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Compte rendu

Commission des affaires culturelles, familiales et sociales

Mercredi 2 juillet 2008

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 53

Présidence de M. Pierre Méhaignerie, Président puis de M. Christian Kert, Vice-président

– Table ronde, ouverte à la presse, sur le livre

– Informations relatives à la commission

La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a organisé une table ronde sur la politique du livre et examiné le rapport d’information présenté par M. Christian Kert.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales : Je suis heureux d’accueillir M. Benoît Bougerol, président du Syndicat de la librairie française, M. Serge Eyrolles, président du Syndicat national de l'édition, M. Xavier Garambois, directeur général d'Amazon France, M. Alain Gründ, directeur général de la société Électre, président du bureau international de l'édition française, M. Matthieu de Montchalin, libraire à Rouen, M. Bertrand Picard, directeur du livre à la Fnac, M. Jean Sarzana, délégué conseil de la Société des gens de lettres, et M. Benoît Yvert, président du Centre national du livre, directeur du livre et de la lecture au ministère de la culture et de la communication.

Lors de l’examen du projet de loi de modernisation de l’économie, MM. Christian Kert et Jean Dionis du Séjour ont déposé des amendements relatifs au prix du livre. Ces amendements ont suscité une vive émotion parmi les professionnels, qui ont déploré ne pas avoir été consultés au préalable. C’est pourquoi le bureau de la commission des affaires culturelles a décidé d’organiser un débat ouvert et sans tabou avec les acteurs de la chaîne du livre. Nous attendons de cette rencontre qu’elle nous éclaire sur les défis auxquels le secteur du livre est confronté – même si, comparé aux autres industries culturelles, le livre résiste plutôt bien – et qu’elle permette de lever les malentendus qui planent sur la politique du livre et de faire le point sur l’application des textes existants.

M. Christian Kert : Je vous remercie, monsieur le président, d’avoir bien voulu que la commission, malgré une actualité sociale chargée, consacre un peu de temps au sort du livre et revienne sur l’initiative que Jean Dionis du Séjour et moi-même avons prise en déposant nos amendements. Notre démarche s’est inscrite dans le cadre de la discussion d’un projet de loi de modernisation de l’économie et non pas d’un texte ayant trait à la culture. Devant l’émotion soulevée, nous avons pris conscience de la nécessité d’ouvrir le débat avant de prendre quelque mesure législative ou réglementaire que ce soit. Il faut dresser un état des lieux de l’application de la loi Lang et évoquer le problème du délai durant lequel le prix unique est applicable.

En effet, tous les acteurs de la chaîne du livre semblent faire du respect de ce délai un élément clef du dispositif issu de la loi de 1981. Pour nous parlementaires, cela semble révéler une grande fragilité de l’ensemble du marché du livre. Il s’agit certes d’une marchandise très spécifique : peut-être cette spécificité nous a-t-elle échappé lors d’un débat à caractère économique.

Bien entendu, si Jean Dionis du Séjour et moi-même n’étions pas d’ardents défenseurs du livre, nous ne nous serions pas penchés de ces questions. L’enfer étant pavé de bonnes intentions, peut-être sommes-nous allés trop loin et avons-nous risqué de porter atteinte à l’un des symboles de l’équilibre actuel du marché du livre. Mais nous avons été impressionnés par certains chiffres. Y a-t-il une place pour chacun des 60 000 nouveaux titres qui paraissent chaque année ? Cela a-t-il un rapport avec les millions d’exemplaires passés au pilon ? Le lien nous est apparu évident mais sans doute lui avons-nous donné une importance excessive.

M. Hervé Gaymard : L’année dernière, l’excellent rapport de la regrettée Sophie Barluet dressait un état des lieux concerté et exhaustif des différents chantiers concernant le livre. Il y était préconisé, entre autres, la création d’un Conseil du livre représentant l’ensemble des acteurs du secteur. Ce Conseil, où siègent deux parlementaires et où j’ai l’honneur de représenter l’Assemblée nationale, a été installé il y a trois mois et a tenu sa première réunion au début de cette semaine. Il a examiné à cette occasion le rapport de M. Bruno Patino sur le livre numérique. Il m’a également confié le soin d’animer un groupe de travail sur l’avenir du secteur et de l’économie du livre, qui devra procéder à un inventaire d’ensemble et étudier la problématique de la loi sur le prix unique par comparaison avec les dispositifs en vigueur à l’étranger – cette loi s’étant révélée, au demeurant, un excellent article d’exportation.

Il faut aborder le débat de façon dépassionnée. L’économie du livre est complexe et peu de gens la connaissent. Le groupe de travail devra donc faire un effort de pédagogie avant d’avancer des propositions susceptibles de recueillir le consensus.

Je rappelle enfin que je n’étais pas favorable aux amendements de Jean Dionis du Séjour et de Christian Kert, qui ont néanmoins le mérite d’ouvrir le débat.

M. Jean Dionis du Séjour : J’apprécie la méthode proposée par Hervé Gaymard. Il faut en effet procéder par comparaison avec ce qui se fait à l’étranger.

Pour ce qui est de la genèse de ces amendements, Christian Kert et moi-même n’avons rien fait de plus que notre travail de député : pour préparer l’examen du projet de loi de modernisation de l’économie, nous avons rencontré des acteurs du monde du livre, lesquels nous ont informés de données que j’ai trouvées choquantes, notamment le taux d’invendus – entre 16 et 20 % – et le nombre de livres pilonnés, qui oscille entre 40 et 60 millions. J’aimerais qu’un dialogue plus décontracté s’instaure avec la filière à ce sujet. Hormis quelques interventions sur le fond, dont celle de M. Serge Eyrolles, que n’avons-nous pas entendu ! Il nous a vraiment fallu prendre sur nous pour ne pas répondre sur le même ton.

M. Benoît Bougerol, président du Syndicat de la librairie française : Mes quelques milliers de confrères et moi-même nous sentons également sur la sellette, ainsi que tous nos collaborateurs – la librairie représente en effet 13 000 salariés hors grandes surfaces. À ma connaissance, aucun libraire n’a été consulté avant la présentation de ces amendements. En tout cas, le Syndicat de la librairie française ne l’a pas été. Nous avons donc eu peur. Il n’est toutefois pas dans nos habitudes de prononcer un mot plus haut que l’autre : s’il y a eu des réactions fortes, elles ne sont pas le fait du monde de la librairie. Les librairies indépendantes, souvent qualifiées de maillon faible de la chaîne du livre, avaient pourtant tout lieu de s’inquiéter plus que les autres.

L’état des lieux et la réflexion de fond dont le Conseil du livre a chargé M. Hervé Gaymard seront utiles, même s’ils font suite à de nombreux autres travaux. Le travail considérable de Sophie Barluet s’appuie sur d’autres études. Celle que le Syndicat national de l’édition, la direction du livre et le Syndicat de la librairie française (SLF) ont consacrée aux librairies indépendantes a abouti à un projet repris à l’article 70 de la loi n° 2007-1824 du 25 décembre 2007 de finances rectificative pour 2007. Il faut aussi mentionner la mission de M. Antoine Gallimard, l’avis budgétaire de M. Michel Herbillon au nom de la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale sur le projet de loi de finances pour 2006, qui avait pour thème le soutien au livre et à la lecture, et le rapport d’information de M. Jacques Valade au nom de la commission des affaires culturelles du Sénat sur l’avenir du secteur de l’édition. Il existe donc beaucoup de matière. On peut, bien entendu, aller plus loin, mais il faut alors entendre tous les acteurs, notamment les libraires, et non une seule enseigne.

La loi du 10 août 1981 sur le prix unique du livre, votée à l’unanimité, est une loi de concurrence. Elle est en cela l’aboutissement des grands débats du XIXe siècle sur la liberté de la presse et la liberté d’édition et de commerce du livre. Aux termes de cette loi, tout le monde peut vendre des livres. Il n’est nul besoin de diplôme, d’autorisation ou de brevet. Aucun critère économique n’est exigé : une pharmacie ou une jardinerie peut vendre des livres, tout comme un site Internet ou une grande surface.

