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Commission de la défense nationale et des forces armées

Mercredi 28 novembre 2007

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 16

Présidence de M. Guy Teissier, président

– Audition de M. Jean-Claude Mallet, président de la commission chargée de l’élaboration du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale

Audition de M. Jean-Claude Mallet, président de la commission chargée de l’élaboration du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale.

La commission de la défense nationale et des forces armées a entendu M. Jean-Claude Mallet, président de la commission chargée de l’élaboration du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale.

Le président Guy Teissier a souligné que cette audition répond à la demande de beaucoup de députés, qui, au-delà de ceux qui participent à la Commission du Livre blanc, souhaitent s’investir dans la réflexion en cours.

Il a ensuite indiqué que seront également entendus d’autres participants à l’élaboration du Livre blanc – militaires, hauts fonctionnaires et intellectuels ou encore avocats spécialisés dans la prospective – mais également des officiers stagiaires au Collège interarmées de défense (CID), c’est-à-dire les chefs de l’armée de demain, ainsi que les élèves des grandes écoles – Polytechnique, Navale, Saint-Cyr, École de l’air.

Il a enfin souhaité que le Livre blanc soit publié avant l’élaboration du prochain projet de loi de programmation militaire.

M. Jean-Claude Mallet a indiqué en préambule qu’il était convaincu de la nécessité d’échanges réguliers entre la Commission sur le Livre blanc et la représentation nationale, avant que soit arrêté le document final qui doit être approuvé par le Président de la République. Le sujet étudié étant d’intérêt national, il mérite que la commission du Livre blanc recueille un grand nombre d’avis. Composée de façon pluraliste, elle a déjà réalisé plus de cinquante auditions publiques – retransmises par les chaînes du câble et qui seront publiées en annexe du Livre blanc. Le président ainsi que des membres de la Commission ont effectué plusieurs déplacements dans des unités, sur des théâtres d’opération et dans plusieurs capitales européennes. Ces déplacements ont permis d’aller au contact des personnels dont les missions couvrent les secteurs de la défense et de la sécurité et de recueillir de nombreux témoignages des acteurs de terrain. Les consultations d’experts étrangers auxquelles la Commission procède par ailleurs lui permettent de recueillir des regards différents sur notre environnement international, ce qui est essentiel, particulièrement en matière de prospective stratégique.

À cet égard, si les conclusions du Livre blanc de 1994 n’ont pas laissé apparaître, dans le domaine de la prospective, de grandes lacunes, certains éléments n’ont pu être anticipés, telle la révolution Internet et ses conséquences sur la vie quotidienne, y compris celle des forces armées ou d’autres acteurs de la défense comme les services de renseignement et d’anticipation, d’analyse et de prospective.

L’ambition partagée par tous les membres de la Commission est de définir une démarche nouvelle, c’est-à-dire un concept global de sécurité nationale. Une telle orientation peut être dérangeante, mais on ne peut, d’un côté, prétendre que la sécurité intérieure et la sécurité extérieure sont indissolublement liées et, de l’autre, ne rien vouloir changer au dispositif actuel dans lequel projection extérieure et dimension militaire intérieure sont cloisonnées. Cette approche, souhaitée par le Président de la République, est d’ailleurs partagée par d’autres pays tels les États-Unis et la plupart des pays européens.

La démarche suivie repose essentiellement sur l’analyse des risques et menaces qui ont largement évolué depuis 1994. Au demeurant, depuis cette date, de nombreux travaux sont intervenus, qu’il s’agisse du projet de loi de programmation déposé en 2001 par le Gouvernement de M. Jospin, qui n’a pu être voté, ou de la loi de programmation militaire 2003-2008, sans parler de la professionnalisation des armées, décidée en 1996. À chaque fois, un rapport annexé retraçait la doctrine française en matière de défense. De son côté, la loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure (LOPSI), adoptée en 2002, était presque exclusivement centrée sur la sécurité intérieure, au sens de la sécurité individuelle des personnes et des biens et allouait des moyens nouveaux à la police et à la gendarmerie, sans pour autant aborder de façon centrale les questions liées au terrorisme ou au risque NRBC.

