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Commission de la défense nationale et des forces armées

Mercredi 29 octobre 2008

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 16

Présidence de M. Guy Teissier, Président

— Compte rendu d’un déplacement en Afghanistan du 26 septembre au 2 octobre 2008 (MM. François Lamy et Pierre Lellouche, rapporteurs d’information)

Compte rendu d’un déplacement en Afghanistan du 26 septembre au 2 octobre 2008 (MM. François Lamy et Pierre Lellouche, rapporteurs d’information)

La séance est ouverte à 17 heures

M. le président Guy Teissier. À la suite de l’embuscade survenue à Uzbine le 18 août dernier, plusieurs d’entre nous se sont rendus en Afghanistan pour évaluer la situation de nos forces sur place, notamment le moral de nos soldats et l’équipement dont ils disposent. Compte tenu de l’importance du traitement médiatique réservé à cet événement et de l’émotion qu’il a suscitée auprès de nos concitoyens, il nous est apparu légitime qu’une mission d’information d’une durée d’un an soit constituée. MM. Lellouche et Lamy, qui ont été nommés rapporteurs à cet effet, ont passé près de cinq jours sur place. Nous les entendons aujourd’hui pour un rapport d’étape.

Avant de leur céder la parole, je me félicite que nous ayons obtenu après du Gouvernement la livraison des équipements nécessaires à l’engagement de nos forces armées : envoi d’un Caracal supplémentaire et de deux Gazelle, de drones et de moyens d’écoute.

M. Pierre Lellouche, rapporteur. Depuis la révision de l’article 35 de la constitution, le Parlement est associé à la décision de maintenir une opération extérieure. Les parlementaires en sont donc les coresponsables. C’est dans ce contexte qu’il fallait instituer cette mission d’information.

Au cours de ce premier séjour en Afghanistan, nous n’avons pas eu le temps d’aborder les questions liées à la drogue ni de travailler sur la situation économique ou de balayer l’ensemble des aspects militaires. Le temps a manqué, par exemple, pour effectuer un déplacement en Surobi. Ces points seront l’objet d’étapes ultérieures.

Au cours de ce séjour, nous avons pu nous féliciter de l’accueil qui nous a été réservé par les instances diplomatiques et militaires. Tous les éléments d’information souhaités nous ont été transmis. En revanche, de retour en France, nous éprouvons les plus grandes difficultés à obtenir du ministère de la défense une carte du dispositif français et les détails concernant les retours d’expérience des trois dernières embuscades les plus importantes, dont celle du 18 août dernier. Il n’est, dans ces conditions, pas encore possible d’étayer nos réflexions par des éléments matériels.

L’actuel conflit afghan est une guerre, d’un genre particulier, « à la carte », qui met en présence trois types de protagonistes : ceux qui se battent, ceux qui ne se battent pas et ceux qui « font semblant ». Il faut rappeler que le conflit a débuté en 2001 et qu’il s’agissait alors d’une intervention essentiellement américaine, fondée sur la légitime défense. La clause de sécurité collective de l’article 5 de la charte Atlantique a été invoquée pour la première fois, à l’initiative de la France. Notre pays a participé alors au renversement du régime taliban, et nous sommes engagés depuis cette époque en Afghanistan.

Ce pays était toutefois en en proie à l’instabilité depuis de longues années. On peut ainsi considérer qu’il subit la guerre depuis trente ans, avec notamment l’intervention soviétique, de 1979 à 1988-1989. À cet égard, j’attire votre attention sur le fait que les Soviétiques se sont retirés après avoir compté environ 13 000 tués ou blessés sur les 108 000 militaires qu’ils avaient engagés, et après avoir perdu la maîtrise de l’environnement aérien, lorsque l’insurrection de l’époque a disposé de missiles Stinger, fournis par les États-Unis. Il s’en est suivi une guerre civile qui s’est achevée avec l’installation au pouvoir du régime taliban qui a introduit Al-Qaida sur le territoire. Après les attentats du 11 septembre, deux forces ont été déployées : l’Operation Enduring Freedom (OEF) de lutte contre le terrorisme et dont les 13 700 militaires sont, pour l’essentiel, américains. L’autre force, l’International Security Assistance Force (ISAF, ou FIAS en français), a été créée après la conférence de Bonn d’octobre 2001. En 2003, à la demande des pays la composant, et notamment de l’Allemagne et des Pays-Bas, son commandement a été confié à l’OTAN. Les deux forces agissent dans la légalité internationale : sous mandat de l’ONU pour la FIAS, et avec son accord pour l’OEF.

