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Commission de la défense nationale et des forces armées

Mardi 7 octobre 2008

Séance de 18 heures

Compte rendu n° 4

Présidence de M. Guy Teissier, Président, puis de M. Michel Voisin, Vice-président

– Audition de M. Francis Delon, secrétaire général
de la défense nationale, sur le projet de loi de finances pour 2009

Audition de M. Francis Delon, secrétaire général de la défense nationale, sur le projet de loi de finances pour 2009

La séance est ouverte à dix-huit heures dix

M. le président Guy Teissier. Nous accueillons, dans le cadre de nos auditions budgétaires, M. Francis Delon, secrétaire général de la défense nationale. Vous nous détaillerez, si vous le voulez bien, les crédits dont vous disposerez en 2009, mais il serait également souhaitable que vous nous présentiez la réorganisation du Secrétariat général de la défense nationale (SGDN), préconisée par le Livre blanc à l’élaboration duquel vous avez activement participé.

Nous savons l’importance du renseignement pour notre défense. La création d’un coordonnateur national dans ce domaine et de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information devrait améliorer notre système global, de même que la fusion de certains services. Je voudrais que vous nous indiquiez où en est la mise en œuvre de la réforme, qui dépend bien évidemment de l’institution du futur conseil de défense et de sécurité nationale, dont nous devrions débattre lors de la prochaine loi de programmation.

M. Francis Delon, secrétaire général de la défense nationale. Pour répondre à votre demande, monsieur le président, je me concentrerai sur les éléments qui résultent du Livre blanc en matière d’organisation institutionnelle.

Je commencerai par rappeler le cadre institutionnel renouvelé dans lequel le SGDN, instance de coordination interministérielle en matière de défense et de sécurité nationale, va désormais exercer les missions qui lui sont confiées par les plus hautes autorités de l’État.

Face aux évolutions intervenues depuis la publication du Livre blanc sur la défense en 1994, le nouveau Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale a dressé une analyse stratégique pour les quinze ans à venir et en a tiré les conséquences pour l’élaboration d’une nouvelle politique de défense et de sécurité. Innovation majeure par rapport aux précédents Livres blancs sur la défense, la nouvelle doctrine française prend en compte de façon globale nos intérêts de sécurité, sans les limiter aux questions militaires. Le Livre blanc définit une stratégie de sécurité nationale qui apporte des réponses à « l’ensemble des risques et des menaces susceptibles de porter atteinte à la vie de la nation ». La sécurité nationale devient un objectif majeur des politiques publiques – politique de défense, mais aussi politique de sécurité intérieure, politique étrangère, politique économique ou politique sanitaire. Toutes ces politiques contribuent directement à la sécurité nationale.

Nous sommes désormais entrés dans la phase de mise en œuvre de la stratégie de sécurité nationale et de création de nouvelles structures de coordination.

La prise en compte du caractère fédérateur de la stratégie de sécurité nationale va, nous l’espérons, se traduire par une importante réorganisation des pouvoirs publics et par une mise en place de structures de pilotage modernisées et plus efficaces.

Parallèlement, le renforcement du rôle du Parlement est un point central de cette réforme. L’adhésion de la nation à la stratégie de sécurité nationale constitue une des priorités de la nouvelle doctrine française. Elle trouvera sa traduction la plus immédiate dans l’association des élus du peuple aux décisions de l’exécutif en matière de politique de défense et de sécurité, notamment pour ce qui concerne l’intervention des forces françaises dans les opérations extérieures et l’évolution des accords de défense. Le débat du 22 septembre dernier sur l’Afghanistan a montré à la fois sa nécessité et la volonté du Président de la République et du Premier ministre de donner à ce principe une application immédiate.

Un conseil de défense et de sécurité nationale, le CDSN, sera institué afin de tirer les conséquences d’une stratégie qui fait de la sécurité nationale un objectif majeur de l’action publique. Ce conseil, qui sera présidé par le chef de l’État, se substituera au conseil de défense et au conseil de défense restreint et, pour partie, au conseil de sécurité intérieure créé en 2002. Ses compétences porteront sur l’ensemble des questions de défense et de sécurité nationale. Il traitera donc de sujets tels que la programmation militaire, la politique de dissuasion, la programmation de sécurité intérieure, la sécurité économique et énergétique, la lutte contre le terrorisme ou la planification des réponses aux crises majeures.

