Accueil > Travaux en commission > Commission de la défense nationale et des forces armées > Les comptes rendus

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Commission de la défense nationale et des forces armées

Mardi 26 août 2008

Séance de 15 heures

Compte rendu n° 36

Présidence de M. Bernard Accoyer, président de l’Assemblée nationale, et coprésidence de MM. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères et Guy Teissier, président de la commission de la défense nationale et des forces armées

– Audition, commune avec la commission des affaires étrangères, de MM. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes et Hervé Morin, ministre de la défense, sur les événements et la situation en Afghanistan (ouverte à la presse)

Audition de MM. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes et Hervé Morin, ministre de la défense, sur les événements et la situation en Afghanistan

La commission a procédé à l’audition, ouverte à la presse, de MM. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes et Hervé Morin, ministre de la défense, sur les événements et la situation en Afghanistan.

M. Bernard Accoyer, président de l’Assemblée nationale : Il y a huit jours, le lundi 18 août, dix soldats des forces françaises en Afghanistan ont trouvé la mort, à cinquante kilomètres de Kaboul, et vingt et un de leurs camarades ont été blessés.

L’Assemblée nationale a aussitôt exprimé sa vive émotion et assuré de sa solidarité les familles, les proches et les frères d’armes des victimes. Cette émotion était également profonde jeudi lors de la cérémonie nationale aux Invalides et l’Assemblée rendra un hommage solennel à nos soldats dès la rentrée parlementaire.

Au-delà de ces manifestations de compassion et de solidarité, nous devons, assumant nos responsabilités, prendre un certain nombre d’initiatives pour comprendre ce qui s’est passé et en tirer des leçons. Nous devons savoir quelle est la situation et quels sont les enjeux aujourd’hui en Afghanistan.

C’est pourquoi, dès la fin de la cérémonie d’hommage officielle, j’ai souhaité – fait exceptionnel – convoquer l’ensemble des députés à une réunion conjointe de la commission de la défense nationale et des forces armées et de la commission des affaires étrangères afin d’entendre M. le ministre de la défense et M. le ministre des affaires étrangères sur les événements et la situation en Afghanistan. Tel est le sens de la présente réunion. Je remercie MM. les ministres d’avoir bien voulu venir répondre à nos questions. Je remercie également le président de la commission de la défense, M. Guy Teissier, et le président de la commission des affaires étrangères, M. Axel Poniatowski, qui se sont mobilisés dès que nous avons eu connaissance du drame.

Quelques semaines après le vote de la réforme constitutionnelle, le Parlement va exercer les nouveaux pouvoirs qui lui ont été attribués : un débat en séance publique sur l’Afghanistan, suivi d’un vote, est prévu dès le début de la session extraordinaire qui s’ouvrira dans trois semaines. Le nouvel alinéa 3 de l’article 35 de la Constitution, aux termes duquel, lorsque la durée de l’intervention de nos forces armées à l’étranger excède quatre mois, le Gouvernement soumet sa prolongation à l’autorisation du Parlement, recevra ainsi sa première application.

La réunion d’aujourd’hui, au cours de laquelle vous pourrez poser toutes les questions que vous voudrez aux deux ministres présents, sera suivie, pour permettre aux parlementaires de se forger une opinion avant le vote en séance publique, d’auditions d’experts, de personnalités et de spécialistes français et étrangers, menées en commun par les deux commissions. Ces auditions seront, comme aujourd’hui, ouvertes à tous les députés ainsi qu’à la presse, à l’exception, bien sûr, des questions qui pourraient mettre en jeu la sécurité des forces d’intervention ou la sécurité en général.

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense nationale et des forces armées : Lundi dernier, dix de nos soldats se trouvaient face à leur tragique destin et vingt et un de leurs camarades étaient blessés. Âgés d’une vingtaine d’années, ils étaient soldats de la République. Par leur engagement dans le métier des armes, ils portaient haut les couleurs de la France et celles des valeurs de la démocratie. Ils exerçaient leur mission avec passion, détermination et courage.

La Nation tout entière leur a rendu un digne hommage, la semaine dernière, en présence du Président de la République, de toutes les autorités civiles et militaires du pays et de nombreux anonymes. Qu’il me soit permis, au nom des parlementaires de la commission de la défense nationale et des forces armées, de m’associer à la peine des familles et d’adresser à leurs frères d’armes ma solidarité parachutiste.

Après le temps légitime et naturel du recueillement doit venir celui de l’analyse – et non de la polémique. Avec mon collègue, le président Axel Poniatowski, et l’ensemble des parlementaires, nous vous remercions, messieurs les ministres, d’avoir répondu si prestement à nos sollicitations et à celle du président de l’Assemblée nationale. Le Parlement, expression de la souveraineté populaire, doit pouvoir obtenir les réponses aux nombreuses questions qu’il se pose à juste titre.

Le 22 septembre prochain, aura lieu un débat avec vote. Ce sera pour nous l’occasion d’examiner les raisons de notre présence en Afghanistan et les inflexions à apporter ou non à notre stratégie. Aujourd’hui, nous avons besoin, tout simplement, de comprendre les circonstances et les raisons de cet événement tragique et d’en tirer certains enseignements.

Monsieur le ministre de la défense, nous souhaitons que vous nous présentiez les faits de façon extrêmement précise – tous les faits : de l’objet de la mission à la façon dont elle a été gérée. Un certain nombre d’interrogations factuelles ne manqueront pas d’être soulevées par mes collègues. Pour ma part, je vous poserai trois séries de questions.

La première a trait au volume des troupes engagées sur le terrain. L’Afghanistan est, très certainement, l’opération extérieure la plus déterminante pour la sécurité de la France. Mais chacun sait combien il est difficile pour nos armées de faire face aux multiples engagements actuels dans le monde. La dispersion de nos forces atteint sans doute ses limites et il est temps d’établir une véritable hiérarchie de nos priorités et d’en tirer les conséquences. Cela pose également la question du format de l’armée de terre, la plus sollicitée par ces opérations extérieures.

La seconde série d’interrogations porte sur les équipements mis à la disposition de nos forces. Il est certes facile de refaire l’histoire mais l’embuscade dont ont été victimes nos soldats montre que les carences relevées depuis longtemps en matière d’aéromobilité, de drones et de renseignement militaire peuvent avoir des conséquences dramatiques. Il faudra tirer les conclusions qui s’imposent dans la future loi de programmation militaire et tenir davantage compte à l’avenir des besoins opérationnels réels lors du lancement des programmes. Une plus grande réactivité est indispensable pour l’acquisition des matériels les plus nécessaires.

Enfin, il faut s’interroger sur les conditions d’une stabilisation durable en Afghanistan. Où en est la montée en puissance de l’armée afghane, à laquelle la France contribue en mettant l’accent sur la formation ? Quels sont les moyens dont dispose vraiment la communauté internationale pour rationaliser, voire coordonner, les efforts de reconstruction ? Ceux-ci sont méritoires mais sans doute encore trop dispersés. Quelle est la capacité de cette même communauté à inciter efficacement le gouvernement afghan à lutter contre la corruption, dont chacun sait à quel point elle compromet l’avenir de ce pays ?

M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères : Je remercie, à mon tour, les deux ministres de s’être rendus disponibles aussi rapidement à l’invitation lancée par le président de l’Assemblée nationale. J’associe l’ensemble des députés membres de la commission des affaires étrangères à l’hommage national qui a été rendu la semaine dernière. Je tiens également à exprimer en leurs noms notre compassion à l’égard des familles et des camarades des soldats disparus.

L’objet de l’audition d’aujourd’hui est double : d’abord comprendre les événements qui ont conduit à la disparition de dix de nos dix soldats la semaine dernière ; ensuite, plus largement, analyser l’évolution de la situation en Afghanistan.

J’ai, pour ma part, cinq sujets de préoccupation et d’interrogation dont je souhaite vous faire part. Les trois premiers concernent le ministre de la défense, les deux suivants le ministre des affaires étrangères.

Premièrement, je souhaite savoir si, après ce qui s’est passé, il existe un nouveau plan de sécurité pour nos forces sur place. Je m’associe, à ce sujet, aux questions posées par le président Teissier, notamment, après les déclarations du général Stollsteiner, laissant entendre qu’il y a peut-être eu un « excès de confiance » dans la façon dont les opérations ont été menées. Cette question me conduit à vous interroger sur le renseignement, en particulier sur le renseignement humain. Le commandement militaire français sur place est-il satisfait des informations recueillies de cette façon ?

Ma deuxième question concerne les forces afghanes. Lorsque je me suis rendu à Kaboul avec François Loncle les 4, 5 et 6 juillet derniers, il nous était apparu urgent de procéder très rapidement à la montée en puissance et au déploiement de l’armée afghane. Celle-ci représente aujourd’hui à peu près 70 000 hommes. Si mes informations sont bonnes, elle devrait en compter 180 000 ou 200 000. Les autorités afghanes elles-mêmes semblaient ne pas comprendre pourquoi le déploiement de leurs soldats n’allait pas plus vite. Comment voyez-vous l’accélération de ce processus qui permettra, à terme, d’envisager le retrait des forces de l’OTAN ?

Ma troisième préoccupation porte sur le fléau absolu que constitue la drogue. Celle-ci, qui représente à peu près le tiers du PNB de l’Afghanistan, procure des ressources très importantes aux talibans et à Al-Qaida, et elle est source de corruption à tous les niveaux de l’État. C’est, d’ailleurs, l’une des raisons de la chute de popularité du gouvernement Karzaï. Considérez-vous que le problème de la drogue a été, jusqu’à présent, correctement traité ? Autant l’éradication de la culture du pavot et le subventionnement de cultures vivrières remplaçant celle-ci doivent être, nous semble-t-il, l’affaire des Afghans eux-mêmes – sous peine, pour l’OTAN, de se mettre à dos toute la population, la drogue étant une ressource très importante pour les paysans–, autant conviendrait-il que la mission de l’OTAN soit étendue, pour permettre notamment le démantèlement des laboratoires de transformation du pavot en opium et en héroïne installés sur le territoire afghan. Pouvez-vous nous faire part de vos réflexions à ce sujet ?

Mes deux autres interrogations s’adressent au ministre des affaires étrangères. La stabilisation du Pakistan est inséparable de la solution du conflit en Afghanistan. Le Pakistan constituant la base arrière des forces talibanes, on peut nourrir aujourd’hui de sérieuses inquiétudes sur l’évolution de la situation : en effet, depuis quelques semaines, les talibans pakistanais contrôlent toute la région du Waziristan et les combats font rage avec l’armée régulière. Il va y avoir un changement de chef d’État. Pouvez-vous nous faire part de votre analyse concernant l’évolution de la situation politique au Pakistan ?

