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Commission de la défense nationale et des forces armées

Mercredi 8 octobre 2008

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 7

Présidence de M. Guy Teissier, Président, puis de M. Christian Ménard, Secrétaire

– Audition du Général d’armée Jean–Louis Georgelin, chef d’état–major des armées, sur le projet de loi de finances pour 2009

Audition du Général d’armée Jean-Louis Georgelin, chef d’état-major des armées, sur le projet de loi de finances pour 2009

La séance est ouverte à dix-sept heures trente

M. le président Guy Teissier. Je suis heureux d’accueillir le général d’armée Jean-Louis Georgelin, chef d’état-major des armées, dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances pour 2009 et des différents programmes dont il a la charge.

Je souhaiterais que vous fassiez le point sur les équipements commandés en urgence pour nos soldats en Afghanistan ; je pense notamment aux tourelleaux télé-opérés, aux hélicoptères et aux drones. L’équipement FELIN, qui devrait être testé sur place, sera-t-il utile à nos troupes ?

En ce qui concerne les opérations extérieures (OPEX), j’avais cru comprendre, lors de votre audition sur ce sujet au printemps dernier, que leur coût serait nettement supérieur à la dotation initiale de la loi de finances pour 2008 fixée à 460 millions d’euros. J’estime pour ma part que nous approcherons du milliard d’euros tandis que le ministre parle de 830 millions d’euros. Quel est votre point de vue sur le financement des OPEX, dont je ne voudrais pas qu’il pèse sur les équipements ?

M. le général d’armée Jean-Louis Georgelin, chef d’état-major des armées. Monsieur le président, messieurs les députés, le projet de loi de finances pour 2009 s’inscrit dans un cadre particulier.

C’est la première traduction financière des décisions qui découlent des conclusions du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale et des travaux liés à la révision générale des politiques publiques (RGPP). Sa présentation marque le lancement d’une réforme qui, vous le savez, sera complexe et nécessitera un effort d’adaptation considérable de la part de nos armées.

Il représente ensuite la première étape d’une nouvelle programmation des dépenses de l’État sur trois ans et marque l’entrée en loi de programmation militaire (LPM). Il nous engage dans un processus de douze années, pour lequel le Président de la République a retenu une trajectoire financière de 377 milliards d’euros.

Pour les armées, il se traduit également, en termes d’investissements, par l’entrée dans un cycle de renouvellement de nos équipements majeurs.

Enfin, il intervient dans un contexte économique marqué, sur le plan international par une importante crise financière et, sur le plan national, par la nécessité d’alléger le déséquilibre de nos finances publiques.

Dans ces circonstances, je suis conscient que le projet de loi de finances est la traduction aussi juste que possible de l’effort financier que notre pays peut aujourd’hui consentir en matière de défense. Tel qu’il se présente, il nous permet d’engager le mouvement de réforme qui débouchera à l’horizon 2020.

Premier des militaires, responsable devant le Président de la République de l’efficacité opérationnelle de notre outil de défense, j’assume la mise en œuvre de ces réformes. Sous l’autorité du ministre, je les conduirai avec loyauté et détermination, avec pour unique ambition de garantir à notre pays de disposer de forces armées capables de relever les défis qui ne manqueront pas de se présenter à nous.

Nous avons devant nous un exercice d’une extrême complexité. C’est pourquoi il me semble essentiel de bien identifier les risques auxquels nous sommes confrontés. À cet égard, mon principal souci est de disposer dans la durée des ressources financières et humaines qui nous permettront de conduire à son terme l’exercice délicat dans lequel nous sommes engagés.

Avant de répondre à vos questions, je veux tout d’abord replacer le projet de budget dans l’environnement dans lequel nous allons conduire nos réformes. Je m’attacherai ensuite à en distinguer les lignes de force et je soulignerai enfin quels sont les risques auxquels nous devons être particulièrement attentifs.

Il me semble tout d’abord nécessaire de porter un regard lucide sur les conditions dans lesquelles s’engage une réforme qui marquera un véritable tournant pour les armées. Il n’est pas exagéré de dire que nous allons conduire cette transformation majeure de notre outil de défense au moment même où l’ensemble des paramètres qui contribuent à définir cet outil sont en pleine évolution.

D’un point de vue stratégique, l’instabilité du contexte international a parfaitement été mise en avant dans le Livre blanc. J’ajoute simplement que les événements survenus en Géorgie illustrent la fragilité de la situation internationale.