La concurrence est donc considérable. Elle n’est régulée que par un élément, le prix unique du livre, qui est en quelque sorte le fil tendu du funambule. La loi de 1981 est une loi d’équilibre. Lorsque l’équilibre est fragile, donner un petit coup sur le fil ou le couper revient au même : le funambule tombe. Nous sommes dans ce cas de figure. Modifier le délai d’autorisation des rabais ou donner à un site Internet la possibilité de proposer des réductions de 30 ou 40 % sur tous les ouvrages du fichier exhaustif du livre qui auraient plus d’un ou deux ans – comme l’a fait Amazon aux États-Unis pendant des années, en proposant 40 % de remise et en faisant 40 % de perte –, c’est aboutir rapidement à une déstabilisation générale.

La loi instaure également une très forte concurrence sur les prix qui se joue non pas entre les détaillants, mais entre les éditeurs. Avant de publier un livre et de fixer son prix, l’éditeur observe très précisément ce que font ses concurrents. C’est vrai pour les dictionnaires, les annales d’examens, les livres scolaires, les livres pratiques ou techniques, mais aussi pour la littérature, qui est pourtant le marché de l’offre par excellence. Il existe en effet des seuils psychologiques que l’éditeur se gardera de dépasser – 20 euros pour un livre de 250 pages, par exemple –, même s’il s’agit d’un petit tirage difficile à vendre. En outre, les éditeurs ont déjà le droit de solder leurs livres pour peu qu’ils respectent l’égalité entre les détaillants. S’ils pouvaient vendre à bas prix un livre qui ne trouve pas acheteur au lieu de l’envoyer au pilon, ils le feraient donc.

Rappelons enfin que le réseau des bibliothèques publiques est très développé en France. De ce fait, la question de l’accès au livre n’est pas au premier chef une question de pouvoir d’achat. Il s’agit plus de faire face à la concurrence d’autres activités dans le temps consacré aux loisirs, que ce soit les jeux vidéos, la télévision ou la randonnée…

M. Serge Eyrolles, président du Syndicat national de l'édition : Au moment de l’examen de la loi n° 2006-961 du 1er août 2006 relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information, j’avais longuement discuté avec MM. Dionis du Séjour et Kert au sujet d’une exception compliquée mais justifiée – laquelle, au demeurant, n’a toujours pas fait l’objet d’un décret d’application. Je puis témoigner que ce sont des défenseurs du livre et de grands amoureux de la lecture.

Cela dit, beaucoup d’informations erronées circulent sur l’édition. Le chiffre d’affaires de la profession a connu une progression de 3,5 % en 2007. Depuis quelques années, cette progression est régulière. J’ai coutume de dire qu’il y a de plus en plus de gens qui lisent de moins en moins de livres. À l’aube de l’arrivée du numérique, on est en droit de se poser quelques questions sur l’avenir de nos métiers.

Permettez-moi de corriger tout d’abord un chiffre : ce sont 70 000 livres et non 60 000 qui sont publiés chaque année, mais les nouveautés et nouvelles éditions représentent la moitié de ce chiffre. Le reste est constitué de réimpressions de titres existants. Il faut donc retenir le chiffre de 35 000 nouveaux titres par an, que l’on peut estimer élevé mais qui est inférieur à ce que l’on observe dans les pays européens comparables. Jérôme Lindon affirmait non sans raison que trop de livres tue le livre : les libraires ne peuvent pas pousser leurs murs. Lorsque les livres ne font plus qu’un aller et retour avec la librairie, seul le transporteur en tire un bénéfice.

Dix pays européens ont adopté le prix unique et d’autres pays dans le monde l’appliquent, soit sous forme de loi, soit sous forme d’accord interprofessionnel. Chaque année, un ou deux pays supplémentaires adoptent le dispositif. Une telle progression s’explique par le fait que le prix unique protège tout à la fois la librairie et la création éditoriale et évite les dérapages auxquels on peut assister dans les pays où il n’est pas pratiqué. En Grande-Bretagne, par exemple, des études très sérieuses ont montré que la suppression du Net Book Agreement (NBA) a fait disparaître de très nombreuses librairies tout en provoquant une diminution de la richesse éditoriale et une augmentation du prix des livres.

Nous aimerions bien éviter le pilon mais il faut tenir compte des retours de livres abîmés, des changements dans les programmes scolaires, de l’obsolescence rapide de certains livres – les quick books. Nous pouvons toutefois nous réjouir de ce que les livres qui nous reviennent sont en général recyclés, ce qui n’est pas le cas de la presse, dont les 100 000 tonnes de papier ne sont souvent pas recyclables en raison des encres utilisées.

Plus de vingt-cinq ans après, il est légitime de dresser l’état des lieux de la loi Lang de 1981 et de procéder à une comparaison sérieuse avec les pays européens en sollicitant par exemple la fédération des éditeurs européens. À l’heure du numérique, nous devons nous battre. J’ai ainsi suggéré à M. Bruno Patino que son rapport propose d’étendre au numérique la loi sur le prix unique : c’est en effet le contenu qui est important, non le contenant. Au moment où la France prend la présidence de l’Union européenne, le Président de la République souhaite réduire la TVA sur le disque et sur la restauration. Il n’y a aucune raison pour que le livre numérique ne bénéficie pas lui aussi d’une TVA à 5,5 %.

M. Xavier Garambois, directeur général d'Amazon France : Je crains de faire entendre une voix quelque peu dissonante. Selon nous, il est aujourd'hui possible de modifier légèrement la loi sur le prix unique sans que cela ait nécessairement un impact dramatique. On permettrait à de très nombreux ouvrages, notamment des titres de fonds, de bénéficier d’une dynamique commerciale plus forte. En conséquence, nous sommes nous aussi favorable à un examen détaillé des mécanismes du marché du livre en vue de proposer d’éventuelles améliorations.

La comparaison avec les pays européens est une bonne chose. On montre souvent du doigt le marché britannique mais les arguments ne sont pas toujours exacts. Amazon, qui est présent sur ce marché, dispose d’une grande quantité de données que nous partagerons volontiers avec vous. Celles-ci tendent à montrer que le prix du livre n’augmente pas en Grande-Bretagne, que la production éditoriale britannique continue de progresser, avec une hausse de 22 % entre l’abandon du NBA et 2007, et que le nombre d’éditeurs est passe de 2 200 à 3 200 de 2001 à 2007, soit une augmentation de 40 % en six ans. En tout état de cause, et malgré l’élément de distorsion que constitue l’édition des titres américains, le marché britannique est dynamique. Sa progression annuelle est de 6 % depuis cinq ou six ans. Il représente environ 5 milliards d’euros, soit plus que le marché français. Il ne me semble pas pertinent de balayer d’un revers de la main cet exemple dont nous pourrions aussi tirer des enseignements.

M. Alain Gründ, directeur général de la société Électre, président du bureau international de l'édition française : Je me réjouis de l’initiative de M. Hervé Gaymard. En tant qu’ancien président de la fédération des éditeurs européens et de l’union internationale des éditeurs, je peux apporter ma contribution à certaines comparaisons internationales qui paraissent s’imposer. Pourquoi tant de pays ont-ils adopté un système de prix fixe et pourquoi leur liste s’allonge-t-elle année après année ? Le Japon et l’Allemagne ne sont assurément pas sous économie administrée ; pourtant, leur régime de prix fixe du livre fonctionne parfaitement.

Comme pour toute activité industrielle, commerciale et culturelle, il est normal de faire le point à un moment donné et de comparer les chiffres. Une étude récente montre que le prix moyen payé par le consommateur allemand pour les livres est inférieur de 27 % à celui qui est payé en Angleterre. Il ne s’agit pas de s’envoyer des chiffres à la figure mais d’examiner minutieusement les données.

M. Xavier Garambois : En l’occurrence, la comparaison est délicate. Il faut tenir compte des formats et de différents paramètres.

