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Commission de la défense nationale et des forces armées

Mercredi 16 avril 2008

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 24

Présidence de M. Guy Teissier, président

– Audition de M. Jean-Claude Mallet, président de la commission chargée de l’élaboration du Libre blanc sur la défense et la sécurité nationale

– Information relative à la commission

Audition de M. Jean-Claude Mallet, président de la commission chargée de l’élaboration du Libre blanc sur la défense et la sécurité nationale

La commission de la défense et des forces armées a entendu M. Jean-Claude Mallet, président de la commission chargée de l’élaboration du Libre blanc sur la défense et la sécurité nationale.

Le président Guy Teissier a indiqué en préambule que, lors de son audition du 28 novembre dernier, M. Mallet avait exposé à la commission les grandes orientations du Livre blanc et qu’il présentait ce jour un point d’étape, avant la présentation à la commission, fin mai ou début juin, de la maquette définitive.

Il a observé que beaucoup d’annonces avaient été faites ces dernières semaines, qu’il s’agisse de la doctrine nucléaire, des nouvelles implantations de bases à l’étranger ou de l’envoi de troupes. Parallèlement, les résultats de la révision générale des politiques publiques (RGPP) commencent à être connus. Comment ces éléments s’intègrent-ils dans les travaux de la commission du Livre blanc, sachant que bon nombre sont conformes aux préconisations qu’elle a d’ores et déjà formulées ?

M. Jean-Claude Mallet a confirmé que le projet de Livre blanc sera présenté à huis clos à la commission de la défense avant d’être arrêté par le Président de la République, approuvé en Conseil de défense et en Conseil des ministres puis présenté en séance publique à l’Assemblée nationale par le Premier ministre. Les parlementaires ont souhaité débattre des travaux de la commission du Livre blanc : c’est bien ainsi que celle-ci conçoit le rôle de la représentation nationale.

Sa mission est d’effectuer un travail préparatoire aux choix que fera le Président de la République sur la politique de défense et de sécurité de la France. C’est à l’exécutif d’arrêter une position et il est heureux que le Parlement en débatte. Le rôle de ce dernier peut sembler à certains insuffisant, mais il faut souligner que, pour la première fois, certains de ses membres ont été associés aux travaux dès le départ ; pour la première fois des auditions publiques ont eu lieu sur un tel sujet, pour la première fois des commissions parlementaires sont consultées sur les travaux au fur et à mesure de leur déroulement. Ce fut loin d’être le cas lors de la préparation des précédents Livres blancs.

La commission présente régulièrement au Président de la République, lors de points d’étape, les différentes conclusions auxquelles elle a abouti, en précisant les points qui font débat en son sein. C’est ainsi que le discours de Cherbourg sur la dissuasion nucléaire est cohérent avec les propositions de la commission, particulièrement en ce qui concerne le « socle » : doctrine, maintien de deux composantes nucléaires, maintien de l’effort de dissuasion nucléaire à l’horizon 2025, maintien de l’effort de simulation. Contrairement à ce qui a pu être dit, la commission n’a pas « enregistré » ces préconisations à la demande du Président de la République : elle a débattu préalablement de toutes les options, y compris celle d’une défense française sans dissuasion, ou à une seule composante pour arriver à un consensus. Elle est là dans son rôle, même si ce rôle même si la presse et l’opinion ne le comprennent pas toujours.

La commission a également présenté au Président de la République sa vision de l’organisation future des dispositifs de forces prépositionnées à l’étranger, lui recommandant de remettre à plat l’ensemble des accords de défense passés avec les pays africains et de réorganiser les bases françaises en Afrique et dans le monde. Le discours du Président de la République, le 28 février au Cap devant le Parlement sud-africain, a confirmé sa volonté de revoir les accords de défense. Il était là aussi en phase avec les propositions de la commission. Il est compréhensible que certains s’émeuvent de ces différentes annonces, mais il faut tenir compte du rythme de la vie politique et des échéances internationales. Au demeurant, les membres de la commission étaient unanimes pour considérer que les accords de défense devaient désormais être transparents et connus du Parlement.

En tout état de cause, toutes les décisions structurantes annoncées en matière de défense ont été prises en étroite concertation avec la commission du Livre blanc, et, très souvent, sur la base de ses travaux.

