2018 » ;
- pour les missiles, les États sont « parvenus à un accord sur un plan stratégique décennal concernant le secteur britannique et français des missiles. [Ils vont] travailler à la mise en place d’un maître d’œuvre industriel européen unique et à la réalisation d’économies pouvant aller jusqu’à 30 %. Cette stratégie optimisera la fourniture de capacités militaires, adaptera nos technologies plus efficacement, permettra une interdépendance accrue et consolidera [leur] base industrielle dans le secteur des missiles. [Ils prévoient] de lancer en 2011 une série de projets dans le domaine des missiles (développement du missile antisurface naval léger FASGW (H)/ANL, évaluation des améliorations des missiles de croisière Scalp/Storm Shadow et feuille de route commune pour les technologies de défense aérienne à courte portée) » (113).
Dans le domaine des missiles, les deux pays ont fortement insisté sur « la mise en place d’un maître d’œuvre industriel européen unique », prémices d’une coopération industrielle plus large. Cette déclaration s’appuie sur la position industrielle de MBDA, entreprise franco-britannico-germano-italienne véritablement intégrée. Toutefois, elle ouvre des perspectives sur d’autres filières non encore matures, la déclaration soulignant que « la coopération dans ce secteur industriel servira de test pour des initiatives dans d’autres secteurs industriels » (114).
Pour Antoine Bouvier, PDG de MBDA, « il ne s’agit pas seulement de l’approfondissement d’une coopération existante, mais d’une nouvelle approche de l’intégration de l’industrie européenne de défense. Jusqu’à présent, nous avons donné la priorité à une coopération sur les programmes et dans ce cadre, étape par étape, sous forme d’ajustements, nous avons opéré des spécialisations ou supprimé certaines duplications. Désormais l’approche est totalement différente : sa dimension principale est celle de la rationalisation industrielle ; ce ne sont pas seulement les programmes qui permettent, à la marge, d’assurer une spécialisation, mais une démarche globale, dans un périmètre franco-britannique, sur l’ensemble des capacités techniques et industrielles » (115).
Au sein du groupe, cette intégration accrue se traduit par le projet ONE MBDA. « Lorsque [l’entreprise a] reçu le mandat de proposer aux ministères de la défense français et britannique des centres d’excellence, [elle a] mis en place, à la fin de 2010, des groupes de travail franco-britanniques au sein de MBDA dans le cadre de [son] organisation intégrée avec un comité directeur et un président ayant autorité sur l’ensemble des équipes pour faire avancer les dossiers. Les choix sont parfois douloureux et les discussions industrielles difficiles en interne, chacun acceptant les objectifs dans leur principe mais pas toujours, loin s’en faut, leurs conséquences. Si [le groupe a] pu identifier une dizaine de propositions de centres d’excellence dans les deux pays, propositions [qu’il présentera] lors de la préparation du prochain sommet franco-britannique, c’est parce [qu’il a] fait ce travail dans le cadre d’une organisation intégrée » (116).
● Cet exemple pose la question de la coopération dans les autres secteurs industriels. La signature de l’accord franco-britannique pourrait-il par exemple inciter Thales à rapprocher ses actifs franco-britanniques dans le cadre d’un programme similaire ? Avec 34 000 salariés, la France demeure le premier pays d’implantation du groupe, devant le Royaume-Uni qui accueille 8 500 collaborateurs. Les deux pays rassemblent ainsi 62,5 % des ressources humaines du groupe, le groupe étant présent dans 50 pays et comptant 68 000 salariés au total. Son chiffre d’affaire en 2010 est de 13,1 milliards d’euros dont 60 % réalisés dans le secteur de la défense et de la sécurité, le reliquat étant lié au transport et à l’aérospatial. Thales est une société française, un pacte d’actionnaires liant l’État, détenteur de 27 % du capital, et le groupe Dassault, détenteur de 26 % du capital. Le reste du capital est dit flottant, à l’exception d’un actionnariat salarié à hauteur de 3 %. Héritage de l’ancien groupe THOMSON, il a par le passé joué un rôle crucial dans la stabilisation du capital, notamment en s’opposant à des tentatives d’OPA.
Thales France et Thales UK sont des entités stratégiques dans les deux pays et développent parfois des équipements similaires. Il en va ainsi des nacelles de reconnaissance RECO NG développées par Thales France pour les avions Rafale de Dassault par rapport à la nacelle DJRP, conçue par Thales UK pour équiper les Gripen de l’armée de l’air sud-africaine.
La réorganisation stratégique de THALES mise en place par Luc Vigneron tend à responsabiliser les filiales implantées à l’étranger et non à pousser à une intégration accrue. La direction a en effet « souhaité donner plus de responsabilité [aux] filiales situées à l’étranger dans les domaines où elles ont la compétence requise – qu’il s’agisse des relations avec les clients, de la passation des contrats, de leur exécution ou du management des ressources locales notamment. Cette mesure, lancée en février 2010, est opérationnelle depuis la fin de l’année dernière ». En revanche, le PDG reste très prudent sur la portée de l’accord franco-britannique pour son groupe. Il note que ces accords « sont très prometteurs, et [qu’ils] sont portés par une volonté politique forte et pragmatique. Mais [il reste] prudent sur le rythme des réalisations concrètes. D’un côté comme de l’autre, les marges de manœuvre sont limitées : il ne faut pas négliger le poids du passé et le temps que les choses prendront à se mettre en place. C’est la raison pour laquelle les deux pays s’orientent vers les études amont et les démonstrateurs – seuls domaines où existe une certaine flexibilité. […] Les potentialités pour Thales […] sont en effet multiples, avec, à court terme, les drones tactiques, comme le Watchkeeper, ou bien des coopérations avec les autres industriels britanniques sur les capteurs ou les senseurs des drones MALE. Dans le domaine des sonars, Thales regroupe l’essentiel de l’industrie en France et au Royaume-Uni, et dans certains cas, des synergies sont encore possibles entre les deux pays si les Gouvernements le souhaitent » (117).
● En ce qui concerne l’armement terrestre, NEXTER et BAE Systems ont créé une filiale commune, CTA international, pour développer un canon de 40 mm bien que cet équipement ne soit pas prévu par les accords franco-britanniques. Le rapport annuel 2010 de NEXTER précise que « CTA international se situe au cœur d’une coopération étatique bilatérale solide et exigeante » (118). La modestie du programme ne permet pas d’inscrire ce rapprochement dans la durée, même s’il constitue une première étape encourageante. Il convient désormais de lancer des programmes communs plus ambitieux.
● En matière navale, un rapprochement entre DCNS et BAE est-il envisageable ? Jusqu’à présent, la société française a privilégié des partenariats avec l’Espagne (Navantia), l’Italie (WASS) voire l’Allemagne (Atlas Elektronik). Dans les deux premiers cas, la collaboration s’est soldée par un échec ; avec la filiale du concurrent allemand TKMS, les contacts se limitent au secteur des torpilles. En mai 2006, le PDG de l’entreprise française constatait pourtant que la France et le Royaume-Uni « ont les activités navales les plus intenses d’Europe. La logique devrait donc effectivement conduire à organiser des coopérations industrielles avec les Anglais mais elles se heurtent à deux obstacles : l’industrie britannique est très tournée vers le transatlantique pour les SNA, les SNLE, les systèmes et les équipements ; DCN a encore du chemin à parcourir, la Grande-Bretagne et à moindre titre l’Allemagne la jugeant encore trop étatique pour envisager un rapprochement industriel intégré. Le projet « Convergence » aidera DCN mais, pour espérer une telle issue, il faudra persévérer » (119). Devenu président du groupement des industries de construction et d’activités navales (GICAN), il confirme cette analyse, relevant que, « à la différence du Royaume-Uni et de la France, certains pays utilisent les programmes de défense moins pour leur défense proprement dite que pour acquérir des compétences qu’ils ne possèdent pas. Mieux vaut donc une absence de coopération qu’une coopération permettant à un autre pays de développer de nouvelles compétences industrielles, comme cela aurait été le cas pour l’Espagne dans le cadre de la coopération pour la construction des Scorpène » (120).
Le nouveau contexte politique issu de la signature de l’accord franco-britannique et l’ouverture du capital de DCNS sont de nature à relancer la réflexion.
Au même titre que la pression budgétaire, les échéances électorales peuvent menacer l’avenir de la coopération franco-britannique des deux côtés de la Manche. Dans chacun des deux États, des divergences demeurent quant à la pertinence des axes de coopération. En France, l’axe franco-allemand continue de structurer nombre d’analyses et de propositions ; au Royaume-Uni, la méfiance historique à l’égard de l’Europe continentale et le lien avec les États-Unis constituent des points de faiblesse de la coopération avec la France. Alors qu’il devrait mobiliser toutes les énergies, l’accord franco-britannique ne bénéficie que d’un faible écho dans la classe politique française. Certes, au moment de sa signature, nombreux furent ceux à s’en féliciter. Les mêmes, quelques mois plus tard, oubliaient d’en faire mention dans des entretiens ou tribunes médiatiques, revenant à des analyses convenues, comme si l’accord n’était qu’une brique dans un ensemble déjà constitué. Or, l’accord devrait être le point de départ d’une nouvelle forme de coopération.
À ces difficultés intérieures, il convient d’ajouter les pressions extérieures destinées à faire échec à cette coopération ambitieuse ou à en détourner l’esprit. Les États-Unis ne sont pas restés inertes face à l’accord franco-britannique. Afin de conserver un allié qu’ils auraient peut-être trop négligé, les responsables militaires américains multiplient les offres de coopération avec leurs homologues britanniques. Ainsi, à l’occasion d’entretiens bilatéraux menés en juin 2011, l’amiral Roughead, de l’US Navy, a proposé une coopération étroite avec la Royal Navy concernant la lutte anti-sous-marine, les drones navals, la formation des pilotes de l’aéronavale britannique sur les porte-avions américains…
L’Union européenne pourrait également s’inquiéter de l’impact de l’accord franco-britannique sur son devenir dans la mesure où cet accord bilatéral se fait en dehors des institutions communautaires. D’ores et déjà, les instances européennes tentent de reprendre la main en faisant des offres de service, le directeur de l’OCCAr estimant par exemple que son organisation est la mieux placée « pour gérer des programmes franco-britanniques » (121), ou en préparant une contre-offensive juridique fondée sur l’incompatibilité des procédures industrielles franco-britanniques avec le droit communautaire. Les autres États membres de l’Union, et notamment l’Italie et l’Allemagne, s’inquiètent de leur exclusion temporaire du pôle défense. En mettant l’accent sur la filière missilière, l’accord franco-britannique marginalise l’actionnaire italien Finmeccanica.
Pour nombre d’acteurs, l’accord franco-britannique constitue une base à partir de laquelle la coopération industrielle doit être construite à l’échelle européenne. Louis Gallois, président d’EADS, estime par exemple qu’il « est impossible d’imaginer que de grands programmes, sauf exception, se concrétisent en excluant soit la France, soit l’Allemagne, soit la Grande-Bretagne. […] Le Franco-britannique est un noyau à partir duquel il faut que des coopérations plus larges s’expriment » (122).
● Sans des résultats rapides et concrets sur les plans militaires, avec la préservation voire l’amélioration des capacités, et industriels grâce au lancement de nouveaux programmes, l’accord franco-britannique risque de rejoindre la cohorte des coopérations en déshérence. Il doit s’imposer comme une évidence dans les esprits des responsables politiques, industriels et militaires mais aussi des citoyens. Sur le plan opérationnel, les bases apparaissent solides, le chef d’état-major de l’armée de l’air soulignant qu’à « chaque fois que nous établissons une coopération étroite, nous devons nous interroger sur le degré de confiance avec lequel nous travaillons. [En l’espèce,] le niveau de confiance avec la Royal Air Force est très, très haut » (123). Sur le plan industriel, la mise en œuvre rapide de programmes majeurs est nécessaire. Un missile anti-navire léger suscite difficilement l’engouement des foules, qui plus est leur soutien. En revanche, la réalisation de l’avion de chasse successeur du Rafale et de l’Eurofighter serait de nature à mobiliser plus largement. Cela exige une mobilisation extrême des services, un engagement sans équivoque des industriels et un suivi politique structuré. Il n’est pas évident que chacun de ces trois points soit engagé. Pour le chef d’état-major des armées, « les gains du traité seront modestes au début et optimaux en 2015 » (124). Il convient de veiller à ce qu’aucun obstacle politique ou administratif ne vienne repousser ce calendrier.
La réaffirmation régulière de la convergence des analyses et objectifs géopolitiques de la France et du Royaume-Uni est également nécessaire. Sans cette convergence, le partage de souveraineté induit par l’accord ne pourrait se faire. À l’occasion des printemps arabes et des opérations en Libye, la proximité des approches géopolitiques et militaires est clairement apparue. Il est plus que probable que, dans les mois à venir, des événements mondiaux obligeront Paris et Londres à prendre position, voire à s’engager ensemble sur des thèmes stratégiques. La moindre divergence pourrait ébranler l’édifice et remettre en cause la coopération naissante. La France et l’Allemagne se sont par exemple opposées sur l’exportation d’hélicoptères de combat. Or, la volonté de vendre de l’une ne peut passer outre le veto de l’autre. En conséquence, la perte de marché à l’export dans ce contexte déstabilise l’équilibre économique du programme et freine, voire annihile la moindre volonté d’approfondir la coopération.
Pour la France et le Royaume-Uni, des clarifications seront également nécessaires. Outre-manche, on ne manque pas de rappeler l’ambiguïté française lors de la guerre des Malouines en 1982. Ainsi, l’amiral Sandy Woodward qui a été un des chefs militaires de cette opération, doute de la solidarité française en cas de nouvelles attaques argentines. Dans une tribune publiée en juin 2011, il précise qu’il ne voit « pas les Français donner les clés de l’un de leurs porte-avions pour que [le Royaume-Uni puisse] mener une nouvelle guerre dans l’Atlantique sud » (125). En juillet 2011 le projet de quartier général européen permanent a mis à jour un désaccord politique inquiétant. Alors que la France est ouverte à cette initiative, le Royaume-Uni y a opposé un veto ferme et définitif, arguant du double emploi que constituerait un tel état-major avec l’OTAN. Que ce désaccord soit apparu ouvertement souligne l’insuffisance du travail de coordination en amont et exige rapidement une correction des procédures entre les différents ministères.
Les administrations et états-majors franco-britanniques doivent inventer un mode opératoire permanent pour éviter tout blocage bureaucratique. La réussite de l’accord ne peut pas reposer sur les seuls sommets entre chefs d’État et de gouvernement. Or, plus on descend la pyramide politique et administrative, plus cette coopération s’avère difficile car elle modifie en profondeur les habitudes de travail. Antoine Bouvier, PDG de MBDA, constate que « nous ne pouvons pas avoir une industrie plus intégrée, travaillant dans un périmètre franco-britannique comme une seule entreprise, si les deux ministères de la défense, c’est-à-dire les deux interfaces contractuelles, agissent de manière moins coordonnée que nous ne le faisons et sur la base d’un cadre juridique non harmonisé ou incompatible. Un important travail est à faire dans ce domaine ». La DGA et son homologue britannique, le DES, sont les premières structures qui doivent faire cet effort d’harmonisation. Cette évolution sera difficile, car il faudra mettre autour de la table « des administrations qui n’ont jamais dialogué et se sont considérées comme rivales depuis des décennies » (126).
Les services en charge de la conduite des programmes d’armement obéissent à des procédures aujourd’hui éloignées. Le Royaume-Uni s’interroge sur une extension du périmètre du Team Complex Weapon, les premiers essais ayant donné des résultats positifs. La France met en œuvre l’instruction 1516 du 26 mars 2010 qui demeure très classique et éloignée de l’esprit du Team Complex Weapon. Elle laisse en effet aux entités du ministère de la Défense, DGA et forces armées, le soin de définir les besoins et solutions avant d’associer les industriels chargés d’affiner les options retenues. Dans son introduction, elle affirme fixer « les relations entre chaque acteur impliqué : l’état-major des armées, la direction générale de l’armement, le secrétaire général pour l’administration [du ministère de la défense], les états majors d’armées lorsqu’ils ont délégation et les structures de soutien » (127). Aucune mention n’est faite des fournisseurs, à savoir les industriels.
Les structures et entités chargées de décider et/ou de conduire les opérations d’armement (comité ministériel d’investissement, comité des capacités, comité de pilotage) sont exclusives de toute présence d’industriel. Le couple formé par l’architecte de système de forces (ASF de la DGA) et l’officier de cohérence opérationnelle (OCO de l’état-major des armées) oriente et conduit « les travaux de prospective et de maintien de la cohérence capacitaires des systèmes de forces ». Il pilote les travaux des stades d’initialisation et d’orientation de l’opération. Pour mener à bien leur mission, ils « peuvent s’appuyer sur une équipe pluridisciplinaire constituée d’experts et de spécialistes des organismes compétents au sein des armées et de la DGA, avant la constitution de l’équipe de programme intégrée ». Cette équipe de programme intégrée est composée selon une structure identique comprenant un représentant de la DGA (le directeur de programme) et un représentant de l’état-major des armées (l’officier de programme). Le dialogue avec l’industrie n’intervient qu’au stade dit d’élaboration pour « spécifier la ou les solutions retenues, à en fixer les délais et les coûts de référence » (128). L’analyse et l’évaluation des solutions se font en dehors de l’industrie.
Les futurs programmes franco-britanniques, et en premier lieu les missiles du futur, ne pourront pas être menés selon deux procédures aussi éloignées. Soit l’une devra primer, à moins qu’une une voie médiane ne soit définie. Cette dernière solution présente un risque élevé de bureaucratie et d’incohérence vouant à l’échec tout programme commun. Au-delà de la seule harmonisation des procédures de conduite des programmes, la réécriture de l’instruction 1516 s’impose pour imprégner la DGA et les forces armées de l’esprit qui prévaut à l’accord franco-britannique. Certes l’instruction aborde les programmes en coopération, en fixant un « cadre à privilégier pour les opérations d’armement » (129) ; mais elle ne prend pas en compte les termes très clairs de l’accord de novembre 2010 puisqu’elle lui est antérieure. Elle mentionne les coopérations menées au sein de l’AED, de l’OCCAr, de l’OTAN et, en dernier lieu, les coopérations bilatérales. Mais l’organisation qui est définie repose sur une nation pilote ou un bureau de programme multinational : la forte intégration recherchée par l’accord franco-britannique n’est pas envisagée ici. Il faut donc procéder à sa modernisation sans que cela ne soit vécu par les services français comme un renoncement ou un sacrifice.
● Un élargissement de la coopération franco-britannique à des États tiers n’est envisageable que sous réserve de partager la même proximité intellectuelle et opérationnelle. Pour trouver un terrain d’entente, il faut conserver le pragmatisme qui a prévalu dans la signature de l’accord. Avec quel État la France et le Royaume-Uni ont-ils intérêts à s’associer pour renforcer la synergie de leurs capacités militaires et industrielles ? Peu de pays répondent à tous les critères. Les divergences sur l’emploi des forces, sur la vision géopolitique des menaces, sur les ambitions industrielles sont profondes avec l’Allemagne. La faiblesse des budgets militaires des autres États donne un caractère illusoire à tout rapprochement. Seule l’Italie semble susceptible de s’intégrer dans le schéma franco-britannique. Ses difficultés budgétaires l’inciteront peut-être à rejoindre le duo pour consolider son industrie de défense organisée autour du groupe Finmeccanica, également actionnaire de MBDA. Mais ceci suppose deux préalables : que l’Italie renonce à son nationalisme industriel très offensif en matière de défense et que Français et Britanniques aient déjà consolidé leur coopération.
DEUXIÈME PARTIE : ANALYSE DES PROGRAMMES D’ARMEMENT
Comme en 2010, le rapporteur a souhaité consacrer la deuxième partie de son rapport à l’analyse des programmes d’armement en les regroupant par milieu. Sans prétendre l’exhaustivité, cette étude essaie de recenser les enjeux principaux tant sur le plan opérationnel que financier.
Pour ce faire, le rapporteur avait demandé au ministère de lui fournir une fiche sur chaque programme d’armement et de retracer, opération par opération et depuis 2006, les crédits ouverts et consommés qu’il s’agisse des AE ou des CP. La qualité des réponses témoigne de la volonté du ministère d’améliorer l’information du Parlement. En outre, les documents ont fait l’objet de mesures de classification plus raisonnablement que les années précédentes. Le rapporteur apprécie et tient à mettre en avant ce changement. Il a conscience de la charge de travail que cela induit et remercie les services du ministère de la défense pour leur implication.
Devant la 19e promotion de l’école de guerre, le chef d’état-major des armées a invité les officiers à « se remettre en question », estimant qu’aujourd’hui, « plus que jamais, nous avons besoin de créativité et de souplesse. Nous avons besoin d’apprendre à travailler avec des équipes multidisciplinaires. Nous avons besoin de donner une priorité à l’adaptabilité de nos capacités, à la flexibilité de nos structures, à l’agilité de nos systèmes, pour répondre à temps aux crises, aux guerres qui nous attendent. C’est l’un des défis de notre défense ! C’est la réponse à l’accélération, à la complexité et à l’imprévisibilité du monde. C’est la condition pour gérer le chaos et gagner la guerre » (130).
Cette exigence de souplesse et de polyvalence pèse également sur les équipements : ils restent associés à un milieu (terre, air, mer, espace), mais les systèmes s’inscrivent de plus en plus dans une approche interarmes et interarmées. Ils sont également conçus pour répondre à des besoins auparavant traités séparément.