À partir de 2003, avec l’engagement des États-Unis en Irak, la question afghane a été gérée « à l’économie » : la France ne se bat pas directement, mais assure le commandement de l’aéroport de Kaboul et participe à la formation de l’armée afghane. Ce n’est qu’en avril 2008, avec le sommet OTAN de Bucarest, que la présence militaire française a connu un tournant décisif.

La question est souvent posée de l’articulation des deux missions : il est évident qu’elles interagissent. Il est à noter que les américains n’opèrent pas de distinction entre la FIAS et l’OEF, les deux forces étant placées sous le commandement du général McKiernan, qui est d’ailleurs le seul en Afghanistan à disposer d’une connaissance d’ensemble de ce qui se passe sur le terrain.

Au cours de cette période, la société afghane a réalisé des progrès importants dans les domaines de l’éducation, des infrastructures, du développement économique – avec une croissance d’environ 8 % en 2006 et 2007 –, de l’armée (l’armée nationale afghane – ANA – compte aujourd’hui 63 000 hommes). Des élections ont pu se tenir en 2004. Malgré cela, la dégradation conséquente de la situation sécuritaire fragilise la reconstruction économique et civile et favorise la « bunkerisation » des forces alliées entraînant une coupure totale entre la population et les occidentaux. Grâce à des techniques simples, leur mode d’action par petits groupes et leur mobilité, les insurgés immobilisent un très grand nombre de forces. La situation est aujourd’hui bloquée : les insurgés sont empêchés de reprendre Kaboul ou de se regrouper mais leur nombre ne faiblit pas et ils ont l’initiative militaire.

Il n’y aura pas de solution au conflit si rien n’est fait pour résoudre le problème de la drogue. Le ministre en charge de la lutte contre les narcotiques nous a fait part d’une légère amélioration dans ce domaine, mais semble pessimiste quant à l’avenir. Il nous a paru particulièrement impuissant.

La question pakistanaise doit aussi être réglée. Il faut rappeler que la ligne Durand traverse artificiellement la zone de peuplement pachtoune. Pour ainsi dire, la notion de frontière n’y existe pas vraiment. Il s’agit là d’une donnée fondamentale, qui nourrit le constat selon lequel aucune évolution favorable ne sera possible sans la coopération du Pakistan. À cet égard, il est positif de relever que le nouveau président semble afficher un comportement plus volontariste. D’ores et déjà, il existe un dispositif tripartite, ISAF – Pakistan – gouvernement afghan, qui traite de la coopération en zone tribale. Nous entendons nous y intéresser de plus près à l’avenir.

S’agissant de la reconstruction économique, les Provincial Reconstruction Teams (PRT) ont été mises en place dans différentes régions. La France a pour l’instant refusé d’y participer, ce qui illustre le constat général que nous dressons, selon lequel l’investissement français en Afghanistan se caractérise par la grande faiblesse de son aide civile au regard des dépenses militaires. Cette position paraît problématique : avec 150 à 170 millions d’euros, elle figure en effet parmi les premiers contributeurs au plan militaire mais le Quai d’Orsay n’a décaissé l’année dernière que 11 millions d’euros en faveur de la reconstruction. L’ambassade de France à Kaboul ne compte aucun attaché commercial et aucune entreprise française n’est implantée en Afghanistan. La seule entité française dans le pays est l’hôpital Mères et Enfants, qui fonctionne grâce à une subvention de l’Agha Khan.

J’en viens maintenant aux questions relatives à l’organisation militaire.

Tout d’abord, il m’apparaît important de rappeler qu’un des éléments-clés de l’afghanisation réside dans la formation des forces armées afghanes. Plusieurs milliers de soldats ont été ainsi formés dans le cadre de deux dispositifs, les Operational Mentoring and Liaison Teams (OMLT), qui forment des unités de l’armée afghane, et l’opération Epidote, qui se focalise sur ses cadres et ses forces spéciales. Nous avons toutefois relevé deux axes d’optimisation de notre action. Nous recommandons, d’une part, la fermeture d’une OMLT conduite avec nos alliés néerlandais en raison de l’éloignement manifeste de nos bases : deux jours de transport sont nécessaires pour rejoindre le campement. D’autre part, le transfert de souveraineté doit se faire au profit de formations qui ont été au contact de nos forces. Or, trop souvent, ce passage de relais s’effectue vers des unités qui n’ont pas été formées par nos armées, ce qui peut se révéler préjudiciable pour le bon déroulement du processus d’afghanisation.