S’agissant de l’OTAN, différentes options ont été présentées au Président de la République, y compris au vu de la complémentarité avec l’Union européenne ou des changements que cette organisation a connus depuis 1994.

Une distinction doit être faite entre le travail effectué dans le cadre du Livre blanc, qui porte sur un champ très vaste, et les autres processus, tels la revue des programmes d’armement ou la RGPP. La commission du Livre blanc a entendu conjointement les équipes RGPP du ministère de la défense, de l’intérieur et des affaires étrangères afin de prendre connaissance des grandes orientations qui se dessinent en matière de réforme de l’appareil d’État. Par ailleurs, le ministre de la défense lui transmet ses appréciations sur ce travail. Il est probable que le Livre blanc reprendra les grands principes de la RGPP, comme la préférence accordée aux dispositifs interarmées pour la gestion du soutien ou l’organisation territoriale en bases de défense. Toutefois, la commission n’a pas connaissance, à ce stade, de la teneur exacte de la restructuration ou des futures implantations qui relèvent du travail en cours au ministère de la défense.

Si l’on veut mettre en place une doctrine pour l’organisation générale de nos forces, il faut au préalable mettre bon ordre à la situation actuelle qui risque purement et simplement de mettre à bas le système, compte tenu du poids des engagements financiers juxtaposés sans ordre de priorité. Le Président de la République est conscient de cet enjeu et en a fait état publiquement.

Depuis le mois de novembre, la commission a approfondi toute une série de sujets : la stratégie globale de sécurité nationale, le rôle de la défense, le rôle du ministère de l’intérieur et de la sécurité intérieure dans la sécurité nationale, la reconnaissance due aux militaires, les capacités militaires dont la France souhaite disposer dans les années à venir. D’aucuns dénoncent une absence de rupture, il n’y en a assurément pas sur un point : le Président de la République, le Gouvernement et, sans aucun doute, les élus de la nation ont la même volonté de permettre au pays d’être protégé et d’assumer ses responsabilités sur le plan international.

La commission présente au Président un éventail de choix ; il est inévitable qu’elle provoque des déceptions. La communauté militaire est cependant consciente de la nécessité de la réorganisation. Non seulement l’équilibre mondial a changé, mais il faut aussi, à court terme, régler les factures accumulées, et ce, dans un contexte de croissance et d’inflation qui connaît une transformation importante. C’est ce qui explique notamment que la commission prenne le temps nécessaire pour élaborer les meilleures propositions afin d’arrêter une nouvelle stratégie et de définir les capacités indispensables à la défense du pays ainsi qu’à la protection des citoyens.

Abordant le contexte international, M. Jean-Claude Mallet a indiqué qu’aujourd’hui, la situation se caractérise par son imprévisibilité, sa volatilité – les changements se produisent avec une grande rapidité – et par la mondialisation immédiate des crises graves. Dès lors que des développements que l’on ne connaît pas risquent de se produire, la stratégie doit être suffisamment souple pour que l’État soit capable de savoir, de réagir, et de faire savoir.

En outre, le territoire national et nos concitoyens sont plus exposés à des risques directs qu’en 1994, soit par des menaces intentionnelles – terrorisme, frappes balistiques, attaques informatiques… –, soit par des menaces non intentionnelles – catastrophe naturelle, pandémie. La protection de la population doit donc être placée au premier rang des missions des armées et du dispositif de sécurité publique. En 1996, la principale préoccupation était d’abandonner la perspective de défense du territoire pour se concentrer sur la capacité de projection. Cette mission demeure mais s’inscrit dans un cadre et un équilibre différents.

La commission a beaucoup travaillé et consulté au sujet de la capacité d’intervention, afin de tirer un bilan des opérations passées et de ne laisser de côté aucune suggestion sur l’évolution future de la stratégie et des moyens pour faire face aux crises. Après avoir tracé le cadre politique et géopolitique général, elle a fixé celui de la doctrine, puis a abordé la question de la recomposition du système militaire et les formats souhaitables.

Les options stratégiques en matière de prévention et d’intervention détermineront le format des forces et des choix seront présentés à l’Éxécutif.

L’une des questions est de savoir si l’on souhaite une armée capable de faire la guerre ou si l’on considère qu’il faut surtout pouvoir faire face à des opérations de stabilisation même lourdes. La commission a considéré que nos armées doivent demeurer à même de répondre à ces deux types de situation.

