Accueil > Travaux en commission > Commission de la défense nationale et des forces armées > Les comptes rendus

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Commission de la défense nationale et des forces armées

Mardi 5 février 2008

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 20

Présidence de M. Guy Teissier, président

– Examen du rapport d’information sur les enjeux stratégiques et industriels du secteur spatial (M. Serge Grouard et Mme Odile Saugues, rapporteurs)

Enjeux stratégiques et industriels du secteur spatial (rapport d’information)

La commission de la défense nationale et des forces armées a examiné le rapport d’information de M. Serge Grouard et de Mme Odile Saugues sur les enjeux stratégiques et industriels du secteur spatial.

Mme Odile Saugues, rapporteure, a tout d’abord souligné que ce rapport ne constituait pas le premier travail parlementaire sur le sujet, puisque l’office parlementaire des choix scientifiques et technologiques a dressé début 2007 un tableau peu optimiste de la situation de l’ensemble du secteur spatial européen, tandis les rapporteurs pour avis successifs des crédits de l’espace ont eu l’occasion d’alerter sur l’ampleur des besoins. Les dernières universités d’été de la défense ont pour leur part été largement consacrées à cette question. Y revenir est cependant nécessaire au vu de l’évolution très rapide du paysage spatial mondial et de la place croissante occupée par l’espace dans les affaires de défense. Une relance de ce secteur est nécessaire pour sortir l’Europe de sa panne d’ambition et des décisions rapides doivent être prises s’agissant de programmes majeurs en France, alors que le contexte financier porte à les différer.

La rapporteure a décrit un paysage spatial mondial profondément transformé en moins de dix ans. Davantage d’États entendent désormais y jouer un véritable rôle, tant pour des raisons économiques et industrielles que stratégiques. La Russie s’affirme clairement de nouveau comme un acteur important, avec un doublement de son budget spatial depuis 2004. En témoigne son projet Glonass, bientôt en mesure de fournir une alternative au GPS. Par ailleurs, l’émergence de l’Inde et de la Chine est particulièrement spectaculaire. Le budget spatial de l’Inde a progressé de 76 % en 5 ans. Outre l’accent mis sur l’accès à l’espace, on peut relever que figure dans le programme quinquennal de l’agence spatiale indienne la mise au point d’un satellite optique de très haute résolution (30 cm), comparable aux meilleurs outils occidentaux. Quant à la Chine, elle porte ses efforts sur l’ensemble de la gamme des moyens spatiaux, y compris les vols habités, et mène une politique spatiale militaire très active. Ces évolutions ne doivent pas faire oublier que l’espace est actuellement largement américain : les États-Unis représentent plus de 90 % du total des investissements consacrés à l’espace militaire. Leur domination s’exprime aussi dans une doctrine militaire accordant à l’espace une dimension centrale. La rançon en est la dépendance croissante de l’appareil militaire à l’égard de l’espace, celle-ci introduisant une vulnérabilité préoccupante. L’espace s’intègre de fait dans les intérêts nationaux vitaux et, en cas de nécessité, les États-Unis estiment ouvertement devoir être en mesure de dénier toute liberté d’action à leurs adversaires. La période qui s’est ouverte avec la chute de l’URSS et la multiplication des acteurs est en effet marquée par un développement de stratégies et d’outils techniques visant non seulement à davantage utiliser l’espace à des fins militaires, mais surtout à empêcher les concurrents d’exploiter pleinement les avantages opérationnels de ce milieu. À la militarisation ancienne de l’espace, caractérisée par la présence en orbite de nombreux systèmes à vocation militaire, semble succéder une phase d’arsenalisation de l’espace, c’est-à-dire de déploiement de véritables armes spatiales. Les négociations à Genève au sein de la Conférence du désarmement sont au point mort en raison de l’opposition américaine envers des dispositions plus contraignantes complétant le traité sur l’espace de 1967, mais aussi du fait des difficultés pratiques de contrôle de telles mesures. De surcroît, l’essai antisatellite réalisé par la Chine le 11 janvier 2007 a souligné l’ampleur et l’état d’avancement des programmes chinois. Les États-Unis mènent également d’importantes recherches dans ce domaine, et le programme de défense antimissile est lui-même en quelque sorte dual, les technologies mises en œuvre pouvant servir à des interceptions spatiales.