Cette polyvalence existe déjà au sein de chacune des forces avec l’emploi d’une même plateforme pour des missions qui bénéficiaient jusqu’alors d’équipements dédiés. Avec l’entrée en service des frégates multimissions (FREMM), la marine nationale va pouvoir conduire des missions de défense aérienne ou de lutte anti-sous-marine à partir d’un seul type de bâtiment. Pour l’armée de l’air, le Rafale est un avion multirôle pouvant mener des missions de renseignement, de combat et de dissuasion nucléaire. Les véhicules blindés modulaires de l’armée de terre, dont le fer de lance est le VBCI, entrent également dans cette catégorie d’équipements dont la qualité centrale est la capacité d’intégrer des modules technologiques et systèmes d’armes différents. Le général Elrick Irastorza, alors chef d’état-major de l’armée de terre, estimait d’ailleurs que « le temps des équipements aboutis est fin. [… Les équipements futurs] devront être nativement adaptables dans la durée, donc initialement plus basiques, tant pour être configurés aux exigences de tel théâtre le moment venu, que pour pouvoir tirer parti des dernières évolutions technologiques » (131)
La polyvalence s’opère également entre forces de milieux différents. On parlera alors d’interarmisation. Trois exemples illustrent bien cette évolution :
- l’avion de chasse Rafale a été conçu pour être utilisé à la fois par l’armée de l’air et la marine nationale. Si des adaptations spécifiques de la structure ont été nécessaires pour tenir compte des contraintes des appontages et catapultages, 80 % de la structure et 100 % des équipements du Rafale Marine sont communs avec le Rafale de l’armée de l’air. La similitude existant entre les deux versions du Rafale a permis la création d’un centre commun des pilotes de l’armée de l’air et de la marine, l’escadron de transformation Rafale Air/Marine (ETR), opérationnel depuis août 2010 sur la base aérienne 113 de Saint-Dizier ;
- l’hélicoptère NH90 compte deux versions : la version marine (NTH) et la version terrestre (TTH). Au-delà des équipements spécifiques, il s’agit de la même plateforme avec les mêmes caractéristiques techniques de base ;
- en matière de missiles, le missile de croisière naval, également appelé SCALP naval, en cours de développement est un dérivé « marine » du SCALP-EG embarqué sous les ailes des Rafale de l’armée de l’air.
Le décloisonnement des milieux aboutit à la création ou au renforcement de services interarmées dont la mission est la fourniture d’équipements ou de services à l’ensemble des forces :
● Le service des essences des armées (SEA) approvisionne les forces terrestres, navales et aériennes et les unités militaires dépendantes d’autres ministères (gendarmerie, sécurité civile). Il est un élément dimensionnant des capacités d’intervention des forces terrestres, navales et aériennes. En charge du soutien pétrolier des forces, le SEA est responsable de toute la chaîne carburant soit l’achat, l’expertise, le stockage, le transport et la distribution. Comme le mentionne le projet annuel de performances pour 2011, « pour mieux répondre aux nécessités de la projection, le service des essences des armées poursuivra sa militarisation en transformant 100 postes civils en poste militaires […] ; il continuera le regroupement de l’ensemble du soutien pétrolier au sein d’un seul service spécialisé » (132). En termes d’équipements, le SEA dispose des matériels permettant de ravitailler des forces terrestres et des bases aériennes ou navales (camions citernes). Il ne gère pas les pétroliers ravitailleurs et les avions ravitailleurs, relevant respectivement de la marine nationale et de l’armée de l’air. Confier au SEA la gestion du parc de l’ensemble des plateformes aériennes et navales fournissant du carburant aux forces serait certes un bouleversement mais il permettrait à ce service de rationaliser l’ensemble des équipements qui concourent à cette mission cruciale.
● Les services en charge du maintien en condition opérationnelle et de l’entretien des équipements interviennent désormais par milieu, respectant en cela une préconisation de la loi de programmation militaire. Le rapport annexé précisait que « l’organisation du maintien en condition opérationnelle (MCO) fera l’objet d’une profonde rationalisation. La maîtrise d’ouvrage déléguée qui répond désormais à une logique de milieu sera généralisée par la création du service interarmées de maintenance des matériels terrestres (SIMMT) sur le modèle du service de soutien de la flotte (SSF) et de la structure intégrée du maintien en condition opérationnelle du matériel aéronautique de la défense (SIMMAD). Ces structures de soutien devront travailler avec la direction générale de l’armement (DGA) de manière plus intégrée tout au long de la vie des programmes » (133). Mention doit également être faite du SIAé qui prend en charge tous les aéronefs, qu’ils soient rattachés à l’armée de l’air, à la marine ou à l’armée de terre.
● Un arrêté du 25 mars 2011 (134) a créé le service interarmées des munitions (SIMu). « Service à compétence nationale, rattaché au chef d’état-major des armées », il emploie 1 500 personnes dont 60 % de personnels civils ; il compte 20 dépôts de munitions et sept établissements interrégionaux. Sa création découle notamment de l’instruction n° 1177 du 29 janvier 2010 (135) qui précise que, « afin d’optimiser l’acquisition des munitions dans les armées et de réaliser des économies budgétaires, il est décidé de mettre en place une politique interarmées pour l’achat de munitions ». Il s’agit de définir des standards communs aux différentes forces sur des munitions techniquement proches, d’optimiser les acquisitions par la recherche d’économies d’échelle et d’une meilleure gestion des stocks. Relèvent notamment de la compétence du SIMu :
- les munitions d’infanterie, d’artillerie et aéronautiques de tous calibres ;
- les cartouches pour canons de tous calibres ;
- les grenades, bombes, roquettes, mines terrestres et sous-marines ;
- les torpilles et leurs éventuels dispositifs pyrotechniques de largage ;
- les propulseurs à poudres ;
- les leurres et équipements pyrotechniques de contre-mesures, d’anti-contre-mesures ;
- les missiles et systèmes de missiles complets de tout milieu.
Le service est chargé de contribuer à la définition de politique du soutien des munitions et à la conduite des opérations d’armement, à l’exception des « marchés relevant de la responsabilité de la DGA en matière d’acquisition, de maintenance et d’élimination de munitions » (136) et des munitions nucléaires. Il serait pourtant pertinent de confier au SIMu l’ensemble des programmes et marchés liés directement aux munitions non nucléaires, sans pour autant que cela soit perçu comme un démembrement insupportable de la DGA.
Si le SIMu centralisait l’ensemble des opérations, l’industrie munitionnaire aurait un interlocuteur unique et les autorités françaises disposeraient d’un service expert en mesure de lui faire des recommandations stratégiques sur une filière industrielle aujourd’hui en manque de repères. Le principal acteur français est Nexter Munitions, filiale de Nexter comptant 518 salariés répartis entre les sites de Bourges, La Chapelle Saint-Ursin dans le Cher et de Tarbes dans les Hautes-Pyrénées. L’entreprise est spécialisée dans les munitions d’artillerie, de char et de moyen calibre. Face à une commande nationale en baisse, elle doit se tourner vers l’export et affronter des concurrents puissants : BAE Systems au Royaume-Uni, Rheinmetall-WM en Allemagne, Nammo en Norvège, Expal en Espagne et Rheinmetall-Denel en Afrique du Sud.
La faiblesse de la commande nationale touche également des sous-traitants à l’instar du groupe Manurhin, implanté à Mulhouse dans le Haut-Rhin, qui réalise les lignes de fabrication de munitions de petits et moyens calibres. PME de 130 personnes avec un chiffre d’affaires de 20 millions d’euros en 2010, elle réalise l’intégralité de son activité à l’export, la France n’ayant plus de filière munitionnaire de petit calibre.
● Les trois armées disposent d’hélicoptères parfois identiques avec seulement des adaptations liées aux spécificités d’emploi. En juin 2009, le général de brigade aérienne Patrick Rousseau, commandant de la brigade aérienne d’appui et de projection du commandement des forces aériennes, observait que « la mise en œuvre d’un même appareil dans deux armées différentes doit être un élément moteur au rapprochement des procédures tant opérationnelles que techniques ou logistiques, facilitant ainsi l’intégration dans les théâtres d’opérations tout en laissant aux uns et aux autres la spécificité des missions qui est la leur, due en partie au milieu dans lequel elles s’effectuent principalement » (137). L’arrêté du 11 août 2009 crée le commandement interarmées des hélicoptères (CIH). Cet organisme est directement inspiré de son homologue britannique créé en 1999 qui regroupe sous son autorité l’ensemble des hélicoptères de la Navy, de la Royal Air Force et de l’armée de terre. En France, le CIH relève du chef d’état-major des armées qu’il conseille en matière de choix capacitaire, de préparation opérationnelle et d’emploi des hélicoptères, en proposant notamment les priorités opérationnelles et techniques. Selon l’arrêté, « il a pour mission d’optimiser, de coordonner et d’harmoniser la mise en condition d’emploi de la composante hélicoptère des armées » (138).
● Créé le 1er juillet 2010, le commandement interarmées de l’espace (CIE) est auprès du chef d’état-major des armées. Il fédère les besoins des forces en matière spatiale ; il est l’interlocuteur du centre national d’études spatiales (CNES) et de la DGA dans la définition de la politique d’acquisition du ministère de la défense. Le contrôle opérationnel des moyens spatiaux militaires demeure toutefois l’apanage du commandement de la défense aérienne et des opérations aériennes, de la direction du renseignement militaire et de la direction interarmées des réseaux d’infrastructures et des systèmes d’information.
● Créé en 2007 sur la base aérienne de Villacoublay, le centre multimodal des transports (CMT) conçoit et met en œuvre les acheminements stratégiques de la métropole aux théâtres d’opération. Inspiré du modèle américain Transcom, il détermine la combinaison optimale d’acheminement (terre-air-mer ; public-privé). Pour chaque mission il évalue sous l’angle budgétaire, capacitaire et temporel les différentes possibilités et choisit de recourir aux équipements des forces ou à ceux de sociétés privées (armateurs, compagnies aériennes, transporteurs routiers). Il détermine également la combinaison des différents moyens de transport pour projeter le maximum d’hommes et de matériels en un temps minimum. Les moyens militaires de chaque armée sont mis en œuvre par le centre mais restent la possession de chacune des forces. Un transfert de la possession des équipements au CMT n’est pas à l’ordre du jour.
● La mutualisation et l’interarmisation sont avant tout des facteurs d’amélioration sur le plan budgétaire. Le développement des programmes, l’effet de série des équipements embarqués, la formation et la maintenance bénéficient d’économies d’échelle. Le coût unitaire de chaque équipement s’en trouve réduit mais le plan de charge pour les industriels que ce soit en développement, en production ou en maintenance est renforcé. L’effet de masse doit également procurer de la cohérence et de la visibilité, permettant de garantir théoriquement la constance des engagements budgétaires.
Le programme SCORPION s’inscrit dans cette logique en regroupant plusieurs opérations d’armement au profit de l’armée de terre (VBMR, EBRC, rénovation Char Leclerc…). Le caractère novateur de ce regroupement a toutefois fragilisé la mise en œuvre de cette opération de cinq milliards d’euros. Ne répondant pas aux critères traditionnels des programmes d’armement, il est devenu une cible facile d’économies budgétaires indolores. Après plusieurs mois d’atermoiements ministériels pour attribuer le marché d’architecture du programme, il a finalement été notifié en novembre 2010 à un consortium composé de Nexter, Thales et Sagem. Cette assistance à maître d’ouvrage, en l’occurrence la DGA, ne préfigure pas officiellement l’attribution des marchés publics qui seront passés lors de la phase de réalisation. Toutefois, le profil des sociétés composant le consortium ne laisse planer aucun doute quant aux ambitions des uns et des autres de bénéficier du travail d’architecture engagé. Cet avantage concurrentiel est susceptible de heurter les principes fondamentaux des droits français et européen des marchés publics. Mais, dans une approche novatrice s’inspirant de l’expérience du Team Complex Weapon, il préfigure des évolutions induites par l’accord franco-britannique dans la conduite des programmes d’armement en associant très en amont les industriels aux décisions étatiques.
Les difficultés de mise en œuvre du programme terrestre SCORPION ne lui sont pas spécifiques ; elles se retrouvent dans d’autres opérations et notamment pour les systèmes d’information et de communication (SIC). S’appuyant sur deux services dépendant de l’état-major des armées (DGSIC et DIRISI), le ministère de la défense s’est engagé dans un travail titanesque de rationalisation de ses SIC pour mettre un terme à un important gaspillage financier et humain. Cette rationalisation se heurte cependant aux aspirations de chacun service qui tient à faire prévaloir son système.
L’architecture d’un système d’information et de communication découlant des besoins et finalités de la fonction, elle traduit un mode de fonctionnement, de recueil, d’échange et d’exploitation de l’information reconnu et accepté par ses utilisateurs. Elle est donc un enjeu de pouvoir lorsqu’il s’agit de rapprocher des systèmes différents. Cette lutte est notamment perceptible dans la mise en place du système d’information des armées, destiné à rassembler sous une architecture commune les principaux systèmes opérationnels des forces armées qu’il s’agisse de l’ancien SIC terre, du SIC 21 pour la Marine ou de SCCOA pour l’armée de l’air. Le graphique suivant présente le schéma de convergence prévu pour ces systèmes.
Schéma de convergence des SIC | ||||||||||
SICF |
SICF |
Phase transitoire sur STCIA |
SIA V1 | |||||||
SIC 21 |
SIC 21 |
Phase transitoire sur STCIA |
SIA V1 | |||||||
SCCOA (chaîne ACCO (1) |
SCCOA (Chaîne ACCO) |
Phase transitoire sur STCIA |
SIA V1 | |||||||
2009 |
2010 |
2011 |
2012 |
2013 |
2014 |
2015 |
2016 |
2017 |
2018 | |
(1) Aide au Commandement et à la Conduite des Opérations. Source : ministère de la défense. |
En multipliant les autorités décisionnaires et les systèmes qui doivent à terme être compatibles entre eux, on applique aux systèmes d’information et de communication des procédures d’acquisition similaires à celles des autres programmes d’équipements du ministère de la défense. Or ces procédures apparaissent lourdes au regard de la rapidité des avancées technologiques, faisant peser un risque élevé d’obsolescence sur les matériels avant même leur mise en service. Les forces armées pourraient alors disposer d’équipements moins performants que ceux disponibles dans les rayons des grandes surfaces spécialisées. Faut-il instaurer une procédure d’acquisition spécifique pour les SIC, compte tenu du rythme des innovations technologiques dans ce secteur ? Cette réflexion est engagée États-Unis. Le chef adjoint d’état-major de l’armée de terre américaine, le général Peter Chiarelli, considère que, « aussi vite que la technologie évolue, nous devons réfléchir comment nous allons ajuster notre manière d’acquérir ces systèmes dans le futur » (139). Une interarmisation poussée est une des voies à explorer.
Tout retard pris dans la rationalisation des systèmes d’information de la défense est synonyme de fragilité des systèmes face à des cyberattaques chaque jour de plus en plus puissantes. La cybersécurité est devenue une priorité : la cybercriminalité a quitté le monde de la science-fiction pour devenir une activité prospère menée par des groupes mafieux. Les États peuvent également mener des cyberattaques en amont ou lors d’opérations militaires à l’instar des actions entreprises par la Russie contre la Géorgie en août 2008. Le Livre blanc note d’ailleurs que « les systèmes d’information, qui innervent la vie économique et sociale comme l’action des pouvoirs publics, celle des grands opérateurs d’énergie, de transports ou d’alimentation, ou encore l’organisation de notre défense, rendent nos sociétés et leur défense vulnérables à des ruptures accidentelles ou à des attaques intentionnelles contre les réseaux informatiques » (140).
Les attaques contre les systèmes gouvernementaux sont désormais quotidiennes. En novembre 2010, une invitation à assister à la remise du prix de Nobel de la paix au dissident chinois Liu Xiaobo était diffusée par courrier électronique. L’ouverture de la pièce jointe entraînait l’installation d’un « cheval de Troie », logiciel espion permettant de prendre le contrôle de l’ordinateur du destinataire. L’origine exacte de l’attaque informatique n’a pas été officiellement identifiée.
Face à cette menace, la France a créé le 7 juillet 2009 l’agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI) dont dépend le centre opérationnel de la sécurité des systèmes d’information chargé de détecter et réagir aux attaques informatiques menées contre les infrastructures essentielles du pays. Placée sous l’autorité du Premier ministre, l’ANSSI « prend la main » en cas d’attaque informatique majeure. Selon Patrick Pailloux, directeur général de l’ANSSI, « chaque administration possède […] une politique de sécurité, c’est-à-dire un ensemble de règles qui doivent être respectées par les utilisateurs et les informaticiens. L’hétérogénéité des pratiques et des règles de sécurité actuelles nuit gravement à leur compréhension et à leur application ». Il convient donc de rationaliser les systèmes actuels en déployant « un intranet interministériel résilient, chaque ministère disposant aujourd’hui de son propre réseau – voire de plusieurs réseaux – avec ses propres passerelles vers l’Internet et de nombreuses passerelles entre ces réseaux. L’objectif est de permettre la continuité de l’action gouvernementale et administrative en cas de dysfonctionnement grave de l’Internet en limitant le nombre de passerelles d’interconnexion qui sont des points de fragilité potentiels, améliorant ainsi la détection des attaques au niveau des passerelles ainsi que notre capacité à y réagir. Cela permettrait également de réduire les coûts de communications de l’État en rationalisant le nombre de réseaux » (141).
● Il serait cependant illusoire d’aspirer à une unification totale des forces, chaque milieu ayant des spécificités dont il est impossible de faire abstraction. La préservation des particularités opérationnelles ne doit toutefois pas freiner la réflexion sur une plus grande rationalisation des équipements des forces. Les organisations actuelles, héritées de concepts et de doctrines nés durant la guerre froide, doivent être examinées au regard des contraintes actuelles.
La dissuasion nucléaire constitue le meilleur exemple de cas particulier. Pourtant, en participant aux opérations aériennes au-dessus de la Libye au printemps 2011, l’escadron EC 1/91 Gascogne a pleinement exploité les capacités polyvalentes de l’avion de chasse Rafale en passant d’une mission nucléaire à une mission conventionnelle. Les Rafales embarqués à bord du Charles de Gaulle partagent cette polyvalence, faisant du porte-avions une plateforme stratégique de la dissuasion. Cette transformation temporaire d’un vecteur stratégique en vecteur opérationnel ouvre la voie à une évolution de la dissuasion et des équipements qui y concourent. Les deux composantes de la dissuasion, aéroportée et océanique, bénéficient actuellement de matériels récents. Les caractéristiques et le format de ce parc stratégique ont été dictés par une doctrine établie et régulièrement réaffirmée. Le contexte géopolitique et le coût budgétaire de la dissuasion incitent pourtant certains responsables politiques à prôner l’arrêt de la dissuasion nucléaire française. D’autres suggèrent l’abandon d’une des deux composantes ou encore une réduction significative des têtes nucléaires. À ce jour, nul n’envisage une révision des outils de la dissuasion, alors que les progrès technologiques le permettent.
À la différence des Rafale, des ravitailleurs de l’armée de l’air et du porte-avions, les quatre sous-marins lanceurs d’engins sont exclusivement dédiés à la mission nucléaire. Pour la prochaine génération, peut-on envisager une nouvelle approche inspirée de la composante aéroportée ? Cette nouvelle approche de la composante océanique mettrait l’accent non sur la plateforme mais sur le missile nucléaire, sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) et SNLE fusionneraient alors en une seule classe de sous-marins « multirôles » en mesure d’embarquer des missiles nucléaires et des missiles conventionnels. L’enjeu technologique stratégique porterait désormais sur la réalisation de ces nouveaux missiles et leur intégration sur des plateformes sous-marines voire navales (FREMM) polyvalentes. Il ne s’agirait pas de nucléariser des missiles conventionnels, type SCALP Naval, mais de donner à la marine nationale une capacité de polyvalence similaire à celle dont dispose l’armée de l’air. Ainsi, par la pluralité des bâtiments susceptibles d’embarquer des missiles nucléaires, la dissuasion française ne reposerait plus sur un nombre restreint de plateformes. Outre les dix sous-marins, le Président de la République pourrait compter sur les 11 frégates FREMM. La permanence de la dissuasion ne deviendrait plus un enjeu. La multiplication des vecteurs (en volume et en type) placerait l’adversaire face à une incertitude : la réponse à une attaque pourrait être à tout moment soit conventionnelle soit nucléaire.
La polyvalence des équipements induit celle des hommes. Comme le souligne l’ancien chef d’état-major de l’armée de terre, l’évolution des conflits amène à « accroître la polyvalence d’un soldat de métier qui devra être capable, au terme d’un bref reroling, de passer du VBCI au VBMR, du Char Leclerc à l’engin blindé de reconnaissance et de combat, du canon CAESAR au mortier de 120 […] voire de n’importe lequel de ces engins blindés à n’importe lequel de nos porteurs logistiques » (142) Cette exigence vis-à-vis des hommes est à l’œuvre au sein des escadrons de l’armée de l’air dotés du Rafale ; il est appelé à se généraliser aux autres forces. Le militaire, à l’instar des équipements qu’il emploie, peut être appelé à accomplir des missions différentes dans leur nature et leur ampleur, imposant une formation continue et de fortes capacités d’adaptation des personnels engagés.
La polyvalence des équipements exige plus de souplesse des esprits. D’importants progrès ont été accomplis, même si les traditions et conservatismes demeurent forts dans tout le ministère de la défense. La création des bases de défense, pierre angulaire de la RGPP appliquée au ministère de la défense, est un accélérateur qui doit recentrer les forces armées sur leur fonction combattante et non sur leur poids budgétaire.