Une telle orientation peut entraîner des corollaires spécifiquement militaires : capacité à entrer en premier, capacité de commandement, aptitude à être « nation cadre »… Il convient aussi de réfléchir à ce qui peut être réalisé dans un cadre européen et à ce qu’il faut impérativement conserver dans le cadre national.

La commission a donc réfléchi à la force de dissuasion, à la contribution à l’Alliance atlantique, mais aussi au poids de la France au sein de l’Europe. Elle a eu des consultations avec ses partenaires européens. Le président Teissier a, pour sa part, conduit récemment une délégation à Berlin.

Sur le plan financier, la commission tire les enseignements des lois de programmation militaire antérieures (LPM) et de la sous-estimation du coût des programmes d’armement. Entre l’inscription d’un programme dans une LPM et le moment où il est effectivement lancé, les différences de devis peuvent se révéler considérables ; en outre, ceux-ci connaissent souvent des dérives. Ensuite interviennent les « bourrages » : pour que les montants ne paraissent pas trop importants, certaines dépenses que l’on sait inéluctables ne sont pas prises en compte dans la loi de programmation, malgré les avertissements des responsables des finances publiques. In fine, on est tout de même obligé de les payer. Autre exemple : les annulations de crédits en gestion. Même si l’on a accompli des progrès considérables sur les OPEX ces dernières années – on est passé de 24 millions d’euros de provisionnement à 460 millions, les dépenses liées à ces opérations restent situées à des niveaux beaucoup plus élevés.

Quant aux scénarios financiers correspondant aux différentes orientations présentées par la commission, ils relèvent aussi du choix de l’Exécutif. Le Président de la République ayant pris position à plusieurs reprises pour le maintien de l’effort de défense, la commission du Livre blanc, avec l’appui des ministères, cherche à définir les possibilités de rendre compatibles les options proposées avec la stratégie des finances publiques.

Par ailleurs, la réflexion de la commission sur les notions de sécurité nationale, de politique de défense, de prise en compte de l’effort de sécurité intérieure dans la sécurité nationale aboutira inéluctablement à une proposition de révision de l’ordonnance de 1959. Pour intégrer, en ce début de XXIe siècle, les menaces intentionnelles et les risques globaux pouvant peser sur le pays, il sera proposé que certains concepts très datés soient modifiés.

La commission a également travaillé sur les questions de ressources humaines, sur la valorisation du métier militaire, ou encore sur la démarche globale à mener pour que des services relevant de ministères différents – sécurité civile, renseignement, lutte contre le terrorisme – bénéficient de modules de formation communs dans le domaine de la préparation et de la gestion des crises.

Les conséquences industrielles de toutes ces orientations seront importantes. C’est pourquoi le Livre blanc présentera un panorama de notre industrie de défense avant de dessiner une stratégie globale portant tout à la fois sur l’Europe de la défense, le soutien à la recherche, l’impact sur les industries de pointe, les réponses à la menace informatique.

Enfin, les devoirs du citoyen en matière de défense, de protection et de sécurité constitueront un fil conducteur. Comment faire en sorte que l’image du monde militaire soit reconnue par l’opinion à sa juste valeur ?

M. Jean-Claude Mallet a conclu son propos en précisant que la vision du monde proposée par le Livre blanc ne doit basculer ni dans la paranoïa ni dans l’angélisme. Il est certain que des dangers menacent directement la population et le territoire. La société elle-même peut contribuer à développer sa propre capacité de résistance aux attaques qu’elle peut subir. Cette réflexion sur ce que l’on a appelé, faute de mieux, la « résilience », est également menée dans les autres pays européens.

Le président Guy Teissier a remercié M. Jean-Claude Mallet pour ce panorama large et précis. Le Président de la République va répétant que le budget de la défense doit atteindre 2 % du PIB – pour 1,7 % actuellement. Même dans ces conditions, comment résorber la « bosse » de 40 milliards d’euros tout en finançant les options stratégiques, industrielles et humaines qui seront retenues ? Le projet de Livre blanc sera soumis à la commission de la défense avant sa remise au Président de la République. Comment prendra-t-on en compte les modifications que les parlementaires pourraient vouloir y apporter ?

À cette dernière question, M. Jean-Claude Mallet a répondu que la procédure vise à recueillir leurs réactions et à en rendre compte au Président de la République au moment où le texte lui sera présenté.

