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Compte rendu

Commission des affaires culturelles, familiales et sociales

Mardi 1er avril 2008

Séance de 17 heures 30

Compte rendu n° 32

Présidence de Pierre Méhaignerie Président puis de Jean-Pierre Door Secrétaire

– Audition, ouverte à la presse, de M. Xavier Darcos, ministre de l’éducation nationale, sur les nouveaux programmes de l’école primaire 2

La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a procédé à l’audition, ouverte à la presse, de M. Xavier Darcos, ministre de l’éducation nationale, sur les nouveaux programmes de l’école primaire.

Le président Pierre Méhaignerie : Monsieur le ministre, je vous remercie de venir présenter à la commission des affaires culturelles les programmes de l’école primaire qui se mettront en place à la rentrée 2008. Notre commission ne peut qu’être intéressée par l’enseignement dispensé à plus de six millions d’élèves : en effet, tout ou presque commence à l’école primaire.

Ce sont, à mes yeux, de bons principes qui ont guidé l’élaboration des nouveaux programmes. Les modalités d’application sont aujourd'hui soumises au débat. Quelles suites donnerez-vous à celui-ci ?

Par ailleurs, en quoi les nouveaux programmes contribueront-ils à réduire l’échec à l’école primaire ? Après les constats du Haut Conseil de l’éducation, une évolution paraît fondamentale pour l’avenir du pays.

Monsieur le ministre, nous sommes impatients de vous entendre.

M. Xavier Darcos, ministre de l’éducation nationale : Je suis très heureux de présenter à la commission compétente non seulement les nouveaux programmes, mais plus généralement la manière dont nous envisageons la réforme de l’école primaire.

Lieu où se font les premiers apprentissages, celle-ci a une place toute particulière dans l’histoire de la nation. Dès son origine, elle a été considérée comme un moyen de lutter contre les inégalités sociales et les disparités territoriales en offrant à chacun, autant qu’il était possible, les moyens de son instruction et de son insertion. C’était l’idéal de Jules Ferry, c’est toujours le nôtre. Ce n’est pas un hasard si les années 1880 ont vu naître en même temps une conception de l’école primaire et une conception de la nation. De ce point de vue, Jules Ferry et Ernest Renan sont en quelque sorte comparses.

Les études actuelles mettent en évidence une accentuation de l’échec scolaire, avec 15 % d’élèves en très grande difficulté au sortir de l’école primaire. Pis, cet échec est corroboré par des déterminants sociaux très forts : parmi les élèves en situation d’échec, seulement 3 % sont enfants d’enseignants et 7 % de cadres de supérieurs, tandis que plus de 45 % sont enfants d’inactifs.

En outre, les comparaisons internationales – dont on ne saurait contester l’objectivité et auxquelles participent, du reste, des chercheurs français – ne nous sont pas favorables. Si nous avons perdu de nombreuses places ces dernières années, c’est principalement parce qu’il existe en France plus d’élèves en très grande difficulté que dans d’autres pays développés comparables. Nous sommes ainsi très mal classés dans l’enquête PIRLS (progress in international literacy study), qui a évalué dans une quarantaine de pays les compétences de compréhension écrite et orale chez les enfants de 10 à 11 ans. Dans le classement PISA (programme for international student assessment), qui concerne les élèves à la sortie du lycée, nous perdons également des places de manière régulière.

Nos observations internes confirment cette tendance. Une récente comparaison entre les compétences des élèves de 1987 et de 2007 sur une dictée de six lignes assez simple, a montré une augmentation sensible du nombre d’enfants commettant des fautes massives : en 2007, 25 % des élèves font plus de quinze fautes ; 63 % d’entre eux orthographiaient correctement l’adverbe « certainement » en 1987, ils sont moins de 46 % aujourd'hui.

Il ne s’agit pas de jeter la pierre à qui que ce soit. Les professeurs des écoles ont fait leur métier dans un contexte difficile. Ce que nous souhaitons, c’est qu’une prise de conscience permette à l’école primaire de se ressaisir et de conjurer l’échec scolaire. Nos objectifs sont très ambitieux : diminution par deux du taux de redoublement et par trois du nombre d’élèves en situation d’échec important.

Pour les atteindre, la première chose est de réorganiser le temps scolaire. Les deux heures libérées le samedi sont maintenues dans le service des enseignants, qui doivent toujours vingt-sept heures dont vingt-six en présence des élèves. Elles seront consacrées au travail en petit groupe avec les élèves les plus en difficulté. Il ne s’agira pas forcément de cours supplémentaires, mais d’un temps particulier permettant d’établir une relation plus favorable à leur progression. Une petite partie du temps libéré sera d’ailleurs consacrée aux contacts avec les familles ou les éducateurs. D’autre part, un accompagnement éducatif après la classe – qui ne se réduira pas à l’étude, mais comportera aussi des activités culturelles et sportives – sera mis en place dans tous les collèges à partir de la rentrée prochaine. Enfin, nous organisons dès les vacances de printemps des stages hebdomadaires de trois heures de mathématiques ou de français par jour pour les élèves de CM1 et de CM2 qui en ont besoin.

Bref, nous essayons de donner à tous ce que seuls les riches s’offrent aujourd'hui. Lorsque leur enfant est en difficulté, les parents aisés lui paient des cours ou lui achètent toutes sortes de méthodes et de livres. Cela nous souhaitons que l’école l’offre à tous. L’école doit être à elle-même son propre recours.

Je me réjouis du succès rencontré d’ores et déjà par les stages des vacances de printemps, que nous mettons actuellement en place pour la zone B : il y a plus d’élèves
– environ 10 % – et de professeurs volontaires que nous ne l’avions prévu.

Outre la réorganisation du temps scolaire, il nous faut disposer d’un meilleur système d’évaluation. J’ai toujours dit à mes collègues professeurs des écoles que je ne souhaitais pas m’ériger en évaluateur des méthodes. Évitons les querelles inutiles : la bonne méthode, c’est celle qui marche. Les professeurs eux-mêmes changent de méthode en fonction de la classe qu’ils ont. Il serait vain de brandir une doctrine que l’on chercherait à appliquer à tout prix. C’est pourquoi j’ai fait reculer les théories méthodologiques au profit des évaluations de résultats.

