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Compte rendu

Commission des affaires culturelles, familiales et sociales

Mercredi 2 avril 2008

Séance de 18 heures

Compte rendu n° 34

Présidence de Pierre Méhaignerie Président puis de Georges Colombier Secrétaire

– Audition, ouverte à la presse, de M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité, sur le projet de loi portant modernisation du marché du travail (n° 743) 2

– Examen (discussion générale) du projet de loi portant modernisation du marché du travail (n° 743) (M. Dominique Dord, rapporteur) 11

La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a procédé à l’audition, ouverte à la presse, de M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité, sur le projet de loi portant modernisation du marché du travail (n° 743).

Le président Pierre Méhaignerie a remercié le ministre pour sa présence, de même que les commissaires, alors que nombre d’entre eux sont requis dans les conseils municipaux qui procèdent, en ce moment même, à l’organisation des communautés d’agglomérations et de communes.

S’il faut certes s’en tenir au projet tel qu’il est présenté et écouter les réflexions des uns et des autres, il convient également de se préoccuper d’ores et déjà de ses conséquences, de l’avenir de l’Unédic et, par exemple, du nombre de propositions d’emplois qui pourraient être faites aux chômeurs avant que ceux-ci ne voient leurs droits réévalués.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité, a souligné le caractère particulier du présent exercice puisque ce projet, résultant d’un accord conclu entre les partenaires sociaux – il s’agit donc d’une transposition –, est la conséquence des prescriptions de la loi du 31 janvier 2007 de modernisation du dialogue social. Les partenaires sociaux ont eu le courage de s’engager ; ils ont fait preuve d’un grand esprit de responsabilité et ils se montreront très attentifs à la tonalité des discussions en commission et en séance publique. Ils veulent d’autant plus savoir si leur action n’a pas été vaine que d’autres accords seront négociés demain, sur l’assurance chômage ou sur la formation professionnelle.

Des questions se posent aussi naturellement quant au rôle des parlementaires : le respect des partenaires sociaux implique-t-il de voter ce texte sans l’amender ? Si le projet n’avait pas été fidèle à l’accord signé le 11 janvier dernier, la Commission nationale de la négociation collective n’aurait pas manqué de le faire savoir. En outre, les préconisations du texte seront applicables, à terme, à tous les salariés. Celles qui renvoient à des négociations ultérieures le seront également mais selon des modalités négociées, de même que celles qui renvoient à des transpositions réglementaires.

Le ministre s’est engagé de surcroît à travailler avec les partenaires sociaux aux projets de décrets et à informer les parlementaires de leur contenu. Des groupes de réflexion tripartite – dont la création avait été demandée par les signataires de l’accord – ont également été créés, notamment en ce qui concerne la définition du contexte juridique nécessaire à la fixation des montants minimum et maximum des indemnités dues en cas de licenciements sans cause réelle et sérieuse.

Cet accord, en façonnant un nouvel équilibre entre flexibilité et sécurité – la flexicurité à la française – marque une avancée considérable. Le texte présente ainsi des garanties nouvelles pour les salariés et précise que la forme de droit commun de la relation de travail est le contrat à durée déterminée ; les représentants du personnel seront par ailleurs informés du recours prévisionnel aux contrats à durée déterminée et aux contrats de mission conclus avec une entreprise de travail temporaire ; en cas de maladie, l’ancienneté requise pour bénéficier d’une indemnisation complémentaire passera de trois à un an ; la durée des stages de fin d’études sera comprise dans la période d’essai jusqu’à réduire celle-ci de moitié ; le montant de l’indemnité de licenciement sera unifié avec l’augmentation de celui prévu pour le licenciement pour motif personnel ; l’ancienneté nécessaire pour percevoir l’indemnité de licenciement passera de deux ans à une année. Enfin, ce projet pose le principe selon lequel tout licenciement doit être motivé et abroge le contrat nouvelles embauches (CNE), le droit étant ainsi mis en cohérence avec les faits. Tout cela conduira à une meilleure sécurisation juridique des salariés et des entreprises.