D’un point de vue opérationnel, nous sommes confrontés à une véritable transformation du cadre de nos engagements. Nos opérations se caractérisent aujourd’hui par leur durée, leur durcissement, leur diversification et leur dispersion géographique.

Parmi ces quatre facteurs, c’est très clairement la notion de durcissement qui est au centre de mes préoccupations. Comme nous l’ont rappelé les événements récents, nous avons désormais affaire à des adversaires plus durs, plus déterminés, qui se sont adaptés à nos méthodes de combat et qui disposent de moyens susceptibles de contrer notre supériorité technologique.

Ce constat nous renvoie à la réalité des opérations de guerre. Il nous impose de rompre avec cette forme d’inhibition qui a marqué certains de nos engagements durant la décennie qui a suivi la première guerre du Golfe.

Nous devons reprendre nos réflexes de combat, adapter nos conditions d’entraînement et développer les équipements nous permettant de faire face aux menaces auxquelles nous sommes confrontés.

Cette adaptation opérationnelle sera conduite au moment où nos armées sont engagées dans une réforme structurelle sans précédent : la déflation d’effectifs que nous allons mener au cours des sept prochaines années est sans commune mesure avec celle accomplie au lendemain de la professionnalisation. À l’époque, la réduction du format des armées a essentiellement reposé sur la suspension du service national. Ce resserrement n’a alors affecté que 18 000 cadres. Aujourd’hui, la réforme concerne exclusivement du personnel de carrière ou du personnel civil et militaire sous contrat. C’est ce qui la rend particulièrement délicate, notamment dans un contexte économique qui pourrait se révéler peu favorable.

À cette déflation, il convient d’ajouter les tensions que ne manqueront pas d’entraîner la mise en œuvre de la nouvelle carte des implantations militaires, ainsi que la transformation de l’organisation de nos soutiens et de notre administration générale. Il s’agit pour nous d’un facteur supplémentaire de complexité, même si nous savons que de la bonne exécution de cette réforme dépend la réalisation des marges de manœuvre financières qui nous sont indispensables.

Enfin, comme je vous l’avais signalé l’année dernière lors de la présentation du projet de loi de finances pour 2008, nous sommes entrés dans un cycle de « recapitalisation » de notre outil de défense. Cela signifie qu’au cours des prochaines années, nous devrons procéder au renouvellement de nos matériels majeurs. C’est un facteur qui pèsera sur les modalités de construction de nos budgets dans les années à venir.

Je précise par ailleurs que ces évolutions interviennent au moment où le ministère de la défense modifie lui-même ses pratiques de gouvernance.

Ces considérations appellent à mon sens trois remarques.

Au cours de cette période qui sera particulièrement complexe, nous devons impérativement veiller à maintenir au plus haut niveau opérationnel l’efficacité de notre outil militaire. C’est la raison d’être de notre ministère et cela demande, comme toujours, de la constance dans l’effort.

Ensuite, la manœuvre dans laquelle nous sommes engagés nécessitera de la part des militaires un effort d’adaptation qui s’ajoute aux contraintes inhérentes à leur métier. C’est pourquoi il me semble nécessaire de prendre en compte le besoin légitime de reconnaissance exprimé par les hommes et les femmes qui servent dans nos rangs.

Enfin, la réforme ne peut réussir que si le chef d’état-major des armées dispose des moyens lui permettant d’exercer pleinement ses responsabilités. Dans cette période de transition, les armées auront besoin de se retourner vers le chef qui maintiendra le cap et donnera du sens à leurs engagements.

J’en viens maintenant aux principales caractéristiques du projet de loi de finances.

Les ressources qui nous sont attribuées correspondent à ce que nous avions souhaité pour engager le processus de réforme des armées et du ministère. Conformément aux décisions arrêtées dans le Livre blanc, le projet de loi de finances pour 2009 participe au renforcement de notre stratégie militaire fondée sur la dissuasion, l’autonomie d’appréciation de situation et le choix de rester une puissance militaire complète. Nul ne peut nier que dans les circonstances actuelles, il marque un effort significatif de notre pays à l’égard de sa défense : le budget de la mission défense, hors pensions, est en augmentation de plus de 5 % puisqu’il est porté à 32 milliards d’euros. L’effort de défense est maintenu à 2,3 % du produit intérieur brut.