La rapporteure a relevé que face à ces mouvements, l’Europe apparaît largement immobile. En 2006, les États membres de l’Union européenne ont affecté 4,95 milliards d’euros à l’ensemble du secteur spatial, à comparer aux 32 milliards d’euros du budget spatial américain. Les activités de défense occupent une place limitée, avec 950 millions d’euros, soit seulement 5 % du budget spatial militaire américain. Malgré la faiblesse de l’effort, les capacités disponibles ne sont pas négligeables, que ce soit dans le domaine des télécommunications ou de l’observation de la Terre, grâce à Hélios II et aux programmes radar allemands (SAR-Lupe) et italiens (COSMO-SkyMed). Une forme d’interdépendance est née grâce à la mise en place d’accords de partages de capacités. Pourtant les lacunes sont nombreuses dans des secteurs essentiels comme le positionnement, dans l’attente de Galileo, du renseignement d’origine électromagnétique (ROEM) et de la surveillance de l’espace. L’inquiétude est également forte si l’on considère la stagnation des budgets en moyenne à l’échelle européenne. C’est malheureusement particulièrement le cas de la France, alors que celle-ci a traditionnellement eu un rôle de leader européen sur le sujet. Depuis 2000, les dépenses publiques consacrées à l’espace y ont diminué de 1,6 % par an. S’agissant de la défense, la loi de programmation militaire 2003-2008 prévoyait sur la période un montant moyen annuel de crédits de paiement de 450 millions d’euros environ, mais les crédits effectivement consommés ont été de 370 millions d’euros par an jusqu’en 2006.

Ce phénomène est d’autant plus regrettable qu’une véritable prise de conscience de l’importance des enjeux semble acquise, tant au niveau national, grâce aux travaux du groupe de travail sur les orientations stratégiques de politique spatiale de défense (GOSPS), qu’à l’échelle de l’Union européenne, avec le Livre blanc sur l’espace de 2003. Pour autant, la traduction des discours dans les faits tarde à se manifester. Outre les raisons budgétaires, trois faiblesses structurelles méritent en effet d’être soulignées. En premier lieu, l’Europe souffre d’une absence d’indépendance technologique. Entre 60 et 70 % des composants électroniques utilisés dans les systèmes satellitaires sont d’origine américaine et cette proportion atteint 100 % pour les composants durcis. Les actions correctrices engagées par l’Agence spatiale européenne (ESA) et les agences spatiales nationales méritent d’être amplifiées, et il faut également assurer la pérennité des PME stratégiques en leur assurant un marché plus stable au travers d’une forme de préférence communautaire. Celle-ci devrait également être établie en matière de lancements de satellites. Ensuite, si la dualité entre secteurs civil et militaire doit être utilisée autant que possible, il est illusoire de croire que des programmes européens duaux permettront de satisfaire l’ensemble des besoins militaires, notamment en matière d’imagerie. Enfin, le paysage institutionnel n’est pas clarifié, avec désormais une forme de concurrence entre l’ESA et la Commission européenne pour la détermination de la politique spatiale. Il convient d’y ajouter les difficultés de mise en œuvre de programmes en coopération en raison des contraintes et volontés de « juste retour » industriel.

La rapporteure a estimé que sauf à renoncer à des capacités technologiques et à une autonomie d’appréciation et de décision chèrement acquises, il n’est guère envisageable de laisser les moyens dont disposent l’Europe et la France s’éroder progressivement. Indispensable au regard des lacunes actuelles, l’exercice de relance des ambitions peut paraître délicat dans le contexte actuel de raréfaction des ressources budgétaires. Il implique de déterminer une hiérarchie des priorités.