Toutefois, il est légitime de s’inquiéter de la persistance de dépenses budgétaires injustifiées si ce n’est par des querelles voire des guerres de services internes. Le cas des deux laboratoires P4 du ministère de la défense, évoqué dans le précédent avis budgétaire, en est le triste symbole : DGA et SSA n’ont pu s’accorder sur la réalisation d’un laboratoire hautement sécurisé en région parisienne. L’absence d’arbitrage politique, malgré les interpellations parlementaires, aboutit à la construction de deux unités à moins de 15 kilomètres de distance, avec une surcapacité avérée.
La loi de programmation miliaire 2009-2014 a inscrit cette exigence de polyvalence imposée par le contexte d’incertitude opérationnelle et budgétaire de ce siècle. La future LPM 2015-2020 devra amplifier ce mouvement. L’inertie des programmes d’armement mais aussi les conservatismes pouvant œuvrer au sein des forces, de la DGA et des industries de défense ne doivent néanmoins pas être sous-estimés. Face à elle, les responsables politiques et militaires doivent faire preuve de constance et de détermination, faute de quoi, la France ne disposera plus de l’outil militaire lui permettant d’agir efficacement dans et hors de ses frontières.
En 2010, les « cinq puissances nucléaires officiellement reconnues […] ont soit déployé de nouveaux systèmes d’armes nucléaires, soit annoncé leur intention de le faire ; aucune semble prête à abandonner son arsenal nucléaire dans un futur proche. L’Inde et le Pakistan, qui, avec Israël, sont de facto des puissances nucléaires non-signataires du [traité de non-prolifération], continuent de développer de nouveaux missiles de croisière balistiques capables d’emporter des têtes nucléaires. Ils accroissent également leurs capacités de production de matériel fissile à des fins militaires. Israël apparaît en attente d’évaluer comment la situation va évoluer avec le programme nucléaire iranien. [On peut supposer que] la Corée du Nord [… a] produit suffisamment de plutonium pour réaliser un petit nombre de têtes nucléaires mais il n’y a pas d’information publique permettant de vérifier qu’elle a des armes nucléaires opérationnelles » (143). L’analyse du Stockholm International Peace Research Institute montre que malgré la signature de nouveaux accords internationaux, les arsenaux nucléaires ne baissent pas. Comme le montre le tableau suivant, l’organisation estime que plus de 5 000 têtes sont déployées en 2011, étant entendu qu’il existe 15 500 autres têtes.
Arsenal nucléaire mondial (en nombre de têtes nucléaires) | |||
Pays |
Têtes déployées |
Autres têtes |
TOTAL |
France |
290 |
10 |
300 |
Chine |
200 |
240 | |
États-Unis |
2 150 |
6 350 |
8 500 |
Inde |
80-100 |
80-100 | |
Israël |
80 |
80 | |
Pakistan |
90-110 |
90-110 | |
Royaume-Uni |
160 |
65 |
225 |
Russie |
2 427 |
8 570 |
11 000 |
TOTAL |
5 027 |
15 500 |
20 530 |
Source : rapport 2011 du Stockholm International Peace Research Institute – http://www.sipri.org/yearbook/2011/07. |
L’arsenalisation nucléaire reste donc un enjeu contemporain en dépit des évolutions juridiques internationales. En revanche, les acteurs ont changé, le Livre blanc reconnaissant lui-même que « de nouvelles puissances nucléaires sont apparues, dont les doctrines, lorsqu’elles existent, sont mal connues. […] Par ailleurs, il est établi que certains groupes terroristes cherchent à accéder à des matières ou à des engins radiologiques ou nucléaires » (144).
Les années 2010 et 2011 ont été marquées par la relance du dialogue américano-russe sur les questions de dissuasion et de prolifération des armes. La signature du nouveau traité START constitue certes une étape importante mais sa portée pratique reste limitée. Les divergences apparues en matière de défense antimissile traduisent la permanence d’une certaine rivalité entre les deux États.
Signé à Prague le 8 avril 2010, le traité « new START » prévoit que les deux puissances réduisent leur arsenal à 1 550 têtes et 800 lanceurs d’ici 2021. Cet objectif est relativement peu contraignant puisqu’il ne prend notamment pas en compte les armes nucléaires tactiques. Le traité a été ratifié par le Sénat américain le 22 décembre 2010 et par la Douma le 14 janvier 2011.
Chaque pays peut sortir du traité dès lors que certaines conditions sont remplies : pour les Américains si l’arsenal d’un pays tiers devient trop important et pour les Russes si un pays développe un arsenal nucléaire susceptible de remettre en cause le rapport de forces établi par la dissuasion. Dans les deux cas, il s’agit bien de préserver une certaine hégémonie par rapport aux autres pays. Il n’est pas envisageable de renoncer à cet avantage stratégique si d’aventure des pays émergents venaient à se positionner sur ce créneau et à se doter d’armes nucléaires en nombre important.
L’avenir et la portée pratique du traité sont indissociables de l’évolution du contexte international. Les choix faits par la Chine ou la Corée du Nord seront à ce titre examinés avec beaucoup d’attention. De même, les révolutions dans le monde arabe pourraient amener à une redéfinition des alliances régionales et, partant, à un changement du positionnement russe ou américain.
Il convient enfin de souligner que le traité « new START » ne résout pas la question récurrente de la prolifération ; l’apparition de nouveaux États dotés de l’arme nucléaire, comme l’Iran par exemple, remettrait en cause les compromis actuels.
Le débat public présente souvent la défense antimissile comme remettant en cause les fondements de la dissuasion nucléaire. Cette analyse n’est que très partiellement exacte. Il convient tout d’abord de distinguer la défense antimissile de théâtre, dont la plupart des pays sont d’ores et déjà équipés, de la défense antimissile de territoire. Les technologies utilisées sont radicalement différentes, la défense de territoire constituant un enjeu technique et technologique de grande ampleur. Pour réussir, il faut en effet intercepter un missile se déplaçant à grande vitesse (5 km/s). Dès lors, il ne sera pas possible de dépasser 85 % de succès pour les interceptions et il faudra plusieurs tirs pour neutraliser un seul missile. En d’autres termes, la défense de territoire, aussi perfectionnée qu’elle soit, ne pourra pas faire face à une attaque par saturation ; elle ne pourra qu’en limiter les effets.
Pour développer une défense de territoire, il faut par ailleurs faire des investissements colossaux. Le sommet de Lisbonne a donné un budget de 147 à 250 millions d’euros à l’OTAN pour étendre la DAMB de théâtre quand les États-Unis consacrent 10 milliards de dollars à la DAMB de territoire. La défense de territoire impose enfin de disposer de capacité de détection et d’identification des menaces très avancées. Pour réagir à temps, il faut être capable de repérer presque instantanément un tir de missile balistique, d’isoler son objectif et de prévoir sa course.
La DAMB ne remet donc pas en cause au sens premier la dissuasion puisque les États dotés seront toujours en mesure de faire usage de leurs missiles balistiques, même avec des effets potentiellement réduits. Il s’agit en revanche d’un outil de déstabilisation stratégique : c’est un nouvel outil de puissance pour les États-Unis qui n’hésitent pas à mettre en avant le saut technologique que représente la DAMB de territoire.
Le développement de ces capacités d’interception pourrait enfin conduire certains États à modifier leurs doctrines. L’OTAN ayant décidé de développer la DAMB de théâtre, ses potentiels opposants pourraient être tentés d’adopter désormais des techniques de saturation pour faire tomber cet obstacle. L’évolution des concepts d’emploi doit donc être suivie avec beaucoup d’attention. Les risques ne portent pas tant sur les aspects techniques que sur la manière dont les armées se saisissent ou réagissent par rapport à ces nouveaux outils.
L’évolution de la doctrine chinoise de dissuasion est révélatrice de l’intérêt de puissances émergentes pour le nucléaire : elle a abandonné le concept de « dissuasion minimum » au profit de celui de « dissuasion limitée ». Il n’est pas prévu que la Chine se dote de capacités identiques à celles de son plus fort adversaire ; il suffit qu’elle possède une force crédible, c’est-à-dire que les autorités doivent paraître déterminées à utiliser l’arme nucléaire si nécessaire. Il faut aussi que sa force soit fondée sur des capacités réelles, c’est-à-dire fiables et en nombre suffisant. Dans ce cadre, la Chine a lancé un programme assez conséquent visant à se doter d’une force océanique avec par exemple la construction d’une base sous-marine lui donnant un accès à la haute mer.
L’Inde s’est également engagée dans un programme de développement d’une force océanique, mais avec des ambitions plus modestes puisque la portée des missiles reste aujourd’hui faible. Il n’en reste pas moins que ces deux projets montrent la volonté de ces deux pays de se doter de capacités nucléaires complètes.
Dans le même temps, l’Iran et la Corée du Nord poursuivent leurs efforts. Pour l’Iran, il s’agit, à ce stade, plus de répondre à un objectif régional. Le pays cherche à s’affirmer comme un acteur incontournable sur la scène internationale et comme le point d’équilibre de la zone. Depuis octobre 2010, l’Iran aurait procédé à quatre tirs de ses missiles balistiques Ashura, sans qu’il soit possible d’en vérifier les résultats.
La Corée du Nord continue d’entretenir un climat de tension avec des heurts réguliers avec son voisin du Sud. Son programme balistique semble relativement avancé mais il est difficile de connaître l’état opérationnel de ses armes. Si des incertitudes demeurent, il est en revanche clair que le pays veut de doter d’une capacité nucléaire avec des missiles ayant une portée dépassant les 3 000 kilomètres.
Les pays souhaitant se doter d’armes nucléaires commencent généralement par se doter d’une composante terrestre. La France a préféré se concentrer sur les composantes aéroportées et océaniques. Les États-Unis ont maintenu cette composante avec 450 missiles balistiques ensilés intercontinentaux ICBM à tête nucléaire unique ; ils envisagent toutefois d’en réduire le nombre à 420 têtes. Les forces stratégiques terrestres russes comptent 369 missiles portant au total 1 247 têtes nucléaires : 45 % de ses missiles sont en silo ; 55 % sont mobiles.
L’Inde dispose de plusieurs familles de missiles balistiques en mesure d’emporter des charges nucléaires :
- le Prithvi-II d’une portée de 350 kilomètres avec une capacité d’emport pouvant aller jusqu’à 500 kg ;
- le Shaurya d’une portée de 600 kilomètres et d’une capacité d’emport d’une tonne ;
- le missile AGNI-I à un étage avec une portée de 700 kilomètres et pouvant être tiré depuis des rampes mobiles ;
- le missile AGNI II d’une portée allant jusqu’à 2 500 km. En décembre 2010, les essais d’une version renforcée de l’AGNI II ont échoué ;
- le missile AGNI III dont la portée dépasse les 3 000 kilomètres.
En février 2011, le Pakistan a réussi un tir d’essai de son missile Hatf VII Babur, développé à partir de 2005. Ce missile à capacité nucléaire a une portée de 600 kilomètres.
La prolifération des armes nucléaires terrestres est un risque réel. Selon les autorités russes, à la suite de la dislocation de l’URSS en 1994, 104 missiles terrestres, l’usine de fabrication et le bureau d’études associé se sont trouvés hors du territoire russe, participant ainsi à la prolifération d’armes de destruction massive.
La fin de la guerre froide aurait pu conduire la France à renoncer à sa dissuasion ou au moins à en réduire le format. La permanence des menaces internationales et l’apparition de nouveaux États sur la scène nucléaire l’ont conduite à maintenir son effort. Le Livre blanc de 2008 réaffirme d’ailleurs le rôle central de la dissuasion qui est à la fois la garantie ultime de notre sécurité, de notre indépendance et une condition nécessaire de notre autonomie stratégique. Il précise par ailleurs la doctrine française, s’inscrivant dans la continuité des orientations des différents Présidents de la République. Notre « dissuasion nucléaire est strictement défensive. Elle a pour seul objet d’empêcher une agression d’origine étatique contre les intérêts vitaux du pays, d’où qu’elle vienne et quelle qu’en soit la forme. […] La stratégie de dissuasion consiste à faire redouter à tout État qui menacerait de s’en prendre à nos intérêts vitaux une riposte de la France, entraînant des dommages inacceptables pour lui, hors de proportion avec l’objectif d’une agression. Ses centres de pouvoir politiques, économiques et militaires seraient alors visés en priorité » (145). Si ce constat semble partagé par l’ensemble des acteurs de la défense, d’aucuns s’interrogent sur la compatibilité de cette ambition avec les contraintes budgétaires actuelles. D’autres évoquent les avantages d’une mutualisation de cette capacité avec le Royaume-Uni, ou plus largement avec nos partenaires européens. Ces options doivent être examinées avec la plus extrême prudence : la dissuasion ne peut jamais s’accommoder de choix opportunistes qui porteraient atteinte à la souveraineté nationale.
Comme le rappelle le Livre blanc, « la crédibilité de notre dissuasion reposera sur la possibilité pour le chef de l’État de disposer, de façon indépendante, d’une gamme d’options suffisamment large et d’un ensemble de moyens diversifiés » (146). Il faut donc que la France dispose d’un volume suffisant pour dissuader ses adversaires de l’attaquer. La chaîne d’emploi doit être également particulièrement efficace et sûre : en l’espèce le Président de la République exerce un contrôle direct sur les forces opérationnelles, qu’il s’agisse de la force océanique ou des forces aériennes stratégiques.
Depuis le discours du Président de la République prononcé à Cherbourg en mars 2008, la dissuasion française respecte le principe de la stricte suffisance avec un stock de 300 têtes nucléaires. Cette doctrine permet de préserver nos capacités d’action tout en limitant les dépenses structurelles de la dissuasion. Ce choix ne laisse toutefois qu’une faible marge de manœuvre dans la révision du format des forces stratégiques. Seuls des sauts technologiques peuvent autoriser une réduction des plateformes ou des têtes nucléaires. Une mauvaise évaluation de la stricte suffisance menant à une diminution trop drastique des systèmes stratégiques signifierait la fin de la dissuasion. Il convient donc d’évaluer régulièrement ce niveau de suffisance au regard des progrès technologiques opérés en France mais aussi de ceux réalisés par les adversaires potentiels en matière de détection et de riposte.
Certains responsables politiques, appuyés par quelques responsables militaires, proposent d’aller plus loin en supprimant une des deux composantes. Ils estiment que cette mesure dégagerait de substantielles économies qui pourraient être investies au profit des forces conventionnelles. Ce serait aussi un signal adressé par la France en faveur d’un mouvement global de dénucléarisation.
Cette solution doit être résolument écartée pour des raisons opérationnelles, diplomatiques, financières et industrielles.
Sur le plan financier, il convient de rappeler que les principaux investissements ont été réalisés et qu’il serait contre-productif de revenir sur une décision quand nous commençons tout juste à tirer le bénéfice des efforts passés. Renoncer à la composante aéroportée ne générerait donc que des économies de MCO et de fonctionnement de l’ordre d’une centaine de millions d’euros. Par ailleurs, l’abandon d’une composante imposerait à l’État d’assurer la transformation des plateformes, la fermeture des sites et la gestion des matériaux nucléaires. Or, comme l’a bien montré le rapport d’information sur la fin de vie des équipements (147), la fin de vie des matériels nucléaires militaires est complexe et coûteuse.
Plus fondamentalement, la double composante répond à des impératifs opérationnels. Il convient de rappeler tout d’abord que la dissuasion est avant tout un outil démonstratif destiné à éviter une escalade militaire, nos adversaires renonçant devant la démesure de notre éventuelle riposte. La force océanique est conçue pour frapper en second, de façon massive, sans avertissement préalable. À l’inverse, la composante aéroportée se caractérise par sa réversibilité et sa précision d’action. Les deux composantes n’interviennent pas au même moment et ne frappent pas les mêmes cibles. Le Président de la République doit pouvoir combiner les deux composantes en fonction de la situation.
En termes de précision, les missiles balistiques pourraient gagner en précision mais au prix d’un saut technologique majeur qui demanderait des investissements très conséquents. Le Royaume-Uni est fréquemment cité en exemple : il faut absolument souligner qu’il ne dispose pas du tout des mêmes matériels, les missiles américains Trident III ayant un degré de précision très supérieur au M51. Cette différence s’explique par le concept d’emploi de ces armes, le Royaume-Uni ayant abandonné sa composante aéroportée, il a dû trouver des solutions alternatives. La France pourrait faire de même à condition qu’elle développe au préalable les technologies nécessaires à ce gain de précision, ou qu’elle accepte d’être dans la même situation de dépendance vis-à-vis des États-Unis que les Britanniques. Le maintien de la double composante apparaît préférable à ces deux alternatives.
La double composante permet enfin de se prémunir contre toute surprise technologique. Actuellement, plusieurs États, dont la Russie, essaient de développer des systèmes satellitaires de détection des sous-marins. Si de tels programmes venaient à aboutir, cela signifierait la fin de la composante océanique dont le principe de base est de ne pas être détecté. Dans cette hypothèse, la dissuasion britannique, fondée uniquement sur la composante océanique, n’aurait plus de sens alors que la dissuasion française conserverait sa pertinence grâce à la composante aéroportée. Inversement, un saut technologique des systèmes de défense aérienne et antimissiles serait de nature à dévaloriser la composante aéroportée ; dans ce cas, la composante océanique assurerait la permanence de notre système de dissuasion.
La dissuasion est enfin un vecteur de diffusion et un support de l’innovation : nombre de technologies aujourd’hui courantes ont été mises au point grâce aux programmes nucléaires militaires. La crédibilité industrielle de la France est en grande partie liée à sa capacité à fabriquer, entretenir et concevoir des systèmes aussi complexes que les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins ou les Rafale équipés du missile ASMP-A. Ce n’est pas tant la maîtrise d’une arme nucléaire qui doit être soulignée que la capacité à l’utiliser dans un environnement complexe, aux côtés d’autres moyens.
La dissuasion nucléaire peut-elle faire abstraction du contexte budgétaire de rigueur et de restriction des budgets de défense ? Plus de trois milliards d’euros sont consacrés annuellement à la dissuasion française dans son ensemble. L’entrée en service récente de nouveaux équipements (SNLE, Rafale, M51, ASMP-A) pérennise pour au moins une voire deux décennies les moyens de la dissuasion. Mais les armes nucléaires, qu’elles soient aéroportées ou océaniques, ont une durée de vie limitée du fait de l’évolution des matériaux et composants. On estime cette longévité à une vingtaine d’années.
Les enjeux financiers ont déjà été pris en compte avec l’arrêt des essais nucléaires et le développement de la simulation. Dans le même sens, le 22 février 1996 est annoncé l’arrêt définitif de la production de matières fissiles pour les armes nucléaires. Fin 2010 s’est achevé le démantèlement des usines d’enrichissement de l’uranium de Pierrelatte. Cette opération techniquement très délicate a coûté 676 millions d’euros. Elle avait pour maître d’œuvre AREVA, le CEA étant le maître d’ouvrage.
Faut-il aller plus loin dans cet effort ? La modernisation de l’arsenal nucléaire impose de réfléchir dès à présent à la future génération. Celle-ci constitue-t-elle une modernisation des équipements en place ou doit-elle s’inscrire dans une doctrine différente ? En d’autres termes, la France peut-elle s’engager d’ores et déjà dans le développement d’un SNLE modernisé, d’un M51+ ou un ASMP-A de nouvelle génération ? Doit-elle à l’inverse réviser sa doctrine nucléaire et donc son approche des équipements (une plateforme dédiée, un missile) ? Ne pas s’interroger sur cette alternative revient à supposer que les moyens scientifiques et budgétaires dédiés à la dissuasion sont sanctuarisés, ce qui n’est inscrit dans aucun texte.
Constatant la réduction des budgets européens de la défense, le Président de la République et le Premier ministre britannique ont signé en novembre 2010 un nouvel accord de coopération dans le domaine de la défense. Pour la première fois, les deux pays ont décidé de collaborer en matière de dissuasion. Il ne s’agit nullement d’une mise en commun de toutes les composantes car, comme le souligne Francis Gutman, « on ne peut pas être plusieurs à « appuyer sur le bouton », ne serait-ce que parce que toute concertation préalable serait incompatible avec la crédibilité d’une riposte immédiate » (148). Néanmoins, un partage des dépenses induites, et notamment des dépenses de recherche fondamentale doit être étudié.
Cette coopération est facilitée par le fait que la France et le Royaume-Uni partagent la même approche : la dissuasion est avant tout un instrument défensif. La Strategic Defense and Security Review souligne toutefois que la probabilité d’une attaque directe reste faible car « aucun État n’a actuellement à la fois l’intention et la capacité de menacer l’indépendance et l’intégrité du Royaume-Uni. Mais nous ne pouvons pas écarter la possibilité qu’une menace nucléaire majeure visant directement le Royaume-Uni ne puisse réapparaître » (149).
Le Royaume-Uni a également mis en œuvre le principe de stricte suffisance en réduisant de 25 % le nombre total des têtes nucléaires opérationnelles passé de 160 à 120. Dans le même temps, leur durée de vie a été prolongée jusqu’en 2030.
L’accord franco-britannique (150) part du principe que la confrontation scientifique est indispensable pour faire progresser des projets communs. Il prévoit pour cela la construction d’une installation radiographique et hydrodynamique dénommée ÉPURE. Chaque pays pourra utiliser cette installation pour reproduire en laboratoire des expériences simulant une partie des explosions nucléaires. Les résultats resteront la propriété de chaque État, l’alinéa 2.3 de l’article 2 du traité prévoyant que « chacune des Parties peut réaliser de façon indépendante dans l’installation ÉPURE les essais hydrodynamiques indépendants nécessaires à ses programmes nationaux dans les conditions de sûreté et de sécurité requises ».