Quelle est enfin la justification de la présence française en Afghanistan ? Les Français ne comprennent pas tous quelles en sont les raisons. La première est, pour reprendre l’expression de M. Jospin en 2002, le combat contre l’obscurantisme. Mais l’obscurantisme existe dans un grand nombre d’autres pays dans le monde sans que nous nous y précipitions pour autant. Ce n’est donc pas une raison suffisante. La seconde raison est la lutte contre le terrorisme international afin d’éviter son exportation éventuelle en Occident. Comment analysez-vous la situation, monsieur le ministre ?

M. Hervé Morin, ministre de la défense : La France vient de payer un lourd tribut pour son engagement en Afghanistan.

Je voudrais, à la suite de Guy Teissier, rendre une nouvelle fois hommage à nos soldats qui ont payé leur engagement du sacrifice ultime. Ils ont fait preuve d’un courage, d’une volonté et d’un professionnalisme extraordinaires. Je me suis rendu ce matin dans les hôpitaux Bégin et Percy où j’ai rencontré les soldats blessés. Leurs témoignages montrent un sang-froid, une lucidité et un courage hors pair. Mes pensées vont aussi à leurs familles, leurs amis, leurs frères d’armes qui sont dans la peine comme l’a été toute la communauté militaire, durement touchée par la perte de dix de nos camarades. C’est dans cet esprit que nous nous sommes rendus sur place avec le Président de la République et M. Bernard Kouchner.

Avant de donner un certain nombre d’éclairages sur l’embuscade et l’environnement militaire dans lequel se déroulait cette opération, je voudrais vous rappeler le cadre politique et juridique de notre présence. La France est présente en Afghanistan depuis 2001 avec trente-sept autres pays, parmi lesquels certains qui n’ont pas une grande tradition d’opérations extérieures, comme les pays scandinaves, et même des pays neutres, tels que l’Autriche et l’Irlande.

En second lieu, nous intervenons en Afghanistan dans le cadre d’un mandat des Nations Unies, et plus précisément de la résolution 1386 du 20 décembre 2001, qui a créé la FIAS – la Force internationale d’assistance et de sécurité. Son mandat est renouvelé chaque année par une résolution du Conseil de sécurité, et il l’a été la dernière fois en septembre 2007.

Ce mandat comporte quatre missions : aider le gouvernement afghan à étendre son autorité à l’ensemble du pays ; mener des actions destinées à assurer la stabilité et la sécurité en coordination avec les forces de sécurité nationales afghanes ; encadrer et soutenir l’armée nationale afghane ; enfin, apporter un soutien aux programmes du gouvernement visant à désarmer les groupes illégaux. Cette résolution est placée sous le chapitre VII de la Charte des Nations Unies, qui permet aux unités d’exercer leur droit à une légitime défense renforcée.

La FIAS, coalition de pays volontaires déployés sous l’autorité du Conseil des Nations Unies, est placée, depuis août 2003, sous commandement de l’OTAN. À ce jour, trente-huit pays y participent, dont douze n’appartiennent pas à l’OTAN et vingt-cinq sont membres de l’Union européenne. Au sein de cette dernière, seules Chypre et Malte ne sont pas présentes en Afghanistan.

Cette force compte quelque 51 000 hommes, répartis dans cinq régions. Avec environ 3 300 soldats, la France se place derrière les États-Unis – 19 000 hommes –, le Royaume-Uni – 8 600 –, et à peu près au même niveau que les grandes nations occidentales, Italie, Allemagne et Canada. Le nombre de nos soldats présents en Afghanistan varie tous les jours en fonction des allers et des retours mais il est en gros de 3 300 hommes, dont 450 au titre de la composante « air », 300 au titre des bateaux qui patrouillent au large des côtes pakistanaises dans le cadre de la lutte contre les trafics, une trentaine au titre d’Epidote, c’est-à-dire de la formation des officiers afghans, une quarantaine au titre du soutien « air » et, enfin, 2 500 hommes sur le terrain dans la région centre, quelques-uns participant à une OMLT – Operational Mentor and Liaison Team – avec les Hollandais.

Compte tenu du mandat des Nations Unies, l’enjeu est donc double pour la coalition. Au niveau afghan, il s’agit de reconstruire le pays, de le stabiliser et de consolider l’État de droit. Au niveau international, il s’agit de lutter contre le terrorisme, menace essentielle pour les démocraties et la communauté internationale. New York, Madrid, Londres, Casablanca, Alger, Bali ont ainsi été le théâtre d’attentats majeurs ces dernières années. Le terrorisme l’a prouvé : il frappe et peut frapper partout.

Notre engagement en Afghanistan a également pour but la défense des droits de l’homme. Puis-je rappeler que, sous le régime moyenâgeux des talibans, de 1996 à 2001, les droits de l’homme étaient bafoués, la condition des femmes était indigne, les jeunes filles n’étaient ni scolarisées ni soignées, alors qu’on lapidait dans les stades aux mi-temps des matchs de football ? Même les cerfs-volants des enfants étaient interdits. À travers la destruction des Bouddhas de Bâmyiân, la culture et la civilisation afghanes elles-mêmes étaient mises en cause par le régime des talibans.

Compte tenu de son mandat, la communauté internationale doit remplir une triple missions : la pacification et la restauration de la stabilité de l’Afghanistan, la mise en place de formations militaires et de sécurité pour que l’Afghanistan puisse retrouver sa propre souveraineté et l’exercer, l’engagement d’un programme de reconstruction et de développement de l’Afghanistan.

En ce qui concerne tout d’abord la pacification et la restauration de la stabilité de l’Afghanistan, la FIAS a désormais repris pied sur la quasi-totalité du territoire, à l’exception de l’extrême sud-ouest du pays, très peu peuplé. Cette pacification et cette stabilisation sont indispensables pour pouvoir transférer la responsabilité de leur sécurité aux Afghans eux-mêmes et assurer la reconstruction et le développement du pays.

Les Afghans reprennent actuellement, comme la France l’avait souhaité, la gestion de leur capitale. Progressivement, l’ensemble des zones situées autour de Kaboul leur sera transféré. Au cours de l’année 2009, l’armée et la police afghanes doivent aussi recouvrer la vallée de l’Ouzbin, où sont tombés nos soldats. À terme, c’est toute la région Centre-Capitale qui sera sous contrôle afghan, nos forces n’agissant qu’en soutien.

Le regain des violences que nous connaissons actuellement est essentiellement lié
– j’insiste sur ce point – à l’accroissement des opérations menées par l’Alliance atlantique et les forces de sécurité afghanes dans des zones qui, jusqu’à présent, étaient considérées comme des sanctuaires d’extrémistes. C’est parce que nous sommes de plus en plus présents que le nombre d’opérations menées par les talibans s’accroît. Ainsi en 2007, 70 % des incidents relatifs à la sécurité ont eu lieu dans seulement 10 % des 398 districts du pays, soit sur un territoire qui rassemble 6 % de la population.

La deuxième mission de la communauté internationale consiste à former les forces de sécurité afghanes afin de donner à l’Afghanistan la capacité d’assurer lui-même la stabilisation et la pacification.

L’armée nationale afghane compte aujourd’hui environ 50 000 hommes contre 20 000 il y a quelques mois. Notre ambition est de porter ses effectifs, dans un délai relativement bref, à 120 000 hommes. Les progrès sont là, vous le verrez, Monsieur le président de la commission de la défense, quand vous vous rendrez à nouveau en Afghanistan. Si vous interrogez les soldats de l’armée nationale afghane, ils vous diront que celle-ci, en l’espace de six mois, se transforme progressivement en une véritable armée : nous avions des guerriers, ils deviennent des soldats.

Nous agissons à quatre niveaux. Tout d’abord, nous accompagnons les unités afghanes. La FIAS a introduit le concept des Operational Mentoring and Liaison Team, les OMLT, grâce auxquelles les hommes de la FIAS – dont environ trois cents pour la France – assurent graduellement la formation de l’armée nationale.

Nous assurons aussi la formation des officiers : 160 stagiaires sont actuellement concernés et, depuis le lancement de cette action dénommée « Epidote », nous avons formé plus de 5 000 officiers.

Nous avons également créé, avec les Allemands, une école de logistique : la Driver mechanic school de Kaboul sera en service en 2009.

Nous assurons enfin la formation des commandos afghans. Six bataillons sont formés par des forces spéciales françaises et américaines. Le premier cycle de formation a permis d’accueillir environ 600 militaires.

Le programme de reconstruction et de développement de l’Afghanistan constitue notre troisième mission après la stabilisation et la formation. Je laisse à Bernard Kouchner, qui a joué un rôle majeur dans l’organisation de la Conférence de Paris, le soin d’évoquer cette question. Je rappelle toutefois que, grâce à l’initiative de la France, vingt milliards de dollars ont été promis par la communauté internationale pour le développement de l’Afghanistan.

Je citerai aussi quelques chiffres qui montrent les progrès accomplis. Le nombre d’enfants scolarisés est passé de 900 000 à 6,5 millions, parmi lesquels 1,5 million de jeunes filles. La mortalité infantile a chuté de 26 %. Le pourcentage de la population afghane ayant accès aux soins est passé de 8 à 80 %. L’Afghanistan compte aujourd’hui 103 hôpitaux et plus de 800 centres de soins. Quatre mille kilomètres de routes ont été construits, il n’en existait que cinquante lorsque nous sommes arrivés. Par ailleurs, les forces de la coalition ont conduit plus de mille projets de développement dans le cadre des actions civilo-militaires « CIMIC ».

Il faut enfin citer les progrès démocratiques : une élection présidentielle s’est tenue en 2003, et le prochain scrutin est prévu pour l’année prochaine.

Bien entendu, de nombreux progrès restent à accomplir et nous sommes confrontés, sur le plan intérieur, à trois faiblesses majeures. Il s’agit tout d’abord de l’état de la police afghane qui, si elle compte 75 000 hommes, demeure une force peu fiable, gangrenée par la corruption et avec un niveau d’instruction et de formation très variable. Le trafic de drogue pose également un grave problème puisque on estime que 90 % de la production mondiale d’héroïne proviennent d’Afghanistan. Enfin, la corruption reste extrêmement développée dans les structures administratives du pays.

Dernière difficulté majeure : le rôle joué par un certain nombre de pays voisins. Je pense notamment au Pakistan, qui de toute évidence doit faire l’objet d’une pression internationale accrue, afin qu’il ne serve plus de base arrière aux talibans.

J’en arrive aux événements du 18 août. Il convient de mettre fin à certaines rumeurs et de reconstituer l’opération telle qu’elle a été menée. La reconstitution que je vous présente a été élaborée par l’état-major des armées à partir de l’ensemble des témoignages des soldats qui ont participé à l’opération, mais aussi de l’examen précis des commandements donnés et consignés. Ce travail a été effectué durant tout ce week-end.

