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Compte rendu

Commission des affaires culturelles, familiales et sociales

Mercredi 6 février 2008

Séance de 10 heures 30

Compte rendu n° 29

Présidence de Pierre Méhaignerie Président puis de Pierre Morange Vice-président

– Examen d’un rapport d’information sur les agences régionales de santé (M. Yves Bur, rapporteur) 2

– Examen du projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations (Mme Isabelle Vasseur, rapporteure) 10

– Information relative à la commission 17

La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a examiné, sur le rapport de M. Yves Bur, le rapport de la mission d’information sur les agences régionales de santé.

Le président Pierre Méhaignerie a souligné la qualité du travail des membres de la mission.

M. Yves Bur, rapporteur, a rappelé que la mission d'information sur les agences régionales de santé (ARS) a procédé, depuis sa création en septembre 2007, à près de trente auditions à Paris et à deux déplacements en province, dans des collectivités territoriales aux caractéristiques sanitaires aussi différentes que les régions Bourgogne ou Provence-Alpes-Côte d'Azur. Plus de 175 personnes représentant les principaux acteurs du système de santé ont été entendues et plusieurs dizaines de contributions écrites d'autres acteurs ont été reçues. Il ressort de ces travaux un consensus sur l'état du système de santé français et sur les causes de ses insuffisances, mais pas sur les remèdes.

Tout d’abord, et c’est un constat partagé par tous les acteurs, le système de santé, s’il possède de nombreux atouts, manque d’efficience et ne répond plus aux besoins de santé des Français. L’offre de soins n'est pas suffisamment maîtrisée pour assurer l'égal accès de tous les patients à la santé : la répartition des professionnels par zone géographique, par spécialité et par mode d'exercice ne correspond plus à leurs besoins, d’où les difficultés observées au quotidien, qu’il s’agisse de la démographie médicale ou de la permanence des soins.

L'on observe par ailleurs des ruptures dans la prise en charge des patients, notamment entre la médecine de ville, l'hôpital, le secteur médico-social, et un déséquilibre entre le volet préventif et le volet curatif des politiques de santé, au détriment du premier : l’on ne s’étonne plus, dès lors, que la mortalité prématurée soit en France l’une des plus élevées d'Europe.

Surtout, la viabilité financière du système de santé n'est pas garantie, et ne pourra pas l’être sans gains d’efficience, du fait d’un coût élevé et mal maîtrisé. En témoignent notamment les difficultés rencontrées pour respecter l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (ONDAM) ambulatoire depuis plusieurs années. L'hospitalo-centrisme de notre système de santé n’y est pas étranger : 20 % environ des patients pris en charge dans un service de soins aigus n'y « stagnent » que faute d’une prise en charge mieux adaptée dans le secteur médico-social ou à leur domicile. Cela représente 5 millions de journées d'hospitalisations, pour un coût de 2,5 milliards d'euros.

D’où proviennent ces dysfonctionnements ? Unanimement, la mission a considéré que l'organisation du système de santé « en tuyaux d'orgue » en était en grande partie responsable, en ce qu’elle segmente artificiellement la prise en charge de la santé des Français en plusieurs secteurs, pourtant interdépendants – la prévention, la médecine de ville, l'hôpital, le secteur médico-social –, dont le pilotage est cloisonné, tant au niveau national que territorial. Ainsi, chaque secteur a son propre organe de pilotage, son propre document de planification, sa propre instance de concertation et son propre donneur d'ordres national. En fin de compte, « tout le monde est dans tout », car toutes ces organisations reposent sur les mêmes supports administratifs : les directions départementales des affaires sanitaires et sociales (DDASS) et les directions régionales des affaires sanitaires et sociales (DRASS) d’une part, le réseau de l'assurance maladie d’autre part. Or le cloisonnement des secteurs et la multiplication des structures compliquent la mise en œuvre des politiques de santé et engendrent des pertes d'efficience.

Que faire alors ? Un consensus s’est dégagé au sein de la mission pour estimer que la réforme du pilotage de notre système de santé doit poursuivre trois objectifs : redonner de la lisibilité à ce pilotage que ni les usagers ni les acteurs eux-mêmes ne comprennent plus ; renforcer l'efficacité des politiques de santé, en les rééquilibrant au profit de leur volet préventif et en promouvant une culture d'objectifs, de résultat et d'évaluation ; améliorer l'efficience de notre système de santé pour assurer sa viabilité financière, en renforçant la maîtrise des dépenses et en responsabilisant tous les acteurs.

Dans cette optique, quels progrès les ARS peuvent-elles apporter ? Un consensus s’est dégagé au sein de la mission. Pour décloisonner le pilotage du système de santé, les ARS doivent avoir un périmètre large, incluant les secteurs suivants : les soins de ville ; l'hôpital ; la santé publique (prévention, santé environnementale, éventuellement santé au travail et santé scolaire) ; le volet du secteur médico-social impliqué dans les activités de soins, dans le respect des compétences des conseils généraux ; la veille et la sécurité sanitaire, le cas échéant sous les ordres du préfet pour la gestion des crises sanitaires.

Tous les acteurs souhaitent que les ARS pilotent conjointement l'offre de soins ambulatoires et hospitaliers, pour exploiter mieux qu'aujourd'hui les complémentarités qui existent entre ces secteurs et contribuer à régler la crise des soins primaires. De surcroît, les membres de la mission sont d’accord pour considérer que la politique de santé publique serait mieux promue par les ARS que par les actuels groupements régionaux de santé publique (GRSP), qui n'ont pas su s'imposer dans un paysage institutionnel déjà trop dense. Toutefois, pour garantir que les ARS ne négligeront pas, au profit de l'offre de soins, la politique de santé publique qui dispose de moyens financiers relativement faibles, ceux-ci pourraient être garantis par un mécanisme de « fongibilité asymétrique » qui permettrait de les abonder par d'autres crédits, mais pas l'inverse. Un pôle sectoriel dédié à la santé publique, sous l'autorité d'un directeur spécifique, pourrait être identifié au sein des ARS. Par ailleurs, il ne faut pas écarter l'idée de confier aux ARS la santé environnementale et la santé au travail, voire la santé scolaire.

