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Compte rendu

Commission des affaires culturelles, familiales et sociales

Mardi 16 septembre 2008

Séance de 16 heures

Compte rendu n° 58

Présidence de Pierre Méhaignerie, Président, puis de Pierre Morange, Vice-président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité, et de M. Laurent Wauquiez, secrétaire d’État chargé de l’emploi, sur le projet de loi en faveur des revenus du travail (n° 1096)

– Examen (discussion générale) du projet de loi en faveur des revenus du travail (n° 1096) (M. Gérard Cherpion, rapporteur)

– Informations relatives à la commission

La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a procédé à l’audition, ouverte à la presse, de M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité, et de M. Laurent Wauquiez, secrétaire d’État chargé de l’emploi, sur le projet de loi en faveur des revenus du travail (n° 1096).

M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité : Le texte que nous présentons aujourd’hui est important. Il tient en cinq articles. Ses objectifs sont simples : faire en sorte que les entreprises distribuent plus à leurs salariés ; faire en sorte que les salariés des petites entreprises et des très petites entreprises soient associés à l’intéressement ; faire confiance aux salariés en leur laissant le choix de l’utilisation des sommes qui leur sont attribuées par la participation et l’intéressement. C’est donc un texte ambitieux, qui pose une volonté de développer la participation et l’intéressement et aussi de permettre en permanence les négociations et les discussions sur les salaires ; il est bien clair que la participation et l’intéressement se comprennent comme des dispositifs qui viennent en plus des salaires et non pas à leur place.

L’article 1er institue un crédit d’impôt de 20 % des sommes versées au profit des entreprises qui concluent un accord d’intéressement nouveau en faveur de leurs salariés. Toutes les sommes nouvelles seront éligibles à ce crédit d’impôt. De façon à obtenir une mise en œuvre rapide, le texte prévoit la possibilité de signer des avenants à des dispositifs existants en vue d’augmenter les primes, ainsi que celle de verser, pour les accords conclus avant le 30 juin 2009, une prime collective de 1500 euros par salarié dès septembre 2009. Le dispositif est instauré pour six ans.

L’article 2 institue la liberté de choix du salarié quant à l’utilisation des sommes reçues : blocage ou disponibilité immédiate ; dans ce dernier cas, les sommes sont bien sûr soumises à l’impôt sur le revenu.

L’article 3 a pour objet de moderniser la procédure de fixation du SMIC, notamment en prévoyant désormais sa revalorisation annuelle au 1er janvier.

Les articles 4 et 5 instituent l’un un dispositif de conditionnalité des allégements généraux de cotisations patronales en fonction du respect de l’obligation annuelle de négociation salariale, l’autre un aménagement des barèmes de réduction générale de ces cotisations ; le ministère du travail s’efforce que les minima de branche ne demeurent pas structurellement inférieurs au SMIC ; dans ce cas en effet, même si les salaires effectifs ne sont jamais inférieurs au SMIC, la pyramide salariale n’est pas dynamique.

Il s’agit donc d’un texte souple, lisible et efficace. Bien entendu, une fois le texte voté, le gouvernement sera attentif au SAV, ou « service après vote ». Souvent des dispositifs profitables aux salariés sont mal ou pas appliqués, notamment dans les petites entreprises, parce qu’insuffisamment connus.

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d’État chargé de l’emploi : S’agissant des articles 4 et 5, le projet s’inscrit dans une série de dispositions législatives et réglementaires destinées à revaloriser le travail des salariés, tout particulièrement celui des salariés des classes moyennes. Ces salariés ont été les oubliés des efforts conduits depuis 25 ans en matière salariale ; ces efforts ont essentiellement porté sur le SMIC : les « coups de pouce » ont représenté 60 % de sa progression. Ainsi, la France compte une proportion de salariés payés au SMIC très supérieure à ses partenaires de l’OCDE. Cela induit un étagement insuffisant des salaires et une dynamisation insuffisante de l’économie : les salariés restent payés au SMIC au lieu de voir leur rémunération progresser au cours de leur carrière. L’objectif des articles 4 et 5 est ainsi de restaurer l’étagement des salaires. Un groupe d’experts sera créé. Il donnera son avis sur chaque revalorisation du SMIC. Il s’agit de sortir d’une approche exclusivement politique et de disposer d’un éclairage pour évaluer la hausse du SMIC au vu de l’évolution de la croissance économique et des autres salaires.

Autre volet du texte, les entreprises ont l’obligation de conduire des négociations annuelles sur les salaires ; or toutes ne jouent pas le jeu. Celles qui ne le jouent pas verront la réduction de leurs allégements de charges patronales minorée de 10 %. Des projets d’amendements du rapporteur devraient permettre d’avancer encore dans cette voie.

Il reste aussi six branches professionnelles dans lesquelles les minima salariaux sont inférieurs au SMIC ; cela a pour conséquence un écrasement de la pyramide salariale et une proportion importante de salariés au SMIC. L’objectif est que, dans le cadre des négociations annuelles, les pyramides salariales des entreprises relevant de ces branches soient réétagées ; les entreprises des branches où, dans un délai de deux ans, les minima n’auront pas été alignés sur le SMIC verront leurs allégements de cotisations diminués : ils seront en effet calculés non pas sur le SMIC mais sur les minima en vigueur dans ces branches.

Le dispositif du projet est donc équilibré, centré sur les salariés modestes et incitatif pour le développement du dialogue social dans les entreprises.

M. Gérard Cherpion, rapporteur : Ce texte est important pour la politique des revenus et pour le dialogue social. Le besoin de pédagogie souligné par le ministre est aussi essentiel pour la bonne mise en œuvre de ces dispositions.