Depuis le 8 août, après l’Italie, la France est responsable de la vallée de l’Ouzbin. Cette responsabilité va de pair avec celle de la région Centre-Capitale. C’est dans le cadre d’un système tournant avec la Turquie que nous avons succédé aux Italiens pour le commandement de la région Centre dont cette vallée du district de Surobi fait partie.

Entre le 8 août et le 15 août, rien ne permettait de prévoir l’attaque massive dont nos forces ont fait l’objet. Le 15 août, celles-ci ont entamé une mission de trois jours qui avait pour but, d’une part de reconnaître un terrain dont nous venions de reprendre le contrôle, d’autre part de nouer des relations avec les populations de la vallée afin de réinstaurer progressivement la sécurité du district.

Le 18 août, la mission débute à 9 heures avec une section du 8RPIMa, des éléments de l’armée nationale afghane, une section du régiment de marche du Tchad et quelques forces spéciales américaines. À 13 heures 30, la section de tête de la colonne du 8e RPIMa entame à pieds la reconnaissance du col situé à 2 000 mètres d’altitude, suivie des forces américaines, de Rouge 4, la section du régiment de marche du Tchad et des éléments de l’armée nationale afghane. En partant de Sper Kunday, village à partir duquel on monte au col, Carmin 2, la section du 8e RPIMa à laquelle appartiennent neuf de nos soldats qui vont périr, a pour objectif d’aller jusqu’au col et de reconnaître ce territoire. Il s’agit d’une procédure habituelle et nos soldats sont appuyés par des VAB, véhicules de l’avant blindé, dont les automitrailleuses assurent la couverture des fantassins engagés sur le col.

À 15 heures 45, le groupe de tête est attaqué. Les insurgés – selon nos informations, ils sont une petite centaine – attaquent aussi, en même temps, l’arrière de la section et la section de l’armée nationale afghane qui la suit. Rouge 4, placée en appui et qui aurait pu venir au secours de Carmin 2, est également attaquée. Dans une opération parfaitement concertée, les insurgés ont entrepris de « fixer » la totalité de la patrouille conduite par Carmin 2. Les combats sont extrêmement durs et, à 15 heures 52, la section de tête alerte la FOB Tora, le camp de base d’où partent les missions.

À 16 heures 10, soit 25 minutes après le début des hostilités, la section de réaction rapide en place au camp de base de Tora est envoyée en renfort. Elle arrive sur zone à 17 heures, cinquante à cinquante-cinq minutes après son départ.

À 16 heures 10, selon une procédure classique, une demande d’appui aérien est formulée par la section. À 16 heures 20, des avions A10 américains, spécialisés dans l’appui au sol et dotés d’une grande puissance de feu grâce à un canon mitrailleur, sont sur zone. Ils sont guidés par les forces spéciales américaines de la mission dont les JTAC (Joint terminal attack controller) sont capables, depuis le sol, de désigner leurs objectifs aux avions par laser. Mais les avions ne tirent pas, estimant les insurgés et nos soldats trop imbriqués. Les talibans ont en effet compris qu’il leur fallait coller au maximum aux forces de l’alliance pour éviter les frappes aériennes.

À 17 heures 40, les avions A10 peuvent enfin délivrer le feu. Ils tirent plus de 1 400 munitions, sans, je le confirme, qu’aucun tir fratricide ne soit à déplorer. Ce matin encore, j’en ai parlé avec les soldats hospitalisés : il est vrai que la puissance de feu des avions est telle que leur intervention est extrêmement marquante ; il est également vrai qu’ils ont parfois tiré assez près de nos soldats, mais c’est parce que ces avions ont pu tirer que nos soldats ont pu commencer à décrocher. Jusqu’à ce moment, nos hommes ne voyaient pas les insurgés et se retrouvaient pris, à chacun de leur mouvement, sous le feu ennemi venant de l’est, du nord comme de l’ouest, l’encerclement étant progressif.

Les manœuvres de nos soldats se sont faites sous les ordres du chef de section qui a toujours été en contact avec ses hommes et avec l’arrière. Grâce à la décision très courageuse de cet adjudant qui a ordonné le décrochage, nous avons probablement évité des pertes beaucoup plus lourdes. Comme nous avons pu le reconstituer, grâce aux témoignages de tous les soldats engagés, tout cela s’est fait avec professionnalisme, sang-froid et une maturité exceptionnelle. Un seul exemple : presque tous les soldats ont veillé à conserver, en dépit du feu de l’ennemi, un chargeur pour pouvoir se défendre jusqu’à la phase de repli.

Les tirs talibans sont alors encore trop nourris pour que l’on puisse poser un hélicoptère et évacuer les premiers blessés sans risque. Ces derniers ne pourront être emmenés qu’après 20 heures quand la zone d’atterrissage des hélicoptères aura été sécurisée.

À 20 heures justement, les renforts complémentaires provenant de Kaboul sont sur zone et permettent alors d’inverser le rapport de forces. Ils sont appuyés par des drones Predator, envoyés par les forces américaines.

Dans le même temps, les forces françaises ont réussi à sécuriser une zone pour que les hélicoptères puissent se poser, ce qui permet, outre l’évacuation des blessés, d’assurer l’approvisionnement en eau et en munitions de nos troupes, notamment des véhicules blindés qui assuraient l’appui feu depuis le village de Sper Kunday, à 1 500 mètres à vol d’oiseau du col. Je rappelle que le camp de Surobi se trouve à une heure et Kaboul à deux heures trente.

Pendant toute la nuit, les rotations d’hélicoptères Caracal se poursuivront. Permettez-moi de saluer les équipages qui ont assuré quatorze heures de vol d’affilée, dont neuf heures de nuit, dans des conditions très hostiles.

Le terrain est repris par nos forces le matin du 19 août. Nous contrôlons à nouveau la zone à partir du début de l’après-midi jusqu’au moment où le commandement de la région Centre décide de décrocher les hommes pour qu’ils reviennent au camp de Tora.

Le bilan du côté des rebelles est bien entendu incertain. Mais selon les services de renseignement alliés, nos ennemis auraient perdu une quarantaine d’hommes, dont un important chef taliban, et compteraient une trentaine de blessés.

Nous tirerons, bien entendu, tous les enseignements de l’opération du 18 août, comme nous les tirons après chacune de nos opérations, afin de progresser sans cesse dans les missions que nous menons. Je présenterai ce retour d’expérience au Président de la République dans les jours qui viennent.

Évidemment, nous mettons tout en œuvre pour protéger nos soldats. Ils sont bien équipés et suivent une formation spéciale extrêmement difficile de 6 mois avant de partir pour l’Afghanistan. Ils sont tous des professionnels aguerris, prêts au combat dans les situations les plus extrêmes. Mais puis-je ajouter que le risque zéro n’existe pas dans les armées ? Nous ne pouvons que limiter le risque au maximum, et c’est ce que nous faisons grâce à toutes les décisions que nous avons pu prendre depuis des mois.

En conclusion, je voudrais insister sur quelques points. Même si l’Afghanistan se situe à près de 7 000 kilomètres de Paris, ce qui s’y passe concerne notre sécurité et la sécurité de nos concitoyens. En Afghanistan, nous luttons contre le terrorisme international. Nous évitons la déstabilisation totale d’une région extrêmement fragile, qui a pour voisins l’Iran et le Pakistan. Nous défendons une cause juste : celle des droits de l’Homme, de la dignité de la femme, de la démocratie. Nous défendons nos valeurs les plus fondamentales.

Vous le constatez avec ces opérations : les talibans savent que le rapport de force ne leur permet pas d’espérer contrôler à nouveau les zones dans lesquelles nous sommes implantés. Leur objectif est donc différent : il s’agit de marquer les esprits, de couper nos forces du soutien de leurs opinions publiques, de faire douter ces dernières pour que certains pays finissent par céder.

Et pourtant, je suis convaincu que nous n’avons pas d’autre choix que de poursuivre l’effort mené par la communauté internationale. Cet effort sera nécessairement long. On ne peut pas restaurer en six ans un pays frappé par la guerre depuis tant d’années. Mais nous n’avons pas le droit de perdre.

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes : Le débat sur notre engagement en Afghanistan est plus que jamais indispensable. Il est même tout à fait nécessaire de vous tenir en permanence au courant. Après le sacrifice de nos soldats, tout le pays, à travers la représentation nationale, doit se trouver uni et solidaire derrière cet engagement majeur. Il ne pourra l’être que si l’information s’améliore et si les légitimes questions trouvent des réponses.

Cette discussion n’est pas la première sur ce sujet. Nous avons eu des débats en séance publique, j’ai été entendu par vos commissions à plusieurs reprises et j’ai pris l’initiative, après la Conférence de Paris, au mois de juin dernier, de réunir un certain nombre d’entre vous pour vous rendre compte régulièrement de notre action.

Notre séance d’aujourd’hui sera suivie, dès l’ouverture de la session extraordinaire, d’une déclaration du Gouvernement puis d’un vote. Nous avons la volonté, vous le constatez, d’associer la représentation nationale à notre action en Afghanistan.

À ce jour, vingt-quatre de nos soldats sont tombés en Afghanistan, dix d’entre eux lors de l’embuscade tragique du 18 août. Ils sont tombés pour une certaine idée de la dignité humaine et de la liberté à laquelle la majorité du peuple afghan aspire, je vous l’assure. Ils sont tombés pour rendre ce monde plus sûr. Je veux ici rendre, à nouveau, hommage à leur mémoire et à leur courage.

Je veux aussi vous dire toute notre émotion, à Hervé Morin et à moi-même, face à la mort de plusieurs dizaines de civils afghans le vendredi 22 août. Tout doit être fait pour que ce type d’accident ne se reproduise pas. Que ce bombardement ait été mené à la demande de forces américaines et afghanes n’y change rien, pas plus que la tactique des talibans utilisant des civils comme boucliers humains. Tragique sur le plan moral, ce type de bavure est désastreux sur le plan politique car il renforce le rejet des forces étrangères par la population.

Face à cette tragédie, nous devons être irréprochables et fidèles à la stratégie définie par nos alliés à Bucarest, et avec toute la communauté internationale lors de la Conférence de Paris. Et, contrairement à ce qui a pu être dit ou écrit ici ou là, cette stratégie-là est claire. Je voudrais maintenant vous l’exposer en détail.

Vous le savez, elle n’est pas seulement militaire et ne peut pas être seulement militaire ; il s’agit d’une approche politique d’ensemble mise en œuvre avec et pour le peuple afghan, avec et pour son gouvernement élu. J’insiste sur ce point : la France, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, est présente en Afghanistan avec un mandat des Nations unies et le plein appui du gouvernement afghan. Nous avons été appelés. Nous ne représentons aucun impérialisme ; nous sommes au service de la communauté internationale dans son expression la plus légitime, au service aussi de la population afghane représentée par son gouvernement élu.

