Accueil > Travaux en commission > Commission de la défense nationale et des forces armées > Les comptes rendus

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Commission de la défense nationale et des forces armées

Mercredi 9 janvier 2008

Séance de 10 heures 30

Compte rendu n° 17

Présidence de M. Guy Teissier, président

– Table ronde, dans le cadre du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, avec des officiers supérieurs du collège interarmées de défense (CID)

– Informations relatives à la commission

Table ronde, dans le cadre du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, avec des officiers supérieurs du collège interarmées de défense (CID)

Après avoir présenté ses vœux à l’ensemble de la commission, le président Guy Teissier a indiqué avoir accepté la proposition de M. Yves Fromion d’organiser des tables rondes avec les futurs responsables des armées. Ces rencontres plus informelles permettent de compléter la réflexion engagée par la commission du Livre blanc et correspondent à la volonté du Président de la République d’ouvrir le débat le plus largement possible afin de préparer la future loi de programmation militaire dans des conditions optimales. Des stagiaires du collège interarmées de défense et des élèves des grandes écoles militaires seront ainsi entendus et pourront faire état de leurs réflexions sur l’avenir et les enjeux de la défense et de la sécurité.

Il a ensuite demandé aux stagiaires du collège interarmées de défense de se présenter.

Le lieutenant-colonel Gilles Martin, âgé de trente-sept ans, a intégré directement la gendarmerie nationale, à l’issue de sa scolarité à l’école spéciale militaire de Saint-Cyr. Comptant dix-sept ans de service, il a effectué un tiers de sa carrière en état-major, et les deux autres tiers dans des postes opérationnels que ce soit, à part égale, dans la gendarmerie mobile, en métropole et en outre-mer, ou dans la gendarmerie départementale où il a commandé une compagnie en Seine-et-Marne.

Le médecin principal Xavier Desruelles, âgé de trente-cinq ans, n’a intégré l’école du service de santé des armées de Lyon-Bron qu’à la fin de sa sixième année de médecine. À l’issue de sa scolarité, il a successivement servi comme médecin généraliste en unité et comme adjoint au chef de bureau opérations-instruction du 1er régiment médical, en périphérie de Metz. Après avoir réussi un concours en matière de techniques d’état-major, il a intégré la direction régionale du service de santé des armées de Metz, avant de participer à l’opération Licorne en tant que médecin praticien, adjoint du chef de santé de théâtre.

À l’issue de son cursus à l’école spéciale militaire de Saint-Cyr, le chef d’escadron Benoît Aumonier a choisi de servir dans l’arme blindée de la cavalerie. Sa carrière a été essentiellement opérationnelle, que ce soit au sein de l’escadron blindé du 4e régiment de chasseurs de Gap ou au sein de l’escadron blindé du 1er régiment de hussards parachutistes de Tarbes. À ce titre, il a participé à plusieurs opérations extérieures, en Côte-d’Ivoire ou au Kosovo. Après avoir assuré le commandement d’une compagnie d’élèves officiers à l’école spéciale militaire de Saint-Cyr, il a intégré le collège interarmées de défense.

Issu de la promotion 1990 de l’école navale, le capitaine de frégate Dominique Caillé a servi, dans sa première partie de carrière, dans les forces sous-marines et dans les forces de surface, affecté sur un sous-marin nucléaire d’attaque et sur une frégate anti-sous-marine avant de commander le bâtiment école Panthère basé à Brest puis l’aviso toulonnais Commandant Bouan. À terre, il a exercé les fonctions de chef de cabinet de l’amiral commandant la force d’action navale et de chef du détachement de liaison « mer » au sein de l’état-major des forces navales américaines à Bahreïn.