En deuxième lieu, c’est la cohérence du dispositif militaire qui doit être recherchée. Nos soldats sont répartis entre deux zones militaires qui relèvent de commandements distincts. D’un côté, la région de Kapissa dans laquelle exerce notamment le 3e RPIMa est placée sous le commandement du général américain Schloesser. D’un autre côté, le district de Surobi regroupe des unités militaires placées sous commandement français, à savoir celui du général Stollsteiner. Or, si dans le secteur américain, la coordination avec les moyens de l’OTAN et d’Enduring Freedom est assurée tant sur le plan logistique qu’opérationnel, la planification conjointe ne semble pas opérante pour les forces situées dans le secteur de Surobi. Cette absence de coordination met alors en lumière les propos du général Stollsteiner, pour lequel je cite « nous avons pêché par excès de confiance ». L’interopérabilité des moyens, qui passe par une planification commune avec les autres autorités, constitue donc un enjeu fondamental.

S’agissant enfin des soldats envoyés en Afghanistan, je tiens à souligner que les propos relayés par les médias français n’ont en rien affecté leur moral. J’ajoute que les blessés que nous avons pu visiter ont conservé toute leur motivation. Par ailleurs, l’équipement de nos soldats nous apparaît adapté à la situation, même si des améliorations sont toujours possibles. Sur le plan de la protection, nous avons ainsi constaté que le surblindage des VAB était bien en cours, que les nouveaux gilets pare-balles avaient été livrés. A contrario, il est nécessaire de modifier les conditions de protection de nos véhicules logistiques dont le blindage reste pour le moins superficiel. En ce qui concerne les systèmes de reconnaissance et d’écoute, nous pensons que la livraison de trois matériels permettrait de perfectionner nos actions : l’envoi de systèmes d’écoute dits de « renseignement d’origine électromagnétique » (ROEM), la modernisation des pods laser placés sur nos Mirage, et l’acquisition du dispositif ROVER pour garantir la communication entre nos pilotes et nos bases.

En conclusion de cette présentation, les principales difficultés qu’il nous faut résoudre sont d’ordre stratégique. L’organisation des commandements doit être revue afin d’assurer une interopérabilité des moyens effective. En outre, la possibilité d’adjoindre une autorité militaire française ou européenne au commandement militaire américain nous garantirait une vision de l’ensemble du conflit ainsi qu’une réelle capacité de co-décision. Au-delà de ces aspects militaires, d’autres actions doivent être menées en termes de présence économique française, de lutte contre la drogue et d’accroissement de nos moyens de coopération civile.

M. le président Guy Tessier. Le mandat de l’OTAN exclut toute action de lutte anti-drogue. Par ailleurs, je crois savoir que le Président de la République afghane s’y est opposé formellement. Dès lors, les actions qui peuvent être menées ne le sont que de façon réduite et indirecte.

M. Pierre Lellouche, rapporteur. Pour être tout à fait complet, de nombreux responsables militaires sont opposés au déclenchement d’initiatives volontaristes de peur de provoquer des réactions hostiles parmi la population dans leurs zones de déploiement.

M. François Lamy, rapporteur. En complément de l’exposé de Pierre Lellouche, j’aborderai quelques points qui me semblent essentiels à la compréhension du tableau général de l’Afghanistan.

En premier lieu, nous assistons à une réelle dégradation de la situation sur le plan sécuritaire. En 2007, 9 000 incidents ont été recensés, soit une moyenne de 25 par jour. La moitié d’entre eux provient des engins explosifs improvisés qui causent une part importante des pertes alliées à côté des accrochages militaires. Cette détérioration met en lumière la nouvelle tournure prise par le conflit dont il faut prendre ici la mesure. Il ne s’agit plus de déloger les Talibans de Kaboul, mais de contrer une insurrection aux visages multiples : éléments d’Al-Qaïda, Talibans, chefs de guerre, etc. Dans ce contexte, les deux prochains rendez-vous qui s’annoncent revêtent une signification particulière  : les élections présidentielles prévues en 2009 d’une part, et l’annonce du retrait des forces canadiennes en 2011 qui pourrait être suivi par celui des contingents britanniques et néerlandais.