M. Jean-Claude Mallet a précisé que la Commission travaillait aussi bien à la réorganisation de l’appareil d’État qu’à la définition des grandes priorités de l’effort national, y compris en matière financière ; les lois de programmation militaire à venir, la nouvelle LOPSI ou le budget triennal du ministère de l’intérieur devant intégrer les différents éléments retenus. À cet égard, le dialogue entre le ministère de la défense et celui de l’intérieur est essentiel dans cet exercice.

L’ambition de la Commission prend en compte l’idée que la défense ou la promotion des intérêts de la Nation, concept collectif, sont liées à la sécurité nationale. La notion de sécurité nationale se distingue ainsi de celle de sécurité individuelle des personnes et des biens qui, elle, relève du concept plus classique de sécurité intérieure tel qu’il figurait dans la première LOPSI.

Les missions recouvrent celles des forces armées, celles des services de renseignement et des services d’anticipation, d’analyse et de prospective et, enfin, celles des forces de sécurité, dans lesquelles sont incluses les forces de sécurité publique, la sécurité civile et la gendarmerie nationale.

Il s’agit donc de concevoir des capacités de réaction, de prévention et d’action devant des menaces dont l’origine est le terrorisme, les grands trafics ou tous actes susceptibles de déstabiliser la vie nationale. Ces politiques doivent être appliquées dans le cadre d’une approche globale qui vise à décloisonner les actions des ministères..

Cette démarche a des conséquences concrètes et opérationnelles. Elle produit ses effets sur l’organisation générale de l’appareil d’État comme sur la répartition des moyens et lui permet d’envisager l’effort devant être fourni au service du citoyen. La population risque en effet d’être beaucoup plus menacée sur notre sol dans les quinze ans à venir qu’elle ne l’a été. Or depuis 1994, qu’il s’agisse de la professionnalisation, qui a été le moteur de la réforme et de la modernisation des armées, ou des lois de programmation militaire, tout a été centré sur la capacité des armées à intervenir à l’extérieur du territoire national ; l’idée, qui reste juste, étant que c’était à l’extérieur du territoire national que se jouait une bonne part de notre sécurité.

En 1994-1996, il a été décidé de faire en sorte : premièrement, que nos moyens militaires, grâce en particulier à la professionnalisation, soient rendus projetables sur des théâtres d’opération où nos intérêts, notamment stratégiques, étaient en jeu ; deuxièmement, que cette manœuvre des forces classiques soit indépendante, le cas échéant, de notre capacité de dissuasion. La communauté militaire tout entière, de même que la représentation nationale, ont adhéré à cette démarche.

Aujourd’hui, les démocraties d’Europe occidentale, si elles ne sont pas directement menacées à leurs frontières, sont devenues plus vulnérables. Après la chute du mur de Berlin, elles ont connu une période d’expansion et de grand optimisme avec la restauration de l’espace européen dans sa plénitude et la diminution drastique des arsenaux d’armement sur leur sol. Cet épisode a été vécu comme la victoire du modèle occidental qui avait mis à bas le système soviétique et qui allait bientôt être porté par la vague des nouvelles technologies de l’information et de la mondialisation, permettant à certains pays de connaître une croissance jusque-là freinée par le cloisonnement entre l’Est et l’Ouest.

Certes, en Bosnie, nos forces ont connu une situation dramatique et nous avons assisté parallèlement à la décomposition de certains États, y compris en Europe. Mais le sentiment de la supériorité militaire, technologique et idéologique des sociétés occidentales, la toute puissance américaine, la relance du processus de paix au Proche-Orient semblaient asseoir la sécurité de nos pays. C’est d’ailleurs à cette période que les hiérarchies militaire et administrative qui conseillaient les autorités politiques ont estimé que ce calme relatif permettait le passage à la professionnalisation.