J’ai cependant trois interrogations à formuler. La première porte sur l’impact du crédit d’impôt prévu à l’article 1er du projet. Peu de voix contestent le bien-fondé de cette mesure destinée à favoriser le pouvoir d’achat des salariés, en particulier dans les petites et les moyennes entreprises. Mais des questions portent sur sa mise en œuvre.

Le projet est, à juste titre, fondé sur la situation des entreprises ; il vise à encourager celles qui n’ont pas conclu d’accord d’intéressement à le faire, et celles qui disposent d’ores et déjà d’un accord à distribuer davantage qu’elles ne le font aujourd’hui. On ne peut que se féliciter de la promotion du dialogue social au sein des entreprises, au plus près du terrain. Cependant, au cours des auditions, plusieurs personnes m’ont fait part de ce qu’elles ressentent comme un manque dans le dispositif proposé : alors qu’aujourd’hui le code du travail prévoit la possibilité d’accords d’intéressement conclus au niveau de la branche, le projet ne donne droit ni au bénéfice du crédit d’impôt, ni au versement de la prime exceptionnelle, aux entreprises qui relèveraient d’un tel accord de branche conclu après la publication de la loi. Certes, ces entreprises ne sont pas nécessairement majoritaires mais il semble que l’équité et la pleine efficacité du dispositif requièrent, dans un souci de cohérence, un ajustement leur donnant également accès au crédit d’impôt.

La deuxième préoccupation tient à la création de la commission du salaire minimum, prévue à l’article 3. La modernisation de la procédure de fixation du SMIC est, de fait, au cœur du développement des relations économiques et sociales. J’ai entendu des représentants des différents organismes consultatifs déjà compétents en matière de revenus : Conseil d’orientation économique, Conseil d’analyse économique, Conseil de l’emploi, des revenus et de la cohésion sociale. Aujourd’hui, je suis convaincu que, s’il est nécessaire, préalablement à la fixation annuelle du SMIC, de procéder à une évaluation du salaire minimum – mais aussi, me semble-t-il, des revenus envisagés de manière globale – ainsi que du marché du travail, et que cette évaluation soit impartiale, il n’est pas indispensable de créer une nouvelle instance. « Une loi, un organisme consultatif nouveau » : je ne crois pas exagérer la réalité en décrivant ainsi le rythme auquel naissent les instances administratives, sans qu’aucune ne soit jamais supprimée. De multiples rapports dénoncent cette inflation. Dans son rapport de 2006, M. Dominique-Jean Chertier parlait de « Tour de Babel », pour souligner la confusion des rôles et des responsabilités. Ne pourrait-on pas imaginer qu’un groupe d’experts, relevant d’un organisme existant, prenne en charge cette mission d’évaluation, dont le bien-fondé est par ailleurs incontestable ?

Enfin, le projet se conclut par deux articles instaurant une conditionnalité pour certaines exonérations de cotisations sociales patronales, principalement la réduction générale dite « Fillon ». Sont ainsi mis en œuvre à la fois un engagement constant du Président de la République et l’une des conclusions du récent rapport de notre collègue Yves Bur au nom de la mission d’information sur les exonérations de charge commune à nos commissions des affaires sociales et des finances.

L’article 5 incitera fortement les branches qui ne l’auraient pas encore fait à ajuster leurs minima salariaux. Le dispositif peut paraître sévère, puisque toutes les entreprises d’une même branche sont susceptibles de voir ainsi leurs allégements de cotisations sociales réduits du seul fait de leur appartenance à cette branche si celle-ci n’a pas porté ses minima au niveau du SMIC. Ce dispositif se justifie toutefois pleinement, pour trois raisons au moins. D’abord, parce qu’aujourd’hui, grâce au succès du processus entrepris depuis 2005 sous l’impulsion de M. Gérard Larcher, seules sept branches employant environ 200 000 salariés présentent encore des difficultés structurelles d’ajustement de leurs minima salariaux ; ensuite, un temps d’adaptation de deux ans sera laissé aux branches, avant même l’entrée en vigueur du dispositif, puis lorsqu’il s’appliquera ; enfin, nous devons recourir à des incitations fortes si nous voulons vraiment stimuler la négociation là où elle demeure encore insuffisante et ce, au demeurant, pour des raisons pas nécessairement liées aux questions salariales.

L’article 4 conditionne le bénéfice de certaines exonérations de cotisations à l’ouverture par l’entreprise de la négociation annuelle obligatoire sur les salaires effectifs. Le projet prévoit que les entreprises qui ne respecteront pas cette obligation seront privées de 10 % du montant de ces exonérations. Dans sa proposition transmise en décembre dernier au Conseil d’orientation pour l’emploi, le gouvernement avait songé à un taux de 100 % dès la deuxième année de non-respect de cette obligation. Pourrait-on envisager de porter ce taux à 100 % au bout de trois ans, afin à la fois de permettre à l’entreprise de disposer d’un temps suffisant d’adaptation mais aussi d’assurer le respect d’une disposition qui, issue des « lois Auroux », remonte maintenant à plus de vingt-cinq ans ?

M. Patrick Ollier, président et rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire : Ce projet mérite d’être approuvé et soutenu, et avec lui l’ensemble du travail des ministres sur les questions évoquées par le rapporteur au fond. Tout ce qui va dans le sens de l’amélioration de l’association du capital et du travail, concept qui est aussi un projet de société, va dans le bon sens. C’est ainsi qu’il faut faire évoluer les relations sociales ; ce texte montre que la majorité a un projet dans ce domaine. La question est simplement celle de la position du curseur. Pour ma part, je serai toujours favorable à ce qu’on le place le plus loin possible.