Tout d’abord, il convient de préserver l’acquis. En matière de télécommunications, les échéances de renouvellement sont encore lointaines, entre 2018 et 2022, ce qui permet de réfléchir aux moyens de revenir sur l’éclatement considérable des programmes et des compétences tout en lançant les recherches nécessaires.

De fait, l’enjeu principal consiste à prendre les décisions nécessaires dès aujourd’hui pour mettre en service le successeur d’Hélios II à temps, soit à la fin de 2014. Il faut sept ans pour réaliser un système nouveau et ce délai ne peut raisonnablement être raccourci ; ce qui impose un lancement du programme dès 2008. Prendre le risque d’une rupture capacitaire ne paraît pas acceptable. De plus, l’urgence est également manifeste s’agissant du maintien des compétences technologiques. L’un des points positifs de ce dossier est que les réflexions techniques sont très avancées et ont été menées dans un cadre largement européen. Le projet MUSIS a ainsi permis d’associer les six États formant la « communauté » Hélios, grâce à la signature en 2006 d’un besoin opérationnel commun, prenant en compte à la fois les capacités d’observation optique et radar. S’agissant de la composante spatiale optique (CSO), il est prévu d’accéder à une capacité d’identification. La résolution des images devrait ainsi être au moins deux fois meilleure que celle offerte par Hélios II et le flux d’images serait multiplié par dix. La décision de lancement du programme n’a pas encore été prise en raison de l’incertitude qui subsiste sur le degré et la nature de la coopération européenne. La première approche, actuellement privilégiée par la France pour créer une « Europe de la confiance » en matière de renseignement d’origine spatiale, consiste à rechercher le plus haut degré possible d’intégration. Politiquement et opérationnellement ambitieuse, elle ne pourra entraîner d’économies que si les compétences industrielles et techniques de chacun sont bien utilisées. Au demeurant, il semble que les réponses apportées par les autres États sont à ce stade assez attentistes. Une autre solution, sans doute plus pragmatique, consiste à organiser au sein du programme MUSIS l’apport par chaque pays d’une composante satellitaire dans son domaine d’expertise, l’optique revenant pour l’essentiel à la France, tandis que l’effort de coordination serait concentré sur la réalisation d’un système d’exploitation au sol aussi commun que possible. Plus simple à mettre en œuvre, cette démarche présente l’avantage d’être bien adaptée aux différents calendriers, nos partenaires allemands étant moins pressés, avec un remplacement de leurs satellites d’observation radar n’intervenant pas avant 2018. Enfin, la question de la coopération européenne pourrait être abordée en allant au-delà de la seule communauté Hélios, par exemple avec l’accès à certaines images archivées moyennant une contribution financière, ce qui permettrait à davantage d’États de constater l’apport essentiel du renseignement d’origine image. L’importance de l’enjeu rend indispensable une décision très rapide et la mise en place des financements nécessaires.

Par-delà l’acquis, la rapporteure a jugé qu’il ne faut pas renoncer au déploiement de capacités nouvelles prometteuses. En matière d’alerte avancée, les coûts très importants d’un système européen complet et les difficultés de l’articulation inévitable avec la question délicate de la défense antimissile conduisent à poursuivre la politique actuelle d’acquisition des « briques technologiques » nécessaires.

S’agissant du ROEM, l’expérience acquise grâce aux démonstrateurs technologiques doit désormais être capitalisée au travers d’un véritable programme. Un objectif d’état-major a été approuvé en juin 2007 pour un projet nouveau, baptisé CERES (capacité ROEM spatiale), dont la mise en service est prévue pour 2013. La limitation au nécessaire des spécifications techniques a permis de ramener l’objectif de prix à moins de 350 millions d’euros, pour une durée de vie de dix ans. L’une des conditions posées au lancement de CERES est l’association de partenaires européens, avec au moins un État comme l’Italie ou l’Allemagne. Nos partenaires ayant semble-t-il d’autres priorités, une alternative possible serait l’échange de capacités avec l’Allemagne, et ce d’autant plus que les drones qu’elle développe sont complémentaires de nos projets de satellites. S’agissant de l’Italie, l’accès aux données issues de CERES pourrait être la contrepartie du financement par celle-ci du lancement des satellites, grâce à sa future fusée Vega.