Aujourd’hui, en revanche, on peut être plus inquiet. Si une démarche plus globale et plus proche du citoyen est nécessaire, c’est parce qu’il ne suffit plus de pouvoir projeter des forces à 2 500 kilomètres. La dimension de la protection, sans devenir l’alpha et l’oméga de notre défense, doit donc être beaucoup plus étayée. Cela exige de disposer, d’ici dix à quinze ans, d’une capacité à prévenir et à réagir, sur le territoire national, à des risques NRBC, des attaques informatiques, des actes de terrorisme majeurs, une menace balistique ou à toute action pouvant paralyser la vie nationale.

C'est dans ce nouveau contexte que les groupes de travail de la Commission du Livre blanc mènent leurs travaux, qu’ils aient pour objet l’évolution de l’environnement stratégique, la définition de la stratégie, le lien armée-sécurité-nation, la politique de ressources humaines ou encore la politique industrielle. Tous s’efforcent d’inclure dans leur réflexion les risques pouvant peser sur la population française, afin qu’ils soient mieux pris en compte.

Cette démarche ne saurait conduire, comme certains le craignent, à délaisser le rayonnement de la France, à abandonner les missions à l’extérieur du territoire national, bref à adopter une position de repli. Pour autant, un équilibre est à trouver. Les forces armées, les forces de sécurité nationale, les services de renseignement, les services d’anticipation, d’analyse et de prospective, doivent disposer d’une capacité de prévision, de protection et, le cas échéant, d’intervention au service des citoyens. Il faut que ces derniers sachent que la contribution à l’effort de défense qui leur est demandé est fait pour eux, de même qu’il faut qu’ils puissent comprendre que si l’on envoie des forces dans la zone afghano-pakistanaise, c’est parce que c’est là, notamment, que se forment les terroristes susceptibles de menacer l’Europe.

Il faut aussi refonder le lien entre l’armée, les forces de sécurité et la nation, tel est d’ailleurs l’objet du groupe de travail présidé par Mme Hervieu-Léger, présidente de l’Ecole des Hautes Eudes en Sciences Sociales. La relation avec la représentation nationale et les élus locaux doit être repensée pour donner à l’action en matière de sécurité nationale et de défense toute sa légitimité. Dans le cadre du projet de révision de la Constitution, la Commission du Livre blanc estime d’ailleurs essentiel que le Parlement puisse délibérer.

Ce projet de révision, important pour le renforcement des pouvoirs du Parlement, implique aussi un toilettage de certaines dispositions anciennes, par exemple l’article 36 de la Constitution, comme le Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République l’a préconisé. Les conclusions du Livre blanc devront proposer une adaptation de l’ordonnance de 1959 pour sa partie figurant dans le code de la défense.

La défense ne peut non plus être imaginée dans dix ou quinze ans sans une politique de ressources humaines, particulièrement si la contrainte financière et la rationalisation de l’organisation de l’administration doivent conduire à des restructurations importantes. Pourraient d’ailleurs être créées des passerelles entre les métiers afin, par exemple, que les compétences des militaires soient reconnues dans l’administration ou dans le domaine du renseignement et que les filières puissent bénéficier d’un recrutement plus large. De même, convient-il d’adapter notre politique en matière de réserves où une multiplicité de cadres existe – réserve opérationnelle et citoyenne, réserve de la police et, depuis cet été, réserve sanitaire – malgré des effectifs encore insuffisants.

Le maître mot du travail de la Commission du Livre blanc, qui est sans cesse rappelée au réalisme en matière d’hypothèses financières, est celui de la « mise en cohérence » des objectifs et des ressources.

L’évolution des modèles d’armée exige une planification permettant une vision à l’horizon de quinze ans des développements des programmes et du coût qu’ils représentent au sein de telle ou telle des enveloppes qui seront soumises aux arbitrages du Président de la République.

Ce défi de « mise en cohérence » est fondamental pour la crédibilité des futures décisions. Ainsi, le souci de la Commission est-il de maintenir une articulation permanente entre le Livre blanc, la planification et les futures lois de programmation militaire. Le calendrier doit permettre au Parlement, au printemps, de prendre connaissance des orientations du Livre blanc et d’en débattre, en lien avec le projet de loi de programmation.