Le fait que ce niveau de ressource soit atteint grâce à la mobilisation de recettes exceptionnelles, à hauteur de 1,637 milliard d’euros, doit toutefois faire l’objet d’une attention particulière. Ces recettes conditionnent notamment l’effort qui sera consenti au titre des équipements.

Je retiens quatre traits dominants de ce PLF.

Premièrement, il marque l’entrée dans un cycle qui donne une forte priorité à l’équipement de nos forces. Les dépenses d’équipement augmentent ainsi de 10 %, passant de 15,4 à 17 milliards d’euros. Elles permettront de réaliser ou d’engager des commandes portant sur des équipements majeurs qui entreront en service dans les forces au cours de la prochaine décennie tels que : le Rafale, le Tigre, le VBCI, le FELIN, les FREMM, les frégates Horizon, les Baraccuda, mais aussi l’A400M.

Cet effort sur le long terme est complété par la mise en place de procédures accélérées d’acquisition de matériel, destinées à répondre aux besoins urgents des forces engagées dans des opérations de combat sur les théâtres d’opérations extérieures.

C’est dans ce cadre que seront livrés, dès le premier semestre 2009 : 60 tourelleaux télé-opérés pour véhicules de l’avant blindés (VAB) permettant de déclencher un appui feu depuis l’intérieur du véhicule ; 50 cabines blindées pour les camions de transport, afin de renforcer la protection des convois logistiques ainsi que 135 brouilleurs et 250 kits d’intégration, destinés à la lutte contre les engins explosifs improvisés (IED).

Deuxièmement, ce projet de loi de finances traduit la priorité accordée à la préparation opérationnelle des forces. Les crédits prévus pour financer l’entraînement et l’entretien programmé des matériels permettront de maintenir à un niveau satisfaisant le volume des activités nécessaires à la préparation opérationnelle de nos forces. Les objectifs annuels resteront ainsi cohérents avec les standards de l’OTAN.

Nous allons toutefois privilégier une logique d’entraînement différencié. Les unités désignées pour s’engager en opérations extérieures bénéficieront ainsi d’un effort supplémentaire destiné à compléter leur préparation de base.

Nous devons également rester attentifs à l’évolution du prix des carburants. La dotation dans le projet de budget des carburants opérationnels est de 456 millions d’euros, en augmentation de près de 30 %. Elle permet la couverture des objectifs d’activité sur la base d’un baril à 75 dollars. Si le coût moyen du baril se stabilise à 85 dollars, le surcoût annuel serait de l’ordre de 90 millions d’euros. Dans cette perspective, il serait souhaitable de disposer d’un complément de ressources en gestion qui, comme pour les surcoûts OPEX, ne devrait pas être financé à partir des crédits dévolus aux équipements.

Troisième point : le PLF pour 2009 augmente de 50 millions d’euros la provision OPEX, afin d’être en ligne avec l’évolution récente de ces surcoûts. Avec 510 millions d’euros, la dotation prévue pour 2009 représente 60 % du surcoût pour 2008, actuellement estimé à 833 millions d’euros.

Ces surcoûts pourraient toutefois se maintenir durablement à un niveau élevé. Nous observons en effet que les dépenses augmentent avec le degré de violence et l’intensité des opérations, ce qui est la caractéristique de nos engagements actuels.

Enfin, le PLF doit permettre la mise en œuvre d’un plan d’accompagnement des restructurations et la poursuite de l’effort d’amélioration de la condition du personnel grâce à la diminution de la masse salariale qui résulte de la suppression nette de 8 250 emplois.

Pour conclure, je soulignerai les points qui me préoccupent particulièrement.

Le contexte économique difficile que nous traversons risque de peser sur l’exécution budgétaire 2008. Or, le solde de gestion 2008 représente le point d’entrée du budget 2009, première annuité de la future LPM. Dès lors, seule une exécution budgétaire en 2008 équilibrée peut garantir durablement la cohérence de la programmation, et partant, l’atteinte des objectifs du Livre blanc.

Les risques pesant sur les ressources et leur emploi dépassent 2 milliards d’euros. Le ministère attend notamment le remboursement des surcoûts OPEX, du carburant et de l’accord FREMM à l’occasion du collectif budgétaire de fin d’année.