Cette nouvelle structure de coordination sera appuyée par un conseil consultatif. Composé d’experts indépendants nommés par le chef de l’État, ce conseil aura pour mission de fournir au Président de la République des éléments diversifiés d’appréciation et d’éclairage.

Le conseil de défense et de sécurité nationale pourra se réunir en formations spécialisées, comme le conseil national du renseignement, ou en formation restreinte pour des questions touchant par exemple à la conduite des opérations extérieures.

Le conseil national du renseignement (CNR), présidé lui aussi par le Président de la République, se substituera à l’actuel comité interministériel du renseignement (CIR), présidé par le Premier ministre, et aura des fonctions plus larges que ce comité. Il fixera les grandes orientations et répartira les objectifs assignés aux services de renseignement. Il réunira les membres du CDSN ainsi que le coordonnateur national du renseignement nommé à la présidence de la République, les directeurs des services de renseignement et le secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale. Le coordonnateur national du renseignement, point d’entrée des services de renseignement auprès du Président de la République, est chargé de veiller à la planification des objectifs et des moyens du renseignement. Il prépare les décisions du CNR et en suit l’exécution. Il joue également, dans certains cas, un rôle d’arbitrage entre les propositions qui peuvent être faites par les services. Cette volonté de piloter et de coordonner les activités de renseignement au plus haut niveau de l’État illustre très concrètement l’importance accordée à la nouvelle fonction stratégique « connaissance et anticipation », mise en évidence par le Livre blanc.

Le secrétariat de tous ces conseils – CDSN en formation plénière, conseils restreints et conseils spécialisés, y compris le CNR – sera assuré par le SGDN, qui deviendra le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, ou SGDSN.

Document de doctrine gouvernementale, le Livre blanc doit maintenant être concrétisé dans l’ensemble des politiques publiques qui contribuent à la sécurité nationale, en premier lieu dans les politiques de défense et de sécurité intérieure.

Certaines mesures ont déjà été mises en œuvre, comme la nomination d’un coordonnateur national du renseignement à la présidence de la République ou la création de la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), qui a regroupé la direction de la surveillance du territoire (DST) et les renseignements généraux.

Les orientations définies par le Livre blanc se traduiront dès la fin de l’année par des adaptations législatives et réglementaires. Les premières traductions législatives interviendront dans la loi de programmation militaire pour la période 2009-2014 et dans la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, la LOPPSI, qui sera également présentée au Parlement. Ce dernier – et votre commission en particulier – sera prochainement saisi de ces deux textes.

La cohérence entre le Livre blanc et la loi de programmation militaire est naturellement un souci majeur du Président de la République et du Premier ministre. La loi de programmation militaire devrait en particulier créer le CDSN ainsi que le CNR. Elle devrait également modifier certaines des dispositions relatives aux pouvoirs publics issues de l’ordonnance du 7 janvier 1959 portant organisation générale de la défense, afin que les nouvelles priorités en matière de sécurité nationale et les différentes politiques publiques qui y concourent soient intégrées dans les textes. Elle devrait introduire dans le code de la défense une définition de la sécurité nationale et préciser les attributions des ministres en la matière. C’est un premier pas, qui devra être suivi de l’adoption d’autres textes, y compris de niveau législatif.

J’en viens maintenant à l’impact des réformes sur le SGDN.

La stratégie de sécurité nationale doit aussi être un facteur de convergence et de cohérence des politiques, deux impératifs qui vont motiver et orienter l’évolution des moyens dont disposent les plus hautes autorités de l’État. Le SGDN est clairement reconnu et affirmé comme l’un de ces moyens. Sa position centrale, au profit d’un Conseil de défense et de sécurité nationale aux compétences accrues par rapport à celles de ses prédécesseurs, entraîne de facto un élargissement des champs qui y sont traités.