En ce qui concerne les questions industrielles, dont un groupe de travail animé par Jean-Martin Folz s’occupe plus spécifiquement, se pose d’abord la question du maintien des compétences. Il faut analyser les problèmes que rencontrent les entreprises françaises afin de les aider à maintenir leurs compétences dans les domaines stratégiques.

S’agissant de la recherche et technologie, le débat porte sur le niveau de l’effort, notamment public, à fournir ainsi que sur sa répartition entre pays européens.

M. Michel Grall a souhaité revenir sur Internet, le cyberterrorisme et les cyberattaques.

Quel est l’état de la réflexion de la Commission sur ce qui constitue, pour la France et l’Europe sans doute davantage que pour les États-Unis, une vulnérabilité majeure ? Des pays d’Europe du Nord auraient été victimes de cyberattaques ; la presse fait état de 30 millions de « PC zombis » contrôlés à distance ; quelles sont aujourd’hui les menaces, les protagonistes, les impacts potentiels pour la défense comme pour la sécurité nationale ? Quelles réponses la France pourrait-elle apporter ? La République veut-elle se doter d’une stratégie purement défensive ou souhaite-t-elle se montrer plus offensive ? Quelle organisation conviendrait-il de mettre en place sur ce sujet majeur pour les quinze années qui viennent ?

M. Jean-Claude Mallet a souligné que le groupe de travail en charge de l’analyse des menaces, comme celui qui tente de définir une stratégie, considèrent ce sujet comme majeur. Les Américains sont plus avancés pour leurs capacités offensives, grâce au commandement spécialisé placé sous l’égide de l’US Air Force, mais ils connaissent aussi des vulnérabilités.

Pour sa part, même si la France dispose de capacités, elle pourrait être victime, dans les quinze ans qui viennent, d’une vulnérabilité pour les citoyens, pour les entreprises et le cas échéant, pour le système de défense.

L’inquiétude tient précisément à la capacité de certains États d’organiser des actions offensives. La puissance des capacités correspondantes va augmenter fortement dans les prochaines années, il suffit pour s’en convaincre d’observer que les virus ou les vers qui mettaient quelques jours pour se répandre n’ont ensuite mis que quelques heures et même, lors du dernier incident majeur qui a eu lieu en 2003-2004, que quelques minutes.

Ce souci apparaissait d’ailleurs déjà en germe dans la programmation 2003-2008..

M. Jean-Claude Viollet a évoqué les travaux en cours et a estimé que la revue de programmes, pratiquement terminée, montrerait une difficulté à pourvoir les programmes déjà prévus. Le ministre de la défense a lui-même fait état d’un manque portant sur plusieurs milliards d’euros. Certes, il y a des reports, mais ceux-ci pourraient être annulés par Bercy, au risque d’embarras supplémentaires. On parle même aujourd’hui de provisions pour autorisations d’engagement…

Dans ces conditions, il serait intéressant de préciser l’impact de la revue de programmes sur la réflexion sur le Livre blanc. Ne risque-t-elle pas de conduire à des décisions qui hypothéqueraient les orientations stratégiques de celui-là ? On peut aussi se demander comment le Livre blanc sur la défense s’articulera avec le Livre blanc des affaires étrangères, la révision générale des politiques publiques (RGPP) et un certain nombre d’autres travaux.

Le Conseil de sécurité nationale a par ailleurs été évoqué à plusieurs reprises. Il reprend un modèle anglo-saxon peu compatible avec les traditions françaises. La commission continue-t-elle à considérer qu’il s’agit d’une perspective envisageable ? Voit-elle ce conseil comme une nécessité absolue ou s’agit-il d’une idée parmi d’autres, pouvant s’intégrer dans l’organisation existante avec le SGDN ?

Il s’est encore interrogé sur la définition exacte de la menace ainsi que la réponse qu’il est envisagé lui apporter. On parle parfois de guerre préventive, mais il s’agirait là d’un changement de doctrine, susceptible de mettre la France en contradiction avec l’article 51 de la charte des Nations unies qui définit les conditions de la légitime défense en cas d’agression. Or, s’il n’y a pas d’agression, que peut bien signifier la prévention ? Dans ce contexte, quelle place fait-on à la recherche des solutions diplomatiques pour résoudre les crises ?