Certains nous ont reproché de formuler, dans ces nouveaux programmes, des items très précis. Il est pourtant plus rassurant pour tout le monde de savoir quels doivent être les connaissances et les acquis d’un enfant en fin d’année, et comment les évaluer précisément. De ce point de vue, nous souhaitons que l’inspection évolue. J’ai rencontré tous les inspecteurs de l’éducation nationale de France pour leur redire que leur métier devait consister à évaluer plus les élèves que les enseignants, ce qui suppose qu’ils se tiennent devant la classe plutôt qu’au fond. Des systèmes d’évaluation ont été instaurés en CE1 et en CM2. Pour le CM2, l’évaluation aura lieu à la fin du premier trimestre ou au début du second, de manière à inciter les élèves dont les difficultés auront été repérées à participer aux stages organisés aux vacances de printemps, au début du mois de juillet et à la fin du mois d’août.

Enfin, nous avons estimé qu’il fallait revoir les programmes. Il ne s’agit en aucun cas d’engager une polémique au sujet des programmes précédents, dont je ne suis pas l’auteur
– ils ont été rédigés en février 2002, en particulier par mon ami Philippe Joutard – mais qui ont été publiés dans une période où j’étais membre du gouvernement. Ils procédaient d’intentions pédagogiques tout à fait louables. Toutefois, six ans après, on peut se demander s’ils ne traduisent pas une confiance un peu trop grande dans la capacité de tous les élèves à accéder au savoir par imprégnation. Je souscris, bien entendu, à l’idée généreuse selon laquelle les élèves doivent se sentir bien pour construire une sorte de désir d’apprendre, mais je constate qu’elle n’est pas complètement opératoire pour les enfants qui connaissent les plus grandes difficultés : il leur faut des mécanismes, des choses simples, et il faut que les familles comprennent ce qui leur est dit et quels sont les enjeux.

Nous avons donc beaucoup insisté sur les deux outils fondamentaux de tout savoir : le langage écrit et oral et le langage mathématique. Les nouveaux programmes, rédigés de façon aussi claire et accessible que possible, sont brefs : trente-quatre pages, contre cent pour les précédents, qui étaient accompagnés d’un document de plus de mille pages écrit dans une langue réservée aux enseignants. Le temps consacré à l’enseignement du français est augmenté – dix heures en cycle 2 et huit heures en cycle 3 –, de même que celui de l’éducation physique et sportive, conformément à l’engagement du Président de la République.

L’objectif est de revenir à un consensus entre la famille et l’école sur la manière dont les programmes sont organisés. Il est actuellement difficile, pour les parents, de suivre l’apprentissage de leurs enfants. La grammaire, le vocabulaire, l’orthographe, la récitation, la rédaction, réapparaissent donc de façon explicite, non par nostalgie mais parce qu’ils font partie d’une culture commune comprise par tous. Au demeurant, le parascolaire, qui représente un marché considérable et vers lequel les parents se tournent en cas de difficulté, ne fait rien d’autre que proposer les méthodes d’autrefois.

Nous encourageons également le calcul mental, ou encore, en histoire, l’apprentissage obligatoire de repères chronologiques : quelques grandes dates et quelques grands personnages doivent faire apparaître plus nettement les jalons de l’histoire de France. Les nouveaux programmes font désormais explicitement référence à la traite des Noirs et à l’esclavage, ainsi qu’à l’extermination des Juifs et des Tziganes par les nazis.

D’autres formes de connaissance sont introduites, à commencer par une initiation à l’histoire des arts au moyen d’exemples précis : qu’est-ce qu’un vitrail, qu’est-ce qu’une ogive, comment est organisé un château, qu’est-ce qu’un tableau... ? Ainsi les enfants pourront comprendre le patrimoine qui les entoure. De même, une éducation au développement durable est intégrée à la fois au programme de géographie et au programme de sciences du cycle 3.

Le dernier changement concerne l’introduction de l’instruction civique et morale, thème sur lequel j’ai été bien injustement brocardé. Les enfants doivent pouvoir parler en classe des valeurs, des principes et des règles qui organisent les relations sociales, depuis les règles élémentaires de civilité jusqu’à celles qui organisent la vie démocratique. Cette instruction civique revêt une valeur morale au sens le plus latin du terme – l’étude des mœurs, de la façon dont on vit ensemble. Nous avons aussi souhaité que les symboles de la République française et de l’Union européenne soient inclus dans ce programme.

Je le répète, cette rénovation des programmes ne doit pas être dissociée de notre projet de relecture complète de l’organisation de l’école primaire. Les nouveaux programmes sont actuellement soumis à l’examen des professeurs des écoles. Nous tiendrons évidemment compte des remarques, critiques ou intéressées, qui auront été formulées. On nous a fait remarquer à juste titre que le cinéma est absent de l’histoire des arts, que l’étude du plus-que-parfait et du futur antérieur n’est pas primordiale en CM1 et CM2, ou encore qu’il est peut-être prématuré d’apprendre la division à deux chiffres en CE1. Tout cela peut être corrigé. Il n’en reste pas moins que notre préoccupation principale est la lisibilité, le retour à ces mécanismes donnant à l’enfant des automatismes et permettant d’évaluer la progression à partir d’items objectifs. C’est de cette façon que nous rendrons service à tous, et singulièrement aux familles les moins accoutumées au milieu scolaire.

Un débat a suivi l’exposé du ministre.

M. Benoist Apparu : Nous devons affronter deux phénomènes concomitants : une baisse du niveau des élèves, démontrée par les enquêtes internationales, et un décrochage toujours plus important des 15 % d’élèves les plus en difficulté. Comme vous l’avez dit, Monsieur le ministre, ce décrochage est fonction du niveau social, ce qui remet fondamentalement en cause le pacte républicain. À cette situation, le gouvernement apporte deux réponses adaptées : la réorganisation du temps scolaire et la réforme des programmes.

J’insiste à mon tour sur l’accompagnement après l’école – les deux heures chaque soir qui seront généralisées l’année prochaine –, sur les stages complémentaires au cours des vacances scolaires, qui permettront de « raccrocher » les élèves les plus en difficulté, et sur les deux heures du samedi matin.

Pour ce qui est de la réforme des programmes, permettez-moi de citer un extrait d’un des précédents programmes de français : « Pour pouvoir identifier les mots par la voie indirecte, les élèves de l’école élémentaire, qui ont commencé à comprendre la manière dont fonctionne le code alphabétique, doivent mémoriser les relations entre graphème et phonème et apprendre à les utiliser. À la fin du cycle des apprentissages fondamentaux, les élèves doivent utiliser de manière privilégiée la voie directe. Cet accès direct suppose que les élèves aient mémorisé la forme orthographique de très nombreux mots. (…) La conjugaison : à partir de l’observation des variations morphologiques du verbe, repérage, explicitation, puis mémorisation des règles d’engendrement des formes les plus fréquentes », etc.