M. Alain Gründ : Lorsque l’on soumet à comparaison les chiffres du marché britannique, on oublie que celui-ci est à 35 % un marché d’exportation. Nos confrères britanniques affirment qu’ils feraient tous faillite s’il ne disposait que du marché intérieur. Le marché américain est pour eux essentiel, de même que celui de la coédition. C’est flagrant lorsque, dans les grandes foires internationales, nous essayons de leur vendre nos projets et qu’ils nous répondent invariablement : « We are here to sell, not to buy. » Les marchés britannique et américain sont très fermés. Ils proposent très peu d’ouvrages traduits du français et d’autres langues.

Le bureau international de l'édition française organise fréquemment des rencontres entre professionnels. Les confrères étrangers qui bénéficient d’un système de régulation s’en disent satisfaits et ceux qui n’en bénéficient pas nous demandent comment faire pour l’obtenir. Cela dit, les lois ne sont pas faites pour faire plaisir aux professionnels. L’essentiel est que le prix fixe permette de vendre des livres partout, à l’opposé de ce qui se pratique dans la distribution sélective.

À l’époque où je présidais le Syndicat national de l’édition, M. Martin Bangemann, président du parti libéral allemand et ministre fédéral de l’économie, a plusieurs fois déclaré publiquement : « Je ne veux pas subventionner les librairies comme des maisons de la culture. Je leur donne un prix fixe pour qu’elles se débrouillent toutes seules dans le contexte d’une économie libérale ». Et il est vrai que le consommateur bénéficie d’un système ouvert. Le prix de revient du livre est très dégressif en fonction des quantités produites. En outre, l’économie du livre est une économie de l’offre. Si l’on met partout des livres sous les yeux des consommateurs, qui achètent en général par impulsion, on a des chances d’en vendre plus, donc de faire baisser les coûts.

Comme l’a rappelé M. Benoît Bougerol, la concurrence entre les éditeurs est effrénée. Si tel n’était pas le cas, ceux-ci ne fixeraient pas des prix de catalogue à 14,95 euros ou 9,90 euros. La loi n’est nullement anticoncurrentielle : grâce au système du prix unique, le consommateur paie moins cher. De plus, le délai que tendaient à modifier les amendements permet aux d’ouvrage de fonds de se vendre. Ils représentent aujourd’hui, ce qui n’avait pas été le cas depuis longtemps, plus de 50 % des ventes. Il en résulte une réduction du gâchis et un renforcement de la permanence du livre. Cela étant, tout est perfectible et je suis prêt à contribuer à l’établissement d’un bilan.

M. Matthieu de Montchalin, libraire à Rouen : Le travail que réalisera le Conseil du livre nous permettra certainement de gagner en objectivité. Comme toujours, les chiffres sont complexes et l’on peut les interpréter de différentes façons, ce qui n’empêche pas de les mettre à contribution pour faire émerger un certain nombre de réalités.

Je voudrais pour ma part vous parler d’aménagement du territoire. C’est un élément que je n’ai pas vu apparaître dans le débat sur le prix du livre mais auquel les députés, dont la circonscription n’est pas nécessairement urbaine ou universitaire, devraient être sensibles. Outre ma librairie de Rouen, j’ai ouvert en 2000 une librairie à Yvetot, chef-lieu de canton situé à mi-chemin entre Le Havre et Rouen et à plus de trois quarts d’heure de trajet de l’une et l’autre ville. La ville compte 12 000 habitants et 6 600 enfants y sont scolarisés. La dernière librairie avait fermé quinze ans auparavant. Aujourd'hui, ma librairie réalise 600 000 euros de chiffre d’affaires uniquement avec des clients au comptant, c'est-à-dire sans bénéficier de marchés publics. Elle est pourtant soumise à la concurrence d’un « espace culturel » du centre Leclerc d’Yvetot, qui vend beaucoup de best-sellers, et à celle d’un magasin Cultura à proximité. Elle a donc trouvé des clients qui achètent des livres de fonds et pas seulement des best-sellers.

M. Xavier Garambois a estimé que le marché britannique se porte bien. Il y a plus de titres publiés et plus d’éditeurs, dit-il. Mais y a-t-il plus de libraires ? Surtout, quelle est la répartition géographique des librairies ? En trouve-t-on dans les petites villes ? On m’objectera peut-être que l’Internet permet de se faire livrer rapidement à domicile. Mais tout lecteur sait bien qu’il peut lui prendre l’envie de feuilleter des livres sur la table d’une librairie, sans savoir à l’avance celui qu’il choisira. Cela, aucun système Internet au monde ne le permettra.

L’Internet offre un service et les libraires n’y sont pas hostiles, contrairement à ce que l’on a dit trop souvent. Nous souhaiterions simplement qu’il y règne le même esprit que dans la vie réelle : que les propositions soient multiples et que les clients puissent faire leur choix sans être obligés de passer par un ou deux acteurs dont le poids financier aurait écrasé tous les autres, interdisant l’entrée de certains petits libraires sur ce marché. Or, sur l’Internet, les investissements sont tels que l’on ne peut tenir face aux multinationales, notamment Amazon, si l’on ne dégage pas de marges.

Si l’on modifiait certains éléments de la loi Lang, la librairie d’Yvetot disparaîtrait : elle fait peut-être 600 000 euros de chiffres d’affaires mais seulement 25 euros de bénéfice. Les librairies implantées dans de petites villes sont fragiles. Il serait bon que la représentation nationale prête attention à ces milliers de points de vente répartis sur le territoire.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission : Comment expliquez-vous votre succès alors que vous êtes en concurrence avec Leclerc et Cultura ? Il doit bien y avoir une recette…

M. Matthieu de Montchalin : La seule recette, c’est le conseil. Mon équipe d’Yvetot comprend trois libraires confirmés et qualifiés qui lisent et aiment les livres. Si la différence devait se faire sur le prix, il est évident que nous ne résisterions pas à la puissance de feu d’un Leclerc ou d’un Cultura. Nous serions balayés en six mois.

M. Bertrand Picard, directeur du livre à la Fnac : La Fnac a une position un peu particulière sur le marché des produits culturels puisque, pour ne prendre que le livre, elle est pratiquement la seule enseigne à être présente sur tous les créneaux.

On peut toujours discuter des chiffres, mais il me semble intéressant d’en donner quelques-uns, d’autant que la Fnac a acquis, par ses métiers, une vision assez large de l’activité culturelle et donc du livre.

L’objectif initial de la loi Lang était d’assurer la diversité des points de vente afin de pouvoir garantir la diversité de l’offre. À cet égard, la part de marché des différents circuits est équilibrée, ce qui ne se retrouve pas dans d’autres métiers. Les libraires indépendants, les grandes surfaces alimentaires, les grandes surfaces spécialisées et les autres acteurs que sont les clubs et Internet, représentent en effet chacun un quart du marché. Par ailleurs, 50 % du chiffre d’affaires provient encore des librairies de centre-ville, ce poids ne se retrouvant également dans aucune autre activité commerciale.

De même, le livre est dans une situation très différente des autres produits culturels. Le disque n’a-t-il pas vu ainsi disparaître, avant même toutes les problématiques de dématérialisation, le réseau de disquaires ?

Quant à savoir si la modification du prix, à un moment donné de la vie du livre, peut ou non dynamiser les ventes, la question ne se pose pas pour le fonds de catalogue – parmi les 200 000 références différentes vendues par la Fnac, seules 45 % ont moins de deux ans d’édition. C'est ainsi que nous vendons toujours au prix normal les 15 % de livres qui ont plus de dix ans d’édition. Une dynamique de prix n'est donc pas forcément nécessaire pour continuer à vendre du fonds de catalogue.

Quant à solder, comme la loi le permet, des livres qui ont plus de deux ans d’édition et six mois de stock, il en existe très peu car les libraires ont appris à gérer. En outre, lorsque nous proposons de tels livres à la vente avec une réduction de prix – à la Fnac, un millier de livres au plus peuvent entrer dans ce cadre –, ils ne partent pas. Si un livre n’a pas trouvé de lecteur, ce n'est pas parce que l’on va baisser son prix qu’il trouvera un acheteur.