Enfin, lorsqu’il a souhaité que le Parlement soit impliqué, M. Mallet a-t-il voulu dire que ce Livre blanc qui couvre un champ sans précédent devrait faire l’objet d’un débat et d’un vote du Parlement ? Cela paraîtrait d’autant plus nécessaire qu’il aura des répercussions sur les futures lois de programmation militaire dont la prochaine pourrait commencer à être préparée avant même la remise définitive du document.

M. Jean-Claude Mallet a rappelé que la lettre de mission prévoyait que la Révision générale des politiques publiques (RGPP), comme les constats qui seront faits dans le cadre de la revue de programmes, viendraient alimenter les travaux du Livre blanc et qu’il veillait particulièrement au respect de cette disposition. Cela étant, la vie continue et des décisions ont été prises pour le budget 2008 comme pour l’exécution du budget 2007.

Lorsque le constat établi par le ministère de la défense aura été présenté dans un cadre interministériel, les éléments provenant de la revue de programmes devront être incorporés, probablement en janvier, dans la réflexion de la Commission sur les modèles d’armées et les modèles stratégiques devant être présentés au Président de la République.

Un travail identique sera fait dans le cadre de la RGPP et permettra de dégager les marges de manœuvre et les économies réalisables, en appliquant une consigne de rationalité financière et administrative à l’ensemble de l’appareil de défense. La Commission du Livre blanc ne pilote pas ces exercices, mais elle les utilisera.

S’agissant du Livre blanc des affaires étrangères et des affaires européennes, des échanges réguliers sont entretenus avec l’équipe qui en a la charge. Le rapporteur général du Livre blanc des affaires étrangères – lequel doit être publié fin juin – siège d’ailleurs quand il le souhaite à la Commission sur le Livre blanc de la défense et la sécurité nationale.

Sur un Conseil de sécurité nationale, M. Jean-Claude Mallet a reconnu que le dispositif du conseil de sécurité américain est éloigné du modèle français.

Il a indiqué que la définition de la menace englobe tout à la fois des éléments liés au terrorisme, aux difficultés de la paix au Proche-Orient, à la menace balistique, au déplacement du centre de gravité des intérêts stratégiques vers l’Asie, à la mondialisation et au risque informatique ainsi qu’aux crises sanitaires.

Il a par ailleurs précisé qu’il n’est pas question d’entrer dans une logique de guerre préventive. La loi de programmation 2003-2008 ouvre la possibilité, lorsqu’une menace avérée est clairement identifiée et urgente, de mener une action préemptive. Néanmoins il s’agit de possibilités ponctuelles, comme par exemple l’extraction de ressortissants français et européens, et non d’opérations de guerre majeures.

Bien évidemment, la prévention par l’action diplomatique sera abordée, de même que la position de la France sur un certain nombre de sujets comme le désarmement, en particulier nucléaire, la non-prolifération ou le traité sur le commerce des armes. M. Jean-Claude Mallet a précisé sur ce point qu’il avait reçu le collectif des associations en faveur du traité sur le commerce des armes ; certaines de leurs propositions sont à l’étude, en liaison avec le ministère des affaires étrangères.

La question d’un débat au Parlement relatif au Livre blanc a été évoquée lors des auditions publiques, et l’association des parlementaires au processus est souhaitable.

M. Yves Fromion a contesté l’idée que les Français n’auraient pas le sentiment qu’il existe aujourd’hui une menace à leurs frontières. Pour eux, le débat s’est tout simplement déplacé avec les frontières de l’Europe ; pour s’en convaincre il n’est qu’à voir leurs réactions lorsqu’on évoque le conflit dans les Balkans et, surtout, l’entrée de la Turquie dans l’Union. Ils ont bien compris que si l’on passe le Bosphore, on pousse les frontières de l’Europe jusqu’à celles de la Turquie c’est-à-dire en direction de la plus grande poudrière du monde.