Les partenaires sociaux ont également souhaité instaurer des périodes d’essai interprofessionnelles par catégories de salariés. Elles seront applicables dans toutes les professions et tous les secteurs d’activité. Les rares périodes d’essai plus longues que prévoient aujourd’hui les accords de branche resteront applicables. Le projet ménage une transition d’une année, soit le délai légal de survie d’un accord collectif dénoncé, avant de rendre inopérantes les conventions collectives prévoyant des périodes d’essai plus courtes. Les négociations de branche pourront, le cas échéant, adapter la durée des périodes. Le projet permet aussi de fixer des périodes d’essai plus courtes dans le cadre des contrats de travail ou des accords collectifs qui seront conclus après son entrée en vigueur.

Le projet rend également possible la rupture conventionnelle du contrat de travail ; l’employeur et le salarié pourront convenir ensemble de rompre leur relation de travail dans un cadre légal prévoyant un certain nombre de garanties : l’assistance des parties, un délai de rétractation de quinze jours, une homologation par le directeur départemental du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle. Cette nouvelle forme de rupture vise avant tout à simplifier les procédures. Il a donc semblé naturel que les recours juridictionnels soient tous traités par les conseils de prud’hommes, que les contentieux portent sur l’homologation ou sur la convention. Cela sécurisera les modes de ruptures et réduira la « juridiciarisation » dans un pays où un quart des licenciements pour motif personnel donne lieu à un recours en justice.

Le projet offre également des outils aux entreprises pour accompagner et pour sécuriser leur activité. Un contrat à durée déterminée pour la réalisation d’un objet défini sera expérimenté pendant cinq ans ; il permettra à une entreprise d’embaucher un ingénieur ou un cadre afin de réaliser un projet pour une durée de 18 à 36 mois. Un accord collectif devra être préalablement conclu pour garantir les conditions d’utilisation de ce contrat. L’application de ces dispositions sera régulièrement examinée par les signataires qui pourront transmettre leurs analyses au gouvernement pendant cette période d’expérimentation. L’association pour la gestion du régime d’assurance des créances des salariés (AGS)  garantira  auprès des employeurs le versement des indemnités dues en cas de licenciement pour inaptitude d’origine non professionnelle. Enfin, le portage salarial pourra être encadré par un accord conclu dans les deux ans dans la branche du travail temporaire.

Sur certains points, des blocages persistaient depuis un quart de siècle. La démarche adoptée, qui marque une étape décisive dans la modernisation du marché du travail, a été couronnée de succès.

Un débat a suivi l’exposé du ministre.

M. Dominique Dord, rapporteur, a salué la méthode qui a présidé à l’élaboration de ce texte. La loi de modernisation du dialogue social du 31 janvier 2007 implique en effet un recours aussi systématique que possible à la négociation entre les partenaires sociaux. Ce texte constitue en l’occurrence la transposition d’une partie du premier accord faisant suite à cette loi. Les partenaires sociaux ont tous souligné l’intérêt de cette méthode pour la rénovation du dialogue social et le ministre a quant à lui veillé scrupuleusement à traduire dans la loi les dispositions de cet accord.

Les réactions des partenaires sociaux sont à cet égard marquantes : le Mouvement des entreprises de France (MEDEF) considère que la sécurisation comme la flexibilité concernent dans ce texte autant les salariés que les employeurs ; le négociateur de la Confédération française démocratique du travail (CFDT) a quant à lui indiqué que la CFDT revendique « chaque virgule de cet accord » ; Force ouvrière (FO) s’est réjouie de cet accord historique en considérant qu’il constitue un bon compromis.

Quel sera, après le vote de la loi, le calendrier précis des prochaines étapes notamment s’agissant de l’assurance chômage ou de la formation professionnelle ? Les quatre décrets d’application annoncés seront-ils pris avant l’été ?