S’agissant du texte, j’insisterai sur deux points. D’abord, les salariés des entreprises publiques ne doivent pas être laissés à l’écart : j’ai déposé un amendement en ce sens. Ensuite, pour aller vers une meilleure association des revenus du capital et du travail, il faut mieux identifier la part revenant au travail dans le cadre de cette association, qu’elle soit constituée par l’actionnariat salarié, par des participations ou par un intéressement. Il faut donc identifier dans la distribution des capitaux ce qu’on pourrait appeler le « dividende du travail », qui doit être codifié dans la loi ; je déposerai un amendement à cette fin car il est nécessaire que chacun puisse savoir, parmi les surplus dégagés par la production des entreprises, quelle part va au travail.

Enfin, je présenterai, en association avec le rapporteur au fond, des amendements incitant à aller plus loin dans la généralisation du système et ouvrir un débat sur l’emplacement souhaitable du curseur.

M. Louis Giscard d’Estaing, rapporteur pour avis de la commission des finances, de l’économie générale et du plan : La commission des finances s’est saisie pour avis des articles 1er et 2.

Les dispositions du projet de loi répondent à la nécessité de moderniser l’épargne salariale dans le sens d’une meilleure cohérence et d’une plus grande efficacité. Ce texte correspond aussi au souci du Président de la République de remédier aux inquiétudes des Français quant à l’évolution du pouvoir d’achat.

J’observe en outre qu’il s’agit du premier projet examiné depuis la réforme constitutionnelle votée en juillet dernier, réforme qui a, entre autres, accru les pouvoirs de contrôle du Parlement. Je déposerai donc un amendement pour que l’évaluation du dispositif soit assurée, sous son contrôle.

Certains évoquent par ailleurs le risque que l’ouverture d’une option de déblocage de l’épargne salariale ne déstabilise cette épargne ainsi que le financement des entreprises ; il serait donc utile de compléter le dispositif pour que les entreprises qui n’ont pas de plans d’épargne entreprise ou interentreprises en instaurent un à l’occasion des négociations prévues par le projet de loi. Cela vaut aussi pour les entreprises de moins de 50 salariés.

Enfin, on peut également se poser la question d’éventuels avenants aux plans d’épargne interentreprises.

M. Didier Migaud, président de la commission des finances, de l’économie générale et du plan : On ne peut que regretter que ce texte, comme bien d’autres sur les mêmes types de sujets, soit examiné selon la procédure d’urgence. En outre, il participe d’une forme de démembrement des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale. En effet, la question des exonérations de cotisations sociales est une question d’ensemble. Or un travail de fond a été accompli par une mission d’information commune aux commissions des finances et des affaires culturelles ; elle a abouti à des propositions très intéressantes formulées par son rapporteur, M. Yves Bur. La Cour des comptes a aussi fait des observations sur ces exonérations dans son dernier rapport. Il conviendrait donc pour le moins que se tienne, avant la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale, un débat parlementaire sur les propositions de la mission d’information commune.

Sur le fond, le texte prévoit le versement d’une prime exceptionnelle de 1500 euros ; la loi du 8 février 2008 pour le pouvoir d’achat a quant à elle prévu le versement, avant le 30 juin, d’une prime de 1 000 euros par salarié pour les entreprises non concernées par la participation. Est-ce en conséquence d’une évaluation positive de l’application des dispositions de cette loi que le nouveau dispositif est proposé ?

Ensuite, y a-t-il eu une évaluation par le gouvernement des conséquences des retraits anticipés des avoirs détenus au titre de la participation à la suite des mesures prises en 2004 et 2005 ? Connaît-on le potentiel de retraits ? Quelles répercussions attend-on de ces retraits sur la consommation et le pouvoir d’achat ?

Enfin, le gouvernement a-t-il fait des études pour évaluer le risque de substitution entre salaire et épargne salariale ?

Le président Pierre Méhaignerie : L’allégement des cotisations sociales sur les bas salaires, qui représente une masse importante, n’a pas forcément l’efficacité qu’on attend lorsque les entreprises réfléchissent sur leur avenir. Une réflexion sur leur stabilisation est nécessaire. Le Premier président de la Cour des comptes, M. Philippe Séguin juge, souhaitable de limiter ces allégements aux salaires jusqu’à 1,3 SMIC. Cependant, jusqu’à 1,2 SMIC, ils représentent des montants importants. En revanche, entre 1,2 SMIC et 1,5 SMIC, ils correspondent à des montants beaucoup plus limités. Or ces cotisations concernent des entreprises soumises à la concurrence internationale. L’écart avec nos partenaires de l’Union européenne est considérable et il est forcément tentant pour les entreprises de construire des politiques de contournement de cette obligation de cotiser en maintenant les rémunérations à un faible niveau et en le compensant par d’autres modes de rémunération que le salaire proprement dit. Une réflexion sur les allégements de cotisations sociales est nécessaire pour y introduire une lisibilité dans le temps.

Par ailleurs, la pédagogie est en effet un élément très important. Aujourd’hui, et de plus en plus, la dernière ligne de la feuille de paye est un élément du salaire, mais plus le seul : s’y ajoutent le treizième mois, l’intéressement, la participation, le titre-restaurant, la prime pour l’emploi, le revenu de solidarité active (RSA), etc. La lecture d’une feuille de paye ne permet plus forcément de connaître la rémunération réelle du salarié.

Enfin, un récent rapport du Conseil de l’emploi, des revenus et de la cohésion sociale (CERC) a fait apparaître que l’effort de productivité de la nation a été absorbé par des prestations plutôt que par le salaire direct. Dans ces conditions ne faudrait-il pas que la nouvelle commission chargée du SMIC soit liée au CERC de façon qu’elle puisse replacer l’évolution du SMIC dans le cadre global de l’évolution des revenus ?