Deux points méritent un suivi spécifique. Le premier concerne la cadence effective de l’obtention des ressources exceptionnelles qui est un enjeu essentiel du financement de la réforme. Pour 2009, ces ressources, qui s’élèvent à 1,637 milliard d’euros, proviennent pour l’essentiel de cessions immobilières et de fréquences. Le respect de leur montant, ainsi que l’échéancier de mise à disposition seront des facteurs décisifs de succès.

Le second point d’attention a trait aux ressources humaines. Il s’agit d’un facteur essentiel qui garantit la cohérence globale de notre processus de transformation. Le budget 2009 prévoit la suppression nette de 8 250 emplois. Ces suppressions de postes conditionnent les marges financières indispensables à la conduite des réformes.

Pour ne pas remettre en cause notre capacité opérationnelle, il convient d’abord de garantir que cette réduction d’emplois sera répartie sur l’ensemble de la pyramide des grades, ce qui implique que les mesures d’accompagnement et que les mécanismes liés au reclassement dans la fonction publique fonctionnent convenablement. Ensuite, il faut également maintenir au niveau programmé notre flux de recrutement qui est indispensable pour conserver une armée jeune, capable de remplir son contrat opérationnel dans un contexte marqué par un engagement physique de plus en plus exigeant.

Le plan d’accompagnement des restructurations constitue la clé de voûte des réformes ; son succès dépend de la réussite de la transformation dans laquelle nous sommes engagés.

M. le président Guy Teissier. S’agissant de l’Afghanistan, les forces spéciales et les matériels comme les Gazelle, les drones, les soixante tourelleaux télé-opérés, sont-ils arrivés sur le théâtre ?

M. le général d’armée Jean-Louis Georgelin, chef d’état-major des armées. Les renforts annoncés par le Premier ministre lors du débat parlementaire du 22 septembre, et dont l’envoi a été approuvé par le Parlement, sont arrivés sur le théâtre, qu’il s’agisse des hélicoptères Caracal et Gazelle et de la centaine d’hommes nécessaires à leur mise en place. Pour ce qui concerne les drones, seuls les SDTI ont été déployés. Les SIDM dont le déploiement était initialement prévu en mars 2009 devraient être opérationnels au mois de décembre 2008.

Ce résultat n’est pas exclusif de la poursuite du plan engagé pour améliorer la protection de nos troupes. Sont progressivement mis en place les tourelleaux télé-opérés des VAB, les dispositifs anti-IED, les nouveaux types de gilets pare-balles et l’équipement FELIN, après expérimentation.

L’équipement FELIN va être prochainement testé sur le terrain. Je connais vos réticences sur ce programme, monsieur le Président, et nous serons extrêmement attentifs aux premiers retours d’expérience pour vérifier son utilité et son efficacité.

Pour autant, le volume des équipements doit être examiné dans le cadre global de la coalition et non dans un cadre strictement national. L’équilibre des moyens s’effectue à ce niveau même si le bataillon français sera le premier bénéficiaire de ces renforts.

J’observe d’ailleurs que les troupes françaises, quotidiennement au contact des forces rebelles, bénéficient du soutien des moyens de la coalition.

M. le président Guy Teissier. Nous sommes tout à fait conscients que les équipements se mutualisent, mais ces équipements envoyés en renfort sont véritablement indispensables pour nos forces.

S’agissant des revenus exceptionnels, j’ai noté une certaine circonspection de votre part.

M. le général d’armée Jean-Louis Georgelin, chef d’état-major des armées. Ce point doit être suivi avec attention. En effet, les cessions immobilières et de fréquences permettront de maintenir le budget de la défense à une évolution en zéro volume (600 millions d’euros) et devraient permettre de financer les besoins supplémentaires, relatifs aux opérations d’armement, à hauteur d’un milliard d’euros . La réalisation de ces opérations conditionne le succès de la réforme. 

M. le président Guy Teissier. La présentation du montage apparaît théoriquement satisfaisante. Nous espérons qu’il en sera autant de son exécution.

Le ministère bénéficie d’un régime dérogatoire au code des marchés publics pour l’acquisition de matériels militaires, notamment en termes de simplification de la procédure et de réactivité. Pourriez-vous dresser un bilan du recours à ce type de procédures ? Pourraient-elles être utilisées pour compenser un nouveau retard du programme A400M ?