En deuxième lieu, la situation afghane révèle la complexité du fonctionnement de l’OTAN en temps de guerre. À cet égard, je note, comme en Bosnie, que le caractère multinational des états-majors est un réel obstacle à la conduite des opérations et se révèle in fine une source de complication extrême sur le plan pratique. Lorsque nous avons sollicité le général Stollsteiner pour la communication d’informations, c’est un officier roumain qui a nous a servi d’intermédiaire. En Afghanistan, cette particularité est renforcée par l’existence de deux organisations distinctes, la FIAS et Enduring Freedom. L’idée de coupler le fonctionnement de ces deux structures pourrait constituer une solution mais ne résoudrait pas pour autant les problèmes de coordination dont nous avons été témoins.

En troisième lieu, l’afghanisation constitue un moyen de résolution du conflit. 63 000  soldats afghans sont actuellement formés. Pour remplir l’objectif de 122 000 qui a été fixé, il importe de renforcer le nombre d’OMLT à hauteur d’une vingtaine. Pour autant, il faut rester prudent quant aux chances de réussir ce processus. La composition des forces armées reste encore hétéroclite : il n’existe pas de réelle unité. On estime qu’il faudra une génération pour y parvenir. Songez que l’armée afghane abrite d’anciens cadres formés par les moudjahiddines ou par l’armée soviétique. La question de la rémunération des soldats et de leur équipement pose aussi problème : le rapport entre la solde reçue par un soldat afghan et celle d’un taliban est de 1 à 10.

Enfin, nous ne disposons toujours pas de moyens permettant d’identifier nos ennemis. Les insurgés compteraient 25 000 hommes, mais il est particulièrement difficile de faire la part entre ses différentes composantes. Nous ne sommes donc pas en mesure de savoir si nous avons effectivement ébranlé les structures d’Al-Qaïda ou si celle-ci s’est retirée au Pakistan.

Tous ces éléments doivent pouvoir être éclaircis car nous serons certainement confrontés à de nouvelles pertes. Notre devoir est d’apporter des éléments utiles à la compréhension du conflit pour nos concitoyens.

M. Pierre Lellouche, rapporteur. Je voudrais juste ajouter, à titre personnel, qu’un changement de la culture de commandement dans notre armée est indispensable, car nous ne sommes pas dans le cadre d’une opération extérieure (OPEX) classique. En outre, il faut se donner les moyens d’agir dans la durée et donc, peut-être, de revoir le rythme des relèves. Si l’on souhaite pouvoir fidéliser les populations autour d’une base avancée et mener des actions civilo-militaires, les unités doivent rester en place plus longtemps afin que les responsables demeurent identifiables.

M. Lionel Tardy. J’aurais beaucoup de question à poser, mais je vais me concentrer sur les effectifs. Deux compagnies de chasseurs alpins de ma circonscription vont partir début décembre en Afghanistan et seront déployées sur deux bases de la région de la Kapissa. Une compagnie comprend trois sections de combat, soit à peu près 90 chasseurs alpins. Or, il y a 15 jours, 300 soldats alliés sont tombés dans une embuscade montée par 100 insurgés et ont dû battre en retraite en abandonnant sur place des missiles Milan. Pouvez-vous me donner des précisions sur cet accrochage et notamment sur les hommes qui composaient le détachement allié ? Que va-t-il se passer demain, avec seulement deux compagnies sur place, soit virtuellement 120 hommes projetables, puisqu’un certain nombre devra rester pour surveiller les bases ?

M. François Lamy, rapporteur. La question des effectifs est un problème général que nous voulons soulever dans le rapport. Actuellement, il est clair qu’il manque au moins l’équivalent d’une compagnie. Mais les effectifs nécessaires dépendent également des missions qui leur sont confiées. Si l’on veut reprendre et contrôler réellement toutes les vallées de la Kapissa, les effectifs sont nettement insuffisants. Pour contrôler l’Afghanistan, certains ont avancé le chiffre de 300 000 soldats ; les soviétiques disaient qu’il en fallait 600 000. On sait très bien que personne n’enverra un tel nombre de combattants.

M. le président Guy Teissier. En Afghanistan, la guerre est saisonnière : on se bat beaucoup plus en été qu’en hiver. Le fait de passer un bataillon de 800 à 400 soldats tient compte de cet élément. De plus, il y aura d’autres unités que les chasseurs alpins. Quand les opérations sont montées, on place en tête les éléments les plus guerriers, en l’occurrence les chasseurs, puis en appui d’autres unités, françaises, alliées ou afghanes.