La situation en Afghanistan reste préoccupante et dangereuse, malgré des progrès indéniables. Cette situation est loin d’être stabilisée comme le montre, de façon sinistre, la tragédie du 18 août. Une inquiétude profonde est liée à la présence nouvelle et croissante de djihadistes internationalistes, relais d’Al-Qaida. Elle nous rappelle que la situation afghane est liée à la situation régionale. Mais n’oublions pas que ces incidents découlent aussi, comme l’a dit Hervé Morin, du fait que la FIAS et l’armée nationale afghane agissent dans des zones où elles étaient largement absentes jusqu’alors. Évidemment, au fur et à mesure que tout le terrain est couvert, les attaques se multiplient.

S’agissant de la drogue, le bilan est rude. En fait, l’Afghanistan produit 93 % de la culture mondiale de pavot, dans un nombre de zones de plus en plus réduit. Il ne reste plus que cinq régions où l’on cultive du pavot, mais dans ces zones-là, les volumes produits sont de plus en plus importants. Ce commerce bénéficie à de nombreux intermédiaires et aussi aux talibans. Les chefs talibans ne donnent, selon les régions, que 25 à 30 % du bénéfice procuré par la vente du pavot. Mais, soyons honnêtes, les talibans ne sont pas les seuls à en profiter. Parmi nos alliés, dans leurs familles, dans leurs clans, certains en profitent également. La lutte est ainsi difficile et les volumes s’accroissent de façon préoccupante. Nous avons donc décidé de nous attaquer aux précurseurs chimiques et d’empêcher l’usage de ces substances par les laboratoires où elles sont utilisées pour le processus de transformation en héroïne. Alors que, en 2007, les cultures produisaient 8 300 tonnes, la quantité de précurseurs chimiques utilisée était presque du double.

La corruption est également un mal endémique et les droits de l’Homme connaissent une évolution inquiétante malgré quelques progrès. Nous intervenons pourtant chaque fois que cela est nécessaire. Je tiens tout de même à préciser qu’il n’y a jamais eu de gouvernement afghan – quand il en existait un… – sans corruption. Ne nous imaginons pas que nous allons pouvoir éradiquer instantanément la corruption et offrir à l’Afghanistan une parfaite démocratie occidentale. Nous allons, en revanche, améliorer nos rapports et nous préoccuper de plus en plus de la corruption comme l’a montré la Conférence de Paris. Aucun des intervenants n’a manqué de souligner la nécessité de la combattre. Et les associations de défense des droits de l’Homme, les ONG afghanes, les agences des Nations unies ont toutes souligné ce point dans la réunion qui s’est tenue avec la société civile, quinze jours avant la Conférence de Paris. Mais la corruption ne sera pas éradiquée avant longtemps.

Considérer que ces difficultés anéantissent les efforts qui ont été les nôtres et ceux de nos alliés depuis 2001 serait toutefois une erreur. Ce serait surtout une faute d’y trouver la justification d’un renoncement. Notre place en Afghanistan est aux côtés du peuple afghan et de nos alliés – dont vingt-cinq de nos partenaires européens. Nous la tenons pour consolider les succès obtenus. En matière d’éducation, plus de 6 millions d’enfants sont scolarisés, dont près de 2 millions de petites filles qui étaient interdites d’école avant l’intervention de 2001. En matière sanitaire, 83 % de la population ont accès à des soins, même s’ils sont de qualité très variable. Notre modèle, dans ce domaine, reste l’hôpital français de Kaboul qui va s’étendre puisque le gouvernement a fourni un terrain. Initialement réservé aux soins destinés aux femmes et aux enfants, il dispensera des soins divers – chirurgie et médecine – à toute la population.

S’agissant de démocratie, l’Afghanistan a organisé des élections présidentielles, parlementaires, et provinciales libres et les plus équitables possible, d’après les observateurs internationaux.

En matière d’infrastructures, 4 000 kilomètres de route ont été construits. Mais, pour ce faire, il faut que la zone soit sécurisée. Un effort militaire préalable est nécessaire car la rébellion attaque dès qu’un chantier s’ouvre. Nos ONG et nos agences doivent, autant que faire se peut, être représentées par des Afghans, mais ils deviennent eux-mêmes des cibles. Pour construire des routes, il ne suffit donc pas de dérouler et d’étaler du goudron.

Encore deux ou trois chiffres pour souligner les progrès accomplis : 10 000 personnels de santé, dont la moitié de femmes, ont été formés depuis 2002. C’est considérable puisqu’il n’existait auparavant en Afghanistan aucun système de soins ailleurs que dans les grandes villes. En 2006, 123 000 femmes enceintes ont bénéficié de soins prénataux, contre 8 000 en 2003. Or, pour convaincre une femme enceinte en Afghanistan de se faire suivre médicalement, il faut attendre des mois et enchaîner générosité et persuasion. Au bout d’un certain temps, sept ans d’après mon expérience, on voit arriver – et c’est un triomphe – les femmes enceintes qui viennent accoucher à l’hôpital. Les ONG françaises travaillent en Afghanistan depuis de longues années et elles étaient de loin les plus nombreuses lors de la première guerre dans les années quatre-vingt. Elles sont restées, valeureuses et courageuses, déployant tous les jours des trésors de bravoure pour accéder aux populations. Nous ne l’ébruitons pas, mais les enlèvements sont très fréquents en Afghanistan, visant en particulier les membres des ONG qui demeurent héroïquement sur le terrain. Les services de renseignement et ceux du Quai d’Orsay tentent de libérer ceux qui sont pris. Je veux saluer leur travail. Les organisations internationales des droits de l’homme sont là, de même que celles du secteur privé afghan.

La Conférence internationale de Paris a réuni 85 délégations, représentant 68 pays et 17 organisations internationales, dont les organisations des droits de l’homme. Près de 20 milliards de dollars ont été recueillis, ce qui prouve l’importance que revêt pour le monde entier la stabilisation de cette zone. Nous avons d’ailleurs nous-mêmes doublé notre aide. Mais, surtout, des engagements politiques ont été pris. Une stratégie a été élaborée, renonçant à la solution militaire seule. Il s’agit d’apporter une aide militaire à la solution civile et politique, c’est-à-dire qu’il faut encore sécuriser les régions avant de passer le pouvoir au plus vite à nos amis afghans. Nous ne pourrons pas partir avant.

Des engagements ont été pris par les autorités afghanes pour intensifier les réformes politiques et économiques dans la perspective des élections de 2009 et 2010, qui doivent poursuivre, et même, dans certaines régions, jeter les bases de l’enracinement de la démocratie. Le gouvernement afghan a adopté une loi anti-corruption, et c’est un progrès majeur, même si je ne peux pas vous promettre qu’elle sera appliquée.

De son côté, la communauté internationale s’est engagée à mieux coordonner ses actions, et à rendre son aide plus efficace. C’est la tâche qui attend le représentant spécial du secrétaire général des Nations Unies, M. Kai Eide. Il aura un rôle accru de coordination, et ce ne sera pas une tâche facile car les actions se télescopent parfois. Bien sûr, le chemin sera long, mais ce qui compte, c’est que la mise en œuvre des décisions politiques et stratégiques prises à la Conférence de Paris a déjà commencé.

Tel est le contexte dans lequel est intervenue la décision du Président de la République de renforcer notre présence au sein de la FIAS. C’est une décision courageuse qui répond à une haute ambition pour l’Afghanistan et pour la sécurité du monde. Elle est aussi importante pour la France auprès de ses partenaires. Vous nous voyez abandonner vingt-cinq pays européens ? Abandonner la coalition au moment où le réseau d’Al-Qaida s’est étendu au Maghreb, devenu le théâtre d’attentats organisés en son nom ? Il faut au contraire renforcer notre détermination.

À ceux qui annoncent notre défaite, rappelons que l’objectif n’est pas la victoire militaire, mais la création des conditions qui permettront au gouvernement et au peuple afghans de prendre en main leur destin. Au plus vite, même si ce sera progressif.

Comme vous le savez, la France avait posé comme condition au renforcement de sa présence la redéfinition d’une stratégie de l’Alliance en Afghanistan selon quatre critères indissociables, énoncés par le Président de la République : un engagement de tous dans la durée ; une politique globale d’aide à la reconstruction ; un transfert progressif des responsabilités de sécurité aux Afghans ; et une stratégie politique impliquant les pays voisins, en particulier le Pakistan. Je voudrais insister sur ce point : la politique actuelle de certains responsables pakistanais comporte trop d’ambiguïtés, trop de zones d’ombre, pour que nous puissions nous en satisfaire. L’évolution récente de ce pays, avec la perspective d’une élection présidentielle le 6 septembre, peut offrir une occasion, à condition que nous sachions l’exploiter, en concertation avec nos alliés. Sur la base de ces quatre points, plusieurs de nos partenaires européens – l’Allemagne, la Pologne, la Belgique, le Royaume-Uni – ont eux aussi accru leur effort militaire.

À ceux qui décrient la « guerre des Américains », je rappelle que la FIAS regroupe quarante pays, parmi lesquels, je le souligne une nouvelle fois, 25 des 27 pays membres de l’Union européenne. Les Européens représentent d’ailleurs la moitié des effectifs. À ceux qui dénoncent la « guerre de Bush », je rappelle les positions très claires des deux candidats à l’élection présidentielle américaine sur le nécessaire renforcement de la présence en Afghanistan.

Tout, bien sûr, ne se fera pas en un jour. Il est probable, malheureusement, que nous essuierons encore des pertes, même si, Hervé Morin, l’a souligné, nous faisons tout pour minimiser le risque. Mais les motifs d’espérer sont bien plus grands que l’angoisse. Et ils justifient que nous intensifiions nos efforts pour aider ce pays à assurer son relèvement durable. Nous ne sommes pas en guerre contre le peuple afghan, mais pour lui, et contre le terrorisme. Le terrorisme frappe aujourd’hui à Kaboul, et demain, peut-être, plus près de chez nous. Notre action est légitime, elle est légale, et nécessaire.

M. Jean-Marc Ayrault : Au nom des députés socialistes, je m’associe à mon tour à l’hommage qui a été rendu à nos dix soldats morts dans une mission particulièrement difficile et dangereuse, en n’oubliant pas ceux qui sont tombés avant eux depuis le début de notre engagement.