M. Patrick Roy : C’est parfaitement clair !

M. Benoist Apparu : Tant mieux pour vous, mon cher collègue, mais je serais curieux de savoir quel pourcentage de Français peut comprendre ce vocabulaire – à moins que vous ne considériez que seuls les enseignants doivent en être capables ! Nous estimons pour notre part que tous les parents doivent comprendre les programmes. Une plus grande lisibilité est donc souhaitable, car l’école primaire de demain ne se fera pas sans l’accompagnement des parents et chacun sait que les élèves les plus en difficulté sont précisément les moins accompagnés. Rappelons en effet que 45 % des enfants d’inactifs sont en grande difficulté.

Aux anciens ministres de l’éducation nationale qui ont critiqué ces textes, on objectera de façon pragmatique que les programmes de 2002 n’ont pas atteint les deux objectifs fixés : relever le niveau moyen et lutter contre l’échec scolaire. La réforme actuelle était donc nécessaire, même si elle n’est pas, en soi, une réponse définitive à l’échec scolaire.

À cet égard, j’aimerais savoir quelle sera précisément l’utilisation des deux heures du samedi matin. Le calcul se fera-t-il par annualisation du temps de travail ou de façon strictement hebdomadaire ? Quels élèves en bénéficieront ?

Le président Pierre Méhaignerie : Une vingtaine d’intervenants étant inscrits, je vous invite, mes chers collègues, à concentrer votre propos sur des questions précises.

M. Yves Bur : Je me réjouis que l’on ait enfin le courage de regarder la réalité en face. Le rapport remis par le Haut Conseil de l’éducation en septembre a constitué une première. Auparavant, c’était le collège qui était considéré comme le maillon faible du système éducatif. Or l’échec scolaire se concrétise dès la maternelle et le primaire. Un tabou a été levé.

Les évaluations internationales ont suscité des débats profonds dans de nombreux pays. Le classement médiocre de l’Allemagne a provoqué une véritable mobilisation nationale. J’espère qu’il en ira de même en France. Pensez-vous, Monsieur le ministre, que tous les acteurs de l’école sont conscients des enjeux soulevés par l’évolution préoccupante du niveau scolaire de nos enfants ? Pour ma part, j’ai eu le sentiment que ces sujets heurtent encore quelque peu les enseignants.

Par ailleurs, quel peut être le rôle des communes, qui sont les partenaires de l’éducation nationale pour la maternelle et le primaire, dans la lutte contre les difficultés et l’échec scolaires ? Sachant qu’elles ont les enfants en charge durant le temps périscolaire et dans le cadre de la vie associative, de nouveaux partenariats pourraient être développés.

M. Yves Durand : Monsieur le ministre, je vous félicite pour le bon sens apparent de votre présentation. Vos propos donnent en effet l’impression de tomber sous le sens et il nous faudrait les prendre pour argent comptant, voire les accepter comme pain bénit. Pourtant, ils recèlent un vrai problème de conception de l’école.

Vous admettez que le principal problème de l’école élémentaire n’est pas le niveau général, qui est plutôt bon et tend même à s’élever, mais celui des 15 % d’élèves en grande difficulté, essentiellement pour des raisons sociales et familiales. Plutôt que de se contenter de changer les choses par une régression pédagogique, il vaudrait mieux s’attaquer à ces raisons sociales. La question des moyens, notamment dans les ZEP et les lycées professionnels, se pose ainsi avec acuité.

Une question de méthode se pose également : alors que nous sommes, dites-vous, en pleine concertation, les livres sont-ils déjà prêts chez les éditeurs pour la rentrée de septembre prochain ?

Pour en revenir au fond, les enquêtes PIRLS et PISA révèlent que le décrochage des élèves français par rapport aux autres élèves des pays industrialisés ne tient pas à leur capacité à apprendre par cœur ou à la somme des connaissances acquises, mais à leur capacité à réfléchir sur ces connaissances et à être autonomes. La réforme que vous imposez va à l’inverse de ce constat, puisque vous voulez développer des « mécanismes » et des « automatismes ». Je conviens qu’il faut avoir des connaissances pour exercer son esprit critique mais, pour l’avoir enseignée, je sais fort bien que le fait de connaître par cœur la chronologie ne rend pas forcément apte à réfléchir sur l’histoire.

Vous souhaitez que les enfants en difficulté bénéficient d’horaires plus importants que les autres. Pour moi, la vraie question est de savoir pourquoi l’école est incapable d’appliquer, à l’intérieur du temps scolaire, une pédagogie personnalisée pour ces élèves en voie de déscolarisation. En effet, pourquoi vouloir faire de l’école en dehors du temps scolaire ? Cette contradiction laisse présager un échec.

De plus, votre conception de l’évaluation inquiète beaucoup les enseignants : c’est la porte ouverte à la mise en concurrence des écoles élémentaires, à l’instar de ce qui s’instaure à l’Université.

Vous qualifiez d’excellents et d’ambitieux les programmes de 2002. Pourquoi imposer en catimini ces nouveaux programmes pour la rentrée prochaine ? N’est-ce pas faire une concession coupable, sinon à un certain « populisme scolaire », du moins à l’air du temps ? De toute façon, la réorganisation des horaires devra tenir compte des 11 200 postes que vous avez supprimés et de ceux que vous allez continuer à supprimer.

M. Xavier Darcos, ministre de l’éducation nationale : Le primaire n’est pas concerné.

Mme Monique Boulestin : Vous avez adressé ces nouveaux programmes aux enseignants « pour consultation », Monsieur le ministre, et vous avez convenu que certains points pouvaient être modifiés çà et là. Mais leur inquiétude porte avant tout sur la philosophie qui sous-tend ces textes. Comment tiendrez-vous compte de cette inquiétude dès la rentrée prochaine, avant la parution des manuels ?