Il existe plusieurs façons de mesurer le budget de la défense par rapport au PIB, selon que l’on inclut ou non la gendarmerie, les pensions, etc. En 1994, la commission présidée par M. Marceau Long avait retenu l’indicateur OTAN, très large, aboutissant à un taux de 3,34  % et incluant pension et gendarmerie en totalité.

La réflexion sur la conciliation des options est en cours. Il faut saluer le travail considérable que les ministères de la défense, du budget et de l’intérieur ont déjà réalisé.

M. Jean-Claude Viollet a considéré que le Parlement ne demande rien d’autre que d’avoir, lui aussi, à beaucoup travailler sur le Livre blanc. Il est frappant de constater à quel point on parle peu des questions de défense en France en comparaison avec plusieurs de ses partenaires européens. La nation ne peut se saisir de ce débat majeur que par le biais la représentation nationale, à laquelle appartient la légitimité des choix. Il est inacceptable que celle-ci n’ait pas eu connaissance de travaux tels que ceux d’« Éclairage 2020 ».

Comme cela a été signifié hier au ministre de la défense lors de son audition par la commission, les annonces se succèdent sans coordination. C’est ainsi que le Président de la République a décidé de mettre en place un Conseil de défense et de sécurité nationale, de réduire la deuxième composante nucléaire, de revenir – certes sous conditions – dans le commandement intégré de l’OTAN, de réviser les accords de défense... Le ministre a, quant à lui, exposé à la commission la réorganisation du ministère, avec une réduction de cible touchant également le contrat opérationnel, les implantations territoriales et le soutien. Quelle est l’articulation entre tous ces éléments ?

On transforme la délégation générale pour l’armement en une direction générale mais, dans le même temps, on renforce considérablement le rôle du chef d’état-major dans les décisions concernant les programmes. Qui décide, dès lors, de la politique industrielle ? Qui garantit le maintien de la base industrielle et technologique de défense française ? Et pendant ce temps, le groupe de travail 4 de la commission du Livre blanc continue à travailler, lui aussi, sur la politique industrielle et de recherche et sur l’économie de défense.

Le Président de la République a affirmé, dans son discours aux ambassadeurs, que le Livre blanc serait une contribution à la révision de la stratégie européenne de sécurité. Cela serait en effet pertinent à quelques mois de présidence française de l’Union européenne. Existe-t-il une articulation avec le travail de l’équipe de Javier Solana, destiné précisément à dresser le bilan de l’application de cette stratégie ?

Enfin, les réductions de cible risquent d’affecter des programmes d’armement dont certains sont réalisés en coopération. A-t-on recueilli sur ces perspectives l’avis de nos partenaires européens ?

M. Jean-Claude Mallet a estimé qu’il appartient au ministre de la défense de conduire la politique industrielle. C’est ce qui explique le maintien d’un directeur général de l’armement auprès du ministre. Le groupe 4 de la commission du Livre blanc, présidé par M. Jean-Martin Folz, a d’ailleurs proposé ce maintien parmi plusieurs modèles possibles d’évolution de la DGA. Il s’agit à la fois d’assurer l’exécution des programmes décidés notamment, au plan opérationnel et stratégique, sur la base des réflexions du chef d’état-major des armées, mais aussi de conduire la politique de recherche et d’études.

Si le rôle du chef d’état-major des armées est renforcé par rapport à celui des autres chefs d’état-major, la politique industrielle devrait demeurer de la compétence du directeur général de l’armement et, au sein de l’appareil d’État, de celle du ministre de la défense.

De même, au vu des difficultés auxquelles ont donné lieu les programmations militaires dans les dix ou quinze dernières années, il semble indispensable que l’État continue à assurer l’expertise technique des programmes et développer son expertise financière.

La commission aura des échanges avec M. Javier Solana avant la parution du Livre blanc. De même, les contacts réguliers avec les Allemands et les Britanniques visent à les informer de l’évolution de la réflexion. Le Livre blanc sera une contribution à la préparation de la nouvelle stratégie de sécurité européenne.

Pour ce qui est des programmes d’armement en coopération, la réponse appartient au ministère de la défense : tout dépend de ce que le Gouvernement retiendra parmi les objectifs de capacité proposés par la commission, sachant que, pour celle-ci, les programmes européens sont prioritaires.