M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité : La dimension pédagogique est en effet indispensable. Nous sommes conscients qu’il faut, pour l’application de tous les textes relatifs au travail, donner des outils clés en main aux acteurs de l’entreprise, aux prescripteurs : bien des entreprises n’ont pas de dispositif d’intéressement, non pas parce qu’elles refusent d’en établir mais parce qu’elles considèrent qu’ils sont trop compliqués à mettre en place et à gérer. Le ministère travaille donc à simplifier la mise en œuvre des dispositifs favorables aux salariés.

Faut-il que les entreprises fonctionnant par accord de branche puissent bénéficier du crédit d’impôt ? La logique de l’intéressement est une logique souple, de « sur mesure ». La logique des branches n’est absolument pas de cette nature. Dans ce cadre, on peut cependant envisager des solutions : les branches pourraient élaborer des canevas, que les entreprises adapteraient ensuite dans le cadre des procédures souples désormais mises en place, comme le référendum des salariés à la majorité des deux tiers. Car, depuis la loi sur la démocratie sociale, c’est le choix de l’entreprise et non de la branche qui a été fait, y compris par les partenaires sociaux.

Le président Patrick Ollier a évoqué un thème qui lui est cher, l’association capital-travail. Pour la construction de son projet de société, le gouvernement a une approche qui se veut à la fois libérale et sociale. Dans ces conditions, il ne faut pas que les entreprises publiques soient exclues du dispositif instauré par le projet de loi : leurs salariés souhaitent en bénéficier, et nombre de leurs dirigeants sont prêts à les y faire participer. Le gouvernement doit donc pouvoir faire droit à l’amendement présenté en ce sens ; de même, la mise en œuvre politique du « dividende du travail » est importante. La revalorisation des revenus du travail est bien au cœur de la politique de ce quinquennat.

Procéder à des évaluations, comme le souhaite M. Louis Giscard d’Estaing, est important : l’évaluation est indispensable pour pouvoir rectifier les choses lorsque les mesures adoptées n’ont pas les effets attendus.

Simplifier les dispositifs d’épargne interentreprises est en effet un souci du gouvernement. La difficulté est qu’il ne faut pas heurter les principes constitutionnels sur la liberté contractuelle et les conditions de modification des contrats.

Le risque de déstabilisation du capital des entreprises par le déblocage, rendu possible, de l’épargne salariale, est une crainte qui a été formulée par nombre de dirigeants d’entreprise. Elle l’avait déjà été lors de la discussion du texte précédent. Or 3,9 milliards d’euros ont été débloqués en application de ce texte. Pour autant, ces craintes ne se sont pas concrétisées et il n’y a pas eu de déstabilisation.

Le gouvernement est très heureux de la demande formulée par M. Migaud d’un débat de fond. Voici nos propositions et nos réalisations : la majoration des heures supplémentaires, qui a profité à 6 millions de Français, le paiement des journées attribuées au titre de la réduction du temps de travail (RTT), le déblocage de la participation, le présent projet. Nous ne cessons de revaloriser le travail ! Quant aux mesures de déblocage, elles ont porté sur des montants de 7,5 milliards d’euros en 2004, 865 millions d’euros en 2005, 3,9 milliards d’euros en 2008. Des économistes estiment que cela a créé 0,3 % de croissance supplémentaire. Je n’entrerai pas dans ce débat, je sais simplement que cela a profité à des millions de Français.

Un premier bilan des primes exceptionnelles prévues par la loi du 8 février 2008 pour le pouvoir d’achat peut être établi ; en juin 2008, 9 % des entreprises avaient signé ou allaient signer un accord en application de la loi. Grâce aux sondages effectués par l’ACOSS et aux enquêtes des services déconcentrés, le gouvernement continue à affiner les chiffres ; dans les entreprises de 50 salariés et plus, 73 % des salariés ont montré leur intérêt pour le dispositif de déblocage. Mais c’est bien parce qu’il savait qu’il y avait une demande que le gouvernement a élaboré un projet.

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d’État chargé de l’emploi : Pour répondre d’abord au rapporteur, il me semble que l’idée d’un groupe d’experts rattaché à une commission qui fonctionne déjà permet d’éviter la création d’une structure administrative lourde. L’intervention du Parlement a donc été très utile. Il serait également bon d’enclencher en commun un travail de toilettage de la politique de l’emploi.

M. Gérard Cherpion a évoqué la question du lien entre les entreprises et les branches. Il est vrai que si le dialogue social n’aboutit pas au niveau d’une branche qui compte pourtant des entreprises vertueuses, elles sont pénalisées. Mais cela ne touche que six ou sept branches, qui disposeront d’un temps d’adaptation de deux ans. Nous avons fait le choix politique de placer le dialogue social au niveau de la branche, sachant qu’une fois que la loi aura été votée, nous ferons un travail très actif d’incitation à la négociation. L’idée est de ne pas avoir à en arriver à la sanction pour faire bouger les choses en faveur des salariés les plus modestes.

En ce qui concerne la sanction de 10 % : si une entreprise refuse décidément de se soumettre à ses obligations au bout de deux ou trois ans, nous sommes tout à fait ouverts à l’idée de la majorer. Nous avions même déjà évoqué la possibilité de monter jusqu’à 50 %. En tout cas, nous sommes favorables à ce que les sanctions soient progressives.