Le ministre a répondu que ces deux dernières négociations ne relèvent pas de son champ de compétence ministériel mais que les dossiers de l’assurance chômage et de la formation professionnelle devront être traités en 2008.

Les décrets d’application du présent texte devront être pris pour l’été, le Sénat examinant le texte les 6 et 7 mai prochains. Un premier décret sur la conciliation prud’homale sera par ailleurs soumis au Conseil supérieur de la prud’homie dès le 10 avril. Plus tôt les effets de ce texte seront tangibles pour les salariés, mieux cela vaudra.

La flexicurité est le plus souvent comprise comme un équilibre entre la souplesse conférée aux entreprises et les garanties accordées aux salariés. Or cela joue dans les deux sens : alors que le marché de l’emploi est en train de se retourner, certains salariés cherchent par exemple à avoir plus de souplesse dans leurs parcours, tandis que les entreprises apprécient la garantie juridique que leur donne le texte s’agissant par exemple du CNE. Une mission européenne sur la flexicurité, co-présidée par M. Vladimir Spidla – commissaire européen à l’emploi – et M. Gérard Larcher a par ailleurs été créée. Cette initiative d’origine française, reprise par la présidence portugaise de l’Union, permet aujourd’hui à l’Europe de disposer à ce sujet de principes clairs, qui seront déclinés selon diverses modalités nationales dans plusieurs États membres. La Confédération européenne des syndicats (CES), enfin, a elle-même repris le terme de flexicurité, ce qui montre qu’avec de la pédagogie, il est possible d’avancer sans avoir peur des mots.

M. Jean-Patrick Gille a précisé que l’accord qu’il s’agit de transposer, s’il est majoritaire, n’a pas été signé à l’unanimité.

Le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche (SRC) est attaché à la négociation sociale et sans doute un débat sera-t-il utile sur l’évolution du rôle du Parlement dans un contexte de changement des rapports sociaux. Le groupe est par ailleurs disposé à accompagner cette transposition et aucun amendement n’a à ce jour été déposé.

Le projet ne transpose qu’une partie de l’accord et nombre de points, dont la formation professionnelle et l’assurance chômage, sont encore en discussion. Des interrogations demeurent également quant aux garanties dont l’opposition parlementaire pourrait bénéficier, s’agissant notamment du contrat pour la réalisation d’un objet défini – conditionné par un accord collectif –, lequel n’est pas à l’abri d’un amendement déposé subrepticement en séance, peut-être sur un texte ultérieur, et qui en modifierait le régime.

Qu’en sera-t-il également des décrets, dont certains sont particulièrement importants ? L’idéal serait d’en disposer en annexe du projet de loi.

L’accord prévoit par ailleurs le doublement de l’indemnité de licenciement ; or l’exposé des motifs n’y fait pas référence et M. le ministre s’est contenté d’évoquer son augmentation. Qu’en sera-t-il vraiment dans le décret ?

Des garanties seraient également bienvenues sur l’article 9 – relatif au CNE –, que le groupe SRC soutient, mais dont certains veulent modifier la rédaction.

L’accord national interprofessionnel (ANI) prévoit aussi que l’homologation de la rupture conventionnelle sera faite par la direction départementale du travail mais le projet n’évoque que l’« autorité administrative ». De la même manière, le projet de loi ne précise pas que la rupture conventionnelle donnera droit à l’assurance chômage, à la différence de l’ANI. Qu’en est-il ?

La commission ne pourrait-elle pas instituer une procédure de suivi de l’application de l’accord, en particulier sur le contrat pour la réalisation d’un objet défini?

Outre que la flexicurité à la française n’est sans doute pas aussi consensuelle que l’assure le ministre, il est certain que le patronat voulait à la fois de la souplesse et des garanties pour son propre compte et que ce compte, précisément, est semble-t-il moins bon pour les salariés : un nouveau contrat à durée déterminée voit le jour, les périodes d’essai sont allongées, la rupture à l’amiable constitue quant à elle un pari. Enfin, la loi ne règlera pas de nombreuses difficultés, dont celles causées par la précarité ou le travail à temps partiel subi mais aussi par les discriminations dont sont victimes les seniors.