Le commandant Sébastien Vallette a été affecté, dès sa sortie de l’école de l’air, à l’escadron de chasse 1/12 « Cambrésis » basé à Cambrai. Ayant acquis ses différentes qualifications, il a participé à l’opération Trident au Kosovo, à l’opération Alysse en Arabie Saoudite et à différents exercices internationaux, que ce soit dans le cadre de l’OTAN ou dans un cadre bilatéral, comme par exemple avec l’Inde. Pilote de chasse, spécialisé dans la défense aérienne, il a souligné avoir été particulièrement marqué par les attentats du 11 septembre 2001 et avoir participé au renforcement du dispositif de posture permanente de défense. Avant de rejoindre le collège interarmées de défense, il a été affecté au service d’information et de relations publiques de l’armée de l’air.

Le président Guy Teissier les a ensuite invités à s’exprimer sur les perspectives des armées.

Le lieutenant-colonel Gilles Martin, a estimé que l’avenir et les enjeux de la défense sont intimement liés tant au contexte international et à l’ordre mondial qu’à la vision politique de la France en matière de défense.

Depuis la chute du mur de Berlin, la mondialisation a conduit à des changements géopolitique majeurs : les frontières se sont peu à peu estompées, remplacées par de grands agrégats comme l’Union européenne. L’analyse de la situation internationale passe désormais par une connaissance des flux démographiques, économiques, énergétiques, financiers, culturels et des flux d’information. Dans le même temps, la révolution en matière de transmission de l’information impose aux forces armées d’accroître leur réactivité.

Ces changements en termes d’espace et de temps modifient la menace devenue diffuse et permanente. Le concept de défense ne doit plus être entendu comme la seule réaction à une agression mais comme un gage de sécurité contre ces nouveaux risques. La notion de sécurité nationale apparaît à cet égard plus globale et bien mieux adaptée aux dangers portés par la mondialisation en matière de sécurité intérieure, de sécurité civile ou de sécurité économique ; la défense militaire en constituant le bras armé.

La définition de la politique de défense et de sécurité ne peut faire l’économie d’une réflexion sur la place de la France dans le monde, la question étant de savoir si celle-ci doit rester une grande puissance ou si elle doit devenir une puissance de second ordre. Il a estimé que notre pays, membre permanent du conseil de sécurité des Nations unies, puissance nucléaire, ne saurait renoncer à son rôle international sans accroître les risques d’instabilité mondiale. Dans un contexte économique difficile et face à des acteurs émergents, la France doit toutefois veiller à préserver des pôles d’excellence dans le domaine de la défense et de la politique étrangère, gages de sa crédibilité et de son efficacité sur la scène mondiale.

Détaillant l’avenir de la défense, le médecin principal Xavier Desruelles a d’abord appelé à un développement de la défense européenne, sans pour autant négliger la coopération avec l’alliance atlantique. L’Union européenne doit se doter de son propre outil de défense et encourager le développement des partenariats entre les États. Cet objectif impose à la France de maintenir une capacité opérationnelle effective en disposant d’un outil de défense à la hauteur de ses ambitions internationales, ce qui exclut des économies de moyens. Une attention particulière doit être portée aux personnels, les armées devant être aussi attractives que les entreprises privées.

Déplorant qu’une part importante de la population ne mesure pas l’intérêt d’un outil de défense complexe et onéreux, il a plaidé pour un renforcement du lien entre l’armée et la nation passant par une plus forte implication sur le territoire national des forces armées, objectif qui doit guider la réorganisation programmée des implantations militaires.

Faute de connaître les menaces qui pourront surgir dans quinze ou vingt ans et dans l’attente d’une politique européenne de sécurité et de défense plus aboutie, il convient de préserver les compétences et les savoir-faire, même si cela impose une réorganisation en interne.

Indiquant que seuls les États-Unis et l’Allemagne disposent d’un service équivalent, il a rappelé la spécificité des missions confiées au service de santé des armées (SSA) qui prend en charge les blessés en zone de combat mais qui assure également leur préparation (amont) et leur suivi médical (aval). À ce jour aucune structure privée n’est en mesure de proposer un service aussi efficace et pérenne, les personnels militaires étant amenés à opérer dans des conditions souvent très difficiles.

Compte tenu de ces contraintes, le service de santé peine toutefois à recruter et à fidéliser tous ses personnels. Un effort de valorisation et de reconnaissance est indispensable pour préserver l’excellence de ce pôle et en renforcer l’attractivité.