M. Bernard Perrut : Ces programmes plus courts et plus clairs marquent une ambition retrouvée pour l’école primaire.

Sur le terrain, le vrai problème est celui de l’égalité des chances. Comment établir des passerelles avec les politiques menées dans les villes et les quartiers, au travers notamment des réseaux ambition réussite ou des plans de réussite éducative ? Car, on le voit bien, nos villes, nos écoles et nos enfants sont différents. Je compte lancer dans ma ville un plan de réussite éducative en l’adaptant à chaque école. S’il convient d’appliquer des programmes et des règles valant pour l’ensemble de l’éducation nationale, il faut aussi adapter avec souplesse nos pratiques d’accompagnement des élèves aux réalités du terrain.

M. Frédéric Reiss : Je vous remercie, Monsieur le ministre, d’avoir tenu votre engagement de consulter la représentation nationale sur ces nouveaux programmes. En tant que rapporteur pour avis des crédits de l’enseignement scolaire, je suis très sensible à cette démarche qui témoigne de la bonne coopération entre le Parlement et le Gouvernement.

Je souhaiterais avoir des précisions sur la façon dont vous avez organisé la consultation des enseignants et sur les échéances prévues. Les critiques relatives à l’élaboration de ces textes me semblent d’autant plus déplacées que, en 2005, la loi Fillon que j’avais eu l’honneur de rapporter avait supprimé le Conseil national des programmes, dont les travaux avaient fait l’objet de critiques pour leur opacité. Les programmes proposés aujourd'hui sont lisibles, cohérents, compréhensibles par tous. Quelle méthode avez-vous suivie pour leur élaboration ?

Le président Méhaignerie a souligné l’utilité du rapport du Haut Conseil de l’éducation sur l’école primaire. Il faut tout mettre en œuvre que baisse significativement le nombre d’élèves qui sortent du CM2 avec de graves lacunes. À cet égard, comment le socle commun de connaissances et de compétences défini dans la loi Fillon est-il décliné dans les nouveaux programmes ?

Ayant moi-même enseigné les mathématiques, je conviens avec vous que les exercices de division prévus pour les élèves de CE1 sont un peu trop ambitieux.

Enfin, je souhaite que, de la maternelle au CM2 mais aussi au collège et au lycée, les programmes rappellent que l’élève doit se respecter, respecter les autres et respecter les règles de la vie collective.

Mme Sandrine Mazetier : Beaucoup de choses ayant été annoncées, il me semble légitime, Monsieur le président, que chacun puisse s’exprimer aussi longtemps qu’il le souhaite.

Monsieur le ministre, vous appelez de vos vœux un consensus entre l’école et les familles, mais le seul consensus que suscite votre réforme est le rejet, la stupéfaction et l’inquiétude de toute la communauté éducative – et pas seulement de deux anciens ministres de l’éducation nationale, si brillants soient-ils.

Nous ne comprenons pas pourquoi, tout en soulignant l’importance des déterminants sociaux dans l’échec scolaire, vous supprimez deux heures d’enseignement sur tout le territoire alors que les difficultés des élèves se concentrent dans certaines zones et dans certains établissements où ce ne sont pas 15 %, mais 40 à 60 % d’enfants qui ont de graves lacunes en sortant du CM2. Comment entendez-vous résoudre cette équation ?

En outre, l’objectif d’un programme est-il vraiment d’être lisible par tout un chacun ? N’est-il pas plutôt de donner un contenu que les enseignants transmettront par les méthodes qui leur paraîtront les plus appropriées ? Le fait que M. Apparu comprenne les nouveaux programmes n’est, de ce point de vue, guère rassurant !

Mais ce qui inquiète surtout, c’est le caractère mécanique des apprentissages que vous préconisez. On dirait la « Cerebral Academy » du professeur Kawashima sur Nintendo DS, élargie à l’ensemble du système éducatif élémentaire. Il s’agira désormais de réciter par cœur des chiffres, des dates, etc. Cette conception fait peu de cas des chemins d’apprentissage, de la curiosité intellectuelle de l’enfant et de la septième grande compétence du socle commun : l’autonomie et l’esprit d’initiative. Or c’est bien de cela que manquent cruellement les élèves, les évaluations internationales en témoignent.

L’introduction de l’instruction civique et morale avait été annoncée le 15 février par Nicolas Sarkozy, dans son mémorable discours de Périgueux : « Cette instruction civique et morale prévoit notamment l’apprentissage des règles de politesse, la connaissance et le respect des valeurs et des emblèmes de la République. » Le 23 février, au Salon de l’agriculture, le Président de la République s’adressait à un citoyen qui refusait de lui serrer la main dans les termes suivants, qui ont fait le tour de la planète : « Casse-toi alors, pauvre con ! » On ne peut dire que le premier des républicains que devrait être le Président de la République ait offert là un modèle d’instruction civique et morale !

M. Jean-Pierre Door : Ce n’est pas très mesuré !

Mme Sandrine Mazetier : Pas plus que le discours de Périgueux, pas plus que l’inspiration de cette réforme ! Pourquoi vous employez-vous, Monsieur le ministre, à la faire passer dans l’urgence, si ce n’est par revanche idéologique et par manière de clin d’œil à une partie de votre électorat, sans que cela vous ait d’ailleurs épargné la défaite aux élections municipales et cantonales ?

M. Xavier Darcos, ministre de l’éducation nationale : Comme l’a rappelé M. Frédéric Reiss, la loi Fillon a supprimé le Conseil national des programmes. Le ministre de l’éducation nationale est donc obligé d’inventer un nouveau dispositif d’élaboration, d’une part en s’appuyant sur les préconisations du Haut Conseil de l’éducation, d’autre part en organisant un groupe de travail placé sous l’autorité du directeur général de l’enseignement scolaire et d’un membre de mon cabinet, M. Mark Sherringham, normalien, agrégé de philosophie et ancien directeur d’Institut universitaire de formation des maîtres (IUFM). Ces programmes n’ont pas été rédigés sur un coin de table dans un esprit de « revanche idéologique », pour reprendre les termes de Mme Mazetier. Leur élaboration a été lente. Elle a associé des inspecteurs généraux, des spécialistes, des savants – tels M. Antoine Compagnon, professeur au Collège de France, M. Pierre Léna, ancien président de l’Académie des sciences, Mme Marie-Christine Bellosta, professeur à l’École normale supérieure –, dont les points de vue idéologiques sont parfois très éloignés des miens. Il est tout de même difficile de contester la compétence de notre inspection générale de l’enseignement primaire ! S’il s’agit, pour ainsi dire, d’un travail de cabinet, c’est que nous avons voulu gagner du temps.