M. le général d’armée Jean-Louis Georgelin, chef d’état-major des armées. Nous avons utilisé la procédure des crash program essentiellement pour la lutte contre les IED, pour les hélicoptères Caracal, pour les brouilleurs mis en place en quatre tranches depuis deux ans, pour les Buffalo, véhicules blindés américains de transport de troupes, pour les tourelleaux ou encore pour les kits de renforcement de nos véhicules de transport courant.

S’agissant de l’A400M, le programme accuse actuellement douze mois de retard. La difficulté tient à la mise au point du moteur qui dépend non pas d’EADS mais d’un motoriste qui réunit lui-même plusieurs industriels. Ce programme constitue un souci majeur car il est un élément essentiel de notre transport stratégique, à un moment où notre flotte de C130 et de C160 s’essouffle. Le maintien en condition opérationnelle des Transall est particulièrement lourd et coûteux. Des solutions de substitution devront être trouvées pour maintenir nos capacités.

Les accords SALIS permettent de recourir à des prestataires extérieurs à qui nous achetons des heures de vol. Ils ne suffisent cependant pas pour faire face à l’ensemble de nos besoins.

M.  Bernard Cazeneuve. Si la provision OPEX pour 2009 ne représente que 60 % du montant 2008, comment sera financé le solde si le surcoût ne baisse pas ? Se fera-t-il encore au détriment des crédits d’équipement ? Pour faire face à ce besoin, le ministre a évoqué hier le recours à la réserve interministérielle que nous n’avons pas réussi à situer précisément dans la nomenclature budgétaire. Pourriez-vous nous apporter des précisions à ce sujet ?

Le modèle global établi par le Livre blanc et la RGPP suppose que les économies réalisées sur les crédits de personnel et de fonctionnement permettent de financer les équipements. Ces besoins apparaissent d’autant plus indispensables que les commandes prévues en 2009 ne semblent pas diminuer. Pour financer ces programmes, quel montant attendez-vous, pour les deux ou trois prochaines années, des économies de fonctionnement induites par la mise en œuvre de la RGPP ? Sachant que le ministère de la défense devra financer les mesures sociales consécutives à la suppression de 54 000 postes, les mesures d’aménagement du territoire à hauteur de 60 millions d’euros et les investissements sur certains sites afin de rationaliser les implantations, le niveau des économies escomptées permettra-t-il d’assurer le financement des équipements programmés ?

S’agissant du coût des programmes et des négociations avec les industriels, une méthodologie de révision des coûts a-t-elle été élaborée ? Des étalements ont-ils été prévus et, dans l’affirmative, pour quels programmes ?

Enfin, qu’en est-il du calendrier de la loi de programmation militaire ?

M. le général d’armée Jean-Louis Georgelin, chef d’état-major des armées. Les opérations extérieures, jusqu’en 2003, étaient financées pour l’essentiel de leur surcoût par des gels et annulations sur le titre V. Les décisions prises à l’occasion de l’élaboration de la précédente loi de programmation militaire visaient à financer les OPEX, comme c’est le cas au Royaume-Uni, par un abondement extérieur au budget du ministère de la défense. Après arbitrage, il a été finalement décidé de prévoir un financement partiel des OPEX, la dotation devant progressivement augmenter chaque année. C’est ainsi que nous sommes parvenus à atteindre 460 millions d’euros en 2008, ce qui correspond à 60 % du surcoût moyen des OPEX. Le montage retenu consiste donc à isoler une ligne pour les OPEX au sein du budget de la défense.

L’intervention en Afghanistan devrait engendrer entre 230 et 250 millions d’euros de surcoûts, en particulier du fait de l’utilisation de munitions très coûteuses.

Pour bâtir l’équilibre général de la loi de programmation militaire, nous avons retenu un surcoût moyen pour les OPEX entre 460 et 510 millions d’euros.

Le ministère du budget souhaite augmenter encore la budgétisation initiale afin d’éviter de recourir à la réserve interministérielle pour financer le solde. Cette évolution s’inscrit dans l’enveloppe globale de 377 milliards d’euros fixée par le Président de la République. Or cette trajectoire financière repose sur des hypothèses qui restent à confirmer. La question du financement des OPEX doit donc faire l’objet de beaucoup d’attention car elle peut conduire à la fragiliser cet ensemble.