Toutes les composantes du service de santé, qu’il s’agisse des médecins d’unité, des hôpitaux, des écoles de formation ou des centres de recherche, participent au soutien opérationnel des militaires et travaillent à l’amélioration des conditions sanitaires de rapatriement des blessés. Les praticiens hospitaliers constituent une réserve de projection indispensable : leur activité en métropole leur permet de préserver ou de développer les compétences utiles en opérations où ils disposeront du même matériel. Afin d’adapter au mieux les matériels aux besoins, les centres de recherche interviennent dans des domaines qui ne sont pas abordés dans le civil, qu’il s’agisse des risques NRBC, de l’interface entre l’homme et sa machine, ou de la problématique de l’homme dans un environnement hostile.

Le service de santé intègre pleinement les réformes de l’enseignement supérieur, de la recherche et de la santé publique, les militaires en opérations devant bénéficier de la même qualité de soins qu’en métropole. Il a relevé que les hôpitaux militaires sont ouverts aux civils et que les unités du SSA participent à l’ensemble des plans gouvernementaux concernant notamment le risque NRBC ou en assurant la formation des urgentistes du Samu et des sapeurs-pompiers.

En préambule, le chef d’escadron Benoît Aumonier a souligné qu’un officier a pour mission de préparer et de conduire des hommes en opération.

La démographie, la rareté des ressources et la déliquescence de certains États entretiennent une instabilité internationale expliquant la multiplication des théâtres d’opérations. Le « triangle stratégique », doctrine essentielle de l’armée de terre, vise à assurer la sécurité des Français, à stabiliser les zones d’intérêt de la France et à répondre, dans un cadre multinational, à une crise grave. L’armée de terre est en mesure de remplir toutes ces missions ; elle assure d’ailleurs aujourd’hui 80 % des opérations extérieures.

Le contexte d’intervention a profondément évolué, les opérations apparaissant de plus en plus dures et complexes. Sous le contrôle des médias, les militaires interviennent désormais au milieu des populations, dans des zones difficiles, comme les environnements urbains ou la montagne où les équipements techniques ne répondent que partiellement aux besoins. Intervenant fréquemment dans un cadre multinational, ils doivent également collaborer avec des organisations humanitaires ou avec d’autres forces armées voire avec des forces locales de police. La difficile stabilisation des théâtres contribue par ailleurs à augmenter la durée d’intervention. La diversité des missions confiées aux armées impose enfin le développement de nouvelles compétences que ce soit en opérations, avec par exemple la lutte contre le narcotrafic, ou sur le territoire national en cas de catastrophe naturelle.

La pérennisation du rôle international de la France impose le maintien d’un volume suffisant de troupes à engager en opérations, condition indispensable à la réussite de tout engagement. Le contrôle du terrain exige un nombre minimum de soldats : en Côte-d’Ivoire, 900 chasseurs devaient par exemple assurer la sécurité d’une zone équivalant à cinq départements français.

Des efforts doivent à ce titre être engagés pour adapter les outils aux missions : les équipements doivent être actuels, disponibles et polyvalents, un équilibre devant être trouvé entre sophistication et rusticité. Il a regretté que les petits programmes de cohérence opérationnelle aient fait l’objet d’arbitrages budgétaires défavorables. Ainsi les hélicoptères et les véhicules blindés intervenant en Côte-d’Ivoire ne pouvaient communiquer faute de radios cryptées alors que les forces adverses disposaient de téléphones satellites de dernière génération.

Le système d’arme de l’armée de terre reste centré sur les militaires qu’il convient de former et de fidéliser. Outre la formation initiale, l’accent doit être mis sur la formation continue et sur l’entraînement. La violence et la complexité des opérations demande aux militaires de fortes qualités psychologiques, morales et intellectuelles.

Les rémunérations ne semblent pas toujours correspondre aux efforts exigés des soldats qui peinent parfois à concilier vie familiale et vie professionnelle avec des déploiements de plus en plus fréquents. La reconnaissance nationale joue alors un rôle décisif de cohésion, témoignant de l’importance et de l’intérêt portés aux missions des militaires.