Le traité ouvre cependant la voie à un partage des travaux entre Français et Britanniques. En effet, l’alinéa 2.5 de l’article 2 stipule que « l’utilisation conjointe des installations n’implique pas que tous les travaux menés par les Parties soient partagés ». Il appartiendra donc à chaque État de décider de la nature des échanges qu’il veut entretenir avec son partenaire.
Sur le plan financier, la mutualisation de ce moyen de simulation devrait permettre à la France d’économiser 200 millions d’euros pour la période 2015-2020 et 200 à 250 millions d’euros pour la période comprise après 2020.
La coopération franco-britannique est justifiée par le fait que seuls ces deux pays disposent d’une capacité nucléaire en Europe même si le Royaume-Uni reste extrêmement dépendant de son partenaire américain. Comme le rapporteur l’avait indiqué dans son avis sur le projet de loi de finances pour 2011, il convient de réfléchir à la participation des autres pays de l’Union à l’effort français en matière de dissuasion. Les textes communautaires prévoient en effet que tous les pays de l’Union bénéficient de la protection de la dissuasion française, l’article 42 du traité sur l’Union européenne prévoyant que « au cas où un État membre serait l’objet d’une agression armée sur son territoire, les autres États membres lui doivent aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir » (151).
Comme l’année dernière, le rapporteur considère qu’il convient de réfléchir à la nécessité de sortir les dépenses militaires ou, à tout le moins, les dépenses de la dissuasion, des critères d’application du pacte de stabilité et de croissance. De même, il convient de se demander si les autres États ne pourraient pas participer plus activement au financement de l’effort global de défense. Il ne s’agit pas de faire financer la dissuasion française par nos partenaires mais de faire en sorte que cet effort initial de notre pays soit mieux pris en compte lorsqu’il s’agit de déterminer la participation de chaque État à une opération ou à un projet commun.
En application des orientations du Livre blanc et des dispositions de la LPM, les crédits de la dissuasion se maintiennent à un niveau élevé. Les sommes prévues permettent d’achever la modernisation des composantes et assurent l’avenir de la dissuasion française.
L’organisation et le poids budgétaire de la dissuasion en 2011 et 2012 | |||||||||
(en millions d’euros) | |||||||||
Programme |
Action |
Sous-action |
Libellé |
AE |
CP |
Évolution | |||
2011 |
2012 |
2011 |
2012 |
AE |
CP | ||||
144 |
2 |
20 |
Prospective des systèmes de forces |
2,90 |
3,00 |
2,90 |
3,00 |
3,4 % |
3,4 % |
4 |
41 |
Études amont |
186,00 |
218,80 |
144,40 |
126,50 |
17,6 % |
-12,4 % | |
Total programme 144 — Environnement et prospective de la politique de défense |
188,90 |
221,80 |
147,30 |
129,50 |
17,4 % |
-12,1 % | |||
146 |
6 |
13 |
SNLE-NG |
12,30 |
15,40 |
35,80 |
28,10 |
25,2 % |
-21,5 % |
14 |
M 51 |
177,40 |
1 022,40 |
619,80 |
646,90 |
476,3 % |
4,4 % | ||
15 |
Adaptation des SNLE-NG au M51 |
0,00 |
182,70 |
186,70 |
209,90 |
100,0 % |
12,4 % | ||
16 |
Mirage 2000N K3 |
16,80 |
8,30 |
31,60 |
18,30 |
-50,6 % |
-42,1 % | ||
17 |
ASMP-A |
27,20 |
0,00 |
109,90 |
51,20 |
-100,0 % |
-53,4 % | ||
18 |
Simulation |
609,20 |
620,80 |
626,60 |
647,70 |
1,9 % |
3,4 % | ||
19 |
Autres opérations |
545,80 |
485,90 |
413,20 |
437,70 |
-11,0 % |
5,9 % | ||
22 |
Soutien et mise en œuvre des forces toutes opérations |
1 049,50 |
505,70 |
581,50 |
513,10 |
-51,8 % |
-11,8 % | ||
23 |
Crédibilité technique de la posture toutes opérations |
165,50 |
281,60 |
206,80 |
204,30 |
70,2 % |
-1,2 % | ||
Total programme 146 — Équipement des forces |
2 603,70 |
3 122,80 |
2 811,90 |
2 757,20 |
19,9 % |
-1,9 % | |||
178 |
1 |
12 |
Posture de dissuasion nucléaire |
3,15 |
0,00 |
3,15 |
0,00 |
-100,0 % |
-100,0 % |
3 |
49 |
Soutien de la force sous-marine |
334,10 |
482,00 |
317,70 |
339,00 |
44,3 % |
6,7 % | |
4 |
62 |
Activité des forces aériennes stratégiques |
104,60 |
106,20 |
100,00 |
106,20 |
1,5 % |
6,2 % | |
Total programme 178 — Préparation et emploi des forces |
441,85 |
588,20 |
420,85 |
445,20 |
33,1 % |
5,8 % | |||
212 |
1 |
10 |
Direction et pilotage |
3,90 |
3,90 |
3,90 |
3,90 |
0,0 % |
0,0 % |
4 |
2 |
Infrastructure |
56,60 |
68,00 |
63,50 |
68,00 |
20,1 % |
7,1 % | |
Total programme 212 — Soutien de la politique de défense |
60,50 |
71,90 |
67,40 |
71,90 |
18,8 % |
6,7 % | |||
TOTAL DISSUASION NUCLÉAIRE |
3 294,95 |
4 004,70 |
3 447,45 |
3 403,80 |
21,5 % |
-1,3 % | |||
Source : PAP 2012 et ministère de la défense. |
Globalement, les AE progressent de 21,5 %, essentiellement en raison de la signature du contrat pour équiper les missiles balistiques de la force océanique des nouvelles têtes TNO, les missiles M 51 mis en service étant en effet encore équipés de têtes TN75 (cf. infra). Les crédits de paiement apparaissent globalement stables, assurant la continuation de toutes les opérations structurantes.
Le projet de loi de finances pour 2011 prévoyait que 750 millions d’euros de l’agrégat nucléaire seraient financés par le produit de la vente des fréquences. Le rapporteur avait souligné qu’il aurait été opportun qu’un autre programme supporte ce risque. Les responsables de programme se sont ralliés à cette analyse : « lorsque l’exécution d’un budget s’avère difficile à conduire, le chef d’état-major des armées et [le délégué général pour l’armement ont] deux priorités : le respect scrupuleux des crédits de la dissuasion et des études amont » (152).
Les forces aériennes stratégiques (FAS) se décomposent en plusieurs unités opérationnelles réparties sur l’ensemble du territoire regroupant les avions de chasse porteurs des missiles à tête nucléaire, les unités de ravitaillement en vol ou assurant la permanence de la mission. La carte ci-après présente l’implantation de ces unités.
Implantation des unités des FAS |
Source : www.cfas.air.defense.gouv.fr. |
Comme le montre le tableau suivant, les crédits 2012 des FAS sont en retrait par rapport à 2011, même si la baisse reste mesurée en volume, à hauteur de 30 millions d’euros pour les AE et de 60 millions d’euros pour les CP.
Évolution des crédits des forces aériennes stratégiques (en millions d’euros) | |||||||
Programme Action |
Sous-action |
AE |
CP | ||||
2011 |
2012 |
Écart |
2011 |
2012 |
Écart | ||
Programme 146 Action 6 |
16 — Mirage 2000N |
16,9 |
8,3 |
- 50,9 % |
31,6 |
18,3 |
- 42,1 % |
17 — ASMP- A |
27,2 |
0,0 |
- 100,0 % |
109,9 |
51,2 |
- 53,4 % | |
19 — crédibilité technique |
106,2 |
91,1 |
- 14,2 % |
39,8 |
41,1 |
3,3 % | |
22 — crédibilité opérationnelle |
80,4 |
100,6 |
25,1 % |
70,8 |
75,3 |
6,4 % | |
Programme 178 Action 4 |
62 — activité des FAS |
104,6 |
106,2 |
1,5 % |
100,0 |
106,2 |
6,2 % |
TOTAL |
335,3 |
306,2 |
- 8,7 % |
352,1 |
292,1 |
- 17,0 % | |
Source : PAP 2011 et 2012. |
L’année 2011 a été marquée par les dernières livraisons des nouvelles têtes nucléaires TNA et des vecteurs associés, les missiles ASMP-A. En conséquence, les AE pour 2012 sont en baisse, l’essentiel des dépenses étant désormais liées au MCO des nouveaux équipements.
i. Les avions de chasse
Pour les avions de chasse, les forces aériennes stratégiques s’appuient sur deux types d’appareils : les Mirage 2000N et les Rafale. Le programme des Mirage 2000N a été initié en 1978, les avions étant opérationnels depuis 1988. Cet appareil biplace embarque un pilote et un navigateur officier de système d’arme (NOSA). Il peut évoluer à très basse altitude et à très grande vitesse en suivi de terrain automatique, grâce à son radar de suivi de terrain « Antilope » ; il peut ainsi frapper en profondeur. Depuis la dissolution en 2011 de l’escadron EC 02.004 La Fayette, implanté sur la base aérienne 116 de Luxeuil en Haute-Saône, seul l’escadron EC 03.004 Limousin de la base aérienne 125 d’Istres dans les Bouches-du-Rhône est équipée de Mirages 2000N. La disparition d’un escadron de chasse est l’application rigoureuse du principe de stricte suffisance posé en 2008.
Le 1er juillet 2010, les Rafale de l’escadron EC 1/91 Gascogne, stationnés sur la base aérienne 113 de Saint-Dizier dans la Haute-Marne, ont assuré pour la première fois la permanence nucléaire, armés du missile ASMP-A. En mars 2011, des éléments de ce même escadron ont mené des missions conventionnelles de frappe ou de reconnaissance au-dessus de la Libye, renforçant notamment les équipages de l’escadron EC 1/7 Provence, également sur Rafale. Pour pouvoir accomplir cette pluralité de missions, les équipages ont été formés sur les simulateurs du centre Rafale de Saint-Dizier. La polyvalence de l’appareil et des équipages est un atout majeur pour l’armée de l’air et la dissuasion française. Elle permet de répartir les charges d’investissement et garantit un taux d’activité élevé pour les pilotes et les navigateurs.
La France dispose en l’espèce d’un avantage très important par rapport aux autres puissances nucléaires. Ses FAS peuvent désormais s’appuyer sur une flotte beaucoup plus large grâce à la polyvalence du Rafale ; c’est un gage supplémentaire apporté à la crédibilité de notre dissuasion. Les autres pays disposent en effet de parcs beaucoup plus réduits, ayant retenu des concepts d’emploi assez différents des nôtres. Les États-Unis vont réduire leur flotte bombardiers à capacité nucléaire : en application du traité New Start, ils vont passer de 94 à 60 appareils, les 34 appareils concernés étant convertis en bombardiers conventionnels. La Russie dispose quant à elle de deux divisions de bombardiers lourds (13 Tu-160 et 63 Tu-95MS) emportant au total 844 missiles. L’Inde dispose de Sukhoï 30MKI dont plusieurs unités ont été déployées à proximité de la frontière chinoise au Cachemire et dans le Nord-Est à l’automne 2010.
ii. Les ravitailleurs
● La permanence de la composante aéroportée de la dissuasion nucléaire exige de disposer d’une capacité de ravitaillement en vol pour les appareils porteurs des missiles à tête nucléaire. Même s’il peut être appelé à accomplir des missions conventionnelles, le groupe de ravitaillement en vol Bretagne, stationné à Istres est rattaché au commandement des FAS. Outre leur mission prioritaire de ravitaillement, ces appareils sont également sollicités pour mener des missions de transport. Le 22 avril 2011, un C 135 équipé d’un module Morphée a par exemple rapatrié d’Afghanistan des soldats gravement blessés. Lors des opérations en Libye, les ravitailleurs ont soutenu l’engagement des avions de combat français. L’engagement de ces appareils n’a cependant pas suffi à couvrir l’ensemble de nos besoins ; nos forces ont heureusement pu compter sur le renfort crucial des ravitailleurs américains. Le chef d’état-major de l’armée de l’air a d’ailleurs souligné que les « ravitailleurs américains sur la base aérienne d’Istres […] sont plus que les bienvenus » (153).
Dérivés du Boeing 707, les C 135 et les KC 135 sont des quadriréacteurs pouvant emporter près de 90 tonnes de carburants. Ils ravitaillent en vol tous les appareils de l’armée de l’air, y compris les AWACS, et ceux de l’aéronavale à un volume d’une tonne de carburant par minute. Leur équipage est composé de quatre personnels (pilote, copilote, navigateur, officier de ravitaillement en vol). À la différence de la flotte d’avion de chasse de la force aérienne stratégique, les avions ravitailleurs ont largement atteint leur limite d’âge, les premiers C 135 étant entrés en service en 1964. La moyenne d’âge de l’ensemble des 14 appareils est de plus de 47 ans, rendant leur MCO particulièrement coûteux, ne serait-ce qu’en raison de la rareté des pièces de rechange. Actuellement, l’heure de vol des ravitailleurs atteint 23 000 euros.
Il devient urgent pour des raisons techniques et politiques de remplacer ou, à défaut, de moderniser ces avions non seulement pour assurer la crédibilité de la dissuasion mais aussi pour garantir les capacités opérationnelles de l’armée de l’air. Le 20 avril 2011, lors des opérations aériennes au-dessus de la Libye, deux Mirage de l’armée de l’air ont par exemple dû se poser en urgence à Malte, l’avion devant les ravitailler n’ayant pu accomplir sa mission à la suite d’une panne technique.
Les crédits prévus pour la rénovation relèvent de la sous-action relative à la « crédibilité technique de la dissuasion – autres opérations ». Il est regrettable que la question du ravitaillement ne fasse pas l’objet d’une action clairement identifiée, montrant son importance stratégique. De surcroît, la rénovation de l’avionique des C 135 programmée en 2010 a été décalée, le rapport annuel de performances l’expliquant par le « changement de réglementation américaine ». Le PLF pour 2012 prévoit d’engager 85,6 millions d’euros pour cette opération. Il est indispensable qu’elle aboutisse effectivement. Au-delà de cette mesure transitoire, une réflexion doit être engagée en ce qui concerne notre dépendance par rapport à des appareils américains. Les États-Unis ont prévu de renouveler complètement leur flotte de ravitailleurs : une fois qu’ils seront dotés de nouveaux appareils avec des changements technologiques conséquents, l’industriel sera-t-il encore en mesure d’assurer le MCO de notre microflotte de ravitailleurs ? Les pièces de rechange seront-elles encore disponibles ?
Pour limiter cette dépendance, la France a lancé le programme MRTT, avion ravitailleur dérivé de l’Airbus A330 développé par EADS. Cet appareil est déjà en service au sein d’autres forces aériennes : l’Australie, les Émirats arabes unis et l’Arabie Saoudite ont par exemple acquis des A330 MRTT. Considéré comme prioritaire par le chef d’état-major de l’armée de l’air, le programme français se heurte pourtant à des arbitrages budgétaires et politiques défavorables. Pour éviter un déficit capacitaire, la France a recours au contrat SALIS et à la mutualisation européenne des moyens au travers du commandement européen du transport aérien (EATC). Ces solutions ne peuvent être que provisoires tant les besoins français exigent une flotte nationale. La France ne peut pas non plus faire reposer sa force de dissuasion sur des capacités extérieures.
Lors des débats portant sur le projet de loi de finances pour 2011, l’Assemblée a adopté, contre l’avis du Gouvernement, un amendement visant à engager le renouvellement de la flotte de ravitailleurs par la mise en œuvre d’une solution intermédiaire consistant en un contrat de location avec option d’achat d’appareils de type A 333 pour un montant de 20 millions d’euros. En gestion, le ministère a écarté cette solution jugée trop coûteuse. Par ailleurs, le ministère indique que l’industriel n’aurait pas été en mesure de fournir des appareils le courant de l’année 2012. En contrepartie, il s’est engagé à ce que la levée de risque sur le programme soit effective en 2012 de façon à pouvoir signer le contrat en 2013.
Le rapporteur souligne l’urgence d’une telle décision : elle ne doit en aucun cas être de nouveau reportée. Or le PLF ne prévoit que 6 millions d’euros pour la levée de risque alors qu’il semble que le besoin soit d’au moins 12 à 15 millions d’euros. Il convient de revaloriser cette ligne budgétaire, le programme ne devant plus être exposé au moindre aléa.
● Face à ces difficultés, d’aucuns évoquent la possibilité d’externaliser ou de mutualiser le ravitaillement en vol des forces aériennes. Le Royaume-Uni a choisi de faire appel au secteur privé pour remplacer ses 24 ravitailleurs Vickers VC-10. Le 27 mars 2008, dans le cadre de son programme Future Strategic Tanker Aircraft (FSTA), le Royaume-Uni a signé avec le consortium Air Tanker réunissant Rolls Royce, Thales et Cobham, un contrat de 14 milliards d’euros sur 27 ans. L’industriel doit fournir non pas des avions ravitailleurs mais la capacité de ravitaillement en vol et de transport aérien. Selon ce contrat, la société privée devra disposer, à partir d’octobre 2011, de 14 ravitailleurs Airbus A330 FSTA, en assurer la maintenance, aménager les infrastructures nécessaires et fournir l’équipage composé de civils. L’armée de l’air peut utiliser ces appareils pour des missions stratégiques mais elle devra dans ce cas intégrer l’avion à sa propre flotte, sans retour possible au sein de la flotte privée.
Signé juste avant le déclenchement de la crise budgétaire au Royaume-Uni et deux ans avant la revue stratégique de défense et de sécurité qui a réduit le format des forces aériennes et aéronavales, le contrat s’est rapidement avéré trop rigide pour un ministère dont les besoins capacitaires avaient diminué. Le montant du contrat était établi selon un calcul économique et financier fondé sur un volume d’activité minimal. Ce volume contractuel devenant supérieur au besoin réel, l’avantage économique du contrat a fortement baissé. De surcroît, comme le souligne le National Audit Office, cette option a été retenue sans « une évaluation réaliste des autres alternatives » (154).
La France peut difficilement transposer à son profit ce montage juridique similaire à un partenariat public-privé. Les avions ravitailleurs étant une composante des forces stratégiques, il apparaît difficile de soumettre à des intérêts privés la capacité d’action de nos forces nucléaires. Par principe, tant que la France voudra une composante aéroportée de sa dissuasion nucléaire, l’armée de l’air française devra disposer en permanence d’avions ravitailleurs. Qu’une partie de cette flotte soit externalisée pour mener des missions conventionnelles ou d’entraînement est en revanche envisageable. Le calcul économique fait par les Britanniques n’est toutefois pas transposable. La mission d’évaluation et de contrôle de l’Assemblée nationale sur les externalisations dans le domaine de la défense a d’ailleurs recommandé l’achat patrimonial d’avions ravitailleurs plutôt qu’une externalisation (155).
Faute d’une externalisation, une mutualisation des moyens pourrait être envisagée. L’accord franco-britannique de coopération précise que les deux pays étudient « actuellement la possibilité d’utiliser les capacités excédentaires qui pourraient être mises à disposition dans le cadre du programme britannique FSTA (Future Strategic Tanker Aircraft) pour répondre aux besoins de la France en matière de ravitaillement en vol et de transport aérien militaire, dans des conditions financièrement acceptables pour les deux pays ». Le ministre français de la défense a toutefois indiqué que « les études [menées…] avec nos amis anglais montrent que l’opération ne serait pas très rentable » (156).
Question écrite n° 114034 publiée au Journal officiel Assemblée nationale du 12 juillet 2011
M. François Cornut-Gentille interroge M. le ministre de la défense et des anciens combattants sur la mise en œuvre de l’accord franco-britannique de coopération en matière de défense. Cet accord, conclu le 2 novembre 2010, prévoit notamment l’examen d’un partage des capacités excédentaires de ravitaillement en vol qui pourraient être mises à disposition dans le cadre du programme britannique FSTA (Future Strategic Tanker Aircraft) pour répondre aux besoins de la France. Ces besoins sont particulièrement avérés compte tenu du vieillissement de la flotte française d’avions ravitailleurs. Les opérations aériennes en Libye démontrent l’urgence de renouveler cette flotte. Il lui demande de préciser l’avancée de cet examen et d’indiquer le calendrier envisagé pour ce partage capacitaire.
Réponse du ministre de la défense publiée au Journal officiel Assemblée nationale du 6 septembre 2011
La Grande-Bretagne a signé, en 2008, un contrat de partenariat public-privé d’une durée de vingt-sept ans avec la société Air Tanker. Ce contrat prévoit l’acquisition d’une flotte de 14 avions ravitailleurs entre 2011 et 2015. Cinq d’entre eux seront mis à la disposition d’Air Tanker pour être loués à des compagnies aériennes britanniques, ces appareils n’étant équipés du dispositif de ravitaillement en vol qu’en cas de nécessité. La réduction du format de l’aviation de combat du Royaume-Uni ainsi que les fortes contraintes budgétaires pesant sur le ministère de la défense britannique ont conduit ce dernier à envisager de partager la charge financière de ce contrat avec la France, en lui proposant la vente d’heures de vol. Les offres britanniques les plus récentes font toutefois apparaître des coûts horaires très supérieurs aux coûts d’exploitation des flottes françaises de C 135 et d’Airbus. De plus, les aéronefs de la société Air Tanker n’apparaissent pas en mesure de ravitailler les systèmes de détection et de commandement aéroporté (AWCS) français, ni les avions de combat d’origine américaine avec lesquels l’aviation de combat française mène conjointement de fréquentes opérations au niveau international. Dans ce contexte, les 5 Airbus militaires de transport de passagers et les 14 avions ravitailleurs C 135 français seront remplacés par les 14 avions multirôles de ravitaillement en vol et de transport, dont la première livraison est prévue en 2017. Durant la période transitoire, l’ensemble de la flotte des aéronefs ravitailleurs français sera maintenu en service, grâce à la rénovation de leur instrumentation de vol, rendant inapproprié l’achat d’heures de ravitaillement en vol à la Grande-Bretagne. En revanche, dans le cadre de la mission de transport stratégique, ainsi que le ministère de la défense et des anciens combattants l’a indiqué à son homologue britannique, une mise en compétition de l’offre du Royaume-Uni avec les autres offres commerciales enregistrées pourra être envisagée en 2015, année au cours de laquelle prend fin le contrat liant la France à la société portugaise TAP pour la location de 2 Airbus A340.