Il a par ailleurs souhaité mettre l’accent sur la course à la domination technologique. On sait que c’est par celle-ci que les Américains ont fait plier les Soviétiques. Et il ne faudra sans doute pas attendre quinze ans pour que l’évolution de la Chine pose des problèmes sérieux aux entreprises et à l’économie européennes.

Si ce Livre blanc est destiné à faire comprendre aux citoyens que l’on s’occupe des menaces qui pèsent sur eux, il faut prendre en compte la domination technologique, qui est peut-être la plus effrayante d’entre toutes. Par le financement de leur politique de défense, les Américains irriguent leur recherche tandis qu’en Europe, la recherche en matière de défense est très mal vue. Les Français doivent donc comprendre l’intérêt qu’il y a à soutenir l’outil de recherche et l’outil industriel par la politique de défense, tout simplement pour ne pas capituler dans cette compétition.

M. Jean-Claude Mallet a convenu que ce sujet était délicat, car il faut être très présent dans tous les aspects liés à la recherche, à la technologie et à l’appareil industriel, tout en veillant à ce que cet appareil soit efficace pour la production d’équipements destinés aux forces. Or le niveau d’ensemble des commandes payées et prévues et leur séquencement ne semblent pas toujours compatibles avec les contraintes des finances publiques.

L’effort de recherche soutenu par le ministère de la défense, l’appareil industriel, la politique d’équipement sont des éléments de l’autonomie stratégique qu’il est souhaitable que la France et l’Europe conservent. Cependant on doit aussi aux Français de veiller à ce que la dépense soit efficace en termes de sécurité et de capacités militaires. Or ces deux objectifs peuvent être contradictoires, on le voit avec les problèmes des programmes dont le coût d’ensemble est supérieur aux prévisions des lois de programmation.

En tout état de cause, on ne fera pas l’Europe de la recherche et de la technologie en additionnant la pauvreté des efforts de défense des membres de l’Union. L’engagement que le Président de la République a pris pendant la campagne présidentielle, qui figure également dans la lettre de mission, consiste à maintenir l’effort de défense de la France, avec comme référence une norme d’environ 2 % du PIB.

M. Jean Michel s’est réjoui que l’audition de M. Jean-Claude Mallet permette de réaffirmer le rôle du Parlement dans la préparation du Livre blanc. Quatre parlementaires seulement siègent à la commission qui comprend sept groupes de travail. Il faut espérer qu’il y aura un débat en séance publique car c’est ainsi que l’on abordera la question de la défense de la nation et des Français de la façon la plus consensuelle possible.

Il s’est dit inquiet des discours ambiants qui conduisent à voir la menace partout.

Dans un monde éclaté, la superpuissance américaine ne contrôle plus rien, les Britanniques et les Allemands, tout comme les Français, en on pris conscience. Évoquant les menaces du passé telles Berlin, Suez, la Hongrie, la guerre des Six Jours et la Tchécoslovaquie, où c’est le territoire tout entier qui pouvait être rayé de la carte, il a ensuite fait valoir que la France avait déjà connu le terrorisme dans les années 70 à 90.

S’il est légitime d’insister sur la technologie, il ne faut toutefois pas oublier que la guerre du Vietnam a été perdue en dépit de la puissance technologique américaine ; aujourd’hui la situation en Irak est catastrophique et celle en Afghanistan ne vaut guère mieux. Cela étant, même si l’effort français en matière technologique est plus important qu’il ne l’a été ces dernières années, il demeure très insuffisant, en particulier pour l’espace et l’observation. Il suffirait pourtant d’un effort supplémentaire de 200 millions d’euros pour garantir l’indépendance des renseignements français.

Certes, il faut tenir compte de la réalité budgétaire de la France, mais on doit garder à l’esprit qu’à chaque fois qu’il a fait preuve de détermination, qu’il a lutté pour préserver son indépendance et qu’il a su faire les efforts nécessaires en matière de défense, notre pays s’est redressé sur le plan économique. C’est ce qui s’est passé en 1958. L’effort qui est aujourd’hui nécessaire est sans doute comparable à celui qu’il a fallu alors accomplir pour rattraper le retard technologique et pour produire la bombe H.