Deux décrets devraient être pris rapidement à cet effet après la promulgation de la loi de programmation militaire. L’un devrait fixer les compétences, la composition et le fonctionnement du CDSN ainsi que ceux de ses formations spécialisées. L’autre devrait porter sur les attributions du secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale. Simultanément, le SGDN devrait devenir, je le rappelle, le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, ou SGDSN. Toujours placé auprès du Premier ministre et travaillant en étroite liaison avec la présidence de la République, le SGDSN aura pour première responsabilité d’assurer, comme je l’ai indiqué, le secrétariat des conseils, et au premier chef celui du CDSN dans toutes ses formations. Il animera le dialogue interministériel et devra présenter au chef de l’État et au Premier ministre des dossiers argumentés, comprenant des options différenciées découlant des points de vue qui auront pu s’exprimer au cours de la procédure de préparation.

Le SGDSN appuiera l’action du coordonnateur national du renseignement et animera des groupes de travail interservices et interministériels, permanents ou ad hoc, sur des sujets définis en fonction des priorités arrêtées par le CNR.

Il coordonnera aussi l’élaboration des plans gouvernementaux, qui seront prescrits par le CDSN et approuvés par le Premier ministre. Il s’assurera de la mise en œuvre par les ministères des mesures concourant à la stratégie de sécurité nationale, par exemple la préparation aux crises majeures.

L’architecture interne du futur SGDSN sera construite autour de deux grandes directions : l’actuelle direction de la protection et de la sécurité de l’État, qui continuera de traiter les questions de planification et celles de protection des informations classifiées, et une nouvelle direction des affaires internationales, scientifiques et technologiques, regroupant deux anciennes directions.

Le secrétariat permanent du CIR sera supprimé puisque ce comité va disparaître, et remplacé par une cellule d’appui dédiée au CNR, placée sous mon contrôle direct.

La cellule du haut responsable chargé de l’intelligence économique poursuivra ses activités actuelles. La direction jusqu’à présent chargée de l’administration générale sera transformée en un service d’administration générale. Enfin, le SGDSN assurera la tutelle de la future Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information, sur laquelle je reviendrai dans quelques instants.

Tel est le cadre de la réorganisation interne du SGDN, inscrite dans le mouvement de réforme de l’État décidé par le Président de la République et le Premier ministre. Elle s’appuie déjà sur des décisions prises voici une quinzaine de jours en Conseil des ministres. Cette réorganisation devrait être parachevée au tout début de l’année prochaine.

Le Livre blanc a mis en lumière l’importance d’une menace nouvelle : la cyber-menace. Cette nouvelle priorité concerne directement le SGDN et des réformes sont actuellement en cours de préparation dans le but de mieux faire face à cette menace.

Je rappelle que l’essor de l’Internet a bouleversé les modes de communication et d’accès à la connaissance. De 16 millions en 1996, le nombre d’utilisateurs de l’Internet est passé à 1,1 milliard en 2006. Comme le rappelle le récent rapport du sénateur Roger Romani, l’Internet est porteur aussi d’un certain nombre de risques qu’il est de la responsabilité de l’État de prendre en compte. Les réseaux, notamment le réseau Internet, s’insèrent chaque jour de plus en plus dans nos sociétés et nous rendent de plus en plus dépendants. La résilience des réseaux va devenir une condition essentielle du maintien de nos modes de vie. En parallèle se développent à grande vitesse de nouvelles formes de criminalité que les États ne peuvent laisser prospérer sans manquer à leurs devoirs essentiels.

Une attaque de grande ampleur des systèmes informatiques pourrait provoquer des paralysies et une déstabilisation similaires aux effets d’une agression classique. Les attaques informatiques massives menées contre l’Estonie en avril 2007 ont illustré, à une échelle réduite mais significative – celle d’un État –, ce qu’il est possible de faire dans ce domaine pour désorganiser un pays. Une faille sensible sur le réseau des noms de domaine de l’Internet a été rendue publique en juillet dernier après que les parades eurent été préparées en secret par les grands groupes de l’Internet. Ce travail de préparation a permis d’éviter la catastrophe que nous aurions risquée si cette faille avait pu être exploitée.

En matière de défense et de sécurité, la maîtrise et la protection de l’information sont désormais de véritables facteurs de puissance. La guerre informatique est devenue une réalité. Des attaques peuvent provenir d’individus qui se réunissent en communautés ou de groupes organisés ; le fait que certains États se dotent ouvertement d’une stratégie de lutte informatique nous impose d’être très vigilants. Les champs de ces agressions immatérielles sont vastes, allant de la délinquance au terrorisme informatique, en passant par l’espionnage économique et les opérations militaires menées dans le cyberespace.