M. Roland Muzeau a considéré qu’il ne faut pas amalgamer l’ANI de 2003 sur la formation professionnelle et celui sur le contrat de travail : la discussion sur le premier thème était réclamée par les organisations syndicales de salariés, pas celle sur le second. Tous les syndicats conviennent par ailleurs qu’ils ont négocié par crainte d’une législation qui aurait été pire sans concertation aucune. Il n’est dès lors pas sérieux de parler de conditions confortables de négociations. L’agenda, ou plutôt le catalogue de négociations obligatoires que le Président de la République a donné aux organisations syndicales est de la même veine. M. Nicolas Sarkozy a mis en place une machine infernale qui consiste à faire adopter son programme social par les partenaires sociaux sous la menace que, faute d’un accord, le Parlement légiférerait avec les méthodes que l’on sait.

Considérant qu’il est en outre gravissime que le Parlement soit réduit à être une chambre d’enregistrement des discussions des partenaires sociaux, M. Roland Muzeau a déclaré ne pas reprendre à son compte le refus d’amender le texte qui est un déni de démocratie. Si les partenaires sociaux font leur travail, les parlementaires doivent aussi pouvoir faire le leur.

Parler de la flexicurité relève de la « foutaise ». M. Bernard Brunhes, qui est plutôt bien vu de la majorité, a écrit à propos de ce texte que s’il y a des progrès en flexicurité, le volet sécurité est pour le moins modeste. Cela n’est pas surprenant puisque la sécurité est renvoyée au domaine réglementaire, de même d’ailleurs que d’autres points figurant dans l’accord puisque l’ANI comporte 19 articles et la loi 10. Le volet flexibilité y est toutefois bien inscrit. À la fin des débats, le MEDEF pourra évaluer ses nouveaux atouts et les syndicats n’auront qu’à attendre la parution des décrets. Enfin, s’agissant du régime de la rupture conventionnelle, l’ANI ne traite pas de la situation des salariés protégés, à la différence du projet de loi, qui les soumet explicitement au nouveau dispositif.

Le ministre a demandé à M. Roland Muzeau si les signataires de l’ANI lui ont dit n’être pas au courant de la raison pour laquelle cette question a été incluse dans le texte.

M. Roland Muzeau a répondu que cette question n’a pas été discutée dans le cadre de l’accord national et que des ajouts ont été opérés, sans doute après avoir été négociés avec les signataires.

Par ailleurs, faute de présence syndicale, la rupture conventionnelle n’est en rien équilibrée dans les très petites, petites et moyennes entreprises, où travaillent 80 % des salariés. Les salariés se retrouveront donc en tête-à-tête avec leur employeur, alors que le lien de subordination est particulièrement fort. Les dispositions relatives à la période d’essai qui profitent aux salariés sont très modestes. Le contrat pour la réalisation d’un objet défini n’est en rien une avancée : il s’agit seulement d’une très ancienne exigence patronale que le gouvernement a satisfaite en mettant les organisations syndicales le dos au mur. Ces dernières doivent par ailleurs s’inquiéter de la manière dont le gouvernement se penchera sur leur représentativité. Enfin, est-il possible de préciser dans le texte que la rupture conventionnelle donnera droit aux indemnités de chômage ?

Mme Chantal Brunel a salué ce projet. Elle a par ailleurs considéré que, sur les ruptures conventionnelles, un contrôle est nécessaire sans que ce dernier soit pour autant trop tatillon. Quels moyens seront donnés à la direction départementale du travail qui disposera de quinze jours pour formuler une éventuelle opposition ? Que se passera-t-il si l’employeur oublie de lui envoyer l’accord signé avec son salarié ? Enfin, quel que soit le point de vue porté sur le CNE, le projet de loi comporte un aspect rétroactif qui ne manquera pas d’embarrasser les entreprises, notamment les plus petites, alors qu’elles sont déjà confrontées à une insécurité juridique croissante.