M. Pierre Lellouche, rapporteur. Je confirme que les chasseurs vont arriver au moment où la pression militaire va baisser. Mais il faut bien voir que les forces de combat françaises, soit 700 hommes, sont une toute petite part des effectifs déployés sur place, soit 60 000 soldats, dont 30 000 ou 40 000 font la guerre. Ces effectifs vont encore être renforcés par 20 000 à 30 000 soldats américains venant d’Irak. Face à cela, la présence française est très limitée.

M. Michel Voisin. Je constate que cet engagement dure depuis sept ans et que nous sommes aujourd’hui dans une situation d’enlisement, comme en Indochine et en Algérie. Je me demande donc si l’OTAN a les capacités pour mener cette opération, avec des forces nationales très disparates, ajoutées les unes aux autres sans cohérence d’ensemble. En réalité, l’OTAN aurait dû cesser d’exister à la fin du Pacte de Varsovie !

M. Pierre Lellouche, rapporteur. Je n’ai pas de réponse à cette dernière observation ! Ceux qui pensent que l’on serait plus en sécurité en nous retirant d’Afghanistan se trompent. Ce pays était un foyer pour le terrorisme international : le problème central est donc de savoir comment éviter que le régime afghan laisse revenir Al-Qaïda. Mais ce n’est ni l’Algérie ni le Vietnam : la France n’a que 3 000 soldats engagés dans la légalité internationale.

M. Michel Voisin. Je ne pensais pas aux seules forces françaises…

M. Pierre Lellouche, rapporteur. Je rappelle qu’il y a au total 60 000 soldats dont 30 000 se battent. Il s’agit donc d’une présence nettement moins importante que du temps de l’occupation soviétique mais qui parvient néanmoins à empêcher le retour d’Al-Qaïda : ce n’est déjà pas mal. Maintenant, on peut effectivement juger que l’effort de participation est très mal réparti au sein de la coalition, notamment entre les États membres de l’Union européenne.

M. le président Guy Teissier. J’ai justement soulevé ce problème lors de la réunion, lundi, des présidents des commissions de la défense des 27, sans obtenir de réponse précise de mes homologues. Il est clair que cet engagement très inégal est anormal.

M. Christophe Guilloteau. Comme l’ont souligné les rapporteurs, l’Afghanistan n’est pas une OPEX comme les autres, et, dès lors que notre présence sur place est justifiée, l’État français doit y consacrer tous les moyens techniques nécessaires. L’exemple du camion dont nous avons la photo est scandaleux. Il est également anormal d’avoir attendu les évènements du 18 août pour envoyer des moyens supplémentaires de renseignement et d’observation. Je suis certain que nous ne savons pas tout ce qui se passe sur place et que l’on ne nous a pas dit toute la vérité sur les circonstances du dramatique accrochage du 18 août. Une véritable transparence est nécessaire, tant par rapport au Parlement qu’envers l’opinion publique, ne serait-ce que pour éviter les rumeurs.

M. Damien Meslot. Je regrette moi aussi que les rapporteurs n’aient pas pu obtenir toutes les informations dont ils avaient besoin : le ministère a le devoir de répondre à leurs demandes. Leur exposé ne permet pas d’être très optimiste. Ils ont évoqué deux pistes de solution : l’« afghanisation » et le dialogue avec les insurgés. Peut-on véritablement espérer que l’armée afghane, qui compte aujourd’hui 63 000 hommes et est partiellement noyautée par les insurgés, sera un jour en mesure de tenir une partie du territoire et d’éviter le retour des Talibans ? Quant au dialogue avec les insurgés non liés à Al-Qaïda, a-t-on une idée de leur nombre et de leur importance par rapport aux « arabes », beaucoup plus extrémistes ? Ne pourrait-on pas faire comme en Irak, où les américains ont aidé financièrement les tribus qui soutenaient les actions de pacification ?

J’ai enfin une question sur la perte des postes Milan lors de l’embuscade d’il y a 15 jours. Les insurgés ont-ils la capacité de les mettre en œuvre et sont-ils dotés, comme on l’a entendu dire, de missiles sol-air capables d’atteindre les avions de la coalition ?

M. François Lamy, rapporteur. S’agissant de la présence de missiles antiaériens portatifs, il nous a été indiqué que leur présence était presque certaine, mais que la menace était limitée en raison de leur maniement requérant un entraînement approprié et de leur âge avancé. En petit nombre, ils constituent avant tout un élément de « statut social » pour leurs détenteurs.