La troisième capacité nouvelle à mettre en place concerne la surveillance de l’espace. L’Europe est actuellement entièrement dépendante des informations américaines pour faire face au défi de l’augmentation des débris en orbite. C’est sa capacité autonome d’accès à l’espace qui est désormais en jeu. Elle n’est cependant pas dépourvue de capacités scientifiques dans les domaines de l’observation radar grâce aux démonstrateurs allemands et français, notamment le radar GRAVES récemment entré en service. Pour la surveillance optique des orbites plus lointaines, des compétences existent aussi au Royaume-Uni. Tout ceci reste cependant extrêmement limité sur le plan opérationnel et ne forme pas un système cohérent. L’ESA a lancé une démarche de renforcement des moyens au travers d’un projet de surveillance de l’espace, dont les conclusions devraient être soumises au conseil ministériel de l’agence en octobre 2008. Le coût d’un ensemble complet pourrait représenter au total entre 120 et 150 millions d’euros, mais il ne concernerait que l’aspect détection. Le besoin d’identification, spécifiquement militaire, ne sera pas couvert et les États les plus intéressés par ce dernier aspect devront coordonner leurs actions pour déployer des systèmes haute résolution radars et optiques. Ils pourraient comprendre le développement de démonstrateurs technologiques de lasers installés au sol pouvant identifier des objets particuliers et, à terme, être éventuellement capables de dévier des débris en focalisant de l’énergie sur eux. Ces outils joueront à l’avenir un rôle dissuasif déterminant vis-à-vis d’éventuels agresseurs, tout en contribuant à la mise en place d’une protection efficace des satellites européens.

La rapporteure a estimé que cet ensemble constitue une ambition plus que raisonnable. Sa mise en œuvre passe notamment par l’adaptation des structures de commandement. Afin d’affirmer symboliquement l’importance accordée à la maîtrise du milieu spatial, il est souhaitable de transformer l’armée de l’air en armée de l’air et de l’espace. Un tel mouvement mettrait avant tout l’accent sur l’aspect opérationnel, la détermination des programmes relevant toujours du niveau interarmées. D’une certaine manière, la « visibilité » de l’espace au sein des armées serait accrue, ce qui ne constitue en rien une garantie d’augmentation des crédits mais peut cependant y contribuer. S’agissant des aspects budgétaires, l’idée reçue selon laquelle l’espace est cher est encore trop répandue. Il s’agit pourtant du seul secteur dans le domaine des armements où les performances augmentent et les prix baissent. En témoigne la multiplication par 10 des débits d’une génération de satellites de télécommunications à l’autre et l’augmentation de 50 % en dix ans de la durée de vie des satellites. Alors que la réalisation d’Hélios II a coûté au total près de 1,8 milliard d’euros, les deux satellites destinés à assurer la succession de ce système au travers de la composante optique de MUSIS représenteraient entre 800 millions et un milliard d’euros.

L’effort supplémentaire à consentir pour se doter de capacités nécessaires est très largement à la portée des Européens. Le rapport du GOSPS a évalué à 650 millions d’euros par an en moyenne le montant des crédits que la France devrait consacrer au secteur spatial militaire. Complété par un effort proportionnellement comparable de nos partenaires européens, il permettrait à l’Union de se doter de la palette des moyens dont elle a besoin, pour une dépense d’ensemble d’environ deux milliards d’euros. L’écart avec le budget militaire américain en la matière, aujourd’hui pratiquement de un à vingt, serait simplement ramené de un à dix.

La rapporteure a conclu en soulignant que plusieurs points importants étaient acquis : le constat partagé d’une nécessaire relance des activités spatiales européennes, l’identification précise des lacunes et l’existence de solutions techniques. Les possibilités de coopération pragmatiques sont de surcroît nombreuses. À l’heure où se préparent en France des arbitrages budgétaires dont chacun sait combien ils seront difficiles, la tentation du court terme doit être écartée. Bien au contraire, le multiplicateur extraordinaire de force et d’influence que constitue l’espace doit être mis en valeur, surtout dans la perspective d’une affirmation de l’autonomie européenne et du renforcement de ses capacités de renseignement.