M. Dominique Tian a noté que l’article 9 abrogeant le CNE constitue par rapport à l’accord interprofessionnel un ajout du gouvernement qui ne fait pas l’unanimité, comme l’a fait remarquer la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME). En effet un million de CNE ont été signés en toute connaissance de cause par des chefs d’entreprise et des salariés ; des difficultés ne manqueront pas de se faire jour en raison de la rétroactivité de la loi. Il en va en outre de la parole de l’État.

Mme Catherine Génisson a indiqué que ce texte n’évoque absolument pas le contrat de travail à temps partiel, bien qu’il concerne 30 % des salariés, dont 80 % de femmes. Alors que l’égalité professionnelle constitue une question prioritaire, le temps partiel subi mérite d’être pris en compte. Est-ce que ce sera le cas ? Un contrat de travail à temps partiel, par exemple, ne devrait-il pas être obligatoirement modifié pour intégrer les heures complémentaires lorsqu’on y a systématiquement recours ?

M. Benoist Apparu a souligné que ce texte montre combien les démocraties sociale et politique peuvent harmonieusement coexister. La réforme institutionnelle à venir constituera à ce propos un moment important, notamment en ce qui concerne la réflexion sur le renforcement des pouvoirs du Parlement. Un ordre du jour partagé entre le Parlement et le gouvernement impliquera par exemple pour l’Assemblée nationale d’engager des discussions avec les partenaires sociaux en fonction des textes envisagés.

Sachant qu’un grand nombre de licenciements individuels font l’objet d’un jugement des prud’hommes et que l’un des buts de la rupture à l’amiable est d’éviter ce genre de recours, le gouvernement dispose-t-il d’une estimation quant à l’évolution possible de la situation ? Les tribunaux risquent-ils par ailleurs de « casser » ces nouvelles procédures ?

M. Georges Colombier s’est réjoui de l’ANI conclu le 11 janvier dernier. Le but du gouvernement est de réduire le plus fortement possible le taux de chômage ; or, un nombre important d’emplois n’étant pas pourvu et le nombre de chômeurs, s’il a baissé, n’en demeurant pas moins important, il était essentiel d’agir vite. Les partenaires sociaux ont reconnu que cet accord est historique, de même qu’ils ont considéré que ce texte doit être voté en l’état. Renforcer le dialogue social n’implique en l’occurrence aucun renoncement aux prérogatives parlementaires. Il faut par ailleurs rappeler que le gouvernement n’a pas mis une épée de Damoclès sur la tête des partenaires sociaux puisque les discussions ont été ouvertes en octobre 2006. Enfin, plus de souplesse et plus de sécurité pour les employés et les employeurs ne peuvent que contribuer à améliorer la situation.

M. Régis Juanico a demandé si le gouvernement permettra au Parlement de veiller à ce que ce texte soit la retranscription fidèle de l’accord. Il y a en effet des difficultés. À titre d’exemple, l’article 1er du projet, s’agissant du contrat à durée indéterminée, le définit comme « la forme normale de la relation de travail » alors que l’accord précisait « la forme normale et générale ». De même, à la différence de l’accord, le projet de loi ne donne pas de définition de la période d’essai. Le projet ne devrait-il pas également préciser qui, de l’employeur et du salarié, pourra être à l’origine de la rupture conventionnelle, de même que la nature de ses motifs éventuels ? Enfin, le texte mentionne une possibilité de rupture du contrat pour la réalisation d’un objet défini à la date anniversaire de la signature – au bout de douze mois, donc – alors qu’il est également fait mention d’une durée minimale de 18 mois ; n’est-ce pas contradictoire ?

Le ministre a déclaré que ces points seront regardés de près mais a souligné que la méthode de travail a été saluée par tous. La disparition de l’adjectif « générale » à l’article 1er s’explique par le simple souci d’éviter une redondance. Pour ce qui est du contrat à objet défini, le projet de loi reprend mot à mot l’ANI.