Après les attentats du 11 septembre 2001, un consensus national s’est instauré pour intervenir contre Al-Qaida et contre le régime des talibans qui abritait sur le sol afghan les actions terroristes. Mais cela fait six ans que nous sommes là-bas et, depuis maintenant plus d’un an, nous n’avons cessé de demander une évaluation de l’engagement français. J’ai demandé au président de l’Assemblée nationale la création d’une mission d’information pour mesurer les évolutions stratégiques éventuelles de la coalition, pour savoir si les objectifs étaient atteints ou s’ils pouvaient l’être. Cette mission nous a été refusée. Je le regrette parce que l’actualité nous rappelle à quel point une évaluation est indispensable. Elle doit être le préalable à toute autre décision.

Le 26 avril 2007, entre les deux tours de l’élection présidentielle, Nicolas Sarkozy avait annoncé à la télévision qu’il retirerait nos troupes d’Afghanistan s’il était élu, estimant que « la présence à long terme des troupes françaises à cet endroit du monde ne semble pas décisive » et il s’était engagé à poursuivre la politique de rapatriement progressive de nos forces entamée par Jacques Chirac, qui avait décidé de leur engagement, quand Lionel Jospin était Premier ministre. Cette position nous paraissait cohérente mais, un an après, le Président Sarkozy a décidé unilatéralement, sans évaluation préalable, de renforcer notre intervention en Afghanistan. Les raisons de notre interpellation sont donc plus fortes que jamais. Messieurs les ministres, vous avez dressé un bilan plutôt embelli de la situation en Afghanistan. L’objectif d’abattre le régime des talibans a été atteint, mais qu’en est-il du reste ? En matière de reconstruction non seulement économique et sociale du pays, mais aussi démocratique et politique, nous sommes loin du compte !

À entendre le ministre des affaires étrangères, je me demande, comme beaucoup de Français, combien de temps notre mission va durer. Quelques mois, cinq ans, dix ans ? Aucune information ne nous a été donnée, et la réponse ne peut nous être fournie sans procéder à un travail de fond. Aujourd’hui, nous avons un bref échange, et je me réjouis que les deux commissions, des affaires étrangères et de la défense, soient réunies comme nous l’avions demandé. Mais il va falloir aller beaucoup plus loin.

Une question en particulier se pose à propos de la logique dans laquelle nous entrons peu à peu, qui est celle de la guerre. Or, monsieur le ministre des affaires étrangères, vous venez de dire que ce n’est pas la nôtre. Ne sommes-nous pourtant pas pris dans une logique de guerre ? N’y a-t-il pas à ce sujet un débat sémantique, au plus haut sommet de l’État, entre ceux qui parlent de guerre et les autres ? Les faits ne parlent-ils pas d’eux-mêmes ? L’engrenage qui s’enclenche ne peut pas permettre d’atteindre l’objectif que nous nous sommes fixé depuis le début. Le chef d’état-major des armées le dit lui-même. Il y a donc bien matière à débat, à un travail de fond.

Lorsque le Président de la République a décidé unilatéralement d’engager des troupes supplémentaires, nous avions demandé un débat suivi d’un vote. Nous ne l’avons pas obtenu. Il va avoir lieu, mais il aurait été tout à fait possible de l’organiser il y a quelques mois. En tout cas, avant de nous prononcer, nous avons besoin qu’un véritable cahier des charges de la France soit établi avec nos partenaires européens. Nous attendons des réponses à toutes nos questions. C’est pourquoi nous renouvelons notre demande de création d’une mission d’information : désigner deux parlementaires au sein de la commission de la défense pour une mission n’est pas suffisant. Il faut de la transparence.

Je voudrais évoquer un dernier point. Depuis 2001, un événement particulièrement grave est survenu, que nous avons combattu : la guerre en Irak, décidée unilatéralement par les États-Unis. Or il pèse sur notre engagement en Afghanistan. L’alignement sur la stratégie purement militaire des autorités américaines actuelles semble avéré. Nous pensions déjà que la supériorité des moyens ne suffirait pas à vaincre le terrorisme en Irak. La même question ne se pose-t-elle pas, d’une certaine façon, en Afghanistan ? Donnons-nous les moyens d’une évaluation, pour nous éclairer, nous et l’opinion publique.

M. le président Bernard Accoyer : La révision constitutionnelle était nécessaire (Exclamations) pour que le Parlement puisse disposer de certaines prérogatives, en particulier du droit de s’exprimer par un vote.

M. Forgues : Je croyais que l’on devait éviter la polémique !

M. le président Bernard Accoyer : J’ajoute qu’au sein de la commission des affaires étrangères et de celle de la défense, des missions ont été constituées. Des déplacements sur place ont été organisés et, samedi prochain, une nouvelle mission comprenant des parlementaires de tous les groupes politiques partira pour l’Afghanistan.

M. le président Guy Teissier : Prochainement, deux parlementaires, l’un de la majorité, Pierre Lellouche, l’autre de l’opposition, François Lamy, devraient être désignés par la commission de la défense pour mener une mission d’information sur la situation en Afghanistan. L’information de la commission sera assurée puisqu’elle pourra disposer des comptes rendus de leurs travaux au fur et à mesure de leur déroulement.

M. le ministre des affaires étrangères et européennes : Monsieur Ayrault, personne ne peut dire combien de temps nous devrons rester, et vous le savez très bien. Lorsque de telles opérations sont engagées, il faut toujours beaucoup plus de temps que prévu au départ pour obtenir la paix. Or nous sommes bien dans le cadre d’une mission de paix des Nations unies mandatée par une résolution du Conseil de sécurité. J’espère que nous ne serons plus en Afghanistan dans quelques années mais ce serait faire la part belle aux ennemis de la démocratie que de donner une date butoir. Nous resterons en Afghanistan le temps qui sera nécessaire au peuple afghan et à sa représentation légitime pour bâtir la démocratie à laquelle ils aspirent et pour renforcer les institutions.

Est-ce une guerre, monsieur Ayrault ? Non, pas pour nous. C’est une mission de paix à l’appel du Conseil de sécurité des Nations unies, même si elle donne lieu à des affrontements – et il est inutile de le dissimuler au moment où nous venons de l’éprouver douloureusement – qui sont la même chose que la guerre. Mais ce n’est pas une guerre. Nous sommes en mission auprès d’un gouvernement légitime dans un pays légitime. Vous pouvez toujours discuter des définitions. Ce sont celles qui sont retenues dans le cadre des décisions des Nations unies. À qui donc aurions-nous déclaré la guerre ? Aux Afghans ? À M. Karzaï ? Il n’est pas possible de parler de guerre, même si c’est, malheureusement, la même chose.

M. Jean-Pierre Soisson : C’est une guerre de contre-insurrection !

M. le ministre des affaires étrangères : Non, ce n’est pas une guerre ! C’est une bataille qui ressemble à une guerre (quelques murmures). C’est un affrontement permanent.

Il ne s’agit pas de prôner la seule logique militaire. Il n’est pas question, et je l’ai dit clairement, de s’en contenter. Il faut établir, grâce à une sécurisation suffisante de certaines régions, les conditions pour que les Afghans reprennent leur destin en main, du plus petit projet des ONG à l’armée et à l’administration. Nous le faisons avec nos partenaires européens. Nous nous rencontrons régulièrement : un rendez-vous est d’ailleurs prévu avec les Anglais à Paris dans quelques jours. Encore une fois, la logique militaire à tout crin est hors de question puisque c’est le contraire de ce que nous pensons.

M. Yves Fromion : Les deux ministres se sont attachés à nous rappeler que la stratégie des talibans consiste à marquer les esprits, aussi bien en Afghanistan qu’à l’extérieur, par des actions spectaculaires. Il s’agit d’une guerre psychologique. L’action menée le 18 août semble avoir été marquée par une certaine forme de légèreté ou d’excès de confiance. Autrement dit, on est tombé dans le piège tendu par les talibans. Le dispositif déployé était faible, ce qui a permis à l’adversaire de remporter un succès qui a frappé les imaginations. Qui décide des opérations de cette envergure ? Et comment changer le processus de décision, de façon à ne pas se jeter dans la gueule du loup ? Par ailleurs, avons-nous des moyens militaires opérationnels à la hauteur des menaces sur le terrain ?

M. le ministre de la défense : Les opérations et leur planification sont pensées par le général qui commande la région Centre, c'est-à-dire, pour le moment, le général français Stollsteiner. Ces missions sont ensuite approuvées – comme c’était le cas précédemment pour le général italien commandant la région Centre – par le général Mac Kiernan, commandant la FIAS.

Nous aurions fait preuve de légèreté, dites-vous, reprenant ainsi les propos du général Stollsteiner…

M. Gérard Bapt : Une voix autorisée !

M. le ministre de la défense : Pour l’ensemble de l’Afghanistan, on compte entre 100 et 150 missions par jour. Quand, dans une vallée, vous menez tous les jours des missions de reconnaissance, de pacification ou de contact avec la population, et que tout se passe bien, cela vous conduit à préparer votre nouvelle mission toujours avec autant de sérieux, mais en pensant qu’il n’y a pas de raison qu’elle soit différente de celle de la veille.

Quant aux moyens technologiques nécessaires, il ne faut pas se faire d’illusion. La hantise du soldat, c'est l’embuscade, le guet-apens. Vous pourrez déployer tous les moyens militaires et d’observation que vous voudrez, la supériorité technologique ne permettra pas d’éviter aux militaires de tomber dans des embuscades. Les équipages des hélicoptères disent eux-mêmes que lorsqu’ils mènent des missions d’observation, si les forces talibanes ne bougent pas, ils ne les voient pas.

M. Jacques Myard : C'est évident.

M. le ministre de la défense : Ce n'est donc pas parce que l’on mettra en œuvre tous les moyens technologiques de la terre que l’on sera pour autant en mesure de protéger totalement nos soldats. Du reste, s’il ne s’agissait que d’une problématique technologique, les Américains devraient être ceux qui connaissent le moins de drames. Or ils ont perdu plus de 500 hommes en Afghanistan.

Nos fantassins ont mené une mission comme en conduisent tous les fantassins, selon les schémas tactiques que l’on apprend dans les écoles de l’armée française : avec des VAB en soutien, des fantassins sont partis à pieds pour aller en reconnaissance en haut d’un col où, à une distance de cinquante mètres, un feu absolument imprévisible a été déclenché contre eux.

À sa demande, je proposerai au Président de la République, au début de la semaine prochaine, l’envoi de moyens supplémentaires d’observation (Très bien ! sur plusieurs bancs) Cependant, ce n’est pas parce que vous aurez des drones et des hélicoptères supplémentaires que vous éviterez que des talibans embusqués dans la montagne ne surgissent.