S'agissant du secteur médico-social et de son volet qui pratique des activités de soins et reçoit à ce titre des financements de l'assurance maladie, un pilotage conjoint avec l'offre de soins contribuerait à fluidifier le parcours de soins, favoriserait les filières et les réseaux de santé et faciliterait les restructurations hospitalières. En effet, la prise en charge des personnes âgées et des personnes handicapées est au cœur de la plupart de ces restructurations. Certains acteurs plaident en faveur d'une intégration différée du secteur médico-social au périmètre des ARS, pour laisser à ce secteur le temps de se restructurer. Les membres de la mission souhaitent au contraire que les ARS pilotent ce secteur dès leur création, car elles seront les mieux placées pour accélérer cette restructuration.

La mission souhaite également que les activités de veille et de sécurité sanitaire soient opérées par les ARS, afin d'optimiser les moyens, notamment médicaux, sur lesquels elles reposent : ce sont essentiellement ceux des DDASS et des DRASS, qui ont vocation à être transférés aux ARS. À ceux qui font valoir que les activités en question ont un caractère régalien justifiant leur pilotage par l'État, les membres de la mission répondent que l'ARS peut très bien passer sous le contrôle du préfet pour la gestion des crises, comme d'autres structures de ressources ; on pourrait citer l'exemple des services départementaux d'incendie et de secours.

Un pilotage conjoint de ces secteurs par les ARS ne suffira pas à rendre les politiques de santé plus efficaces et le système de santé plus efficient : les ARS doivent aussi être dotées des outils adéquats.

Il doit s'agir d'abord d'outils de planification rénovés, enrichis et plus cohérents qu'aujourd'hui, où coexistent les schémas régionaux d'organisation sanitaire (SROS), les plans régionaux de santé publique (PRSP), les programmes interdépartementaux d'accompagnement des handicaps et de la perte d'autonomie (PRIAC), les schémas départementaux et régionaux d'organisation sociale et médico-sociale et les divers éléments de planification relatifs à la médecine ambulatoire limités au zonage des zones déficitaires en offre de soins.

Pour assurer l'égal accès des Français à des soins de qualité, les ARS devront notamment être dotées d'outils permettant de réguler plus efficacement qu'aujourd'hui l'implantation des professionnels de santé libéraux. Les ARS pourraient notamment jouer un rôle important en matière de formation des professionnels de santé, y compris des médecins, avec un numerus clausus et des épreuves classantes régionalisées. Pour le reste, les États généraux de l'organisation des soins (EGOS) devront déboucher sur des propositions plus précises.

La mission a accordé une attention particulière aux problèmes liés aux systèmes d'information en matière de santé, aujourd'hui caractérisés par un foisonnement et un cloisonnement qui compliquent le pilotage des politiques de santé et engendrent des pertes d'efficacité dans la production des soins. Pour y remédier, les ARS devront utiliser à bon escient les crédits informatiques du Plan Hôpital 2012, renforcer les systèmes d'information des hôpitaux et des réseaux de santé, et étudier la création éventuelle de plates-formes régionales de santé.

Comment, dans ce cadre, organiser et diriger les ARS ? Les membres de la mission ont unanimement considéré que la gouvernance des ARS devait s'adosser à des mécanismes de démocratie sanitaire renforcés. La réforme annoncée représente une occasion peut-être « historique » de renforcer la démocratie sanitaire, qu’aujourd’hui les conférences régionales de santé (CRS) sont bien loin d’incarner pleinement. Il faut les redynamiser, resserrer leur composition et renforcer la place des élus dans la gouvernance du système de santé, lesquels sont les représentants naturels des usagers de ce système.

Pour être efficace, le statut de l'ARS doit permettre à sa direction d'avoir une autorité fonctionnelle sur ses personnels, à la différence de l'agence régionale de l'hospitalisation (ARH), ce qui plaide pour un statut d'établissement public administratif plutôt que de groupement d'intérêt public (GIP). L'organisation des ARS doit aussi prendre en compte la réalité territoriale et les spécificités des secteurs entrant dans son périmètre, avec une organisation par pôles sectoriels, voire des antennes locales. De surcroît, une instance intermédiaire de concertation, de suivi et de surveillance serait utile entre l'exécutif de l'ARS et la conférence régionale de santé.

Surtout, les membres de la mission considèrent unanimement que la création des ARS perdrait beaucoup de son utilité si le pilotage national du système n'est pas lui aussi unifié, ce qui plaide en faveur de l'intégration des directions d'administration centrales concernées et des caisses centrales d'assurance maladie au sein d'un opérateur unique, une Agence nationale de santé placée sous la présidence du ministre chargé de la santé.

Sur tous ces points, les membres de la mission sont parfaitement d'accord. En revanche, la création d'une Agence nationale de santé rencontre de fortes oppositions, notamment celle de Mme Roselyne Bachelot-Narquin exprimée devant la mission.

Cela pose des problèmes pour le pilotage des ARS. En effet, si, au niveau régional, les ARS sont compétentes en matière de « gestion du risque », c'est-à-dire de maîtrise médicalisée des dépenses, elles pourraient être handicapées par un pilotage national en double commande, État-assurance maladie.

Dès lors, deux stratégies sont envisageables. Soit une structure légère de coordination de l'État et de l'assurance maladie est créée au niveau national, au moins dans un premier temps, et la gestion du risque est confiée aux ARS. Soit les fonctions d'organisation du système de santé et celles de régulation des dépenses sont séparées, confiées pour les premières aux ARS, sous la responsabilité du ministère de la santé, et pour les secondes à l'assurance maladie, dont le champ de compétences doit être recentré sur la gestion du risque, conformément d'ailleurs aux recommandations réitérées de la Cour des comptes.

Plusieurs membres de la mission se sont prononcés en faveur du premier schéma, dans les contributions qui sont intégrées au rapport. Ce modèle présente l'avantage de la simplicité, et d'une grande lisibilité, mais il comporte le risque que la gestion du risque soit délaissée par les ARS. Un récent rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) montre en effet que les ARH n'ont pas su pousser les hôpitaux à des gains de productivité, malgré la tarification à l’activité (T2A) : Comment savoir si les ARS feront mieux ?