Le rôle du Parlement est en effet essentiel pour refonder la relation entre le corps social et les missions de sécurité. C’est bien pourquoi il doit être informé au plus tôt des opérations extérieures. Le fait que le Parlement soit appelé, non seulement à discuter, mais aussi à voter la prolongation de telle ou telle intervention extérieure constituera une nouveauté radicale dans les pratiques de la Ve République.

M. François Lamy a estimé que le décalage entre les objectifs que la lettre de mission du Président de la République avait assignés à la commission du Livre blanc et la transformation de celle-ci en une sorte de commission permanente destinée à éclairer les décisions de l’Exécutif ne peut que susciter le malaise des parlementaires. Le Parlement ne saurait se contenter d’avaliser des décisions déjà prises tant il est vrai que ces pratiques augurent mal de son rôle dans les choix cruciaux à venir. S’agissant des options proposées, on peut souscrire à la vision d’un monde imprévisible impliquant de préserver un appareil de défense d’un certain volume, mais cela signifie que l’on conserve le dispositif dans sa quasi-totalité tout en renforçant les capacités de renseignement. Compte des contraintes économiques, et sachant que le Président de la République a déjà rendu des arbitrages, quelles propositions réalistes la commission du Livre blanc peut-elle faire ?

M. Bernard Cazeneuve a estimé que si le malaise ressenti au sein de la représentation nationale résulte des institutions de la Ve République, il est encore aggravé par la méthode choisie par le Gouvernement. Quatre processus interfèrent : les travaux de la commission du Livre blanc ; ceux menés dans le cadre de la révision générale des politiques publiques ; ceux de la revue générale des programmes ; et, enfin, le projet de réforme constitutionnelle, qui devrait modifier le rôle du Parlement sur les questions de défense.

Le Livre blanc aurait dû précéder les trois autres exercices. Or chacun fait des annonces au fil des événements, ce qui interdit toute cohérence. Le Parlement, quant à lui, est tenu totalement à l’écart. Le ministre de la défense a indiqué que les arbitrages seraient rendus avant que le Parlement ait à connaître de leur contenu. La représentation nationale ne pourra qu’entériner les choix à l’occasion de la loi de programmation militaire. Ce manque de considération est regrettable.

Qu’il s’agisse du Tchad, d’Abou Dhabi ou de l’Afghanistan, le Parlement n’a jamais eu à statuer. Pourtant, parallèlement à la commission du Livre blanc, une mission parlementaire aurait pu être créée qui aurait rendu des avis sur ces sujets. À l’exception du rapport de la mission d’évaluation et de contrôle sur les projets d’équipement naval militaire, le travail parlementaire préalable se révèle inexistant.

Alors que M. Mallet a souligné le caractère imprévisible, volatil et global de la menace et que plusieurs membres de la commission du Livre blanc ont déclaré que l’intérêt de la réflexion stratégique qui y était menée était de démontrer le caractère poreux de la frontière entre sécurité nationale et défense, on semble retenir aujourd'hui la seule option consistant à « faire la guerre ». Cela peut sembler contradictoire.

Il est également affirmé que la capacité d’expertise en matière d’industrie militaire doit rester au sein de l’État. Mais cela a toujours été le cas et n’a pas empêché les programmes de dériver. Les concentrations industrielles impliquées par l’Europe de la défense et la mise en place de coopérations coûtent parfois plus cher que si la France avait agi seule. Il arrive même que les alliances industrielles aboutissent à transformer nos partenaires en concurrents : ainsi l’espagnol Navantia, avec lequel nous avons développé des sous-marins au Chili, concurrence aujourd’hui DCNS sur le marché américain. Qui plus est, il est prévu de renforcer le rôle de l’état-major des armées, qui demande pourtant des surspécifications.

Un effort d’imagination semble nécessaire pour éviter cette dérive des coûts. L’association des instances parlementaires contrôlant les conditions d’exécution du budget de l’État serait à cet égard bienvenue.

Le président Guy Teissier a observé que le travail de l’Assemblée nationale dans les dernières semaines ne s’est pas réduit au seul rapport de la mission d’évaluation et de contrôle sur les équipements navals militaires. Deux rapports de la commission ont traité du secteur spatial et des problèmes d’aéromobilité. Par ailleurs, le groupe de travail sur les OPEX mène des auditions et sa réflexion sur la réforme institutionnelle.