S’agissant de la résolution politique de la crise afghane, elle implique une bien meilleure connaissance de l’ennemi. Celui-ci n’est pas monolithique. À cet égard, il faut rappeler que lorsque Al-Qaïda s’est installée en Afghanistan, le mollah Omar ne lui était pas du tout favorable. J’observe par ailleurs que le nationalisme afghan constitue une réalité, qui compte pour une part non négligeable de l’insurrection. Le mouvement taliban est un produit importé. Il faut rappeler que, de ce point de vue, les Pakistanais ont créé leur propre monstre en soutenant le mouvement taliban. Ils en prennent conscience aujourd’hui.

Tous ces éléments donnent à réfléchir et, dans le cadre de la poursuite de nos travaux, il nous faudra procéder à l’audition de spécialistes de ces questions, afin notamment de déterminer quels sont les critères d’identification des Talibans nationalistes susceptibles d’accepter le jeu constitutionnel.

M. le président Guy Teissier. Il existe un parti politique taliban qui cherche précisément à s’insérer dans le processus électoral et à en profiter.

M. François Lamy, rapporteur. La question de savoir s’il ira jusqu’à présenter un candidat à l’élection présidentielle reste ouverte.

S’agissant du processus d’« afghanisation » du conflit, l’ANA mène de véritables opérations, elle s’est vu confier la responsabilité de la région de Kaboul et doit à terme prendre celle de la région centre. Il a été relevé que ses membres étaient de bons guerriers, mais qui rencontraient des difficultés dans le maniement d’équipements d’un certain niveau de complexité, comme les mortiers. Pour autant, cela ne doit pas faire oublier leur réelle adaptation aux conditions de combat.

M. Pierre Lellouche, rapporteur. Là encore une grande partie de la solution se trouve au Pakistan : si ce dernier maîtrise davantage les mouvements à ses frontières, l’efficacité de l’ANA en sera améliorée. J’ai également été surpris que nos troupes utilisent des missiles antichar Milan, mais il s’agit en fait d’un matériel utile pour ouvrir des brèches dans les murs en terre très solides des villages et des fermes.

M. le président Guy Teissier. L’ANA souffre de nombreuses désertions. Elle ne s’appuie pas sur un véritable sentiment national et reflète la structure tribale du pays, la moitié des effectifs étant constituée par des Pachtounes. De plus, l’origine ethnique joue malheureusement sur les perspectives de carrière des officiers.

M. Yves Fromion. Est-il possible d’établir une hiérarchie des causes du conflit afghan et d’évaluer le poids relatif d’Al-Qaïda, de la drogue et du désordre pour ainsi dire normal d’un pays comme l’Afghanistan ?

M. Pierre Lellouche, rapporteur. Si les attentats du 11 septembre 2001 n’avaient pas eu lieu, il n’y aurait pas eu d’intervention en Afghanistan et le gouvernement taliban continuerait à entretenir des liens diplomatiques avec de nombreux pays. Il faut rappeler que les responsables de ce régime ont été reçus à Washington peu de temps avant l’intervention américaine. La raison d’être du Pakistan est un islam rigoriste et il a besoin d’un Afghanistan qui lui soit étroitement soumis, lui garantissant ainsi l’accès à l’ensemble de l’Asie centrale. Pour cela, les responsables pakistanais ont systématiquement soutenu les éléments islamistes les plus radicaux, dans un pays marqué par une histoire de violences presque permanentes, et que sa géographie rend pratiquement inexpugnable. Il n’est dès lors pas étonnant que des réticences se manifestent envers l’envoi de troupes dans bien des pays de la coalition. L’origine de la crise résulte directement de l’immixtion d’Al-Qaïda en Afghanistan comme résultat de la politique menée par le Pakistan ; la drogue est seulement un instrument de financement et un amplificateur des difficultés.

M. le président Guy Teissier. Elle représente 70 % du PIB de l’Afghanistan !

M. Pierre Lellouche, rapporteur. Les motivations des différents acteurs sont complexes et il est parfois difficile de faire la part entre l’islam radical, l’hostilité aux étrangers ou les intérêts criminels liés au trafic de drogue.

M. François Lamy, rapporteur. La véritable solution de la crise se trouve au Pakistan.

M. Pierre Lellouche, rapporteur. Si Al-Qaïda est éliminée du jeu afghan, cette crise sera ramenée à une question intra régionale portant sur le niveau acceptable des éléments les plus réactionnaires dans ce que deviendra le régime afghan. Comme le Pakistan serait lui-même menacé par la présence de tendances trop extrémistes, il est probable qu’une forme relative de modération finirait par prévaloir.

La séance est levée à 18 heures 15

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