En conclusion, le chef d’escadron Benoît Aumonier a fait valoir que l’armée de terre participe à la cohésion nationale, formant chaque année plus de 15 000 jeunes.

Le capitaine de frégate Dominique Caillé a présenté les missions dévolues à la marine nationale qui se caractérisent par leur permanence et leur polyvalence. Trente-cinq navires et un SNLE sont constamment déployés. L’ensemble de ces bâtiments fonctionne de manière autonome, les personnels à bord pouvant être amenés à exercer plusieurs métiers différents. Chaque bâtiment est ainsi en mesure d’intervenir dès sa sortie du port, dans n’importe quel contexte – national, bilatéral, multinational – et pour n’importe quel type d’intervention, qu’il s’agisse de surveillance ou de combats de haute intensité.

L’engagement de la force peut intervenir de manière très soudaine et très violente comme en témoigne l’arraisonnement d’un bateau de pêche brésilien dans les eaux françaises au cours duquel l’équipage a cherché à s’emparer des armes des commandos français et à les retourner contre eux. De même des pirates ont récemment ouvert le feu sur des bâtiments de guerre américains au large de la Somalie. Les conséquences stratégiques éventuelles de tels affrontements imposent aux marins d’être parfaitement opérationnels tant techniquement qu’humainement grâce à un niveau élevé d’entraînement.

Les missions de la marine nationale sont aujourd’hui tournées vers le large afin de contenir la menace et les contrevenants à la source. Le dispositif couvrant la Méditerranée a par exemple été remanié en profondeur après l’échouage de l’Est Sea sur les côtés varoises en février 2001. De même la task force 150, déployée dans l’Océan indien, essaie de contrer les trafics qui participent, d’une manière ou d’une autre, à alimenter les réseaux terroristes. Plus globalement la marine nationale est aujourd’hui chargée d’assurer la sécurité des routes ou espaces maritimes par lesquels transitent 80 % des biens de consommation et l’essentiel des ressources énergétiques. Pour répondre à ces objectifs, des moyens lourds sont engagés, comme le porte-avions Charles de Gaulle ou les bâtiments de projection et de commandement (BPC) Tonnerre et Mistral.

Les navires de guerre permettent d’intervenir en haute mer, à des distances importantes de la métropole, à condition de bénéficier de conditions de maintenance optimales. Les efforts engagés pour améliorer la disponibilité apparaissent très encourageants et contribuent au moral de l’ensemble des personnels. La politique de modernisation de la maintenance doit néanmoins être pérennisée ; le maintien en condition opérationnelle restant sujet d’inquiétudes, notamment à cause de problèmes d’approvisionnement en pièces de rechange. L’association croissante des marins aux travaux de maintenance effectués sur leurs bâtiments est extrêmement positive et participe à la formation continue des équipages, tout en les valorisant.

Constatant les difficultés d’entretien des prototypes, il a appelé de ses vœux la mise en service de séries de bâtiments, permettant, outre les économies réalisées pour le développement et la production, l’installation de chaînes de maintenance globalisées, plus performantes et moins coûteuses. Les navires seraient ainsi plus disponibles tant pour les opérations que pour les entraînements.

Au-delà des efforts faits pour les équipements, il a enfin souhaité que l’attractivité des carrières de la marine nationale soit renforcée. Même si chaque année elle recrute 3 500 jeunes, la marine peine à les fidéliser, faute de rémunérations compétitives sur le marché du travail et faute de reconnaissance sociale suffisante.

Le commandant Sébastien Vallette a estimé indispensable de maîtriser la connaissance du milieu et des risques grâce à une capacité d’observation stratégique autonome. L’espace représente à ce titre un enjeu stratégique majeur : en l’absence d’informations fiables et précises, collectées notamment par voie satellitaire, il est impossible aux autorités politiques ou militaires d’engager des forces dans de bonnes conditions et de parvenir aux effets souhaités.