Saluant l’intelligence de la démarche du Livre blanc, M. Jean-Michel Boucheron a relevé que, si l’on est impatient de connaître le contenu et la date de sa publication, c’est bien qu’il existe un besoin. On ne peut toutefois demander à la planète de cesser de respirer pendant la gestation de ce document.

Le problème est ailleurs et d’ordre institutionnel : la France connaît depuis 1962 dans la pratique un régime présidentiel mais n’en a pas tiré les conséquences sur le pouvoir parlementaire qui fait encore défaut.

Les orientations exposées par M. Mallet impliquent une réorganisation interne du ministère de la défense. Elle est indispensable : le « mur » de quarante milliards est notamment dû à une certaine balkanisation du pouvoir. Pour éviter de reproduire les dérives passées, il faut le reconcentrer autour du ministre et du chef d’état-major des armées.

On ne peut considérer que l’Europe se chargera de tout ce qu’il n’est pas possible de réaliser sur le plan national et on doit éviter tout fantasme sur la défense européenne. Si les Britanniques ont une véritable pensée stratégique et lui donnent, de manière pragmatique, une traduction précise, ce n’est pas le cas des Allemands, des Italiens, des Espagnols ou même des Polonais. Il ne faudrait pas que l’État fasse semblant de croire à la défense européenne pour éluder des problèmes difficiles à résoudre sur le plan national.

Après avoir estimé que les questions relatives au malaise des parlementaires ne relevaient pas de sa compétence, M. Jean-Claude Mallet a indiqué qu’après son élection, le Président de la République a lancé plusieurs initiatives, dont la RGPP, avant même de mettre en place la commission du Livre blanc. Celle-ci, selon les termes de sa lettre de mission, doit tenir compte des constats effectués dans le cadre de la RGPP. La revue des programmes a, quant à elle, été conduite au dernier trimestre 2007, le ministère de la défense et celui des finances devant trouver des solutions à la « bosse » financière. La commission du Livre blanc a eu communication des conclusions de l’exercice.

Par ailleurs, le projet de réforme constitutionnelle comporte des éléments qui intéressent la politique de défense et dont beaucoup, au demeurant, ont été corellés avec les travaux de préparation du Livre blanc.

Par définition, les questions d’actualité – Tchad, Abou Dhabi, etc. – échappent en revanche à la compétence de la commission. Le Président de la République est tenu de prendre des décisions en fonction de la vie politique internationale. Ce n’est pas à la commission de se prononcer à cet égard.

M. Jean-Claude Mallet a rappelé que le Parlement n’avait été en rien associé à l’élaboration du Livre blanc de 1994. Le Président de la République a pris plusieurs mesures, sans précédent, pour que, cette fois, la représentation nationale soit d’avantage impliquée.

L’équation budgétaire est difficile à résoudre et les choix seront du ressort de l’Exécutif. Le ministère de la défense et les différents ministères ont déjà engagé, sous l’égide du secrétariat général de la défense nationale, un travail classique sur des hypothèses de programmation militaire. Le Président de la République arrêtera la ligne de cette programmation en même temps qu’il arrêtera les options du Livre blanc, ce qui garantit une cohérence. Le projet de loi de programmation militaire sera déposé au cours de l’été, pour une inscription à l’ordre du jour du Parlement à l’automne.

De son côté, le ministre de la défense a indiqué qu’il annoncerait les données concernant la restructuration territoriale de son ministère dans la deuxième quinzaine du mois de juin. La politique d’accompagnement de ces restructurations sera déterminante pour la mise en place des réformes dans les années qui viennent.

La commission du Livre blanc n’affirme nullement que la menace est partout, elle met en évidence une incertitude stratégique avec laquelle il faut apprendre à vivre. Sa conviction est que le risque de conflit majeur concernant directement les intérêts français, y compris son propre territoire, suivi d’une crise dans une zone stratégique, est suffisamment élevé pour qu’on le prenne en compte dans l’organisation de l’effort de défense. Pour rassurer les Français et donner du sens aux missions de défense et de sécurité, il faut insister sur le travail de renseignement mais aussi sur la prévention réalisée dans les zones de crise et sur la capacité à peser sur la scène internationale. Bien évidemment, le Livre blanc abordera ces thématiques. Dans cet esprit, la commission a veillé à exclure des missions militaires décrites dans le futur Livre blanc ce qui relève du maintien de l’ordre public, notamment tout scénario prévoyant l’utilisation des forces armées dans des missions de maintien de l’ordre. En revanche, les dispositifs de sécurité civile et de premier secours à la population sont en première ligne dans les crises et doivent pouvoir recevoir l’appui des capacités des forces en cas, par exemple, de crise sanitaires ou naturelles aiguës.