Il ne faut pas oublier non plus, dans cette dynamique des prix, l’édition de poche qui permet de proposer un an ou deux après leur parution des livres moins chers.

S’agissant des retours et de la mise au pilon, la profession travaille aujourd'hui beaucoup plus en flux tendus, qu’il s’agisse des éditeurs, qui ont à leur disposition des techniques d’impression qui autorisent des tirages à flux tendus, ou des libraires, qui ont la possibilité, grâce à l’informatisation, de commander au plus près des besoins de leurs clients. Les invendus correspondent donc dans leur majorité à des nouveautés qui n’ont pas trouvé leur clientèle, et la baisse de prix ne changerait guère les choses. En tout cas, la question de savoir si 35 000 nouveautés ce n’est pas trop, a peut-être un sens dans le domaine des livres de cuisine, mais certainement pas en matière de fiction.

Il ne nous semble donc pas que des mécanismes de solde dynamiseraient en quoi que ce soit un marché dont la part des ventes de fonds de catalogue est déjà très importante.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission : Si la librairie d’Yvetot peut vivre avec le prix unique, Cultura, l’espace culturel des Leclerc ou encore la Fnac ne sont-ils pas dans l’obligation de dégager des marges significatives ?

M. Bertrand Picard : Grandes surfaces culturelles et grandes librairies indépendantes, c'est-à-dire avec une largeur d’offre importante, obéissent aux mêmes mécanismes économiques, qu’il s’agisse de la surface, du nombre de références ou encore des personnels.

M. Jean Sarzana, délégué conseil de la Société des gens de lettres : Je tiens à remercier la commission de donner également la parole aux auteurs, car on les entend peu. La raison tient au fait que le livre est un marché tenu par ceux qui l’occupent, c'est-à-dire les éditeurs et les libraires, et qu’aujourd'hui, le prix unique du livre est une question qui relève d’un débat de nature économique, centré sur le livre et mettant le libraire en exergue. Pour les auteurs, au contraire, le débat est de nature culturelle, centré sur l’œuvre et mettant l’écrivain en exergue.

La loi Lang permet aux libraires de présenter des auteurs peu connus, difficiles, et pour tout dire, non conventionnels – on sait combien il est difficile aujourd'hui d’échapper à la convention dans tous les domaines. Le prix fixe incite les éditeurs à publier de tels auteurs et permet donc à ces derniers de s’exprimer, c'est-à-dire d’écrire et de créer. L’approche en la matière se fait à la façon des poupées russes où l’on oublie la dernière, c'est-à-dire l’auteur, qui est d’ailleurs aussi, accessoirement, la première.

Si la loi Lang venait à être vidée de son sens, les auteurs de littérature seraient les premiers touchés. En effet les éditeurs ont des choix éditoriaux à faire. Si le mécanisme retenu pour une éventuelle nouvelle économie du livre ne permet plus à l’éditeur d’assurer ce que l’on appelle la péréquation, c'est-à-dire de publier des livres non conventionnels grâce à la vente et à la publication de livres qui le sont un peu plus, la littérature s’étiolera et les auteurs dits non conventionnels en feront les frais en premier. En 1952, année de sa publication – exemple souvent évoqué par Jérôme Lindon, directeur des Editions de minuit jusqu’en 2001 –seulement 125 exemplaires de la pièce En attendant Godot ont été vendus. Si, aujourd'hui, le prix fixe n’existait pas, on peut douter que Godot vît jamais le jour. Qu’importe, diront certains : on ne saura jamais qu’il aurait pu exister.

Les auteurs non seulement ne peuvent accepter un tel raisonnement, mais tiennent à souligner combien le mécanisme du prix unique apporte à la création. Ce n'est d’ailleurs pas un hasard si le premier instigateur et l’ardent défenseur du prix fixe du livre, Jérôme Lindon, était en charge d’une maison d’édition de littérature non conventionnelle et connue pour la place qui y est faite à ces auteurs.

Pour revenir de Stockholm où se tenaient l’assemblée des auteurs européens – la société des auteurs travaille d’ailleurs en étroite liaison avec celle des éditeurs – et une réunion plus large rassemblant environ 800 auteurs du monde entier, je puis témoigner que nombre d’auteurs à l’étranger nous envient notre système de défense du livre, notamment le prix fixe. Celui-ci apparaît en effet comme un élément déterminant de la diversité culturelle, celle-là même qui fait l’objet d’une convention de l’Unesco, et qui se trouverait bien affaiblie si la littérature s’étiolait. La littérature doit beaucoup au prix fixe du livre, et les auteurs y sont très profondément attachés.

Je citerai, pour conclure, un article de l’encyclopédie en ligne Wikipédia à propos de ce prix fixe : « Le prix unique du livre empêche le discount et permet aux librairies traditionnelles de se maintenir face aux grandes chaînes ». Plus conservateur, plus corporatiste et plus ringard, tu meurs ! Le prix fixe, ce n'est pas du tout cela, et j’espère que le débat qui s’ouvre aujourd'hui contribuera à en établir la preuve.

M. Benoît Yvert, président du Centre national du livre, directeur du livre et de la lecture au ministère de la culture et de la communication : La loi de 1981 et, plus généralement, la politique du livre, ont fait l’objet ces dernières années d’un état des lieux. Je citerai notamment le rapport de la mission Livre 2010, dirigée par Sophie Barluet, qui a interrogé plus de 200 professionnels à l’occasion de 50 heures de débat, le rapport précité de M. Michel Herbillon, le rapport précité de M. Jacques Valade, le rapport sur la librairie indépendante, effectué par Antoine Gallimard à la demande de Christine Albanel, ainsi que l’étude sur la librairie indépendante réalisée conjointement par le Syndicat de la librairie française, le Syndicat national de l’édition et la direction du livre et de la lecture du ministère de la culture et de la communication.

Aucun des auteurs de ces cinq rapports n’avait à se pencher sur la nécessité ou non de remettre en cause la loi de 1981 au moyen de la baisse des prix, mais plutôt d’approfondir l’esprit de la loi en défendant plus spécifiquement ce qui a été appelé la libraire indépendante de référence, car, dans le monde du livre, l’intellectuel et l’économique sont toujours intimement liés : on ne trouve pas, d’un côté, un monde d’intellectuels déconnectés des réalités économiques et, de l’autre, des économistes qui n’ont aucun goût pour les choses intellectuelles. La péréquation, c’est justement la rencontre entre un développement économique et une qualité.

Pour les libraires, le conseil prend du temps et a un coût. C'est ce qui explique que leur marge bénéficiaire nette s’établisse à 1,4 ou 1,6 % selon les estimations, soit, en moyenne – car c’est visiblement moins à Yvetot ! – 1,40 euro sur 100 euros de chiffre d’affaires. Or pour être défendu dans la durée, le livre de fond, qui représente aujourd'hui une très grande part du marché du livre, a besoin de passeurs pour continuer à être porté. Pour ne prendre qu’un exemple, ce n'est qu’après une année, pendant laquelle les éditions Galaade ont vendu moins de 500 exemplaires du livre de l’auteur américain Irvin Yalom, qui avait bénéficié d’une subvention du Centre national du livre (CNL) pour être traduit, que ce livre a commencé, grâce au travail de conseil des libraires et à des relais éditoriaux dans la presse, à développer sa propre économie, à être bénéficiaire, à être édité en poche et à trouver place dans les bibliothèques où les publics les plus démunis peuvent désormais y avoir accès gratuitement.

La politique du livre qui a été définie par les gouvernements successifs que j’ai eu l’honneur de servir tend bien à défendre la librairie indépendante. C’est ainsi que le Plan Livre, présenté par la ministre de la culture et de la communication en novembre dernier, prévoit l’augmentation des aides accordées par le CNL aux libraires, en lien avec la création d’un label pour les libraires indépendants de référence, délivré par le CNL – le décret est en cours d’examen au Conseil d’État –, ainsi que l’exonération, proposée par le rapport Gallimard et votée depuis dans le cadre de l’article 70 de la loi de finances rectificative pour 2008, de la taxe professionnelle pesant sur ces librairies.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission : Façon intelligente de présenter une niche : chacun le sait ici, je suis toujours sensible à la perte d’une recette budgétaire !