Face à des menaces nombreuses et insidieuses, l’État joue un rôle essentiel. Il lui appartient de garantir la continuité du fonctionnement des institutions et des infrastructures vitales pour les activités socio-économiques du pays ainsi que pour la protection des entreprises et des citoyens. Il doit pour cela concevoir et mettre en place des outils de protection toujours plus efficaces et adaptés aux vulnérabilités nouvelles.

Le Livre blanc a souligné la nécessité de doter notre pays d’une capacité de défense informatique active, capable de détecter et de contrer les attaques les plus subtiles comme les plus massives. Face à ce risque, il a identifié une série de mesures, dont la création d’une capacité de détection précoce des attaques informatiques, le recours accru à des produits et à des réseaux de sécurité de haut niveau et la mise en place d’un réservoir de compétences au profit des administrations et des opérateurs d’infrastructures vitales – c’est-à-dire toutes les grandes structures qui jouent un rôle fondamental pour le fonctionnement de l’État et de la nation. Ces missions seront confiées à la nouvelle Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information, qui englobera l’actuelle direction centrale de la sécurité des systèmes d’information. Cette agence, dont l’autonomie se manifestera dans son statut de service à compétence nationale, sera placée sous la tutelle du SGDSN. Elle aura pour missions principales de prévenir la menace et de détecter et réagir au plus tôt en cas d’attaque informatique. À cette fin, elle mettra en œuvre un centre de détection chargé de la surveillance permanente des réseaux sensibles et de la mise en œuvre de mécanismes de défense adaptés, Elle développera des produits de très haute sécurité ainsi que des produits et services de confiance pour les administrations et les entreprises. Elle s’attachera également à améliorer la prise en compte de la sécurité par les opérateurs de communication électronique, en particulier ceux de l’Internet, qui sera considéré comme une infrastructure vitale. La résilience des réseaux va devenir une condition essentielle des fonctions vitales de nos sociétés, et même de notre vie quotidienne.

L’Agence jouera également un rôle de conseil et de soutien aux administrations et au secteur privé, en particulier aux opérateurs d’importance vitale.

Enfin, elle informera régulièrement le public sur les menaces. Conformément aux recommandations énoncées par le député Pierre Lasbordes en 2006 dans son rapport sur la sécurité des systèmes d’informations, un portail Internet a déjà été mis à la disposition des particuliers et des entreprises pour les sensibiliser aux enjeux et les initier aux pratiques de la sécurité informatique. Il sera développé pour devenir le portail Internet de référence en matière de sécurité des systèmes d’information.

Dans le domaine de la cyber-sécurité, il est illusoire d’imaginer pouvoir travailler uniquement au niveau national, car on se situe là dans un espace qui dépasse les frontières. C’est la raison pour laquelle notre stratégie repose sur deux principes : le développement de coopérations étroites avec nos principaux partenaires, notamment dans le domaine de la défense contre les attaques informatiques, et la mise en place d’une politique de sécurité des réseaux de communication à l’échelle européenne.

Les parlementaires qui se sont intéressés à cette question, notamment les députés Pierre Lasbordes, Bernard Carayon et le sénateur Roger Romani, n’ont pas manqué de souligner la nécessité d’un effort significatif dans ce domaine afin de revenir au niveau de nos principaux partenaires. Je me contenterai d’indiquer que, si la direction centrale de la sécurité des systèmes d’information, qui dépend du SGDN, compte actuellement 122 collaborateurs, ses homologues britannique ou allemand emploient chacun 500 personnes.

Tels sont le cadre et les orientations fixés au futur SGDSN pour les missions qu’il aura à remplir dans les mois et les années à venir.

M. le président Guy Teissier. Nous avons bien noté que la nouvelle appellation de SGDSN est en parfaite cohérence avec les intentions du Livre blanc, qui reposent sur le rapprochement entre défense et sécurité. Ne serait-il pas logique de faire évoluer le périmètre de la loi de programmation militaire que nous attendons – d’ici à la fin de l’année, selon le ministre –, voire sa dénomination, pour en faire par exemple la « loi de programmation militaire de sécurité » ?