Cela plaide pour que les fonctions de gestion du risque soient opérées au niveau régional par une petite cellule de l’assurance maladie, qu’on pourrait appeler « direction régionale de l'assurance maladie » (DiRAM). Une telle direction offrirait toute l'autonomie nécessaire à la fonction de gestion du risque pour que l'efficacité du système de santé ne soit pas le cadet des soucis de ceux qui le pilotent. De surcroît, il est à craindre que le premier schéma ne soit perçu comme un pas décisif vers une étatisation de l'assurance maladie, qui irait à rencontre des orientations prises en 2004 et des souhaits des partenaires sociaux. C'est pourquoi il serait préférable de distinguer le métier d'assureur, qui est celui de l’assurance maladie, de celui d'organisateur de l'offre de soins, qui serait celui de l'ARS dotée à cet effet des moyens permettant de financer les charges de service public que la tarification à l'activité ou à l'acte ne prend pas en compte.

Les travaux de la mission n'ont pas permis d'aboutir à un consensus en faveur d'un des deux scénarios, mais il sera possible d’en débattre à nouveau au printemps, à l'occasion de la table ronde que le président Pierre Méhaignerie propose d’organiser sur cette question.

Le rapporteur a conclu en demandant à la commission d’autoriser la publication de ce rapport. Il a enfin remercié les membres de la mission pour la qualité de leur travail.

Un débat a suivi l’exposé du rapporteur.

Le président Pierre Méhaignerie a salué le travail accompli. Il faut aujourd’hui maîtriser l’évolution des dépenses, tout en améliorant l’état de santé des Français. Dans ce cadre, quelle sera l’étendue des missions des ARS ? Deux thèses s’affrontent, avec leurs qualités et leurs faiblesses. Peut-on tendre vers l’unité sans étatisation, de façon à assurer la lisibilité de la gouvernance ? Doit-on dissocier la régulation et la gestion du risque, au risque de créer des problèmes de lisibilité de la gouvernance ? Afin de répondre à ces questions et aboutir à un consensus, il sera proposé d’auditionner quatre ou cinq responsables de l’assurance maladie et du ministère de la santé, de la jeunesse et des sports.

Après avoir rappelé qu’il souhaitait de longue date que soient créées ces agences régionales de santé, qui devraient voir le jour avant la fin de l’année, M. Jean-Luc Préel a regretté la mise en place en 2004 des groupements régionaux de santé publique (GRSP), objets de toutes les critiques aujourd’hui.

Cependant, des questions demeurent. L’instauration d’une dyarchie pourrait ainsi poser des problèmes de fonctionnement. Tout le monde s’accorde aujourd’hui pour considérer que les ARS doivent permettre de simplifier le système de santé, en installant un responsable unique au niveau régional. Si le périmètre des compétences des ARS semblait difficile à définir, un consensus a fini par se dégager, même s’il sera sans doute délicat d’articuler le rôle du préfet et de l’ARS en matière de veille et de sécurité sanitaire. Restent en débat la place de l’assurance maladie, la démocratie sanitaire, le pilotage national et la suppression des doublons ou des structures obsolètes.

S’agissant de la place de l’assurance maladie, pourquoi s’inquiéter de l’étatisation du système, puisqu’il l’est de fait depuis 2004 ? L’assurance maladie n’est plus gérée aujourd’hui par les partenaires sociaux, le directeur général de l’Union nationale des caisses d’assurance maladie (UNCAM), nommé par le gouvernement, dispose des pleins pouvoirs et ne rend compte à aucune structure démocratique. L’assurance maladie est devenue une sorte d’agence nationale atypique.

Dans un souci d’efficacité, il faut confier aux ARS le service du contrôle médical, même s’il ne reste, dès lors, à l’assurance maladie qu’une mission de remboursement. En revanche, la branche accidents du travail et maladies professionnelles doit rester spécifique et autonome.

Pour ce qui est de la démocratie sanitaire, il est regrettable que les conférences régionales de santé ne s’apparentent trop souvent à une « grand-messe », dont les rapports sont parfois imprimés avant même qu’elles se réunissent. Il faut mettre en place un véritable conseil régional de santé, élu par collèges. C’est à ce niveau que pourrait être en partie géré un ONDAM régionalisé. En plaçant les responsables locaux, notamment les professionnels de santé, face à leurs responsabilités, en les associant à la prise de décision et à la gestion, on pourra peut-être régler les problèmes de corporatisme et mieux maîtriser les dépenses de santé.

Concernant le bouclage national de ce dispositif, il faudrait mettre en place un vrai conseil national de santé, émanant des conseils régionaux de santé, qui pourrait aider chaque année le gouvernement à définir les priorités de santé dans un projet de loi. Une agence nationale, ou de coordination des agences régionales de santé, serait indispensable. Cela étant, que deviendraient les directions du ministère ? Il serait logique de les intégrer dans cette agence nationale. Il serait par ailleurs souhaitable que le Parlement ait un vrai débat sur la santé chaque année, car si l’on débat aujourd’hui de l’ONDAM, de nombreuses autres questions sont négligées, comme l’accès aux soins ou le rôle des assurances complémentaires.

Enfin, il faut avoir le courage de simplifier, et de supprimer les doublons ou les structures devenues obsolètes.

M. Marcel Rogemont a souligné la nécessité de créer des ARS pour répondre à un besoin d’horizontalité fonctionnelle et territoriale, et identifier les responsables, rappelant que le rapporteur a proposé deux scénarios : étatisation de l’assurance maladie ou distinction entre le métier d’assureur et celui d’organisateur de l’offre de soins. On peut d’ailleurs s’étonner de l’emploi du terme « étatisation », pour une solution qui n’est pas souhaitée par ceux-là même qui ont le plus participé à l’étatisation rampante de l’assurance maladie : vote par le Parlement du budget de la sécurité sociale, loi du 13 août 2004 relative à l’assurance maladie. Il est clair que les responsabilités de l’État en matière de santé sont pleines et entières. Qui est responsable des déficits si ce n’est le gouvernement et son ministre de la santé ?