S’agissant de l’effort budgétaire nécessaire, pourquoi se fixer un objectif chiffré alors qu’il faut s’adapter à la menace ? Si l’on s’aperçoit que les besoins de défense sont supérieurs aux prévisions, il faut en tenir compte car la crédibilité et la souveraineté sont à ce prix.

M. Jean-Claude Mallet a indiqué qu’il était prêt à venir informer le Parlement aussi souvent que nécessaire afin de rendre compte de l’état d’avancement des travaux et de préparer les discussions à venir. Il appartiendra ensuite à la représentation nationale de débattre en séance publique.

Il faut bien déterminer l’effort de défense en fonction de ce que l’on va défendre, tout en se situant désormais dans le cadre de frontières européennes.

Des menaces sont effectivement liées au risque d’attaque informatique ; la France doit renforcer ses capacités d’analyse et de réaction qui tiennent aussi à la bonne connaissance de ces réseaux. Il faut donc passer des messages et montrer, notamment, que le terrorisme a changé de visage : la capacité et la volonté de destruction massive des réseaux terroristes actuels sont sans commune mesure avec ce qu’elles étaient auparavant. Un travail d’acculturation et d’information des citoyens doit être conduit afin d’élever ce que l’on appelle la résilience, c’est-à-dire la capacité du pays à encaisser un choc et à rétablir ensuite un mode de fonctionnement à peu près normal. On l’a vu à Londres et à Madrid. Il ne s’agit pas, cette fois, d’invasion du territoire, mais l’attaque peut être suffisamment perturbante pour déstabiliser la vie sociale et économique.

En ce qui concerne les technologies, il faut être conscient qu’aujourd’hui les outils militaires sont construits pour assurer le succès des armes : comme les Américains et les Alliés, les Français sont capables d’obtenir une victoire militaire et cette capacité doit être préservée, mais demeure la question de la suite, comme l’illustrent certaines crises actuelles. Cela doit conduire à mesurer les interventions - et le Parlement jouera un rôle en la matière – mais aussi à apprécier comment doit être conduite la phase qui suit l’action militaire forte, afin de ne pas s’enliser.

On parle souvent des menaces asymétriques, mais il faut aussi évoquer les postures « stratégiques asymétriques » : lorsque la France défendait le territoire national avec une armée de conscription parce que les armées soviétiques étaient proches des frontières, il était évident qu’il s’agissait d’intérêts vitaux. Lorsque l’on intervient à des milliers de kilomètres du territoire national, la situation peut être en partie inversée, les forces françaises peuvent se trouver face à des gens qui croient ou prétendent se battre pour leurs terres ou leur vision de la civilisation chez eux. Il faut tenir compte de cette asymétrie politique et stratégique dans l’analyse de la rationalité des engagements de la France à l’extérieur. C’est indispensable pour être en situation de force morale et internationale.

S’il est effectivement souhaitable de maintenir un effort budgétaire suffisant, le rôle de la Commission sur le Livre blanc est de permettre au Gouvernement de faire des choix cohérents. Elle ne peut se contenter de prôner l’augmentation de telle ou telle dotation.

Le Président de la République a clairement indiqué, le 23 août dernier, qu’il fallait être exigeant quant à l’indépendance de la France, ambitieux pour l’Europe, tout en restant ouvert sur la question des alliances. De ce dernier point de vue, notre pays occupe d’ores et déjà une place plus importante dans les différentes instances, y compris de l’organisation atlantique, qu’on ne le pense en général. La question est donc plutôt de savoir s’il convient ou non de rénover ces instances, sachant que cette rénovation s’effectuera parallélement à des progrès, essentiels, au sein de l’Union européenne.

M. Patrick Beaudouin a souligné que les conclusions du Livre blanc ne seront totalement efficaces que si le peuple adhère aux choix qui seront faits. Force est de constater qu’aujourd’hui le lien armée-nation n’est pas véritablement structuré, même si les intervenants sont nombreux, depuis les correspondants défense jusqu’aux chercheurs, en passant par les membres de l’éducation nationale ou les correspondants de l’Institut des hautes études de la Défense nationale. Il faut donc parvenir à diffuser l’esprit de défense, d’autant plus que toutes les menaces qui ont été évoquées nécessitent que la population s’approprie cet esprit.