C'est d’ailleurs la première fois, Monsieur Fromion, que les forces françaises ont eu à faire face à une opération tactique qui démontre l’aguerrissement militaire des talibans. À quelques exceptions près en effet, elles étaient plutôt confrontées jusqu’alors à des engins explosifs improvisés, à des attentats suicides et à des escarmouches engagées d’assez loin. Or, c’est bien une opération militaire qui, en l’occurrence, a eu lieu : on a laissé des hommes monter reconnaître le col, fixé immédiatement ceux qui étaient sur Sper Kunday et attaqué les éléments de la section du régiment de marche du Tchad pour les empêcher de se porter à leur secours. C'est là un schéma nouveau qui doit être pris en compte par l’envoi de moyens militaires supplémentaires.

M. Jacques Myard : Il y a une contradiction fondamentale entre l’action des pays occidentaux et de l’OTAN, dont l’objectif est la lutte contre le terrorisme, et les moyens mis en œuvre : 51 000 hommes dispersés sur la totalité de l’Afghanistan, c'est en effet grandement insuffisant pour tenir un pays de cette taille. Les expériences l’ont montré, ce n’est pas d’en haut, mais dans les combats de fantassins que tout se passe. Il faudrait donc sans doute dix fois plus d’hommes, mais l’Occident n’en enverra pas autant, surtout que la question afghane, comme l’ont souligné des diplomates bruxellois, ne peut être dissociée de la question irakienne.

Dans ces conditions, il faut, pour lutter contre le terrorisme, agir indirectement, ce qui pose une question d’ordre politique. Face à un intégrisme islamique qui se nourrit de ses victimes et qui se renforce dans la lutte ouverte sur le terrain, il convient de faire en sorte que les Afghans prennent le relais le plus rapidement possible. Nous devons en effet nous retirer, tout en continuant de soutenir et de former les militaires afghans pour qu’ils combattent en première ligne.

Plus nous serons en première ligne, plus nous perdrons la bataille politique vis-à-vis de la population – indépendamment des bavures qui se multiplient – et plus nous perdrons la bataille militaire, car nous ne pouvons tenir le terrain. Il faut, je vous en conjure, afghaniser le conflit. Sinon, c'est perdu d’avance.

M. Jean-Paul Lecoq : Qu’il me soit d’abord permis, au nom des députés communistes, de rendre également hommage aux soldats qui ont laissé leur vie sur les théâtres d’opération, aux blessés, et à leurs familles.

Nous nous demandons, à écouter les ministres, si nous avons encore le droit, d’une part, de penser que nous sommes dans une guerre qui ne veut pas dire son nom – ce qui nous rappelle d’autres périodes –, et d’autre part, d’évaluer les quatre conditions du mandat de l’ONU.

L’Afghanistan et les Afghans doivent prendre leur destin en main. Pourtant, alors qu’il nous faudrait les accompagner, nous menons une guerre. Voilà plusieurs années que nous sommes sur le terrain, et si les choses avancent en matière de santé, d’éducation, de droit des femmes, les talibans, eux, avancent vers Kaboul, et les femmes commencent à se voiler à nouveau. Ainsi, en dépit de tous les efforts et de la guerre que nous menons là-bas, la situation se dégrade. La guerre n'est donc pas le bon moyen d’y remédier.

Monsieur le ministre des affaires étrangères, quelles sont les forces démocratiques afghanes – résistant peut-être aux talibans – sur lesquelles nous pouvons nous appuyer pour rétablir la paix, car cela semble aujourd'hui la seule solution ?

Il est selon nous nécessaire d’examiner le retrait non pas de toutes les forces internationales de l’Afghanistan, mais des troupes guerrières. Il faut en finir avec la philosophie guerrière pour aller vers une philosophie de construction de la paix, s’appuyant sur tous ceux qui peuvent y contribuer.

M. Etienne Pinte : Monsieur le ministre de la défense, pourquoi avoir retiré voilà deux ans nos forces spéciales d’Afghanistan ? Elles avaient été très utiles en matière de renseignement et d’information et leur présence aurait peut-être évité le drame que nous avons connu la semaine dernière. Dans ces conditions, ne serait-il pas opportun d’envisager leur retour ?

M. Daniel Garrigue : L’engagement dans cette guerre répondait à un objectif précis, celui de combattre les talibans. Avec le temps, sont-ils toujours les seuls adversaires ? Avec des tribus et des populations, notamment pachtounes, qui se rangent du côté des talibans, ne glisse-t-on pas vers un autre type de guerre, comme notre pays en a connu dans le passé ?

Par ailleurs, s’il est indispensable d’être présent en Afghanistan pour lutter contre le terrorisme, les bases arrière se trouvent toujours en grande partie de l’autre côté de la frontière. Que peut-on faire à cet égard pour venir à bout des soutiens qu’obtiennent les talibans du côté du Pakistan ? Le président de la commission des affaires étrangères a parlé de fortes pressions internationales sur les dirigeants de ce pays. Malheureusement, on constate aujourd'hui une très grande faiblesse du pouvoir, puisque le président a démissionné et que la coalition gouvernementale s’effrite.

M. Christophe Guilloteau : Monsieur le ministre de la défense, lorsque vous vous êtes rendu en Afghanistan au mois de juillet dernier, les troupes vous ont-elles fait part de mouvements de redéploiement des talibans et avez-vous envisagé avec elles une autre forme de combat, notamment l’utilisation de drones en quantité supérieure pour le renseignement ?

M. le ministre des affaires étrangères : Monsieur Myard, vous avez employé avec raison une expression que je m’efforce pour ma part de traduire dans les faits, celle d’« afghanisation ».

Un peu plus de 50 000 hommes c’est peu, comparés aux Soviétiques ont été jusqu’à 160 000. Mais nous profitons de l’expérience des Russes, et il faut reconnaître qu’ils nous donnent des conseils utiles. Ils nous aident d’ailleurs aussi en nous laissant entrer en Afghanistan par leur territoire.

En tout cas, l’afghanisation c'est ce que nous faisons. C'est ainsi que l’on compte aujourd'hui environ 53 000 hommes au sein des troupes afghanes contre 20 000 voilà peu de temps. De même, les opérations de la FIAS sont menées à 90 % non pas encore sous la direction, mais avec des troupes afghanes, et sont planifiées à 50 % avec ces dernières. L’afghanisation est lente, trop lente, mais nous devons, avant de nous retirer, la mener à son terme.

Monsieur Lecoq, je suis d’accord avec votre analyse, mais vous parlez de guerre. Sans vouloir me battre sur les mots, je parlerai quant à moi d’opérations meurtrières, d’opérations de guerre. Pour nous qui n’avons pas déclaré la guerre, qui ne signerons donc pas d’armistice et qui ne ferons pas la paix, nous sommes engagés dans une mission des Nations unies de soutien à un Gouvernement. Pour autant, l’horreur de ce que nous venons de décrire serait certainement suffisante pour parler de guerre, sachant ce contre quoi nous devons également lutter : le 17 juillet 2008 le Gouvernement de la province de Ghazni a ainsi échappé à une tentative d’attaque suicide commise par un enfant de treize ans, et il est fréquent que des femmes, particulièrement à Kaboul, lancent aussi des attaques suicides. C’est une situation vraiment effroyable qui se développe.

Quant aux talibans, les uns luttent pour leur région, pour leur pays. Dirigés pour la plupart par le mollah Omar, ils ne sont pas partisans de ce que l’on appelle le djihad global, c'est-à-dire qu’ils ne veulent pas répandre l’islamisme à travers le monde. Ils ne font pas partie de la nébuleuse dont j’ai parlé et qui se développe au Maghreb. Ceux-là sont peut-être des interlocuteurs pour le Gouvernement de M. Karzai. Les Britanniques les ont approchés une fois ou deux, et il y a peut-être des possibilités politiques.

Les autres talibans sont, eux, les combattants du djihad global, et il n’y a pas d’autre façon de s’opposer à eux que brutalement.

Les forces démocratiques existent. Elles sont nombreuses, mais elles sont terrorisées. Outre l’armée qui se constitue, nous travaillons à Kaboul avec les élus et les forces démocratiques qui, si elles ne sont pas exactement semblables aux associations politiques de nos pays, représentent l’espoir, et, j’en suis sûr, l’immense majorité du pays.

Résister aux talibans ? Mais le pays le ferait à 80 % s’il le pouvait ! Encore faut-il sécuriser le plus rapidement possible le territoire. Les Afghans ne sont talibans que parce qu’on les y force. Ils gagnent alors dix dollars par jour tandis que le salaire moyen, lorsqu’il y a du travail, est de cinquante dollars par mois.

Monsieur Garrigue, plusieurs éléments unissent les Pachtounes, qu’il s’agisse du trafic de drogue, des relations dans la zone tribale avec les Pachtounes du Pakistan ou de la lutte contre les Tadjiks qui a fait, dans les années 90, des dizaines de milliers de victimes dans des batailles rudes et meurtrières. Tous ces éléments, nous les prenons en compte dans la lutte qui majoritairement oppose les Afghans, appuyés par nous, aux régions pachtounes. Pour autant, faut-il s’appuyer sur les Tadjiks ? Cela a été fait une fois, avec les conséquences graves que vous savez.

Quant aux bases arrière, elles se trouvent, tout le monde le sait, en particulier au Pakistan. Or, il n’y a pas de frontière autre que la « ligne Durand ». C’est ce que l’on appelle la zone tribale, où l’on fabrique des armes imitant toutes les armes du monde à bon prix et où se déploie un trafic considérable, celui de la drogue passant majoritairement par là. Avec 51 000 hommes, ce n'est même pas la peine de penser à une solution militaire. Ce ne serait même pas suffisant pour occuper la zone tribale.

Il y a donc là un problème politique majeur que toute la communauté internationale – les Nations unies, l’Europe, les États-Unis – doit prendre en charge, en s’intéressant également à ce que feront le prochain président du Pakistan et la coalition – sachant que le Gouvernement et même l’armée comportent des éléments qui travaillent avec les talibans.

M. le ministre de la défense : Monsieur Myard, vous avez raison de parler d’« afghaniser » : c’est d’ailleurs bien à cet effet que nous formons l’armée nationale afghane et que nous commençons à lui transférer la sécurité de certaines parties du territoire. C'est ainsi que les forces de sécurité afghanes vont prendre en charge la responsabilité de la sécurité à Kaboul, puis dans les districts autour de la capitale, l’essentiel de la région Centre devant passer sous le contrôle de l’armée nationale et de la police afghanes au cours de l’année 2009. l’objectif est de faire de même progressivement dans d’autres endroits afin de confier entièrement aux Afghans leur propre sécurité.

Cela vous a peut-être échappé, mais voilà deux mois, après l’attaque d’une prison par les talibans près de Kandahar, c’est l’armée nationale afghane qui a mené l’opération contre les talibans, de la même façon que nous aurions pu le faire. Progressivement, elle sera donc capable de mener des opérations militaires.