La solution prônée par le rapporteur, en réduisant l’enjeu de la création des ARS à la seule question d’une meilleure organisation des services de l’État en région et en laissant à la seule assurance maladie la régulation des dépenses n’est pas sans risque, et s’éloigne des ambitions initiales. On pourra toujours prétendre que les ARS gèrent la politique des forfaits en compensation de missions de service public, c’est en fait celui qui « tiendra la machine à billets » qui organisera l’offre de soins. En effet, comme c’est l’acheteur qui commande sur un marché, l’organisation de l’offre de soins, pour être viable financièrement, n’aura d’autre destin que de s’adapter aux vœux de l’acheteur.

Par ailleurs, le rapporteur propose que les directeurs régionaux de l’assurance maladie en charge de la régulation siègent au conseil de l’ARS, affirmant au passage une primauté. Pourquoi pas l’inverse ? Qui doit être en effet le responsable d’un éventuel objectif régional de dépenses d’assurance maladie (ORDAM) : l’ARS ou l’URCAM transformée en DiRAM ? Il faudra poursuivre la réflexion. On ne pourra faire l’impasse sur la question d’une agence nationale de santé ou d’une organisation décloisonnée à l’échelon régional.

Quant à la question des activités de soins du secteur médico-social, on ne pourra pas garantir le nombre de patients âgés passant de l’hôpital au secteur médico-social. Dès lors, le dispositif de fongibilité asymétrique proposé par le rapporteur ne suffit pas à garantir qu’on ne fasse pas payer aux conseils généraux les lits nécessaires en aval de l’hôpital.

M. Jean-Marie Rolland a rappelé que l’enjeu majeur de la réforme est de définir une organisation et un mode de gouvernance qui puisse garantir l’accès de tous à des soins de qualité, ainsi que la pérennité financière du système. On constate une forte disparité des dépenses de santé par habitant selon les régions, et des économies considérables pourraient être réalisées si toutes les dépenses étaient ramenées à un niveau médian.

Si l’on veut se rallier au diagnostic établi par le rapporteur, et à la définition du périmètre des ARS, on peut néanmoins s’interroger, s’agissant de la gouvernance, sur la pertinence et l’efficacité d’une dissociation entre l’organisation de l’offre de soins et la régulation des dépenses de santé. Le maintien d’un système bicéphale au niveau des régions conduirait à reproduire à l’échelon régional les difficultés déjà rencontrées au niveau national. Comment imaginer une ARS qui, dans le cadre de sa fonction d’organisation, pourrait autoriser des équipements lourds, l’ouverture d’activités de soins, sans en intégrer les conséquences sur l’activité des établissements et donc sur leur financement par l’assurance maladie ? Comment faire coexister, dans un ORDAM, deux sous-enveloppes, l’une au titre des missions d’intérêt général et des actions de santé publique, et l’autre au titre de la tarification à l’activité et du remboursement des actes qui relèveraient de la direction régionale de l’assurance maladie ?

Les ARS responsables de l’organisation de la filière de soins devront résoudre les problèmes de l’offre de soins de premier recours et de la réorganisation des établissements de santé, pour laquelle la solution contractuelle semblerait la plus efficace.

La réussite de la réforme suppose que se développe dans chaque région une culture commune fondée sur la confiance entre l’assurance maladie, les services de l’État et les différents acteurs du système de santé. Une organisation unifiée y contribuerait davantage.

M. Philippe Boënnec a salué la qualité du travail accompli par la mission.

Parce que les prélèvements sociaux et obligatoires ainsi que les activités de soins ont un impact important sur l’économie générale, l’enjeu de cette réforme, aujourd’hui indispensable, est politique. Comment fixer le niveau de la couverture sanitaire, en tenant compte de la croissance, du PIB, et de la concurrence internationale ?

La réforme doit permettre le meilleur rendement de la contribution publique. Doit-on préserver la dualité entre l’organisation sanitaire et la régulation des dépenses de santé ? Du fait de ses enjeux sur l’économie générale, l’État ne peut rester étranger à la régulation des dépenses de santé.

L’assurance maladie n’a conservé qu’une partie de son caractère mutualiste. Une organisation régionale de la santé regroupant la santé publique, l’hospitalisation privée, les soins ambulatoires, la santé environnementale, la médecine scolaire et la partie sanitaire du médico-social est nécessaire.

La mise en place des ARS nécessite une coordination nationale, sous l’autorité du gouvernement et le contrôle du Parlement. La régulation des dépenses de santé doit-elle être confiée à la seule assurance maladie ? Dans l’affirmative, il faudrait éviter l’écueil d’un système s’organisant en parallèle avec les ARS. Une troisième voie pourrait consister à repositionner le rôle de l’assurance maladie. La dualité entre l’ARS et l’assurance maladie, même au niveau régional, sera forcément source d’illisibilité et de perte d’efficience, en particulier lors des conventionnements avec les professionnels de santé, et surtout de l’évaluation des pratiques professionnelles.

Cela étant, cette réforme ne pourra pas être menée sans dialogue ni concertation. Complexe, elle imposera des changements d’habitudes, et devra accorder une place importante au décloisonnement et à l’évaluation des politiques. Il faudra également poser la question du rôle du Parlement dans ce contrôle. C’est pourquoi, on ne peut que se rallier à la proposition d’une audition collective des responsables.

M. Guy Malherbe a remercié le rapporteur pour la qualité du rapport, avant de s’interroger sur le caractère bicéphale du dispositif qu’il propose. Ne serait-il pas souhaitable de tendre vers une unification ? La question reste difficile à trancher. Par ailleurs, une conférence nationale des ARS pourrait peut-être représenter une solution alternative à l’agence nationale de santé, à laquelle la ministre de la santé n’est pas favorable.