Une « européanisation » du ravitaillement en vol à l’instar du transport aérien militaire est-elle envisageable ? Au cours du second semestre 2011, sous la présidence polonaise, l’Union européenne a organisé des rencontres sur ce thème, estimant que le trou capacitaire partagé par les principales armées de l’air européenne ne pourra être comblé que par une mise en commun des capacités de ravitaillement en vol. Une telle solution exige au préalable un accord de l’ensemble des États participants sur les missions menées par ces avions ravitailleurs. Les dissensions européennes autour des opérations en Libye et le statut particulier de la composante aéroportée de la dissuasion française montrent qu’il sera difficile de trouver un accord sur ce thème.
iii. Les missiles
Programme lancé en 1997 pour remplacer le missile ASMP (air-sol moyenne portée) et livré sur Mirage 2000-N en 2009 et sur Rafale en 2010, le missile ASMP-A (air-sol moyenne portée amélioré) a été développé par MBDA avec pour sous-traitants principaux Roxel, Thales et Daher Lhotellier.
L’ASMP-A est propulsé par un statoréacteur moins encombrant et moins lourd qu’une propulsion fusée, ce qui améliore la portée et la charge utile du missile. La technologie du statoréacteur a été développée dans le cadre de l’opération VESTA et doit être partagée avec le missile anti-navire futur. La portée du missile est de 500 kilomètres à haute altitude, soit 200 kilomètres de plus que son prédécesseur.
Depuis octobre 2009, l’ASMP-A est doté de la tête nucléaire aéroportée (TNA) en remplacement de la TN 81. Cette tête a été développée par le CEA grâce à ses outils de simulation. Les dernières têtes ont été livrées en 2011 et le budget 2012 prévoit les crédits liés à leur MCO.
Il convient d’ores et déjà de réfléchir à l’avenir de ce missile, étant entendu qu’il devra faire l’objet d’une remise à niveau dès les années 2020. À ce stade, il est envisagé d’améliorer seulement ses capacités de trajectoire, son degré de précision donnant toute satisfaction. À plus long terme, on peut s’interroger sur le choix du porteur et sur les moyens à développer pour gagner encore en vitesse.
La force océanique stratégique (FOST) repose sur les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) et sur les sous-marins nucléaires d’attaque (SNA). L’unité Coelacanthe de la DGA pilote l’ensemble des programmes de la FOST qui représentent un effort annuel de plus de 1,5 milliard d’euros.
Évolution des crédits de la force océanique stratégique (hors titre 2) (en millions d’euros) | |||||||
AE |
CP | ||||||
Programme Action |
Sous-action |
2011 |
2012 |
Écart |
2011 |
2012 |
Écart |
Programme 146 Action 6 |
13 : SNLE NG |
12,0 |
15,0 |
25,0 % |
36,0 |
28,0 |
- 22,2 % |
14 : M51 |
177,0 |
1 022,0 |
477,4 % |
620,0 |
647,0 |
4,4 % | |
15 : adaptation M51 |
0,0 |
183,0 |
100,0 % |
187,0 |
210,0 |
12,3 % | |
19 : autres opérations |
94,0 |
72,0 |
- 23,4 % |
49,0 |
62,0 |
26,5 % | |
22 : soutien — autres opérations |
969,0 |
405,0 |
- 58,2 % |
511,0 |
438,0 |
- 14,3 % | |
Programme 178 Action 3 |
49 : soutien de la force sous-marine |
334,0 |
482,0 |
44,3 % |
318,0 |
339,0 |
6,6 % |
Programme 212 Action 4 |
Infrastructure |
57,0 |
68,0 |
19,3 % |
64,0 |
68,0 |
6,3 % |
TOTAL |
1 643,0 |
2 247,0 |
36,8 % |
1 785,0 |
1 792,0 |
0,4 % | |
Source : PAP et ministère de la défense. |
En 2012, les AE augmentent significativement en raison de l’engagement de l’adaptation au M 51 des SNLE Le Triomphant et Le Téméraire. Seront également commandés les premiers missiles M 51 équipés de la nouvelle TNO, le M 51.2 ainsi équipé devant être opérationnel à partir de 2015.
i. Les sous-marins nucléaires
● La composante océanique de la dissuasion française est assurée par les quatre SNLE de la classe Triomphant qui ont succédé en 1997 aux six SNLE de la classe Redoutable. Les nouveaux sous-marins ont gagné en tonnage, passant de 8 080 tonnes à 12 400 tonnes ; ils ont été conçus dès l’origine pour accueillir les nouveaux missiles balistiques. Les équipages sont en revanche passés de 135 à 111 personnels. Ces bâtiments de 138 mètres de long peuvent plonger au-delà de 350 mètres et se déplacer à 25 nœuds avec des qualités de furtivité extrêmes. Comparés aux bâtiments américains ou russes, ils restent toutefois d’un tonnage relativement mesuré puisque les Typhoon russes ont un tonnage de 21 500 tonnes et les sous-marins américains de classe Ohio d’environ 18 750 tonnes.
Avec une flotte de quatre SNLE, la France est au plancher de la crédibilité de sa composante océanique. En deçà, la permanence en mer n’est plus assurée. À titre de comparaison, les États-Unis comptent 14 sous-marins nucléaires stratégiques (SSBN), chacun d’entre eux emportant 24 missiles (157). La Russie compte 12 SNLE de trois générations différentes (Delta 3, Delta 4, Typhoon), emportant un total de 160 missiles, soit 576 têtes nucléaires. La 4e génération, la classe Boreï, est en cours de qualification. À la suite de la revue stratégique de l’été 2010, le gouvernement britannique a décidé le maintien de sa composante océanique autour de ses sous-marins Vanguard tout en réduisant l’emport de têtes nucléaires passant de 48 à 40 têtes. Le lancement du programme devant succéder au Vanguard a été repoussé à 2016.
● Les SNA constituent un élément à part entière de la force océanique : outre le fait qu’ils assurent la protection des SNLE, ils permettent aux sous-mariniers d’acquérir les compétences indispensables pour ensuite occuper des postes sur les SNLE. Ce lien est particulièrement net pour les commandants de bord. Une des missions du SNA consiste à rechercher et à identifier les autres sous-marins ; le SNLE a l’inverse cherche à être le plus discret possible pour ne jamais être repéré. En d’autres termes, il faut avoir été un bon chasseur pour être ensuite une proie plus difficile à attraper.
Plus qu’ailleurs, le recrutement et la fidélisation des personnels est un enjeu majeur, la marine devant gérer des ressources de faible volume avec des compétences très pointues. Le phénomène existe pour l’ensemble des membres d’équipages. Les contraintes inhérentes à la vie sous-marine sont autant de contraintes qu’il faut intégrer et qui peuvent limiter le recrutement. Pour les officiers, le remplacement des SNA avec la mise en service des Barracuda à compter de 2016 peut devenir une source de tension : il ne faudrait pas que le nombre d’équipages baisse, même temporairement. Ce serait alors une remise en cause durable de la pyramide des âges et des grades ainsi qu’une fragilisation du parcours de carrière de ces officiers ; à terme cela risquerait de réduire le nombre de personnels pouvant prétendre au commandement d’un SNLE.
ii. Le missile M 51
Entré en service depuis le mois de juillet 2010, le missile balistique M 51 constitue la figure de proue de la modernisation de la composante océanique. Le calendrier de réalisation du programme a été respecté à la lettre et montre l’excellence de la coopération entre les concepteurs, les fabricants et les unités en charge de sa mise en œuvre. Actuellement les SNLE font l’objet d’une adaptation de leurs structures pour accueillir le nouveau missile intercontinental. Les crédits prévus en 2012 vont permettre d’engager ces opérations sur Le Triomphant.
En outre, la modernisation du missile sera engagée en 2012 de façon à le doter de la nouvelle tête nucléaire TNO qui viendra remplacer l’ancienne TN 75. Ce processus aboutira en 2015 ; à cette date la composante océanique bénéficiera de la plénitude du saut technologique et opérationnel proposé par le nouveau vecteur associé à la nouvelle tête.
Comme pour la composante aéroportée, il convient d’ores et déjà d’engager la réflexion sur l’avenir de ce vecteur. La rénovation à mi-vie dans les années 2020 devrait porter sur le troisième étage du vecteur de façon à lui permettre d’emporter plus de masse. Peut-être les missiles devront-ils à l’avenir emporter d’autres systèmes ; il convient donc de donner plus de souplesse et d’ouvrir au maximum les possibilités d’emport du missile. Ces travaux sont particulièrement complexes et n’ont de sens qu’à long voire très long terme. En revanche, ne pas les engager risque d’hypothéquer à terme nos capacités.
Le Livre blanc insiste sur l’importance des transmissions qui donnent au Président de la République la possibilité d’engager en permanence les forces nucléaires, y compris dans un environnement dégradé et alors que tous les autres réseaux de communication ont été mis hors service. Ces réseaux nucléaires se décomposent en quatre grands ensembles :
- le réseau maillé et durci implanté sur le territoire permettant de relier les postes de commandement de l’exécutif avec les postes de commandement opérationnels ;
- le réseau de stations à très basses fréquences de la force océanique ;
- le réseau des stations radios des forces aériennes stratégiques ;
- un système de dernier recours permettant d’émettre les ordres essentiels lorsque tous les autres moyens ont été détruits.
La marine nationale compte quatre centres dédiés aux transmissions implantés à Rosnay (Indre), Sainte-Assise (Seine-et-Marne), Kerlouan (Finistère) et la Montagne Noire (Aude). Ces centres, zones de défense hautement sensibles, sont conçus pour pouvoir résister à une attaque nucléaire ainsi qu’à toute attaque électromagnétique. Les personnels présents doivent notamment pouvoir vivre en autarcie plusieurs jours. Pour transmettre l’ordre présidentiel d’engagement du tir nucléaire au SNLE en immersion, la liaison s’opère à basse fréquence, assurant une bonne pénétration dans l’eau.
La modernisation de ces réseaux est engagée avec les programmes Ramses évolution, Ramses IV.1 puis Ramses IV.2 pour le réseau durci, Transoum pour le réseau de la FOST et Syderec pour le réseau de dernier recours. Ces opérations permettront de répondre aux besoins de la dissuasion pour les quinze ans à venir. En 2012, les transmissions bénéficieront de 252 millions d’euros en AE et de plus de 57 millions d’euros en CP. Thales communications assure la maîtrise d’œuvre de ces différents programmes.
Dans le rapport transmis au Sénat accompagnant le nouveau traité START, le président des États-Unis rappelle l’importance de la recherche pour moderniser l’arsenal nucléaire américain sans avoir besoin de recourir à des essais réels. La France est assurément précurseur en ce domaine grâce à plusieurs équipements de très haute technologie. Ces moyens sont placés sous l’autorité du pôle défense du commissariat à l’énergie atomique.
Établissement public industriel et commercial, le commissariat à l’énergie atomique et aux énergies renouvelables (CEA) est placé sous la tutelle du ministère de la défense, du ministère en charge de l’enseignement supérieur et du ministère en charge de l’énergie. La direction des applications militaires (DAM) constitue le pôle défense du CEA ; en 2010, elle a reçu 1,7 de 4,2 milliards d’euros alloués au CEA. Sa mission principale est de concevoir, développer et mettre à disposition des forces aéroportées et océaniques stratégiques les têtes nucléaires. Le démantèlement de ces têtes est également de son ressort. Depuis la fin des essais nucléaires, la DAM a fait de la simulation sa priorité pour la mise au point des nouvelles armes. Elle est également responsable de la propulsion nucléaire des bâtiments de la marine nationale avec les douze réacteurs actuellement en service. Après avoir été modélisés, les essais des chaufferies nucléaires sont effectués au centre de Cadarache. Une fois mises en service, elles relèvent toujours de la responsabilité de la direction de la propulsion nucléaire. En raison de leurs compétences scientifiques particulièrement poussées, les personnels de la DAM participent également à la lutte contre la prolifération.
Sur les 15 000 salariés du CEA, 4 700 sont rattachés à la DAM. Outre le centre de Bruyères-le-Châtel dans l’Essonne qui regroupe la moitié des personnels de la DAM, quatre centres régionaux sont rattachés au pôle défense du CEA :
- le centre d’études scientifiques et techniques d’Aquitaine (CESTA) qui assure l’architecture industrielle de la dissuasion nucléaire et accueille sur son site le laser mégajoule ;
- le centre d’études de Gramat dans le Lot, transféré de la DGA au CEA en janvier 2010, compte 250 salariés spécialistes en détonique et électromagnétisme afin d’évaluer les effets des armes nucléaires et conventionnelles ;
- le centre du Ripault dans l’Indre-et-Loire, qui met au point et développe des nouveaux matériaux et explosifs ;
- le centre de Valduc dans la Côte d’Or qui fabrique et assemble les têtes nucléaires aéroportées et océaniques. Il en assure le maintien en condition opérationnelle et le démantèlement. Le centre est également en charge de l’approvisionnement de la défense en matières nucléaires (uranium, plutonium, tritium).
Avec le supercalculateur TERA 100 inauguré à l’automne 2010, la France détient le plus puissant outil d’Europe, indispensable pour modéliser les différentes phases de l’explosion nucléaire. Le développement de supercalculateurs aux puissances de calcul exponentielles fait l’objet d’une âpre compétition mondiale donnant lieu à un classement semestriel (158), preuve de la rapidité du développement de cette technologie. Entre novembre 2010, cinq nouveaux systèmes figuraient parmi les deux meilleurs. Le tableau suivant présente l’état des capacités des meilleurs calculateurs.
Capacités des dix meilleurs calculateurs mondiaux | |||||
Novembre 2010 |
Juin 2011 | ||||
Nom |
Capacités (pétaflops) |
Mise en service |
Nom |
Capacités (pétaflops) |
Mise en service |
Tianhe-1A (Chine) |
2,566 |
2010 |
K computer (Japon) |
8,162 |
2011 |
Jaguar — Cray XT5 (États-Unis) |
1,759 |
2009 |
Tianhe-1A (Chine) |
2,566 |
2010 |
Nebulae (Chine) |
1,271 |
2010 |
Jaguar — Cray XT5 (États-Unis) |
1,759 |
2009 |
Tsubame 2.0 (Japon) |
1,192 |
2010 |
Nebulae (Chine) |
1,271 |
2010 |
Hopper – Cray XE6 (États-Unis) |
1,054 |
2010 |
Tsubame 2.0 (Japon) |
1,192 |
2010 |
Terra 100 (France) |
1,05 |
2010 |
Cielo (États-Unis) |
1,11 |
2011 |
Roadrunner – Bladecenter (États-Unis) |
1,042 |
2009 |
Pleiades- NASA (États-Unis) |
1,088 |
2011 |
Kraken XT5 – Cray XT5 (États-Unis) |
0,831 |
2009 |
Hopper – Cray XE6 (États-Unis) |
1,054 |
2010 |
Jugene 5 (Allemagne) |
0,825 |
2009 |
Terra 100 (France) |
1,05 |
2010 |
Cielo – Cray XE6 |
0,816 |
2010 |
Roadrunner – Bladecenter (États-Unis) |
1,042 |
2009 |
Source : www.top500.org. |
En novembre 2010, les États-Unis possédaient 274 des 500 calculateurs les plus puissants, la Chine avait 41 calculateurs, la France et l’Allemagne en ayant 26 chacun. Cette hiérarchie a été complètement modifiée en 2011 avec l’entrée en service de trois nouveaux supercalculateurs ; désormais le Japon apparaît comme le chef de file du domaine, le calculateur le plus puissant ayant des capacités plus importantes que l’addition de celles des cinq suivants. En six mois, la France, désormais seul pays européen présent dans les dix premiers du classement, a rétrogradé de trois places. Cette évolution souligne le volume exceptionnel des investissements technologiques et humains mis dans les supercalculateurs, et donc l’enjeu stratégique de tels équipements trop méconnus du grand public. Il est fort probable que la France, et donc l’Europe, disparaisse de ce tableau à l’automne 2011, ce qui traduirait un recul, voir un décrochage technologique et scientifique majeur.
Le laser mégajoule (LMJ) est l’outil d’étude en laboratoire du fonctionnement thermodynamique des têtes nucléaires. Lors de sa visite en octobre 2010, le Président de la République avait déclaré que la France était sur le point de « disposer d’un outil extraordinaire, qui ouvre donc accès à la physique de l’extrême et qui va nous permettre de financer et d’organiser des progrès scientifiques considérables. Ce laser permettra de recréer pendant un temps très court, dans un volume de quelques millimètres cubes, les mêmes conditions physiques de température et de pression que celles d’une fusion thermonucléaire. Autant dire qu’il sera le plus puissant du monde. Comment ne pas être impressionné par le gigantisme du Laser Mégajoule ? Plus long que la Tour Eiffel, plus haut que l’arc de Triomphe, construit avec trois fois plus de béton que le viaduc de Millau. Autant dire que c’est un monument de la science […]. Et il le sera encore davantage lorsqu’il contiendra ses 20 000 optiques. Imaginez la puissance de deux centrales nucléaires dans une cible millimétrique ! ». Il n’a pas manqué de rappeler que ce programme permet de « pérenniser notre force de dissuasion, aussi longtemps que nécessaire » (159).
Ce programme représente un investissement de trois milliards d’euros. Pour construire cet ensemble comptant 192 lasers de 7,5 kilojoules chacun, plusieurs entreprises sont intervenues sous l’égide de la direction Le schéma suivant détaille le champ d’intervention de chaque acteur.
Structure industrielle du programme LMJ |
Source : www-lmj.cea.fr. |
La direction des applications militaires du CEA et le conseil régional d’Aquitaine ont signé le 30 septembre 2010 une convention pour réaliser, en couplage avec le LMJ, le laser PETAL (Petawatt Aquitaine laser). Ce laser de haute énergie et de haute puissance générera des impulsions à 3,5 kilojoules durant 0,5 à 5 picosecondes afin de reproduire des conditions physiques extrêmes similaires à celles existant au cœur du soleil.
Autour de ces installations hors normes, un pôle de compétitivité a été créé. Baptisé « la route des lasers », il rassemble des antennes universitaires de Bordeaux 1, du CEA, du CNRS et de l’école Polytechnique ainsi que trois parcs d’activité : Laseris 1 (avec notamment SAGEM Defense et Sécurité, AREVA TA, THALES), Laseris 2 et la cité de la photonique.
Question écrite n° 115881 publiée au Journal officiel Assemblée nationale du 2 août 2011 M. François Cornut-Gentille interroge Mme la ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l’État sur la dissuasion nucléaire. Comme tous les ministères, la défense participe à l’effort budgétaire rendu nécessaire par la crise économique mondiale. Parmi les mesures d’économie décidées par le ministère de la défense, figure le report de l’entrée en service du "Laser Mégajoule" en 2014, alors que celui-ci est un élément majeur du programme de simulation permettant le maintien de la crédibilité de la dissuasion nucléaire. Garantie ultime des intérêts de la France, la dissuasion nucléaire était jusqu’à présent à l’abri des ajustements budgétaires. Aussi, face aux défis financiers actuels, il lui demande donc de préciser la doctrine budgétaire appliquée par le Gouvernement à la dissuasion nucléaire française. Réponse du ministre de la défense publiée au Journal officiel Assemblée nationale du 25 octobre 2011 La France a signé et ratifié le traité d’interdiction complète des essais nucléaires. Elle a ainsi renoncé de manière définitive à recourir aux expérimentations nucléaires. Depuis lors, un programme de simulation est développé pour apporter la garantie de la fiabilité et de la sûreté des armes françaises actuelles et futures. Les réflexions menées par le ministère de la défense sur l’ajustement de l’ensemble de ses investissements dans le cadre du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale et des travaux préparatoires de la loi de programmation militaire 2009-2014 ont mis en évidence que la réalisation du laser mégajoule (LMJ) pouvait être décalée sans risque pour la crédibilité de la politique de dissuasion nucléaire française. Le coût élevé de cet équipement, qui représente l’investissement le plus important du programme de simulation, conjugué à la nécessité d’optimiser l’allocation des ressources durant la période 2009-2014, a ainsi conduit à différer à l’horizon 2014 la réalisation des premières expériences du LMJ. S’agissant de l’application de la doctrine budgétaire à la politique de dissuasion nucléaire, le principe de base retenu est celui de la stricte suffisance des moyens au regard des menaces prévisibles. Dans ce contexte, les décisions intervenues lors de l’établissement de la programmation budgétaire triennale 2011-2013 ont préservé le contenu et le déroulement des programmes de dissuasion, qui prévoient notamment l’adaptation au missile M51 des trois premiers sous-marins nucléaires lanceurs d’engins type Le Triomphant, ainsi que la mise au point de la version M51.2 du M51. |
La mise au point et la réalisation des têtes nucléaires aéroportées et océaniques sont effectuées dans le centre du CEA de Valduc dans la Côte d’Or. Lors du sommet franco-britannique du 2 novembre 2010 a été signé un traité spécifique qui prévoit la construction et l’exploitation conjointes d’une installation de physique expérimentale EPURE (Expérimentations de Physique Utilisant la Radiographie Eclair), située à Valduc et d’un Centre de développement technologique commun (TDC) situé à Aldermaston (Royaume-Uni). Les deux unités sont regroupées au sein d’un ensemble dénommé TEUTATES.