M. Francis Delon. En approuvant les orientations du Livre blanc, notamment en matière de sécurité nationale, le Président de la République a fait le choix de la cohérence de l’ensemble des politiques publiques de défense et de sécurité, sans pour autant aller jusqu’à bouleverser les compétences ministérielles. Ainsi, sous l’autorité du Président de la République et du Premier ministre, le ministre de la défense reste responsable de la politique de la défense, comme le ministre de l’intérieur reste responsable de la sécurité intérieure et le ministre des affaires étrangères reste responsable de la politique étrangère. Il n’est donc pas anormal que les moyens des politiques relevant de ces différents ministres se traduisent par des textes propres à ceux-ci. Nous aurons donc, comme par le passé, une loi de programmation militaire et une LOPPSI.

Ce qui a déjà changé, en revanche, c’est le mode d’élaboration de ces textes, désormais beaucoup plus interministériel. Pour avoir été vous-même, Monsieur le Président, un acteur très important de la préparation du Livre blanc, vous avez vu que celle-ci s’est déroulée dans un cadre interministériel et que le Parlement y a été associé, ainsi que de nombreuses personnalités qualifiées. Selon le même processus, la loi de programmation militaire, qui sera présentée par le ministre de la défense, fait l’objet, depuis déjà plusieurs semaines, d’intenses discussions interministérielles, non seulement avec le ministère du budget, mais aussi avec plusieurs autres ministères, comme ceux de l’intérieur et des affaires étrangères.

En outre, le CDSN a vocation à examiner tant la loi de programmation militaire que la LOPPSI, ce qui contribuera à la cohérence de ces textes. En tout état de cause, je vous confirme que les logiques qui prévalent sont encore des logiques de périmètre ministériel.

M. Michel Voisin. Vous avez évoqué le coordonnateur du renseignement et la place de plus en plus importante que va prendre votre secrétariat dans cette coordination. Pouvez-vous nous donner une idée de l’impact de la révision générale des politiques publiques sur l’évolution des effectifs des différents services de renseignement et de votre secrétariat ?

M. Philippe Folliot. La création du SGDSN est parfaitement cohérente avec le Livre blanc et avec la notion de continuum entre la sécurité intérieure et la sécurité extérieure. L’interface entre défense et sécurité a longtemps été incarnée par la gendarmerie nationale, du fait de son caractère militaire et de la mission que lui assignent les textes, notamment en matière de défense opérationnelle du territoire. Le caractère désormais ministériel, et non plus interministériel, de la mission Sécurité en termes budgétaires et la perspective du rattachement de la gendarmerie nationale au ministère de l’intérieur pourraient-ils remettre en cause le rôle de la gendarmerie nationale ?

M. Francis Delon. S’agissant des effectifs des services de renseignements, le Livre blanc appelle au développement de nos capacités en matière de connaissance et d’anticipation. Il est donc très probable que la loi de programmation militaire propose au Parlement un accroissement des moyens des services relevant du ministère de la défense, notamment ceux de la DGSE.

Pour le ministère de l’intérieur, la situation est un peu plus complexe, du fait de la création de la DCRI, qui regroupe les renseignements généraux et la DST. Les effectifs de la nouvelle structure sont inférieurs à ceux de ces deux services cumulés.

Quant au SGDSN, les décisions déjà prises, approuvées par le Premier ministre et par le Président de la République, et celles qui suivront, visent à réduire sa taille, notamment à concentrer les structures. Comme je l’ai déjà indiqué, le SGDSN comptera deux directions, contre cinq précédemment au SGDN. À défaut donc de chiffres précis – car la réforme n’est pas achevée –, je puis au moins vous indiquer que les effectifs seront très sensiblement réduits, du fait notamment que la direction centrale de la sécurité des systèmes d’information quittera le SGDN pour se constituer en agence, et que la réforme de structure se traduira directement par des économies. À titre d’exemple, la montée en puissance de la nouvelle Agence de la sécurité des systèmes d’information se fera, au moins la première année, sur les ressources propres du SGDN, par redéploiement d’effectifs actuellement employés à d’autres tâches.