M. Benoît Yvert : Dans l’esprit de ses concepteurs, le label n'est pas une niche, mais plutôt un rééquilibrage, car la fonction de conseil en matière de vente de livres difficiles a un coût. On peut vouloir changer d’univers économique, mais, pour le ministère, il s’agissait plus d’approfondir l’esprit du dispositif existant que de changer la méthode. C'est pourquoi la ministre de la culture a souhaité, dans le cadre du Conseil du livre, qu’un parlementaire prenne la direction d’un groupe de travail afin de faire le bilan de la loi du 10 août 1981, sachant que les services de la direction du livre et de la lecture sont au service de la représentation nationale – je me permettrai d’ailleurs de remettre à la commission l’ensemble des rapports dont il a été fait mention.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission : Je peux comprendre l’existence d’une exception culturelle s’agissant du livre. Le Parlement se doit cependant de faire écho aux interrogations des Français : pourquoi le prix unique ne s’appliquerait-il pas à d’autres secteurs – ceux de la tomate ou du pruneau, par exemple, chers à Hervé Gaymard et à Jean Dionis du Séjour – et n’existerait-il pas des tentations de marge arrière dans les secteurs qui vendent mille fois plus que le libraire d’Yvetot ou de Vitré ?

M. Marcel Rogemont : Je me félicite de l’organisation de cette table ronde, car aborder la question du livre sous le seul angle du bilan était quelque peu réducteur.

Pour ma part, si je reconnais les mérites de la tomate et du pruneau, je ne les confonds pas pour autant – de même que la galette saucisse, pour prendre un exemple tiré cette fois d’Ille-et-Vilaine – avec le livre. Ce dernier est en effet lié à l’éducation et à l’édification de la personnalité. La responsabilité collective que nous avons en la matière n'est donc pas d’ordre simplement économique. Aussi n’est-il pas illogique qu’un secteur aussi essentiel à la vie intellectuelle d’un pays ressortisse à un marché réglementé. Les différents propos que nous avons pu entendre aujourd'hui témoignent d’ailleurs de cette nécessité.

La notion de librairie indépendante de référence répond justement à ce besoin d’éducation non seulement à l’école, mais aussi – car pourquoi devrait-elle s’arrêter là ? – toute la vie, à l’instar de la formation professionnelle. À cet égard, la fonction de conseil du libraire et l’organisation de l’édition et de la distribution des livres sont essentielles.

Quant aux marges arrières, si vous, les méchants éditeurs, en faites, attendez-vous à être mis au pilon !

M. Michel Françaix : Je suis heureux à la fois de l’organisation de cette table ronde et du consensus qui semble se dégager dans la façon d’aborder le sujet.

Pour avoir été chargé de mission auprès du Président de la République en 1981, je puis rappeler que la loi du 10 août répondait à quatre thématiques, toutes liées à la notion de pluralisme : maintien d’un nombre élevé d’éditeurs – c'est d’ailleurs une profession qui n’a pas connu de concentration excessive puisque l’on trouve des éditeurs de toutes tailles ; pluralisme de l’offre – car les librairies jouent un rôle important dans la mesure où l’on peut y discuter et réfléchir ; protection des auteurs – afin de ne pas en rester aux quatre auteurs qui vendent, mais également de favoriser la création ; possibilité, enfin, pour le citoyen lecteur de disposer d’un large choix et de s’intéresser à des thématiques différentes.

Comme il n’existe pas de loi taboue, il est toutefois normal de se demander aujourd'hui si ces choix sont encore valables. Il apparaît cependant, même si certains ajustements sont à faire, que la politique du livre continue de répondre à ces quatre thématiques intéressant l’éditeur, le libraire, l’auteur et le lecteur. Le cadre est toujours celui du pluralisme culturel, ce que d’aucuns appellent exception culturelle ou encore politique de civilisation.

La démarche initiée, dans un rôle de néophytes, par nos deux collègues parlementaires est toutefois intéressante en ce sens qu’elle permet de se demander si, au-delà de ce pluralisme culturel, une dynamique supplémentaire en faveur du livre ne pourrait pas être apportée. Si l’on arrive à me démontrer que l’on peut y arriver en jouant sur quelques points de détail, je ne pourrais alors qu’être favorable à la mise en place d’un groupe de travail – surtout si le Président de la République ne s’en occupe pas !

En tout cas, il ne faudrait pas, au moment où la publicité disparaîtrait dans le service public de télévision – ce qui lui permettra de mieux se porter – et où celle en matière d’édition détiendrait une part relativement importante, que tout ajustement dans le domaine du prix unique aboutisse à ne conserver que quelques libraires importants qui ne s’intéresseraient qu’aux six ou sept livres qui réalisent 80 % des ventes. Une telle accélération de l’histoire ne correspondrait pas, j’en suis sûr, pas à la volonté du président de la commission.

M. Jean Dionis du Séjour : Je suis heureux de la méthode retenue – table ronde, groupe de travail, comparaisons internationales,... – et de l’accord des professionnels pour reconnaître qu’après vingt-sept ans de bons et loyaux services, la loi Lang mérite bien une évaluation. C’est là un langage raisonnable que nous n’avons malheureusement pas toujours entendu ces deux derniers mois. Cette loi n'est pas une vache sacrée, et je remercie les professionnels de l’avoir reconnu.

La loi Lang, que j’ai lue, il est vrai, avec des yeux de néophyte – mais le rôle des parlementaires n’est-il pas de relayer les questions d’ordre général que nos compatriotes se posent ? – dispose, en son article 5 : « Les détaillants peuvent pratiquer des prix inférieurs au prix de vente au public mentionné à l’article 1er sur les livres édités ou importés depuis plus de deux ans, et dont le dernier approvisionnement remonte à plus de six mois ». Comment aujourd'hui cette dernière condition pourrait-elle s’appliquer alors que les libraires, a-t-on fait remarquer, travaillent à flux tendus ? Cette disposition a pour le moins vieilli.

Quant aux 16 ou 20 % d’invendus, pourquoi ne prévoirait-on pas des soldes alors qu’il en va ainsi depuis toujours dans le commerce ? C'est d’ailleurs à partir de cette réflexion que nous avons bâti notre amendement. À cette interrogation, le directeur du livre à la Fnac répond que la baisse du prix d’un invendu n’a pas de conséquence sur la vente du livre en question – c'est ce que j’appellerai l’élasticité entre prix de vente et vente. C'est vrai s’agissant des livres d’actualité : si j’écris un livre intitulé Comment rebâtir la France ? Il n’y aura pas grand monde pour l’acheter, d’autant que l’offre en la matière ne manque pas, et la mise au pilon s’imposera. En revanche, concernant les beaux livres, qui coûtent souvent très cher, un ouvrage sur le rugby, par exemple, trouvera toujours preneur s’il est soldé. L’élasticité est donc un problème plus subtil qu’on ne le croit et le débat doit également porter sur ce point.

Quant aux 16 ou 20 % de retours, il s’agit là du pourcentage le plus élevé de tous les secteurs d’activité. On parle de bouger les choses en la matière. Tant mieux. Mais encore faut-il bouger sérieusement, d’autant qu’en termes écologiques – entre l’impression, les transports aller et retour, la mise au pilon – le bilan n’évitera pas des questionnements.

Pour revenir par ailleurs sur l’exemple de En attendant Godot, si le prix du livre a pu jouer, sa réussite après un lent démarrage est surtout due au fait qu’il s’agit d’une œuvre magnifique, ce qui explique qu’elle ait trouvé son public.

Comme pour toute la culture, le vrai sujet, en fait, tient à l’Internet. Si le livre a mieux résisté à cet égard que le disque c'est parce qu’il est portable – il se range n’importe où. Le livre est un outil beaucoup plus moderne qu’un disque, et c’est pour cette raison qu’il résiste mieux à la vague Internet, et non forcément du fait de la loi sur le prix unique, qui n'est qu’un élément parmi d’autres. Ce n'est d’ailleurs également qu’un élément, celui des soldes, qui a fondé notre raisonnement. Aussi, qu’il nous soit fait crédit de penser que nous aimons aussi la lecture et les lecteurs.