Les menaces ou les risques apparaissant très évolutifs et divers, il convient de privilégier la polyvalence des équipements et des personnels. Les forces armées doivent pouvoir, avec les mêmes moyens, assurer des missions humanitaires comme être engagées dans un conflit de haute intensité. Il n’en reste pas moins que la polyvalence ne doit pas conduire à une diminution drastique des moyens : par exemple, même si le Rafale est en mesure de remplir toutes les tâches confiées à l’armée de l’air, il faut préserver un volume de flotte suffisant pour pouvoir intervenir simultanément sur de très nombreux théâtres. Le nombre d’avions engagés en opérations a en effet triplé en dix ans et ils doivent assurer des missions de plus en plus diverses.

À l’image de tous les autres intervenants, il a enfin insisté sur la nécessité de renforcer l’attractivité des carrières militaires, passant par une meilleure reconnaissance sociale des militaires.

Le président Guy Teissier, après s’être félicité de la qualité des différents exposés, a insisté sur la question centrale de la place internationale de la France qui doit continuer à jouer un rôle de premier plan. Il a souligné l’importance du lien entre politique de défense et politique de sécurité qui doivent être appréhendées dans une dimension résolument européenne, même si parfois la France peut sembler être la seule à contribuer à l’effort communautaire en la matière. Le Président de la République a d’ailleurs souhaité que la présidence française de l’Union européenne insiste tout particulièrement sur cet enjeu stratégique et place la politique européenne de défense et de sécurité au cœur de ses préoccupations.

Le système d’arme étant centré sur les militaires, il convient d’adapter leurs équipements à leurs besoins et de renforcer la formation et l’entraînement, la diversité des missions désormais confiées aux militaires nécessitant de préserver et de renforcer leur polyvalence et leurs capacités d’adaptations. L’officier doit à ce titre jouer auprès de ses hommes un rôle clé d’éducateur et de formateur.

La spécificité du métier militaire, perte d’intégrité physique voire don de sa personne, doit faire l’objet d’un cadre juridique et humain particulier, évitant toute banalisation et assurant à l’ensemble du monde combattant une reconnaissance sociale et nationale à la hauteur des engagements.

Partageant les inquiétudes des intervenants sur le maintien en condition opérationnelle, il a précisé que cette question fait l’objet d’une réflexion attentive au sein de la commission du Livre blanc.

Il s’est enfin demandé si les officiers auditionnés se trouvent pleinement intégrés à la société française ou s’ils connaissent un certain sentiment de ghettoïsation.

Le chef d’escadron Benoît Aumonier a estimé se sentir pleinement intégré à la société française, ne serait-ce que parce que les officiers sont amenés à travailler avec l’ensemble des catégories de la population et sur l’ensemble du territoire. Cependant, la mobilité imposée aux militaires, tant en opérations extérieures que sur le territoire national, rend parfois difficile l’insertion familiale dans un tissu social local. Il a aussi relevé que l’écart de rémunération entre les officiers et les cadres civils ayant suivi une formation similaire se creuse de plus en plus, l’évolution de rémunération dans les armées étant beaucoup moins importante que dans le secteur privé. Il s’est enfin interrogé sur la nécessité d’obtenir des validations universitaires pour des formations strictement militaires.

M. Pierre Lellouche a fait part de son respect devant l’expérience et le professionnalisme des personnes auditionnées et de l’ensemble des forces armées. Il a cependant regretté que les exposés des intervenants, à l’image de ceux des chefs d’états-majors, ne rendent pas compte plus franchement des difficultés rencontrées sur le terrain. Il les a appelés à un dialogue sans tabou et sans concession, gage d’un débat démocratique efficace et renforcé.

M. Nicolas Dhuicq a salué la virtù des cadres des armées, qui jouent un rôle majeur pour la structuration de la patrie. Les jeunes recrues ne disposent souvent que d’une formation très insuffisante en matière militaire qui ne leur permet pas faire face à la réalité des combats sur le terrain. Il a par exemple regretté que les manuels d’histoire des écoles, collèges et lycées ne fassent pas davantage référence à l’histoire militaire. Constatant le décalage entre d’une part les euphémismes linguistiques qui coexistent avec une violence télévisuelle déshumanisée et d’autre part la réalité des combats marqués par la peur et la mort, il a insisté sur le besoin initial de formation pour les militaires.