Le président Pierre Méhaignerie a indiqué que même les bons accords peuvent avoir des effets pervers et qu’une réduction des déficits des régimes sociaux par transfert d’une partie des cotisations de l’Unédic vers l’assurance maladie est souhaitable. Or quels seront les effets de la rupture conventionnelle du contrat sachant que le travail n’est plus l’alpha et l’oméga de toute une vie, en particulier pour de nombreux jeunes ? Cette rupture peut être intéressante à la fois pour l’employeur et pour le salarié. Comme telle, elle peut avoir des effets pervers. Quelles seront donc les conséquences financières pour l’Unédic ?

Les pays scandinaves ont un système d’indemnisation du chômage moins long, avec une allocation de nature dégressive et moins avantageuse que chez nous pour les cadres, mais parfois plus pour les petits salaires. Puisque 400 000 offres d’emplois ne sont pas satisfaites aujourd’hui en France, le gouvernement envisage-t-il de réfléchir à un abandon de l’indemnisation après le refus de deux offres d’emplois ? C’est l’équilibre des régimes sociaux qui est en jeu.

Le ministre a répondu que ce sujet n’est absolument pas abandonné et qu’il sera abordé dans les discussions entre partenaires sociaux sur la nouvelle convention d’assurance chômage. Des engagements ont été pris, notamment lors de la campagne électorale en 2007. Il faut absolument ouvrir des droits supplémentaires pour mieux sécuriser les parcours professionnels, mais qui dit droits dit aussi devoirs, ce qui renvoie aux offres d’emploi non pourvues. Dès lors que l’on aura déterminé ce que sont les offres d’emploi valables, celui qui en refusera deux verra son indemnisation modifiée. Le Président de la République l’a encore rappelé il y a peu.

Certains se demandent par ailleurs si la mise en place de la rupture conventionnelle entraînera un recours plus important à l’indemnisation chômage. Même si tel était le cas, l’accord serait bénéfique car aller vers une rupture conventionnelle induit un changement sans précédent des mentalités et des comportements. Les démissions représentent aujourd’hui environ 17 % des sorties d’emploi. Si elles devaient prendre la forme de ruptures négociées, cela signifierait qu’il y a accord entre les parties, comme pour la transaction aujourd’hui. Mais on sait que cette dernière n’est pas encadrée ; on prend alors un avocat et c’est onéreux, donc réservée à un petit nombre de salariés : cadres et cadres supérieurs. Dès lors qu’il y aura participation de l’assurance-chômage, il ne semble pas qu’il sera de l’intérêt de l’employeur d’accepter qu’une démission se transforme en rupture conventionnelle. Il fallait mettre le droit en accord avec la pratique, c’est-à-dire les transactions. Désormais, ces dernières seront ouvertes à tous les salariés, qui bénéficieront de garanties élargies. Actuellement, le nombre de licenciements pour motif personnel est trois à quatre fois supérieur à celui des licenciements pour motif économique – 50 000 contre 14 000 en février 2008. Pour ouvrir droit aux allocations chômage, une part importante de ces licenciements peut camoufler des départs souhaités par les deux parties. L’accord ne change pas la donne, mais la clarification apportée, qui était largement souhaitée, ira dans le bon sens.

Les perspectives actuelles de l’assurance-chômage montrent que l’on va, au-delà du retour à l’équilibre, vers un remboursement de la dette. On devrait donc disposer de suffisamment de moyens lors des négociations à venir.