Pour ce qui concerne le financement des OPEX en 2008, la provision n’est que de 460 millions d’euros pour un surcoût estimé aujourd’hui à 833 millions d’euros hors gendarmerie. Logiquement, un abondement devrait donc avoir lieu par financement interministériel, d’autant que des recours à des financements interministériels d’opportunité sont fréquents dans la mécanique budgétaire.

M.  Bernard Cazeneuve. La cohérence du système suppose que l’on n’assure pas le financement des OPEX sur les crédits d’équipement, sinon c’est tout le dispositif financier établi par le Livre blanc et la RGPP qui serait ébranlé.

M. le général d’armée Jean-Louis Georgelin, chef d’état-major des armées. Les décisions prises pour le financement des OPEX devraient permettre au ministère de la défense de ne pas puiser sur ses fonds propres puisque le complément devrait être apporté par des financements extérieurs. Le Parlement a probablement un rôle à jouer dans ce domaine.

M.  Bernard Cazeneuve. Connaît-on le montant de la dotation de la réserve interministérielle ?

M. le général d’armée Jean-Louis Georgelin, chef d’état-major des armées. En 2009, la dotation OPEX est portée à 510 millions d’euros. Pour la porter à 570 millions d’euros en exécution, 30 millions d’euros seront prélevés sur « l’équilibre général » et 30 millions d’euros proviendront d’un financement interministériel.

Parmi les réflexions en cours, certaines portent sur l’examen des opérations actuelles, de manière à réduire le surcoût total. Des critères ont été mis en avant par le Livre blanc pour caractériser une opération extérieure comme le caractère grave de la situation, l’absence d’autres mesures possibles, la légalité internationale, l’appréciation souveraine, la légitimité démocratique… Ils devraient permettre de limiter la dispersion de nos OPEX.

Dans la situation actuelle, il semble illusoire de réduire notre présence de 3 000 hommes en Afghanistan ; on peut en revanche s’interroger sur les conditions de la prolongation de l’opération en Côte-d’Ivoire après les élections présidentielles. Le même type de raisonnement pourrait s’appliquer au Liban, au Kosovo ou à l’opération EUFOR au Tchad. L’impact financier devrait d’ailleurs être mieux intégré au processus de décision.

Une nouvelle opération est néanmoins toujours possible. La question est de savoir si la France souhaite participer à ces opérations et les assumer.

L’équilibre général de la loi de programmation a été établi de telle sorte qu’à l’intérieur de l’enveloppe de 377 milliards d’euros, les mesures nécessaires au maintien de l’entraînement, à l’amélioration de la condition militaire et à la recapitalisation de notre outil de défense soient garanties notamment par la suppression de 54 000 postes. Le succès de cette opération est une condition clé du succès de réforme. Les réductions d’effectifs déboucheront en 2009 sur 147 millions d’euros d’économies.

M. le général de brigade Jean-Robert Morizot. Le produit attendu de la déflation d’effectifs est progressif : sur les trois prochaines années, le solde devrait être d’environ 980 millions d’euros. Par ailleurs toutes les mesures d’accompagnement sont effectivement intégrées dans le modèle financier.

M. Bernard Cazeneuve. La réduction des effectifs permettra de réaliser 147 millions d’euros d’économies en 2009. Or le ministre a annoncé un plan d’accompagnement de la réforme de 140 millions d’euros en 2009. Le bénéfice net de la déflation n’est-il donc que de 7 millions d’euros l’année prochaine ?

M. le général d’armée Jean-Louis Georgelin, chef d’état-major des armées. Le financement de l’ensemble des mesures liées à la programmation militaire, y compris les mesures d’accompagnement, est inclus dans les 377 milliards d’euros. Les 147 millions d’euros d’économies réalisées en 2009 vont servir à financer des mesures de restructuration, mais elles sont comprises dans les 377 milliards d’euros.

M. Bernard Cazeneuve. Dans le cadre de la mission d’information qui nous a été confiée, à François Cornut-Gentille et à moi-même, nous essayons de reconstituer le raisonnement financier de manière à éprouver la fiabilité du modèle.

À cet égard, le montant des économies ne peut qu’être le solde entre, d’une part, les économies dues aux départs de personnels et à la rationalisation des implantations et, d’autre part, le coût des mesures d’accompagnement sociales ou territoriales.

M. Philippe Folliot. Tous les ans, la déflation d’effectifs est à peu près équivalente. La première année le solde peut n’être que de 7 millions d’euros, mais les gains se cumulent les années suivantes.