Pour être maire d’Agen et non élu du sixième arrondissement de Lyon, j’ai été particulièrement intéressé par les propos de M. de Montchalin concernant l’aménagement du territoire. Aussi la vraie question qui se pose est-elle de savoir comment Internet va percuter dans les années qui viennent l’économie du livre. À se crisper sur la loi Lang, on peut craindre en effet qu’elle ne devienne une ligne Maginot alors que la guerre est ailleurs, à savoir sur l’adaptation de l’industrie du livre à Internet.

M. Alain Gründ : Je tiens simplement à rappeler, concernant les marges arrière, que le livre, comme tous les autres métiers, est soumis à l’article 37 de la loi Royer du 27 décembre 1973, complétée par la circulaire Scrivener, qui interdit « de pratiquer des prix ou des conditions de vente discriminatoires qui ne sont pas justifiées par des différences correspondantes du prix de revient de la fourniture ou du service ». Le même article précise en outre que nos conditions de vente doivent être communiquées « à tout revendeur qui en fera la demande ».

Sur cette base, la profession a établi, avec les libraires, des critères objectifs qui permettent de définir les remises et marges dont peuvent bénéficier les détaillants.

Tous ces éléments sont publics et interdisent parfaitement toute opération dite de marge arrière. La représentation nationale peut donc être rassurée sur ce point.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission : Devant m’absenter, je ne puis que confirmer à tous qu’il ne s’agit avec cette table ronde que d’une première étape dans notre réflexion. Nous nous sentons tous à la fois libraires et auteurs, et je ferai d’ailleurs part, avant de laisser M. Christian Kert conduire les débats, de mon expérience d’auteur.

Pour n’avoir pas voulu, par souci de déontologie, raconter tout ce que je savais alors que j’aurais pu vendre, selon l’éditeur, 30 000 exemplaires, je n’ai vendu que 2 000 exemplaires de mon livre Aux Français qui ne veulent pas être gouvernés de haut. Quant au deuxième, qui s’intitulait Bretagne, désir d’avenir, son titre a été repris par une autre personnalité politique, après que ma candidature n’a pas été retenue aux régionales… Mon succès comme auteur a donc été quelque peu limité !

Mme Martine Martinel : Pour côtoyer des grands libraires en Haute-Garonne, comme la Fnac, ou Christian Thorel et ses associés de la librairie Ombres blanches à Toulouse, le fait de débattre du livre comme s’il s’agissait de tomates ou de pruneaux me gêne un peu, même s’il faut aussi parler d’économie. Les libraires sont des passeurs de la littérature, comme l’a souligné M. Yvert, et je tire d’ailleurs de mon expérience d’enseignante à l’université que le prix du livre n’est pas une revendication essentielle parmi les lecteurs. Ne trouve-t-on pas chez Folio ou dans la collection « Livre de poche » des ouvrages de littérature à deux euros ? En tout cas, c’est un peu fausser le débat que de vouloir tout mettre à plat comme si tout était marchandise de même qualité et de même portée.

Je souhaite qu’au-delà du Conseil du livre, où ne siège semble-t-il qu’un parlementaire, une mission soit créée qui permette un vrai débat sur le livre, sur le rôle des librairies indépendantes labellisées et sur la littérature en général, car, je le répète, le marché du livre n'est pas de même nature que celui du pruneau ou de la tomate, même s’il ne faut pas pour autant les mépriser.

M. Jean Sarzana : Pour répondre à M. Dionis du Séjour, il faut rappeler qu’en 1952, lorsque la pièce En attendant Godot est parue, l’édition n’était pas ce qu’elle est devenue aujourd'hui : il s’agissait davantage d’une activité que d’une industrie. Dans le contexte éditorial contemporain, je ne suis pas sûr que le livre aurait vu le jour si le prix fixe n’existait pas.

M. Jean Dionis du Séjour : J’en suis moins sûr.

M. Benoît Bougerol : Il a été fait état d’un blocage des syndicats dans des débats antérieurs. Je ne vois pas à quoi cela correspond. Il faut probablement poursuivre un travail de bilan, au sujet duquel nombre de rapports, dont Benoît Yvert a fait état, ont déjà été publiés, mais l’interprofession a toujours voulu discuter.

Mme Martine Martinel : Il ne faut pas qu’elle discute qu’entre elle.

M. Benoît Bougerol : Elle discute avec tout le monde.

Mattieu de Montchalin est prêt, comme moi et d’autres, à vous inviter, monsieur Dionis du Séjour, dans sa librairie pour vous montrer comment elle fonctionne au quotidien. Vous avez pu rencontrer Jean-Pierre Delbert, libraire à Agen, et son fils Frédéric qui doit prendre la suite. Or celui-ci se demande aujourd'hui ce qu’il doit faire car, il faut le savoir, vous avez stressé les libraires. Si votre amendement passait, dans six mois j’étais mort ! Je suis libraire à Rodez et mon activité repose sur une économie extrêmement fragile.

M. Jean Dionis du Séjour : Je ne crois pas cela.

M. Benoît Bougerol : Nous avons beaucoup de mal à boucler les fins de mois et je peux vous ouvrir mes bilans. La librairie d’Yvetot qui fait 25 euros de bénéfice, est plus rentable que la librairie de Rouen – les bilans sont publics.

D’une façon générale, la rémunération moyenne des salariés est de 1 900 euros bruts par mois tandis que celle des cadres et entrepreneurs de librairie est, selon l’enquête nationale publiée l’an dernier, de 2 900 euros bruts par mois, soit un peu plus de 2 000 euros nets. La situation est, je le répète, extrêmement fragile pour tous et c'est d’ailleurs pour cette raison que le projet de labellisation a été lancé.

Lorsque je suis devenu libraire, après avoir été ingénieur commercial à IBM – ce qui m’a d’ailleurs valu un contrôle fiscal car l’administration se demandait pourquoi mes revenus étaient inférieurs à ceux de l’année précédente –, un éditeur, Henri Causse, m’avait dit que la loi n’était pas là pour légitimer les libraires, mais que c’étaient au contraire les libraires qui légitimaient la loi. La diversité culturelle naît du travail des libraires et de leurs conseils.

La profession en tout cas, discute beaucoup. Elle a encore signé jeudi dernier avec le syndicat des distributeurs de loisirs culturels, dont font notamment partie la Fnac et Virgin, et avec le syndicat national de l’édition, un protocole d’accord définissant plus particulièrement les critères qualitatifs. L’article 2 de la loi du 10 août 1981 prévoit en effet que les rémunérations « prennent en compte la qualité des services rendus par les détaillants en faveur de la diffusion du livre ». C’est ainsi que je dispose à Rodez de conditions commerciales proches de celles de la Fnac, ce qui me permet tout juste de tenir. Les grandes surfaces peuvent parfois avoir des remises inférieures aux nôtres, sans marge arrière à notre connaissance, car la logique des éditeurs est de développer un réseau de proximité le plus large possible en essayant de faire vivre aussi les plus petites des librairies. Les difficultés économiques de ces dernières peuvent être graves : sur nos 550 adhérents, plus de 100 chefs d’entreprise vivent avec moins que le SMIC.

Il ne faut pas voir là de revendication de type poujadiste, mais un simple rappel du contexte dans lequel nous travaillons, celui d’une économie fragile. Toucher à celle-ci demande à tout le moins un bilan sérieux de la situation, bilan auquel nous sommes prêts à participer.

À cet égard, pourquoi faudrait-il supprimer le délai de délai de garde de six mois avant de pouvoir solder ?

M. Jean Dionis du Séjour : La profession parle de s’améliorer en matière de retours, en travaillant en flux tendus. Il faudra donc bien revoir l’article 5 de la loi du 10 août 1981 en fonction de la pratique !