S’agissant du CNE, l’article 11 de l’accord interprofessionnel comprend les stipulations suivantes : « Tout licenciement doit être fondé sur un motif réel et sérieux qui doit être porté à la connaissance du salarié concerné. En conséquence et compte tenu du présent accord, les parties signataires [y compris donc la CGPME] demandent aux pouvoirs publics de prendre les dispositions pour que ce principe s’applique à tous les contrats de travail ». Les choses sont claires. Quant à l’argument selon lequel le nombre de licenciements de salariés en CNE augmenterait entre la présentation et la publication du projet de loi, il est fallacieux, pour la simple raison que, si l’on a besoin d’un salarié, on ne va pas s’en séparer et que même si l’on s’en séparait dès maintenant, ce serait les règles du contrat à durée indéterminée qui s’appliqueraient – on le sait clairement depuis les décisions de l’Organisation internationale du travail (OIT) et de différentes cours d’appel. Le ministre a ajouté qu’il a lui-même écrit à la fin de l’année dernière à toutes les fédérations d’employeurs pour leur préciser que, dans l’hypothèse d’un licenciement sans motivation, ils s’exposent désormais à une requalification. Ce qui est aujourd’hui proposé marque donc une régularisation, une clarification et une sécurisation.

La meilleure garantie contre le risque de judiciarisation est précisément le commun accord des parties, qui est reconnu par l’homologation. La conflictualité sera ainsi réduite à la source même de la procédure.

Peut-être pourra-t-on aussi démontrer que cela va dans le sens de la démocratie politique et sociale. Le gouvernement avait annoncé qu’il se réservait la possibilité de compléter un accord trop partiel. Il a considéré, en opportunité, que cet accord va dans le bon sens et qu’il apporte des réponses concrètes et suffisantes. Mais si, dans d’autres domaines en discussion, des accords qui pourraient intervenir dans ce même cadre de la loi de janvier 2007 n’apportaient pas de réponses suffisantes, le gouvernement pourrait proposer un texte qui reprendrait tout ou partie de l’accord ou qui le compléterait.

M. Roland Muzeau a demandé pourquoi le gouvernement a toujours refusé de ratifier l’accord conclu entre les cinq centrales syndicales et l’Union professionnelle artisanale (UPA) sur l’exercice du droit syndical.

Le ministre a rappelé que ce dossier a fait objet de contestations juridiques et que la dernière décision à ce propos a été rendue il y a seulement quelques semaines. Les partenaires sociaux ont alors décidé d’engager des discussions sur la représentativité et sur le financement des syndicats. Il paraîtrait curieux de reprendre cet accord alors que les négociations sont en cours. Mais il n’est pas une seule réunion à laquelle l’UPA participe au cours de laquelle elle ne mette pas ce dossier en avant.

Il est vrai que les contrats à temps partiels ne figurent pas dans l’accord, pas plus d’ailleurs que les licenciements économiques quelle qu’en soit l’importance. Cela ne signifie bien sûr pas que le ministre ne se préoccupe pas de ce sujet. Le temps partiel contraint et éclaté fera l’objet d’une table ronde, mais les choses commencent déjà à bouger : deux enseignes de la grande distribution – Auchan et Casino – se sont engagées dans le passage au temps complet des salariés à temps partiel et une dépêche annonce que Carrefour va faire de même. Il ne faut pourtant pas oublier que d’autres secteurs sont également concernés, en particulier le nettoiement. Il faut enfin avoir le courage de dire que, si l’on souhaite privilégier la qualité et les revenus en luttant contre la précarité, il y aura nécessairement moins de recrutements dans les secteurs concernés.

M. Roland Muzeau a fait observer que 500 000 emplois sont aujourd’hui à pourvoir.

Le ministre a précisé vouloir simplement insister sur la nécessité de veiller à ce que le mouvement vers le plein-emploi ne se traduise pas par cette précarisation du travail que l’on a constatée dans certains pays.

S’agissant de la rupture conventionnelle, si l’employeur ne transmet pas le dossier à la direction départementale du travail, il se privera lui-même de la garantie de l’homologation et se trouvera ainsi dans la plus grande incertitude.

Mme Chantal Brunel a souligné la nécessité que le décret garantisse la bonne information des salariés et que les directions départementales du travail disposent de moyens suffisants pour examiner les accords. Il ne faudrait pas qu’elles se contentent de ne pas répondre car, même s’il ne doit pas être tatillon, un contrôle apparaît nécessaire.