Sa revivification passe par l’éducation et par la formation et l’on ne peut que se réjouir que la Commission travaille sur cet aspect. L’accent sera-t-il mis sur une démarche volontaire ou sur une forme d’obligation dans le cadre du parcours scolaire, universitaire ou professionnel ? Il lui faudra aussi s’intéresser au rôle des médias.

Enfin, les questions d’environnement n’ont pas été évoquées. Le changement climatique, en particulier la montée du niveau des mers, peut être à l’origine de mouvements de population qui viendront aggraver les questions de l’alimentation et de l’accès à l’eau. La commission considère-t-elle cela comme une menace, qui n’appellera pas uniquement une réaction humanitaire ?

M. Philippe Folliot a estimé que les propos de M. Mallet sur les nécessités de l’après intervention ne font que confirmer le besoin de disposer de deux forces de sécurité, l’une à statut civil et l’autre à statut militaire.

En 1994, le précédent Livre blanc avait insisté sur la capacité de projection de l’armée de terre. Dans un contexte budgétaire contraint, celui qui est en préparation ne pourra se contenter d’additionner des promesses, il devra proposer des choix. Pour maintenir cette capacité de projection, sans doute faudrait-il aller vers une mutualisation du soutien. La Commission a-t-elle réfléchi aux enjeux de cet aspect en termes de densification et d’aménagement du territoire ? A-t-elle l’intention de mettre en avant des orientations dans un domaine où le chef d’état-major avait par exemple envisagé de recréer des villes de garnison ?

M. Jacques Lamblin a rappelé, qu’il y a quelques mois, la Chine a montré qu’elle était capable de détruire un satellite. On sait par ailleurs que la meilleure façon de désorganiser un pays est de s’attaquer à ses moyens d’information, de communication et de localisation, qui reposent tous sur des satellites. La France n’aurait-elle pas intérêt à se placer à la pointe de la technologie de protection des satellites, ce qui passe probablement par la capacité d’attaquer les satellites ennemis ?

M. Jean-Claude Mallet a rappelé son attachement au lien entre l’armée et la nation et suggéré que des échanges entre les membres intéressés de la commission de la défense et le groupe de travail que préside Mme Hervieu-Léger soient organisés. Ce groupe a déjà évoqué les questions importantes de service civique, de volontariat et de politique des réserves. Il devra aussi s’intéresser à la communication, des journalistes auditionnés dans le cadre des auditions publiques ayant fait d’intéressantes suggestions en la matière.

Les risques liés à la question de l’eau et de l’alimentation sont pris en compte. On a aussi entendu lors des auditions publiques que la lutte contre le trafic de stupéfiants associait des moyens militaires et non militaires de façon très féconde. Il en va de même pour les problèmes d’immigration massive. Il faudra également s’efforcer de tenir compte des risques de crise sanitaire et environnementale.

Même s’il y a eu pour l’instant peu de débats sur ce point, la réaffirmation du statut militaire de la gendarmerie paraît incontournable.

La Commission n’a en revanche pas été saisie des questions relatives à la densification car celles-ci relèvent de la RGPP. Elle s’y intéressera donc ultérieurement. Il est certain que la présence des unités militaires sur le territoire fait partie de la vie du pays. Il s’agit d’un élément de concrétisation de l’articulation entre la nation et ses forces. À trop rompre ce lien, on prendrait le risque de renforcer le sentiment d’une délégation de la sécurité aux professionnels et aux experts. La France a besoin d’une présence des armées dans le tissu national, mais il faut aussi rechercher une rationalité dans cette organisation. Il va donc falloir trouver un équilibre entre ces deux exigences.

En ce qui concerne les satellites, la capacité technologique dont la Chine vient de faire preuve est jugée impressionnante par les experts. Le débat reste à venir, mais il paraît impensable que la Commission ne rappelle pas l’importance de l’effort spatial de la France.

——fpfp——