M. Benoît Bougerol : Prenons l’exemple des livres scolaires, pour lesquels une aide du conseil régional permet aux lycéens de les acheter en librairie : la quasi-totalité des livres scolaires que je vends a plus de deux ans. S’ils peuvent être soldés sans notion de délai de garde, un site comme Amazon, qui a accumulé plusieurs milliards de dollars de pertes aux États-Unis et qui est recapitalisé par son site français avec le versement de plusieurs dizaines de millions d’euros chaque année, peut nous concurrencer sévèrement car ce site de vente en ligne peut se permettre de perdre de l’argent. Il n'est même pas prouvé que la Fnac, Virgin et tous ceux qui ont signé l’appel pour le livre publié dans le journal Le Monde daté de ce jour, puissent résister.

M. Jean Dionis du Séjour : Cela fait partie du bilan qu’il nous faut dresser.

M. Benoît Bougerol : Je suis prêt à cet égard à vous accueillir à Rodez de la même façon que Jean-Pierre Delbert vous a accueilli Agen ou que Mattieu de Montchalin vous accueillerait à Rouen, même s’il est parfois compliqué d’expliquer l’économie d’un secteur : j’ai parfois moi-même du mal à comprendre ce qui se passe dans d’autres secteurs économiques, car chacun a son équilibre propre. En tout cas, le nôtre tient à un fil, qui est le prix unique du livre.

M. Christian Kert : Pour les parlementaires intéressés, un déplacement à Rodez sera organisé. Il faudra aussi que j’aille à Rouen, comme je m’y étais engagé au cours d’une émission de France Culture.

M. Mattieu de Montchalin : Le délai de six mois sert à s’assurer que ce sont des invendus qui sont soldés. Un titre ne devient un invendu qu’au bout d’un certain temps. La double condition de la date de parution de plus de deux ans et de la détention d’au moins six mois est destinée à éviter les opérations d’appel de la grande distribution. À l’origine, les centres Leclerc ont été très offensifs en achetant des quantités énormes de livres édités deux ans auparavant, en les stockant, pour les solder six mois plus tard à un prix très bas et déstructurer le marché. Attendre signifie aussi que les livres ont été payés avant d’être soldés. En l’absence d’une telle limite, les hypermarchés multiplieraient à l’envi les opérations sur les titres de fond de la bande dessinée ou de l’édition de poche qui marchent très bien et qui ont un public. Dans d’autres domaines, de telles pratiques sont également encadrées. Ainsi, un vendeur de vêtements ne peut pas solder maintenant des articles qu’il aurait achetés en juin. Le délai de six mois joue effectivement un rôle de protection.

S’agissant d’Internet, oui ! il faut absolument casser l’idée qu’il serait l’ennemi de la librairie, ou inversement et qu’il fonctionnerait, pour la vente de produits marchands, très différemment de l’économie réelle. J’espère que le Conseil du livre et les rencontres avec les parlementaires permettront d’ouvrir le débat. Imaginez le bilan écologique de la livraison d’un livre à deux euros acheté par Internet ! Songez au gaspillage en logistique, en gasoil, en emballage… La livraison de milliers de livres en un point de vente économise au moins du CO2. En tout cas, les libraires du SLF poursuivent dans ce domaine les quatre objectifs que M. Françaix a rappelés. Le but du jeu, c’est que le lecteur, ou le consommateur, comme on voudra, ait accès à de nombreux livres et puisse s’adresser à différents fournisseurs et à différents distributeurs. Il s’agit là d’un véritable enjeu et j’espère que la représentation nationale nous aidera à avancer dans cette voie.

M. Jean Dionis du Séjour : Le but de notre amendement n’était pas de déstabiliser le secteur de la librairie. Nous avions en tête le problème des soldes. En tout cas, j’ai la profonde conviction que la loi Lang a besoin d’un lifting. Le néophyte que je suis trouve qu’elle « sent » 1981. Au-delà des règles que vous m’avez expliquées, je continue de m’interroger sur ces 16 % à 20 % d’invendus auxquels les libraires sont quasiment indifférents puisqu’ils leur sont repris au même prix. Comment mettre en place un système vertueux ?

Vous avez raison, le véritable enjeu, c’est Internet. La vente de livres en ligne est marginale en France puisqu’elle représente 4 % à 5 % du marché, mais elle progresse de 20 % à 25 % par an, malgré le prix unique. Cela signifie qu’elle fournit un vrai service, sinon, elle ne survivrait pas. Au fond, la question aujourd'hui, c’est de savoir comment le législateur peut aider les libraires à valoriser le conseil qu’ils offrent, et qui est le cœur de leur valeur ajoutée, autrement qu’en maintenant le prix unique. Jusqu’à présent, l’e-Book a été un échec. Vous avez de la chance, le livre est d’une portabilité formidable et si vous avez mieux résisté à la dématérialisation, c’est grâce à la portabilité du papier, et non à la loi Lang. Le livre est un objet étonnamment moderne. S’il le faut, on ne modifiera pas tout de suite la loi Lang, mais aidez-nous à trouver des réponses. J’ai tout de même été choqué d’apprendre le pourcentage d’invendus et le nombre d’ouvrages qui sont mis au pilon. Le bilan CO2 des livres vendus par Amazon n’est pas bon, vous avez raison. Si une commission se penchait sur Internet et l’écologie, qui sont de vrais sujets modernes, les comparaisons qu’elle ferait seraient riches d’enseignement.

M. Christian Kert, président : Cet amendement est la réaction consécutive à une rencontre dans une librairie de Montpellier. Trouvant un livre trop cher, un client s’était plaint qu’« ils » – éditeurs et libraires confondus – préféraient pilonner les livres plutôt que de les vendre moins cher. Nous devons entendre ce type de remarque. Par ailleurs, j’ai reçu d’une association de consommateurs une lettre dans laquelle elle réclame un prix unique des places de cinéma. Que lui répondre ? La démarche est logique, malgré tout. Même si le livre est un objet spécifique, nous avons pensé qu’une approche un peu plus commerciale était possible. Vous nous répondez – et nous vous entendons – que non, sauf à compromettre l’équilibre d’ensemble du secteur. Mais pourra-t-on rester longtemps figé sur cette position sans que la revendication d’un prix unique s’étende à d’autres biens culturels ?

M. Xavier Garambois : À entendre certaines réflexions, j’en déduis que notre métier est encore plus mal connu que celui des libraires. Je vous invite donc, moi aussi, à visiter nos entrepôts de la région orléanaise pour que nous vous expliquions ce qui fait le succès de la librairie en ligne. Notre part de marché est encore faible, mais elle croît rapidement, malgré le prix unique, ce qui prouve bien que nous apportons quelque chose aux lecteurs qui nous achètent des livres.

Pour faire le bilan carbone, il faudrait aller au bout de la logique car nous n’avons pas de flotte propre qui sillonne la France. Nous nous appuyons sur le réseau postal et il y a de la place dans les camions postaux qui desservent l’ensemble du territoire. En outre, nous recevons très peu de commandes unitaires, surtout à deux euros.

Amazon aurait une ambition hégémonique et maléfique, et elle serait prête, pour se tailler des parts de marché, à subir des pertes abyssales. Monsieur Bougerol, il y a plusieurs sociétés Amazon en France et celle qui a été recapitalisée était une entreprise de services. N’utilisez pas des informations sans savoir ce qu’il y a derrière. Nos résultats trimestriels étant publiés partout dans le monde, et distinguant les produits culturels des autres, vous aurez tout le loisir de vérifier que nous gagnons de l’argent sur les produits culturels. Offrir les frais de livraison aux clients de France métropolitaine est pour nous le moyen d’afficher les mêmes prix qu’en librairie. Plusieurs procès sont en cours à ce sujet et ils doivent aller à leur terme. À ce stade, on ne peut en aucun cas dire que notre pratique est illicite et qu’elle s’assimile à une prime.