M. Michel Grall a souhaité savoir ce que les officiers auditionnés attendent du futur Livre blanc et s’ils avaient à ce sujet quelque inquiétude.

Le commandant Sébastien Vallette a souhaité que les moyens soient adaptés aux missions confiées aux armées qui doivent être clairement définies, les objectifs de chaque opération devant être établis sans aucune ambiguïté.

Le capitaine de frégate Dominique Caillé a souhaité que la commission du Livre blanc puisse appréhender le fait maritime dans sa globalité, en intégrant à sa réflexion les enjeux liés à la mondialisation qui concernent notamment la sécurisation de la haute mer. Les navires ont par ailleurs des obligations en matière de sauvetage et d’assistance mais elles ne constituent pas le cœur de métier des bâtiments de guerre. Même si une continuité doit être établie entre défense et sécurité, notamment pour les marins, il importe de définir plus précisément le contour de chaque notion et de réaffirmer les missions prioritaires des armées, c'est-à-dire la défense des intérêts vitaux de la France.

Le président Guy Teissier a exprimé sa crainte que l’aspect sécuritaire ne prenne progressivement le pas sur l’aspect militaire et que les forces armées ne se transforment, à terme, en forces tournées uniquement vers la sécurité intérieure. Il s’est demandé dans quelle mesure les armées seront appelées à contribuer davantage à la sécurité intérieure et quels moyens y seront consacrés. Il est indispensable de préserver le cœur de métier des armées même si leur participation exceptionnelle, comme en cas de catastrophe naturelle, n’est pas à remettre en cause.

Le chef d’escadron Benoît Aumonier a appelé à ne pas confondre les missions de défense et de sécurité avec les services qui sont amenés à intervenir. Les armées sont par nature dédiées à un régime d’exception même si elles peuvent intervenir occasionnellement pour répondre à des risques sécuritaires. Il a rappelé qu’au contraire de la police qui est une force au service du droit, les armées sont prêtes à intervenir, violemment si nécessaire, sur réquisition des autorités politiques et dans un contexte d’exception prévu par la Constitution ou par la loi.

Le président Guy Teissier a assuré que la commission veille à éviter toute dénaturation des fonctions militaires qui ne sauraient être employés à des fins de police.

Après avoir approuvé la distinction opérée entre défense et sécurité, Mme Patricia Adam a demandé aux officiers auditionnés de quels moyens ils manquent le plus pour faire face aux menaces actuelles. Elle a également souhaité connaître leur position sur une éventuelle réorganisation du ministère de la défense. Selon eux, quelle serait la meilleure structuration opérationnelle entre l’état-major des armées (EMA), les états-majors d’armée, le secrétariat général pour l’administration (SGA) et la délégation générale pour l’armement (DGA) ?

Le médecin principal Xavier Desruelles a estimé que le service de santé des armées dispose des moyens suffisants pour assurer ses missions mais qu’il souffre d’un déficit de spécialistes. Des efforts ont été engagés ces dernières années pour améliorer les équipements sanitaires, mais l’insuffisante réserve de praticiens projetables pèse sur les conditions sanitaires des différents théâtres d’opérations.

Le capitaine de frégate Dominique Caillé a fait valoir que la marine nationale a besoin d’un deuxième porte-avions pour assurer une permanence à la mer. Compte tenu des périodes d’entretien, un seul bâtiment n’est en effet disponible que 60 % du temps. Deux bâtiments constituent un outil diplomatique de premier plan et permettraient à la France de conserver son autonomie de décision et une capacité d’intervention graduée en fonction de l’intensité des crises.

La permanence à la mer ne peut néanmoins reposer sur ce seul type de navire. Les frégates sont indispensables pour assurer l’escorte du porte-avions, tout comme les sous-marins nucléaires d’attaque. La commande de 17 frégates multi-missions apparaît donc indispensable, tout comme celle des sous-marins Barracuda.