Il n’y aura pas de modification fondamentale de la situation de la gendarmerie. Celle-ci, qui joue un rôle fondamental sur le territoire national, conservera son caractère militaire après son rattachement au ministère de l’intérieur et continuera à faire le lien entre les activités de sécurité, qui seront désormais beaucoup plus marquées par ce rattachement, et les activités de défense. Étant composée de militaires, elle pourra être utilisée dans des opérations militaires, que ce soit à l’étranger ou pour la protection du territoire en cas de crise majeure.

M. Yves Fromion. Tout d’abord, quel sera le rôle du SGDSN dans le contrôle des exportations, compte tenu de la réforme des rôles respectifs de la DGA et de la DAS ?

En deuxième lieu, la France s’intéresse essentiellement aux aspects logiciels de la cyberdéfense, mais, à la différence d’autres pays, elle ne se préoccupe guère de la protection de son dispositif satellitaire, qui est pourtant important pour le maintien de nos infrastructures essentielles. Ne serait-il pas utile d’aborder cette question, qui n’est pas évoquée dans le Livre blanc ?

En troisième lieu, les liaisons transversales très fortes entretenues par nos services de renseignement avec des services étrangers – notamment européens, mais aussi américains – se retrouveront-t-elles aux différents échelons de vos responsabilités et de celles de M. Bernard Bajolet, coordonnateur du renseignement ?

Enfin, comment seront gérés les crédits qui relèvent aujourd’hui du CIR ?

M. Philippe Vitel. Quelle est la place de la cellule d’intelligence économique, en termes hiérarchiques et opérationnels ? Ses effectifs sont-ils toujours limités à 80 agents ?

M. Jean Michel. Alors qu’il m’avait paru que le Livre blanc et la future loi de programmation militaire devaient s’accompagner d’un effort particulier en matière de renseignement, la pensée de M. le secrétaire général semble pouvoir se résumer ainsi : faire mieux avec moins. Malgré les restructurations, fusions et regroupements opérés – qui, d’ailleurs, sont peut-être plus efficaces –, nous n’avons pas la même culture que les pays anglo-saxons, où les meilleurs étudiants sont orientés vers le renseignement. Une politique dynamique de recrutement à haut niveau supposerait notamment un financement approprié.

Dans un rapport que nous avons consacré au contrôle des investissements étrangers en France, M. Bernard Deflesselles et moi-même avons observé qu’il n’existait pas de structure de veille, notamment au niveau des départements. La semaine dernière encore, visitant avec Jacques Fournet une entreprise très spécialisée travaillant pour les plus grands constructeurs aériens, nous constations qu’elle ne prenait aucune mesure particulière de protection – même si certains grands groupes en prennent. Quels efforts entendons-nous faire, et sommes-nous prêts à suivre l’exemple des Britanniques ou des Allemands, que vous citiez ?

Enfin, face au projet Echelon, qui réunit les États-Unis, le Royaume-Uni, le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande pour la collecte et l’échange d’informations stratégiques, notamment pour les entreprises, on voit bien les difficultés qu’éprouve l’Europe dans le domaine du partage de l’information.

M. Francis Delon. Pour ce qui est du contrôle des exportations, le SGDSN reste chargé de la coordination interministérielle et assure, par délégation du Premier ministre, la présidence de la commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériels de guerre – la CIEEMG. En revanche, grâce notamment aux efforts auxquels vous avez vous-même participé, M. Fromion, les procédures ont été améliorées, les délais raccourcis, et une réorganisation a été engagée au sein du ministère de la défense. En particulier, celui-ci recourt désormais davantage à des autorisations globales, qui permettent de concentrer les efforts sur les vraies difficultés et de traiter plus vite les demandes qui ne posent pas de problème. Il ne s’agit pas pour autant pour la France d’être moins vigilante en matière de contrôle politique des exportations d’armes. Nos exigences en ce domaine restent à un niveau très élevé.

La protection des satellites ne fait pas, jusqu’à présent, l’objet de mesures particulières. D’importants efforts ont cependant été réalisés pour renforcer la protection des réseaux terrestres. Ainsi, l’État dispose déjà du réseau sécurisé ISIS, qui permet à tous les ministères d’échanger des communications électroniques dans le cadre d’un grand intranet sécurisé au niveau confidentiel défense – ce qui est bien différent de l’Internet, où, pour recourir à une métaphore, les messages sont aussi peu protégés que sur une carte postale sans enveloppe. Ce système, actuellement développé à Paris, a vocation à s’étendre à l’ensemble du territoire national.

