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Commission de la défense nationale et des forces armées

Mercredi 28 mai 2008

Séance de 11 heures 30

Compte rendu n° 30

Présidence de M. Guy Teissier, président

– Rencontre avec une délégation danoise conduite par M. Hans Hækkerup, président de la commission de la défense danoise et M. Søren Gade, ministre de la défense

Rencontre avec une délégation danoise conduite par M. Hans Hækkerup, président de la commission de la défense danoise et M. Søren Gade, ministre de la défense.

La commission de la défense nationale et des forces armées a reçu une délégation danoise conduite par M. Hans Hækkerup, président de la commission de la défense danoise et M. Søren Gade, ministre de la défense.

Après avoir salué la présence de M. Hans Hækkerup, président de la commission de la défense danoise et de M. Søren Gade, ministre danois de la défense, le président Guy Teissier a présenté les principaux membres de la délégation : M. Karsten Nonbo, député et membre du parti libéral, M. John Dyrby Paulsen, député et membre du parti social-démocrate, M. Morten Helveg Petersen, député et membre du parti libéral-radical, M. Lars Finden, secrétaire d’État au ministère de la défense, M. Per Poulsen-Hansen, ambassadeur de Danemark auprès de l’OTAN, le général Hans Jesper Helsø, chef des armées et l’amiral Tim Sloth Jørgensen, chef d’état-major des armées.

Il a rappelé que la France est actuellement engagée dans un important travail de réflexion stratégique avec la publication prochaine du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale qui devrait permettre de déterminer les ambitions et les moyens de sa politique de défense pour les quinze prochaines années. Dans le même temps, le ministère de la défense s’apprête à revoir son organisation avec sans doute une redéfinition de ses implantations militaires.

Ces décisions interviennent dans un contexte particulier puisque notre pays va prochainement assurer la présidence de l’Union européenne, pendant laquelle l’accent sera notamment mis sur les questions de défense.

Il a relevé que le Danemark et la France partagent des positions communes sur les questions de défense et s’engagent conjointement en faveur de la stabilité du continent européen. Près de 400  soldats danois sont en effet présents aux côtés des forces françaises au Kosovo dans la région de Mitrovica. Le Danemark participe également à l’effort de pacification et de reconstruction en Afghanistan et ce, malgré des réticences fortes dans son opinion.

Soulignant les éléments de convergence entre les deux pays, il s’est félicité de la qualité des échanges entre les membres des deux commissions de la défense, estimant qu’ils contribuent à enrichir les réflexions en cours.

M. Hans Hækkerup, président de la commission de la défense danoise, a expliqué que l’organisme qu’il préside est spécialement constitué tous les dix ans et comprend des représentants du Gouvernement et du Parlement, des chercheurs ainsi que des experts. Cette commission est chargée de mener une réflexion prospective sur la nature de la politique de défense danoise, ce qui explique l’importance qu’elle accorde aux rencontres internationales. Il a ensuite précisé que le Danemark est passé d’une armée de conscription à une armée de métier, le service national étant maintenu mais désormais limité à quatre mois. Une réorganisation des forces est donc en cours.

Il s’est félicité de la coopération militaire avec la France, particulièrement utile sur des théâtres comme Mitrovica, les forces danoises appréciant l’expérience des forces françaises notamment en matière de maintien de l’ordre public.

De façon générale, le Danemark est encore réservé à l’égard de la politique de défense européenne mais des progrès sont possibles. À ce sujet, il s’est félicité du retour de la France dans l’OTAN, tant pour l’alliance que pour l’Europe.

Souhaitant convier les participants aux prochaines universités d’été, le président Guy Teissier a rappelé que cette rencontre de haut niveau réunit chaque année les meilleurs spécialistes de la défense en France et en Europe, qu’ils soient parlementaires, militaires, industriels ou journalistes. Elle aura lieu cette année à Saint-Malo afin de contribuer, dix ans après la signature d’un accord entre la France et le Royaume-Uni, à la relance de la PESD que le Président de la République a souhaité placer au cœur de la présidence française de l’Union.

M. Søren GADE, ministre de la défense, a souhaité connaître les principales préconisations du Livre blanc en ce qui concerne la réorganisation des armées françaises. Il a indiqué que ce processus s’est révélé relativement difficile à mettre en œuvre au Danemark. Il a également demandé si cette réorganisation était liée au retour de la France dans l’OTAN.

Le président Guy Teissier a précisé que le premier objectif du Livre blanc est de définir un nouveau scénario stratégique dégagé du contexte de la guerre froide. Aujourd’hui, la principale menace est celle du terrorisme et la politique de défense et de sécurité nationale doit être organisée de façon à prévenir les attaques, qu’elles interviennent sur le territoire européen ou dans le monde. Le Livre blanc a bien entendu pris en compte l’hypothèse d’un retour de la France dans la structure de commandement intégré de l’OTAN mais cela n’est pas un élément essentiel de sa réflexion. Il a par ailleurs rappelé que la France n’est jamais sortie de l’OTAN à laquelle elle participe humainement et financièrement. Elle est seulement absente du comité des plans de défense et du groupe des plans nucléaires.