M. Serge Grouard, rapporteur, a relevé que la situation actuelle de la France semble inchangée par rapport aux années 1990, durant lesquelles il avait publié un ouvrage consacré à la politique spatiale. Alors que les États-Unis dépensent chaque année près de 20 milliards d’euros pour leur secteur spatial de défense, que la Chine y consacre vraisemblablement un milliard d’euros par an et que la Russie réinvestit dans ce domaine, il est frappant que les dépenses spatiales, civiles et militaires, n’atteignent que cinq milliards d’euros pour l’ensemble des pays européens. En ne consacrant qu’un milliard d’euros par an au seul spatial militaire, les pays de l’Union consacrent leur décrochage technologique et capacitaire.

Il a rappelé que l’espace offrait des avantages stratégiques dans bien des domaines, allant de l’observation aux communications en passant par les écoutes. La conception stratégique française en la matière était à l’origine indissociable de la dissuasion nucléaire et cet aspect perdure dans des développements comme l’alerte avancée, qui permet de détecter le lancement de missiles balistiques. Toutefois, les applications se sont progressivement rapprochées du terrain et la dimension spatiale est désormais intégrée par les forces américaines comme un indispensable multiplicateur de force.

Le rapporteur a estimé que la France ne peut se passer d’un outil spatial à la hauteur de ses ambitions si elle souhaite maintenir son rôle sur la scène internationale. La préservation de son autonomie nécessite de consacrer chaque année entre 600 et 650 millions d’euros à l’espace, soit une augmentation de 200 millions d’euros par rapport au budget actuel. La multiplication des engagements extérieurs exige en effet de disposer d’outils satellitaires d’information et d’observation adaptés. À cet égard, l’absence d’inscription au sein du budget 2008 des 20 millions d’euros de crédits nécessaires pour le lancement de la composante optique du projet MUSIS conduit à s’interroger sur la manière dont les choix sont réalisés.

La mutualisation des moyens avec nos partenaires européens ne saurait être conçue comme un moyen de compenser nos propres insuffisances. La France ne peut faire l’économie d’investissements propres, ceux-ci conditionnant en fait l’engagement ultérieur d’autres pays, comme en témoigne le succès actuel d’Hélios II. Une décision doit intervenir pour la succession de ce dernier dès 2008 : s’il n’est pas remplacé en 2014, la France sera totalement privée de moyens d’observations. Or, dans le meilleur des cas, sept années sont nécessaires pour la réalisation du système.

Dans le domaine des télécommunications, des travaux visant au rapprochement des besoins doivent être engagés sans tarder, même si les échéances peuvent paraître encore lointaines. Plusieurs dossiers n’ont guère avancé depuis vingt ans, ce dont témoigne l’absence de programmes opérationnels en matière d’écoutes électromagnétiques et de surveillance de l’espace, alors que les autres acteurs ne nous ont pas attendus pour s’engager dans la course technologique.

Le président Guy Teissier a partagé le constat réaliste des rapporteurs sur la politique spatiale. Malgré sa dimension stratégique, elle ne bénéficie pas d’arbitrages budgétaires à la hauteur des enjeux. Il a par ailleurs souhaité connaître le coût des programmes ESSAIM et GRAVES.

M. Serge Grouard, rapporteur, a indiqué que la France dispose de plusieurs démonstrateurs technologiques de surveillance de l’espace depuis le sol, avec le système probatoire d’observation du ciel (SPOC) de la délégation générale pour l’armement ou du télescope ROSACE du CNES. Toutefois, ces outils ne sont pas suffisamment coordonnés et n’assurent pas de surveillance de l’espace en temps réel. Le système GRAVES s’inscrit dans cette logique : il souffre en effet d’une limite opérationnelle importante puisqu’il n’est pas capable de fonctionner en temps réel. Il peut seulement détecter a posteriori des évènements, comme ce fut le cas avec l’analyse des débris du satellite détruit par la Chine. Des travaux sont actuellement en cours au sein de l’agence spatiale européenne pour améliorer l’imbrication des systèmes, mais ces études restent limitées au domaine civil.