M. Jean-Pierre Door a rappelé que la création d’une autorité sanitaire régionale répondait aux attentes de tous, à condition toutefois d’être pourvue d’une réelle compétence exécutive et de disposer d’une réelle marge de manœuvre. Plusieurs questions se posent. S’agit-il de regrouper les services de gestion du risque et ceux de la direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins (DHOS) ? Comment définir clairement les rapports que les nouvelles instances devront entretenir avec les partenaires sociaux, au niveau national et local ? Comment assurer l’efficacité des ARS et quel en serait l’exécutif : un conseil d’orientation ? un directoire ? Quid de l’URCAM ?

Quant à l’agence nationale de santé (ANS), l’idée est séduisante car un pilote est nécessaire au niveau national pour négocier les conventions avec les professionnels de santé, fixer les tarifs, répartir les enveloppes des crédits hospitaliers ou coordonner les actions des agences régionales.

Mme Catherine Génisson a estimé que, s’agissant de la gouvernance, il ne faut pas dresser de faux procès. La loi de 2004 a très largement rendu l’État responsable de la gestion de l’assurance maladie. Les partenaires sociaux n’avaient d’ailleurs pas formulé beaucoup de propositions sur le paritarisme et le mode de gestion des caisses. Mais il n’est pas possible de séparer l’organisation de l’offre de soins de la régulation des dépenses, ce qui imposera des efforts de simplification et de clarification.

S’agissant de la démocratie sanitaire, si beaucoup critiquent les conférences régionales de santé, celle du Nord Pas-de-Calais, par exemple, fonctionne de façon exemplaire. Il faut saluer, par ailleurs, les propositions du rapporteur sur la reconnaissance du rôle de l’échelon politique régional et départemental dans le système de santé.

S’agissant enfin d’un éventuel ORDAM, il est indispensable de mettre en place un système de régulation nationale, donc de péréquation nationale.

M. Georges Colombier, qui a salué la qualité du travail du rapporteur, a approuvé la proposition de M. Pierre Méhaignerie d'auditionner sur la question des ARS plusieurs responsables du secteur de la santé.

Le président Pierre Méhaignerie a relevé que les constats sont clairement partagés et les enjeux clairement identifiés : il faut rendre notre système de santé plus efficace, plus lisible et plus efficient. Face à la puissance des corporatismes nationaux, il est plus facile de dégager des solutions d’intérêt général au niveau régional. Parce qu’il est essentiel que les décideurs soient responsables et capables de faire des choix sans subir la pression des corporatismes, il serait souhaitable que soient menées des expérimentations d’enveloppe globale de dépenses de santé, laissant une certaine liberté aux autorités régionales. Pour ces raisons, une organisation unitaire serait préférable pour la gouvernance régionale du système de santé. Les partenaires sociaux ont un rôle très important à jouer. Ils craignent que la CNAM ou les URCAM ne perdent leur autorité, mais l’assurance maladie pourrait avoir une place au sein des ARS.

Afin d’avancer sur ces questions, la commission pourrait entendre M. Frédéric Van Roeckeghem, directeur général de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), M. Bertrand Fragonard, président du Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie (HCAAM), Mme Annie Podeur, directrice de l’hospitalisation et de l’organisation des soins (DHOS), M. Dominique Libault, directeur de la sécurité sociale, et M. Philipe Ritter, préfet honoraire chargé de mission sur les ARS au cabinet de la ministre de la santé, de la jeunesse et des sports.

Le rapporteur a approuvé cette proposition. Il ne suffit pas, en effet, de créer une ARS à périmètre large, pour régler l’ensemble des problèmes, même si la création des ARS, quel que soit le schéma retenu, simplifiera le paysage sanitaire.

Le débat se situe aussi à un niveau national. Si le rapport Ritter traite bien des questions d’organisation, il y manque un volet relatif à la révision générale des politiques publiques (RGPP). Il faudra clarifier la question du pilotage national des ARS. Il s’agit là d’une question politique, et le Parlement doit piloter l’organisation et la régulation. Il n’est plus possible de se satisfaire de la situation actuelle. Il faudra, loin des enjeux corporatistes, recentrer le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) sur la fonction financière, éventuellement l’accompagner d’un projet de loi d’organisation de la santé, tout en déléguant au pouvoir réglementaire tout ce qui ne relève pas du domaine législatif. Il faudra améliorer l’organisation de l’offre et limiter les dépenses, pour ne pas creuser davantage les déficits.

Sur le plan régional, il conviendra de réfléchir à la meilleure coordination possible entre la culture administrative et la culture de l’assurance maladie.

En conclusion, on ne peut que se féliciter de ce débat qui met en évidence toute la complexité du problème.

La commission a décidé, en application de l’article 145 du Règlement, le dépôt du rapport d’information en vue de sa publication.

*

La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a examiné, sur le rapport de Mme Isabelle Vasseur, le projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations (n° 514).

Mme Isabelle Vasseur, rapporteure, a souligné que ce texte est avant tout pragmatique. La France a fait l’objet de procédures en manquement pour n’avoir pas suffisamment transposé trois directives européennes dans les délais impartis :

– la directive 2000/78 du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail ;

– la directive 2002/73 du 23 septembre 2002 relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l’accès à l’emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail ;

– la directive 2000/43 du Conseil du 29 juin 2000 relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique.

Le présent projet de loi vise donc à compléter la transposition en droit interne français de ces trois textes.

Par ailleurs, pour satisfaire pleinement aux exigences communautaires, ce projet transpose aussi :

– une partie de la directive 2006/54 du 5 juillet 2006 relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail ;

– les dispositions de la directive 2004/113 du 13 décembre 2004 mettant en œuvre le principe de l’égalité de traitement entre les femmes et les hommes dans l’accès à des biens et services et la fourniture de biens et services.

À l’évidence, ce projet constitue une pierre supplémentaire dans l’édification d’un arsenal juridique au profit de la lutte contre les discriminations et devrait confirmer l’importance de l’impact du droit communautaire relatif à la non-discrimination sur l’état du droit français et des pratiques.

En effet, le droit international en général, et le droit communautaire en particulier, ont souvent servi d’aiguillon pour inciter la France à enrichir les instruments juridiques au service de la lutte contre les discriminations.