Je ne comprends pas le procès que vous me faites, madame Mazetier. Je suis à des années-lumière de la revanche idéologique : je m’efforce, avec mon expérience assez ancienne de l’école, de trouver ce qui marche.

Dans une deuxième étape, nous diffusons une première mouture du texte, conformément aux engagements que j’avais pris et à ce que le Président de la République avait évoqué dans sa Lettre aux éducateurs, et nous consultons la représentation nationale. Est-ce plus obscur que le travail du Conseil national des programmes qui œuvrait à bas bruit ? J’estime pour ma part que nous avons suivi une méthode honorable.

S’agissant des manuels, monsieur Durand, nous avons associé les éditeurs à notre réflexion. Lorsque le nouveau dispositif sera arrêté, soyez certain qu’ils sauront réagir pour fabriquer et vendre leurs livres à temps.

On me reproche de revenir subitement à des idées anciennes, mécanistes, simplistes, et d’ignorer l’apprentissage par imprégnation, la liberté, le bonheur d’apprendre… J’en ai discuté longuement avec des amis qui ne partagent pas mon avis, notamment Philippe Meirieu, avec qui j’ai écrit un livre. Mais la France ne fait pas autre chose que ce qu’ont fait presque tous les autres pays européens ces deux dernières années ! En Norvège, le dispositif intitulé Knowledge Promotion Reform, mis en application à la rentrée 2006, est quasi identique. Les Pays-Bas ont publié en 2006 un Revised Primary Education Act qui a redéfini les domaines de connaissance. Il en va de même pour le Portugal, le Royaume-Uni, la Communauté française de Belgique… Tous ces pays sont arrivés aux mêmes constatations que nous. On peut critiquer notre démarche mais on ne peut nous accuser de suivre une sorte de tactique idéologique. Nous avons essayé d’avancer de bonne foi.

Vous ne pouvez pas dire non plus, madame Mazetier, que la communauté éducative est toute entière contre le projet. De plus, l’étude détaillée que nous menons conjointement avec la SOFRES sur tout le territoire et dans tous les milieux sociaux révèle un très large consensus des familles et de l’opinion sur ces programmes. La raison première en est, selon moi, que tout le monde comprend enfin de quoi il s’agit. Ce n’est pas négligeable !

M. Yves Durand : On ne refait pas l’école avec des sondages !

M. Xavier Darcos, ministre de l’éducation nationale : Il est faux de soutenir que l’opinion publique est contre. Certes, la communauté éducative s’interroge – pour des raisons diverses, au demeurant, et sans doute non exemptes d’idéologie –, mais on ne peut parler de refus complet.

On a beau ironiser sur ce point, je considère comme essentiel que les parents comprennent les enjeux de ce qui s’apprend à l’école. L’école de la nation s’est construite sur le consensus école-famille. Le corpus scolaire pouvait être discuté, mais il était partagé par toutes les familles, de quelque milieu et de quelque endroit qu’elles fussent. C’est ce qui permettait souvent aux parents de s’associer à la progression scolaire.

M. Benoist Apparu a demandé comment s’organisent les deux heures hebdomadaires libérées. Nous avons divisé les cent huit heures globales en vingt-quatre heures pour les relations avec la famille, le travail en équipe, l’examen des cas difficiles, soixante heures pour le travail en petit groupe, dix-huit heures de formation continue et six heures pour le conseil des maîtres. Un protocole d’accord a été signé sur ce sujet avec les principaux syndicats du premier degré.

On me reproche aussi, généralement sur ma droite mais aussi sur ma gauche, la régression que représenterait le passage de vingt-six à vingt-quatre heures. Pourtant, il est notoire que les élèves français, par comparaison avec les élèves de tous les pays du monde, ont trop d’heures, à l’école primaire comme au collège et au lycée. Chacun sait qu’il n’y a pas de corrélation entre la réussite scolaire et le nombre d’heures passées à l’école. Du reste, pour les élèves en difficulté, nous ajoutons des heures d’enseignement dispensées par les maîtres eux-mêmes dans le cadre des études surveillées après la classe (quatre fois deux heures). Je le répète, nous offrons gratuitement ce que les riches se paient hors de l’école. On ne peut être opposé à cela, surtout lorsque l’on connaît l’importance du marché du parascolaire !

M. Yves Durand : Vous reconnaissez vous-même, à juste titre, que les horaires sont trop importants…

M. Xavier Darcos, ministre de l’éducation nationale : Les horaires en classe, pas ceux consacrés à l’accompagnement éducatif.

M. Yves Durand : Pourquoi une pédagogie personnalisée à l’intérieur du temps scolaire n’aurait pas les résultats que vous prétendez obtenir pour des enfants déjà surchargés. Vous êtes en pleine contradiction !

M. Xavier Darcos, ministre de l’éducation nationale : Pas du tout. Les activités proposées dans le cadre de l’accompagnement éducatif sont tout autres que celles de la classe. Les élèves sont dans l’école plutôt que dans la rue, les professeurs les connaissent mieux, ils font des détours pour revenir à l’essentiel. Vraiment, je ne comprends pas que l’on puisse être contre !

Les nouveaux programmes opèrent un recentrage sur des connaissances et des compétences qui s’inscrivent dans la perspective du socle commun car il n’était pas question de rompre avec cette très belle idée qu’est la maîtrise, en fin de scolarité, de connaissances, de capacités et d’aptitudes en français, en mathématiques et en sciences. Nous les avons d’ailleurs explicitement présentées et c’est bien dans ce contexte que les programmes ont été pensés.

Monsieur Perrut, outre les réseaux ambition réussite organisés par l’école elle-même, les collectivités territoriales ont elles aussi pris des initiatives dans le cadre des contrats urbains de cohésion sociale ou des contrats éducatifs locaux. Nous avons par ailleurs demandé aux inspecteurs de l’Éducation nationale et aux inspecteurs d’académie de nouer des contacts très étroits avec les communes de manière à ce que ces dispositifs soient pérennisés ou améliorés, l’État pouvant prendre le relais de certaines communes.