M.  Bernard Cazeneuve. Les objectifs ne peuvent cependant être atteints qu’avec une nouvelle réduction des effectifs. Je crois qu’il y a encore beaucoup d’imprécision en la matière. J’en veux pour preuve les questionnaires adressés au ministère de la défense qui nous ont été retournés : ils donnent des niveaux d’effectifs supprimés par ville et par site qui sont très en deçà de ceux annoncés localement par les représentants des armées. À Cherbourg, les restructurations annoncées font état de 86 postes supprimés tandis que les autorités locales annoncent 242 départs.

M. le général d’armée Jean-Louis Georgelin, chef d’état-major des armées. Les différences sont sans doute liées à la coexistence de plusieurs travaux. Les recommandations de la RGPP étaient particulièrement volontaristes.

M. Bernard Cazeneuve. Le ministère de la défense ne fait sans doute part que des effectifs qu’il sera sûr de supprimer, ce qui pourrait expliquer cet écart. Il n’en reste pas moins que plus que le nombre, il faut surveiller la nature des emplois supprimés. Par exemple, le Livre blanc prévoit une diminution de 11 % des effectifs de la marine nationale, soit, au prorata, 75 postes à supprimer pour Cherbourg. Mais rien n’indique sur quels postes l’effort portera.

M. le général d’armée Jean-Louis Georgelin, chef d’état-major des armées. Nous sommes actuellement en train de décliner concrètement l’objectif de réduction de 54 000 emplois, ce qui n’est pas sans poser d’importantes difficultés.

M. Philippe Folliot. La problématique du surcoût des OPEX est complexe et mérite toute notre attention. Je regrette qu’aucune réponse ne m’ait été apportée sur ce point dans le cadre des questionnaires budgétaires annuels.

M. Philippe Folliot. Vous avez évoqué la logique d’entraînement différencié. Est-elle valable pour toutes les OPEX qui sont pourtant de natures très différentes ? Débouchera-t-elle sur une logique d’équipement différencié ?

Dans de nombreuses OPEX, le travail des militaires déployés ne s’apparente-t-il pas plus à du travail de gendarme mobile qu’à celui d’un combattant dans des opérations de guerre comme en Afghanistan ?

M. le général d’armée Jean-Louis Georgelin, chef d’état-major des armées. L’armée française est de taille modeste, ce qui interdit de spécialiser des régiments, certains faisant des OPEX dures et d’autres assurant des missions qui peuvent vous paraître proches de celles de la gendarmerie mobile.

Nous avons en fait deux problèmes à régler.

De manière à réaliser des économies d’échelle, notamment dans le domaine du maintien en condition opérationnelle, il nous faut atteindre le plus rapidement possible le nouveau format de nos armées de telle sorte que les équipements excédentaires par rapport à ce qui est souhaité dans le Livre blanc soient retirés du service, ce qui générera des économies importantes. Pendant une période donnée, il nous faudra ainsi gérer un volume excédentaire de spécialistes par rapport aux capacités militaires réelles. Ce sera par exemple le cas des pilotes dans l’armée de l’air.

Le deuxième problème tient au fait que nous devons, par rapport à certaines situations particulières comme en Afghanistan, développer un système de préparation spécifique. C’est ce que nos avons fait pour le 8e RPIMa et pour le 27e BCA. Mais, à terme, c’est l’ensemble des unités qui seront concernées par ce type de formation. Compte tenu de nos moyens, on ne peut pas pour autant se permettre de spécialiser les unités par théâtre.

J’ai d’ailleurs demandé que l’on augmente la durée des séjours de certaines opérations extérieures. Les personnels doivent pouvoir s’habituer au terrain et au tissu humain. En contrepartie, la période de présence en métropole avant un nouvel engagement en opérations devra être également allongée. Dans l’armée de terre, ce nouveau schéma perturbe l’équilibre actuel des projections organisé autour de cycles de quatre mois.

L’exercice est donc très complexe car nous devons à la fois mener la réforme et continuer d’assurer nos missions. J’ajoute que les négociations avec les industriels sont très importantes pour éviter tout nouveau dérapage financier. Jamais depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, les armées n’ont eu à gérer en même temps autant de facteurs.

M. Christian Ménard, président. Je ne doute pas, mon général, que vous pourrez apporter des réponses plus complètes aux rapporteurs de la mission d’information sur la réorganisation du ministère lors d’une audition ultérieure.