M. Jean Sarzana : Pourquoi, monsieur Dionis du Séjour, parce qu’une loi aurait vingt-cinq ans, faudrait-il absolument la « relooker » ? Les Allemands pratiquent un prix fixe depuis 1897. Sont-ils pour autant des prosimiens ? Notre loi n’a que vingt-cinq ans. Un livre, une œuvre, s’inscrivent dans une durée qui n’est pas celle des règles économiques. Il s’agit d’un univers différent et les auteurs ne comprennent pas cette tétanie législative qui se manifeste de temps à autre.

Nos confrères allemands ou anglo-saxons ont eu de grands débats avec Bruxelles à propos du prix fixe qu’ils voulaient unifier et étendre à tous ceux qui parlaient la même langue. La Commission a fait sauter les accords transfrontaliers parce qu’elle n’a jamais admis que la base linguistique soit le principe vital d’une œuvre écrite. Pourtant, l’idée n’était pas stupide puisqu’un ouvrage circule entre ceux qui parlent la langue dans laquelle il est écrit. Alors, si c’est ça la modernité, comprenez que nous soyons inquiets !

M. Marcel Rogemont : M. Kert s’inquiète des revendications autour du régime du prix unique, bien qu’il lui trouve des avantages. En extrapolant, on pourrait y voir les raisons de sa hâte à y mettre fin. Ce serait dommage. De même, sans négliger l’écologie, le bilan carbone du livre n’est peut-être pas la première priorité. Il faut donc recentrer le débat et ne pas le limiter aux députés, de façon à ce qu’une approche partisane ne soit pas un obstacle à la réflexion collective, laquelle mérite d’être poursuivie, voire étendue à l’électronique notamment. On ne peut pas vouloir mettre fin au prix unique du livre, au seul motif qu’il est ancien et qu’il faut tout changer. Les travaux menés par Hervé Gaymard s’ajoutent aux autres études et tous doivent servir à nourrir les échanges. En tout état de cause, le livre, ce n’est pas qu’une histoire d’argent ; il ne faudrait pas oublier qu’il participe à l’édification de la personnalité.

M. Jean Dionis du Séjour : Quand une loi est bonne, il ne faut pas la changer. Mais, en 1981, il n’y avait pas Internet. Vous vous crispez sur le prix, mais le problème de fond n’est pas là. L’ingénieur que je suis, qui s’intéresse à l’économie, vous met en garde contre votre organisation. J’attire votre attention sur les clignotants qui s’allument, en particulier la proportion d’invendus. Ayant étudié le problème de la musique en ligne et du cinéma, je m’interroge sur l’impact d’Internet sur le livre. Il faut aussi réfléchir à la fragilité économique du secteur. Je me réjouis de l’état d’esprit qui prévaut ce matin et je me félicite que l’on aborde les vrais sujets.

M. Benoît Bougerol : Nous avons recensé en France entre soixante et soixante-dix sites qui offrent 600 000 titres. Certes, Amazon est le leader, la Fnac aussi est très présente sur Internet, mais il y en a beaucoup d’autres : les grands libraires ont réussi à créer leur site et des outils interprofessionnels ont été mis en place. Mais l’investissement en termes de logistique intégrée est tellement lourd qu’aucun libraire ne peut l’envisager. Lequel peut s’offrir un entrepôt ? Le Syndicat de la librairie française a essayé, mais c’est vraiment très compliqué pour des raisons tant psychologiques que financières. La bagarre sur les frais de port vient de là : si on les offre, on ne pourra pas entrer sur le marché. J’ignore si cela relève du droit de la concurrence, mais le débat a été porté sur le terrain juridique. La Cour de cassation a jugé que la gratuité des frais de port ne correspondait pas à une prime. Mais alors, qu’est-ce que c’est ? Nous voudrions seulement être présents sur Internet, sans prétendre rattraper les grands leaders. Une librairie comme la mienne, installée à Rodez, employant dix-huit salariés, avec un chiffre d’affaires de 3 millions d’euros, a bien un site qui propose 600 000 livres en ligne. Mais je n’ai pas les moyens de me faire connaître. Les libraires ne sont pas contre Internet, comme on a pu le lire dans la presse. Les publications du Syndicat prouvent que nous réfléchissons, que nous agissons. Nous ne mettons pas en cause le développement d’Amazon, ni la qualité de ce qu’elle offre, mais nous voudrions une concurrence loyale. Et, si on commence à se battre sur les prix, nous sommes morts. C’est tout.

M. Jean Sarzana : Les écrivains n’ont aucune prise sur la mécanique économique. Ils constatent qu’aujourd'hui, leurs livres sont en librairie et que les libraires les conseillent à leurs clients. Le prix unique leur va très bien. Vous trouverez peut-être notre position vieillotte ou ringarde, monsieur Dionis du Séjour, elle est tout simplement humaine. S’agissant du numérique, vous avez raison, mais la Société des gens de lettres s’intéresse aussi à la numérisation, qui est un autre sujet. Il n’y a pas que la vente en ligne.

M. Christian Kert, président : Avant de conclure, je rappelle que plusieurs parlementaires ont souhaité que la commission des affaires culturelles soit associée à la réflexion d’ensemble menée par Hervé Gaymard.

M. Benoît Yvert : Les services de la direction du livre, dont les effectifs sont réduits, sont en ce moment très sollicités par la révision générale des politiques publiques. Pour mieux se connaître, une structure de réflexion unique, si elle était possible, serait préférable à deux structures évoluant en parallèle.

M. Hervé Gaymard : Je vous prie de m’excuser mais j’ai dû m’absenter pour intervenir dans un colloque européen sur l’alimentation. Bien des voix s’élèvent dans le monde entier pour réclamer, sur le modèle de l’exception culturelle, une exception alimentaire. Le parallèle entre culture et agriculture va d’ailleurs bien au-delà de la boutade.

Le plus simple, si mes amis parlementaires en sont d’accord, serait qu’ils participent à la mission que je pilote pour le Conseil du livre. On ne va pas dupliquer les démarches. Le président de la commission des affaires culturelles n’a qu’à demander à ceux qui sont intéressés.

M. Jean Dionis du Séjour : Pensez aussi à la commission des affaires économiques.

M. Hervé Gaymard : Personne n’est exclu, surtout pas l’auteur d’un amendement illustre, mais mon expérience m’invite à me méfier de l’absentéisme parlementaire. Nous nous mettrons au travail début septembre et un calendrier sera fixé.

Je souscris à la réflexion de Marcel Rogemont sur les limites de l’économie. À l’inverse de Malraux qui écrivait pour conclure son Esquisse d’une psychologie du cinéma une phrase qui annulait tout ce qui précédait : « Par ailleurs, le cinéma est aussi une industrie », nous considérons que le livre n’est pas qu’un sujet économique. Internet bouscule beaucoup de choses, mais les comparaisons, tout comme un historique, éclaireraient notre réflexion. Nous sommes tout de même nombreux à n’avoir connu, à l’âge d’homme, que la loi sur le prix unique. Or, sur la jaquette des livres des années soixante, un prix était imprimé, ce qui signifie qu’il y avait sans doute un prix conseillé, sinon un prix unique, avec, jusqu’en 1967-1968, la mention « TL » pour taxe locale. J’ai donc le sentiment que, sur une très longue période, la France a connu un système de prix quasi unique. Sans doute, mais je n’en suis pas sûr, un début de modification a-t-il eu lieu dans les années soixante-dix à cause du développement de la grande distribution, notamment de la Fnac, qui a dû s’accentuer au moment des lois Monory de libération des prix. Si la loi Lang a été votée à l’unanimité, ce n’est pas un hasard. Elle a été précédée d’une histoire longue. Il faut l’avoir en tête même si Internet change la donne.

M. Christian Kert, président : Je remercie tous les participants qui, ils l’auront compris, auront l’occasion de se retrouver.

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Puis, la commission a autorisé, en application de l'article 145 du Règlement, le dépôt du rapport d'information en vue de sa publication.

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Informations relatives à la commission

La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a désigné :

– M. Yves Bur, rapporteur d’information sur le débat d’orientation des finances publiques pour 2009 ;

– M. Christian Kert, rapporteur d’information sur la politique du livre.