Dans un premier temps, EPURE sera constituée d’un pas de tir comprenant une première machine radiographique à hautes performances et d’un hall d’assemblage pour les opérations françaises (mise en service en 2014). Cette machine proviendra du transfert des installations AIRIX de Moronvilliers (Marne) à Valduc. L’accélérateur à induction pour radiographie pour l’imagerie X (AIRIX) radiographie les phases non nucléaires des armes. Il permet de valider les modèles physiques relatifs notamment à la robustesse des matériaux.
Dans une seconde phase, seront réalisées les installations d’assemblage et annexes répondant aux besoins du programme britannique avec une mise en service prévue en 2016. Une deuxième machine radiographique à hautes performances sera installée sur le premier pas de tir avant 2019 ; une troisième avant 2022. Un second pas de tir et une installation de traitement des déchets seront également mis en œuvre d’ici 2022.
L’unité TDC dont la mise en service est prévue pour 2014, comprend un hall d’assemblage et de développement de la machine radiographique à hautes performances avec une cellule annexe de radiographie par rayons X, des laboratoires pour faciliter l’étude d’équipements de diagnostic laser, électrique et optique. Les travaux menés sur ce site n’ont pas recours, contrairement à EPURE, à des matières fissiles.
Lors de son adieu aux armes, le général Elrick Irastorza a souligné que « les opérations militaires sont devenues infiniment plus complexes et plus exigeantes au plan technique, tactique, humain, intellectuel et moral, mais aussi politique et médiatique. Nous sommes loin des assauts frontaux en ligne de bataillon meurtriers et le seul courage physique n’est définitivement plus, aujourd’hui, un palliatif commode aux insuffisances individuelles et collectives ». Tout en insistant sur le rôle central de l’homme, il n’a pas manqué de mentionner la nécessité de disposer d’équipements performants, indispensable contribution aux capacités opérationnelles de l’arme de terre.
Les matériels destinés aux forces terrestres sont extrêmement nombreux et disparates, allant de l’uniforme du fantassin à des systèmes d’armes complexes tels que l’hélicoptère d’attaque Tigre. Cette disparité et ce nombre retirent une certaine visibilité à l’effort budgétaire nécessaire pour équiper les forces terrestres, participant à un certain complexe de marginalisation de l’armée de terre par rapport aux deux autres armées qui peuvent mettre en avant des équipements emblématiques.
Au sein de la direction des opérations de la DGA, l’unité de management (UM) « opérations d’armements terrestres » est dédiée au milieu. Selon l’instruction du 10 janvier 2011 (160), elle est chargée de conduire une liste très étendue de programmes : véhicules de combat, de transport logistique et de moyens d’aérolargage, équipements du génie, aide au déploiement des forces terrestres, équipement des fantassins, systèmes d’artillerie, systèmes d’information concourant à la numérisation du champ de bataille. Face à l’éventail de programmes, six segments de managements ont été définis : combattants et aéromobilité, contrôle de zone, Scorpion, génie et protection, mobilité tactique et études amont. L’unité de management dispose par ailleurs de trois antennes à Angers, Bourges et Toulouse.
Il convient d’associer l’UM « opérations d’armement hélicoptères », l’UM « missiles et drones » et l’UM « espace et systèmes d’information opérationnels » qui interviennent également dans le milieu terrestre au travers de certaines de leurs opérations d’armement.
L’information est la clé de la décision militaire ; la communication, celle de l’action. Sans elles, les états-majors et les unités engagées sur le terrain ne peuvent remplir leur mission. Les capacités de renseignement et de communication sont donc cruciales tout comme les moyens de guerres électroniques qui visent à affaiblir les capacités du camp adverse.
La doctrine d’emploi des forces de 2003 relève que « la condition préalable, afin d’assurer la liberté d’action et l’économie des forces, est d’acquérir et d’entretenir en permanence un renseignement global sur l’adversaire : situation, centre(s) de gravité opératif(s) potentiel(s), points décisifs possibles… Cette bataille du renseignement constitue la préoccupation essentielle du commandant de l’opération et du commandant de théâtre dès la décision d’engagement. C’est elle qui conditionne la planification des phases éventuelles de l’opération et l’atteinte du succès de chacune d’entre elles » (161).
En matière de renseignement, trois niveaux peuvent être distingués :
- le niveau stratégique avec l’identification des risques et menaces, le recueil et l’analyse des données nécessaires au choix des options stratégiques miliaires ;
- le niveau opératif avec le suivi de situation sur le théâtre d’opération, le recueil et l’analyse des données nécessaires à la conduite des opérations ;
- le niveau tactique avec le recueil et l’analyse des données nécessaire à la planification opérationnelle des batailles et des engagements et à la conduite des opérations.
Le progrès technologique n’a jamais permis d’atteindre avec des équipements la qualité du renseignement recueilli directement par les militaires sur le terrain. Le Livre blanc note bien que « le renseignement repose d’abord sur les hommes qui le recueillent, l’analysent et l’exploitent, dans des conditions parfois périlleuses » (162).
Plusieurs unités de l’armée de terre ont été constituées avec pour mission le recueil de renseignements :
- la brigade de renseignement, dont l’état-major est à Haguenau dans le Bas-Rhin, est une « brigade d’appui des forces terrestres spécialisée dans la recherche du renseignement militaire, d’intérêt militaire et dans la géographie militaire permettant la prise de décision puis la conduite de la manœuvre des divers échelons sur un théâtre d’opérations » (163). Elle comprend notamment le 2e régiment de hussards qui infiltre des patrouilles de véhicules blindés légers sur les arrières ennemis aux fins de renseignement et le 61e régiment d’artillerie qui est en charge des drones tactiques de l’armée de terre. S’y ajoutent les 44e et 54e régiments de transmission ainsi que le 28e groupe géographique ;
- le 13e régiment de dragons parachutistes (13e RDP), rattaché à la brigade des forces spéciales Terre, constitue un système complet de renseignement (recherche, traitement, diffusion). Ses hommes agissent en temps de crise mais aussi en temps de paix. Basé à Dieuze en Moselle jusqu’à l’été 2011, il est désormais implanté à Souge en Gironde.
Le 28e groupe géographique de l’armée de terre Implanté à Haguenau depuis l’été 2010, le 28e groupe géographique de l’armée de terre apporte un appui géographique sur les théâtres d’opérations au plus près des forces. Les géographes militaires interviennent de façon préventive en produisant et mettant à jour les données géographiques. Ils participent également à la planification et à la conduite des opérations en procédant au recueil de données géographiques sur le terrain et à la production de cartes destinées aux échelons tactiques. Composante de la brigade du renseignement, il compte 315 militaires qui opèrent notamment en Afghanistan, après être intervenus en Côte d’Ivoire, au Tchad, en Somalie, ou dans les Balkans. |
Les hommes de ces unités, engagés sur un territoire hostile, doivent disposer d’un équipement de recueil et de transmission leur permettant d’agir en totale autonomie avec une parfaite discrétion.
« L’évolution technologique des armements, la plus grande complexité des actions à mener et la maîtrise des dommages collatéraux placent les données d’environnement géophysiques au cœur de la maîtrise des systèmes de défense. Il y a dix ans, seuls quelques systèmes d’armes y avaient recours. Aujourd’hui, il n’est pas un système d’armes qui ne soit pas concerné par cette capacité. La connaissance des zones d’opération potentielle repose donc aussi sur l’acquisition de ces données fournies en particulier par des moyens cartographiques et météorologiques. S’agissant des moyens de collecte, des programmes existent (données géographiques numériques, données hydrographiques et océanographiques, et données météorologiques). Une démarche d’ensemble, aux niveaux national et européen, sera entreprise pour structurer la capacité globale de collecte et d’emploi de ces données dans les systèmes d’armes. Les efforts porteront en particulier sur le développement de moyens de recueil et d’analyse réactifs pour faciliter des déploiements rapides. Cette capacité est d’autant plus importante que la France serait amenée à assurer des responsabilités de commandement d’opérations dans ces zones » (164).
● Données Numériques de Géographie et en 3 Dimensions (DNG3D) est un programme visant à élaborer des données géographiques numériques et des modèles de cibles en 3D. Sans ces données, les systèmes d’armes, notamment aériens et terrestres, ne peuvent être mis en œuvre. Ce programme a été lancé en août 2003 ; une mise en service partielle a été prononcée en mai 2006 ; la mise en service de l’ensemble du système est attendue pour avril 2012. Il est à noter que lors des opérations en Libye, des éléments de DNG3D ont été utilisés au profit des forces.
La cible initiale est de 58 équipements géomatiques, collectant les sources d’information brute et les transformant en données géographiques exploitables par les systèmes d’armes et les systèmes d’information opérationnels. En termes de performances, le système présente une capacité de traitement de données géographiques numériques de 1,5 million de km2/an. La précision recherchée doit permettre la mise en œuvre des missiles SCALP.
Le tableau suivant récapitule les crédits dévolus à cette opération depuis 2006. Le coût total du programme est de 163,03 millions d’euros.
Évolution du programme DNG3D | |||||
Engagement |
CP |
Postes Kheper | |||
(en millions d’euros courants) |
Commandé |
Livré | |||
2006 |
PAP |
22,90 |
23,49 |
nd |
nd |
RAP |
28,76 |
12,78 |
nd |
nd | |
2007 |
PAP |
52,61 |
24,81 |
nd |
nd |
RAP |
22,55 |
9,54 |
nd |
nd | |
2008 |
PAP |
0,0 |
29,85 |
0 |
8 |
RAP |
19,26 |
18,67 |
50 |
8 | |
2009 |
PAP |
12,78 |
24,60 |
0 |
30 |
RAP |
3,67 |
25,05 |
0 |
30 | |
2010 (1) |
PAP |
35,46 |
37,26 |
0 |
45 |
RAP |
30,50 |
21,55 |
0 |
5 | |
2011 |
PAP |
40,92 |
41,55 |
0 |
30 (2) |
2012 |
PAP |
31,56 |
38,20 |
0 |
0 |
(1) À partir de 2010, les chiffres comprennent toute l’activité « Géographie Numérique » car DNG3D non détaillé. (2) 40 postes en 2011 dans le PLF 2012. Source : ministère de la défense. |
Sur le plan industriel, le programme a été scindé en plusieurs lots :
- la production des données géographiques a été confiée au consortium formé par EADS et Thales. Parmi les sous-traitants, figurent notamment Pixelius, SIRS, InfoTerra, Spot Image ou Geo212 ;
- la réalisation des équipements de production de modèles de cible est assurée par Thales ;
- la réalisation des autres équipements informatiques nécessaires à la production et à la gestion des données géographiques a été confiée au consortium formé par CS SI et Magellium ;
- la réalisation des équipements complémentaires est enfin assurée par le consortium formé par EADS et Thales avec pour sous-traitants principaux Magellium, Géo 212 et Euro-Shelter.
● Parmi les équipements complémentaires figurent les 18 modules géographiques projetables (MGP). En avril 2010, la DGA a notifié à EADS et à THALES le contrat de réalisation et de soutien de deux ensembles de MGP. Ce système, complémentaire de DNG3D, doit permettre la production, l’entretien et la diffusion de données géographiques militaires. Le MGP fournit ainsi aux forces engagées des données mises à jour sur le terrain avec une réactivité élevée, correspondant aux besoins de la conduite des opérations. Il enrichit les données déjà collectées par DNG3D.
Il est destiné au 28e groupe géographique de l’armée de terre avec pour objectif une mise en service en 2012. Plusieurs modules peuvent être déployés sur un théâtre d’opération. La compilation des données recueillies et transmises par chaque MGP permet de réaliser une cartographie précise du terrain. Ce contrat s’élève à 26,1 millions d’euros, y compris la maintenance sur six ans. EADS en assure la maîtrise d’œuvre.
DNG3D sera également complété par l’opération GEODE 4D, renforçant les capacités d’élaboration des données géographiques et les capacités d’exploitation combinées des données d’environnement géophysique (géographie, hydrographie, océanographie, météorologie).
Programme lancé en coopération en 1998 sous l’égide l’OCCAr avec le Royaume-Uni et l’Allemagne, COBRA est un radar de contre-batteries en bande C, identifiant l’origine de tirs ennemis sol-sol et aidant au réglage des tirs de riposte. Ce radar mobile est transportable par un véhicule de 10 tonnes de type TRM 10 000 de Renault Trucks Defense. 29 systèmes ont été produits et livrés dont 10 pour la France.
Ce système a pour maître d’œuvre industriel EURO-ART, consortium basé en Allemagne réunissant Thales France, Thales UK, EADS Allemagne et Lockheed-Martin. COBRA a notamment pour concurrent dans la catégorie des radars de contrebatterie le Firefinder AN/TPQ-36 de Thales Raytheon Systems, radar mobile localisant les mortiers, pièces d’artillerie et lance-roquettes ennemis de moyenne portée. Il est capable de prendre en compte simultanément les tirs provenant de sites multiples, en détectant et en signalant leur position dès la première salve.
Système de surveillance du sol embarqué à bord d’hélicoptères Cougar, Horizon détecte toute cible dans un rayon de 150 kilomètres, de jour comme de nuit. Ce système est constitué d’un radar Doppler et d’une station sol. Il peut couvrir une zone de 20 000 km2 en 10 secondes. Ce système développé par Eurocopter a été mis en service en 1996.
● Le système MELCHIOR (moyen d’élongation pour les communications hautes fréquences (HF) interarmées et OTAN en réseau) doit permettre l’accès par l’ensemble des strates opérationnelles, du commandement aux forces engagées, à un grand nombre d’outils de communications : HF, VHF, satellites, GSM, RTC, internet… Il est constitué de stations HF permettant des communications jusqu’à 5 000 kilomètres de distance. Ces stations tactiques peuvent être transportées à dos d’homme ou par des véhicules types VBL ou VAB. Elles peuvent également être employées par la marine et l’armée de l’air.
Lancé en novembre 2007, ce programme ambitionne la livraison de 1 100 stations, les premières versions étant entrées en service en avril 2010. La maîtrise d’œuvre de ce programme a été notifiée à Thales Communications & Security, pour un montant total de 252 millions d’euros. Ce montant comprend la production du système et son maintien en condition opérationnelle.
Le tableau suivant récapitule les crédits dévolus à cette opération depuis 2006.
Évolution du programme MELCHIOR | |||||
Engagement |
CP |
Stations | |||
(en millions d’euros courants) |
Commandé |
Livré | |||
2006 |
PAP |
nd |
nd |
nd |
nd |
RAP |
nd |
nd |
nd |
nd | |
2007 |
PAP |
14,14 |
33,49 |
nd |
nd |
RAP |
- 2,08 |
8,18 |
nd |
nd | |
2008 |
PAP |
11,2 |
24,04 |
0 |
217 |
RAP |
66,3 |
24,48 |
0 |
327 | |
2009 |
PAP |
73,14 |
8,13 |
530 |
53 |
RAP |
24,32 |
21,50 |
295 |
53 | |
2010 |
PAP |
15,00 |
34,03 |
0 |
0 |
RAP |
0,00 |
13,87 |
0 |
0 | |
2011 |
PAP |
11,76 |
0,00 (1) |
66 |
295 |
2012 |
PAP |
16,12 |
0,00 (1) |
0 |
0 |
(1) Ressources attendues en provenance du CAS « Fréquences » Source : ministère de la défense. |
● Développés par Thales, les systèmes radio PR4G assurent des communications VHF/FM sécurisées à l’échelon tactique. Les postes peuvent être opérés par un fantassin ou depuis un véhicule. La version PR4G-VS4-IP, dont les 7 051 postes ont été livrés aux forces entre 2005 et 2010 permet la transmission simultanée de données et de communications audio. Avec ce programme, l’armée de terre dispose désormais d’un système de communications tactiques complet, incluant des postes en version station véhicule et portable (émetteurs-récepteurs, combinés téléphoniques, antennes et aérien, installations et claie de portage), un système de soutien et un ensemble de logiciel.
Le tableau suivant récapitule les crédits dévolus à cette opération depuis 2006.
Évolution du programme PR4G (en millions d’euros) | |||||
Engagement |
CP |
Volume commandé |
Volume livré | ||
2006 |
PAP |
43,80 |
49,80 |
- |
1 250 postes |
RAP |
27,19 |
38,86 |
- |
1 250 postes | |
2007 |
PAP |
67,60 |
37,07 |
2 000 postes |
1 800 postes |
RAP |
59,97 |
32,16 |
2 000 postes |
1 500 postes | |
2008 |
PAP |
0,00 |
41,66 |
501 postes |
1 550 postes |
RAP |
14,50 |
35,98 |
501 postes |
1 550 postes | |
2009 |
PAP |
0,00 |
7,84 |
501 postes |
1 600 postes |
RAP |
0,00 |
44,86 (1) |
- |
800 postes | |
2010 |
PAP |
0,00 |
0,88 |
- |
501 postes |
RAP |
0,00 |
18,78 (2) |
- |
1 301 postes (fin de | |
2011 |
PAP |
0,00 |
0,00 (3) |
- |
- |
2012 |
PAP |
0,00 |
0,00 (3) |
- |
- |
(1) L’écart important entre PAP et RAP s’explique par l’absence de ressources externes en provenance du CAS « Fréquences ». (2) L’écart constaté sur l’utilisation des CP résulte principalement de l’évolution des paiements et de l’application du principe de mutualisation au niveau du programme. (3) Ressources attendues en provenance du CAS « Fréquences ». Source : ministère de la défense. |
Préparant la succession du PR4G, la DGA a notifié le 6 décembre 2010 à Thales le marché DEPORT, couvrant les études d’élaboration du programme CONTACT (communications numérisées tactiques et de théâtre). Ces radios sécurisées utiliseront la technologie radio-logicielle : un même poste de radio pourra charger différentes formes d’ondes facilitant l’échange de données audio-video et écrites. Selon Pierre Suslenschi, directeur de l’activité communications tactiques de la division systèmes terre et interarmées de Thales, « aujourd’hui, une radio ne peut parler qu’un seul langage à la fois. Mais une radio logicielle est reprogrammable et pourra donc parler différents langages, c’est-à-dire communiquer de véhicule à véhicule, mais aussi de véhicule à avion ou de fantassin à véhicule ou entre fantassins. Les radios des générations précédentes étaient dédiées principalement à supporter des échanges en phonie. Avec le développement de la numérisation du champ de bataille, la radio logicielle doit offrir beaucoup plus de capacités en terme de transmission de données. En fait, le réseau supporté par les radios logicielles formera un véritable Internet militaire à haut débit » (165).
CONTACT s’appuie également sur le programme européen ESSOR (European Secure Software Defined Radio) réunissant depuis le 1er janvier 2009 la France, la Finlande, l’Italie, l’Espagne, la Pologne et la Suède. L’opération est placée sous l’égide de l’OCCAr avec un budget de 106 millions d’euros dédié au développement de radios logicielles militaires européennes, renforçant l’interopérabilité des systèmes de communication des forces européennes. Les systèmes ESSOR seront également compatibles avec les standards OTAN. Une joint-venture, A4ESSOR, a été créée spécialement pour ce programme, réunissant, outre le français Thales, l’italien SELEX, le suédois SAA, le finlandais ELEKTROBIT, l’espagnol INDRA et le polonais RADMOR.
La guerre électronique est apparue avec le recours aux ondes électromagnétiques pour communiquer. Dès la première guerre mondiale, l’interception et le brouillage des communications adverses font partie des capacités recherchées par les armées. Désormais, « la maîtrise de l’action [militaire] est conditionnée par la maîtrise du spectre électromagnétique. Celui-ci est un espace de combat à part entière. Dominer cet environnement signifie le connaître, l’utiliser à ses fins propres et empêcher un adversaire éventuel de l’utiliser. Ces trois volets de la guerre électronique sont intimement liés à la fonction renseignement et à l’action des forces » (166).
L’environnement électromagnétique est devenu un environnement opérationnel à part entière : « de nombreuses capacités opérationnelles s’appuient sur l’énergie électromagnétique, dans des domaines aussi variés que, par exemple, les communications et les transmissions de données, les moyens de détection (imagerie, surveillance, reconnaissance et radar), le recueil du renseignement, la guerre électronique, la navigation et la guerre de la navigation, le ciblage… De fait, si l’emploi de ce type de capacités est déterminant et donne l’avantage aux armées modernes, en particulier sur des adversaires technologiquement moins avancés comme des forces irrégulières, il crée aussi des vulnérabilités. […] La guerre électronique englobe toutes les actions offensives et défensives dans l’espace électromagnétique. Elles comprennent les actions sur le commandement et les communications, les systèmes de navigation, le SA2R » (167).
On peut distinguer trois composantes de la guerre électronique :
- les mesures de soutien électromagnétique, à finalité de renseignement, « destinées à intercepter, identifier, localiser les sources d’émission électromagnétique, recueillir les données correspondantes et accéder à l’information qu’elles contiennent. Ces mesures, passives par nature et d’un degré de permanence élevé, sont prises dès le temps de paix pour la constitution de bases de données qui permettront, d’une part le fonctionnement des systèmes d’armes, et d’autre part la neutralisation des systèmes d’armes adverses » (168) ;
- les contre-mesures électroniques (CME) visant les capacités électromagnétiques de l’adversaire avec les systèmes de brouillage et de neutralisation des systèmes de télécommunication ;
- les mesures de protection électronique (MPE) visant à protéger ses capacités de différentes attaques telles que les tentatives d’écoute, de neutralisation, de destruction ou d’intrusion.