Monsieur Lecoq, je conteste le mot « guerre ». Nous ne sommes pas en guerre contre un État, contre un peuple. Nous agissons sous mandat des Nations unies, avec trente-neuf pays de la communauté internationale qui luttent conte le terrorisme. Je vous invite d’ailleurs, si vous accompagnez le président Guy Tessier dans le cadre de la mission parlementaire, à vous rendre dans les vallées et pas seulement dans les camps militaires : vous y verrez que la population est heureuse de voir les forces alliées assurer leur sécurité, que les enfants sont aujourd'hui scolarisés, que les familles afghanes peuvent bénéficier de programmes de santé. L’accueil des populations montre que les Afghans aspirent à la paix et à la sécurité. Après quarante ans de drames permanents, les Afghans ont aussi envie de vivre en paix.

Bernard Kouchner l’a souligné, les langues et les dialectes parlés dans les conversations entre talibans captées par les services de renseignement n’appartiennent pas, pour l’essentiel, à l’Afghanistan, ce qui démontre que le recrutement est extérieur au pays. C'est d’ailleurs ce que déclarait l’un des grands spécialistes du terrorisme et d’Al-Qaida interviewé la semaine dernière par le journal Le Monde.

Concernant, enfin, la question des moyens d’observation complémentaires, Monsieur Guilloteau, les forces alliées ont une immense faiblesse depuis 2001, à savoir le manque de moyens héliportés et aéroportés, et la situation est valable pour l’ensemble de l’Afghanistan. Quant aux drones, s’ils constituent un appui utile, ils ne permettront pas de régler la totalité des problèmes de sécurité qui se posent aux forces.

J’en viens enfin à la question de M. Pinte. En effet, le président Chirac avait décidé de retirer les forces spéciales d’Afghanistan, mais de nombreux autres pays ont engagé de telles forces sur place. Dans de telles régions, le renseignement humain est plus important que le renseignement technologique, et des forces spéciales capables de couvrir le spectre de toutes les missions pourraient être utiles, notamment à des fins d’anticipation. Cela fait partie de ce que nous étudions et que nous présenterons au Président de la République.

M. Michel Vauzelle : Comment prendre la parole sans commencer par rendre hommage à notre armée et à nos soldats ? Mais il est aussi une forme de respect que l’on doit aux soldats qui se trouvent sur le terrain, c’est qu’ils sentent le soutien de la nation, en particulier en étant assurés de la façon dont se comportent ses responsables, qu’il s’agisse du chef des armées, le Président de la République, ou de la représentation nationale.

Or, essayer de rassurer les soldats et les Français en leur disant que « nous ne sommes pas en guerre » ne me paraît pas une bonne idée, surtout quand le chef d’état-major des armées déclare lui-même que nous conduisons des « actions de guerre ».

Il a par ailleurs été dit que nous demandions conseil aux Russes. Mais comment oublier qu’ils ont dû, après les Anglais, quitter l’Afghanistan ? Quand on a ces exemples en tête, ainsi que ceux du Vietnam et de l’Algérie, on a du mal à comprendre que l’on soit obligé d’envoyer des soldats sur un col pour voir si les choses se passent bien, comme trois jours plus tôt… Et l’on a tout autant de mal à comprendre que le général Stollsteiner dise que l’on a péché par excès de confiance.

Enfin, fait-on la guerre « dans » un pays ou « contre » un pays ? Comment ne pas se demander si le peuple afghan nous soutient véritablement quand on sait que le gouvernement de ce pays demande de mettre un terme aux frappes aériennes visant les civils ainsi que les perquisitions et les détentions de citoyens afghans ; que 500 000 paysans, notamment pachtounes, cultivent le pavot ; que les seigneurs de la guerre sont à leurs côtés ; qu’à proximité de la région où nos troupes sont engagées, il se passe, côté pakistanais, des choses épouvantables ?

Pour montrer que la gauche et la droite étaient alors d’accord, on fait sans cesse référence à la décision prise en 2001 par le président, M. Chirac, et par le premier ministre, M. Jospin. Mais aujourd’hui c’est autre chose qui se passe en Afghanistan et l’on ne peut pas dire aux soldats qu’ils défendent là-bas les droits de l’homme et la dignité de la femme. Ou alors, il faudrait pour les mêmes motifs envoyer des troupes en Iran, en Irak, au Tibet et ailleurs…

M. Roland Muzeau : En Arabie saoudite !

Mme Marie-George Buffet : Après m’être inclinée aux Invalides devant les corps des dix soldats tués en Afghanistan, je veux dire ici notre solidarité avec les familles mais aussi m’incliner devant les victimes civiles, dont on a appris qu’elles se sont comptées encore par dizaines au cours des dernières heures.

Vous nous dites, monsieur le ministre, qu’il faut être unis et solidaires avec le peuple afghan pour agir contre l’obscurantisme. Étant moi-même présidente d’une association de solidarité avec les femmes afghanes, je pense en effet qu’il faut agir contre toutes les atteintes portées aux droits des femmes, pour rétablir l’État de droit et pour lutter contre le terrorisme international. Nous partageons ces objectifs.

Mais nous pensons qu’il faut évaluer de façon courageuse les résultats de ces six années de guerre. Vous-même, messieurs les ministres, avez souligné que l’offensive des talibans progresse, que des femmes et des enfants commettent des attentats terroristes, que l’on ne voit pas la fin de la corruption, du trafic de drogue, que l’on enregistre des reculs en ce qui concerne les droits des femmes, y compris sous la forme de lois votées avec le soutien du gouvernement afghan, que l’on est bien loin de voir la fin de l’effort de reconstruction.

Face à cette situation, ne convient-il pas, avant de renforcer la présence de nos troupes, que la France demande une analyse de la situation et, si nécessaire, une redéfinition des missions et de l’action de la communauté internationale ?

Ne convient-il pas également, sous l’égide des Nations unies, de mettre en relation la situation en Afghanistan avec ce qui se passe actuellement en Irak, au Moyen-Orient et au Pakistan ? On ne peut pas nous dire que toute question sur la situation en Afghanistan traduit une attitude de renoncement alors que tous les résultats montrent qu’il est urgent d’évaluer et de modifier nos comportements afin de pouvoir procéder le plus rapidement possible au retrait de la force internationale et donc des soldats français engagés en son sein.

M. Hervé Mariton : Les ministres ont bien justifié la nécessité de notre engagement en Afghanistan aujourd’hui, mais, afin d’éclairer notre stratégie à moyen terme, le ministre des affaires étrangères peut-il préciser selon quels critères le gouvernement évalue notre action et celle de nos alliés ?

Sur le plan militaire, outre l’aspect territorial, il est sans doute important de tenir compte de la perception qu’ont les Afghans de la présence des forces. Je suppose qu’il est également prévu d’évaluer les effets de notre présence sur le terrorisme, afin de vérifier que l’engagement de nos forces répond bien à nos objectifs. De même, quels buts vous donnez-vous en matière de lutte contre la corruption ? S’agissant de la drogue, alors que l’on constate une extension des surfaces consacrées à sa production, quels objectifs peut-on raisonnablement se fixer ?

La conférence de Paris a permis de rassembler des moyens importants : là aussi, j’aimerais connaître les critères d’évaluation de l’affectation de ces moyens et du rythme de mise en œuvre des actions envisagées.

M. Nicolas Dhuicq : La France a appris douloureusement, il y a 46 ans, que l’on pouvait gagner militairement et perdre politiquement… Je suis convaincu que nous n’avons pas d’autres choix que d’être présents en Afghanistan. Néanmoins, il est à craindre que les combats n’entraînent d’autres morts et chaque mort sera de plus en plus douloureusement supportée par les opinions publiques occidentales. Je voudrais donc savoir ce que le gouvernement compte faire dans les jours et les semaines qui viennent pour que l’opinion et le peuple français puissent assumer le monde tel qu’il est : un monde où nous avons des luttes à mener et où nous perdrons encore des jeunes courageux qui servent aujourd’hui leur pays pendant que nous discutons, tranquillement assis.

M. Maxime Gremetz : Je veux moi aussi m’incliner face à la douleur : nous n’avions pas connu cela depuis la guerre d’Algérie.

S’il est exact que nous avons eu en 2001 un mandat des Nations unies pour intervenir en Afghanistan, dès août 2003, dans une certaine discrétion, toutes les forces internationales sont passées sous la responsabilité de l’OTAN et la stratégie comme les missions exercées sur place s’en sont trouvées modifiées. Qui a pris alors cette décision ? Une évaluation paraît aujourd’hui absolument nécessaire.

N’oublions pas que d’autres dans l’histoire se sont essayés à pacifier cette région. On vantait jadis le courage et la détermination des résistants locaux – dont certains sont aujourd’hui devenus des talibans –, dans leur lutte contre une grande puissance.

Enfin, comment les ministres peuvent-ils affirmer que nous ne sommes pas en guerre, alors que les chefs d’état-major eux-mêmes demandent que l’on dise la vérité, à savoir qu’il s’agit bien d’une guerre.

M. Nicolas Dupont-Aignan : Après que, dans leurs propos introductifs, les ministres nous ont présenté une vision quelque peu idyllique de la situation, ils ont clairement reconnu que Jacques Myard avait raison de considérer qu’avec 50 000 hommes on ne pouvait pas tenir un terrain sur lequel les Anglais et les Soviétiques avaient échoué. Pour ma part, je ne vois pas à quelle logique répondait l’envoi par la France, il y a quelques mois, de troupes supplémentaires. Surtout, je ne vois pas comment la solution politique à laquelle le ministre des affaires étrangères est légitimement attaché pourrait être mise en œuvre dans un tel état de faiblesse. Qui plus est, cette volonté politique n’est-elle pas contredite par des interventions fréquentes et maladroites de l’OTAN, qui semble dresser de plus en plus les Afghans contre les forces des alliés et les pousser ainsi dans les bras des talibans, avec tous les risques que cela comporte ? Au total, je ne discerne pas bien quelle issue vous envisagez à ce conflit et j’ai le sentiment que l’on a engagé nos troupes sans réelles conditions d’emploi.

M. le ministre des affaires étrangères : À quoi bon évoquer le Vietnam, monsieur Vauzelle ? Ce n’est pas du tout la même guerre et si vous pensez que l’on doit se retirer, dites-le clairement ! Mais nous ne pouvons pas nous retirer maintenant : c’est impossible au regard de notre conception de la démocratie comme de nos engagement et de ceux que nous avons pris avec nos alliés.