Monsieur Durand, je rappelle qu’aucun moyen ne sera enlevé au premier degré mais que 840 postes seront créés lors de la rentrée prochaine alors que, dans les vingt dernières années, 12 000 postes avaient été créés malgré une diminution de 200 000 élèves. Il n’est pas convenable de prétendre que la pression résultant de la suppression d’emplois, qui est réelle, s’exerce à ce niveau alors que nous avons précisément décidé de privilégier les écoles primaires. De surcroît, ce n’est pas PIRLS mais PISA qui assure que les enfants doivent être plus autonomes. Si les adolescents de 16 ans doivent apprendre à construire leur savoir – la terminale les préparant mal au travail universitaire – les enfants doivent tout d’abord acquérir un certain nombre d’automatismes et de mécanismes.

Outre que Mme Mazetier semble considérer que cette méthode est rétrograde et ennuyeuse, dire que les programmes seraient exclusivement fondés sur l’acquisition de ces automatismes est caricatural. Les enfants doivent certes apprendre par imprégnation, goût, expérience et sensibilité, mais nous croyons que dans un univers où la confusion entre le réel et le virtuel est de plus en plus grande, il est important pour les enfants d’acquérir un certain nombre de mécanismes, de même qu’il faut défendre l’apprentissage par cœur.

Mme  Monique Iborra : M. Philippe Joutard estime que « ces projets de programmes sont infaisables, déraisonnables et finalement peu exigeants ». Il conseille également de se référer aux évaluations internationales montrant que les élèves français manquent de confiance en eux, n’aiment pas prendre de risques et ne laissent pas assez libre cours à leur imagination. À cela, le ministère répond, selon ce spécialiste, par le développement des techniques et non par celui de la créativité.

Dans ma circonscription, des parents d’élèves, des lycéens et des enseignants occupent en ce moment même un établissement scolaire. Lorsque l’on veut mener des réformes aussi ambitieuses que les vôtres, Monsieur le ministre, comment laisser se développer un climat aussi délétère ? Comment pouvez-vous ignorer ce contexte ? Il est incompréhensible d’avoir une approche exclusivement comptable de ces questions. Dans la région Midi-Pyrénées, 230 postes sont autoritairement supprimés par le recteur alors que le nombre d’élèves augmente de 530. Il est essentiel de rétablir un climat de confiance et de sérénité quand on veut mener les réformes que vous proposez.

M. Patrick Roy : Certes, il est important de lutter contre l’échec scolaire, mais M. le ministre n’est pas le premier à le dire. Il est vrai aussi que tout se joue dès les premières années. Enfin, les programmes ne sont jamais révolutionnaires : quoi qu’on en dise, notamment du côté des ministres, ils résultent plutôt d’adaptations et de modifications, c’est encore le cas cette fois.

Les 15 % d’élèves en grande difficulté sont une moyenne. Dans certains endroits, on atteint 50 % ! Répondre vraiment à cet échec de masse suppose des moyens conséquents. Or je crains que les mesures envisagées par M. le ministre soient très insuffisantes. Ces élèves doivent trouver des réponses à leurs problèmes au cœur même du temps scolaire, grâce à des pédagogies différenciées et à des travaux adaptés, en petits groupes. Il faut donc recruter des personnels supplémentaires.

Enfin, l’achat des nouveaux livres doit être financé par les mairies. Or il en est des riches et des pauvres. En tant que maire de Denain puis-je par conséquent, Monsieur le ministre, envoyer la facture à votre ministère ?

M. Xavier Darcos, ministre de l’éducation nationale : Comment votre prédécesseur procédait-il ?

M. Patrick Roy : Les élèves n’ont jamais eu de livres, ils travaillaient à partir de photocopies.

M. Céleste Lett : Pour quelle raison le nouveau programme fait-il état d’ « instruction civique et morale » et non plus d’ « éducation civique » ?

Je me réjouis par ailleurs qu’en mettant en valeur l’apprentissage des sciences par l’éducation au développement durable, on rompe, dans l’esprit du Grenelle de l’environnement, avec une logique purement environnementaliste.

Mme Laurence Dumont : Dans certains territoires, des postes sont supprimés sans que le nombre d’élèves soit pour autant en diminution. Ainsi à Emiéville, petit village de 500 habitants dans ma circonscription, qui héberge deux classes, un demi-poste sera supprimé à la rentrée malgré des effectifs stables.

Je suis par ailleurs rassurée quant au sens de cette réunion puisque les manuels ne sont pas encore édités.

Si tout le monde est d’accord pour essayer de mettre fin à l’échec scolaire, il n’est pas vrai que cela passe essentiellement par une redéfinition des programmes.

M. Xavier Darcos, ministre de l’éducation nationale : Ce n’est pas ce que j’ai dit !

Mme Laurence Dumont : Promouvoir une autre pédagogie implique des recrutements.

Enfin, les vocations scientifiques sont de plus en plus rares, comme le montrent d’ailleurs les enquêtes internationales, alors qu’elles se préparent dès le plus jeune âge. Or ce n’est pas en recourant à des mécanismes et à des automatismes que l’on fera naître chez les plus jeunes l’envie de chercher et d’expérimenter. C’est en s’appuyant sur le plaisir intellectuel qu’on pourra faire émerger cette culture scientifique qui nous manque.

M. Alain Néri : Vos prédécesseurs, Monsieur le ministre de l’Éducation nationale, se sont d’abord appelés « ministre de l’instruction publique » puis « ministre de l’enseignement ». Ce n’est pas neutre, pas plus que le passage, dans les programmes, de l’« éducation » à l’ « instruction civique et morale » : il y a là des sous-entendus qui sont très graves.

J’allais presque applaudir lorsque vous avez affirmé vouloir permettre aux pauvres de bénéficier des mêmes avantages que les riches en matière d’éducation. Hélas, vous ne m’avez pas convaincu. De même que Jules Ferry a d’abord voulu satisfaire les exigences de l’industrie française qui avait besoin d’une main-d’œuvre sachant lire, écrire et compter, l’influence du niveau socio-économique est aujourd’hui déterminante dans l’échec scolaire. Mais il y avait aussi à l’époque des maîtres d’écoles qui avaient les moyens nécessaires pour former de véritables citoyens.

Tout se jouant dans la petite enfance, l’école maternelle doit être une priorité, donc bénéficier de nouveaux moyens. C’est à ce prix que les élèves pourront échapper aux déterminismes sociaux. Les méthodes ne sont pas un enjeu décisif : c’est d’une véritable politique d’égalité des chances que nous avons besoin ! C’est l’influence du milieu qui est décisive : vous le savez. C’est sur celui-ci qu’il faut agir. Il faut créer l’école de l’égalité des chances.