Il a enfin observé que le renouvellement des sous-marins nucléaires d’attaque était une condition indispensable pour assurer la dissuasion nucléaire.

Le président Guy Teissier s’est interrogé sur la nécessité du maintien des deux composantes, sous-marine et aérienne, pour la dissuasion nucléaire.

Le capitaine de frégate Dominique Caillé a indiqué que bien que la composante sous-marine assure 90 % de la dissuasion, elle ne saurait se passer de la composante aérienne. Chacune relève d’un emploi très différent, l’envoi d’un escadron de chasseurs armés de missiles nucléaires étant beaucoup plus visible et symboliquement très fort. L’affichage de la progressivité de l’action est précieux.

Le commandant Sébastien Vallette a confirmé que les deux composantes de la dissuasion nucléaire sont complémentaires, qu’elles n’ont ni la même finalité ni la même souplesse. Par ailleurs, le coût de la composante aérienne de la dissuasion devrait diminuer avec le Rafale qui ne sera plus exclusivement dédié à cette mission mais conservera, grâce à sa polyvalence, une vocation de vecteur aéroporté (VA).

En ce qui concerne les déficits en matériels, il a insisté sur les difficultés du maintien en condition opérationnelle (MCO). Pour assurer aux appareils déployés en opérations extérieures une disponibilité maximale, l’armée de l’air est contrainte de réduire en métropole l’utilisation des appareils, et donc de diminuer drastiquement les heures d’entraînement. Cette baisse est particulièrement nette pour les ravitailleurs et a donc des conséquences sur la composante aérienne de la dissuasion, les chasseurs ne pouvant plus être ravitaillés aussi facilement. Par ailleurs, la vétusté de certains appareils, comme les Transall ou les ravitailleurs, empêche de les engager dans certaines opérations, faute de pouvoir les équiper des derniers équipements de transmission notamment. Il importe donc d’assurer pour tous les nouveaux programmes aéronautiques une capacité d’évolution dans la durée.

Au-delà de l’idée de création d’un « Pentagone » à la française, le rapprochement des armées et services de la défense au sein d’un état-major unique assurerait une meilleure cohérence d’ensemble, chacune des composantes apportant sa propre logique de milieu. Il a également appelé, tout en continuant à distinguer défense et sécurité, à rapprocher les forces armées des forces de sécurité au sens large. Pourquoi des commissaires de police ne suivraient-ils pas les enseignements du collège interarmées de défense (CID) à l’image de ce qui se passe pour les auditeurs de l’institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) ?

Les capacités de projection de la France étant tributaires des ravitailleurs et de la présence en mer d’un porte-avions, M. Yves Fromion a considéré que ces deux programmes doivent aboutir le plus rapidement possible.

M. Jean Michel a mis en garde contre toute confusion entre forces armées et forces de sécurité et a souhaité que la commission du Livre blanc adopte à ce sujet une position très claire.

Alors qu’est évoquée la réorganisation des implantations militaires, intégrant la fermeture de certaines bases, voire la suppression de 30 000 à 120 000 emplois, il a souhaité connaître la position des stagiaires du CID sur le format que doivent adopter les armées. Sont-ils associés à cette réflexion dans le cadre de leur formation ?

Le chef d’escadron Benoît Aumonier a mis en avant la nécessité impérative de préserver un volume de troupes suffisant pour pouvoir intervenir sur l’ensemble des théâtres dans de bonnes conditions. Des économies et des restructurations ont déjà été engagées et une nouvelle rationalisation, notamment des fonctions de soutien, ne générerait que des économies mesurées.

Il a par ailleurs relevé que les militaires sont amenés à intervenir sur le territoire national en cas de crise grave, catastrophe naturelle, crise sanitaire ou attaque terroriste, et sont donc astreints à une forte disponibilité. Même si les implantations géographiques doivent répondre à des nécessités d’organisation, elles doivent assurer un maillage territorial suffisant pour répondre à ce type de réquisitions.