C’est essentiellement à partir de la fin des années 1990 que la lutte contre les discriminations est devenue une politique européenne autonome, le traité d’Amsterdam de 1997 ayant procédé à l’élargissement des compétences de l’Union européenne en matière de lutte contre la discrimination. En 2000, un nouveau pas a été franchi avec l’adoption de deux directives sur l’égalité de traitement, qui font l’objet du présent projet de loi.

En France, les lois du 16 novembre 2001 relative à la lutte contre les discriminations, du 30 décembre 2004 portant création de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde), du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées ou encore du 31 mars 2006 pour l’égalité des chances ont enrichi la palette des outils juridiques au service de la lutte contre les discriminations.

Enfin, il convient de garder à l’esprit que les lois ne sont pas les seuls instruments juridiques applicables en matière de lutte contre les discriminations : le 11 octobre 2006, les partenaires sociaux ont conclu un accord national interprofessionnel sur la diversité dans l’entreprise, destiné à promouvoir la non-discrimination et l’égalité de traitement en matière de recrutement, d’affectation, de rémunération, de formation professionnelle et de déroulement de carrière et qui sert de fondement à un nombre non négligeable d’initiatives dans les entreprises.

Le bilan établi chaque année par la Halde permet de prendre la mesure des discriminations en France. Rendu il y a un peu moins d’un an, le rapport pour 2006 montre que les matières où existent des discriminations sont encore nombreuses, en dépit des avancées réelles réalisées en matière législative et que les discriminations y sont pratiquées sur des fondements divers. Ainsi, de nombreuses réclamations reçues par la Halde concernent l’emploi (42,87 %) et les services publics (22,45 %). Mais elles touchent aussi les biens et services privés, l’éducation ou le logement. Les premiers chiffres pour 2007 confirment ces tendances.

En outre, l’origine, avec 35,04 % des réclamations, demeure le critère de discrimination le plus souvent évoqué en 2006. Viennent ensuite – par ordre décroissant de fréquence – la santé ou le handicap, l’âge, le sexe, l’activité syndicale, la situation de famille, l’orientation sexuelle, les opinions politiques, la religion et l’apparence physique. Les premiers chiffres disponibles pour 2007 révèlent une augmentation de la proportion des discriminations pratiquées sur le fondement de la santé ou du handicap.

Par ailleurs, une étude publiée en mars 2007 par le Bureau international du travail (BIT) sur les discriminations à raison de l’origine dans les embauches en France a montré que seulement 11 % des employeurs respectent une égalité de traitement lors du recrutement et que 70 % des employeurs favorisent un candidat portant un nom français par rapport à un candidat portant un nom à consonance étrangère.

L’ensemble de ces données montre que la lutte contre les discriminations constitue un objectif aujourd’hui bien établi.

Le présent projet de loi, en assurant la transposition des cinq directives précitées, prend en considération les différentes observations formulées par la Commission européenne dans deux mises en demeure et un avis motivé en 2007. Il ne constitue donc pas, conformément à son intitulé, un texte généraliste sur la question des discriminations. Ses principales dispositions peuvent être ainsi résumées :

– L’article 1er reprend les définitions qui prévalent en droit communautaire de la discrimination directe et de la discrimination indirecte, ainsi que du harcèlement. Le projet de loi énonce notamment, s’agissant des discriminations directes, que les différences de traitement doivent être analysées au regard des situations passées, présentes ou à venir. S’agissant du harcèlement, il en étend la définition aux cas de la survenance d’un seul agissement et au cadre extra-professionnel. En outre, il assimile à la notion de discrimination le fait d’enjoindre à quelqu’un de pratiquer une discrimination.

– L’article 2 précise le champ des discriminations conformément au droit communautaire applicable, qu’il s’agisse de la réaffirmation de l’interdiction des discriminations fondées sur la race ou l’origine ethnique en matière de biens et services, de protection sociale, de santé, d’avantages sociaux et d’éducation ou de l’interdiction des discriminations en matière de travail et d’emploi, quels que soient le sexe, l’appartenance ou la non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race, la religion, l’âge, le handicap, l’orientation sexuelle ou les convictions : en particulier, le présent texte interdit toute discrimination en matière de travail indépendant sur ces fondements, ainsi qu’en matière d’affiliation et d’engagement dans une organisation syndicale et professionnelle, y compris pour les non salariés et dans la fonction publique. Le projet de loi affirme également l’interdiction, de portée générale, de pratiquer des discriminations en raison de la maternité ou de la grossesse, sauf à ce qu’il s’agisse d’en assurer la protection. Il pose enfin l’interdiction, de portée générale également, des discriminations fondées sur le sexe en matière d’accès aux biens et services et de fourniture de biens et services.

– Les articles 2, 6 et 8 détaillent les cas où ces principes de non-discrimination ne font pas obstacle à la mise en œuvre de différences de traitement et procèdent à des modifications au sein du code pénal s’agissant de la liste des discriminations qui ne font pas l’objet de sanctions pénales. En particulier, il ajoute une condition à la mise en œuvre de différences de traitement en matière d’emploi : outre la présence d’une exigence professionnelle essentielle et déterminante, l’objectif à atteindre doit être légitime et le moyen utilisé proportionné.

– Aux termes des articles 3 et 4, les garanties des victimes de discriminations sont renforcées, en particulier dans les situations où des personnes témoignent d’agissements discriminatoires et lorsque les victimes des discriminations intentent une action en justice. Concernant cette dernière question, le projet de loi généralise l’aménagement de la charge de la preuve favorable à la victime, qui existe déjà dans certains cas en droit français.

– L’article 5 permet d’assurer une application aussi large que possible du projet de loi à l’ensemble des personnes de droit privé et de droit public.

– L’article 9 prévoit qu’aucune différence ne peut être fondée sur le sexe pour les cotisations et les prestations versées conformément aux dispositions du code de la mutualité et du code de la sécurité sociale, sauf pour ce qui concerne l’attribution des prestations liées à la grossesse et à la maternité.