MM. Pierre Méhaignerie et Didier Migaud ont soulevé la question des allégements de charges. Même si tous les dispositifs d’allégements ont des sorties en sifflet, on sait que 90 % des allégements sont concentrés sur une fourchette de 1 à 1,35 SMIC et permettent de baisser le coût du travail de douze points. Et le temps très partiel, qu’a évoqué le rapport de la mission d’information commune sur les exonérations de cotisations sociales de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales et de la commission des finances de l’Assemblée nationale, présidée par M. Gérard Bapt et dont le rapporteur était M. Yves Bur, ne représente que 1 % du volume total des heures travaillées. Les allégements de charges sont donc un outil extrêmement performant et il faut en conserver une vision globale. Ils jouent par ailleurs un rôle très précieux pour l’insertion dans l’emploi des jeunes et des populations les plus fragiles. Même si le débat s’impose, il faudra donc bien veiller, surtout dans le contexte économique difficile dans lequel nous entrons, à ne pas compromettre le meilleur outil dont nous disposions pour l’emploi, qui bénéficie surtout aux bas salaires. Par ailleurs, si l’État fait un effort financier important d’allégements de charges, c’est pour obtenir en contrepartie une réelle dynamique salariale. C’est en cela que l’approche de ce projet de loi est équilibrée, même s’il reste, comme toujours, à travailler sur les effets pervers intrinsèques à tous les dispositifs sociaux.

M. Christian Eckert : Je ne vous cache pas l’enthousiasme que nous avons ressenti à voir arriver comme premier texte de la session extraordinaire un projet de loi sur les revenus du travail. Nous étions quelque peu ébaubis, il faut l’avouer, mais surtout pleins d’espoir. C’est dire l’ampleur de notre déception. Car pour nous, gens simples, la première contrepartie du travail est le salaire. Malgré l’imagination colossale dont vous faites preuve, malgré les dispositifs toujours plus complexes que vous présentez sous prétexte de simplification, il nous semble que lorsque l’inflation repart, la première question à aborder est celle des salaires. C’est le salaire qui constitue un revenu régulier, alors que l’intéressement est soumis à des aléas et des fluctuations, et ne bénéficie en outre pas à tous les salariés. Je regrette donc que nous ayons de si mauvaises conditions de travail sur un tel sujet. C’est habituel certes, malgré vos promesses récurrentes, mais nous ne disposerons sans doute pas du rapport avant lundi – il est vrai que le rapporteur a été nommé il y a moins d’une heure – et les amendements seront déposés selon la procédure prévue par l’article 88 du Règlement.

Néanmoins quelques questions se posent déjà. D’abord, combien coûte ce projet ? Si vous voulez doubler les sommes attribuées au titre de l’intéressement, soit six ou sept milliards, et qu’on se fonde sur un taux du crédit d’impôt de 20 %, on arrive en gros entre un et deux milliards de pertes pour le budget de l’État. Confirmez-vous ces chiffres ?

Ensuite, quelles sont les intentions du Gouvernement concernant la flat tax de 5 % proposée par M. Yves Bur dans son très intéressant rapport précité ? S’il y a une taxation supplémentaire, le crédit d’impôt paraît tout de suite moins intéressant ! Par ailleurs, nous ne sommes pas rassurés quant au fait que votre dispositif ne se substitue pas à des augmentations de salaires. Qui a dit que les dispositifs relatifs à l’épargne salariale donnent lieu à des arbitrages avec la politique salariale de l’entreprise ? Si l’on se réfère aux propos de M. Philippe Séguin, premier président de la Cour des comptes, dans un rapport de 2007, la Cour des comptes craint elle-même une substitution au salaire !

En outre, nous nous inquiétons de ce que la commission qui était prévue devienne un groupe d’experts. Jusqu’à présent, l’augmentation du SMIC prenait en compte l’inflation et l’évolution du coût du travail, et il fallait ajouter un éventuel coup de pouce décidé par le gouvernement – solution que vous n’avez d’ailleurs pas retenue. Le comité d’expert que vous voulez créer sera en fait plus chargé d’analyser la situation économique que celle des salariés. Or il existe déjà une commission nationale de la négociation collective, qui a l’avantage de comprendre les partenaires sociaux. Comment les deux vont-ils cohabiter ? Enfin, à propos de ce que vous appelez la conditionnalité des aides, vous ne vous montrez pas très coercitifs : les entreprises qui ne respecteraient pas la loi verraient simplement leurs allégements réduits de 10 % ! Et ladite loi ne demande qu’une simple ouverture des négociations, sans plus de précisions : vous pouvez être sûrs que les entreprises vont les ouvrir ces négociations, mais que beaucoup n’iront pas plus loin ! Ce n’est donc plus la déception qui prime, mais l’inquiétude, en attendant que nous puissions examiner les amendements.

M. Jean-Pierre Balligand : Je voudrais revenir sur les conséquences de l’article 2 sur la situation des petites et moyennes entreprises (PME). Il y a neuf mois, vous avez décidé, avec la loi du 8 février 2008 pour le pouvoir d’achat, de changer les règles de la participation. Vous comptiez que 12 milliards seraient dégagés, mais il n’y en a eu que 3,9. La question n’est donc pas si simple que vous le pensiez. Par ailleurs, la situation des PME est bien pire qu’il y a neuf mois. Je le dis avec solennité : elles vont vivre deux ou trois trimestres catastrophiques. Les patrons – et pas ceux qui connaissent déjà des ennuis ! – nous disent que les banques ne débloquent plus suffisamment de crédits. La question des fonds propres est donc plus déterminante que jamais, et les fonds de participation des entreprises de plus de cinquante salariés sont des quasi-fonds propres. Il y a neuf mois, le financement de l’économie ne revenait pas cher. Aujourd’hui, le coût du crédit n’est plus le même. On n’obtient pas d’argent pour investir en dessous d’un taux de 5,4 ou 5,6 %. Le dispositif de l’article 2 est donc procyclique. Il va augmenter les difficultés des PME au lieu de les résoudre, et je ne pense pas qu’il réponde en quoi que ce soit à la question du pouvoir d’achat. En revanche, il revient à aligner le régime de la participation sur celui de l’intéressement. Il n’y a plus de réelle différence entre les deux aujourd’hui. Le dispositif que vous mettez en place va siphonner les fonds de participation, qui bénéficient certes aux salariés, mais qui offrent aussi un financement non négligeable aux PME. C’est une question très importante.