Mme Odile Saugues, rapporteure, a précisé que le démonstrateur ESSAIM avait coûté 80 millions d’euros. S’agissant de GRAVES, sa réalisation a représenté 30 millions d’euros, mais il conviendra de prévoir dans la prochaine loi de programmation militaire les crédits relatifs à son fonctionnement.

M. Serge Grouard, rapporteur, a fait valoir que le démonstrateur Spirale permet de développer les compétences dans le domaine de la détection de tirs de missiles balistiques, pour un coût d’environ 180 millions d’euros. Il ne permet cependant pas le suivi des trajectoires, que seuls les États-Unis sont en mesure d’effectuer actuellement. De fait, un système complet de défense antimissile excède les possibilités financières des Européens. La mise en place d’un système opérationnel comportant deux satellites d’alerte en orbite demanderait à elle seule un effort de l’ordre d’un milliard d’euros. Les propositions figurant dans le rapport tiennent compte des contraintes budgétaires et proposent une approche réaliste.

M. Jean Michel a estimé que la faiblesse des crédits consacrés à l’espace militaire est un problème récurrent, soulevé par la commission depuis de nombreuses années. En 2004, Mme Alliot-Marie, ministre de la défense, s’était engagée à porter ce budget à 600 millions d’euros. Or les années suivantes, celui-ci, loin de s’accroître, a diminué, les crédits inscrits n’étant même pas consommés en totalité. Bien sûr, l’espace ne se voit pas et les satellites ne défilent pas sur les Champs-Élysées, mais si les enjeux continuent d’être ainsi ignorés, la France sera bientôt dépassée par les avancées technologiques d’autres États. Pour plus d’efficacité, il serait souhaitable que le Président de la commission tienne avec les rapporteurs une conférence de presse sur le sujet afin de tirer le signal d’alarme.

Il a ensuite considéré que l’insuffisance des investissements dans l’espace militaire devait également être rapportée à l’ambition et à la posture internationale de la France. Dans ce domaine, notre pays ne semble plus vouloir se donner les moyens de ses ambitions et exister par lui-même. Cette résignation exprime peut-être une décision de s’en remettre à nos alliés américains, revenant ainsi sur les choix de souveraineté et d’indépendance faits par le général de Gaulle il y a quarante ans. Pourtant, il ne s’agit pas de dépenses considérables : les propositions faites par les rapporteurs ramèneraient seulement de un à dix, contre un à vingt actuellement, le rapport entre les investissements européens et américains.

En réponse, M. Serge Grouard a évoqué quatre raisons pouvant expliquer l’insuffisance du budget de l’espace militaire. Il y a tout d’abord un problème interne au ministère de la défense, où personne n’est véritablement en charge du dossier, ce qui constitue un handicap très lourd compte tenu du mode de fonctionnement des armées. Ensuite, par définition, l’espace ne se voit effectivement pas : il peut donc sembler plus rentable, sur les plans politique et médiatique, d’investir dans des programmes plus spectaculaires. En outre, l’espace est toujours conçu comme un multiplicateur de forces qui ne se suffit pas à lui-même et peut donc être sacrifié à l’urgence. Enfin, pendant longtemps, nos partenaires européens n’ont pas été intéressés par l’espace militaire du fait de leur positionnement stratégique. La France était un peu seule sur le sujet, comme en témoigne sa part encore prépondérante (50 %) dans le budget militaire spatial européen. Aujourd’hui, les positions stratégiques se rapprochent, notamment avec l’Italie et l’Allemagne, et les besoins et les échéances convergent, que ce soit dans les télécommunications ou dans l’observation. Il y a donc un espoir de ce côté-là, pour peu que l’on parvienne à bien définir les rôles respectifs de l’ESA et de l’Union européenne. C’est un véritable enjeu pour la présidence française de l’Union.