« L’emploi des unités de guerre électronique requiert des moyens, des méthodes et des tactiques spécifiques qui peuvent être mis en œuvre, soit par des techniciens et des spécialistes employés dans des unités GE, soit par des non-spécialistes dans le cadre de leurs missions opérationnelles (personnel navigant, opérateurs de détection ou de transmissions…) » (169). La guerre électronique est essentiellement menée depuis les plateformes navales, aériennes et spatiales. Mais les forces terrestres, au plus près des opérations, sont également dotées d’unités spécialisées.
Dépendants de la brigade de renseignement, les 44e et 54e régiments de transmission, respectivement implantés à Mutzig et à Haguenau, assurent le recueil du renseignement d’origine électromagnétique pour le compte de l’armée de terre ainsi que les attaques contre les réseaux ennemis. Ils ont notamment recours à plusieurs systèmes mis en œuvre par le centre opérationnel de guerre électronique et notamment embarqués à bord de VAB :
- pour l’interception, il s’agit des systèmes EMILIE (émissions HF), LINX (localisation et interception des émissions exotiques) ;
- pour le brouillage, ils utilisent VOBULE (brouillage large bande) et TARAX ;
- pour intercepter et analyser les émissions électromagnétiques du champ de bataille, ils se servent de SGEA valo (valorisation du système de guerre électronique de l’avant), ce système pouvant également conduire le brouillage.
● Des taxis de la Marne à la piste Hô Chi Minh, les capacités des forces à acheminer des hommes et du matériel au plus près des théâtres d’opérations et champs de bataille demeurent décisives pour l’issue de la confrontation. L’issue de plusieurs batailles au cours de la seconde guerre mondiale a reposé sur la capacité ou non des forces en présence à maintenir le contact entre leurs forces de contact et le soutien arrière. Que ce soit sur le front russe ou sur le front libyen, la rupture de ce contact a précipité la défaite des forces allemandes.
Plus le théâtre d’opération est éloigné, plus la dimension complexe et stratégique des capacités de projection et de soutien se fait ressentir. La mise en œuvre de ses « lignes de projection et de soutien » peut combiner plusieurs capacités, aériennes, maritimes et terrestres, en fonction des délais impartis, du volume à transporter et de la distance à parcourir. Comme le montre le graphique ci-après les forces logistiques terrestres ont certes des capacités d’emport moindres que la marine, mais elles peuvent intervenir beaucoup plus rapidement.
Comparaison des systèmes de transport |
Source : ministère de la défense. |
Le contrat opérationnel dévolu aux unités de logistique terrestre vise :
- le soutien d’une force opérationnelle terrestre de 30 000 hommes avec les structures logistiques correspondantes ;
- le soutien d’une action autonome de 5 000 hommes avec un bataillon logistique ;
- le soutien d’un engagement sur le territoire national de 10 000 hommes avec l’équivalent d’un bataillon logistique.
Pour ces missions, l’armée de terre dispose de plusieurs camions dont la disponibilité moyenne est de 71 % en janvier 2011 :
- le véhicule de transport logistique (VTL) à plateau déposable, pouvant transporter une charge de 13 tonnes ;
- le GBC 180, camion 6x6 de 7,5 tonnes ;
- le TRM 1 000 et TRM 2 000, poids lourds toutes roues motrices
- le TRM 10 000, en service de puis 1994. Fabriqué par Renault-Trucks Defense, ce véhicule 6x6 de 13,5 tonnes peut déplacer une charge utile de 10 à 16 tonnes sur tous les terrains. La version CLD (camion lourd de dépannage) est équipée d’une grue à flèche télescopique pouvant lever 20 tonnes et remorquer un véhicule de 18 tonnes ;
- le VU, poids lourd de transport logistique.
Le CLD complète les capacités du camion léger de dépannage routier (CLDR) : véhicule 8x4 de 32 tonnes, il peut remorquer des véhicules pesant jusqu’à 48 tonnes. Le CDLR est réalisé, pour le châssis, par Renault Trucks, les les équipements spécifiques étant réalisés par Jige International.
● La LPM établit une cible pour 2019 de 1 800 porteurs polyvalents terrestres dont 500 livrés avant 2014. Ces véhicules seront mis en œuvre par les régiments du train. En 2012, après la réforme en cours, il subsistera cinq régiments du train polyvalents : le 121e à Montlhéry, le 503e à Nîmes, le 511e à Auxonne, le 515e à La Braconne et le 516ème à Toul. À ces régiments, il convient d’ajouter le 1er régiment du train parachutiste de Toulouse et l’escadron portuaire densifié de Toulon.
Le tableau suivant récapitule les crédits dévolus au programme PPT depuis 2006 pour un coût total de 770 millions d’euros. La durée de vie des véhicules est de 25 ans.
Évolution du programme PPT (en millions d’euros) | |||||
Engagement |
CP |
Volume commandé |
Volume livré | ||
2006 |
PAP |
9,38 |
0,00 |
0 |
0 |
RAP |
0,00 |
0,00 |
0 |
0 | |
2007 |
PAP |
14,81 |
4,17 |
0 |
0 |
RAP |
0,00 |
0,00 |
0 |
0 | |
2008 |
PAP |
110,00 |
1,60 |
100 |
0 |
RAP |
0,00 |
0,00 |
0 |
0 | |
2009 |
PAP |
65,00 |
0,00 |
50 |
0 |
RAP |
0,00 |
0,00 |
0 |
0 | |
2010 |
PAP |
194,00 |
17,88 |
200 |
0 |
RAP |
157,89 |
0,00 |
200 |
0 | |
2011 |
PAP |
768,19 |
12,21 |
0 |
0 |
2012 |
PAP |
2,13 |
9,27 |
0 |
0 |
Source : ministère de la défense. |
La première commande de série portant sur 200 véhicules a été notifiée en décembre 2010 au groupe italien Iveco en associant avec la PME française Lohr, au détriment notamment de Renault Truck Defense. IVECO fournit les châssis camions nus ; LOHR fournit les autres équipements.
Cette notification a suscité immédiatement une levée de bouclier. Le 30 décembre 2010, Stefano Chmielewski, président de Renault Trucks, rappelait la place de son groupe dans l’économie française. Plusieurs parlementaires ont pris le relais de l’entreprise. Ainsi, le 2 février 2011, le député du Rhône André Gérin (GDR) a interpellé Alain Juppé, alors ministre de la défense, se demandant si « le Gouvernement [avait] décidé d’amputer l’industrie nationale Renault Trucks de ses racines Berliet Saviem ». Le ministre a répondu que « le ministère de la défense a lancé un appel d’offres pour l’acquisition de camions porteurs polyvalents terrestres. Deux offres ont été déposées : celle de la société Renault Trucks, dont [il a rappelé] qu’elle est une filiale du groupe suédois Volvo, et celle du partenariat de la société Iveco, filiale de Fiat et de la société familiale alsacienne Lohr. Ces deux offres étaient de grande qualité et elles ont été examinées avec beaucoup d’attention. Au regard des critères fixés par le cahier des charges, c’est l’offre Iveco Lohr qui est apparue la mieux disante. Un marché de deux cents véhicules lui a donc été notifié. Il va de soi que la société Renault Trucks garde toute sa place sur le marché des véhicules terrestres et qu’elle pourra soumissionner aux futurs appels d’offres que [son] ministère va lancer pour l’acquisition d’un véhicule blindé. S’agissant des retombées sur l’emploi de la décision qui a été prise, [il lui a indiqué] que la fabrication des deux cents véhicules commandés se fera pour les deux tiers sur le territoire français et que cette décision permettra de conforter la société alsacienne familiale Lohr ainsi que son réseau de sous-traitance. [Il l’a assuré] que plusieurs de [ses] collègues alsaciens se sont réjouis de cette décision » (170).
Les premières livraisons ont été reportées de deux ans ; le décalage s’expliquant en partie par les contraintes contractuelles des marchés publics. L’armée de terre a partiellement pallié ce retard par des acquisitions de surprotection de véhicules logistiques en urgence opérationnelle. Pour autant, un manque capacitaire existera entre 2015 et 2018 compte tenu de la chute rapide du parc des véhicules de transport logistiques actuels (VTL) et du manque induit de plateaux interopérables aux normes OTAN.
● Pour acheminer les carburants au plus proche des forces terrestres, le service des essences des armées a conçu des camions citernes polyvalents (CCP) d’une contenance de 10 m3. Leur capacité d’emport leur permet de ravitailler simultanément quatre chars en moins de 10 minutes. 252 CCP ont été construits entre 2004 et 2006. 34 véhicules ont été blindés, notamment au niveau de la cabine, pour pouvoir évoluer sur des théâtres d’opération comme en Afghanistan.
Pour transporter plus de volume, les groupements de soutien pétrolier arrière du SEA disposent également du tracteur Renault KERAX, équipé d’une semi-remorque citerne monocompartiment de 30 m3. Tout comme pour les CCP 10, dix tracteurs ont bénéficié d’un blindage renforcé.
Sur les théâtres d’opération, des réservoirs souples de stockage (25 à 300 m3) ou de transport (200 à 1900 litres) peuvent aussi être déployés. L’enveloppe de ces réservoirs, en complexe textile élastomère, est conçue pour résister à l’action des hydrocarbures mais aussi à l’humidité, aux intempéries et à des micro-organismes.
Les opérations militaires terrestres obéissent à des constantes non remises en cause par l’évolution des technologies. Comme le relevait le général Elrick Irastorza, « la guerre restera surtout affaire de contrôle des populations et donc, inévitablement, de contrôle des territoires où elles vivent. Cela suppose des troupes sur le terrain et en nombre suffisant, si l’on souhaite obtenir quelque chose qui ressemble à une victoire, c’est-à-dire la réalisation des finalités politiques » (171). Les forces terrestres demeurent au final l’ultime garant du succès militaire.
L’urbanisation croissante des populations modifie cependant en profondeur le mode opératoire des forces terrestres. Militaires et populations civiles se trouvent entremêlés sur les théâtres d’opérations, obligeant les premiers à maîtriser totalement l’emploi de la force pour éviter des dommages collatéraux qui risqueraient de compromettre l’impact politique d’une victoire militaire. La précision des armes, notamment de l’artillerie, devient une donnée centrale des systèmes mis en œuvre.
En outre les opinions publiques ont de plus en plus de mal à accepter la perte de soldats en opération. L’exigence de protection des hommes et d’adéquation des équipements aux missions pourtant très disparates est désormais prise en compte dans le développement de nouveaux programmes.
Enfin, l’impact budgétaire ne doit pas être négligé. « Une section d’infanterie VBCI – FELIN numérisée combat avec des équipements d’une valeur d’environ 11 millions d’euros, c’est ce que valent 700 voitures milieu de gamme ! Chaque heure de fonctionnement des équipements de cette section coûte près de 1 000 euros, non compris le prix des munitions » (172). En donnant ces éléments de comparaison, le général Jean-Tristan Verna, directeur central du matériel de l’armée de terre, veut souligner l’exigence avec laquelle l’armée de terre doit choisir et entretenir ses équipements.
● Avec FELIN (fantassin à équipements et liaisons intégrés), on ne parle plus d’uniforme mais de véritable système d’arme. Premier système d’arme intégré, il est destiné à optimiser les capacités naturelles du combattant. Ces capacités sont la communication, l’observation, la protection, la mobilité et le traitement des objectifs. L’emport de technologies a cependant pour conséquence d’alourdir la masse totale transportée par les fantassins. Ce poids peut devenir particulièrement handicapant. Autre conséquence, les hommes deviennent dépendants de l’énergie indispensable au bon fonctionnement de leur système. Si un engagement dure, le risque d’une rupture d’alimentation en énergie des équipements est réel. Comment réagissent les fantassins dans cette configuration dégradée ? La technologie portée par le fantassin en configuration FELIN ne doit pas être un substitut à la formation des hommes. « Quels que soient les situations, les milieux d’engagement et l’intensité des combats, c’est toujours la rusticité du soldat qui fera la différence et cette rusticité n’a jamais été exclusive de la maîtrise des technologies les plus avant-gardistes : le combattant Félin devra rester rustique » (173).
Lancé en novembre 2003, le système FELIN a été qualifié le 30 avril 2010. Sa mise en service opérationnelle doit intervenir avant fin 2011. Le schéma suivant détaille le calendrier prévisionnel des livraisons dans les unités. Quatre régiments doivent en être dotés chaque année jusqu’en 2015.
Calendrier de livraison du système FELIN |
Source : armée de terre. |
Le 1er régiment d’infanterie de Sarrebourg en Moselle, le 13e bataillon de chasseurs alpins de Chambéry en Savoie et le 16e bataillon de chasseurs de Bitche en Moselle sont déjà dotés de ce matériel.
Le tableau suivant récapitule les crédits dévolus au programme FELIN depuis 2006 pour un coût total de 1,067 milliard d’euros.
Évolution du programme FELIN (en millions d’euros) | |||||
Engagement |
CP |
Volume commandé |
Volume livré | ||
2006 |
PAP |
177,27 |
54,68 |
5 045 |
358 |
RAP |
12,62 |
17,28 |
0 |
0 | |
2007 |
PAP |
26,34 |
76,34 |
5 045 |
358 |
RAP |
19,34 |
23,68 |
0 |
0 | |
2008 |
PAP |
47,62 |
83,70 |
5 045 |
358 |
RAP |
185,27 |
43,27 |
5 045 |
358 | |
2009 |
PAP |
457,01 |
173,10 |
1 6454 |
2 749 |
RAP |
430,46 |
100,11 |
1 6454 |
0 | |
2010 |
PAP |
83,00 |
173,71 |
0 |
5 045 |
RAP |
19,09 |
121,46 |
0 |
1 740 | |
2011 |
PAP |
25,84 |
157,61 |
0 |
4 036 |
2012 |
PAP |
55,10 |
149,31 |
0 |
4 036 |
Source : ministère de la défense. |
SAGEM est le maître d’œuvre du programme. Plus d’une vingtaine de sous-traitants interviennent également. Portant initialement sur plus de 30 000 systèmes, le programme a été réduit d’un tiers, pour tenir compte du nouveau format des armées défini par le Livre blanc. Désormais, la cible est de 22 588 systèmes pour l’ensemble des unités au contact.
Sur le plan de l’export, la Russie a manifesté de l’intérêt pour l’équipement. Mais compte tenu de sa haute valeur ajoutée, se pose la question de son interopérabilité avec les systèmes étrangers en cours de développement : IdZ-ES (Allemagne), FIST (Royaume-Uni), ComFUT (Espagne), Soldato Futuro (Italie), Nett Warrior (États-Unis) et COBRA (Brésil).
Question écrite n° 66152 publiée au Journal officiel Assemblée nationale du 31 mai 2005
M. François Cornut-Gentille attire l’attention de M. le ministre de la défense sur le système Felin. Destinés à équiper l’infanterie d’éléments de protection et de communication de haute technologie, les premiers exemplaires de Felin ont été livrés à l’armée de terre en mai 2010. Un premier régiment en sera intégralement doté à l’automne. Ce système français a de nombreux équivalents à l’étranger, plus ou moins sophistiqués et plus ou moins avancés dans leur développement. Cette multiplication des programmes pose la question de leur interopérabilité sur les théâtres d’opération. Aussi, il lui demande de préciser les mesures prises par la direction générale pour l’armement et l’industriel auprès des forces armées étrangères pour garantir l’interopérabilité du système français Felin.
Réponse du ministre de la défense publiée au Journal officiel Assemblée nationale du 23 août 2005
Les besoins d’interopérabilité intersystèmes français et alliés sont définis dans les doctrines d’emploi des forces. L’interopérabilité interalliée fait l’objet de travaux de recherche, auxquels participent la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Italie et les États-Unis. Cette interopérabilité est aujourd’hui envisagée au niveau des brigades et des régiments. Pour les systèmes des niveaux inférieurs (compagnie, section…), les éléments échangés seront remontés systématiquement au niveau de la brigade. Le système FELIN (fantassin à équipements et liaisons intégrés) étant destiné à équiper les unités du combat débarqué de niveaux section et inférieur, il n’est donc pas envisagé de le rendre directement interopérable avec des systèmes homologues de forces armées étrangères, notamment du fait de la barrière linguistique. En revanche, l’interopérabilité sera assurée par l’intermédiaire des systèmes d’informations terminaux, avec lesquels le système FELIN est déjà interopérable.
● Susceptible d’être perçue comme négligeable comparée à un avion de chasse ou un sous-marin lanceur d’engins, la tenue vestimentaire du fantassin ne doit pas être sous-estimée. En premier lieu parce qu’elle est destinée à être portée par plusieurs milliers d’hommes qu’il convient de respecter. En second lieu, parce qu’une mauvaise conception peut avoir des conséquences dramatiques. On se souvient des fantassins français montant fièrement au front en 1914 et arborant un pantalon rouge les transformant en cible de choix pour les tireurs allemands. Ce dramatique précédent n’a pas mis un terme aux errements vestimentaires. En décembre 2010, des appelés du contingent russe ont été hospitalisés après avoir revêtu de nouveaux uniformes et chaussures totalement inadaptés au grand froid sibérien. Les uniformes incriminés étaient dessinés par un grand couturier russe plus habitué des défilés de mode que des défilés militaires. Les bottes étaient en faux cuir et leurs semelles en carton. Les fantassins français ont également connu des difficultés avec leur tenue ou certains de ses éléments. Ceci a donné lieu à des polémiques, notamment à la suite de l’embuscade d’Ouzbine en Afghanistan qui a coûté la vie à neuf soldats français.
Devant la commission de la défense de l’Assemblée nationale, le général Jean-Louis Georgelin, alors chef d’état-major des armées, avait tenu à préciser que « s’agissant de l’équipement des soldats sur leurs fonds propres, il s’agit d’une faute de commandement : un chef militaire n’a pas le droit de laisser un soldat qui est sous ses ordres acheter un équipement au prétexte qu’il le trouve meilleur que celui que lui procure la République. Le commandement doit imposer aux soldats le port de l’uniforme, au sens large, ce qui inclut l’équipement : il s’agit, à [son] sens, d’une des bases de la discipline. Aussi [avait-il] demandé au chef d’état-major de l’armée de terre de faire cesser ces achats à titre privé. S’il existe un équipement jugé intéressant, le commandement doit en tenir compte. C’est en particulier le cas des moyens de renseignement technique ou des gilets pare-balles. Le chef d’état-major de l’armée de terre a pris le problème à bras-le-corps : toutes les troupes seront équipées du gilet S4. Soit dit en passant, ce modèle présente d’autres inconvénients par rapport au précédent » (174).
La mise au point de la tenue de combat de FELIN a été difficile. L’exigence imposée de portabilité dans des conditions extrêmes (notamment en vue d’une projection sur le théâtre afghan) couplée au poids des équipements emportés a nécessité plusieurs mois de développement. En décembre 2008, 6 000 treillis T3 ont ainsi été livrés aux fantassins présents en Afghanistan. À l’usage, des modifications ont été apportées, du positionnement des poches à la forme des boutons qui gênaient le port du gilet pare-balles.
Une variante NRBC est également réalisée. La réalisation de la tenue a donné lieu à un contentieux entre SAGEM, maître d’œuvre du programme, et des sociétés sous-traitantes.
Question écrite n° 66152 publiée au Journal officiel Assemblée nationale du 31 mai 2005
M. Kléber Mesquida souhaite attirer l’attention de Mme la ministre de la défense sur les aspects de la réglementation des marchés publics qui semblent avoir été transgressés, comme il vous l’indiquait dans son courrier du 24 mars 2005, pour ce qui concerne le marché du programme FELIN attribué à la SAGEM, et dont les établissements Boyé, initialement sous-traitants officiels, ont été exclus. L’entretien qu’elle a accordé aux personnels employés et dirigeants de l’entreprise Paul Boyé, à Saint-Jean-de-Luz, le 29 avril 2005 aurait donné lieu à des engagements concernant l’enquête sur la légalité de ce marché, comme il le lui avait demandé dans son dernier courrier, et sur le contrôle de technicité et de qualité figurant sur le cahier des charges. Compte tenu de l’importance et de la sensibilité de ce sujet, mais aussi de l’urgence à statuer, il lui demande quelles décisions ont été prises et dans quels délais les résultats de l’enquête seront communiqués.