M. Jérôme Cahuzac : Nous sommes en train de revivre le début des années 1970 : un choc externe, aux causes certes différentes mais aux conséquences identiques, avec un renchérissement considérable du coût des matières premières. Dans les années 1970, les pouvoirs publics avaient choisi de faire payer ce choc par les entreprises, ce qui avait causé une inflation à deux chiffres que le pays a eu beaucoup de mal à résorber, n’y parvenant vraiment qu’à partir de 1981. Certains estiment qu’il ne faut pas répéter ce qu’ils considèrent comme une erreur et que ce choc doit être supporté non par les entreprises, mais par les ménages. L’inflation officielle est en France de 1,6 % mais on sait qu’elle sera en réalité deux ou trois fois plus élevée. Ses conséquences sur le pouvoir d’achat ne sont en rien amoindries par les textes qui se succèdent. Faut-il en conclure que le gouvernement a décidé de faire payer ce choc externe par les ménages, d’où la modération salariale qu’il faut compenser en mobilisant la seule épargne dont les salariés disposent, celle des fonds de participation ? Ce serait la raison pour laquelle vous alignez les régimes d’intéressement et de participation, qui sont pourtant fondamentalement différents. Ce faisant, vous courez le risque de mettre les PME dans une situation extrêmement délicate, car leurs fonds propres seront siphonnés. En outre, l’intéressement qui sera débloqué sera désormais soumis aux cotisations sociales. C’est donc une taxation supplémentaire, soit la dix-septième ou dix-huitième depuis 2002…

M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité : Cela n’en fera jamais autant que sous le gouvernement Jospin.

M. Jérôme Cahuzac : Autre question : à combien estimez-vous le gain pour la sécurité sociale ? Celle-ci pourra-t-elle ainsi réduire un peu son déficit, puisque la réforme de 2004, qui devait ramener les comptes de l’assurance maladie à l’équilibre pour 2007, a manifestement échoué ? Enfin, n’estimez-vous pas que le calendrier prévu à l’article 5 pourrait être resserré ? Un rapport pour juin 2010 et des actions l’année suivante… Vous vous laissez le temps de réfléchir ! Mais cela confirme sans doute votre choix de faire supporter la rigueur aux salariés.

M. Jean-Pierre Brard : On nous avait promis que la réforme constitutionnelle donnerait au Parlement plus de temps – et même six semaines ! – pour travailler sur les textes. Je plains ceux qui ont été assez naïfs pour le croire.

Les propos grandiloquents qui viennent d’être tenus ne permettent pas de cacher la véritable destination de ce texte : continuer l’opération de démantèlement de notre socle social. Et quand M. Xavier Bertrand parle de procéder à une évaluation, je dois lui rappeler qu’il existe déjà des experts pour la mener : ceux de la Cour des comptes. Mais je comprends qu’il ne veuille pas les entendre, puisqu’ils disent que les exonérations de cotisations sociales ne servent à rien ! M. Pierre Méhaignerie lui-même est hostile à toute nouvelle niche fiscale. C’est peut-être pour cette raison qu’il a quitté cette réunion…

M. Xavier Bertrand nous a annoncé vouloir « moderniser » le SMIC. C’est le terme qu’on utilise dès qu’on veut faire un coup tordu. M. Laurent Wauquiez, qui n’a pas encore son habileté, même s’il y travaille, compare plutôt le SMIC à l’alpha et l’oméga, à un plafond de verre. Un plafond que vous voulez faire sauter, en écartant toute responsabilité politique de la fixation du SMIC. C’est pour cela que vous insistez tellement sur la pédagogie : il faudra en effet sortir toute la propagande disponible pour vendre votre salade ! Car votre dispositif va aboutir en fait à réduire le pouvoir d’achat et va faire se substituer l’épargne salariale aux salaires déficients. Et la sanction de 10 % n’est qu’un leurre : en fait, vous dites clairement aux patrons que s’ils ne négocient pas, ils recevront quand même 90 % de leurs exonérations ! Peut-être, après un petit-déjeuner avec les élus de l’UMP, irez-vous dans l’hémicycle jusqu’à une sanction de 20 ou 25 %... Bref, vous êtes en train de détruire l’épargne salariale. M. Patrick Ollier a parlé de l’association entre le capital et le travail. Pour ma part, je sais bien, entre le cheval et le cavalier, qui galope et qui se laisse porter, mais s’il y croit encore… Ce que je constate, c’est que malgré vos efforts, vous n’avez pas réussi à chasser la lutte des classes.

Pour finir, ce texte est un mauvais coup porté aux régimes sociaux et au pouvoir d’achat. Nous ferons notre propre travail de pédagogie et vous resterez tout nus à la fin du débat, aussi obscènes que l’est votre politique.

M. Régis Juanico : Deux questions s’imposent d’abord quant à ce nième texte sur le pouvoir d’achat : à combien de salariés doit-il bénéficier, et quelle efficacité peut-on en attendre, compte tenu de ce qu’on sait de celle des textes précédents ? En effet, l’intéressement ne concerne que 15 à 20 % de l’ensemble des salariés et tous les textes votés dans ce domaine depuis six ans n’ont eu qu’une utilité marginale, qu’il s’agisse du déplafonnement du contingent d’heures supplémentaires, du rachat des journées attribuées au titre de la réduction du temps de travail (RTT) ou de la loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, dite loi TEPA. Certes, on attend les résultats de la loi Bertrand sur le temps de travail avec impatience, mais cela ne changera rien : l’ensemble des dispositifs bâtis par le gouvernement ne concerne en fait qu’environ 20 % des salariés.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité : C’est faux !