M. Xavier Darcos, ministre de l’éducation nationale : Je répète que 840 postes seront créés lors de la rentrée prochaine et que nous avons choisi de privilégier l’école primaire. Par ailleurs, la situation de l’encadrement pédagogique est loin d’être scandaleuse alors que l’éducation d’un lycéen coûte en moyenne 25 % plus cher en France que dans le reste de l’Europe.

La responsabilité des communes en matière d’équipements pédagogiques est engagée à chaque changement de méthodes ou de programmes. L’État ne peut pas les subventionner. Néanmoins, les programmes sont si précis qu’un instituteur pourra aisément utiliser des manuels déjà existants et apporter les modifications qui s’imposent.

Je ne m’engagerai pas dans un débat sémantique sur l’instruction, l’éducation, la morale et le civisme mais, en tant que ministre de l’Éducation nationale, je considère que notre mission est avant tout éducative ; la transmission objective de connaissances et d’instructions vient ensuite. Le terme d’ « instruction », par ailleurs, ne me gêne pas, pas plus que le très joli mot d’« instituteur » par qui s’institue le savoir. L’apprentissage de la morale est quant à lui essentiel dans un monde où les jeunes, faute d’exemples, ne perçoivent plus la raison d’être des prescriptions morales – la société, hélas, s’en dispensant elle-même le plus souvent. Il faut que l’école se réapproprie la morale. Il n’est en rien « ringard » ou ridicule de le constater et de vouloir remédier à cette situation. De même, si les élèves ne sont pas plus violents qu’autrefois, ils ne comprennent pas pourquoi on leur reproche leur violence.

Mme Laurence Dumont : Avez-vous réintégré dans les nouveaux programmes la déclaration des droits de l’homme et du citoyen ?

M. Xavier Darcos, ministre de l’éducation nationale : Tout à fait.

M. Yves Durand : La morale, cela se vit.

M. Xavier Darcos, ministre de l’éducation nationale : En effet, de même que l’on enseigne moins ce que l’on sait que ce que l’on est. Cela n’empêche pas la validité des prescriptions morales.

Il est vrai que les jeunes Français n’ont pas le goût de l’innovation et du risque mais la connaissance de règles ou de théorèmes n’entrave en rien la créativité et la curiosité scientifiques.

Qui, par ailleurs, conteste le bien-fondé des classes maternelles ? Je rappelle qu’en France, 100 % des élèves sont scolarisés à l’âge de trois ans quand en Allemagne la loi interdit toute scolarisation avant l’âge de cinq ans et que celle-ci ne commence qu’à sept ans en Finlande. Il n’y a aucune volonté de réduire notre effort sur la maternelle.

Mme Laurence Dumont : L’accueil des enfants de deux ans n’est-il pas compromis ?

M. Xavier Darcos, ministre de l’éducation nationale : Pas du tout, même si en tant que père et éducateur je ne suis pas certain que la place d’un enfant de deux ans soit plutôt en maternelle qu’en crèche.

M. Yvan Lachaud : Je vous félicite, Monsieur le ministre, de vous être saisi des problèmes urgents, notamment à travers la nouvelle organisation du temps scolaire. Il me semble que c’est la première fois que celui-ci diminue pour l’ensemble des élèves et que les heures ainsi dégagées bénéficient à ceux qui ont des difficultés.

Quelle est par ailleurs votre position quant aux redoublements, notamment en CM2 ? Quelles mesures comptez-vous prendre pour accueillir en classe de sixième les élèves dont les nouvelles évaluations auront mis en évidence les difficultés ? Qu’en sera-t-il, enfin, de l’enseignement des langues vivantes ?

M. Régis Juanico : Renoncerez-vous dans l’Éducation nationale, Monsieur le ministre, au principe du non remplacement d’un fonctionnaire partant à la retraite sur trois, voire sur deux ?

L’élaboration de nouveaux programmes pour l’école primaire s’inscrit par ailleurs dans un contexte général loin d’être serein. Les enseignants du second degré sont déjà descendus trois fois dans la rue depuis le début de l’année scolaire ; les enseignants du premier degré y seront le 5 avril ; les lycéens sont également mobilisés. Le non-remplacement des professeurs a aussi des conséquences sur la qualité de l’enseignement. Alors que le département de la Loire comptera l’an prochain, pour le second degré, 200 élèves supplémentaires, 44 postes y seront supprimés ; le premier degré comptera 740 élèves de plus mais 7 postes seulement seront créés. Renoncez donc au principe de non-remplacement si vous ne voulez pas que votre réforme des programmes ne soit pas perçue comme un écran de fumée !

M. Michel Heinrich : Lutter contre l’échec scolaire et tendre vers l’égalité des chances passe certainement par une révision des programmes mais ne croyez-vous pas qu’il faudrait également réfléchir aux rythmes de l’enfant ? En dépit des travaux des chrono-biologistes, je redoute que l’on ne s’oriente vers la semaine de quatre jours. Or la France est avec les pays francophones d’Afrique la seule nation à avoir un jour non travaillé au milieu de la semaine et c’est le seul pays dont les vacances d’été soient aussi longues. J’ai par ailleurs observé que la réduction des vacances de Noël, de février ou de Pâque est plutôt préjudiciable aux enfants, tandis que les vacances d’été sont trop longues. Or des stages de remise à niveau seront organisés à Pâques, ce qui est contradictoire. Les collectivités qui le souhaiteront pourront-elles aménager le rythme scolaire ?

M. Olivier Jardé : L’école de la République, c’est celle de la solidarité, de la citoyenneté mais aussi de la vie. Or 90 % des Français ne savent pas prodiguer les premiers soins à un malade ou à un blessé. En 2007, des défribillateurs ont été installés mais qui sait pratiquer un massage cardiaque ? L’apprentissage de ces premiers gestes continuera-t-il dans les écoles ?

Mme Françoise Guégot : Le document sur Les nouveaux programmes de l’école primaire soumis à consultation est fort intéressant. Il est à ce propos impérativement nécessaire que ces programmes soient compréhensibles pour les parents car il en va du lien social. Par ailleurs, la semaine de quatre jours permet aussi aux familles de se rapprocher, notamment pour les familles monoparentales.

Contrairement à ce que prétendent certains, le niveau a globalement baissé dans l’ensemble des items, comme le montre l’étude comparative portant sur les résultats observés en 1987 et en 2007. L’école de la République doit donc plus que jamais favoriser l’égalité des chances et modifier ses programmes à partir des fondamentaux.