Au cours de la discussion des articles, un certain nombre de modifications du texte seront proposées, destinées soit à préciser la portée de ses dispositions, soit à apporter des garanties aux victimes de discriminations, l’ensemble de ces modifications devant bien sûr être effectuées dans le respect des exigences communautaires.

Un débat a suivi l’exposé de la rapporteure.

M. Pierre Morange, vice-président, a souligné l’excellent travail de la rapporteure.

M. Francis Vercamer a indiqué que sa première réflexion porte sur la forme : une fois encore, la France a mis trop de temps pour transposer des directives communautaires. Selon les statistiques de la Commission européenne, la France occupe le dix-septième rang en matière de transposition. Le taux de transpositions non réalisées qu’il est demandé aux États membres de ne pas dépasser est de 1,2 %. Par rapport à cet objectif, on observe que la France est certes passée d’un taux de 2,5 % à un taux de 1,9 %, signe d’une amélioration, mais que ce taux est encore loin de l’objectif retenu au plan communautaire. En outre, le moins que l’on puisse dire est que ce retard est traditionnel.

Il faut ajouter qu’un examen trop rapide des textes législatifs génère des difficultés. Ainsi, les textes ayant transposé les directives communautaires adoptées il y a quelques années sont manifestement imparfaits et c’est pourquoi la Commission européenne a demandé à la France de « retravailler » certaines lois ayant eu pour objet notamment de transposer des normes communautaires, en particulier la loi de 2004 créant la Halde.

Cette précipitation ne permettant pas de travailler dans les meilleures conditions, on ne peut qu’émettre le vœu que la situation s’améliore. Néanmoins, le groupe Nouveau Centre (NC) votera en faveur de ce texte.

Puis, M. Francis Vercamer a rappelé son intérêt de longue date pour la question de la lutte contre les discriminations, et son rôle dans l’adoption de l’article qui a introduit le curriculum vitae anonyme dans la loi. Cependant, l’accumulation des textes en la matière ne suffit pas à résoudre ce grave problème, la lutte contre les discriminations constituant d’abord un état d’esprit et une pratique. C’est en effet l’attitude des décideurs, des entrepreneurs et des syndicats qui fera toute la différence. Ces acteurs doivent reconnaître que la France est synonyme de diversité, que ce soit en termes d’origine, de sexe ou d’état de santé. Tout le monde doit pourvoir exercer son « droit de cité » dans les domaines du logement, de l’emploi, de la santé, …

Il faut insister aussi sur les discriminations liées au handicap et se rappeler que les quotas fixés par le législateur sont loin d’être respectés, en particulier dans les collectivités locales.

Par ailleurs, le vote des lois devrait être plus rapidement suivi de l’adoption des textes permettant leur application effective. Cette exigence est particulièrement impérieuse en ce qui concerne la lutte contre les discriminations. À cet égard, on ne peut que déplorer le fait que la mesure relative au curriculum vitae anonyme n’ait toujours pas fait l’objet d’un décret d’application, malgré l’adoption d’une disposition législative en 2006 qui a été précédée de trois ou quatre années de discussion.

S’agissant de l’accord national interprofessionnel d’octobre 2006 sur la diversité dans l’entreprise, on peut observer que le gouvernement tarde à le reprendre dans un texte législatif. Bref, d’un côté le gouvernement multiplie les dépôts de projet de loi, tandis que de l’autre il tarde à transposer aussi bien les textes européens qu’un accord conclu par les partenaires sociaux. S’agissant de ce dernier point, il aurait pu saisir l’occasion de la discussion du présent projet de loi pour le transposer, mais il ne l’a pas fait.

Dans ces conditions, il faut espérer que l’action législative sera à l’avenir plus cohérente, même si l’on doit se féliciter que le Président de la République ait indiqué qu’il s’attaquera au problème des discriminations.

Enfin, il semble exister une contradiction malheureuse entre la rédaction de l’article L. 122-45 du code du travail et celle de l’article 4 du projet de loi, s’agissant de la question du régime de l’aménagement de la charge de la preuve. Dans le premier texte, il est indiqué que la personne s’estimant victime d’une discrimination « présente » les éléments de fait devant la juridiction compétente, tandis que dans le second il est simplement précisé que cette personne « établit », devant cette juridiction, les faits. Cette différence de rédaction préoccupante fera l’objet du dépôt d’un amendement en vue de son examen lors de la réunion que la commission tiendra en application de l’article 88 du Règlement.

M. Pierre Morange, vice-président, a précisé que cette réunion aura lieu le 25 mars prochain, cette date relativement lointaine permettant aux membres de la commission de préparer tous les amendements qu’ils jugeront nécessaires.

Mme Martine Pinville a souligné que l’examen des textes va beaucoup trop vite. Par conséquent, les parlementaires socialistes n’ont pas eu le temps de préparer des amendements pour la présente réunion de commission. Or la rédaction retenue par le projet de loi examiné aujourd’hui a des conséquences très importantes en droit du travail. Par ailleurs, on légifère dans l’urgence tout en transposant avec retard, ce qui est pour le moins paradoxal.

Si l’état d’esprit des décideurs et des responsables doit effectivement changer, le recours à la loi et à ses décrets d’application est absolument indispensable : c’est ce cadre juridique qui va permettre aux citoyens de se défendre et de faire valoir leurs droits face aux discriminations dont ils sont les victimes.

Le groupe Socialiste, radical, citoyen et divers gauche (SRC) présentera des amendements lors de l’examen du projet de loi en application de l’article 88 du Règlement. Mais on peut d’ores et déjà regretter que le projet de loi ne soit pas codifié, ce qui rendra plus difficile la défense des droits des victimes des discriminations. Par ailleurs, on ne peut que déplorer la disparition, dans le projet de loi, d’une disposition figurant dans l’avant-projet relative au régime des actions en justice exercées par les associations pour lutter contre les discriminations.

M. Pierre Morange, vice-président, a rappelé que l’article 86, alinéa 8, du Règlement de l’Assemblée nationale prévoit un contrôle de la mise en application des lois dans un délai de six mois suivant leur entrée en vigueur. Cette disposition très utile permet d’assurer un suivi effectif de l’application des textes votés par le Parlement.