M. Régis Juanico : Ce serait pourtant la moindre des choses que de s’occuper de l’ensemble des salariés, sachant déjà que toutes les victimes des plans sociaux – qui se multiplient – sont exclues de ces dispositifs. C’est d’un point de vue global qu’il faut envisager le problème de l’emploi salarié. La situation est désastreuse. Au deuxième trimestre, l’économie française a détruit plus d’emplois qu’elle n’en a créés. Les entreprises dégraissent massivement, qu’il s’agisse du secteur de l’automobile avec Renault, des banques ou de l’industrie agroalimentaire, avec les entreprises Doux ou Jean Caby par exemple. Comment comptez-vous accompagner tous ces salariés, en termes de reclassement ou de revitalisation des territoires ?

M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité : Quel bonheur que ce débat, où l’on entend à nouveau dans la bouche des socialistes des mots tels que « travail » ou « salaire » ! Je vois aussi que vous attendiez avec impatience l’application de la réforme constitutionnelle. Que n’avez-vous poussé la cohérence jusqu’à la voter ? Certain, chez vous, a eu le courage de le faire. Quant à la substitution aux salaires, je rappelle que ce projet touche à la fois à l’intéressement et à la participation, à la question du SMIC et aux salaires minimums, à la négociation de branche. La question des salaires n’étant pas laissée de côté, il n’y a aucun risque de substitution. Quitte à vous contrarier, l’évolution des salaires a été proche de 3,5 % en 2007 et devrait être équivalente cette année ! L’intéressement et la participation ne sont pas nouveaux. Les risques de substitution existaient déjà, mais ne se sont jamais concrétisés. Sinon, comment expliquer que toutes les entreprises ne se précipitent pas sur ces dispositifs ? Il y a longtemps que gauche et droite voulaient agir dans ce domaine. Je comprends que cela vous gêne que ce soit nous qui le fassions, mais il faut quand même agir. Et je ne soulèverai même pas un argument juridique incontestable, dont vous êtes parfaitement conscients : il n’est pas possible d’imposer une obligation de résultat dans une loi.

À propos du déblocage de la participation, M. Jean-Pierre Balligand, je ne peux que constater qu’à chaque fois qu’il est question de laisser un libre choix au salarié, vous êtes contre. Mais en quoi le Parlement ou le gouvernement pourraient-ils décider de ce qui est le mieux pour le salarié ? Nous sommes assurément favorables à ce libre choix, même si des règles sont indispensables pour l’encadrer. D’ailleurs, alors que certains craignaient que le capital des entreprises de grande distribution ne soit déstabilisé par cette possibilité, cela n’a pas été le cas. Les salariés savent parfaitement qu’il peut être de leur intérêt de placer de l’argent dans la participation. Certes, le montant qui a été débloqué, 3,9 milliards, est inférieur à ce qui avait été prévu, mais ce chiffre est loin d’être négligeable si l’on prend en compte le contexte boursier que nous connaissons depuis le début de l’année, et l’injection de ces fonds a eu un effet important pour notre économie. Enfin, il y a d’autant moins de raison de déstabilisation que nous parlons ici de flux, et non de stocks. Rien n’est ajouté aux déblocages qui existent déjà. Il nous semble raisonnable de garder les mesures de déblocage pour des cas exceptionnels et de faire prévaloir, au quotidien, le libre choix des salariés.

M. Jean-Pierre Balligand : Je serai d’accord avec votre analyse s’il est démontré que les 1,6 million de salariés qui ont débloqué leur participation sont dans des conditions diverses. Mais s’ils sont tous parmi les plus pauvres, si ces gens n’ont que cette solution pour vivre, ce qui aboutit à appauvrir leur entreprise et à hypothéquer leur niveau de retraite, vous avez tort.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité : L’évaluation est donc indispensable. C’est la raison pour laquelle j’ai demandé aux directions du travail de faire remonter leurs informations au plus vite. Mais ces données sont influencées par un autre facteur : l’accès à l’information. En tout état de cause, même s’il existe des tensions salariales, même si l’inflation a relancé les discussions à ce sujet – sans oublier que les hausses de salaires entretiennent elles-mêmes l’inflation – les évolutions salariales ne sont pas contestables.

J’en viens à la question du forfait social, ou de la flat tax. M. Jérôme Cahuzac, en l’évoquant, s’est montré l’exemple type de l’orthodoxie, qui confine hélas souvent au conservatisme. Lors de la réforme de 2004, le déficit de l’assurance maladie se montait à 12 milliards et filait vers les 20 milliards. Notre réforme doit ramener l’équilibre.

M. Jérôme Cahuzac : Donc vous êtes content de vous…

M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité : Nous sommes passés à 4 milliards ! Un déficit divisé par trois, cela ne s’est pas produit souvent ! Et il est clair que si cette réforme avait été engagée avant 2002, nous n’aurions pas connu tant de difficultés. Mais pour faire des réformes, il faut du courage politique, ce qui n’était pas le plus courant à l’époque.

Le forfait social sur l’intéressement et la participation contribuera donc à revenir à l’équilibre. C’est une idée qui transcendait les clivages politiques avant de trouver son application dans ce texte. Même si son taux n’a pas encore été arrêté, le rendement attendu est de 300 millions. Quant au crédit d’impôt, si l’intéressement est doublé, il atteindra 500 millions pour 2009 et progressera ensuite en fonction du succès de l’opération.