Réponse du ministre de la défense publiée au Journal officiel Assemblée nationale du 23 août 2005
La délégation générale pour l’armement (DGA) a procédé à une mise en compétition dans le cadre de marchés de définition. Le 1er mars 2004, la société SAGEM s’est vu notifier le marché de développement, industrialisation, production et soutien initial du système « Fantassin à équipements et liaisons intégrés » (FELIN). Le choix des sous-traitants est sous la totale responsabilité du maître d’œuvre. À ce titre, SAGEM a engagé des négociations pour le sous-ensemble « vêtements et protection » (VEP) avec la société Paul Boyé d’une part, qui avait participé à la phase de définition aux côtés de la société SAGEM, et le consortium constitué des sociétés Ouvry (pour la protection contre les risques nucléaires-bactériologiques-chimiques) et SIOEN (pour les vêtements de base) d’autre part. À l’issue de ces négociations, la société SAGEM a proposé de retenir ce consortium. La solution présentée répondant techniquement au besoin et ayant reçu l’aval de l’armée de terre, la DGA ne peut opposer aucun motif pour refuser la proposition du maître d’œuvre SAGEM concernant le choix de ses sous-traitants. Par ailleurs, la relation entre les sociétés concernées étant régie par le droit privé, la réglementation interdit à l’État de s’immiscer dans les relations entre un maître d’œuvre et ses sous-traitants. Par la suite, la direction de la société Paul Boyé a engagé, le 10 mai 2005, une procédure de requête en annulation du marché de réalisation du système FELIN auprès du tribunal administratif de Paris. Aussi, il appartient désormais au juge de se prononcer sur les aspects réglementaires du contrat FELIN. Parallèlement, la ministre de la défense a fait procéder à une revue des aspects techniques liés à la fourniture des systèmes FELIN. Les évaluations et essais effectués sur les maquettes livrées par SAGEM ont permis de confirmer que les performances spécifiées seront tenues. Enfin, compte tenu de l’importance primordiale que revêt le sous-ensemble VEP dans la réussite du programme FELIN, il a été demandé à SAGEM d’étudier la possibilité de confier à la société Paul Boyé le développement d’une solution alternative basée sur ses compétences propres et son savoir-faire. À la demande de la ministre de la défense, une proposition, visant notamment à permettre à la société Paul Boyé de concourir dans de bonnes conditions à l’exportation, a été élaborée dans des délais très courts. Une réunion a été organisée le 8 juin 2005 par la délégation générale pour l’armement et SAGEM pour en présenter le contenu détaillé aux dirigeants de la société Paul Boyé. Ceux-ci ont toutefois à deux reprises (les 8 et 16 juin 2005) décliné l’invitation, retardant d’autant la recherche d’une voie permettant à la société de s’inscrire dans la solution FELIN.
Les démineurs disposent d’une tenue spécifique à protection renforcée. Le dernier modèle a été développée en 1986 et fait l’objet d’un renouvellement afin d’accroître les protections mais aussi le confort du démineur.
Le gilet pare-éclats du système Félin peut intégrer les protections balistiques souples et dures, le gilet électronique (support de la radio, du calculateur, du GPS, des batteries, câbles et connecteurs…) et la structure de portage.
Dans ce système technologique, le casque est désormais dénommé « équipement de tête », combinant la protection de tête, le bandeau communicant et l’optronique de vision déportée et de vision nocturne. La protection de tête ou coque balistique a une ergonomie permettant toutes les positions de tir. Le bandeau communicant est à la foi un microphone et un écouteur, reliés à la radio. Les transmissions se font par les vibrations osseuses de la tempe, permettant au soldat d’être entendu de ses camarades tout en chuchotant. Ceci fait du bandeau ostéophone une innovation mondiale.
En janvier 2011, la DGA a notifié à SAGEM un contrat visant l’acquisition de 1 175 jumelles infrarouges multifonctions de longue portée JIM LR 2. Le contrat englobe la livraison de 500 terminaux tactiques de télé-opération se présentant sous la forme d’une tablette de format A4, ainsi que la formation des personnels et le soutien. Ces jumelles combinent en un seul équipement une vision jour et une vision thermique, un système de télémétrie, un pointeur laser, un compas, un GPS et un système de transmission de données. Elles sont interopérables avec les systèmes de commandement et de coordination de Felin. Avec ces jumelles, le fantassin peut détecter des menaces de tout temps y compris en présence de fumées, désigner des cibles et transmettre des informations à son commandement.
● En décembre 2010, le ministère de la défense a notifié à la société Beatex Prod un contrat pour la fourniture de 60 000 bérets sur quatre ans, pour un montant total de 740 000 euros. Le savoir-faire de cette société lui a permis d’obtenir l’homologation OTAN pour soumissionner auprès des armées des États membres, soit un marché estimé au total à 10 millions d’euros hors forces américaines. Beatex Prod a été créé en 2008, reprenant les activités de la société Beatex, fondée en 1990, et elle-même héritière de l’entreprise Laulhere installée depuis 1840 à Oloron-Sainte-Marie dans les Pyrénées atlantiques). La société compte 55 salariés pour un chiffre d’affaires de 3,6 million d’euros.
● L’arme de base du fantassin demeure le FAMAS (fusil d’assaut de la manufacture d’armes de Saint-Étienne) de calibre 5.56 et pouvant également tirer des grenades. D’un poids de 4,2 kg, ce fusil a une portée pratique de 300 mètres et une portée maximale de 3,2 kilomètres. Chaque magasin a une capacité de 25 cartouches. Le FAMAS-Felin intègre une liaison filaire le reliant à l’ensemble du système. La lunette de tir possèdera un imageur jour, un imageur nuit, un viseur clair pour le tir « instinctif » ainsi qu’une caméra vidéo. La lunette de tir permet un grossissement de 3 ou 10, la prise de photos et leur transmission. L’oculaire de visée déportée permet par ailleurs au fantassin d’observer un secteur tout en restant à couvert. Le pas des rainures du canon de l’arme est désormais de 7 pouces (contre 12 pour la version initiale). Cette évolution, associée aux cartouches F5 standard OTAN, améliore les qualités de tir. La portée de jour est supérieure à 500 mètres ; de nuit à 400 mètres.
Les forces disposent également de la MINIMI, mitrailleuse légère de calibre 5.56, produite par la société belge FN HERSTAL. Cette arme automatique apporte une capacité de feu antipersonnel supérieure à celle du FAMAS. Pesant 7,1 kg, elle affiche une cadence de tir de 750 à 950 coups par minutes. Sa portée maximale est de 2,7 kilomètres, la portée pratique étant de 500 mètres. À 240 mètres, les munitions tirées peuvent percer une plaque d’acier doux d’un centimètre.
En décembre 2010, la DGA a notifié à la même société belge un marché en vue de la livraison à l’armée de terre de 11 000 mitrailleuse MAG de calibre 7.62 pour 100 millions d’euros. Un premier lot de 500 exemplaires doit être livrés en 2011. Les MAG doivent remplacer les mitrailleuses AN F1 en service depuis les années 1960. Pesant 12 kilogrammes, elles sont posées sur un bipied (permettant une cadence de tir de 1 000 coups par minute) ou sur un trépied (pour une cadence de 1500 coups par minutes).
Les tireurs d’élite disposent quant à eux du FRF2 de calibre 7.62. Ce fusil de 5,2 kg a une portée pratique de 800 mètres. Son magasin peut contenir 10 cartouches.
● De nouvelles armes sont actuellement en développement tant aux États-Unis qu’en Russie. En Afghanistan, l’armée américaine a testé un nouveau fusil d’assaut, le XM 25 fabriqué par Heckler & Koch, en mesure de tirer des munitions de 25 mm à 700 mètres. Ces munitions dotées d’une puce électronique, peuvent exploser devant, dans ou derrière la cible en fonction de sa position. Sa puissance de feu étant équivalente à une grenade à main, cette munition s’avère très efficace face à des adversaires embusqués. Le coût unitaire du XM 25 est estimé entre 25 000 et 35 000 dollars américains. L’armée américaine souhaite en acquérir plus de 12 000 à l’horizon de 2014. Pour sa part, en mars 2011, le ministère de la défense russe annonce vouloir doter certaines unités de l’armée de terre de lance-flammes à roquettes, en mesure « d’anéantir les forces vives de l’ennemi sur le champs de bataille et à l’intérieur des bâtiments ainsi que les véhicules et les blindés légers. Sa portée de tir maximale atteint 1 700 mètres et le tir de précision est garanti à 800 mètres ». Et de préciser que « ces lance-flammes ont fait leurs preuves au cours de l’opération visant à contraindre la Géorgie à la paix » (175).
Les robots et drones terrestres remplaceront-ils un jour les fantassins ? Afin de mener des opérations dans des environnements très dégradés, les services de secours ont parfois recours à des robots. Ils peuvent avoir pour mission d’évaluer la nocivité de l’atmosphère d’un espace confiné (comme une mine) à la suite d’une explosion, d’évaluer la menace d’un objet abandonné, …
Les robots militaires terrestres sont apparus sur les théâtres d’opération pour mener des missions de reconnaissance. À la différence des forces aériennes équipées de drones d’attaques, les forces terrestres demeurent encore réticentes pour employer des robots avec des capacités d’attaques. La maîtrise du feu au sol reste l’apanage humain sans interface technologique.
La société ECA, spécialisée dans la robotique et qui fournit notamment la marine nationale en drones anti-mines développe également plusieurs drones ou robots pour les forces terrestres et couvrant un grand nombre de missions (inspection de site, détection de menace, neutralisation d’explosifs). L’INBOT, d’un poids de 2,1 kg, doté de trois caméras, est destiné à l’inspection de bâtiments, de véhicules dans le cadre de missions de sécurité civile, de lutte anti-terroriste et de sécurisation d’environnement hostile. Le CAMELEON NRBC est doté de capteurs chimiques et radiologiques destinés à alerter les hommes engagés d’éventuels risques. Le TSR 202, pesant 270 kg notamment en raison de son bras articulé est destiné à la neutralisation d’explosifs.
Le VLTT P4 Auverland, véhicule léger tout terrain non blindé, équipe depuis plusieurs décennies les régiments de l’armée de terre. Aérotransportable et aérolargable, il est employé également par les forces spéciales avec un armement renforcé. Il affiche un taux de disponibilité moyen de 68 % en janvier 2011. En juin 2010, est annoncé le remplacement d’une partie du parc de VLTT P4 par des véhicules 4X4 non militarisés Land Rover.
Le véhicule blindé léger (VBL) est en service dans l’armée de terre depuis 1990. Ce véhicule 4x4 pèse 3,8 tonnes et peut se déplacer à 95 km/h sur route. Il est fabriqué par PANHARD. La France en a commandé 1 600 exemplaires.
Le petit véhicule protégé (PVP) est en service au sein des forces depuis août 2009. Il est déployé notamment au Liban et en Afghanistan. 933 véhicules ont été commandés par la DGA. D’un poids à vide de 4,4 tonnes, ce véhicule 4x4 se déplace à 100 km/h et emporte quatre hommes. Il est décliné en deux versions : une version « commandement » et une version « rang ». Ses caractéristiques en font un véhicule aisément projetable. Il peut être notamment héliporté. Son armement est modulable grâce à l’installation de kits lui permettant d’accueillir selon les missions à accomplir, des missiles MILAN, ERYX ou AT4CS. Une mitrailleuse 7.62 complète l’armement du véhicule. En matière de transmission, il est équipé de poste PR4G, TRDP38 et MELCHIOR.
Sur le plan industriel, le maître d’œuvre est PANHARD. Le 6 septembre 2011, la DGA a complété la commande de 933 véhicules (dont la production s’achève en décembre 2011) par 200 véhicules supplémentaires pour une livraison en 2012. Cet ajout permet opportunément à l’industriel de maintenir ses lignes de production.
Il est à noter que le moteur du PVP est fourni par l’italien IVECO qui propose sur le marché un véhicule concurrent au PVP, le Lince ou Light Multirole Vehicle, véhicule de 4,6 tonnes pouvant se déplacer à plus de 130 km/h. Plusieurs États se sont portés acquéreurs du Lince, dont la Russie qui bénéficie en la matière d’un transfert de technologies.
Dans le cadre d’un programme d’acquisition en urgence opération, VBL et PVP seront dotés d’un tourelleau WASP (weapon under armor for self protection), tourelleau téléopéré doté d’une mitrailleuse 7.62 mm MAG 58, couplée à une lunette d’observation et de visée jour et infrarouge. L’arme a un débattement élevé (-40 ° / + 90 °), offrant des capacités opérationnelles adaptées au combat urbain et en montagne. Le programme a été notifié par la DGA à PANHARD pour 100 tourelleaux en février 2011. SAGEM participe également au développement de cette arme.
Dans la catégorie des véhicules blindés légers 4x4, le marché européen est extrêmement concurrentiel : Krauss-Maffei Wegmann produit l’AMPV (Armoured Multi-Purpose Vehicle), d’un poids de 9,3 tonnes et enregistrant une vitesse maximale de 110 km/h. Pesant deux tonnes de plus que l’AMPV, le FENNEK est destiné à affronter des terrains plus difficiles. Le COBRA du groupe turc OTOKAR pèse quant à lui 6,2 tonnes et se déplace à 115 km/h. Il est équipé de systèmes d’armes israélien (missile Spike et tourelle RAFAEL). Il peut embarquer huit hommes.
La menace croissante des engins explosifs improvisés (EEI) a incité les forces et les industriels à développer des véhicules aux protections renforcées. Mais, pour le chef d’état-major de l’armée de terre, « le combat entre la cuirasse et l’explosif est irrémédiablement perdu au bénéfice du second. La poudre et la balle d’arquebuse ont tué la chevalerie en armure, le cheval croulant sous le poids du cavalier. Les charges explosives préformées et l’électronique […] condamnent le blindage à la seule protection contre la ferraille du champ de bataille et la mine antichar classique jusqu’à huit à dix kg, c’est le niveau 5 OTAN, ce qui n’est déjà pas mal. Ensuite, nous ferons de notre mieux pour améliorer la protection en fonction des exigences propres à tel ou tel théâtre, par ajout de kits forcément évolutifs (coques ventrales, dalles céramiques, etc.) et de moins en moins lourds. Mais dire au soldat — et donc à sa famille — qu’on peut le protéger contre toutes les agressions et contre les IED en particulier serait lui mentir, la protection totale est inatteignable » (176).
L’accord de normalisation OTAN STANAG 4569 définit le niveau de résistance et, partant, de protection des véhicules en fonction des différentes agressions comme le montre le tableau ci-après.
Normes de résistance de l’OTAN | |||
Niveau |
Balistique |
Mines et Grenades |
Artillerie |
1 |
7.62 à 30 mètres |
Grenades à main |
|
2 |
7.62 à 30 mètres |
6 kg d’explosifs |
|
3 |
7.62 à 30 mètres |
8 kg d’explosifs |
|
4 |
14.5 à 200 mètres |
10 kg d’explosif |
155 mm à 30 m |
5 |
25 mm à 500 mètres |
155 mm à 25 m | |
Source : www.nato.int |
Le véhicule blindé à haute-mobilité (VBHM) présente, sous un design futuriste, une protection balistique de niveau 2, anti EEI et anti mines. Véhicule de 14 tonnes, il est composé d’un véhicule tracteur et d’une remorque. Pouvant atteindre la vitesse de 65 km/h, ces deux véhicules sont articulés et chenillés, leur permettant d’affronter des terrains particulièrement escarpés (jusqu’à 45° de pente). Comme le présente le schéma suivant, quatre hommes dont le chauffeur peuvent embarquer dans le véhicule avant, huit dans le véhicule arrière. Son armement est constitué d’une mitrailleuse 12.7.
Les caractéristiques du VHM |
Source : www.defense.gouv.fr/terre. |
Le VBHM est développé et produit sous la dénomination BV206S par BAE Systems Hägglunds AB, filiale suédoise du groupe britannique. Outre en France, il est en service en Suède, en Allemagne, en Italie et en Espagne. Le VBHM est utilisé en Afghanistan.
Véhicule 4x4 de 13 tonnes pouvant transporter jusqu’à huit hommes (dont deux d’équipage) à 100 km/h, l’Aravis de Nexter offre une protection balistique supérieur au niveau 4, une protection de niveau similaire contre les mines, contre les explosions d’artillerie de 155 mm et contre les attaques lourdes d’EEI. Ces qualités protectrices sont notamment dues à la cellule de survie, à des caissons d’absorption du souffle des mines, à des sièges à absorption d’absorption d’énergie, à des parois latérales anti-souffle et anti-éclats et à des portes anti-souffle.
L’intégralité de l’armement de l’ARAVIS est téléopéré depuis l’habitacle, évitant une exposition des hommes. L’ARAVIS est aérotransportable
Nexter a financé sur fonds propres le développement de l’Aravis qui a été présenté pour la première fois lors du salon Eurosatory de 2008. Commandés au titre du plan de relance de l’économie le 15 avril 2008, les 15 Aravis ont été livrés à l’armée de terre en 2010. Depuis, 11 sont projetés en Afghanistan et trois sont en dotation au 13e régiment du génie. Un véhicule a été détruit en opérations. Projetés depuis deux ans en Afghanistan, ils donnent entière satisfaction.
À ce jour, aucun Aravis n’a donné lieu à un contrat à l’export, contraignant Nexter à engager des développements complémentaires et un programme d’optimisation pour améliorer son positionnement commercial. La concurrence est en effet rude, même si les niveaux de protection des véhicules peut différer. Ainsi, Renault Trucks Defense dispose dans son catalogue du Sherpa, véhicule 4x4 de 10 tonnes, pouvant transporter dans sa cabine blindée dix hommes à 110 km/h.
Le DINGO, fabriqué par Krauss-Maffei Wegmann est un véhicule 4x4 de 12,5 tonnes, évoluant jusqu’à 90 km/h. Ce véhicule a été projeté en ex-Yougoslavie, au Liban, au Tchad et en Afghanistan. Son successeur, le DINGO 2 (MMPV — Multi Purpose Protected Vehicle), de 10,5 tonnes, dispose d’une protection anti-EEI. Il peut transporter huit hommes. Il équipe les forces terrestres d’Allemagne, d’Autriche, de la république Tchèque et de Belgique, dans ses différentes configurations : transport de fantassin, véhicule de commandement ou véhicule ambulance. Le 13 avril 2011, l’Allemagne a signé un contrat visant la livraison supplémentaire de 39 DINGO 2.
Le MASTIFF PPV et le RODGBACK sont les versions britanniques surprotégées des véhicules blindés COUGAR 6x6 et 4x4. Ces véhicules sont développés par la société américaine Force Protection. Ces deux dérivés ont été acquis pour renforcer la protection anti-EEI des troupes britanniques engagées en Afghanistan.
Le Buffalo est un véhicule lourd destiné à des missions de déminage grâce notamment à son bras articulé et son blindage renforcé. Fabriqué par la société américaine Force Protection, il a été notamment acquis par la France pour assurer la protection des convois en Afghanistan contre les engins explosifs improvisés. Les trois premiers exemplaires ont déployés en avril 2009.
Avec un chiffre d’affaire s’élevant à 977 millions de dollars américains et 1 300 salariés, le groupe américain Force Protection Inc. appuie son renouveau industriel sur la lutte et la protection contre les mines et les EEI. Les engagements militaires en Irak et en Afghanistan lui ont ouvert un marché majeur. Outre le BUFFALO, le groupe produit le TSV (tactical support vehicule – Wolfhound), véhicule de soutien acquis par les forces britanniques pour être déployé en Afghanistan, et l’OCELOT, véhicule de patrouille.
Les véhicules blindés modulaires participent à la projection et au déplacement des forces armées sur les théâtres d’opération. Rapides et mobiles, ils assurent également une protection sans cesse accrue pour les hommes embarqués et un soutien feu lors d’opérations à haute intensité. Ils sont devenus des équipements indispensables pour les forces terrestres engagées sur des terrains dégagés, accidentés ou urbains. Le caractère modulaire de ces véhicules leur permet de remplir des missions de soutien des groupes de combat, de commandement et transmission ou de secours sanitaires. D’autres usages de ces véhicules blindés modulaires ont été récemment découverts. Ainsi en mai 2011, en lutte contre les cartels de la drogue, la police mexicaine a saisi plusieurs véhicules blindés, réalisés à partir d’un châssis 4x4 et équipés d’une tourelle de tir. Pouvant transporter jusqu’à 20 hommes et capables de résister aux explosifs, ces blindés artisanaux démontrent l’ampleur des arsenaux aux mains des organisations criminelles.
● Le VBCI est un véhicule 8x8 de 26 tonnes se déplaçant à plus de 100 km/h. Il peut embarquer 11 hommes dont deux d’équipage. Sa projection en Afghanistan et au Liban en a démontré les qualités opérationnelles. Le retour d’expérience permet de dire que « cet engin de combat vient bien conférer à l’infanterie des capacités accrues, dont la plus-value opérationnelle est inestimable, et ce, sans pour autant révolutionner son concept d’emploi » (177). Les forces engagées en Afghanistan soulignent notamment ses capacités d’observation, de mobilité et de puissance de feu. De plus, sa masse imposante joue un rôle dissuasif.
Ce véhicule a bénéficié d’amélioration de blindage et d’armement, pour s’adapter aux conditions extrêmes du conflit. « Les contraintes prétendument générées par l’importante silhouette du véhicule et la présence d’un seul personnel en tourelle se sont avérées sans fondement : il suffit pour cela de prendre conscience de son incroyable furtivité dues à sa maniabilité sur le terrain et à l’absence quasi-complète de bruit de moteur, et de constater ses capacités d’observation et de conduite de tir déportés dans le poste du chef d’engin » (178).
Sur le plan industriel, Nexter et Renault Trucks ont été associés pour développer ce programme qui a connu d’importantes difficultés dans ses premières années. Le coût total approche les trois milliards d’euros. Le 300e VBCI a été livré en juin 2011. Le tableau suivant récapitule les crédits dévolus au programme VBCI depuis 2006.
Évolution du programme vbci (en millions d’euros) | |||||
Engagement |
CP |
Volume commandé |
Volume livré | ||
2006 |
PAP |
83,86 |
60,30 |
0 |
0 |
RAP |
7,83 |
62,08 |
0 |
0 | |
2007 |
PAP |
364,79 |
110,36 |
117 |
0 |
RAP |
290,29 |
73,94 |
117 |
0 | |
2008 |
PAP |
330,42 |
263,43 |
116 |
41 |
RAP |
394,50 |
228,64 |
116 |
41 | |
2009 |
PAP |
1 079,75 |
311,82 |
332 |
96 |
RAP |
937,12 |
396,46 |
332 |
105 | |
2010 |
PAP |
180,00 |
329,19 |
0 |
99 |
RAP |
93,98 |
374,36 |
0 |
99 | |
2011 |
PAP |
157,80 |
343,76 |
0 |
100 |
2012 |
PAP |
117,94 |
383,34 |