M. Bernard Cazeneuve. Nous ne manquerons d’interroger précisément l’état-major sur tous ces éléments.

M. Jean-Claude Viollet. Outre l’A400M, nous devons faire face à deux problèmes majeurs sur les équipements. Il semble impossible d’attendre la livraison du premier NH90 en 2011 compte tenu du déficit capacitaire en ce qui concerne les hélicoptères. Le maintien en service des Puma, Superpuma et Cougar est aujourd’hui de plus en plus difficile.

La question se pose de la même manière pour les ravitailleurs. Alors que nos équipements sont obsolètes, aucune décision n’a été prise pour le MRTT (multi-role transport tanker). Avec la probable révision des C135, nous risquons de remettre en cause les capacités de nos forces aériennes stratégiques. A-t-on tranché entre une acquisition ou un partenariat pour le MRTT ?

Par ailleurs le rattachement de la Gendarmerie au ministère de l’intérieur ne risque-t-il pas de remettre en cause sa doctrine d’emploi ? On annonce la fermeture d’un certain nombre d’écoles, la suppression de certains escadrons de gendarmerie mobile et la modification du nombre de brigades. Comment l’état-major des armées perçoit-il la réforme et quel sera l’impact de cette dernière sur l’efficacité globale de notre défense ? La Gendarmerie participe en effet à la défense et à la sécurité du territoire national.

M. le contre-amiral Jean-Marc Brûlez. Nous favorisons l’utilisation du potentiel des ravitailleurs Boeing C135 actuels en les faisant bénéficier de toutes les rénovations requises pour maintenir, et si possible augmenter leur disponibilité opérationelle.

Par ailleurs, nous travaillons sur le programme MRTT qui pourrait conduire à l’acquisition, sous une forme ou sous une autre, de quatorze avions de type A330. Deux options sont envisagées : l’acquisition patrimoniale, ou la prestation de service. Cette dernière option a été choisie par les Britanniques et nous suivons de près cette expérimentation car leur contrat, très cher et négocié pendant une période extrêmement longue (7 ans), présente par exemple des difficultés en matière de mise à disposition des appareils.

Pour être engagés en opérations, les appareils utilisés en temps normal par le prestataire doivent être rappelés par les armées. Or le délai du rappel est une clause majeure du contrat qui influence directement et fortement le prix de la prestation annuelle. Nous étudions donc le bon niveau des clauses de rappel et le nombre d’avions concernés ; par exemple, neuf machines dans les armées et cinq « rappelables » au profit du prestataire.

Pour qu’il s’agisse d’un partenariat rentable pour nous et pour le loueur, les avions « rappelables » ne sont pas équipés en ravitailleur. En effet, avec le coût actuel du carburant, les cinq tonnes de l’équipement militaire de ravitaillement en vol, équipement qui fait partie intégrante de l’avion, correspondent pour un transporteur commercial à environ cinquante places de passagers, soit sa marge bénéficiaire. Les avions étant des avions civils non militarisés, il faut donc, en cas de rappel, faire passer l’appareil en chantier au moment du rappel. Une fois que les avions ont été militarisés, par exemple à l’occasion d’une crise, le transporteur n’a alors plus d’intérêt économique à les récupérer.

L’ensemble de ces éléments sont examinés pour déterminer la meilleure solution financière et opérationnelle.

M. le général d’armée Jean-Louis Georgelin, chef d’état-major des armées. S’agissant de la Gendarmerie, je ne suis pas associé à la révision du format, qui relève du ministère de l’intérieur. Je suis concerné simplement parce que la Gendarmerie gardera un statut militaire et que nous continuerons donc assurer son soutien et sa formation au travers de protocoles entre nos deux ministères.

La Gendarmerie reste indispensable dans ses fonctions prévôtales. Il importe de vérifier que ces missions seront effectivement assurées. Les discussions sur ce point sont très positives, les rapports entre les armées et la Gendarmerie s’étant considérablement améliorés ces dernières années. Chacun a mieux compris les impératifs de l’autre.

Pour autant, une force à statut militaire en-dehors du ministère de la défense reste une inconnue. Je me garderai bien de lancer un pronostic sur les évolutions à venir avec la force d’attraction que va exercer la police à statut non militaire sur les gendarmes.

La séance est levée à dix-huit heures cinquante

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