Il a ensuite précisé que le Livre blanc s’attache à établir des scenarii de réponse aux nouvelles menaces avant de définir les moyens d’actions nécessaires pour répondre à ces situations. En ce qui concerne plus spécifiquement la projection des forces, l’actuel contrat opérationnel prévoit une capacité de 50 000 hommes qui n’a jamais été utilisée depuis cinquante ans. Cet objectif devrait donc être ramené à une capacité d’engagement simultané de 30 000 hommes sur un théâtre majeur et de 5 000 hommes sur un théâtre secondaire. Plus globalement, les moyens d’actions décrits par le Livre blanc doivent permettre à la France de conserver son statut de nation cadre et d’assumer les missions extérieures jugées prioritaires au vu des menaces identifiées.

Mme Lykke Friis, vice-recteur de l’Université de Copenhague, s’est interrogée sur les difficultés que la question turque pourrait poser en ce qui concerne la coopération entre l’OTAN et l’Union européenne.

Le président Guy Teissier a confirmé qu’il existe en France un débat très important sur ce sujet. Plusieurs raisons s’opposent à l’intégration de la Turquie dans l’Union européenne, qu’il s’agisse de raisons géographiques, l’Europe ne s’étendant pas au-delà du Bosphore, ou de raisons politiques. Depuis sa création, l’Union s’est faite sur un désir commun de construire un espace de paix et de liberté. Or, sur ces deux aspects, la situation de la Turquie n’apparaît pas satisfaisante. Les tensions sont très fortes avec Chypre et avec les populations kurdes et on ne peut que regretter les entraves aux libertés, de circuler, de croire, ou de penser.

M. Philippe Vitel a indiqué que le dossier d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne comporte trente-cinq articles. À ce jour, la Turquie ne se conforme pas à cinq d’entre eux qui ont notamment trait aux droits de l’Homme, au génocide arménien et à la question chypriote. Les trente autres points ne font pas débat et servent de base, depuis 1953, à un partenariat privilégié entre la France et la Turquie. Le Président de la République a d’ailleurs souhaité renforcer ce modèle de coopération en particulier dans le cadre de la nouvelle organisation Euro-Méditerranée.

M. Jean Michel a fait part de son opposition à l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne, estimant que ce pays ne respecte pas suffisamment les droits de l’Homme pas plus que de nombreuses libertés fondamentales. L’intégration de la Turquie doit être examinée au vu de l’objectif que l’on assigne l’Union européenne, simple espace de libre-échange ou espace politique cohérent. L’objectif économique permet certes d’intégrer dans l’Union un nombre important d’États mais il lui manque l’ambition politique et la volonté de se rassembler autour de valeurs communes.

En se retirant du commandement intégré en 1966, la France a souhaité préserver son indépendance et sa souveraineté en matière de défense, l’alliance lui apparaissant comme un simple espace de coopération internationale. Estimant que le contexte de guerre froide qui a présidé à la création de l’alliance est aujourd’hui révolu, il a évoqué un entretien du président Georges Bush père avec le président François Mitterrand, le premier considérant que l’OTAN n’avait plus lieu d’être depuis 1989, le second estimant que les États-Unis la conserveraient comme instrument de domination au détriment d’une alliance rénovée. Pour maintenir une autonomie stratégique et militaire européenne, il a appelé de ses vœux la construction d’une Europe de la défense indépendante de l’OTAN.

Le président Guy Tessier a rappelé que la commission de la défense et la commission des affaires étrangères organisent le 3 juin prochain une table ronde sur la place de la France dans l’OTAN.

Relevant que la France a choisi de faire de l’Europe de la défense un des thèmes majeurs de sa présidence de l’Union européenne, M. John Dyrby Paulsen s’est demandé si le sujet sera abordé sous le seul aspect de la participation budgétaire de chaque État à l’effort de défense ou si d’autres sujets sont envisagés.

Le président Guy Tessier a fait valoir que la plupart des pays européens s’interrogent sur la nécessité de maintenir un effort de défense alors qu’ils n’ont pas eu à affronter de menace sur leur territoire depuis la seconde guerre mondiale. La chute du mur de Berlin a donné à ces questionnements un nouveau relief, la tentation étant alors grande en France de réduire l’effort de défense. Reprenant l’analyse du chef d’état-major des armées lors d’une précédente audition, il a considéré que les menaces n’avaient pas disparu, mais qu’elles avaient changé de nature. Il apparaît donc primordial de maintenir des efforts importants en matière de défense, de fait il s’agit du troisième poste de dépenses de l’État. Il a d’ailleurs fait valoir que cet investissement recueille un assentiment général de la population et du monde politique. Il a cependant regretté que tous les pays alliés ne partagent pas cette analyse et ne maintiennent pas leur budget de défense. Il est significatif que les budgets de la défense de l’ensemble des pays de l’Union européenne ne représentent que la moitié du budget américain de défense.