Le capitaine de frégate Dominique Caillé a indiqué que les stagiaires du CID ne sont pas directement associés à cette réflexion.

Pour ce qui est de la marine, il est impossible de réduire le format au-delà d’une taille critique sans remettre en cause le contrat opérationnel. Aujourd’hui elle peine à assurer toutes ses missions notamment à cause de l’entretien du Charles-de-Gaulle. Toute nouvelle réduction de format nécessiterait donc de renoncer à certaines missions.

M. Jacques Lamblin a demandé si les moyens mis à la disposition des militaires sont adaptés aux besoins ressentis quotidiennement sur le terrain. La sophistication des équipements n’est-elle pas parfois un inconvénient ?

Le chef d’escadron Benoît Aumonier a considéré que la qualité des matériels n’est pas à remettre en cause. Ils sont en revanche livrés trop tardivement et en quantité trop restreinte. Pour répondre à un besoin immédiat et urgent, il apparaît plus raisonnable d’acheter directement des matériels disponibles plutôt que de lancer un nouveau programme national. L’exemple des véhicules de haute mobilité réclamés par les troupes de haute montagne est significatif : l’armée britannique vient de les commander sur étagère alors que la France a par exemple repoussé une nouvelle fois le lancement du programme. De même, dans l’attente de l’arrivée des NH 90 ou des VBCI, n’aurait-il pas été pertinent de procéder à des achats de matériels équivalents permettant d’éviter le trou capacitaire aujourd’hui inévitable ?

Plus globalement, la sophistication des équipements n’est pas à mettre cause, les équipages étant parfaitement en mesure de s’y adapter. En revanche, un effort majeur doit être fait sur les délais de livraison.

Le capitaine de frégate Dominique Caillé a souligné le problème de l’évolutivité et de la modularité des matériels. Compte tenu de la durée de vie d’un bâtiment, de 25 à 35 ans, il est impératif d’en préserver dès l’origine la modularité et de le doter de toutes les possibilités d’évolution technologique.

Le président Guy Teissier a admis que les armées pâtissent beaucoup du fait que certains matériels neufs sont déjà démodés au moment de leur livraison, compte tenu de la durée des cycles de réalisation. Les chefs d’état-major eux-mêmes préconisent des achats sur étagère pour satisfaire des besoins urgents mais de tels choix remettraient en question la politique industrielle française, la définition d’une politique industrielle de défense à l’échelle européenne apparaissant urgente.

M. Michel Voisin a déploré que les dérives constatées dans le prix de revient des armements fabriqués proviennent essentiellement de l’obsolescence constatée lorsqu’ils sont mis en service, les retards accumulés des programmes aggravant encore ces difficultés.

Le président Guy Teissier a également condamné ces dérives financières.

M. Yves Fromion a relativisé la situation, l’armée française n’étant pas la seule concernée : les Britanniques et même les Américains connaissent des difficultés semblables. Leurs matériels aéronautiques les plus sophistiqués se caractérisent par une certaine attrition avant même leur mise en fonctionnement. Il a plaidé pour que les programmes d’armement soient plus évolutifs et plus souples et interviennent dans le cadre d’une meilleure coopération entre les acteurs.

*

* *

Informations relatives à la commission

La commission a nommé :

— M. Patrick Beaudouin rapporteur sur le projet de loi (n° 12) ratifiant l’ordonnance n° 2005-883 du 2 août 2005 relative à la mise en place au sein des institutions de la défense d’un dispositif d’accompagnement à l’insertion sociale et professionnelle des jeunes en difficulté et l’ordonnance n° 2007-465 du 29 mars 2007 relative au personnel militaire modifiant et complétant la partie législative du code de la défense et le code civil et portant diverses dispositions relatives à la défense ;

– M. Michel Sordi rapporteur pour avis sur le projet de loi autorisant la ratification du Traité de Lisbonne, sous réserve de son dépôt ;

– M. Guy Teissier rapporteur pour avis sur le projet de loi constitutionnelle relatif à la réforme des institutions, sous réserve de son dépôt.