Mme Odile Saugues a ajouté que le pouvoir politique avait été mobilisé sur les questions spatiales tant que la conquête de l’espace était une aventure humaine passionnant le grand public. Aujourd’hui, l’opinion publique s’est désintéressée de ces questions et le citoyen n’a pas conscience de l’importance de l’espace pour sa sécurité. C’est donc au politique d’apporter une réponse à ces enjeux.

M. Jean Michel a rappelé que les États-Unis ont quant à eux fait de l’espace une priorité et ont clairement affirmé leur refus d’être concurrencés dans ce domaine.

M. Jean-Louis Bernard a regretté que l’espace n’ait pas été considéré comme une priorité pour la défense et s’est félicité que la commission ait choisi ce thème pour sa dernière université d’été et ce rapport d’information. Il a approuvé la nécessité de donner plus de visibilité à ce dossier au sein de l’organigramme du ministère de la défense, même si la proposition des rapporteurs de renommer l’armée de l’air « armée de l’air et de l’espace » n’est pas totalement satisfaisante car l’espace ne concerne pas la seule armée de l’air. Il conviendrait en tout cas de confier ce dossier à un responsable disposant de compétences et prérogatives identiques à celles d’un chef d’état-major.

Il a ensuite évoqué les difficultés rencontrées dans la coopération européenne, tant sur les financements que sur les lanceurs, certains de nos partenaires se défiant d’Arianespace et préférant avoir recours à des prestataires extérieurs à l’Union. Comment progresser dans la coopération s’il n’y a pas de confiance entre les États membres ? Il a également souligné la nécessité d’engager une coopération solide avec la Russie, qui détient une grande expérience dans le domaine spatial.

Mme Odile Saugues a indiqué qu’une avancée était intervenue lors du sommet franco-italien du 30 novembre 2007, avec l’adoption d’une déclaration commune sur l’utilisation préférentielle de lanceurs européens pour les satellites gouvernementaux.

Mme Patricia Adam a constaté que les deux derniers rapports d’information présentés devant la commission faisaient état de problèmes capacitaires graves, respectivement dans les domaines de l’aéromobilité et de l’espace. Cela ne peut qu’inquiéter au regard des engagements pris depuis cinq ans. Dans le domaine spatial particulièrement, le maître mot est l’anticipation. La dualité des investissements dans ce domaine n’est plus à démontrer et les retombées économiques concernent tout à la fois le domaine civil et le domaine militaire. Les rapporteurs ont indiqué qu’un investissement complémentaire de 300 millions d’euros permettrait de satisfaire les besoins majeurs ; si l’on y ajoute l’alerte avancée, ce montant s’élève à 900 millions d’euros. Il serait curieux que la France ne puisse investir des sommes de cet ordre de grandeur dans un domaine aussi crucial. Les travaux de la commission chargée de l’élaboration du Livre blanc sur la défense et la sécurité, dont la presse s’est récemment faite écho, accordent une place éminente à l’anticipation et au renseignement. Par-delà cette prise de conscience se pose la question de la décision. Il faut bien constater que les états-majors sont actuellement surtout préoccupés par les besoins opérationnels immédiats et souligner que l’anticipation de l’avenir relève du domaine politique et diplomatique. Aussi, dans la perspective de l’élaboration de la prochaine loi de programmation militaire, le pouvoir de décision ne doit pas revenir aux seuls états-majors mais bien aux autorités politiques. On peut espérer que le Conseil de défense et de sécurité nationale permettra d’aborder ces questions. En tout état de cause, c’est bien au pouvoir politique qu’il revient de définir le rôle des armées. Enfin, si dans le domaine spatial la coopération européenne est éminemment souhaitable, il ne sera pas possible d’attendre que l’ensemble des partenaires potentiels s’entendent sous peine de ne pas être au rendez-vous des prochaines échéances.

*

La commission a décidé, en application de l’article 145 du Règlement, le dépôt du rapport d’information en vue de sa publication.