Sur le plan financier, la commission a défini des priorités. C’est parce que l’on avait tout mis au même degré de priorité que l’on a abouti au mur des 40 milliards.

Par ailleurs, la réorganisation interne du ministère de la défense est indispensable mais ces questions relèvent du ministre lui-même. Il est clair que le statu quo ne ferait que reproduire les problèmes que l’on a connus. La reconcentration du pouvoir entre les mains du ministre et du chef d’état-major des armées est indispensable.

La politique européenne de la France doit répondre à sa vocation. S’il est exclu de s’en remettre à l’Europe pour le financement, il est aussi exclu de penser que l’Europe de la défense est irréalisable. Ne pas s’impliquer fortement dans un projet européen serait trahir la politique menée par notre pays depuis des décennies et décevoir les attentes de nos partenaires.

Déclarant ne pas partager le sentiment de malaise de certains, M. Philippe Folliot a considéré que les éléments aujourd’hui épars ne manqueront pas, in fine, de constituer un ensemble cohérent. Il s’est ensuite interrogé sur les rôles respectifs des armées : la commission du Livre blanc estime-t-elle que ce sont les mêmes unités qui doivent être prêtes à faire la guerre et assurer, en cas de crise majeure, les secours à la population ? Doit-on envisager une spécialisation des forces, ce qui ne serait pas sans incidences sur la gendarmerie ?

Par ailleurs, la situation de la Guyane est très particulière : la France y possède, avec le centre spatial, des intérêts stratégiques mais elle y mène aussi, contre l’immigration illégale et les trafics, des actions qui s’apparentent à des OPEX. Ce qui est en jeu à moyen terme, c’est la stabilité de ce département qui concentre, à bien des égards, l’ensemble des problèmes des territoires ultramarins.

M. Jean-Pierre Soisson a souligné la cohérence de la démarche de la commission du Livre blanc. La formule « Il n’y aura pas de rapport Mallet » illustre bien le fait que ce travail n’est pas éthéré mais s’achemine peu à peu, au fil des arbitrages du Président de la République, vers un état définitif. C’est la première fois que l’élaboration d’un livre blanc sur la défense offre à ce point la garantie que les préconisations énoncées seront mises en application.

M. Jean-Claude Mallet a indiqué à M. Philippe Folliot que le débat sur la polyvalence ou la spécialisation des forces armées a eu lieu au sein de la commission. Pour ce qui est de la protection de la population, ce sont les policiers, les gendarmes, les pompiers, les personnels de la sécurité civile et les SAMU qui sont en première ligne. Il faut d’ailleurs dynamiser ce système et lui donner des objectifs opérationnels clairs répondant à une logique de planification et de capacité. C’est pourquoi, avec l’accord de Mme le ministre de l’intérieur, la loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure (LOPSI) intégrera des éléments issus du Livre blanc.

En ce qui concerne les forces armées, la commission travaille beaucoup sur la polyvalence : celles-ci doivent être capables de mener une offensive dans une situation de guerre mais aussi de secourir la population sur le territoire national. On ne peut se permettre une armée à deux vitesses.

Quant aux intérêts en jeu en Guyane, ils sont vitaux non seulement pour la France mais pour l’Europe.

Pour en revenir aux questions de méthode, il faut préciser que la commission a toujours délibéré sur les projets de dossier présentés au Président de la République à l’occasion des points d’étape. Tous les membres de la commission ont eu accès aux documents, y compris les plus protégés, portés à la connaissance du Président. À chaque fois, le président de la commission était accompagné de plusieurs membres pour ensuite faire, devant la commission tout entière, le compte rendu détaillé des discussions avec le Président de la République, le Premier ministre et les ministres concernés.

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Information relative à la commission

— La commission a nommé M. Georges Mothron rapporteur sur le projet de loi (n° 814) relatif aux emplois réservés et portant dispositions diverses relatives à la défense.

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