Enfin, s’il est nécessaire de faire sa part à l’innovation et à l’expérience dans les formations scientifiques, l’ingénieur que je suis peut vous assurer que la connaissance des fondamentaux est première.

Mme Martine Martinel : Pensez-vous qu’il soit raisonnable que les enseignants ne disposent que de 3 heures 30 pour aborder les sciences, l’histoire-géographie, l’histoire des arts, l’informatique, l’instruction civique et morale ?

S’agissant de la lisibilité des programmes, je ne suis pas certaine que les parents des élèves en difficulté soient plus familiers des compléments d’objet que des graphèmes.

Enfin, les écarts sont sensibles dans l’enseignement du français entre les nouveaux programmes et ceux de 2002, de même que les exigences vis-à-vis des collégiens. Peu de lignes sont consacrées à l’expression écrite. Qu’en sera-t-il plus précisément ?

M. Jean-Luc Pérat : Je me réjouis de l’augmentation des heures d’éducation physique et sportive (EPS) en maternelle et dans le primaire mais je sais aussi que les enseignants ont parfois du mal à diversifier les activités par manque de formation. Comment ces heures seront-elles mises en place ? J’ajoute que toutes les collectivités ne disposent pas des infrastructures nécessaires à leur bonne application.

Quid, par ailleurs, de la pratique de la natation et de la maîtrise des milieux aquatiques pour les élèves les plus modestes ? Le manque d’infrastructures est là encore parfois criant. Peut-être serait-il possible d’engager une réflexion en matière d’aménagement du territoire ?

Il importe aussi d’attirer l’attention des élèves sur le souci et le respect de soi, notamment à travers l’hygiène corporelle après des activités sportives.

Enfin, le suivi médical doit être renforcé.

Mme Pascale Crozon : S’agissant de ce problème spécifique qu’est l’orientation des filles, notamment dans les filières scientifiques ou technologiques, une réflexion doit être menée dès les plus petites classes et les manuels ont sans doute un rôle à jouer. Par ailleurs, il ne faut pas seulement rappeler l’obtention du droit de vote par les femmes en 1944 mais, décrire plus globalement l’histoire des femmes françaises dans tous les domaines du savoir.

M. Xavier Darcos, ministre de l’éducation nationale : Les redoublements, la plupart du temps, ne sont pas efficaces et je n’y suis pas favorable ; je souhaite même que leur nombre soit divisé par deux. Il est en revanche certain que des liens étroits doivent être établis entre les classes de CM2 et de sixième de manière à ce que les élèves de CM2 qui rencontrent des difficultés soient accueillis au collège dans les meilleures conditions. Les professeurs des écoles et ceux des collèges doivent travailler ensemble de façon encore plus étroite. Il faut qu’il y ait une continuité de l’effort éducatif auprès des enfants âgés de 6 à 16 ans.

L’enseignement précoce des langues vivantes s’améliore : les professeurs sont mieux formés ; des visioconférences sont de plus en plus souvent organisées. La montée en puissance est un peu lente, je le reconnais, mais les choses évoluent dans le bon sens.

Le non-remplacement de tous les fonctionnaires de l’Éducation nationale partant à la retraite fait partie d’un effort global mais, je le rappelle une nouvelle fois, l’enseignement primaire n’est pas concerné. En outre, le taux d’encadrement dans le second degré demeure très élevé avec un professeur pour 11,9 élèves.

Nous n’encourageons pas la semaine de quatre jours, monsieur Heinrich : nous disons seulement qu’il y a école du lundi matin au vendredi soir. Les communes décideront si les écoles ouvriront ou non le mercredi matin. La libération du samedi est par ailleurs une bonne mesure pour les parents, les familles en conviennent. Les samedis déjà libérés divergent entre Paris et le reste de l’Ile-de-France, ce qui pose un problème évident pour l’organisation des week-ends des enfants de parents divorcés.

Tout le monde est favorable au développement des activités sportives et culturelles l’après-midi mais cela implique de nouvelles infrastructures. Par ailleurs, notre mode de vie n’est pas comparable avec celui des Anglo-Saxons, lesquels ne font presque pas de pause à midi. Un tel changement ne dépend donc pas uniquement de l’organisation de la scolarité.

L’enseignement du secourisme figure dans le programme des collèges.

Nous considérons, madame Martinel, qu’il faut consacrer beaucoup de temps à l’enseignement des mathématiques et à l’acquisition du langage en cycle 2 : il est vain, en effet, de se consacrer à d’autres savoirs si l’on ne les maîtrise pas. Nous assumons notre choix. Les quatre heures consacrées à ces autres matières en cycle 2 s’élèvent ensuite à cinq heures et trente minutes en cycle 3.

Le contenu notionnel et le travail de rédaction en particulier préparent sans aucun doute l’entrée au collège, dont il n’est pas dans notre intention, en l’état, de modifier les programmes. Seulement en CM1, nous voulons mettre à nouveau l’accent sur la rédaction, la récitation et les classiques alors qu’aujourd’hui on essaie d’initier les élèves à des concepts aussi complexes que le pastiche et la parodie.

Certes, il y aura quatre heures d’éducation physique et sportive (EPS) ; certes, les professeurs devront assurer cet enseignement ; certes, il faudrait faire de la natation et veiller à une bonne hygiène corporelle mais tout cela dépend grandement de l’équipement des locaux et des territoires. Je rappelle, enfin, que l’Union sportive de l’enseignement du premier degré (USEP) contribue grandement à la qualité de notre EPS.

Mme Crozon a raison d’appeler l’attention sur l’orientation des filles dans les filières scientifiques et technologiques. Mme la rectrice Marie-Jeanne Philippe travaille sur cette question dans le cadre de la mission qui lui a été confiée et un document a d’ores et déjà été publié. Il est vrai, plus globalement, que les filles se plaignent du manque d’ambition de la société à leur endroit.

Mme Pascale Crozon : Cela commence très tôt, dès la crèche. Nous savons par ailleurs que les enseignants, malgré eux, ne se comportent parfois pas de la même façon avec les filles qu’avec les garçons. Un vrai travail doit être engagé !

M. Xavier Darcos, ministre de l’éducation nationale : Je suis d’accord avec vous.

M. Jean-Pierre Door, président : Monsieur le ministre, je vous remercie.

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