Il a estimé que l’idée de politique commune de défense a besoin d’une nouvelle dynamique et souhaité une approche plus globale, à l’image du Livre blanc français qui inscrit dans son champ de réflexion la sécurité nationale.

M. Morten Helveg Petersen s’est interrogé sur l’existence, en France, d’une symbiose entre l’opinion et les partis politiques, eux-mêmes aux prises avec leurs débats internes, au sujet de l’OTAN. Au Danemark, le débat est ouvert depuis longtemps et les responsables politiques peinent à trouver un accord avec l’opinion publique.

M. Philippe Folliot a estimé que l’Europe de la défense doit rester autonome. Dans ce cadre, les relations avec l’OTAN se conçoivent sous l’angle de la complémentarité. De fait, deux conceptions s’opposent : l’une considérant que l’Europe de la défense passe par l’OTAN, l’autre que l’OTAN ne saurait qu’empêcher le développement de cette Europe. Il a rejeté cette opposition, estimant qu’un équilibre constructif peut émerger.

Partageant l’analyse de M. Philippe Folliot sur l’indépendance de l’Europe de la défense, M. Jean Michel a souligné qu’en quittant le commandement intégré de l’OTAN en 1966, la France avait fait le choix de constituer une force de frappe autonome qu’elle a conservée jusqu’à ce jour. Rappelant que cette position avait initialement provoqué de vives oppositions, il a indiqué que les socialistes français se sont ralliés à cette doctrine d’autonomie stratégique au début des années 1980. Il a jugé délicate la perspective actuelle d’une réintégration dans toutes les structures de l’OTAN, craignant qu’elle ne conduise à une remise en cause de cette indépendance. Les positions de la France risquent par ailleurs d’être confondues avec les positions américaines qui font l’objet de vives critiques sur la scène internationale.

M. Philippe Vitel a rappelé que les dépenses de défense s’élèvent à 1 200 milliards d’euros pour l’ensemble du globe, contre 180 milliards pour l’Europe soit 15 % du total. En ce qui concerne l’industrie navale, les États-Unis concentrent un effort de 20 milliards de dollars par an sur quatre chantiers navals alors que l’Europe consacre huit milliards sur 20 chantiers. Il est donc impérieux qu’elle procède à l’évaluation de ses savoir-faire et de ses potentialités pour les mettre en commun et mieux utiliser ses capitaux pour répondre efficacement à ses missions, y compris celles de Petersberg.

Après avoir regretté que les questions de défense ne fassent pas l’objet d’un plus large débat public, M. Jean-Claude Viollet a souhaité que l’Europe de la défense se construise le plus rapidement possible, la future présidence française pouvant servir d’accélérateur.

S’agissant de la Turquie, il a mis en garde contre la tentation de s’ériger en donneur de leçons : si la Turquie doit conduire son propre travail de mémoire, la France peine parfois à accomplir le sien.

En matière industrielle, il a suggéré que les stratégies de défense européenne soient mises en perspective et évoqué le concept de bases de défense stratégiques et industrielles européennes. Il a enfin estimé qu’un effort de réflexion est nécessaire avant toute réintégration de la France dans le commandement intégré de l’OTAN.

L’amiral Tim Sloth Jørgensen a estimé nécessaire de définir les moyens attribués d’une part à la politique européenne de défense et d’autre part à la coopération militaire au sein de l’OTAN. Le Livre blanc recommande-t-il d’augmenter globalement les dépenses militaires pour participer plus activement à ces deux organisations ou préconise-t-il d’en privilégier une ? Il s’est également interrogé sur la pertinence d’une rationalisation et d’une concentration des efforts pour éviter une dilution des crédits, nuisant au final à leur bonne utilisation. L’équilibre financier actuel est-il durable ou sera-t-il remis en cause par la réintégration de la France dans le commandement intégré ?

Le président Guy Teissier a indiqué que le budget de la défense de la France restera stable. En matière de défense européenne, des progrès sont possibles notamment grâce à une meilleure utilisation de l’agence européenne de défense. Des programmes en coopération doivent émerger et des efforts très importants en matière de recherche doivent être consentis pour que l’Europe préserve son indépendance. Il a appelé à la définition d’une stratégie européenne de défense qui pourrait aller jusqu’à l’élaboration d’un Livre blanc européen.

La France ne veut pas créer de concurrence entre l’OTAN et l’Union européenne, un partage des compétences pouvant utilement être opéré. La stabilisation du continent européen peut rester du domaine de l’Union tandis que la gestion des conflits de haute intensité ou s’inscrivant plus longuement dans la durée peut relever de l’OTAN.

M. le Professeur Bertel Heurlin, a relevé que les décisions communautaires ayant trait à la souveraineté des États, au premier rang desquelles les décisions en matière de défense, sont soumises à la règle de l’unanimité. Est-il envisageable ou envisagé de les soumettre à un vote à la majorité qualifiée ?

Le président Guy Teissier a estimé que cette question pourrait être examinée au cours de la présidence française de l’Union.

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