Par ailleurs, la rupture conventionnelle pourra-t-elle être considérée comme un licenciement et ainsi priver l’employeur d’un recours ultérieur à certains contrats aidés ?

Le ministre a rappelé qu’il a été envisagé l’envoi d’une lettre recommandée ou une remise contre décharge mais que les partenaires sociaux ont finalement souhaité que le dispositif soit le plus souple possible.

Il faudra observer quelle charge de travail l’examen des dossiers représente pour les directions départementales du travail. Il ne faudrait en effet pas que ce soit faute de moyens que l’administration réponde par le silence, qui vaut acceptation, d’autant qu’en se tournant vers l’État pour l’homologation, les partenaires sociaux lui ont adressé une marque de confiance.

La question des contrats aidés ne se pose pas car les situations ne sont pas comparables s’agissant du licenciement et de la rupture conventionnelle.

S’agissant de l’appréciation que l’on peut porter sur la modernisation du droit du travail, il convient d’examiner ensemble l’accord, la loi et le décret, des négociations ultérieures étant également prévues.

Concernant la question de la sécurisation, l’abaissement des délais d’ancienneté et de carence pour bénéficier des indemnités conventionnelles en cas de maladie est une avancée importante.

En ce qui concerne le nombre de signataires de l’accord, quatre syndicats sur cinq, ce n’est quand même pas rien, le cinquième étant en outre resté jusqu’au bout de la négociation. On ne peut en outre qu’être attentif à ce qu’ont déclaré les deux principaux partis politiques français quant à la nécessité de respecter l’accord.

Il ne faut pas confondre l’indemnité de licenciement, qui est doublée – pour un salarié ayant huit ans d’ancienneté, elle sera égale à 8/5è d’un mois de salaire au lieu de 8/10è précédemment –, et l’indemnité versée en cas de réparation du licenciement abusif. C’est à propos de cette dernière que l’on parle de minimum et de maximum, les partenaires sociaux n’ayant pas fixé de montant dans l’accord.

L’expression « autorité administrative » est utilisée dans le code du travail de manière générale, mais l’homologation de la rupture conventionnelle sera bien effectuée par la direction départementale du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle.

S’agissant de la période d’essai, une comparaison internationale ne paraît pas inintéressante. Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la durée moyenne est de 1,5 mois en France, 6 mois en Allemagne, 10,5 mois au Danemark, 2,5 mois en Espagne, 4 mois en Finlande, 2 mois en Grèce, 0,8 mois en Italie, 2 mois aux Pays-Bas, 3 mois au Portugal, 12 mois au Royaume-Uni, et 3 mois en Suède. Pour ce qui est de notre pays, la moyenne est d’un mois et demi, mais la durée est en général plutôt d’un mois pour les employés et les ouvriers et de trois mois pour les cadres, même si la durée maximale peut atteindre six mois dans des cas spécifiques.

M. Jean Mallot a souhaité savoir pourquoi le gouvernement ne reprend pas dans le texte du projet de loi la définition de la période d’essai, ce qui serait utile aux employeurs comme aux salariés.

Le ministre a répondu que cela n’a pas semblé utile dans la mesure où cette définition figure dans l’accord. Pour l’instant, la législation est muette à ce propos. On peut ajouter que l’extension de l’accord lui donnera une valeur normative. Plus généralement, si, sur quelque sujet que ce soit, le gouvernement avait voulu tricher dans la transcription de l’accord, cela se serait vu. C’est avec l’aval des partenaires sociaux que certaines parties de l’accord n’ont pas été transposées.

*

Puis la commission des affaires culturelles, familiales et sociales est passée à l’examen, sur le rapport de M. Dominique Dord, du projet de loi portant modernisation du marché du travail – n° 743.

M. Georges Colombier, président, a pris acte de ce que les commissaires présents ne souhaitaient pas s’exprimer au titre de la discussion générale du projet de loi, l’audition du ministre ayant permis à chacun de s’exprimer longuement.