Mais ce qui peut changer, monsieur Dupont-Aignan, par rapport à ce qui s’est passé au temps de l’Angleterre ou de l’Union soviétique, c’est que nous formons – et pas contre leur gré – une armée afghane qui comptera 100 000 hommes. Et viendra alors le temps de nous retirer, pas d’un seul coup, pas brutalement, avec l’accord des Afghans. Nous faisons tout cela, qui ne nous amuse pas, avec l’assentiment et même à la demande des Afghans, et avec leur coopération.

Cela étant, l’Afghanistan ne va pas changer du jour au lendemain et ce que vous dites, madame Buffet, est tout à fait juste : les choses progressent mais ce mouvement est horriblement lent. Cela étant, comment faire autrement ? Demandez l’avis des femmes afghanes : elles souhaitent que nous restions et moi je les écoute.

Il existe, monsieur Mariton, de nombreux critères d’évaluation. Le territoire que nous défendons maintenant avec les Afghans est beaucoup plus important qu’auparavant : avant, nous n’étions présents qu’à Kaboul, désormais nous rayonnons plus largement, même si nous n’allons pas encore jusqu’à l’extrême ouest. Il ne faut en outre pas oublier les territoires Hazaras et iraniens. Il s’agit donc d’une opération horriblement difficile. Ce n’est pas pour cela qu’il faut y renoncer. Au contraire, il faut la réussir et, pour cela, transmettre aux Afghans les responsabilités. Mais j’insiste à nouveau sur la complexité de la situation. J’ai travaillé pendant huit ans dans la province du Wardak, qui est aujourd’hui entièrement talibane. En revanche, alors que les habitants de la province voisine étaient alors très extrémistes, ils soutiennent désormais le gouvernement. Vous le voyez, les choses changent, en fonction des chefs de guerre mais aussi, bien entendu, des efforts faits par le gouvernement.

Une loi contre la corruption a été adoptée, ce qui aurait été inenvisageable il y a quelque temps. Elle ne sera peut-être pas suffisante mais elle marque un progrès.

Les surfaces de drogue ont diminué plutôt qu’elles n’ont augmenté, peut-être produisent-elles davantage… (Rires) Cela vous fait rire, mais vous avez sans doute la solution !

Vous avez tout à fait raison, monsieur Dhuick, il faut informer les Français en permanence sur le monde tel qu’il est, sur l’Afghanistan non pas tel qu’on le voudrait, mais tel qu’il est, tel qu’il se transforme. Je vous propose d’ailleurs de faire venir en France des représentants de la société civile et du gouvernement pour nous dire comment les choses se passent et s’ils souhaitent que nous continuions.

Monsieur Gremetz, c’est sur proposition française que l’on a considéré en 2003 qu’il n’était pas raisonnable de changer de commandement tous les six mois et que l’on a choisi de confier le commandement militaire à l’OTAN, mais les décisions politiques demeurent celles de l’ONU et sont approuvées par le Conseil de sécurité.

M. Maxime Gremetz : Je voulais vous entendre dire que c’était sur proposition française que le commandement avait été transféré à l’OTAN !

Mme Marie-Louise Fort : Comme beaucoup de Français, en particulier de femmes, j’ai été très frappée par l’extrême jeunesse des soldats qui ont perdu la vie. J’ai écouté ce matin sur RTL le témoignage très émouvant du père d’un de ces jeunes. Je souhaite donc, monsieur le ministre de la défense, vous poser la question que se posent beaucoup de nos concitoyens : pouvez-vous nous rassurer quant au professionnalisme et à l’entraînement de ces soldats ?

Vous avez par ailleurs indiqué, monsieur le ministre des affaires étrangères, que 93 % de la drogue consommée dans le monde viennent d’Afghanistan. Existe-t-il, au sein de l'Union européenne sous présidence française et de tous les États membres, une volonté véritable de fermer le robinet de l’argent de la drogue, qui alimente l’intégrisme et le terrorisme ?

M. Jean-Pierre Soisson : À vous écouter, monsieur le ministre de la défense, évoquer la pacification et la formation de commandos afghans, je revivais mes années d’Algérie, où j’ai été pendant deux ans chef d’un commando au sein du troisième régiment de chasseurs d’Afrique. Le chef d’état-major des armées l’a dit, nous assistons probablement au retour d’opérations de guerre, avec tous les risques que de telles opérations comportent, notamment la mort d’hommes. Il faudra que ces opérations s’appuient sur des moyens de renseignement renforcés, les chefs militaires et vous-mêmes l’avez souligné.

Faisant là aussi appel à un souvenir personnel, puisque j’ai commandé une harka qui s’est révoltée contre moi, je souhaite vous mettre en garde contre le risque d’infiltration de l’armée afghane par les talibans, risque que nos militaires devraient prendre en considération.

M. François Rochebloine : Je souhaite rendre hommage à mon tour aux dix soldats décédés en Afghanistan et souligné, comme l’ont fait les ministres, combien il est important de faire la guerre contre le terrorisme et pour le peuple afghan. Je voudrais, monsieur le ministre des affaires étrangères, connaître votre opinion sur la situation du président Karzaï, que l’on dit en difficulté. Si tel est était le cas, cela ne compliquerait-il pas la situation dans ce pays ?

M. Jacques Remiller : Monsieur le ministre de la défense, vous avez évoqué longuement l’absence ou la faiblesse des moyens aériens et vous avez répondu à une question sur les drones, qui sont des yeux indispensables pour conduire une guerre. Je souhaite vous en poser une autre, tout aussi précise. À l’époque de la guerre entre les Soviétiques et les moudjahidins, ces derniers possédaient des missiles Stinger, qui permettaient d’abattre les moyens aériens de leurs adversaires. À votre connaissance, les talibans disposent-ils aujourd’hui de telles armes, dont certaines sources disent qu’elles leur auraient été transmises et que cela pourrait expliquer la faiblesse des moyens aériens qui protègent nos soldats.

M. François Bayrou : Au moment où s’achève cette réunion, il me semble difficile de ne pas interroger le gouvernement à propos de la nouvelle très importante que nous avons apprise cet après-midi, c’est à dire la reconnaissance par la Russie de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie comme territoires indépendants, décision qui consacre bien évidemment l’explosion de la Géorgie.

M. Damien Meslot : Hors sujet !

M. François Bayrou : C’est une nouvelle internationale dont chacun mesure l’importance et les conséquences éventuelles et il serait bon que le gouvernement nous donne son sentiment.

M. le ministre de la défense : À Mme Fort, qui m’a interrogé sur la jeunesse et la formation de nos soldats, je répondrai que les propos du père de Julien, qu’elle a évoqués, résument fort bien l’état d’esprit des militaires. L’un d’entre eux m’a demandé ce matin de vous dire qu’ils sont bien instruits, totalement aguerris, que c’est leur métier et leur vocation, qu’ils voulaient aller en Afghanistan parce qu’ils avaient le sentiment de servir la France. Je l’illustrerai par un seul exemple : c’est parce qu’on leur a appris à se soigner eux-mêmes et qu’ils ont été capables de se prodiguer des soins, notamment d’auto-garrottage, que deux d’entre eux ont pu rester en vie jusqu’à l’arrivée des secours. L’idée qu’ils ne seraient ni formés ni instruits dans la perspective des combats qu’ils ont à mener est donc pour eux presque offensante.

Monsieur Soisson, il y a au moins une différence entre l’Algérie et l’Afghanistan, c’est que la première réclamait son indépendance (quelques murmures) tandis que les Afghans souhaitent d’abord vivre en paix et en sécurité.

J’indique enfin à M. Remiller que nous n’avons pas pour l’instant connaissance de la présence de missiles sol-air capables de détruire nos hélicoptères, mais un hélicoptère peut être abattu avec bien moins qu’un missile…

M. le ministre des affaires étrangères : La guerre en Afghanistan n’est pas seule responsable du trafic international de drogue, qui répond d’abord à une demande et vise à alimenter un marché. Mais il est vrai qu’il procure des bénéfices très importants aux talibans comme à tous les trafiquants. L’agence antidrogue de l’ONU, installée à Vienne, combat l’internationalisation de la consommation de drogues. Le problème sera également abordé lors d’une conférence ministérielle qui sera organisée, dans le cadre de la présidence française de l'Union européenne, le 18 septembre prochain. Nous nous intéresserons particulièrement aux routes de la drogue, à la source et aux précurseurs. Mais c’est également un combat difficile.

Comme l’a souligné Jean-Pierre Soisson, des talibans s’infiltrent dans l’armée afghane et les différents services d’intelligence se coordonnent pour combattre ce phénomène, mais les liens entre les familles et entre les régions compliquent la tâche.

Hamid Karzaï a récemment annoncé qu’il serait candidat à la prochaine élection présidentielle et il est pour l’instant seul en lice. Il existe une opposition tadjike ainsi qu’une opposition de la part du président de l’Assemblée nationale, mais ce dernier ne réunit ni les forces, ni l’argent, ni la popularité nécessaires. Pour le moment, le gouvernement tient. On a dit, en effet, que le président Karzaï était affaibli. Mais comment ne serait-il pas ? Sur le terrain, les gens ne se rendent pas compte des progrès qui sont faits, ils vivent encore dans la terreur. Petit à petit, nous gagnons du terrain, des villages, des régions mais ailleurs les habitants se désespèrent car ils sont en guerre depuis près de 40 ans.

S’agissant de la question différente de M. Bayrou, nous avons en effet pris note que le président Medvedev reconnaissait l’Ossétie du sud et l’Abkhazie. Ce n’est pas une bonne nouvelle et nous condamnons fermement cette attitude.

M. Roland Muzeau : C’est l’effet Kosovo !

M. le ministre des affaires étrangères : C’est une des choses faciles que l’on peut dire quand on considère la situation de loin… Les raisons et les personnes ne sont pas les mêmes !

Nous considérons que cette décision va bien évidemment à l’encontre du maintien de l’intégrité territoriale de la Géorgie, ce que nous ne pouvons accepter. En arrêtant la guerre, nous avons fait en sorte, et ce n’était pas si mal, d’éviter que les forces russes prennent Tbilissi et ne renversent elles-mêmes le président Saakachvili, mais cela ne saurait nous consoler.

Nous allons donc prendre des mesures qui seront probablement arrêtées lors du Conseil européen du 1er septembre. Il faudra alors adopter une attitude commune des 27 États membres, ce qui me paraîtrait plus efficace que les mesures américaines de rétorsion et que les décisions de l’OMC et de l’OTAN. Le président Medvedev a d’ailleurs envisagé lui-même de rompre les relations avec l’OTAN.

M. le président de l’Assemblée nationale : Je remercie les ministres, les présidents de commissions et l’ensemble de nos collègues pour leurs exposés, leurs questions et leurs réponses.

Je vous rappelle qu’en application de l’article 35, alinéa 3, de la nouvelle Constitution, nous aurons à débattre de ce sujet en séance plénière le 22 septembre prochain.

——fpfp——