Vos propos confinent à la sinistrose. Notre pays a des atouts. Il fait des réformes. La seule façon d’assurer notre avenir est de continuer dans cette voie. C’est ce à quoi visent la libération du travail, la hausse des rémunérations et l’ensemble de nos choix politiques. Le débat dans l’hémicycle nous permettra de confronter nos arguments sur ce point.

Enfin, M. Régis Juanico a évoqué la question de l’incitation fiscale. Aujourd’hui, 4,3 millions de salariés sont concernés par l’intéressement, et 5,2 par la participation. L’incitation fiscale a une cible clairement prioritaire : les salariés des PME, qui ne sont que 6 % à profiter de l’intéressement, contre 53 % dans les entreprises de plus de cinquante salariés. C’est sur les PME et les très petites entreprises (TPE) que nous devons faire porter nos efforts.

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d’État chargé de l’emploi : M. Christian Eckert a souligné que ce texte était centré sur les salariés les plus modestes, mais s’est demandé s’il était assez coercitif. Le problème est que nous ne voulons pas qu’il soit coercitif, car nous ne voulons pas forcer le dialogue social. C’est pourquoi nous avons choisi l’incitation.

Par ailleurs, je ne suis pas sûr d’avoir bien suivi votre raisonnement, M. Cahuzac. Pour vous, entre 1975 et 1983, on a fait payer l’inflation aux entreprises, ce qui est une erreur à ne pas réitérer. Pour notre part, nous pensons que l’erreur réside dans un traitement uniforme de situations très diverses et dans la coercition : faire supporter automatiquement l’effort à une seule catégorie, que ce soit les salariés ou les entreprises. C’est pourquoi ce texte prévoit aussi un effort sans précédent pour les minima de branche, qui ne pourront être durablement inférieurs au SMIC.

En outre, je ne pense pas qu’on puisse craindre que les entreprises se contentent d’ouvrir formellement des négociations pour éviter les sanctions. Le code du travail encadre en effet strictement le déroulement des négociations. Nous pourrons débattre de l’opportunité d’aller plus loin, mais des garanties existent déjà. Je ne pense pas non plus que deux ans soient un délai trop long pour les sept branches et les 200 000 salariés concernés. Notre but est d’aboutir au plus vite et nous lancerons dès l’adoption de la loi un travail d’accompagnement des branches, mais l’important est surtout de trouver le bon équilibre entre l’effort demandé aux salariés et aux entreprises.

M. Jean-Pierre Brard a parlé de plafond de verre à propos du SMIC. Je pense que de nombreux salariés sont « scotchés » au SMIC pour toute leur carrière et qu’il faut établir un étalement des salaires pour leur assurer une progression. Un rééchelonnement des grilles salariales est indispensable.

M. Juanico, je me tiens à votre disposition pour travailler sur le cas de l’entreprise Jean Caby.

M. Charles de Courson : L’exonération de cotisations sociales entraîne-t-elle une compensation pour les organismes de sécurité sociale ? Et comment avez-vous pu estimer le coût du crédit d’impôt : vous vous fondez sur un doublement de l’intéressement, mais quelle est la sensibilité des entreprises à ces nouvelles dispositions ?

M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité : Notre dispositif ne consiste aucunement en une substitution aux salaires. Il n’y a donc aucune perte de recettes pour la sécurité sociale. Le seul coût budgétaire est fiscal : c’est le crédit d’impôt. Il a été évalué par un travail en commun avec les associations du secteur, les entreprises, quelle que soit leur taille, et les prescripteurs. Nous tablons sur une évolution annuelle linéaire de 25 %, puis de 22 %, puis de 17 %, mais il pourrait y avoir de bonnes surprises. D’où l’importance de nos efforts de pédagogie.

M. Gérard Bapt : Le rapport de M. Yves Bur précité avait posé comme exigence de ne pas créer de nouvelle dépense fiscale, et la Cour des comptes s’est toujours exprimée dans ce sens. Vous allez donc à leur encontre. Quant à votre politique d’incitation, vous avez prévu de la rendre plus contraignante si le rapport d’étape, destiné à évaluer la diffusion de l’intéressement en 2010, en faisait apparaître la nécessité. Mais pourquoi ne pas choisir tout de suite cette option, s’il y a vraiment urgence ?

M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité : C’est comme pour le libre choix du salarié : il y a un véritable clivage entre nous. Vous êtes hostiles à l’incitation. Moi, j’y crois. Surveiller n’est pas se méfier et le bilan de 2010 sera très utile pour constater le rythme de progression du dispositif. Mais, en attendant, j’assume de préférer l’incitation.

Quant au rapport de M. Yves Bur, je rappelle qu’il n’y a aucune substitution entre notre dispositif et les salaires et que, puisqu’il n’y avait pas de cotisations auparavant, il n’y a aucune perte de recettes. Pour tenter de semer la confusion, vous évoquez sans cesse le rapport de M. Bur. Heureusement qu’il est là pour vous donner des idées…

Pour finir, je voudrais préciser les chiffres que je vous ai donnés tout à l’heure : selon Les Échos, l’augmentation du salaire moyen serait de 3,26 % en 2008 pour l’ensemble des salariés, et de 3,73 % en 2009. Celles des employés et des ouvriers seraient respectivement de 3,24 % et de 3,20 % en 2008.

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M. Pierre Morange, vice-président : Je prends acte de ce que les commissaires présents ne souhaitent pas s’exprimer au titre de la discussion générale du projet de loi, l’audition des ministres ayant permis à chacun de le faire longuement.

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Informations relatives à la commission

La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a désigné :

– M. Gérard Cherpion, rapporteur sur le projet de loi en faveur des revenus du travail (n° 1096) ;

– M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur sur le projet de loi généralisant le revenu de solidarité active et réformant les politiques d’insertion (n° 1100).