Pour ce qui est des aspects européens et internationaux de la coordination du renseignement, les contacts internationaux que le coordonnateur du renseignement entretient à son niveau stratégique ne font pas double emploi avec ceux que les services ont, au quotidien, dans l’action opérationnelle. Il va de soi, par ailleurs, que le coordonnateur et le SGDN doivent également coordonner leurs actions en ce domaine.

Quant aux crédits du CIR, c’est une question à laquelle nous travaillons.

L’intelligence économique continue de relever du haut responsable chargé de l’intelligence économique, rattaché au secrétaire général. Cette activité n’occupe pas 80 personnes, mais plutôt une dizaine. Au demeurant, cette cellule a pour vocation d’animer les politiques publiques – c'est-à-dire non de faire, mais de faire faire – et il revient aux ministères et aux entreprises de prendre le relais dans leurs différents domaines. Le dispositif ne change donc pas.

Vous observez à juste titre, monsieur Michel, que l’intelligence économique ne se situe pas seulement au niveau parisien, mais aussi au niveau territorial. Même si la situation peut varier d’un département à l’autre, les préfets ont tous été sensibilisés à cette question et d’importants efforts ont été accomplis, notamment dans les pôles de compétitivité, pour les raisons mêmes que vous indiquiez. Le savoir-faire des entreprises doit être valorisé, et non pas perdu à cause de fuites.

Quant à faire mieux avec moins, ce doit être un objectif constant ! Cependant le renseignement disposera de moyens humains et d’investissements supplémentaires, et nous ferons plus également dans le domaine de la sécurité des systèmes d’information. L’Agence nationale qui sera créée ne doit pas se limiter au regroupement des capacités existantes. D’autres moyens doivent lui être données pour qu’elle atteigne le niveau de nos partenaires européens, notamment de l’Allemagne et du Royaume-Uni. Nous essayons de faire mieux avec moins, mais, quand il faut faire plus, nous le faisons.

M. Michel Voisin, remplaçant M. le président Guy Teissier. Les assemblées parlementaires de l’OTAN et de l’OSCE ont longuement évoqué la cybercriminalité et adopté des résolutions afin d’inviter les États membres de ces organisations à coopérer. Pouvez-vous nous donner, pour conclure, quelques éléments à ce propos ?

M. Francis Delon. Face à la cybercriminalité – comme d’ailleurs à toutes les menaces qui pèsent sur les systèmes d’information –, la coopération est indispensable. Avant même la création de l’Agence, le SGDN a déjà noué ou est en train de nouer des accords de coopération avec des pays comme Singapour ou la Corée. Nous disposons d’un dispositif de veille sur Internet, avec des personnes qui travaillent 24 heures sur 24. Il ne s’agit pas d’examiner le contenu des communications, mais de s’assurer qu’aucune anomalie, comme un virus ou une attaque informatique, ne se produit. Nous avons ainsi contribué, en 2007, à repérer la défiguration de plus de 4 000 sites et à y porter remède en fonction de la nature de la défiguration et des sites visés. De fait, si un site est mal protégé, il est facile d’en prendre le contrôle et de modifier l’image qu’il donne.

Plus largement, dans la course de vitesse engagée entre la propagation de nouveaux virus et la protection contre ceux-ci, une connaissance précise de ce qui se passe dans le monde est indispensable, car, lorsqu’un État est attaqué, il est très probable qu’un autre le sera dans les heures qui suivent. Cette coopération, qui se déroule jour et nuit – en jouant parfois tout simplement sur le décalage horaire –, permet d’aller de l’avant.

L’important effort d’investissement réalisé par l’OTAN en soutenant la création d’un centre d’excellence en Estonie dédié à la cybersécurité en témoigne. De tels exemples de coopération se multiplieront probablement dans les années à venir.

M. Michel Voisin, président. Monsieur le secrétaire général, je vous remercie. Nous aurons sans doute l’occasion de nous revoir lors de l’examen par notre commission du projet de loi de programmation militaire.

La séance est levée à dix-neuf heures

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