Saluant la qualité du travail de la rapporteure, d’autant plus remarquable que le délai pour l’examen de ce texte a été bref, M. Frédéric Reiss s’est félicité qu’il soit ainsi procédé – bien que tardivement – à l’adaptation du droit français aux directives communautaires. Faisant part de son expérience au sein de la délégation française à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, il a indiqué que les débats sur ces questions y sont fréquents. Par ailleurs, il semble que le fait que les listes aux élections municipales s’efforcent de rendre compte de la diversité sociale semble mieux accepté en milieu urbain qu’en milieu rural.

Les députés sont souvent saisis des difficultés que rencontrent les salariés victimes de discriminations : indépendamment des procédures judiciaires qu’ils ont engagées, ces salariés constatent qu’ils sont souvent pénalisés lorsqu’ils recherchent un nouvel emploi, dans la mesure où ils se trouvent dans l’obligation de justifier la raison pour laquelle ils ont dû quitter leur précédente entreprise.

M. Jean-Patrick Gille a craint que l’article 2 ne revienne à légitimer un concept de « race » dans lequel il ne se reconnaît pas du tout et s’est inquiété de ce que l’avant-dernier alinéa de cet article rende possible l’organisation d’enseignements distincts suivant le sexe des élèves.

M. Pierre Morange, vice-président, a rappelé que le premier alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 fait également référence à la notion de « race ».

En réponse aux intervenants, la rapporteure a apporté les précisions suivantes :

– On ne peut que se féliciter que l’examen du présent projet de loi permette de rattraper le retard pris dans la transposition des textes communautaires ; en outre, il s’agit en l’espèce de compléter des transpositions déjà effectuées plutôt que de réparer des erreurs.

– La lutte contre les discriminations relève certes avant tout d’un état d’esprit, qui ne saurait être décrété ; il n’en est pas moins important de disposer de textes législatifs et réglementaires dans ce domaine.

– La modification apportée par l’article 4 au régime du mode de preuve en cas d’action en justice ainsi que la non-codification du texte soulèvent effectivement des questions sur lesquelles la suite des travaux, en commission puis en séance publique, donnera certainement l’occasion de revenir.

– Le terme de « race » figure déjà dans la loi de 2004 relative à la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité ainsi que dans la directive communautaire 2000/43 du 29 juin 2000.

– Les enseignements séparés selon le sexe des élèves peuvent par exemple être envisagés en matière d’éducation physique et sportive.

La commission a ensuite procédé à l’examen des articles du projet de loi.

Article 1er : Définitions

La commission a adopté trois amendements de la rapporteure, le premier tendant à supprimer une disposition dépourvue de véritable portée normative, les deux autres introduisant des clarifications rédactionnelles.

Puis elle a adopté l’article 1er ainsi modifié.

Article 2 : Régime de l’interdiction des discriminations

La commission a adopté quatre amendements présentés par la rapporteure :

– le premier rétablissant l’ordre de la liste des motifs de discrimination conformément à celui de la directive 2000/78 ;

– le deuxième reprenant les notions de conditions de travail et de promotion professionnelle, que la directive 2002/73 mentionne expressément, dans la liste des matières dans lesquelles sont interdites les discriminations ;

– le troisième incluant, conformément aux termes des directives, le congé de maternité parmi les discriminations interdites en raison de la grossesse ou de la maternité ;

– le quatrième assurant une meilleure lisibilité rédactionnelle du régime des différences de traitement admises en matière d’accès aux biens et services ainsi que de fourniture de biens et services et procédant à la suppression d’une référence inutile.

La commission a adopté l’article 2 ainsi modifié.

Article 3 : Protection contre les rétorsions

La commission a adopté deux amendements de la rapporteure, le premier étendant la protection contre les rétorsions en matière de discrimination aux cas où serait intervenue une seule discrimination, le second de nature rédactionnelle.

Puis elle a adopté l’article 3 ainsi modifié.

Article 4 : Aménagement des règles de charge de la preuve en matière de discriminations

La commission a adopté l’article 4 sans modification.

Article 5 : Champ d’application du projet de loi

La commission a adopté un amendement de précision de la rapporteure puis l’article 5 ainsi modifié.

Article 6 : Régime des discriminations dans le code du travail

La commission a adopté un amendement de la rapporteure coordonnant le texte de cet article avec celui du quatrième alinéa de l’article 2, qui prévoit que les différences de traitement en matière de travail et d’emploi ne seront désormais possibles qu’à la double condition qu’elles répondent à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et pour autant que l’objectif est légitime et l’exigence proportionnée.

La commission a adopté l’article 6 ainsi modifié.

Article 7 : Mesures de coordination dans le nouveau code du travail

La commission a adopté deux amendements de coordination de la rapporteure : l’un rattachant à l’article L. 1134-1 du code du travail relatif aux actions en justice la notion de discrimination directe et indirecte telle que définie par le projet de loi ; l’autre procédant, dans le nouveau code du travail, à la modification du code du travail aujourd’hui en vigueur proposée à l’article 6 du projet de loi s’agissant de la double condition nécessaire pour pouvoir pratiquer des différences de traitement en matière de travail et d’emploi.

La commission a adopté l’article 7 ainsi modifié.

Article 8 : Modification de la liste des discriminations ne donnant pas lieu à des sanctions pénales

La commission a adopté un amendement rédactionnel de la rapporteure puis l’article 8 ainsi modifié.

Article 9 : Interdiction des discriminations en matière de mutualité et de prévoyance

La commission a adopté l’article 9 sans modification.

Article 10 : Coordination

La commission a adopté l’article 10 sans modification.

Article 11 : Régime applicable outre-mer

La commission a adopté un amendement de la rapporteure, procédant à la suppression d’une disposition manifestement redondante, puis l’article 11 ainsi modifié.

Puis la commission a adopté l’ensemble du projet de loi ainsi modifié.

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Information relative à la commission

La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a désigné M. Jean Leonetti, rapporteur sur la proposition de loi relative à la journée de solidarité, sous réserve de son dépôt.